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Séquences La revue de cinéma

Tom Dicillo, Jocelyn Moorhouse, Xavier Beauvois Maurice Elia

Number 182, January–February 1996

URI: https://id.erudit.org/iderudit/49559ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Elia, M. (1996). Tom Dicillo, Jocelyn Moorhouse, Xavier Beauvois. Séquences, (182), 13–15.

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loin m Jocel Xavier

Tom DiCillo

Torn DiCillo dien. On le voit dans plusieurs pièces et films Avec , DiCillo devait indépendants. On l'applaudit notamment dans remporter un succès critique sans précédent dans (1991) «Johnny Suede», le one-man show original qu'il sa jeune carrière. Le chaos qui distingue cette Living in Oblivion (1995) a écrit lui-même, et dans sa pièce «Fluorescent équipe de cinéma en tournage de n'importe quel Touche-à-tout de génie, Tom DiCillo avait tou­ Hunger», qui décroche des prix dans les théâtres autre film n'est pas sans rappeler, à bien des jours envie de faire du cinéma. Dès 1979, avec de répertoire. En 1992, le Sundance Institute de égards, certains films d'Altman (The Player en sa maîtrise de metteur en scène de l'université de Robert Redford l'invite en tant que Directing particulier), lorsque le réalisateur du film dans le New York en poche, il s'y lance en qualité de Fellow sur la seule base de son scénario de film se heurte à des obstacles et essaie de colma­ chef-opérateur. C'est à lui que l'on doit, entre Johnny Suede qui deviendra la même année son ter chacun des problèmes des membres d'une autres, les images de deux films de Jim premier long métrage, avec et Cathe­ équipe de tournage particulièrement maladroite. Jarmusch, Permanent Vacation et Stranger than rine Keener pour vedettes. Succès? Difficile à L'extrême amitié qui lie les personnages y est Paradise, le très sous-estimé Variety de Bette dire. Brad Pitt n'était encore qu'à la veille de pour quelque chose et la plupart des séquences Gordon et End of the Night de Keith McNally. devenir star et le film, bien qu'original par son du film dans le film ne sont que la retrans­ Le talent, il n'en manquait pas, tout le monde le côté nostalgico-marginal, n'alla pas suffisam­ position de scènes de la vie réelle, un peu lui avait dit. Même à l'université, où un des six ment loin pour que DiCillo pût enchaîner im­ comme l'avait fait Truffaut avec La Nuit améri­ courts métrages qu'il avait réalisés dans le cadre médiatement avec son long métrage suivant. Il caine, moins la construction. Et tout le monde, de ses études remporta d'ailleurs un prix, le remporta cependant une récompense non négli­ devant ou derrière la caméra, semble se connaî­ Paulette Goddard Scholarship Award. geable, soit le Grand Prix du Festival de Lo­ tre depuis des années. (Signalons par exemple Entre 1980 et 1987, DiCillo devient comé­ carno. que est un ami de longue date de

