Préhistoires Méditerranéennes

14 | 2008 La valeur fonctionnelle des objets sépulcraux

Maxence Bailly et Hugues Plisson (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/pm/58 ISSN : 2105-2565

Éditeur Association pour la promotion de la préhistoire et de l'anthropologie méditerrannéennes

Édition imprimée Date de publication : 20 décembre 2008 ISSN : 1167-492X

Référence électronique Maxence Bailly et Hugues Plisson (dir.), Préhistoires Méditerranéennes, 14 | 2008, « La valeur fonctionnelle des objets sépulcraux » [En ligne], mis en ligne le 15 novembre 2009, consulté le 08 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/pm/58

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Tous droits réservés 1

Ce volume de Préhistoire Anthropologie Méditerranéennes est consacré dans son intégralité aux actes de la table ronde « La valeur fonctionnelle des objets sépulcraux » organisée en octobre 2006 à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (Aix-en- Provence). Cette manifestation a pu se tenir grâce au concours de l'Université de Provence, du Conseil Général des Bouches-du-Rhône et de la ville de Martigues et avec le soutien du Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique.

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SOMMAIRE

Avant-propos Jean-Pierre Bracco

Introduction Maxence Bailly et Hugues Plisson

Première Partie

Sujet, individu, personne...

La défunte aux entraves L’inhumation d’une esclave de la fin de l’âge du Fer Sandrine Duval

La sépulture paléolithique de l’enfant du Figuier (Ardèche, ) Emboîtement d’une symbolique funéraire Ludovic Slimak et Hugues Plisson

La parure funéraire de la nécropole néolithique d’al-Buhais 18 (Émirats Arabes Unis) Roland de Beauclair

Entre signe et symbole Les fonctions du mobilier dans les sépultures collectives d’Europe occidentale à la fin du Néolithique Maïténa Sohn

Deuxième Partie

Parcours de vies, biographie d’objets

Parures individuelles et sépultures collectives à la fin du Néolithique en Bassin parisien Angélique Polloni

Un dépôt associé à une sépulture de la fin du Néolithique ancien à Buthiers-Boulancourt (Seine-et-Marne, France) Approche tracéologique et techno-fonctionnelle du mobilier lithique Renaud Gosselin et Anaïck Samzun

Les grandes lames de silex du mobilier funéraire des proto-éleveurs du sud de l’Europe orientale Natalia N. Skakun

Connotation fonctionnelle du mobilier funéraire en silex Exemple de la Bulgarie Maria Gurova

Céramique, fonctionnalité et dépôts funéraires Quelques données, quelques réflexions Xavier Clop

Signe et fonction des objets lithiques préhistoriques en Sardaigne Les données de la nécropole d’Ispiluncas – Sedilo (Sardegna - Italia) Ramona Cappai et Maria Grazia Melis

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Troisième partie

Le matériel funéraire déposé dans les tombes de la culture de Nagada (Haute-Égypte, IVe millénaire) Gwenola Graff

« La mort est le masque du roi »

Dimension socio-économique et symbolique des dépôts funéraires aristocratiques d’Europe occidentale (VIIIe-Ier s. avant J.-C.) Luc Baray

Postface La mort, le mort, les morts et les autres. Remarques d’anthropologue Pierre Lemonnier

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Avant-propos

Jean-Pierre Bracco

1 Ce numéro de Préhistoire Anthropologie Méditerranéennes, particulier puisque consacré dans son intégralité aux actes de la table ronde « La valeur fonctionnelle des objets sépulcraux » organisée en 2006 à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (Aix-en-Provence), est le dernier de la formule éditoriale mise en place en 1992. Comme nous l’annoncions dans le numéro précédent, la réflexion sur l’opportunité de l’existence de cette revue ainsi que sur ses modes de diffusion a abouti à une nouvelle organisation et une nouvelle équipe est désormais en place.

2 Ce changement était nécessaire pour plusieurs raisons. En premier lieu – et c’est une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés –, le paysage éditorial est désormais dans une phase de profonde transformation, dans ses pratiques comme dans sa diffusion. Annoncés depuis de nombreuses années sans que les effets en soient réellement perceptibles, ces bouleversements se sont brusquement accélérés ces tous derniers temps, sous l’effet conjugué de facteurs externes à la communauté scientifique française : consultations de bouquets de revues à travers les portails institutionnels ou commerciaux ou les sites web propres des revues, développement des archives ouvertes… et de facteurs internes liés à la politique scientifique des autorités de tutelle de la recherche : classement des revues pour chaque champ disciplinaire, réduction du nombre de revues soutenues par le CNRS… Il y a là, de manière conjuguée, un remodelage singulier des attentes et des pratiques des lecteurs d’une part, des vecteurs et des supports de l’information scientifique d’autre part, permis par les possibilités techniques actuelles de présentation et de diffusion.

3 Mais une autre raison – à la fois plus conjoncturelle et en même temps révélatrice du fonctionnement d’une grande part de l’édition scientifique en Sciences Humaines et Sociales en France – justifie les transformations de Préhistoire Anthropologie Méditerranéennes. Malgré la bonne volonté de tous, force est de constater que la revue n’a pas atteint le niveau de notoriété que nous espérions au départ de cette aventure. Une belle diffusion, dans l’ensemble du bassin méditerranéen et bien au-delà, l’exercice rigoureux du comité de lecture, n’ont pas complètement compensé une certaine irrégularité de parution et une ligne éditoriale parfois un peu floue1. Les raisons en sont multiples mais il est évident qu’un fonctionnement fondé uniquement sur

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l’investissement de tous et de chacun en sus des autres charges ne peut être ni complètement efficace ni réellement satisfaisant.

4 Devant cette situation, le comité de rédaction de la revue s’est retrouvé confronté à deux questions essentielles. Y a-t-il une place scientifique pour une revue de Préhistoire consacrée au bassin méditerranéen ? Et quelle organisation adopter pour produire un support de qualité, rigoureux dans le fond et attractif dans la forme ?

5 À la première question, l’éditorial du numéro précédent a déjà répondu. Loin d’une image simpliste d’un pourtour méditerranéen homogène ou simplement régionalisé, toute l’histoire de ce bassin illustre le rôle majeur de cet espace comme lieu de croisement, d’interaction, d’échange entre des sociétés différentes bien sûr, chacune adossée à un « hinterland » africain, asiatique ou européen. Il y a donc là un formidable laboratoire d’étude pour les préhistoriens et les champs chronologique, thématique et géographique couverts par Préhistoire Anthropologie Méditerranéennes ont toute leur place dans la publication et le débat scientifiques.

6 À la deuxième question, il s’agissait de trouver le point d’équilibre entre les disponibilités de chacun, les besoins actuels de l’édition scientifique et les attentes de la communauté scientifique.

7 Pour y répondre, une nouvelle conception éditoriale est mise en place dès le prochain numéro. La revue va désormais prioritairement être éditée à travers le portail du CNRS « Revue.org » en format électronique. Chaque article, rédigé en français ou en anglais, une fois validé par le comité de rédaction2, sera mis aux normes de l’édition électronique grâce au logiciel Lodel utilisé par Revues.org et rendu accessible par une mise en ligne immédiate au format html. La mise à disposition des contributions n’est alors plus tributaire de la finition d’un recueil et de son impression, les articles étant publiés en continu. Une version PDF viendra complétée l’article électronique, proposant un tiré à part de la publication.

8 Toutefois, et compte tenu du mode de diffusion de la revue, que le format électronique ne remet pas en question, chacun de ces articles sera réuni en fin d’année dans un volume imprimé qui pourra être, en outre, amplifié de possibles commentaires, sollicités par le comité de rédaction ou suscités par la lecture des articles disponibles en ligne.

9 Dans cette nouvelle organisation, qui demande une grande réactivité mais qui permet de proposer très rapidement des contributions à la communauté scientifique en respectant complètement les règles de la publication scientifique, il n’y a plus de comité de lecture constitué à l’avance. Le comité de rédaction fait appel à au moins deux rapporteurs pour chaque manuscrit. Il y aura donc en fin de chaque année un comité ad hoc, à périmètre variable selon les contributions annuelles et dont la liste des membres sera publiée dans chaque volume édité. C’est également le comité de rédaction qui veillera à ce que les articles proposés correspondent bien à la ligne éditoriale de la revue : des contributions originales qui portent sur la Préhistoire méditerranéenne, des premiers peuplements à l’âge du Bronze.

10 Enfin et après de nombreuses discussions, les transformations annoncées, portent également sur le nom de la revue : Préhistoire Anthropologie Méditerranéennes devient Préhistoires Méditerranéennes.

11 La disparition d’un des trois termes, la marque du pluriel sur les deux restants, ne sont pas qu’un simple effet de style. La pluralité de notre discipline, les différentes façons de

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penser la Préhistoire, entre autres, nous incitent à y intégrer autant l’Anthropologie que d’autres disciplines qui contribuent également à nourrir notre champ de recherches. Ce nouveau nom, par ailleurs, veut réaffirmer, ce qui a sans doute fait défaut ces dernières années, l’ancrage de la revue dans cet espace géographique vaste et multiple s’étendant du Levant à Gibraltar.

12 Cette nouvelle formule est bien sûr un pari. Pari que, au-delà des listes nationales de publication qui se constituent un peu partout, une revue peut s’affranchir des limites politiques pour affirmer un périmètre géo-chronologique à cohérence scientifique. Pari que les nouveaux modes de diffusion mis en place rencontreront votre adhésion en tant que lecteur comme en tant qu’auteur. Pari enfin que l’organisation mise en place fera la preuve de son efficacité. Sur ce dernier point, deux années de réunions, de préparations, de discussions me rendent très confiant. L’envie et la compétence sont là et je souhaite à cette nouvelle équipe un succès à la hauteur de sa légitime ambition.

NOTES

1 La présence répétée de cahiers thématiques au sein de la revue, souvent très bien reçus par la communauté mais pouvant dépasser le strict cadre méditerranéen, a sans doute ajouté à la confusion de la ligne éditoriale originelle. L’importance et le bénéfice de ces cahiers nous a conduit à envisager la création d’une nouvelle série, Cahiers méditerranéens de Préhistoire (CMP), qui sera mise en place courant 2009 et qui accueillera, à rythme variable, les actes de manifestations scientifiques rattachées à notre discipline mais sans restriction géographique. Ces publications, électroniques, seront hébergées sur le portail Revues.org

AUTEUR

JEAN-PIERRE BRACCO Maître de Conférence à l'Université de ProvenceLAMPEA, Université de Provence - CNRS - MCC - IRD (UMR 6636) Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme 5 rue du château de l’horloge, BP 647 F-13094 Aix-en-Provence Cedex 2 [email protected]

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Introduction

Maxence Bailly et Hugues Plisson

1 Lors de la table ronde qui s’est tenue à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’homme les 25, 26 et 27 octobre 2006, nous avons accueilli une quarantaine de participants autour de la présentation de seize travaux1. Les périodes et les régions abordées furent très variées, tout comme la diversité des méthodes dont les auteurs témoignent par leurs pratiques et leurs cadres d’interprétation. Cette apparente hétérogénéité correspondait pourtant bien à notre dessein et constitue la prolongation d’une table ronde tenue en septembre 2004 à Lyon lors de la Xe session de l’European Association of Archaeologists, elle même inspirée d’un projet de rencontre en Moldavie envisagé par N. N. Skakun mais qui ne put être concrétisé. Cette réunion scientifique correspond à une idée simple, si simple que l’on a souvent jugé inutile de la poser et de l’expliciter : « à quoi servaient les objets que l’on trouve dans les sépultures ? »

Les approches fonctionnelles

2 Si innovation il y a dans la publication de ce volume, elle ne réside pas tant dans le thème que dans le double parti pris méthodologique : - confronter des cas de périodes très éloignées (du Paléolithique à l’Antiquité) afin de cerner la spécificité des modes d’argumentation archéologique au delà des discours de spécialistes ; - donner la priorité aux approches fonctionnelles. C’est-à-dire accorder une large place à la tracéologie, au sein des approches fonctionnelles, et l’intégrer explicitement dans les pratiques de l’interprétation ; mais pas seulement puisque d’autres lectures que celles des traces d’usage, souvent affaire de spécialistes bardés de microscopes, concourent à caractériser le statut fonctionnel des objets. C’est le champ de la technologie dans son ensemble qui est concerné mais avec des questions particulières, c’est-à-dire un certain regard : a-t-on affaire à des objets neufs, usagés, réparés, remis à neuf, efficacement ou en apparence, à des ébauches, à des objets hors d’usage, trop usés ou volontairement détruits, sont-ils fonctionnels, l’ont-ils été ou sont-ce des substituts techniquement peu ou pas fonctionnels, trouvent-ils leur prolongement dans l’iconographie ; quels champs techniques représentent-ils ou ne représentent-ils pas ?

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Autant de déclinaisons d’une même interrogation qui n’est pas dépendante de la microscopie mais de l’angle de vue (que ne modifie pas la focale, mais la position de l’observateur !).

3 Depuis les débuts de l’archéologie scientifique, les approches interprétatives des objets sépulcraux ont fixé un grand nombre de chercheurs sur le décryptage de la présence de certains types d’objets dans les sépultures. Mais dans la quasi- totalité des cas, le bilan fonctionnel fait défaut, quand ce n’est pas simplement l’analyse technique dans lequel il s’inscrit. Et quand celui-ci existe, il n’est que rarement l’arme ultime pour décider de la valeur intrinsèque de l’objet sépulcral et de la place qu’occupait le défunt associé dans la société passée. Les protohistoriens sont coutumiers de ce genre d’approche depuis la fin du XIXe s., soit pour établir les chrono-typologies, soit pour traiter des statuts sociaux dans les premières sociétés du métal. L’omniprésence du discours fonctionnaliste en archéologie – assimilable au processualisme pour l’essentiel – a cristallisé ces analyses de mobiliers funéraires autour de l’inégalité sociale (voir par exemple Biel 1985, Musée d’archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye 1989, Brück 2006), de l’identité sexuelle (Wiernan 1998 ; Turek & Cerny 2001) voire de la spécialisation artisanale (Bátora 2002) ou de la richesse (Renfrew 1986). Quelques découvertes exceptionnelles permettent d’avancer très loin dans la perception archéologique, d’un individu, d’une personne2 (Handler 1997).

4 Notons d’ores et déjà que toutes les études présentées et publiées dans ce volume convergent vers un premier constat commun. Il n’existe pas d’objet à vocation funéraire, c’est-à-dire produit pour être uniquement déposé dans une sépulture, avant l’âge du Fer et ses sépultures princières ou aristocratiques. Les objets retrouvés possèdent une biographie qui est, au moins partiellement, celle de leurs détenteurs ou des participants aux rituels funéraires. Si certains dépôts sépulcraux relèvent de rituels ou encore de pratiques commémoratives, ils peuvent être assimilés à un usage détourné, voire à une forme de recyclage (Schiffer 1995).

Fonctionnement/fonction : l’espace analytique d’une dichotomie technologique

5 Dans le champ technologique, nous nous trouvons en fait en terrain connu ou tout du moins déjà balisé : paradoxalement celui de l’arbitraire des techniques (Lemonnier 1986 ; Lemonnier 1993) et en particulier de la distinction entre fonctionnement et fonction (Sigaut 1991)3. Quelle différence y a-t-il entre le fonctionnement d’un objet/ outil et sa fonction ? Une différence fondamentale qui éclaire l’espace des représentations que déploie une société ou une fraction de celle-ci dans des pratiques aussi individuelles que collectives, aussi routinières que symboliques, aussi « idéelles » que matérielles (Godelier 1984). En paraphrasant F. Sigaut dans l’examen d’objets sépulcraux associés aux défunts, on peut formuler les questions suivantes, déclinables suivant les gammes d’objets : qui coupe ? que coupe-t-il ? que représente-t-il quand il montre qu’il détient ce qui coupe ?

6 Cette conception qui éclaire les limites et la pauvreté intrinsèque de la notion fourre- tout de bien de prestige doit encore être explicitée et déployée afin d’y faire rentrer des observations très proches comme celle que développe L. Baray dans l’emploi de l’opposition entre fonctionnement et usage4. Il y a là de quoi réorganiser une part

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importante de la lecture des données archéologiques selon des modalités véritablement pertinentes.

Individus, société et distance au corps

7 Soyons-en certains : les sépultures que nous analysons s’apparentent à des théâtres ou à des arènes sociales (Barrett 1994). Si le défunt est le moins concerné ou actif dans les pratiques funéraires qui traitent socialement sa disparition, les objets sépulcraux que nous lui associons en tant qu’archéologue se répartissent suivant une distance au corps qui distribue, en trois cercles semble-t-il, ces oppositions entre fonctionnement et fonction. Tout d’abord, les objets possessions du défunt, ou présumés tels, qui illustrent sexe, age, activités, statuts. Les objets liés aux pratiques rituelles de son traitement funéraire, dont certains peuvent receler des motifs religieux ou eschatologiques : P. Moinat emploie le terme de viatique. Enfin les objets liés à la commémoration du défunt ou de ses funérailles, qui relèvent d’une pratique collective du souvenir et du deuil.

8 Dans tous les cas, nous rencontrons des dispositifs de représentations qui nous suggèrent ce qu’était un corps/une personne et ce qu’était le traitement social/collectif de sa disparition et de sa commémoration éventuelle. Mais l’emboîtement des cercles se prolonge évidemment au-delà du registre funéraire, puisqu’il laisse apercevoir l’expression de codes qui concernent l’organisation sociale du groupe, l’affirmation de sa différence et son insertion dans des territoires plus larges que le sien où les mises en scène s’opèrent au travers d’objets semblables ou chargés des mêmes valeurs.

9 Si l’on considère que la plupart des objets sépulcraux préhistoriques ne sont pas des productions funéraires, alors ce que nous trouvons dans les tombes traduit/transcrit, des activités, des fonctionnements, des statuts, des fonctions dont le terminus est la tombe. S’ouvre donc la possibilité d’une lecture biographique des objets comme il existe une approche biographique des individus. Et les deux « récits » ne se superposent pas toujours (Bonnardin 2006), bien que leur potentiel soit des plus riches et des plus novateurs (fig. 1).

Corps archéologiques ou le mirage de l’individu

10 Malgré des éclairages hétérogènes, plusieurs faits émergent. Tout d’abord, ce n’est pas dans l’objet que réside le sens archéologique et la pertinence mais dans les rapports entre fonction et fonctionnement d’une part, dans les rapports entre l’individu et les objets d’autre part. L’approche s’apparente donc à une double analyse biographique, de l’objet comme du défunt. C’est donc le corps du défunt (inhumé ou incinéré) qui organise la place, la valeur et la signification archéologiques des objets. La « résolution archéologique » des phénomènes observés est bien celle de l’individu, de la personne, ce qui ouvre de multiples perspectives5 pour l’instant assez lointaines.

11 La conséquence majeure est la nécessité de la clarification de concepts, la nécessité de la déconstruction de certaines relations ou équivalences, à commencer par celle d’une représentation idéale des objets préhistoriques, virtuelle mais non celle de leur(s) réalité(s), héritée du temps ou l’archéologie était affaire d’antiquaires. Un important travail de reformulation de la terminologie analytique et interprétative est devant

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nous, si l’on veut tenir compte des progrès méthodologiques réalisés dans l’étude des sépultures et de l’analyse des productions matérielles – singulièrement avec les approches fonctionnelles. Mais cette reformulation est également indispensable si l’on veut tenir compte de la boîte à outil conceptuelle de l’anthropologie sociale actuelle qui a beaucoup à nous dire sur le don, la dette et le pouvoir, sur les rapports entre l’individu et l’identité. Le prix fixé consiste pour l’essentiel à se débarrasser d’idées reçues obsolètes et de concepts inadéquats qui s’apparentent souvent à des tics de langage. Bonnes lectures ! 1 - Cycle de vie et biographie d’objet : un exemple prédynastique

(Steffensen 2007)

BIBLIOGRAPHIE

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Moinat & Chambon 2007, MOINAT P., CHAMBON P. Eds., Les cistes de Chamblandes et la place des coffres dans les pratiques funéraires du Néolithique moyen occidental : actes du colloque de Lausanne, 12 et 13 mai 2006, Lausanne / Paris, Cahiers d’Archéologie romande / Société préhistorique française, 2007, 364 p. (Cahiers d’Archéologie romande ; 110 / Mémoires de la société préhistorique française ; 43)

Musée d’archéologie nationale (Saint-Germain-En-Laye) 1989, MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE NATIONALE (SAINT-GERMAIN-EN-LAYE), Le Premier or de l’humanité en Bulgarie : 5ème millénaire : 17 janvier-30 avril 1989, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 1989, 198 p.

Renfrew 1986, RENFREW C., Varna and the emergence of wealth in prehistoric Europe, in: The social life of things : commodities in cultural perspective, Appadurai A. (Dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 141-168.

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Sigaut 1991, SIGAUT F., Un couteau ne sert pas à couper mais en coupant, in: 25 ans d’études technologiques en préhistoire : bilan et perspectives, Perlès C. (Dir.), Juan-les-Pins, APDCA, 1991, p. 21-34 (Rencontres internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes ; 11).

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Annexe : quelques pistes de lecture…

Baray et al. 2007, BARAY L. (dir.), BRUN P. (dir.), TESTART A. (dir.), Pratiques funéraires et sociétés. Nouvelles approches en archéologie et en anthropologie sociale, Dijon, Etudes Universitaires de Dijon, 419 p.

Bloch & Parry 1982, BLOCH M. (ed.), PARRY J. (ed.), Death and the regeneration of life, Cambridge, Cambridge University Press, 236 p.

Breton 2006, BRETON S. (dir.), Qu’est-ce qu’un corps ?, Paris, Musée du Quai Branly/Flammarion, 216 p.

Douglas 2004, DOUGLAS M., De la souillure. Etudes sur la notion de pollution et de tabou, Paris, La Découverte, 193 p. (1e édition anglaise 1966).

Douglas 2004, DOUGLAS M., Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 218 p. (1e édition américaine 1986).

Fowler 2004, FOWLER C., The archaeology of personhood, Routledge, 184 p.

Godelier & Panoff 1998, GODELIER M. (ed.), PANOFF M. (ed.) : La production du corps. Amsterdam, éditions des archives contemporaines, 374 p.

Hamikalis et al. 2002, HAMIKALIS Y. (ed.), PLUCIENNIK M. (ed.), TARLOW S. (ed.), Thinking through the body. Archaeologies of corporality, New York, Kluwer Academic/Plenum Press, 262 p.

Parker Pearson 2003, PARKER PEARSON M., The archaeology of death and burial, Stroud, Sutton Publishing, 250 p.

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NOTES

1. Toutes les interventions n’ont pas donné lieu à un article, mais on retiendra la pertinence des présentations de R. Mico et de P. Moinat (Moinat 2007). L’organisation du volume que nous avons retenue correspond à une vision qui est celle des éditeurs et ne recouvre pas nécessairement celle des contributeurs 2. Nous ne prenons pas en compte ici le cas pourtant spectaculaire et riche d’enseignement de l’homme du glacier du Similaun découvert dans les Alpes de l’Otztäl (Tyrol italien) en septembre 1991. S’il s’agit bien d’un corps humain et de son équipement, il ne s’agit pas d’une sépulture ! 3. Bien que les objets liés aux pratiques funéraires soient peu abordés 4. Le développement de nouvelles fonctions voire de nouveaux fonctionnements est un phénomène majeur à l’œuvre dans tous les processus de contacts. La culture matérielle exotique (alien material culture) se révèle un carburant très performant pour élaborer de nouveaux dispositifs sociaux : distinctions, échelles des valeur, identités. Le cas des ceintures Wampun dans le monde iroquien est bien documenté (Turgeon 2005) 5. « (…) la ‘personne’ est plus qu’un fait d’organisation, plus qu’un nom ou un droit à un personnage et un masque rituel, elle est un fait fondamental du droit. » (Mauss, 1991 : 350)

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Première Partie

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Sujet, individu, personne...

1 La fouille d’une sépulture nous place face à une évidence : celui du corps d’un défunt. Pour l’anthropologue de terrain, on parle d’un sujet. Pour l’archéologue, il s’agit à l’évidence d’un individu, d’une personne. Mais jusqu’à quel point cette évidence en est- elle une ? Projeter nos conceptions sur la dépouille d’un autre provenant d’une culture irrémédiablement éloignée est chose commune, pourtant, cette projection compassionnelle relève plus de l’occultation que de la compréhension.

2 Tous les sujets sont-ils des personnes ? Non, doit-on répondre en ayant à l’esprit la variabilité des catégorisations juridiques. Le travail de S. Duval nous expose clairement que l’on peut analyser une sépulture, l’interpréter – la qualifier – de sépulture d’esclave : ce ne sera pas la sépulture d’une personne. Dans ce cas, les objets associés au sujet anthropologique ne qualifient pas en positif la position de l’individu dans la société, mais le situent en négatif en regard des règles du monde antique...

3 Dans le même ordre d’idée, de nombreuses sociétés décrites par l’anthropologie sociale sont des sociétés à initiation ou à classes d’âge. Avant d’être un membre à part entière d’une société, les sujets jeunes y possèdent un statut différent ou « incomplet ». Ailleurs, Certaines sociétés décrites par l’ethnographie, des pasteurs d’Afrique orientale notamment, sont organisées en classes d’âge, dotées de droits et de statuts différents qui concernent tous les individus propres à chacune d’elles. Qu’en est-il pour les sociétés disparues ? Si l’analyse proposée par M. Sohn montre clairement les liens entre individus et panoplie d’objets que déploient de nombreuses sociétés (on se reportera à l’ethnographie de la Nouvelle-Guinée par exemple), l’initiation est-elle objectivable par l’archéologue ? Cette question est bien en filigrane de la présentation de H. Plisson et L. Slimak à propos de l’enfant paléolithique de la Grotte du Figuier. Quant à la présentation de R. de Beauclair, elle se révèle particulièrement innovante et ouvre une perspective de recherche nouvelle sur les liens entre parures portées et classe d’âge.

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La défunte aux entraves L’inhumation d’une esclave de la fin de l’âge du Fer

Sandrine Duval

Introduction

1 Si nombre d’objets sépulcraux rendent compte de l’univers quotidien ou du statut de certains individus privilégiés, beaucoup plus rares sont les artefacts qui accompagnent la dépouille de personnes considérées en marge de la société, comme les prisonniers, les esclaves ou les indigents. Une découverte récente sur la commune de Martigues nous livre un exemple de ce type, pour la période de la fin de l’âge du Fer. Deux points importants signent son caractère particulier : il s’agit d’une inhumation isolée, hors de tout contexte de nécropole, et les deux lourdes entraves qui enserraient encore les chevilles de l’individu marquent clairement son statut.

L’environnement naturel et historique du Vallon du Fou

2 Cette sépulture a été découverte lors d’un diagnostic d’archéologie préventive mené en juin 2004, touchant l’ensemble d’un vallon nommé le Vallon du Fou. Situé au sud-ouest de la ville de Martigues (Bouches-du-Rhône), le Vallon du Fou serpente dans le relief de l’extrémité nord-occidentale de la chaîne de la Nerthe (fig. 1). Il débouche au sud sur la plaine Saint-Martin et le bassin agricole de Saint-Pierre-les-Martigues. Ce massif de garrigue est bordé de quelques barres rocheuses escarpées et de lignes de crêtes, qui culminent à 136 m d’altitude sur la cime du Mourre du Bœuf.

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1 - Situation géographique du Vallon du Fou, à l’extrémité occidentale de la chaîne de la Nerthe (A) et indication topographique des principaux sites archéologiques environnants (B)

1 - inhumation d’esclave ; 2 - carrière d’argile du Ier s. av. J.-C. ; 3 – carrières ; 4 - agglomération de Saint-Pierre-les-Martigues (550 av. J.-C. à 50 ap. J.-C.) ; 5 - nécropole à incinération de La Gatasse (20-10 av. J.-C. à 20-30 ap. J.-C.) ; 6 - port romain des Laurons (Ier-IVe s. ap. J.-C.) ; 7 - édifice et bassins du haut-empire ; 8 - habitat gaulois du Mourre du Boeuf (VIe s. av. J.-C.) ; 9 - « installation » du VIe s. av. J.-C. ; 10 - abri dit du Ball-trap (VIe-Ve s av. J-C.) ; 11 - grotte du Mourre du Bœuf ; 12 - abri sous roche

3 La sépulture isolée du Vallon du Fou prend place dans un territoire rural densément occupé durant l’Antiquité. De nombreux sites archéologiques (habitats, carrières, port et villa antiques) sont attestés dans un cercle de 700 m à 3 km autour de la tombe. Nous reviendrons sur le rayonnement potentiel de ces installations humaines, en particulier pour aborder l’hypothèse du lien éventuel de cet individu avec l’exploitation du territoire environnant.

Le contexte funéraire

4 La tombe se trouve encaissée dans une courbe du fond de vallon (fig. 2 et 3), au pied du coteau méridional, presque immédiatement à l’aplomb d’une barre rocheuse d’une part, et probablement en bordure d’une sente de liaison avec la plaine environnante d’autre part.

5 Le sondage réalisé à la pelle mécanique dans ce coude du terrain a directement atteint la sépulture, enfouie à moins de 20 cm de profondeur, dans une sédimentation locale de faible puissance. Le squelette jambier fut ainsi abîmé au moment de sa découverte. Deux anneaux étaient associés aux membres inférieurs sans que l’on ait pu les observer strictement en place.

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2 - Vue vers l’est du Vallon du Fou et localisation de la sépulture

3 - Topographie du Vallon du Fou et localisation de la sépulture

La sépulture

6 Primaire et individuelle, l’inhumation se caractérise par son aspect sommaire. L’aménagement se résume à une fosse oblongue creusée dans un sédiment argileux, jusqu’à atteindre localement le niveau de gravillons sous-jacent (fig. 4). Son profil légèrement évasé dessine une alvéole longue de 2 m, large de 80 cm, et profonde de seulement 20 cm. Le corps est placé à même le sol, en pleine terre. Son recouvrement semble immédiat et direct. L’état des connexions anatomiques ainsi que l’absence de migration de pièces osseuses indiquent en effet une décomposition du cadavre en espace colmaté1.

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4 – Plan et coupe stratigraphique du terrain

7 Seul fait manifestement intentionnel, le comblement de la fosse sépulcrale était particulièrement riche en charbons de bois et en nodules de terre faiblement rubéfiés. Pour autant, l’épisode funéraire n’a pas marqué la pédologie du sol alentour, exempt de tout charbon. Enfin, bien que ce type de matériau soit disponible aux abords, aucune pierre ou dalle n’est posée en couverture, ni dressée en surface pour signaler l’emplacement de la tombe. Toutefois, l’absence de couverture ou de sol conservé pourrait résulter d’une érosion du niveau.

La défunte

8 À l’intérieur de la fosse, le corps a été placé en décubitus dorsal, le bras droit parallèle au rachis, le bras gauche en revanche légèrement fléchi et la main gauche posée sur le coxal (fig. 5). Le crâne repose sur la face interne de l’épaule droite, une posture qui ne montre aucune raideur cadavérique au moment du dépôt du corps. L’examen anthropologique conclut à l’identification d’une femme âgée entre 30 et 40 ans. L’altération des ossements ne permet pas de déterminer l’état sanitaire de la défunte (fig. 6). Pourtant, en raison de son statut social, des circonstances particulières pourraient être présumées pour son décès, comme la conséquence d’un hypothétique épuisement à la tâche, d’un accident ou d’une simple mort « naturelle » ?

9 Selon les résultats des analyses 14C portées sur trois prélèvements d’os et charbons, cette inhumation pourrait être datée entre le début du IIe s. av. J.-C. et le changement d’ère.

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5 – L’inhumation, vue vers l’ouest

6 – Fiche de conservation du squelette (S. Tzortzis)

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Les entraves, désignation du statut du défunt

10 Cette femme a été inhumée sans autre attribut que ses entraves, conservées jusque dans la tombe en raison même de leur caractère définitif. En effet, il s’agit de deux anneaux constitués de tiges cintrées en fer dont les extrémités sont solidarisées à chaud par rivetage sur la cheville de l’individu (fig. 7 et 8). Seule une découpe au peut libérer l’individu2.

7 – Les entraves du Vallon du Fou

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8 - Entraves rivetées

a et b : paire d’entraves du Vallon du Fou (M. Rétif) c : entrave de poignet de La Cloche (case 1K7-114, d’après Chabot 2004, p. 234, fig. 269) d : type de Sanzeno (d’après Thompson 1993, p. 94, ill. 43)

Un châtiment permanent

11 La pose de ce type d’objet implique un châtiment spécifique. Dans l’Antiquité romaine, les entraves de cheville nommées « compes », étaient mises « aux pieds des prisonniers et des esclaves, soit pour les punir, soit pour les empêcher de s’enfuir » (Saglio 1908, p. 1428). Elles limitent ainsi le déplacement tout en permettant un travail en milieu ouvert.

12 Cette difficulté de déplacement est accentuée par la contrainte du poids des entraves. Celles de l’individu du Vallon du Fou pèsent respectivement 365 et 333 grammes, pour un diamètre extérieur de 12 cm pour la première et 11 à 13 cm pour la seconde (fig. 8, a et b). Elles fonctionnent ainsi comme des anneaux pesants, qui ont pour conséquence d’accroître la pénibilité de la tâche. Ce principe est cité dans une scène des Captifs de Plaute, où, pour s’assurer d’une mort lente par épuisement aux carrières ou à la mine, le coupable est muni de lourdes entraves, avec l’injonction suivante : « Conduisez-le où il porte de grosses entraves bien pesantes » (Plaute, Capt., p. 721-722). Le caractère définitif des anneaux répondrait d’autre part à l’impossibilité d’affranchissement réservée à la catégorie des esclaves délinquants (Dumont 1987, p. 178).

13 Ces indications amènent à considérer les entraves permanentes du Vallon du Fou soit comme une forme rudimentaire d’entrave, soit comme des anneaux de condamné. Par ailleurs, ce système riveté permet l’utilisation d’une simple corde3, passée directement dans les anneaux pour une immobilisation totale ou l’attache à un point fixe.

L’entrave définitive : un type peu usité ?

14 De rares pièces, similaires par leur fonctionnement, sont connues pour la fin de l’âge du Fer en Europe :

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- une paire d’entrave définitive a été découverte en 2007 dans la nécropole antique rurale de la Vigne de Bioaux, à Valros (Hérault), petit ensemble funéraire situé à l’intersection de deux chemins antiques. L’un des sujets portait deux anneaux d’entraves autour des tibias. Le contexte est daté du Ier et IIe siècle de notre ère4. Il s’agit de deux tiges cintrées en fer dont les extrémités semblent aplaties, sans doute par matage, et rivetées à chaud5. Bien que plus légères et de plus petit diamètre, ces entraves de cheville sont les plus comparables à celles du Vallon du Fou ; - le second spécimen connu provient de l’oppidum de La Cloche, site provençal proche (Les Pennes-Mirabeau, Bouches-du-Rhône). L’entrave est unique (fig. 8c). Son principe de fermeture rivetée est similaire, mais sa taille semble correspondre à une entrave de poignet. Retrouvée près de la porte d’une habitation, elle aurait pu maintenir captive une femme âgée de 30 à 40 ans, retrouvée au fond de la pièce, enfouie sous les décombres d’une maison au moment du sac du village, en 49 av. J.-C. (Chabot 2004, p. 107-110, fig. 166 et 171) ; - ce type est également attesté à Sanzeno, oppidum celtique d’Italie du Nord6. Cet exemplaire fonctionne également à l’unité (Thompson 1993, p. 60 et 158) (fig. 8d). Cependant, les extrémités cintrées et percées ne sont pas jointes par un rivet de fermeture, ce qui indique qu’il pourrait s’agir d’une pièce non utilisée ou dont l’usage a été détourné (comme anneau de suspension par exemple) ; - enfin, un type hybride d’entrave est signalé en Bourgogne. L’un des deux anneaux est riveté à chaud tandis que le second se débloque par ouverture d’un cadenas (Daubigney & Guillaumet 1985, p. 174). Cet exemple attesterait ainsi de la coexistence des deux systèmes de fermeture, l’un définitif, le second articulé.

15 Le modèle d’entrave découvert au Vallon du Fou semble donc peu attesté et pourrait correspondre à un usage exceptionnel, en raison même de leur effet sur la mobilité de la personne. À l’inverse, il faut souligner que les entraves articulées sont mieux représentées et renvoient de manière plus tangible à la pratique de l’esclavage bien relatée dans les textes anciens7. Le principe de l’entrave articulée serait effectivement répandue en Celtique (Thompson 1993, p. 145-149), en particulier le type de Chalon (Bourgogne)8.

Une variante du type riveté

16 Dans une tombe de Selca (ancien Pelion, en Thessalie), datée de la seconde moitié du IIIe s. av. J.-C., le squelette portait une entrave fermée (conservée au National Historical Museum de Tirana, Albanie ; Thompson 1993, p. 133). Il s’agit d’un type ancien d’entraves rivetées, jointes distinctement par deux ou plusieurs anneaux à un anneau central, comme une chaîne. Le principe de rivetage définitif est apparenté aux pièces du Vallon du Fou : le jonc est en deux parties, donc mobile pour l’installer sur la cheville, mais le deuxième rivet est mis en place par matage, l’entrave une fois posée sur l’individu. Ce type est archéologiquement attesté pour les esclaves des mines du Laurion de la péninsule grecque (Thompson 1993, p. 131), mais il est également cité comme préférable pour les travaux agricoles, limitant les mouvements du captif tout en lui laissant les mains libres.

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L’entrave, définitive ou articulée, laissée sur le défunt

17 Au-delà de l’analyse du type d’entrave, la sépulture du Vallon du Fou témoigne du sort de la population captive face à la mort et du rapport au corps réservé aux esclaves. Elle atteste d’abord qu’une inhumation peut être accordée à des individus identifiés comme des condamnés par leurs entraves définitives. Mais cet attribut peut être laissé sur le défunt, que l’entrave soit fixe ou mobile. En effet, si les entraves fixes permettent difficilement de « libérer » l’individu à sa mort, pour les raisons techniques évoquées, plusieurs cas d’entraves articulées mobiles laissées sur l’individu sont attestés. Ce fait pourrait témoigner, soit d’une volonté certaine de conserver cette marque sociale après la mort, soit de négligence ponctuelle envers cette catégorie sociale. De manière plus prosaïque, cela traduit sans doute le non-affranchissement de l’esclave sur son lit de mort.

Un droit à la sépulture

18 Les textes anciens relatent que les esclaves étaient toujours ensevelis, car on ne leur déniait pas la possession d’une âme, comme l’atteste également la tradition de la divinité des Mânes serviles (Dumont 1987, p. 184). Toutefois, des collèges funéraires se développent sous l’Empire pour pallier l’abandon de cadavre par le propriétaire (Dumont 1987, p. 184-185). À partir d’Auguste, les corps des condamnés à mort étaient rendus aux familles pour que celles-ci leur donnent une sépulture décente après leur exécution, tandis que la personne servile au service d’un propriétaire, qui représente une main d’œuvre soignée de son vivant pour sa valeur marchande, obtenait l’assurance d’une sépulture (Dumont 1987, p. 176, 183, 185). Ce devoir pour les maîtres leur permettait un certain « chantage à la sépulture », pour motiver les esclaves dans leur labeur, et comportait la nécessité d’accomplir à la sauvette des semblants de rite (Dumont 1987, p. 186).

Sépultures de condamnés

19 Outre la tombe de Selca déjà mentionnée, quelques contextes funéraires peuvent illustrer des inhumations associées à des entraves vraisemblablement définitives : - la nécropole grecque d’Akanthos (Chalcidie) conserve, pour l’époque archaïque, plusieurs inhumations en pleine terre d’individus portant des chaînes ou de lourds anneaux aux chevilles (Vokotopoulou 1994, p. 88, fig. 10). Si la posture du squelette du Vallon du Fou ne semble pas traduire la contrainte d’autres liens connexes aux entraves de pieds, l’individu figuré dans cette publication paraît en revanche avoir les poings liés, sans doute par un cordage aujourd’hui disparu ; - autre exemple, issu de la nécropole espagnole de Valencia (Garcia Prosper & Guérin 2002, p. 212, fig. 6 tombe 3261) : le corps d’un homme présente un lourd anneau de fer au tibia gauche, ainsi qu’un os coxal de bovidé déposé à ses pieds. Son inhumation en fosse simple est placée dans le quartier réservé aux condamnés, pour la période du début Ier s. au IIIe s. ap. J.-C.

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Sépultures d’esclave ou marque de la servitude

20 Quelques contextes peuvent également être évoqués pour les inhumations pourvues d’entraves de type articulé.

21 À Remedello di Sopra (Lombardie), un ensemble complet d’entraves était encore attaché aux chevilles de l’individu, (Thompson 1993, p. 121, datation du contexte non précisée). À Saint-Vallerin (Saône-et-Loire), un individu inhumé près d’une construction romaine portait une entrave de cheville (Audin & Armand-Calliat 1962, p. 21, fig. 12). Dans une sépulture gallo-romaine de Bavay (Nord), les entraves de chevilles étaient encore attachées aux jambes d’un individu (Thompson 1993, p. 141). La sépulture gallo-romaine découverte à Luxé (Indre-et-Loire), contenait un squelette accroupi dont les bras étaient saisis par une menotte de fer non cadenassée (Audin & Armand-Calliat 1962, p. 21, note 1). Un spécimen d’entrave en contexte funéraire daté du Ve s. ap. J.-C. est signalé à Cimiez (Alpes-Maritimes), (Thompson 1993, p. 141). Enfin, une sépulture collective du IVe s. av. J.-C. découverte à Pydna (Macédoine, Grèce), était composée de 115 individus, dont quatre entravés : par un collier, par une entrave de pieds, par une paire d’entrave de pieds et une chaîne de bras (Triantaphyllou & Bessios, 2005).

22 Les stigmates physiques signeraient aussi le statut social, en dehors du dépôt des objets : sur le site anglais de Icklingham, les corps de trois inhumations romaines portaient des épaississements du radius et de l’ulna, ou du tibia et de la fibula d’une jambe, suggérant des lésions liées à des entraves, sans doute temporaires ou enlevées à la mort de l’individu (Thompson 1993, p. 141).

23 Sans doute de manière plus occasionnelle, l’usage d’entrave peut pallier la nécessité médicale de maîtriser une personne. Cette hypothèse est posée pour une inhumation du IIe s. av. J.-C. du site d’Aulnat-Gandaillat à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Après examen paléopathologique, le sujet décédé vers 14-16 ans pourrait avoir souffert d’épilepsie. Inhumé dans un silo associé à l’habitat, l’individu portait deux entraves en fer aux poignets9.

Conclusion

24 Au regard de la documentation archéologique sur les nécropoles de la fin de l’âge du Fer et en particulier en Gaule méridionale, force est de constater la rareté des exemples de sépultures qui conservent ce marquage social.

25 Les quelques exemples archéologiques évoqués témoignent effectivement d’une volonté d’inhumation, que l’on perçoit par la présence de telles tombes au sein d’une nécropole ou sur le lieu de rattachement de l’individu. L’esclave du Vallon du Fou est quant à elle isolée. Aurait-elle été inhumée sur le lieu de son décès, à proximité d’un sentier fréquenté, même occasionnellement ? Son inhumation ne semble pas cependant répondre au simple souci sanitaire d’évacuation rapide du mort. Le rapport au corps est des plus succincts, mais il respecte le geste habituel d’enfouissement du défunt. Le corps n’est pas jeté mais déposé correctement dans la fosse, allongé sur le dos. De plus, les résidus d’un petit feu mêlés au recouvrement au cours de l’épisode funéraire pourrait revêtir un caractère rituel.

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26 En dépit de ces hypothèses, cette inhumation doit surtout être replacée dans le contexte des pratiques funéraires du milieu culturel local. Si l’on considère les modes funéraires de l’époque de cette sépulture, c’est-à-dire du début IIe s. av. J.-C. au changement d’ère, la pratique même de l’inhumation paraît exceptionnelle dans le contexte indigène local.

27 En effet, le contexte funéraire le plus proche géographiquement et chronologiquement est celui de la nécropole de la Gatasse où est attestée la pratique exclusive de l’incinération, en urne ou en pleine terre. Cette zone funéraire, située à 2,5 km vers le sud, est liée à la population gauloise de l’habitat de Saint-Pierre-lès-Martigues, durant les années 20-10 av. J.-C. à 20-30 ap. J.-C. La pratique de l’inhumation est tout de même attestée sur le territoire de Martigues dès le Ier s. ap. J.-C. avec une sépulture isolée sur le site de l’oppidum lui-même, puis aux IIIe-IVe s. ap. J.-C. dans diverses tombes de la zone du port antique des Laurons. En revanche, la pratique de l’inhumation est répandue dans les nécropoles grecques de la cité marseillaise depuis l’époque archaïque (Moliner et al., 2003).

28 Le cas de cette inhumation dans un milieu rural indigène, de surcroît pour une esclave, soulève donc la question de l’appartenance du défunt à une entité culturelle particulière, question à laquelle l’on ne peut répondre, en l’absence d’autres artefacts associés plus caractéristiques d’une culture matérielle. Cette situation isolée pourrait aussi, à titre d’hypothèse, sous-tendre un caractère de relégation, éloignée de lieu de culte ou de nécropole10. D’autre part, cette problématique renvoie indirectement à la représentativité des modes funéraires observés (nécropole, sépulture isolée et rites particuliers…), par rapport à l’ensemble d’une population. On constate, en particulier en Provence durant tout l’âge du Fer, une disproportion entre l’abondance des sites d’habitat et la rareté voire l’absence complète de nécropoles ou même de sépultures isolées associées.

29 Enfin, la présence de cette esclave dans le Vallon du Fou, renvoie à un lien potentiel avec les sites contemporains les plus proches, pour l’exploitation du territoire (tâches agricoles, domestiques ou autres) ou comme lieu de rattachement (fig. 1). On notera en premier lieu la proximité d’une carrière d’argile située à 600 mètres plus à l’est dans le fond de ce même vallon du Fou, qui daterait du Ier s. av. J.-C. et qui pourrait donc avoir employé notre esclave11. Des carrières de pierres sont également exploitées vers l’ouest sur la plaine Saint-Martin et sur le littoral. L’hypothèse de sa dépendance à un habitat indigène ne doit pas également être exclue, si l’on se réfère à l’esclave du site indigène de la Cloche mentionné plus haut. Elle pourrait en effet avoir travaillé à l’exploitation du bassin agricole, dans la plaine à proximité de l’agglomération de Saint-Pierre-lès- Martigues, à moins de 2 km vers le sud.

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Vokotopoulou 1994, VOKOTOPOULOU J., Anciennes nécropoles de la Chalcidique, in: Nécropoles et sociétés antiques : Grèce, Italie, Languedoc : actes du colloque international du Centre de recherches archéologiques de l’Université de Lille III, Lille, 2-3 décembre 1991, Naples, Centre Jean Bérard, 1994, p. 79-98 (Cahiers du Centre Jean Bérard ; 18).

NOTES

1. Pour les méthodes de l’anthropologie de terrain ainsi que l’examen anthropologique détaillé du squelette mené par S. Tzortzis, voir la publication Duval et al. 2005, 159-160 2. Si l’une des entraves porte l’entaille en biseau, profonde de 4 mm, d’un probable coup de burin, cette tentative de découpe a pu tout aussi bien être pratiquée avant qu’après la pose de l’entrave 3. Il est ainsi dépeint dans l’art classique, tel l’amour ou psyché à la houe (Saglio 1908, p. 1428) 4. Étude inédite de V. Bel (INRAP). La tombe d’esclave est illustrée dans une plaquette d’information INRAP « Archéologie sur l’autoroute A75 : les sites de Valros (Hérault) » 5. Informations inédites aimablement communiquées par V. Bel, Ch. Tardy (INRAP) et J. Hernandez (INRAP), que je remercie chaleureusement. Mesures avant restauration : - Anneau droit : dim. en mm : 106 x 97 x 19 ; Ø int : 75 x 70 ; ép. de la barre : 10 à 17,3 ; poids : 260 g - Anneau gauche : dim. en mm : 100 x 96 x 20 ; Ø int : 70 x 68 ; ép. de la barre : 10,1 à 16,2 ; poids : 255 g 6. Habitat où la plupart des objets peuvent être datés du III e-Ier s. av. J.-C., mais certains remontent d’après leur typologie aux Veet IVe s. av. J.-C. (Kruta 2000, 809) 7. Pour les mentions par Ciceron, Sénèque… pour le domaine agricole chez Varron, Caton, Columelle, Pline, Xenophon… dans le cadre domestique chez Plutarque, dans les carrières et les mines chez Diodore de Sicile…voir les nombreuses références détaillées dans l’article de Beauchet et al. 1904, Saglio 1908 et Dumont 1987. Cette pratique de l’esclave et du servage relèverait davantage de l’utilisation d’une main-d’oeuvre abondante. En revanche, la pose de carcan ou les fers aux pieds et aux mains (compes, manica) sont mentionnés comme appartenant à la série des châtiments ordinaires pouvant être infligés par le maître, comme l’envoi au domaine rural ou aux carrières (Beauchet & Chapot 1904-1908, 1277). Outre cet emploi punitif ou préventif de la fuite, le propriétaire a peu d’intérêt à entraver l’esclave de manière permanente, pour ne pas diminuer sa valeur marchande (Dumont 1987, 175) et sa productivité au travail. Par la lourdeur du dispositif, « l’entrave n’autoriserait qu’une marche lente et pénible et sur une courte distance. Son emploi semble exclu pour un itinéraire de type convoyage, le propriétaire n’ayant aucun intérêt à risquer sa marchandise (blessures, fuite) ou à la faire traîner. » (Daubigney & Guillaumet 1985, 174). L’entrave temporaire à anneaux articulés répondrait davantage à des besoins ponctuels 8. De nombreuses entraves articulées sont mentionnées pour les régions du Doubs et de la Saône (Audin & Armand-Calliat 1962). Elles sont présentes sous la forme de stock pour la pratique de l’asservissement, connue chez les Eduens (Daubigney & Guillaumet 1985, 175). À Sanzeno même sont attestés d’autres types d’entraves articulées (Thompson 1993, 73, 93), comme les entraves de

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cou et des menottes (Nothdurfter 1979). Ainsi, la forme simple a dû coexister avec différents spécimens articulés 9. Étude inédite de F. Blaizot (INRAP) et M. Billard (Univ. Cl. Bernard) ; information aimablement communiquée par F. Blaizot 10. D’autres contextes de relégation pourraient être mis en parallèle, soit que l’inhumation se trouve dans un quartier réservé d’une nécropole, comme pour l’exemple déjà cité de la nécropole de Valence (Garcia Prosper, Guérin 2002), soit encore davantage écartée. Sur ce point, bien que d’époque plus récente (XIXe s.), l’exemple de cimetière d’esclaves de l’époque coloniale en Guadeloupe est intéressant : les sépultures sont localisées dans une zone éloignée des lieux de culte et inhumées avec des pratiques cultuelles propres, sans aucune entrave associée (information P. Courtaud, L.A.P.). En revanche, l’exemple de la nécropole de la Vigne de Bioaux atteste que la tombe d’esclave peut être pleinement associée à l’ensemble funéraire. Excepté les entraves portées par l’individu, ni sa localisation ni sa posture en décubitus ventralne la distingue des autres sépultures, dans une nécropole où les rites de l’inhumation et de la crémation coexistent (information V. Bel) 11. Comme cela semble attesté aux travaux de la mine (Rivière 2004, p. 125), on peut également supposer des activités de service dans une carrière, auxquelles des femmes pouvaient être condamnées

RÉSUMÉS

Une sépulture d’esclave, datée entre le début du IIe s. av. J.-C. et le changement d’ère, a été mise au jour dans un vallon de garrigue, sur la commune de Martigues (Bouches-du-Rhône). Cette inhumation isolée illustre un contexte funéraire singulier, lié au caractère intrinsèque de l’objet sépulcral associé : si les entraves portées par l’individu de son vivant signifiaient un bannissement social, elles témoignent cependant du statut de cette défunte au sein de la collectivité. Cette sépulture permet d’autre part d’aborder la question du sort de la population captive face à la mort, le rapport au corps réservé aux esclaves.

The burial of a slave, dating from between the beginning of the IInd c. B.-C. and the changing of era, has been excavated in a small bushy valley, in the town district of Martigues (Bouches-du- Rhône). This isolated burial illustrates a peculiar funeral context, linked to the intrinsic of the associated sepulchral object : if the fetters worn by the individual while she was still alive meant a social banishment, they yet bear testimony to the status of this defunct within the community. This burial also allows to discuss the fate of the slave population facing death, and the relation with the body peculiar to slaves.

AUTEUR

SANDRINE DUVAL Service Archéologique de Martigues, Mairie de Martigues, B.P. 101, 13692 Martigues Cedex — archeologie @ ville-martigues.fr

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La sépulture paléolithique de l’enfant du Figuier (Ardèche, France) Emboîtement d’une symbolique funéraire

Ludovic Slimak et Hugues Plisson

1 La redécouverte des collections et documents de fouille de Maurice Veyrier autour de la sépulture paléolithique de l’enfant du Figuier en Ardèche permet de retracer l’usage et, peut-être, quelques-unes des fonctions des objets associés à l’une des rares sépultures d’enfant du Paléolithique supérieur ancien connue en Europe occidentale.

L’invention de la sépulture dans le contexte des recherches en Ardèche au milieu du siècle dernier

2 La sépulture de l’enfant du Figuier compte parmi les rares restes humains du Paléolithique supérieur reconnus en moyenne vallée du Rhône. Le contexte de cette découverte est peu précis, à une époque, dans l’immédiat après-guerre (1947), où les méthodes et les objectifs de l’archéologie, en tant que discipline se cherchaient encore. L’archéologie était alors affaire de passionnés et d’érudits qui ne pouvaient globalement compter que sur une forte curiosité et leurs moyens personnels. On n’était pas archéologue ou préhistorien, on faisait de l’archéologie et on fouillait les grottes, sur son temps libre, généralement considéré alors comme du temps perdu dans la société du milieu du XXe siècle. Cette archéologie là était aussi affaire de passionnés, souvent poètes, parfois instituteurs, parfois curés, épisodiquement correspondants d’associations d’antiquaires comme la Société préhistorique française. Tel était le cas de Maurice Veyrier, esprit rigoureux parmi les piocheurs du dimanche des gorges de l’Ardèche. L’équipe du Figuier, fort dynamique, était essentiellement composée à cette époque par les frères Pierre et André Huchard, André Obenich, René Ribeyre et René Gilles et Maurice Veyrier (fig. 1 et 2). Ce dernier, directeur de l’école de Châteauneuf- du-Rhône et correspondant de la SPF, sera le seul (et le premier) à obtenir en 1947 une

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autorisation officielle émanant de la circonscription des Antiquités Préhistoriques de Montpellier, laquelle limite sa contribution à hauteur de quelques litres de carburant (10 litres par mois). Il fallait alors monter en barque pour atteindre la cavité, aucune route ne traversant encore les gorges de l’Ardèche (fig. 3). Cela replace, plus concrètement encore, ces travaux dans le contexte de ce que représentait une « fouille », après-guerre.

1 - Maurice Veyrier, André Obenich, Pierre Huchard

Photographie Maurice Veyrier, 1943

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2 - L’équipe des piocheurs du dimanche à la grotte du Figuier, en 1947

3 - Max Veyrier et Pierre Huchard remontant l’Ardèche vers le Figuier

3 Il n’existe, 60 ans après, d’autre note concernant cette découverte que celle faisant état de son invention dans l’Anthropologie six ans plus tard (Veyrier et al. 1953). Cette note la place dans le cadre de « gros travaux de terrassement destinés à dégager largement l’entrée du couloir et l’accès probable de nouvelles salles ». La sépulture avait été

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protégée des fouilles anciennes – Léopold Chiron et Paul Raymond avaient littéralement vidangé la grotte entre 1878 et 1910 – du fait de sa position au cœur d’un « entassement de blocs énormes ». Ces blocs auraient joué un rôle dans une perte d’information sur le terrain, du fait « d’un léger effondrement qui entraîna une partie des restes mêlés du squelette après dégagement du maxillaire inférieur et du crâne ».

4 D’après cette note, les restes humains ont donc été mis au jour, en mai 1947, à la suite de l’effondrement d’un bloc entraînant la chute d’une partie de la sépulture et de son mobilier. Ce contexte expliquerait le caractère évasif de la note sur la présentation du contexte archéologique de la découverte qui fut pourtant, dès son origine, perçue comme étant de première importance.

La sépulture de l’enfant du Figuier

5 Localisés dans une sorte de fosse naturelle délimitée par des dalles, ces restes humains étaient concentrés sur un espace restreint (35 x 20 cm). Les éléments anthropologiques d’un enfant dont l’âge n’excède pas 3 ans (Billy 1979) sont représentés par : la partie antérieure de la calotte crânienne (fig. 4 A à D), une mandibule incomplète, l’humérus gauche, la partie inférieure de l’humérus droit, l’omoplate droite incomplète, ainsi qu’une dizaine de côtes et fragments (Veyrier et al. 1953, Billy 1979).

4 - Vestiges crâniens de l’enfant. Dessins du docteur Balazuc

6 Ces éléments anthropologiques se trouvaient en association dans cette fosse dite « naturelle » avec deux lames d’une dizaine de centimètres, ainsi qu’une vingtaine de lamelles et petits éclats récupérés à l’aide d’un « criblage à mailles fines ». Enfin, une coquille de mollusque méditerranéen – Pectunculus violaceus L. – compose ce qui est alors considéré par Maurice Veyrier comme des éléments composant un mobilier

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rituel. Le tout était couvert de sédiments, maculés de rouges attribuables à de l’ocre.

7 Les deux lames et cinq éléments lamellaires sont présentés dans la note de 1953 (fig. 5). Les restes humains ont été donnés à l’époque par Maurice Veyrier au Musée de l’Homme, mais le mobilier associé à la sépulture et figuré dans cette note est, à ce jour, égaré. Ce n’est pas le cas de la partie non figurée du mobilier qui fut recueillie par son fils, Max Veyrier, et que nous présentons ici. Cette dernière collection et l’étude de notes de terrain manuscrites originales permettent de restituer les moments de la découverte.

5 - Éléments lithiques associés à la sépulture et publiés en 1953

8 L’analyse met aussi en évidence des « non-dits » qui permettent de comprendre, dans la publication originale, le caractère évasif du contexte de la découverte.

9 Dans ce contexte de dépôt sépulcral, le mobilier associé pourrait avoir été investi d’une signification symbolique particulière, qui nous est accessible par l’analyse technique des objets. Cette éventualité est ici abordée par la mise en évidence, au sein de cette petite collection, d’un instrument exceptionnel en contexte paléolithique (infra).

Redécouverte d’une sépulture paléolithique à la Grotte du Figuier

10 En septembre 1947, Maurice Veyrier, Correspondant du ministère de l’Éducation Nationale adresse à Monsieur Louis, Directeur de la XIe Circonscription des antiquités Préhistoriques de Montpellier un compte rendu manuscrit concernant les fouilles pratiquées à la grotte du Figuier, commune de Saint-Martin-d’Ardèche, à la suite de l’autorisation ministérielle Dom 27-47 en date du 8 mai 1947. L’enfant du Figuier était officiellement déclaré.

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11 Les circonstances particulières de la découverte, évoquées dans ce rapport, signalent malheureusement que « Ces ossements fragmentés n’ont pu être observés en place. Ils sont apparus au cours du sondage, à la suite du glissement du bloc C qu’a provoqué un éboulement… ». Malgré ce bémol, la découverte reste exceptionnelle et de toute première importance à l’échelle de la connaissance de l’homme fossile en Europe au milieu du XXe siècle. Le compte rendu se conclut cependant par avertissement formulé au directeur des Antiquités Préhistoriques : « Nous sommes dans l’obligation d’interrompre ces travaux intéressants (…) je profite de l’occasion qui m’est offerte ici pour décliner toute responsabilité personnelle dans les dégradations et dommages qui ne manqueront pas de se produire à très brève échéance… Maurice Veyrier, le 20 septembre 1947 »

12 La nature de ce commentaire, assez étonnante eu égard au caractère de Maurice Veyrier, ne s’explique que par la découverte d’une des notes de terrain signée de sa main et indiquant à propos de la sépulture du Figuier « - mars 1947- Données comme réalisées en mai 1947 (autorisation du rapport de sept 47) ».

13 Un courrier adressé à Maurice Veyrier clôt définitivement la question :

14 « Mon cher ami (…) Pour la sépulture le seul renseignement sûr : venant de l’entrée vers la paroi ouest j’ai d’abord atteint le crâne puisque ce sont les mâchoires qui m’ont fait voir la sépulture puis l’ensemble des ossements. Je n’ai aucune orientation la couche étant très souple et prise par-dessous puisque je n’avais pas encore crevé la coulée qui scellait le squelette. La position du crâne est le seul renseignement dont je me souvienne très sûrement. »

15 Il faut donc comprendre que Maurice Veyrier n’est pas à proprement parler l’inventeur de la sépulture du Figuier et que la demande auprès de la Circonscription des Antiquités Préhistoriques de Montpellier est, de fait, postérieure à la découverte effective de la sépulture. Cette demande, déposée par Maurice Veyrier vise alors à couvrir légalement l’auteur de la découverte fortuite et offre une existence officielle à la sépulture. Maurice Veyrier s’attachera dans le cadre de son autorisation officielle concernant la Grotte du Figuier à restituer le contexte archéologique au sein duquel s’insère la sépulture.

16 La chronologie des événements peut alors être reconstituée ainsi : - découverte en mars 1947 par un fouilleur non autorisé ; - l’inventeur de la sépulture contacte Maurice Veyrier qui obtient une autorisation ministérielle de fouille en date du 8 mai 1947 ; - la sépulture est déclarée dans le rapport du 20 septembre 1947 ; - Maurice Veyrier couvre le fouilleur amateur mais avertit dans son rapport de septembre les autorités des dangers de destruction des cavités ardéchoises.

Caractérisation du mobilier associé et attribution culturelle

17 Dans leur note parue dans l’Anthropologie (1953), Veyrier, Huchard et Obenich font état à propos du mobilier lithique associé à la fosse d’une vingtaine de lamelles et de deux lames d’une dizaine de centimètres. Cette note figure ces deux derniers éléments et 5 lamelles, comprenant, d’après dessin (fig. 5), deux lamelles de burin et une lamelle à dos. Ces 7 éléments, figurés dans la note n’ont pu être retrouvés, mais la collection

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Veyrier dont l’analyse nous a été confiée par Max, son fils, et qui est l’objet de la présente note, comprend aujourd’hui 14 éléments (fig. 6). Cette collection est constituée de pièces de petites dimensions et de caractère lamellaire, qui semblent bien correspondre au lot initialement décrit d’une « vingtaine de lamelles et ou éclats fins de silex blond ou brun grisâtre » dont ils font état dans la publication de 1953.

6 - Ensemble des pièces de silex conservé depuis la découverte de la sépulture, soumis à l’analyse tracéologique

trait continu = action longitudinale ; trait discontinu = action transversale / matières travaillées : 1, 6, 7 - tendre indéterminée ; 8 - carnée ou cutanée ; 12 - mi-dure indéterminée ; 9 - minérale dure (pyrite ?)

18 Les autres éléments, figurant dans cette note et diagnostiques, selon leurs auteurs, d’un Proto-solutréen (pointes à face plane, pièce foliacée, fig. 7) proviendraient d’un rayon de 50 à 70 cm, dans le sens du pendage. L’analyse des notes de terrain tendant à les replacer dans le niveau sus-jacent (III), recouvrant la sépulture, ces éléments seraient alors soit contemporains soit postérieurs au creusement de la fosse. L’attribution de la sépulture à une phase ancienne du Solutréen correspond à une estimation minimale, celle-ci pouvant potentiellement se rattacher aux occupations antérieures du Paléolithique supérieur reconnues dans la cavité, soit à un Gravettien, soit à un Protoaurignacien.

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7 - Outils non associés directement avec la sépulture et provenant d’un rayon d’une cinquantaine de cm de la fosse, vraisemblablement dans le niveau III scellant cette dernière, publiés en 1953

19 Du point de vue des roches débitées, deux catégories de silicifications peuvent être reconnues dans cet ensemble : des silex d’âge tertiaire, oligocène, et des silex crétacés issus des formations barrémiennes régionales. Ces roches correspondent aux principales exploitations reconnues dans tout le Paléolithique régional, du Moustérien au Paléolithique final. Elles illustrent un approvisionnement local qui ne se différencie en rien de ce qu’il est possible de diagnostiquer dans les ensembles régionaux. La présence sur plusieurs pièces de cortex frais nous renseigne sur l’extraction de blocs dans leurs gîtes, en contexte primaire. Ces différents gîtes sont localisés à une quinzaine de kilomètres de la cavité, pour une part en remontant dans les gorges de l’Ardèche (silex oligocènes du synclinal de Barjac-Issirac) ou, à l’opposé, vers la vallée du Rhône pour les formations crétacées. Deux pièces crétacées proviennent des formations de Maloubret à une petite trentaine de kilomètres, en rive opposée du Rhône.

