Théâtral magazine

L’actualité du théâtre à Paris et en Région janvier - février 2017 Casta Personnaz

Agnès Jaoui Thomas Jolly Marie NDiaye Nicolas Bouchaud Lambert Wilson Rachida Brakni Stanislas Nordey EXCLUSIF Michèle Bernier Stéphane Freiss E DOSSIER Théâtre : politique et manipulations M 02434 - 63 - F: 4,60 - RD Théâtral magazine n 63 www.theatral-magazine.com 3’:HIKMOD=YUY[UV:?a@a@q@n@a"; °

ommaire

Théâtral magazine S N° 63 - JANVIER / FÉVRIER 2017

04 AGENDA Janvier - Février 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 LA UNE 08. Laetitia Casta et Raphaël Personnaz 12 A L’AFFICHE Théâtral magazine est édité par 12 . Caroline Loeb, Léonie Simaga Coulisses Editions 14 . Sébastien Barrier 7 rue de l’Eperon 75006 Paris France Tél : + 33 1 43 27 07 03 16 . Georges Lavaudant Email : [email protected] 18 . François Bégaudeau, David Bobée Site Internet : www.theatral-magazine.com 20 . Sophie Perez, Rachida Brakni Directeur de la publication : Hélène Chevrier 22 . Nasser Djemaï, Michèle Bernier Directeur de la rédaction : Enric Dausset 24 . Agnès Jaoui 26 . Anne-Marie Etienne Rédactrice en chef : Hélène Chevrier [email protected] 28. Cyril Garnier, Davy Sardou 30 . Stéphane Freiss, Line Renaud Rédaction : 32 . Jean-Benoît Patricot, Catherine Arditi Hélène Chevrier Gilles Costaz 34 . Jacques Frantz Enric Dausset 36 . Nâzim Boudjenah, Séverine Chavrier Igor Hansen-Love 38 . Thierry Harcourt, Stanislas Nordey Jacques Nerson 40 . Christiane Jatahy Nathalie Simon François Varlin 44 . Guillaume de Tonquédec, Lambert Wilson Hadrien Volle 46 . Thomas Jolly 48 . Pierre Arditi Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 50 . Julie Duclos 52 . Ascanio Celestini, Maria de Medeiros Fabrication impression : 54 . Volodia Serre SIB Imprimerie - Imprimé en France Tirage : 10 000 exemplaires 42 TÊTES D’AFFICHES Distribution : Presstalis Dépôt légal : date de parution 56 DOSSIER : Politique et manipulations Com mission paritaire du journal : 0319 G 89789 Commission paritaire du site : 1117 W 90648 avec Patrick Boucheron, Gaëlle Bourges, Benjamin Villemagne, Jean-Marc Avocat, Nicolas Bouchaud, Publicité : Julie Timmerman, Nicolas Lambert, Marie NDiaye Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Gestion Flashcodes 66 PORTRAITS Arnaud Lacaze : + 33 1 42 18 00 00 Jean-Manuel Bajen, Gaël Kamilindi www.infotronique.fr Benoît Lavigne, Philippe Mourrat Photo couverture © Dominique Issermann Laetitia Casta / Raphaël Personnaz 70 ZOOM Le prochain numéro sortira en kiosques Reims Scènes d'Europe #8 le 1er mars 2017 38e Festival Mondial du Cirque de Demain 74 PAGES CRITIQUES ABONNEMENT 82 LE GRAIN DE SEL 1 an = 25 € p.81 de Jacques Nerson

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Janvier - Février 2017 3 genda Spectacles recommandés

A Névrotik-Hôtel, mise en scène et avec Michel Fau. Bouffes 3-janv du Nord 75010 Paris, du 3 au 8/01 Mon Traître , de Sorj Chalandon, avec Jean-Marc Avocat. 4-janv p.65 Rond-Point, 75008 Paris, du 4 au 29/01 et en tournée Chunky Charcoal , de et avec Sébastien Barrier. Colline, 5-janv p.14 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 5 au 28/01 Vu du pont , d'Arthur Miller, mis en scène d'Ivo van Hove, 5-janv p.74 avec Charles Berling. Odéon Berthier, du 5/01 au 4/02 La bonne nouvelle , de F. Bégaudeau. Commune Aubervilliers, 6-janv p.18 du 6 au 21/01. La Devise . Dijon Bourgogne du 9 au 14/01

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Hôtel Feydeau , d’après Georges Feydeau, mise en scène T

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6-janv p.16 i

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G. Lavaudant. Odéon 75006 Paris, du 6/01 au 12/02 r r

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e Le dernier testament , mise en scène Mélanie Laurent. 6/1 p a 6-janv p.80 g

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Antibes, 13/1 Annecy, du 25/1 au 3/2 Chaillot, 9/2 Mulhouse e Karamazov , d’après Fiodor Dostoïevski, mise en scène Jean 6-janv p.74 Bellorini. TGP Saint-Denis, du 6 au 29/01, et tournée Les Lettres d’amour , d’Ovide et Evelyne de la Chenelière, 7-janv p.19 mise en scène David Bobée. CDN Rouen, du 7 au 14/01 La Baignoire de velours , de Sophie Perez et Xavier Boussiron . 10-janv p.20 Rond-Point, 75008 Paris, 01 44 95 98 00 Je crois en un seul Dieu , de S. Massini, avec Rachida Brakni. 10-janv p.21 Comédie de Saint-Étienne du 10 au 20/01 et en tournée

Vertiges , de et mis en scène par Nasser Djemaï. MC 92 Gre - @

11-janv p.22 J e

noble, du 11 au 28/01, et en tournée a

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Folle Amanda , de Barillet et Grédy, avec Michèle Bernier et i

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Arielle Dombasle... Théâtre de Paris, du 13 au 22/01 n

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Un Air de Famille et Cuisine et dépendances , mise en scène z 14-janv p.24 Agnès Jaoui. Porte Saint-Martin, Paris, à partir du 14/01 Les Enfants du Silence , avec la Comédie-Française. Au 17-janv p.26 Théâtre Antoine, 75010 Paris, à partir du 17/01 #vérité , de Benjamin Villemagne et Yann Métivier, Comé - 17-janv p.63 die de Valence, 04 75 78 41 70, du 17/01 au 6/02 Un démocrate , de Julie Timmerman.Théâtre de l'Opprimé, 18-janv p.64 75012 Paris, du 18 au 29/01, et en tournée Piège mortel , d’Ira Levin, avec Cyril Garnier, Nicolas Briançon. 19-janv p.28 La Bruyère, 75009 Paris, à partir du 19/01

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R Hôtel des deux mondes , de E.-E. Schmitt, avec Davy Sardou, 19-janv p.29 @ Noémie Elbaz. Rive Gauche, 75014 Paris, à partir du 19/01 Un animal de compagnie , de Francis Veber, avec Stéphane 19-janv p.30 Freiss… Nouveautés, 75009 Paris, du 19/01 au 30/04 Pleins feux , mise en scène L. Chollat, avec Line Renaud, 23-janv p.31 Fanny Cottençon. Hébertot, 75017 Paris, du 23/01 au 07/02

4 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 J a n . - F é v .

Darius , de Jean-Benoît Patricot, avec Clémentine Célarié et 24-janv p.32 Pierre Cassignard. Mathurins, 75008 Paris, à partir du 24/01 Ensemble , de et mise en scène Fabio Marra, avec Catherine 24-janv p.33 Arditi. Petit Montparnasse, 75014 Paris, à partir du 24/01 L’Amante anglaise , de Marguerite Duras, avec Jacques

n 25-janv p.34

n Frantz, Judith Magre...Lucernaire 75006 Paris, à partir du 25/01

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I Intérieur , de Maurice Maeterlinck, mise en scène Nâzim

e 26-janv p.36 u

q Boudjenah. Comédie-Française, Paris, du 26/01 au 5/03

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o Après coups Projet Un-Femme n°2, de Séverine Chavrier D 30-janv p.37

@ Théâtre de la Bastille, 75011 Paris, du 30/01 au 5/02 Abigail’s party , mise en scène de Thierry Harcourt. Poche- 31-janv p.38 Montparnasse, 75006 Paris, à partir du 31/01 Erich von Stroheim , mise en scène Stanislas Nordey, avec 31-janv p.39 Emmanuelle Béart... TNS, Strasbourg, du 31/01 au 15/02 Festival Reims Scènes d’Europe , du 2 au 11/02 2-févr p.70 www.scenesdeurope.eu Festival Mondial du Cirque de Demain , au Cirque Phénix 2-févr p.72 Pelouse de Reuilly 75012 Paris, du 26 au 29/01 Scènes de la vie conjugale , de Bergman, avec Laetitia Casta, 3-févr p.8 Raphaël Personnaz. L'Oeuvre, 75009 Paris, du 3/02 au 16/04 La règle du jeu , de Jean Renoir, mise en scène Christiane 4-févr p.40 Jatahy. Comédie-Française, du 4/02 au 15/06 La Garçonnière , avec Guillaume de Tonquédec et Claire 7-févr p.44

@ Keim. Théâtre de Paris, 75009 Paris, du 7/02 au 4/03

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s c Wilson chante Montand , mise en scène Christian Schiaretti, a

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11-févr p.45 V

i avec Lambert Wilson. En tournée, à Paris du 26 au 28/02 c

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o r Fantasio , de Jacques Offenbach, mise en scène Thomas 12-févr p.46 Jolly. Théâtre du Châtelet,75001 Paris, du 12 au 26/02 Le Cas Sneijder , mise en scène de Didier Bezace, avec Pierre 21-févr p.48 Arditi... Théâtre de l’Atelier, 75018 Paris, à partir du 21/02 Interview , avec Nicolas Bouchaud, Judith Henry. Du 21/02 21-févr p.62 au 12/03 au Rond-Point Paris, et en tournée Mayday (Big Blue Eyes) , mise en scène de Julie Duclos. La 23-févr p.50 Colline, 75020 Paris, du 23/02 au 17/03. Puis, en tournée. Dépaysement , un spectacle d’Ascanio Celestini

i 24-févr p.52 n

a Rond-Point, 75008 Paris, du 24/02 au 12/03 v

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a Un amour impossible, de Christine Angot, avec Maria de Me - M @ 25-févr p.53

@ deiros, Bulle Ogier. Odéon/Berthier, Paris, du 25/02 au 26/03 Je suis un homme ridicule , d'après Dostoïevski, mise en scène 25-févr p.54 Volodia Serre. Athénée 75009 Paris, du 25/02 au 4/03 Honneur à Notre Elue , de Marie NDiaye, avec Isabelle 1-mars p.61 Carré, … Rond-Point, Paris, du 1 au 26/03

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 5 ctualités

A OLIVIER PY RENOUVELÉ ADIEU À BRUNO BAYEN Grand Marché, Centre Drama - À LA TÊTE DU FESTIVAL Auteur, metteur en scène et co - tique de l'Océan Indien. D'AVIGNON médien, Bruno Bayen nous a Ce metteur en scène très engagé Olivier Py vient d’obtenir un se - quittés à l’âge de 66 ans. Il était (voir le n°33 de Théâtral maga - cond mandat pour la période le fondateur de la compagnie La zine) qui travaille à la Fabrik avec 2018-2021 à la direction du fes - Fabrique de théâtre. la population locale restera at - tival d’Avignon. Paul Rondin res - tentif dans ses nouvelles fonc - tera directeur délégué à ses ADIEU À tions à la professionnalisation et côtés. JEAN-CLAUDE DERET à l'insertion des artistes. Il On lui doit la série culte des an - compte ouvrir le théâtre aussi à nées 60, Thierry la Fronde , dont des spectacles venus de l’Hexa - il était le scénariste mais aussi gone et a demandé à Lolita Ter - l’un des interprètes. Jean-Claude gemina d’être artiste associée Deret, de son vrai nom Claude pendant 3 ans. Breitman, vient de nous quitter à l’âge de 95 ans. Il était auteur,

t acteur, mais aussi compositeur e

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u et chanteur. A 90 ans passés, ce

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y touche-à-tout avait donné un

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@ Cabaret Deret en public avec sa fille Zabou Breitman.

LE FANTÔME DE L’OPÉRA PAS AVANT LA LE FOOTSBARN THÉÂTRE SAISON PROCHAINE AU CIRQUE ROMANÈS Compte tenu de la lourdeur des Du 13 janvier au 26 février, le travaux nécessités par l’incendie Footsbarn théâtre pose ses va - qui s’est déclaré dans les sous- lises sous le Chapiteau du Cirque sols du théâtre le 25 septembre LANCEMENT DE LA CITÉ Romanès avec deux spectacles : dernier, la comédie musicale du DU THÉÂTRE Nid de coucou, librement inspiré Fantôme de l’opéra est reportée Le Ministère de la culture vient de Vol au-dessus d’un nid de cou - en septembre 2017. de lancer le projet de la Cité du cou, et Shakespeare Celebration théâtre qui devrait occuper dans lequel des personnages des LUC ROSELLO DIRECTEUR quelques 20.000 m2 sur le site pièces de Shakespeare se croi - DU THÉÂTRE DU GRAND des actuels Ateliers Berthier. An - sent, se chahutent et se provo - MARCHÉ À LA RÉUNION noncé pour 2022 et après 150 quent. Chapiteau du Cirque Luc Rosello, le directeur de la millions d’euros de travaux, ce Romanès, Square Parodi Boule - compagnie Cyclones Production site devrait accueillir les nou - vard de l’Amiral Bruix 75016 et du théâtre de la Fabrik à Saint- veaux locaux du Conservatoire Paris, 04 70 06 84 84 Denis de la Réunion vient d’être National Supérieur d’Art Drama - nommé à la tête du Théâtre du tique, les salles de spectacle, de répétition et les espaces tech - niques de l’Odéon-Théâtre de HCODES FLAS Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE , vous trouve - l’Europe et deux nouvelles salles rez un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votre de 600 et 250 places pour la Co - smartphone. Ils vous permettent d’aller directement sur les sites des théâ - tres et de visualiser les bandes-annonces des pièces dont nous parlons médie-Française pour remplacer dans le journal. le Studio-Théâtre et le Vieux-Co - lombier.

6 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 L’ÉDIT de Gilles COSOTAZ

CINOCHE SUR SCÈNE 25E ÉDITION DU FESTIVAL SURESNES CITÉS DANSE Les scénarios de cinéma progres -

C’est en croisant en 1993 les @ sent dans leur annexion des scènes

d danseurs du quartier de la Pail - r de cinéma. Après Les Damnés em - lade à Montpellier et les perfor - pruntés à Visconti par Ivo van Hove, mers des Rock Steady Crew à joue en ce moment dans Un air la série continue. Presqu'au hasard New-York qu’Olivier Meyer a eu de famille de Bacri et Jaoui, il in - on relève dans le programme de jan - l’envie de créer le Festival Su - vite Joël Pommerat à présenter vier une adaptation de scripts d'Eric resnes cités danse dans le théâtre son adaptation de Cendrillon à Rohmer, Où que les cœurs s'épren - Jean Vilar de Suresnes qu’il dirige. partir du 27 mai. Le spectacle nent , par Thomas Quillardet au théâ - Un festival qui a donné la parole créé au Théâtre national de Bel - tre de la Bastille, une transposition aux danseurs de hip-hop, leur a gique à Bruxelles en 2011 et re - de Shock Corridor de Samuel Fuller permis d’exercer librement leur pris à l’Odéon revisite le conte par Mathieu Bauer au Nouveau créativité technique et sensible. avec l’humour, l’intelligence et Théâtre de Montreuil et un diptyque 25 ans plus tard, beaucoup des l’esthétique très visuelle de Pom - du collectif Ildi ! Eldi et d'Olivia Ro - artistes révélés par cet événe - merat qui fait de Cendrillon un senthal qui entrecoupe ses dialogues ment, sont devenus choré - garçon manqué et de son prince d'extraits de films, Antoine et Sophie graphes, directeurs de charmant un gringalet. Sans font leur cinéma , au 104. Et l'on sait compagnies ou directeurs de cen - doute l’un des meilleurs Pomme - bien qu'on verra un jour au Châtelet tres chorégraphiques. C’est pour - rat pour les enfants. ou ailleurs une recréation des Para - quoi Olivier Meyer poursuit pluies de Cherbourg de Jacques l’aventure en veillant à accompa - PATRICK POIVRE D’ARVOR Demy. Tout cela va bien au-delà de gner les nouveaux talents qu’il dé - PREND GOÛT AU THÉÂTRE l'utilisation de la vidéo sur la scène. niche grâce aux programmes de Après Garde alternée aux Mathu - Le cinéma est entré dans le théâtre Cités danse connexions . Et pour rins, Patrick Poivre d’Arvor revient par toutes les portes, dans la tête des célébrer ce que le festival a ap - au théâtre en janvier et février auteurs, dans les circuits sanguins porté au rayonnement de la dans Légende d’une Vie/Stefan des acteurs et dans les songeries des danse hip-hop, cette 25e édition Zweig de Caroline Rainette. Cette metteurs en scène. présentera des créations des cho - fois, il n’est pas sur scène ; il se Mais qui colonise qui ? En fait, la régraphes Pierre Rigal, Abou La - contente de prêter sa voix à un réalité pourrait être à l'envers de ce graa, Andrew Skeels, Mickaël Le personnage de journaliste. C’est qu'elle paraît. Lorsqu'on regarde les Mer, Anthony Egéa ou Farid au Théo-Théâtre à Paris, du 5/1 chiffres des entrées des salles de ci - Berki. Suresnes Cité danse, 01 46 au 17/2, 01 45 54 00 16. néma, certains résultats sont catas - 97 98 10, du 6/1 au 5/2, trophiques : les blockbusters font le www.suresnes-cites-danse.com plein, le cinéma d'auteur, avec des jauges dramatiques, ne parvient pas JOËL POMMERAT À LA à sauver son public. Le théâtre, au PORTE SAINT-MARTIN contraire, s'il va mal globalement, Jean Robert-Charrier continue conserve et renouvelle ses specta - de proposer une programmation teurs passionnés d'auteurs neufs. En riche et variée au théâtre de la même temps, il relance la cinéphilie Porte Saint-Martin en mêlant les et donne à voir la beauté du cinéma artistes du subventionné et du d'auteur ! Un paradoxe à mettre au privé. Après Catherine Hiegel crédit des directeurs de théâtre et des qui vient de mettre brillamment compagnies indépendantes. en scène Les femmes savantes et

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p ne Misère et grandeur U d’un couple

Laetitia Casta n n a m e s s I

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8 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE

n 1973, Ingmar Bergman tourne pour la télévision suédoise une série retraçant vingt ans de sa vie de couple avec l’actrice Liv Ull - mann. L’année suivante, il en fait un film devenu emblématique, Scènes de la vie conjugale , dans lequel le couple modèle que for - Ement Johan et Marianne se sépare brutalement avant de se reformer en ca - chette de leurs nouveaux conjoints respectifs. Comme si délivrés des rôles qu’imposait leur mariage, ils pouvaient enfin s’épanouir et s’aimer vraiment. Le film les suit dans leur auto-analyse et questionne le rapport que chacun entretient avec l’amour et le couple. Le réalisateur Safy Nebbou en a fait une adaptation pour la scène. Il a pro - posé à Raphaël Personnaz, qui jouait dans son dernier film, Dans les forêts de Sibérie , d’endosser le rôle de Johan et à Laetitia Casta celui de Marianne. L’enjeu est de taille. Les deux comédiens vont devoir reconstituer dans l’am - biance intimiste du théâtre de l’Oeuvre ce huis clos dérangeant sans occul - ter l’espoir d’une fin heureuse. Car l’amour après tout peut bien se cultiver dans des terreaux très différents.

Théâtral magazine : Comment juste. Surtout dans les détails. Ce vait remuer chez moi et après de vous a-t-on proposé le projet ? qui me passionne, c'est que deux savoir comment jouer ça. Ensuite Raphaël : Safy Nebbou qui est un personnes qui s'aiment soient pri - j’ai rencontré Raphaël et c’est à la inconditionnel de Bergman m'a sonnières d’un tel carcan de lecture que les choses se sont demandé si je voulais jouer Scènes conventions bourgeoises par leur mises en place. de la vie conjugale . On avait éducation, qu'elles n'arrivent pas Raphaël : C’est tellement cruel sur tourné ensemble Dans les forêts à laisser parler leurs cœurs et que les relations humaines et telle - de Sibérie et ça m'intéressait de re - leur amour puisse même se trans - ment juste en même temps que ça travailler avec lui. Et quand on a former en violence. en devient parfois drôle. Il y a fait les lectures avec Laetitia, cela Laetitia : Moi j'avais vu le film. Et quand même des passages au a été immédiat. je me souviens très bien que cette début où lui est imbuvable et on Qu’est-ce qui vous a plu dans ce vision du couple m’avait déprimée en rit un peu. chef-d’oeuvre des années 70 ? (rires) . C’est comme si on était Laetitia : C'est comme si tous les Raphaël : Je n'ai pas vu le film et avec eux chez le psychanalyste. Il deux avançaient avec des je n’avais pas cette référence écra - y a quelque chose de très fort qui masques qui se craquellent. sante. En fait, je m'en fous un peu. touche à l’inconscient. C’est là où En fait, ils ont besoin de passer J'ai lu l’adaptation de Safy et si on Bergman arrive à avoir une vision par cette rupture pour s'aimer ne m’avait pas dit que cela avait des choses très aiguisée. Et quand vraiment. été écrit dans les années 70, je ne Safy m’a remis le scénario, j’ai eu Laetitia : Pour Johan, cela passe l’aurais pas deviné parce que le une sorte de petite angoisse par la perte et pour Marianne par texte est absolument actuel et d’abord à l’idée de ce que ça pou - la rupture.

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 9 LAETITIA CASTA & RAPHAËL PERSONNAZ

Si on commence à dire "nous" nels aujourd'hui dans leur ma - Ce carcan crée chez lui de la vio - nière d'aborder ça. Tout d'un lence qui lui fait dire des choses dans un couple, c'est coup, on se convainc qu’en se met - terribles : "j’ai envie de te frapper mort. Il faut que ça tant ensemble, on va mieux y arri - quand je te vois assise, là, parfaite, ver. La pièce déconstruit ce au petit déjeuner en train de mâ - reste "toi et moi" raisonnement. c h o u i l l e r t e s o e u f s à l a c o q u e . " et qu’on ait un projet À la fin Johan dit : "peut-on vivre Et en même temps, ça ne raconte ensemble tout en étant sincère ?" pas La guerre des Roses (le film ensemble... et Marianne répond : "pas dans de Danny DeVito avec Michael notre cas". Comme s’ils n’arri - Douglas, Kathleen Turner, ndlr) , vaient pas à être eux-mêmes il y a aussi une douceur dans dans leur couple. leurs relations… Raphaël : Cela fait dix ans qu'ils Laetitia : C'est ça. Marianne n'a Laetitia : ...qui se met en place sont ensemble, et ils sont encore jamais réussi à être elle-même. après la rupture quand ils finissent assez jeunes. On peut imaginer Avant d’être en couple, elle était par accepter leurs vraies natures. qu'ils n'ont jamais été seuls et déjà dans le carcan d’une famille C’est comme s’ils n’avaient plus n’ont jamais eu l’occasion de se protestante et elle a basculé dans besoin d’être parfaits. Et c’est confronter à eux-mêmes, à leur un autre carcan en se mariant. Il beau. propre solitude. Donc ils ne se va falloir un choc pour que les Raphaël : Ils ont trouvé une sorte connaissent absolument pas, sauf choses bougent et ils se rendent d'équilibre entre eux. par le prisme de l'autre et à un mo - compte que leur rupture est peut- La difficulté de cette pièce, c’est ment donné, cela les emprisonne. être une chance pour eux qu’elle repose uniquement sur la On ne peut pas se définir par son puisqu’elle va leur permettre relation que vous allez créer couple, par son conjoint. Si on com - d’évoluer. Ils vont d’ailleurs effec - entre vous. mence à dire "nous" dans un cou - tuer chacun un chemin assez inté - Raphaël : Cela ne repose effecti - ple, c'est mort. Il faut que ça reste ressant et se retrouver à un vement sur rien d’autre que la sin - "toi et moi" et qu’on ait un projet endroit auquel on ne s'attend pas cérité totale de ces personnages. ensemble. Or au début de la pièce, du tout et qui serait peut-être Cela exige une vraie mise à nu. ils expliquent en interview com - celui de l'amour le plus juste. Mais l'écrin du théâtre de l'Oeuvre ment ils abordent les choses en - La pièce s’appelle Scènes de la permet de ne pas forcer le jeu et semble. On a l'impression d'avoir vie conjugale et pourtant, sur les de trouver cette intimité. On ne affaire à un bloc. Je ne crois abso - vingt années racontées, ils en peut que partager notre histoire lument pas aux gens qui exhibent passent dix séparés pendant les - de couple. leur bonheur comme ils le font. Je quelles ils vivent comme des Laetitia : Moi, j'ai l'impression vois toujours derrière ces couples amants, sans projet de vie. qu’il faut s’abandonner pour trou - soi-disant unis la façade en feu. Raphaël : Il n'y a pas de possibilité ver cette justesse. Sans doute parce que je suis pessi - de projection dans le nouveau cou - Est-ce que de travailler sur cette miste. Ou réaliste (rires) . ple qu'ils forment. Leur vie d’avant pièce vous apprend quelque Ca résonne à ce point avec le n'était justement faite que de pro - chose sur le couple ? monde d’aujourd’hui ? jections avec des rendez-vous Laetitia : Oui. Ce qui me plaît, Raphaël : Terriblement. On vit comme Noël ou les anniversaires c'est le lâcher prise de ces deux quand même dans un monde très qui angoissent tout le monde. Ils se personnages, et leur évolution. À compliqué où j'ai l'impression que sont libérés de ça. Ça ne veut pas la fin il y a peut-être quelque le couple est perçu comme un re - dire qu'ils sont plus heureux. Mais chose à en tirer. Finalement, c’est fuge et on va répéter les mêmes ils acceptent les imperfections de un texte très optimiste, c'est histoires, les mêmes erreurs que l'un et de l'autre. Et d’ailleurs presque un hymne à la vie. nos parents et nos grands-parents. Johan va devenir plus humain à Qui se termine dans une cabane Je trouve les gens et particulière - partir du moment où il n’est plus près de la mer… ment les jeunes très convention - dans ce cadre rigide du mariage. Laetitia : Et on a envie d'être avec

10 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE

eux, et peut-être même d’avoir fait Finalement, leur parcours pour pouvoir s'aimer comme ça. c'est presque Raphaël : Dans un couple, l'amour un hymne à n'est jamais suffisant. Elle avait besoin de s'épanouir et il avait be - la vie.... soin de lâcher prise. Croyez-vous au pouvoir du théâ - tre ? Repères artistiques Laetitia : Bien sûr. Parce qu’on y raconte la vie et parfois, on la Laetitia Casta Raphaël Personnaz comprend mieux au théâtre et au cinéma que dans la réalité. Raphaël : Aujourd'hui on n'a pas Théâtre Théâtre le choix. Il faut qu'on ait cette conviction que le théâtre peut 2004 Ondine, de Jean Giraudoux, 2007 Van Gogh à Londres, de changer les choses pour aller sur mise en scène , Richard Wright, adaptation Jean- scène, pour parler aux gens, pour théâtre Antoine Marie Besset, mise en scène Hélène restaurer une forme de culture, 2008 Elle t'attend, de et mise en Vincent, Théâtre de l'Atelier d'éducation qui a un peu disparu. scène , Théâtre de la 2009 Médée de Jean Anouilh, mise Qu’est-ce que cette pièce pour - Madeleine en scène Ladislas Chollat, rait provoquer sur les specta - Vingtième Théâtre teurs ? 2014 Les Cartes du pouvoir, de Raphaël : Des discussions de cou - Cinéma Beau Willimon, mise en scène ple. Le fait de servir des textes Ladislas Chollat, Théâtre Hébertot comme ça peut changer la vision Rôles d'un couple. Il y a une libération 2001 Les Âmes fortes, de Raoul Cinéma de la parole aussi. On parle de dis - Ruiz putes, de violence entre des gens 2002 Rue des plaisirs, de Patrice 2010 La Princesse de Montpensier, qui se disent des vérités. Mais je Leconte de Bertrand Tavernier suis favorable aux éclats de voix. 2003 Errance, de Damien Odoul 2012 Trois mondes, de Catherine On en a besoin, sinon on finit par 2006 Le Grand Appartement, de Corsini tuer toute sa famille. Il y a presque Pascal Thomas 2012 After, de Géraldine Maillet un plaisir coupable à venir voir 2010 Gainsbourg, vie héroïque 2013 Au bonheur des ogres, de cette pièce. 2011 The Island, de Kamen Kalev Nicolas Bary Propos recueillis par 2013 Une histoire d'amour, 2013 Quai d'Orsay, de B. Tavernier Hélène Chevrier d'Hélène Fillières 2013 Marius, de Daniel Auteuil (Prix Lumières 2014 : Meilleur Film espoir masculin) 2016 En moi, avec Yvan Attal, 2013 Fanny, de Daniel Auteuil Lara Stone et Arthur Igual… 2014 Une nouvelle amie, de n Scènes de la vie conjugale (court-métrage) François Ozon D’Ingmar Bergman, mise en scène 2014 L'affaire SK1, de F. Tellier Safie Nebbou, avec Laetitia Casta et Cinéma 2014 Le Temps des aveux, de Régis Raphaël Personnaz 2000 La Bicyclette bleue, de Wargnier Théâtre de l'Oeuvre, 55 rue de Clichy Thierry Binisti 2016 Dans les forêts de Sibérie, de 75009 Paris, 01 44 53 88 88, 2014 Arletty, une passion Safy Nebbou du 3/02 au 16/04 coupable, d’Arnaud Sélignac

