Espoir n°95

Le CFLN, gouvernement provisoire de la France en guerre, par René Hostache (Docteur en droit)

Le 26 août 1944, Paris libéré acclame le général de Gaulle. La veille au soir, à l'Hôtel de Ville, le chef du Gouvernement provisoire avait fait reconnaître par les nouvelles autorités politiques nées de l'insurrection nationale la légitimité du pouvoir qu'il incarne depuis son appel du 18 juin 1940.

Par une double rencontre de l'Histoire, ces événements surviennent le jour de la fête de Saint-Louis et quatre ans, jour pour jour, après le ralliement du Tchad bientôt suivi par ceux de toute l'Afrique équatoriale française et du Cameroun qui ont donné à la France libre une base territoriale.

L'adhésion populaire se manifeste ainsi à celui qui fut successivement le chef des Français libres, le président du Comité national français de Londres, le co-président, puis le seul président du Comité français de Libération nationale d'Alger (CFLN) et enfin, depuis quelques semaines, le président du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).

L'UNITÉ

Dans le deuxième volume des Mémoires de Guerre - qu'il n'avait pas sous-titré par hasard L'Unité - rappelle ce qu'était son objectif: "Voilà ma tâche! Regrouper la France dans la guerre; lui épargner la subversion; lui remettre un destin qui ne dépende que d'elle-même. Hier, il suffisait de l'action d'une poignée de Français sur les champs de bataille pour se camper devant les événements. Demain, tout sera commandé par la question d'un pouvoir central que le pays acclame et suive. Pour moi, dans cette phase capitale, il ne s'agira plus de jeter au quelques troupes, de rallier ici et là des lambeaux de territoire, de chanter à la nation la romance de sa grandeur. C'est le peuple entier, tel qu'il est, qu'il me faudra rassembler. Contre l'ennemi, malgré les alliés, en dépit d'affreuses divisions, j'aurai à faire autour de moi l'unité de la France déchirée".

L'Unité, en 1942, c'est à la fois l'unification de la Résistance intérieure et c'est l'union à réaliser entre ceux qui, avec de Gaulle, n'ont jamais cessé le combat et ceux qui, avec Giraud, viennent de le reprendre.

La première mission de rassemblement, le général de Gaulle l'avait confiée pour la France métropolitaine à en qui il avait trouvé réunies les qualités nécessaires et en particulier le "sens de l'Etat". Parce qu'il était pénétré "du sentiment que l'Etat s'incorporait à la France libre", Jean Moulin n'eut de cesse que se réalise cette unité ardemment voulue par le général de Gaulle mais également souhaitée à la base par les membres des différents mouvements de Résistance.

Après avoir réussi à fédérer les mouvements de zone sud puis ceux de zone nord, après avoir créé un certain nombre d'organismes communs (en particulier l'Armée secrète, le Comité général d'études et le Bureau d'information et de presse), Jean Moulin parvenait à rassembler dans un même Conseil national de la Résistance les représentants des huit principaux mouvements de Résistance, des deux organisations syndicales reconstituées dans la clandestinité (CGT et CFTC) et des six partis ou tendances politiques ayant eu sous la IIIe République un groupe parlementaire (Parti communiste, Parti socialiste, Parti radical, Parti démocrate populaire, Alliance démocratique et Fédération républicaine).

Lors de la réunion constitutive de ce CNR, le 27 mai 1943, Georges Bidault, représentant les démocrates populaires, fait adopter, en accord avec Jean Moulin, une motion demandant au nom "du peuple qui lutte sur le sol de la métropole encore occupée" qu'un "Gouvernement unique et fort" soit constitué à Alger où le général de Gaulle allait se rendre pour rencontrer le général Giraud qui exerçait depuis l'attentat contre Darlan un "commandement civil et militaire" sur l'Afrique du Nord française.

Le texte de cette motion condamnait par avance, comme "incompatible avec les nécessités de la guerre", la formule dualiste qui sera élaborée, pour la direction du gouvernement, au terme du compromis intervenu le 3 juin 1943, et qui donne naissance au Comité français de la Libération nationale, héritier tout à la fois du Comité national français de Londres et du "commandement civil et militaire" d'Alger - dont les résistants exigent qu'il rompe tout lien avec Vichy -.