20 D’un point de vue technique, la série analysée permet d’aborder l’origine chrono- culturelle de la sépulture. La collection dont nous disposons est incomplète, mais aisément restituable, les 7 éléments manquants dans la série Veyrier étant ceux présentés et illustrés en 1953. Parmi les 19 éléments, 10 proviennent effectivement d’un petit débitage lamellaire au sein duquel deux modalités peuvent être mises en évidence, avec la coexistence d’un débitage de type burin (par l’exploitation de la tranche d’un éclat) et d’un débitage sur petit bloc. Les autres éléments peuvent être considérés comme des sous-produits, dont l’origine technique est difficilement restituable (éclat de préparation de crête, (re)configuration des blocs exploités dans le cadre d’un débitage laminaire…).

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21 Ce petit débitage est en soi peu diagnostique, les productions de lamelles à partir de nucléus/burins étant reconnues à travers tout le Paléolithique supérieur, jusque dans des phases anciennes du Moustérien, sinon de l’Acheuléen. Les lamelles à dos ancrent évidemment cet ensemble dans le Paléolithique supérieur, sans autre précision. L’un des petits éclats constituant cet ensemble est peut-être plus pertinent quant au calage techno-culturel de la sépulture. Il s’agit d’un petit éclat présentant un talon finement facetté, vraisemblablement à l’aide d’une roche tendre, puis extrait à l’aide d’une percussion minérale (dure ?). Cette catégorie de petits supports à talon finement facetté, présentant une angulation proche de 90° est peu commune dans les industries régionales du Paléolithique supérieur. Deux ensembles techniques peuvent classiquement produire ce type d’objet dans le contexte considéré : le Néronien, reconnu dans cette cavité, et certains ensembles du Solutréen ardéchois. Aucun élément diagnostique du Néronien ne compose la série : absence de pointes et micro- pointes, absence de retouches produites par pression et sur face plane. Inversement, la présence de lamelles à dos, ainsi que la proximité stratigraphique de pointes à face plane et d’une feuille de laurier, iraient dans le sens d’une attribution de cette sépulture à une forme du Solutréen. Sans être affirmatif, relevons que la sépulture de l’enfant du Figuier livre un élément technique particulièrement rare régionalement en dehors de la sphère technique du solutréen.

22 Cette série amène d’autres réflexions. On relève immédiatement une faible représentation des produits finis ou d’objets plus fortement investis d’un point de vue technique. À première vue, ce mobilier funéraire peut apparaître comme « quantité négligeable » À une poignée de déchets techniques de petites dimensions ne s’ajoutent que 2 lamelles à dos et un grattoir sur une belle lame régulière. Lors de sa reprise des fouilles, Maurice Veyrier a passé au crible l’ensemble des sédiments provenant de la fosse et des sédiments directement environnants. Les 21 pièces lithiques recensées et l’unique coquillage semblent donc bien correspondre à l’intégralité du mobilier non périssable qui fut associé à la sépulture. Deux lames accompagnent ainsi 19 éléments qui se démarquent avant tout par des critères négatifs et l’absence d’homogénéité technique : déchets, amorces (deux lamelles de burin de première génération), sous- produits (éclats corticaux), produits finis (sous la forme de deux lamelles à dos), qui ne donnent à première vue, aucune unité à cet ensemble funéraire.

Diagnostic tracéologique

23 La part des pièces de silex ramassées dans le remplissage de la sépulture qui nous est parvenue a été soumise à une analyse tracéologique à faible et fort grossissement optique selon le protocole en usage dans la discipline depuis sa définition par S.A. Semenov.

24 L’analyse fut d’autant plus facile que ces produits, de petites dimensions, pour la plupart non retouchés, étaient en parfait état de conservation, tant macroscopiquement que microscopiquement, ne montrant guère de signe d’altération mécanique ni chimique (fig. 8), ce qui n’est pas si fréquent pour du matériel paléolithique, a fortiori provenant d’un remplissage de grotte. Cette observation suggère la bonne intégrité de l’unité archéologique dont elles proviennent.

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8 - Détail macroscopique (a) et microscopique (b) de l’état de conservation d’un tranchant vif inutilisé (bord droit lamelle 5)

25 Sur la base d’indices macroscopiques (ébréchures et émoussés), plus particulièrement indicatifs de la cinématique de l’objet, qui sont rapides à se développer sur des bords aussi vifs et graciles que ceux des pièces examinées, ainsi que sur la base d’indices microscopiques (stries, polis), plus lents à apparaître mais révélateurs en outre des matières d’œuvre, 5 spécimens ressortent de cet examen comme ayant servi et peut être un autre dont les caractères sont plus ambigus, soit un maximum de 6 pièces sur 14. Ceci constitue un taux relativement faible pour un assortiment de pièces sélectionnées non par le hasard de la découverte archéologique mais par ceux qui formèrent le lot. L’intention qui présida au dépôt transparaît aussi probablement dans le caractère des pièces retenues, presque toutes graciles, toutes de petites dimensions, entre 2,2 et 4,2 cm, mais pour moitié d’entre elles plus ou moins amputées par une cassure distale et/ou proximale, ceci étant particulièrement flagrant avec le fragment mésial du seul élément massif (une large lame semi-corticale), dont l’appartenance au lot pourrait cependant être mise en doute du fait d’une légère patine contrastant avec la fraîcheur des autres pièces, à moins qu’il n’ait été collecté déjà patiné. Deux éléments seulement sont retouchés : une lamelle à dos, et une lame sur ses deux bords. Quant aux autres, à l’exception du tronçon de lame massive, il ne s’agit au mieux, comme nous l’avons vu, que d’éclats laminaires ou lamellaires, tirés de variétés de silex d’approvisionnement local.

26 L’usure dominante, sur les 6 pièces remarquées tracéologiquement, est relative à une coupe brève de matière tendre (fig. 9 à 11), carnée ou cutanée dans un cas (fig. 12) : elle concerne 1 petit éclat (fig. 6 : 1) et 3 éclats lamellaires (fig. 6 : 6, 7, 8) et n’affecte qu’un de leur côté, gauche ou droit. Leur relative discrétion trahit une durée d’usage assez courte. La quatrième pièce susceptible d’avoir été utilisée est un mésial d’éclat laminaire (fig. 6 : 12) dont le bord gauche présente des ébréchures attribuables à un

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bref raclage de matière moyennement dure (bois, corne, etc.). Il s’agit de pièces relativement quelconques, dont la forme ne permet pas de présupposer de fonction particulière et qui, dans ce sens, pourraient être qualifiées d’amorphes. En revanche, la lamelle à dos (fig. 6 : 4), qui appartient au type fonctionnel des armatures latérales tranchantes de projectile, est ici vierge de tout indice d’usage ; faut-il y voir un signifiant (mort prématurée, au sens propre) ?

9 - Détail des ébréchures de découpe de matière tendre sur le bord droit de l’éclat 1

Grossissement au microscope épiscopique 25x

10 - Détail des ébréchures de découpe de matière tendre sur le bord gauche de l’éclat lamellaire 6

Grossissement au microscope épiscopique 25x

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11 - Détail des ébréchures de découpe de matière tendre sur le bord droit de l’éclat lamellaire 7

Grossissement au microscope épiscopique 25x

12 - Détail du poli de découpe de matière carnée ou cutanée tendre sur le bord gauche de l’éclat lamellaire 8

Grossissement au microscope épiscopique 200x

27 L’objet le plus intéressant de la série est assurément l’élément laminaire aux bords retouchés (fig. 6 : 9), dont l’extrémité distale est macroscopiquement émoussée (fig. 13). Cet émoussé résulte d’un contact tangentiel au grand de la pièce, que trahissent à la fois l’orientation des stries, la forme de l’émoussé et la superposition d’une multitude

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de micro-cônes incipients révélateurs de la nature minérale du matériau percuté. Si l’on considère que des particules brun-rouges sont coincées sous les surplombs d’enlèvement écailleux, mais ne s’observent sur aucune des autres pièces de la série (donc ne peuvent résulter d’une simple pollution sédimentaire), nous avons là une convergence forte d’indices pour interpréter cet élément laminaire comme un briquet (Colin et al. 1991) de surcroît bien utilisé à en juger par le degré d’émoussement et les traces marquées de manipulation sur toute sa surface.

28 13 - Détail macroscopique de l’apex émoussé de la lame retouchée 9, caractéristique d’un usage en briquet

Grossissement au microscope épiscopique 25x

Surcroît de sens

29 En dehors des aspects relevant de l’histoire des recherches dans la cavité, l’examen des documents anciens et de la collection privée de Maurice Veyrier permet de souligner différents points intéressant notre propos. Nous avons affaire à une étude de cas relative à un type de site du Paléolithique supérieur exceptionnel non seulement par sa dimension symbolique, mais aussi par la rareté de ses occurrences archéologiques et plus encore de la documentation disponible. Toute information est donc précieuse.

30 Les pièces de silex, comme l’ensemble des éléments issus de cette fosse, objets de pierre, coquillage et restes humains compris, étaient colorées par le même sédiment rougeâtre imprégné de poudre d’ocre. Cette teinte marquait ainsi la proximité immédiate de l’enfant et des objets déposés dans sa fosse sépulcrale.

31 La petite série associée à cette sépulture de très jeune enfant se démarque des assemblages de sites d’habitat ou d’activité économique par la présence d’objets dont l’origine est totalement hétérogène. La majorité de ces objets n’est investie d’aucun soin technique particulier ; au contraire, les éléments que nous considérerons comme des déchets techniques constituent le cœur de l’ensemble. Cela inclut des sous-produits cassés ou littéralement fragmentés. Pourtant l’analyse microscopique de leurs surfaces

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montre qu’ils n’ont pas eu à souffrir de concassages, ni de compactions, phénomènes courants dans des ensembles archéologiques en grotte de cet âge. On notera d’ailleurs que chaque élément est unique : aucun raccord ne peut être établi entre les éléments fragmentés qui proviennent de différents débitages, ce qui corrobore la diversité des roches en présence. Il faut donc conclure que la fracturation des pièces ne se produisit pas au sein de la fosse où elles furent retrouvées, mais qu’elles furent déposées ainsi, sous cet état, auprès de la dépouille de l’enfant. Finalement, ce que nous percevions comme hétérogène, sous le seul angle de la chaîne opératoire de débitage, montre une indéniable unité à la fois par la petite dimension des objets, entiers ou fragmentés, et leur faible valeur tant technique que fonctionnelle, à l’exception de deux produits : la lamelle à dos (à l’origine deux) et le briquet.

32 La découverte de celui-ci est intéressante à deux titres, d’une part en raison de la rareté du nombre de spécimens connus dans le Paléolithique (Stapert, 1999 ; Johansen et al. 2002-2003) et d’autre part en raison du contexte ici concerné, celui d’une sépulture. Cette rareté, conjuguée à la dimension symbolique du dépôt (dont le caractère semble difficilement réductible à la simple élimination hygiénique d’un cadavre) et au caractère singulier de cet instrument - le seul dans la panoplie préhistorique qui soit générateur d’énergie et rende accessible à l’Homme la production de l’un des quatre éléments -, n’est certainement pas dénuée de signification. Il est tentant d’y voir une réponse antagoniste à la mort.

33 Néanmoins, les autres pièces ne semblent pas non plus dépourvues de sens, pour autant que l’on puisse leur en donner un à partir d’un point d’observation aussi éloigné que le nôtre. Leur facture relativement peu investie, leur gracilité et leur absence ou leur courte durée d’utilisation, qui tranchent avec les caractéristiques du briquet, ainsi qu’avec celles présumées des deux lames mentionnées dans la publication (Veyrier et al. 1953) (fig. 5), évoquent davantage une dînette qu’une trousse à outils fonctionnelle. Ceci n’est pas sans rappeler les observations faites sur la parure du très jeune enfant (2 à 4 ans) de la Madeleine (Vanhaeren & D’Errico 2001), dont la taille réduite des éléments, distincte des parures d’adultes, laissait supposer un traitement propre à l’enfance, mais à partir d’attributs de même qualité que ceux des adultes. Toutefois, les traces de port des perles composant cette parure, cousues sur un habit, ne la distinguaient pas comme un équipement spécifiquement mortuaire (bien que l’on puisse s’interroger sur la rapidité d’une telle usure, a fortiori sur un vêtement qui ne couvrit probablement pas les deux à quatre années de la vie de l’enfant depuis sa naissance). Au Figuier nous observons l’association d’un assortiment à dimension probablement enfantine, peu fonctionnel et constitué pour la circonstance, avec un véritable instrument, dans les différents sens du terme, significativement utilisé et dans un registre d’usage qui ne paraît rien devoir à l’enfance (sans oublier non plus les deux lames signalées dans la publication de 1953). Peut-être avons-nous l’emboîtement d’une symbolique funéraire générale relative au groupe culturel de l’inhumé (nature du viatique, dont un instrument lié à la production de lumière), et d’un code inhérent à son statut social, propre à son très jeune âge (« dînette ») et à son sexe (armatures de projectile) ?

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BIBLIOGRAPHIE

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Collin et al. 1991, COLLIN F., MATTART D., PIRNAY L., SPECKENS J., L’obtention du feu par percussion : approche expérimentale et tracéologique, Les Chercheurs de la Wallonie, Flemalle- Haute, 31, 1991, p. 19-49.

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Stapert & Johansen 1999, STAPERT D., JOHANSEN L., Flint and pyrite : making fire in the , Antiquity, 73, 282, 1999, p. 765-777.

Vanhaeren & D’Errico 2001, VANHAEREN M., D’ERRICO F., La parure de l’enfant de La Madeleine (fouilles Peyrony) : un nouveau regard sur l’enfance au Paléolithique supérieur, Paléo, Les Eyzies de Tayac, 13, 2001, p. 201-240.

Veyrier et al. 1953, VEYRIER M., HUCHARD P., OBENICH A., La sépulture paléolithique de la grotte du Figuier à Saint-Martin d’Ardèche (Ardèche), L’Anthropologie (Paris), Paris, 57, 1953, p. 495-503.

RÉSUMÉS

L’inhumation de l’enfant du Figuier compte non seulement parmi les trop rares sources de restes humains de la moyenne vallée du Rhône au Paléolithique supérieur, mais plus encore, à une échelle plus large, parmi le tout petit nombre de sépultures connues dans la première moitié du Paléolithique supérieur. Elle fut fouillée par Maurice Veyrier en 1947 et succinctement publiée en 1953. Les analyses technologiques et tracéologiques des pièces de silex trouvées dans la sépulture, croisées avec les données de la documentation personnelle de Maurice Veyrier, révèlent la combinaison d’éléments opposés qui pourraient être liés d’un côté au symbolisme funéraire et de l’autre à l’identité social du défunt.

The child burial of the Figuier provides not only one of the very few human specimens known in the Rhône valley for the whole Upper Paleolithic, but moreover, at a larger scale, a rare example of grave for the early Upper Paleolithic. It has been excavated by Maurice Veyrier in 1947 and briefly published in 1953. A technological and traceological analysis of the lithic assemblage found in the grave, crossed with the data from the personal documentation of Maurice Veyrier, shows the combination of opposite elements which could be linked on one side to the funerary symbolism and on the other side to the social identity of the decedent.

AUTEURS

LUDOVIC SLIMAK CNRS - UMR 5608 TRACES, 5 allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9 — slimak@univ- tlse2.fr

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HUGUES PLISSON CNRS - UMR 6636 LAMPEA, 5 rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence cedex 2 — [email protected]

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La parure funéraire de la nécropole néolithique d’al-Buhais 18 (Émirats Arabes Unis)

Roland de Beauclair

Introduction

1 Le site néolithique d’al-Buhais 18 se trouve aux Émirats Arabes Unis, sur la péninsule d’Oman, à environ 60 km du golfe persique et de l’océan Indien. Il se situe au piémont du Jebel al-Buhais, près d’al-Madam dans l’Émirat de Sharjah. Le Jebel al-Buhais fait partie d’une chaîne de collines qui sépare le désert sableux à l’ouest d’une grande plaine alluviale et les montagnes d’Oman à l’est. Le site est composé d’un cimetière et d’une aire de campement. Il a été découvert en 1995 par le Sharjah Directorate of Antiquities sous la direction de S. Jasim. Entre 1996 et 2005, des fouilles ont eu lieu sous la direction de H.-P. et M. Uerpmann dans le cadre d’un projet commun du Directorate of Antiquities et de l’Université de Tübingen, Allemagne (Jasim 2006).

2 Les datations au carbone 14 indiquent que le site a été visité entre 5200 et 4000 ans avant Jésus-Christ. Selon ces dates, la fin de l’occupation du site correspondrait à la fin de la période humide de l’Holocène ancien (Uerpmann 2003).

3 Le site consiste en plusieurs aires d’activité. Au centre, se trouve le cimetière qui n’occupe que 12 mètres sur 15 environ, mais qui contient plus de 420 individus inhumés (Kiesewetter 2006). À côté d’inhumations simples et multiples, on trouve aussi des inhumations primaires et secondaires. Les inhumations primaires sont souvent en position fléchie, alors que les inhumations secondaires se composent soit d’un tas d’os longs avec le crâne, ou du crâne seul. Il ne fait aucun doute que la décomposition du corps a eu lieu avant l’inhumation à al-Buhais 18.

4 À côté du cimetière, se trouvent un amas de roches calcaires contenant aussi des pierres taillées et une grande quantité d’os d’animaux. Comme une partie des roches

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montre des signes de chauffe, cette aire est peut-être liée à la préparation de nourriture.

5 Tout autour de la nécropole, nous avons trouvé des foyers, ce que nous avons interprété comme étant l’aire de campement proprement dite.

6 La dernière structure importante est une ancienne source sur la pente de la colline, à quelques pas en haut du cimetière. Les datations Uranium/Thorium de la calcite n’ont pas produit de résultats satisfaisants, mais, néanmoins, il est très probable que la source ait été active pendant l’occupation du site. L’assèchement de la source aurait, pour sa part, causé l’abandon du site vers la fin du Ve millénaire avant J.-C.

7 Le site est interprété comme un lieu central pour une population de bergers itinérants, un lieu qui a été visité d’une façon saisonnière pendant plusieurs siècles (Jasim et al. 2005 ; Uerpmann et al. 2006 ; Uerpmann & Uerpmann 2000 ; Uerpmann et al. 2000). Les gens venaient au Jebel al-Buhais au printemps pour nourrir leurs troupeaux de mouton, de chèvre et de bœuf, pour y enterrer leurs morts et peut-être pour célébrer des rassemblements de clan. Nous émettons l’hypothèse que la saison estivale était passée dans les montagnes plus fraîches d’Oman, tandis que l’hiver était peut-être le temps de fréquenter les côtes, d’exploiter les ressources marines et de s’approvisionner en coquillages. Un nombre d’amas coquilliers témoigne de cette présence maritime de groupes néolithiques.

Les objets

8 En tout, plus de 24 000 objets de parure ont été mis au jour au Jebel al-Buhais 18 (de Beauclair et al. 2006 ; de Beauclair 2005 ; Kiesewetter et al. 2000). Ils peuvent être répartis comme coquillages perforés, perles, et autres objets ornementaux.

Les coquillages perforés

9 La liste de taxons de mollusques (tabl. 1) montre que les gastéropodes sont dominants. Les espèces principales sont Ancilla cf. farsiana, Engina mendicaria, Polinices mammilla, Anachis fauroti, une espèce de la famille des Marginellidae, et Planaxis niger. Les bivalves sont représentés par quelques Vénéridés. Il vaut aussi de mentionner un nombre important de perles fines.

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Tableau 1 - Liste des objets de parure du Jebel al-Buhais 18

10 Ce qui est remarquable, c’est que la sélection des éléments de parure se soit concentrée sur un petit nombre d’espèces. Ancilla constitue à elle seule trois quarts de tous les coquillages. Il faut aussi noter l’absence de Dentalium, espèce que l’on trouve sur beaucoup de sites de la même époque.

11 Outre cette préférence pour certaines espèces, on voit aussi une nette préférence pour certaines dimensions. Pour preuve, Ancilla et Engina produisent des distributions de longueur avec deux maximums (fig. 1). Ces deux groupes ont été portés de façons différentes par les préhistoriques.

1 - Distribution de longueur d’Ancilla cf. farsiana (en mm)

12 Finalement, à quelques exceptions près, tous les coquillages sont perforés. La position et la technique de perforation sont formalisées pour chaque espèce. Par exemple, Ancilla est presque toujours perforée en coupant l’apex, alors que la perforation des

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Polinices a lieu sur la partie plate du corps et est exécutée en technique de piquetage. En somme, nous avons affaire à une production relativement formalisée.

Les perles

13 Parmi les perles façonnées, aussi, il n’y a qu’un nombre restreint de types qui soit important (tabl. 1) : - avec plus de 16 000 exemplaires, les perles discoïdes sont les plus nombreuses. Leur diamètre varie de 1,7 à 18,2 mm, mais des diamètres de 3 à 5 mm sont les plus communs. Les perles sont produites à partir d’un test de coquille de couleur blanche et orange, provenant vraisemblablement de Spondylus marisrubi. Ces perles discoïdes constituent 2/3 de tous les objets de parure ; - les perles tubulaires sont aussi fréquentes, avec plus de 2000 objets. Deux matériaux différents ont été utilisés : un test de coquille blanc (espèce inconnue), et une variété de stéatite gris-foncé. Les perles de ces deux matériaux sont présentes en nombre égal. Leur longueur peut atteindre jusqu’à 31,6 mm. Le diamètre de la perforation est toujours inférieur à 3 mm, et encore moindre au centre des objets ; - les perles en forme de tonneau possèdent un diamètre assez important. Elles sont faites de matériaux divers, mais presque toujours de couleur claire ; - les perles ovales en coquille ou en calcaire sont moins fréquentes, mais elles sont intéressantes par le fait que, à l’exception de deux pièces, elles ne sont pas perforées complètement. On y observe seulement deux dépressions aux extrémités, ce qui semble indiquer qu’il s’agit de produits semi-finis. Cependant, elles ont été trouvées en contexte funéraire dans des positions qui démontrent un emploi comme boucles d’oreille et comme décoration de la lèvre supérieure ; - les autres formes sont moins fréquentes. Elles ne correspondent généralement pas à un type bien défini et n’ont pas fait l’objet d’un grand soin d’exécution. Apparemment, c’est la mise en valeur du matériau, tel que la cornaline, qui primait.

Autres objets ornementaux

14 Outre les objets mentionnés, un petit nombre de pendentifs a été mis au jour. Plusieurs sont réalisés en nacre et ont une forme de feuille de laurier, même si certains exemplaires sont en coquille de Conus et en stéatite.

15 En ce qui concerne les autres objets sépulcraux, il n’en existe que très peu. Le silex taillé est abondant, mais il est presque impossible de vérifier si le contexte sépulcral est intentionnel ou accidentel. En outre, on note deux haches polies et une aiguille en os.

Questions spatiales

16 Dans une deuxième étape de l’étude, les objets de parure peuvent servir à l’analyse des relations spatiales de la population du Jebel al-Buhais 18. Ceci constitue, à nos yeux, un bon exemple pour l’utilisation d’informations non-intentionnelles. Il nous faut pour ce faire tenir compte de trois points : la provenance des matériaux ; la recherche des lieux de production ; et bien sûr, la comparaison stylistique des objets.

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17 Dans l’ensemble, il est évident que ce groupe a entretenu un contact intensif avec les côtes, ou bien qu’il les a fréquentées régulièrement. Mais il est souhaitable d’être plus précis.

La provenance des matériaux

18 Malheureusement, les matières minérales posent des difficultés. La stéatite, la calcite et la cornaline existent toutes dans la région. L’identification des matériaux a été faite à l’œil nu. Cependant, même avec des analyses précises des éléments-traces, il est difficile d’identifier un signal caractéristique pour une certaine source de stéatite, dans la mesure où les sources sont nombreuses et la composition chimique de la stéatite peut varier beaucoup même dans un seul endroit. Cette approche nécessite encore des études additionnelles pour la région (voir Magee et al. 2005). La cornaline, aussi, comme le silex en général, ne produit pas de régularités spatiales de composition.

19 Les coquillages marins sont plus utiles pour le moment : la plupart des espèces utilisées existent dans le golfe persique et dans l’océan Indien, mais il est intéressant de noter la présence d’Engina mendicaria et de Planaxis niger, espèces qui, selon nos informations, ne vivent pas dans le golfe persique (Bosch & Bosch 1989, p. 62 ; Bosch et al. 1995, p. 50 ; Charpentier et al. 1997, p. 108). On peut dès lors constater que les nomades fréquentaient la côte omanaise – sans pouvoir nier qu’ils visitaient peut-être aussi les côtes du Golfe.

La technique de production

20 Pour la plupart des objets, la production n’est pas compliquée et les outils nécessaires ne sont pas très spécifiques. Néanmoins, les perles tubulaires longues, perforées aux deux extrémités, exigent un perçoir fin d’au moins 16 mm de longueur, avec un diamètre de moins de 2,8 mm à la base. Or, sur le site d’al-Buhais 18, on ne trouve ni de perçoir fin ni de déchet de production, bref, aucun atelier de parure. Où les perles ont- elles donc été produites ?

21 Sur plusieurs sites de la région du golfe persique – Abu Khamis (Masry 1997, p. 87-90), H3 As-Sabiyah (Carter et al. 1999 ; Carter 2002, p. 16) et DA-11 Dalma (Shepherd Popescu 2003, p. 51 ; Flavin & Shepherd 1994, p. 126, 128) – des perçoirs ont été découverts. Mais ils ne sont jamais assez fins pour que l’on puisse les lier aux perles tubulaires du Jebel al- Buhais. Cela est aussi le cas pour les perçoirs du Wadi Shab 1 GAS en Oman (Tosi & Usai 2003). Les seuls outils convenables connus dans la région au sens large sont en jaspe, datent du IVe millénaire av. J.-C. et proviennent d’Iran (Shahdad, Shar-i-Soktha), où sont attestés d’importants centres de production de perles (Lamberg-Karlovsky & Tosi 1973, p. 27 et fig. 50 ; Piperno 1973 ; Salvatori & Vidale 1982). Nous ignorons si ces perçoirs existaient déjà au Ve millénaire, mais il est en tout cas prometteur d’approfondir cette relation potentielle entre l’Arabie et l’Iran.

22 Pourtant, avant de postuler un commerce en bijoux entre l’Arabie et l’Iran au Ve millénaire, il faut envisager que l’absence de perçoirs longs en Arabie du sud-est pourrait aussi s’expliquer par une autre technique de production. Notamment, les perforations pourraient avoir été effectuées avec du bois dur – par exemple une épine d’acacia - et un agent de polissage tel que du sable. Des expérimentations sont nécessaires pour vérifier cette hypothèse. Mais en tout cas, il faut encore expliquer

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l’absence de déchets de production. À présent, une production locale ne semble pas probable.

La typologie

23 Finalement, nous avons cherché des liens stylistiques pour les perles utilisées au Jebel al-Buhais. Mais les sites datés du Ve millénaire avec des objets de parure sont rares. Certaines similarités existent avec des sites contemporains et plus jeunes de la côte d’Oman – Gorbat al-Mahar/Suwayh 1 (Charpentier et al. 2003) et Ra’s al-Hamra 5 (Coppa et al. 1985 ; Salvatori 1996). À l’inverse, peu de similarités existent avec un site contemporain sur la côte du golfe persique, Umm al-Qaiwain 2 (Phillips 2002).

24 En conclusion, ces informations indiquent que la population du Jebel al-Buhais était plutôt orientée vers l’Oman que vers le golfe persique.

Comment les objets de parure ont-ils été portés ?

25 La situation au Jebel al-Buhais permet d’analyser la manière dont les objets de parure ont été portés par les morts parce qu’environ 70 % des objets ont été trouvés dans un contexte sépulcral sûr, presque exclusivement liés à des inhumations primaires.

26 Premièrement, nous avons identifié les différents types d’ensembles de parure qui ont été utilisés régulièrement. Quelques exemples sont présentés ici : - les décorations de la tête sont très nombreuses, soit comme une sorte de casquette, soit comme ruban (fig. 2). Apparemment, deux choix d’objets étaient acceptés : d’un côté une combinaison de perles discoïdes et tubulaires, de l’autre côté des coquillages du genre Ancilla ;

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2 - Décoration de la tête en forme de ruban (Ancilla cf. farsiana et perles discoïdes ; individu KJ)

27 - huit boucles d’oreille ont été découvertes, toutes avec des perles semi-perforées ; - il y avait aussi huit décorations de la face, c’est-à-dire des perles uniques entre le nez et la lèvre supérieure. Une partie d’entre elles porte des perforations incomplètes. On est en droit de se demander comment ces perles étaient fixées, même s’il est pensable que le sertissage, probablement fait d’un matériau organique, n’a laissé aucune trace ; - dans 32 cas, un collier a été identifié. Les perles tubulaires y sont les objets les plus importants, utilisés dans un motif de noir et blanc. Les perles en forme de tonneau sont aussi fréquentes (fig. 3) ;

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3 - Collier (perles en forme de tonneau ; individu BX)

28 - en ce qui concerne les pendentifs, la position anatomique indique qu’ils ont été portés autour du cou ; - la région du bassin a été décorée fréquemment. Dans plusieurs cas, des lignes parallèles soigneusement réalisées sont apparentes (fig. 4). Il s’agit sûrement de perles cousues sur les vêtements ;

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4 - Décoration de la région du bassin (perles tubulaires ; individu KV)

29 - finalement, les bracelets sont importants. Il y en a 28 sur 21 individus. Trois styles différents ont été identifiés : des bracelets en perles tubulaires, en perles discoïdes, en coquilles d’Ancilla.

30 Plusieurs observations générales sont possibles. Chaque ensemble de parure consiste en un choix limité de types d’objet. On n’a pas mélangé tous les types. En plus, certains types étaient réservés pour certaines parties anatomiques – par exemple les perles fines et les perles en cornaline sont liées à la tête. Pour certaines parties anatomiques, le code culturel permettait le choix entre l’usage de coquillages percés ou de perles tubulaires. Nous ignorons la signification de ce dualisme et de ces règles en général.

31 La deuxième étape d’analyse a été la reconstruction de combinaisons typiques d’ensembles ornementaux. Mais l’analyse statistique à l’aide de tableaux de contingence a démontré que presque toutes les combinaisons étaient acceptées. C’est un résultat surprenant si l’on considère l’existence de règles assez strictes en ce qui concerne les types d’objets qui pouvaient être utilisés dans un certain ensemble de parure.

32 Nous avons eu plus de chance en ce qui concerne l’usage de la parure pour différents groupes de la population. Les différences de sexe ne sont pas marquées. Les décorations faciales constituent à cet égard une des rares exceptions. Elles sont plus fréquentes parmi les femmes, et les perles des femmes sont toujours perforées et faites de cornaline ou de perle fine. Les perles des hommes sont du type semi-perforé, ce qui implique un mode de sertissage différent.

33 L’âge constituait une distinction plus importante que le sexe. Les inhumations d’enfants sont aussi riches que ceux des adolescents ou des adultes. Les individus âgés, cependant, sont décorés pauvrement (fig. 5, 6). Les différences d’âge se reflètent aussi dans les types d’objets utilisés. Par exemple, les enfants portent de préférence des

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perles discoïdes ou tubulaires, les coquillages ne constituant que 2 % de tous les objets de parure trouvés, alors que le taux de coquillages percés monte à 80 % parmi les personnes âgées.

5 - Fréquence d’inhumations décorées par classe d’âge

6 - Quantité moyenne d’objets de parure par individu par classe d’âge

La parure pour les morts. Et les vivants ?

34 Avant de tenter une interprétation de la fonction rituelle de la parure au Jebel al- Buhais, il est utile de différencier l’usage de la parure parmi les morts de celui fait par

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les membres vivants de la communauté préhistorique. Plusieurs approches sont possibles pour éclaircir cette question, basées sur les hypothèses suivantes.

Première hypothèse : les enterrements « typiques »

35 Cette hypothèse est basée sur l’observation qu’il y avait des règles culturelles concernant la position du corps dans la sépulture. Par exemple, la plupart des inhumations sont placées sur le côté droit. Une autre règle prescrit l’orientation de la tête vers l’est. Ces inhumations sont appelées « typiques ». Mais les règles ne sont pas strictes. Il y a aussi des inhumations « atypiques », qui ne sont pas conformes à ces règles. Ici, nous présumons qu’une inhumation atypique est le résultat d’un certain laisser-faire en ce qui concerne les rites funéraires, et non le résultat d’une règle spéciale mais inconnue. Alors, on peut formuler l’hypothèse : si les inhumations atypiques possèdent un nombre plus restreint d’objets de parure que les inhumations typiques, cela indique que la présence de parures dans les tombes est déterminée par les rites funéraires, et non par l’usage quotidien.

36 Or, l’analyse de la fréquence des objets de parure dans les inhumations typiques et atypiques n’a pas révélé un traitement différent de ces deux catégories. Cela peut signifier deux choses : soit les inhumations nommées « atypiques » en fait ne sont pas atypiques, mais le résultat d’une règle spéciale et témoignent d’un soin funéraire comparable aux inhumations typiques, soit la quantité d’objets de parure dans les tombes n’est pas déterminée par les rites funéraires mais par un autre facteur, qui est relié au monde des vivants.

Deuxième hypothèse : la position anatomique de la parure

37 Si la parure est utilisée exclusivement au cours des rites funéraires, les objets peuvent être placés n’importe où sur le corps du défunt. Inversement : si les objets de parure sont placés tous dans des endroits raisonnables pour les porter dans la vie, il est très probable que, en fait, ils étaient utilisés pendant la vie, et qu’il ne s’agit pas d’objets propres et exclusifs aux rites funéraires.

38 Dans presque tous les cas, la parure est placée comme pour des vivants. En ce qui concerne les perles semi-perforées, nous avons montré plus haut qu’il faut les considérer comme « portables ». La seule exception est l’individu UJ, une inhumation secondaire : là, un fil de perles a été roulé plusieurs fois autour de la clavicule (fig. 7). Dans ce cas, évidemment, l’usage de la parure doit être lié directement aux rites funéraires. Mais il ne faut pas surévaluer cette observation singulière. Donc la position anatomique de la parure indique qu’elle était portée pendant la vie et non seulement par les morts.

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7 - Fil de perles autour de la clavicule de l’individu UJ

Troisième hypothèse : les traces d’utilisation

39 Si les objets de parure sont portés dans la vie quotidienne, des traces d’utilisation doivent être visibles. Une analyse tracéologique n’était pas possible dans le cadre de ce travail, mais on peut noter deux observations : - une partie des perles tubulaires en serpentinite (87 objets) porte des ébréchures et polissage aux extrémités qui pourraient être le résultat de collisions de perles portées sur un fil, et indiquant un temps d’usage prolongé (fig. 8) ;

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8 - Perles tubulaires avec ébréchures (No. 53767)

40 - deuxièmement, parmi les perles discoïdes, il y a des pièces avec des traces d’ocre sous forme de bande (18 objets), interprétées comme des traces d’un fil coloré utilisé pour coudre les perles au vêtement (fig. 9).

9 - Perles discoïdes avec traces d’ocre (No. 75167)

41 Ces observations ne concernent qu’une très petite partie des objets, mais ils indiquent qu’au moins quelques objets de parure ont été portés de façon quotidienne.

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Quatrième hypothèse : l’aire de campement

42 Le fait heureux que nous ne connaissions pas seulement le cimetière, mais aussi des foyers domestiques, donc une aire de campement des nomades néolithiques du Jebel al- Buhais 18 qui a, elle aussi, livré des objets ornementaux, se prête à une dernière hypothèse. Comme il n’y a pas d’atelier de parures et aucune autre concentration importante d’objets de parure à l’extérieur du cimetière, ces trouvailles doivent être des objets perdus ou cassés. Conséquemment, si les perles découvertes sur l’aire de campement sont liées aux rites funéraires, la fréquence des types devrait être similaire à celle des objets dans les tombes. Sinon, les perles témoigneraient d’une utilisation différente, utilisation liée à la vie séculaire, quotidienne.

43 Au total, 1152 objets ont été découverts à l’extérieur du cimetière, soit 4,7 %. Ce chiffre est très petit, en regard du fait que le site a dû être fréquenté pendant des siècles. Cela pourrait indiquer que la parure ne jouait pas un rôle important dans la vie quotidienne. D’un autre côté, la distribution des types trouvés n’est pas identique à celle dans le cimetière (fig. 10) : les mollusques perforés, notamment Polinices mammilla et les Vénéridés, sont plus fréquents dans l’aire de campement. Les perles en forme de tonneau ont été trouvées exclusivement dans le cimetière.

10 - Objets de parure du cimetière avec (bleu) ou sans (vert) contexte sépulcral sûr, et de l’aire de campement (gris)

44 En somme, il faut considérer que les vestiges sur l’aire de campement témoignent d’un usage différent des coutumes funéraires. Certes, la parure n’était pas réservée aux morts. Mais l’usage par les vivants était apparemment limité et suivait un style différent, ou des règles différentes. Peut-être la parure n’était-elle pas utilisée dans la

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vie quotidienne, mais seulement pour des occasions spéciales, comme des cérémonies ou « rites de passage » vers l’âge adulte, le mariage, ou la mort, évidemment.

La fonction rituelle de la parure

45 Pour finir, nous tenons à exposer quelques pensées sur la fonction et l’importance des objets de parure dans le cadre des rites funéraires.

46 Dans la section précédente, l’idée a été formulée que la parure avait sa fonction primaire dans des « rites de passage ». Il faut élaborer un peu plus cette idée.

47 Elle se fonde, entre autres, sur l’observation que l’usage de la parure ne peut pas être expliqué comme un symbole de rang social acquis ou de richesse. Dans ce cas, les enterrements d’enfants ne seraient pas aussi riches. Le rang hérité – qui est cité souvent quand on parle d’enterrements d’enfants riches – n’explique pas non plus la distribution de la parure, parce que la pauvreté des personnes âgées est incompatible avec ce modèle.

48 Aussi, la pauvreté des personnes âgées en ce qui concerne la parure indique que ces objets n’étaient pas une possession personnelle des défunts, qu’ils n’étaient pas accumulés par les gens au cours de leur vie. Dans ce cas, les enterrements d’adultes et des personnes âgées devraient être les plus riches, ou au moins aussi riches que ceux des enfants.

49 Ensuite, il faut expliquer l’absence presque totale de la parure dans les inhumations secondaires. Après la première phase d’inhumation, la parure n’était plus importante. Si le but avait été de documenter le rang ou la richesse pour l’éternité, on aurait pu ajouter des objets de parure pendant la phase secondaire.

50 Tout cela nous a conduit à considérer la parure comme un élément à part entière des rites funéraires, qu’elle était importante au cours d’une sorte de « rite de passage », mais que cette importance était éphémère. Donc nous proposons l’image suivante : les membres de la communauté décorent les morts pour le passage dans un autre état. Au terme des activités funéraires, la parure perd son importance. Cela expliquerait l’absence de la parure dans les enterrements secondaires. Finalement, il faut aborder la question des différences entre les classes d’âge. Conscients de dépasser les limites de ce dont les sources archéologiques peuvent nous informer, nous proposons l’hypothèse suivante : peut-être la mort imprévue d’un enfant ou d’un adolescent causait-elle plus d’inquiétude et nécessitait un enterrement plus fastueux que la mort d’une personne âgée dont la vie est accomplie.

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AUTEUR

ROLAND DE BEAUCLAIR Universität Tübingen, Institut für Ur- und Frühgeschichte, Abteilung für Ältere Urgeschichte und Quartärökologie, Rümelinstr. 23, 72070 Tübingen – [email protected] tuebingen.de

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Entre signe et symbole Les fonctions du mobilier dans les sépultures collectives d’Europe occidentale à la fin du Néolithique

Maïténa Sohn

La sépulture collective, interface entre les vivants et les morts

1 En Europe occidentale, le regroupement des morts dans des caveaux collectifs prend une ampleur sans pareille dès le milieu du IVe millénaire av. J.-C., pour être le genre sépulcral quasi exclusif jusqu’à l’aube du IIIe millénaire av. J.-C. Cette uniformité funéraire touche aussi bien le mode d’inhumation que l’architecture des monuments (allées sépulcrales du Bassin parisien et de l’ouest de l’Allemagne, mégalithes à entrée latérale de Bretagne et du nord de l’Europe) ou leur agencement intérieur : les tombes se dotent dorénavant d’antichambres ou de couloirs plus ou moins fonctionnels, nettement séparés de la chambre sépulcrale. Les diverses manifestations culturelles de la fin du Néolithique partagent un univers idéologique commun, au sein duquel les pratiques funéraires jouent un rôle de premier plan.

2 Véritable interface entre le monde des vivants et le monde des morts de par sa nature d’espace « non clos », utilisée parfois pendant plus d’un millénaire, la sépulture collective offre un terrain complexe mais privilégié pour l’étude du mobilier et de ses différentes fonctions au sein de l’espace funéraire : fonctions sociales (rangs, statuts, prestige) ou symboliques (culte), qu’il convient ici de décrypter.

Une documentation et des problématiques renouvelées

3 Ces cinquante dernières années, l’étude des sépultures collectives a bénéficié d’une triple impulsion : tout d’abord celle de nombreuses fouilles, dont certaines demeurent exemplaires (Les Mournouards, Marne ; Leroi-Gourhan et al. 1962), puis l’essor de l’anthropologie et de l’archéologie funéraire (travaux de H. Duday, C. Masset et J. Leclerc), enfin le développement des méthodes d’analyse de terrain et des

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problématiques inhérentes aux sépultures collectives (thèse de P. Chambon, 2003). À la lumière de ces approches renouvelées, le mobilier des sépultures collectives pouvait être abordé sous un jour nouveau.

4 Afin d’apprécier les modalités des dépôts mobiliers dans les sépultures collectives et d’en dégager aussi bien les aspects « universels » que les facettes régionales, nous avons analysé un corpus de 203 tombes distribuées sur une zone géographique comprenant la France, le nord de l’Italie et de l’Espagne, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne (fig. 1). Les résultats obtenus à partir de ces tombes, sélectionnées pour la qualité de leur documentation et leur calage chronologique dans la période considérée (de la fin du IVe à la fin du IIIe millénaire av. J.-C), ont ensuite été corroborés à l’aide de plus de 1000 autres sépultures contenant du mobilier, soit environ 100 000 objets.

1 - Carte de distribution des sépultures collectives sélectionnées dans le corpus

(les points les plus gros désignent la présence de plus de 3 sépultures)

5 Notre approche a considéré aussi bien la composition des mobiliers que leur état au moment du dépôt (ébauches, objets neufs ou usés, substituts). Nous avons toutefois accordé une attention particulière à la répartition spatiale des objets dans la tombe (plus de 30 000 objets ont été localisés) et aux facteurs taphonomiques, dans le but de mettre en évidence des comportements récurrents, voire des gestes funéraires codifiés (Sohn 2007).

6 Bien que les questions culturelles et chronologiques représentent une part importante de ce travail (Sohn 2006a), notamment les questions d’évolution des dépôts mobiliers, elles ne seront pas développées ici. Nous nous concentrerons au contraire sur les diverses fonctions du mobilier funéraire, à travers l’exemple des sépultures collectives.

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Espace funéraire et mobilier funéraire

7 Dans les sépultures collectives, l’approche puis l’interprétation des dépôts mobiliers repose avant tout sur la lecture et le décodage que l’on fait des espaces intérieurs et extérieurs de la tombe. Pour ce faire, chaque sépulture collective peut être considérée comme une sorte de « micro nécropole » de sépultures individuelles, possédant des espaces sépulcraux individuels et des espaces collectifs (zones de circulation, de culte ou de cérémonie). Cette lecture est bien entendu beaucoup plus aisée dans des monuments possédant une antichambre ou un vestibule clairement dissocié de la chambre sépulcrale (allées sépulcrales), ou les monuments dans lesquels la chambre sépulcrale est fractionnée en cellules d’inhumations (sépultures mégalithiques du nord de l’Allemagne). De même, l’attribution d’un objet à un individu sera d’autant plus aisée si la tombe contient peu d’inhumés, ou que ces derniers sont nettement individualisés au sein de la couche sépulcrale. Au contraire, les sépultures en cavité naturelle ou les sépultures de dimensions réduites et sans antichambre, vont offrir des possibilités interprétatives bien plus limitées, puisque le fractionnement des espaces est moins évident. Finalement, on peut dire que c’est l’organisation d’un site ou d’un espace qui est le plus porteur d’une signification (Leclerc 1997). Malheureusement, les espaces extérieurs de la tombe sont généralement peu connus car non fouillés, excepté dans de très rares cas (sépultures de Val-de-Reuil dans l’Eure) et encore, les investigations se limitent souvent au ou à la partie antérieure des tombes. Même s’il est possible d’observer des dépôts mobiliers à l’extérieur des sépultures, une partie des gestes inhérents à la gestion de l’espace funéraire dans son ensemble demeure inconnue.

8 Néanmoins, nous considérons les abords immédiats de la tombe, en particulier la zone d’entrée, comme un espace funéraire au sens large du terme, c’est-à-dire un espace qui a accueilli une partie des cérémonies liées aux funérailles (espace cérémoniel), qui a servi de zone de circulation pour amener les cadavres ou pour rendre hommage aux morts. L’importance de ces espaces est d’ailleurs clairement soulignée par J. Leclerc (Leclerc 1997 et fig. 2), selon lequel l’espace funéraire est celui qui contient à la fois l’espace sépulcral (de traitement : dans lequel les corps se décomposent, de conservation : l’ossuaire), des espaces techniques (accès), des espaces cérémoniels (présentant des dispositifs symboliques collectifs), et des espaces sacrés (espace vide et inaccessible non fonctionnel). L’espace funéraire comprend donc aussi bien la tombe elle-même que ses abords immédiats, ou la nécropole dans son entier si tel est le cas. L’étude de ces espaces et du mobilier qui a été déposé en leur sein peut se révéler très riche en informations : « la manière particulière dont les hommes ont utilisé la structure funéraire peut être entendue comme une sorte de discours qui nous renseigne efficacement sur le fonctionnement de la société vivante. Quant au système de relations entre espaces qui constitue cette structure elle-même, on doit y voir la traduction directe de la forme que prenait l’idéologie des hommes » (Leclerc 1997, p. 404). La sépulture de la Chaussée-Tirancourt (Somme) est une de celles qui présente en cela l’organisation la plus riche : elle comprend un espace cérémoniel (vestibule monumental), un espace technique (rampe d’accès aménagée dans un coin du monument), un espace sacré (« muche »), plusieurs espaces de traitement (cellules d’inhumations) et de conservation des corps (ossuaires).

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2 - L’organisation de l’espace funéraire et ses conséquences sur l’interprétation du mobilier funéraire. Modèle élaboré en majeure partie d’après Leclerc 1997

9 Ainsi entendons-nous par « mobilier funéraire » tous les objets retrouvés dans la tombe et dans ses environs immédiats, si bien sûr la relation stratigraphique avec la période d’utilisation de la tombe est bien mise en évidence. C’est dans un second temps que nous tenterons de distinguer les cas où le mobilier funéraire a été abandonné en un lieu par négligence ou « déposé » intentionnellement en un endroit particulier de la tombe, de son tumulus, de la zone d’entrée etc Le sens accordé aux restes mobiliers dépendra donc de leur fréquence d’apparition dans un lieu donné et de ses rapports spatiaux avec les espaces de la tombe, les structures internes et externes du caveau, et les restes humains.

Quels mobiliers pour les morts ?

10 Avant d’aborder la question du sens et des fonctions du mobilier funéraire, nous devons nous interroger sur la composition de celui-ci et sur son état au moment du dépôt. Le caractère funéraire du mobilier des sépultures collectives correspond-il uniquement à sa présence au sein de l’espace funéraire ou dépend-il également de sa représentativité quantitative et qualitative (variétés, taux d’usure) par rapport au mobilier des vivants ? La valeur fonctionnelle de l’objet est-elle conservée dans le monde des morts ?

Du monde des vivants au monde des morts : des objets choisis

11 Le premier constat que nous pouvons faire, c’est que le mobilier des sépultures collectives ne relève pas typologiquement d’une production spécifiquement funéraire puisqu’on retrouve généralement les mêmes types d’objets dans des sites d’habitats contemporains : céramique, parure, outils et armes en pierre ou en silex, en os/bois de cerf ou en cuivre. Si pour certaines régions la comparaison est parfois difficile à établir, voire impossible faute d’habitats fouillés, elle peut se faire plus facilement ailleurs, notamment dans le sud de la France. Le mobilier des sépultures collectives est donc un mobilier à première vue banal et typologiquement représentatif de celui que l’on rencontre dans la sphère des vivants.

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12 En revanche, le mobilier funéraire ne correspond pas au mobilier d’habitat en termes de quantités et de proportions. Il est aussi moins varié. La principale catégorie de mobilier concernée est, de loin, la parure : celle-ci est extrêmement abondante dans les tombes, puisqu’elle représente la majorité des objets découverts (fig. 3), comparée à sa rareté ou son absence en contexte d’habitat, toutes régions confondues. De même, la céramique apparaît dans des proportions nettement inférieures en contexte funéraire que dans l’habitat, où elle constitue généralement presque l’essentiel du mobilier découvert. Ce constat est surtout vrai pour la plupart des régions françaises et l’ouest de l’Allemagne, où la céramique est faiblement représentée dans les tombes : seulement 5 à 10 % du mobilier. De plus, il semblerait que les grandes formes de vases de stockage, les céramiques robustes ou certains décors répandus dans les sites d’habitat, soient en revanche exclus du monde funéraire : dans l’hypogée des Crottes à Roaix (Vaucluse), la céramique attribuable à la culture de Fontbouisse n’est représentée que par des récipients de petite taille, peu décorés (Sauzade 1983), ce qui ne correspond pas à un échantillonnage de la céramique d’habitat. Les industries lithiques et osseuses marquent également certaines différences avec les contextes d’habitat (fig. 4) : les armatures de flèches en silex sont fort nombreuses dans les sépultures comparé à leur quantité dans l’habitat, et l’industrie osseuse est plutôt sous représentée dans les tombes, les poinçons constituant souvent l’essentiel du mobilier en os (Sauzade 1998).

13 Le mobilier des sépultures collectives est donc un mobilier « choisi » (Langry-François 2004, p. 101), sélectionné dans la panoplie de la vie courante. Certains objets ont été préférés ou valorisés par rapport à d’autres comme la parure et les armatures de flèches.

3 - Proportions des principales catégories de mobiliers dans les sépultures collectives, toutes régions confondues. La parure représentant 82 % du mobilier total, elle n’a pas été incluse dans le graphique

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4 - Proportions des différents mobiliers en os ou en silex dans les sépultures collectives, toutes régions confondues

Objets neufs ou usagés ?

14 De manière générale et ce, dans toutes les régions de notre étude, le mobilier des sépultures collectives présente une facture semblable à celui des habitats, des traces d’utilisation à différents stades d’usure et même, des traces de réparations. Tous les objets sont concernés : la céramique (caramels alimentaires), l’industrie lithique (haches polies, « briquets » usagés, lames et poignards à lustrés de céréales, grattoirs, éclats), l’industrie osseuse (gaines de haches en bois de cerf réparées, poinçons fortement lustrés par l’usage) et surtout, la parure dont les stigmates d’usures sont fréquents au niveau des perforations (Polloni et al. 2004 et Polloni ce volume).

15 L’aspect « neuf » d’un objet est quant à lui beaucoup plus délicat à déterminer que le fait qu’il soit usagé. En effet, si les études de surfaces micro et macroscopiques permettent de dire qu’un objet paraît ne pas avoir été utilisé, elles ne peuvent en aucun cas affirmer avec certitude que celui-ci n’a pas été utilisé pour des activités qui ne laissent pas de traces, ou une activité exercée seulement à une ou deux reprises avant que l’objet n’entre dans la tombe. Ce genre d’étude étant déjà fort rare, la patine sur la surface des objets gêne souvent les observations.

16 De manière générale, il semblerait toutefois que les objets neufs soient extrêmement rares dans les sépultures collectives. Certains auteurs mentionnent des objets en meilleur état que d’autres, moins usés, comme les perles en calcaire de la sépulture des Mournouards dans la Marne, par rapport au reste de la parure de la tombe (Leroi- Gourhan et al. 1962), mais rarement la présence d’objets neufs. Les informations dont nous disposons à ce sujet concernent surtout les haches polies. L’étude de F. Langry- François sur l’industrie lithique des hypogées de la Marne a révélé que, sur huit haches

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étudiées, aucune ne présentait d’esquillement. De plus, l’étude tracéologique réalisée sur une hache de l’hypogée du Mont-Aimé 2 à Val-des-Marais (Marne) a conclu qu’elle n’avait pas été utilisée (Langry-François 2004). Il semblerait donc que certaines haches polies aient pu entrer à l’état neuf dans les tombes.

Objets brisés, ébauches : la question des substituts

17 La question des ébauches ou des « substituts d’offrandes » a été plusieurs fois développée par G. Sauzade au sujet du mobilier des sépultures collectives de l’est méditerranéen (Sauzade 1983 et 1998). Elle correspond en effet à une réalité, bien que celle-ci soit tenue, au regard des quantités d’objets achevés et même usés que livrent les tombes en général. Nous avons enregistré à ce propos la présence de quelques ébauches de haches dans les tombes du Bassin parisien, par exemple dans la sépulture de la Chaussée-Tirancourt (Somme), à Crécy-en-Brie (Seine-et-Marne), dans celles de La Pierre de Rabelais à Meudon (Hauts-de-Seine), de L’Hôpitat à Rumigny (Ardennes) et Les Ronces XXII à Villevenard (Marne). Bien qu’il s’agisse d’objets censés être inachevés, certains ont vraisemblablement été utilisés. De même, certaines haches perforées retrouvées dans les sépultures du nord de l’Europe ne sont pas achevées au niveau de la perforation ou du bouton. En ce qui concerne la parure, des exemples d’ébauches sont également connus, comme la perle en quartz de la tombe de Coutignargues (Bouches-du-Rhône), dont seule l’amorce du trou a été observée (Sauzade 1976). Signalons également le cas d’une ébauche de poinçon, cassée en cours de fabrication et déposée quand même comme mobilier funéraire dans la sépulture de La Lave à Saint-Saturnin-d’Apt dans le Vaucluse (Gagnière & Germand 1941).

18 D’autres objets, cette fois-ci plus fréquents et nombreux, sont retrouvés dans les tombes à l’état de « matière première » brute : ils évoquent certains objets courants mais ne sont pas du tout travaillés. Il s’agit principalement des dents de faune non percées, que l’on peut retrouver en abondance dans certaines tombes d’Allemagne, fréquemment au sein d’ensembles de dents percées (150 à Moringen « Großenrode 2 », Thuringe ; Rinne 2003), du nord de la France (Marly-le-Roi « Mississipi », Yvelines ; Crécy-en-Brie, Seine-et-Marne) et du Sud (canines d’ursidés de « Villard » à Lauzet- Ubaye dans les Alpes-de-Haute-Provence ; Sauzade 1983). De la même manière, on peut rencontrer des coquillages ou des escargots fossiles non percés, au sein de leurs homologues perforés, dans la même sépulture (Oyes, Marne).

19 On rencontre aussi dans les tombes des objets de « remplacement », souvent au sein d’une parure : ils évoquent la forme des éléments constituant cette parure, mais sont réalisés dans un autre matériau, comme par exemple les deux perles en os qui se substituent aux craches de cerfs de la sépulture Fosse XIV de Portejoie dans l’Eure (Sidéra 2002). Le remplacement d’une dent percée par un pendentif en os au sein d’une parure est d’ailleurs le cas le plus connu.

20 Enfin, on ne peut pas ignorer le nombre important d’objets trouvés à l’état de fragment et dont la partie manquante n’a jamais été retrouvée dans les tombes. Dans certaines sépultures, la proportion de ces mobiliers peut être très importante : dans l’hypogée des Crottes à Roaix (Vaucluse), 30 fragments d’armatures de flèches foliacées ont été trouvés, contre le même nombre d’armatures entières (Sauzade 1983). De même, aux Mournouards (Marne), « la proportion des pièces cassées est extrêmement forte, atteignant les deux tiers des numéros répertoriés » (Leroi-Gourhan et al. 1962, p. 37). À

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Méréaucourt (Somme), l’étude des haches polies par H. Plisson a révélé que deux d’entre elles avaient été endommagées volontairement avant leur dépôt afin de les rendre inutilisables (Masset et al. à paraître).

21 Qu’entendre alors exactement par « substitut d’offrande » et les exemples évoqués ci- dessus en sont-ils vraiment ? Le mot « offrande » est selon nous mal approprié car il sous-entend de manière explicite l’idée de « don », des vivants aux morts, ou des vivants à des « objets de culte » et par là même, écarte automatiquement les objets qui relèvent des biens personnels des individus de leur vivant. En revanche, le terme de « substitut », c’est-à-dire « d’objet de remplacement » nous paraît bien convenir aux objets qui imitent la forme d’un autre mais sont réalisés dans un autre matériau. Cependant, peut-on vraiment qualifier de « substitut » les ébauches et les objets bruts ou brisés, c’est-à-dire non fonctionnels ? Ont-ils réellement évoqué l’objet auquel ils ressemblent et l’ont-ils remplacé ? Ou bien leur état d’abandon dans un stade inachevé, l’annihilation de leur « fonction d’usage » a-t-elle eu une signification symbolique particulière ? Si le doute persiste pour les ébauches, le cas des objets brisés volontairement plaide plutôt en faveur de la seconde hypothèse.

Valeurs et fonctions du mobilier dans l’espace funéraire

22 Outre l’état physique des objets au moment de leur dépôt, l’étude de leur répartition spatiale dans la tombe permet d’aborder un aspect essentiel de la fonction du mobilier dans les sépultures collectives. Comme postulat de départ, nous avons choisi de désigner par « mobilier collectif » tous les objets déposés intentionnellement dans les espaces dépourvus d’ossements et par « mobilier individuel » les objets retrouvés au sein de la couche sépulcrale ou attribuables à un individu en particulier.

Le mobilier collectif et ses multiples facettes

23 Un des aspects les plus originaux des sépultures collectives, c’est que la structuration de l’espace montre clairement une volonté de réserver des lieux à d’autres activités ou d’autres dépôts que celui des corps. Si les antichambres, les vestibules et certains couloirs intriguent par leur aspect non fonctionnel, par les dalles « hublot » ou les gravures que certains possèdent, c’est aussi parce que des dépôts mobiliers particuliers et récurrents y ont été observés. Depuis la fouille des Mournouards et les travaux de C. Masset et J. Leclerc dans le Bassin parisien, l’intention « collective » de certains dépôts ne fait plus aucun doute.

24 Même s’il existe une variabilité régionale et chronologique certaine, deux objets jouent un rôle essentiel et presque exclusif dans la représentation de l’espace collectif (fig. 5) : la céramique et la hache polie. S’ajoutent à cela plusieurs autres objets, déposés de manière isolée ou en lots, associés aux espaces collectifs, et présentant des combinaisons d’une plus grande variabilité. Alors qu’il existe des catégories de mobiliers exclusivement individuelles, comme la parure par exemple, ou les armes et les outils en cuivre, le mobilier collectif ne semble pas, dans l’état actuel de nos connaissances, être totalement exclu de la sphère individuelle : c’est une sélection d’objets courants et usagés, retirés de la sphère individuelle pour signifier quelque chose de différent. En fonction de la structuration de ces dépôts collectifs et de la prise

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en compte des différents espaces funéraires, on peut proposer un modèle interprétatif fondé sur la chronologie présumée des gestes qui précèdent, qui accompagnent ou qui suivent les funérailles, et le mettre à l’épreuve à l’aide de quelques exemples précis.

5 - Schéma représentant les différents types de dépôts collectifs dans les sépultures collectives

Les dépôts de fondation

25 Beaucoup d’auteurs s’accordent pour dire que les sépultures collectives, qu’elles soient mégalithiques ou pas, ont probablement mobilisé plus de gens pour leur construction que le nombre de personnes qui y ont été réellement inhumées (Bakker 1992). L’élévation d’un tel monument a eu certainement un sens particulièrement fort pour qu’on puisse imaginer facilement des célébrations destinées à le « consacrer », afin d’assurer sa pérennité. S’ajoute à cela le fait que la construction d’un monument funéraire ou d’une tombe n’est pas une pratique anodine, dans des sociétés où l’on accorde une place certainement bien plus grande qu’aujourd’hui au monde funéraire et au culte des ancêtres (Baudry 1999).

26 En archéologie, en ethnologie mais aussi dans nos sociétés occidentales actuelles, les « rites » de fondation sont extrêmement courants. D’après A. Van Gennep, ils font partie intégrante des rites de passage (Van Gennep 1981) : les sacrifices (objets, nourriture, humains) dits de fondation et de construction permettent d’abord de lever un « tabou » sur l’édifice (dont la protection n’est pas assurée avant cela), généralement par l’action de sacrifice.

27 Lors de notre étude, nous avons rencontré de nombreux cas de dépôts de fondation. L’exemple le plus probant est certainement celui de l’hypogée du Capitaine à Grillon (Vaucluse), fouillé entre 1976 et 1977 par G. Sauzade. Au milieu de la cavité, une fosse de 50 cm de diamètre et 40 cm de profondeur, creusée dans le sol rocheux, a livré 10

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pics en galet de calcaire utilisés vraisemblablement pour creuser l’hypogée, car la plupart d’entre eux portent sur le tranchant un polissage dû à l’usure contre la roche (Sauzade 1998). Cette fosse a manifestement été creusée à la fin de la construction de la tombe, avant tout dépôt funéraire.

28 D’autres fosses de ce type ont déjà été remarquées dans la même région, dans les hypogées du Castelet à Fontvieille (Bouches-du-Rhône), du Perpétairi à Mollans (Sauzade 1998) et de Coutignargues à Fontvieille (Sauzade 1976). Ces exemples, concentrés dans le Vaucluse, ont été interprétés par G. Sauzade comme des dépôts collectifs de fondation (Sauzade 1998, p. 299). Le dépôt de ces objets en lot, dans une position stratigraphique intermédiaire entre la construction du monument et les premières inhumations, auquel s’ajoutent leur nature (outils liés à la construction de la tombe) et la fréquence des observations dans une même région, permet en effet de valider cette hypothèse.

29 Les dépôts de consécration ou de fondation ne concernent pas seulement des pics sur galets, mais tous les objets ayant pu servir en général à la construction des monuments : pics ou maillets en bois de cerf et haches polies (Büren, Westphalie ; Günther & Viets 1992 ou Haren G2 aux Pays-Bas ; Brindley 1986). Les céramiques ont pu également y participer (Brindley & Lanting 1991-1992, p. 127).

Les dépôts cultuels ou « sacrés »

30 Dans les sépultures collectives, les dépôts de haches et de céramiques sont extrêmement rigides et codifiés puisqu’ils se retrouvent quasiment à l’identique dans un grand nombre de tombes (Sohn 2006b), de zones géographiques et de cultures parfois très éloignées. Lorsqu’ils ne participent pas à des dépôts de fondation, ils s’attachent néanmoins de manière systématique aux zones d’entrée ou de « passage » du caveau (antichambre, couloir, zones de cloisonnements internes de la chambre sépulcrale). Plusieurs arguments nous amènent à penser que la hache et la céramique sont de véritables « symboles funéraires », dans le sens de la reconnaissance d’une idée abstraite, et peuvent avoir une fonction « sacrée », c’est-à-dire obéissant davantage à un rite (activité liée à un culte) qu’à une simple pratique (Sohn 2006a).

31 Dans le Bassin parisien, et surtout dans la Marne, après les figurations anthropomorphes, les haches emmanchées sculptées en bas-relief sont les représentations les plus fréquentes (Bailloud 1974). En Bretagne, la hache emmanchée est également un symbole qui revient régulièrement dans le répertoire gravé des monuments du Ve au III e millénaire av. J.-C. (Joussaume 1985). Une étude « ethnoarchéologique » a été menée sur les représentations de haches dans les sépultures mégalithiques bretonnes par J. L. Le Quellec (Le Quellec 1996). Celle-ci a croisé des données relatives à la topographie des gravures dans les tombes, au mobilier funéraire (haches et haches pendeloques en particulier), et aux traditions populaires bretonnes y étant relatives. L’étude de l’emplacement des gravures dans les tombes bretonnes a montré que celles-ci privilégiaient d’une part le fond de la chambre et d’autre part les lieux de transition extérieur/intérieur ou couloir/chambre, évoquaient des « rituels de passage ou d’aboutissement » (Maisonneuve 1983, p. 82) et connotaient « le passage » (Le Quellec 1996, p. 289), sous-entendu celui de la mort à l’au-delà. Plusieurs observations, dont l’habitude de placer dans les tombes des parures individuelles en forme de hache (dans le Bassin parisien, Polloni, ce volume, et dans le nord de l’Europe), amènent l’auteur à voir dans la hache un symbole funéraire lié au

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« grand passage » de la mort à l’au-delà (au monde des ancêtres), de l’être au non-être, et à rejeter l’idée réductrice d’un objet qui serait uniquement un signe de pouvoir et de prestige (Le Quellec 1996, p. 295).