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 11 depuis le 4 FRANÇOISE PAR SAGAN Oct. Théâtre du Marais – Paris Caroline Loeb Elle ne l’avait jamais L’élégance à la Sagan rencontrée , n’en était pas particulièrement lectrice, pourtant Théâtral magazine : Pourquoi porte pas la lenteur ! –, nous tra - Françoise Sagan a fait irruption dans Françoise Sagan ? vaillons à 1000 à l’heure. Il a une la vie de Caroline Loeb. Au point de Caroline Loeb : Je la connaissais curiosité à 360 degrés. très mal mais mon metteur en Comment avez-vous composé lui donner envie de monter sur la scène, Alex Lutz, est fou d’elle. J’ai votre personnage ? romancière un magnifique seul en découvert le livre d’entretiens don - Je me suis attachée à rentrer dans scène. Avec délicatesse, Caroline nés entre 1954 et 1992 Je ne la chair de chaque mot, à faire vi - Loeb s‘est glissée dans le personnage, renie rien , publié il y a deux ans. Ce brer chaque silence et à voir com - texte, son intelligence, son hu - ment cela résonnait chez moi, sous la direction d’Alex Lutz et les très mour ont véritablement déclen - profondément, intimement. Ça n’a belles lumières d’Anne Coudret. ché mon envie. J’ai vu que c’était pas été très compliqué à compo - vraiment l’essence de sa pensée et ser, mais plutôt évident. Sagan que l’on pouvait en faire un mono - c’est un personnage, c’est son hu - logue. Mais ça ne vient pas d’une manité qui est magnifique. Je volonté, c’est passé devant moi et cherchais plus à entrer dans ses je l’ai choppé ; Sagan est arrivée et mots et dans son costume plutôt a résonné profondément. C’est mi - que me goinfrer de vidéos. Il y a raculeux. bien sûr une attitude à attraper… Vous avez donc adapté cet ou - vrage pour la scène? Sa pensée, son sens L’idée était d’être uniquement sur de la valeur et de sa parole à elle et ses interviews. l’importance du temps C’est le parcours d’une femme m’imprègnent et font par - avec sa solitude assumée, doulou - tie de moi. ... reuse, sa lucidité sur la fête, la gaité. C’est une tristesse jolie, tou - chante, pas si triste finalement. Le Après, il faut être dans la sincérité parcours d’une femme artiste dans de chaque moment. Dès que je la mondanité et la représentation. mets le pied sur scène, je rentre Denis Wessthoff, son fils, a vu le dans le personnage, dans cette spectacle, je crois qu’il a été très pensée ; dès que j’enlève ma per - touché, très troublé. ruque, c’est fini. Mais finalement r e d

e Vous êtes metteuse en scène. ce n’est pas si fini que ça… Sa pen - o r h

c Pourquoi ne pas avoir monté le sée, son sens de la valeur et de S

d r

a spectacle seule ? l’importance du temps, m’imprè - h c i R Je ne crois pas tellement à ceux gnent et font partie de moi. Elle a @ qui s’auto-mettent en scène. touché des choses très profondes Comme pour bien des choses, c’est qui m’ont fait du bien. Une façon quand même plus marrant à deux d’aborder les sujets avec profon - n Françoise par Sagan, d’après Je ne renie rien de que tout seul ! Le metteur en deur et légèreté. Un désespoir Françoise Sagan, adaptation de Caroline Loeb, scène apporte son désir, son re - avec l’œil qui frise, une élégance mise en scène Alex Lutz, avec Caroline Loeb gard, sa vision. Alex Lutz est fémi - qui m’accompagne. Théâtre du Marais, 37 rue Volta 75003 Paris, niste – c’est toujours formidable Propos recueillis par 01 71 73 97 83, jusqu’au 30/01 de voir qu’il y a des mecs que ça in - François Varlin téresse ! – très rapide – je ne sup -

12 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 depuis le POUR UN OUI OU POUR UN NON 18 Poche-Montparnasse - Paris Nov. Caroline Loeb Léonie Simaga Le réel d’abord Elle a quitté la Comédie-Française après 10 ans de bons et loyaux services. Depuis le 1er janvier 2016, elle est libre, tourne des films, n’a pas encore retrouvé de grands rôles au théâtre mais fait

des mises en scène comme celle de Pour un oui ou pour d

un non , l’un des grands succès du théâtre de Poche. n

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Théâtral magazine : Vous aviez temps commun, que les deux i

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r B mis en scène la pièce de Natha - hommes resteront amis. Donc la lie Sarraute au Français. Vous la pièce est essentiellement l’explo - @ montez à nouveau au Poche neuf ration d’un tropisme, celui selon Ils sont assez proches de ce qu’ils ans après. Pourquoi ? lequel une altération très com - sont dans la vie. Nicolas Briançon Léonie Simaga : Dans les deux mune du langage mène à des est un calme qui fait face à l’adver - cas, ce sont deux acteurs qui sont gouffres et à une haine muette. sité, ne va jamais vers le négatif. venus me demander de les mettre Cette fois, j’ai utilisé un peu de Nicolas Vaude est hypersensible, en scène. Au Français, c’étaient Bach. La simplicité de cette mu - précieux, précis, un peu fou. Ils Laurent Natrella et Christian sique est celle de cette écriture sont arrivés texte su aux répéti - Gonon. Là, ce sont Nicolas Brian - faite de mots simples, basée sur tions et ont pu aller très loin dans çon, avec qui j’avais déjà travaillé, presque rien. l’interprétation. et Nicolas Vaude qui ont fait la Qu’est-ce qui différencie cette Pourquoi quitter la Comédie- même démarche. nouvelle mise en scène de la pré - Française et comment travailler cédente ? ensuite ? En 2007, l’approche était plutôt Ce que j’y ai fait, c’était toujours L’un des personnages sociologique, avec un amoncelle - du rêve. Mais, dans toute famille, n’a pas supporté ment de choses. Cette fois, dans la il faut arriver à partir. Le prix à l’in tonation avec la - belle proximité du Poche, on a fait payer, maintenant, c’est l’an - quelle l’autre a dit : "C’est le contraire. Le décor de Massimo goisse. bien, ça" ... Contranetti et les lumières de Propos recueillis par Marco Giusti sont pour beaucoup Gilles Costaz Que raconte la pièce, selon vous ? dans le style épuré. Contranetti Elle raconte la dissolution d’une s’est souvenu d’une salle du Musée amitié, celle qui lie H1 et H2. Mais d’archéologie de Naples pour faire n Pour un oui ou pour un non de ce n’est pas si simple. C’est un un lieu vide qui, pourtant, dit la Nathalie Sarraute, mise en scène de texte ouvert et énigmatique. On culture, l’intelligence. Cette scéno - Léonie Simaga, avec Nicolas sait que l’un des personnages n’a graphie abolit le concret. Le Briançon, Nicolas Vaude, Roxana pas supporté l’intonation avec la - concret est dans le jeu des inter - Carrara. Poche-Montparnasse 75 bd quelle l’autre a dit : "C’est bien, ça" . prètes. J’aime travailler avec des du Montparnasse 75006 Paris, Mais je pense que les désaccords acteurs de tempérament comme 01 45 44 50 21, jusqu’au 26/02 les plus profonds n’effacent pas le ceux-là. Tous deux sont mis à nu.

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 13 à partir du 5 CHUNKY CHARCOAL Janvier Colline - Paris Sébastien Barrier L’aurignacien

n Chunky Charcoal, de et avec Sébastien Barrier (Parole), Benoît Bonnemaison-Fitte (Dessins), Nicolas Lafourest (Musique) Colline, 20 rue Malte-Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 5 au 28/01 r d

@

Cet homme-là aime saouler les gens . Incontestablement, tout est prétexte chez Sébastien Barrier à l’abondance. Sur scène, les histoires qu’il raconte nous perdent dans un vertige sensoriel. Ivresse du goût avec Savoir enfin qui nous buvons , ivresse aussi des objets avec Ronan Tablantec , ivresse encore des mots avec Chunky Charcoal . Dans ce dernier spectacle qui parle de la perte, les mots s’accumulent sur une immense feuille blanche…

‘acculumation de mots sur la feuille de me donner très vite 30.000 euros parce que Benoît blanche, c’est l’œuvre d’un dessinateur, Be - et Nicolas ont huit enfants à deux et qu’il faut bien les noît Bonnemaison-Fitte, ami de Sébastien nourrir". Le projet est lancé. Enfin presque, reste à sa - Barrier. "Il me faisait les affiches de mes voir de quoi ils vont parler. "C'est en allant répéter à L spectacles et on a eu envie d’aller plus loin, Calais qu'on a trouvé" . Ce sera la perte. Le deuil. L’en - que la parole en train de se dire rencontre le dessin" . terrement. "Un moment qu’on rate trop souvent. Ima - Une intuition qu’ils éprouvent lors d’une exposition ginons un enterrement qui se passe bien parce qu’on des objets accumulés pendant la tournée du specta - enterre quelqu'un qui est mort assez vieux, que la fa - cle Ronan Tablantec (du nom d’un clown qui ramasse mille ne s’est pas déchirée et que tous sont quand toutes sortes d’objets. "Chaque objet racontait un même contents de se voir. Finalement la perte fait lieu, une personne et moi je racontais les objets aux qu’on se retrouve aussi. On parle du rituel, de la fable, gens" ). "Pendant l’expo, comme Benoît se faisait chier, de l'histoire collective qu’on se raconte pour tenir le il écrivait compulsivement, sans jamais relever la mine coup. Il y a aussi des moments où j'essaie de faire rire de son crayon et ça finissait par créer un texte bourré les gens ; ce n’est pas une heure et demi de lamenta - d'accidents, de trous, de fautes que je relisais aux vi - tion. C'est même un spectacle assez joyeux" . siteurs…" Et puis il découvre l’ouvrage de Marie- A la fin, il ne reste que des mots écrits sur une Haude Caraës sur les images de la pensée. "Avec paroi de neuf mètres sur trois, " alors que la parole a Benoît, on s’est beaucoup excités sur cette question de depuis longtemps disparu. Comme nos illustres pré - comment le dessin peut révéler une pensée en train de décesseurs qui peignaient sur les murs de leurs grottes se faire dans un temps donné" . Ils font appel au gui - à Chauvet et à Aurignac. La matière était la même, du tariste Nicolas Lafourest "qui fait une musique très charbon aussi." D’où le titre. "C'est le nom de la craie narrative, mais aussi très mélancolique et très violente que Benoît utilise pour dessiner sur le tableau". parfois. Après, j'ai contacté des théâtres pour leur dire Hélène Chevrier

14 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

depuis le 6 HÔTEL FEYDEAU Janvier Odéon - Paris Georges Lavaudant Artiste de la fête des images et des rythmes au théâtre, Georges Lavaudant a longtemps dirigé l’Odéon. Il y revient par l’entrée des artistes et fait par la même occasion un retour au répertoire des grands vaudevillistes français avec Hôtel Feydeau . Noirceur et folie

et la noirceur. On ne je veux représenter à ma manière, s’attarde pas sur les qui n’est pas celle d’Alain Françon histoires, on est plu - ou de Didier Bezace. Avec La - tôt dans une boxe biche, dont j’ai monté il y a long - très rapide. temps Un chapeau de paille Qu’est-ce que vous d’Italie , il y a des moments de poé - aimez le plus ? Les sie, de douceur qu’il n’y a pas chez e n

g personnages ? Feydeau, toujours implacable ! a p e Oh non ! Ce ne sont Depuis votre Cyrano de Bergerac D

y r r

e que des hommes en 2013, vous aviez disparu ? i h T

© imbus d’eux-mêmes, Avec ma compagnie, je travaille des femmes impossi - dans une grande liberté. L’an der - bles, acariâtres. Mais nier, j’ai monté Vu du pont d’Ar - Théâtral magazine : Qu’est-ce ce sont des pastilles de bonheur à thur Miller en catalan à Barcelone qu’ Hôtel Feydeau ? La réunion de jouer, tout en étant des exercices et le spectacle va aller à Madrid en toutes les scènes de Feydeau qui très difficiles. Feydeau représente castillan ! J’ai fait beaucoup se passent dans un hôtel ? une société qui vit dans la peur du d’éclairages en Chine, pour trans - Georges Lavaudant : Non, les scandale, avec des couples où cha - mettre ce que je sais faire. J’ai tra - pièces réunies ne fonctionnent cun veut avoir le dernier mot. C’est vaillé sur le théâtre nô au Japon. pas sur le cocufiage, la folie donc un auteur qui avance par la A Paris, je suis associé à l’équipe sexuelle. Mais elles sont pleines phrase, comme Jarry ou Ionesco. qui doit rouvrir la Scala boulevard d’allusions sexuelles. Ce sont les J’ai dégagé le côté Belle Epoque. de Strasbourg. pièces en un acte, Léonie est en Les costumes sont plutôt années Propos recueillis par avance, On purge bébé (que j’avais 30 et tout est simple. Un décor nu Gilles Costaz monté à Barcelone ave Nuria Es - de Jean-Pierre Vergier et 12 pert), Feu la mère de madame, chaises. Il y a huit acteurs, quatre Mais n’te promène donc pas toute filles, qui sont jeunes, et quatre n Hôtel Feydeau d’après Georges nue ! J’ai compacté, fragmenté, té - garçons, qui ont beaucoup joué Feydeau, montage et mise en scène lescopé ces textes pour qu’ils tien - avec moi. de Georges Lavaudant, nent dans une seule soirée. On Labiche ou Feydeau, lequel pré - Odéon Place de l’Odéon 75006 passe d’une chambre à l’autre et férez-vous ? Paris, 01 44 85 40 40, l’on saute en dansant d’une scène Ils correspondent à un territoire du 6/01 au 12/02 à l’autre. J’ai accentué l’illogisme du théâtre que j’ai exploré et que

16 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

à partir du 6 LA BONNE NOUVELLE / LA DEVISE Janvier La Commune Aubervilliers / Théâtre Dijon Bourgogne c

François Bégaudeau n’est jamais o K

e r i a plus heureux qu’au théâtre quand l C

il suit le travail “corps-texte-ac - @ teurs” avec la complicité du met - teur en scène. En 2014, après La Grande Histoire élaborée pour la promotion 25 de l’École de la Co - médie de Saint-Etienne, il a écrit deux pièces : La Devise créée en oc - De “bonnes nouvelles” de tobre 2015 et La Bonne nouvelle étrennée il y a quelques semaines. François Bégau deau

‘auteur a à chaque fois ré - femme.” Lui, “une cravate à la Ma - que La Bonne nouvelle emprunte pondu à une demande de cron, bleu ciel, nœud large” est un des “formes pop” , sketches ; jeux Benoît Lambert, le directeur acteur entre 30, 40 ans qui s’en - télévisés, ... Il l’a vue évoluer : “Au du TDB (Théâtre Dijon-Bour - traîne à faire un laïus autour de la début, elle durait 2 heures 45, on Lgogne, Centre Dramatique Natio - devise : “Chers jeunes, la Répu - l’a réduite à deux heures environ. nal). “Ce sont deux pièces à blique m’a missionné auprès de La durée est organique. Je compte dimension politique” , indique vous pour vous dire l’urgence de re - beaucoup sur l’effet de troupe qui François Bégaudeau installé ce donner du sens à notre devise...” . prêche la bonne parole de ville en jour-là dans un café situé à deux Elle, “une femme du même âge” , le ville.” En dix ans, François Bégau - pas du Bataclan. coache. “Le sujet semble rebutant, deau se réjouit d’être “tombé sur Comme son nom l’indique, La mais je voulais une comédie didac - de sacrés metteurs en scène. Le Devise jouée partout en France de - tique et éviter le pensum” , précise plus beau métier du monde.” puis deux ans repose sur les trois François Bégaudeau qui n’a pas Déjà, il a écrit deux autres mots qui composent le socle de la oublié d’être drôle dans la pièce. pièces : dans la lignée de La De - République française : Liberté, De même dans La Bonne nou - vise , Contagion sur “la peur am - Egalité, Fraternité. Elle est née velle imaginée deux ans avant La biante, la psychologie collective” peu après les attentats de Charlie Devise . Sourire aux lèvres, il ex - qui sera jouée au théâtre Paris-Vil - Hebdo. “La commande de Benoît plique que la pièce met en scène lette en mai 2017. Et Le Foie , au - Lambert était qu’elle dure une six personnages, des “dominants tour des relations mère-fils qui heure, soit jouée par deux comé - libéraux comme les intervenants devrait être montée en septembre diens et partout, dans des écoles, des télés évangélistes américaines, de la même année. des maisons de retraite -je l’ai des repentis qui reviennent dans le Nathalie Simon même vue donnée dans une salle droit chemin. Je suis dubitatif sur de tribunal !-, comme du théâtre le fait que les gens changent, le sur tréteaux.” motif chrétien permettait de pré - n La bonne nouvelle, de François La “légende” raconte que senter ce changement pour une Bégaudeau et Benoît Lambert, François Bégaudeau a d’abord re - raison mystique” . La Commune, CDN d’Aubervilliers, fusé la commande de Benoît Lam - Après avoir assisté aux pre - 01 48 33 16 16, du 6 au 21/01 bert. “C’est vrai, reconnaît-il . Avec mières, l’écrivain se réjouit de voir n La Devise de François Bégaudeau, cette devise, comment échapper à que le spectacle se déroule mise en scène Benoît Lambert, du un catéchisme républicain ? J’ai comme il l’avait espéré. “Je voulais 9 au 14/01 au théâtre souhaité faire une leçon sur la donner à penser sans ennuyer, qu’il Dijon Bourgogne et en tournée leçon avec un homme et une y ait de la joie” , dit-il en précisant

18 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du LES LETTRES D’AMOUR 7 CDN de Haute-Normandie - Rouen Janvier

Le directeur du CDN de Haute-Normandie met en scène l’un des plus beaux textes d’Ovide. Autant de portraits de femmes blessées, issues de la mythologie, qui, pour la première fois, prennent la parole au travers de lettres enflammées.

Théâtral magazine : Comment pèrent tout de même toucher leur avez-vous découvert ces Lettres destinataire une dernière fois. d’amour ? C’est un geste à la fois sublime et David Bobée : Ovide est un auteur désespéré. Une étape nécessaire qui me passionne depuis toujours. du deuil amoureux. On y entend Après avoir monté le spectacle des cris, de la fureur, de la déme - Metamorphosis , qui s’appuyait li - sure... Des émotions d’une richesse brement sur certains passages des inégalable. Et tout doit passer par Métamorphoses , je me suis plongé le corps. J’ai choisi de confier ces u

dans ses œuvres complètes et je textes à la comédienne cana - a e r e t suis tombé sur ces textes. Au-delà dienne Macha Limonchik qui les r e B

de leur qualité littéraire, parfaite - déclamera dans le décor d’une im - d u a n ment incroyable, j’ai été saisi par mense chambre à coucher. r A

leur modernité. Il y a plus de 2000 Pourquoi elle ? @ ans, rendez-vous compte, un au - C’est une immense actrice ! Et teur romain a eu le culot d’inventer l’une des comédiennes les plus fa - une série de lettres fictives pour meuses et populaires au Canada. David Bobée donner la parole aux grandes fi - Elle a l’habitude de jouer des rôles gures féminines de la mythologie : de grande sœur dans des séries La parole aux femmes Pénélope, Médée, Phèdre, télé. Ici, elle retrouvera son pre - Ariane… Ces textes, féministes mier amour pour la tragédie. C’est avant l’heure, sont des sommets une femme à la fois forte et fra - de la littérature amoureuse. gile, parfaite pour le rôle. J’ai tout Les avez-vous remis au goût du de suite été saisi par sa voix rocail - sique. Et j’ai également fait appel jour ? leuse qui raconte son âge et son au groupe montréalais d’electro Non. J’ai simplement modifié cer - expérience. folk, les Dear Criminals. C’est l’une tains passages pour que leur ora - Et vous avez également fait des formations les plus passion - lité soit plus évidente. Et j’ai appel à un acrobate Anthony nantes du moment. commandé un texte à la jeune au - Weiss… Propos recueillis par teure Evelyne de la Chenelière Oui. Depuis mes débuts, je suis at - Igor Hansen-Love pour apporter une touche contem - taché à la pluridisciplinarité. poraine. Elle fera le lien entre les J’aime l’ouverture, la circulation. cinq lettres que j’ai choisies de L’idée était que Macha Limonchik mettre en scène. Toutes débutent ne soit pas seule sur le plateau, n Les Lettres d’amour d’Ovide et par la phrase suivante : "Quand tu que ses fantômes puissent l’ac - Evelyne de la Chenelière, mise en m’as dit je ne t’aime plus, j’ai pensé compagner tout au long du spec - scène par David Bobée quel courage." Une phrase déchi - tacle. Anthony Weiss a le rôle, Centre dramatique national de rante. quasi impossible, d’incarner l’ab - Haute-Normandie-Rouen. Théâtre En quoi sont-elles proprement sence de l’autre sur scène. Ce qui des 2 Rives, 48 rue Louis Ricard théâtrales ? permettra à Macha Limonchik de 76176 Rouen, 02 35 70 22 82, Car elles resteront sans réponse. projeter ses mots sur lui. L’enjeu du 07 au 14/01 Mais grâce à elles, ces femmes es - est de représenter la blessure phy -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 19 à partir du 10 LA BAIGNOIRE DE VELOURS Janvier Rond-Point – Paris

On n’a pas fini de parler de la compagnie du Zerep cette Sophie Perez année. Après Le Piège à loup pré - senté à la Ménagerie de Verre fin Des tubes pour les acteurs novembre, Sophie Perez, Xavier Boussiron et leurs acolytes déjan - tites formes" . Certaines comme Mi - cenium est un spectacle muet. "On tés s’installent au Rond-Point avec krokosmos sont des déclinaisons s’est demandé ce que serait une une série de cinq performances des spectacles. "C'est une reprise ambiance de théâtre privé avec de Mikrokosmos version Xavier deux couples un peu chicos qui se réunies sous le titre énigmatique Boussiron c'est-à-dire qu’il joue de retrouvent pour boire l'apéro. C'est de La Baignoire de velours. la guitare électrique et Marie- un truc visuel qui n'arrête pas de Pierre Brébant du clavecin. C'est se démultiplier" . Et puis il y a Faire juste un concert" . De la musique mettre (acte 2) dans lequel "So - encore avec Stéphane Roger phie Lenoir déguise Stéphane pen - our Sophie Perez, la fonda - chante tout avec la voix d’Azna - dant une demi-heure en sapin de trice du Zerep, les perfor - vour inspiré de la pièce Enjambe Noël. Il finit par ressembler à un mances comptent autant Charles . "Stéphane peut imiter Az - totem africain et elle se met à pati - Pdans le répertoire de la compa - navour pendant des heures. Dans ner dans de la pâte slim. C'est un gnie que les grands spectacles. "Il cette perf, il chante plein de chan - truc vaudou. Au fond, tout ce qu’on y a les spectacles et les perfs sons avec la voix d’Aznavour mais fait parle de la même chose, de l’art comme il y a des 33 tours et des 45 qui n'ont rien à voir avec Azna - et des objets humains" . Entendez tours. C'est entre les tubes et les pe - vour. Ce sont plutôt des tubes et par "objets humains " les acteurs. des chansons anglaises. Car ces performances sont pour Ça peut être très beau, eux, les Stéphane Roger, Sophie Le - voire insupportable noir, Marie-Pierre Brébant, Gilles (rires) ". Le pied jaloux , lui, Gaston-Dreyfus, ou Marlène Sal - n’a pas d’antécédent sur dana. Certains travaillent avec So - scène. Créé pour le Centre phie et Xavier depuis vingt ans. national de la Danse en "Avec Stéphane et Sophie, on a in - juin dernier, il donne un venté le truc ensemble. Alors c’est aperçu de ce que peut scellé entre nous pour la vie". être le Zerep en pleine ré - Hélène Chevrier pétition : "c'est une sorte de revue un peu musico- n La Baignoire de velours expérimentale pour faire 10 au 14/01 Le Pied jaloux chanter et danser Sophie 17 au 20/01 Faire mettre (acte 2) Lenoir. On est sur scène 21 et 22/01 Stéphane Roger avec Xavier et on com - chante tout avec la voix d’Aznavour mente ce qu’elle fait, on lui 24 et 25/01 Mikrokosmos parle…" . En dépit des ap - 26 au 29/01 Écarte la gardine, parences, rien n’est impro - tu verras le proscenium visé. Ou presque. "Il faut conception et scénographie Sophie n a

m qu'il y ait suffisamment de Perez, Xavier Boussiron u r b

e petites marges pour que Théâtre du Rond-Point, 2 bis L

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p les gens pensent que ça se avenue Franklin Roosevelt 75008 p i l i h

P passe ce soir-là" . Écarte la Paris, 01 44 95 98 00

@ gardine, tu verras le pros -

20 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 depuis le JE CROIS EN UN SEUL DIEU 10 Comédie de Saint-Etienne Janvier et en tournée

rajevo. Elle pourrait être e 10 janvier, aussi notre regard à Rachida Brakni nous, néophytes sur ce L relèvera un vrai défi conflit.“ La comédienne à La Comédie de Saint- s’est demandée com - Étienne avant de partir ment trouver la dis - en tournée : seule sur tance pour échapper à scène, elle interprètera l’amalgame. “Ça me trois personnages de fait penser à la peine de femme dans Je crois en un mort, je suis contre, seul Dieu , de Stefano mais si quelqu’un Massini. “Je me suis lan - touche à ma chair...“ , cée et pourtant j’ai du mal confie-t-elle. Avec Ar - avec la solitude, dit cette naud Meunier, elle a

mère de deux enfants en travaillé avec un choré -

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souriant . Je pensais que a graphe pour “trouver le

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j’allais frôler la schizo - corps“ de chacune des

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phrénie, mais une occa - a femmes qui tiennent

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sion comme celle-ci ne se @ toutes un “discours spé - présente qu’une fois dans cifique“ . sa vie.“ C’est le metteur Formée au Studio- en scène Arnaud Meu - Rachida Brakni théâtre d’Asnières et nier qui lui a proposé au Conservatoire natio - cette aventure inédite. nal d’art dramatique de L’ancienne pensionnaire femmes je vous aime Paris, la jeune femme de la Comédie-Française se dit “pleine“ d’in - ne connaissait pas les au - fluences diverses. “Je tres récits de l’auteur ; me considère comme un Femme non-rééducable , 40 ans en février prochain pré - artisan, une matière, de l’argile ou sur la journaliste russe Anna Polit - sente les trois héroïnes qu’elle va du marbre, j’aime être modelée par kovskaïa et La Saga des Lehman incarner : Eden Golan, une profes - un metteur en scène. Chacun a sa Brothers . seure israélienne qui enseigne propre manière de travailler. Je “Je me suis dit que ce n’était l’histoire de tous, juifs ou non, “une suis très docile, je me laisse porter. pas plus mal d’être vierge, dit-elle. femme de gauche progressiste qui C’est lui l’artiste, moi, je suis au ser - J’ai lu Je crois en un seul Dieu milite pour trouver une solution à vice du texte. J’ai envie qu’il soit d’une traite. Plusieurs choses m’ont la paix jusqu’au jour où elle ré - content de mon travail. Nous fait peur et d’abord la façon dont chappe à un attentat suicide. Ses sommes là pour essayer des choses, il pouvait être perçu. Il y a trois idéaux s’effritent...“ Shirin Akhras, nous tromper.“ femmes de religions différentes, âgée de 20 ans environ qui étudie Nathalie Simon mais le récit n’est pas manichéen, l’histoire de la Palestine à l’univer - il ne prend pas parti et ne cherche sité de Gaza. “Elle décide de com - n Je crois en un seul Dieu, de Stefano Massini, mise en pas à résoudre le conflit israélo-pa - mettre l’innommable, de devenir scène Arnaud Meunier, avec Rachida Brakni, lestinien.“ Le texte “très construit kamikaze.“ Comédie de Saint-Étienne du 10 au 20/01, Tours du et clair“ restitue les trois voix fémi - Et Mina Wilkinson, une Amé - 25 au 28/01, Célestins-Lyon du 1er au 17/02, An - nines avec force détails qui com - ricaine militaire qui ne fait pas de goulême du 7 au 8/03, Rond-Point – Paris du 14/03 posent la Grande Histoire comme différence entre les Juifs et les au 9/04 , Jura 13-14/04, Castelnaudary le 20/04, le souligne la femme d’Eric Can - Arabes, “un personnage un peu Nice du 26 au 29/04, La Ricamarie du 3 au 5/05, tona. réac qui pourrait être une électrice Amiens les 10-11/05, Oyonnax les 18-19/05 Rachida Brakni qui fêtera ses de Trump. Elle a fait la guerre à Sa -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 21 à partir du 11 VER TIGES Janvier MC2 - Grenoble