En réclamant que ce gouvernement "soit confié au général de Gaulle qui fut l'âme de la Résistance aux jours sombres et qui n'a cessé depuis le 18 juin 1940 de préparer, en pleine lucidité et en pleine indépendance, la renaissance de la Patrie détruite, comme des libertés républicaines déchirées", en souhaitant que le général Giraud, quant à lui, "prenne le commandement de l'armée française ressuscitée", en invoquant à l'appui de "cette volonté parfaitement claire" de la France "tant de sacrifices obscurs et tant de sang répandu", le CNR formule exactement la revendication qui sera dans les mois suivants, à Alger comme à Londres et à Paris, celle de tous les résistants de l'intérieur ou de l'extérieur, quelle que soit la date de leur adhésion à la Résistance. Certains des commissaires du CFLN désignés par Giraud ne tardent pas à se rallier, eux aussi, au symbole de la France en guerre qu'est désormais devenu Charles de Gaulle, comme l'accueil d'Alger vient de le démontrer, même dans les territoires restés jusqu'alors fidèles à Vichy. Les membres du CNR, en votant cette motion à l'unanimité - malgré quelques réserves des deux communistes, Pierre Villon, représentant du Front national, et André Mercier, du PC, qui se montraient plus favorables à Giraud, ont alors pleine conscience qu'ils renforcent ainsi le prestige du général de Gaulle aux yeux des alliés. Ils fournissent une base juridique à son pouvoir en le reconnaissant, selon l'expression citée par Perroy, "comme le mandataire des intérêts de la Nation".

LE CFLN

C'est le 2 octobre 1943, conformément au vœu de la Résistance, que disparaît la "dyarchie" algéroise. Une ordonnance, contresignée par Giraud, met fin ce jour-là à sa co-présidence du CFLN, tandis qu'un décret du même jour définit la fonction de commandement en chef. Une autre ordonnance, en date du 17 septembre 1943, a créé, au préalable, l'Assemblée consultative provisoire, dont quarante membres - chiffre porté à quarante-neuf par une ordonnance du 6 décembre 1943 - représentant la Résistance, sont désignés par l'intermédiaire du CNR.

Le 6 novembre 1943, trois jours après la séance inaugurale de cette Assemblée consultative, le CFLN demande, au général de Gaulle, de procéder, dans sa composition, "à tous les changements qu'il jugera nécessaires pour assurer :

1° - La représentation et la collaboration, au sein du gouvernement, de personnalités déléguées à l'Assemblée consultative par les organisations de Résistance en France,

2° - L'unité et la cohésion du Comité dans les meilleures conditions possibles,

3° - La séparation complète du pouvoir de gouvernement et de l'action du commandement militaire, ainsi que la subordination de celui-ci à celui-là."

Les institutions de la France en guerre correspondent alors, désormais, à ce que le CNR avait estimé nécessaire. L'œuvre de Jean Moulin avait ainsi survécu à son arrestation et à sa mort.

Après la fin de la co-présidence (ordonnance du 2 octobre 1943) et la réunion de l'Assemblée consultative provisoire, le Comité est considérablement remanié le 9 novembre 1943. Tandis qu'André Philip, jusqu'alors commissaire à l'Intérieur, est chargé désormais des relations avec l'Assemblée et des études d'après-guerre, c'est à un autre résistant qui vient d'arriver de France, Emmanuel d'Astier, chef du mouvement "Libération", qu'est confié le commissariat à l'Intérieur. , chef de "Combat", est commissaire aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés, tandis qu'un autre responsable du même mouvement, François de Menthon, conserve le commissariat à la Justice où il avait été nommé en septembre et que René Capitant, chef de "Combat-Alger", devient commissaire à l'Education nationale.

A côté de ces cinq représentants de la Résistance intérieure, le CFLN comprend cinq anciens parlementaires: Henri Queuille, commissaire d'Etat et Pierre Mendès France, commissaire aux Finances, tous deux radicaux ; André Le Troquer, commissaire à la Guerre et Adrien Tixier, commissaire au Travail, socialistes ; Louis Jacquinot, commissaire à la Marine, modéré.