32 L’idée d’une hache « symbole funéraire » et garante du « passage » n’est cependant pas incompatible avec l’idée de pouvoir et de prestige, même au sein des dépôts collectifs. Objet du Néolithique à plus forte valeur ajoutée, appartenant au domaine de la taille de la pierre et de l’utilisation des outils tranchants dont les femmes sont généralement exclues (Testart 1986), la hache joue un rôle social essentiel au Néolithique et « constitue le fondement de l’espace symbolique masculin mais aussi sa référence visible » (Guilaine & Zammit 2001, p. 223). L’hypothèse selon laquelle la hache pourrait conserver, au sein des sépultures collectives, une signification liée à la sphère masculine et au pouvoir est corroborée par son pendant féminin : les représentations gravées de figures anthropomorphes féminines dans l’entrée de nombreuses tombes du domaine atlantique et du Bassin parisien, qui font souvent face ou sont associées sur la même composition aux figurations de haches emmanchées (fig. 6). Le caractère sacré de ces gravures a souvent été invoqué, notamment par G. Bailloud : « comme pour les figurations de la divinité funéraire, la représentation de la hache a certainement une signification religieuse ou rituelle, confirmée par les observations faites sur la place et la position occupées par les haches polies dans le mobilier funéraire (…) » (Bailloud 1974, p. 181). Peut-on voir dans ces représentations une association ou une opposition des sphères masculines et féminines ? Si tel est le cas, la céramique a-t-elle alors un rapport de sens avec les figurations féminines, comme la hache semble en avoir avec les représentations gravées de haches emmanchées ? La céramique a souvent été associée à l’idée de fertilité et de naissance (Guilaine & Zammit 2001), y compris dans le domaine funéraire (repas funéraires, inhumations ou incinérations en urnes). Peut-on légitimement y voir, dans les sépultures collectives, le pendant féminin de la hache ? Cette idée nous paraît tout à fait plausible, étant donné que l’univers symbolique des populations préhistoriques, protohistoriques mais aussi ethnologiques est souvent fondé sur l’opposition des genres : le féminin et le masculin. Le domaine de la mort, intimement lié au sacré et au culte, en est un des meilleurs moyens d’expression.

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6 - Schéma représentant les dépôts cultuels ou sacrés dans l’entrée des tombes

Les offrandes de commémoration et de condamnation

33 Nous désignons par « offrandes de commémoration » les « dons » faits par les vivants aux morts dans les espaces funéraires collectifs. La principale différence avec les dépôts collectifs déjà évoqués, c’est que les offrandes de commémoration semblent s’adresser davantage à la communauté des morts qu’à une quelconque divinité ou concept abstrait. Bien entendu, nous devons rester prudents sur cet aspect, puisque rien ne nous permet de connaître l’intention exacte de ces dépôts : c’est uniquement leur aspect moins « ritualisé » qui nous permet d’avancer l’hypothèse selon laquelle ils ne s’adressent pas à une divinité.

34 Le premier type de dépôt que nous avons observé concerne la présence de lots d’objets à connotation individuelle (armatures de flèches, poinçons) dans des espaces collectifs. Ces dépôts, qui ont pu être réalisés simultanément ou successivement (Vers-sur-Selle, Somme ; Piningre & Bréart 1985) sont relativement stéréotypés : ils réunissent le plus souvent des lames, des armatures de flèches, des éclats, parfois des percuteurs et des nucléus, et des poinçons (Germigny-L’Evêque, Seine-et-Marne ; Baumann & Tarrête 1979). Le nord et l’ouest de la France sont bien plus concernés que les autres régions par ce genre de dépôt en lot (Sohn 2002). Leur signification demeure cependant extrêmement ambiguë puisque, d’un côté, ils pourraient être une « dégénérescence » des dépôts de haches et de céramiques, surtout lorsqu’ils leurs sont associés ou se trouvent dans le même espace – mais rien ne prouve dans ce cas qu’ils leurs soient postérieurs – tandis que d’un autre côté, leur composition, d’une certaine variabilité, leur moindre fréquence par rapport aux dépôts de haches et de céramiques, et l’absence de renvoi à de quelconques figurations, plaide en faveur de « trousseaux

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funéraires » collectifs, évoquant l’équipement individuel de survie et les activités essentielles de la vie quotidienne.

35 Hormis ces lots, nous avons fréquemment observé des « offrandes isolées », c’est-à-dire des objets déposés seuls dans un espace collectif ou répondants à des « gestes isolés », c’est-à-dire qu’ils sont trop rares pour que l’on puisse y voir une pratique codifiée. Le cas des poignards en silex est certainement le plus problématique : dans notre corpus, sur un total de 85 poignards, 15 d’entre eux ont été retrouvés en contexte de dépôt collectif. La plupart de ces dépôts montrent une intention délibérée de les placer à l’écart des inhumés. À ce sujet, les sépultures de Val-de-Reuil dans l’Eure sont des cas d’école puisque trois tombes du même site, Butte-Saint-Cyr, Fosse XIV et Sépulture 1, ont livré chacune un poignard en silex dans l’antichambre (Billard & Verron 1998).

36 Ce qui attire particulièrement notre attention ici, c’est que le poignard est loin d’être un objet quelconque ou anodin pour cette fin du Néolithique. J. Guilaine évoque sa place de premier choix dans le « triptyque arc/poignard/hache » (Guilaine & Zammit 2001, p. 223), symboles masculins voire guerriers, que soulignent les nombreuses représentations de poignards sur des stèles et statues- de la fin du Néolithique, du Bas-Danube à la péninsule Ibérique. Doit-on, en conséquence, accorder à ces dépôts la même valeur que celle que nous avons accordée aux haches ? Excepté dans le sud de la France, le poignard est un objet qui apparaît quelques siècles après la principale vague de construction des tombes : on peut donc légitimement écarter la possibilité de dépôts de fondation pour le nord de la France et de l’Europe. En revanche, les poignards ont très bien pu se substituer aux haches pour consacrer une nouvelle phase d’utilisation ou de réfection d’une tombe, donc signifier la « protection » des lieux, ou bien légitimer de nouvelles inhumations en s’assurant, par un tel dépôt, l’assentiment des ancêtres. Par exemple, dans l’hypogée Les Gouttes d’Or de Loisy-en-Brie (Marne), une série d’inhumations tardives dans l’antichambre (fait rarissime dans les hypogées), s’est accompagnée du dépôt d’un poignard contre la paroi du couloir séparant l’antichambre de la chambre sépulcrale, à distance des corps (Chertier et al. 1994). Nous avons donc quelque peine à considérer ces dépôts comme des dépôts cultuels étant donné que le poignard est utilisé, la plupart du temps, pour des dépôts individuels. Par leur caractère tardif, il pourrait s’agir d’offrandes de commémoration ou de légitimation lors de la réutilisation des lieux.

37 Le troisième cas concerne les phases finales d’utilisation des sépultures collectives. Dans le nord de la France et en Allemagne, on rencontre de nombreux restes de faune dans les couches de condamnation des monuments. Il peut s’agir d’animaux entiers (canidés à La Chaussée-Tirancourt dans la Somme, Leclerc & Masset 1980, suidés à 1 en , Günther 1997) ou de restes d’animaux consommés (Tombe MXI du Petit Chasseur à Sion, Gallay & Chaix 1984). Ces restes peuvent être considérés comme des offrandes alimentaires, notamment les restes consommés, ou comme des offrandes destinées à assurer la protection des lieux, par exemple les canidés, si tant est qu’ils n’étaient pas consommés. Une chose est certaine, la condamnation d’une tombe, qui a probablement mobilisé beaucoup de personnes, comme le prouve l’ampleur des interventions de fermeture (incendies, orthostates renversés, empierrements, pose de dalles de couverture ; Leclerc 1987) s’est certainement accompagnée de cérémonies et de banquets : la consommation de nourriture a pu être à la fois un acte de cohésion sociale et un dernier partage ou honneur adressé aux ancêtres.

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Les objets abandonnés, reliquats de cérémonies funéraires ?

38 Au cours de notre étude, nous nous sommes également intéressés au mobilier retrouvé en position d’abandon, c’est-à-dire au mobilier qui n’a pas fait l’objet d’un « dépôt » au sens strict du terme. Ces objets appartiennent quand même au mobilier funéraire car ils nous renseignent sur les événements qui se sont déroulés au moment des funérailles (cérémonies funéraires, banquets). On les retrouve essentiellement à l’extérieur des tombes, face à l’entrée.

39 Plusieurs exemples de ce genre s’offrent à nous : le premier concerne les très nombreux restes de céramiques trouvés épars à l’extérieur des sépultures collectives d’Europe du Nord, en particulier des Pays-Bas, de Basse-Saxe et du Mecklembourg. La majorité d’entre eux, plus ou moins concentrés dans l’axe de l’entrée de la tombe, en sont toutefois éloignés de plusieurs mètres, et montrent une grande dispersion, ainsi qu’une fragmentation importante, liées vraisemblablement à de fréquents passages et piétinements. Aux Pays-Bas, les restes de céramiques retrouvés sur le « parvis » des monuments se comptent par centaines (tombe D26 à Drouwennerveld, Bakker 1992). Ils ne diffèrent pas stylistiquement de ceux que l’on rencontre dans les chambres et sont interprétés comme les restes de poteries cérémonielles (Bakker & Luijten 1990, p. 182), utilisées pour boire et manger lors de banquets funéraires collectifs (Brindley 2003, p. 49-50). D’après A. Brindley, une partie de la céramique utilisée lors des funérailles serait ensuite déposée auprès des inhumés, et l’autre partie totalement abandonnée sur place pour des raisons de tabou : réutiliser la céramique des funérailles dans un cadre domestique serait alors considéré comme une profanation (Brindley 2003, p. 47 et Sherratt 1991, p. 50).

40 La présence de tambours en céramique dans les sépultures collectives de l’est de l’Allemagne corrobore en effet cette hypothèse. Sur une vingtaine de tambours dont nous avons enregistré la localisation, 15 proviennent d’espaces collectifs. Dans le site d’Odagsen 1 à Einbeck (Basse-Saxe), 7 tambours se trouvaient éparpillés dans la partie antérieure du monument (Rinne 2003). La plupart des auteurs s’accordent pour considérer ces objets en céramique comme de véritables instruments de musique, utilisés fort probablement pour le « culte des morts » (Raetzel-Fabian 2002). La position d’« abandon » de plusieurs tambours dans la partie antérieure des monuments, plaide en effet en faveur de leur utilisation lors des cérémonies funéraires qui ont eu lieu à l’extérieur des tombes, et au sein desquelles la musique a pu jouer un rôle important.

41 Les cérémonies (chants, danses…) et les banquets funéraires qui se déroulent à l’extérieur des tombes, mais toujours au sein de l’espace funéraire, témoignent d’un moment essentiel dans les pratiques funéraires, celui de la séparation définitive avec le défunt. A. Van Gennep rattache ce moment des funérailles aux « rites d’agrégation » qui mettent fin à la période de deuil et consistent à intégrer le mort au monde des ancêtres et des esprits (Van Gennep 1981). Le repas funéraire est, de manière universelle, la pratique la plus courante lors de ces rites. Il a pour but de renouer les liens sociaux, brisés par la disparition d’un « chaînon » du groupe. Quant aux tabous liés à ces cérémonies, il apparaît que les plus forts sont ceux qui sont en relation avec le devenir des effets personnels du défunt, mais aussi des objets ayant participé aux funérailles, surtout ceux qui sont liés aux repas funéraires : on ne doit jamais les ramener parmi les vivants parce qu’ils sont impurs et dangereux (Van Gennep 1981, p. 217).

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Le mobilier individuel : un langage social

42 Alors que certaines sépultures collectives de la fin du Néolithique offrent un espace sépulcral fortement individualisé, c’est-à-dire que l’intégrité des corps a été préservée comme dans des sépultures individuelles, d’autres possèdent un « espace sépulcral collectif » (Leclerc 2003, p. 322) dans lesquelles l’enchevêtrement des squelettes est tel qu’il est difficile d’y distinguer des individus. Le premier cas de figure est idéal pour l’étude du mobilier individuel : il a servi de base à notre interprétation. Le second cas de figure, qui est aussi le plus courant et le plus complexe en matière de taphonomie, a permis de renforcer nombre de nos hypothèses. En effet, que l’espace individuel du corps ait été respecté ou non, cela n’a vraisemblablement pas eu de conséquence sur la manière dont le mobilier individuel a été déposé : la gestion des corps dans la tombe et celle du mobilier sont, à notre avis, deux préoccupations indépendantes.

43 Voyons à présent quels sont les objets de prédilection pour accompagner les défunts dans la tombe et leurs fonctions au regard de l’individu inhumé, mais aussi des vivants.

Mobilier porté et mobilier d’accompagnement

44 Dans les sépultures collectives, le mobilier individuel est constitué principalement de parure, d’outils (lames, briquets, grattoirs, poinçons) et d’armes (flèches, poignards). C’est un mobilier de la vie courante, qui n’a pas été fabriqué spécialement pour les funérailles. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il appartenait au défunt durant sa vie, puisqu’on peut très bien imaginer qu’une partie de son trousseau funéraire ait été constituée post mortem par ses proches. Même si cette question reste impossible à trancher, certaines observations nous permettent d’approcher les fonctions du mobilier individuel à partir de son rapport au corps du défunt.

45 En effet, on peut distinguer deux principaux types de mobiliers individuels : le mobilier porté et le mobilier d’accompagnement (fig. 7). Le mobilier porté correspond aux objets qui prolongent le corps du défunt : il s’agit la plupart du temps de parure ou d’outils et d’armes en position « fonctionnelle » sur le corps, c’est-à-dire en situation d’utilisation. La parure peut désigner aussi bien les bijoux que les vêtements (distinction proposée par S. Bonnardin 2003, p. 112). C’est dans les sépultures allemandes de Thuringe et de Saxe-Anhalt que l’on rencontre les preuves les plus indiscutables de la présence de vêtements sur le corps des inhumés. À Schönstedt (Kr. Langensalza) par exemple, plusieurs inhumés possédaient des lots de dents percées, éparpillées ou disposées en « chaîne » au niveau du bassin et de la tête (Feustel 1972). Le mode de fixation suggéré par l’usure des dents percées et leur position sur les squelettes plaide en faveur d’éléments cousus sur un support rigide, peut-être une bordure de vêtement (capuche, ceinture), hypothèse proposée par les archéologues allemands (Müller 1994). Quant aux bijoux, l’observation la plus courante est celle de lots de perles, parfois même d’enfilements en forme de collier (comme aux Mournouards dans la Marne) ou de pendeloques, dans la région du thorax ou de la mandibule des individus. Outre la parure, des armes et des outils peuvent participer à l’équipement intime du défunt : des carquois composés d’un nombre variable de flèches retrouvés contre l’épaule de certains individus (Schönstedt en Allemagne) ou des paires de couteaux et des briquets accrochés à la ceinture (probablement dans des étuis en matériaux périssables comme

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c’est probablement le cas pour plusieurs lames des Mournouards, Leroi-Gourhan et al. 1962).

7 - Représentation schématique du mobilier porté et du mobilier d’accompagnement

46 Le mobilier d’accompagnement du défunt est déposé quant à lui près du corps, généralement au niveau de la tête ou des pieds. Sa position n’évoque pas la fonction d’usage de l’objet. Il s’agit le plus souvent de céramiques (hypogée des Crottes à Roaix, Vaucluse), de haches (Oldendorf, Kr. Lüneburg, Basse-Saxe), de carquois (Schönstedt en Allemagne), et plus rarement de poignards (Saint-Sauveur, Somme). Ces mobiliers d’accompagnement soulèvent un certain nombre de questions : sur leur chronologie par rapport aux inhumations et aux différents moments des funérailles, et sur leur valeur (la céramique était-elle simple contenant ?). Ils ont probablement eu une signification différente des mobiliers « portés » : leur valeur fonctionnelle semble en effet s’effacer au profit du symbole (le vase et la hache) ou du signe social (celui du rang de l’inhumé ou de sa famille). De cette façon, le mobilier porté nous paraît plus enclin à appartenir aux biens personnels du défunt, en affirmant son identité, tandis que le mobilier d’accompagnement évoque davantage une offrande des vivants au mort ou le discours des vivants autour du mort, dans une optique de « don » (Godelier 1996).

Le mobilier comme signe du statut des défunts

47 Dans les sépultures collectives, la question du statut des défunts peut être abordée de plusieurs manières : par l’anthropologie biologique (état sanitaire des inhumés, démographie, agencement des squelettes), par l’architecture du monument et par le mobilier associé aux cadavres. Quelle que soit sa position par rapport aux corps, le mobilier individuel signe explicitement une diversité et une pluralité du statut des défunts dans les tombes. À ce titre, le premier constat que l’on peut faire c’est que tous

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les inhumés ne sont pas également parés ou accompagnés dans la tombe : certains défunts ne possèdent aucun viatique, d’autres beaucoup. Cette différence ne s’explique ni par l’âge, ni part le sexe, puisqu’hommes et femmes, vieillards et enfants ont pu être associés à du mobilier. S’il nous est difficile de raisonner sur l’absence d’objets, car les raisons peuvent être multiples, la présence de mobilier auprès des défunts permet quant à elle d’observer des différences de dotations entre groupes d’inhumés d’une même tombe, en fonction de l’âge et du sexe des individus, et au sein d’une même catégorie d’individus.

Statuts du groupe et « signes » de parentés

48 Dans les rares tombes où il a été possible d’observer des groupes de défunts séparés spatialement, il est apparu que le mobilier présentait des différences d’un groupe à l’autre, en termes de quantité d’objets et de nature. À Schönstedt (Allemagne) par exemple, les défunts du côté nord de la chambre sépulcrale sont associés à une plus grande quantité de mobilier que ceux du côté sud. Ils sont également accompagnés de plusieurs carquois, alors que la zone sud n’en livre aucun (Feustel 1972). L’étude des caractères discrets a révélé qu’il s’agissait de deux groupes de parenté distincts, bien qu’issus probablement de la même communauté (Bach & Bach 1972). Ce cas trouve un écho dans l’hypogée des Mournouards (Marne), où les parures dominantes ne sont pas les mêmes entre les inhumés de la chambre 1 et ceux de la chambre 2 (Leroi-Gourhan et al. 1962), mais aussi dans la tombe de Vignely (Seine-et-Marne), qui livre deux groupes d’inhumés au mobilier distinct (Chambon 2003). Ces exemples prouvent que le mobilier est d’abord marqueur de différences entre groupes (de nature peut-être familiale) et qu’il signe l’appartenance de ces derniers à un rang social ou à un « clan ».

Statuts fonction de l’âge et du sexe

49 Au sein du groupe, il existe également de fortes différences entre le mobilier des femmes et celui des hommes (fig. 8), et entre le mobilier des adultes et celui des enfants. L’homme est plus volontiers associé au monde de la chasse ou de la guerre (carquois, parures en matière dure animale) et du défrichement (hache), en somme, à des activités viriles mettant en œuvre la force (poignard en silex ou en cuivre) alors que les attributs féminins évoquent plutôt des activités domestiques liées à la maisonnée (vannerie, poterie, tissage : poinçons, lissoirs, céramique) ou à l’espace anthropisé, c’est-à-dire les champs, les cultures (moisson, traitement des céréales et autres plantes domestiques : couteaux, lames). Les femmes livrent également davantage et une plus grande diversité de parures que les hommes.

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8 - Le dualisme sexuel dans les sépultures collectives à partir du mobilier individuel

50 Face à cette dualité masculin/féminin, on est frappé par le mobilier funéraire associé aux enfants : très abondant, notamment en parure, celui-ci présente quasiment les mêmes caractéristiques que le mobilier associé aux femmes, excepté l’absence de certains types de pendeloques. En revanche, si aucun enfant jeune n’a été retrouvé à ce jour accompagné d’une arme (poignard, carquois), certains enfants plus âgés (à partir d’environ 10, 11 ans) ou adolescents peuvent arborer l’équipement des hommes adultes, comme l’illustrent les exemples de Vignely (Marne) et de Schönstedt (Allemagne). Le mobilier funéraire véhicule donc des signes d’appartenance à un sexe et à une classe d’âge. Le cas des enfants permet même d’envisager l’acquisition d’un statut par initiation au moment du passage à l’âge adulte : le garçon passe ainsi de la sphère féminine à la sphère masculine vers l’adolescence, ce qui lui permet l’acquisition d’attributs d’hommes adultes (certaines armes), fait observé dans de nombreuses sociétés passées ou présentes (Van Gennep 1981).

Les statuts exceptionnels

51 Enfin, le mobilier individuel marque des différences entre individus du même sexe ou de la même classe d’âge, parfois du même groupe d’inhumés. Certains défunts sont en effet accompagnés d’objets « exceptionnels » ou « précieux » leur conférant un statut remarquable, ou tout au moins à part. Quelques cas particuliers attirent notre attention, comme celui de la tombe de Saint-Sauveur (Somme). Dans cette sépulture, qui ne livre pas plus de 6 objets pour 54 inhumés, un poignard en cuivre a été retrouvé contre le crâne du squelette d’un homme. Celui-ci gisait dans un angle de la sépulture, à la base de la stratigraphie (Guillot & Guy 1997). Le caractère exceptionnel de ce dépôt est souligné par contraste avec le peu de mobilier que livre la tombe, par la rareté du matériau dans lequel le poignard est élaboré (les armes en cuivre sont des objets très rares dans les sépultures collectives du nord de la France à la fin du Néolithique), par le

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caractère exogène de l’objet (poignard de type languedocien) et la position du défunt dans la tombe. Un exemple tout aussi exceptionnel nous est donné par la sépulture de Vignely, La Porte aux Bergers (Seine-et-Marne), qui a livré les restes de 10 individus, dont seuls les enfants, au nombre de 7, possédaient des viatiques (Allard et al. 1998 et Chambon 2003). Deux enfants étaient associés à un mobilier exceptionnel : à côté du premier, âgé entre 8 et 11 ans, gisait un carquois très fourni (9 armatures en silex et 4 en os) et en connexion du cou du second, âgé de 4 à 8 ans, a été retrouvée une parure composée de 9 perles en cuivre. Les perles en tôle de cuivre sont des objets rares dans le Bassin parisien durant cette période (Mille & Bouquet 2004). La quantité dans laquelle les perles ont été retrouvées à Vignely, le fait que l’ensemble ne soit associé qu’à un unique défunt, auquel s’ajoute le jeune âge de l’individu, confèrent à cet ensemble un caractère tout à fait hors du commun. Même si la question du « prestige » est délicate à manier (Salanova 1998, Salanova & Sohn 2007) et que la valeur d’un objet ne peut pas toujours se mesurer en termes de « richesse » (Godelier 1996), on peut légitimement penser que les mobiliers « exceptionnels » signaient le rang élevé de certains individus dans la société. Ainsi certaines familles désiraient-elles peut-être afficher aux yeux de tous la valeur des objets dont elles étaient capables de se démunir au décès d’un enfant et certains hommes affirmaient-ils leur pouvoir par la manipulation d’armes ou le contrôle de réseaux d’échanges à longue distance.

Conclusion : les valeurs ajoutées du mobilier funéraire

52 Le mobilier des sépultures collectives est un mobilier qui appartient entièrement à l’univers quotidien des populations de cette fin de Néolithique. Il est sélectionné dans la panoplie des objets de la sphère des vivants et, en cela, montre une moins grande variabilité typologique que le mobilier des habitats. Il a déjà été utilisé avant d’entrer dans la tombe : dans l’état actuel de nos connaissances, il n’existe apparemment pas de production spécifiquement funéraire en France et en Europe du Nord à la fin du Néolithique. Parfois, le mobilier a pu rester inachevé et, d’autres fois, a même été brisé. Doit-on dire pour autant qu’« il est possible qu’on ait réservé aux morts des objets de rebut » (Leroi-Gourhan et al., 1962, p. 37) ? À notre avis, c’est porter un jugement moderne et occidental sur la question de la fragmentation ou de l’usure des objets en contexte sépulcral : car la notion de « rebut » signifie qu’on se débarrasse de l’objet car il n’a plus de valeur, car il est inutilisable. Au contraire, le sens d’un objet peut largement dépasser sa valeur d’usage (si tant est que l’usure ou le bris d’un objet signifie toujours la disparition de sa valeur d’usage). Ainsi, le mobilier déposé dans les sépultures collectives acquiert-il de nouvelles fonctions dans le monde des morts : des fonctions symboliques et des fonctions de signe, qui peuvent complètement détourner la valeur qu’il avait dans le monde des vivants.

53 Le mobilier collectif permet d’identifier plusieurs épisodes dans le fonctionnement des tombes : des dépôts de fondation aux dépôts de condamnation, en passant par les restes de cérémonies funéraires. Fortement empreint de symbolique, il touche au culte, au sacré et au religieux : les haches, les gaines de haches et les vases déposés dans l’antichambre des tombes font échos à des représentations gravées de haches et de « divinités funéraires » sur les dalles et parois de l’entrée de plusieurs sépultures. À cette valeur symbolique, peut s’ajouter une fonction de signe social. Si l’on accepte l’idée que les grandes sépultures collectives n’étaient réservées qu’à une partie de la

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communauté, c’est-à-dire à un ou plusieurs lignages « nobles » ou « prestigieux », le dépôt d’une hache à l’entrée d’une tombe pouvait aussi signifier l’appartenance de la tombe à un lignage ou une famille qui seule aurait eu le privilège de manier les symboles du pouvoir et du culte. En cela, le social et le religieux peuvent être des notions étroitement imbriquées, comme nous le montrent de nombreux exemples ethnologiques.

54 Le mobilier individuel signe quant à lui une diversité et une pluralité du statut des défunts, sans que l’on puisse raccorder avec certitude ces statuts à ceux que l’individu avait de son vivant. Ainsi peut-on mettre en évidence un affichage relativement stéréotypé des différences en fonction des groupes d’inhumés d’une même tombe (clans ou familles distincts mais issus de la même communauté), en fonction de l’âge et du sexe des individus, et en fonction de leur éventuelle association à des objets exceptionnels ou « précieux ». Le mobilier individuel marque en effet un dualisme masculin/féminin fort, puisque les hommes arborent des attributs virils majoritairement liés au monde du sauvage (outils et armes) et les femmes un équipement plus fourni en parure et en outils se référant à des activités domestiques (outils de poterie, de vannerie ou de travail des céréales). De plus, les objets qui accompagnent ou que porte l’individu peuvent témoigner de l’existence de stades d’initiation dans la société des vivants, l’accession à chaque stade donnant le droit ou le devoir de s’exhiber avec tel ou tel objet : il peut s’agir par exemple d’armes pour les garçons qui passent « socialement » à l’âge adulte vers l’adolescence. Enfin, même s’il est délicat de juger de la valeur d’un objet seulement sur des critères tels que la rareté du matériau, le temps de travail investi, le produit d’un échange à longue distance ou son inutilité (seules informations auxquelles l’archéologue a vraiment accès), le mobilier individuel a certainement permis d’affirmer le pouvoir ou le statut « exceptionnel » d’un individu particulier de la tombe, au regard des autres.

55 Ainsi les sépultures collectives nous livrent-elles un terrain d’étude fort riche pour l’approche de la valeur des objets sépulcraux : des fonctions symboliques, des fonctions de « signe » social, aux multiples facettes et déclinaisons.

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RÉSUMÉS

Les sépultures collectives de la fin du Néolithique sont un terrain privilégié pour l’étude de la valeur des objets sépulcraux et de leurs différentes fonctions au sein des pratiques funéraires mais aussi, des pratiques sociales. L’analyse de 203 tombes fouillées récemment et bien documentées, se répartissant géographiquement entre le nord de l’Allemagne et le sud de la France, et la confrontation des résultats avec les données issues de plus de 1000 autres sépultures collectives, ont permis de définir la pluralité des fonctions du mobilier funéraire. Le mobilier des sépultures collectives est un mobilier du quotidien, souvent usagé, que l’on peut diviser en mobilier « collectif » et en mobilier « individuel ». Le mobilier collectif correspond aux objets que l’on retrouve à distance des défunts. Il témoigne de plusieurs moments essentiels dans l’utilisation des tombes : dépôts de fondation, dépôts cultuels, restes de cérémonies funéraires, voire de banquets, et dépôts de commémoration ou de condamnation. La valeur symbolique de deux objets, la hache et la céramique, et leur attachement au sacré et au religieux (représentations gravées de haches et de « divinités » funéraires dans les mêmes espaces), sont particulièrement fortes. Le mobilier individuel désigne quant à lui les objets qui sont portés par le défunt (parure, armes en position fonctionnelle sur le corps) ou déposés à côté de lui (vases, haches). Véritable « signe social », il affiche les différences entre les individus en fonction de leur groupe d’appartenance (lignage, famille), de leur âge, de leur sexe ou de leur rang dans la pyramide sociale. L’étude des sépultures collectives nous amène donc à identifier deux fonctions essentielles du mobilier funéraire, des fonctions symboliques et des fonctions de signe, l’une n’excluant pas forcément l’autre.

The collective graves of the Late Neolithic are propitious contexts for studying the value of sepulchral objects and their various functions within the funeral and social practices. The analysis of 203 documented and recently excavated graves, geographically distributed between the North of Germany and the South of France, and the comparison of the results with the data from over 1000 other collective graves, allowed to define a plurality of functions for the funeral goods. The objects found in the collective graves, very common and often worn, can be divided into « collective » and « individual » finds. The collective finds refer to the objects (which are) deposited at a certain distance from the buried, outside or at the entrance of the graves for example. These deposits give evidence for several main moments in the use of the graves:

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foundation and worship deposits, remains of funeral ceremonies even banquets, and commemoration or condemnation deposits. The symbolic value of two objects, the axe and pottery, and their connection with the sacred and religious domains are particularly strong, as the engraved representations of and « funeral divinities » at the entrance of the graves can testify. On the contrary, the individual finds refer to the objects found on the dead (ornaments, weapons in a functional position on the body) or placed next to them (pottery, axes). As a true « social sign », the individual finds display the differences between the dead according to their membership (lineage, family), to their age, their sex or their rank in the social . Thus the study of collective graves brings us to identify two essential functions for the funeral goods, a symbolic function and the « social sign » function, the one not necessarily excluding the other.

AUTEUR

MAÏTÉNA SOHN UMR 7041/Protohistoire européenne, Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, 21 allée de l’Université 92023 Nanterre cedex — [email protected]

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Deuxième Partie

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Parcours de vies, biographie d’objets

1 Sommes-nous définis par les objets que nous usons ?

2 S’il est permis de ne pas être totalement convaincu par cette question, il s’agit néanmoins d’une interrogation et d’une voie fructueuse suivie par de nombreux archéologues depuis le XIXe s. De la tombe égyptienne de « Celui du roseau et de l’abeille » aux sépultures de métallurgistes du Néolithique de l’Europe orientale et centrale1, ce sont surtout des fonctions sociales, des spécialisations économiques que l’on a cherché es. Puis l’archéologie a tenté de s’emparer, plus d’un siècle après l’anthropologie (!), de la dichotomie essentielle à toute société : la distinction sociale de sexe et de genre. Succès mitigé, travaux en cours. Remarquons toutefois que ces approches partagent un caractère statique.

3 Or les défunts du passé ne sont pas morts au même âge et leurs positions, leur statut et leurs activités ont pu varier autant que leurs lieux de résidence, déterminés par les techniques d’exploitation du milieu, les faire-valoir agricoles, les migrations ou plus communément par les prestations matrimoniales et les règles de résidence. Mais de tout cela, nous ne savons presque rien. Malgré tout, les concepts de cycle de vie (lifecycle) et de biographie offrent des pistes nouvelles. Qu’est-ce qui a conduit le sujet anthropologique découvert à être disposé dans cet ensemble funéraire (recrutement funéraire) ? Et il doit en être de même pour les objets sépulcraux. Quels fonctionnements et quelles fonctions sont matérialisés par leur présence en contexte sépulcral ? Sont-ils neufs ? Sont-ils porteurs de traces ? À qui sont-ils associés ? Quels « agencements » illustrent-ils avec les corps retrouvés ? Ces notions d’agency et de biographie d’objets sont essentielles pour identifier les dynamiques entre la culture matérielle et les membres d’une société : qui déploie les outils, qui déploie les armes ? Où sont les signes et les symboles (présentations de R. Gosselin & A. Samsun et de N. Skakun) ? Cet agencement traduit-il le vécu d’un sujet ? Est-il un dispositif post- mortem (les sépultures individuelles de Darankulak présentées par M. Gurova) ? Y a-t-il une culture matérielle apportée dans l’espace sépulcral par la performance rituelle (articles de X. Clop, R. Cappai et M.-G. Melis) ? Terminons par une observation qui concerne la totalité de la discipline archéologique : quelle est la durée de vie des objets que nous retrouvons ? À l’instar des travaux de S. Bonnardin et de M. Vanharen, A.

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Polloni illustre ici la complexité - très sous-estimée - des parures du Néolithique final, et singulièrement de la recomposition des ensembles de perles. Mais qu’en est-il du reste, et singulièrement des outils ? Sommes-nous capable d’identifier par exemple des mécanismes de transmission intergénérationnelle (heirlooms) dont les implications seraient de premier ordre2 ; et si oui, peut-on aller au-delà des lissoirs de potières ? Voire.

NOTES

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Parures individuelles et sépultures collectives à la fin du Néolithique en Bassin parisien

Angélique Polloni

Introduction

1 La fin du Néolithique est marquée par la construction de sépultures collectives. Le travail d’inventaire récemment effectué par les membres du Projet Collectif de Recherche « Le IIIe millénaire dans le Centre-Nord de la France » a permis de recenser 470 sépultures collectives dans le Bassin parisien (Salanova et al. 2003). Étant donné le très petit nombre d’habitats connus dans cette région pour la fin du IVe et le III e millénaire av. J.-C., la majorité de nos connaissances pour cette période repose sur la fouille de ces sépultures.

2 Les nombreux objets de parure découverts dans ces tombes ont depuis longtemps suscité l’intérêt des fouilleurs, mais ils n’ont pour l’instant fait l’objet d’aucune synthèse globale.

3 Nous avons donc tenté, dans le cadre d’un travail de doctorat, de caractériser la parure de ces sépultures, mais également de comprendre la place et le sens de ces éléments, considérés comme l’archétype de l’individualisme, au sein de monuments collectifs. Concernaient-ils toute la population inhumée ou bien étaient-ils réservés à quelques « privilégiés » ?

Contextes et corpus de l’étude

Contextes

4 Le cadre géographique de ce travail concerne le Bassin parisien au sens géologique du terme, c’est-à-dire le bassin sédimentaire de Paris, qui occupe une grande partie de la

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France septentrionale. Il englobe les régions d’Ile-de-France, la Haute-Normandie, la Picardie, la Champagne-Ardenne à l’exception de la Haute-Marne, le département de l’Yonne en Bourgogne et le nord de la région Centre (Loiret, Loir-et-Cher et Eure-et- Loir).

5 Le cadre chrono-culturel s’étend de la fin du IVe au début du IIe millénaire (3400/3300 - 1800 av. J.-C. environ). Plusieurs groupes culturels étaient établis dans le Bassin parisien. Au Néolithique récent, le Seine-Oise-Marne (S.O.M.), présent dans tout le Bassin parisien, est surtout connu par des sépultures. Pour le Néolithique final, nous connaissons le groupe de Gord, essentiellement centré dans la moyenne vallée de l’Oise, le groupe de Deûle-Escaut, dont l’occupation s’étend du Nord de la France au Hainaut occidental belge et qui pourrait être un faciès septentrional du groupe de Gord, ainsi que le Campaniforme, qui a été reconnu dans une cinquantaine de sites. L’extrême fin du Néolithique final est quant à elle caractérisée par l’Épicampaniforme et Groupe des Urnes à Décor Plastique (G.U.D.P.).

6 Du point de vue funéraire, au IIIe millénaire, plusieurs phénomènes peuvent être observés : le fonctionnement de sépultures collectives construites à la fin du IVe millénaire (comme celle de la Chaussée-Tirancourt), la construction de nouvelles sépultures collectives (telles que Pincevent) mais également l’utilisation de sépultures individuelles avec les Campaniformes (comme Les petits-Près à Lery). Rappelons quand même que les Campaniformes ne sont pas connus que par des sépultures individuelles, puisqu’ils ont souvent réutilisé des sépultures collectives.

7 La principale limite à ce travail réside dans le fait que les sépultures collectives ont parfois fonctionné pendant près d’un millénaire, ce qui signifie qu’elles ne sont pas des ensembles clos. Le mobilier que l’on retrouve dans ces tombes doit donc être considéré comme le fruit d’apports successifs en relation avec le dépôt des corps. De plus, la longue utilisation des tombes a parfois rendu nécessaire certaines manipulations (rangements, déplacements de certains ossements, vidanges ou encore réorganisation de l’espace sépulcral) qui ont déconnecté les corps et donc dissocié les inhumés du matériel qui les accompagnait. Il est par conséquent très souvent difficile d’établir une relation directe entre les objets et les défunts. Ce problème est d’autant plus sensible dans les allées sépulcrales où le nombre d’inhumés est généralement très élevé (il avoisine parfois les 300 individus) et les remaniements fréquents.

8 La conservation différentielle des matériaux est une autre limite à cette étude. Les éléments en céramique ou en os, par exemple, ont pu disparaître en se dissolvant dans les sols. Il ne faut pas non plus négliger tous les probables objets en matières périssables (bois, tissu, cheveu, cuir, peau) que nous n’aurons sans doute jamais la chance de connaître. Le nombre d’objets comptabilisés par sépulture est donc peut-être parfois très inférieur au nombre réel d’éléments qui y furent déposés.

Corpus

9 Parmi les 470 sépultures collectives inventoriées dans le Bassin parisien, 235, soit la moitié, ont livré des objets de parure. Si l’on s’intéresse indépendamment à chaque type sépulcral, on constate que, pour l’ensemble de la zone étudiée, on a découvert des objets de parure dans 57 % des hypogées, 47 % des allées sépulcrales, 45 % des sépultures en fosse et seulement 12 % des sépultures mégalithiques (fig. 1). La parure n’est donc pas l’apanage d’un type sépulcral en particulier, puisque, exception faite des

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sépultures mégalithiques où elle se fait plus rare, les différents types architecturaux ont livré de la parure dans des proportions équivalentes.

1 - Proportion, pour chaque type sépulcral, de tombes ayant livré de la parure

10 Les sépultures ayant livré un important mobilier funéraire, mais aucun élément de parure, sont nombreuses. C’est par exemple le cas de l’allée sépulcrale de Val-de-Reuil, Les Varennes (Eure), pourtant située sur la même commune que plusieurs tombes collectives qui renfermaient une grande variété d’objets de parure (Portejoie / Sépulture 1, Portejoie / Fosse XIV, Beausoleil 3 et La Butte Saint Cyr).

11 Notre corpus se compose du mobilier de 68 allées sépulcrales, 123 hypogées, 15 sépultures mégalithiques, 20 sépultures en fosse, 4 coffres, 2 sépultures en cavité naturelle et 3 sépultures de type non déterminé (fig. 2). Dans l’ensemble, ces 235 tombes nous ont fourni un minimum de 7500 objets de parure, dont 62 % ont pu être étudiés.

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2 - Répartition des 235 sépultures collectives du Bassin parisien ayant livré de la parure

12 Les hypogées, qui sont souvent regroupés en nécropole, sont essentiellement connus dans l’est du Bassin parisien et notamment dans le département de la Marne alors que les allées sépulcrales sont pour la plupart établies dans l’ouest du Bassin parisien (et notamment dans l’Oise, le Val-d’Oise et l’Aisne). Quant aux sépultures mégalithiques, elles sont majoritairement implantées dans le sud du Bassin parisien.

Formes et matières premières

13 On compte six catégories d’objets en présence à la fin du Néolithique dans le Bassin parisien : les formes naturelles aménagées, les perles (discoïdes, cylindriques, ovoïdes et biconiques), les pendeloques (arciformes, biforées, en quille, en forme de hache, longues, cannelées et en poignard), les boutons à perforation en V, les bracelets et les épingles (à tête en béquille et à tête latérale).

14 Afin de réaliser ce panel de formes, plus de vingt-trois matières premières ont été employées. Celles-ci sont variées puisque représentées par des matières minérales (ambre ou résines fossiles, calcaire, grès, lignite, pyrite de fer, quartz, schiste, variscite, aragonite, cornaline, fluorine, gypse, silex, stéatite, galet de rivière ainsi que divers roches tenaces), des matières animales (coquillages et fossiles du Mésozoïque, os, dents et bois de cervidé) et des matériaux transformés (céramique, cuivre et or).

15 Les différentes matières exploitées combinées aux nombreux types d’objets en vigueur à la fin du Néolithique ont donné lieu à un grand nombre de possibilités, dont au moins 52 ont été réalisées. Ces 52 modèles d’objets ont été classés selon leur fréquence (fig. 3). Ainsi, 9 d’entre-eux peuvent être considérés comme « très fréquents », 10 comme « fréquents » et les 33 autres comme « peu fréquents ». Les objets « très fréquents » sont des coquillages percés, des perles en coquillage, des pendeloques biforées en

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coquillage, des perles en os, des dents perforées, des perles en calcaire, des galets et pierres percés, des perles en lignite et des perles en schiste.

3 - Les différents modèles d’objets de parure : très fréquent (+ de 150 objets) ; fréquent (de 10 à 149 objets) ; peu fréquent (- de 10 objets)

16 Les 10 modèles d’objets qualifiés de « fréquents » sont : les os percés, les pendeloques biforées en os, les boutons à perforation en V en os, les pendeloques en quille en bois de cervidé, les perles en ambre, les perles en variscite, les fragments de quartz percés, les haches-pendeloque en roche tenace, les pendeloques arciformes en schiste et les perles en cuivre.

17 Les 33 autres modèles d’objets recensés ne sont représentés que par un très petit nombre d’exemplaires, voire par un unique objet dans près de la moitié des cas, ce qui en fait des éléments plutôt atypiques.

L’usure des objets de parure

Dans quel état sont déposés les objets dans les tombes ?

18 Une large majorité des éléments de parure de notre corpus présente des traces d’usure visibles à l’œil nu. L’usure est l’état de ce qui est détérioré par l’usage. Les stigmates de l’usure sont donc l’ensemble des altérations liées à l’usage des objets. Les traces d’usure les plus courantes concernent la perforation, généralement déformée par la tension du lien, mais également le contour initial de l’objet, souvent modifié au fil de l’usage. De nombreux objets très usés combinent plusieurs stigmates d’usure localisés à divers endroits et dont l’étendue et l’intensité varient.

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19 Dans l’ensemble, 5 % des objets ne sont pas ou très peu usés, 89 % portent des traces d’usure identifiables et 6 %, très usés à divers endroits, sont cassés (fig. 4). Ces derniers sont le plus souvent cassés au niveau de leur perforation, rendant leur moyen de suspension habituel impossible. Certains objets, très fragiles, tels que les éléments en coquillage ou en schiste, ont pu être endommagés lors du fonctionnement de la sépulture ou, beaucoup plus récemment, lors de la fouille ou de leur manipulation post- fouille. Néanmoins, ce chiffre de 6 % d’éléments cassés nous paraît beaucoup trop important pour qu’il ne s’agisse que d’endommagements postérieurs à l’introduction des parures dans la sépulture. Il nous parait donc tout à fait probable que de nombreux objets étaient déjà abîmés lors de leur entrée dans la tombe. Nous pouvons également envisager que certaines parures aient été volontairement cassées avant leur introduction dans la sépulture, afin, peut-être, qu’elles ne puissent plus être utilisées comme tel. Ce chiffre de 6 % d’objets cassés est donc à prendre avec précaution puisqu’il ne reflète que l’état des choses au moment de notre étude.

4 - Degrés d’usure des objets de parure

20 Aucune trace d’usure visible à l’œil nu ne signifie pas que l’objet soit neuf. Il peut en effet avoir été peu souvent porté ou porté sur une courte période. De plus, sur certains matériaux, tels que la pierre, les traces d’usure sont plus longues à se formaliser que sur des objets en matières tendres, os ou coquillage par exemple. Il est donc difficile de dire qu’un objet en roche ne comportant pas de stigmate évident est un objet neuf. C’est pourquoi, nous avons choisi de regrouper les 5 % d’objets qui ne portent pas de traces d’usure apparentes sous l’appellation « pas ou peu usé ».

21 Le fait que la grande majorité des parures déposées dans les tombes soit usée signifie que nous n’avons pas affaire à des objets fabriqués spécifiquement pour les défunts, mais à des parures ayant été portées du vivant des individus. Les parures ne sont

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d’ailleurs pas les seuls objets à avoir été déposés usés au côté des défunts, puisqu’une grande part des outils en pierre et en matière dure animale, tout comme les céramiques, portent des traces d’usure (Sohn 2006).

Le cas des haches-pendeloque

22 La majorité des haches-pendeloque présente des traces d’usure, parfois très prononcées, au niveau de leur perforation, qui se matérialisent par des échancrures et des sillons (fig. 5, n° 1 et 2). Ces déformations de la perforation suggèrent que les haches-pendeloque ont été suspendues sur un lien. Plusieurs possibilités de suspension peuvent être envisagées (fig. 5). L’objet a pu être suspendu de manière simple, c’est-à- dire par le passage d’un lien, mais dans ce cas, étant donné l’emplacement de la perforation, c’est la section de l’objet qui aurait été visible une fois l’élément suspendu. Afin que ce soit la face de la hache, et non sa section, qui soit mise en avant lors du port, plusieurs techniques ont pu être mises en œuvre. La hache a pu être maintenue de manière contrainte par un nœud. Il est également envisageable que deux liens, contraints ou non par des nœuds, aient été passés dans l’orifice.

5 - Usure des haches-pendeloque et modes de suspension proposés

23 Si l’on s’intéresse aux caractéristiques morpho-typologiques des haches-pendeloque on s’aperçoit que leurs formes sont proches de celles des haches polies utilitaires, c’est-à- dire plus ou moins allongées, de forme trapézoïdale à rectangulaire et aux bords rectilignes à convexes. De plus, les haches polies en roches tenaces trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien sont caractérisées par une taille modeste (entre 30 et 95 mm de longueur), très inférieure à celle des haches en silex (Burnez- Lanotte 1987). Les haches percées en roches tenaces ont donc des dimensions très proches, bien que légèrement inférieures, de celles des haches non perforées réalisées dans les mêmes matériaux.

24 Parmi les sépultures ayant livré des haches-pendeloque en roche tenace, aucune ne contenait de hache polie en roche tenace, alors que ces objets représentent 11 % du

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total des haches trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien (Bailloud 1974). La grande majorité des 28 sites ayant fourni des haches-pendeloque renfermait également quelques haches polies, mais toutes confectionnées en silex. Les haches- pendeloque en roche tenace pourraient donc être en quelque sorte des équivalents, mais en plus petite taille, des haches non percées en roche tenace trouvées dans les autres tombes.

25 Afin de savoir si les haches-pendeloque étaient réservées à l’ornementation ou si elles avaient une fonction utilitaire, il faut s’intéresser à leur partie active, c’est-à-dire leur tranchant. On constate alors que pour tous les objets étudiés, le tranchant est usé, émoussé (fig. 5, n° 1 à 6). L’utilisation de la partie active a même quelquefois fait sauter quelques éclats de roche et déformé considérablement le tranchant, comme sur l’une des haches-pendeloque de La Butte Saint Cyr à Val-de-Reuil (Eure ; fig. 5, n° 1). Ces haches ont donc été utilisées comme des outils, de la même manière que les haches non perforées.

26 Ces constatations nous ont amenés à formuler deux hypothèses quant à la fonction des haches-pendeloque. Il peut s’agir : - soit de haches utilitaires recyclées ensuite en pendeloques, ce qui pourrait expliquer que sur une majorité d’objets, l’usure est beaucoup plus prononcée sur la partie active qu’au niveau de la perforation. De plus, l’usure à ses limites. Au delà d’un certain stade d’usure, qui diffère selon l’usage privilégié, l’objet n’est plus fonctionnel. Sur certaines haches-pendeloque, l’usure est tellement prononcée que l’objet, s’il était encore employé comme outil, ne pouvait plus l’être alors que pour des usages limités. Il est également envisageable que les haches-pendeloque soient des petits outils importés dans le Bassin parisien, où ils sont devenus objets de parure. On aurait dans ce cas affaire à deux utilisations successives par deux groupes culturels différents et pour deux emplois bien distincts. Ceci pourrait expliquer le cas de l’une des haches- pendeloque découvertes à Portejoie / Sépulture 1 à Val-de-Reuil (Eure) (fig. 5, n° 6). Cette dernière est en effet en cours de perforation, mais son tranchant est légèrement usé, ce qui laisse supposer qu’elle fut utilisée comme outil avant que l’on décide de la munir d’un trou de suspension. Cependant, son faible degré d’usure permet encore son emploi comme outil, pour quelques usages tout au moins ; - soit de haches conçues pour être à la fois utilitaires et ornementales. Dans ce cas, on pourrait en quelque sorte considérer la hache-pendeloque comme un petit outil, peut être réservé à certaines tâches, que l’on porte sur soi. Il ne s’agirait donc pas, au moment de sa conception en tout cas, d’un objet à but uniquement décoratif.

27 D’après H. Plisson (communication orale), les haches-pendeloque, si on les considère comme des outils, auraient pu être utilisées avec ou sans manche. Emmanchée, la hache-pendeloque aurait été bien plus facile à utiliser, ce qui rend cette hypothèse d’emploi plus probable. Au regard de l’usure très prononcée de la majorité des tranchants, le registre d’usage de certaines de ces haches devait être limité. Il est difficilement envisageable que ces objets aient été utilisés pour travailler des matières organiques. Ces haches ont plutôt dû être employées pour travailler des matières tendres, par exemple pour creuser des roches tendres ou graver du calcaire. Néanmoins, aucune des sépultures collectives de notre corpus sur lesquelles figurent des gravures, telles que « déesse funéraire » ou hache emmanchée, n’a livré de hache- pendeloque. Il ne semble donc n’y avoir aucune corrélation entre ces deux événements.

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28 Toutefois, et ce quelle que soit l’origine ou la fonction des haches-pendeloque, ces objets devaient être réservés à certains individus. On n’en retrouve en effet qu’un ou deux par tombe, le maximum de haches-pendeloque découvertes dans une même sépulture étant de cinq exemplaires.

Objets réparés, objets recyclés et imitations

29 En plus des nombreux objets usés, les sépultures de la fin du Néolithique en Bassin parisien ont livré des éléments réparés ainsi que des objets recyclés et des imitations.

30 Objet réparé : on entend par réparation la remise en état d’un objet endommagé, généralement au niveau de son mode de suspension. La forme initiale de l’objet est approximativement conservée, seules ses dimensions changent. La réparation permet de prolonger la vie d’une parure. Deux degrés de réparation ont été individualisés.

31 Le premier consiste à aménager une nouvelle perforation pour remplacer l’orifice cassé. Celle-ci est généralement placée à quelques millimètres de l’ancienne. Nous avons observé ce type de réparation sur des pendeloques arciformes, des dents et des pendeloques en quille (fig. 6, n° 1). Pour que le constat d’une réparation soit possible, il faut que l’ancien orifice ait été laissé visible, que l’objet n’ait pas été régularisé à la suite de cette opération. Les objets réparés sur lesquels un travail de régularisation des contours a été effectué ne sont donc pas repérables et en conséquence pas quantifiables. Notre étude ne s’appuie de ce fait ici que sur les objets dont la réparation n’a pas été « intégrale », c’est-à-dire pour lesquels l’artisan n’a pas cherché à rendre à l’objet un aspect neuf, à effacer les traces du temps.

6 - Les objets réparés

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32 Le nombre de pendeloques arciformes réparées est très élevé. En reperçant l’objet, il aurait été facile à l’artisan de régulariser en même temps le côté affecté par la perforation cassée. Ce travail n’ayant pas été fait dans de nombreux cas, nous pouvons y voir un choix délibéré des artisans. Les pendeloques arciformes ont été longuement portées et il était peut-être important pour les hommes que cela se voit, l’ancienneté de l’objet étant ainsi revendiquée.

33 Le second degré de réparation consiste, en plus de l’aménagement d’une nouvelle perforation, à retoucher le contour de l’objet en modifiant ses dimensions et parfois aussi son aspect général, mais en conservant tout de même sa forme initiale. À l’exception d’une pendeloque de type indéterminé en roche tenace, qui était certainement une hache-pendeloque à l’origine, nous n’avons observé ce type de réparation que sur des pendeloques biforées en coquillage (fig. 6, n° 2).

34 Dans tous les cas, que l’objet ait simplement été repercé où que la forme de son contour ait été modifié, la casse puis la réparation d’un objet induisent forcément une diminution plus ou moins importante de sa taille initiale (fig. 6, n° 3 et 4). Le nouvel objet peut être vu comme la copie en plus petit de l’élément défectueux, un objet réduit en quelque sorte. On peut imaginer que certains objets aient subi plusieurs réparations effectuées à différents moments de leur vie.

35 Objet recyclé : le recyclage est le fait de transformer un élément en lui donnant une nouvelle forme, un nouvel aspect extérieur. Cela permet de donner une seconde vie aux objets. Les pièces recyclées étaient peut-être fréquentes à la fin du Néolithique, mais pour que l’on puisse les repérer, il eut fallu que leurs auteurs n’aient pas entièrement effacé les traces de leurs transformations. Ce traitement des objets est donc difficile à identifier.

36 La constatation de l’abondance des pendeloques arciformes couplée à celle de l’absence totale de bracelet en schiste entier ou de fragment de bracelet non perforé dans les sites du Bassin parisien datés de la fin du IVe et du III e millénaire, qu’il s’agisse de sépultures ou d’habitats, nous ont amené à supposer que nous avions peut-être affaire ici à une récupération de bracelets ou de fragments de bracelets plus anciens. Afin de conforter cette hypothèse, nous avons comparé les formes, les dimensions et les sections des pendeloques arciformes à celles de bracelets néolithiques (Courtin & Gutherz 1976, Barge 1982, Auxiette 1989 et Bonnardin 2004). Ces comparaisons nous ont amené à penser que les pendeloques arciformes trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien ont été réalisées à partir de fragments de bracelets confectionnés au Villeneuve-Saint-Germain. Ces derniers ont été récupérés, puis recyclés en un nouvel objet, par un aménagement sommaire consistant en l’ajout de deux perforations. Les extrémités n’ont en effet que rarement été régularisées.

37 Ce phénomène de recyclage des fragments de bracelets ne se limite pas aux bracelets en schiste, mais concerne la majorité des bracelets confectionnés au Villeneuve-Saint- Germain (grès, calcaire et roches tenaces). On ne fabrique quasiment plus aucun bracelet à la fin du Néolithique, mais ces parures ne sont pas pour autant totalement délaissées et abandonnées. Le recyclage de bracelets Villeneuve-Saint-Germain, la longue utilisation des objets qui en sont issus, attestée par leurs fréquentes réparations, ainsi que le fait que les pendeloques arciformes soient présentes dans un grand nombre de sépultures collectives, mais représentées par un maximum de trois exemplaires dans chaque tombe, sont autant d’arguments pour plaider de l’importance, sans doute symbolique, de ces objets recyclés « ancestraux » pour les hommes de la fin du

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Néolithique. Si ces objets ont été à ce point réparés, c’est peut-être parce qu’il n’était pas possible d’en fabriquer à nouveau.

38 Imitations : deux pendeloques de notre corpus nous sont apparues comme inclassables dans un type d’objet en particulier. Il s’agit en effet d’imitations de dents animales, et plus particulièrement de craches de cervidé. Ces deux pendeloques ont été trouvées dans l’allée sépulcrale de Val-de-Reuil, Portejoie / Fosse XIV (Eure ; fig. 7).

7 - Les imitations : 20 craches de cervidés percées associées à 2 imitations (encerclées) Val de Reuil « Portejoie / Fosse XIV »

39 Nous entendons par imitation la copie d’un objet dans un autre matériau. Mais quelle pouvait-être la fonction de ces parures : imitation d’un objet rare ou convoité ou véritable substitut visant à remplacer un objet manquant à l’intérieur d’une parure ?

40 Les deux imitations de la tombe de Portejoie / Fosse XIV, étaient accompagnées d’une vingtaine de véritables craches de cerf, dont la majorité présentait d’importantes traces d’usure, plus ou moins prononcées selon les objets (fig. 7, n ° 1). Pour aboutir à de tels degrés d’usure, ces parures ont dû être longuement utilisées. Tous ces objets, imitations et véritables craches de cerfs, ont été découverts dans le même secteur de la tombe. Ils constituaient sans doute une seule et même parure. Des objets très abimés, parfois en fin de vie, côtoient d’autres moins usés ainsi que des imitations, quant à elles quasi neuves. Ces imitations peuvent être dans ce cas considérées comme des substituts visant à remplacer de véritables craches de cerfs manquantes ou abîmées à l’intérieur d’une parure. On pourrait alors penser que pour prolonger l’usage d’une parure endommagée, déjà assidûment portée, les objets cassés étaient remplacés au fur et à mesure par de nouveaux. On peut également envisager que l’assemblage d’une parure se faisait sur un long laps de temps, les éléments étant ajoutés petit à petit jusqu’à constituer des parures de plus en plus fournies (Sidéra 2002 ; Polloni et al. 2004).

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La parure et les inhumés

La position des parures dans l’espace sépulcral

41 Parmi les 235 sépultures du Bassin parisien ayant livré de la parure, la douzaine bien documentée nous a permis d’étudier la répartition spatiale des objets à l’intérieur du monument (fig. 8). Les parures sont dans quasiment tous les cas retrouvées dans la chambre sépulcrale, à l’intérieur des couches d’inhumation. Cette récurrence se confirme dans les autres tombes pour lesquelles nous possédons des informations sur la position des objets.

8 - Répartition des objets de parures dans l’espace sépulcral pour quelques tombes bien documentées

1. La Chaussée-Tirancourt « La Sence du Bois » (Masset 1995) ; 2. Méréaucourt « le Bois d’Archemont » (Sohn 2002) ; 3. Bardouville « la Carrière de Beaulieu » (Caillaud & Lagnel 1967) ; 4. Portejoie « Fosse XIV » (Billard et al. 1995) ; 5. Portejoie « Sépulture 1 » (Billard et al. 1995) ; 6. Bazoches-sur-Vesles « le Bois de Muisemont » (Leclerc 1993) ; 7. Argenteuil « l’Usine Vivez » (Mauduit et al. 1977) ; 8. Vignely « la Porte aux Bergers » (Allard et al. 1998) ; 9. Le Mesnil-sur- Oger « les Mournouards 3 » (Leroi-Gourhan et al. 1962) ; 10. Coligny « le Mont Aimé 2 » (Crubézy & Mazière 1991) ; 11. Malesherbes « Mailleton » (Richard 1995) ; 12. Marolles-sur- Seine « les Gours aux Lions 2 » (Masset et al. 1967)

42 Les parures découvertes dans les antichambres ou dans les couloirs d’accès sont très rares, presque anecdotiques. L’un des seuls exemples est celui de la sépulture mégalithique de Mailleton à Malesherbes (Loiret) où la majorité des perles, tout comme un coquillage percé et trois dents perforées, proviennent de l’antichambre, alors que la hache-pendeloque en roche tenace fut pour sa part trouvée dans le couloir d’accès. Cependant, les vestiges osseux ayant subi de nombreuses manipulations lors du fonctionnement de la tombe, il est difficile de savoir si tous les objets de parure trouvés

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hors de la chambre sépulcrale ont été initialement déposés à l’écart des défunts où si certains y ont été placés postérieurement, par des « fossoyeurs » par exemple.

43 De part leur situation dans l’espace sépulcral, les parures peuvent être considérées comme un mobilier individuel, en opposition avec la céramique où encore les haches, qui constituent le plus souvent le mobilier collectif de ces tombes (Sohn 2002).

Seule une minorité des inhumés était parée

44 Les parures font donc partie de l’équipement individuel des défunts. Elles accompagnaient les morts dans la tombe, mais tous les défunts en possédaient-ils ?

45 Afin de se faire une idée de l’importance du nombre d’individus parés dans les tombes, nous avons mis en relation, pour les quarante et une sépultures pour lesquelles nous bénéficions de renseignements sur les défunts, le nombre d’éléments de parure découverts et le nombre d’inhumés estimés (fig. 9). On constate ainsi que dans plus de la moitié des tombes, le nombre d’individus inhumés est supérieur au nombre d’éléments de parure, et ce indépendamment de l’architecture de la tombe ou du nombre d’individus déposés.

9 - Rapport entre NMI objets de parure et NMI inhumés pour quelques sépultures du corpus

46 Ayant pris en compte, dans ce graphique, le nombre d’éléments et non le nombre réel de parures, c’est-à-dire de parures constituées, nous pouvons supposer que, dans la plupart des tombes, seule une minorité d’individus était parée. En effet, dans les quelques cas pour lesquels nous connaissons la localisation précise de tous les objets dans la sépulture, nous avons tenté, en nous appuyant sur les concentrations d’objets, d’estimer le nombre réel d’individus parés. À Méréaucourt, Le Bois d’Archemont (Oise), seuls 3 individus sur les 143 défunts semblent avoir été inhumés avec des parures, à Argenteuil, L’Usine Vivez (Val-d’Oise), ils étaient environ 30 sur 300, à Marolles-sur- Seine, Les Gours aux Lions 2 (Seine-et-Marne), 3 individus sur les 54 étaient parés et à Vignely, La Porte aux Bergers (Seine-et-Marne) seuls 2 défunts sur 10 portaient des ornements.

47 À la fin du Néolithique, malgré la variabilité importante des parures confectionnées, seule la moitié des tombes du Bassin parisien contenait de la parure et, parmi elles, on compte très peu d’individus parés. À l’ère du collectivisme funéraire, les corps ornés sont donc relativement rares, voir presque exceptionnels dans ces sépultures collectives. Ils ne concernent que quelques défunts, ce qui marque une rupture avec les

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millénaires précédents, où une grande part des inhumés en sépulture individuelle était parée (Bonnardin 2004). Le très faible taux d’inhumés parés dans les sépultures de notre corpus contraste de plus avec les sépultures collectives du sud de la France, qui livrent une moyenne de 500 éléments de parure par inhumé (Sohn 2006).

Des parures pour qui ?

48 Dans la majorité des tombes de notre corpus, quelques individus étaient parés de nombreux éléments, parfois confectionnés dans des matériaux exogènes, d’autres de quelques objets ubiquistes, alors que la grande majorité des autres inhumés ne possédait aucun équipement personnel, qu’il s’agisse d’ailleurs d’ornements, d’outils ou de céramique. Être inhumé avec des parures semble avoir été le « privilège » d’un nombre réduit d’individus. Cela induit-il une notion d’inégalité des individus dans la mort où est-ce simplement le reflet de la société ? La parure était-elle réservée à certaines catégories d’individus, en fonction de leur âge, leur sexe ou encore leur statut ?

49 L’étude approfondie de quelques tombes a permis quelques constats sur les individus inhumés avec des parures : - tous les individus, hommes ou femmes, du plus jeune au plus âgé, ont parfois porté des parures. L’âge et le sexe ne sont donc pas des facteurs discriminants. Les enfants parés, même en très bas âge, sont fréquents dans les tombes. Dans la tombe de La Porte aux Bergers à Vignely (Seine-et-Marne), qui renfermait dix individus (trois adultes et sept enfants), les deux seuls inhumés parés étaient des enfants, tous deux âgés d’entre 3 et 5 ans (Allard et al. 1998, Chambon 2003) ; - la parure des enfants diffère peu de celle des adultes, même si dans quelques tombes, certains objets étaient préférentiellement associés à des adultes et d’autres à des enfants. Cela semble être le cas dans l’hypogée des Mournouards 3 au Mesnil-sur-Oger (Marne), où les dentales et les perles en calcaire ont systématiquement été retrouvées auprès d’enfants, alors que les pendeloques biforées, en coquille comme en os, semblent pour leur part avoir été réservées à des adultes (Leroi-Gourhan et al. 1962). De plus, dans cette tombe, la parure des enfants, comme celle des adultes, n’est pas la même dans chacune des deux chambres sépulcrales. Dans l’ensemble, la parure des enfants se compose aussi bien d’assemblages de petits éléments, que de parures rares et exogènes (comme le collier de neuf perles en cuivre associé à un enfant âgé d’entre 3 et 5 ans dans la tombe de Vignely) ou encore d’objets volumineux, parfois presque trop lourds pour eux. Dans ce cas on peut se demander s’ils les portaient en permanence ou s’il s’agit d’ornements réservés à certains moments de la vie ou encore reçus lors de leur inhumation ; - on constate également que quelques jeunes enfants étaient accompagnés de parures très usées, trop usées pour qu’ils aient pu les acquérir neuves. L’état d’usure de ces objets comme les importantes réparations mises en œuvre sur quelques pièces, laissent envisager que certaines parures, chargées d’histoire, étaient transmises entre individus, à l’intérieur d’une lignée ou d’un groupe, ce qu’il leur conférerait un caractère héréditaire, ou encore à l’occasion d’un acte particulier.

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Fonctions de la parure dans le monde des vivants

50 L’attention et le soin apportés à la fabrication de nombreux objets de parure laissent supposer que les hommes accordaient une certaine importance au paraître et à l’esthétisme. Certains ornements corporels ont nécessité un travail fastidieux et minutieux. On peut alors se demander pour quelles raisons ces hommes ont consacré autant de temps et d’énergie à la réalisation de parures et quelles en étaient les significations ?