Nasser Djemaï Questions de familles

Artiste associé à la MC2 de Grenoble, Nasser Djemaï a écrit et monté des spectacles marquants sur les Algériens restés en France et les Français issus de l’immigration : Invisibles, Immortels . Vertiges, troisième volet de la trilogie, tourne également autour de la construction identitaire.

des raisons oubliées. Pourquoi ce nouveaux, mais l’équipe tech - n i p

e passé ne s’est pas raconté ? Com - nique est un noyau dur qui reste le n n e

J ment rattraper tout ça pour éviter même ! Je reste très poreux à ce

c u L les fantômes et ne pas s’enfermer qu’apportent les répétitions. C’est © dans de faux récits. Le personnage le plateau qui donne la vérité fi - principal a 45 ans, il a connu la nale du texte. Nous avons eu de Théâtral magazine : Enfant de réussite sociale et revient dans sa très bonnes conditions grâce à l’immigration, vous êtes né à famille et se retrouve face à ce Jean-Paul Angot, à Grenoble. Pour Grenoble et vous avez eu une qu’il a voulu effacer. Cela peut rap - notre passage à la Manufacture formation d’acteur en Angle - peler Juste la fin du monde de La - des œillets, à Ivry, en février et terre. Un parcours peu banal. garce, mais le contexte est tout mars, Adel Hakim a voulu conti - Nasser Djemaï : La formation autre. L’homme parle un autre lan - nuer sa collaboration avec ma anglo-saxonne est très pragma - gage que sa famille. Ils ne se com - compagnie. tique et responsabilise beaucoup prennent plus. Vous vous sentez seul ou en pa - les artistes. J’ai beaucoup appris et Vous n’écrivez pas sans faire une renté avec d’autres artistes ? j’ai découvert à quel point j’étais enquête sur les gens dont vous J’aime beaucoup de gens ! J’adore français ! Quand j’ai commencé à parlez... Pommerat, McBurney, Mouawad, écrire, parce que je ne trouvais J’ai fait parler les gens autour de Ostermeier… rien qui corresponde à moi et à ma moi et j’ai écrit longuement. Je Propos recueillis par génération, j’ai aussi profité de passe beaucoup de temps sur l’ar - Gilles Costaz l’esprit anglais : on est clair, on ne chitecture des personnages. se cache pas derrière les formules. Quand je suis en panne, je les joue n Vertiges de et mis en scène par Vos pièces sont en partie auto - moi-même pour repartir. A la fin, Nasser Djemaï, avec Fatima Aibout, biographiques. Est-ce le cas de je pourrai écrire une pièce sur Zakariya Gouram, Martine Vertiges ? chaque personnage. J’ai écrit une Hamel… MC 92 4 rue Paul Claudel Oui, j’avais besoin de questionner dizaine de versions ! 38100 Grenoble, 04 76 00 79 00, la notion d’héritage culturel qui se Comment se passent vos répéti - du 11 au 28/01, puis Draguignan, pose quand les parents ne sont tions ? Thonon, Annemasse, Villefontaine, plus là, après une histoire qui ne Il y a des acteurs que je reprends : Ivry (20/02 au 12/03), Cavaillon, s’est pas racontée. C’était crucial Clémence Azincourt qui était dans Lyon, Cébazat, Martigues, Juvizy. pour moi d’explorer l’histoire d’une Immortels , Lounès Tazaïrt qui Texte chez Actes Sud Papier famille devenue française pour était dans Invisibles … Et il y a des

22 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du FOLLE AMANDA 13 Théâtre de Paris – Paris Janvier Michèle Bernier en a rêvé, Amanda l’a fait

Dombasle, sa “copine“, s’est d’emblée déroulée en os - Auréolée par le succès de Je préfère mose. Michèle Bernier a “tout de suite“ pensé à sa qu'on reste amis , la comédie de Laurent metteure en scène préférée, Marie-Pascale Osterrieth, coauteure également de ses one-woman-shows : “ Ruquier, Michèle Bernier s’attèle dans un Nous nous faisons confiance, quand elle me pousse un tout autre état d’esprit au rôle-titre de peu, je me rends compte qu’elle a raison. C’est vrai Folle Amanda , de Pierre Barillet et qu’avec le temps, on se comprend à demi-mot. Nous Jean-Pierre Grédy. Dans la robe de cette sommes des siamoises, chacune laisse l’autre gérer son domaine. Tout ce que fait Marie-Pascale est bienveil - ancienne gloire du music-hall, elle lant, c’est sécurisant pour moi qui suis une actrice d’ins - succède à Jacqueline Maillan qui avait tinct. Je m’approprie le personnage, après j’écoute la créé cette comédie en 1974 dans une musique de mes partenaires.“ mise en scène de Jacques Charon. Et aussi Pour la comédienne, la pression sera à son com - ble le soir où elle se produira en direct sur TF1. “C’est à Line Renaud qui l’a incarnée en 1981- une aventure à la fois excitante et angoissante, recon - 1982 sous la direction de René Clermont. naît-elle. Je veux donner un maximum de plaisir aux téléspectateurs, comme toujours depuis 35 ans de bons et loyaux services ! Je suis toujours partante pour ce genre de personnage avec de la profondeur. J’aime n “ attrape“ Michèle Bernier à la fin du exploiter différents registres. C’est comme dans la vie, tournage d’un épisode de La Stagiaire , on ne peut pas toujours être d’humeur égale, on est une série de France 3 dans laquelle elle parfois drôle, parfois triste.” est une agricultrice reconvertie en juge. Nathalie Simon “OJ’ai vu mille fois Folle Amanda avec Jacqueline Mail - lan, j’ai toujours rêvé de ce rôle“ , s’enthousiasme-t-elle. “J’aime beaucoup Jacqueline et Line, confie-t-elle. Cela fait toujours quelque chose de passer après une per - sonnalité, la pièce est devenue un classique. C’est comme interpréter Cyrano de Bergerac après Gérard Depardieu ou Jean-Paul Belmondo. En même temps, chaque actrice amène son originalité et est au service de l’auteur, du texte.“ Amanda espère se faire un peu d’argent en pu - bliant ses mémoires, mais l’idée n’enchante pas son e

mari, un ex-ministre, Patrick Braoudé pour la première n i d e

fois sur scène avec Michèle Bernier. “Avec Jacqueline d d a S

et Line, nous ne sommes peut-être pas très éloignées l e h c

les unes des autres, juge l’actrice . Nous jouons souvent a R

des personnages qui ont l’air très forts, passent leur @ temps à dissimuler leur vulnérabilité et appréhendent la vie avec humour, mais au fond du fond, ils sont hy - n Folle Amanda, pièce de Barillet et Grédy, mise en scène persensibles. C’est ce qui me plaît. Même si je tourne, Marie-Pascale Osterrieth, avec Michèle Bernier, Arielle Dom - Amanda est avec moi en permanence, elle fait rire et basle, Pierre Cassignard… Théâtre de Paris, du 13 au émeut aussi. Elle chante : ” que c’est bon d’être amou - 22/01. La pièce sera diffusée sur TF1 en janvier pour célé - reuse, que c’est bon d’y croire... ”. brer les 50 ans d’existence du mythique Au théâtre ce soir. La première lecture avec la troupe, dont Arielle

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 23 à partir du 14 UN AIR DE FAMILLE / CUISINE ET DÉPENDANCES Janvier Théâtre de la Porte Saint-Martin - Paris Agnès Jaoui Le grand retour

Après avoir joué sous la direction de Catherine Hiegel dans Les Femmes savantes , la comédienne, auteure et metteure en scène reprend ses deux pièces cultes écrites avec Jean-Pierre Bacri il y a vingt ans. Deux formidables comédies de moeurs, jouées par une nouvelle génération d’acteurs, qui permettent de questionner la société actuelle.

Théâtral magazine : Pourquoi re - conquérir. serve aux femmes… Tous ces su - mettez-vous en scène ces deux Comment ont-elles vieilli ? jets que l’on traite dans ces pièces spectacles ? Plutôt bien je trouve ! Ce sont n’ont pas vraiment changé. Agnès Jaoui : Car la bonne occa - comme de grands enfants. Elles La société s’est un peu féminisée sion s’est présentée ! A l’origine, il sont devenues autonomes ! Nous tout de même. y a la proposition de Jean Robert- nous sommes d’abord demandés C’est discutable. Aujourd’hui, par Charrier, le directeur du Théâtre s’il fallait réactualiser les textes, exemple, une femme de trente de la Porte Saint-Martin, dont j’ap - les remettre au goût du jour… Et ans, célibataire et sans enfant, précie la programmation. Ce bien non. Pourtant, il faut bien sera toujours un grand sujet de jeune homme ose prendre des l’admettre, les choses ont bien discussion. C’est parfaitement dé - risques, sait ressusciter des clas - changé depuis les années quatre- plorable. siques (ce qui est rare dans le vingt-dix : les téléphones porta - Où se trouve votre plaisir de privé), parvient à attirer un public bles, par exemple, ont bouleversé metteure en scène ? populaire et sait comment dévoi - nos vies. Mais nous avons préféré Dans la direction d’acteur. Plus en - ler de nouveaux auteurs… Son ne pas les incorporer, car les deux core qu’au cinéma, j’ai l’impression ouverture d’esprit, propre à la jeu - pièces auraient perdu tout leur de faire le travail d’un chef d’or - nesse, est à l’origine du déclic. En - sens. Je m’explique. Aujourd’hui, chestre. Il faut faire attention à la suite, pour des raisons encore plus nous ne savons plus ne rien faire. rythmique, à la tonalité, à l’harmo - personnelles, Jean-Pierre Bacri et Dès que l’ennui pointe, nous sor - nie… C’est passionnant et très moi-même avons jugé qu’assez de tons nos smartphones et nous pia - amusant. temps était passé. C’est un senti - notons… Et la plupart des Jean-Pierre Bacri se rend-il aux ment confus, irrationnel, que j’ex - situations de gêne ou de malaise répétitions ? plique mal… Depuis les années qui provoquent l’humour ou l’émo - Oui, assez souvent. Il observe, il quatre-vingt-dix, ces deux pièces tion dans ces deux pièces n’au - écoute, il donne parfois des indica - sont comme un peu trop vivantes raient pu avoir lieu. tions sur le jeu des comédiens. Et en nous. Nous les avons tant Mais sur le plan familial... Les puis je tiens vraiment à lui mon - jouées : 460 fois pour Un Air de couples qui se détestent restent trer chaque étape de mon travail. Famille , 300 fois pour Cuisine et moins longtemps ensemble ! Est-ce que les films, qui sont dépendances . A l’époque, nous Je n’en suis pas certaine. Les liens aussi devenus de grands succès avions l’envie d’aller de l’avant et qui unissent les familles, le rapport populaires, n’ont pas cannibalisé de continuer à créer. Aujourd’hui, à la célébrité, l’asservissement au la réinvention de ces deux spec - il existe un nouveau public à pouvoir, le traitement que l’on ré - tacles ?

24 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Non, pas du tout. Je ne regarde médie-Française dans un qu’une seule fois les films dans les - Air de famille. L’échange quels j’ai joué. Et Grégory Gade - des rôles s’est fait facile - bois, qui incarne un rôle important ment ? dans les deux pièces, ne les a ja - Oui ! Catherine Hiegel est mais vues ! une très grande metteure Elles sont régulièrement mon - en scène mais aussi une tées et remontées. Vous avez vu immense actrice et elle de belles adaptations ? sait faire la part des J’essaie d’éviter de les voir en choses. En arrivant sur le France. Ça me fiche un peu le ca - plateau, elle m’a dit : “Ne fard pour tout vous dire. Par t’inquiète pas. Tu vas voir, contre, ce qui me plaît ce sont les je suis une comédienne adaptations à l’étranger. J’ai vu très docile.” Et en effet, des versions marocaines, japo - elle sait se mettre au ser - naises et même antillaises d’ Un vice d’un spectacle. Passer Air de famille ! C’était à la fois très du jeu à la mise en scène drôle et très intéressant. est une expérience lu - Il paraît que pendant la durée de dique. J’aime beaucoup vos deux spectacles, vous ne l’idée de jongler entre les donnez plus l’autorisation aux métiers. Ce serait triste, autres compagnies de les mettre au fond, de ne faire en scène. qu’une seule chose dans C’est vrai, mais seulement pour sa vie. éviter que se jouent les mêmes Qu’avez-vous appris sous pièces juste à côté du Théâtre de sa direction ? la Porte Saint-Martin ; ce serait bi - Il est encore un peu trop zarre. Avec Jean-Pierre Bacri nous tôt pour le dire. D’abord, r o t c sommes très touchés que des Catherine Hiegel nous a i V

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a Agnès Jaoui dans c

jeunes, à leur tour, aient envie de expliqué le contexte his - s a se les approprier. torique de Molière, l’éty - P Les Femmes Savantes @ mologie de certains mots, la façon de déclamer les Jean-Pierre Bacri alexandrins. Et de façon et moi aimons plus générale, elle m’a montré n Un Air de Famille et Cuisine et décortiquer les moeurs, comment décortiquer les moin - dépendances, de Jean-Pierre Bacri et mettre en scène des dres détails des passages compli - Agnès Jaoui, mise en scène par familles dysfonctionnelles qués. Plus on prend son temps en Agnès Jaoui, avec Grégory Gadebois, et rire du défaut des répétition, moins le temps paraît Léa Drucker, Catherine Hiegel… gens !… long lors des représentations. Théâtre de la Porte Saint-Martin, Existe-t-il un lien de parenté 18 boulevard Saint-Martin, 75010 entre l’écriture de Molière et la Paris, 01 42 08 00 32 Et vous n’aviez pas envie de re - vôtre ? à partir du 14/01 monter sur scène ? Jamais je n’oserais me comparer à Non, cela n’aurait aucun sens. lui. Mais oui, Jean-Pierre Bacri et L’idée, justement, était de mettre moi sommes plus proches de Mo - en valeur une nouvelle génération lière que de Corneille par exem - de comédiens. ple. Nous aimons tous deux Après avoir joué dans Les décortiquer les moeurs, mettre en Femmes savantes sous la direc - scène des familles dysfonction - tion de Catherine Hiegel, vous nelles et rire du défaut des gens ! mettez en scène à votre tour Propos recueillis par l’ancienne pensionnaire de la Co - Igor Hansen-Love

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 25 à partir du 17 LES ENFANTS DU SILENCE Janvier Théâtre Antoine - Paris

Au Théâtre Antoine, Les Enfants du silence que l’on avait pu découvrir dans une mise en scène d’Anne-Marie Etienne au Théâtre du Vieux-Colombier, sont repris à compter du 17 janvier. Un pont rare entre le théâtre privé et subventionné. L’occasion aussi de redécouvrir cette pièce qui avait, lors de sa création en France en 1993, révélé l’actrice r d sourde Emmanuelle Laborit. Pour Anne-Marie Etienne, c’est " une @ ouverture vers un monde peu et mal connu, avec dignité et respect". Anne-Marie Etienne

Théâtral magazine : Comment S’entendre… vous est venue l’envie de monter un projet sur ce thème des non- ne parlent pas la même langue. Ça surprendre au début. On a généra - entendants ? pourrait aussi bien être entre un lement l’habitude d’assimiler des Anne-Marie Etienne : Avec Fran - italien et une hollandaise, ou deux mots et non des signes. Arriver à çoise Gillard, nous avons rêvé d’une personnes qui n’ont pas les mêmes s’exprimer deux heures durant par pièce traitant du handicap et de la opinions. S’entendre malgré nos des signes demande un travail de différence. La Comédie-Française différences : c’est un combat. concentration gigantesque, et de ne l’avait pas ou peu fait. Françoise On annonce votre mise en scène plus il faut mêler les signes aux Gillard a une approche extrême - comme cinématographique… mouvements en scène en se regar - ment vraie du personnage ; sa Le spectacle est conçu par sé - dant toujours en face. Là encore, il sœur est non-entendante, elle quences. Réalisatrice de cinéma, fallait une fluidité. J’ai donc com - connaît donc ce monde. Bien que j’ai essayé de faire une mise en mencé par travailler uniquement ce soit un défi de jouer une pièce scène la plus fluide possible sur la chorégraphie, ce qui frus - en langue des signes, on évite la comme un long fondu enchaîné trait un peu les acteurs... Mais je "performance d’actrice". Dans la avec des décors qui bougent en voulais une chose à la fois : la per - pièce, la jeune femme qui tombe même temps, des débordements fection des signes, puis l’adapta - amoureuse de son éducateur ne sons, des débordements lu - tion des signes aux mouvements comprend pas pourquoi c’est à elle mières… Aucune projection, au - de la mise en scène, puis enfin l’art de faire l’effort d’apprendre sa cune rupture ou techniciens dramatique. langue, et pas à lui d’apprendre la venant manipuler les décors… Propos recueillis par sienne. Elle considère la langue Une fluidité visuelle. François Varlin des signes comme une autre Comment les Comédiens-Fran - langue. C’est pour cela que j’aime çais ont-ils répété ce projet avec cette pièce, pour ce qu’elle dit de vous ? n Les Enfants du Silence, mise en l’ouverture à l’autre. On dit de deux Certains comédiens signent, d’au - scène Anne-Marie Etienne, avec la personnes qu’elles s’entendent tres jouent le rôle de sourds appa - troupe de la Comédie-Française, bien, ou ne s’entendent pas. C’est reillés. C’était un tel challenge ! au Théâtre Antoine, 14 boulevard vraiment le cœur de la pièce. Une Nous avons eu un an de prépara - de Strasbourg, 75010 Paris, histoire d’amour entre deux êtres tion ! J’ai travaillé par strates, par 01 42 08 77 71, à partir du 17/01 qui veulent s’entendre tandis qu’ils étapes avec eux, ce qui a pu les

26 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 @ dr à partir du PIÈGE MORTEL 19 Théâtre La Bruyère Janvier Cyril Garnier un personnage en quête d’auteur Connu par le duo comique qu’il forme avec Guillaume Sentou, Cyril Garnier, “le grand ”, dit-il lui-même, s’illustre dans un registre inhabituel en interprétant un jeune auteur dans Piège mortel (Deathtrap) , de l’Américain Ira Levin. Un chef d’oeuvre de comédie policière qui a fait les belles soirées de Broadway et été immortalisée au cinéma par Sidney Lumet avec Michael Caine et Christopher Reeve (1982). Un écrivain en mal d’inspiration et de succès, un Nicolas Briançon cynique, décide de s’approprier le

manuscrit de l’un de ses élèves -Cyril Garnier donc-, mais r d

ce dernier ne va pas se laisser faire. @

e ne connaissais pas cette pièce, c’est Eric Mé - avaient déjà joué ensemble dans Les Grands Moyens tayer qui a fait appel à moi, c’est agréable de de Stéphane Belaïsch et Thomas Perrier dans une changer de style. L’année dernière, dans Les mise en scène d'Arthur Junot et David Roussel (2013). lapins sont toujours en retard , je campais un “Ouvert aux propositions” , Eric Métayer a pour - J personnage romantique, là, c’est un polar où tant une “idée très précise” de ce qu’il veut. “Je lui fais je suis un jeune auteur, ce que je suis dans la vie, c’est confiance” , assure Cyril Garnier qui a pu admirer son l’une des raisons pour lesquelles Eric m’a sollicité ” , pré - travail dans Les 39 marches, Train fantôme ou récem - cise Cyril Garnier en souriant. En revanche, le garçon ment Les Chatouilles . “Ses effets ne sont jamais gra - plutôt “paisible et placide” au quotidien fait des efforts tuits, je vais aller dans son sens, mais face au public, pour se montrer en colère : “Dans un personnage, il y a on est seul maître de la soirée et du jeu” , estime le com - toujours des éléments qui résonnent en vous et d’autres plice de Guillaume Sentou. Et Garnier d’ajouter : “j’ai qu’il faut aller chercher. C’est amusant de passer d’un bien sûr le trac ” . Pour ce bosseur né, il est compensé individu qui a d’abord l’air naïf à un tueur, d’un ton de par le plaisir de participer à une nouvelle aventure col - comédie au début à la noirceur” , signale Cyril Garnier. lective. Cyril n’en oublie pas pour autant son ami de toujours qu’il connaît depuis l’âge de 7 ans. Le travail est très physique, il y Après une tournée avec leur spectacle “Garnier a des scènes de bagarres, de contre Sentou ” , les deux jeunes humoristes ont des projets de séries télévisées en commun. Tandis que violences, nous collaborons avec un Guillaume fait des étincelles au Théâtre du Palais- régleur de cascades… Royal dans le rôle-titre d’ Edmond , d’Alexis Michalik, Cyril sera dans un épisode d’ Alex Hugo avec Samuel Cette pièce qui repose sur un jeu de faux-sem - Le Bihan (France 2) et planche sur un scénario de blants, de “manipulation et de malentendus” machia - long-métrage, un film d’anticipation. véliques sera portée par une mise en scène Nathalie Simon “dynamique, enlevée” selon l’acteur qui profite de la direction avisée d’Eric Métayer, un familier de l’exer - cice. “Le travail est très physique, il y a des scènes de n Piège mortel, d’Ira Levin, mise en scène Eric Métayer, bagarres, de violences, nous collaborons avec un ré - adaptation Gérald Sibleyras, avec Nicolas Briançon, gleur de cascades, l’objectif est que les spectateurs s’in - Cyril Garnier, Marie Vincent, Virginie Lemoine. quiètent pour les protagonistes, doutent et Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère 75009 Paris, s’interrogent comme ces derniers” , explique Cyril Gar - 01 48 74 76 99, à partir du 19/01 nier. Formés à l’improvisation, les deux acteurs

28 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du HÔTEL DES DEUX MONDES 19 Théâtre Rive Gauche - Paris Janvier Surnaturel !

temps, que dans la vie courante. Il Voilà six ans que Davy Sardou n’avait pas joué me fait découvrir plus de choses aux côtés de sa femme, Noémie Elbaz. C’était dans sur moi. Léocadia de Jean Anouilh en 2010. Il la retrouve sur Vers quoi avancez-vous en fai - le plateau du Théâtre Rive Gauche dans une mise sant ce métier ? Aujourd’hui je "calcule" un peu en scène d’Anne Bourgeois, pour cette nouvelle plus mes choix. J’aime alterner, création de la pièce Hôtel des deux mondes d’Éric j’aime les familles et j’aime appro - Emmanuel Schmitt. fondir le travail avec des metteurs en scènes, des lieux, des auteurs. J’ai de plus en plus envie de jouer Théâtral magazine : des auteurs contempo - Cette pièce appar - rains. Il y a une telle effer - tient-elle au théâtre Davy Sardou vescence d’auteurs dit métaphysique ? intéressants à créer qu’il Davy Sardou : Oui. Les faut défendre : Florian Zel - personnages sont dans ler, Sébastien Thiéry, Clé - un hôtel, un monde ment Gayet, Eric Assous, entre deux mondes. Sur David Foenkinos… J’aime Terre ils sont dans le leur originalité, leur fan - coma, mais ne sont pas taisie qui décale, dérange. encore montés… Où ? Je joue les pièces que j’ai - Ils sont dans un entre- merais voir. Peut-être que deux. Un ascenseur, qui dans deux ans l’envie des est un peu le septième classiques me reviendra ! personnage de la pièce, A moi de faire les choix in - monte les âmes en haut téressants. Mon exemple ou les redescend sur en terme de choix, c’est Mi - Terre. Mon personnage chel Bouquet. Il a trouvé est un désillusionné, cy - des auteurs de sa généra - r d nique, qui ne croit à tion, de son époque, dont @ rien et ne se pose au - il faisait les créations : Pin - cune question sur sa ter, Anouilh, Pirandello, Io - fin. Il arrive dans cet endroit qu’il je retrouve ici. Il est tellement fa - nesco... J’aimerais croire que je ne connaît pas, auquel il ne croit cile de tomber dans le cynisme, de vais créer des rôles d’auteurs qui pas, et ses certitudes vont être ne croire à rien, d’être déprimé. Il vont marquer leur temps, qui se - bousculées. faut aller vers le meilleur. C’est une ront repris plus tard par d’autres. Vous semblez aimer un théâtre belle parabole pour un comédien, Propos recueillis par comportant cette dimension de car c’est ce que j’essaye de faire François Varlin verticalité, cette pointe de sur - dans mon travail. Je ne sais pas naturel ? d’où cela vient, je ne me l’explique J’aime que les personnages par - pas à moi-même. Dans ma vie de n Hôtel des deux mondes, de Eric- tent d’un réalisme et soient élevés, tous les jours, je suis plus loin de Emmanuel Schmitt, mise en scène que l’on élève la nature humaine. cela que dans mon travail ! Mon Anne Bourgeois, avec Davy Sardou, Forcément il y a une progression, métier d’acteur est un vrai vecteur Jean-Paul Farre, Noémie Elbaz… un changement d’état d’esprit, de ce que j’aimerais être dans la Théâtre Rive gauche, 6 rue de la une paix intérieure qui nous vraie vie. Je me sens plus à l’aise Gaîté 75014 Paris, change au plus profond de nous et sur scène, dans ce lieu qui n’existe 01 43 35 32 31, à partir du 19/01 nous rend meilleurs. C’est ce que pas, qui est un temps hors du

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 29 à partir du 19 UN ANIMAL DE COMPAGNIE Janvier Théâtre des Nouveautés - Paris

n'a pas rendu le poisson au maga - sin. C'est quand même une réac - Stéphane Freiss tion disproportionnée ! Il y a peu d'espoir dans cette pièce en la ca - pacité de l'homme à dépasser ses Confidences à un poisson rouge problèmes. Je pense que dans les comédies de Francis, les êtres sont Dans Un animal de compagnie , Stéphane Freiss ramène à sa souvent désenchantés. femme un poisson rouge à la place du Yorkshire demandé. Comment allez-vous jouer le côté absurde dela pièce ? L’animal s’appelle Pignon (du nom du héros du Dîner de cons ) En tout cas pas comme une grosse et parle avec la voix de Gérard Jugnot. La dernière comédie comédie. C’est plus intelligent que de Francis Veber traite sans pathos de la délicate question ça. Il faut trouver la bonne tonalité. Jean Giraudoux disait : "mon texte des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. doit être joué à haute voix et deux tons au-dessus de ce qu’on jouerait Théâtral magazine : Henri et normalement" . Parfois c’est le Christine forment un couple en contraire. Certains auteurs se jouent crise parce qu’après vingt ans de piano et on les entend très fort. vie commune, ils n’ont pas eu C’est la première fois que vous d’enfant. Christine qui a toujours jouez une vraie comédie. Qu’est- mis sa carrière en avant pensait ce qui vous a fait sauter le pas ? qu’un chien ferait l’affaire mais Le texte à la lecture. Cela arrive par vengeance Henri lui ramène aussi à un moment de ma vie où un poisson rouge. j'ai envie d'une rencontre popu - Stéphane Freiss : Ils en sont à un laire avec le public. J'ai joué des stade où ils ne se parlent plus beau - grands textes, des pièces qui fai - coup et quand ils se parlent c’est saient rire, mais je n’ai pas d’expé - uniquement pour s'agresser. Et cu - rience de théâtre populaire sauf rieusement le poisson produit un une fois au cinéma avec Bienvenue effet magique. C’est un peu comme chez les Ch'tis . Je crois que la r d

si le psy s'était installé chez eux et grande force de l'homme, c'est le peut-être que grâce à ce poisson ils @ doute et l'équilibre instable. Et vont se défaire de tous leurs blo - et son besoin de se confier à un l'écriture de Francis ne me conforte cages. En tout cas, rester ensemble poisson. Il y a quelque chose d’ab - pas ; c’est tout le contraire (rires) . est finalement moins important surde, assez proche de Woody Et c’est parfait. que de se séparer de lui. La comé - Allen. Le poisson parle comme un Propos recueillis par homme mais ne commente pas Hélène Chevrier C’est un peu comme leurs histoires de couple. Il reste un si le psy s'était ins - poisson avec ses problèmes de poisson. Et en même temps, il fait n Un animal de compagnie, texte et tallé chez eux et peut- progresser leur histoire. mise en scène Francis Veber, avec être que grâce à lui ils Christine au contraire prend très Stéphane Freiss, Noémie de Lattre, vont se défaire de tous mal l’arrivée de ce poisson. C’est Philippe Vieux, Dounia Tartikova, et leurs blocages… une femme dure, qui ne cède pas la voix de Gérard Jugnot. Théâtre grand-chose sauf quand elle sent des Nouveautés, 24 bd Poissonnière die vient du décalage entre la tris - qu’elle va perdre la partie. 75009 Paris, 01 47 70 52 76, tesse de cet homme qui réalise qu’il Elle se venge en couchant avec un du 19/01 au 30/04 n’aura probablement pas d’enfant autre homme parce que son mari