No 182 —Janvier/février 1996 13 School de Sydney, dont elle est sortie diplômée peut pas voir ajoute au contenu psychologique en 1984. Grande lectrice, amoureuse des romans du film. Son nouvel ami est un homme sans de Graham Greene et de Katherine Mansfield, problèmes à qui il s'attachera, provoquant la ja­ elle réalise quelques courts métrages (dont lousie de la jeune femme qui s'occupe de lui. Le «Scratch» et «Pavane») ainsi qu'une vidéo de mensonge, allié de la séduction sous toutes ses trente minutes, «The Moat», comédie sur la fin formes, joue un rôle essentiel dans cette histoire du monde où tout le monde devient fou et ex­ où la réalisatrice n'hésite pas à faire se succéder plose sur la plage. Elle transformera une de ses les unes après les autres des scènes de tension propres nouvelles («The Siege of Barton's psychologique presque palpables de vérité. Bathroom»), en une télésérie pour la jeunesse, Avec sa partenaire Lynda House, Jocelyn «The Bartons». Dès lors, elle écrira régulière­ Moorhouse a également produit Muriel's ment pour la télévision en tant que scénariste Wedding (1995), réalisé par son mari, P.J. avant d'écrire et de réaliser son premier film Hogan et récipiendaire de plusieurs prix en Aus­ Living in Oblivion pour grand écran, un véritable petit chef- tralie. Les productrices Midge Sanfotd et Sarah d'œuvre, Proof. Pillsbury, intéressées par «How to Make an DiCillo, que l'extraordinaire Proof (qui obtint une mention spéciale du American Quilt», best-seller de Whitney Otto, est dans la vie la vraie femme de Delmot Mulro- jury à Cannes) est un film intelligent, complexe publié en 1991, venaient d'apprendre que les ney et que Tom Jarmusch, le chauffeur de li­ et intriguant à la fois. Les sentiments que les droits du roman appartenaient à Amblin Enter­ mousine, est le frère de Jim). trois protagonistes éprouvent les uns pour les tainment, la compagnie de Steven Spielberg, Homme calme selon ses proches, Tom autres sont certes du domaine du tangible, mais lorsqu'Amblin même vint leur proposer de pro­ DiCillo est néanmoins un cinéaste fébrile (pas ils s'entrechoquent habilement grâce à l'appari­ duire le film. Par la suite, Midge Sanford ren­ autant que le metteur en scène de son film ce­ tion de l'obsession, créatrice d'une extrême ten­ contra Jocelyn Moorhouse au Sundance Film pendant), qui voit ses films complets dans sa tête sion sexuelle entre les personnages. Le fait que Festival où elle était venue présenter Proof. Plu­ avant même de les écrire. De Tarantino (dont l'un d'entre eux est un aveugle de naissance sieurs semaines plus tard, de retour en Australie, Four Rooms semble déjà avoir terni l'étoile), il obsédé par la photographie de vérités qu'il ne la cinéaste se sentit capable d'accepter la propo- a la force visuelle, les répliques coups de massue et les scènes subtilement agencées. On le voit bien faire partie de l'équipe de rêve actuelle, avec comme joueurs fétiches Steve Buscemi, Tim Roth, Gary Oldman sous la férule de Harvey Keitel, mais l'homme semble avoir plus d'un tour dans son sac et dans le registre de la comé­ die (débridée ou pas, impromptue ou pas, styli­ sée ou pas), il possède un atout qui est absent chez l'auteur de Pulp Fiction: une confiance en lui-même qui le rend sérieux dans ses choix, une ironie cinglante (sans être irritante) qu'il a pa­ tiemment distillée dans ses deux longs métrages en tant que réalisateur et une écriture raffinée malgré les sujets plus ou moins échevelés qu'il aborde.

Jocelyn Moorhouse

Proof (1991) How to Make an American Quilt (1995)

Née à Melbourne, elle a passé route son enfance en Nouvelle-Guinée avant de rentrer en Austra­ lie avec sa famille. Déterminée dès l'âge de 17 ans à être réalisatrice, ses premiers films expé­ rimentaux en super 8 lui ont permis d'être ac­ ceptée à la Australian Film, Television and Radio to Make an American Quilt

14 Séquences Xavier Beauvois époque. Car devant tant de difficultés à être ac­ cepté ou à entreprendre des actions qu'on vou­ Nord (1991) drait uniques, il n'y a souvent que des décisions N'oublie pas que tu vas mourir (1995) sur lesquelles il faut trancher immédiatement et Tout le monde le dit et le répète: Xavier Beau­ de façon radicale. Parfois, c'est entre la vie et la vois n'a peur de rien ni de personne. Ses deux mort qu'il faut choisir. «L'esthétique romantique, longs métrages ne craignent pas le glauque et le explique-t-il, capte la folle puissance de la mort physiquement impitoyable. Dans Nord (Grand comme une drogue qui, dans les veines, va dila­ Prix spécial du jury à Montréal), son portrait de ter à l'infini la capacité de sentir, de jouir et famille atteint des sommets dans l'art de la dé­ même de contempler.» sintégration psychologique et sociale. Les dix Beauvois est né en 1967 à Auchel (France). Il premières minutes de N'oublie pas que tu vas a été l'assistant d'André Téchiné sur Les Inno­ mourir (Prix du jury à Cannes) sont pratique­ cents (1987), de Radovan Tadic sur Erreur de