51 Si l’on se penche sur la parure des peuples actuels et disparus, on constate que les motivations qui poussent les hommes à confectionner des objets et à s’en parer sont nombreuses. La parure, à elle seule, peut en dire long sur un individu et ses fonctions peuvent être multiples : - la parure peut être un objet purement esthétique, ayant pour but de rehausser la beauté du corps et de le mettre en valeur. Elle satisfaisait peut-être à un idéal de beauté. Elle est, par ses diverses formes, un moyen de séduction privilégié ; - la parure peut également traduire un statut social individuel. Dans de nombreux peuples, les chefs, les chamans et autres personnalités importantes se parent de manière identifiable et reconnaissable par chacun. La parure peut servir à mettre en valeur le statut social particulier d’un individu, qu’il ait été acquis ou hérité. Porter une parure particulière pouvait être un moyen de se singulariser, de se détacher du groupe ou de laisser transparaître un statut ou un rang spécifique. La parure peut signaler son appartenance à une catégorie sociale ou un à groupe particulier. Elle peut faire ressortir le pouvoir, la richesse ou le prestige d’un individu ou d’un groupe. Un type de parure peut être l’apanage d’une lignée, d’une famille, et se transmettre d’une génération à l’autre, selon des codes spécifiques. La parure est aussi un moyen de distinction entre les sexes ou entre différentes classes d’âge. Elle peut être l’indicateur d’une situation de vie (femme mariée, veuve…), d’une activité au sein du groupe, du franchissement de certaines étapes (enfance, puberté, premier animal tué…), etc.

52 Certaines parures peuvent être le reflet du courage, de la force, de la puissance. On pense naturellement aux parures de dents percées, parmi lesquelles on trouve des canines d’ours ou de loups par exemple. Les craches de cervidé de la sépulture Fosse XIV de Portejoie, en majorité très usées, parfois réparées et accompagnées de substituts, avaient peut-être une valeur symbolique différente d’autres bijoux ; - la parure peut signifier une appartenance ethnique en permettant aux individus d’un même groupe d’être reconnus grâce à leurs parures. Les bijoux, tout comme la coiffure, le vêtement ou le marquage corporel, jouent un rôle important dans l’affirmation des groupes ethniques. Le fait que les hommes d’un même groupe se parent de façon à peu près semblable favorise une certaine unité, une cohésion, une reconnaissance des membres entre eux. La parure peut être un moyen pour un groupe de se distinguer des autres communautés ; - la parure peut être un moyen de communication. L’échange de matières premières comme d’objets tisse des liens entre les individus ou entre les groupes (Testart 2007). Échanger ne peut se faire sans communiquer. Pour se procurer certains matériaux, les individus du Néolithique devaient parfois se déplacer sur de longues distances ou intégrer des réseaux de circulation. De nombreuses sépultures de notre corpus ont livré des objets de parures d’origine exogène (coquilles marines, ambre, variscite…). Les

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éléments exotiques avaient sans doute une signification particulière pour les hommes qui les détenaient, dû à leur passé, à leur histoire.

53 L’échange de parures a parfois pour fonction de maintenir les relations intertribales. Ce système d’échanges, instauré en Mélanésie sous le nom de « Kula » et dénué de tout caractère commercial, avait pour but de stabiliser les relations entre un nombre déterminé de groupes culturels et de favoriser entre les hommes une certaine solidarité (Malinowski 1922) ; - la parure est aussi un mode d’expression. Elle est le langage du corps. C’est un art visuel qui peut être le fruit d’une création individuelle ou collective. La parure permet parfois d’exprimer un sentiment, une émotion, un état, une façon de penser, etc. ; - certains objets de parure peuvent servir à accompagner un événement, être l’élément d’un rituel. Dans de nombreuses sociétés, il existe en effet d’étroites relations entre la parure et les danses, les chants, les rituels, les costumes, etc. Certains ornements peuvent être réservés à une cérémonie ou à une étape, à un moment de la vie (naissances, mariages, rites de passage, décès, etc.) ; - la parure peut également avoir une fonction de protection, qu’elle soit ou non en relation avec une croyance. Elle peut être talisman, avec pour fonction d’assurer la prospérité de l’individu qui la porte, ou amulette, pour protéger du mauvais sort ou de certains malheurs. Dans ces deux cas, la parure est un moyen pour les individus qui la possède de se sécuriser.

54 Les parures sont donc des objets chargés de significations, propres à chaque individu. Leur étude permet d’approfondir nos connaissances sur une civilisation, puisqu’elles se révèlent être d’importants marqueurs culturels, et d’approcher le domaine de l’apparence et du symbolique.

Et dans le monde des morts ?

55 Dans le monde des vivants, les parures sont donc des objets chargés de significations. Mais, dans un système funéraire où le collectif semble primer sur l’individuel, quelles peuvent être les fonctions des parures, attributs personnels par excellence ? Plusieurs hypothèses peuvent être proposées. La parure pourrait donc : - tout simplement accompagner l’individu dans la mort. Il peut s’agir, dans ce cas : soit d’objets personnels ayant appartenu à l’individu de son vivant (le défunt est inhumé avec ses propres bijoux, qui sont peut-être parfois ses biens les plus précieux), soit d’une offrande, faite par un proche ou par la communauté. Dans ce cas, la parure peut être déposée dans la tombe près du corps ou utilisée pour parer l’individu décédé ; - accompagner une cérémonie, faire partie d’un rituel funéraire ; - protéger l’individu dans son nouvel état, sa « seconde vie », ce qui impliquerait une forte spiritualité, voire une certaine croyance en l’au-delà. La parure des morts pourrait dans ce cas être considérée comme un viatique ; - signifier le statut de l’individu jusque dans la mort, en indiquant son identité individuelle et sociale ou encore son identité culturelle.

56 Les tombes collectives pourraient être perçues comme un mode funéraire égalitaire, du fait de la nécessité de l’investissement de la communauté pour l’édification du monument, mais aussi du caractère collectif de l’inhumation, chaque défunt semblant se fondre dans la masse des corps. Cependant, l’étude du mobilier et de sa répartition dans ces sépultures montre qu’il n’en est rien. On peut en effet observer une

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différenciation des individus au travers des objets qui les accompagnent dans la mort, et tout particulièrement de la parure (Salanova & Sohn 2007).

57 Dans les tombes collectives, la parure revêt un fort caractère identitaire, puisqu’elle apparaît comme liée à un individu en particulier et non au groupe, et certains objets traduisaient certainement la place de quelques-uns, adultes comme enfants, au sein de la société.

Conclusion

58 Malgré sa diversité, tant sur le plan des formes que sur celui des matières, la parure concerne finalement peu d’inhumés dans les sépultures collectives du Bassin parisien. Les parures font partie de l’équipement individuel des défunts, mais elles n’accompagnaient qu’une minorité de morts dans la tombe.

59 Les individus inhumés avec des parures sont tout autant des hommes, des femmes, que des enfants, ces derniers étant parfois parés d’éléments rares et exogènes, comme d’objets volumineux, presque trop lourds pour eux.

60 Les éléments de parure retrouvés dans les sépultures sont très souvent usés. Ils ont donc été utilisés par les vivants avant leur dépôt dans la tombe. Les nombreuses réparations effectuées sur les objets, tout comme l’entretien apporté à certaines parures, témoignent de l’intérêt qui leur était porté. Quelques parures reflétaient certainement la place de quelques individus au sein de leur communauté.

61 Les parures étaient donc assurément beaucoup plus que de simples ornements pour les hommes de la fin du Néolithique. Leurs fonctions pouvaient être nombreuses, mais leur valeur nous semble avant tout symbolique.

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RÉSUMÉS

Les nombreuses sépultures collectives implantées dans le Bassin parisien offrent un important panel de parures, constituées de formes et de matières premières variées. Plus de 7500 objets ont été inventoriés, provenant de 235 tombes. Les aspects typologiques, fonctionnels et spatiaux ont été examinés afin de comprendre la place de ces mobiliers individuels au sein de monuments collectifs. Les parures déposées sont usées, parfois réparées. Elles n’ont pas été fabriquées spécialement pour les morts. Cependant, malgré la variabilité de ces éléments et le soin apporté à leur confection, seule une minorité des inhumés en possédait, l’âge et le sexe n’étant pas des facteurs discriminants, puisque tous les individus, hommes ou femmes, du plus jeune au plus âgé, ont parfois été inhumés avec des parures.

The many collective graves implanted in the Paris basin offer an important sample of ornaments, made up of various forms and raw materials. More than 7500 objects were inventoried, coming from 235 tombs. The typological, functional and spatial aspects were examined in order to understand the place of these individual objects within collective monuments. Ornaments deposited are worn and sometimes repaired, meaning that they were not especially manufactured for the dead. However, despite the variability of these elements and the care exercised in their manufacturing, only a minority of the buried had some. The age and sex are not discriminant factors since all the individuals, men or women, from the youngest to the oldest, could be buried with ornaments.

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AUTEUR

ANGÉLIQUE POLLONI

UMR 7041 « Protohistoire européenne » Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, 21 allée de l’Université, 92023 Nanterre Cedex — [email protected]

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Un dépôt associé à une sépulture de la fin du Néolithique ancien à Buthiers-Boulancourt (Seine-et- Marne, France) Approche tracéologique et techno-fonctionnelle du mobilier lithique

Renaud Gosselin et Anaïck Samzun

1 Le corpus des sépultures assignables au Villeneuve-Saint-Germain est relativement réduit, en particulier pour l’étape récente et finale de cette culture, puisque l’on en compte à peine une cinquantaine répartie principalement dans la moitié nord de la France (Dubouloz et al. 2005). Nous avons choisi de présenter l’une d’entre elles récemment découverte sur le site d’habitat de Buthiers-Boulancourt dans le sud-ouest de la Seine-et-Marne, en raison d’une part, de son mobilier funéraire plutôt atypique pour le VSG et d’autre part, en raison de l’absence de sépulture remontant au Néolithique ancien dans tout ce secteur géographique localisé dans le sud du Bassin parisien. Cette région est en revanche bien connue pour les sépultures sous dalle dites de Malesherbes, attribuées à l’étape suivante du Néolithique moyen I (culture Cerny) pour les plus anciennes (Simonin et al. 1997).

Le site de Buthiers-Boulancourt

2 Le site de Buthiers-Boulancourt a été repéré en 2003 au cours d’un diagnostic en archéologie préventive dans le cadre de l’extension d’une carrière de sable. L’occupation est localisée à environ 75 km au sud de Paris, dans le Gâtinais occidental, en contexte de plateau (Samzun et al. 2006 ; fig. 1).

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1 - Localisation du site de Buthiers-Boulancourt

3 Deux secteurs d’habitats (fig. 2) ont été reconnus au cours de deux campagnes de fouilles en 2003 et 2005 : l’un, le plus important en surface (environ 1 ha) comprend sept maisons danubiennes (dénommées « UA » ou unités architecturales sur le plan) probables, principalement représentées par des fosses latérales et est attribué au Néolithique ancien (groupe VSG récent, avec céramique à “cordon”, 4900-4600 BC). L’autre secteur, plus restreint, remonte au Néolithique moyen I (culture Cerny, 4600-4200 BC) et comprend pour l’essentiel, un tronçon de fossé, quelques trous de poteau et deux fosses dont l’une a livré presque 10 kg de céramique (Durand et al. à paraître). Un polissoir en grès isolé situé à une cinquantaine de mètres des occupations néolithiques a également été mis au jour mais son attribution chronologique reste incertaine faute de vestige mobilier et immobilier associé. On peut cependant envisager l’hypothèse selon laquelle il a pu avoir été associé antérieurement à des inhumations comme c’est le cas à Orville « les Fiefs » localisé à proximité immédiate de Buthiers-Boulancourt, où une nécropole Cerny et une sépulture sous dalle ont été mises au jour (Simonin et al. 1997).

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2 - Plan du site et localisation des sépultures

(DAO L. Manolova et A. Samzun)

4 L’occupation VSG a également livré plusieurs structures liées à la combustion, fait assez inhabituel en Ile-de-France, parmi lesquelles un petit foyer en creux à pierres chauffées localisé dans une des maisons (UA 6), des fours domestiques creusés en sape dans le limon avec sole et cendrier (Samzun et al. 2007), une structure de type “brasero” ainsi qu’un four dit “polynésien”.

5 De plus, deux petits ensembles sépulcraux ont également été repérés et fouillés, incluant pour le n° 1 situé à proximité de l’occupation Cerny, deux sépultures et pour le n° 2, au moins trois inhumations individuelles.

6 Enfin, à l’est de l’UA 6, une incinération accompagnée d’ocre et d’un vase à fond rond et bouton à dépression centrale, très rarement attestée en France pour le Néolithique ancien, complète ces données. Quatre de ces inhumations y compris l’incinération, ont été datées au 14C et elles sont toutes rattachées à l’étape finale du VSG, puisque les datations s’échelonnent entre 4900 et 4600 cal. BC1.

7 Dans l’ensemble sépulcral n° 2 situé dans le secteur central, le mieux conservé du site, à quelques mètres de la zone des fours et au sud-ouest d’une longue fosse latérale liée à l’UA 4 (St 259), une sépulture en assez bon état de préservation a particulièrement retenu notre attention.

La sépulture 269 (fig. 3)

8 Cette inhumation se trouve à proximité d’au moins deux autres sépultures, st 268 et 416. En effet, une fosse ovalaire, st 268 (dimensions : 1,70 m x 1,25 m x 0,15 m), renfermant un squelette en position fléchie, mal conservé, accompagné d’ocre et sans mobilier associé a été mise au jour à l’est de la sépulture 269. Une quatrième sépulture, st 416, se trouve au sud de la st 269. Plus à l’est, une fosse vide, de dimensions analogues

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(st 270), correspond vraisemblablement à une tombe détruite par les travaux de labours.

3 - La sépulture 269, vue générale

(photo : équipe INRAP)

9 Ces petits groupements de sépultures à proximité d’un secteur d’habitat sont caractéristiques de l’aire VSG (Jeunesse 1997).

10 La sépulture 269 consiste en un sujet âgé de sexe féminin2 qui était déposé dans une fosse sub-circulaire assez large et peu profonde (1,80 m x 170 m x 0,30 m) au comblement limono-sableux brun-roux enchâssé dans le calcaire induré. D’après l’analyse anthropologique conduite par I. Le Goff (INRAP/UMR7041 « Ethnologie préhistorique »), il n’est pas impossible que le cadavre ait été placé dans une enveloppe souple. Orientée est ouest, tête à l’est et regardant vers le sud, l’inhumée reposait en position fléchie, hormis le bras gauche, le long du flanc gauche. Cette posture des inhumés est caractéristique dans l’aire rubanée et post-rubanée (Jeunesse1997). La défunte était déposée sur une épaisse couche d’ocre qui scellait une couche blanchâtre indurée et homogène. Les analyses de phytolithes par P. Verdin (Inrap-CEPAM) et le test palynologique de M. Boulen (Inrap-UMR 7041 « Protohistoire européenne ») n’ont pas permis de valider l’hypothèse de la présence d’une éventuelle « litière ».

Le dépôt sépulcral (fig. 4)

11 Dans le comblement de la fosse dont la partie supérieure a été partiellement entamée par les labours, et d’après l’étude céramologique (Durand et al. à paraître), on a constaté que sept tessons dont quatre comportent un motif décoratif (lignes imprimées sous le

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bord avec un poinçon, présence d’un cordon et d’un bouton sous le bord) et présentent un dégraissant composé de calcaire qui est par ailleurs très rarement rencontré sur le site avec seulement deux autres exemplaires. Tous ces tessons sont caractéristiques du VSG et paraissent constituer un dépôt volontaire de vases « importés » ou produits pour cette occasion et ont été vraisemblablement endommagés par les remaniements postérieurs.

12 Placé près du crâne à la gauche de l’inhumée, le mobilier funéraire était composé d’une carapace de tortue et de plusieurs pièces lithiques toutes en silex secondaire.

13 Le dépôt paraît avoir été partiellement endommagé, voire légèrement déplacé, probablement en partie en raison des travaux de labours et peut-être aussi par les fouisseurs dont les terriers étaient visibles au cours de la fouille.

4 - Détail du dépôt funéraire : carapace de tortue et mobilier lithique

(photo : équipe INRAP)

La carapace de tortue

14 D’après l’étude archéozoologique de C. Bemilli (Inrap-MNHN-UMR 5197), il s’agit d’une tortue commune européenne appelée cystude (Emys orbicularis). Elle est au trois-quarts complète (dimensions : 15 cm x 10 cm) et nous avons vérifié à la binoculaire (grossissement 120 mm) si d’éventuels stigmates de décarnisation ou de découpe ou autre étaient éventuellement visibles, ce qui n’était pas le cas. Aucun os du squelette de l’animal n’était présent. Il s’agit d’un type de dépôt rarement rencontré dans les sépultures. À Balloy/les Réaudins en Seine-et-Marne, associée à l’une des inhumations du Néolithique Moyen I probable (sép. 47, sujet de sexe féminin en posture allongée), une carapace était placée contre l’épaule droite, l’ouverture vers le haut. D. Mordant suggère une interprétation qui se baserait sur sa position contre la face de l’inhumée :

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l’objet suivant la bascule du crâne aurait donc pu être placé sur celui-ci comme un masque (Mordant 1997).

15 Une carapace de tortue nous a également été signalée dans la sépulture datée du Mésolithique tardif (VIe mil.) à Bad Dürrenberg dans l’Est de l’Allemagne par R.-M. Arbogast.

16 La fonction de ce type de dépôt pose question : peut-il s’agir d’un bien personnel, d’un dépôt symbolique, ou un simple contenant pour une offrande alimentaire ?

L’assemblage lithique

17 L’effectif des pièces recueillies dans la fosse de la sépulture est de 36 (poids total : 516 g ; tabl. 1), y compris les outils qui sont au nombre de six. Parmi les produits de débitage, seules trois pièces comprenant un éclat (flanc de nucleus, n° 7), et deux éclats laminaires (n° 8 et 9) paraissent clairement associées au dépôt sépulcral. Les autres pièces ont été collectées dans le comblement de la fosse à des altitudes différentes. Nous ne prenons donc en compte comme dépôt intentionnel que les artefacts reposant près du crâne et de la carapace de tortue, car certaines pièces ont manifestement été bougées et le dépôt sépulcral perturbé. Cinq des six outils (quatre grattoirs dont un double n ° 2-4, un et une pièce composite de type grattoir et burin) étaient rassemblés et clairement associés au dépôt funéraire. Un grattoir de petites dimensions (n° 11) se trouvait dans le comblement de la fosse.

Tableau 1 - Inventaire du débitage et de l’outillage de la sépulture 269 (silex S = silex secondaire)

18 Les pièces du dépôt funéraire ont toutes été débitées au percuteur dur sans soin particulier dans un silex secondaire local de couleur gris-beige à jaune clair, translucide, à grain assez fin et comportant des impuretés. Sa provenance pourrait se situer, à l’instar du site d’Échilleuses, « Les Dépendances de Digny » (Loiret), dans la vallée du Loing (Simonin 1988).

19 Les outils sont sur supports d’éclats (quatre pièces) ou d’éclats laminaires entièrement corticaux à partiellement corticaux. Les talons des pièces sont lisses et épais à l’exception de l’un d’entre eux qui est retouché. Leurs bulbes sont fréquemment esquillés. Leurs retouches sont abruptes à semi-abruptes. Ces outils paraissent tous liés au travail du grattage et du raclage.

20 L’ensemble de ces pièces porte une patine particulière que nous n’avons pas observée sur le mobilier livré par les structures liées à l’habitat où le silex est presque constamment d’apparence fraîche. La patine se présente sous forme de points blanchâtres qui envahissent toute la surface ou partiellement les artefacts. Est-ce parce que la fosse de l’inhumation constitue un ensemble clos et que les phénomènes taphonomiques ont pu ainsi agir de façon homogène sur le silex ou pourrait-il s’agir de l’action des effluents du cadavre ?

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Les caractéristiques de la production lithique VSG à Buthiers-Boulancourt (tabl. 2)

21 L’assemblage lithique de la sépulture, quoique peu abondant, reflète bien celui recueilli dans les fosses détritiques de l’occupation (silex secondaire de provenance locale), et est comparable aux assemblages des sites du Villeneuve-Saint-Germain, avec un débitage majoritaire d’éclats et un outillage qui se compose principalement de grattoirs sur éclats et éclats laminaires. Le mobilier recueilli dans les fosses dépotoirs du site même est en revanche assez indigent par comparaison à celui de certains sites VSG tels qu’Échilleuses (Loiret) (Simonin 1988), Poses, « Sur-la-Mare » (Eure) (Bostyn et al. 2003) ou Jablines, « La Pente de Croupeton » (Bostyn et al. 1991) qui peut atteindre plusieurs centaines de kg. La raison en est principalement les phénomènes érosifs, importants en contexte de plateau, et les labours qui ont largement contribué à la destruction des couches sommitales des structures.

Tableau 2 - Effectif de l’assemblage lithique de l’occupation VSG

(les fosses des « maisons » ou UA, les structures de combustion et les sépultures)

22 L’effectif totalise en effet seulement 2406 pièces, y compris les déchets pour un poids total d’un peu plus de 16 kg, pour l’occupation du Néolithique ancien. Il s’agit principalement d’une production d’éclats. La production laminaire est également peu abondante et ne représente guère que 184 lames, soit à peine 5 % de l’assemblage. Quant au silex tertiaire, il est plutôt rare et n’est manifestement pas débité localement : il comprend au total seulement 32 pièces et représente un peu plus de 1 % de la totalité du corpus lithique. Ces pièces en silex tertiaire comprennent généralement des grandes lames, des armatures de flèches et de faucilles.

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23 Les outils représentent environ 10 % de la production totale et les grattoirs et les denticulés sont majoritaires.

24 Concernant le dépôt funéraire de la sépulture 269, il s’agissait alors de déterminer si les pièces avaient été spécialement débitées et retouchées pour le défunt ou si les Néolithiques avaient éventuellement réemployé des artefacts à cet usage. C’est à ces questions que va tenter de répondre l’analyse tracéologique de ces artefacts.

L’approche tracéologique

25 Une analyse tracéologique a été réalisée sur vingt-cinq artefacts en silex provenant du site. Cette série est composée principalement de grattoirs (19 pièces), mais aussi d’un racloir et de quelques éclats (cinq pièces). Onze des artefacts étudiés ont été découverts en contexte sépulcral. Parmi ces supports, quatre grattoirs ainsi que le racloir se trouvaient à proximité immédiate du squelette inhumé dans la sépulture 269, tandis que cinq autres éclats et un grattoir proviennent du comblement de cette même sépulture. Les quatorze autres artefacts, tous des grattoirs, ont été découverts dans huit fosses domestiques.

26 Quelles que soient la culture et la période de la Préhistoire prises en considération, l’usage des grattoirs en silex est étroitement associé au travail de la peau, et aux processus qui conduisent à la transformation de ce matériau en cuir (Gosselin 2005). Toutefois, le corroyage des peaux n’est pas la seule activité réalisée à l’aide des grattoirs. Ainsi, un pourcentage important des grattoirs étudiés par H. Juel-Jensen sur le site mésolithique de Ringkloster, au Danemark, porte des traces d’usure relatives au travail du bois (Juel-Jensen 1982). En contexte néolithique, l’étude réalisée par J.- P. Caspar et L. Burnez-Lanotte (Burnez & Lanotte 1996, Caspard 1997) sur les grattoirs blicquiens du site de Vaux et Borset « Gibour », en Belgique révèle que certains grattoirs particulièrement massifs ont été utilisés au travail du bois et ont été qualifiés de « grattoirs-herminettes » par les auteurs. Ce même type de grattoir et d’usage, a également été observé par Sylvie Philibert sur le site « Le Moulin de Lettrée » de Neauphle-le-Vieux (Yvelines) (Philibert 1997). Enfin, à Vignely « La Noue Fenard », gisement néolithique de Seine-et-Marne, nous avons pu observer (Cottiaux et al. à paraître) qu’un quart des grattoirs a été utilisé au travail des matières dures animales (peut-être pour la décarnisation des os frais).

27 Le premier objectif de cette étude consistait, donc, à s’interroger sur l’utilisation potentielle de l’outillage associé à la défunte de la sépulture 269 et, le cas échéant, de déterminer la nature des activités réalisées à l’aide de ces supports. C’est la première fois, à notre connaissance, que l’on analyse en tracéologie du mobilier lithique associé à une inhumation remontant au Néolithique ancien, ce qui confère à la démarche et à ses résultats un caractère original. Sur la base des observations faites lors de cette première étape, un second objectif fut d’établir une comparaison entre la fonction des grattoirs découverts en contexte sépulcral et celle des grattoirs découverts dans les fosses domestiques. L’observation de microtraces d’usure a permis d’établir quelques différences au cours de cette comparaison. L’étude des traces a donc été complétée par la prise en compte de critères morphométriques et morphologiques des supports analysés afin de vérifier et de mieux établir, si possible, la valeur fonctionnelle des outils.

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Résultats (fig. 4-7)

28 L’analyse des artefacts a été effectuée au microscope métallographique à fond clair, à des grossissements compris entre x50 et x400. Les pièces ont été observées selon les protocoles propres à la discipline (Keeley 1980 ; Plisson 1985), après avoir été nettoyées à l’alcool à 90°. Des photographies des traces d’utilisation ont pu être obtenues à l’aide d’une caméra numérique adaptée au microscope, et reliée à un ordinateur. L’aspect de surface des silex était encourageant, et leur bon état de conservation a été confirmé sous le microscope, malgré la présence d’un fin liseré de patine qui affecte tous les silex issus de la structure 269. Par prudence, deux pièces présentant des marques d’altération ont été exclues des résultats de l’étude.

29 Sur les 23 autres supports, 31 zones usées (ZU) ont été observées. Parmi ces dernières, cinq ont été observées sur les tranchants de grattoirs associés à la défunte de la sépulture 269. Elles résultent, pour trois ZU, du travail de la peau (fig. 5 et 7, pièces n° 1 et 4) en action transversale (sens du travail perpendiculaire au tranchant actif). Des pigments rouges, interprétés comme étant de l’ocre, ont été observés sur la pièce n° 1, mais le poli observé sur le front de ce grattoir ne permet pas d’affirmer que l’ocre a été utilisée comme agent abrasif. Il peut également s’agir d’ocre lié à la sépulture. Un grattoir (fig. 5 et 7, pièce n° 9) présente un poli relatif au travail d’une matière végétale en action longitudinale (sens du travail parallèle au tranchant actif). Sur la même pièce, une trace générée par un contact avec une matière dure indéterminée pourrait être relative à un dispositif d’emmanchement.

5 - Microtraces d’utilisation sur le mobilier associé à la sépulture 269

30 Trois des six autres artefacts découverts, cette fois, dans le remplissage de la sépulture 269 portent également des zones usées dont le poli correspond au travail de la peau.

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Une pièce semble, en outre, avoir travaillé une matière dure animale, probablement de l’os (fig. 5 et 7, pièce n° 8).

31 Vingt-deux zones usées ont été observées sur les grattoirs des fosses domestiques. Près de la moitié d’entre elles (10 ZU) correspondent à des traces relatives au traitement des peaux avec, pour certaines, l’usage éventuel d’un abrasif tel que l’ocre. Les autres ZU, lorsqu’elles ont pu être déterminées, ne renvoient pas à une activité à proprement parler, mais à la façon dont les grattoirs ont été utilisés. Il s’agit de traces qui témoignent, de façon au moins probable, de l’usage d’un système d’emmanchement réalisé à l’aide de matières dures animales (os, bois de cervidé) et/ou d’un manchon en tissu carné (cuir).

6 - Microtraces d’utilisation sur le mobilier des fosses-dépotoirs

Interprétations

32 Comme on peut le constater, quel que soit le contexte de découverte, comblement de sépulture ou fosse domestique, les grattoirs présentent des traces d’usure qui se rapportent, pour la très grande majorité d’entre elles, au traitement des peaux. Les autres utilisations semblent marginales et concernent des supports qui peuvent être classés typologiquement comme des éclats ou des éclats laminaires. En ce qui concerne les stigmates associés au travail de matières dures animales, il convient de préciser qu’ils n’entretiennent aucune relation avec la présence de la carapace de tortue dans la sépulture.

33 Si l’usage des grattoirs est homogène, une première distinction s’opère toutefois et qui concerne la durée d’utilisation de ces outils. En effet, les microtraces d’usure affectant les zones actives des grattoirs des fosses domestiques sont généralement bien marquées et traduisent une durée d’utilisation assez longue. À l’inverse, les polis de peau observés sur les grattoirs associés à la sépulture sont plus ténus et témoignent du fait que la durée de leur ultime utilisation (peut-être la première ?) semble avoir été assez

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brève. Une autre distinction importante repose sur l’absence de traces d’emmanchement certaines ou probables sur les pièces lithiques de la sépulture, alors qu’elles sont nombreuses sur les grattoirs des fosses domestiques. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle, soit les outils de la structure 269 n’ont jamais été emmanchés, soit leur utilisation a été trop courte pour que cet emmanchement puisse laisser des traces observables.

34 Puisque les microtraces d’utilisation favorisent une distinction entre les supports en fonction de leur contexte de découverte, nous avons cherché à vérifier si cette distinction pouvait être perçue à l’échelle macroscopique et sur la base de caractères morphométriques et morphologiques. Les résultats de cette démarche ont conforté ceux de l’approche tracéologique au-delà de nos espérances. En effet, on observe deux faits qui renforcent l’hypothèse d’une considération différente à l’égard des pièces lithiques selon qu’elles ont été déposées en milieu sépulcral ou abandonnées dans les structures domestiques. Ces faits sont associés, d’une part, à la forme des zones usées et, d’autre part, à la longueur des supports (fig. 7). La superposition des délinéations des parties actives associées au traitement des peaux révèle que la forme des zones usées des outils de la sépulture 269 est convexe, présentant un arc de cercle qui paraît très régulier. En revanche, la forme des parties actives des grattoirs mis au jour dans les structures domestiques est surbaissée ou sinueuse dans la très grande majorité des cas.

7 - Stigmates d’usure et morphométrie des supports étudiés

35 La distinction établie entre les pièces lithiques selon leur contexte de découverte devient encore plus flagrante si on prend en compte la longueur des supports. On observe, en effet, que deux groupes de pièces se distinguent nettement de part et d’autre d’une frontière qui se situe entre 4 et 5 cm de longueur. Ainsi, dans la sépulture 269, la plupart des artefacts ont une longueur supérieure à 5 cm. Dans les

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fosses dépotoirs, au contraire, les pièces lithiques ont une longueur qui excède rarement les 4,5 cm et est bien souvent inférieure à 4 cm. Ce constat renforce l’hypothèse émise précédemment selon laquelle les artefacts découverts en contexte sépulcral ont été enfouis alors qu’ils n’avaient été que peu (ou pas pour certains ?) utilisés.

36 Ainsi, et pour résumer, les caractères macroscopiques que sont la délinéation des parties actives et la longueur des artefacts répondent aux observations microscopiques (nature, degrés des usures) et confèrent aux artefacts lithiques découverts à proximité immédiate de la défunte une valeur toute particulière qu’il reste néanmoins à comprendre.

Comparaisons et attribution chrono-culturelle

37 La sépulture 269 peut-être rapprochée d’une autre inhumation repérée à proximité et qui appartient également au groupe sépulcral n° 2. Il s’agit de la structure 416 située à quelques mètres qui comprend un sujet adulte également âgé, de sexe masculin, inhumé dans une fosse oblongue, particulièrement large et profonde (dimensions : 2,50 m x 1,80 m x 1,50 m). Le squelette est également orienté est ouest et en position fléchie. L’ocre était surtout présent sur le crâne et d’après l’analyse anthropologique de C. Buquet (Inrap-UMR 5199-PACEA), le corps était selon toute vraisemblance, enseveli dans un coffrage qui a probablement été calé par un fragment de meule en grès. L’inhumé est associé à un mobilier exceptionnel comprenant un très jeune ovin-caprin déposé à ses pieds, une longue hache en schiste placée à l’arrière du crâne (longueur de la hache : 20 cm), et un pic bifacial en silex secondaire partiellement poli de grandes dimensions (30 cm de longueur) (Samzun et al. à paraître). Malgré un mobilier sépulcral plus riche et vraisemblablement très rare à cette période, on peut observer un parallèle à la sépulture 269, avec un dépôt animal (même s’il s’agit ici d’un animal domestique) et des artefacts lithiques (même s’ils sont plus élaborés). L’analyse tracéologique n’a pas encore été tentée sur la hache et le pic, mais ils paraissent l’un et l’autre pratiquement intacts et à l’état « neuf ».

38 Les datations radiocarbones et la présence de céramique caractéristique permettent une attribution au VSG qui est renforcée par le fait que l’inhumation 269 se trouve à proximité de deux autres sépultures (dont une, la 416, est datée entre 4900-4700 cal BC) et que ce petit ensemble s’étend au sud de la grande fosse latérale sud (st 259) de l’UA 4.

39 Le mobilier associé à la sépulture 269 nous paraît relativement atypique pour la fin du Néolithique ancien. En effet, les dépôts lithiques mais également d’animaux sont très rarement rencontrés dans les sépultures RRBP et post-rubanées auxquelles sont principalement associées des parures de coquillage, des céramiques, et des bracelets de pierre. Cependant à Fresnes-sur-Marne (Seine-et-Marne), Y. Lanchon signale la présence de trois lames de silex sur le bras gauche dans une sépulture attribuée au VSG (Bouchet et al. 1996). Les pièces lithiques font surtout leur apparition dans les tombes au cours de l’étape suivante, le Néolithique moyen I (Cerny). Ainsi, les sépultures allongées des nécropoles de type Passy dans l’Yonne et en Bassée (Müller et al. 1997, Mordant 1997), mais celles qui sont également proches du secteur géographique du site de Buthiers-Boulancourt, comme les sépultures sous dalle d’Orville et de Malesherbes, où presque tous les corps sont en posture fléchie (Simonin et al. 1997) renferment des armatures de flèches perçantes ou tranchantes, des lames, quelques haches, tranchets

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et pics de petites dimensions et des parures de dentales et de dents d’animaux. Elles peuvent également contenir des dépôts partiels d’animaux tels que mandibules ou cuissots de porcs.

40 Il convient de rappeler que la majorité des inhumations VSG ont été mises au jour dans le fond des vallées alluviales et peu d’entre elles sont connues en contexte de plateau. Enfin, les tombes remontant à la fin du Néolithique ancien ne sont guère attestées dans le sud-ouest de la Seine-et-Marne, ni même en région Centre et nous manquons de corpus de référence fiable. Les sépultures de Buthiers-Boulancourt restent donc quelque peu isolées pour en tirer des généralités.

41 Cependant, la présence de plusieurs tessons décorés dans le comblement de la sépulture 269 associés à du mobilier lithique et un dépôt d’animal, permet d’envisager que cette sépulture appartient à une étape du Néolithique au cours de laquelle on constate à la fois une continuité (abondance de l’ocre, présence vraisemblable de céramique liée à l’inhumation qui correspondent à des traits caractéristiques des phases ancienne et moyenne du VSG) mais où apparaissent également des changements dans les pratiques funéraires (apparition de dépôts animaux et de mobilier lithique) qui semblent d’avantage liés au Néolithique moyen I.

Conclusion et perspectives

42 Dans le cas de ces deux sépultures, la 269 et la 416, on constate une différence qualitative entre le mobilier contenu dans les fosses domestiques (pièces généralement peu élaborées et très utilisées) et celui associé aux sépultures (pièces de dimensions plus importantes, stigmates d’usures peu présentes et rares dans le cas de la 416). Dans le cas de la sépulture 269, les pièces principalement liées au grattage et au raclage des peaux représentent-elles un bien personnel, pourraient-elles éventuellement indiquer la fonction de l’inhumée au sein de son groupe ? Auquel cas, le dépôt sépulcral constituerait-il un viatique ?

43 Il serait également pertinent de mettre en parallèle le mobilier lithique de la sépulture 269 avec d’autres ensembles remontant au Néolithique pour valider l’hypothèse d’artefacts peu ou pas utilisés associés aux sépultures. À l’instar de quelques exemples connus au Néolithique (Melis & Cappai, Signe et fonction des objets lithiques préhistoriques en Sardaigne, ce même volume), s’agirait-il de débitage et d’outillage réalisés dans le cadre de rituels funéraires et donc d’une production spécifique pour les morts ?

44 Nous dédions ce travail à la mémoire de Fabrice Nicolle, récemment disparu.

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NOTES

1. Centre for Isotope Research, Groningen. Les datations sur les sépultures obtenues sont les suivantes : - groupe sépulcral n° 1 : Sép. 1 : GrA-30904 : 5870+-40 BP : 4840-4650 cal. BC - incinération (st 198) : GrA-30823 : 5980+-50 BP : 5000-4720 cal. BC - groupe sépulcral n° 2 : Sép. 269 : GrA-31022 : 5860+-40 BP : 4830-4610 cal BC / Sép. 416 : GrA-30913 : 5920+-40 BP : 4910-4700 cal BC 2. Fouillée par F. Nicolle†, Inrap

RÉSUMÉS

Une sépulture de la fin du VSG (4900-4600 av. n. è.) mise au jour sur le site de Buthiers- Boulancourt (Seine-et-Marne, France) était accompagnée d’un dépôt funéraire comprenant une carapace de tortue et plusieurs pièces lithiques (4 grattoirs, un racloir et six pièces non retouchées). Il convient de rappeler que ce type de mobilier est assez rare dans les tombes de la fin du Néolithique ancien dans lesquelles céramiques, bracelets en schiste et parure en coquillage prédominent. Après une présentation du site, de la sépulture et de son mobilier sépulcral, une analyse typo-fonctionnelle et tracéologique du mobilier lithique ainsi qu’une comparaison avec l’assemblage lithique recueilli dans les structures d’habitat (fosses dépotoirs, structures liées à la combustion) du site sont proposées. L’assemblage lithique et en particulier l’outillage associé à la tombe est caractéristique de cette étape du Néolithique avec une majorité de grattoirs mais il diffère sensiblement de celui des fosses détritiques par les dimensions des pièces et le fait qu’elles ont été peu ou pas utilisées.

An Early Neolithic burial (post LBK or VSG culture, 4900-4600 BC) has been discovered in the Neolithic site of Buthiers-Boulancourt (Seine-et-Marne, France). Its funerary deposit consists of few flint lithic tools (4 scrapers, 1 burin, and 6 flakes) and a turtle shell. These kinds of objects are rather rare in tombs of this period, in which ceramic, schist bracelets and shell ornaments predominate. After a presentation of the site, the burial and its sepulchral objects, a typo- functional and traceological analysis of the lithic assemblage and a comparison with the material collected in the dwelling structures (dumping pits, structures linked with combustion) of the site, are proposed. If the lithic assemblage linked with the skeleton is characteristic of this phase of the Neolithic (scrapers are preponderant), it differs from the flint tools found in the dumping pits in morphology, dimensions and the fact that the grave’s objects have not or little been used.

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AUTEURS

RENAUD GOSSELIN INRAP - 32, rue Delizy 93000 Pantin, France — [email protected]

ANAÏCK SAMZUN INRAP - 32, rue Delizy 93000 Pantin, France/UMR 7041 - Protohistoire européenne - Nanterre, France — [email protected]

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Les grandes lames de silex du mobilier funéraire des proto- éleveurs du sud de l’Europe orientale

Natalia N. Skakun Traduction : Hugues Plisson

1 Les produits de silex sont l’une des composantes les plus répandues du mobilier funéraire dans différentes cultures de la préhistoire et des débuts de la métallurgie. En général, les chercheurs prêtent attention à ces produits, en soulignant leur caractère unique, mais, malheureusement, ils en donnent rarement les caractéristiques techniques et posent encore moins souvent la question de leur statut fonctionnel, alors que l’étude approfondie de ces objets peut renseigner sur leurs modes de fabrication et leurs fonctions, révéler des détails sur les rituels funéraires, préciser la chronologie et montrer le jeu des influences culturelles.

2 Tout cela s’applique largement au matériel des ensembles funéraires des premières communautés de pasteurs qui vécurent dans les régions steppiques comprises entre le Dniepr et le Don, à la fin du Ve et au début du IV e millénaire. Dès le moment de la découverte de ces assemblages, les archéologues ont vivement discuté la question de leur synchronisation avec les différentes phases des cultures agricoles précoces de la région balkano-danubienne (Tripolje-Kukuteni en Ukraine, Moldavie et Roumanie ; Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI en Roumanie et Bulgarie, et Varna en Bulgarie) et le rôle que prirent les migrations des nomades dans leur disparition soudaine et l’extension des Indo-européens en Europe (Dobrovolsky 1929 ; Danilenko 1959 ; Telegin 1991, Telegin 1973, Telegin et al. 2001 ; Rassamakin 1999 ; Dergachev 2000, 2007 ; Manzura 2000 ; Todorova 1986, Todorova dir. 2002 ; Gimbutas 1991, Gimbutas 2006, etc. ; fig. 1). Les assemblages en question sont principalement connus par des sépultures et beaucoup moins par des sites d’habitat. Ils apparaissent dans la littérature archéologique dès le début du XXe siècle sous le nom de la culture Srednij Stog II (Dobrovolsky 1929, Danilenko 1959, Telegin 1973), ou culture des Kourgans (Gimbutas 1956, Gimbutas 2006).

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Récemment, à la lumière de nouvelles données, certaines sépultures furent regroupées en une culture distincte dénommée Novodanilovka (fig. 2, Telegin et al. 2001). Celle-ci, dont les sites sont dispersés dans toute l’aire steppique depuis le Don jusqu’au bas Danube, n’est connue que par ces sépultures. Elles sont caractérisées par des inhumations en fosse, avec les corps étendus sur le dos, jambes fléchies, la tête orientée soit à l’est soit au nord-est. Les os sont recouverts par une grande quantité d’ocre. Leur mobilier funéraire diffère de celui de la culture Srednij Stog par l’utilisation de dalles de pierre pour la construction de la tombe, l’abondance des objets en cuivre, dont de la parure, et par la présence de nombreuses pièces de silex remarquables par la perfection de leur facture.

1 - Répartition des cultivateurs et des pasteurs énéolithiques dans le sud-est de l’Europe (1), et voies supposées (2) des invasions Indo- Européennes

(d’après Gimbutas 2006)

3 Les sépultures découvertes dans la ville de Lugansk, à l’est de l’Ukraine, sous un kourgan arasé, comptent parmi les sites les plus intéressants de la culture de Novodanilovka, Le diamètre du kourgan est de 25 mètres tandis que sa hauteur actuelle ne fait plus que 55 centimètres. En addition de la sépulture de type Novodanilovka, il y avait aussi une inhumation postérieure propre à la culture des Tombes en fosse, mais il est difficile de dire à laquelle des deux était associé le monticule (Pislariy et al. 1976).

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2. Distribution des sites de la culture de Novodanilovka (d’après Telegin 2001)

Sites mentionnés dans le texte : Lugansk-37 ; Petro-Svistunovo-20 ; Chapli-19 ; Staryi Orlik-15 ; Kreidyanka-33 ; Goncharovka-34 (Ukraine) ; Kainary-7 ; Djurjuleshty-8 (Moldavie) ; Reka Devnya-3 (Bulgarie) ; Mureshului-2 (Roumanie) ; Chongrad-1 (Hongrie)

4 La fosse de la tombe, de 2,7 m par 2,35 m, avait été creusée dans un sol vierge, à une profondeur de 0,92 m du sol actuel. Ses trois murs étaient recouverts de pièces de marne ; malheureusement, la partie nord-ouest de la fosse et l’un des squelettes furent partiellement détruits par la sépulture postérieure attribuée à la culture des Tombes en fosse (fig. 3), Trois squelettes d’hommes reposaient sur le dos, en position fléchie, la tête vers l’est, les bras le long du corps et les mains croisées sur le pelvis. Les os et le fond de la fosse étaient couverts d’ocre. Le matériel funéraire est composé d’objets en os, d’astragales, et de pièces lithiques, parmi lesquelles une meule, deux haches en ardoise et deux en silex, un grattoir sur éclat et 17 lames et fragments de lames. Ces lames, de grandes dimensions, dominent dans l’assemblage. Elles étaient disposées près des crânes et dans la partie supérieure du squelette post crânien, tandis qu’un spécimen était dans la main de l’un des inhumés. Jusqu’ici ce matériel n’a été décrit que de manière très globale, sans analyse des matières premières, des modes de débitage ni des traces d’usage. Pour combler cette lacune, nous avons entrepris une étude morphologique, technologique et tracéologique de 14 grandes lames en silex jaune miel, gris zoné et noir translucide.

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3 - Plan de la sépulture de Lugansk (a - ocre ; b – objets)

(d’après Pislariy et al. 1976)

5 La plupart des spécialistes inclinent à penser que ces objets sont dans un silex local de haute qualité connu par les gisements et les mines énéolithiques du bassin du Don (Zweibel 1970). Il semble cependant prématuré de statuer sur les sources de silex en l’absence de données pétrographiques. En outre, le silex jaune est très semblable à celui de Dobrudja qui fut largement utilisé dans l’Énéolithique de Bulgarie (Nachev et al. 1981), tandis que les variétés grises zonées et noires ressemblent au silex de Volyn’ au nord-ouest de l’Ukraine, qui était commun sur les sites de la culture de Trypolie. Il convient de souligner qu’au cours de l’Énéolithique ces deux types de silex furent intensivement utilisés et des produits finis furent exportés à de longues distances, dans des régions très éloignées des centres de production. En outre, des contacts intensifs entre les populations d’agriculteurs et d’éleveurs sont attestés par la présence d’objets importés en matières autres que le silex, telles que la céramique et le cuivre (Skakun 2004, 2006 ; Telegin et al. 2001).

6 Pour des raisons pratiques, les lames étudiées de la sépulture de Lugansk sont divisées en trois groupes, selon leur couleur.

7 Le premier groupe consiste en 7 lames de silex jaune, 6 étant intactes et 1 figurant sous la forme d’un fragment proximal (fig. 4 et fig. 6 : 1, 2, 5, 7-10). Leur longueur est comprise entre 15 et 23 cm, leur largeur entre 2 et 3,8 cm et leur épaisseur entre 0,4 et 0,6 cm.

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4 - 1 à 7 : lames de la sépulture de Lugansk (silex jaune)

8 Elles ont un contour régulier, des pans latéraux parallèles avec des bords tranchants, une section triangulaire ou trapézoïdale basse, un profil droit ou courbe, une extrémité proximale épaissie par le bulbe de percussion, lequel, dans trois cas, porte une esquille bulbaire. Les talons sont minuscules, soit ellipsoïdaux ou en forme de trapèze irrégulier. Dans la plupart des cas la surface dorsale adjacente est légèrement abrasée et tous les surplombs ont été supprimés. Une des lames est restée brute de retouche (fig. 4 : 6 ; fig. 6 : 9), tandis que les 5 autres, désignées sous le terme de poignard, ont été façonnées par une retouche dorsale partielle. Sur 3 des lames intactes, les bords adjacents au talon portent une retouche abrupte, tandis que leur extrémité distale appointée a été renforcée par des enlèvements rasants (fig. 4 : 4, 5, 7 ; fig. 6 : 2, 8, 10). Sur la quatrième lame la retouche n’est pas seulement appliquée aux extrémités basales et apicales mais aussi sur l’un des bords (fig. 4 : 2 ; fig. 6 : 5) ; quant à la cinquième, seule l’apex est retouché (fig. 4 : 3 ; fig. 6 : 7). Le fragment n’est retouché qu’en bordure du talon (fig. 4 : 1 ; fig. 6 : 1). À en juger par la structure et la couleur du silex, toutes les lames entières pourraient avoir été débitées dans un même bloc. Pour trois d’entre elles une telle hypothèse est plus que vraisemblable, car leurs extrémités distales montrent une veine rouge-brun identique (fig. 4 : 3, 6, 7 ; fig. 6 : 6, 9, 10).

9 Le second groupe est celui des pièces en silex gris avec un motif en bandes qui suggère qu’elles ont aussi été tirées du même nucléus (fig. 5 : 1-3 ; fig. 6 : 3, 4, 6). Deux lames sont intactes ; elles mesurent 19,2 et 19 cm de long, 2,3 cm de large et 0,4 cm d’épaisseur. La troisième lame est représentée par un fragment distal (16 x 3,5 cm x 0,6 cm). Comme les lames en silex jaune, elles ont un contour régulier, des bords tranchants parallèles, une section triangulaire ou trapézoïdale aplatie, un profil courbe et un proximal épais. Leurs talons, petits, lisses et légèrement biseautés, ne montrent pas de trace d’abrasion mais les bords adjacents en sont retouchés. L’extrémité

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proximale de l’une d’elles est abattue par une retouche appliquée aux deux bords (fig. 5 : 3 ; fig. 6 : 4). Les autres lames ne sont pas du tout retouchées (fig. 5 : 2 ; fig. 6 : 6), tandis que le fragment porte une petite retouche sur ses deux bords (fig. 5 : 1 ; fig. 6 : 3).

5 - 1 à 7 : lames de la sépulture de Lugansk (silex gris et noir)

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6 - Lames de la sépulture de Lugansk

10 Les lames et fragments décrits trouvent une forte similitude dans le matériel d’autres ensembles funéraires de la culture Novodanilovska examinés par l’auteur, tels que Petro-Svistunovo (fig. 9 : 1-6 ; fig. 10) et Chapli (fig. 11) en Ukraine, et Kainary et Djurdjuleshty en Moldavie. Les ressemblances sont autant dans la couleur (jaune) et la structure du silex, que dans les caractéristiques des lames qui signent leur mode de débitage. D’après la littérature, des objets semblables sont présents aussi dans les sépultures de Mureshului en Roumanie, Reka Devnya en Bulgarie, Chongrad en Hongrie orientale. En outre, des lames de même type proviennent de quelques dépôts connus dans la zone des cultures nomades des steppes, par exemple à Staryi Orlik, Goncharovka, Kreidyanka, etc. (Telegin et al. 2001). Cependant, la qualité des publications ne permet pas de dire avec certitude si la technologie laminaire est dans tous les cas identiques. Les nucléus trouvés dans certaines des sépultures et des caches mentionnées sont de silhouette conique, à débitage unipolaire et table de débitage unique, avec un dos plat, pour une longueur comprise entre 11 et 18 cm. Ils ne sont pas complètement épuisés, mais leur exploitation semble avoir cessé lorsqu’ils n’avaient plus une longueur suffisante pour obtenir des lames de la dimension voulue. Le même phénomène peut être observé avec le matériel des ateliers de taille du silex des communautés agricoles de la région balkano-danubienne (Skakun 1996, 2004).

11 La comparaison des lames étudiées ici avec celles des cultures agricoles du sud-est de l’Europe, où la technologie du silex avait atteint un sommet de perfection (Skakun 1984, 1992, 1993, 1996, 2006), montre que d’un point de vue technique, le matériel de type Novodanilovka a davantage en commun avec les assemblages Kodjadermen-Gumelnita- Karanovo VI et Varna qu’avec le matériel de type Tripolje-Cucuteni. Les lames des sépultures de type Novodanilovka partagent avec celles des sites du complexe Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna nombre de caractères qui signent la

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technologie du débitage : petit talon non facetté, abrasion de la corniche avant l’extraction, une notable courbure de l’extrémité proximale due à la présence d’un bulbe marqué, une face dorsale plate aux arêtes basses, une section régulière triangulaire ou trapézoïdale, des bords réguliers parallèles. Des séries d’expériences conduites par différents chercheurs ont montré que la production de telles lames requérait des moyens de débitage particuliers, dont le mécanisme du levier (Pelegrin 2006).

12 Cependant, il y a une différence notable dans le façonnage des supports. Aucune lame des ensembles Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna n’est retouchée aux deux extrémités. Je n’en ai pas observé dans le matériel des nécropoles de Varna et Durandulak, que j’avais pour partie étudié, et il n’en est pas mentionné non plus dans les nouvelles publications (Kynchev 1978 ; Sirakov 2002 ; Manolakakis 2002). Il convient aussi de noter que la composition des assortiments d’outils dans les sépultures de type Novodanilovka diffère de celles de Varna et Durankulak. En plus des longues lames et de leurs fragments non retouchés, les « trousses à outils » dans les deux sites Bulgare comprennent des grattoirs, des perçoirs, des burins, des microlithes géométriques et des pointes de javelines. Dans les assemblages constituant le faciès Novodanilovka, les lames retouchées et non retouchées sont complétées par des armatures de flèches et de javelines, des haches et des grattoirs simples sur lame ou éclat.

13 Les lames de la culture Tripolje-Cucuteni sont plus massives et moins régulières. Souvent elles ont un profil courbe, une forme moins symétrique, un talon large et une extrémité proximale plus épaisse. D’après les expérimentateurs, ces différences sont dues au fait que les lames en contexte Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna, et probablement celles de type Novodanilovka, furent débitées par la pression au levier, ce qui ne fut pas le cas de celles de type Tripolje-Cucuteni.

14 Les différences portent aussi sur le traitement secondaire. Tandis que les lames de l’entité Novodanilovka sont transformées en poignards par une retouche uniquement à leurs extrémités basales et apicales, les poignards de type Tripolje-Cucuteni ont une retouche dorsale continue ou intermittente qui couvre les bords et l’apex, créant une forme distincte dont les éléments de comparaison les plus proches sont à rechercher parmi les outils de la culture Srednij Stog (Skakun 2004 ; Telegin et al. 2001).

15 L’analyse tracéologique des deux premiers groupes a montré que la majorité des pièces étudiées, fragments de lames inclus, portait deux types de traces d’usage : l’un confiné aux bords et à l’apex, l’autre à l’extrémité proximale. Dans le premier cas, les traces d’usure sont présentes sous forme de petites ébréchures et de bandes étroites de poli sur les deux faces des bords formant la pointe. Parfois, elles sont accompagnées par des micro-traces linéaires sous forme de stries faiblement marquées plus ou moins parallèles au bord. Cette forme d’usure est similaire à celle caractéristique des couteaux utilisés pour couper la viande. Quelques lames ont des traces de frottement dans les zones adjacentes à leur talon qui pourraient être indicatives d’un emmanchement. En outre, toutes les lames ont une quantité variable d’ocre à leur surface, et dans plusieurs cas il ne s’agit pas de grains isolés provenant du remplissage de la tombe mais de larges bandes intentionnellement marquées, l’ocre ayant été par endroit frottée dans les facettes de retouche.

16 Les pièces du troisième groupe que nous avons distingué dans la sépulture de Lugansk sont en silex noir. Elles comprennent trois lames intactes retouchées en poignard (18 x

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3,5 x 1,3 cm ; 14 x 2, 2 x 0,8 cm ; 12,5 x 2 x 0,8 cm, fig. 5 : 5-7 ; fig. 7 : 2-4) et un fragment de lame (10,5 x 3 x 0,5 cm, fig. 5 : 4 ; fig. 7 : 1). Ils diffèrent des lames en silex jaune et gris décrites ci-dessus. Les lames en silex noir sont plus courtes et plus massives, leur profil est courbe et l’épaisseur de la zone bulbaire moindre. Le talon, conservé sur deux spécimens, est large, sub-triangulaire, biseauté, lisse, avec abrasion de la corniche. La section est soit triangulaire, soit en trapèze irrégulier et les bords sont parallèles. Ces traits montrent que la technologie mise en œuvre, bien que parfaite, différait de celle utilisée pour produire les lames en silex jaune et gris. La technique de retouche aussi était distincte. La forme particulière des poignards était obtenue au moyen de longs enlèvements plats et étroits, probablement réalisés au moyen d’un retouchoir compresseur en cuivre (fig. 5 : 5-7 ; fig. 7 : 2-4). La surface dorsale de l’une de ces lames noires est complètement recouverte par cette retouche en ruban convergeant depuis les bords vers l’axe central de la pièce fig. 5 : 6 ; fig. 7 : 3). Une autre lame est travaillée de la même façon, à l’exception d’une petite zone non retouchée à l’extrémité basale (fig. 5 : 5 ; fig. 7 : 2). La troisième et plus grande lame a été transformée par une retouche directe marginale et un piquetage puis un polissage dorsal. La face ventrale de l’extrémité proximale est complètement couverte de larges enlèvements plats et le reste de la surface montre des traces de polissage (fig. 5 : 7 ; fig. 7 h 4 ; fig. 8 : 1-4). La forme de ces poignards est une lointaine réminiscence de celle de deux exemplaires du cimetière de Petro-Svistunovo (fig. 8 : 7, 8), qui appartient à la culture de Novodanilovka. Il n’y a rien d’équivalent dans le matériel de la culture Srednij Stog, ni dans celui de type Kodjadermen-Gumelnitsa-Koranovo VI et Varna. Quant aux sites du stade moyen du Tripolie, des fragments isolés de lames avec la face supérieure complètement couverte par une longue retouche sont connus dans le site de Bodaki qui était un centre spécialisé de taille du silex (Skakun 2004). Le quatrième objet est un fragment proximal de grande lame, avec un talon sub- triangulaire, biseauté, lisse, un profil droit, une section trapézoïdale et des bords parallèles (fig. 5 : 4 ; fig. 7 : 1) : des caractéristiques similaires à celles des autres lames du groupe.

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7 - Lames de la sépulture de Lugansk

8 - Traces de piquetage et de polissage sur le poignard de la sépulture de Lugansk

17 L’analyse tracéologique des poignards a montré que deux d’entre eux (fig. 5 : 5, 6 ; fig. 7 : 2, 3) ont sur leur face ventrale des traces faiblement marquées de découpe de

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matière tendre, peut être de la viande. Les faces du troisième poignard (fig. 5 : 7 ; fig. 7 : 4), particulièrement la ventrale, ont des traces de piquetage, concassant la couche superficielle du silex et clairement visibles à l’œil nu, ainsi que des traces d’abrasion. Dans la partie médiane de la pièce l’abrasion est orientée selon son grand axe mais à son extrémité distale elle est transversale. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à établir si ces traces résultaient d’une mise en forme de l’outil ou de son utilisation (fig. 8 : 1-4). Un des bords du fragment de lame (fig. 5 : 4 ; fig. 7 : 1) porte des ébréchures et un micro-poli caractéristiques des couteaux à viande. Tous les objets ont des traces d’ocre à leur surface.

9 - Lames du tertre funéraire de Petro-Svistunovo

18 Ainsi, les grandes lames de la culture de Novodanilovka démontrent le plus haut degré d’accomplissement de la technologie du silex à l’Énéolithique : nouvelles techniques de détachement des lames, incluant celles fondées sur l’application du levier, et l’usage du cuivre pour les compresseurs. L’absence de tout habitat de la culture de Novodanilovka et l’insuffisance des données relatives aux ateliers de taille du silex dans la zone steppique comprise entre le Dniepr, le Don et la Volga, ne permettent pas de déterminer s’il s’agit de découvertes techniques indépendantes ou d’emprunts. Il n’est pas non plus possible de dire quand apparurent les plus anciens centres de production de grandes lames. Cependant, l’opinion de M. Gimbutas, selon laquelle l’apparition du phénomène des grandes lames est liée à l’invasion des cultures des steppes, ne nous paraît pas suffisamment argumentée. Les cultures agricoles locales étaient le cadre de grands centres de production lithique qui exportaient de longues lames de silex sur d’importantes distances et les racines de ces se trouvent déjà localement au début de l’Énéolithique. Bien que les instruments pour la vie quotidienne et ceux destinés aux dépôts funéraires relevaient des mêmes technologies (Skakun 1996, 2004, 2006), il est intéressant de noter que les plus grands supports, probablement des objets

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de prestige, proviennent toujours des sépultures. Citons à titre d’exemple une lame unique de 44 cm trouvée dans la nécropole de Varna (Skakun 1996, Sirakov 2002, Manolakakis 2002). Le fait qu’à la fin du Néolithique des longues lames de silex étaient produites ailleurs en Europe (par exemple en Espagne, en France, en Belgique, en Pologne) doit nous mettre en garde sur toute conclusion prématurée à propos de la genèse et de la diffusion de cet important phénomène.

10 - Lames du tertre funéraire de Petrovo-Svistunovo

19 L’étude tracéologique de lames de type Novodanilovka montre que leur utilisation comme couteau à viande est mineure. Leur homogénéité fonctionnelle et la présence d’ocre rouge à leur surface laissent supposer qu’elles jouaient un rôle important dans les cérémonies rituelles funéraires. Le même type d’usure fut identifié par K. Kynchev, M. Gurova et le présent auteur sur de grandes lames provenant des nécropoles énéolithiques de Varna et Durankulak en Bulgarie, qui livrèrent aussi des fragments de lames destinés à d’autres usages, tels que des armatures de faucilles (Kynchev 1978, Gurova 2002, Skakun 2006).

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11 - Une partie de la sépulture de Chapli (Ukraine)

20 Plusieurs faits rendent crédible l’hypothèse selon laquelle les sépultures de la culture de Novodanilovka appartenaient à des tailleurs de silex itinérants (Telegin 1985). Cette idée est en accord avec l’absence de tout site d’habitat connu pour cette culture, représentée exclusivement par des ensembles funéraires dispersés sur un large territoire du Danube au Don inférieur. La présence dans ces assemblages d’outils de silex divers de facture élaborée (poignards sur grandes lames, minuscules haches bifaciales, pointes de flèches et de javelines, nucléus), ainsi que les caches de longues lames trouvées par ailleurs, abondent dans le même sens. Cependant, une telle hypothèse ne nous aide pas à comprendre comment et par quelles voies les nouvelles façons de travailler le silex se diffusèrent durant l’Énéolithique. La résolution de cette importante question est l’un des objectifs de notre projet de recherche fondé sur les études typologiques, technologiques, pétrographiques et tracéologiques d’outils de silex de Russie, d’Ukraine, de Moldavie, ainsi que de Roumanie, de Bulgarie et de Pologne au début de l’âge des métaux, sur les sites ou apparurent les nouvelles méthodes de travail du silex menant à la production de grandes lames très régulières aux caractéristiques optimales.

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RÉSUMÉS

Depuis la découverte des sites funéraires attribués aux éleveurs de la steppe de l’Ukraine sur la berge gauche du Dniepr, le problème de leur synchronisation avec les différentes communautés énéolithiques distinguées dans la région balkano-danubienne est vivement débattu, de même que la question de leur rôle dans la disparition soudaine de ces cultures. Les sépultures mises au jour dans la région de Lugansk en Ukraine sont parmi les découvertes les plus intéressantes.

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L’outillage de silex y constitue une part importante du mobilier funéraire, au sein duquel se distinguent de très grandes lames. Les expérimentations conduites par différents chercheurs montrent que la production de telles lames requérait des techniques de débitage particulières, telles que la pression au levier. Toutes ces lames sont ocrées et leur analyse tracéologique révèle des usures semblables à celles observées expérimentalement sur les couteaux à viande. Le manque de données sur des ateliers énéolithiques de taille du silex dans la steppe de l’Ukraine ne nous permet pas de dire si les lames qui composent le mobilier des sites funéraires par lesquels sont identifiés les éleveurs de la région ont été produites localement ou importées.

Since the discovery of the burial complexes left by the early stock-breeders in the steppe areas on the left bank of the Dnieper river in Ukraine, the problem of their synchronization with various cultural Eneolithic stages distinguished in the Balkan-Danube region has been hotly debated, as well as the question of the role the stock-breeding populations played in the sudden disappearance of these cultures. One of the most interesting finds were the discovered at Lugansk in Ukraine. Flint artifacts constitute an important category of the burial inventory, and of particular interest among them are macroblades. The experiments carried out by different researchers show that the production of such blades was associated with some specific methods of splitting, such as the use of a lever mechanism. Ocher was found on the surface of all these blades. Most of the tools have identical use-wear traces similar to those characteristic of the that were used to cut meat. The shortage of data about the Eneolithic flint-working centers in the steppe zone of Ukraine makes it difficult to decide whether the blades from local burial complexes were produced in place or imported from outside. Some chance finds of hoards with blades (without cultural context), as well as single interments with blades and cores may be indicative of the existence of vagrant flintknappers.

AUTEURS

NATALIA N. SKAKUN Institute for the History of Material Culture of the Russian Academy of Sciences, St. Petersburg, Russia — [email protected]

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Connotation fonctionnelle du mobilier funéraire en silex Exemple de la Bulgarie

Maria Gurova

Introduction

1 Dans notre lecture et notre compréhension du passé, l’analyse exhaustive du mobilier funéraire permet de concevoir le concept épistémologique de « sacré » versus « profane et domestique ». La présence des objets en silex parmi le mobilier funéraire révèle autant leur statut symbolique secondaire, que l’importance de les considérer au même titre que les autres offrandes et objets personnels des dépôts rituels. Les besoins spirituels de nos ancêtres, concrétisés par des rites funéraires variés, représentent un domaine compliqué, où la lecture de faits archéologiques peut facilement être suivie d’interprétations spéculatives et non pertinentes. Il faut souligner l’importance des études complexes du mobilier et des pratiques funéraires issues de nécropoles préhistoriques, afin d’éviter une précarité gnoséologique, consistant en des reconstructions basées sur des données archéologiques insuffisamment fiables (c’est-à- dire isolées et anecdotiques). J’ai eu la possibilité d’accomplir une étude tracéologique du mobilier en silex de la nécropole Durankulak dont les résultats mettent en évidence une information supplémentaire sur la sélection et extraction (consciente ou fortuite) des artefacts en silex de leur contexte premier de fonctionnement, domestique, et leur transfert vers la sphère sacrée des offrandes funéraires. Beaucoup de questions liées avec cette problématique méritent une discussion approfondie.