30 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du PLEINS FEUX 23 Théâtre Hébertot - Paris Janvier Line Renaud reine de la scène Line Renaud aura tourné deux ans avec Harold et Maude de Colin Higgins (2012-2013). Gageons qu’elle pourrait en faire autant avec Pleins feux , comédie de Mary Orr qu’elle a décidé de reprendre 25 ans après l’avoir créée. “Je me l’étais promis, le moment est venu“, confie la pétillante actrice

de 88 ans. Elle ne cache pas son plaisir de retrouver une troupe s i u p u

en rejouant Alice Margaux, une star du théâtre de boulevard D

e i d o qui malmène ses proches, dont un auteur (Lionel Abelanski), sa l E femme (Raphaëline Goupilleau) et son ex-mari (Pierre Santini). @

e désir de Line Renaud de camper cette hé - tive pas la nostalgie, c’est demain et après-demain qui roïne remonte à loin : “Après Folle Amanda , l’intéressent. “Vieillir n’a jamais été un problème pour Pleins feux est la deuxième pièce que j’ai moi“ , lance-t-elle joyeusement. Elle vit de sa passion : jouée au théâtre. Dans les années 50, je chan - jouer. “Regardez Michel Bouquet, Robert Hirsch, L tais au Coconut Grove de Los Angeles, c’est Charles Aznavour ou Juliette Gréco. Aujourd’hui, je n’ai - là-bas que j’ai vu le film Eve , de Joseph Mankiewicz tiré merais plus chanter, dit, après réflexion, celle qui fut de la nouvelle de Mary Orr, The Wisdom of Eve , avec une reine du music-hall . Mon retour en 2010 a été une Anne Baxter et Bette Davis. Je me suis dit que le jour où parenthèse. J’aime le contact direct avec le public que je ferais du théâtre, j’interpréterais ce rôle.“ je retrouve au théâtre.” Entre la télévision et le cinéma (elle était dans Line Renaud est fidèle au metteur en scène Ladis - Bienvenue chez les Ch’tis de son ami Dany Boon), l’ex las Chollat qu’elle a repéré grâce à Israël Horovitz. “Il danseuse de revue a reçu des “propositions, mais elles m’avait envoyée à Amiens voir une pièce en un acte ne convenaient pas, puis j’ai relu Pleins feux et eu le jouée par un seul comédien. Ce que Lad avait réalisé même coup de foudre qu’autrefois. A l’époque j’avais avec un budget réduit était formidable. J’ai parlé de son l’âge d’Anne Baxter, aujourd’hui, je suis plus proche de travail à Dominique Besnehard qui a également été Bette Davis“ , observe en riant la fervente avocate du conquis. C’est la troisième pièce que je fais avec Lad Sidaction. Elle a envoyé le manuscrit de la pièce à La - après Harold et Maude et Très chère Mathilde . Il est tel - dislas Chollat qui lui a donné sa bénédiction. lement délicat, à l’écoute. Il sait ce qu’il veut, mais aime Line Renaud “adore“ le personnage prénommée qu’on lui pose des questions. J’ai beaucoup de chance...“ Alice dans l’adaptation signée Didier Kaminka qui a “Actrice instinctive“ , Line Renaud n’aime rien tant gardé le cadre des années 50 : “Elle est extravagante, que d’être dirigée. En mars 2017, on la découvrira sous sarcastique, explosive, elle mène son monde à la ba - les traits d’une ancienne résistante communiste dans guette et n’a pas envie de lâcher la scène. Elle a tout sa - Rappelle-toi , une fiction de Xavier Durringer pour crifié pour sa carrière, elle a raté sa vie privée.“ Comme France 3. “Une histoire vraie tournée à Brest, l’un de pour son interprète qui a de l’énergie à revendre, le mes plus beaux rôles avec Susie Berton“ , estime-t-elle. “mot retraite n’existe pas“ pour Alice. Qui a aussi un Nathalie Simon cœur sous ses airs bourrus : “Elle est vulnérable et sin - cère, on ne l’apprendra qu’à la fin, assure Line Renaud . C’est une diva, un monstre sacré comme l’étaient Marie n Pleins feux, pièce de Mary Orr, mise en scène Ladislas Chollat, Bell ou Edwige Feuillère qui jouaient même quand elles avec Line Renaud, Fanny Cottençon, Pierre Santini et Raphaëline n’avaient plus l’âge du rôle. Je vois encore Marie Bell Goupilleau et Lionel Abelanski, Théâtre Hébertot, 78 bis, Boulevard porter des voilettes… “ . des Batignolles, 75017 Paris, 01 44 70 06 69, du 23/01 au 07/02 Pour autant, la demoiselle d’Armentières ne cul -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 31 à partir du 24 DA RIUS Janvier Théâtre des Mathurins - Paris

Jean -Benoît Patricot Des voix dans la tête

C’est un auteur surgi sur le tard , mais dont les pièces se mettent à passionner le milieu du théâtre. Après PompierS au Balcon d’Avignon, voilà Darius qui, après le Chêne Noir d’Avignon, est repris aux Mathurins. Et les

r éditions Dacre vont publier trois nouvelles d

@ pièces de Jean-Benoît Patricot.

Théâtral magazine : Vous avez choses les plus éphémères (comme Cassignard ont créé Darius au d’abord fait des adaptations de l’odorat) restent le plus" . J’ai ima - Chêne Noir, l’été dernier, à Avi - l’anglais, puis plus rien de vous giné une mère dont le fils – qu’on gnon. pendant des années, avant deux ne voit pas – est immobilisé après Comment jugez-vous le specta - textes très personnels. Pourquoi ? avoir eu la passion des voyages. La cle ? Jean-Benoît Patricot : J’avais peu mère engage un créateur de par - Pour PompierS , j’avais suivi toutes de temps, j’étais pharmacien. fums pour que, par les fragrances, les répétitions. Darius , je l’ai dé - J’avais surtout besoin de vivre des le fils continue à voyager. Cette couvert au dernier moment. Ce choses avant d’écrire vraiment. En - obligation transforme et la mère qu’a fait Anne Bouvier est élégant, suite, j’ai eu plein de voix dans la et le créateur de parfums. Com - sans pathos. Il y a une belle circu - tête et j’ai écrit PompierS , l’histoire ment compenser une déficience, lation entre les comédiens. Clé - d’une jeune fille abusée par un par quels chemins la dépasser ? Ce mentine Célarié est une évidence. groupe d’hommes, d’après un fait sont les questions soulevées par la Elle est d’une humanité folle, avec divers. Je n’en avais écrit que vingt pièce. toute une palette d’émotions. pages quand j’ai eu la bourse de Pierre Cassignard est parfait, il l’association Beaumarchais. Serge Clémentine Célarié évolue tout au long de la repré - Barbuscia a monté la pièce à Avi - est une évidence. sentation. gnon, au Balcon, avec William Elle est d’une humanité Propos recueillis par Mesguich et Camille Carraz. folle ... Gilles Costaz C’était très réussi, je suis allé voir la pièce tous les jours. Vous avez écrit Darius ensuite. Il y a eu une très belle lecture par Après PompierS j’avais eu le prix Marie Bunel et Patrick Catalifo à Durance-Beaumarchais-SACD. Grignan. Pour la création au théâ - n Darius, de Jean-Benoît Patricot, Durance étant un parfumeur, le tre, je pensais à Clémentine Céla - mise en scène d’Anne Bouvier, principe du prix est d’écrire pour le rié. Je suis allé l’attendre à la sortie avec Clémentine Célarié et Pierre Festival de la correspondance de du théâtre où elle jouait et je lui ai Cassignard. Grignan un échange épistolaire donné le texte. J’ai appris qu’elle Mathurins, 36 rue des Mathurins où il est question de parfum. J’ai l’avait lu tout de suite et, en 24 75008 Paris, 01 42 65 90 00, pris ça au pied de la lettre, me sou - heures, la production était mon - à partir du 24/01 venant que, pour Proust, "les tée. Clémentine Célarié et Pierre

32 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du EN SEMBLE 24 Petit Montparnasse - Paris Janvier Catherine Arditi Dans la famille Arditi, je demande la sœur

ment total. De ce jour, elle revient chaque année à la Des voix dans la tête Après avoir triomphé deux saisons charge : “Je veux prendre des cours de théâtre.” Inva - de suite au festival off d’Avignon, elle joue à riablement le père répond : “Passe d’abord tes bacs.” partir du 24 janvier Ensemble , de Fabio (Il y en avait deux en temps-là.) “En seconde j’ai es - Marra, au Petit-Montparnasse. timé avoir assez attendu et me suis tirée du lycée. J’ai travaillé en usine, au bouillon Maggi vers le canal de l’Ourcq, pour payer mes cours. En - ignasse frisée, fri - suite j’ai été standardiste à mi- mousse mutine, dents temps. Quand il a découvert le pot du bonheur, rire d’éco - aux roses, mon père m’a dit : “Ma lière excitée par la farce vieille, tu le regretteras.” Je ne l’ai T qu’elle mijote : Cathe - jamais regretté. Pierre, pareil. Lui rine Arditi se décidera-t-elle un non plus n’a pas passé son bac. jour à ne plus être une gamine ? Pour emmerder papa, il s’est en - “Quand je serai morte. Hi, hi, hi ! J’y gagé dans une compagnie d’assu - peux rien, c’est comme ça.” Curieux rances...“ qu’avec cette voix acidulée, si par - Néanmoins, si vous lui deman - ticulière, elle n’ait pas doublé de dez quelle a été sa plus belle expé - dessins animés. rience jusqu’ici, ce n’est pas une La célébrité de son frère lui a- pièce de théâtre qu’elle men - t-elle donné un coup de main ou tionne, mais la comédie musicale bien lui a-t-elle nui ? “Ni l’un ni l’au - Cabaret où elle a interprété et tre. En prenant au théâtre la relève chanté le rôle de fraulein Schnei - de François Périer, Pierre est devenu der, écrit à l’origine pour Lotte r d une star. On fonctionne dans des Lenya, la veuve de Kurt Weill. sphères différentes. Autrefois ça @ Quelle fierté pour elle d’avoir été m’agaçait qu’on me renvoie toujours à lui. Plus main - engagée sur audition par Sam Mendes, sans avoir fait tenant. Faut faire avec.“ jouer la moindre relation et sans savoir encore bien Bien que plus jeune que lui, c’est elle qui l’a en - chanter ! traîné au cours d’art dramatique de Tania Balachova. Seul regret ? Les clivages qui subsistent en Elle encore qui incite Marcel Maréchal à l’engager France entre le théâtre privé et le subventionné, le ci - dans sa troupe lyonnaise dont elle était déjà membre. néma et la télévision… “Chez nous tout est cloisonné. Après quoi ils n’ont plus joué ensemble. “Chacun sa En Angleterre, on n’en veut pas à un acteur de tourner route.” Jusqu’à cet été où ils sont de nouveau réunis une pub, d’enchaîner avec un gros boulevard, puis un dans la série télévisée Le Sang de la vigne . C’était mal - drame de Shakespeare. Malheureusement je ne suis heureusement le dernier épisode. pas Anglaise...” Catherine, Pierre, Danièle, Rachel, tous les en - Jacques Nerson fants Arditi font du théâtre. C’est Catherine qui a ou - vert la route. A sept ans, elle flashe sur Copie conforme , un film où Louis Jouvet incarne des sosies, un honnête homme et un bandit. “Ce n’est pas le désir n Ensemble, de et mise en scène Fabio Marra, avec de porter de belles robes, c’est Jouvet qui m’a donné Catherine Arditi, Sonia Palau, Floriane Vincent et Fabio envie de me lancer dans ce métier.” Marra, Petit Montparnasse, 31 Rue de la Gaîté 75014 Son père, le peintre Georges Arditi, l’emmène Paris, 01 43 22 77 74, à partir du 24/01 alors voir Phèdre à la Comédie-Française. Eblouisse -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 33 à partir du 25 L’AMANTE ANGLAISE Janvier Lucernaire - Paris

Jacques Frantz Moderne avant tout

Acteur majeur, Jacques Frantz a beaucoup marqué la scène française en créant notamment Encore une histoire d’amour de Kempinski et Les riches reprennent confiance de Sirjacq. Après avoir a l u

n joué pour Gérard Gélas Un cadeau hors du temps a H

h P de Nattino à Avignon en 2015, il pénètre dans @ l’univers de Duras.

Théâtral magazine : C’est votre et cet univers. C’est l’un des plus d’apporter ce que nous voulons retour : on ne vous a pas vu sur grands auteurs de théâtre, au apporter par nous-mêmes. La dif - une scène parisienne depuis moins égal à Pinter. Une décou - ficulté est que nous sommes en quelques années. verte sidérante pour moi ! Duras scène séparés et ensemble. Jacques Frantz : Un problème de ne lâche jamais le réalisme mais Chaque personnage s’exprime hanche m’a handicapé mais j’ai elle vous emporte par un langage seul. La mise en scène de Thierry, vaincu le signe indien, je joue la si fort qu’il est lui-même un per - dont le décor se résume à une pièce de Duras. Je suis malheu - sonnage. table et deux chaises, va au plus reux quand je ne joue pas. Que jouez-vous dans ce trio com - loin du minimal. posé d’une femme meurtrière, de Pour plus tard, des projets ? Duras ne lâche ja - son mari et d’un enquêteur ? Je compte jouer, sans doute cet mais le réalisme Je joue le mari. C’est un person - été, la pièce que Gérald Aubert a mais elle vous emporte par nage apparemment antipathique. écrite pour Jean Barney et pour un langage si fort qu’il est Il a aimé cette femme qui a tué sa moi, Sur parole . J’aimerais passer cousine et il a trouvé auprès d’elle à la mise en scène pour monter lui-même un personnage... une liberté unique. Il découvre des des auteurs comme Heiner Müller, choses sur lui-même et sur elle Thomas Bernhard et Charles-Louis Comment avez-vous abordé tout au long de la pièce. C’est fait Sirjacq. Par ailleurs, j’ai repris la di - L’Amante anglaise ? par touches et l’on ne découvre rection du festival Beckett à Rous - C’est l’agent Laurence Couderc qui l’ensemble qu’à la fin, quand il est sillon. a suggéré mon nom, et Thierry presque suppliant. Propos recueillis par Harcourt avait envie de travailler Comment travaille-t-on avec Gilles Costaz avec moi. J’ai dit oui au destin, à Thierry Harcourt ? Marguerite Duras que je n’aimais Il est très intelligent et, comme il n L’Amante anglaise, de guère et à un ensemble de gens a été formé au moule de l’Angle - Marguerite Duras, mise en scène de avec, en tête, Judith Magre. Le terre, il sait ce qu’on appelle im - Thierry Harcourt, avec Jacques théâtre de Duras m’ennuyait proprement le non-jeu (car on Frantz, Judith Magre, Jean-Claude jusqu’alors et, aux répétitions, le joue tout le temps !) et a une Leguay. Lucernaire 43 rue Notre- texte s’est avéré d’une rare diffi - écoute très musicale. Sa direction Dame-des- Champs 75006 Paris, culté mais je suis progressivement est très claire. A nous, Judith 01 45 44 57 34, à partir du 25/01 rentré en amour avec cette langue Magre, Jean-Claude Legay et moi,

34 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Jacques Weber

Le bonheur d’apprendre à partir du 26 INTERIEUR Janvier Comédie-Française - Paris Nâzim Boudjenah Pour un Théâtre Zen

deux individus qui viennent an - confier les rôles à des marion - noncer le décès d’une jeune fille à nettes. Il trouvait que la présence sa famille. Mais j’ai l’impression des acteurs sur scène "contami - que depuis le 13 novembre nous nait " ses personnages. L’enjeu est avons repris conscience, collecti - d’aller vers l’épure, de plonger le vement, de notre condition de spectateur dans une sorte de mé - mortels. C’est sidérant car jusqu’ici ditation Zen, comme dans le théâ - nous avions complètement éva - tre japonais. Tout se joue entre les cué la mort de notre quotidien. lignes, au niveau des silences. Je Avec ce projet, j’aimerais montrer n’ai jamais vu autant de points de en quoi la vie est un phénomène suspension d’ailleurs. absolument inouï. Le sentiment de l’angoisse y est

é En filigrane, Maeterlinck déve - omniprésent. Est-ce une émotion u o v

a loppe aussi l’idée que l’homme, difficile à véhiculer au théâtre ? L

e n

a au fond, est impuissant. Vous y Non. Comme pour toutes les émo - h p é

t souscrivez ? tions, les acteurs doivent être ca - S

@ Oui. Selon lui, nous sommes tous pables de la vivre sur scène. C’est soumis à la destinée. Même, au- une pièce difficile pour les comé - delà de ce simple état de fait, nous diens car, comme rarement, ils ont Le metteur en scène de 44 sommes incapables de compren - très peu de texte. Et ils doivent ap - ans s’attaque à Intérieur , une pièce dre ce qu’il nous arrive. Et comme prendre à se taire. lui, je pense qu’il faut accepter Comment avez-vous appréhendé maîtresse dans l’œuvre de Maurice cette réalité. C’est ce qui fait notre la distribution ? Maeterlinck. Après les attentats, le humanité. Il y a d’ailleurs un vrai Elle s’est faite naturellement. Le pensionnaire du Français plaide pour cousinage entre En attendant lien de parenté entre Thierry Han - Godot et ce texte. Comme chez cisse, qui joue le vieillard, et Pierre une méditation sur la mort. Beckett, la pièce démarre avec la Hancisse, son fils, qui incarne question suivante : "qu’allons- l’étranger, est primordial. La ques - nous faire ?" Et face à cette inter - tion de la filiation entre les êtres Théâtral magazine : Qu’est-ce rogation d’ordre métaphysique est au cœur du spectacle. qui vous a donné envie de mon - nous devons nous contenter Propos recueillis par ter ce texte ? d’exister. C’est tout. Igor Hansen-Love Nâzim Boudjenah : Maeterlinck a Avez-vous vu l’adaptation qu’en toujours fait partie de mes auteurs a donnée Claude Régy au festi - favoris. Je suis et je resterai tou - val d’Avignon en 2014 ? jours sensible à son mysticisme et Non, je n’ai jamais vu cette pièce sa spiritualité. D’autre part, après au théâtre ! Mais je sais que n Intérieur de Maurice Maeterlinck, la série d’attentats que nous avons Claude Régy l’a montée en japo - mise en scène par Nâzim Boudje - vécus, j’ai eu le sentiment qu’ Inté - nais. C’est amusant car la scéno - nah, avec Thierry Hancisse, Anne rieur s’inscrivait de façon perti - graphie qu’a imaginée Marc Lainé, Kessler, Pierre Hancisse… nente dans l’air du temps. avec ses dessins esquissés, est lar - La Comédie-Française, Studio- Elle traite pourtant des ques - gement inspirée du théâtre Nô. Théâtre. 99 rue de Rivoli, Galerie tions atemporelles : l’angoisse, la Comment expliquez-vous ce cou - du Carrousel du Louvre 75001 Paris, mort, l’annonce de la mort… sinage oriental ? 01 44 58 98 58, du 26/01 au 5/03 Certes. Cette pièce met en scène A l’origine, Maeterlinck voulait

36 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du UN - FEMME N°2 30 Théâtre de la Bastille - Paris Janvier

Trois versions de l’exil Nommée à la direction du CDN d’Orléans, Séverine Chavrier prend ses fonctions en janvier. En même temps elle présente au théâtre de la Bastille le deuxième volet de Après coups Projet Un-Femme avec trois nouvelles artistes qui parlent de leur

r Séverine Chavrier d rapport à l’exil. @

ors de la création d’ Un- coexistence des figures n'est pas rentes. Notamment dans le rap - femme 1 , Séverine Cha - toujours facile. Certaines comme le port au conte très puissant chez les vrier parlait de faire un mariage ne sont pas abordées de trois. Et puis il y a des maladies. On second volet avec des la même façon par les trois cul - meurt en Europe de dépression et L garçons. Finalement tures. Tandis que d’autres se re - d’anorexie qui sont des maladies elle poursuit son exploration de trouvent chez les trois" . de pays riches". l’exil féminin. "C'est lié aux artistes Elle parlera bien sûr des orga - Dans le 1er volet, elle avait que je rencontre. Comme je conti - nisations internationales impuis - placé ses deux actrices sur un ring. nue à enseigner à l'Ecole Nationale santes à empêcher des innocents, Cette fois, elles boxeront à trois. des Arts du Cirque de Châlons, j'ai des femmes, des enfants de se "Je trouve ça assez beau, ces rencontré une petite Cambod - faire tuer "même aux terrasses des femmes qui boxent. D’ailleurs on gienne, Voleak, dont l'histoire était cafés en Europe." Il y aura les dra - fantasme toujours sur les bagarres tellement proche de l'idée du spec - peaux alignés comme à l’ONU. "Le de femmes qui s’arrachent les che - tacle, que j'ai eu envie de refaire un drapeau c’est l’endroit du pouvoir, veux". Mais le ring est aussi là pour volet. Cathrine est danoise et in - de la peur et aussi de la tentation". rappeler aussi que le combat pour carne notre Europe et Asthar est Sur scène, il redevient aussi la liberté n’est pas terminé… palestinienne" . L’humanité qui se presque un simple tissu et une ma - Hélène Chevrier dégage de chacune de ces rencon - tière à jouer passionnante. les co - tres lui fournit une partie de la ma - médiennes peuvent l’utiliser tière du spectacle. Mais cette fois, comme un accessoire de danse la construction ne se fait pas en orientale, se voiler avec, ou se don - n Après coups Projet Un-Femme tête à tête. Les trois artistes répè - ner un air glamour en se nouant n°2, projet conçu et mis en scène tent ensemble. "C'est plus ambi - un foulard sur la tête façon Grace par Séverine Chavrier, avec Asthar tieux que dans le 1er volet. Il y a Kelly. "La palestinienne s'enroule Muallem, Voleak Ung et Cathrine des temps de transmission et de dedans tandis que la danoise s’en Lundsgaard Nielsen partage au plateau. Et ça dé - fait un foulard" . Elles peuvent Théâtre de la Bastille, 76 rue de la bouche sur des choses. Par exem - aussi disparaître sous les tissus... Roquette 75011 Paris, ple Asthar apprend la danse du "Ce que j'aime, c'est que d’un pays 01 43 57 42 14, du 30/01 au 5/02 ventre aux deux autres. Après, la à l’autre, il y a des échelles diffé -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 37 à partir du 31 ABIGAIL’S PARTY Janvier Poche-Montparnasse - Paris Thierry Harcourt Le multiforme Il a longtemps exercé la mise en scène entre Londres et Paris, à New-York aussi. A présent, sous l’effet du succès de The Servant , Paris et même Lyon l’accaparent. Il signe trois mises en scène en janvier, en attendant de diriger en mai, au Rond- Point, Denis d’Arcangelo dans L’Ombre de Stella de Pierre Barillet.

Théâtral magazine : Parmi les Poche, qui fait ce trois pièces que vous montez, que peu de théâtre Abigail’s party est la moins font à Paris. t a i l l

connue. Elle est pourtant du ci - L’Amante anglaise u o R

c néaste Mike Leigh. de Duras, c’est i r d é C

Thierry Harcourt : Et elle est my - tout le contraire. thique en Angleterre et très repré - C’est littéraire avec @ sentative des années 70. Dans un maniement du une banlieue de Londres, deux temps incroyable. couples et une voisine se parlent Judith Magre voulait jouer ce tandis qu’une jeune fille donne théâtre qu’elle n’avait jamais n Abigail’s party de Mike Leigh, une party non loin de là. Ce n’est abordé. J’ai pensé à Jacques Frantz adaptation de Gérald Sibleyras, que vide, comme si on captait une et Jean-Claude Leguay pour l’ac - mise en scène de Thierry Harcourt, conversation dans le métro. C’est compagner. Pas de grandes avec Lara Suyeux, Cédric Carlier, la "middle class " qui parle de rien pauses dans le jeu. On ne respecte Alexies Ribes… en faisant du bruit ! Tout est réel pas toutes les didascalies ! Le trois Poche-Montparnasse, 75 bd du et caricatural à la fois. Leigh a acteurs incarnent vraiment des Montparnasse, 75006 Paris, écrit à partir d’improvisations et a personnages. Passionnant à faire, 01 45 44 50 21, écrit au fur et à mesure. Cela bien sûr, et nouveau pour moi. à partir du 31/01 donne une écriture qui est proche Et La Fille sur la banquette ar - n La Fille sur la banquette arrière de celle de ces films. Lara Suyeux rière à Lyon ? de Bernard Slade, mise en scène de avait envie de jouer cette pièce. C’est une comédie romantique qui Thierry Harcourt. Théâtre de la Elle en a parlé à Philippe Tesson, parle aussi de création artistique, Tête d’or, 60 avenue du Maréchal qui dirige le Poche. Tesson m’a puisque le personnage masculin, de Saxe 69003 Lyon, proposé d’y penser. Il existait une joué par Christian Vadim en com - 04 78 62 86 73, du 17/01 au adaptation de Gérald Sibleyras, pagnie de Christelle Reboul, est 19/02 qui attendait depuis des années à un auteur dramatique. Un autre n L’Amante anglaise, l’agence de Suzanne Sarkier. La langage, d’une grande qualité. Poche-Montparnasse (voir l’entre - pièce va donc enfin être créée : Propos recueillis par tien avec Jacques Frantz p. 34). c’est une comédie à monter Gilles Costaz comme une tragédie. Je suis heu - reux de ma collaboration avec le

38 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 ERICH VON STROHEIM à partir du TNS - Strasbourg 31 et tournée Janvier Stanislas Nordey Les rapports amoureux au scalpel Dans Erich von Stroheim , Emmanuelle Béart, Laurent Sauvage et Thomas Gonzalez for - ment un trio amoureux qui s’interroge sur le devenir de leurs relations, redoutant ce moment où ils vont devoir faire un choix entre l’un et l’autre... Pour le metteur en scène Stanislas Nordey qui crée la pièce au théâtre National de Strasbourg dont il est le directeur, cette histoire à trois raconte la complexité des rapports amoureux aujourd’hui.