Le général Catroux, commissaire d'Etat, chargé des Affaires musulmanes, René Pleven, commissaire aux Colonies, René Massigli, commissaire aux Affaires étrangères et André Diethelm, commissaire au Ravitaillement et à la Production sont tous quatre d'anciens membres du Comité national français de Londres, tandis que Jean Monnet, commissaire en missions (précédemment à l'Armement) et René Mayer, chargé des Communications et de la Marine marchande, viennent de l'organisme de Giraud et Henri Bonnet, commissaire à l'Information, de l'organisation gaulliste aux Etats-Unis, "France Forever".

Un nouveau remaniement, en mars 1944, charge Le Troquer de l'administration des Territoires métropolitains libérés, André Diethelm le remplaçant à la Guerre. Trois nouveaux membres entrent à cette occasion au CFLN : Paul Giacobbi, ancien sénateur radical de la Corse qui succède à Diethelm au Ravitaillement et à la Production et surtout deux communistes : François Billoux, ancien député de Marseille, nommé commissaire d'Etat et Fernand Grenier qui, en janvier 1943, avait apporté à Londres l'adhésion du Parti communiste à la France Combattante, devenu commissaire à l'Air.

Le Comité revêt alors, pour la première et la seule fois en France, l'aspect d'un "gouvernement d'unanimité nationale" allant de la droite, représentée par Louis Jacquinot, aux communistes.

Il dispose d'un secrétariat général confié dès l'origine, en juin 1943, à Louis Joxe, ancien volontaire du 8 novembre 1942 qui, assisté de deux adjoints, Edgar Faure et Raymond Offroy, servait d'intermédiaire entre les ministres, constituait les dossiers, préparait l'ordre du jour des réunions du Comité, assurait la publication des ordonnances et décrets et en suivait l'application. "Modèle de conscience et tombeau de discrétion, écrit le général de Gaulle, il devait assister pendant trois ans, en témoin muet et actif, à toutes les séances du Conseil." L'institution survivra par la suite à la période de la guerre, sous la IVe République, puis la Ve République.

L'objectif principal des ministères civils est alors d'assurer, parallèlement à la libération militaire du territoire, l'installation d'autorités purement françaises qui collaboreront avec les armées alliées, mais ne relèveront que du gouvernement. A terme plus éloigné, il s'agit également d'engager le grand mouvement de transformation sociale inséparable de la Libération, aux yeux du général de Gaulle comme à ceux de la majorité des résistants.

Le gouvernement s'opposera énergiquement aux projets américains d'AMGOT (Allied Military Government) et de distribution de "fausse monnaie" qui provoqueront de très vifs incidents, à la veille même du débarquement, entre Charles de Gaulle et Winston Churchill, avant que ne soit conclu, en août 1944, un accord tripartite. Indépendamment de la "Mission militaire de liaison administrative" (MMLA), qui doit faciliter leur tâche aux alliés, le CFLN-GPRF a donc préparé la mise en place d'une nouvelle administration ainsi que toutes les mesures nécessaires au ravitaillement des territoires libérés, à la reconstitution de notre économie et au retour à une vie démocratique normale.

L'ADMINISTRATION DE LA FRANCE LIBÉRÉE

Les projets d'ordonnance sont élaborés selon les directives du général de Gaulle, par André Philip, commissaire aux Relations avec l'Assemblée, Emmanuel d'Astier, commissaire à l'Intérieur et Henri Queuille, commissaire d'Etat. Les mesures d'ordre économique sont préparées par Pierre Mendès France et son équipe selon deux hypothèses: libération d'une zone limitée ou libération à peu près totale permettant la remise en route de l'ensemble de l'économie.

Les textes sont ensuite étudiés par la Commission du débarquement que préside Henri Queuille, en présence de Geoffroy de Courcel, directeur adjoint du Cabinet du général de Gaulle.

Ainsi sont rédigées, en particulier, l'ordonnance du 10 janvier 1944 créant les commissaires de la République (publiée seulement le 6 juillet 1944), celle du 21 avril sur l'organisation des Pouvoirs publics et celle du 3 juin portant sur l'organisation provisoire de l'administration préfectorale.