2 La Bulgarie préhistorique est bien connue grâce aux trouvailles spectaculaires de ses nécropoles et surtout de la nécropole chalcolithique de Varna, ou le contexte funéraire manifeste une forte différentiation sociale et hiérarchique des défunts. Les signes de richesse et de hiérarchie à Varna, aussi bien que les objets présents suggèrent une spécialisation artisanale élaborée et un échange à grande échelle : faits qui sont récemment considérés par certains chercheurs comme des indices convaincants et

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significatifs pour qu’on puisse parler d’une proto-civilisation, mais ce débat n’est pas le sujet de l’article.

Durankulak – un phénomène archéologique

3 On dénombre sur le territoire de la Bulgarie 11 nécropoles préhistoriques (avec plus de 10 sépultures) surtout chalcolithiques. La plus connue est la nécropole de Varna, mais celle qui représente un vrai phénomène archéologique est la nécropole de Durankulak (carte ci-dessous).

Carte de situation

4 Il convient de présenter ici dans un cadre général ce réel phénomène archéologique. Cette nécropole, en effet, est l’unique dont les restes archéologiques soient complètement étudiés et publiés (Todorova 2002). Bien qu’elle ait été éclipsée par la célébrité du cimetière de Varna, la nécropole de Durankulak possède quand même certains avantages proprement cognitifs. Située près de la frontière roumaine sur le littoral bulgare, elle illustre une séquence très importante du Néolithique récent jusqu’au Chalcolithique final, qui permet d’observer et de reconstituer de manière diachronique les pratiques funéraires (avec leurs caractères variables) de la communauté locale, dont le site d’habitat se trouve à 200 m au nord. Cette séquence représente un intervalle de temps de presque un millénaire, et une bonne illustration du développement des cultures Hamangia et Varna, qui se présentent de la manière suivante : - Hamangia ancienne (phases I, II) – Néolithique récent - Hamangia III – début du Chalcolithique - Hamangia IV – Chalcolithique moyen, période de transition évolutive - Varna – Chalcolithique final

5 Le cadre chronologique absolu des étapes culturelles est présenté ci-dessous (Bojadzhiev 2002a, 67) :

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- Hamangia I - II 5250/5200 - 4950/4900 cal. BC - Hamangia III 4950/4900 - 4650/4600 cal. BC - Hamangia IV 4650/4600 - 4550/4500 cal. BC - Varna I 4550/4500 - 4450/4400 cal. BC - Varna II-II 4450/4400 - 4250/4150 cal. BC

Analyse tracéologique

6 La collection en silex de Durankulak, soumise à l’analyse tracéologique compte 184 artefacts dont 112 (60 %) avec des fonctions identifiées. Cela fait au total 133 sépultures étudiées (tabl. 1). L’analyse tracéologique a été effectuée à l’aide des microscopes MBS 10 (x100) et METAM P1 (x400)1.

Tableau 1 - Tableau généralisant les données de la collection étudiée :

- le nombre des tombes en relation des phases culturelles ; - le nombre des artefacts en silex en provenant et le nombre des pièces utilisées

7 En ce qui concerne la confusion et l’opposition entre les déterminations des sépultures qui s’appuient sur la composition du mobilier et qui sont qualifiées d’« archéologiques », et les déterminations anthropologiques (un problème qui existe depuis toujours et qui est bien élucidé dans les travaux de Jeunesse 1997), je m’appuie sur les données publiées dans le catalogue de la nécropole (Todorova 2002). Ces données contiennent les identifications anthropologiques, si elles sont disponibles et dans le reste des cas - les déterminations archéologiques basées sur l’analyse méticuleuse du contexte : mobilier funéraire et l’agencement des structures sépulcrales. L’avantage pratique de ces données est qu’elles représentent une base standardisée et uniformisée pour la comparaison des résultats d’analyses supplémentaires. Le compromis méthodologique que j’ai fait un utilisant cette démarche est admissible, étant donné le fait que dans les cas des sépultures avec du mobilier en silex les confrontations entre les 2 types de déterminations ne sont qu’au nombre de 9.

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1 - Durankulak. Artefacts en silex

(d’après Sirakov 2002, fig. 14)

8 Dans les tableaux que j’ai cré pour illustrer les résultats de l’analyse tracéologique les catégories anthropologiques des garçons et des filles sont associées respectivement à des hommes et des femmes. Les enfants et les nouveau-nés sont traités séparément.

9 Pour la raison que l’étude fonctionnelle n’est pas complète (il y a des sépultures dont le mobilier en silex n’était pas disponible pour mon étude) on ne peut pas se permettre d’entreprendre une interprétation définitive et exhaustive. On peut néanmoins faire certaines constatations.

Généralités

10 - parmi les fonctions déterminées sur le total de pièces en silex de la nécropole les plus fréquentes sont la découpe de tissu carné (23 ex.) ; les armatures de faucille (15 ex.) et les pointes de projectile (flèche) (14 ex.).

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2 - Outils avec des traces d’utilisation

1 – grattoir - outil combiné (tombe 358) : découpe de plantes (roseaux) avec le bord droit ; raclage de bois avec le tranchant gauche et assouplissement de peau avec la partie basale. La microphoto montre l’usure de coupe de roseau (x100) - photo : M. Gurova ; 2 – grattoir - outil combiné (tombe 231) :grattage de peaux avec le front et raclage de bois avec les tranchants bilatéraux. La microphoto montre l’usure du grattage de peau (x100) photo : M. Gurova

11 Dans une moindre quantité sont présentées les fonctions comme la découpe de végétaux (roseaux) et le traitement de la peau (fig. 2) ; - les outils (typologiques et fonctionnels) associés uniquement à des inhumations masculines sont les microlithes géométriques. La majorité de ces pièces (10 ex.) proviennent des sépultures de Hamangia I-II (4 ex.) et Hamangia III (6 ex.) : cela veut dire du début de la séquence de la nécropole ; - les armatures de faucilles (y compris les couteaux à moissonner) prédominent dans les sépultures féminines (8 ex.), mais il y en a aussi parmi les offrandes des hommes (5 ex.). À la différence des pointes de flèches, elles n’existent pas dans les sépultures du Néolithique récent, elles sont rares dans les sépultures de Hamangia III et IV (4 ex.) et beaucoup plus nombreuses pendant la phase Varna (11 ex.) qui correspond à la phase finale du Chalcolithique ; - une fréquence pareille est valable pour les pièces servant à la découpe de tissu carné, mais contrairement aux armatures de faucilles, elles sont associées plutôt à des sépultures masculines (11 ex.) que féminines (6 ex.) ; - à Durankulak il n’y a pas de « super lames » de 30 cm environ ou plus de longueur comme celles présentes à Varna. Il y a néanmoins 3 lames assez grandes et représentatives (entre 25 et 30 cm) dont 2 font partie du mobilier masculin (tombes 597 et 977), tandis que la troisième provient d’une sépulture féminine (tombe 1162 ; fig. 3).

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3 - Très grandes lames

1- tombe 597 ; 2 - tombe 1162 ; 3 - tombe 977 (d’après Sirakov 2002, fig. 16)

12 Quant au ratio entre le nombre des artefacts en silex présentés et celui des pièces utilisées, la situation de Hamangia I-II est très proche de celle de Hamangia III. La période Hamangia IV se caractérise par une réduction quantitative du silex, mais à l’inverse, le nombre et le pourcentage des pièces usitées augmentent sensiblement (de 41 % à 71 %). Ce taux est identique pendant la phase finale du Chalcolithique Varna, qui marque en plus une augmentation proportionnelle du nombre de sépultures avec du mobilier en silex, des pièces en silex et des pièces utilisées. Il y en a 5 fois plus par rapport à l’étape précédente de Hamangia IV (Gurova 2002, 253-254).

« Outillage de tailleur de vêtements »

13 Il me semble intéressant de présenter ici la répartition de soi-disant « outillages/ nécessaires de tailleur de vêtements », a priori attribués à l’activité assez particulière et plutôt féminine (le terme et l’interprétation provisoire sont introduits par l’inventeur de la nécropole, H. Todorova). Un tel outillage consiste d’habitude en 3-4 types d’objets : artefact(s) en silex, poinçon (parfois aiguille) en os, petit galet (lissoir) en pierre et coquillage, mis dans un vase en céramique (fig. 4). Ces outillages sont au nombre de 51 et sont relevés dans 50 sépultures (dans la sépulture 518 il y en a 2). La détermination culturelle des outillages est la suivante : Hamangia IV – 8, Varna – 42 ; tandis que la détermination sexuelle et de l’âge est ainsi : homme – 13, femme – 27, enfant – 3, cénotaphe – 7.

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4 - Sépultures 577 et 286 : exemples des « outillages de tailleurs de vêtements ».

Illustration : M. Gurova (adaptée du catalogue publié dans H. Todorova 2002, 2/2)

14 En effet cet outillage ne représente pas un complexe cohérent : tout d’abord il y a la variation des différents composants. La combinaison la plus fréquente et stable consiste en une pièce de silex (le plus souvent une lame) et une aiguille en os. Cela semble être bien logique théoriquement et surtout dans une optique présumée que cet outillage représente un « nécessaire » contenant des outils efficaces : on sait qu’une lame en silex est un outil multifonctionnel, dont l’efficacité est concrètement complétée par un outil perçant comme une aiguille en os. Les artefacts en silex de ces outillages comptent 39 pièces dont 33 possèdent de traces d’utilisation. L’analyse plus détaillée de cet outillage a montré la variabilité fonctionnelle des éléments en silex (tabl. 2). Il est évident qu’il s’agit d’un outillage associé plutôt aux inhumations féminines et surtout au contexte de la culture Varna. Il est évident aussi qu’il n’y a pas de fonction prédominante au moins parmi les artefacts en silex.

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Tableau 2 - Analyse fonctionnelle des silex provenant « des outillages de tailleurs de vêtements »

15 Les actions les plus fréquentes sont longitudinales, sciage et découpe, suivies par le grattage et rarement le perçage. Quant aux matières travaillées, les plus courantes sont les tissus carnés, suivies par le bois végétal et les céréales. On peut constater que le traitement de la peau est bien représenté : il s’agit de différentes opérations et étapes de travail sur cette matière. La présence des armatures de faucille et des outils pour le traitement du bois complètent ce spectre des activités, liées aussi bien à la sphère domestique quotidienne (« household »), qu’à la sphère de subsistance proprement dite – la moisson de céréales. Même parmi les tombes d’enfants il y a 3 de ces assortiments, dont un (sépulture 423) « nécessaire de tailleurs de vêtements », qui comprend un artefact en silex utilisé pour le travail de bois végétal. Les usures assez hétérogènes des éléments en silex n’évoquent pas une quelconque fonction précise de cet outillage. C’est plutôt une combinaison d’objets extraits de leur contexte domestique pour répondre aux besoins rituels. Elle est donc chargée d’une signification sacrée, dans laquelle les paramètres quotidiens de ces composants perdent leurs valeurs proprement utilitaire et domestique (Gurova 2006, 4-5).

16 Comment pouvons nous considérer et interpréter le sens originel de ces outillages ? Ils n’apparaissent qu’au sein des cultures Hamangia IV et Varna. On peut citer ici la conclusion d’un chercheur qui a été impliqué à chaque étape de travail sur la nécropole – Y. Bojadzhiev qui dit : ... « les changements des rites funéraires à la fin de la culture Hamangia reflètent un grave et profond changement social, spirituel et d’un certain degré même ethnique, qui a émergé à cette époque-là » (Bojadzhiev sous presse). Dans cette optique on peut lancer au moins 2 interprétations vraisemblables de cet « outillage » : 1 - cet outillage pourrait signifier une parenté quelconque dans le cadre de la communauté. Cette hypothèse trouve une certaine confirmation dans la répartition spatiale particulière de ces outillages concentrés dans 3 regroupements majeurs au

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sud de la nécropole. Le fait que l’outillage prédomine dans les sépultures féminines pourrait être vu comme une tentative de souligner le statut des femmes menant la plupart des activités de la sphère domestique « household » ; 2 - les outillages pourraient pourtant être considérés comme attribut de regroupement social ou professionnel des leurs possesseurs. Les composants des outillages suggèrent probablement une adhésion et/ou affiliation artisanale, où la distinction de l’âge et du sexe est parfois assez vague. Parce que si la guerre et la chasse sont encore considérées comme activités attribuables au domaine masculin, le début d’agriculture comme une priorité plutôt féminine, l’accomplissement des activités domestiques quotidiennes pourrait être considéré comme un privilège et une obligation communes et partagés.

17 Beaucoup de productions artisanales sont connues au Néolithique récent et au Chalcolithique et dans ce sens les femmes, les hommes, aussi bien que les enfants peuvent être présumés comme producteurs de poterie, industrie en silex et os, etc. Différentes issues théoriques et même spéculations sont bien possibles sur le débat de la division sexuelle du travail et des activités préhistoriques. Ce sujet de discussion n’est pas le but de l’article et pour cette raison je me contente de citer la constatation faite dans le compte rendu des volumes de Durankulak : « The potential for re-thinking established sex and gender trends in mortuary treatment in the Neolithic Balkans is huge » (Bailey & Hofmann 2005, p. 221).

Sépultures de nouveau-nés et d’enfants

18 Dans la plupart des nécropoles de la Bulgarie du NE le nombre des tombes d’enfants est considérablement inférieur au nombre des tombes d’adultes. La détermination précise de l’âge des enfants décédés est assez rare et la distinction des groupes Infans I et Infans II varie d’une nécropole à l’autre. En règle générale, les données anthropologiques fiables sur les nouveau-nés (jusqu’à 1 an) sont plutôt exceptionnelles2. Cette situation factuelle est en contradiction avec la mortalité ordinaire des enfants à cette époque-là, qui est au plus haut chez les nouveau-nés et diminue graduellement avec l’âge. La nécropole de Durankulak nous offre une réponse plausible à ce paradoxe, issue du contexte même du terrain – l’utilisation d’une structure sépulcrale en pierre qui matérialise la fosse primaire. Cet aménagement des sépultures, y compris de nouveau- nés, en vigueur pendant la culture Varna, permet de constater la présence de tombes même s’il n’y a ni squelette, ni mobilier funéraire : un fait qui est très important relativement aux nouveau-nés et aux enfants dont les ossements sont les plus vulnérables aux altérations post-dépositionnelles.

19 L’analyse du contexte funéraire à Durankulak montre que les enfants ont été inhumés dans la nécropole comme les autres membres de la communauté, mais le nombre et la densité des tombes d’enfants varient d’une phase à l’autre. Par exemple, le nombre des sépultures d’enfants enregistrées à Hamangia I-III est de 29 (5,8 %), et il augmente progressivement pendant les périodes suivantes de Hamangia IV et Varna. À la différence de Hamangia, durant la phase Varna les ossements de nouveau-nés sont sûrement attestés et identifiés, mais les cas semblables ne sont pas nombreux. L’analyse des sépultures en total montre un taux très élevé de sépultures d’enfants (40 %). Il faut pourtant souligner que la plupart d’entre eux ne possèdent aucun reste osseux et que l’identification repose sur les données contextuelles – caractère du mobilier et agencement de la structure sépulcrale (Bojadzhiev2001 ; 2003, p. 56-57).

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20 Presque la moitié des sépultures enfantines contiennent un certain spectre d’offrandes dans lequel on peut distinguer les catégories suivantes : - objets considérés comme habituels et ordinaires pour un enfant : les récipients en argile qui sont présumés contenir de la nourriture et des effets personnels, comme de la parure par exemple3 ; - à part ces objets, du mobilier peut être moins naturellement attribuable aux enfants : ce sont des éléments d’outillages en silex, pierre taillée et os, parmi lesquels des outils utilisés.

21 En règle générale les artefacts en silex sont (après la poterie bien sûr) parmi les objets les plus répandus dans le mobilier funéraire des enfants. C’est la raison pour laquelle on va se concentrer ici sur cette catégorie de mobilier.

Mobilier funéraire en silex

22 Les artefacts en silex sont rarement isolés dans le mobilier de la nécropole. C’est également valable pour les tombes d’enfants/nouveau-nés. Les combinaisons d’offrandes et d’effets personnels sont les moins nombreuses pendant les phases anciennes Hamangia I-III. Les plus nombreuses sont les combinaisons avec de la céramique. Pendant la phase Varna la diversité du mobilier funéraire augmente sensiblement, parallèlement à l’accroissement général du nombre des sépultures et de leur représentativité (sur le plan du mobilier et des pratiques funéraires).

23 À Durankulak il y a 7 tombes identifiées par un anthropologue comme tombes de nouveau-nés (tombes 525, 531, 719, 724, 876, 1194, 1194A), mais aucune d’elles ne contient d’artefacts en silex. Il n’y en a pas non plus parmi les tombes d’Infans I (1-7 ans), au nombre de 43. Le second groupe d’ Infans II (7-14 ans) contient certaines sépultures avec du mobilier en silex (tombes 154, 236, 358, 433, 559 et 649) qui représentent un taux de 20 % de la totalité des tombes de ce groupe (tabl. 3).

Tableau 3 - Sépultures d’enfants (Infans II 7-14 ans)

24 En règle générale il faut souligner le fait que les sépultures des groupes Infans I et surtout Infans II sont les plus significatives du point de vue de la compréhension (et de l’interprétation) adéquate des sépultures d’enfants. À cause du squelette conservé (dont la position est d’habitude allongé sur le dos - pour les garçons, et replié sur le flanc droit – pour les filles) on peut concevoir la sépulture comme un ensemble clos et intact, offrant une image fidèle du rituel funéraire et de ses suggestions symboliques et

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spirituelles. D’autre part (et on aborde ici le problème qui mérite la discussion épistémologique) la démarche interprétative doit se limiter à la considération et à la corrélation des faits étudiés (dans ce cas les sépultures) pour qu’ils gardent leur valeur adéquate au sein du contexte funéraire global.

25 Le tableau 3 montre le ratio 4/2 des tombes des différentes phases en faveur de celles de Varna. L’analyse des artefacts en silex révèle un petit assemblage hétérogène : les produits de débitage (lames et éclats bruts) aussi bien que les outils retouchés sont présents. Les usages déterminés sont variés autant du point de vue des matières travaillées que des actions, mais néanmoins la découpe prédomine parmi les gestes effectués. Il n’est pas exclu, mais il n’est pas certain non plus, que ces outils aient été utilisés par les défunts de leur vivant.

26 Les artefacts en silex sont attestés dans 8 sépultures sans ossements humains, mais les petites dimensions des structures sépulcrales en dalles de pierre incitent à les considérer comme des sépultures de nouveau-nés (tombes 415, 573, 700, 701, 716, 782, 234, 5664) (tabl. 4 et fig. 5-1).

Tableau 4 - Sépultures de nouveaux-nés déterminées d’après le contexte funéraire

27 Il est évident à l’examen du tableau 4, que dans le cas de nouveau-nés il n’y a pas de différence prononcée en comparaison des données déjà présentées pour les enfants du 2e groupe : il y a une variété de types d’artefacts aussi bien qu’une variété de fonctions. D’autre part, il faut souligner que les tombes attribuées aux phases de Hamangia et, surtout Hamangia IV prédominent largement par rapport aux sépultures de phase Varna, un fait qui ne corrobore pas le ratio diachronique des autres catégories de sépultures (y compris de celles d’enfants). L’explication repose probablement sur des difficultés réelles à distinguer les sépultures de nouveau-nés, dénuées d’ossements. De même, il n’est pas exclu que pendant les phases les plus anciennes de la nécropole, il y ait eu une préférence particulière pour les objets en silex en guise de dépôts funéraires pour l’inhumation de nouveau-nés.

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5 - Sépultures de nouveaux-nés (700 et 614 A) et d’enfant (217) – exemple de mobilier funéraire.

Illustration : M. Gurova (adaptée du catalogue publié dans H. Todorova 2002, 2/2)

28 Cinq sépultures (tombes 76, 217, 218, 365, 423) avec des artefacts en silex sont interprétées comme tombes d’enfants lato sensu sur la base des dimensions de la fosse sépulcrale, de la présence de petits fragments osseux (y compris de dents) et du caractère du mobilier funéraire disponible (tabl. 5 et fig. 5-3).

29 Dans le contexte de la nécropole sont attestés 9 cas de découvertes d’artefacts en silex, soit isolés (tombes 50A et 837A), soit en combinaison avec d’autres types de mobilier : poteries (tombes 2A, 510A, 476A, 764A), parures (tombes 39A, 614A), les deux (tombes 571A). Malgré l’absence d’indices sûrs (ossements et construction sépulcrale), ces tombes sont interprétées dans la publication comme nouveau-nés/ enfants (Todorova et al. 2002). D’un autre côté, il n’est pas exclu que certaines d’entre elles (et surtout les tombes de la phase Hamangia) soient des cénotaphes (Bojadzhiev 2004) (tabl. 5 et fig. 5-2).

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Tableau 5 - Sépultures d’enfants identifiées sans certitude

30 Malheureusement, et cela ressort de l’examen du tableau 5, l’information tirée des objets en silex de ces groupes de sépultures reste incomplète parce qu’un certain nombre des pièces n’ont pas été mis à disposition pour l’étude.

Conclusion

31 L’analyse des artefacts en silex met aussi en évidence le fait qu’il n’y a pas une préférence prononcée vis-à-vis des types de pièces en silex sélectionnées pour être déposées dans les tombes d’enfants. En général les silex-offrandes ne varient pas considérablement en fonction de l’âge et du sexe des défunts. Il y a quand même 2 exceptions : les pointes de projectile et les très grandes lames qui n’existent pas parmi le mobilier des enfants.

32 Il n’y a pas non plus un rapport direct entre les silex – offrandes et leur valeur utilitaire et domestique. Leur introduction dans le contexte mortuaire est évidemment chargée d’une connotation spirituelle et symbolique.

33 Le mobilier funéraire (considéré de manière égale dans un sens quantitatif et qualitatif) permet de supposer que les enfants ont été l’objet de rites cérémoniels de la même manière que les adultes. Ce fait les rend, malgré leur mort prématurée, respectés et considérés comme les membres normaux des réseaux familiaux et sociaux auxquels ils appartenaient. C’est une conclusion assez générale et peu spectaculaire, mais elle est pertinente, parce qu’elle ne cherche pas à révéler de valeurs symboliques exagérées des faits extraits de leur contexte.

34 Pour finir il est raisonnable de rappeler la conclusion d’un grand connaisseur du développement de la Bulgarie à la fin du Chalcolithique – John Chapman. Ses recherches le mènent à conclure que les nécropoles chalcolithiques de la Bulgarie de nord-est et leur mobilier funéraire représentent la plus forte et puissante « arène sociale » (Chapman 2000). Les offrandes mortuaires peuvent s’interpréter comme un ensemble

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d’objets qui transmet les relations et les conditions sociales. Notre objectif doit être de les dévoiler et de les élucider autant que possible.

Discussion

35 Chaque étude concrète sur le domaine mortuaire et funéraire pose des problèmes particuliers liés d’une part au contexte (pré) historique des documents archéologiques, et d’autre part au but et à l’ambition cognitive des chercheurs.

36 Les sujets du culte et de la religion ont été depuis toujours abordés par les archéologues. Néanmoins, une analyse véritablement épistémologique, effectuée récemment par T. Insoll, montre que l’archéologie de la religion doit surmonter beaucoup de préjugés et de difficultés méthodologiques (Insoll 2004). C’est le cadre le plus général de la problématique.

37 Depuis des décennies, dans les recherches sur les pratiques funéraires, un malentendu demeure et se reproduit : la détermination des sexes. Les déterminations qui s’appuient sur la composition du mobilier sont qualifiées d’« archéologiques » et elles s’opposent aux déterminations anthropologiques (Jeunesse 1997, p. 95). Ce problème a entraîné beaucoup de conséquences négatives, mais il persiste et, dans un certain sens, il semble être inévitable et insoluble.

38 Différemment, mais sûrement les problèmes mentionnés ci-dessus se projettent sur l’interprétation des données de la nécropole de Durankulak, malgré le fait qu’elle est soigneusement fouillée et documentée (voir note 2). Même un objectif assez précis et modeste - révéler les caractéristiques fonctionnelles d’un des éléments du mobilier funéraire, en l’occurrence, les silex – pose un faisceau de questions. La fonction des artefacts en silex du mobilier funéraire contient une dichotomie difficile à saisir et à expliquer de manière adéquate. L’analyse tracéologique (comme outil fiable de diagnostic) révèle la fonction utilitaire (= réelle et/ou profane) des pièces. Au-delà de cette approche fonctionnelle reste le problème de l’autre versant de la fonction – la fonction symbolique et/ou sacrée.

39 La compréhension de cette dichotomie et son interprétation correcte requièrent beaucoup plus que la singularisation fonctionnelle des pièces. Elles exigent une approche approfondie, systématique et contextuelle montrant la relation entre tous les éléments du mobilier afin d’explorer le système sémiologique auquel elles se réfèrent.

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ANNEXES

L’analyse techno-typologique de l’assemblage en silex est faite et publiée par mon collègue N. Sirakov (Sirakov 2002). Sur la structure de l’ensemble on peut dire en bref qu’il y a très peu de nucleus et d’éclats. Il y en a, en revanche, assez de lames brutes avec différentes morphologies. Parmi les catégories typologiques il faut mentionner les lames retouchées et tronquées, les grattoirs, les burins et les microlithes géométriques (fig. 1).

NOTES

1. Les microphotos on été prises a l’aide du microscope métallographique WILD MPS 51 (au grossissement de x100) à l’Institut de minéralogie–BAS 2. L’article plus détaillé sur les sépultures de nouveaux-nés et d’enfants de Durankulak est sous presse dans les Actes de XV Congres de UISPP, Lisbonne, 2006 (Y. Boyadziev, M. Gurova. Mobilier funéraire de nouveau-nés et d’enfants : cas d’étude de la Bulgarie) 3. La distinction offrande/effets personnels qu’on utilise est d’après J. et M. Lichardus (Lichardus & Lichardus-Itten 1985) 4. D’après les dimensions des agencements de pierres, les 2 dernières sépultures appartiennent probablement à des individus dont l’âge dépasse 1 an

RÉSUMÉS

L’article fait le point sur la problématique dévoilée par une des nécropoles bien connues de la Bulgarie du nord-est, celle de Durankulak, l’unique qui soit étudiée et publiée entièrement. Sur la base empirique de la détermination fonctionnelle des mobiliers funéraires en silex, fondée sur l’analyse des traces d’utilisation des artefacts, quelques observations et réflexions sur la valeur cognitive de mobilier en silex sont présentées à propos d’objets de silex rituels provenant d’un contexte ‘sacré’. Ces résultats sont intégrés dans le contexte des données interprétatives et révèlent la dichotomie des connotations fonctionnelles des offrandes lithiques dont la partie évidente — la fonction utilitaire et profane — représente seulement une des trajectoires vers la considération adéquate de la valeur sémiologique du mobilier en silex dans le contexte mortuaire global.

This paper focuses on an issue evoked by one of the well-known cemeteries in northeast Bulgaria, at Durankulak, and so far the only one to be studied and published in detail. On the empirical basis of the functional determination of flint grave-goods, based on use-wear analysis of artifacts, some observations and interpretations are presented regarding the cognitive value of ritual flint objects from a ‘sacred’ context. Functional data provide the interpretative framework, and a clear dichotomy of functional meanings is revealed. The decoded utilitarian (profane) of flint grave-goods is only a first step towards a better understanding of the semiological value of lithics charged with the symbolic patterns of the mortuary context.

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AUTEUR

MARIA GUROVA Département de Préhistoire, Institut National d’Archéologie et Musée, Académie Bulgare des Sciences, 2 rue Saborna, 1000 Sofia, Bulgarie — [email protected]

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Céramique, fonctionnalité et dépôts funéraires Quelques données, quelques réflexions

Xavier Clop

Introduction

1 L’étude du contenu archéologique des dépôts funéraires constitue, sans doute, un des piliers fondamentaux du développement de la science archéologique. La recherche autour du fait funéraire dans les communautés préhistoriques a fait un saut véritablement spectaculaire dans ces quinze ou vingt dernières années. À partir d’une définition générique des « cultures » et des « périodes culturelles » (on peut rappeler, par exemple, les propositions de Gordon Childe), les préhistoriens ont constitué un véritable objet d’étude en soulignant le rôle très particulier tenu par l’anthropologie biologique. Mais dans la grande majorité des sites funéraires on trouve, outre des ossements humains, des éléments faisant partie du mobilier funéraire de l’individu ou des individus déposés. Toutefois, la présence d’objets matériels et d’autres éléments qui peuvent être trouvés dans un dépôt funéraire peut être le résultat de différents gestes, activités ou situations. Ainsi, et sans vouloir être exhaustif, on peut noter quelques possibilités : a - des éléments matériels déposés spécifiquement comme offrandes dans le contexte du rituel funéraire effectué en l’honneur d’un individu concret, et qui de fait définissent son mobilier funéraire ; b - des éléments matériels qui, même en faisant partie de l’ensemble du mobilier funéraire, n’ont pas de valeur intrinsèque mais parce qu’ils peuvent contenir ou signifier ; c - des éléments matériels incorporés de manière non intentionnelle au dépôt funéraire, comme par exemple les pointes de flèche retrouvées dans certains corps ; d - des éléments tombés par hasard au cours des visites postérieures sur les sites funéraires...

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2 D’autre part, et c’est une question non moins importante, nous devons considérer que dans tout objet matériel produit par les êtres humains, en tant que produit social, on peut définir différents niveaux de signification formelle, technologique, fonctionnelle, sociale, symbolique de telle sorte que ces objets sont de véritables signes des différents aspects des groupes qui les produisent et les utilisent (fig. 1). Ainsi, il est vrai que les sépultures sont des témoins archéologiques essentiels, mais le seul qualificatif de sépulcral ou de funéraire ne suffit pas à donner tout leur sens et à nous expliquer tous les aspects des rôles et des fonctions de tout type d’éléments matériels qu’on y peut trouver.

1 - L’objet, produit social : différents niveaux de signification

3 La présence des éléments céramiques dans les contextes funéraires en est un bon exemple. Ils sont des éléments récurrents dans les ensembles matériels que nous pouvons retrouver dans les sites funéraires construits et utilisés pendant la préhistoire récente. Jusqu’à présent, la céramique a généralement été mise à profit pour dater le moment de construction et la possible durée d’utilisation des sites funéraires. De même, leurs formes et décors permettent d’établir le contexte culturel qui les a produit. Toutefois, la présence de céramiques dans les sites funéraires nous permet de poser un éventail beaucoup plus vaste de questions sur leur rôle spécifique dans les rituels funéraires réalisés mais aussi, et de manière plus générale, sur leur rôle dans le contexte des processus de production et reproduction économique, sociale et idéologique de ces communautés. Pour le développement de ces hypothèses, il est fondamental de connaître et de comprendre la fonction de l’élément céramique dans le développement des règles et des gestes funéraires effectués. Ainsi, on peut aborder un nombre considérable d’aspects et les mettre en relation entre eux, comme par exemple, et encore une fois sans vouloir être exhaustifs : - les productions céramiques sont-elles exclusivement destinées au rituel funéraire ; - les productions céramiques sont-elles locales ou importées ? ; - s’agit-il de vases destinés à tout type d’utilisation ou sont-ils destinés à un usage spécifique ? ; - les vases ont-ils été déposés pour leur propre valeur symbolique ou pour ce qu’ils pouvaient contenir ? ;

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- quel est le rôle de chaque vase dans les différents gestes et situations qui ont eu lieu autour du site funéraire ?…

4 L’étude de tous ces aspects doit tenir compte d’informations de différents types, comme les données issues de la fouille, l’analyse de la distribution spatiale des céramiques, l’analyse du contenu des vases, les études petroarchéologiques, etc. Afin d’approfondir les différentes fonctions de la céramique en contexte funéraire, nous allons présenter quelques exemples concrets qui nous aident à percevoir la diversité des possibilités et les problèmes qui en découlent.

Les maioles

5 Le premier cas étudié est une sépulture mégalithique. Un des faits les plus remarquables des dernières années dans le développement de la recherche autour des questions funéraires est la fouille et l’étude de sites qui nous sont parvenus intacts depuis leur dernière utilisation ou leur destruction au cours de la préhistoire. Ces dépôts ont rendu possible l’approfondissement des différents aspects des pratiques funéraires. Il est évident que l’examen soigneux du rôle que revêtent les éléments matériels est beaucoup plus compliqué dans le cas de sépultures collectives. Mais par là même, l’analyse de dépôts collectifs intacts depuis leur dernière utilisation funéraire nous permet d’aborder de manière beaucoup plus clair les possibilités et les limites de l’analyse du rôle et la fonction des éléments matériels dans ces contextes funéraires.

6 C’est ainsi que nous utiliserons les résultats et les questions posées à l’occasion de l’excavation de la sépulture mégalithique des Maioles (Clop & Faura 2002).

7 Le site des Maioles se trouve à quelque soixante kilomètres au sud de Barcelone en Catalogne. Il est situé sur un emplacement stratégique de « contrôle » du passage naturel entre deux zones ayant des différences écologiques importantes : le plateau de Calaf et la vallée d’Odena. Il s’agit d’une petite galerie d’à peu près 2 mètres de longueur où l’on a pu différencier trois phases : une phase de construction, une phase d’utilisation funéraire et une phase de fermeture et d’abandon de la structure (fig. 2 et 3).

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2 - Les Maioles : la petite allée

3 - Les Maioles : les trois phases de la « vie » du monument

8 La chambre funéraire et le couloir sont de forme trapézoïdale et sont constitués de dalles de grès oligocènes provenant du substrat géologique local. Il n’y a aucune trace du système de couverture de l’ensemble et de la fermeture de la chambre. Il n’y a toutefois aucun doute sur l’existence de ces éléments, puisque nous n’avons trouvé que quelques restes osseux montrant des marques de dents de petits rongeurs. Le tumulus possède une forme elliptique et on a utilisé pour sa construction du sable rapporté d’un des paléochenaux situé à 200-300 mètres au sud de la sépulture mégalithique.

9 Les Maioles est une sépulture collective mégalithique qui dispose d’une série d’inhumations successives qui a abouti, finalement, à un dépôt d’ossements sans ordre apparent. La réalisation d’une minutieuse étude archéoanthropologique (Majó dans Clop & Faura 2002) a permis de dépasser l’impression de « chaos » et de reconnaître en grande

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partie la succession de gestes funéraires qui ont été réalisés à cet endroit. Cette étude a rendu possible l’identification des deux premiers individus déposés. Ceux-ci furent inhumés à peu de temps l’un de l’autre ou peut-être même, simultanément. Ensuite, et avant d’effectuer la dernière inhumation, on y déposa les restes d’au moins 12 autres individus. Chaque fois que l’on procédait à une nouvelle inhumation, il était nécessaire de déplacer les restes du défunt précédent pour pouvoir le déposer dans l’espace central de la chambre. La concentration de restes augmentera progressivement jusqu’à ce que le manque d’espace n’entraîne son probable abandon. Globalement, on a pu attester de la présence des restes d’un minimum de quinze individus.

10 Les éléments matériels trouvés dans la chambre funéraire permettent de définir les caractéristiques du mobilier funéraire. Globalement, celui-ci serait peu important, comme l’indique la quantité totale d’objets retrouvés. Il s’agit d’un poinçon métallique, de parures, de percuteurs en silex, de vases céramiques... Les études réalisées ont permis d’identifier d’autres éléments, comme des offrandes florales ou un liquide déposé dans un des vases céramiques. On reviendra plus bas sur ce dernier élément. En tout cas, les éléments du mobilier funéraire des Maioles ne semblent pas refléter une dépense de travail social importante et ne signalent dans aucun cas l’existence de grandes différences sociales, du moins face à la mort.

11 Le dernier « geste » mené à terme fut la condamnation de l’espace funéraire, avec le retrait des systèmes de fermeture de l’entrée et de la couverture de la structure ainsi que le remplissage de la chambre et du couloir par un niveau de remblai, lui-même surmonté d’un niveau de blocs de pierre.

12 La réalisation de trois datations radiocarbones nous a permis de constater que la sépulture fut utilisée au cours du premier tiers du IIe millénaire BC.

13 La fouille systématique de la chambre et la réalisation de deux tranchées dans la structure tumulaire ont permis de récupérer un ensemble de 122 tessons céramiques. Dans cet ensemble on a pu identifier 1 vase complet (trouvé in situ), 1 vase conservé à plus de 50 % et 5 fragments de bords, 2 fragments de fond, 2 fragments décorés et 111 fragments non décorés. On a pu définir un nombre minimal de 15 individus céramiques. Il convient de souligner que le vase complet était un élément du mobilier funéraire du dernier individu déposé.

14 En fonction de leur situation dans la structure funéraire, nous pouvons distinguer deux principaux groupes de vases : les céramiques localisées dans la chambre funéraire et celles localisés à l’extérieur de celle-ci.

15 La simple analyse de la distribution spatiale des céramiques souligne déjà leur possible hétérogénéité fonctionnelle en contexte funéraire.

16 Nous commencerons par analyser les éléments récupérés dans la chambre. Il s’agit de 97 éléments céramiques, parmi lesquels figurent 1 vase complet et 1 vase conservé à plus de 50 %. Au total, les fragments céramiques correspondent à 11 vases différents. Notre attention est attirée sur l’effectif réduit qui concerne aussi bien la céramique que les autres types de mobiliers. Ceci est une caractéristique qui a été soulignée au cours des dernières années dans différentes régions, comme ils ont souligné les travaux d’Armendáriz au Pays Basque ou de Delibes dans la Meseta espagnole (Armendáriz 1992 ; Delibes 1995).

17 Un autre fait remarquable est l’état de conservation des éléments céramiques. Aux Maioles, et à l’exception des vases 1 et 2, les fragments de céramiques sont de taille

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variable, dispersés dans toute la chambre funéraire, ce qui est un fait commun à beaucoup de sépultures collectives. Si on expliquait traditionnellement cette fragmentation comme le résultat de la violation des monuments postérieurement à leur utilisation funéraire, la récurrence de ces preuves dans des sites intacts permet de proposer d’autres possibilités, comme c’est le cas dans les sites de la Atayuela, los Millares ou encore dans différents monuments mégalithes du Pays Basque. Les données disponibles permettent d’envisager une fragmentation intentionnelle des récipients céramiques. Mais si l’on admet cette hypothèse, il faut se poser une nouvelle question : à quel moment a pu se produire le bris des vases ? Dans le cas des Maioles, et en tenant compte du degré de dispersion des fragments dans la chambre funéraire, l’hypothèse la plus probable est que les vases étaient cassés lorsque l’on effectuait une réduction de corps afin de pouvoir placer un nouveau défunt. Il est ainsi possible, de notre point de vue, que le remaniement des os des dépôts précédents entraîne un aménagement général de l’espace funéraire qui induirait le retrait probable des mobiliers précédents et qui occasionnerait la cassure des vases. En tout cas, une question demeure. Si la rupture des vases s’est produite dans la structure funéraire, pourquoi ne trouvons-nous pas tout ou la grande majorité des fragments des différents vases déposés ? Par conséquent, quelques questions restent ouvertes sur les gestes qui ont été réalisés au cours du processus de gestion de l’espace funéraire.

18 Un autre aspect important est la question classique du statut des vases. Possèdent-ils une valeur en eux-mêmes ou pour ce qu’ils contenaient ? Bien que la réponse traditionnelle à cette question provienne d’une évaluation formelle et esthétique des vases, l’analyse des contenus a ajouté de nouveaux éléments qui, nous croyons, permettent d’avancer dans le débat. Ainsi, l’étude pollinique du contenu du vase nº 1 des Maioles a permis déterminer la présence de restes d’algues qui se forment en milieu aquatique. Le vase étant couvert par une plaque de pierre qui empêchait de possibles contaminations externes, on peut émettre l’hypothèse que ces algues se sont formées dans l’eau que pouvait contenir ce vase au moment de son dépôt dans la sépulture mégalithique, qu’il s’agisse d’eau douce seule ou d’une substance contenant de l’eau.

19 En général, les analyses de contenu des récipients céramiques en contexte funéraire sont rares. Pour des périodes chronologiques similaires à celle de l’occupation des Maioles, quelques études mettent en évidence la présence d’éléments végétaux. Ce serait le cas, par exemple, de plusieurs sites funéraires proches de la mer Caspienne, dans lesquels les analyses des résidus retrouvés au fond de divers récipients céramiques ont permis d’identifier la présence de miel (Fedorova 1964). Dans des sites funéraires de la région de Lugovoï (Russie), l’analyse pollinique du contenu de plusieurs vases a permis de constater la présence de pollens de plantes aquatiques, ce qui a été interprété comme un indice clair de présence d’eau douce ou d’une substance aqueuse dans les vases (Fedorova, 1964), ce qui est un cas semblable à celui des Maioles. Un autre exemple serait constitué par la présence de pollens de céréales dans un petit vase de type SOM provenant de la sépulture collective de la Chaussée-Tirancourt (Somme, France ; Girard 1986).

20 Le second ensemble d’éléments céramiques des Maioles est constitué par les vingt-cinq fragments retrouvés dans la zone du tumulus. Il s’agit des restes d’au moins quatre vases différents. La présence de ces vases dans la structure tumulaire des Maioles ne paraît pas être le résultat d’une pratique rituelle spécifique, mais plutôt un résultat

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accidentel, comme semblent l’indiquer les différentes profondeurs où ils apparaissent, leur appartenance à différents récipients et, spécialement, la localisation de neuf fragments pratiquement hors du tumulus. Comment expliquer ici leur présence ? à quel moment les vases auxquels ils appartiennent ont-ils été brisés ? Encore une fois, nous pouvons poursuivre la discussion mais nous rencontrons des interrogations pour lesquelles il est réellement difficile de proposer une réponse fondée. En tout cas, et en accord avec les faits, il s’agit de récipients céramiques qui n’ont aucune fonction funéraire spécifique.

21 Toutefois, on connait d’autres cas où la présence d’éléments céramiques à l’extérieur d’une structure funéraire peut donner lieu à d’autres interprétations. Ainsi par exemple, la présence d’un vase complet déposé dans la structure tumulaire appartenant au Groupe de Tavertet, en Catalogne, à la fin du Ve millénaire BC. Il s’agit de tombes individuelles en coffre entourées d’un grand tumulus de terre et de pierres. Dans la structure tumulaire de l’une de ces tombes on a découvert un vase complet de type Montboló qui a été interprété comme un possible témoin de rite de fondation (Molist et al. 1987).

22 Un autre exemple provient de la nécropole chasséenne de Monéteau (Yonne) fouillé et étudié par Anne Augereau et Philippe Chambon. Il s’agit d’une nécropole de 20 sépultures, pour la plupart en coffre. L’étude de l’ensemble céramique a livré quelques données intéressantes. En premier lieu, on constate la présence d’un récipient céramique dans toutes les tombes, indépendamment du sexe et de l’âge des individus. Mais l’on a aussi pu constater la présence de céramique qui, bien que faisant partie du mobilier funéraire de l’individu, fut déposée après la fermeture du coffre dans le remplissage de la tombe, au niveau des pieds. Par exemple, dans la tombe 458 le vase était placé dans le remplissage, à 50 cm au-dessus du niveau des os des pieds. Dans ce cas comme dans d’autres connus, le vase ne repose jamais à plat sur son assise, il est à l’envers, ou renversé et en net pendage, ou encore totalement fragmentée et dispersé.

Sites funéraires et fonctionnalité

23 Nous allons maintenant examiner la fonctionnalité des vases céramiques en contexte funéraire dans une autre perspective. La céramique est un élément principalement utilitaire, fabriquée dans le but de constituer un moyen de travail spécifique pour développer ou prendre part à une grande variété de processus de travail dans le cadre des différentes activités de production et de reproduction sociale des groupes qui les fabriquent.

24 Les récipients céramiques ont été largement utilisés pour transporter des liquides, stocker différents types de substances ou pour les réchauffer par leur exposition à une source de chaleur. Chacune de ces utilisations implique certaines conditions de travail qui rendent nécessaire des caractéristiques spécifiques à chaque cas, pour la réalisation adéquate et efficace des tâches. Ces caractéristiques sont acquises pendant le processus d’élaboration du produit céramique, depuis la sélection de la matière première jusqu’à la dernière étape de leur fabrication, de telle sorte que ces caractéristiques morphotechnologiques soient directement en rapport avec l’activité concrète à laquelle doit participer le vase.

25 Les produits céramiques sont, tant par leur forme que par le matériau avec lequel ils sont fabriqués, des éléments soumis à des lois physiques spécifiques. Pour cette raison,

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les produits céramiques d’une forme particulière et fabriqués avec des matériaux précis peuvent répondre à certaines fonctions et en revanche s’avérer inaptes ou moins efficaces par rapport à d’autres produits céramiques pour couvrir d’autres fonctions. Il ne faut pas oublier, toutefois, que les récipients céramiques peuvent être multifonctionnels et être utilisés pour effectuer certaines fonctions pour lesquelles ils n’avaient pas été fabriqués.

26 L’étude de l’utilisation des produits céramiques, tant pour l’utilisation primaire pour laquelle ils ont été fabriqués que pour leur utilisation finale, peut aborder différentes perspectives, comme l’analyse morphologique et l’établissement de corrélations forme- fonction, ou encore la détermination, au moyen de différents types d’analyses, des substances qu’ils ont pu contenir. Une autre voie d’étude possible est la détermination des caractéristiques spécifiques du comportement des matériaux avec lesquels ont été élaborés les produits céramiques. Dans cette perspective, qui est celle que nous développons, l’étude doit être orientée vers la reconnaissance des critères et des modes de sélection, ainsi que du traitement de la matière première utilisée dans l’élaboration de la céramique c’est-à-dire, la forme spécifique de gestion de la matière première choisie pour la fabrication.

27 De nombreux chercheurs sont plus ou moins familiarisés avec un aspect spécifique de ce type de rapprochement, comme le sont les études de provenance. Toutefois, ces études recouvrent une partie seulement de ce que l’on appelle les études de caractérisation. Celles-ci ont pour objet d’étude la détermination des caractéristiques chimiques, minéralogiques, granulométriques et la quantité relative d’argile et d’éléments non-plastiques (dégraissants) présents. Ils sont la base de la variabilité des propriétés physiques et, par conséquent, des propriétés fonctionnelles de chaque produit céramique.

28 Les propriétés physiques peuvent être modifiées pendant le processus de production en fonction des nécessités spécifiques dont doit disposer le récipient céramique, du degré de spécialisation des processus de travail mis en œuvre et de l’habilité de l’artisan dans les différentes phases du processus de production. Ainsi, le traitement de la matière première définit, dans chaque pas du processus productif, les propriétés qu’aura le produit final. De manière spécifique, le traitement de la matière première est effectué depuis le moment même où on choisit les terres jusqu’à l’instant où l’on considère le produit comme fini, en passant par la préparation des terres, la réalisation du produit céramique, son séchage, sa cuisson et ses possibles traitements pré ou post-cuisson.

29 La connaissance du comportement spécifique des produits céramiques doit se poser à partir de la définition des caractéristiques formelles et du degré de variation d’un certain nombre de propriétés physiques spécialement significatives pour l’utilisation des produits céramiques, comme le sont les propriétés mécaniques, les propriétés thermiques et les propriétés d’imperméabilité. Ce sont ces propriétés qui conditionneraient des aspects fortement déterminants dans l’utilisation spécifique de tout produit céramique comme la résistance mécanique, la résistance au choc thermique, la porosité, etc.

30 Nous présentons brièvement quelques résultats obtenus dans l’étude de caractérisation de la céramique de 11 sites funéraires de Catalogne (Clop 1994 et 2000). Il s’agit de 8 tombes mégalithiques et de 3 grottes sépulcrales. Au total, l’étude porte sur 156 échantillons de céramique datés entre 3000 et 1500 BC. Ainsi, l’étude inclut des échantillons de céramique campaniforme de type international, de céramique

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campaniforme de type régional, de céramique de type groupe des Treilles, de céramiques épicampaniformes et de céramiques lisses.

31 Le premier aspect étudié a été celui de la provenance possible des produits céramiques. Les résultats obtenus permettent de constater que 147 des 156 échantillons analysés ont été réalisés avec des terres qui proviennent des Zones Théoriques d’Approvisionnement des terres à poterie définies dans chaque lieu funéraire. Nous avons, par conséquent, 94 % des échantillons analysés qui correspondent à des productions locales.

32 Il est important d’indiquer que parmi les échantillons considérés comme locaux nous trouvons des échantillons de céramique campaniforme de type international, des échantillons de céramique campaniforme de type régional, des échantillons de céramique épicampaniforme et la plupart des échantillons de céramique lisse.

33 Seulement 9 échantillons sont produits avec des terres qui ne se trouvent pas dans l’environnement immédiat des sites funéraires. Sept échantillons proviennent de la tombe mégalithique de la Torre dels Moros de Llanera (Solsonès) et deux échantillons de la tombe mégalithique du Mas Pla (Alt Camp). Un seul fragment est décoré d’un motif de type Treilles et provient de la tombe mégalithique de la Torre dels Moros de Llanera. Il est constitué de terres distantes d’au moins 60 km. Tous ces échantillons ont été effectués avec terres de dépôts situés entre 30 à 90 km des sites funéraires dans lesquels on les a trouvés.

34 À partir des propositions effectuées par un grand nombre de chercheurs anglo-saxons concernant les caractéristiques fonctionnelles des céramiques, une étude sur l’usage de la céramique en contexte funéraire a été menée. L’accent a été mis sur le traitement de la matière première qui définit des usages plus ou moins adaptés. La détermination de l’aptitude fonctionnelle plus ou moins grande des récipients, se fonde sur l’évaluation conjointe d’un certain nombre de caractères macroscopiques et microscopiques. À partir de l’étude de cet ensemble de données nous pouvons relever par exemple quelques aspects concrets : - les récipients à parois minces sont plus fréquents dans les sites funéraires que dans les habitats étudiés ; - la porosité relative de la céramique en provenance de contextes funéraires présente des valeurs comprises entre 15 % et 50 %. L’étude statistique indique qu’il s’agit d’une distribution significativement non normale.

35 L’étude comparée de la porosité des récipients à parois épaisses et des récipients à parois minces indique que dans le premier cas la dispersion des valeurs est réduite et que les différences sont régularisées tandis que dans le second cas, la dispersion des valeurs des porosités est plus importante, avec une distribution significativement non normale. La comparaison des récipients céramiques à parois minces provenant des lieux d’habitat et des sites funéraires permet de relever l’existence de différences significatives. La moyenne de la valeur de porosités de ces vases dans les sites d’habitat est de 27,25 %, tandis que dans les sites funéraires elle est de 35,90 %, avec une concentration importante des effectifs entre 30 % et le 45 %. Cette donnée contraste avec celle des sites d’habitat, dont les valeurs se concentrent surtout dans l’intervalle 20 % - 35 %. La conclusion de l’étude statistique est donc que les récipients céramiques des sites funéraires présentent, de manière générale, une plus grande porosité relative.

36 En définitive, par cette étude, nous voulons souligner que les produits céramiques des sites funéraires étudiés ne paraissent pas avoir été fabriqués pour être exclusivement utilisés au cours des pratiques rituelles funéraires. Par conséquent, l’examen des

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matières premières et leur traitement ne mettent pas en évidence une production funéraire spécifique.

37 Globalement, on observe dans les sites funéraires une situation opposée à ce qui se passe dans les sites d’habitat étudiés jusqu’à présent. Les récipients dont l’aptitude fonctionnelle présumée relève de la cuisine/vaisselle de service, atteint 75 % des échantillons analysés, tandis que les récipients déstinés au stockage/transport ne constituent que 25 % (fig. 4). En approfondissant ces données, on remarque que le groupe d’échantillons le plus nombreux est celui qui correspond aux productions céramiques destinées à la cuisine et au service de manière indifférenciée. En tout cas, le second groupe en importance est constitué par les récipients les plus adaptés au service. En revanche, les échantillons qui ont été identifiés comme particulièrement aptes à la cuisson des aliments sont faiblement représentés. Enfin, les récipients destinés au stockage et/ou transport sont présents de manière sporadique (fig. 4).

4 - Présence relative dans les sites d’habitation et funéraires étudiés de vases aptes aux tâches de cuisine / vaisselle de service et stockage /transport

38 Par conséquent, les données obtenues soulignent que les récipients céramiques choisis pour être déposés dans les sites funéraires sont surtout des produits liés à des activités quotidiennes comme le service et, dans une moindre mesure, à la transformation de la nourriture par leur cuisson. On doit remarquer que l’on a jamais identifié des productions céramiques destinées à être exclusivement un mobilier funéraire. Au contraire toutes les céramiques analysées présentent, depuis la sélection de la matière première et de leur traitement, les caractéristiques qui les rendent aptes pour leur utilisation dans l’une ou l’autre des activités quotidiennes. Par conséquent, on n’a pas identifié de production funéraire spécialisée.

Conclusion

39 Comme conclusion, ou comme bilan global de ce que nous venons d’exposer, nous pouvons soulever plusieurs interrogations.

40 Une première question est celle de la variabilité des fonctions que peuvent revêtir des récipients céramiques en contexte funéraire préhistorique. Au-delà de leur valeur comme indicateur chrono-culturel, les récipients céramiques sont des éléments matériels qui peuvent jouer des rôles différents dans le développement et la gestion des pratiques funéraires de ces groupes. La découverte de sites intacts depuis leur dernière utilisation funéraire (ce qui est très significatif dans le cas des sépultures collectives)

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ainsi que le développement de la recherche consacrée aux pratiques funéraires ont permis de définir un objet d’étude précis et complexe, que nous commençons seulement à comprendre à l’heure actuelle. Parmi de nombreuses questions, la diversité de l’utilisation de la céramique en contexte funéraire, figure l’aspect sémiologique qui se traduit dans les pratiques tout comme dans les différents aspects culturels des groupes humains qui les ont utilisés comme tel. Pour le moment, nous pouvons constater la diversité de ces signes et, dans quelques exemples qui constituent des cas particuliers, avancer quelque peu dans la compréhension de leur rôle dans la « grammaire » des pratiques funéraires à laquelle ils ont participé. Il est évident que les données dont nous disposons sont faibles et que la variabilité des utilisations possibles, mais aussi de leur diversification dans l’espace et dans le temps, peut être considérable. Mais il est important de commencer à soulever ces problématiques, de poser ces questions, de développer des axes de travail dans différentes perspectives méthodologiques, ce qui nous permettra, après un certain temps, de pouvoir obtenir une vision élargie des différentes fonctions qu’ont pu remplir les éléments céramiques ainsi que le reste de la culture matérielle présents dans les sites funéraires préhistoriques.

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RÉSUMÉS

Dans les sites funéraires, outre des restes osseux, on trouve généralement un ensemble d’éléments matériels considérés habituellement comme le mobilier funéraire ou le viatique du ou des individus déposés. En général, l’étude de ces éléments mobiliers se limite à en constater la présence, sans approfondir la connaissance des possibles utilisations et/ou fonctions matérielles et sociales que ces objets purent avoir dans le cadre des relations sociales, économiques et idéologiques du groupe comme aussi dans le cadre spécifique des pratiques funéraires effectuées dans le dépôt étudié. Un exemple clair de cette situation est illustré par l’étude des restes céramiques, qui constituent sans doute une des catégories d’artefacts les plus communes dans les contextes funéraires. Le développement quantitatif et qualitatif de la recherche autour du monde funéraire dans la Préhistoire, favorisés par ce qui est la lente mais progressive découverte de dépôts funéraires intacts, ont permis la réalisation d’analyses plus détaillées. Ces études ont mis en évidence que la présence des vases céramiques dans les contextes funéraires peut répondre à aune diversité de motifs. La discussion de ces éléments permet d’étendre notre vision de la complexité des fonctions qu’ont pu avoir les éléments matériels dans les contextes funéraires.

In the funerary sites there is generally, in addition to osseous remains, a whole of material elements considered usually as funerary furniture of the one individual or many individuals deposited. In general, the study of these movable elements is limited to note their presence, without deepening in the knowledge of the possible uses and/or material and social functions that these objects could have within the framework of the social, economic and ideological relations of the group as also within the specific framework of the funerary practices carried out in the studied deposit. There is a clear example of this situation in the study of the ceramic remains, which undoubtedly constitute one of the categories of the most usual artifacts in the funerary contexts. The quantitative and qualitative developments of research around the funerary world in Prehistory, supported by slow but progressive discovery of intact funerary deposits, allow more precises analysis. They highlight the presence of the ceramic vases in the funerary contexts can be explained by different causes. The discussion on these elements extends our vision on the complexity of the functions of the material elements in the funerary contexts.

AUTEUR

XAVIER CLOP Departament de Prehistoria, Edifici B, Universidad Autónoma de Barcelona, 08193-Bellaterra (España) — [email protected]

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Signe et fonction des objets lithiques préhistoriques en Sardaigne Les données de la nécropole d’Ispiluncas – Sedilo (Sardegna - Italia)

Ramona Cappai et Maria Grazia Melis

Thématique générale (MGM)

1 Dans le domaine de l’archéologie funéraire « si un geste est intentionnel il peut être un rituel… ». « Quand on n’a pas de sources d’information aptes à compléter nos observations de fouille, il n’est possible que faire de l’archéologie des gestes et non des rites, qui dérivent de l’interaction de gestes et pensées… ». En l’absence de sources écrites on recherche parfois des comparaisons ethnographiques, mais elles aussi peuvent être fallacieuses parce qu’elles-mêmes montrent comment « des gestes analogues peuvent avoir des sens différents »…(Duday 2005). De ces énoncés, tirées des cours d’archéothanatologie donnés par Henri Duday à Rome en 2004, nous proposons d’aborder un aspect de l’archéologie funéraire, celui inhérent à la présence d’objets lithiques dans les contextes sépulcraux. Ceux-ci représentent une donnée récurrente, liée aux différentes compositions du mobilier funéraire, qui impliquait des objets d‘usage quotidien et des objets distincts : de prestige et à valeur symbolique. Toutefois la présence d’autres éléments de la chaîne opératoire ouvre des nouvelles problématiques, que l’on peut rapporter au travail de la pierre dans la tombe même, et donc à des actions plus complexes que le dépôt d’offrandes et du mobilier. En outre, parfois la présence de pièces instrumentales n’est pas liée au mobilier funéraire mais à des traumatismes : « flèches fichées dans des os à Roaix, deux armatures tranchantes plantées dans deux vertèbres lombaires au Capitaine… » (Guilaine 2000).

2 Le croisement des analyses fonctionnelles et statistiques, encore peu appliquées en Sardaigne, donne des précieuses informations sur les différents usages des instruments par rapport au sexe et à l’âge des inhumés et par conséquence sur l’organisation sociale des groupes humains (Gibaja & Wünsch Royo 2002). Par exemple l’étude des pointes de

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flèche de quelques tombes du faciès chalcolithique de Rinaldone (Lemorini 2004), en Italie centrale, a mis en évidence des comportements rituels différents : un groupe de tombes contenait des pointes très usagées et souvent avec des ravivages, un autre comprenait des objets avec peu de traces d’usure et un troisième 30 % de pointes apparemment sans traces.

3 À partir des données de fouilles et de l’analyse technologique des mobiliers des hypogées domus de janas 3 et 32 d’Ispiluncas, en Sardaigne centrale, principalement rapportés à un horizon final du Néolithique, on soulignera des points de discussion autour de la dynamique des rituels funéraires.

4 Parmi les réflexions initiales, il faut souligner la nécessité d’établir l’intentionnalité du geste, à travers par exemple l’observation de sa répétitivité. Dans les contextes examinés cela a été vérifié, mais une forte limite aux reconstructions est donnée par la fréquente absence d’informations relatives à la position des objets par rapport aux cadavres. Cela résulte de la réutilisation des hypogées et des violations. Souvent nous sommes obligées de renoncer à ces éléments d’évaluation. Malgré cela il a été possible de porter l’attention sur quelques données significatives. Le domaine d’application est la Sardaigne préhistorique et, en particulier, une nécropole située dans sa région centrale.

Les hypogées – Maisons des morts

5 Le monument funéraire le plus répandu en Sardaigne est la domus de janas, c’est-à-dire l’hypogée creusé dans la roche. Depuis longtemps les points communs entre l’architecture domestique et celle des hypogées sont connus : en effet dans les tombes nous trouvons la représentation du pilier, souvent pourvu d’une plinthe, de fenêtres, de parastates, de la base de la paroi, du toit. En outre on observe des lits funéraires, des foyers, des portes et des « fausses portes » (fig. 1).

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1 - Éléments de l’architecture domestiques dans les hypogées sardes. Noeddale (Ossi, Sassari)

Chambres funéraires avec la représentation de toits en bois à deux pentes (a) et coniques (b) (Derudas 2000) ; c-d. coupes de la tombe II de Mesu e Montes (Ossi, Sassari) et représentation du foyer (Demartis & Canalis 1985) ; e. porte d’entrée de l’hypogée A d’Anghelu Ruju - Alghero (SS) avec la représentation des montants et de l’architrave (photo : M. G. Melis)

6 La découverte du village de Serra Linta (Tanda 1992), auquel la nécropole d’Ispiluncas que nous allons analyser est associée, constitue le modèle réel d’un type architectural représenté dans les hypogées. Pour ce qui concerne le thème présent, on ne peut que remarquer l’évidente volonté qu’il y avait à creuser la tombe semblable à une maison. Cela nous aidera à comprendre la présence soit d’objets de prestige soit d’objets d’usage domestique.

Les pics et les autres outils pour le creusement des tombes

7 On connaissait déjà, en Sardaigne, la présence dans la tombe d’outils utilisés pour son creusement. Leurs caractéristiques technologiques, qui ne seront pas analysées ici, ainsi que les différentes traces sur les surfaces creusées des hypogées, évoquent une séquence articulée de différents gestes de creusement, du premier travail grossier à la finition. Mais pourquoi ces objets sont-ils présents dans la tombe ? Nous allons voir comment, dans certains cas, ils ne sont pas abandonnés, mais déposés intentionnellement.

8 Le sens symbolique de cette présence est souligné par la découverte de deux pics déposés avec les pointes opposées dans la tombe 2 d’Ispiluncas (fig. 2). Ils furent trouvés sur le sol de la chambre h. Selon l’auteur de la fouille (Depalmas 2000), ils pourraient être rapportés à des modifications architectoniques, peut-être l’abaissement du sol, effectué après le premier creusement.

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2 - Tombe 2 d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano)

a. plan de l’hypogée ; b. deux pics déposés avec les pointes opposées, dans la chambre h ; c. pics découverts dans la tombe (Depalmas 2000)

9 La découverte de ces objets n’est pas si fréquente en Sardaigne, par rapport au nombre d’hypogées (dans la seule province de Sassari, où la concentration la plus élevée est connue, on dénombre environ 1350 domus de janas). Cela est dû en partie à des facteurs contingents, comme la fréquente absence d’indications dans les rapports de fouille et la découverte d’un nombre considérable d’hypogées vidés ab antiquo.

10 Dans ce cadre, nous considérons que les données de la nécropole d’Anghelu Ruju près Alghero (fig. 3, 1-3) sont particulièrement importantes. Constituée de 38 tombes, elle a été fouillée par Antonio Taramelli, en deux séries de campagnes en 1904 et 1908 (Taramelli 1904 ; 1909), puis par Doro Levi (Levi 1950-1951) et enfin par Ercole Contu (Contu 1968). Les tombes de I à X furent fouillées au cours de la première période, mais c’est à partir de la deuxième que la présence d’outils de creusement fut signalée (fig. 3, 2), à la suite des découvertes exceptionnelles de la tombe XI (fig. 3, 3).