Théâtral magazine : La pièce ment la question de la sexua - montre un trio qui s’aime : lité. l’Un est acteur de films por - La pièce montre aussi que le nographiques, l’Autre se couple à trois n'est pas en - maintient en retrait du core vraiment envisagé. monde et Elle a créé sa pro - Il est rêvé en tout cas. Mais ils pre entreprise. sont rattrapés par la spirale Stanislas Nordey : C’est un dans laquelle nous sommes trio amoureux avec trois possi - tous c'est-à-dire cette impossi - bilités de couples face à une bilité à être dans plus de com - espèce de suspense psycholo - plexité heureuse dans les z

gique : lequel des trois va résis - e rapports humains. d n

ter ? Chacun des personnages a Quelque part leur trio consti - n r e F

est à un carrefour de son exis - s tue une sorte de refuge par i u o L

tence, face à un choix. Et la - rapport à la violence exté - n a e

manière dont ils énoncent leur J rieure.

rapport au monde est assez @ Oui, c’est un peu comme s'ils brutale entre cette femme étaient dans un abri. Ce sont d'affaires désespérément seule en des personnages bien ancrés dans haut de l'échelle du pouvoir, l’ac - C'est une angoisse la société, hormis l’Autre qui ne tra - teur de films pornographiques qui circule dans nos vaille pas. Et pourtant ils donnent conscient d’être une marchandise sociétés. Est-ce que se l'impression d’être totalement iso - sur le déclin et l’Autre dans le refus caser n'est pas finalement lés. Il y a quelque chose du huis clos, de se laisser avaler par le système. une forme de mort ?... d’une atmosphère de fin du monde Tous sont fascinés par l’image où les trois sont les uns contre les d'Erich von Stroheim un réalisa - autres, dans un bunker. C’est pour teur du cinéma muet… nos sociétés. Est-ce que se caser ça que je les ai mis sur scène dans C’est une figure tutélaire qui ne fait n'est pas finalement une forme de un décor unique qui représente une que hanter la pièce. Pour eux , c’est mort ? chambre monumentale. un artiste qui a réussi à vivre sa vie Ils parlent beaucoup de leur Propos recueillis par d’homme tout en étant, grâce à son sexualité et dans des termes Hélène Chevrier art, dans l'imaginaire, c’est à dire un assez crus… lieu où personne n’est arrivé à le sai - Oui c'est osé, et même parfois vio - n Erich von Stroheim, de Christophe Pellet, mise en sir. Or l'enjeu pour ces trois person - lent. Le sexe est présent mais scène de Stanislas Nordey, avec Emmanuelle Béart, nages est aussi d’être insaisissables. comme une espèce de question pas Laurent Sauvage, Thomas Gonzalez Et sans doute que le choix de se ran - résolue. Le cœur de la pièce, c’est la TNS, 1 avenue de la Marseillaise 67000 Strasbourg, ger en se mariant les priverait de ça. complexité des rapports amoureux 03 88 24 88 00, 31/01 au 15/02 C'est une angoisse qui circule dans aujourd'hui et cela induit forcé -

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 39 à partir du LA RÈGLE DU JEU 4 Comédie-Française - Paris Février Christiane Jatahy Un monde au bord du volcan

Inspirée des Caprices de Marianne et du Mariage de Figaro, La règle du jeu de Jean Renoir est considérée comme l’un des plus grands films de tous les temps. Nous sommes en 1939, la seconde guerre mondiale est imminente et Jean Renoir filme la vie en vase clos et déconnectée du réel d’un petit groupe d’aristocrates et de leurs valets. La metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy a transposé le scénario i n a i p en pièce et l’a réactualisé. Ainsi ravivée aux couleurs i L

o l e c

de notre époque, où le théâtre et le cinéma se mêlent, r a M

l’histoire prend un ton de prophétie… @

Théâtral magazine : Qu'est-ce autre espace que le public peut in - contemporain. qui vous a intéressée dans l'idée vestir. Et dans ce nouvel espace, L’histoire montre Christine dans de monter La règle du jeu ? nous pouvons montrer des choses ses relations avec son entourage Christiane Jatahy : J'ai choisi ce que le théâtre ne peut pas montrer, et particulièrement avec les film parce qu’il est issu d’une pièce nous pouvons créer des frictions... hommes : elle n’aime pas son mari de théâtre, Les Caprices de Ma - La scénographie inclut d’ailleurs les mais elle lui est fidèle. rianne , et parce qu’il a révolutionné caméras qui sont sur scène. Une En fait, on n’en sait rien. Ce n'est à l’époque la manière de faire du ci - partie est projetée en live mais une pas parce qu'elle le dit que c'est néma. Or depuis mes débuts, je tra - autre partie est tournée avant, de vrai. Cette idée de la trahison est vaille sur un mix entre le théâtre et sorte que les spectateurs ne savent intéressante par rapport à l'en - le cinéma. C’est un film très théâ - jamais si ce qu’ils voient est en live semble des personnages. Il y a un tral à travers ce qu’il montre : un ou pas. moment très important où Octave petit groupe de bourgeois qui vit Gardez-vous le scénario de Jean dit que tout le monde ment. Ce ne en vase clos et ne se rend pas Renoir ou l’adaptez-vous ? sont que des êtres humains. Parce compte que le monde autour de lui J'essaie toujours de rapprocher de que La règle du jeu représente ces est au bord de l’explosion. Jean Re - nous les histoires que je monte, mais relations sociales. Quand on jette noir a dit que c’était un peu comme dans le cas de La règle du jeu , le des pierres dans l'eau, différents une danse au bord d’un volcan. texte est déjà très contemporain et cercles se forment autour de cha - Nous sommes dans une situation il n’y a pas de raison de le modifier. cune d’elles. Eh bien, la règle du un peu similaire aujourd'hui ; c'est Les seules choses que j'ai changées, jeu c'est l'ensemble de tous ces pourquoi, je pense que c’est le bon c'est l’ordre des scènes et je fais venir cercles. C’est complexe et on a du moment pour créer une pièce le personnage de Christine du mal à anticiper ce qui va se passer. comme celle-ci. Maroc et non d'Autriche, et l’avia - D’où la fin... Qu’est-ce que le cinéma va ap - teur traverse la Méditerranée et non Propos recueillis par porter au spectacle ? l’Atlantique. Ce sont des petits Hélène Chevrier Il y a beaucoup de raisons pour les - changements mais qui rendent l'his - quelles je rajoute du cinéma. Ce toire plus crédible aujourd'hui. Le n La règle du jeu, de Jean Renoir, mise en n'est pas juste un choix esthétique ; fait que Christine vienne du Maroc scène Christiane Jatahy, Comédie-Française, cela crée également des espaces, a un impact sur son entourage ; en salle Richelieu, place Colette 75001 Paris, des entre-deux, différentes couches : changeant son origine, on recrée 01 44 58 15 15, du 4/02 au 15/06 il y a le théâtre, le cinéma et un par exemple un préjugé très

40 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

ffiche T êtes d’a

Laetitia Casta et Raphaël Personnaz jouent dans Scènes de la vie conjugale au théâtre de l’Oeuvre Lambert Wilson tourne avec Wilson chante Montand -> p. 45 à partir du 3/02 -> p. 8

Michel Fau joue dans Névrotik-Hôtel Catherine Hiegel joue dans Un air de famille Michèle Bernier et Arielle Dombasle jouent Folle Amanda aux Bouffes du Nord à partir du 3/01 au théâtre de la Porte Saint-Martin à partir au Théâtre de Paris à partir du 13/01 -> p. 23 (01 46 07 34 50) du 14/01 (01 42 08 00 32)

Agnès Jaoui met en scène Un air de fa - mille et Cuisine et dépendances au Clémentine Célarié reprend Darius au Théâ - Emmanuelle Béart joue dans Erich von Stroheim au Théâtre Théâtre de la Porte Saint-Martin tre des Mathurins à partir du 24/01 -> p. 78 National de Strasbourg à partir du 31/01 -> p 39 à partir du 14/01 -> p 24

Davy Sardou joue dans Hôtel des Deux Mondes au théâtre Rive Gauche à partir du Line Renaud reprend Pleins Feux au théâtre James Thierrée met en scène et joue dans 19/01 -> p. 29 Hébertot à partir du 24/01 -> p. 31 La Grenouille avait raison en tournée Thomas Jolly met en scène Fantasio Maria de Meideros joue dans Un amour d’Offenbach au théâtre du Châtelet impossible à l’Odéon à partir du 12/02 -> p. 46 à partir du 25/02 -> p.53

Pierre Arditi joue dans Le Cas Sneijder au théâtre de l’Atelier Mélanie Laurent met en scène Le Dernier à partir du 21/02 -> p. 48 testament en tournée et à Chaillot -> p. 80

Stéphane Freiss joue dans Un animal de Rachida Brakni joue Je crois en un seul Dieu compagnie aux Nouveautés à partir du Loic Corbery joue dans Le Petit Maître aux Célestins et au Rond-Point -> p. 21 19/01 -> p. 30 Corrigé à la Comédie-Française -> p. 78

Charlotte Rampling joue dans Danses Charles Berling reprend Vu du pont Nocturnes au théâtre de l’Oeuvre à l’Odéon à partir du 5/01 -> p. 74 du 10 au 13/01 (01 44 53 88 88)

Ariane Mnouchkine met en scène Une cham - Philippe Torreton joue dans La Résistible ascen - Isabelle Carré joue avec Patrick Chesnais dans Honneur à Notre Elue au Rond-Point bre en Inde au théâtre du Soleil -> p. 76 sion d’Arturo Ui en tournée -> p. 80 à partir du 1/03 -> p. 61 à partir du 7 LA GARÇONNIÈRE Février Théâtre de Paris - Paris Guillaume de Tonquédec José Paul est à la fois metteur en La télé lui a offert durant neuf ans , dans scène et directeur d’acteur. On la série Fais pas ci, fais pas ça , un rôle qui lui colle à la peau. peut être bon pour mettre en Le cinéma et le théâtre ne peuvent plus se passer de lui… scène, décider des mouvements, de la scénographie et des cos - "J’ai passé les trois-quarts de ma vie à ce que l’on me dise non , tumes, sans savoir donner les clés et maintenant c’est moi qui dit non si je ne suis pas le bon cheval d’un personnage. José Paul sait pour tirer la diligence" prévient-il. Au Théâtre de Paris, très bien, avec votre personnalité Guillaume de Tonquédec retrouve Claire Keim dans une et votre façon de travailler, vous amener au personnage tel qu’il le adaptation du film de Billy Wilder, La Garçonnière. souhaite. Vous souffrez parfois du manque Théâtral magazine : Pensez-vous de direction d’acteur ? avoir un emploi dans un certain Oui. Un comédien est un des outils type de rôles ? d’un spectacle. Il y en a d’autres. Il Guillaume de Tonquédec : Vous devrait être comme de la pâte à voyez la tête que j’ai : je parais modeler entre les mains du met - assez lisse et assez gentil, mais on teur en scène, aller vers des zones est tous plus dingue dans nos cau - auquel il n’a pas pensé dans le jeu, chemars, nos nuits, nos doutes, aller plus loin. Si on a affaire à un nos solitudes qu’on ne le paraît en metteur en scène qui ne dirige société. Dans ce nouveau rôle, ce pas, il faut se débrouiller avec ce é b e

qui m’intéresse, c’est ce monsieur h que l’on a, entre comédiens, et es - c i R

Tout-le-monde qui rêve d’ascen - d sayer de sauver les meubles. r a h c

sion sociale et dont l’appartement i Qu’espérez-vous de ce rendez- R

devient la garçonnière de @ vous avec le public ? ses supérieurs en échange Michel Bouquet me disait : d’avancement. Billy Wilder Bon garçon ? “Les gens ont payé pour prend des personnages venir vous voir en chier“. qui ne sont rien et raconte une source de comédie inépuisa - On a une obligation de résultat une sublime histoire d’amour. A ble. Mais parfois le cinéma m’offre pour ces gens qui payent cher leur l’épreuve de la vie ils révèlent des des rôles déments, des doubles place. Ils viennent rire de leurs choses sur eux-mêmes. vies, des personnages extraordi - contemporains et d’eux-mêmes, naires. J’aime, sous un verni “nor - on leur tend un miroir. Il ne faut Je voudrais jouer mal“, montrer d’autres choses. Je pas les trahir. Dupont de Ligonnès, voudrais jouer Dupont de Ligon - Propos recueillis par nès, un personnage qui a tout de François Varlin un personnage d’ap - l’apparence normale et qui révèle parence normale qui ré - une folie absolue. Plus le person - vèle une folie absolue... nage est dingue intérieurement, n La Garçonnière, avec Guillaume plus ça m’intéresse. Je veux être de Tonquédec et Claire Keim, mise Vos personnages sont souvent l’avocat des personnages que je en scène par José Paul. des victimes… joue, même s’ils ont des motiva - Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, C’est vrai, celui-ci est victime d’un tions bizarres ou inhumaines. 75009 Paris, 01 48 74 25 37, système. Et je suis souvent mal - Parlez-nous de votre metteur en à partir du 7/02 traité ! Je dois aimer cela ! C’est scène.

44 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 WILSON CHANTE MONTAND à partir du TNP - Villeurbanne 11 et en tournée Février s r e

Lambert Wilson n’a pas t e P

t connu Yves Montand, ses chansons n e c n i V n’ont pas bercé son enfance… Pourtant il a choisi d’en enregistrer un @ album, sorti en février dernier, et de le porter à la scène depuis cet automne. Wilson chante Montand, ce sont trente chansons et dix-sept textes en deux heures de spectacle lancés sur les routes pour une longue tournée. Fasciné par le music-hall, l’histoire de l’acteur chanteur et la période de La chansonnette ! l’après-guerre, Wilson propose de nous raconter Montand. Lambert Wilson

Théâtral magazine : Est-il diffi - Comment êtes-vous passé de l’aise. Je retrouve ce goût, cette cile de vouloir évoquer Yves l’album à la scène ? délectation des mots, de la poésie, Montand sur scène ? On me poussait à faire un tour de des textes engagés, sa façon d’uti - Lambert Wilson : Je n’ai pas cher - chant mais je freinais des quatre liser le corps – sans l’imiter – avec ché la difficulté mais le plaisir. Il est fers. Je savais qu’il fallait un met - élasticité, aisance, souplesse. de toute façon inconscient de vou - teur en scène de théâtre. Je rêvais Montand a laissé des choix d’au - loir se frotter à Montand. C’est un d’un spectacle avant tout théâtral. teurs et ces choix sont disponibles. spectacle dans lequel son nom Montand est un personnage de Je les prends comme je prendrais n’est jamais mentionné. On parle théâtre. Et moi, je peux tout chan - une mélodie de Poulenc ou Ravel, de l’émigré, du chanteur, de l’ita - ter à partir moment où j’ai un per - je n’écoute pas ses interprétations lien, de l’homme, dans un fil narra - sonnage ; j’ai besoin d’un masque. et c’est donc une évocation de tif et poétique qui me permet Avec Bruno Fontaine, le directeur Montand sans être fait comme d’être acteur avant d’être chan - musical, nous avons rencontré Montand ! Je ne pars que des teur. Cela dédramatise l’acte du pour la mise en scène Christian squelettes qui nous sont laissés : chant qui ne vient qu’illustrer cette Schiaretti au TNP à Villeurbanne une partition et des textes. narration sur cet homme. C’est un et nous avons tout chanté, dé - Propos recueillis par fils d’émigré qui ne se contente pas roulé comme pour une audition. François Varlin de l’intégration mais cherche le dé - Puis nous avons choisi des textes passement. Je suis fasciné par de Semprún, Cocteau, Nâzim Hik - n Wilson chante Montand, mise en scène Christian cette envie de se dépasser, son am - met, et nous avons sélectionné les Schiaretti, avec Lambert Wilson, bition. Il voulait exister, il rêvait de chansons. Pour la première fois de 11/02 Toulon, 14/02 Abbeville, 20 au 23/02 l’Amérique ; ayant participé à un ma vie, chaque soir en coulisses, je Villeurbanne, 26 au 28/02 Paris Le Trianon, radio crochet, il découvre par ha - suis impatient et je prends un plai - 02/03 Marseille, 03/03 Sète, 04/03 Moissac, sard qu’il a une jolie voix, rencontre sir de folie. J’aime tellement faire 07/03 Troyes, 08/03 Sarcelles, 09/03 Courbe - un compositeur qui lui compose ce spectacle ! voie, 11/03 Merignac, 15/03 Antibes, 19/03 Dans les plaines du Far West . A Chantez-vous à la manière de Le Blanc Mesnil, 22/03 Nevers, 24/03 Vedene, Paris il choppe cette façon de for - Montand, ou réinterprétez-vous ? 25/03 Beziers, 28/03 Bastia, 30/03 Vichy, ger sa destinée. J’admire cette C’est vraiment ma tessiture, je suis 31/03 Levallois, 01/04 Maisons-Alfort auto construction. dans son répertoire absolument à

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 45 à partir du 12 FANTA SIO Février Théâtre du Châtelet - Paris

souhaité. Le masque du bouffon lui permet Thomas Jolly de manipuler tout le monde. On est dans un jeu de manipula - Thomas Jolly fait la réouverture de l’Opéra Comique tions assez imbriqué. La princesse au Châtelet. Avec le jeune metteur en scène à qui l’on doit étant elle-même manipulée par son père qui la force à se marier des versions vitaminées d’ Henry VI et Richard III , la jeunesse pour signer la paix. Et Fantasio qui revigore une institution menacée de désuétude. Et avec est aussi le jouet de cette société, insolence et courage puisqu’il y monte Fantasio , l’opéra puisqu’il est obligé de se cacher des huissiers, manipule la prin - d’Offenbach tiré de la pièce de Musset, dans lequel cesse pour annuler ce mariage po - l’étudiant Fantasio déguisé en bouffon du roi retourne le litique et relance le conflit. Enfin, peuple contre le pouvoir en place. il raisonne le peuple pour qu'il ne retourne pas à la guerre. C'est ce costume de bouffon qui lui a per - mis de remettre le monde en ordre. On ne peut pas s'empêcher d’en rêver pour nos prochaines élec - tions ! C'est certain que le discernement manque au peuple aujourd'hui et

s le théâtre est le meilleur moyen de d d o réveiller les consciences. Ce qui est m r e g

z génial c’est que ça démarre par t e m

r une fête populaire imposée par le e i v i l

o pouvoir et ça finit par une fête im - Le triomphe de la folie @ posée au pouvoir par le peuple. Après je ne transpose pas la pièce Théâtral magazine : Qu'apporte ce côté dramatique. aujourd’hui. Elle se passe bien au la musique de l’opéra d’Offen - Fantasio est un personnage XIXe siècle, à un moment où on bach à la pièce de Musset ? énigmatique, une sorte de mi - découvre l’électricité, la photo, le Thomas Jolly : En fait, la pièce et santhrope. Il n’arrive pas à ac - train… Donc, je quitte l'univers de l'opéra sont très différents. L'opéra complir une grande action. Shakespeare pour une machinerie finit bien mieux que la pièce par le L’occasion va lui être offerte par imposante et lourde ! mariage de la princesse avec Fan - le mariage de la princesse avec Propos recueillis par tasio. Je trouve que le happy end un homme qu’elle n’aime pas… Hélène Chevrier la fait décoller, parce que ça lui Il est effectivement inadapté au donne l’aspect d’un conte. Et pour - monde dans lequel il vit. Il n'est n Fantasio, de Jacques Offenbach, tant, c’est un Offenbach plus pas très loin d'Alceste et son ami Opéra en trois actes sur un livret de proche des Contes d’Hoffmann que Spark de Philinte. Il prend la place Paul de Musset, direction musicale du Roi Carotte . Sa musique est plus du bouffon, parce qu'il ne sait pas Laurent Campellone, mise en scène maigre, plus mélancolique. Sans où dormir et que sa maison va être Thomas Jolly doute parce qu’il est meurtri par le saisie par des huissiers. Mais il va Production de l’Opéra Comique, conflit franco-prussien, et plutôt trouver une forme d'amusement à représentations au théâtre du en fin de carrière. D’ailleurs ça jouer ce rôle et à rompre le ma - Châtelet, 0 825 01 01 23, n'avait pas marché à la création, riage forcé de la princesse pour la du 12 au 26/02 parce qu'on n’attendait pas de lui sauver d’un destin qu'elle n'a pas

46 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

à partir du 21 LE CAS SNEIJDER Février Théâtre de l’Atelier - Paris Pierre Arditi Lorsqu’il évoque le metteur en scène Didier Comédie et tragédie Bezace, Pierre Arditi parle de Théâtral magazine : Qui est ce per - tier. Lorsqu’on me donne une connivences intellectuelles, sonnage que vous allez incarner ? pièce de théâtre à jouer, le sang de complicité et de Pierre Arditi : Un homme qui a eu ne coule pas encore dans les complémentarité artistique. un accident d’ascenseur. Sa fille veines du personnage mais c’est à est morte et, bien qu’il s’en soit moi de faire marcher, vivre, don - Leur première collaboration sorti, quelque chose est mort en ner une âme, une pensée, un corps remonte à 2001. Trois pièces lui. Il devient promeneur pour et des sentiments à ce qui est sim - et plusieurs ”lectures incarnées” chien, sa vie est comme déconnec - plement couché sur une feuille de plus tard, seize années ont tée, il est dans un monde auquel papier. nous n’avons pas accès. Un enfer - Quels sont dans cette pièce les passé et ont confirmé leur mement. C’est ce récit que nous codes de la comédie ? amitié. Au théâtre de l’Atelier, tentons de faire, à la fois caus - Dans toute chose dramatique ou Bezace dirigera de nouveau tique et très drôle, dans cet imagi - tragique il peut y avoir les écarts naire et cet esprit perturbé, blessé. qui sont ceux de la comédie. La co - Arditi, dans un roman de Jean- On retrouve la magnifique langue médie s’inspire de la tragédie. Paul Dubois adapté pour la de Jean-Paul Dubois qui est un au - Lorsque je jouais Tailleur pour scène : Le cas Sneijder . teur que j’admire. dames de Feydeau, le personnage principal de la pièce qui fait hurler C’est un roman très de rire les gens vit une tragédie. Il dialogué et prédes - n’y a pas de code de comédie ; c’est tiné au théâtre. La richesse mitoyen de la tragédie. Bien sûr du texte de Dubois est dans Bérénice , il n’y a pas de quoi dense et puissante. .. rigoler, mais dans bien des drames l’auteur peut s’immiscer – comme Didier Bezace a adapté le roman avec Jean-Paul Dubois – et faire pour la scène. Est-ce un exercice preuve d’une causticité plus à risque ? proche d’un registre de comédie, Si je ne suis pas très partisan des d’une ironie tragique qui fera rire. adaptations de films à la scène – Une cohabitation qui n’est pas de la langue du cinéma n’est pas la mauvais aloi. On n’est pas dans le langue de théâtre, et le matériau monochrome ; il y a plusieurs cou - est trop faible par rapport au leurs, tessitures que l’on cultive. Ce cadre théâtral – ici c’est différent. sera complexe, varié, attachant et C’est un roman très dialogué et intrigant. assez prédestiné au théâtre. On Propos recueillis par est véritablement dans du théâtre. François Varlin La richesse du texte de Dubois est dense et puissante, même si lorsqu’on lit un roman on est soi- n Le Cas Sneijder, texte de Jean- même, par notre imaginaire, le Paul Dubois, mise en scène de metteur en scène de ce que l’on lit. Didier Bezace, avec Pierre Arditi... Que ressentez-vous à l’idée de Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles donner vie à un personnage de Dullin 75018 Paris, 01 46 06 49 24, roman ? à partir du 21/02 r

d C’est l’essence même de mon mé -

@

48 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

à partir du n Mayday (Big Blue Eyes) de Dorothée MAYDAY (BIG BLUE EYES) Zumstein, mise en scène de Julie Duclos, avec Maëlia Gentil, Vanessa Larré, Marie 23 La Colline - Paris Février Matheron… Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 23/02 au 17/03. Puis, en tournée

La prometteuse metteure en scène de 31 ans s’attèle au chef- d’œuvre de Dorothée Zumstein, une auteure de 10 ans son aînée. Avec ce spectacle, à mi-chemin entre la tragédie et le documentaire, elle invente une nouvelle façon de travailler. Explications.

Théâtral magazine : Cette pièce est y

inspirée d’un fait divers. Qu’a-t-il de e u Julie Duclos q a B

particulier ? o s p y

Julie Duclos : J’ai découvert que l

a Une tragédie contemporaine C l’histoire racontée par la dramaturge Dorothée Zumstein avait réellement @ eu lieu après ma lecture de Mayday . jouer cette fatalité, en revenant aux Pourquoi, selon vous, est-il indis - Sa portée profondément tragique et sources du malheur et en cherchant pensable que l’acteur soit partie intrinsèquement théâtrale m’im - à le comprendre. Il est possible de prenante de l’acte créatif ? pressionnait déjà tellement... C’est vivre en paix avec ses fantômes. Pour qu’un comédien soit au plus en discutant avec l’auteure, bien près de la vérité, il doit absolument plus tard, que j’ai pris connaissance Au fil du récit, on connaître ce que j’appelle “le pay - de la triste réalité. En Angleterre, en comprend qu’une sage du texte“. C’est-à-dire, maîtriser 1968, Mary, une fillette de 10 ans, a sur le bout des doigts tout ce qui se tué deux autres enfants sur un ter - malédiction s’est trans - joue autour de l’œuvre. Afin d’y arri - rain vague. Elle fut condamnée à mise de mère en fille.. .. ver, j’ai recours à une méthode bien une peine de réclusion à perpétuité. particulière d’interviews. Je les inter - Plus tard, au fil du récit, on com - La réalité d’une histoire impose-t-elle roge, face caméra, sur le passé et le prend qu’une malédiction s’est trans - une méthode de travail particu - ressenti de leur personnage. Ainsi, mise de mère en fille. Mais je n’en lière ? ils peuvent improviser et réagir à dirais pas plus... Ce qui me frappe Je ne sais pas. Chacun, j’imagine, n’importe quelle situation donnée. d’abord, c’est que cette gamine a été peut répondre à cette question à sa Vous montez une pièce au Théâtre jugée comme une adulte avant façon. En ce qui me concerne, j’ai de la Colline à 31 ans. C’est pré - d’être diabolisée par les médias. emmené mon équipe sur les lieux de coce ! Vous vous voyez où dans dix C’est absolument terrifiant. drame, à Scotswood, dans la ban - ans ? Vous croyez en l’idée que le mal lieue de Newcastle upon Tyne. En Impossible de vous répondre. Je n’ai puisse se répercuter de génération discutant avec les habitants, nous pas l’habitude de me projeter dans en génération ? nous sommes rendus compte que l’avenir. Par contre, j’ai toujours été Tout à fait. Si le passage à l’acte re - l’affaire y était encore un sujet très sensible à la question de la transmis - lève toujours du mystère, nous sensible. Nous avons filmé là-bas sion. Si j’en ai un jour l’opportunité, sommes tous constitués par les actes certaines séquences vidéos, qui se - pourquoi ne pas diriger un lieu. On de nos aïeuls et, en particulier, leurs ront visibles pendant le spectacle. verra bien, j’ai le temps. non-dits. Un peu comme dans une Par ailleurs, je tenais à ce que les co - Propos recueillis par tragédie grecque… Mais je suis médiens s’imprègnent du contexte Igor Hansen-Love convaincue qu’il est possible de dé - social et de sa misère.

50 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Go Théâtre

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Une tragédie contemporaine GO GoT héâ T tre

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sur Android sur Iphone à partir du 24 DÉ PAYSEMENT Février Théâtre du Rond-Point - Paris

En scène accompagné par une comédienne et par un Ce n’est donc pas vraiment une crise accordéoniste, Ascanio Celestini plonge le spectateur d’identité, c’est quelque chose qui se rapproche d’un malaise physique. au cœur d’un dépaysement en lui montrant la Quelque chose qu’on ressent quand réalité d’une Italie désenchantée et abimée on ne reconnaît plus la terre qu’on par les injustices sociales. habite. Vous avez écrit cette pièce spécia - lement pour un public franco - phone. Pourquoi ? Je l’ai écrite surtout pour cette comé - dienne. J’ai essayé de faire le boulot du tailleur qui coud un costume sur Ascanio Celestini le corps de celui va le porter. J’ai fait la même chose avec David Murgia et le spectacle Discours à la Nation . Qu’attendez-vous de la pièce ? C’est le deuxième volet d’une trilogie commencée avec Laika , un spectacle qui va débuter en Belgique quelque r d semaines avant. Dans les deux, il @ s’agit de personnages qui vivent en marge de la société, qui n’ont aucun Condition sociale et condition humaine pouvoir et qui ont souvent du mal à survivre ; ils attendent que le monde Théâtral magazine : Dépaysement leur montre quelque chose de prodi - est un portrait de femmes très ac - Dépaysement, c’est gieux. Ils y croient tellement qu’au tives dans la ville et dans leur vie, quand on ressent final le prodige arrive. Ils ignorent le s’occupant de tout. Un peu comme quand on ne reconnaît pouvoir de Dieu et des armées. Leur si elles avaient la responsabilité de plus la terre qu’on habite courage et leur faiblesse sont la la famille. Pourquoi avoir choisi de même chose, et c’est pour cette rai - montrer des femmes plutôt que sa vraie vie de celle qu’elle-même in - son même qu’ils sont en marge. C’est des hommes ? vente pour mieux survivre à la mo - ça que j’aimerais provoquer : que le Ascanio Celestini : L’idée de départ notonie de ses journées. En sortant bourgeois, le jeune diplômé ou l’étu - était de parler des femmes et en par - du supermarché, elle va à la re - diant qui vit chez ses parents, puis - ticulier d’une femme qui court pour cherche d’histoires concrètes, parfois sent s’identifier à un clochard ou à aller travailler, puis court pour ren - même violentes. Elle rencontre une une prostituée roumaine, non pas trer à la maison. Elle court toujours, clocharde, une ex-prostituée, mais parce qu’il partage la même condi - mais en même temps, elle se sent ar - aussi un tzigane et un porteur afri - tion sociale, mais parce qu’il vit la river nulle part comme un hamster cain. A la fin de ce parcours, on ne même condition humaine. qui court sur une roue, enfermé dans comprend pas si sa vie est devenue Propos recueillis par une cage. En fait, elle ne comprend plus réelle, ou sa fantaisie plus riche. Hélène Chevrier pas qu’elle est en train de fuir. Pourquoi avoir appelé la pièce Dé - Quand j’ai commencé à travailler paysement ? Est-ce une façon de avec Violette Pallaro, les person - dire que l’on traverse une crise n Dépaysement, un spectacle nages ont changé. L’histoire est ra - identitaire ? d’Ascanio Celestini contée par un personnage qui a le Dépaysement est un mot qui nous ra - Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue même nom que la comédienne : Vio - conte la fragilité de notre pays, de Franklin Roosevelt 75008 Paris, lette. Elle travaille dans un super - notre terre. Un simple tremblement de 01 44 95 98 00, du 24/02 au 12/03 marché et n’arrive plus à distinguer terre peut nous fait perdre notre pays.