La première d'entre elles s'inspire d'un texte du Comité général d'Etudes (CGE) apporté à Alger en 1943 par Emile Laffon, chargé de mission à la Délégation générale en France. Elle divisait provisoirement le territoire métropolitain en "Commissariats régionaux de la République", délimités par décret et correspondant en principe, sauf modifications apportées par arrêté du commissaire à l'Intérieur pendant la période des opérations militaires, aux préfectures régionales du gouvernement de Vichy. Les pouvoirs très importants accordés aux commissaires de la République, pour le cas de rupture des communications avec l'autorité supérieure, devaient alors leur permettre, non seulement d'administrer, mais même de gouverner au plein sens du terme leur région jusqu'au rétablissement des communications avec le Gouvernement provisoire transféré en France.

Complétant cette première ordonnance et après avoir supprimé les fonctions de préfets régionaux, préfets délégués, intendants de police, intendants des Affaires économiques et directeurs de Cabinet de préfets régionaux, une ordonnance du 3 juin 1944 crée, pour assister chaque commissaire de la République, des postes de directeur de Cabinet, secrétaire général pour la Police et secrétaire général pour les Affaires économiques et le Ravitaillement.

Une autre ordonnance du même jour marque le caractère provisoire du statut des nouveaux administrateurs de la Résistance. Personnages politiques comparables aux "représentants en mission" de la Convention, dans des circonstances aussi exceptionnelles, ils sont de ce fait, révocables ad nutumcar Emmanuel d'Astier, dans son exposé des motifs, estimait: "En période révolutionnaire, le gouvernement doit avoir liberté entière de choix et aussi liberté totale de congédiement. L'administration préfectorale doit être une fonction et non une carrière." Cette ordonnance prévoit donc la possibilité de déléguer, à titre provisoire, dans les fonctions de préfet des hommes n'appartenant pas à la carrière préfectorale. Ceux qui auront exercé leurs fonctions pendant trois ans en faisant preuve des capacités et qualités requises pourront être ultérieurement intégrés dans le corps préfectoral.

Une ordonnance du 14 mars 1944, concernant "l'exercice des pouvoirs civils et militaires sur le territoire métropolitain au cours de sa libération", décide l'envoi sur chacun des deux théâtres d'opérations d'un délégué du CFLN, chargé d'exercer en territoires libérés l'en semble des pouvoirs réglementaires et administratifs détenus par le CFLN et ses commissaires jusqu'à ce que le gouvernement soit en mesure d'y pourvoir directement. Ces deux délégués ne doivent constituer qu'un intermédiaire momentané entre le pouvoir central et les commissaires régionaux de la République. En fait, seul André Le Troquer, commissaire aux Régions libérées, se verra confier les fonctions de délégué pour le théâtre d'opérations Nord, assisté du général Koenig comme délégué militaire. Le "plan Caïman" prévoyant l'envoi d'une délégation gouvernementale dans le Massif central n'ayant pas été réalisé, il n'y aura pas, en définitive, de délégué du gouvernement pour le théâtre d'opérations Sud, mais seulement un délégué militaire, le général Cochet, chargé de la liaison administrative avec les autorités alliées, mais auquel les commissaires de la République ne seront pas subordonnés.

L'ordonnance du 21 avril 1944 "portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération" prévoit notamment la procédure qui devra être employée pour le rétablissement des conseils municipaux et des conseils généraux et institue dans chaque département un Comité de Libération, composé de représentants des organisations de Résistance, organisations syndicales et partis politiques, affiliés au CNR. Ce comité est chargé d'assister le préfet en "représentant auprès de lui l'opinion de tous les éléments de la Résistance".

Une ordonnance du 9 juin 1944, fixant le statut des Forces françaises de l'Intérieur (FFI), les définit comme étant constituées par "l'ensemble des unités combattantes ou de leurs services, qui prennent part à la lutte sur le territoire métropolitain, dont l'organisation est reconnue par le gouvernement et qui servent sous les ordres de chefs reconnus par lui comme responsables". Le texte leur accorde le bénéfice de "tous les droits et avantages reconnus aux militaires par les lois en vigueur" et précise qu'elles "répondent aux conditions générales fixées par le règlement annexé à la convention de La Haye du 18 octobre 1907, concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre". Le but principal de cette ordonnance est, en effet, de faire reconnaître aux FFI le droit de belligérance que leur contestaient les autorités nazies.