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3 – Nécropole d’Anghelu Ruju (Alghero, Sassari)

1. Localisation des pics de creusements dans les pièces des tombes ; 2. fréquence des pics dans les hypogées ; 3. plan de la tombe XI (Demartis 1986) ; 4. pics découverts dans la tombe I de S. Pedru- Alghero (Contu 1964)

11 Ce qui est étonnant est leur abondance : en effet si la présence de moins de 10 éléments est la fréquence normale dans les hypogées, la plupart dépassent de beaucoup cette limite pour arriver à un maximum de 70 instruments dans une tombe. Même avec les lacunes causées par les bouleversements ab antiquo des hypogées et l’imprécision des comptes rendus de fouilles, nous avons pu faire les observations suivantes : 1 - quand l’auteur enregistre la donnée spatiale, nous voyons que ces outils sont trouvés surtout dans l’antichambre, moins fréquemment dans le couloir d’entrée et dans les chambres secondaires, rarement dans la chambre centrale principale, quand elle est présente, et dans les niches (fig. 3, 1). On signale souvent des groupes d’objets près des portes, surtout entre le couloir et l’antichambre. 2 - les outils décrits sont souvent peu soignés ; quand ils sont trouvés en groupes il y a au maximum 1, 2 ou 3 objets bien travaillés, avec une pointe à l’une ou aux deux extrémités. 3 - bien que quelques éléments soient en bon état, la pointe est généralement cassée et ils sont détériorés par l’utilisation. Dans la tombe A, la pointe d’un pic a été trouvée dans la chambre principale et son corps dans le couloir. 4 - dans un cas, le pic présentait des traces évidentes de couleur rouge. Il s’agit vraisemblablement d’ocre, qui est souvent présente sur les parois des domus de janas et quelquefois sur les restes humains et leur mobilier. Cet usage pourrait être interprété comme un rituel lié à la symbolique du rouge, bien attestée dans les domus de janas et au sanctuaire de Monte d’Accoddi-Sassari. 5 - à côté des pics on a trouvé dans les hypogées un nombre considérable d’éclats, que l’archéologue a interprété comme témoignant de la dégradation des outils pendant leur

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utilisation. Cependant, en considérant que les éclats de cassures d’outils au cours du travail de creusement des tombes devaient régulièrement être évacués avec les débris, on peut supposer plutôt que quelques pics furent fabriqués dans l’hypogée, après le creusement, avec peut-être un caractère rituel. On doit préciser que les objets étaient presque tous obtenus sur deux types de calcaire : un type jaune dur, qui provient du Monte Doglia, situé quelques kilomètres à l’ouest de la nécropole, et plus rarement un type gris très dur, qui a pu être recueilli sous forme de galets près du torrent Filibertu, coulant près de la nécropole. La trachyte, locale, n’est utilisée que de manière exceptionnelle. 6 - dans quelques cas, le nombre d’outils correspond au nombre des inhumés. Par exemple, dans la tombe XIV, où à 6 corps correspondent 6 outils ; ou bien la tombe XVII avec deux sépultures et deux instruments ; ou encore la tombe XX où l’on compte 17 crânes et 17 outils. 7 - dans d’autres tombes ce rapport numérique n’existe pas : par exemple 26 outils pour deux inhumations dans la tombe XII. Mais la découverte la plus sensationnelle est celle de la tombe XI (fig. 3, 3) qui contenait au moins 70 pics, dont une dizaine dans chacune des chambres secondaires et une cinquantaine dans la chambre principale, où l’on a retrouvé deux individus en decubitus dorsal. On ne comprend pas si les outils étaient disposés autour d’un ou des deux corps. La description n’est pas claire. Aucun autre objet ne fut trouvé dans la chambre.

12 De ce que nous avons exposé, la valeur rituelle de la présence des outils utilisés pour creuser la tombe paraît indubitable. Cela nous amène à faire quelques mises au point : en effet, il faut distinguer entre la présence d’objets individuels et les groupes de matériels. Un outil pour un mort, avec la signification de pouvoir offensif et défensif que l’objet dégage, pouvait avoir pour fonction de l’accompagner vers l’outre-tombe en le protégeant. Les groupes d’outils, au-delà de cette valeur, semblent aussi liés au geste de creusement de l’hypogée, qui pouvait être une phase du rituel funéraire. Le creusement pouvait être une offrande ? Ou plutôt était-il un événement à fort impact émotif, entendu comme une pénétration dans les entrailles et les mystères de la terre ? Ces offrandes multiples étaient peut-être réservées à quelques personnages seulement. Mais on n’exclut pas une interprétation différente : la présence des pics autour du cadavre pouvait être une défense pour les vivants contre le monde des morts. N’oublions pas que les dimensions réduites des portes des hypogées ont toujours suggéré la peur du monde des morts et la nécessité de créer une barrière physique de protection contre lui. Le même caractère souterrain des tombes souligne la valeur distincte et opposée du monde des vivants et du monde des morts. De telles concentrations pourraient suggérer l’hypothèse d’une implication d’un grand nombre de personnes dans le creusement des hypogées. Peut-être des groupes familiaux ?

13 D’autres situations, comme le dépôt d’une douzaine de pics dans une fosse creusée dans le sol d’un hypogée vauclusien (Le Capitaine ; Sauzade 1983), suggèrent une interprétation différente comme celle d’un rite de fondation de la tombe plutôt qu’un rite lié à un individu. Nous pouvons peut-être proposer la même hypothèse à propos de la présence de six pics regroupés dans la fosse du dolmen de Coutignargues (Fontvieille ; Sauzade 1974).

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Objets usagés et objets cassés.

14 Comme on l’a vu, parmi les outils de creusement quelques-uns sont neufs, mais la plus grande partie est usagée, avec la pointe cassée. Dans quelques cas la fracture semble intentionnelle. La cassure intentionnelle des objets est souvent individualisée dans les sépultures : elle concerne des outils de creusement de la tombe, des objets de prestige et d’usage quotidien. On connaît différents cas de fragmentation intentionnelle d’objets funéraires en ethnologie et en préhistoire (Castaldi 1965), rapportés à des contextes géographiques et culturels très différents entre eux et dont le sens ne peut être unique : on rapporte, par exemple, une hache-marteau déposée sous la nuque d’une inhumée, après bris intentionnel de la pointe, à Lausanne-Vidy (Moinat & Gallay 1998). Dans ces cas on remarque aussi que ces objets brisés normalement associés à des sépultures masculins ou infantiles (Gibaja & Wünsch Royo 2002). Dans ce contexte nous considérons très intéressante l’étude des pointes de flèches de l’hypogée de la Costa de Can Martorell (Dosrius, Barcelona) (Palomo & Gibaja 2002). Parmi tous les exemplaires, 80 % étaient cassés et usagés ; on a proposé l’hypothèse que dans quelques cas il s’agissait de projectiles plantés dans les individus inhumés plutôt que faisant partie du mobilier.

15 En Sardaigne plusieurs auteurs ont souligné la présence d’objets brisés dans les sépultures (Foschi Nieddu & Paschina 2004), mais aucune étude technologique ni fonctionnelle n’a jamais été abordée pour définir les modalités de cassure et d’usage. Parmi les objets lithiques retrouvés à l’état de fragments, on connaît des pics, des haches, des têtes de massue, des pointes de flèches, des lames, des statuettes féminines etc. Par rapport à ces dernières on doit souligner que souvent la fracture est au niveau du col ou de la taille ou des bras, c’est-à-dire des parties les plus fragiles, on ne peut donc exclure une rupture accidentelle ; en outre quelques statuettes montrent près de la fracture au niveau du col deux trous de restauration. Font exception, vraisemblablement à cause de la position de la fracture, deux exemplaires retrouvés dans les tombes XX et XXbis d’Anghelu Ruju (Taramelli 1909) et un de la tombe de Marinaru (Contu 1955), qui présentaient la partie inférieure débitée.

16 Dans la tombe XV de la même nécropole d’Anghelu Ruju, sont signalés 22 pics et une tête de masse d’excellente facture, avec un petit trou peu fonctionnel, cassée à la moitié, qui accompagnaient un riche mobilier, évidemment lié à un personnage de prestige. Dans l’hypogée I de S. Pedru-Alghero (Contu 1964) les pics semblent cassés à la moitié (fig. 3, 4). Leur découverte en différentes positions stratigraphiques donne quelques éléments de chronologie, qui dans d’autres cas ne sont pas évidents. En effet, si de nombreux objets peuvent appartenir à la première phase de creusement, correspondant à la plus grande partie du travail, donc au Néolithique récent ou final, quelques-uns peuvent être rapportés à des modifications et agrandissements de l’installation primaire. En particulier un des pics de S. Pedru est localisé dans la couche inférieure de l’antichambre, attribué à la phase chalcolithique de Filigosa.

17 À côté de cette classe de matériels, d’autres objets se trouvent en contextes funéraires à l’état fragmentaire ou avec des traces d’utilisation, mais l’absence d’analyses technologiques et fonctionnelles ne permet pas toujours de vérifier l’intentionnalité de la cassure et le type d’usage.

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Les autres éléments de la chaîne opératoire

18 La présence d’autres éléments de la chaîne opératoire a été quelquefois signalée par les archéologues, mais jamais approfondie et expliquée. À travers l’analyse technologique des mobiliers des tombes 3 et 32 de la nécropole d’Ispiluncas, qui a été effectuée par Ramona Cappai, ces thèmes seront discutés et nous proposerons de nouveaux éléments pour la reconstruction des gestes du rituel.

La nécropole d’Ispiluncas (MGM)

19 Cette vaste nécropole à domus de janas est située dans la pente du plateau d’Iloi, qui a été fréquenté pendant différentes phases de la préhistoire et de la protohistoire. Ce territoire a été l’objet de recherches pluriannuelles coordonné par les Universités de Sassari et Cagliari1. La fouille archéologique fut effectuée dans les tombes 2, 3 et autour des hypogées, en conduisant à la découverte de nouvelles tombes comme les tombes 30 et 32 (Melis 1998 ; Melis 1999 ; Cappai & Melis 2006). Dans cette étude Ramona Cappai a abordé l’analyse technologique des éléments lithiques, principalement en obsidienne, retrouvés dans les domus 3 et 32. Elle conduit d’une part à la reconstruction des processus de transformation de la matière première et d’autre part à celle des rituels funéraires.

20 La tombe 3 est de type pluricellulaire (fig. 4, 1) à développement centripète, avec un court dromos, une chambre centrale, autour de laquelle 11 chambres de formes et dimensions différentes se développent, dont deux, q et s, creusées au-dessous de la chambre n. La pièce centrale, comme on le note dans d’autres domus de janas, semble principalement destinée aux rituels. À travers elle on peut entrer dans les chambres périphériques, qui sont de dimensions plus petites et qui eurent probablement une fonction exclusivement funéraire. La chambre centrale présente une petite fosse au centre du sol, où on trouve souvent dans les hypogées la reproduction du foyer. D’autres éléments rapportés aux rituels sont deux cupules dans le sol, l’une près de la petite fosse et l’autre près de l’entrée de la chambre. Finalement trois niches, creusées dans la paroi Nord-Est, nombreuses par rapport à la moyenne, semblent destinées au dépôt d’offrandes. La présence de deux petites niches dans les parois du bref couloir d’entrée suggère l’accomplissement de gestes semblables : dépôt d’offrandes ou d’outils pour le rituel.

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4 - Nécropole d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano)

Tombe 3 : 1. plan de l’hypogée ; 2. céramique du Monte Claro ; 3. céramique du Campaniforme ; 4. remplissage en blocs de basalte de l’âge du Bronze dans la chambre centrale Tombe 32 : 5. plan de l’hypogée ; 6. tasse carénée de l’Ozieri ; 7. tesson céramique de l’Ozieri avec une représentation anthropozoomorphe ; 8. céramique du Sub-Ozieri ; 9. céramique du Monte Claro (Melis 1998)

21 L’utilisation de l’hypogée commence avec l’Ozieri, dont témoignent quelques tessons de céramiques dans la couche de base du dromos ; après, on enregistre une fréquentation sporadique pendant le Monte Claro (fig. 4, 2), par la suite la tombe fut vidée et occupée par les Campaniformes (fig. 4, 3). À l’âge du Bronze, l’intérieur du monument fut couvert d’une couche puissante de gros blocs de basalte, apparemment pour oblitérer le passé et reconsacrer l’hypogée (fig. 4, 4). Un remplissage de blocs de basalte dans les niches de la pièce centrale souligne également l’existence de nouveaux rites qui n’utilisaient plus ces niches et les effaçaient et, avec elles, le souvenir des vieux rites. Après, on a une longue période d’abandon, attestée par une puissante couche de dépôt naturel, avec peu de matériel ; la partie supérieure de la couche contenait quelques inhumations avec du mobilier médiéval.

22 Si on accepte l’hypothèse d’une attribution des éléments lithiques à la fin du Néolithique, leur découverte dans des US qui appartiennent aux époques plus récentes pourrait être l’effet des plusieurs réutilisations et des bouleversements ; mais on n’exclut pas qu’ils pourraient se rapporter à ces époques. L’hypothèse qu’ils soient à attribuer à l’Ozieri semble confirmée par leur nombre réduit, qui correspond à une faible présence des matériels Ozieri dans le dépôt archéologique. Cette incidence limitée trouve son explication dans les dynamiques d’utilisation de la tombe, les réemplois répétés, les vidanges et les accumulations à l’extérieur ; la forte pente de la paroi de la falaise provoqua la dispersion des mobiliers plus anciens. La découverte d’une concentration de matériels dans une zone extérieure à l’Ouest du dromos pourrait

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être liée à la présence d’une partie aménagée pour faciliter l’accès à l’hypogée et qui en même temps a concouru à contenir le dépôt archéologique et à le préserver partiellement du glissement vers la base de la pente. Les éléments lithiques se concentrent particulièrement dans la partie antérieure du couloir.

23 L’hypogée n° 32 (fig. 4, 5) fut découvert dans une zone où, à la suite du nettoyage superficiel, les traces de structures n’étaient pas visibles, cependant une concentration anormale de matériels archéologiques émergeait (Melis 1998, 1999, 2002 ; Cappai & Melis 2006). La continuation de la fouille mit en évidence les parois du couloir. Au-delà du couloir, les restes d’une vaste antichambre, probablement semi-circulaire, furent découverts. La présence de ce type de chambre et les dimensions considérables du couloir suggèrent, en analogie avec d’autres monuments, que ces deux pièces étaient destinées aux rites. Il faut signaler la présence d’une niche dans une paroi de la chambre. Elle était encombrée jusqu’au plafond d’une couche puissante témoignant d’une longue phase d’abandon et de formation d’un dépôt naturel, avec une faible quantité de matériels.

24 La fouille du couloir mit par contre en évidence, sous l’humus, une unité stratigraphique riche en matériels, principalement de la céramique, très fragmentaire, surtout distribués dans la zone centrale du couloir. Une telle accumulation se forma probablement au cours des violations répétées que la tombe dut subir aux époques anciennes, comme la découverte de matériels appartenant aux différentes phases de la préhistoire nous le confirme. Les dimensions considérables du dromos favorisèrent la conservation d’une plus grande quantité de mobilier, par rapport à la tombe 3, en empêchant le glissement le long de la pente. Les éléments lithiques se concentrent particulièrement dans la partie antérieure du couloir.

25 Parmi les matériels on reconnaît des tessons céramiques appartenant à la civilisation d’Ozieri (fig. 4, 6) et un fragment de vase avec une représentation anthropozoomorphe à tête de bœuf (fig. 4, 7) ; les phases Sub-Ozieri (fig. 4, 8) et Monte Claro (fig. 4, 9) sont aussi attestées. Ils manquent les éléments Filigosa, Abealzu et Campaniformes, qui dans d’autres hypogées sont bien représentés par du mobilier de grand intérêt. L’absence de matériels campaniformes n’étonne pas, mais elle offre des suggestions sur la dynamique des violations au cours des siècles. En effet, comme il a été plusieurs fois remarqué, les mobiliers les plus anciens (Ozieri), rapportés à la première installation de l’hypogée, se trouvent à l’extérieur, comme les Sub-Ozieri et Monte Claro. Nous pouvons supposer que pendant le Campaniforme, succédant au Monte Claro, l’hypogée fut vidé, pour faire place aux nouvelles sépultures et aux nouveaux mobiliers.

26 D’une manière analogue l’hypogée ne connaît pas, dans l’état actuel de la recherche, des témoignages relatifs aux réemplois au cours de l’âge du Bronze et au Moyen-Âge, qui ont été signalées dans les autres tombes.

L’industrie lithique en pierre taillée : analyse technologique (RC)

Introduction

27 Les aspects des rituels sont aussi bien représentés par l’industrie lithique en pierre taillée, toujours peu étudiée, qui ne fait pas seulement partie du mobilier, mais joue un rôle important dans leur mise en œuvre, souvent difficile à reconnaître. Nous le

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démontrerons par l’analyse technique des éléments de pierre taillée. Puis nous terminerons par quelques remarques générales.

28 Notre but est de trouver des indices sur le déroulement d’un rituel funéraire au sein duquel le débitage occupait une place manifeste.

29 Une analyse technologique des matériaux des tombes 3 et 32 d’Ispiluncas à Sedilo et une relecture plus attentive de sites analogues, permettent de proposer des hypothèses. Nous avons alors pris en considération quelques éléments qui permettent d’approfondir chaque situation. D’abord la présence ou l’absence de certains éléments de la chaîne opératoire, nous renseigne sur l’organisation spatio-temporelle de la production et la gestion des outils lithiques. Ensuite, l’analyse économique des matières premières présentes, que l’on peut lier à des stratégies particulières, sont susceptibles d’apporter des informations chronologiques et culturelles. Enfin, la découverte d’objets particuliers, comme les pièces à cassures intentionnelles, la présence d’assemblages mixtes associant des mobiliers prestigieux et des mobiliers communs, à faible investissement technique, sont autant d’indices qui renforcent le lien qui existe entre les différents univers en jeux.

L’industrie lithique des tombes 3 et 32

30 Le point de départ est représenté par les tombes 3 et 32 de la nécropole d’Ispiluncas à Sedilo. Une étude de ces ensembles avec les méthodes technologiques, en prenant en considération les éléments présents et absents à travers une reconstruction de la chaîne opératoire, permet d’identifier des moments de la production pour comprendre le rapport entre le contexte et les modes d’exploitation de la matière première.

31 L’industrie lithique de la tombe 3 comprend 54 éléments en obsidienne, 3 en silex et 3 en quartz. 20 fragments lithiques sont représentés par des galets et d’autres matériaux, tandis que celle de la tombe 32 est constituée de 194 éléments en obsidienne, 2 en silex et 1 en quartz (fig. 5, 1-2).

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5 – Tombes 3 (1, 3, 5, 7) et 32 (2, 4, 6, 8) d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano)

Graphiques des ensembles analysés avec : - pourcentages des matières premières ; - pourcentages des variétés d’obsidienne dans chaque tombe et selon la distribution par US ; - éléments de la chaîne opératoire

32 L’obsidienne est donc la matière première prédominante dans les deux tombes, et joue un rôle très important dans leur économie. Représentée par plusieurs variétés, selon ses propriétés physiques macroscopiques, elle vient du Monte Arci, situé dans la Sardaigne centre occidental, à plus de 50 km à vol d’oiseau du site de Sedilo, et donc ne peut être considérée comme locale.

33 La présence de plusieurs variétés, montre une gestion différentielle de la même matière : dans la tombe 3 (fig. 5, 3, 5) ont été identifiées l’obsidienne noire vitreuse granuleuse (33 %), noire opaque (27 %), noire translucide (20 %), et celle avec des bandes (20 %). Dans la tombe 32 (fig. 5, 4, 6) il y a la variété noire vitreuse granuleuse (représentée par le 43 %), la noire opaque (23 %), la noire translucide (19 %) et celle avec des bandes (11 %). Une petite quantité des fragments montre une altération de surface ne permettant pas l’identification. En comparant les pourcentages on notera une similitude entre les deux ensembles qui traduit les choix d’approvisionnement de la matière première orientés vers les mêmes types.

34 Dans la tombe 3, l’ensemble étant plutôt hétérogène et sans éléments culturels certains, on a seulement 6 % d’outils. Ceux-ci sont peu élaborés, avec des coches simples et des retouches isolées dont les caractéristiques renvoient aux contextes du Néolithique récent.

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6 – Tombe 32 d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano)

Industrie lithique en obsidienne provenant de l’US 12

35 En raison des pillages anciens qui ont dispersé les matériaux, il n’a pas été possible de faire de remontages, mais on peut néanmoins reconnaître les phases de la chaîne opératoire présentes. Éclats de préparation, de mise en forme et débris se retrouvent dans l’ensemble, mais c’est surtout la phase de plein débitage qui est attestée par de petits éclats plutôt minces, des fragments des lames et lamelles que l’on peut rapporter à la production des supports (fig. 5, 7) et, dans quelques cas, à des outils. Mais toutefois, l’absence des nucléus en obsidienne, rend la lecture technologique plus difficile car elle ne permet pas d’isoler les finalités du débitage.

36 Ces éléments suggèrent que le débitage de l’obsidienne était effectué sur place. En faveur de cette hypothèse est la présence, bien que retrouvé dans la couche superficielle, d’un petit percuteur en basalte de forme arrondie qui pèse 114 g. (fig. 7, 4).

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7 - Nécropole d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano)

Tombe 32 : 1, 3, 6-7, 9-14, 16. Industrie lithique en obsidienne de l’US 16 ; 2. Lame cassée provenant de l’US 12 ; 15. Pointe de flèche de l’US 12 Tombe 3 : 4. percuteur ; 5, 8. nucleus et fragment de lame en quartz

37 À côté de l’obsidienne, l’économie des matières premières est représentée par d’autres roches que ce soit de petits galets en porphyre quartzifère, de fragments de basalte, d’ignimbrite ou de gneiss utilisés comme meulette. Mais la caractéristique la plus intéressante est la présence de petits éclats et déchets en silex et quartz, d’une partie distale de lame et de 2 nucléus en quartz (fig. 7, 5, 8).

38 La présence donc de différentes matières premières qui, selon l’analyse pétrographique peuvent être locales, à côté de l’obsidienne qui laisse supposer un haut investissement technologique, rappelle un comportement expédient bien connu dans le cadre culturel néolithique, non seulement sarde mais européen (Astruc 2005 ; Binder & Perlés 1990).

39 La tombe 32 au contraire a présenté des caractères plus hétérogènes et complets. D’après ces considérations et la comparaison avec les sites contemporains du même territoire, on peut dater le matériel au plus tard du Néolithique final.

40 L’obsidienne est présente de manière variée dans les Unités Stratigraphiques identifiées (fig. 5, 6), mais les éléments ont des facteurs communs qui quelquefois se répètent en causant les mêmes comportements. Complètent l’ensemble un éclat de quartz et trois éléments en silex.

41 L’analyse différentielle des éléments identifiés pour chaque variété d’obsidienne et par US n’a pas toutefois montré beaucoup de différences dans l’utilisation de la matière première, aussi avons-nous considéré l’ensemble comme unique.

42 La chaîne opératoire (fig. 5, 8), incomplète, est représentée par des d’éclats de ravivages des débris, des éclats ou des éléments de mise en forme, quelquefois avec le cortex, des

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éclats supports, des outils et des nucléus résiduels identifiés pour chaque type d’obsidienne et témoignage d’un débitage sur place ou plus correctement de la mise en place d’une partie de la chaîne de production.

43 Les nucléus résiduels (fig. 6, 1, 4), au nombre de 3, ne permettent pas d’identifier la finalité des opérations de taille, mais sont la dernière phase d’exploitation souvent faite à partir de gros éclats. Il manque les nucléus et les témoins d’opérations liées aux premières phases de mise en forme au travers du décorticage et la préparation au premier détachement. La présence de cortex dans les matériaux, en faible pourcentage et souvent sous la forme de petits fragments d’éclats, n’est donc pas liée à cette phase initiale, ce qui signifie que toute la chaîne opératoire n’est pas représentée. Il est donc difficile d’établir la morphologie sous laquelle la matière première était introduite : on peut toutefois faire quelques remarques. Avant tout, la présence de cortex peu développé permet d’exclure l’utilisation de galets ramassés en dépôt secondaire, mais ne dit pas si la matière première était introduite déjà préparée ou brute (Luglié et al. 2006). En considérant les stratégies indirectement identifiées pour cette période, il est possible de supposer qu’entre le lieu de ramassage et le site final (ici la nécropole), il y avait un passage intermédiaire représenté par un village. Ce n’est pas encore sûr, mais le site de Serra Linta à Sedilo se place bien dans cette reconstruction, de même que la typologie des éléments lithiques qui y furent retrouvés (Tanda & Depalmas 1997). L’analyse typologique et analytique de quelques éléments provenant du village, a montré la présence de l’obsidienne (551 éléments) comme matière première principale à côté du silex (50 éléments), peu représenté. Les outils sont peu formalisés, sur éclats et lames et montrent une retouche simple, discontinue.

44 La production du débitage de la tombe 32 est représentée par des éclats et des lames- lamelles. Les outils aussi ont des supports variables qui souvent sont choisis entre les ravivages (fig. 6 et 7). La présence de beaucoup de débris, fragments informes pour lesquels il n’est pas possible de remonter à une morphologie bien définie, tend à exclure la possibilité qu’ils aient été introduits après leur débitage.

45 Une caractéristique à souligner est la présence de quelques accidents de taille, parfois combinés entre eux qui montrent des stigmates liés à la percussion directe, avec la production, bien attestée, de débris plus nombreux dans le débitage de l’obsidienne. Parmi ceux-ci on note la présence d’éclats et de lames avec réfléchissements associés à des ondulations de percussion très marquées aux bulbes avec cône incipient et double point d’impact associé, dû probablement à la répétition du geste dans le même point d’impact. Ces caractéristiques, causées quelquefois par un coup peu efficace ou par l’utilisation d’un percuteur plus léger (Sollberger 1994), peuvent être reliées à la présence d’un petit percuteur plat en grès, trouvé dans la tombe (fig. 7, 1), présentant quelques petits détachements.

46 Par ailleurs, on trouve une série de lames présentant des cassures intentionnelles mais surtout « accidentelle ». En effet il est très commun de retrouver des lames cassées en plusieurs parties surtout par percussion directe. Dans le cas de la tombe 32, les matériaux présentent des cassures en languette simple obtenues par percussion directe à la pierre tendre.

47 En ce qui concerne les outils, ils sont sur éclat comme sur lame. Burins, grattoirs, lames- , coches, pointes de flèche et pièces esquillées sur éclat sont présents (fig. 6 et 7). Comme dans les contextes d’habitat de la même période, deux différents modes de

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transformation des supports ont été mis en évidence (Cappai 2006 ; Cappai et al. 2004). À part les rares outils qui demandent un haut investissement technique, comme les deux pointes de flèche à retouche soigneuse bifaciale (fig. 6, 5 ; fig. 7, 6, 15, 16), le fond de l’outillage est constitué de fragments de lames avec des coches isolées, des pièces esquillées sur éclat et des lames avec une retouche discontinue et irrégulière.

48 Dans ces cas il ne s’agit pas de cassure accidentelle, mais intentionnelle, créée à partir de coches simples ou à retouches multiples, comme on peut le voir sur le raccord de deux lames cassées (fig. 7, 2, 3). L’une présente une retouche abrupte sur un bord qui démontre clairement que la cassure a été réalisée après la retouche. Plus problématiques sont les autres fragments dont on n’a pas trouvé le correspondant.

L’industrie lithique taillée des autres contextes

49 Loin d’être un cas unique, ni le phénomène le plus particulier, les tombes 3 et 32 montrent que l’industrie lithique continue à être utilisée aussi à la fin du Néolithique en jouant un rôle très important, ce qui lui donne une place préférentielle dans le domaine funéraire jusqu’à aujourd’hui peu reconnue.

50 Les premières confirmations viennent d’une autre tombe de la même nécropole : la tombe 2 (fig. 8, 1) (Depalmas 20002) ce qui nous révèle aussi la présence de plusieurs éléments de la même période.

8 – Eléments provenant d’autres contextes

1. Matériaux de la tombe 2 d’Ispiluncas (Sedilo, Oristano) (Depalmas 2000) ; 2. Percuteur, nucleus et lamelles de Bau Angius – Terralba (Oristano) (Luglié 2006) ; 3. Tombe 387 de Cuccuru Is Arrius (Santoni 2000) ; 4. Lames cassées de la nécropole de Anghelu Ruiu (Alghero-Sassari) (Taramelli 1909) ; 5. Matériaux de la tombe II à San Benedetto (Iglesias-Cagliari) (Atzeni 2001) ; 6. Pranu Mutteddu (Goni-Cagliari) mobilier des tombes II et V ; 7. Éléments du mobilier de la tombe I de Marinaru (Sassari) (Contu 1955)

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51 Les éléments en obsidienne sont le plus nombreux (94 %) suivis par les éclats en silex (3 %) et les fragments de quartz (3 %). L’analyse effectuée sur les supports et sur les outils a montré différentes techniques de production et d’investissement technique. En plus, les pourcentages indiqueraient que la majorité des éléments sont des éclats de ravivage liés au débitage sur place, indiqué aussi par la présence d’un percuteur en ignimbrite du poids de 940 g.

52 Cet aspect peut-être retrouvé dans des contextes plus anciens, dont la signification est toutefois plus directe et claire.

53 À Bau Angius (Terralba – Oristano) (Luglié 2006), on a récolté un vase du Néolithique moyen dans lequel on a retrouvé quatre galets, un nucléus et huit lamelles en obsidienne (fig. 8, 2).

54 Deux galets ont été interprétés, l’un (173 g) comme percuteur pour le débitage, l’autre (62 g) utilisé pour préparer le plan de frappe du nucléus. Le nucléus est seulement partiellement utilisé. Les lamelles appartiennent à une phase de plein débitage attestée aussi par le remontage de la plupart des éléments. Si l’on ne connaît pas précisément le contexte, habitat ou funéraire, quelques indications sont cependant données par la présence de traces d’hématite sur le galet percuteur et sur la partie proximale d’une lamelle. Ces objets nous font plutôt penser à un contexte funéraire. Si l’interprétation de Bau Angius est correcte, le débitage rituel en Sardaigne doit être daté du Néolithique moyen.

55 En effet, il est étonnant de trouver un cas similaire dans la tombe 387 (fig. 8, 3) de la nécropole de Cuccuru Is Arrius (Cabras – Oristano) datée de la même période. Cette sépulture est un exemple des premières manifestations de l’hypogéisme méditerranéen mais, à la différence des domus de janas, elle ne contenait qu’un seul individu avec son mobilier (il est toutefois attesté la présence dans la nécropole de la déposition d’un autre crâne à côté du défunt). L’aspect intéressant, est la présence, dans le mobilier, d’un nucléus pyramidal et de 6 éclats en obsidienne débités sur place dont 2 directement liés au nucléus déposé (Santoni 2000).

56 La pratique du « débitage rituel » peut être supposée également pour la domus de l’Ariete (Perfugas, Sassari) (Lo Schiavo 1982), qui se trouve près de la localité de Concas où un affleurement de silex de couleur noisette a été identifié. D’un point de vue économique, le silex est la matière première prédominante, mais on retrouve aussi le jaspe, l’obsidienne et le quartzite. La chose la plus importante pour cette discussion est la présence de 16 nucléus dans toutes les matières représentées avec éclats, outils et déchets. Malheureusement, il n’existe aucune analyse de l’industrie lithique qui puisse confirmer notre hypothèse. D’autres notices, quelques fois précises, proviennent des hypogées du Nord de la Sardaigne. Dans la tombe I, ou Amorelli, à Marinaru (Sassari), Contu (Contu 1955) a trouvé des éléments liés à cette discussion : un nucléus en silex dans la chambre c, mais surtout un couteau en silex à section trapézoïdale fragmenté en deux parties, l’une retrouvée dans le couloir à cause des pillages plus récents, et l’autre dans la couche inférieure de la chambre d associée au mobilier campaniforme (fig. 8, 7). Près du premier fragment du couteau, se trouvait une petite hache non seulement cassée mais surtout portant des marques, sur l’une des deux faces, de coups portés vraisemblablement avec un percuteur.

57 Comme nous l’avons vu supra, la nécropole de Anghelu Ruiu (Alghero, Sassari), a livré beaucoup d’éléments concernant le rituel funéraire (Contu 1968 ; Levi 1952 ;

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Taramelli 1904, 1909). L’industrie lithique est présente, aussi bien en silex qu’en obsidienne avec des nucléus (tombe I, B, C), des éclats bruts ou des outils. Les lames cassées, surtout en silex, retrouvées, selon l’interprétation des données, dans les tombes VIII, XXbis, XXII (fig. 8, 4) sont également bien représentées. La fragmentation dans ces hypogées, déjà soulignée pour les pics (voir supra la présentation du contexte d’étude par Maria Grazia Melis), s’applique à d’autres objets et constitue donc une pratique bien développée.

58 D’autres informations sont apportées par l’analyse des tombes II et V de la nécropole de Pranu Mutteddu à Goni (Atzeni & Cocco 1988), attribuées au Néolithique récent en raison de la présence d’un mobilier lithique prestigieux. Dans les deux tombes ont été retrouvées plusieurs lames en silex de couleur noisette (fig. 8, 5). La tombe V a par ailleurs livré plusieurs pointes de flèche en obsidienne, ainsi qu’un poignard et un stylet en silex de la même qualité, finement façonnés.

59 Le caractère prestigieux du mobilier est souligné par le haut investissement technique de la production, mais aussi par le choix de la matière première : l’obsidienne pour les pointes de flèche, et le silex, qui provient peut être de Perfugas, pour les longues lames, le poignard et le stylet.

60 On retrouve ce même système dans d’autres contextes comme, toujours dans le Néolithique récent, l’industrie lithique de la nécropole de San Benedetto (Iglesias - Cagliari). La tombe II (Maxia & Atzeni 1964 ; Atzeni 2001) compte quelques lames en silex (longueur entre 8 cm et 20 cm et largeur de 1 - 2 cm) à section trapézoïdale mais aussi triangulaire, avec une retouche bien soignée, qui témoignent de différentes phases de la chaîne opératoire, tandis que des pointes de flèche ont été réalisées en obsidienne.

61 Le débitage sur place est donc un élément sûr dans les deux tombes prises en considération, et trouve des parallèles dans d’autres contextes funéraires. Il faut comprendre comment cette pratique s’est développée. Malheureusement, l’absence d’étude technologique sur l’industrie lithique, souvent découverte dans des contextes remaniés, ne nous aide pas à tracer un cadre chronologique et culturel précis.

62 En général la présence dans les mobiliers funéraires d’outils lithiques est une donnée constante, mais on y trouve aussi des éclats, définis comme « informes » qui peuvent être interprétés comme débris ou éclats de ravivage.

63 Le schéma opératoire est presque le même que celui que l’on peut trouver dans les villages ; la typologie et la technologie renvoient à des gestions similaires. On retrouve dans les sépultures presque toujours la même économie de la matière première avec la présence de silex surtout du nord de l’île et de l’obsidienne du centre sud, les deux associés aux matières locales. Le caractère « commun » de cet aspect est toutefois outrepassé par sa position dans le contexte funéraire. Dans d’autres cas, on constate des exceptions qui témoignent du caractère non seulement sacré mais aussi prestigieux de quelques mobiliers funéraires. La gestion des sources, dans ces cas, ne répond pas forcément aux règles que l’on observe dans le contexte d’habitation.

64 Si la présence d’industrie lithique en contexte funéraire est un fait qui nous apparaît commun, il n’est cependant pas assez analysé, en raison de la présence d’éléments non retouchés qui le plus souvent ne sont pas pris en compte.

65 Ce que nous mettons peut ici en évidence est la présence d’un rituel dans lequel le débitage a peut-être eu une signification « cérémonielle » de répétition des gestes, car

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sa finalité ne pouvait être seulement la production de supports (effectuée déjà dans le village, où l’on retrouve par exemple les phases initiales du débitage). Ceci est toutefois une hypothèse de travail à tester par d’autres découvertes.

66 Pour conclure

67 À la fin de ce parcours les aspects suivants ont été soulignés. D’abord, l’hypogée comme maison du mort se prête à accueillir tant des objets de prestige que d’usage commun.

68 La présence d’instruments pour creuser les hypogées souligne le sens symbolique du geste même du creusement de la tombe. De tels instruments furent en partie réalisés dans la tombe. Dans quelques cas, un outil accompagne un inhumé, dans d’autres cas des groupes d’instruments sont en relation avec peu de corps. Ces pics sont souvent cassés, usés, dans un cas déposés avec les pointes opposées ; dans un autre cas l’outil présente des traces de substance rouge.

69 L’analyse technologique des matériaux d’Ispiluncas témoigne d’un débitage sur place, aussi signalé dans d’autres hypogées par la présence de claires évidences (éclats bruts, de ravivage, nucléus, percuteurs, etc.). On signale la présence d’objets cassés intentionnellement, véritablement associés à des pratiques funéraires bien répandues. Du point de vue de l’économie de la matière première on souligne la coexistence d’objets en obsidienne et silex, souvent d’approvisionnement à longue distance, et d’objets en roches de provenance locale.

70 La poursuite de la recherche, avec l’apport de nouvelles données de fouille et des résultats d’analyse fonctionnelle, pourra mieux expliquer les gestes qui produisirent les objets lithiques dans les tombes, et qui les brisèrent, parfois après les avoir utilisés dans des tâches utilitaires ou dans un rituel funéraire spécifique.

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NOTES

1. Les références bibliographiques sont consultables sur le site : www.progettoiloi.it(Bagella & Melis 2003). 2. L’analyse a été conduite en utilisant la méthode mis au point par Laplace. Les considérations ici présentées sont déduites par la signataire.

RÉSUMÉS

La présence d’outillage lithique dans les dépôts sépulcraux est un fait récurrent de la composition des mobiliers funéraires, qui contenaient des objets d’usage quotidien, mais aussi de prestige, dont la dimension symbolique est plus directement perceptible. Les éléments lithiques retrouvés dans les hypogées funéraires d’Ispiluncas (Sedilo, Sardaigne), offrent l’occasion de lancer un débat sur le sens et la valeur des dépôts funéraires, liés aux rituels, faits de gestes et d’offrandes. Ces éléments suggèrent le déroulement de rituels complexes : ils commencent par le déplacement dans le domaine funéraire des objets appartenant à la vie quotidienne qui, en perdant leur fonction d’usage, entrent dans le monde des morts au travers de gestes techniques qui deviennent symboliques. Un aspect du rituel paraît être suggéré par la présence de pics de creusement des hypogées, d’objets usagés et d’objets avec des cassures vraisemblablement intentionnelles, qui peuvent être vus comme relevant de la volonté de priver de sa fonction normale l’objet appartenant à l’univers quotidien pour l’insérer dans le monde parallèle, et en même temps opposé, de l’au-delà. L’analyse technologique de l’industrie lithique taillée de Sedilo et la reconstruction de la chaîne opératoire ont mis en évidence la présence de plusieurs éléments liés aux phases de débitage : éclat de préparation, produits du débitage, outils et débris. Ces éléments montrent d’abord qu’une partie du débitage a été effectuée dans la nécropole. En outre une telle évidence ouvre la discussion sur la valeur des opérations de taille comme gestes du rituel, bien que l’état actuel de la recherche en limite fortement le discernement à cause de la mauvaise qualité des données disponibles. Il faut avant tout établir quel était le but réel du débitage dans la tombe : était-ce la réalisation d’objets du mobilier ou des offrandes, ou bien la fabrication d’outils servant à fabriquer de tels objets ou bien encore, le débitage lui-même était-il une partie du rituel ? Au point de vue économique on remarque là aussi un lien étroit avec la vie quotidienne : à côté du choix préférentiel de l’obsidienne sont utilisées à Sedilo des roches locales ou faciles à repérer, qui témoignent des différentes modalités de l’exploitation des matières premières telles qu’elles sont connues dans les habitats.

The presence of lithic tools in the funeral contexts is a recurrent fact related to the different compositions of the mortuary assemblages : they contain objects of daily use and objects of prestige and symbolic value. The lithic elements recovered in the burials of Ispiluncas (Sedilo,

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Sardinia), represent an occasion to discuss the sense and value of funeral deposits, connected to the ritual domain, composed of gestures and offers. These elements suggest the existence of complex rituals : they start by the moving of objects belonging to daily life to the funeral domain/sphere, losing their function of use, coming into the world of the defuncts through technical acts that can themselves become symbolic. An aspect of ritual seems to be suggested by the presence of picks, used for the excavation of the hypogeum, of used objects or showing deliberate fractures, which could suggest the wish to deprive the daily object of its primary function and to insert it in the parallel and, at the same time opposite, afterlife. The technological analysis of the knapped lithic and the reconstruction of reduction sequences attest the presence of many elements linked to the knapping phase : core preparation flakes, débitage products, tools and débris. These elements primarily show that a part of the débitage was made at the necropolis. This evidence open a discussion on the value of knapping operations as ritual gestures, although the state of the research, due to the bad quality of the available data, strongly limits its field. The main issue is to establish the real purpose of the débitage inside the grave : was it the realization of funeral objects or offerings ? Or was knapping part of the ritual ? From the economic point of view, the intimate bond with daily life is once more highlighted : although obsidian is preferentially chosen at Sedilo, local or easier to find stones are also used, testifying to different approaches to raw material exploitation and the same technology used in the dwelling sites.

AUTEURS

RAMONA CAPPAI

CNRS - UMR 6636 LAMPEA, 5 rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence cedex 2 — [email protected]

MARIA GRAZIA MELIS Università di Sassari, piazza Conte di Moriana, 8, 07100 Sassari, Italie — [email protected]

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Troisième partie

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Le matériel funéraire déposé dans les tombes de la culture de Nagada (Haute-Égypte, IVe millénaire)

Gwenola Graff

Introduction

1 Le Néolithique est apparu de façon relativement tardive en Égypte, au VIe millénaire. Il s’accompagne d’un recentrage des populations qui vont se fixer dans la vallée du Nil. En effet, les crues violentes et imprévues du Nil Sauvage ne permettaient pas de séjourner durablement sur ses rives.

2 Le premier horizon culturel qui émerge à la suite de la néolithisation et de l’établissement des populations dans la vallée du Nil est le Badarien. Aux alentours de la charnière entre le Ve et le IVe millénaire., la culture badarienne laisse place à celle de Nagada1. La culture nagadienne se subdivise en 3 phases (Nag. I-II-III). Elle s’étend au fur et à mesure de son développement. À l’origine, à Nagada I, elle ne concerne que la zone qui était auparavant sous influence badarienne, soit le nord de la Haute- Égypte. À Nagada II, elle intéresse toute la Haute et la Moyenne-Égypte. À la fin de Nagada III, elle est devenue prédominante non seulement dans toute l’Égypte mais on la retrouve aussi jusqu’en Nubie au Sud et au Nord, via le Sinaï, jusqu’en Palestine, dans l’actuelle bande de Gaza.

3 La chronologie de la période nagadienne est complexe. Elle recouvre grosso modo le IVe millénaire. Trois systèmes chronologiques coexistent. Nous nous baserons sur le plus récent, celui mis au point par S. Hendrickx (Hendrickx 1996). On peut ainsi établir que Nagada I dure de 3 900 à 3 700 av. J.-C., Nagada II de 3 700 à 3 400 et Nagada III de 3 400 à environ 3 000. La fin de Nagada III est aussi appelée période thinite. Elle comprend les deux premières dynasties. Avec la IIIe, on arrive à l’Ancien-Empire et à la période pharaonique, vers 2 700 av. J.-C.

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4 À l’heure actuelle, les spécialistes bataillent pour établir de quelle manière s’est réalisée l’expansion nagadienne : fut-elle le fruit de conquêtes belliqueuses, d’alliances de type matrimonial ou de ralliement volontaire à une culture dominante en pleine extension2 ? Toujours est-il qu’on connaît 3 proto-royaumes à Nagada II, centrés sur une cité qui domine sa région et qui semblent être des centres de pouvoir. Il s’agit, du Nord au Sud, d’Abydos, de Nagada, le site éponyme pour la culture, et de Hiérakonpolis. Progressivement, on assiste à la relégation de Nagada, qui devient un site de second ordre. Puis, à la fin de Nagada III, il semble qu’Abydos n’ait plus conservé qu’une importance religieuse et funéraire alors que le pouvoir politique devient l’apanage de Hiérakonpolis.

5 D’autres cultures, qui seront absorbées par l’expansion nagadienne, existent au IVe millénaire dans le Delta du Nil. Mais ce qui caractérise la culture nagadienne et en a facilité la connaissance, est l’importance et la richesse de ses nécropoles.

6 Bien qu’elles conservent certaines particularités sur toute leur durée, les pratiques funéraires nagadiennes ont connu une évolution importante durant les 3 phases de la culture.

7 Les constantes sont tout d’abord la pratique exclusive de l’inhumation. Celle-ci est en générale individuelle, avec quelques sépultures doubles ou triples. Ce n’est qu’à l’époque thinite, et en contexte royal, que l’on trouve des sépultures collectives. Elles sont étroitement liées au développement de l’idéologie politique.

8 Les sépultures s’organisent en nécropoles. Les plus petites ne comprennent qu’une dizaine de tombes, d’autres plusieurs centaines. En revanche, on trouve une direction spatiale constante : les creusements ont une orientation nord-sud à nord-est/sud-ouest. De manière constante, la tête du défunt est placée au sud, son visage tourné vers l’ouest. En dépit de la variété des contenants, le corps garde à peu près une position constante : replié sur le côté gauche, les mains devant le visage (fig. 1).

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1 - Tombes nagadiennes et thinites

9 Un dernier invariant est la localisation topographique des nécropoles : elles n’empiètent jamais sur les terres cultivables (et donc inondables) et sont situées dans des zones déjà désertiques, au pied des falaises ou à l’entrée des ouadis. Elles sont généralement creusées dans des zones sableuses ou caillouteuses, ce qui a contribué à leur excellent état de conservation.

10 Varient, en fonction des phases de la culture nagadienne, les contenants, les creusements et surtout le matériel funéraire.

Nagada I

11 Les tombes sont de dimensions modestes, ovales ou rectangulaires. Il existe peu de tombes à dimensions exceptionnelles. L’usage, d’origine badarienne, d’envelopper les corps des défunts dans une peau animale (bovidés ou ovi-capridés) reste majoritaire mais tend à régresser. Les nattes deviennent de plus en plus courantes pour l’enveloppement du corps. Le matériel déposé dans les tombes se compose généralement de quelques vases, dont certains peints, de statuettes anthropomorphes en argile. On peut aussi trouver des palettes à fard, rectangulaires ou thériomorphes, et des peignes en ivoire dont le sommet peut représenter une figure masculine ou animale. Le matériel lithique est peu abondant mais de très belle qualité.

Nagada II

12 La tendance la plus frappante est l’augmentation de la taille des sépultures. Elles sont aussi de plus en plus richement équipées. La peau animale a presque disparu au profit de la natte devenue quasi systématique. Le coffre en terre, parfois en bois apparaît. Les

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offrandes, placées jusque là autour du défunt, vont dans certains cas être disposées dans des niches aménagées dans le creusement. Les parois de la tombe peuvent être consolidées par de la terre maçonnée, des placages en bois ou des briques crues. Seules les offrandes personnelles (parures, armes et palettes à fard) restent auprès du corps du défunt.

13 Le matériel, en quantité croissante par rapport à Nagada I, varie beaucoup en nombre et en qualité d’une tombe à l’autre. Une corrélation a pu être faite entre la taille de la tombe (volume du creusement) et la richesse du matériel déposé. Il semble qu’une hiérarchisation et un accroissement des inégalités soient en train de se mettre en place dans la société, dont la nécropole porte traces.

14 La céramique reste le type d’artefacts le plus courant dans les tombes. On trouve des objets attestant d’échanges commerciaux sur de longues distances. Ce sont en particulier des céramiques issues de la culture de Jéricho en Palestine (importées via la Basse-Égypte où elles sont beaucoup plus abondantes) ou des céramiques nubiennes appartenant à la culture du Groupe A.

15 À la fin de la période, vers Nagada II C-D, les vases en pierre font leur apparition. Les palettes à fard ne sont plus aussi souvent zoomorphes, mais plutôt rhomboïdales, surmontées de deux têtes animales affrontées (oiseau ou antilope). Elles peuvent comporter un décor de quelques gravures ou de très rares bas-reliefs.

16 Les armes sont surtout représentées par les têtes de massue, en pierre, de forme conique puis piriforme. Certaines ont été retrouvées emmanchées. Les objets en métal deviennent moins exceptionnels : les deux métaux utilisés sont l’or et le cuivre. On peut mentionner des hachettes de cuivre découvertes dans un vase de Nagada II à el-Adaïma. Le matériel lithique est principalement issu d’une industrie sur lames et lamelles. Le plus connu d’entre eux est le couteau de Gebel el-Arak, magnifique exemple de lame à retouches en écharpe (Czichon & Sievertsen 1993, Midant-Reynes 1984, Bénédite 1916). Il semble que la lame ait été taillée au début de Nagada II, mais retouchée pour l’emmancher à Nagada III, période dont est daté le manche en ivoire.

17 Il convient également de mentionner pour cette période le cas unique de la tombe 100 d’Hiérakonpolis (Case & Payne 1962, Quibell & Green 1902). Elle se trouvait dans une petite nécropole de 150 tombes. Datée du début de Nagada II, cette tombe (pillée de longue date) présentait des parois, enduites de stuc, maçonnées en briques crues. Deux murs ont été peints. Ces grands panneaux ont été relevés, puis prélevés et perdus durant leur transfert vers l’Angleterre. Quand à la tombe elle-même, découverte au début du XXe siècle par deux archéologues anglais, son emplacement n’a pas été retrouvé depuis. Elle a sans doute été détruite. Il n’en reste donc plus que les estampages faits au moment de la découverte. Ceux-ci montrent une iconographie liée à une thématique de pouvoir et de domination, tant sur des « ennemis » que sur le règne animal. L’importance de la navigation fluviale y était aussi marquée (Gauthier 1993).

Nagada III

18 La tendance à la hiérarchisation et au marquage des inégalités sociales que l’on a vu se dégager à Nagada II est encore plus forte. On assiste même à une séparation des nécropoles : à Hiérakonpolis, on trouve une nécropole dite d’élite et une autre d’une population beaucoup plus modeste (Friedman et al. 2002, Adams 2000, Adams 1996,

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Hoffman 1987). La différence est visible non seulement par la taille des tombes et par la richesse de leur matériel mais même au niveau des squelettes : dans le cimetière populaire, les anthropologues ont pu remarquer des attaches musculaires beaucoup plus robustes, correspondant à une population à la masse musculaire développée, ainsi que des traumatismes liés à une activité physique intense et prolongée (Matovich 2002).

19 Un phénomène marquant de cette période est l’apparition de tombes exceptionnelles dans une nécropole d’Abydos. Il s’agit de la nécropole U (Hartung 2002). C’est probablement la nécropole des gouvernants du proto-royaume de Nagada III. L’une d’entre elles mérite une attention particulière : la tombe U-j, (fig. 1), attribuée au roi Scorpion I, qui est datée de Nagada IIIA1, soit vers 3300 av. J.-C. (Dreyer et al. 1998). Sa découverte a été annoncée par l’archéologue allemand Gunter Dreyer le 15 décembre 1998. Elle se compose de 12 chambres de dimensions inégales. Les dimensions intérieures de la tombe sont de 9,1-9,9 m x 7,2 m, pour une profondeur de 1,5 m. Les murs sont en briques crues maçonnées. De très étroites fentes séparent les pièces, mais ne permettent pas le passage d’un être humain. Ces portes sont munies d’un linteau et d’un système de fermeture mobile par des nattes enroulées. On reviendra plus loin sur les relations de cette tombe avec ce que l’on sait de l’architecture palatiale contemporaine.

20 Dans cette tombe ont été retrouvées les plus anciennes attestations d’écriture connues, toutes cultures confondues. Elles ont été datées entre 3300 et 3200 av. J.-C. Gravées sur des tablettes fixées à de grandes jarres de stockage, elles enregistrent des livraisons de lin, d’huile et de vin. Ce liquide a été retrouvé en très grandes quantités dans la tombe U-j. Près de 4 500 litres, dans environ 700 vases en provenance de Palestine, puisque la vigne n’est pas encore cultivée en Égypte à cette période (Hartung 2002, p. 91).

21 Durant la fin du IVe millénaire, la rupture entre des nécropoles extrêmement prestigieuses, mettant en œuvre des moyens colossaux et celles du quidam, est totalement consommée. On connaît d’ailleurs assez mal les nécropoles populaires de cette période, surtout à la IIe dynastie. Pour les nécropoles royales, deux sites coexistent : l’un à Abydos, en Haute-Égypte, sanctuaire traditionnel, et l’autre à Saqqara, aux portes de la Basse-Égypte et sans doute à proximité de la capitale politique. Les mêmes rois ayant un tombeau dans chacune de ces nécropoles, il faut que l’un des deux soit un cénotaphe. Après de longues périodes de discorde, la communauté scientifique tend à s’accorder sur le fait que les souverains étaient physiquement présents à Abydos. Ces tombeaux colossaux sont construits en brique, avec certains placages ou dallages internes de pierre. Ils ont une silhouette générale de banc, ce qui leur a valu le nom de « mastaba » (banc en arabe). Les façades extérieures sont à redans, parfois entourées de bucrânes, en partie surmodelés. L’intérieur est divisé en un grand nombre de pièces. C’est dans ces tombeaux que l’on a pu trouver trace de sépultures d’accompagnement (fig. 1). C’est la seule période de l’histoire égyptienne à laquelle cette pratique semble avoir cours. En effet, jusqu’à plusieurs dizaines de squelettes d’hommes et de femmes jeunes et d’animaux ont éte retrouvés dans certaines chambres annexes. Le roi Den était accompagné de 144 sépultures secondaires. Certains squelettes portent les stigmates de mort violente par égorgement. Des tombeaux en forme de mastaba de petites dimensions pouvaient entourer le grand tombeau royal. Ce sont les sépultures des proches et des courtisans du roi et non des sépultures d’accompagnement.

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Les différentes catégories d’objets funéraires (fig. 2)

La céramique

22 Les céramiques constituent l’offrande funéraire la plus courante. Même les tombes les plus pauvres en contiennent une ou deux. Si, comme on l’a vu, le nombre de tombes devient plus important au fur et à mesure de l’avancée dans le temps, un nombre croissant d’entre elles contient des vases. La typologie de ces vases a été établie par l’archéologue W.M.F. Petrie au début du XXe siècle. Bien qu’on lui reconnaisse beaucoup de points faibles et de lacunes, elle est toujours en usage. Elle distingue 9 types de céramique (Vandier 1952, p. 261-262 ; Petrie 1920, 1921).

23 Un phénomène très intéressant à noter est qu’il n’existe pas de production céramique liée exclusivement à l’univers funéraire. Toutes les céramiques présentes dans les tombes peuvent aussi être trouvées dans l’habitat (Buchez 1998). Ceci est valable tant pour les céramiques peintes que non peintes. En revanche, certains types d’objets ne se rencontrent que dans l’habitat et ne sont pas déposés dans les tombes. C’est en particulier le cas de pots coniques ou ovoïdes, fabriqués à partir d’une pâte réfractaire, portant souvent trace de passage au feu. Ce type de pots peut représenter jusqu’à 1/3 des effectifs sur les habitats de Nagada I début Nagada II. Il s’agit très probablement d’un récipient à cuire.

2 - Exemples de matériel déposé dans les tombes nagadiennes

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La vannerie et les tissus

24 Le terme de vannerie recouvre ici les nattes de roseaux tressés, dont on a vu l’importance dans l’aménagement de la tombe aussi bien que pour l’enveloppement direct du corps, et les objets façonnés à partir de matériaux végétaux. On a pu retrouver des paniers, des coupes en vannerie.

25 L’utilisation des nattes décroît au fur et à mesure que l’on avance dans le IVe millénaire, comme le montre l’exemple de Matmar (fig. 3). Elles sont remplacées par des coffrages en bois et en argile, voire des dalles en pierre à l’extrême fin de la période pour l’architecture de la tombe et par des coffres en terre, en bois puis en pierre pour la protection directe du défunt. Les plantes utilisées peuvent être le papyrus, l’herbe halpha, ou différentes sortes de roseaux, en particulier la variété Juncus. D’après les études menées à Hiérakonpolis (Jones 2001), on peut distinguer 2 types de tissage pour les nattes : l’un est réservé à l’usage funéraire (Type 1), l’autre (Type 2) est utilisé aussi par les vivants (Cole 2003). Les nattes de type 2 sont plus solides et témoignent de plus de variété dans leur confection. La tombe B362 de la nécropole Hk43 (Marshall 2003) présentait une accumulation de 5 nattes de types 1 et 2, parfaitement conservées, protégeant une dépouille féminine et un vase Black-topped.

3 - L’utilisation des nattes sur le site de Matmar

26 Des sortes d’oreillers ont pu être placés sous la tête des défunts, confectionnés avec une natte, ou une pièce de cuir englobant une balle de céréales (Hochstrasser-Petit 2005). Les paniers en jonc ont pu occasionnellement servir de sarcophage. Ce fut le cas dans la nécropole de Gebelein (Bongioanni 1987, p. 109).

27 Les textiles peuvent être de trois sortes : des pièces de tissu déposées pliées dans la tombe, celles qui enveloppent le défunt ou, à partir de Nagada IIA, sur certaines zones

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du corps, des bandelettes utilisées dans les premiers essais de momification du défunt. Dans tous les cas, il s’agit de tissus en lin blanc, seule fibre textile utilisée à cette époque. À Matmar (Brunton 1948, Brunton & Caton-Thompson 1928), des tissus ont été retrouvés dans 36 tombes. 13 étaient des tombes d’hommes, 16 de femmes, 4 d’enfants et 3 de personnes de sexe non identifié (fig. 3).

28 Le cas le plus remarquable de textile est celui du tissu peint retrouvé dans une tombe à Gebelein. Il est conservé au musée de Turin et daté de Nagada I. Cette grande pièce de lin a été retrouvée sous forme fragmentaire. Le plus grand morceau mesure plus d’un mètre de long. La pièce de tissu était ornée de représentations ocre et brun-rouge. Il s’agit principalement de scènes de chasse ou de navigation.

Les dépôts alimentaires et cosmétiques

29 Dans un certain nombre des cas, des dépôts ont pu être retrouvés dans les tombes, en particulier dans des contenants. Toutes les phases de la culture nagadienne confondues, 20 % des vases ou paniers comportaient un dépôt périssable (Buchez 1998). Ces dépôts sont constitués de différents éléments : faune, macro-restes végétaux carbonisés, masse organique, cendres et charbons de bois, limon, résine, malachite et autres pigments. Les offrandes de nourriture comprennent des restes animaux et des restes végétaux (préparés ou non). Les restes animaux sont représentés par des quartiers de viande (en particulier les pattes et les crânes) provenant majoritairement de bovidés et de caprinés. On trouve aussi des poissons du Nil. En ce qui concerne les dépôts d’origine végétale, les plus courants sont le pain et la bière. On sait que la fabrication de la bière a entraîné une production céramique spécifique attestée dès Nagada II. Elle est obtenue à base d’orge. Des dépôts de grains de céréales sont assez courants. On trouve aussi des fruits comme celui de l’Épine du Christ, des câpres et des figues de sycomore. Un autre dépôt alimentaire associé à un statut particulier est celui du vin. Dans un certain nombre de cas, les résidus sont oléagineux. Il ne s’agit pas forcément de dépôts alimentaires mais ils peuvent être liés aux cosmétiques. C’est sans doute également le cas des dépôts d’origine minérale, comme les pigments et les résines.

Le lithique

30 Dès l’époque prédynastique, les Égyptiens ont utilisé abondamment les ressources lithiques variées de la vallée du Nil et de ses environs. On trouve une riche industrie en silex, qui utilise deux types de gisement : des blocs siliceux globulaires dans la vallée, de qualité convenable pour la taille et l’exploitation de filons de très belle qualité, dans les marges désertiques. D’autres pierres, comme le calcaire, la calcite, le grauwacke ou le granit sont aussi utilisés dès cette époque.

Les outils

31 À Nagada I, l’outillage lithique est rare, mais de belle facture, sur lames (Midant-Reynes 1992, p. 172-173). L’outillage courant est principalement sur éclat. On trouve principalement des burins, des denticulés, des perçoirs, des troncatures, des pièces à dos et des haches bifaciales. Le matériel de Nagada II et III est plus abondant. Il s’agit toujours d’une industrie sur éclat, qui évolue vers une production de lames régulières.

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Les types d’outils rappellent ceux de la période précédente, avec en plus des éléments de faucilles sur lame.

Les armes

32 Ces armes ont pu servir aussi bien pour la chasse et la pêche que pour la guerre, sans qu’il soit possible de distinguer ces deux fonctions par les artefacts. Un certain nombre d’armes ont pu être déposées dans les tombes nagadiennes, principalement des tombes masculines, mais aussi dans des tombes de femmes ou d’enfant. Les pointes de flèches sont surtout présentes à Nagada II (Holmes 1989). Les têtes de massue, coniques à Nagada I deviennent piriformes à Nagada II. Le type le plus fréquent reste la tête de massue au sommet convexe et au dessous concave. Elles sont le plus souvent brisées avant d’être déposées dans les tombes. À Nagada III, on trouve des têtes de massue historiées (en calcaire) qui sont alors des objets de prestige. L’iconographie de ces objets renvoie à l’ascension d’un leader politique. Les couteaux représentent la catégorie d’armes la plus souvent retrouvée dans les tombes, toutes périodes confondues. Le plus souvent, ils ont été brisés avant leur dépôt. Les couteaux en forme de barque avec une partie proximale ronde et dos droit ont une de leurs faces au moins ornée de retouches en écharpe. Ce sont ceux que l’on appelle des ripple-flake.

Les palettes

33 Les palettes sont un objet important dans la panoplie funéraire. Elles servent à broyer les fards utilisés par la cosmétique. Une écrasante majorité de ces palettes sont en grauwacke gris-vert. Au départ, ce sont des objets purement utilitaires, rectangulaires en général. Elles deviennent zoomorphes dès la fin de Nagada I. Un décor, incisé ou en bas-relief, apparaît de manière modeste à Nagada II. Ce décor devient de plus en plus couvrant, en bas-relief. Il finit, à Nagada III, par reléguer la fonction première de l’objet en arrière-plan, puisque seule une cupule, exempte de décor, est réservée au centre l’objet, sur l’une de ses faces. La palette historiée est alors devenue un objet de prestige ou d’apparat. La thématique des décors est centrée sur la chasse et la guerre.

Les vases

34 Les vases en pierre apparaissent à la fin de Nagada II et s’imposent d’emblée comme des objets de prestige. Leur production est croissante de Nagada II C à la fin de Nagada III.

Les objets métalliques

35 Assez anecdotiques, bien qu’en nombre croissant entre Nagada I et III, il s’agit principalement d’objets en or et en cuivre. L’approvisionnement en métaux se fait en partie sur place, en partie en provenance de Nubie pour l’or, du Sinaï et des bords de la Mer Rouge pour le cuivre (Wengrow 2006, p. 15).

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Les supports d’image

Les figurines anthropomorphes (Ucko 1968)

36 À Nagada I en particulier, mais encore à Nagada II, on peut trouver des représentations humaines en ronde-bosse dans les tombes. Ce sont principalement des statuettes en argile, mais on en trouve aussi en ivoire d’hippopotame, en os, en calcaire ou plus rarement dans des pierres dures. Des hommes comme des femmes peuvent être figurés, mais jamais d’enfant.

Les vases thériomorphes (Hendrickx & Depraetere 2004)

37 Un certain nombre de vases en terre cuite sont hors des catégories de Petrie que l’on a vu plus haut ; ce sont les céramiques thériomorphes. Quand ils recelaient un contenant, on ne peut établir de corrélation entre la forme de l’objet et son contenu. À Nagada III, la tradition des vases thériomorphes persiste, mais ce sont désormais des objets en pierre.

Les manches de couteau

38 La sécheresse du climat égyptien a permis que l’on retrouve certaines lames de couteau emmanchées dans des matériaux périssables. Néanmoins, il existe un autre type de manche, réservé à des objets de prestige. On en a vu un en or, mais il en existe aussi en ivoire. Le plus connu est celui dit de « Gebel el-Arak », retrouvé avec la lame ripple-flake et conservé actuellement au musée du Louvre. Ces manches au décor complexe sont datés de Nagada III et contemporains des palettes et des têtes de massue historiées.

Les figurines en silex

39 À titre de curiosité, on peut mentionner les pièces en silex taillé évoquant des silhouettes animales. Ces objets d’une grande fragilité témoignent de la remarquable maîtrise technique des tailleurs nagadiens. Il semble que cette pratique soit plutôt attestée à Nagada I et II.

Les peignes en ivoire et en os

40 Des plaquettes d’ivoire d’hippopotame ou d’os ont été taillées en peigne. Elles ont plutôt été retrouvées dans des tombes masculines. À Nagada I et II, le manche peut être façonné à l’effigie d’un animal ou d’une figure masculine le plus souvent, ou à Nagada III, comporter une scène gravée.

Les parures

41 Il s’agit principalement de colliers, de bracelets et de bagues. Les ceintures sont plus rares. Outre l’or et le cuivre, les matériaux prisés par les Nagadiens sont les pierres semi-précieuses taillées en perles, comme la turquoise et le lapis-lazuli, pierre d’importation. La fritte émaillée, matériau de synthèse imitant le lapis-lazuli, apparaît dès Nagada II. Les amulettes deviennent courantes à l’époque thinite, en relation avec des divinités prophylactiques.

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Les matériaux utilisés

42 Cette présentation de l’ensemble des productions nagadiennes qui peuvent être retrouvées en contexte funéraire permet de remarquer la richesse des matériaux utilisés par les artisans. Ceux-ci exploitent bien entendu largement les ressources locales, mais sont amenés aussi à travailler des matériaux en provenance de gisements lointains et de ce fait fort coûteux (Adams 1996).

43 L’un des traits majeurs des civilisations égyptiennes est que la pierre y remplace souvent le bois. En effet, si les gisements de pierre sont très variés (calcaire, granit, grès, silex, porphyre, brèche, calcite…), il n’y a pas en Égypte de bois de charpenterie valable. Les essences disponibles localement sont principalement le palmier-dattier, le tamaris, le sycomore et l’acacia. Les objets en bois sont donc plutôt rares ou de petites dimensions. Il est possible que les importations de bois de cèdre du Levant aient débuté dès la fin de l’époque nagadienne.

44 L’Égypte ne connaît pas ce que l’on appelle les pierres précieuses. En revanche, les Égyptiens sont très amateurs d’une pierre semi-précieuse qui n’est pas présente sur leur sol, le lapis-lazuli. On a pu voir une statuette en ivoire dont les yeux sont incrustés de lapis-lazuli. D’après des études récentes, il semble que le lapis retrouvé à l’époque nagadienne provenait de l’est de l’Afghanistan (Bavay 1997).