52 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 à partir du UN AMOUR IMPOSSIBLE 25 Odéon - Paris Février Maria de Medeiros d’un total engagement Depuis quelques années – hasard ou nécessité ? - qui entraîne chez elle un trauma - tisme et une dépression. Peu à Maria de Medeiros creuse en scène et à l’écran peu, par la littérature, le langage le thème du rapport mère-fille . C’est le sujet de la et la pensée, Christine fait évoluer pièce de Laura Castro, A nos enfants (qu’elle a joué au sa relation et atteint un certain Brésil et dont elle va tirer un film), de son film Les Yeux dépassement des souffrances. Comment avez-vous travaillé de Bacuri et de la pièce de Christine Angot, Un amour avec Célie Pauthe ? impossible, qu’elle a créée à Besançon avec Bulle Ce fut la rencontre de trois person - Ogier et qu’elle vient jouer à Paris. nalités très différentes. Moi, je suis soucieuse du corps, de la voix, de la passion, avec un certain tu - Théâtral magazine : Comment mière, ce qui est difficile mais exal - multe. Bulle Ogier est dans l’ex - vous est arrivée la proposition tant. J’avais l’impression de tra - trême poésie. Célie Pauthe est de jouer Un amour impossible ? vailler avec Molière ! posée, d’une grande intelligence ; Maria de Medeiros : J’ai eu un Le livre parle de la propre vie de elle travaille remarquablement appel de Christine Angot, qui m’a l’auteur et de sa mère. Vous in - touche après touche. Nous proposé de lire son roman et m’a carnez Christine Angot et Bulle sommes allées vers une belle har - parlé de son projet d’adaptation. Ogier sa mère, Rachel ? monie. Christine Angot est venue C’est un très beau livre. Bulle Non. Je joue Christine, un écrivain, tard à Besançon mais elle a aussi Ogier et moi, réunies par Célie où on peut trouver des éléments une connaissance profonde du pu - Pauthe, avons accepté de jouer le de Christine Angot, de moi-même, blic et du jeu. spectacle sans avoir lu le texte d’autres femmes. L’important c’est N’est-ce pas une interprétation pour la scène. Cette version, Chris - la relation d’amour très forte entre particulièrement difficile ? tine Angot a commencé à nous la un mère et une fille qui va, de l’âge Jouer avec Bulle Ogier est un en - lire lors d’une réunion de travail à de huit ans à la cinquantaine, en chantement. Mais jouer une telle Avignon cet été. Il y a eu des chan - passant par une série d’étapes, pièce, c’est être dans l’épreuve, gements jusqu’à la veille de la pre - avec le viol de la fille par le père dans l’extrême, tant nous allons loin dans les zones de la souf - france. Bulle a un courage formi - dable, son personnage est parfois pris à parti très violemment. C’est très difficile, comme une épreuve de cirque. On laisse une part de soi- même à chaque représentation. Propos recueillis par Gilles Costaz

n Un amour impossible, d’après le roman de Christine Angot, mise en scène de Célie Pauthe, avec Maria de Medeiros, Bulle Ogier. Odéon, o i

h Ateliers Berthier, 14 boulevard Berthier 75017 c c e r Paris, 01 44 85 40 40, du 25/02 au 26/03. a C

. E

Vannes, le 6/04 @

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 53 à partir du 25 JE SUIS UN HOMME RIDICULE Février Théâtre de l’Athénée - Paris r d

Après Les trois sœurs @ de Tchékhov qu’il avait monté Volodia Serre avec ses propres sœurs, Volodia Serre met en scène une nouvelle fantastique de Dostoïevski qui raconte la découverte du sens de sa vie par un homme ridicule et sa volonté de la partager. Pour rendre compte de sa dimension cosmique, il en a fait un opéra dont il signe aussi le livret. Le rêve de l’homme parfait

Théâtral magazine : Comment Il a trouvé un sens à la vie. Dans Les cherché à travers la religion d'un êtes-vous passé de la nouvelle de trois sœurs que j'ai montées il y a côté et à travers la science de l'au - Dostoïevski à un opéra ? quelques années, un personnage tre. On est dans le fantasme de Volodia Serre : J'ai découvert ce demande : "le sens ? Regardez, il l’homme parfait. Or Dostoïevski texte à 19 ans grâce à Jean-Pierre neige. Où est le sens, quel est le sens jette le doute sur cette société par - Garnier, un de mes premiers profes - ?" Or si l’homme ridicule était au faite : est-ce bien des hommes que seurs de théâtre, et j’en suis tombé bord du suicide, c’est parce que l’homme ridicule a vus, ou des amoureux. J’en ai vu plusieurs dans sa réflexion, il était arrivé au dieux ? Et d'une certaine manière, adaptations théâtrales, mais je point que tout équivalait tout. les religions nous racontent que le trouvais qu’il lui manquait toujours C'est un trait de l’œuvre de Dos - jour où cet idéal sera atteint, ce une dimension cosmique. Jusqu’à toïevski : il montre toujours des per - sera la fin de l'Histoire. ce que je me dise qu’on pouvait sonnages pour qui le bien et le mal Quel visage donnez-vous à peut-être réussir à l’atteindre à tra - finissent par se valoir. l'homme ridicule ? vers la musique. Sa découverte c’est celle de l’har - Celui de Lionel Gonzales qui est un Qu’est-ce qui vous plaît tant de - monie qui existe dans la nature acteur à la fois très cérébral et très dans ? en opposition à la science qui per - instinctif. Comme il n'est pas chan - Tout ce texte n'a qu'un but, c'est le vertit les hommes. teur, on a dédoublé le personnage. prêche de la fin. Un homme qui rate Au cours de son rêve, l’homme ridi - Et c’est son double qui parcoure le son suicide, s'endort et en rêvant re - cule est emmené sur une autre pla - labyrinthe de son rêve au cours de trouve foi en l'Homme et veut par - nète où il rencontre un peuple sa conférence. tager sa découverte. J’ai imaginé d’hommes bons. Mais par sa seule Propos recueillis par que le moyen pour lui de le faire, présence il va rompre l'équilibre Hélène Chevrier c'était la scène. Et donc, on com - fragile de cette planète. C'est là où mence par une sorte de conférence effectivement la science vient in - n Je suis un homme ridicule, opéra de cet homme qui vient nous parler, terférer. Mais pour moi elle n'est de Sébastien Gaxie, livret et mise en sans faux-semblant, pour expliquer pas la cause du mal ; c’est une scène Volodia Serre, d'après la nou - ce qui lui est arrivé et en assumant conséquence au fait que les velle de Fédor Dostoïevski, le ridicule de la situation. hommes cherchent comment re - Athénée théâtre Louis-Jouvet, sq. de On pense à tous ces gens qui ont construire cette harmonie perdue. l'Opéra Louis-Jouvet 7 rue Boudreau approché la mort, qui s'en sont Et ils cherchent à droite, à gauche, 75009 Paris, 01 53 05 19 19, sortis, et qui publient des livres dans la religion... On est dans une du 25/02 au 4/03 pour convaincre tout le monde. époque où on n'a jamais autant

54 Théâtral magazine Janvier - Février 2017

Dossier n i l e s s o G

n o m i S

@

56 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Politique, propagande & manipulations

l’approche des élections, les spectacles dénonçant les manipu - lations de nos gouvernants seront-ils capables d’inverser la va - peur ? A l’instar du constat de Ludovic Lagarde (voir p. 70) qui remarque que les artistes n’ont jamais autant travaillé ensem - ble dans une solidarité sans faille et sans frontière et ce malgré la crise, on rêverait que nos sociétés civiles en prennent de la graine… Mais comment désamorcer le tissu de mensonges, de manipulations et de com - Aplots qui gangrènent nos vies quand nos universités nous enseignent l’art de mentir à travers les techniques de la vente et de la publicité développées par le neveu de Freud Edward Barnays ? Comment empêcher nos gouvernants de dé - tourner le bien commun à leur profit comme dans La résistible ascension d’Arturo Ui ou Le maniement des larmes ? Comment éviter la chute d’un bon dirigeant à cause de fausses rumeurs comme dans la dernière pièce de Marie NDiaye Hon - neur à notre élue ? Comment résister à la tentation de la trahison politique comme celle de Denis Donaldson racontée dans Mon traitre ?... En 1338, la ville de Sienne se posait la même question et faisait peindre une fresque pour conjurer la peur engendrée par la crise financière de l’époque qu'un gouvernement autoritariste vienne tyranniser ses habitants. Peut-être que les réponses à nos questions se trouvent peintes sur les murs du palais communal de Sienne… Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de Patrick Boucheron, Gaëlle Bourges, Benjamin Villemagne, Jean-Marc Avocat, Nicolas Bouchaud, Julie Timmerman, Nicolas Lambert, Marie NDiaye et les critiques de Ceux qui errent ne se trompent jamais et Tableau d’une exécution

<- Tableau d’une exécution, de Howard Barker, mise en scène Claudia Stavisky (p. 60)

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 57 DOSSIER Gaëlle Bourges

Dans un contexte de peur alimen - tée par nos propres gouvernants, le livre de l’historien Patrick Bou - cheron, Conjurer la peur , donne l’exemple de la ville de Sienne en Conjurer la peur, Italie qui en 1338 commandait une fresque de propagande poli - le spectacle tique au peintre Ambrogio Loren - zetti pour décorer la salle de la Paix du Palais communal. La d’un mauvais gouvernement. L’intention est ce que l’on croit comprendre au premier fresque dite du bon et du mauvais de montrer la menace, en espérant que la coup d’œil. Je parie donc aussi sur un texte gouvernement occupe trois murs peinture impressionnera assez. La peur rend qui décrit les images, en mesurant com - pour mettre en valeur le bien- toujours réactionnaire ; pour y faire face et ment, tout en les produisant, il les dévie, les fondé du gouvernement commu - ne pas succomber à la séduction d’un tyran, prolonge, ou délire seul. Il y a toujours un nal de l’époque face à la menace il faut réveiller les consciences. Des gens risque à décrire. J’aime beaucoup la formu - seigneuriale. La chorégraphe avaient peur en 1338, et des gens ont peur lation de Daniel Arasse à ce sujet : "la pein - Gaëlle Bourges s’empare de cette aujourd’hui. Quelles réponses trouve-t-on ture est toujours confrontée à œuvre monumentale pour expéri - face à ce sentiment si aveuglant ? "l’innommable" . menter aujourd’hui ce que repré - La fresque a justement pour objectif de Le spectacle montre-t-il ce que serait un senterait aujourd’hui "gouverner". conjurer la peur des citoyens… bon gouvernement aujourd’hui ? Oui, exactement. De les exhorter à voir ce Ce serait formidable de savoir ce que serait Le fait qu'on soit dans une année électo - qu’un bon et un mauvais gouvernement un bon gouvernement et de pouvoir le rale a-t-il motivé votre choix du livre de peuvent produire. C'est, je crois, la pre - montrer sur scène ! L’art ne peut rien de tel Patrick Boucheron ? mière fresque de propagande politique de il me semble, il peut juste créer un espace Gaëlle Bourges : Je n’ai pas pensé aux l'histoire de l'art européen. Les images ont pour réfléchir ; et ce qu’il y a peut-être à élections présidentielles tout de suite, car dû impressionner au XIVe siècle, et elles penser avec ce projet, à partir de la fresque j’ai découvert le livre à la suite des atten - continuent d’impressionner encore au - de Lorenzetti, c’est l’histoire des représen - tats de janvier 2015. J'ai été attirée par la jourd’hui. Et il y a de quoi regarder : quand tations d’un bien ou d’un mal gouverner. couverture d’un ouvrage, et son titre, alors on entre dans la salle de la Paix, on tombe Dans la fresque de Lorenzetti par exemple, que je dînais chez un ami. L’image des deux sur un pan de peinture de quatorze mètres, la ville en paix est une ville au travail. Mais soldats serrés l’un contre l’autre, flanquée à l’ouest. Puis on se retourne, et là encore s’il n’y a plus de travail, que se passe-t-il ? d’un Conjurer la peur juste en-dessous quatorze mètres à l’est ! Et encore sept mè - Est-ce qu’on peut encore vivre en paix ? Et m’ont semblé entrer en dialogue direct tres sur le mur nord ! est-ce que les sexualités débridées ou hors avec le climat sécuritaire instauré à la suite Comment allez-vous interpréter cette norme peuvent avoir une place dans la cité des attentats. Le livre de Patrick Boucheron peinture sur scène ? sans être reléguées toujours du "mauvais" traite d’une fresque siennoise du XIVe siè - J’aimerais proposer une visite virtuelle non côté ? Penser, à partir de la peinture, l’his - cle, et non pas de la période actuelle. Mais pas à l’aide d’outils technologiques, mais toire - en déplier les histoires - c’est le projet. on fait toujours de l’histoire depuis le pré - grâce à la présence physique de neuf per - Propos recueillis par sent, depuis l’urgence du présent. formeurs et d’une scénographie manipulée Hélène Chevrier En 1338, Sienne subit une grave crise par eux, déployant simplement les deux économique... faces d’une même ville - d’un côté, "les ef - n Conjurer la peur, d’après le livre de Patrick Oui, et le gouvernement communal a peur fets du bon gouvernement", et de l’autre, Boucheron, conception Gaëlle Bourges, d’être mis à mal par un régime plus autori - "les effets du mauvais". L’intention est Création les 21 et 22/03 Festival Etrange taire. Ils commandent donc à Ambrogio Lo - d’être au plus proche des images, des pos - Cargo, Ménagerie de Verre à Paris, 14/04 renzetti une fresque programmatique : d’un tures, des couleurs, et du texte qui habite Festival À Corps à Poitiers, Juin à Uzès, Octo - côté, on peut voir une ville en paix, effets la fresque ; de donner à voir la complexité bre à Château-Thierry, Novembre à Armen - concrets d’un bon gouvernement ; de l’autre, de ce programme politique peint, la profu - tières, du 22 au 25/11 Théâtre des une ville mise à sac, effets directs, là aussi, sion de détails qui altère toujours un peu Abbesses à Paris, 5/12 Tours

58 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 POLITIQUE ET MANIPULATIONS

Patrick Boucheron Conjurer la peur, le livre

tais beaucoup l’itinéraire à faire prendre de Nicolas Sarkozy. Il y avait une concor - aux étudiants, pour que leur première im - dance des temps avec les années 2007-

r pression reste inoubliable. 2008 et la chute de Lehmann Brothers d

@ La première impression, c’est celle du qui ressemblait beaucoup à la période de mauvais gouvernement qu’on voit im - la fresque, mais cela aurait sans doute L’auteur du livre Conjurer la peur , médiatement en entrant dans la salle. donné au livre une excitation paroxys - Patrick Boucheron, est historien, C'est fait pour qu'on détourne le regard. tique qui se périme rapidement . Je vou - professeur au Collège de France, Dans le livre, j’ai voulu le soutenir un peu lais qu’il soit à la hauteur de cette œuvre, titulaire de la chaire "Histoire des plus longtemps que les autres. Et à partir qu’il ait une portée universelle, qu’on pouvoirs en Europe occidentale, du moment où on s'attarde sur le mauvais pense à Hollande quand on est sous Hol - XIIIe-XVIe siècles". La fresque côté des choses, on regarde différemment lande et à ceux qu'on ne connaît pas en - d’Ambrogio Lorenzetti dont le dé - ce qui est meilleur ; on est par exemple core quand ils seront au pouvoir. ploiement sur les murs du Palais plus sensible à l'aspect mélancolique de Vous parlez de la force politique des de Sienne force le spectateur à ad - la Paix qui regarde se déployer son rêve images. Où se situe-t-elle aujourd’hui mettre les effets du bon gouverne - d’une société juste. dans une société qui nous abreuve ment sur nos vies résonne La mise en scène de la fresque et son d’images ? étrangement aujourd’hui… contenu extrêmement riche sont-ils le fait Il ne faut pas confondre les images de la d’un seul homme, Ambrogio Lorenzetti ? télévision avec les œuvres d’art. Pour com - C’était le peintre le plus innovant de son parer la force d'intervention de l’image de temps. Voici pourquoi le gouvernement Lorenzetti avec celles d’aujourd'hui, il faut Cela vous a-t-il étonné que Gaëlle communal a fait appel à lui. D’après les regarder du côté des artistes contempo - Bourges fasse un spectacle à partir de paiements échelonnés qu’on a retrouvés rains. Et là on est bien obligé de reconnaî - votre livre ? dans les archives, il a travaillé dans cette tre que le rapport à l'élitisme et à l'argent Patrick Boucheron : Cela m’a surpris et pièce pendant un peu plus d’un an. Mais il entre le pouvoir et les artistes diminue la ravi, car toute expérience est bonne à n’a pas peint seul et comme il s’agissait capacité des images à nous émouvoir. prendre pour moi. C’est un livre qui se d’une commande, il n’a pas pu improviser : La fresque a-t-elle eu des effets prête à la libre appropriation et pour le - il devait discuter avec ses commanditaires concrets ? quel j’ai moi-même fait 50 interventions du matin au soir comme on fait pour les Immédiatement non. Mais l'efficacité de publiques, parce que je voulais l’accompa - écritures de plateau. D’autant plus qu’au l’art ne se mesure jamais à ses effets im - gner, l’expliquer, l’exposer — c’est-à-dire cours de cette année, il y a eu des trou - médiats. La fresque de Lorenzetti n’est pas aussi le mettre en danger. J'avais donc bles, des protestations, des banques en une affiche électorale qu’on arrache au une totale confiance quant à son adapta - faillite et le gouvernement était en train lendemain des élections. Elle soulève tion au théâtre, ayant par ailleurs beau - de chanceler. quelque chose de plus universel. Elle mon - coup d’estime pour le travail de Gaëlle On ne peut pas s’empêcher de penser tre que le bon gouvernement a des effets Bourges. Il y a également un film en cours. qu’on vit une crise similaire avec des justes et bons sur chacun d'entre nous. Ce La fresque se prête d’autant plus au théâ - gouvernements qui sont incapables de qui ouvre la possibilité qu’il puisse être tre qu’elle pose la question de la place du rendre visibles les effets concrets de porté par une forme institutionnelle qu'on spectateur. Le peintre a imaginé une scé - leur action. n’aime pas ou qu'on n’attendait pas. nographie qui peut nous prendre au piège Donc il faut les déployer et c’est pourquoi Propos recueillis par avec des écritures qui nous dictent ce qu'il ils occupent plus de place que ceux du Hélène Chevrier faut faire, contraignent le corps : " tournez mauvais gouvernement. La puissance po - les yeux pour regarder, vous qui gouver - litique des images est cette force de re - n Conjurer la peur, essai sur la force politique nez...." . Quand j’organisais des voyages lance et d'actualisation. J’aurais pu des images, de Patrick Boucheron, d'études pour montrer la fresque, je médi - achever le livre au début du quinquennat Editions du Seuil

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 59 DOSSIER Nicolas Lambert

Nicolas Lambert a constitué en près de quinze ans une trilogie do - Bleu blanc Tableau d’une cumentaire autour de la démocra - exécution tie (ou plutôt "l’a-démocratie "). A rouge partir de documents authentiques sur la politique d’armement fran - Femme hors-cadre çaise, l’affaire Elf-Aquitaine et les liens de notre pays avec le nu - Le texte de Barker est consistant. Claudia cléaire, les pièces mettent le spec - Stavisky dans sa mise en scène le rend tateur en position d’enquêteur, de captivant ; Christiane Cohendy par son in - juge d’instruction ou de journa - terprétation le rend ardent. L’histoire est r d liste. celle de l’exécution d’un tableau monu - @ mental, commandé par la République de Venise pour commémorer la bataille de Enquêtes sur le financement Lépante (1571) à une femme peintre, qui fera l’effet d’une bombe. Au lieu de pein - commence à scruter le financement d’une dre le triomphe de la marine vénitienne Tout ce que vous racontez dans ces trois élection présidentielle. On a ensuite un sys - sur l’Empire Ottoman, l’artiste contre spectacles est-il vrai ? tème qui se met en place avec des marges toutes attentes peint l’horreur d’un mas - Nicolas Lambert : Oui mais je n'essaie pas considérables sur nos ventes d'armement. sacre avec un réalisme saisissant. Un défi, de dénoncer ; plutôt de donner des outils Et le Rafale fait partie de ce système. C'est une provocation à l’encontre du pouvoir de compréhension au public. l’un des deux meilleurs avions du monde et et des commanditaires de l’œuvre. La Tout Le maniement des larmes démontre il sert à trimbaler l'arme nucléaire. Il ne se peintre peint le vrai, le sang, la chair, la que nos dirigeants intriguent et jouent vend pas parce que les gens n'ont pas de puanteur de l’intolérable. Howard Barker avec le feu, en l’occurrence il s’agit du nu - bombes. Qu'à cela ne tienne. Manuel Valls use d’une langue dure, triviale, crue cléaire. C’est donc une critique. dit en 2014 que les pays qui font le choix comme l’œuvre que réalise son person - La stratégie militaire est décidée à l'Élysée du nucléaire militaire et civil sont les pays nage. Et Christiane Cohendy, en donnant et on ne sait pas ce qui s’y passe. Donc la qui veulent ne pas sortir de l'Histoire, et on vie à cette femme, hurle de vérité par une Ve République n'est pas du tout au service se met à vendre des Rafales. Ça ne peut présence on ne peut plus incarnée et phy - du peuple. Théoriquement nous sommes pas marcher comme ça. Et si on ne s'en oc - sique. De son interprétation très sure et le peuple souverain et l'exécutif doit exé - cupe pas, selon les propos de Michel Ro - précise, de sa voix ferme et autoritaire, cuter ce que nous lui demandons. Il ne le card à l’Assemblée Nationale, il peut se elle vient rejoindre les personnages très fait pas et il ne nous demande même pas passer n'importe quoi. dessinés – parmi lesquels Philippe Mag - de valider ce qu'il fait. Le problème c'est Propos recueillis par nan, excellent en doge plein de dédain, que c'est fait en notre nom et après on se Hélène Chevrier cinglant et calculateur – que Claudia Sta - demande pourquoi on est attaqué ? Ce visky fait vivre dans un monde fait de cou - n'est pas parce que Nicolas Sarkozy est fou leurs, de profondeurs, de lumières, de mais parce que ce pouvoir n'est pas dans contemporanéités. Un spectacle musclé, nos mains. Et on ne peut pas demander à n Bleu blanc rouge l’a-démocratie, de et par disert sur l’acte de créer, et l’histoire d’une un chef de l'État qui détient tous les pou - Nicolas Lambert (Elf la pompe Afrique, Avenir lutte contre la manipulation d’un pouvoir voirs d'être scrupuleux ; c'est à nous d’être radieux une fission française et Le maniement complaisant. vigilants. des larmes) Tournée 2017 : 10 au 14/01 François Varlin Comment raccrochez-vous l’affaire Kara - Châtelaudren, 24/01 Auch, 24/02 La Nor - chi au nucléaire ? ville, 26/02 et 04/03 Arpajon, 2/03 Châ - n Tableau d’une exécution, de Howard L'exemple de Karachi est anecdotique mais teau-Gontier, 18/03 Guise, 31/03 Barker. Mise en scène : Claudia Stavisky il me permet de relier entre eux les trois Maisoncelle-Saint-Pierre, 11/04 Oloron- > du 10 au 13 janvier 2017 à la Manufac - spectacles. On retrouve le pétrole, le nu - Sainte-Marie, 25 au 27/04 Forbach, 10/05 ture – Centre Dramatique National de Nancy cléaire et l'armement chaque fois qu'on Saint-Herblain, 19/05 Bitche > janvier 2018 au Rond-Point

60 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 POLITIQUE ET MANIPULATIONS

Marie NDiaye

Honneur à Notre Elue Déshonneur de la politique

si vous ne vous défendez pas, c’est que quentent depuis le collège ou le lycée. " vous acceptez, seul le coupable ne se dé - Ce qui explique le comportement am - fend pas, l’innocent clame son inno - bigu de l’Opposant qui est à la fois ad - cence. Et même si elle réagissait… l’Elue miratif de Notre Elue et vindicatif au dit à un moment que la diffamation est point de faire circuler de fausses ru - plus puissante que les dénégations." Ef - meurs sur son compte. "Je pense que fectivement l’Elue fait le choix surpre - cela doit arriver assez souvent, quand nant presque absurde de ne pas se deux personnes sont des rivaux depuis défendre. “Le comportement de Notre longtemps dans un microcosme, il doit y élue est étrange, elle considère qu’elle ne a avoir des relations d’amour haine

d doit rien expliquer, ne doit se justifier de comme dans un couple qui est voué à r a m i l rien, et que dans un monde idéal, la vé - rester ensemble, et puis en plus, chacun l a G i rité se fait jour, sans qu’on ait à se défen - doit voir dans l’autre plein d’aspects qui n a v o dre. C’est quelque chose qui relève du sont les siens, une forme d’admiration t n a

M sacrifice, elle est habitée par une idée qui se noue."

@ presque christique d’elle même, se défen - Marie NDiaye a écrit cette pièce dre c’est déjà en quelque sorte se mettre suite aux municipales de 2014 et pour un petit peu plus bas que là où on veut un théâtre de Hambourg, mais on ne Avec Honneur à Notre Elue , être d’une certaine façon.” Et puis, il a peut s’empêcher de faire un parallèle Marie NDiaye se livre à un exercice de peut être une explication plus pro - entre Notre Elue et le président François théâtre fiction des plus ravageurs saïque, “elle a peut être de vrais re - Hollande qui a subi sans jamais répondre pour le monde de la politique. Elle y mords, une culpabilité qui n’est pas cinq ans de "Hollande bashing " ; mais décortique avec humour et noirceur explicitée ; quand on vous accuse injus - pour Marie NDiaye "si l’actuel Président certains des mécanismes qui malheu - tement de quelque chose, cela ne fait n’est plus entendu, c’est à force d’ater - reusement décrédibilisent nos élus, et que condamner une véritable faute que moiements, de reculades, c’est certain notamment les mensonges, rumeurs vous avez réussi à garder secrète. Ce qu’à ce niveau d’impopularité, la seule et manipulations auxquels se livrent n’est pas un message, ce n’est pas une chose qui pourrait à nouveau le rendre certains pour accéder au pouvoir. morale de l’histoire, c’est vraiment la per - digne , c’est s’il annonçait qu’il se re - sonnalité de ce personnage” . tire…" La pièce oppose deux personnages La pièce illustre à merveille ce qui Propos recueillis le 29 /11 principaux, Notre Elue, une gouver - peut se passer dans l’entre soi du par Enric Dausset nante admirée et aimée de tous, et l’Op - monde politico-médiatique où tous se posant, un opposant de toujours qui fait connaissent et tournent autour des courir de fausses rumeurs pour la discré - mêmes obsessions. "J ‘ai situé l’action n Honneur à Notre Elue, de Marie NDiaye, diter à l’approche des élections. Et dans une ville de taille moyenne, 50000 mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, avec comme elle ne s’en défend pas, la popu - habitants, dans laquelle le microcosme Isabelle Carré, Patrick Chesnais… lation commence à se retourner … des décideurs, des élus et des gens qui Théâtre du Rond-Point, 2 bis av Franklin Pour Marie NDiaye, "il y a quelque comptent, est réduit. IIs se connaissent Roosevelt 75008 Paris, 01 44 95 98 00, chose qui semble évident dans la société, tous, ils sont nés ou ont grandi là, se fré - du 1 au 26/03

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 61 DOSSIER Nicolas Bouchaud L D

Spectacle drôle et intelligent, R

remarqué lors du dernier festival @ d’Avignon, Interview a été conçu par Interview un éminent journaliste du monde, Ni - colas Truong, chef des pages Idées Débats du Monde. A travers les en - tretiens de Florence Aubenas, Pier Paolo Pasolini, Jean Hatzfeld ou Edgar Morin - repris, interprétés, analysés par le brillant duo Nicolas Bouchaud et Judith Henry -, sont abordées les questions de la posture, de la parole, du rapport de force, et même de la technique de l’interview. Passionnant ! La question de la question Truong évoque l’art de l’interview comme une danse, une entreprise de séduction, mais n’y a t-il pas aussi une tres par la question. avec la personne. dimension plus manipulatoire entre D’ailleurs, une interview ce ne sont Et il y a des techniques spécifiques, un l’intervieweur et l’interviewé ? pas deux personnes, ce sont trois in - art de l’interview ? Nicolas Bouchaud : C’est avant tout un terlocuteurs avec le tiers qui écoute Je pense que c’est d’abord un état d’es - spectacle sur la question, comment on ou qui lit? prit, c’est aimer son sujet, aimer celui pose une question, quelle est la perti - Absolument, c’est une scène à trois. que l’on interview, mettre en confiance, nence d’une question, comment elle fait Dans une interview, il y a une mise en être dans le registre de la création ou de advenir quelque chose. On aurait pu -et scène, je sais que je m’adresse aux tiers, la conversation... Et puis c’est certain, il c’est un peu le cas à la fin du spectacle à d’autres personnes que celui qui m‘in - y a aussi des petits trucs que nous évo - où l’on dévie sur la question politique-, terviewe. C’est pourquoi c’est intéressant quons dans le spectacle : le silence en faire une dénonciation de notre de le monter au théâtre ! Cela permet comme question, ou la "question Co - monde médiatique, on avait pensé à d’interroger la place du public, il est ce lumbo" à la fin de l’entretien, c’est là en cela au début ; on fait un entretien et fameux tiers sans quoi rien n’advient. général que l’on attrape quelque chose souvent les propos retranscrits sont dé - Dans le spectacle, avec Judith, on est (rires) . Mais je dirais que la beauté du formés, mais je ne crois pas à la dénon - toujours en adresse, on joue avec geste de poser une question, c’est avant ciation par l’art. On est avec ce spectacle l’écoute du public avec l’idée qu’à un mo - tout de s’intéresser à l’autre. plus dans une forme de résistance. ment ils aient même envie d’intervenir. Propos recueillis par De résistance à la pensée unique ? au Comment définiriez-vous une inter - Enric Dausse t formatage des interviews ? view réussie ? Quand on lit la presse, les infos, on a l’im - C’est un genre tellement consommé, ba - n Interview, conception Nicolas Truong, pression que tout est présenté sous le nalisé, et quand on se demande quelles avec Nicolas Bouchaud, Judith Henry. même angle, que les questions sont tou - sont les grandes interviews qui nous ont du 21/02 au 12/03 au Rond-Point (Paris), jours les mêmes. Je rêve d’une informa - marqués, c’est pas évident, il n’y en a pas du 16 au 18/03 à La Criée (Marseille), du tion déplacée qui produirait une vision tant que ca. Pour moi le modèle c’est 22 au 24/03 à Béziers, du 6 au 14/04 à la différente du monde, qui nous amènerait L’Autre Journal de Michel Butel dans les MC2 (Grenoble), le 3/05 Boulazac, le 5/05 à réfléchir. Les médias étouffent dans un années 80, avec par exemple une inter - Libourne, le 9/05 Gradignan, 12 13/05 au entre soi terrible et finissent par être dé - view de Gilles Deleuze où les questions Théâtre Liberté (Toulon), 20/05 à la Comé - connectés des vrais gens. C’est pourquoi n’apparaissent pas ! Une interview réus - die de Reims, 23-24/05 au CDN d’Angers, ce qui m’intéresse c’est la question de la sie c’est quand il s’est passé quelque du 29/05 au 1706 au Théâtre Monfort avec question, c’est comment s’ouvrir aux au - chose d’un peu unique ou de magique la MC93 (Paris)

62 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 POLITIQUE ET MANIPULATIONS

Benjamin Villemagne Internet et la théorie du complot

Sur le web, la théorie du complot a trouvé un nouveau terri - #vérité toire à investir. Dans son nouveau spectacle #vérité , Benjamin Ville - magne s’intéresse à son développe - ment et donne des clés pour décrypter la profusion de données auxquelles on est confronté.