Jocelyn Moorhouse ment insoutenables de tension. Cependant, les jeunesse (1988). Son premier film est un court deux histoires qu'ils nous racontent sont simples. métrage, Le Matou (1986). Il a également été sition de réaliser cette histoire qui l'avait «terri­ Dans le premier, un étudiant qui ne rêve que de acteur dans des films de Michel Béna (Salut les blement émue». On fit appel à Jane Anderson partir en mer avec des pêcheurs est bien décidé homards, TV, 1990 et Le Ciel de Paris, 1991) pour mettre au point l'adaptation. Jane Ander­ à éliminer son pharmacien de père, alcoolique et s'est donné le rôle principal dans les siens son, scénariste entre autres de It Could Happen collé à la télévision et responsable de la mort propres. to You et du fameux The Positively True d'un enfant suite à une erreur de posologie. Beauvois s'est classé au sommet des cinéastes Adventures of the Texas Cheerleader Dans le second, un autre étudiant qui vient de la nouvelle génération du cinéma français. Il Murdering Mom (qui lui permit de remporter d'apprendre qu'il est séropositif va d'abord se ré­ aurait sans doute partagé cette place avec Cyril un Emmy Award), prit en considération l'opi­ volter contre le Collard dont la nion de la réalisatrice qui voulait que les person­ sort, descendre aux mort prématurée a nages masculins du film soient aussi riches et enfers avec un si brusquement in­ complexes que leurs homologues féminins. compagnon de for­ terrompu la car­ How to Make an American Quilt raconte tune puis décider rière prometteuse les quelques semaines estivales que passe Finn de fuir en Italie où et à qui on a eu (Winona Ryder) dans la maison de campagne de «la lumière est tendance, bien à ses tantes, observant attentivement la naissance ailleurs». tort, à le comparer. d'une énorme courtepointe et utilisant les éton­ On ne redoute Les films de Beau­ nants secrets qu'on lui raconte sut sa propre fa­ pas Beauvois, on vois ne sont pas Les mille pour sa thèse sur les rites féminins. redoute ses films et Nuits fauves. On y Moorhouse n'hésite pas à enrichir son récit de l'atmosphère mor­ décèle certes une nombreux retours en arrière qui, comme par bide dans laquelle il commune noirceur, magie, ne parviennent à aucun moment, à en­ essaie de nous mais plus stylisée, combrer le récit. Il va sans dire que l'on ne peut plonger en moins plus lyrique, com­ s'empêcher de penser au thème et à la construc­ d'un quart d'heure. me plus réaliste. Xavier Beauvois tion filmique de The Joy Luck Club, mais la Tout semble déra­ Collard faisait bai­ cinéaste ne se retient pas de rehausser son propos per sous nos pas de spectateurs, on perd le con­ gner ses Nuits dans les sueurs de la passion de de violentes touches nostalgiques typiquement trôle, on ne sait plus si le monde est monde et vivre à l'état brut, tandis que Beauvois semble américaines, comme seuls savent le faire les ci­ si l'on a raison de continuer à y vivre paisible­ remettre en perspective tout déséquilibre, toute néastes non américains (comme Milos Forman, ment. Par contre, le cinéaste, lui, a le contrôle violence incontrôlée. Poètes tous les deux, Andrei Konchalovski ou Mike Figgis, par exem- total de sa matière. Malgré le climat de profonde Collard et Beauvois s'en prennent au matériau pie). déprime dans lequel ses drames contemporains cinéma à la manière dont on écrit des vers. Mais plongent son public, il parvient par un regard dans le cas de Beauvois, le sonnet paraît viser un précis ou une caméra placée au bon endroit à but, celui de contraindre le lecteur/spectateur à imprégner ceux-ci d'une émotion et d'une hu­ se plier à une analyse personnelle, à se voir tel manité à la fois innocentes et ambiguës. On a qu'il ne s'est jamais vu, à «s'introspecter» de fa­ parlé à son sujet de romantisme à l'état pur, çon plus formelle, plus exacte. On a hâte de se typique des écrivains allemands de la grande laisser succomber devant ses futures images.

No 182 — Janvier/février 1996 15