C'est le 3 juin 1944, un an après sa fondation, que le CFLN, répondant à un vœu de l'Assemblée consultative, prend le nom de "Gouvernement provisoire de la République française". La libération de la France va alors commencer trois jours plus tard, avec la participation de la France elle-même.

Le GPRF sera immédiatement reconnu, dans les jours suivants, par la plupart des gouvernements européens en exil - Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Pologne, Grèce, Norvège - étroitement liés depuis 1940 à la France combattante, et par plusieurs Etats d'Amérique latine - dont le Mexique - fidèles à une amitié traditionnelle avec la France, encore ravivée par l'action des Comités de la France libre qui ont été créés à partir de 1940 dans ces pays. Ces reconnaissances précèdent celles des grands alliés qui ne seront notifiées qu'après la libération de Paris.

L'ASSEMBLÉE CONSULTATIVE PROVISOIRE

La création d'une Assemblée consultative à Alger répond au même objectif que celle du CNR en France : donner à la nation, à défaut de pouvoir le faire par une élection au suffrage universel, la possibilité de s'exprimer par la voix des représentants de ceux qui luttent pour elle dans les mouvements ou les formations politiques et syndicales participant également désormais à la Résistance. La France aura ainsi une double représentation politique provisoire : l'une clandestine à l'intérieur, le CNR, et l'autre à Alger, l'Assemblée consultative.

Si la seconde ne voit le jour qu'assez tardivement, le 3 novembre 1943, on peut dire, comme le remarque Yves Danan que "son idée est dans l'air depuis longtemps ".

Dès le 24 septembre 1941, l'ordonnance "portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France libre" et créant le "Comité national français" de Londres prévoyait qu'il "sera pourvu ultérieurement à la constitution d'une Assemblée consultative, destinée à fournir au Comité national une expression, aussi large que possible, de l'opinion nationale". Un projet tendant à la constitution de cette assemblée est préparé tout d'abord par la Commission de législation que préside le professeur René Cassin, puis après l'arrivée à Londres, en 1942 et au début de 1943, d'un certain nombre de parlementaires, par la Commission de réforme de l'Etat que préside Félix Gouin.

Dans le mémorandum du 26 février 1943 par lequel - après la conférence d'Anfa et l'établissement de missions de liaison entre les généraux de Gaulle et Giraud - le Comité national précise les conditions indispensables de l'unité, il demande la création d'un Conseil consultatif de la Résistance auprès du pouvoir central provisoire qui va être constitué. Après avoir d'abord proposé de faire jouer la loi Tréveneuc, lors de la Libération, Giraud se rallie au principe d'un organisme consultatif auprès du nouveau gouvernement.

Un accord sur ce point ayant donc été réalisé avant même la formation du CFLN, le commissaire à l'Intérieur, André Philip, est chargé de préparer un projet. Il consulte en particulier "le groupe des parlementaires adhérant à la France combattante" qui s'était formé à Londres le 12 mars 1943, à l'initiative de Félix Gouin. Plusieurs de ses membres, dont Fernand Grenier, demandent une augmentation du nombre des parlementaires par rapport à celui des représentants des mouvements.

En définitive, la composition arrêtée par l'ordonnance du 17 septembre 1943 est la suivante:

40 représentants des organismes de la Résistance métropolitaine,

12 représentants de la Résistance extra métropolitaine,

20 membres du Sénat et de la Chambre des députés de 1940,

12 représentants des Conseils généraux auxquels s'adjoindront, pour les seules discussions portant sur le budget ou les projets d'emprunts, des représentants des intérêts financiers nord-africains (six membres des Délégations financières d'Algérie, quatre membres du Conseil du gouvernement chérifien et deux membres du Grand conseil tunisien).

L'ordonnance du 6 décembre 1943 augmente la participation des délégués de la Résistance dont le nombre passe de quarante à quarante-neuf pour la Résistance métropolitaine et de douze à vingt et un pour la Résistance extra-métropolitaine.