Pourquoi avoir appelé le spectacle #vérité ? Benjamin Villemagne : Parce que le hashtag (#) est utilisé sur les réseaux sociaux pour chercher un mot et que la vérité est une notion très difficile à dé - finir. Donc #vérité, c’est la recherche de ce qui est vrai comme de ce qui n’est pas vrai. Ça rejoint la théorie du complot.

Comment définissez-vous la théorie t e l e b du complot ? r A

. V Ce sont des informations qui circulent et qui sont développées par des gens @ pour faire croire au plus grand nombre pesticide dans la salade en ajoutant un sont liées à l'avènement de l'imprime - à des théories qui viseraient à détruire ton dramatique et une petite musique rie, des médias de masse et aujourd'hui ou à manipuler le peuple. On ne sait ja - pour faire monter l’émotion. En travail - d’Internet. Ce sont tous des outils mé - mais qui les a répandues. Vous enten - lant sur le spectacle, on a découvert une diatiques de diffusion des idées. Et c'est dez dire que les puissants sont tous des chaîne youTube, Hygiène mentale , qui vrai qu’on se demande comment on a reptiliens, ou que le sida est une inven - donne aux élèves des outils assez pu retrouver le passeport d'un des ter - tion des Américains pour réguler la po - concrets pour décrypter les images et roristes du 11 septembre dans les dé - pulation, mais vous ne savez pas d’où ça les articles. Et pendant tout le specta - combres d'une des tours. Internet est vient. cle, les spectateurs sont invités à voter une incroyable machine à se raconter Ce sont souvent des théories validées avec leur téléphone portable et leurs ré - des histoires. Or depuis la nuit des par des données scientifiques. Vous ponses sont analysées en direct et pro - temps, les gens racontent des histoires. donnez l'exemple de celle selon la - jetées sur un écran. Et comme moi je fais du théâtre aussi quelle les chats transmettent la toxo - Sur Internet, on circule librement, les pour raconter des histoires, mélanger plasmose. données ne nous sont pas imposées les deux est très intéressant. La toxoplasmose est un virus dont nous comme à la télé ; c’est nous qui allons Propos recueillis par sommes tous porteurs et qui représente les chercher. Alors à qui la faute : à In - Hélène Chevrier un véritable danger parce qu’il est véhi - ternet ou aux internautes qui se font culé par les chats. On fait monter la peur tout seuls ? n #vérité, texte et mise en scène Benjamin pression autour de cette information Internet est un outil pour se faire peur Villemagne et Yann Métivier, avec avant d’expliquer qu’il est aussi très fa - comme pour se rassurer. Dans son livre Hadrien Mekki, Benjamin Villemagne cile de la démanteler. On montre com - C’est un complot , Christophe Bourseiller Comédie de Valence, La Fabrique, 78 ment les médias généraux nous font explique qu'il y a eu trois grandes avenue Maurice Faure 26000 Valence, croire à la fin du monde à cause d’un époques de diffusion du complot et qui 04 75 78 41 70, 17/01 au 6/02

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 63 DOSSIER Julie Timmerman Manipulateurs et manipulés Ceux qui errent par son oncle, il a appris des choses qui ne se trompent pas r d

@ lui ont permis de comprendre certains mécanismes avant les autres. Les livres Débâcle de la démocratie sur lui ne sont pas traduits. Dans ce que j’ai écrit, il y a une part de fiction mais Dans la capitale c’est jour d’élection ! Mais tous les faits ont été vérifiés. La pièce malgré le zèle des militants qui ont ouvert dénonce le système. à l’heure les bureaux de vote, les foules ne Comment s’articule la pièce ? se pressent guère... Est-ce la faute de la A l’époque du "story-telling " télévisuel, pluie ? Il faut croire que non : le peuple en - il fallait l’opposé, ne pas être linéaire et vahit les isoloirs à 17h30 et le résultat sortir du "je ". On passe du récit aux tombe à 20h : 80% des bulletins sont scènes dialoguées, on saute du XXe siè - blancs. Maëlle Poésy, révélation des Prix de cle au début du XXIe, les quatre acteurs la Critique 2016, met en scène la réaction Un démocrate s’échangent les personnages. On est inappropriée du gouvernement en place tous les véhicules de cette fusée, sous le ainsi désavoué qui fait le choix de fuir cette Créée au Centre Aragon-Triolet d'Orly, regard des "spin doctors " d’aujourd’hui, "peste blanche". Les ministres ont tous des la nouvelle pièce de Julie Timmerman et les acteurs peuvent parler en leur airs stéréotypés : le paranoïaque, la snob, porte le titre ironique d’ Un démocrate propre nom ! C’est la première fois que le convaincu… Ils sombrent dans leurs dé - car le spectacle met en scène le créa - j’écris un texte dans un tel mouvement. lires et poussent l’absurdité au paroxysme teur de la manipulation contempo - J’ai même réécrit certaines choses après dans un univers qui est proche de la bande raine, Edward Barnays. La jeune l’élection de Trump. La paroi du fond dessinée : leurs vêtements sont colorés femme en est à la fois l’auteure, le met - s’emplit, au fur et à mesure, des images comme leurs caractères, et ils illustrent à teur en scène et l’une des actrices. des campagnes qu’a faites Barnays : les merveille la déconnexion entre des élites savons, les cigarettes, les présidents des et le peuple, entre couleurs criardes et le Quelques années après Words are wat - Etats-Unis, des coups d’état. C’est son blanc des bulletins… ching you , qui s'inspirait d'Orwell et tableau de chasse, qui tombe à la fin. Après une première partie peut-être un de sa vision du Big Brother, vous reve - C’est le monde qu’il nous a fabriqué… peu trop bavarde où le discours creux, nez au théâtre politique. Continuerez-vous sur ce thème ? plus vrai que nature, prime dans la Julie Timmerman : C'est important J’écris un texte sur l’enfant et la folie des bouche des dirigeants, la scénographie d'avoir un regard sur le monde. Eddy parents. Ma grande question, c’est de mobile et l’eau qui coule en abondance Barnays, qui est le personnage d' Un dé - demander : être fou dans un monde fou, sur scène laissent place à une seconde mocrate , a changé la communication de n’est-ce pas être otage ? partie qui se déroule dans un paysage oni - façon définitive. Après avoir fait vendre Qu’espérez-vous pour votre troupe, rique post-apocalyptique où tout semble par millions savons et bananes, il avait l’Idiomécanic Théâtre ? possible – des plantes tropicales poussent su convaincre les suffragettes que les ci - Mon rêve est d’avoir un lieu. dans les rues de la capitale ! – alors que garettes étaient le symbole de la li - Propos recueillis par les politiques pensent encore pouvoir re - berté. Il a imaginé de coller une vertu à Gilles Costaz prendre le contrôle. Mais le peuple a déjà des produits qui n’ont pas cette vertu. gagné : il ne les écoute plus. Une allégorie J’ai découvert son existence en travail - n Un démocrate, de et mis en scène par Julie du destin pour nos politiques modernes ? lant sur Orwell. J'ai lu son livre Propa - Timmerman, avec Anne Cantineau, Mathieu Hadrien Volle ganda qui a paru en 1928. Ce livre a Desfemmes, Julie Timmerman, Jean-Baptiste inspiré Goebbels, même si Barnays en Verquin. Théâtre de l'Opprimé 78 rue du n Ceux qui errent ne se trompent pas, était désolé. L’ouvrage invente toutes Charolais 75012 Paris, 01 43 40 44 44, du mise en scène de Maëlle Poésy, du 10 et les techniques de manipulation par la 18 au 29/01, puis Poitiers (6/2), Saint-Mi - 11/01 Sénart, 18 et 19/01 Sartrouville, peur, la pression, l’association d’idées et chel-sur-Orge (12/3), Boulogne-sur-mer le 26/01 Valenciennes, 31/01 d’images… Il était le neveu de Freud et, (24/3), Charenton (20-21/4) Saint-Étienne-du-Rouvray

64 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 POLITIQUE ET MANIPULATIONS

Jean-Marc Avocat

Mon traître Il s’appelle Jean-Marc Avocat. Ce qui lui valut à ses débuts d’être humain, si humain cité dans Le Canard Enchaîné. Selon Philippe Tesson, le seul intérêt du Pro - cès Karamazov , de Diego Fabbri, c’était que l’huissier soit joué par un nommé Avocat…

S’il n’est pas plus connu du grand public, c’est qu’il a fait l’essentiel de sa carrière à Lyon. Pourquoi n’a-t-il pas émigré à Paris comme les copains ? “Lyon exerce sur moi des maléfices. Quand ma femme est morte d’un cancer et que notre fils a été admis à Normale Sup, je n’avais plus aucune raison d’y rester, j’ai trouvé le moyen d’y faire un r d autre enfant. Alors j’ai toute ma vie fait des allers et retours. Quand j’ai joué à @ Nanterre La Dame de chez Maxim , de Feydeau, mise en scène par Alain Fran - quand même replongé avec Bérénice, teille avec une paille, comme un grand çon, je revenais chaque jour à Lyon voir puis Andromaque. L’aventure s’est ter - brûlé.” ma femme qui agonisait. Et chaque soir minée quand j’ai joué les trois à la suite. Comment joue-t-on un traître ? “Je je devais prononcer cette réplique : “On Je commençais à 15 heures et terminais ne joue pas un traître, je joue un ne sait jamais, on peut mourir… ” à 23. De la folie furieuse.” homme” , riposte Jean-Marc Avocat. Dans la famille Avocat, on n’était Sa performance dans Mon traître , N’est-ce pas Tchekhov qui dit que l’ac - pas inscrit au barreau mais enseignant. adapté et mis en scène par Emmanuel teur se doit d’être l’avocat de son per - Jean-Marc a été l’exception qui Meirieu, d’après Mon traître et Retour à sonnage ? confirme la règle. Tout est rentré dans Killybegs , est presque aussi virtuose. Jacques Nerson l’ordre : son fils enseigne les Lettres Sorj Chalandon y raconte la trahison de françaises à Kyoto et sa fille se destine l’Irlandais Denis Donaldson qui milita elle aussi au professorat de Lettres. au Sinn Féin, fut membre de l’IRA, mais Comment la grâce du théâtre l’a-t- avoua un beau jour qu’il avait été re - elle touché ? “Quand j’étais en seconde, tourné par les Anglais et avait espionné n Mon Traître, d’après Mon traître et Re - notre voisine du dessous est devenue ma pour leur compte. Ce faisant, il avait tour à Killybegs de Sorj Chalandon, adap - maîtresse. Or elle prenait des cours de signé son arrêt de mort. tation et mise en scène Emmanuel Meirieu, théâtre. Je l’ai suivie. Mais j’aurais aussi “Ma partition à moi, c’est un mono - avec Jean-Marc Avocat, Stéphane Bal - bien fait de la poterie ou du yoga… ” logue de trois quarts d’heure, face pu - mino, Laurent Caron L’aventure dont il tire le plus de blic, immobile, tout nu sous une > Rond-Point, 2bis av Franklin D. Roose - fierté ? Avoir joué Racine tout seul. couverture comme l’étaient les prison - velt, 75008 Paris, 01 44 95 98 00, “J’étais presque toujours mécontent de niers irlandais. En plus j’ai le corps entiè - du 4 au 29/01 ce que je voyais : chaque acteur décla - rement peint au pistolet, ainsi qu’une > en tournée : le 10/03 au CNCDC Châ - mait les alexandrins à sa façon. J’ai donc bagnole dont on refait la carrosserie, ce teauvallon à Ollioules, 04 94 22 02 02, le décidé de dire Phèdre à moi seul. C’était qui demande trois heures de maquillage 17/03 au Théâtre de Vénissieux, 04 72 si épuisant que je m’étais dit : plus ja - avant la représentation. Si j’ai soif, il 90 86 68, le 21/03 au Panta-théâtre à mais ça. Mais quelques années après, j’ai faut que l’habilleuse me tende une bou - Caen, 02 31 85 15 07

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 65 Portraits Concours Nouvel auteur 2017

auteurs lauréats reçoivent une enveloppe et on les aide à mon - Jean-Manuel Bajen ter leurs projets. Un pari d’au - tant plus difficile qu’il se passe Le choix de l’exception toujours beaucoup de temps avant qu’une pièce ne soit mon - Jean-Manuel Bajen aurait pu se contenter du théâtre des Va - tée. Qu’importe, il prépare l’édi - tion de 2017. Les auteurs qui riétés. En 2004, il rachetait cette salle mythique au non moins souhaitent concourir peuvent mythique Jean-Paul Belmondo pour son plaisir personnel. Mais envoyer leurs textes jusqu’au cet entrepreneur bordelais qui a fait fortune en construisant des 31 mars. "Ce qui m’intéresse, c'est de gagner. Je veux réussir maisons en bois a pris goût au théâtre. Jusqu’à créer en 2009 quoi que je fasse" . Même quand une fondation d’utilité publique pour aider des jeunes auteurs il s’agit d’aider les handicapés à à émerger. travers l’association Futur Com - posé, il s’investit entièrement. "Avec Futur Composé, on les "Quelle est la matière première fait évoluer par le théâtre. J'ai du théâtre ? C'est quand même un petit-fils autiste et je peux le texte. Or personne ne s'en est mesurer sur lui tous les bien - occupé. C'est en cela que ma faits d’une pratique théâtrale. fondation est exceptionnelle" . A Aucune fondation ne s’occu - entendre Jean-Manuel Bajen, pait d’eux avant. Je suis allé tout semble se dénouer avec dans des créneaux où il n'y une simplicité désarmante. Là avait personne. C'est pour ça où d’autres ne cessent de se que je parle d'exception" . plaindre des aléas de ce métier, Propos recueillis par lui répond par l’action. Les gens Hélène Chevrier ne viennent pas assez au théâ - tre ? Il met en place une équipe n Concours Nouvel auteur de cinq commerciaux chargés 2017 de faire connaître à tout le bot - Envoi des textes jusqu’au 31 tin sa programmation. On se mars 2017 à l’adresse : plaint des productions trop Fondation Bajen chères ? Il rachète les ateliers Concours Nouvel Auteur 2017 Marigny et imagine une poli - 19 Galerie des Variétés tique de récupération des dé - 75002 Paris cors pour réduire les coûts de www.fondationbajen.com production. On monte toujours les mêmes comédies et on peine à trouver du sang neuf ? Il crée la Fondation Jean-Ma - nuel Bajen en 2009 pour stimu - r

d ler l’écriture de comédies. Les

@

66 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Bienvenue au nouveau pensionnaire montent Le petit Prince , Gaël retient son souffle. "Je me suis dit que j'allais Gaël Kamilindi faire comme eux. Et aussi surtout parce qu’à cause du théâtre, je n'étais plus avec eux le mercredi" . Des trois, c’est le Un destin seul qui a continué dans cette voie. Le diplôme de la maturité (le bac suisse) En février, Gaël Kamilindi rejoindra la troupe de la Comédie- en poche, il s’inscrit à la fac, mais le Française comme pensionnaire. Ce jeune homme n’est pas plaisir du jeu le rattrape. "C'était l'idée aussi de raconter des histoires, de dé - tout à fait un débutant. A 28 ans, il a déjà joué sous la di - fendre des auteurs, et de donner la pa - rection de Bob Wilson dans Les Nègres , de Warlikowski dans role à ceux qu'on n’entend pas" . D’où Phèdre(s) et en ce moment on peut le voir dans Le dernier l’émotion qu’il a eue à jouer Les Nègres testament que met en scène Mélanie Laurent. de Genet et Le dernier testament . Il ré - écrit même le prologue du Dernier tes - tament à l’aune de sa propre histoire. "Quand on s'est rencontrés avec Méla - nie, on a bu des cafés pour se connaître Gaël Kamilindi est très heu - et je lui ai raconté ma vie. C’est elle qui . Au- reux de rentrer au Français m’a suggéré d’écrire le prologue. J'ai delà de la consécration qu’apporte de écrit trois pages en lien avec l'essai de faire partie de la troupe de Molière, et Nancy Huston L’espèce fabulatrice , de son adhésion à l’orientation qu’Eric qui sont repassées entre les mains de Ruf donne à cette maison, c’est Mélanie et Charlotte Farcet" . Cette li - quelque part une revanche sur un des - berté de création, il l’avait déjà éprou - tin annoncé qui ne lui convenait pas. vée avec Warlikowski qui l’a dirigé "Quand j'étais plus jeune, on me disait dans Phèdre(s) aux côtés d’Isabelle que ma couleur de peau pouvait être Huppert. "Il offre un ring à ses acteurs un frein, que je ne jouerai que des où ils peuvent s’abandonner à leurs textes contemporains, jamais de contradictions. Il ne veut pas d’acteurs grands classiques. Heureusement les exécutants. Tandis que chez Bob Wil - choses évoluent. Quand j'ai passé l'au - son, c’est le contraire ; on est complète - dition pour Les Nègres , il y avait beau - ment au service de sa mécanique. Il n'y coup d'acteurs noirs qui se a pas de marge d'erreur possible. Le présentaient". plus infime détail va se voir" . Né à Kinshasa d'une mère rwan - Ces rencontres, il les doit à son daise et d'un père israélien qui ne l’a seul talent. Trop timide pour aller vers pas reconnu, il perd sa mère à 6 ans et les metteurs en scène qu’il aime, Gaël fuit le génocide pour se réfugier en les laisse venir à lui. "C’est idiot. Je Suisse chez une tante qui l’adopte. pense qu'il faut manifester aux gens "J'ai grandi en Suisse à partir de l’âge qu'on a envie de travailler. C’est un mé - de 7 ans" . C’est là qu’il découvre le tier qui fonctionne avec le désir. C’est théâtre. Par hasard. A 12 ans, deux de ce qui nous fait avancer" . r d ses meilleurs amis suivent un atelier

@ Hélène Chevrier de théâtre. Quand en fin d’année, ils

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 67 Portraits Co-directeur du théâtre de l’Oeuvre prend les décisions ensemble. Après au quotidien, je suis au gouvernail Benoît Lavigne avec Kim Poignant qui est directrice adjointe ; François-Xavier tournant Créer une effervescence cette saison son spectacle qui va se jouer fin janvier à l’Olympia et jouant dans une série pour M6. Les nouveaux directeurs du théâtre de l’Oeuvre, Benoît La - Maintenant, vous dirigez deux théâ - vigne et François-Xavier Demaison entament leur première tres : le Lucernaire et l’Oeuvre. Com - saison avec une programmation ambitieuse mais pas éli - ment vous organisez-vous ? tiste. Après Avant de s’envoler avec Robert Hirsch et Le Sou - Je me partage quotidiennement entre les deux. C’est parfois rock n’roll rire d’Audrey Hepburn avec Isabelle Carré, ils présentent mais cela n’est aussi possible que Scènes de la Vie Conjugale avec Laetitia Casta et Raphaël grâce à la qualité des équipes de ces Personnaz et Les Discours dans une Vie en début de soirée deux théâtres. Au Lucernaire, je suis avec Samuel Le Bihan et Pascal Demolon. efficacement aidé par Karine Letellier à la programmation et Magali Piatti à l’administration et à l’Oeuvre par Théâtral magazine : Robert Hirsch, Cette programmation ambitieuse Kim Poignant. Je suis très attaché au Isabelle Carré, Laetitia Casta, Ra - permet-elle au théâtre de retrouver Lucernaire et nos efforts ont porté phaël Personnaz, Samuel Le Bihan, son équilibre financier ? leurs fruits puisqu’on a gagné 40 % Charlotte Rampling et aussi Thomas Oui si on arrive à faire que les specta - de fréquentation supplémentaire en Fersen en mars, c'est courageux cles partent en tournée, si nous tra - deux saisons, quand à l’Oeuvre c’est comme programmation pour un théâ - vaillons en co-production ou une merveilleuse aventure difficile et tre de la taille de celle de l’Oeuvre... co-réalisation, si les artistes jouent exaltante mais en avoir la direction Benoît Lavigne : Oui. Mais c'est avec nous financièrement le jeu et si partagée est un immense honneur. d’abord le plaisir d’accueillir des ar - nous arrivons à gérer au mieux le Vous êtes aussi metteur en scène. tistes que nous aimons et pour nous il théâtre. Parmi les sources de revenus, Votre emploi du temps vous permet- était important dès la première saison on envisage aussi de privatiser la il de mener des projets personnels ? d’inscrire artistiquement l'image de salle, ou de faire de l’évènementiel. Oui même si l'artiste que je suis est to - notre projet à la fois dans la continuité Après c’est un équilibre fragile, nous talement au service des deux lieux de la programmation exigeante que avons beaucoup investi pour relancer pour le moment. C’est un choix que faisait Frédéric Franck mais surtout ce lieu qui était en grande difficulté j’ai fait. Mais l'an prochain j’espère d’affirmer notre désir de défendre la financière ces dernières années. pouvoir signer une mise en scène au création contemporaine et cela en es - Nous avons lancé par exemple un théâtre de l’Oeuvre comme au Lucer - sayant d’attirer à l’Œuvre un public nouveau site internet et créé l’Ubu naire. plus large et plus diversifié. Nous avons Café dans le foyer avec pour envie de Propos recueillis par aussi la volonté d’ouvrir ce lieu à la mu - rendre le lieu plus chaleureux et Hélène Chevrier sique, aux spectacles jeune public et à convivial et produire une vraie effer - l’humour. Nous avons de nombreuses vescence. envies à l’avenir comme de faire des Comment travaillez-vous avec Fran - Master class un peu exceptionnelles çois-Xavier Demaison qui dirige le avec des grands acteurs, accueillir de théâtre avec vous ? n Théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de la musique classique, des lectures pu - On travaille ensemble sur la program - Clichy 75009 Paris, 01 44 53 88 88 bliques et mille autres choses. mation, on partage nos réseaux et on www.theatredeloeuvre.com

68 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 Philippe Mourrat Directeur d’un théâtre pas comme les autres

Philippe Mourrat dirige la Maison des Métallos de - puis 2009, un lieu emblématique de la lutte sociale recon - verti aujourd’hui en établissement culturel de la Ville de Paris dédié au théâtre, à la musique, aux expos. Il y fait une programmation originale pour les habitants du quartier en rapport avec les questions sociales qui les préoccupent.

L’engagement du théâtre sur des Charlot et Michel Pinçon sur La vio - questions de société fait-il partie lence des riches très en prise avec la du cahier des charges ? question de savoir si le pouvoir se Philippe Mourrat : Dans l'appel à situe encore dans la politique ou e i r u candidature à la direction, il y avait dans la haute finance. On a aussi a F

n e en filigrane l’idée d’établir une réso - L’avaleur que vient de créer Robin Re - r a K nance avec le quartier et le passé de nucci sur le parcours d'un trader pré - @ la maison liée au mouvement ou - dateur qui achète une usine et vrier. Effectivement le projet que j'ai licencie tous les employés pour la re - marchent ? présenté était un peu dans la suite de vendre. Dans les projets forts, j’ai C'est une vaste question parce qu’on ce que j'ai fait avec Les rencontres de voulu aussi qu’on puisse voir We call ne sait pas d’avance quel sera le suc - la Villette pendant 15 ans et plus gé - it Love avec Carole Karemera, inspiré cès d’une pièce. Donc on édite une néralement de tout mon parcours. de la véritable histoire d’une mère programmation trimestrielle pour On essaie de conjuguer l'artistique, le qui s’attache au meurtrier hutu de être réactif sur une actualité ou pou - culturel, le sociétal et le scientifique. son fils. Et dans les concepts origi - voir faire une reprise. Les sciences humaines font partie de naux, on a Radio Live , l’émission de Et puis vous ouvrez le théâtre toute notre société et on a par exemple de - radio d’Aurélie Charon, qu’elle donne la journée et son bar est aussi un mandé à Cédric Villani qui est mathé - en direct avec des invités qu’elle fait lieu de rendez-vous. maticien d’animer une série de parler sur les démocraties en danger Beaucoup de réunions s’y tiennent. conférences très joyeuses sur les ma - et une dessinatrice qui dessine en live On accueille aussi les conférences de thématiques. On a aussi en projet un sur son ordinateur. C'est une émis - rédaction du journal Les Papotins qui chantier numérique sur les dimen - sion joyeuse et ludique qui est repro - est tenu par des autistes. Tous ne sions de partage, de citoyenneté, de ductible dans d’autres lieux. Ici on fait sont pas forcément des spectateurs lutte contre la fracture numérique. du spectacle vivant, il y a du théâtre du théâtre . On veut éveiller des curiosités, susci - mais aussi de la danse, de la musique, Propos recueillis par ter des désirs et être à l’origine de des arts mélangés et beaucoup de sa - Hélène Chevrier rencontres et de partage. lons. Cela brasse des publics très mé - Parmi les sujets qui font débat il y langés. n La Maison des Métallos a celui des élections… Beaucoup de vos spectacles ne res - 94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 On présente une adaptation du livre tent pas longtemps à l’affiche. Paris, 01 48 05 88 27 des sociologues Monique Pinçon- Pourquoi ne pas prolonger ceux qui www.maisondesmetallos.paris

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 69 Festival Reims oom Scènes d’Europe Z du 2 au 11 février Vive la diversité !