45 En ce qui concerne l’ivoire, on distingue deux provenances : l’ivoire d’hippopotame que l’on peut se fournir sur place et l’ivoire d’éléphant. Cet animal disparaissant d’Égypte après Nagada I, les approvisionnements doivent se faire en Nubie.

L’état des objets déposés

46 On a pu noter 3 états différents dans lesquels les objets sont déposés dans les tombes : - neuf ou ne présentant pas de trace d’utilisation. C’est en particulier le cas pour les productions spécifiquement destinées aux nécropoles, comme les nattes du type 1 que l’on a vu précédemment - usagé, dans le cas d’objets ayant appartenu et servi de son vivant au propriétaire de la tombe. On a pu trouver ainsi des céramiques gardant trace de passage au feu ; - volontairement brisé avant le dépôt. Les armes figurent fréquemment dans ce cas de figure. D’après ce que disent les textes de l’Ancien-Empire, au début du IIIe millénaire, on peut extrapoler le sens de ce geste à l’époque nagadienne : neutraliser la puissance de l’objet qui pourrait se retourner contre le mort.

Valeur fonctionnelle ou symbolique ?

47 Du tableau brossé dans les paragraphes qui précèdent ressort la difficulté, en contexte nagadien, d’établir une démarcation claire entre la valeur fonctionnelle et la valeur symbolique des objets. Ainsi on a vu certaines catégories d’objets, comme les palettes à fard qui semblent être purement fonctionnelles dans les formes les plus anciennes, mais qui prennent peu à peu un autre sens, voire un autre usage, qui les renvoient de plus en plus vers une valence symbolique. Encore faudrait-il être clair sur ce que l’on entend par ces deux termes « fonctionnel » et « symbolique ».

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48 Je comprends « fonctionnel » comme utile pour des applications concrètes, avec une fonction d’usage simple ou multiple, mais toujours discernable. Un pot à cuire sert à réaliser des préparations alimentaires, un arc pour la chasse et la guerre. Ce type d’objet est donc lié aux besoins du défunt de son vivant et à ceux que la société estime qu’il aura encore après la mort. Les choses se compliquent lorsque l’on trouve ces objets dits fonctionnels, comme des céramiques, des nattes ou des palettes à fard, dans la tombe d’un animal, comme c’est le cas à l’époque nagadienne pour des éléphants, des gazelles ou des chiens, enterrés sans humain.

49 Le terme de symbolique me déplaît particulièrement. Tout et rien peut être symbolique. Ce terme est tellement galvaudé qu’il perd tout sens. Je lui préfère le terme de « rituel », à la condition de le définir. Toute activité aussi quotidienne soit-elle peut comporter une part de rite : la chasse, l’ensemencement d’un champ, la fabrication du pain, etc. Mais d’autres activités sont plus profondément engagées dans le rite et n’ont de raison d’être que par lui. Le rite s’impose comme une structure rationalisante qui s’oppose au désordre externe de l’univers sur lequel l’être humain n’a que peu de prise (climat, catastrophes naturelles, mort de tout ce qui est organique...), mais aussi au désordre interne (angoisse, peurs, fantasmes, violence, ...) : « le rite, de par sa nature même, est une réponse au désordre. Il l’exorcise déjà, ne serait-ce qu’en constituant une séquence rigide d’opérations verbales et gestuelles qui prend l’aspect minutieux d’un programme. Mais surtout, il s’intègre dans l’ordre rationalisateur du mythe et s’adresse à des puissances mythologiques (esprits, dieux), de façon à obtenir une réponse ou à provoquer l’événement qui apportera protection, sécurité, solution. La réponse du reste arrive toujours ; c’est, au minimum, le sentiment de sécurité ou de protection qui résulte du rite ; c’est au maximum soit le comportement favorable de l’environnement (pluie, gibier, récolte, etc.), soit une solution psychosomatique (guérison d’une maladie, exorcisation des mauvais esprits) » (Morin 1970, p. 158).

50 Une action rituelle est donc celle qui, par l’ambition même de ses objectifs, se détache du niveau affleurant des choses du quotidien : « Un critère minimal de l’action rituelle est qu’elle s’écarte toujours de la rationalité pragmatique, qu’elle se plie à des règles qui n’ajoutent rien à l’obtention du résultat utilitaire le cas échéant visé par ailleurs » (Albert et al. 2000, p. 11).

51 Revenons maintenant à des choses plus concrètes, qui mettent en évidence cette bivalence constante des dépôts funéraires nagadiens.

Les simulacres d’objets courants

52 Au moins un cas de simulacre d’objets courants est connu pour le site d’Adaïma : il s’agit de la transposition en stuc d’objets tressés (Hochstrasser-Petit 2005, p. 53). Ces objets ont été interprétés comme un carquois (objet déjà retrouvé en cuir dans des tombes), une gibecière et peut-être des sandales.

Le tombeau comme maquette d’habitat de prestige à Nagada III

53 Comme cela a été brièvement mentionné lorsque l’on a détaillé le tombeau U-j du roi Scorpion à Abydos (Hendrickx 2001, p. 99 - 100), il semble que les tombeaux royaux de Nagada III aient été conçus comme une réplique du palais occupé de son vivant par le

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souverain. Malheureusement on connaît assez mal l’architecture palatiale égyptienne en général et protodynastique en particulier. Il semble pourtant qu’une partie de palais thinite ait été retrouvée à Hiérakonpolis. La partie fouillée correspond à une porte monumentale. Jusqu’aux palais des plus grands pharaons, ces édifices seront toujours construits en brique et en roseaux et jamais en pierre.

54 Les façades à redans mentionnées pour les tombeaux thinites reprennent un motif que les égyptologues appellent le palais-façade, à savoir une mention de la royauté et du souverain par ce qui en était visible extérieurement, la façade du palais dans lequel il résidait.

Le remplacement de certaines parties du corps par des objets ayant préalablement servi en contexte fonctionnel

55 Dans certains cas, des objets peuvent remplacer certaines parties du corps qui sont manquantes sur le squelette. Les parties du corps concernées sont principalement le crâne et les mains3. Le crâne, absent de la tombe, a été remplacé par un objet globulaire, en général un vase en céramique et les mains par un objet plat et long, en particulier par deux palettes à fard scutiformes. Cette pratique, assez rare, a peu été étudiée, mais il semble que le crâne et les mains aient volontairement été retirés avant décomposition du corps pour être remplacés par des objets. Les objets ainsi retrouvés ne relèvent pas d’une production à destination funéraire, mais ce sont des objets courants qui peuvent porter des traces d’utilisation antérieure à leur dépôt dans la tombe.

56 Un cas qui peut être rapproché de cette pratique est celui de la tombe S15 d’Adaïma (Crubezy et al. 2002), qui contenait un squelette affecté d’une déformation très importante de la colonne vertébrale liée à un cas de tuberculose osseuse. Cet homme se trouvait dans l’impossibilité de se tenir droit et devait être toujours penché vers l’avant. Or dans sa tombe, on a retrouvé un vase qui a subi une déformation volontaire avant cuisson pour lui donner une courbure reproduisant celle du dos du défunt.

57 Il semble donc que, dans certains cas du moins, des objets courants déposés dans les tombes puissent être assimilés ou remplacer des parties du corps du défunt, voire être à l’image du défunt.

La valeur sociale d’objets fonctionnels

58 Certains objets déposés dans les tombes, en particulier à partir de la fin de Nagada II, revêtent une importance sociale particulière. On mentionnera tout ce qui est en relation avec le vin, boisson d’importation extrêmement onéreuse et réservée à une élite, par opposition à la bière, boisson courante et bon marché. Sont concernés les services à vin, composés de différentes jarres (dont des productions levantines), les étiquettes en ébène, ivoire ou os qui mentionnent les quantités et le propriétaire. Des huiles, de provenance levantine, entrent dans le même cas de figure.

59 On a vu que certains objets ayant une destination tout à fait fonctionnelle à l’origine peuvent être investis au fur et à mesure du temps d’une autre valeur, liée au prestige et

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à l’apparat, et perdre toute fonctionnalité. C’est le cas des palettes et des têtes de massue que le choix de leur matériau ou la profusion du décor rendent « inutilisables », alors que d’autres objets le restent comme les manches de couteau, les peignes ou des cuillères en ivoire sculpté.

Problème de la méconnaissance des objets en contexte d’habitat

60 Le principal problème que l’on rencontre lorsque l’on veut mettre en balance le matériel funéraire et le matériel provenant de l’habitat, pour la culture nagadienne, est la méconnaissance de ce dernier. En effet, les principales fouilles sur des sites nagadiens ont été menées à la fin du XIXe siècle jusque dans les années 20. Cette culture n’intéressant plus, elles n’ont repris que dans les années 80. Or les archéologues de la première génération, dont en particulier W. Petrie qu’on a déjà évoqué, se sont concentrés sur les grandes nécropoles, plus riches en matériel bien conservé qu’ils acheminaient ensuite dans les musées européens pour le compte desquels ils travaillaient. Les habitats ne sont étudiés que depuis peu de temps et davantage dans le Delta du Nil qu’en Haute-Égypte, ce qui fait, qu’excepté pour des sites exceptionnels comme celui d’Hiérakonpolis, les données sont encore très lacunaires. Il est donc très difficile de mettre les objets sépulcraux en parallèle avec ceux de l’habitat.

Conclusion

L’objet comme marqueur de l’émergence de l’individualité

61 Un élément qui se détache néanmoins très nettement de ce qu’on vient de voir est l’importance que revêt l’objet comme marqueur de l’émergence d’individualités. Ce phénomène est progressif au fur et à mesure de l’évolution nagadienne. Il conduit, dans une phase paroxystique, au statut de pharaon. Au niveau funéraire, il est marqué par la mobilisation de moyens colossaux pour l’édification d’un tombeau, mais aussi par la possession de certains objets prestigieux et la capacité à se les procurer. On peut imaginer l’infrastructure et les moyens nécessaires pour faire acheminer des denrées luxueuses provenant de contrées lointaines comme le Levant ou la Nubie. A fortiori lorsque ces denrées ne seront pas consommées, comme les 4 500 litres de vin palestinien déposés dans la tombe de Scorpion I.

La quête de l’objet de prestige, moteur de l’expansion nagadienne

62 Cette quête des matières premières ou des denrées nécessaires à l’ostentation du statut de souverain est considérée par certains chercheurs comme l’un des moteurs possibles de l’expansion nagadienne. En effet, celle-ci englobe progressivement les régions productrices de ces produits, en assujettissant les régions intermédiaires qui servaient de relais entre les producteurs et les acquéreurs nagadiens. Ce commerce assurait d’ailleurs leur prospérité, comme on le voit pour les cultures autochtones de la Basse- Égypte. L’accroissement constant de la demande a pu conduire les souverains nagadiens à vouloir se passer d’intermédiaires et à contrôler eux-mêmes ces échanges commerciaux.

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63 Lorsque l’on essaie d’appréhender dans son ensemble et dans sa durée le phénomène funéraire nagadien, on se trouve confronté à une imbrication très étroite des valeurs fonctionnelles, sociales et rituelles. De par son dépôt même dans une tombe, tout objet a une fonction rituelle liée au devenir du défunt, mais on a pu voir également comment un objet au départ fonctionnel pouvait voir cette fonction reléguée par un investissement social et devenir le marqueur d’une structuration en cours de la société productrice.

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NOTES

1. Pour une synthèse générale concernant la période nagadienne, voir Wengrow 2006, Hendrickx. et al. (eds.) 2004, Midant-Reynes 2003 2. Concernant la question des modalités d’expansion, voir Campagno 2002, Bard & Carneiro 1989, Trigger 1987, Fattovich 1984, Hoffman 1980 3. pour cette question voir Wengrow & Baines 2004

RÉSUMÉS

La culture nagadienne représente la dernière phase du Néolithique en Égypte. La dimension funéraire de cette culture est très marquée : elle a laissé de nombreuses nécropoles au sein desquelles les inhumations sont souvent accompagnées d’un riche matériel. Au cours de la période, on observe un accroissement du nombre de sépultures et une augmentation très nette de la différenciation sociale entre les individus. Les céramiques représentent la catégorie d’artefacts la plus fréquente en contexte funéraire. Mais on trouve aussi des offrandes alimentaires, des figurines en ronde-bosse, des objets liés à la parure ou à la chasse, des objets d’importation et les premières attestations de l’écriture. La comparaison de ces artefacts avec ceux connus dans les sites d’habitat se révèle délicate du fait de la méconnaissance de ces derniers pour la période. Néanmoins, il semble que presque tous les objets connus en contexte funéraire se retrouvent en contexte d’habitat. La hiérarchisation sociale, marquée par l’accroissement très net des richesses de certaines tombes par rapport à une majorité d’autres, mais aussi par la répartition des tombes en nécropoles de l’élite ou des classes moins favorisées semble être un reflet de l’évolution politique de la société à partir de Nagada II. Le passage du leader local au roitelet d’une province ou d’une cité puis, dans un dernier avatar, au pharaon, peut être suivi dans les sépultures nagadiennes.

The Naqadian culture represents the late phase of Neolithic in Egypt. With its important funeral dimension, this culture has left numerous necropolises, where burials often come with rich equipments. During this period, an increase of the number of graves is observed, along with a clear enhancement of social differentiation between individuals. Ceramics represents the category of artefacts mostly represented in funeral context. Food offerings, figurines, objects connected to ornaments or can also be found, as well as imported objects and the first

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evidence of writing. Comparing these artefacts and those known in the Naqadian dwelling sites shows is difficult, mostly because of the lack of knowledge about the last. Nonetheless, as almost all the known objects of the funeral context are also met in environmental context. Starting from Nagada II, the social hierarchical organization seems to reflect the political evolution of society : the growth in wealth of certain graves compared to the others, but also by the distribution in necropolises of the elites or poorer individuals graves. The promotion from local leader to city or provincial kinglet, and finally, to Pharaoh, can be followed in the Naqadian graves.

AUTEUR

GWENOLA GRAFF

IRD - LAMPEA- UMR 6636, 5 rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence — [email protected]

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« La mort est le masque du roi »

1 Nous empruntons ce titre à l’anthropologue africaniste A. Adler1 pour revenir, sous l’angle de l’analyse fonctionnelle, sur les rapports à la fois évidents et complexes entre la mort et le pouvoir : pouvoir lié à la régénération de la vie au-delà de la perte de l’intégrité du corps ; pouvoir fondé par l’usage légitime de la violence mortelle ; pouvoir enraciné et légitimé par le rapport aux ancêtres… Ce n’est donc pas pour rien que les objets sépulcraux accompagnent le leader politique et/ou religieux. C’est par le rituel que se perpétue le pouvoir et se retisse la société. C’est dans le théâtre de la tombe que se déploie le dispositif du pouvoir, en constituant un agencement entre le corps, les attributs matériels/symboliques du pouvoir et le discours qui perpétue l’ordre social. Le discours eschatologique est alors un discours politique2. Les présentations de G. Graff et de L. Baray nous illustrent ces fonctionnements lorsqu’ils constituent des innovations matérielles transformées en réalités idéelles. L’Egypte prédynastique opte pour le monumental et l’investissement collectif au IVe millénaire avant notre ère. Les aristocraties de l’âge du Fer d’Europe occidentale choisissent, au cours du premier millénaire avant notre ère, les armes et l’au-delà du guerrier. Ces groupes investissent, à leurs dépens finalement, dans les contacts avec des mondes lointains et inimaginables qui leur procurent les instruments de rituels nouveaux, c’est- à-dire des vecteurs inégalés de distinction sociale. Autant que les armes, les attributs du pouvoir sont aussi des substances et les objets qui permettent de manipuler ces substances.

NOTES

1. Adler 1982, ADLER A., La mort est le masque du roi. La royauté sacrée des Moundang du Tchad, Paris, Payot, 427 p. 2. Barrett 1994, BARRETT J., Fragments from Antiquity. An archaeology of social life in Britain, 2900-1200 B.C., Oxford, Blackwell publishers, 190 p

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Dimension socio-économique et symbolique des dépôts funéraires aristocratiques d’Europe occidentale (VIIIe-Ier s. avant J.-C.)

Luc Baray

Introduction

1 La reconnaissance de fortes disparités dans la composition des assemblages funéraires des sépultures du premier âge du Fer d’Europe centrale, a été interprétée, dès le milieu des années 20 (Günther 1926), comme le signe univoque d’inégalités sociales. Depuis cette date, jusqu’à aujourd’hui, de nombreux modèles d’interprétation ont été proposés1. Si tous ces modèles diffèrent entre eux, selon que les auteurs ce référent ou non aux sociétés médiévales ou antiques pour y puiser des schèmes explicatifs, ils ont en commun de considérer les assemblages funéraires comme l’expression de la richesse et du statut social des défunts.

2 Tout au long des deux âges du Fer, les aristocrates ont en effet eu recours à un nombre limité d’objets pour signaler ostensiblement leur prééminence sociale. Ces objets, que l’on trouve pour l’essentiel dans les tombes au cours de cette période, sont d’origine locale ou d’origine exotique. Dans tous les cas, ils se distinguent aisément des objets du quotidien par leurs qualités intrinsèques ou extrinsèques. Parmi les qualités intrinsèques qui les signalent à notre attention, il faut citer le matériau dans lequel ils ont été fabriqués (or, bronze ou fer, ambre, corail, verre) et les techniques spécifiques de mise en œuvre dont ils ont bénéficié (dinanderie, orfèvrerie de luxe, charronnerie…). Les qualités extrinsèques de certains de ces objets sont à rechercher dans leur origine lointaine (mobilier d’importation méditerranéenne) ou encore dans les pratiques spécifiques de dimension généralement collective dans lesquelles ils sont censés avoir joué un rôle de tout premier plan. Ce sont notamment les banquets et autres pratiques de commensalité, où intervient la vaisselle de bronze ou d’or, la guerre

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ou la chasse symbolisées par les armes (épée, lance, char, chevaux), voire les pratiques sacrificielles (couteaux, phiale…).

3 Entre le VIIIe s. et le Ier s. avant J.-C., les assemblages funéraires ne présentent pas une parfaite identité. Bien au contraire, chaque étape chronologique possède sa propre spécificité qui se traduit par l’existence d’une sorte de modèle funéraire dominant. C’est la reconnaissance de ces changements, selon une conception néo-évolutionniste, qui a donné lieu aux diverses interprétations proposées jusqu’alors, et dont il ressort globalement que la Celtique a connu, durant la première moitié du premier millénaire, un phénomène de grande ampleur d’accroissement de la hiérarchie sociale. Cette idée d’un accroissement de la hiérarchie sociale a été déduite de l’enrichissement que l’on a pu constater d’une période à l’autre dans les manifestations funéraires aristocratiques. La richesse déposée dans les tombes des élites tend ainsi, selon cette conception, à augmenter au fur et à mesure que l’on se rapproche de la fin du VIe s. av. J.-C. qui a vu l’émergence du « phénomène princier » d’Europe occidentale.

4 L’approche présentée ici procède d’une démarche nouvelle et différente qui tient compte de l’objet dans son rapport à autrui, comme vecteur des relations sociales, mais aussi dans son rapport à l’individu, comme vecteur du changement identitaire. Je tenterai de montrer comment il est possible de proposer une autre lecture des assemblages funéraires des deux âges du Fer.

5 Après une critique rapide des modèles théoriques ayant cours actuellement, je présenterai, dans une seconde partie, le cadre culturel dans lequel prennent forme et évoluent les différentes manifestations funéraires aristocratiques, principalement du premier âge du Fer. Ce sera l’occasion d’insister sur un certain nombre de notions et de définir quelques concepts nécessaires à la bonne compréhension des phénomènes observés.

6 J’aborderai ensuite la lecture des assemblages funéraires selon une double perspective anthropologique. Je poserai le problème de l’appropriation d’objets nouveaux ou la réactualisation d’objets anciens, comme marqueurs à la fois de l’identité collective et de l’identité individuelle.

Critique des modèles actuels

7 Parmi les nombreux modèles existants, deux se distinguent plus particulièrement par leurs apparentes capacités heuristiques. Dans les deux cas, l’enrichissement progressif et constant des dépôts funéraires, lié à une diminution du nombre des armes dans les tombes jusqu’à leur quasi-disparition, et à une augmentation concomitante du nombre ou du volume de la vaisselle métallique à boire, dans des tombes dont le nombre tend inversement à diminuer, incite les chercheurs à y voir la manifestation d’une concentration du pouvoir entre les mains d’un nombre toujours plus restreint de chefs de plus en plus riches ou la manifestation d’une complexification sociale qui se serait traduite par l’émergence d’un niveau hiérarchique supplémentaire.

8 Tenants du premier modèle, C. Pare (1991 ; 1993) et L. Olivier (2002) interprètent les différents modes d’assemblages funéraires comme autant de manifestations de formes différentes de pouvoir. Pour L. Olivier (2002, p. 38), en effet, cette évolution culturelle « se coule dans une transformation des formes de pouvoir, dont on suit la traduction sociale dans les sépultures et les modes de représentation funéraire ». Celle-ci est marquée par un

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véritable processus de concentration du pouvoir qui correspond, au cours de la phase ancienne du premier âge du Fer, à l’essor d’une strate dominante de guerriers à épée, aux mains desquels s’accumulent des signes de puissance sociale de plus en plus élevée : la construction des tertres funéraires, de plus en plus monumentaux, requiert des volumes de travail collectif de plus en plus importants, tandis que les objets déposés dans les tombes qui en marquent la position sociale — comme les services à boire, ou les parures — deviennent de plus en plus coûteux et prestigieux. Ce mouvement présente, au cours du temps, un caractère franchement exponentiel : amorcé au cours de la phase précoce de la fin de l’âge du Bronze, au IXe siècle av. J.-C., il se développe lentement mais continuellement durant la phase ancienne, tout au long des VIIIe - VIIe siècles av. J.-C., avant de s’accélérer brutalement à partir du milieu du VIe s. av. J.-C., pour culminer à la fin de la période hallstattienne, à la transition des VIe-Ve siècles av. J.-C. Entre-temps, les manifestations sociales de ce processus auront changé de nature. Jusqu’au tournant du milieu du VIe siècle av. J.-C., les phénomènes de concentration du pouvoir s’exercent au bénéfice du développement d’une aristocratie de guerriers à cheval, qui s’apparente à une chevalerie du premier âge du Fer. La période d’apogée, vers la fin du VIe siècle, correspond en revanche à l’essor d’aristocraties de très haut rang, qu’on pourrait qualifier, dans certains, cas, de statut royal. On reconnaît là un phénomène de nature hiérarchique : à mesure que les manifestations de pouvoir s’expriment dans des dépenses collectives de plus en plus élevées, la classe d’individus qui en bénéficient devient de plus en plus limitée, pour ne plus concerner, en bout de course, que de très rares privilégiés. Un tel système, qui finit par s’enfermer dans la sur-hiérarchisation, est par nature instable et surtout de plus en plus fragile : il est révélateur de constater que l’effondrement apparemment brutal du système de concentration du pouvoir hallstattien coïncide avec son apogée des sépultures “princières” à char de l’extrême fin du VIe siècle av. J.-C. ».

9 Pour L. Olivier (2002, p. 38), il ne fait aucun doute que « les mutations sociales, […] reflètent les transformations de l’idéologie funéraire… ». Or, s’il convient effectivement d’interpréter ces changements comme autant de transformations de l’idéologie funéraire, on ne peut que rejeter l’idée sous-jacente qui voudrait qu’à un nombre déterminé de modes d’assemblages funéraires correspond un nombre équivalent « de formes de pouvoir ». Je propose plutôt d’y voir, comme j’ai tenté de le montrer ailleurs (Baray 2007), des modes de représentation différents du pouvoir (cf. infra).

10 Pour S. Frankenstein et M. Rowlands (1978) ou P. Brun (1987 ; 1993 ; 1997 ; 1999), tenants du second modèle, l’accroissement de la richesse de certains chefs de la Celtique, à la suite de l’ouverture de l’Europe nord-alpine aux échanges méditerranéens, a débouché sur la création d’un niveau hiérarchique supplémentaire caractérisé par les tombes dites princières. Entre le IXe-VIIIe s. avant J.-C. et le VIe s. avant J.-C., on serait ainsi passé d’une société à « deux niveaux d’intégration » (de type chefferie simple) à une société à « trois niveaux d’intégration » (de type chefferie complexe), d’où l’idée d’interpréter ce changement comme le résultat d’une complexification sociale (Brun 1999, p. 34 - 36). Aux élites traditionnelles et à la masse des gens du commun se serait ajouté un troisième groupe d’individus enrichis, les fameux princes du premier âge du Fer. L’émergence de ce troisième niveau hiérarchique témoignerait d’une complexification accrue des rapports sociaux, fondés désormais sur un contrôle et une redistribution calculée des biens de prestige exotiques. Dans le modèle proposé, le pouvoir est en effet associé au fait que certains chefs gagnent en puissance et en pouvoir, en raison de leur position de monopole vis-à-vis des biens de

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prestiges qui arrivent en Celtique via les échanges à longue distance. Ils ont ainsi pu s’enrichir au point de créer un niveau supplémentaire dans la hiérarchie sociale. Leur capacité à monopoliser les échanges à longue distance, doublé d’un monopole de la production des biens de prestiges locaux, se traduirait concrètement par la possibilité qu’ils auraient, au détriment de tous ceux qui n’occupent pas une position stratégique comparable, de disposer d’un volume plus important de biens à distribuer. Les auteurs établissent ainsi de façon parfaitement explicite une équivalence entre le contrôle des biens de prestige et l’émergence d’une stratification sociale de plus en plus complexe : « Il ne s’agit ici [dans le modèle présenté] ni de la diffusion de modèles sociaux et politiques, ni même de la diffusion d’objets de luxe méditerranéens qui n’ont pas en tant que tels d’effet spécifique sur ceux qui les reçoivent. C’est la demande, autrement dit l’ouverture d’un nouveau et vaste bassin de consommation, qui provoque la modification endogène des systèmes sociaux, dans le sens de la complexification. Des chefferies complexes apparaissent à cette occasion » (Brun 1999, p. 40).

11 Le passage au second âge du Fer, à partir du second quart du Ve s. avant J.-C., voit, selon le modèle proposé, un retour à une organisation sociale à deux niveaux de type chefferie simple, le niveau supérieur représenté par les princes et les princesses disparaissant à la suite de l’effondrement du système princier. Effondrement qui serait consécutif à un transfert vers les zones périphériques de la zone des résidences princières, des relais indispensables à la pérennisation des réseaux nord-sud d’échange à longue distance, entre les chefs de la Celtique et les négociants méditerranéens. L’occupation de la plaine du Pô par les Étrusques dans la deuxième moitié du Ve s. avant J.-C., aurait en effet provoqué un élargissement du premier cercle d’intégration de l’économie-monde méditerranéenne. Pour P. Brun, la désintégration des principautés du Hallstatt D3 serait donc consécutive à un « éclatement fonctionnel » (Brun 1993, p. 279) qui se serait traduit spatialement par le transfert du rôle d’intermédiaire vers le Berry, la Champagne et le Rhin moyen. Transfert qui « pourrait représenter une variation concomitante du deuxième cercle de l’économie-monde, le deuxième cercle s’éloignant du centre à la mesure de l’élargissement du premier » (Brun 1993).

12 Au-delà de la lecture différentielle que les tenants respectifs de ces deux modèles font des changements intervenus dans la composition des dépôts funéraires entre le IXe- VIIIe s. avant J.-C. et le premier quart du V e s. avant J.-C., ils s’accordent cependant à reconnaître l’existence d’une continuité linéaire, allant du simple au complexe, dans les manifestations funéraires aristocratiques. Cette évolution serait caractérisée par une progression exponentielle, pour reprendre les propres termes de L. Olivier (2002, p. 38). Dans les faits, elle se traduirait par un enrichissement continu des élites. Pour tous, les vecteurs du changement sont les échanges à longue distance qui favorisent l’introduction en Europe occidentale de biens de prestige, dont la détention a été à l’origine de phénomènes d’accaparement et de redistribution propres à bouleverser les équilibres en place et à initier de nouveaux rapports sociaux fondés sur une hiérarchisation accrue de la société. Les contacts externes ont été, pour tous ces auteurs, la cause de « l’intensification et de l’adaptation du système social préexistant » (Brun 1997, p. 324). L’« économie des biens de prestige » fonde l’arrière-plan théorique des modèles proposés. Le « phénomène princier » apparaît dès lors comme le point culminant d’une évolution multiséculaire.

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Problématique, définitions et concepts

De l’importance de l’arrière-plan culturel, pour la compréhension des modes de représentation funéraire

13 L’appréhension des phénomènes archéologiques observés passe nécessairement par une prise en compte du cadre culturel centre-européen ou complexe techno- économique nord-alpin, de ses caractéristiques, de son extension géographique et de son évolution chronologique.

14 Définie par P. Brun (1988), cette vaste entité qui se met en place dès le Bronze ancien, regroupe l’ensemble des régions de l’Europe moyenne, comprises entre la Bohême à l’est et le Berry à l’ouest. De la seconde moitié du IXe s. à la fin du VIIe s. avant J.-C., le complexe techno-économique nord-alpin correspond à une vaste zone d’échanges préférentiels. L’aire de répartition de certains objets lui confère une identité culturelle indéniable nettement différente de celle des complexes techno-économiques voisins, notamment du complexe atlantique.

15 À partir de la fin du VIIe s. avant J.-C., cette entité est nommée « Hallstattkreis » par les chercheurs allemands puis « Celtique », au cours de la période de La Tène, suivant la définition donnée par les auteurs classiques qui, dès le Ve s. avant J.-C., s’accordent pour qualifier de celtique cette vaste zone de l’Europe moyenne. À l’intérieur du complexe techno-économique nord-alpin, du Hallstatt B2/3-Hallstatt C, P. Brun a individualisé deux groupes de cultures : un groupe des cultures orientales et un groupe des cultures occidentales (Brun 1988, p. 134). C’est ce dernier qui retiendra notre attention. Ce groupe est localisé, comme son nom l’indique, dans la partie occidentale du complexe nord-alpin. Il se singularise par la réapparition de l’inhumation et sa coexistence avec la crémation ainsi que la réapparition du phénomène tumulaire.

16 Au-delà de la fin du VIIe s. avant J.-C., la partition spatiale entre les différents groupes de cultures se perpétue sans grands changements. Seul le nom générique du groupe occidental change. Désormais il correspond au « Westhallstattkreis » des chercheurs allemands qui se confond au VIe s. avant J.-C. avec l’aire de répartition des résidences princières. La limite orientale de cette entité passe par une ligne Augsburg/Nuremberg (fig. 1a).

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1a et 1b - Évolution spatiale des manifestations funéraires ostentatoires dans le cadre du complexe techno-économique nord-alpin du VIIIe au Ier s. avant J.-C.

a : du VIIIe au premier quart du Ve s. avant J.-C. ; b : du second quart du Ve s. au premier quart du IIIe s. avant J.-C.

17 Les frontières du groupe des cultures occidentales, bien que légèrement fluctuantes au cours des siècles, n’en demeurent pas moins globalement inchangées jusqu’à l’aube du IVe s. avant J.-C. qui voit l’expansion celtique vers les Balkans et vers l’Italie du Nord bouleverser définitivement la carte politique et culturelle de l’Europe.

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1c - Évolution spatiale des manifestations funéraires ostentatoires dans le cadre du complexe techno-économique nord-alpin du VIIIe au Ier s. avant J.-C.

c : du second quart du IIIe au Ier s. avant J.-C.

18 Au sein de l’entité occidentale, le Rhin forme une frontière culturelle dont il est possible de suivre l’évolution durant tout le premier âge du Fer. De part et d’autre de cet axe de circulation, on observe des différences marquées dans les pratiques funéraires usitées par les entités culturelles qui se font face. Plusieurs cartes de répartition permettent de visualiser ces différences qui se signalent notamment par un recours plus systématique à l’inhumation à l’ouest du Rhin et à la crémation des corps à l’est du Rhin (fig. 2). Il en va de même de la répartition d’un certain nombre d’objets découverts en contexte funéraire. Les différences touchent notamment les modes de représentation du pouvoir. Ce qui se traduit par l’apparition dans les régions orientales de la pratique de l’ensevelissement d’un char à quatre roues dans les tombes aristocratiques, au cours des VIIIe et VIIe s. avant J.-C. (fig. 3), tandis que les dépôts funéraires occidentaux se caractérisent par une grande sobriété. On y trouve une grande épée de bronze ou de fer, emblème apparent du statut social du défunt, parfois associée à un rasoir, plus rarement à des éléments de harnachement équestre ou à de la vaisselle métallique (fig. 4a et b).

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2 - Carte de répartition des tombes à inhumation et à crémation du Hallstatt C (d’après Gerdsen 1989)

3 - Carte de répartition des tombes à char du Hallstatt C (d’après Pare 1992)

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4 - Carte de répartition des tombes à épée du Hallstatt C.

a : tombes ayant livré de la vaisselle métallique en bronze, un couteau en fer et des offrandes alimentaires (os de porc) ; b : tombes ayant livré une épingle, un nécessaire de toilette ou un rasoir en bronze (d’après Gerdsen 1989)

19 Ces deux conceptions différentes de la représentation funéraire aristocratique vont perdurer pour l’essentiel jusqu’au milieu du VIe s. avant J.-C. Ce n’est qu’à cette date et pour un temps limité au développement du phénomène princier, que le Rhin cesse momentanément de jouer son rôle de frontière naturelle. Durant ce court laps de temps, les manifestations funéraires aristocratiques du « Westhallstattkrei » présentent une étonnante homogénéité (fig. 5), même si dans le détail, des différences persistent toujours.

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5 - Carte de répartition des tombes à char du Hallstatt D (d’après Pare 1992)

20 À partir de La Tène ancienne, c’est-à-dire à partir du second quart du Ve s. avant J.-C., et jusqu’à la fin du second âge du Fer, le Rhin ne joue plus le rôle de frontière culturelle. L’émergence de nouveaux groupes culturels régionaux, comme le groupe de l’Hunsruck Eifel situé à l’ouest de la vallée du Rhin, tend à brouiller notre perception fondée sur les anciens clivages culturels est-ouest.

21 La reconnaissance de ces conceptions différentes dans les modes de représentation funéraire, qu’il serait par ailleurs loisible mais fastidieux de développer plus avant dans le cadre de cette étude, m’amène à faire plusieurs remarques liminaires : 1 - la forte homogénéité socioculturelle constatée dans les modes de représentation funéraire, à chaque étape chronologique, suggère que la part de l’individuel, comme des contingences familiales sont relativement minimes, voire inexistantes dans les choix qui ont été faits lors de la composition des assemblages funéraires des sépultures des élites. Ces choix résultent visiblement d’une gestion et d’une sélection raisonnée d’objets prélevés dans une sorte de fonds symbolique commun propre aux élites. Ils ne relèvent donc pas du hasard. 2 - il paraît dès lors fort improbable que les assemblages funéraires aristocratiques correspondent au sein de chaque étape chronologique et ce, contrairement à une idée largement admise, à la richesse du défunt. On constate, en effet, que d’un groupe de sépulture à l’autre, il existe toujours un véritable saut quantitatif et/ou qualitatif ; une solution de continuité qui ne peut renvoyer à la seule gradation des richesses, c’est-à- dire à ce que chacun possédait de son vivant, mais à l’image que les survivants désiraient donner de lui. À ce stade de l’analyse, il convient de dire simplement que l’on a plutôt affaire à un codage funéraire de l’appartenance à telle ou telle catégorie sociale (nantis ou gens du commun). 3 - la forte homogénéité qui caractérise les pratiques funéraires des différentes entités

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culturelles observables dans le temps et/ou dans l’espace indique que l’on est en présence d’un nombre équivalent d’idéologies funéraires, chaque idéologie prônant un mode de représentation spécifique. 4 - au-delà des translations géographiques qui marqueront notamment la fin du premier âge du Fer2 ou la fin du second âge du Fer3, dans l’affichage ostentatoire des manifestations de pouvoir dans la mort, l’organisation de l’espace culturel ouest européen en différentes entités socioculturelles se reproduira selon des modalités à chaque fois spécifiques, jusqu’à la fin de la période (fig. 1a, 1b et 1c). Le décodage des modes de représentation funéraires passe donc par la prise en compte du contexte culturel ambiant, à savoir l’espace culturel dans lequel s’insèrent les sépultures qui se distinguent par de riches dépôts funéraires, mais également du contexte culturel environnant, à savoir l’espace culturel des régions périphériques qui ne livrent aucune sépulture renfermant de riches dépôts funéraires. Autrement dit, on court le risque, à ne s’intéresser qu’aux sépultures des régions qui livrent des dépôts funéraires de qualité, de négliger une information capitale qui consiste à reconnaître la possibilité pour certaines communautés de manifester autrement qu’à travers le faste des dépôts funéraires la prééminence sociale des élites.

22 Ces premiers résultats m’amènent logiquement à aborder le problème de la nature des dépôts funéraires aristocratiques.

Politique de dépôt funéraire/politique de distribution funéraire

23 Dans une étude récente, A. Testart (2001) a proposé de définir deux politiques funéraires, à savoir une politique de dépôt funéraire et une politique de distribution. Dans la politique de dépôt, une part importante de la fortune du défunt le suit dans la tombe. Dans la politique de distribution, la fortune du mort est distribuée aux membres de sa famille et à la communauté. Hormis ses effets personnels, le défunt n’emporte aucun signe de richesse dans la tombe. Un type intermédiaire (politique de dépôt bis) a également été défini pour rendre compte des cas où une part, d’ailleurs impossible à quantifier, de la fortune du mort le suit dans la tombe, tandis que les survivants se livrent à une distribution en règle de la richesse restante.

24 Particulièrement stimulant, car il nous incite à ne pas focaliser toute notre attention sur les dépôts funéraires de qualité comme unique mode de manifestation de la prééminence sociale des défunts, ce premier essai de typologie méritait néanmoins d’être enrichi en lui adjoignant un niveau supplémentaire dans la partie consacrée à la politique de dépôt funéraire. Il méritait également d’être modifié en changeant la dénomination des types retenus. La terminologie employée par A. Testart ne rend, en effet, qu’imparfaitement compte de l’existence de différences quantitatives et/ou qualitatives importantes entre ces deux politiques de dépôt. Aussi, m’est-il apparu préférable d’en modifier la terminologie tout en l’associant à une numérotation croissante, afin de différencier au mieux chaque politique de dépôt.

25 Une typologie à quatre niveaux peut dès lors être proposée (fig. 6).

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6 - Typologies comparées des deux politiques funéraires de A. Testart et de L. Baray.

Une nouvelle terminologie est proposée qui rend mieux compte, dans le contexte des sociétés des âges du Fer d’Europe occidentale, de l’existence de différences quantitatives et/ou qualitatives importantes au sein de la politique de dépôt funéraire

Politique de dépôt de niveau 3

26 La politique de dépôt de niveau 3, qui n’est pas attestée en Europe protohistorique, devrait, toute proportion gardée, s’apparenter à ce que l’on connaît des pratiques de dépôt des grandes civilisations de l’Antiquité classique, comme l’Égypte ou la Chine ancienne, par exemple. Elle devrait se définir par une accumulation de richesse, déterminée par la redondance des mêmes catégories fonctionnelles. La richesse étant définie ici par l’accumulation de biens de qualité.

Politique de dépôt de niveau 2

27 La politique de dépôt de niveau 2 se définit par le choix d’un nombre limité d’objets qui se caractérisent par leurs qualités intrinsèques et/ou leur caractère exotique. Le dépôt de la sépulture de la Dame de Vix en est l’archétype pour le Hallstatt D3. On y trouve un petit nombre d’objets de qualité, tant locaux qu’étrangers. Le dépôt se compose des différentes catégories d’objets relevant de la sphère aristocratique, à savoir les effets personnels de la défunte (torque et fibules en or), des marqueurs de prestige locaux (char) et exotiques (vaisselle de bronze et vaisselle céramique importées), ainsi que des objets d’ameublement (tentures suspendues aux murs de la chambre funéraire). La prise en compte d’autres sépultures aristocratiques des deux âges du Fer permet avantageusement de compléter l’inventaire des assemblages funéraires relevant de la politique de dépôt de niveau 2. Selon les étapes chronologiques, les assemblages funéraires peuvent également comporter des parures (bracelet, boucles d’oreilles) ou des accessoires vestimentaires en or (ceinture), ainsi que différents ustensiles du banquet (corne à boire, vaisselle métallique, seaux en bois à garnitures en bronze ou en fer, chenets, crémaillère, gril, croc à viande, amphores méditerranéennes) et des meubles (banquette de la sépulture de Hochdorf, par exemple).

28 Des armes offensives (épée, poignard, fer de lance, pointes de flèche) ou défensives (bouclier, plus rarement casque), des nécessaires de toilette (rasoir, paire de forces, pince à épiler, curette) ou des outils (hache, poinçon…) accompagnent généralement les sépultures masculines. C’est au sein de cette catégorie de dépôts que l’on trouve

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également des pratiques funéraires spécifiques, comme les masques mortuaires en or (non attestés en Europe occidentale), les plaquages en or, ou les emballages de tissus.

Politique de dépôt de niveau 1

29 Outre les effets personnels du défunt (bracelet en or et autres parures annulaires en bronze, accessoires vestimentaires, nécessaires de toilette, armes, outils…), le dépôt funéraire de niveau 1 livre des signes univoques de l’appartenance du défunt au groupe dominant. On y trouvera, selon les époques, un char ou une partie de char (selon le rite de la pars pro toto), des éléments de harnachement, une accumulation de biens courants, comme de la vaisselle céramique, ou encore des offrandes alimentaires de qualité et/ou en quantité. Des amphores, toujours en petit nombre, complètent certains assemblages funéraires de La Tène D.

30 En comparaison avec les dépôts du niveau 2, c’est une plus grande sobriété qui les caractérise. La vaisselle métallique (qu’elle soit locale ou exotique), la vaisselle en céramique importée et les torques en or n’y sont pas attestés, c’est-à-dire tous les objets qui font la spécificité des dépôts de niveau 2.

Politique de distribution

31 La politique de distribution se définit par l’absence de dépôt remarquable dans les tombes des élites. En revanche, l’architecture de la tombe (chambre funéraire, par exemple) et/ou le recours à un système de signalisation monumentale (tumulus et/ou enclos circulaire ou quadrangulaire) sont les signes univoques que l’on est bien en présence de la sépulture d’un membre des élites politiques.

32 Il est bien évident que la prise en compte de ces quatre politiques funéraires est de nature à bouleverser notre appréhension et notre compréhension des phénomènes sociaux de la Protohistoire récente. Je reconnais cinq raisons essentielles à cela : - premièrement, la reconnaissance de l’absence de dépôts de niveau 3 dans les sociétés protohistoriques va à l’encontre d’une longue tradition de recherche qui voulait voir dans un certain nombre de dépôts particulièrement fournis, comme celui de la sépulture de Vix, la présence de richesses fabuleuses. Selon toute apparence, les aristocrates européens n’ont pas pu ou n’ont pas voulu atteindre ce niveau d’ostentation, qui reste le propre des grands états despotiques de l’Antiquité ; - deuxièmement, il paraît évident que la politique de distribution a été une des réalités des sociétés de cette période, comme l’indique, d’un point de vue à la fois synchronique et diachronique, le nombre important de régions qui n’ont, à ce jour, livré aucune manifestation funéraire ostentatoire de pouvoir ; - troisièmement, la reconnaissance de l’existence d’autres manières de manifester ostensiblement la prééminence sociale d’un défunt et de sa famille, autrement que par le simple enfouissement d’objets de qualité, doit nous amener à réexaminer attentivement nombre de découvertes anciennes, afin de repérer toutes celles qui n’ont pas livré de dépôt funéraire aristocratique dûment identifiable, mais dont les caractéristiques architecturales de la tombe ou le système de signalisation monumentale, nous informent que l’on est bien en présence d’une sépulture aristocratique. Il ne fait pas de doute, qu’au terme d’un tel travail de recension systématique, c’est tout simplement la cartographie socioculturelle de la Celtique qui s’en trouvera bouleversée.

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33 Il convient désormais de rechercher et de cartographier ce type de manifestation. Il n’est plus possible de raisonner uniquement sur la présence ou l’absence de sépultures riches. On doit prendre conscience qu’il a existé d’autres modes de représentation et que le dépôt funéraire n’a pas été, loin s’en faut, le seul recours possible offert aux élites pour manifester ostensiblement leur prééminence sociale dans la mort ; - quatrièmement, l’absence de politique de dépôt de niveau 3 me conforte dans l’idée que la composition des assemblages funéraires n’est, au mieux, que le reflet de la richesse du défunt, mais en aucun cas de sa richesse. Ce que confirme largement l’image convenue des dépôts de niveau 2 ou 1 ; - cinquièmement, les deux premiers niveaux de dépôt, et la politique de distribution, se sont succédé à des rythmes différents tout au long des deux âges du Fer. À chaque étape chronologique, on observe une partition culturelle forte entre les groupes ayant eu recours à la politique de dépôt de niveau 2 ou 1, et ceux, toujours plus nombreux, qui ont eu recours à la politique de distribution. Toutefois, l’adoption de l’un de ces trois modes de gestion de la fortune du mort ne renvoie pas uniquement à des conceptions purement économiques. L’adoption d’un de ces trois modes de représentation funéraire implique aussi et surtout un rapport différent au pouvoir (Testart 2001 ; Baray 2007). De fait, la véritable question qui se pose à tout protohistorien ne consiste pas uniquement à s’interroger sur la manière dont les choses ont évolué pour aboutir, par exemple, à l’émergence du phénomène princier du VIe s. avant J.-C. La question qui se pose est également celle du pourquoi et non pas uniquement celle du comment. Pourquoi ces changements réguliers dans les modes de représentation funéraire ? Quelle est leur signification en termes de pouvoir ? Quels rapports entretiennent-ils avec les échanges à longue distance mis en place avec les civilisations méditerranéennes ?

34 Mais avant de poursuivre, examinons rapidement les conséquences que la reconnaissance de ces distinctions socioculturelles entraîne vis-à-vis des modèles néo- évolutionnistes qui prévalent aujourd’hui dans l’étude et l’interprétation des assemblages funéraires aristocratiques des âges du Fer.

35 Je limiterai volontairement mon approche à l’examen critique de la corrélation qu’établissent certains chercheurs entre la politique de dépôt funéraire de niveau 2 et l’existence de moments particuliers de l’évolution des sociétés d’Europe occidentale caractérisés par une exacerbation accrue des tensions sociales. Je porterai également un regard critique sur la manière dont les changements que l’on perçoit d’une étape chronologique à l’autre dans la composition des assemblages funéraires sont interprétés, en termes de changement de « forme du pouvoir », par les tenants des modèles néo-évolutionnistes.

Politique de dépôt et stress social

36 Depuis les travaux fondateurs de L. Binford (1971), l’ostentation funéraire a fréquemment été interprétée comme l’expression du pouvoir dans des sociétés caractérisées par une structure sociale ouverte, c’est-à-dire dans les sociétés où l’acquisition du pouvoir suprême ne relève pas d’un cadre institutionnel. Le dépôt funéraire illustrerait dans ces conditions les luttes exacerbées que se seraient livrés les candidats potentiels à la prééminence sociale et politique. En quête de légitimité, ces individus auraient cherché à travers l’étalement de leur richesse dans la mort à emporter la décision auprès de leurs communautés respectives.

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37 Inversement, la disparition du mobilier funéraire est interprétée comme le signe d’une consolidation du pouvoir. Une fois leur objectif atteint, les membres de l’élite ne sont plus dans l’obligation d’afficher ostensiblement leur puissance dans la mort pour asseoir leur légitimité.

38 Le mobilier funéraire, peu importe sa composition, l’essentiel étant qu’il soit abondant et de qualité, apparaît dès lors comme le garant d’une légitimité à conquérir ou à confirmer.

39 La situation qui prévaut au cours de La Tène finale, caractérisée par des dépôts funéraires sobres, semble aller dans ce sens. Pour nombre de chercheurs, le passage à l’État aurait ainsi rendu inutile le dépôt de grandes richesses dans les tombes.

40 Bien entendu, une telle hypothèse, aussi attrayante qu’elle soit, ne va pas sans poser de problème puisqu’elle implique de considérer que seules les communautés ayant eu recours à la politique de dépôt de niveau 2 auraient connu des luttes exacerbées pour la prééminence sociale. Or, tout laisse à penser que l’ensemble des sociétés protohistoriques se sont développées dans un climat de compétition sociale latente et de guerre endémique. Pour autant, elles n’ont pas toutes adopté ce mode de représentation funéraire, bien au contraire. Aussi, il me paraît bien difficile d’établir une corrélation forte et univoque entre dépôts funéraires et lutte exacerbée pour le pouvoir.

41 Les données ethnographiques indiquent en effet que la politique de distribution est également commune aux sociétés en proie à de fortes tensions sociales. Voyons plutôt la situation qui prévalait dans les sociétés de la côte nord-ouest américaine, au cours de la seconde moitié du XIXe s., où dominait l’institution du potlatch et tout ce que cela impliquait de rapports antagonistes entre les chefs présomptifs, alors même que les vivants avaient recours à la politique de distribution pour signaler ostensiblement la prééminence sociale des défunts (Testart 2001).

42 Il est donc nécessaire d’envisager autrement les termes du problème si l’on veut tenter d’avancer un peu dans notre compréhension des mécanismes de changement et d’évolution des sociétés protohistoriques d’Europe occidentale.

Critique du modèle néo-évolutionniste4

43 Alors que les modèles néo-évolutionnistes interprétaient les changements observés comme le résultat d’un enrichissement continu des élites via les échanges à longue distance, la prise en compte de l’existence de cette diversité de politique funéraire correspondant visiblement à autant d’idéologies funéraires différentes, est de nature à remettre en cause l’idée même d’évolution linéaire.

44 D’une étape chronologique à l’autre, l’homogénéité des changements reconnus témoigne plutôt de modifications radicales dans la perception que les individus et leur famille avaient de leur rapport au pouvoir. À l’instar de la composition des dépôts funéraires qui ne présentent pas une gradation continue de « richesse », les modes de représentation funéraires se succèdent en effet selon des modalités différentes n’ayant pas ou si peu à voir avec ceux qui les ont précédés. Un nouveau mode de représentation se donne ainsi à voir à chaque étape chronologique. Il s’agit à chaque fois d’une recombinaison singulière, à partir d’un nombre limité d’objets socialement revalorisés

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(cf. supra). C’est d’ailleurs la reconnaissance de leur singularité respective qui fonde depuis toujours nos coupures typo-chronologiques.

45 Je propose donc de substituer au système néo-évolutionniste linéaire et à progression exponentielle (Olivier 2002), une succession de modèles funéraires aristocratiques différents les uns des autres. Chaque modèle funéraire présente un caractère de rupture par rapport à celui qui le précède. « À chaque étape chronologique correspond un modèle funéraire aristocratique différent, à travers lequel les protagonistes manifestent ostensiblement leur prééminence sociale. L’adoption d’un nouveau modèle funéraire résulterait d’un choix conscient des élites qui chercheraient ainsi à marquer leur différence vis-à-vis de la masse de la population, tout en soulignant leur cohésion sociale en tant que groupe dominant. D’une étape chronologique à l’autre, les élites maintiendraient ainsi entre elles et le reste de la communauté, des écarts sociaux nécessaires à la reconnaissance de leur singularité. Dès lors où les contradictions au sein de la société deviennent trop importantes et tendent à en saper les bases idéologiques, cette stratégie de distanciation sociale passe par le recours à des modes de représentation spécifiques » (Baray 2007, p. 176).

46 Plutôt que d’envisager un enrichissement exponentiel des élites, entre le VIIIe et le début du Ve s. avant J.-C., pour expliquer les changements survenus au cours du premier âge du Fer, je préfère y voir le résultat d’un processus continu de recherche de légitimation de leur statut social. Concrètement, ce processus se manifeste à travers l’élaboration d’une succession de discours idéologiques originaux mettant en avant la nécessité pour les familles des défunts d’un affichage des preuves matérielles de leur réussite sociale, et partant, de leur plus ou moins grande proximité avec le pouvoir. En procédant ainsi, les survivants se donnent les moyens de légitimer, à travers la représentation idéalisée du défunt, le pouvoir de fait que détenait ce dernier, et qu’ils espèrent bien conserver par-devers eux. Car si les funérailles étaient pour la famille et les amis le moyen de rendre hommage au défunt et de clore leur deuil, la mort d’un proche était aussi l’occasion pour les vivants d’une stratégie de valorisation sociale individuelle ou collective.

47 La mise en place de ces différentes idéologies funéraires, matérialisées par un type d’assemblage spécifique, résulte en quelque sorte d’un effet de mode, obligeant chacun à suivre la même tendance évolutive, sous peine d’être laissé pour compte auprès de sociétés dont le prestige fonde visiblement la hiérarchie sociale. On retrouve ici à l’œuvre le principe de la sélection collective de H. Blumer (1969), pour qui le succès de certains objets est le fruit d’une construction collective plus ou moins organisée qui reflète les deux tendances de la société moderne, mais que l’on peut sans trop de risque d’anachronisme élargir à toute société humaine, à savoir le souci de conformité et celui de différenciation. Conformité à une norme implicite ou explicite obligeant tous les membres des élites à adopter les mêmes référents culturels afin de se distinguer avantageusement de la masse des gens du commun. Différenciation nécessaire cependant entre eux, dans la mesure où chacun cherche, malgré les contraintes imposées par la norme sociale, à signifier sa différence.

48 Mais, il y a plus dans ce phénomène de distinction, car les élites pourraient, en toute logique, se contenter de reproduire indéfiniment les mêmes modes de représentation, sachant que les objets sélectionnés sont en nombre limité et qu’ils ne sont pas d’un accès aisé. Nécessitant de disposer d’une technologie particulière (locale ou étrangère), comme de matières premières souvent rares ou difficiles d’accès (ambre de la Baltique, corail de Méditerranée, or, argent, lignite, verre), ou encore de réseaux d’alliance ou

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d’échange susceptible de faciliter l’acheminement des biens exotiques hautement revalorisés jusqu’à eux, les chefs de la Celtique ont néanmoins fait le choix de modifier à plusieurs reprises leur mode de représentation dans la mort. Se pose dès lors la question du pourquoi. Pourquoi ont-ils ressenti à plusieurs reprises la nécessité de changer de mode de représentation ?

49 La question est certes difficile, mais il y a cependant moyen d’y apporter un début de réponse. C’est ce à quoi je vais consacrer la deuxième partie de mon étude. Pour cela, j’aborderai successivement la relation que les individus entretiennent avec les objets en tant que médiateurs des relations sociales, et la relation de l’individu à l’objet en tant que vecteur identitaire.

50 Mais avant de poursuivre, il faut dire un mot de la différence qu’il convient d’établir entre fonction et usage. Dans l’appréhension qui est faite du mobilier funéraire, le plus souvent une attention particulière est portée à la fonction première des objets. La plupart des auteurs abordent, en effet, leur étude selon une grille de lecture univoque, avec l’arrière-pensée clairement affichée de découvrir, grâce à la reconnaissance de la fonction première de chacun des objets composant le dépôt funéraire, la raison de sa présence dans la tombe. La fonction de l’objet, plutôt que tout autre facteur, serait ainsi à même de déterminer le choix effectué par les vivants et d’expliquer sa présence dans la tombe. Contre ce déterminisme fonctionnel rigide, auquel il m’est arrivé de succomber, il convient, pour l’avancement de nos connaissances, d’établir une distinction fondamentale entre fonction et usage.

Fonction/usage

51 Il apparaît en effet clairement que l’on confond trop souvent fonction et usage. « La fonction d’un objet, nous rappelle P. Ruby (1993, p. 801), est déterminée par les caractères intrinsèques de celui-ci, ses propriétés physiques, géométriques et sémiotiques. L’usage est au contraire ce que le groupe humain qui le possède décide d’en faire et comment il l’utilise : l’usage est par définition arbitraire et imprévisible. Cela explique pourquoi un objet possédant une fonction unique peut avoir des usages différents selon les latitudes, l’époque, les choix culturels des groupes humains qui le possèdent : un objet n’est jamais isolé, mais est toujours intégré à un système technique particulier et cohérent ». Présumer que les vases grecs ou étrusques découverts au nord des Alpes ont nécessairement servi dans le cadre de banquet de type symposion revient à considérer que c’est toute une partie du système technique grec ou étrusque, ainsi que certaines de leurs pratiques spécifiques comme la consommation du vin, qui ont été intégrées par le système technique celte. Ce qui, on en conviendra aisément, reste à démontrer5.

52 Même s’il paraît possible d’envisager un usage comparable du cratère ou de tout autre récipient métallique dans les assemblées celtes et grecques ou celtes et étrusques, il convient tout aussi bien d’envisager que ces objets ont pu avoir un autre usage et qu’ils ont très bien pu être déposés dans la tombe de tel ou tel individu, non pas parce que ce dernier les aurait utilisés de son vivant, mais plus simplement pour signifier à tous qu’il partageait bien les mêmes référents socioculturels en tant que détenteur du pouvoir. C’est toute la différence qui existe entre fonction et usage. Tout objet, quel qu’il soit, peut être ainsi réservé à un usage n’ayant aucun rapport, sinon symbolique avec sa ou ses fonctions d’origine. C’est ce qui explique que l’on puisse trouver des objets d’adultes

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dans des tombes d’immatures ou des objets masculins dans une sépulture féminine, ou encore trouver des objets visiblement neufs, n’ayant jamais servi, comme des épées, dans des tombes d’adultes masculins6. C’est ce qui permettrait également d’expliquer la présence de char à deux roues, habituellement considérés comme relevant de la sphère masculine guerrière, dans des tombes féminines au cours de La Tène A et B1. Dans tous les cas, l’association entre un objet et un défunt ne relève pas toujours d’une relation univoque de type fonctionnelle7.

53 Dans les sépultures aristocratiques, l’objet agit avant tout comme signe d’identification et de qualification. Il n’est pas nécessairement dans un rapport fonctionnel avec l’individu dans la tombe duquel il a été retrouvé. Il n’est pas nécessairement là pour signaler une activité que l’individu en question aurait pratiquée de son vivant. Il est là pour signifier le caractère prééminent du défunt et sa plus ou moins grande proximité avec le pouvoir. En disant cela, j’insiste sur le fait que l’idéologie aristocratique faisait obligation aux candidats potentiels de se conformer à un certain mode de représentation. C’est ce qui explique les placages d’orfèvrerie réalisés sur une partie des effets personnels du défunt de la tombe de Hochdorf (poignard, ceinture, garnitures de chaussures, grande corne à boire en fer), sur les huit cornes à boire en corne d’aurochs (bandeaux en or ou en bronze), ainsi que la fabrication de fibules et d’un bracelet en or (Biel 1987, p. 119-124), destinés à magnifier ce dernier aux yeux de tous et à en donner une image conforme à l’idéologie des membres éminents de la société, détenteurs du pouvoir politique.

54 Le dépôt funéraire ne peut donc être perçu comme le simple reflet de la richesse du défunt, de sa position sociale ou encore de ses activités. La composition du dépôt funéraire répond à un code socioculturel, à un discours idéologique dont la finalité n’est autre que de positionner l’individu par rapport au pouvoir. De la même manière que la richesse n’a d’importance que quand elle est distribuée ou qu’elle sert à faire face à des obligations sociales (Testart 2005, p. 30-31), de la même manière la pompe funéraire n’a d’importance que dans le cadre d’un discours sur le pouvoir et sur la position du défunt vis-à-vis de ce pouvoir.

55 La présence d’objets exotiques ne doit donc pas être perçue comme résultant d’un simple effet d’imitation, par rapport à un hypothétique modèle grec ou étrusque. Les objets sont systématiquement re-contextualisés dès leur adoption par des individus relevant d’autres contextes socioculturels. L’introduction d’un objet étranger ne se limite pas à en perpétuer la fonction première. Il se trouve automatiquement introduit dans son nouveau système technique qui en modifie le sens et la perception.

56 Il est vrai que la plupart des chercheurs interprètent la présence de la vaisselle métallique comme le signe univoque d’une acculturation plus ou moins forte des populations celtiques aux pratiques méditerranéennes (Bouloumié 1988 ; Poux 2004, p. 363-369). Le symposion devient dès lors le cadre conceptuel dans lequel s’insère et à travers lequel se conçoit la présence des objets exotiques8. Mais plutôt que d’une acculturation ne faudrait-il pas, comme nous y invite L. Turgeon (2003), y voir les effets d’une appropriation. En effet, « Si les objets sont […] mis en terre, c’est pour être soustraits à l’échange et pour devenir uniques, et c’est parce qu’ils sont uniques qu’on essaye de se les approprier » (Turgeon 2003, p. 84).

57 On l’a vu, ce que certains chercheurs interprètent comme un phénomène d’enrichissement continu des dépôts funéraires entre le VIIIe et le début du V e s. avant J.-C., n’est autre que la conséquence de l’ouverture des sociétés celtiques aux

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échanges à longue distance avec les sociétés méditerranéennes. Or, l’introduction de nouveaux objets via les échanges à longue distance et leur insertion dans le système technique celte pose le problème de l’appropriation d’objets nouveaux, à la fois comme marqueurs de l’identité individuelle, ce que l’on a déjà évoqué très rapidement, et comme marqueurs de l’identité collective.

58 Examinons tout d’abord, le rôle joué par les objets dans l’affirmation des identités collectives.

Marqueurs identitaires collectifs

59 Contrairement au modèle désormais célèbre de P. Brun qui voit dans les objets méditerranéens les vecteurs d’une complexification sociale débouchant à terme sur les premières manifestations de l’État, il convient de reconsidérer la place de ces objets dans le complexe socioculturel des populations celtiques. Car, s’il paraît difficile de refuser l’idée que les objets de prestige aient pu participer au renforcement des pratiques collectives propres au groupe dominant, en leur donnant un lustre nouveau et inégalé (« diacritique feast », cf. Dietler 1996 ; Dietler 1999, p. 145), un accord n’est guère envisageable quand il s’agit de faire intervenir, dans le système de prestation qui semble régir l’accès aux rangs supérieurs, un phénomène de hiérarchisation interne fondé sur un contrôle et une redistribution inégalitaire de ces mêmes objets. Sans entrer ici, car ce n’est pas le lieu, dans une critique de l’usage qui a été fait du concept maussien de don et de contre-don, je dirais simplement que les échanges en Europe celtique ont dû présenter un autre visage que celui du don de type agonistique ou potlatch. Un réexamen attentif des données disponibles, aussi bien archéologiques que textuelles, indique d’une part que les échanges n’ont pas atteint un tel degré d’exacerbation, et d’autre part que le recours au concept de redistribution de Polanyi ne paraît guère plus fondé que celui de don agonistique de Mauss, pour expliquer le fonctionnement des sociétés du premier âge du Fer (Lewuillon 1993 ; Baray sous presse).

60 Comment interpréter la présence de ces objets méditerranéens dans les sépultures princières d’Europe occidentale ?

61 Comme l’ont montré les historiens de la Grèce archaïque notamment, ou les anthropologues sociaux dans les sociétés anciennes (Grecque, Viking…) ou primitives (côte nord-ouest américaine, Mélanésie…), les objets les plus prestigieux sont ceux qui ont été possédés par des individus célèbres auxquels sont restés attachés le nom et la renommée. Il ne s’agit pas ici de valeur d’usage ou de valeur marchande. Mais plus exactement de valeur mythique, pour reprendre le mot de L. Gernet (1968). Valeur mythique qui est déterminée par le fait que tel ou tel objet entretient ou a entretenu avec tel ou tel individu célèbre des liens étroits de propriété. Acquérir ou posséder un instant un objet de ce type rapporte indéniablement un surcroît de puissance et de prestige. L’objet a une histoire, une généalogie. Et c’est cette généalogie qui lui donne toute sa valeur. Son statut réel dépend intimement de la biographie de son ou de ses propriétaires précédents. Dans l’Iliade, par exemple, les objets qui sont offerts comme cadeau d’hospitalité ou à l’occasion de dons et de remises de prix ont tous une généalogie et c’est cette généalogie qui leur confère tout leur lustre (cf. Scheid-Tissinier 1999, p. 122-123).

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62 Dans les sociétés à don, comme le sont indéniablement les sociétés celtiques (Baray sous presse), c’est-à-dire les sociétés dans lesquelles le don occupe une place centrale (Testart 1993, p. 92), où il joue le rôle de principal facteur de hiérarchisation sociale, ce qui est recherché lors de l’acquisition d’un nouveau bien de prestige ce n’est pas tant la fonction à laquelle se rapporte l’objet en tant que tel ou ce qu’il représente en valeur marchande (qui ne doit toutefois pas être minorée), que ce qu’il représente tout à la fois comme témoignage de relations sociales engagées avec des individus de haute renommée, et comme témoignage des événements qui ont présidé à leur acquisition. Pour L. Gernet (1968), comme pour É. Scheid-Tissinier (1994-1995, p. 410-411), ces objets « véhiculent le double souvenir de leurs propriétaires successifs et des événements de toute sorte (combats, jeux, dons) à l’occasion desquels ils ont changé de main. De fait, ces objets ont une fonction de mnèma : leur présence suscite la parole, elle fait surgir la mémoire de héros du passé, d’actions d’éclat qui furent accomplies, ou d’alliances aristocratiques qui furent un temps conclues. Ce rôle de témoins du passé confère à ces objets un prestige dont bénéficient à la fois le donateur et le donataire qui vont s’inscrire par le simple fait de donner et de recevoir dans la chaîne des personnages qui furent les acteurs des épisodes qui constituent la généalogie de ces objets ».