C'est, nous l'avons dit, le CNR qui a choisi ces quarante-neuf délégués de la Résistance intérieure, sur proposition des différentes organisations représentées en son sein, y compris les formations politiques et syndicales. Il a désigné, de même, les vingt et un représentants de la Résistance extra-métropolitaine à raison de six délégués choisis parmi les organisations d'Afrique du Nord, cinq parmi les Comités français à l'étranger, huit parmi les personnalités ayant participé à la Résistance dans les colonies et deux parmi les personnalités ayant rallié la France libre au lendemain de l'armistice. Les vingt parlementaires ont été élus par leurs pairs répartis en quatre groupes, votant séparément pour désigner respectivement: cinq socialistes, cinq radicaux, USR et démocrates populaires, trois communistes et sept représentants des groupes du centre et de la droite.

Les douze représentants des Conseils généraux - dont la participation peut être considérée comme une application partielle de cette loi Tréveneuc ressortie de l'oubli par Giraud - sont élus à raison de deux par chacun des Conseils généraux ou Conseils coloniaux.

L'ordonnance du 17 septembre 1943 avait prévu certaines déchéances interdisant en particulier la désignation à l'Assemblée consultative de parlementaires ayant voté la délégation du pouvoir constituant au maréchal Pétain, mais en donnant toutefois au CNR la possibilité de les relever de cette déchéance en cas de participation ultérieure à la Résistance.

Le Bureau, formé d'un président, de quatre vice-présidents et de quatre secrétaires, reflète bien la composition de l'Assemblée consultative. Trois parlementaires reçoivent : Félix Gouin, la présidence, André Mercier, une vice-présidence et Pierre Bloch puis - après la nomination de celui-ci comme adjoint du commissaire à l'Intérieur - Paul Antier, un poste de secrétaire. Trois représentants de la Résistance intérieure, André Hauriou, Albert Van Wolput (dit Bosman) et Pierre Ribière, sont respectivement, les deux premiers, vice- présidents et, le troisième, secrétaire.

Deux représentants de la Résistance extérieure ont, le RP Carrière, la troisième vice- présidence et le lieutenant FFC Ernest Bissagnet, un secrétariat. Le dernier poste de secrétaire est attribué à un représentant des Conseils généraux, Albert Darnal.

L'Assemblée, qui édicté son règlement intérieur, jouit de l'autonomie financière et administrative, garantie d'indépendance qui se situe dans la tradition parlementaire française. Elle s'est vu également reconnaître le droit de désigner son propre personnel et le fonctionnaire chargé, avec le titre de secrétaire général, de diriger son administration, Emile Blamont, deviendra, par la suite, le Secrétaire général de l'Assemblée nationale pendant la durée de la IVe et les premières années de la VeRépublique.

L'ordonnance qui la crée prévoit que l'Assemblée se réunit de plein droit en réunion ordinaire d'une semaine tous les deux mois et en session extraordinaire, sur convocation de son président à la demande des deux tiers des délégués. Ses commissions spécialisées peuvent siéger hors session.

Son fonctionnement ressemble donc beaucoup à celui d'une assemblée parlementaire dont elle se distingue, note Emile Blamont, en ce que, n'étant pas élue, elle n'est pas législative ni souveraine, mais seulement consultative. L'initiative et le pouvoir de décision lui échappent donc. Autre particularité due aux circonstances, ses trois groupes sont apolitiques. Celui de la Résistance, que préside René Cerf- Ferrière, rassemble, quelle que soit leur tendance, tous les délégués de la Résistance intérieure ou extérieure. Il en est de même pour le groupe des parlementaires présidé par Vincent Auriol, où se retrouvent tous les anciens députés et sénateurs et pour le groupe des conseillers généraux, présidé par le conseiller général Marcel Duclos, ce qui révèle peut-être l'intention de reléguer à l'arrière- plan, au moins provisoirement, les divisions politiques.

L'Assemblée n'en jouera pas moins un rôle politique de premier ordre en exerçant une influence importante dont la transformation du CFLN et la disparition des derniers relents de vichysme fournissent un exemple. Les critiques mêmes, trop fréquentes sans doute aux yeux du général de Gaulle et de ses ministres, que ne leur ménageront pas les délégués, au cours de leurs débats, contribueront à faire reconnaître par les alliés - dont les chefs de mission diplomatique et les correspondants de presse assistent aux séances - la représentativité du CFLN et sa volonté de rétablir les libertés démocratiques en même temps que l'indépendance nationale.