A Reims , le Festival Reims Scènes d’Europe met en va - leur chaque année des artistes européens dont les spec - tacles traitent de thématiques actuelles. Cette année, son directeur Ludovic Lagarde a souhaité faire une pro - grammation autour de la représentation des minori - tés et de la diversité sur les plateaux de théâtre. r

Une question d’autant plus im - e i d u

portante en cette année électorale en a G

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France. "Quand je prends le tramway i l é C

Ludovic Lagarde à Reims, je croise une diversité de po - pulation très importante que je ne re - @ trouve pas sur le plateau du théâtre". Le théâtre, c’est la Comédie de Reims domaine mais en ne s’intéressant qu’à Aleksi I am not ashamed of my com - qu’il dirige depuis 2009. "Et on re - l'aspect artistique des choses et pas aux munistć past sur l’histoire de la Yougo - trouve ce phénomène dans les écoles questions sociales. Ce qui explique qu’il slavie. "Ils ont eu l'idée de raconter ce de théâtre. Du côté des musiques ac - n’ait pas fait école" . Le festival accueille pays disparu à travers l'histoire de son tuelles et de la danse, cela a beaucoup aussi les grecs de la compagnie cinéma" . bougé, parce que ça fait plus immédia - d’Athènes Vasistas theatre group qui Ludovic Lagarde va lui-même di - tement partie de la culture des jeunes présentent Apologies 4 & 5 . "C’est tout riger plusieurs lectures par le collectif et des quartiers et qu’on a moins be - un travail sur le chœur, la manière de du théâtre : deux textes d’Aiat Fayez, soin de faire d’études. Le théâtre passe s’intégrer dans un groupe par le chant" . dont sa dernière pièce De plus belles par le texte, la grande culture entre Dans les spectacles marquants cette terres et des extraits de son roman guillemets et il génère peut-être plus saison, on retrouve celui de Myriam Terre vaine et la pièce de Jelinek Les d'intimidations et de barrières so - Marzouki Ce qui nous regarde autour Suppliants écrite en 2013 et réactua - ciales". Mais selon les pays, les choses de la question du voile. "On a aussi un lisée depuis. peuvent être différentes. Ainsi le projet un peu cinglé de Massimo Fur - Inviter ces artistes, c’est aussi l’oc - théâtre Maxim-Gorki de Berlin qu’il in - lan, Hospitalités ". Ayant entendu le casion de les aider. "On a tellement de vite au festival compte majoritaire - maire du village de Bastide-Clairence, facilité à travailler ensemble qu’on se ment des artistes issus de dans le Pays Basque se plaindre que dit que ça ne concorde pas avec ce que l’immigration. "Les deux tiers de la l'immobilier ait flambé, Massimo lui a les médias nous renvoient comme troupe sont constitués par des enfants proposé pour faire baisser les loyers de image" . Alors qu’on parle de crise, de de la diversité. Le directeur Nurkan Er - faire croire à l’ouverture d’un centre repli sur soi, de nationalisme, du côté pulat est d'origine turque et fait un d’accueil des migrants et d’en faire une des artistes, "il n’y a jamais eu autant théâtre très politique. Et comme l'Al - performance relayée par les médias d'échanges européens et de coproduc - lemagne a accueilli énormément de ré - avec les habitants du village. "Le maire tions internationales..." fugiés, ils viennent de constituer une a sauté sur l’occasion et ouvert un vrai Propos recueillis par deuxième troupe avec des comédiens centre. Du coup Massimo fait sa perfor - Hélène Chevrier réfugiés" . Peter Brook qui fait beau - mance avec un projet qui se fait en coup travailler et depuis longtemps vrai" . Autre fidèle du festival, la met - n Festival Reims Scènes d’Europe, des acteurs africains et japonais sera teuse en scène serbe Sanja Mitrovi http://www.scenesdeurope.eu aussi présent. "Il a été pionnier dans le qui monte avec l’acteur Vladimićr du 2 au 11/02

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Z oom dossier réalisé par Hélène Chevrier

J. Castro & D. Ortiz Guillaume Karpowicz Cadre coréen Diabolo s t n a r c n e d O

g n i l K

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Josefina Castro et Daniel Ortiz forment un couple de - Guillaume Karpowicz pratique le diabolo depuis puis leur rencontre à l'école de cirque La Arena, près de Bue - douze ans. Il s’est formé à l’University of Dance and Circus nos Aires. Elle fait du trapèze et découvre qu’avec le cadre (DOCH) de Stockholm, où il a appris le maniement de cet elle peut aller beaucoup plus loin. Ensemble, ils vont parfaire objet qui ressemble à un gros sablier creux. "Il est généra - leur technique à l’ESAC, l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque lement posé sur une ficelle et en lui donnant de la vitesse, il avec Yuri Sakalov, un maître dans l’aérien. Le numéro qu’ils produit un effet gyroscopique" . En fait, Guillaume pratique présentent dure huit minutes et donne l’impression que Jo - une variante du jonglage avec un seul objet qu’il taquine sefina s’envole. Une remarquable maîtrise de leurs corps et avec des baguettes, qu’il fait sauter et rebondir en dessi - de la gravité due à des heures d’entraînement et à une écoute nant des figures poétiques. Poétiques car le numéro qu’il mutuelle. "En fait je ne m’aperçois pas que je vole parce que propose produit autour de lui des cascades de fleurs ou je n'arrête pas de penser à ce que je dois faire" . Le couple est d’arcs en ciel. au centre de leur vie et de leur travail. "On ne voulait pas ra - "C'est facile de rajouter d'autres éléments au cirque pour se conter d'histoire spécifique. Plutôt montrer la réalité de notre distinguer. Le plus souvent, c'est du théâtre, de la danse ou relation, ses différents états. On vit et on répète dans un espace du mime. Moi, j'ai essayé plein d'écritures chorégraphiques. très petit et ce ne serait pas possible si on n'était pas capable Au final, je crois qu’il faut surtout essayer le plus possible d'accepter l'autre comme il est. On peut être très énervés l’un d'être soi-même" . Et pour se trouver, Guillaume voyage, contre l'autre sans que cela nous empêche de travailler ensem - croise des cultures différentes et voit beaucoup de specta - ble. On sait aussi qu’on se connaît très bien mais qu’on peut cles. "Même le fait de ne pas aimer un spectacle m’apprend encore être surpris (rires) ." C’est ça le couple ! Mais surtout quelque chose sur moi-même". leur couple car Daniel insiste sur la spécificité de leur relation. "Ça se traduit dans le spectacle à travers l'équilibre, la symétrie ou la dissymétrie" . Ils préparent une version longue de vingt minutes. Autant dire que leurs disputes sont une source inépuisable de création.

n Josefina Castro et Daniel Ortiz n Guillaume Karpowicz 27/01 à 20h30 et 28/01 à 14h30 26 et 28/01 à 20h30

72 Théâtral magazine Janvier - Février 2017 38e Festival Mondial du Cirque de Demain au Cirque Phénix Pelouse de Reuilly 75012 Paris, 01 40 55 50 56 du 26 au 29 janvier 2017

Rémi Lasvènes DanizoO Jonglerie nouvelle Dansequilibre r r d d

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Le nom de sa compagnie en dit long sur le graal que Daniel Gómez Montilla dit DanyzoO est un ex-membre cherche ce jeune homme : Sans gravité . Comme la plupart des de la compagnie espagnole de break dance Crazy Zoo. Dans humains, Rémi Lasvènes veut défier les lois de la gravité. Mais ses performances solo, il mêle de façon stupéfiante hip hop, pour cela il utilise les outils que lui a donnés sa formation : le danse contemporaine et classique. Son corps se déploie, tour - jonglage et la magie. Et pour le reste, la poésie et l’humour, noie sur le dos, compose une figure figée au sol, puis s’envole c’est de lui. Le numéro qu’il présente au festival s’appelle Ape - gracieusement dans les airs, Danyzoo c’est le bboy devenu santeur . "C'est un numéro que j'ai créé au Lido, l’école de cirque cygne. "Je mélange les styles, c’est vraiment ma marque de fa - de Toulouse dans le cadre d’un atelier d'accompagnement à la brique, j’adapte la technique du breaking et la combine avec création" . Il ne se contente pas de jongler, il amène aussi de la la danse classique et contemporaine, en particulier dans les magie en jouant avec des balles en apesanteur. "Les jongleurs acrobaties où j’intègre par exemple des étirements de pieds" . travaillent avec la gravité. Quand elle est inversée, ça change Pas jeté, grand écart, arabesques, on retrouve le vocabulaire tous les repères" . Sa proposition n'est pas basée que sur de la de la danse classique mélangé au "hand balance", l’équilibre performance technique "mais sur un univers que j'amène avec avec une main. "Pour rentrer dans le milieu du cirque j’y ai ra - un propos, quelque chose à raconter. Je ne cherche pas qu’à im - jouté beaucoup d’équilibrisme et d’acrobaties. Le cirque a pressionner mais à susciter d'autres émotions." Dans Déluge , amené une nouvelle ligne de mouvement à ma façon de dan - un spectacle d’une heure qui est l’extension d’ Apesanteur , il ser, à la fois plus compacte et plus puissante" . DanizoO consi - parle de sujets qui lui tiennent à cœur, comme de la faculté dère d’ailleurs son art comme un travail de recherche sur le d'adaptation de l'être humain, d'écologie, d'environnement. devenir du cirque : "Je veux montrer la fusion qui a lieu au - Fasciné par les histoires et inconditionnel de Chaplin et de Kea - jourd’hui dans la danse et donner un aperçu de ce qui va ad - ton, il a même conçu une exposition magique avec des balles venir. Le futur du cirque va être un mélange brutal des styles en lévitation autour d’objets ayant appartenu à sa grand-mère. et des techniques, c’est une ébauche de ce que peut devenir le "Ça s’appelle Le tricot de Denise et on raconte l’histoire incroya - cirque demain." ble de cette femme... " Enric Dausset n Rémi Lasvènes n DanyzoO 7/01 à 20h30 et 28/01 à 14h30 26/01 et 28/01 à 20h30

Théâtral magazine Janvier - Février 2017 73 PAGES CRITIQUES Chaque semaine de nouvelles critiques sur www.theatral-magazine.com d n e a n r g é a u p g e n E D

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Karamazov Pour un oui Vu du pont ou pour un non [ Dostoïevski en grand ] [ Rencontre au sommet ] [ Migrants années 50 ] d’après Fiodor Dostoïevski, mise en scène de Nathalie Sarraute, avec Nicolas Briançon, de Arthur Miller, mis en scène d'Ivo van Jean Bellorini Nicolas Vaude et Roxana Carrara Hove, avec Charles Berling... Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, du 6 au Poche Montparnasse, 75 bd du Montpar - Odéon Berthier, 1 rue André Suarès 75017 29/01. Tournée : Bayonne, Nice, Brive, Cré - nasse 75006 Paris, 01 45 44 50 21 Paris, 01 44 85 40 40, du 5/01 au 4/02 teil, Châtenay, Amiens, Toulouse, Lyon... Après avoir quitté récemment la Comédie- Toulon du 1 au 12/03, Lyon du 11 au 15/04 Jean Bellorini plonge de tout son être dans Française, Léonie Simaga recrée Pour un Reprise de l'un des grands chocs de la ren - le roman de Dostoïevski et nous entraîne oui ou pour un non , pièce de Nathalie Sar - trée 2015. C'est un classique des années 50, au cœur de la terrible fratrie des Karama - raute sur laquelle elle avait déjà travaillé du beau temps du théâtre social. Un docker zov. Son travail sur le texte, à partir de la au Vieux-Colombier en 2007. Du propre d'origine italienne, installé à New-York, ac - traduction d’André Markowicz, ne ternit en aveu de la metteure en scène, cette version cueille deux cousins venus de Sicile : des mi - rien la force littéraire de l’œuvre, tout en se veut plus distanciée, plus intelligente grants, des clandestins, qu'il loge et qu'il nous donnant à entendre dans une langue que la précédente, davantage sanguine. aide à trouver du travail. Mais l'un des cou - très directe, libre et limpide une intrigue Nicolas Briançon et Nicolas Vaude sont les sins s'éprend de la nièce que le docker resserrée. Devant une vaste maison de deux vieux amis qui vont mettre fin, sous chouchoute avec un soupçon d'amour in - bois, une datcha entourée de sable noir, nos yeux, à une relation de vingt ans. Un cestueux. Le drame tourne à la tragédie. glissent des plateaux mouvants sur les - mot, une attitude ou un jugement mal pla - On avait un peu oublié ce texte, qui fut quels apparaissent les différents lieux de cés à un moment particulièrement sensi - marquant à sa création et adapté à vie, des cages de verre, sortes de vitrines ble ? On ne sait pas exactement ce qui les l'écran. Ivo van Hove, qui vient de le mon - de l’intériorité des héros. Des dialogues déchire, comme ce fil que l'on tire sur une ter à Londres, reprend la même mise en forts, crus et cruels, de longues envolées, veste et qui découdrait l'ensemble. Mais scène avec des acteurs français. Il en et aussi comme toujours dans les mises en par la direction qu'elle donne à la pièce, Si - donne une vision complètement moderne, scènes de Bellorini, de la musique. Belle, maga parvient, dès l'entrée du second per - dans un dépouillement dont l'abstraction omniprésente, centrale, et rejoint les chan - sonnage, à faire se questionner le public : amplifie la force concrète et charnelle du sons de certains protagonistes qui vien - comment ces deux hommes que tout op - spectacle. Pas d'autre décor qu'une sorte nent faire appel à une autre dimension pose par la pensée et la gestuelle ont-ils de terrasse blanche, pas d'accessoires. Les d’écoute du spectateur, à la manière d’une pu être un jour amis ? scènes d'information sont réduites à une comédie musicale. L’effet est saisissant. Au Briançon est franc, direct, presque brutal, phrase pour que rien ne soit jamais anec - cœur de ce dispositif superbe et gigan - comme un aigle, quand Vaude a tous les dotique. Des affrontements purement phy - tesque, la distribution de grande qualité attributs d'un volatile qui se verrait majes - siques ou esthétiques amplifient la des comédiens musiciens chanteurs fait tueux ? Le combat qui les oppose passe au- percussion des dialogues d'Arthur Miller. mouche. De ce montage fleuve de plus de dessus de simples coups de becs ou Charles Berling entre et fait entrer formi - cinq heures, où l’esthétique le dispute au d'échanges de noms d'oiseaux : ils s'illus - dablement dans le tourment clos du per - talent lumineux des artistes, on ressort trent par une haine semblant toute viscé - sonnage central. Tous ses partenaires, ébranlé et conquis. rale, pour le plus grand plaisir d'un public Pauline Cheviller, Laurent Papot, Nicolas François Varlin riant aux éclats. Avinée, sont d'une vérité simple et trou - Hadrien Volle blante. Gilles Costaz

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Ivo Livi Bleu blanc rouge Une chambre en Inde

[ Montand ressuscité ] [ Enquêtes sur le pouvoir ] [ mais alors, que peut le théâtre ? ] de et avec Ali Bougheraba de et par Nicolas Lambert mise en scène d’Ariane Mnouchkine Tristan Bernard, 64 rue du rocher 75008 Tournée 2017 : Rabastens (81) Châtelau - Théâtre du Soleil, 75012 Paris, 01 43 74 24 Paris, 01 45 22 08 40, à partir du 21/01 dren (22), Auch (82), Arpajon (91), Châ - 08, du 11/1 au 10/2, puis du 4/3 au 21/5 Dans un spectacle musical enlevé, Ali teau-Gontier (53), Guise (02), Cornélia dort dans sa chambre de Pondi - Bougheraba raconte le parcours du jeune Maisoncelle-Saint-Pierre (60), Oloron- chéry quand le téléphone sonne. Elle ap - Italien, de sa naissance -la scène de l'ac - Sainte-Marie (34), Forbach (57), Saint- prend que le directeur de sa troupe couchement est irrésistible- à sa mort le 9 Herblain (44), Bitche (57), Paris (75) abandonne l’idée de la création du Mahab - novembre 1991. Cinq acteurs chanteurs et Nicolas Lambert a constitué en près de harata qui les avait conduits à poser leurs danseurs jouent tous les rôles sans jamais quinze ans une trilogie documentaire au - valises en Inde. Alors Cornélia, qui n’a ja - tirer la couverture à eux. Montand ressus - tour de la démocratie, ou plutôt l’"a-démo - mais eu de "vision", qui n’a jamais rien créé, cite sur scène dans un décor pourtant cratie" comme il l’appelle. Le spectacle se retrouve à remplacer M. Lear au pied levé quasi vierge. Son rêve d'Amérique, ses dé - comporte trois volets qui traitent pour Le pour essayer de trouver un rôle au théâtre buts incertains, ses rencontres aussi no - maniement des larmes de la politique d’ar - dans ce monde en crise. tamment avec les femmes qui ont compté mement française, pour Elf la pompe Une chambre en Inde se déroule dans un es - dans son existence : Edith Piaf, Simone Si - Afrique de l’affaire Elf-Aquitaine et pour pace délimité et pourtant global. Le monde gnoret, Marilyn Monroe... "On a dit qu'on Avenir radieux une fission française des entier né des rêves et des cauchemars de dirait tout... Enfin presque" , lance en sou - liens de notre pays avec le nucléaire. Cornélia. Tour à tour se succèdent les riant l'excellente Camille Favre-Bulle, Construits à partir des déclarations offi - scènes nombreuses, comme autant de fa - seule femme de la troupe. Celle-ci balaie cielles et officieuses ( Le maniement des cettes du monde : violences faites aux une époque révolue en insistant davan - larmes s’appuie sur beaucoup d’écoutes té - femmes, de l’Inde à l’Arabie-Saoudite, créa - tage sur ce que l'on connaît peu et non sur léphoniques), les spectacles ne sont pas à tion en temps de guerre, affrontements au les événements médiatisés parfois à ou - charge mais mettent le spectateur en posi - Moyen Orient et terrorisme à l’échelle pla - trance. "Amusez-vous la vie est si courte tion d’enquêteur, de juge d’instruction ou nétaire. Cela entrecoupé de scènes du Ma - après tout" , entonne t-elle avec un enthou - de journaliste. Aucune démonstration n’est habharata aux costumes splendides et aux siasme communicatif. Car la joie et l'hu - faite sur scène, aucune conclusion n’est im - mélodies hypnotiques. mour sont présents également dans cette posée au public. Entre rire et horreur, le nouveau spectacle soirée qui suscite un désir irrépressible de C’est intelligent et drôle, Nicolas Lambert in - du Théâtre du Soleil est une création véri - réécouter les chansons interprétées par carnant et imitant certains protagonistes tablement collective – mise en harmonie Montand. Lors de la première, sa dernière que l’on connaît comme Sarkozy, Kadhafi, par Hélène Cixous – où les idées, les façons compagne, Carole Amiel et son fils Valen - Rocard, Anne Lauvergeon…, avec beau - d’en débattre et l’ancrage du théâtre dans tin qui avait 3 ans à la mort de son père coup de fantaisie. On en sort plus éclairé et le monde actuel sont les maîtres mots d’une ont longuement applaudi ce spectacle de le fait de nous donner les clés de ces affaires émulation commune. Dans cette "cham - belle tenue. Ils n'auraient pu imaginer un nous redonne un peu de notre dignité de ci - bre", Ariane Mnouchkine pose beaucoup de hommage aussi élégant et vibrant. toyen, souvent piétinée par cette même dé - questions et laisse le soin à ceux qui la sui - Nathalie Simon mocratie dont on avait pourtant rêvé. vront de trouver des réponses… Hélène Chevrier Hadrien Volle

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Le Petit-Maître Darius Amphitryon corrigé [ Une délicieuse initiation ] [ Un duo qui sent bon ! ] [ Texte badin à effets cosmiques ] de Marivaux, mise en scène C. Hervieu-Léger, de Jean-Benoit Patricot, avec Clémentine Cé - de Molière, mise en scène Guy-Pierre Couleau avec Loïc Corbery, Claire de La Rüe du Can.. larié, Pierre Cassignard Théâtre des Célestins à Lyon du 17 au 28 /01, Comédie-Française, place Colette 75001 Théâtre des Mathurins, 75008 Paris, Théâtre Victor-Hugo de Bagneux le 23/03, Paris, 01 44 58 15 15, jusqu’au 24/04 01 42 65 90 00, à partir du 24/01 Bateau Feu à Dunkerque, les 10-11 /05 Dès le lever du rideau, on sait qu’on va se C’est une histoire très belle. Celle d’une Amphitryon vient d'épouser Alcmène, régaler. Une énorme touffe de paille figure mère qui sacrifie ce qu’elle possède pour mais immédiatement, il est appelé à la une campagne en bataille sous des bour - obtenir d’un grand parfumeur – un nez – guerre. Jupiter, dieu des dieux, profite de rasques de vents. Les valets émoustillés ne la création de parfums très précis pour son l'absence du mari pour en prendre les résistent pas à l’envie de s’y rouler et on fils. Des parfums remplis de souvenirs, évo - traits et se rendre dans le lit de la belle glousse de plaisir en regardant leurs ébats. quant des lieux visités, des voyages, des mortelle... Comme Jean-François Sivadier On est en province et la jeune Hortense expériences, des personnes aimées ; en avec son Dom Juan , Guy-Pierre Couleau re - s’inquiète auprès de sa suivante du peu quelque sorte, lui transcrire la mémoire en place Amphitryon au cœur d'une scéno - d’empressement que lui porte Rosimond, parfums pour l’y replonger. Une pièce en graphie constellée d'étoiles et de planètes. le mari qu’on lui destine. Or un monde les forme de correspondance entre ces deux L'ensemble du plateau est frappant de sépare. Rosimond vient de Paris et il n’y a êtres, par lettre ou par mail, dans lesquels beauté, les mobiles qui supportent les as - pas appris à montrer ses sentiments. Il se chacun essaie de persuader l’autre de ses tres composent un univers enchanteur. dissimule au contraire sous une personna - intentions, de ses envies, de ses refus. Une sensation qui dure au fil de la pièce, lité fantasque et Hortense et Lisette vont Le sujet particulièrement inattendu, et car Guy-Pierre Couleau est d'un talent sans s’employer à faire tomber son masque. On émouvant de cette pièce – dont nous tai - égal pour utiliser un dispositif et lui faire est chez Marivaux et les personnages intri - ront le ressort principal – la rend extraor - vivre d'infimes variations captivantes. guent savamment pour arriver à leurs dinairement originale. Clémentine Célarié Grâce à de simples machines à fumée, fins… C’est délicieusement cruel, on a la se situe dans une empathie profonde avec scènes dans le noir, coulisses et poulies : ja - banane du début à la fin. Les comédiens son partenaire, une écoute attentive et mais notre œil ne s'ennuie. sont excellents à commencer par Loïc Cor - concentrée jouant l’enthousiasme, le Au milieu des astres évoluent des person - bery qui trouve avec Rosimond un rôle à la doute, la déception, l’émotion avec le meil - nages "cyberpunk" néanmoins élégants. Si mesure de sa fantaisie et de son immense leur d’elle-même. Pierre Cassignard, dans Luc-Antoine Diquéro utilise son corps talent. On en sort heureux et grandi ren - une tonalité plus fiévreuse, avance pas à comme aucun autre – en bon élève de forcé dans l’idée qu’il faut être soi-même pas dans cette histoire avec délicatesse. l'école Lecoq –, l'ensemble des person - pour ne pas passer à côté de sa vie. On re - C’est un duo solide, très équilibré, qui se nages semble être pris dans une chorégra - grette cependant encore une fois la mau - présente à nous, avec ce texte particuliè - phie toute en fascination-répulsions, les vaise acoustique de la salle qui rend toute rement évocateur aux tournures litté - doubles se toisent, s'interrogent pour finir une partie du texte inaudible. raires. Un projet d’une grande humanité, par s'attirer et exploser comme deux Hélène Chevrier captivant, qui nous tire des larmes en nous étoiles que la gravité aurait fait se rappro - donnant du bonheur. cher. Le public lui, admire le bel éclat que François Varlin cette catastrophe produit. Hadrien Volle

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La résistible L’Avaleur Le dernier testament ascension d’Arturo Ui [ Un puissant avertissement ] [ Portrait de l’horreur en capitaliste ] [ Epique et philosophique ] de Bertolt Brecht, mise en scène de Domi - mise en scène Robin Renucci de James Frey, mise en scène Mélanie Laurent nique Pitoiset, avec Philippe Torreton En tournée : Meylan, Rennes, La Maison des 6/01 Anthéa à Antibes, 13 et 14/01 Bon - Amiens, Valenciennes, Antibes, Château - Métallos à Paris, Soissons, Pantin, Rethel, lieu à Annecy, du 25/01 au 3/02 Chaillot vallon, Sète, Dijon, Marseille, Saint- Villefranche, Neuilly-sur-Seine, Villeurbanne à Paris, 9 et 10/02 La Filature à Mulhouse Etienne, Sénart, Perpignan, Grenoble, “Il était une fois une entreprise...”, les comé - Pour sa première mise en scène au théâtre, Chambéry, La Rochelle, Brest, Saint-Brieuc diens esquissent le cadre simple d’un conte Mélanie Laurent a choisi d’adapter Le der - Dès les premières secondes, on est hypno - moderne, une de ces histoires dont on en - nier testament de Ben Zion Avrohom . Le tisé et saisi par un puissant sentiment de tend souvent parler à l’ère de la mondiali - roman de James Frey brosse le portrait culpabilité. La pièce de Brecht, débarrassée sation, mais dont finalement, on ignore d’un homme que tous les témoignages dé - des détails qui la situaient trop dans le tous les détails. En suivant les épreuves de crivent comme le nouveau messie après contexte de 1933 (date de l’avènement celle-ci, cible d’une OPA sauvage de la part qu’il ait survécu à un accident mortel. Pour - d’Hitler au pouvoir), brosse le portrait d’un d’un financier de la City, on est au plus près tant son image ne concorde pas avec celle homme ancré dans une époque proche de de l’horreur. La laideur ne vient pas du qu’on se fait du messie. Il boit, se drogue, la nôtre et qui en maîtrise tous les ressorts décor, Robin Renucci place l’action dans un baise comme il en a envie et fréquente les pour se hisser au pouvoir. Arturo Ui (Phi - univers voisin de celui de Maëlle Poésy, où terroristes. Sur scène, les personnages, ma - lippe Torreton, excellent) n’est qu’une pe - la grossièreté des traits des personnages et gnifiquement interprétés par les comé - tite frappe nerveuse mais suffisamment des costumes crée un univers proche de la diens, se succèdent les pieds dans la terre connectée à ce qui l’entoure pour compren - bande dessinée. Non, l’horreur s’incarne en pour raconter leur rencontre avec Ben. On dre comment se faufiler. Sous prétexte de la figure du trader, interprété par un Xavier suit chaque témoignage, le coeur battant protéger les commerçants d’une insécurité Gallais de retour dans une production à la entre exaltation et angoisse. Le sol recou - que lui-même orchestre, il vise le pouvoir su - hauteur de son talent. Il est métamorphosé vert de terre, les images projetées, la mu - prême. Ses discours sont clairs, populistes en obèse, énorme, pourri de l’intérieur, dans sique transportent un texte déjà puissant. et rassurants. Mais derrière, l’homme se un corps trop leste pour pouvoir se mouvoir On ne peut pas s’empêcher de penser à comporte comme un animal sans foi ni loi sans efforts. Wajdi Mouawad, un des rares à renouer qui ne cesse de mentir et de tuer. En fond L’Avaleur vulgarise les conséquences ba - avec la dimension épique du théâtre de scène, les casiers vides d’une immense siques de l’économie moderne en utilisant (Charlotte Farcet - la dramaturge de la morgue se remplissent au fur et à mesure les outils du théâtre. On voit tout : la froi - pièce est aussi celle de Wajdi Mouawad), de son ascension. Dominique Pitoiset a clai - deur, le monde qui change et les sacrifices mais avec en plus une dimension philoso - rement dit qu’il n’aurait pas monté cette au nom de l’argent roi. Le spectacle est ha - phique. Et si la pièce nous assure que le pièce si nous n’étions pas en pleine année letant, construit épisode par épisode. Les monde mérite d’être sauvé, elle pose aussi électorale. Elle sonne comme un avertisse - chiffres et les lois deviennent attrayants la question de savoir qui peut le sauver. Or ment face à la montée de l’extrême droite. grâce au jeu des comédiens qui en font il nous faudra peut-être admettre que le On en sort à la fois séduit par l’énergie qui transparaître les enjeux humains et la sauveur ne sera pas celui qu’on attend. se dégage de cet homme et effrayé par leçon est d’autant plus dure que c’est le Mélanie Laurent aura réussi encore une notre propre emballement. méchant qui gagne à la fin… fois à nous convertir. Hélène Chevrier Hadrien Volle Hélène Chevrier

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par Jacques NERSON

Le grand journal d’une Oeuvre

L’autre jour un coursier sonne à ma porte : “J’ai Seulement il ne tire pas la moindre leçon de ses un livre pour vous.” L’ascenseur étant en panne, échecs. Le luxe de cet album est significatif. Qui je lui demande pourquoi il ne l’a pas déposé dans cet inventaire de quatre saisons en enfer va-t-il in - la boîte aux lettres plutôt que de le monter téresser ? Les universitaires ? Au mieux, ils consul - jusque chez moi. Il brandit en soupirant une en - teront ce beau-livre en bibliothèque car il est cher veloppe gigantesque, lourde comme du plomb. et peu maniable. Ou bien il échouera sur une table Effectivement, vu son format (29,6 x 36,8 cm), basse dans un salon. cet album relié n’entrait pas dans la boîte. On peut comprendre l’amertume de l’ancien direc - Il s’agit du Journal d’un théâtre parisien : L’Œuvre teur de L’Œuvre face à la prospérité de théâtres (2012-2016) (Editions La Voie Lactée, 304 P., 42 €). dont la programmation répond à des critères de Frédéric Franck, son auteur, a dirigé pendant qua - pur commerce. Mais enfin si la plupart de ses spec - tre ans la jolie petite salle de la cité Monthiers tacles n’ont pas marché, il y a une raison à ça. C’est dans le 9e arrondissement de Paris. Criblé de tout bonnement qu’ils étaient pour la plupart dettes, il a jeté l’éponge la saison dernière. ratés ou qu’il y avait une inadéquation entre eux et le lieu qui les accueillait. Il a toujours, comme Jean Vilar au TNP autrefois, publié des programmes copieux incluant les textes Beaucoup de professionnels ont félicité Frédéric des pièces représentées. Dans celui de La Dernière Franck de mener une politique de théâtre subven - Bande , de Samuel Beckett, montée par Peter Stein tionné dans un théâtre privé. J’y vois au contraire (le dernier de son règne), il s’était livré à une la cause de son fiasco. A moins de disposer d’une longue autojustification, reprise ici in extenso. En fortune inépuisable qui permette d’être un mé - gros : j’ai tort mais j’ai raison. Pour un peu, il en - cène, il faut qu’un théâtre privé gagne de l’argent. tonnerait comme Aznavour : “Ce n’est pas ma faute A tout le moins qu’il n’en perde pas. Equilibre dif - mais celle du public qui n’a rien compris… Moi ficile mais pas inatteignable. j’étais trop pur ou trop en avance… ” Sans doute la jauge de L’Œuvre est-elle un obsta - Entendons-nous bien. Frédéric Franck jouit dans le cle. Trois cents places, c’est trop ou pas assez. milieu du théâtre d’une excellente réputation. Pierre Franck, le père de Frédéric, qui a lui-même Sans avoir jamais échangé plus de trois ou quatre dirigé L’Œuvre pendant quelques années, l’avait mots avec lui, je le tiens en haute estime. Com - prévenu : “ Le succès que tu y auras ne te financera ment ne pas éprouver d’admiration pour un jamais l’échec qui suivra.” Son père avait raison, homme qui mise sur des spectacles et non sur des diriger un théâtre, ce n’est pas faire œuvre pie. spéculations boursières plus juteuses et moins ris - quées ? Et de surcroît un homme de goût, qui se lance dans des spectacles ambitieux !

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