L'OBJECTIF ATTEINT

La prompte arrivée à Paris du général de Gaulle - qui, en attendant d'être rejoint par les autres membres du Gouvernement provisoire, a auprès de lui Le Troquer et Parodi et dispose de la Délégation générale et des secrétaires généraux provisoires - a pour effet de déjouer les complots fomentés en faveur des autres solutions envisageables.

L'idée rooseveltienne d'une administration directe américaine (AMGOT) a été pratique ment abandonnée. Après les succès du Corps expéditionnaire français en Italie et les comptes rendus dithyrambiques faits par la presse anglo-saxonne sur la journée du 14 juin 1944 à Bayeux, le président du GRPF a été reçu à Washington en invité et non en "solliciteur". Quelques jours après, le gouvernement des Etats-Unis a reconnu, par un communiqué du 12 juillet 1944, que le Gouvernement provisoire - qu'il continue d'appeler CFLN - est "qualifié pour exercer l'administration de la France".

Néanmoins, le mois suivant, certains diplomates et agents secrets américains ont participé au projet élaboré par Laval. Celui-ci, avant de présider le 17 août 1944, à Paris, son dernier Conseil des ministres vichyste, et de partir pour Belfort sous escorte allemande, avait obtenu d'Abetz le retour de déportation d'Edouard Herriot, sur lequel il comptait pour convoquer le parlement-croupion de la IIIe République afin de couper l'herbe sous les pieds du général de Gaulle.

Finalement, ce projet a échoué car Edouard Herriot, contacté et dissuadé par la Résistance, a répondu à Laval qu'il ne pouvait rien faire sans l'accord du président du Sénat, Jules Jeanneney qui est, quant à lui, totalement acquis au général de Gaulle. D'autre part Hitler, qui n'admet pas qu'on anticipe sur sa défaite, ordonne le retour en déportation d'Edouard Herriot.

Il restait, enfin, le projet des communistes qui, minoritaires au CNR, avaient toutefois réussi à noyauter certains autres organismes, en particulier la Commission militaire ou COMAC ainsi que l'Etat-major régional FFI de la région parisienne. Mais leur entreprise n'aurait pu réussir que si l'Armée rouge était arrivée sur le Rhin avant les alliés occidentaux, comme certains membres du PCF l'espéraient, ou s'il y avait eu à Paris une vacance prolongée du pouvoir.

Après l'accueil qu'il avait reçu en Corse libérée en 1943 et à Bayeux le 14 juin 1944, après celui des populations qu'il rencontrait sur sa route - en compagnie des commissaires de la République et préfets qu'il avait nommés - le Général ne doutait pas de l'enthousiasme des Parisiens.

Lui-même avait fixé ce qu'il devait faire : "rassembler les âmes en un seul élan national mais aussi faire paraître tout de suite la figure et l'autorité de l'Etat " Arrivé le 25 août au ministère de la Guerre, qu'il avait quitté avec Paul Reynaud dans la nuit du 10 juin 1940, il constate que si "la France a failli sombrer [...] l'aspect des choses reste immuable [...] rien n'y manque, excepté l'Etat. Il m'appartient de l'y re mettre. Aussi, m'y suis-je d'abord installé."

Modifié dans sa composition, notamment par l'entrée du président Jules Jeanneney comme ministre d'Etat et celle de Georges Bidault, jusqu'alors président du CNR, comme ministre des Affaires étrangères, le Gouvernement provisoire sera enfin reconnu par les grands alliés, le 23 octobre 1944. Interrogé à ce sujet par un journaliste, le général de Gaulle répondra avec humour : "Le gouvernement français est satisfait qu'on veuille bien l'appeler par son nom."

Charles de Gaulle pouvait légitimement manifester sa satisfaction. Son objectif était atteint. Président d'un gouvernement d'unanimité nationale, comme l'était déjà le CFLN d'Alger, il avait réussi à rassembler les Français autour de lui. Grâce à lui, la France sera présente en 1945 à la table des vainqueurs.