63 Dans le cas des sociétés protohistoriques européennes, un examen, même rapide, indique clairement que la vaisselle métallique présente de manière quasi-systématique des traces d’un long usage, ainsi que des traces de fréquentes réparations (cf. entre autres, Dehn & Frey 1979 ; Bintliff 1984)9. Il s’agit donc d’objets ayant vécu ou ayant été utilisés longuement avant d’être déposés définitivement dans la tombe d’un chef quelconque. On peut penser, compte tenu de ce que l’on vient de dire de la valeur mythique des objets, que la valeur acquise par l’objet, après être passé de main en main, était à son maximum au moment de la mise en terre et que le choix d’emporter un tel objet relevait d’une décision mûrement concertée pour la famille et les proches du défunt. Son ensevelissement au terme d’un long usage va dans le sens d’une mise à l’écart volontaire, afin sans doute d’en augmenter la valeur par les effets combinés de la rareté et du statut d’objet mémoriel qui lui est désormais reconnu. En effet, le dépôt des objets gréco-étrusques dans les tombes ne correspond pas, à mon sens, à un phénomène d’acculturation, mais plutôt à un phénomène d’appropriation. L’objet méditerranéen, dès sa prise de possession, change de statut du fait de son introduction dans un nouvel ordre, dans un nouveau système socioculturel. Il acquiert automatiquement de nouvelles significations. Ce n’est donc pas seulement son usage qui change. Comme le dit L. Turgeon (2003, p. 85), à propos des objets archéologiques exhumés de terre, re-conditionnés puis ré-enfouis dans les réserves des musées, « l’artefact devient patrimoine ». Et c’est en tant que tel, qu’il devient le support privilégié de la mémoire du groupe.

64 Cette transformation de l’objet en un support mémoriel passe nécessairement par son insertion dans un discours globalisant mettant en jeu des hommes et des relations sociales. Car l’objet en tant que tel n’est pas un support de mémoire. Il faut qu’il y ait « patrimonialisation ». Or, sa « patrimonialisation » passe nécessairement par une phase préalable au cours de laquelle il acquiert les qualités requises pour passer du rang de simple objet fonctionnel à celui plus rare et plus prisé d’objet de prestige, et de là, à partir d’un ultime processus de transformation, il devient objet mémoriel. La phase en question est déterminée par les relations sociales auxquelles l’objet sert de support. C’est en effet au titre de médiateur et de vecteur de relations sociales qu’il est

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ainsi promu au rang de bien de prestige. C’est sa participation aux échanges sociaux qui fait de l’objet banal un objet hautement revalorisé. Les mécanismes socioculturels par lesquels les objets passent pour acquérir le rang d’objet de prestige sont multiples et variés. Toujours est-il qu’ils se réfèrent tous aux relations que les hommes établissent entre eux. « L’objet matériel entretient depuis longtemps des liens privilégiés avec le patrimoine, parce qu’il permet de concrétiser des valeurs culturelles abstraites et offre aux groupes humains un support mémoriel. Grâce à sa durabilité, il matérialise et transporte la mémoire des personnes et des événements dans le temps. Les objets du patrimoine familial, transmis de génération en génération, témoignent de ces pratiques ou structures pérennes. Plus que l’archive qui nécessite la lecture, l’objet matériel est une mémoire brute et directe, l’incarnation même de ce concept si abstrait qu’est le temps. L’objet porte en lui des traces de son usage qui lui donnent une plus-value en ce qui a trait à la représentation du passé. C’est en raison de sa singulière permanence que l’objet mémoriel possède le pouvoir de ressusciter les personnes et les événements, de les commémorer et les remémorer, de les charger d’émotions, puis de les transformer en sujets. » (Turgeon 2003, p. 61).

65 À l’instar des regalia, ces objets étaient exposés une dernière fois publiquement afin de garantir la légitimité des pouvoirs que détenait le défunt. « Ils remplissaient alors leur fonction d’autant mieux que leur massivité était plus évidente, leur origine plus obscure, la légende dont ils étaient l’objet plus mystérieuse. » (Cuisenier 2006, p. 35). L’assemblage funéraire agit de fait comme un véritable message politique adressé, moins aux humbles qui n’assistaient pas nécessairement aux funérailles10, qu’aux nantis, dont les proches du défunt attendaient des signes d’approbation, comme garantie de la reconnaissance sociale du défunt et de sa famille. Mais contrairement aux regalia qui se transmettent de personne à personne afin de garantir la continuité du pouvoir institutionnel, les signes de pouvoir des chefs de la Celtique ne passaient pas indéfiniment de main en main. En l’absence de transmission institutionnelle du pouvoir, ils finissaient par être enfouis à un moment donné dans la tombe de leur dernier possesseur. Détenteurs d’un pouvoir de fait, au moins jusqu’au début du IIIe s. avant J.-C. (Baray 2007, p. 177-178), les chefs de la Celtique pouvaient, selon les règles socioculturelles en vigueur, emporter dans la mort leurs armes, leur char et tous les autres signes matériels qui s’y rapportent, notamment les objets exotiques. Ils suivaient le défunt dans la mort en raison de la charge symbolique qui leur était attachée en tant que preuve matérielle des pouvoirs détenus par ce dernier. Leur présence permettait ainsi de qualifier le défunt (en agissant comme garants de sa puissance et de son prestige) et de légitimer son pouvoir (en lui rendant un dernier hommage). À la fois preuve matérielle et support mémoriel des relations sociales qui ont abouti à leur possession, les biens exotiques, plus que tout autre objet patrimonial, témoignaient par leur seule présence physique, palpable, de la réalité du pouvoir. Leur possession légitimait l’autorité politique des chefs.

66 La fonction des objets exotiques apparaît donc plus politique que culturelle. Le dépôt d’ustensiles de banquet, quelle que soit leur origine (méditerranéenne ou locale), ne renvoie pas à la richesse en tant que telle, ni seulement au statut du défunt, ils reflètent plutôt de manière métaphorique la collectivité politique, le lieu du politique. C’est en tout cas le message, qu’à mon sens, voulaient faire passer les vivants qui procédaient aux funérailles des membres éminents de la société. Que ce lieu se confonde au VIe s. avant J.-C. avec l’assemblée des pairs (cf. infra), ou avec les grands banquets publics des trois derniers siècles av. J.-C., peu importe. Ce qu’il convient de retenir, c’est l’idée que les dépôts funéraires ne se composent pas d’objets fonctionnels destinés par

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exemple, selon une conception largement admise, à illustrer le banquet funéraire, mais à symboliser, parmi toutes les activités collectives auxquelles les défunts étaient régulièrement conduits à participer de leur vivant, celle qui aux yeux de tous était apparemment la plus apte à exprimer le lieu du pouvoir, à savoir le festin. Pouvoir de fait dans des sociétés fondées sur une hiérarchie de prestige ou pouvoir de droit dans des sociétés régies par des institutions politiques autonomes, dans tous les cas, le choix de déposer des ustensiles de banquet dans la tombe des nantis signale de manière particulièrement ostensible leur participation au jeu du pouvoir politique. Ces objets agissent comme autant de pôles de ralliement des individus et des groupes. « Ils s’imposent parce que [leur] force d’attraction est plus forte que celle de tous les autres objets connus. C’est autour du cratère ou du chaudron que l’on se réunit pour les fêtes de la vie et de la mort. » ; « Plus qu’un signe d’identité, les ustensiles du banquet sont des opérateurs d’identité. » (Turgeon 2003, p. 80).

67 Pour le VIe s. et la première moitié du Ve s. avant J.-C., comme pour les trois derniers siècles avant J.-C., le choix de déposer des chaudrons et autres ustensiles du banquet dans les tombes d’une partie des élites, se rapporte implicitement à l’importance prise au cours de ces deux périodes par le festin comme haut lieu de la vie aristocratique. Le train de vie de l’aristocrate de haut rang, et, a fortiori, de celui qui ambitionnait de s’arroger le pouvoir suprême, reposait sur le luxe dont il devait faire étalage en toute circonstance, et sur la dépense ostentatoire. De toutes les institutions celtiques, le banquet apparaît dès lors comme le lieu par excellence de l’expression de la souveraineté.

68 Cependant, selon les étapes chronologiques, les ustensiles du banquet expriment par leur présence deux réalités politiques différentes, voire opposées. Pour les VIe et V e s. avant J.-C., le banquet apparaît comme étant le lieu de la convivialité entre pairs, même s’il devait exister au sein du groupe des différences hiérarchiques parfois importantes. Partager le repas puis la boisson créait sans aucun doute entre les convives un sentiment de communion autour de valeurs socioculturelles communes. Ce partage était l’acte fondateur d’un groupe aristocratique jaloux de ses privilèges et de ses prérogatives. Aussi, toute exclusion du banquet devait probablement être entérinée par l’exclusion du groupe des pairs et de l’exercice du pouvoir, et inversement. Dans les cités archaïques grecques, par exemple, il semble en effet avoir existé une réelle conformité entre groupe des pairs et banqueteurs qui de fait attribuaient au banquet le rôle d’institution civique en tant que lieu privilégié d’expression de la citoyenneté et du pouvoir politique (Schmitt-Pantel 1992b, p. 56). Dans ces cités, toutes les pratiques collectives, quelles qu’elles soient (banquets, funérailles, assemblées, chœurs…), étaient des lieux de partage entre égaux, entre individus disposant de suffisamment de richesses pour que chacun à son tour puisse être en mesure de donner et de recevoir à part égale. Ce qui suppose l’existence d’un groupe homogène. « Dans la cité archaïque, ce groupe est celui des aristoi, des meilleurs, des riches propriétaires fonciers : entre eux l’échange est possible, la réciprocité existe. Tant que les aristoi détiennent seuls le pouvoir dans la cité, il y a coïncidence entre ces conduites collectives et la citoyenneté » (Schmitt-Pantel 1992a, p. 236). En définissant et en exprimant l’appartenance au groupe des citoyens, ces activités collectives, réservées dans un premier temps aux seuls aristoi, que ce soit en Grèce ou dans les sociétés nord-alpines, se situaient logiquement dans le prolongement normal des assemblées et autres conseils, où autorité sociale et autorité politique se confondaient dans les mains des mêmes individus. Dans un tel contexte, le dépôt

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d’ustensiles du banquet symbolisait la pratique collective la plus emblématique de toutes. Il donnait ainsi à voir le lieu par excellence de l’expression de la souveraineté.

69 La situation se présente différemment au cours des trois derniers siècles avant J.-C. Le contexte a changé. Différents indices tant archéologiques que textuels tendent en effet à prouver qu’on serait passé progressivement d’un pouvoir de fait à un pouvoir de droit, avec l’apparition de l’État, au plus tard à partir de la fin du IVe s. – début du IIIe s. avant J.-C. (Baray, 2007). Désormais, le rapport au pouvoir politique passe nécessairement par la médiation d’institutions autonomes garantes du bon fonctionnement de la cité. Différentes magistratures en assurent la pérennité. Dépouillées de fait d’une partie de leurs prérogatives, les élites trouvent dans les relations de clientèle, dont on perçoit le renforcement, notamment à travers leur extension dans le domaine des relations entre cités (César, Bell. Gall. VI, 11-12), un moyen efficace de contrebalancer le pouvoir de l’État, tout en se maintenant dans le jeu de pouvoir politique. Les banquets publics qu’elles organisent, à l’instar de celui donné par Ariamnès (Phylarque, Hist., in Athénée, Les Deipnosophistes IV, 34 150d-f) ou le roi Luern (Poseidonios, in Athénée, Les Deipnosophistes IV, 37. 1-19), leur permettent d’attirer un nombre plus ou moins important d’individus à la recherche d’un protecteur. Ces dépendants forment parfois de véritables armées privées pouvant être mobilisées dans le cadre de tentatives de prise du pouvoir, comme l’illustre celle manquée de l’Helvète Orgétorix (César, Bell. Gall. I, 2-4). Délaissant pour la plupart la lutte armée ouverte, les aristocrates se servent donc de leur notoriété pour s’entourer d’un nombre toujours plus grand de dépendants, « le pouvoir se trouvant généralement en Gaule aux mains des puissants et de riches qui pouvaient acheter des hommes » (César, Bell. Gall. II, 1). Polybe exprime la même idée quand il précise que les Gaulois « donnaient la plus grande attention à leurs compagnies, parce que chez eux celui-là est le plus redoutable et le plus puissant qui passe pour avoir le plus d’hommes empressés à le servir et à lui faire cortège » (Histoires II, XVII). Ce qui aboutit à la situation suivante dénoncée par César (Bell. Gall. I, 17) : « il y a un certain nombre de personnages qui ont une influence prépondérante sur le peuple, et qui, simples particuliers, sont plus puissants que les magistrats eux-mêmes. »

70 Au cours de cette période, et contrairement à la situation qui prévalait au Hallstatt D2/ D3, le dépôt d’ustensiles du banquet dans les sépultures aristocratiques renvoie à une pratique collective dépouillée de toute dimension politique. Le banquet public n’est pas le lieu privilégié d’expression du pouvoir politique. Il n’est plus qu’un lieu parmi d’autres d’expression du prestige des élites. Comme le dit P. Schmitt-Pantel (1992a, p. 245), à propos de la Grèce classique et en opposition à la situation qui avait prévalu dans la Grèce archaïque, désormais « les pratiques collectives, qui sont les marques de la citoyenneté, sont uniquement les assemblées, les tribunaux et les magistratures ». Je fais l’hypothèse qu’une évolution comparable, mais ayant probablement suivi d’autres voies, a eu lieu en Europe celtique. Entre les VIe-Ve s. avant J.-C. et les IIIe-Ier s. avant J.- C., il s’est produit une rupture fondamentale et définitive, dont la composition différentielle des assemblages funéraires nous offre une illustration matérielle. « La fracture est consommée. Les activités collectives ont une place dans la cité, elles relèvent bien du domaine commun, mais elles ne sont plus une des facettes du pouvoir politique, elles sont seulement un des aspects du mode de vie de telle cité » (Schmitt-Pantel 1992a, p. 245). J’ajouterai, dans le cas des sociétés celtiques, qu’à défaut des autres pratiques collectives pour lesquelles on ne dispose pas de renseignement, le festin, dans sa version publique, restent cependant en étroite relation avec le pouvoir civique de l’aristocratie dans la mesure où il demeurait un des moyens les plus efficaces de

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contrôle de la population. Par leur fréquence et leur munificence, ces festins publics drainaient vers les riches aristocrates une part non négligeable de la population. Ils en tiraient un grand prestige et beaucoup de puissance. Nouveau lieu de la libre compétition aristocratique, l’accès aux magistratures relevant de pratiques institutionnelles bien plus formelles, le banquet public donnait aux prétendants aux magistratures suprêmes l’opportunité de se mesurer entre eux et de mesurer leur popularité respective à l’aune des foules mobilisées. Exercice obligé pour qui souhaitait être élu aux plus hautes charges de l’État, le banquet public faisait logiquement figure de nouveau lieu d’expression de la seule autorité civique, l’autorité politique relevant des organes institutionnels qu’étaient les assemblées, les tribunaux et les magistratures.

71 Contrairement aux périodes anciennes, le dépôt des ustensiles du banquet ne symbolisait plus, à partir du début du IIIe s. avant J.-C., le banquet des pairs, c’est-à-dire la pratique collective la plus emblématique de toutes ; celle à travers laquelle les aristocrates détenteurs du pouvoir aimaient à s’afficher. La perte de signification du banquet des pairs, qui passe de haut lieu de la compétition et de l’expression du politique, à une forme de représentation réservée aux nantis, est vraisemblablement liée à l’ouverture du champ social et à l’autonomisation des organes du pouvoir, c’est-à- dire au déplacement du lieu du pouvoir vers des « institutions politiques » (Schmitt- Pantel 1992b, p. 107-113). Dans ce contexte de recomposition du champ du politique, le banquet public symbolisait désormais l’espace de liberté et d’expression que les aristocrates avaient réussi à préserver face à la toute puissance de l’État. Le rôle des aristocrates a changé depuis la fin du VIe s. avant J.-C. Ils ont été dans l’obligation de se référer à de nouveaux modèles socioculturels plus en accord avec la place qui leur était désormais dévolue au sein de la société. Le banquet entre pairs n’étant plus le lieu par excellence de l’expression de la souveraineté, le dépôt d’ustensiles de banquet des trois derniers siècles avant J.-C. ne pouvait plus témoigner de l’appartenance du défunt à la sphère des détenteurs du pouvoir suprême. La signification, comme d’ailleurs la composition du dépôt d’ustensiles du banquet, a nécessairement évolué. Il est devenu emblématique des rapports privilégiés au pouvoir que seuls les aristocrates, par leurs richesses accumulées, étaient en mesure d’entretenir. Le chaudron en bronze, ou tout autre ustensile du banquet, symbolise de fait le lieu de la reconnaissance publique, c’est-à-dire le festin où l’aristocrate acquiert prestige et renommée à travers l’affichage ostentatoire de sa puissance.

72 Le don ostentatoire de nourriture (et ses symboles attitrés, c’est-à-dire les ustensiles du banquet) participe du mode de représentation aristocratique, qu’il s’adresse aux pairs ou aux gens du commun. Dans les deux cas, le don de nourriture apparaît comme une obligation sociale, « noblesse oblige », et à ce titre comme l’expression, j’insiste, de la souveraineté. « En apparaissant à travers ces dépenses de nourriture sans cesse renouvelées comme le plus riche et le plus puissant, le roi se maintient dans la position dominante du chef invitant et assure son ascendant sur la noblesse qu’il se montre capable de réunir autour de lui. Si bien que l’image du roi en train de banqueter au milieu de ses pairs apparaît comme le symbole même d’une société ordonnée et en paix » (Sheid-Tissinier 1994-1995, p. 413-414). C’est cette image d’un roi ou d’une reine de paix et d’abondance que les vivants ont voulu sans doute nous livrer dans les mises en scènes funéraires des VIe-Ve s. avant J.-C. qu’ils nous ont laissées. L’absence d’armes de combat11, comme le luxe des assemblages funéraires où prédominent l’or et/ou la vaisselle métallique importée ou locale, tout concourt à faire des assemblages funéraires de l’aristocratie de la Celtique des VIe-Ve et

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des IIIe-Ier s. avant J.-C. de fidèles représentations des idéologies dominantes. Le chef, quel qu’il soit, quel que soit son rang, est celui qui attire à lui les bienfaits et les richesses, comme le dit explicitement Télémaque en réponse aux moqueries d’Antinoos qui remettait en cause ses prétentions à la royauté : « Oui, répond Télémaque, j’accepterais volontiers la couronne si Jupiter me la donnait. Est-ce donc à votre avis le pire malheur qui puisse atteindre un homme ? Régner n’est pas une infortune : la maison du roi s’emplit aussitôt de richesse, et lui-même est plus honoré » (Odyssée I, 390-393).

73 Le roi ou le chef est celui qui donne avec générosité et dépense sans compter. C’est, comme le fait très justement remarquer É. Scheid-Tissinier (1994-1995, p. 413), le sens de la réflexion ironique qu’Ulysse adresse à Antinoos, l’un des chefs des prétendants, auprès duquel il mendie un peu de nourriture : « Puisque tu as l’air d’un roi, il te faut donner » (Odyssée XVII, 416-417). Le roi apparaît donc comme le garant de la prospérité du groupe et le dispensateur de richesses. Par ses facultés à rendre une justice équitable et à servir de médiateur entre les forces surnaturelles et son peuple, il procure à tous l’abondance nécessaire. Tel est le contenu des propos tenus par Ulysse au moment de ses retrouvailles avec sa femme Pénélope : « et l’on parle de toi comme d’un roi parfait, qui, redoutant les dieux, vit selon la justice. Pour lui, les noirs sillons portent le blé et l’orge ; l’arbre est chargé de fruits ; le troupeau croît sans cesse ; la mer pacifiée apporte ses poissons, et les peuples prospèrent » (Odyssée, XIX, 108-115). C’est, à n’en pas douter, le sens qu’il convient de donner à la richesse affichée dans les sépultures princières du Hallstatt D2/D3. Elle se réfère directement à cet aspect singulier de la personnalité royale. Le roi est avant tout un roi nourricier. La richesse ici est symbolique. À l’instar de ce que l’on sait de l’importance de la symbolique de la richesse dans les royautés sacrées documentées par l’ethnographie, il est possible de conclure que la richesse funéraire des princes et princesses de la Celtique est avant tout et surtout synonyme de majesté, de prospérité et de fécondité.

74 Bien plus que de simples marqueurs statutaires, les objets qui composent les assemblages funéraires aristocratiques renvoient donc à un choix raisonné de signes de pouvoir. Ce faisant, ils signalent ostensiblement le rapport que chaque défunt a entretenu avec le pouvoir. Car s’il ne nous renvoyait qu’à « la position occupée par l’individu dans le système de prestige de sa société » (Linton 1977, p. 71), définition restrictive de « statut » habituellement retenue, les vivants n’auraient pas eu de raison objective de modifier régulièrement la composition du mobilier funéraire. Cette dernière resterait identique à elle-même sur plusieurs siècles, en tout cas bien au-delà de nos coupures typo-chronologiques habituelles. Il aurait suffi aux vivants de déposer dans la tombe un ou plusieurs objets, toujours les mêmes, par exemple une épée comme au Hallstatt C, ou un char, voire une partie de char (pars pro toto), pour signaler ostensiblement à tous l’appartenance de tel ou tel individu à la frange supérieure de la société. Aussi, les modifications, parfois rapides, observées d’une étape chronologique à l’autre dans la composition du mobilier funéraire des tombes des élites, ne peuvent s’expliquer que si l’on accepte l’idée que ce dernier n’est que le reflet métaphorique de la perception changeante que les nantis avaient de leur rapport au pouvoir suprême. La composition changeante du mobilier funéraire des nantis selon les étapes chronologiques retenues, est en effet révélatrice de l’existence d’une pluralité de modèles culturels de référence qui renvoie aux différents rôles joués par chaque membre du groupe dominant dans la société. Car au statut de dominant correspond, comme aux autres statuts occupés par chaque individu, plusieurs rôles possibles, c’est- à-dire plusieurs modèles culturels possibles. Pour R. Linton (1977, p. 71), en effet, le rôle

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sert à « désigner l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné. Il englobe par conséquent les attitudes, les valeurs et les comportements que la société assigne à une personne et à toutes les personnes qui occupent ce statut ». D’une étape chronologique à l’autre, les modèles culturels mis en avant à travers la composition changeante des assemblages funéraires renvoient à des valeurs différentes partagées par l’ensemble des individus du groupe dominant. C’est ce qui explique la forte homogénéité culturelle relevée dans la composition des assemblages funéraires à chaque étape chronologique. Pour être reconnu en tant que tel, l’aristocrate détenteur de ou du pouvoir est dans l’obligation de se composer une image conforme à celle que l’on attend de lui en raison de la forte prégnance des modèles culturels en vigueur. Il y est obligé pour la raison simple énoncée par R. Linton (1977, p. 71 -72) : « Tout statut est ainsi associé à un rôle donné, mais du point de vue de l’individu, les deux faits ne sont absolument pas identiques. Ses statuts lui sont assignés sur la base de son âge et de son sexe, de sa naissance ou de son mariage dans une unité familiale donnée, etc. ; mais ses rôles sont appris sur la base de ses statuts actuels ou futurs. En tant qu’il représente un comportement explicite, le rôle est l’aspect dynamique du statut : ce que l’individu doit faire pour valider sa présence dans ce statut ». D’une étape chronologique à l’autre, les différences perçues dans la composition des assemblages funéraires des élites sont donc à interpréter comme autant de manifestations d’un recentrage sur les nouvelles valeurs prônées par les élites au pouvoir. Ce qui change, à chaque étape chronologique, ce n’est donc pas la « forme du pouvoir » (Olivier 2002), mais « les attitudes, les valeurs et les comportements » qui lui sont associés. Autrement dit, ce qui change ce sont les modèles culturels des élites, c’est-à-dire les modalités d’exercice du pouvoir. Avec le temps, la volonté d’afficher ostensiblement les rapports que certains défunts entretenaient avec le pouvoir suprême demeurait, tandis que les manifestations et les représentations idéologiques de ce rapport au pouvoir, c’est-à- dire la mise en exergue des valeurs considérées désormais comme fondamentales, changeaient.

Marqueurs identitaires individuels ou le rapport de l’individu à l’objet

75 Comme un objet de mode moderne, le bien de prestige des sociétés traditionnelles ou anciennes entretient un rapport spécifique à la temporalité. C’est que la possession d’objets de prestige ne se limite pas au processus d’identification communautaire, comme on vient de le voir, elle met également en jeu la dynamique du changement. Autrement dit, elle implique que l’individu qui acquiert un tel objet change de comportement. La relation à l’objet n’est pas neutre. L’individu qui entre en possession d’un nouvel objet, ou qui décide de remettre au goût du jour un objet anciennement valorisé, ne peut agir sans tenir compte de son environnement social. Il ne peut s’afficher avec un objet sans se poser la question de l’accueil qui lui sera fait, tout en sachant consciemment ou inconsciemment que l’acte de consommer n’est pas sans conséquence sur sa propre construction de « soi ». Le rejet ou l’acception d’un objet relève du processus de construction identitaire, « parce qu’elle implique un travail d’observation de soi, de compréhension de soi, de pilotage de soi, de gouvernement de soi. Un tel travail mobilise de nombreuses compétences : savoir voir (soi-même et les autres), et savoir “être vu” pour faire face à l’incertitude grandissante vis-à-vis des “ règles” en vigueur » (Marion 1999).

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76 Tout sujet, quel qu’il soit, est donc amené, à chaque instant, à se construire à ses propres yeux et aux yeux des autres. C’est que le processus de formation identitaire n’est pas donné une fois définitivement. Il est en perpétuel mouvement. Et le cas de la sépulture de Hochdorf le montre clairement. Ce processus de formation et de construction identitaire ne s’interrompt pas avec la mort. Il se poursuit et trouve même à s’amplifier ou à s’exacerber au moment de la mort. C’est à l’occasion de ses funérailles que le défunt a été doté d’un torque et d’une paire de fibules en or, et que certains de ses effets personnels (cf. supra) ont été rehaussés de placages d’orfèvrerie (Biel 1987, p. 119-124).

77 Ce n’est toutefois plus l’individu qui porte désormais son regard sur soi mais le groupe familial qui cherche ainsi à insérer l’individu mort, dont il tente de récupérer la mort à des fins politiques, dans le système temporel de référence qui pousse constamment les individus à s’interroger sur l’objet lui-même (l’objet est-il en avance, en retard, de retour, à la mode… ?), mais aussi sur le rapport qu’ils ont à l’objet : conjoint à cet objet suis-je en retard, en avance ? Le choix que les vivants font des objets à déposer dans la tombe s’inscrit dans ce double processus d’interrogation.

78 La contribution de l’objet à la construction identitaire, qu’elle soit collective ou individuelle, passe en effet toujours par cette double interrogation : dans quel système temporel se situe tel objet en particulier ? Est-il apte à m’inscrire positivement dans l’espace social ? C’est à travers ce double mécanisme interrogatif de l’objet vis-à-vis du temps et vis-à-vis de soi, que l’individu tente de se construire. Que ce soit l’individu qui participe directement à l’élaboration de sa propre image matérielle, ou que ce soient les vivants qui interviennent en son nom, dans tous les cas, seront choisis parmi un nombre fini d’autres objets ceux qui, le moment, venu seront les plus aptes à répondre positivement à cette double attente. C’est au terme de ce double mécanisme sélectif que de nouvelles combinaisons funéraires, toujours singulières par rapport à celles qui les ont précédées, vont émerger.

79 La perception que l’on a des objets se transforme ainsi constamment en regard des normes socioculturelles en vigueur et auxquelles on adhère. Seul moyen pour les candidats au statut élevé d’être reconnu en tant que tel. Un objet pourra ainsi être accepté ou rejeté du seul fait qu’il est perçu ou non comme bénéfique à l’élaboration de l’image identitaire que l’on désire se donner et donner aux autres. L’objet agit ainsi comme s’il était la preuve matérielle que l’individu participe activement à l’élaboration des normes socioculturelles ; qu’il n’est pas en reste et qu’il entretient un rapport particulièrement étroit avec son temps. Dans ce rapport qui confine au rapport de mode, l’individu peut dès lors estimer concrètement l’évolution de sa propre trajectoire temporelle et partant, de sa capacité à réagir et à rebondir face aux changements.

80 On peut penser qu’à travers le choix des objets déposés dans la tombe, les survivants privilégient de présenter le défunt au terme de sa propre trajectoire temporelle, ou plus rarement, quand il s’agit d’un immature, au terme de ce qui aurait dû être sa trajectoire temporelle. Ce qui signifie qu’il se produit nécessairement une sorte de réactualisation de la position de chacun au moment de sa mort, et par voie de conséquence, une réactualisation constante de l’ensemble de l’édifice social qui n’est pas donnée une fois pour toutes.

81 Dans bien des cas, l’objet nouveau ne produit pas de nouvelles habitudes. Il s’insère plutôt dans un cadre déjà existant, mais selon une logique nouvelle12. « Il a seulement rendu visibles, en leur faisant franchir un seuil, précise S. Tisseron (1999, p. 10), la complexité

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et la richesse des relations que nous établissons avec chacun de nos objets familiers ». Le nouvel objet, qui s’insère dans un système technique déjà opérant, ne vient pas seulement remplacer éventuellement un objet ancien, il vient surtout créer « de nouvelles formes d’imaginaire » chez ses usagers (Tisseron 1999, p. 16). L’introduction d’un nouvel objet ne résulte donc pas uniquement d’un acte purement technique. Il s’accompagne d’une réévaluation du potentiel symbolique et des relations d’affects que le sujet peut être amené à entretenir avec lui. Il ne peut s’agir d’un acte gratuit. Bien au contraire, son accaparement se double d’une réflexion sur les conséquences symboliques, socio- économiques, voire politiques, que cela entraîne pour l’individu à l’origine du fait, ou pour son entourage dans la perception que ce dernier a de lui. Les rapports sociaux sont dès lors changés du seul fait de l’introduction d’un objet, en apparence anodine. Quelles qu’en soient les raisons (nouveauté recherchée par tous, mais difficilement accessible, caractère exotique et rare, qualités techniques…), l’objet nouveau est de nature à créer une certaine différence entre celui ou ceux qui le possèdent et ceux qui en sont dépourvus. Par sa capacité à créer de la distinction, l’objet nouveau, même pour un usage ancien, ne se limite donc pas à une simple substitution. Aussi, quand la plupart des chercheurs s’interrogent sur le fait que les Celtes aient ou non imité le symposion gréco-étrusque ou se sont simplement contentés d’introduire de nouveaux objets en place et lieu d’objets anciens, mais remplissant les mêmes fonctions, ils négligent totalement la dimension symbolique des objets exotiques. En repliant le débat scientifique sur l’originalité ou non des manières de table celtes par rapport au modèle grec ou étrusque, on passe à côté de la dimension symbolique des objets et de leur signification dans la tombe.

82 Faut-il pour autant, comme le propose P. Brun (1999), réduire la symbolique de la vaisselle importée au contrôle que les détenteurs de ces biens étaient censés avoir établi sur les réseaux d’échange à longue distance et au pouvoir qu’ils sont susceptibles d’en avoir tiré ? S’étant intéressé à la définition du qualificatif de princier attribué à des « sépultures exceptionnelles de richesse et de monumentalité », P. Brun considère en effet que si « nombre d’entre elles renferment des pièces de vaisselle fabriquées dans des régions organisées sous une forme étatique ; au point que ces objets importés sont devenus un critère d’identification des tombes princières parmi le corpus des tombes riches de cette période [fin du VIIe au IVe s. avant J.-C.]. Il se produit là, de fait, un glissement de sens entre un prince vu comme un haut personnage dont l’accès privilégié à des biens rares s’étale avec ostentation et un prince vu, de surcroît, comme un partenaire commercial de cités-États phéniciennes, grecques ou étrusques. Dans un sens, le terme ne possède pas de signification politique précise, il a une valeur plutôt métaphorique ; dans l’autre, il induit l’impact d’une civilisation complexe sur sa périphérie par l’intermédiaire de ses élites. Dans ce dernier cas, l’expression de phénomène princier suppose l’existence de sociétés hiérarchisées où la légitimation du pouvoir passe par la démonstration de liens privilégiés avec des sociétés plus complexes ; il s’agit d’un modèle du type centre/périphérie, voire, plus précisément, du type système-monde ou économie-monde » (Brun 1999, p. 33). Dans ces conditions, la simple possession d’objets de luxe méditerranéens était susceptible de conférer à quelques privilégiés une puissance suffisante pour légitimer leur pouvoir. Pour l’auteur, ce serait la raison d’être des dépôts funéraires aristocratiques. La présence dans les tombes des élites de ces objets de prestige fabriqués dans des régions organisées sous une forme étatique ne peut, en effet, se comprendre que si l’on admet l’idée qu’ils ont effectivement été utilisés pour prouver matériellement les relations à longue distance que certains individus étaient en mesure d’assurer, afin d’en tirer un large bénéfice social et politique. Les objets exotiques sont

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ici autant de preuves matérielles que les vivants sont en mesure d’exhiber pour prouver la capacité du défunt à contrôler les réseaux d’échanges à longue distance : « il est clair que les objets luxueux fabriqués dans les cités-États possédaient une grande valeur pour les princes barbares. Ceux-ci les utilisaient comme symboles de statut ; ces objets qui démontraient leur contrôle sur les échanges à longue distance symbolisaient logiquement un pouvoir politique fondé sur ce contrôle » (Brun 1999, p. 38). Autrement dit, pour P. Brun, ces objets agissent comme autant de signes de pouvoir. Le pouvoir n’appartenant qu’aux individus capables de contrôler les échanges à longue distance, c’est-à-dire capable de s’enrichir grâce à leur position d’intermédiaire privilégié entre les sociétés d’Europe du nord et les sociétés d’Europe du sud. Dans le modèle proposé, la richesse ainsi accumulée aurait été garante du pouvoir.

83 Il paraît toutefois peu probable que le pouvoir politique de ces fameux princes ait été fondé uniquement sur le contrôle des réseaux d’échange, comme le dit très explicitement P. Brun. Car, comme l’a reconnu à plusieurs reprises l’auteur (par exemple, Brun 1992, p. 392 ou Brun 1993, p. 278), pour que la demande méditerranéenne trouve un écho favorable en Europe nord-alpine, il fallait que les conditions socio-économiques et politiques nécessaires existassent au préalable. Autrement dit, ce n’est pas le contrôle des réseaux d’échange à longue distance qui provoqua la complexification sociale dont nous parle l’auteur, mais les conditions antérieures d’évolution interne à la Celtique. Les échanges à longue distance n’ont fait que renforcer des positions déjà établies en leur donnant un faste nouveau grâce à la possession de nouveaux biens de prestige. En renforçant la légitimité des princes, les biens exotiques n’ont fait qu’accentuer les écarts existants antérieurement entre les détenteurs du pouvoir politico-religieux et le reste de la communauté. En donnant un lustre nouveau aux pratiques aristocratiques, les biens importés, dont on rappellera le petit nombre, ont été à l’origine d’un renouveau de pratiques festives pluriséculaires. Ils n’ont en aucun cas introduit de nouvelles pratiques.

84 Ont-ils constitué un élément d’échange, qui aurait circulé à l’intérieur d’un réseau subalterne et aurait été à l’origine de la complexification de la société (Brun 1987, p. 79) ou ont-ils plutôt été utilisés dans le cadre de pratiques spécifiques de consommation d’alcool liées aux strates supérieures de la société (Dietler 1989, p. 130 ; Dietler 1992, p. 403, note 3) ? À cette double interrogation, je répondrai positivement, en accord avec P. Brun (Brun 1992, p. 392), car, contrairement aux positions défendues par M. Dietler, il n’y a pas lieu d’opposer ces deux dimensions complémentaires de l’usage que les élites de la Celtique ont pu faire de ces objets. À l’instar de la situation qui prévalait en Grèce homérique ou archaïque, chez les Indiens de la côte nord-est américaine (Iroquois, Algonquins…), ou dans certaines sociétés primitives, où l’histoire et l’ethnographie nous renseignent sur l’existence de pratiques festives associées ou non à la consommation d’alcool, la vaisselle métallique pouvait tout à la fois être utilisée dans le cadre de festins propres à asseoir et légitimer le pouvoir des chefs, tout en circulant à l’occasion des dons réalisés au moment des funérailles, des mariages, des liens d’hospitalité noués avec de riches familles étrangères, etc. Il n’y a aucune raison objective d’opposer ces deux approches tout en reconnaissant qu’il convient néanmoins de minorer fortement l’impact des échanges de dons sur les modalités de complexification des sociétés.

85 Ce serait donc plutôt comme preuve matérielle de la capacité du défunt à avoir su de son vivant entretenir des réseaux de relations entre individus ou entre communautés

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(processus qui se manifeste par une circulation régulière de biens et de services), que l’objet prend toute sa dimension sociale et politique. C’est ainsi qu’il acquiert sa valeur mythique dont nous avons vu plus haut qu’elle était particulièrement déterminante quant à sa classification dans la catégorie des biens de prestige. Ce faisant, par sa présence dans la tombe, l’objet distingue positivement le défunt du reste de la communauté. Il crée une distanciation sociale et politique forte entre ceux qui le possède et tous les autres, tous ceux qui n’en sont pas dignes. C’est-à-dire entre ceux à qui la communauté a reconnu et a concédé un certain nombre de privilèges en raison de la valeur dont ils ont su faire preuve, notamment comme hommes de guerre13, et ceux qui forment la masse plus ou moins indifférenciée des gens du commun. C’est que la possession de ces biens n’est le fait que des aristocrates en ce sens que ce sont ces biens qui interviennent dans les compensations matrimoniales, l’entretien des liens d’hospitalité, les dons diplomatiques, les récompenses aux différentes épreuves des jeux funéraires, les compensations diverses (pour effacer une injure, pour récompenser un guerrier qui se serait particulièrement illustré sur le champ de bataille…)14. Posséder un tel objet, c’est afficher ostensiblement son appartenance au cercle étroit de ceux qui ont le pouvoir. C’est le prestige associé à la détention de ces fameux objets de prestige qui confère en effet de la puissance aux chefs présomptifs ou qui permet de légitimer le pouvoir des chefs en place. En faisant le choix de déposer de tels objets dans une tombe, les vivants démontrent la participation active du défunt, ainsi distingué, à l’élaboration des normes socioculturelles de son temps. Ils manifestent ainsi ses hautes capacités sociales et politiques pour s’être attiré les bienfaits et la reconnaissance sociale de ses contemporains, dont dépendent la bonne réputation et la renommée de tout individu. En choisissant certains objets plutôt que d’autres à déposer dans les tombes des élites, les vivants tentaient de se conformer aux attitudes, valeurs et autres comportements qui leur étaient spécifiques. Pour ce faire, ils devaient sans cesse élaborer, à l’aide d’un répertoire symbolique et iconographique limité, l’image qu’ils désiraient donner du défunt, tout en cherchant à coller au plus près des réalités du modèle socioculturel dominant, c’est-à-dire à l’idéologie du groupe dominant.

86 Au terme de cette étude, il convient d’insister sur le fait que ce mouvement de création ou de recréation sans fin de nouveaux modes de représentation (idéologies), qui résulte, comme nous l’avons vu, du double processus d’appropriation d’objets nouveaux, à la fois comme marqueurs de l’identité individuelle, et comme marqueurs de l’identité collective, se combine avec un mouvement également sans fin de composition et de recomposition des assemblages funéraires à chaque étape chronologique. C’est parce que le mouvement s’alimente sans cesse de l’introduction de nouveaux objets ou de nouvelles interrogations sur des objets familiers, qu’il devient impossible de définir un ou plusieurs modèles funéraires, si ce n’est de manière totalement artificielle, comme dans nos classifications typo-chronologiques. En réalité, chaque modèle, pour autant qu’il corresponde à la photographie d’un temps « T » de l’évolution de ce lent processus d’appropriation de nouvelles normes identitaires, n’est que l’expression fugace d’une réalité sociale toujours changeante et de ce fait difficilement saisissable.

87 Au total, nos classifications archéologiques résultent d’une sorte de télescopage de différents niveaux d’appréhension du rapport que l’individu entretient successivement avec les objets de son entourage. Ce sont en effet des temporalités différentes qui

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viennent ainsi se condenser dans un même assemblage funéraire et dont il conviendrait de démêler l’écheveau.

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NOTES

1. cf. Olivier 1995, p. 59-75, pour un rapide historique des recherches menées depuis les années 20 sur les modes d’organisation hiérarchique des sociétés du premier âge du Fer 2. On assiste à un déplacement des manifestations de pouvoir dans le funéraire du sud vers le nord. À l’ouest du Rhin, par exemple, la Bourgogne est délaissée au profit de la zone Aisne-Marne 3. La fin du second âge du Fer est également le témoin d’un nouveau bond vers les régions encore plus septentrionales des manifestations de pouvoir dans le funéraire. Une partie de la zone Aisne-Marne (partie centrale et méridionale) est abandonnée au profit de la Gaule Belgique 4. Le terme est pris ici dans l’acception que lui donnent des chercheurs comme M. Fried (Fried 1960), E.R. Service (Service 1962) ou encore A.W. Johnson et T. Earle (Johnson & Earle 1987), qui proposèrent des classifications des sociétés humaines par ordre de complexité croissante selon leurs niveaux « d’intégration sociale ». 5. Rappelons que la boisson contenue dans le chaudron d’origine grecque de la sépulture princière de Hochdorf n’était pas composée de vin mais d’hydromel (Körber-Grohne 1985, p. 121-122 ; Biel 1987, p. 126 et 178). De même, rien ne vient confirmer l’assertion selon laquelle le cratère de Vix aurait été rempli à moitié de vin, au moment de la condamnation de la tombe (Milcent 2004b, p. 315, note 97) 6. P.-Y. Milcent (2004a, p. 104), signale le dépôt d’une épée neuve, n’ayant visiblement jamais servi, à Déols, Liniez (Indre) et Polignac (Haute- Loire), en contexte Hallstatt C récent. 7. Pour S. Verger (1995, p. 440), pourtant défenseur d’une interprétation fonctionnelle orthodoxe du mobilier funéraire, la présence de chars à deux roues dans certaines sépultures féminines de La Tène ancienne, pourrait s’expliquer par référence à leur usage comme moyen de transport et non pas à leur fonction comme moyen de lutte armée. L’auteur établit de fait une distinction

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entre objets intervenant dans le cadre strict du rituel funéraire et objets relevant de la sphère du mobilier funéraire, c’est-à-dire des objets propres au défunt : « lorsqu’il constitue un élément du rituel, et non un objet du mobilier funéraire, le véhicule n’est pas déposé dans la sépulture principalement comme un attribut du défunt, susceptible de nous informer sur les fonctions de celuici. Ainsi, dans les tombes à char féminines de La Tène A, le char constitue le support du corps enterré et ne semble revêtir aucune connotation guerrière ». Tout le problème étant de toujours pouvoir distinguer, comme nous le propose l’auteur, entre objets rituels et mobilier funéraire 8. Poux 2004, p. 363-369 et plus particulièrement p. 367. Il règne une certaine confusion dans le texte de M. Poux qui, tout en rejetant apparemment l’idée de l’existence d’une acculturation des élites nord-alpines au symposion gréco-étrusque, pour des raisons purement matérielles (« absence d’amphores [de vin ou présence en trop faible quantité], de cratères ou d’autres indices propres à signaler une consommation de vin »), considère néanmoins que la vaisselle métallique importée ne peut renvoyer qu’à « une adoption partielle et éphémère du symposion classique ». Car ces objets, pour l’auteur, « documentent effectivement l’apparition de nouvelles habitudes de boisson faisant appel au vin importé, plus ou moins fidèlement calquées sur le symposion » (p. 367). La confusion que l’on décèle dans les propos tenus par M. Poux vient du fait que pour l’auteur, « pas plus chez les Celtes que chez leurs voisins Étrusques, Thraces ou Scythes, le festin classique et les nouveaux usages qu’il véhicule ne viennent combler un vide : ils se superposent, chez les peuplades indépendantes qui leur accordent une place, à des traditions festives héritées de la préhistoire » (p. 367). Or, le problème n’est pas de savoir si ces nouvelles pratiques (matérialisées par la vaisselle importée) viennent ou non combler un vide, mais de savoir si la présence de vaisselle importée dans les sépultures des élites peut être ou non interprétée en terme d’acculturation. La réponse à cette question passe nécessairement par un décentrement de la problématique, comme je tente de le faire ici, vers d’autres modes d’interrogation qui ne soient pas uniquement fonctionnels. En s’enfermant dans une approche strictement fonctionnelle, que l’on perçoit nettement dans le lien étroit que l’auteur établit entre vin et fonction de la vaisselle importée, et qui lui permet de remettre en cause, mais en partie seulement (faute d’une absence absolue de toute trace d’amphore au nord des Alpes), l’idée d’une adoption du symposion gréco-étrusque, M. Poux, et nombre de ses devanciers ou de ses contemporains, s’est interdit d’aborder sous l’angle identitaire la présence de ces objets exotiques dans les tombes des élites nord-alpines 9. À propos d’un des trois lions ornant le bord du chaudron de Hochdorf, J. Biel (1988, p. 155 et 159) a cette remarque particulière qui en dit long sur la perception moderne que l’archéologue a généralement des objets anciens : « Un des lions a été perdu et remplacé par un artisan local. Cette réparation de par la manière dont elle a été exécutée, montre le peu de respect apporté à ces objets étrangers de grand prix » ; cf. également les remarques de B. Bouloumié (1988, p. 356-357) 10. ou qui n’étaient pas en mesure d’en apprécier tout le lustre, puisque qu’il est fort possible que la plupart des objets déposés dans les sépultures princières du Hallstatt D étaient emballés de plusieurs épaisseurs de tissus avant leur dépôt définitif dans la tombe, comme semble l’indiquer la présence très fréquente de restes de tissus sur nombre d’entre eux, et surtout la nouvelle évaluation du dépôt funéraire de la sépulture d’Hochdorf dont on sait désormais, grâce à un réexamen attentif du mobilier funéraire, que l’ensemble des objets, ainsi que le défunt, avaient été entièrement emmaillotés de plusieurs épaisseurs de tissus, sans doute avant leur mise au tombeau, cf. Banck-Burgess (1999, Abb. 4) 11. Les poignards seraient plutôt des armes d’apparat que de véritables armes de combat, tandis que les pointes de flèche et les rares fers de lance trouvés dans certaines sépultures aristocratiques se rapporteraient plutôt à des armes de chasse 12. Ce qui fut fort probablement le cas de la vaisselle métallique méditerranéenne, comme en témoigne la tradition pluriséculaire de la consommation de boissons alcoolisées en Europe occidentale et centrale, cf. en dernier lieu Poux (2004, p. 365-367)

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13. Pour la période homérique, on se rapportera avec intérêt au discours de Sarpédon qui justifie ainsi les privilèges obtenus auprès de la communauté : « Glaucos, pourquoi donc nous honore-t-on, tous deux, plus que les autres, par les places de choix, les portions de viande et les coupes pleines, en Lycie ? Pourquoi tous nous regardent-ils comme des dieux et possédonsnous, sur les rives du Xanthe, d’un grand domaine, beau par ses vergers et ses terres à blé ? Maintenant il nous faut, au premier rang des Lyciens, debout, affronter la chaude bataille, pour qu’on dise, parmi les Lyciens strictement cuirassés : “ Ce n’est pas sans gloire qu’ils gouvernent la Lycie, nos rois ; ils mangent des moutons gras, avec des vins choisis, doux comme le miel ; mais leur vigueur aussi est excellente, puisqu’ils combattent au premier rang des Lyciens.” Si en effet, mon bon ami, à condition d’échapper à cette guerre, nous devions toujours être exempts de vieillesse et de mort, moi-même je ne combattrais pas au premier rang, et toi, je ne t’emmènerais pas dans la bataille glorieuse ; mais, puisque de toutes façons, les divinités de la mort se dressent près de nous par milliers— allons, donnons de la gloire à autrui, ou qu’il nous en donne. » (Iliade XII, 310-329, trad. E. Lasserre 1958) 14. cf. É. Scheid-Tissinier (1994-1995, p. 410), pour les différentes modalités de circulation des biens de prestige dans la Grèce homérique

RÉSUMÉS

Durant les deux âges du Fer, entre le VIIIe et le Ier s. av. J.-C., la politique des dépôts funéraires en Europe occidentale a connu différentes amplitudes dont la plus caractéristique, celle du VIe s., se confond avec l’émergence du système princier du Hallstatt final. Le faste des dépôts retrouvés dans les tombes dites princières, comparativement à l’apparente modestie des dépôts funéraires des périodes antérieures ou postérieures, a donné lieu à l’élaboration de différents modèles d’organisation sociale. Certains chercheurs y ont vu la manifestation d’une concentration du pouvoir entre les mains d’un nombre toujours plus restreint de chefs de plus en plus riches ou la manifestation d’une complexification sociale qui se serait traduite par l’émergence d’un niveau hiérarchique supplémentaire. Les différents modèles proposés se fondent cependant sur une lecture directe des dépôts funéraires. Selon une attitude largement répandue, l’objet est considéré dans sa dimension fonctionnelle primaire. C’est-à-dire qu’il sera analysé et interprété en fonction de l’emploi qui lui est traditionnellement reconnu dans la vie quotidienne et ce, quel que soit le contexte de découverte. C’est par ce processus de rapprochement analogique que la fonction des objets est déterminée et que des conclusions sont tirées sur la fonction et le rôle des élites. Il en va ainsi des objets méditerranéens, découverts dans des contextes funéraires protohistoriques d’Europe occidentale. L’approche présentée ici procède d’une démarche nouvelle et différente qui tient compte du double processus d’appropriation d’objets nouveaux par les élites, à la fois comme marqueurs de l’identité individuelle, et comme marqueurs de l’identité collective. Ce processus qui se combine avec un mouvement également sans fin de composition et de recomposition des assemblages funéraires à chaque étape chronologique, est apparu comme étant le seul véritablement apte à interroger l’objet dans sa dimension sociologique et à répondre ainsi aux préoccupations légitimes d’une archéologie du social en devenir.

During the whole span of the Iron Age, from 8th to 1st century BC, the funerary deposits in Europe underwent various changes, the most characteristic of which squares with the emergence of the princely system in the final Hallstatt period (6th century BC). The splendour of the burial

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deposits found in princely tombs, compared to the apparent modesty of those in previous or subsequent periods, has given rise to the elaboration of different social models. Some scholars interpret these findings as the concentration of power in the hands of a restricted number of chiefs, becoming more and more wealthy ; or as the manifestation of a social model becoming more complex by the emergence of an additional hierarchical rank. These models are however based on the direct analysis of funerary deposits. Generally, funerary objects are analysed in accordance with their primary function, meaning that they are interpreted according to their traditional use in everyday life, whatever the discovery context. It is via this analogical comparison that the function of objects can be determined and conclusions are thus drawn about the role played by the elite. Objects of Mediterranean origin, found in funerary protohistorical contexts in Western Europe have been studied using this basis. This paper underlines a new approach that takes into consideration the double appropriation of new objects by the elite, as markers of both individual and collective identity. This process combined with a perpetual revision of the composition of burial sets from each chronological phase, appears to be the most appropriate method to examine objects in their social dimension and thus answer legitimate concerns for the emergence of a more socially orientated archaeology.

AUTEUR

LUC BARAY CNRS - UMR 5594 ARTeHIS, 5 rue Rigault, F-89100 Sens — [email protected]

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Postface La mort, le mort, les morts et les autres. Remarques d’anthropologue

Pierre Lemonnier

1 Sauf à être un forcené du principe de Peter1, l’anthropologue de terrain ne peut répondre à la proposition de « réagir » aux textes archéologiques qui précèdent qu’en parlant... d’autre chose. Ou, plutôt, d’autres choses que des propositions d’interprétation avancées ici à propos de restes de corps sans vie, de plans de sites archéologiques, d’objets, de traces d’usure ou de fracture, de types de biens sépulcraux, etc.

2 Certes, ainsi que le rappellent d’emblée les éditeurs du volume, une sépulture, c’est généralement d’abord des fragments modifiés d’un ou plusieurs corps humains2. Et, assurément, l’anthropologue du lointain rencontre bien assez de corps sans vie pour confirmer que l’article de Hertz (1970) reste le pilier de la description et de l’analyse sociologique des pratiques mortuaires. Comme le savent évidemment les archéologues (Olivier 2003, p. 106-108), de toutes les activités humaines, la mort est celle dont le traitement collectif plonge le plus dans les profondeurs de l’expérience individuelle du monde. C’est sans doute la raison pour laquelle les pratiques mortuaires s’inscrivent étroitement dans un schéma universel de transformation des relations au mort largement commun aux individus et aux sociétés (Lagache 1938 ; Lemonnier 2006, p. 171-177). La façon dont la structuration du psychisme individuel a pu influencer l’élaboration collective inconsciente (?) de rites comme ceux qui accompagnent la mort reste certes un mystère, mais la succession des opérations mentales et des procédures matérielles par lesquelles les hommes écartent l’un des leurs de leur monde tout en rendant son absence vivable constitue l’un des plus sûrs repères pour l’analyse des rites de mort, ici et là, maintenant et hier. Partout, la nécessaire durée du deuil, qui suit plus ou moins les modifications des composantes physiques et immatérielles de la personne, l’ambiguïté des sentiments envers le mort, le désir de lui ressembler, etc., s’imposent aussi bien au sujet qui perd un être cher qu’à la société qui doit réorganiser ses relations avec un disparu. Il n’y a pas tant manières de s’arranger avec la disparition d’un membre d’un groupe et c’est là un atout remarquable pour l’archéologie qui peut, mieux qu’en d’autres domaines (rapports hommes/femmes, chamanisme pour citer les plus aventureux), s’appuyer sur cette « boîte à outils conceptuels » (introduction) qu’est

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l’anthropologie pour élaborer des modèles plausibles (Gardin 1979) rendant compte des données qu’elle ordonne.

3 Les textes qui précèdent ne s’en privent pas, qui parlent de « passage » du mort vers l’au-delà, d’inhumation secondaire, de viatique, de repas collectifs des deuilleurs ou du souci d’équiper le corps du mort avec des attributs de son statut d’ancien vivant. Ce faisant, chacun considère à juste titre que, pour les personnes concernées, tous les gestes effectués, paroles prononcées et objets manipulés à l’occasion d’un décès impliquent trois types d’acteurs : le mort lui-même, les vivants, et les morts anciens, notamment sous la forme de ces ancêtres que certains d’entre eux sont devenus.

4 Le mort, d’abord, est lui-même au centre des relations directes – pour nous partiellement imaginaires – que les deux autres catégories d’acteurs (les vivants et les autres morts) ont avec lui. Il s’agit alors du traitement physique de son corps, de la prise en compte de sa transformation vers et dans un autre monde, ou bien des ruses des vivants pour lui plaire et s’épargner son courroux, mais aussi de l’accueil qu’on lui réserve là où vont les morts. Comme l’indiquent l’ethnologie et l’histoire, pour ceux qui gèrent un décès, l’une des fonctions plus ou moins explicites de l’affichage du statut du défunt et des objets qui le côtoient dans sa sortie de ce monde est d’accompagner la transformation que subit sa personne pour accéder à l’univers des morts. On pourrait ajouter que les dépôts d’objets, notamment d’objets brisés, participent également de cette ambiguïté des relations avec le cher disparu : détruire un objet lui appartenant ou se priver d’un bien précieux, c’est autant « lui faire plaisir », comme disent les montagnards de Papouasie chez lesquels j’enquête, ou marquer à quel point on est désolé de son triste sort, que minimiser son désir de vengeance envers des vivants qui ne seraient pas assez ravagés de douleur par sa perte ou peu enclins à régler comme ils le doivent toutes sortes de dettes envers les proches qu’il laisse derrière lui.

5 Quant aux morts anciens, pour importantes que soient leurs actions dans ce monde, par exemple lors de séances de divination qui leur donnent la parole par la bouche de médiums ou lorsque leur retour temporaire parmi les vivants est mis en scène par ces derniers, elles restent matériellement discrètes ; en tout cas raisonnablement hors de portée des archéologues tant qu’aucun texte ou image ne vient à l’appui d’un modèle interprétatif.

6 En revanche, les interactions que les vivants ont entre eux à propos d’un décès sont davantage susceptibles de laisser des traces interprétables. Les phénomènes sociaux en cause ne sont plus alors directement liés au rite mortuaire lui-même et aux soins dont on entoure les composantes de la personne décédée, mais aux relations entre les membres de la communauté des vivants, que ceux-ci cherchent à actualiser, modifier, renforcer, créer ou éteindre par référence à lui, et non plus, cette fois, en agissant sur lui ou pour lui. Sont alors en jeu des relations (économiques, politiques, identitaires) entre groupes sociaux où se dévoilent communément certains aspects des rapports entre hommes et femmes, riches et pauvres, puissants et dominés, groupes locaux et étrangers. L’accumulation des données de fouille(s) conduit donc logiquement l’archéologie funéraire – et nombre des textes rassemblés ici – à repérer des évolutions de trouvailles et d’assemblages archéologiques au cours du temps qui, à leur tour, permettent d’imaginer des changements d’organisation sociale, voire de proposer des hypothèses sur les causes de ces changements.

7 Faute de connaître la littérature et sans expérience de la fouille ou de la critique des documents archéologiques, l’anthropologue n’a pas de compétence particulière pour

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commenter des modèles ou des interprétations dont il pourrait au mieux apprécier la vraisemblance. Tout juste pourrait-il compliquer la situation avec l’arrogance de celui qui a vu « en vrai » des rites mortuaires dans une société en marge de la modernité.

8 Par exemple je me garderai bien d’ajouter une famille d’hypothèses au registre déjà bien fourni des dons et de la circulation des biens repérables à l’occasion d’un décès ou d’une cérémonie mortuaire. Au-delà des interprétations discordantes privilégiant l’accumulation (visible) de biens funéraires à la redistribution (invisible) des biens qu’on ne trouve ... pas ou plus dans les sépultures, il serait peut-être en effet envisageable pour l’archéologie de se pencher sur le retrait volontaire de ces objets de l’échange, afin de rendre possible la circulation d’autres objets par référence à ces biens immobilisés à jamais auprès d’une dépouille, comme à autant de points fixes de la culture et d’échanges qui ne relèvent pas tous du sacro-saint potlatch (Godelier 1996, Weiner 1992) ? Les objets détruits ou mal finis et les dînettes retrouvées dans les sépultures reçoivent diverses interprétations, mais la sacralisation d’une catégorie d’objets par enfouissement auprès d’un mort éminent mérite peut-être de faire l’objet d’hypothèses interprétatives ?

9 Et je me retiendrai tout autant de faire un peu facilement remarquer que nombre de différences d’organisation sociale pourtant en rapport direct avec la mort ne laisse aucune trace dans le sol. Ainsi, chez les Anga de Papouasie Nouvelle-Guinée, rien ne distingue une sépulture baruya d’une sépulture ankave, alors même que les formes d’imputation du malheur (et de la mort, la sorcellerie notamment) sont profondément différentes, qu’elles retentissent jusque dans l’organisation matérielle des rites de mort et sont liés à des aspects centraux de la culture, de l’organisation sociale et de la vision du monde de ces groupes pourtant semblables en apparence. D’une sépulture ankave, un archéologue observerait sans doute qu’elle est individuelle, située dans une zone cultivée, sans doute un jardin domestique, et n’« affiche » rien du statut du mort et de ses parents, si ce n’est qu’ils vivaient probablement dans une société égalitaire. Mais, faute de retrouver l’arc ou le bâton à fouir qui maintenait jadis le corps assis sur une plateforme, plus rien ne signale un marquage différentiel du genre, en effet fondamental chez tous les Anga. Surtout, rien ne resterait des rites de morts élaborés qui distinguent radicalement les Ankave d’autres membres du groupe linguistique anga auquel ils appartiennent (Lemonnier 2006).

10 Ces rites sont rapidement expédiés par les Baruya, ils sont complexes et mobilisent hommes et femmes par dizaine des jours et des nuits durant chez les Ankave, pourtant membre du même groupe culturel et linguistique, à quelques vallées de là (Lemonnier 2006). Pour eux, les morts anciens sont au centre des longs rituels mortuaires qu’ils ont donné aux humains, mais faute d’y déposer les tambours de bois qu’on fait résonner nuit après nuit, rien, dans la sépulture d’un Ankave ne permettrait de repérer les lourdes différences de pratiques sociales et d’imaginaire qui distinguent radicalement ses funérailles comme sa vie quotidienne de celles de ses cousins Baruya. Un corps ankave est aujourd’hui posé en terre, nu, sans lien ni linceul ni objets. Refermez la tombe et tant pis pour les archéologues de demain ! Et maintenant que l’État interdit qu’on laisse pendant un ou deux ans les corps sur une plate-forme mortuaire construite dans un jardin, il n’est même plus besoin de rassembler les os dégringolés sur le sol dans la première cordyline ou arbre venu à titre de « secondes funérailles ». Autant pour les traces de funérailles secondaires. Bref, les limitations que l’interprétation de témoins matériels qui sont autant de bribes de passé doit raisonnablement s’imposer

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sont bien connues et le catalogue de pratiques « cruciales mais invisibles pour l’archéologie » que chaque anthropologue pourrait réciter ne présente guère d’intérêt, au-delà de cette banale constatation que la meilleure archéologie ne saurait tout dire d’une organisation sociale, d’un système de pensée ou de relations intergroupes.

11 L’anthropologue peut en revanche proposer de parler d’aspects de la vie collective que nombre de sociétés associent à la mort, mais que l’archéologie laisse largement – toujours ? – de côté. On me dira que le risque est grand de faire là encore allusion à des pratiques qui échappent à la reconstitution archéologique ? Peut-être. En tout cas, les pratiques sociales dont j’aimerais maintenant rappeler l’existence et la fréquence ne sont ni plus ni moins visibles que ces rites d’initiation et usage rituel d’actes techniques parfois prudemment évoqués dans les pages qui précèdent.

12 Ce qui frappe l’anthropologue à la lecture des textes du présent volume, c’est l’absence de référence à un registre d’activités humaines et de logiques sociales qui, tout en parlant bel et bien de vie et de mort à l’occasion d’un décès, ne concernent ni la mort en tant qu’elle est une affaire de défunt(s) à gérer ni la mort en tant qu’elle permet aux vivants de déployer ou signaler toutes ces stratégies de pouvoir, statuts ou fondements locaux de l’ordre social qui nourrissent la réflexion archéologique. Ces diverses allusions à la mort qui interviennent au moment d’un décès ne laissent pas forcément de traces matérielles, mais, pour ce que l’anthropologue en voit, elles n’en imbibent pas moins chaque instant d’une veillée mortuaire, du traitement d’un cadavre, d’un deuil ou d’une cérémonie de secondes funérailles, pour ne rien dire d’autres aspects de la vie plus quotidienne. Et autant en dire deux mots.

13 D’une façon générale, toute mort intervient dans le cadre général d’un système d’imputation du malheur. Pourquoi ce décès ? Comment ? Qui est responsable ? La mort n’est alors qu’un élément parmi d’autres calamités de la vie : accidents, maladies, cataclysmes, sorcellerie, combats. Penser la mort qui vient de survenir, c’est, simultanément, penser toutes sortes de désordres des corps (et des esprits) et de désordres sociaux. Sur les lieux mêmes d’une veillée mortuaire, par exemple, on pourra effectuer une séance de divination, interroger une sorcière ou un sorcier présumés, réaliser une cure de soins collectifs, préparer des offrandes à quelque entité surnaturelle ou apaiser un sorcier, chercher la vengeance ou la paix. Autant de pratiques qui ne sont pas sans laisser des traces matérielles.

14 La connaissance de l’invisible et de l’action dans un monde imperceptible pour le commun des mortels tient ici une place de choix. Quel que soit le nom qu’on leur donne – magiciens, devins, chamanes, voyants –, des spécialistes de l’invisible sont invités à préciser les causes des décès et, plus généralement, des plaies de la vie, fatales ou non. Or ces causes du malheur sont multiples et organisées en systèmes où, tout en conservant une large part d’incertitude et d’ambiguïté, les responsabilités de divers acteurs sont mises en regard de divers maux et de divers contextes. Il en résulte qu’il serait erroné de penser séparément les unes des autres ces diverses sources du malheur et leurs « raisons » variées. Même chose pour les divers spécialistes, d’ailleurs souvent ambigus, car autant capables de bien que de mal, qui ont pour fonction d’agir dans un monde invisible pour le commun des mortels. Autour d’un décès, ce sont autant des chamanes que des devins qui s’activent, mais aussi des guerriers dotés de pouvoirs surnaturels ou des sorciers que l’on prie de bien vouloir faire cesser un maléfice.

15 Mentionner les chamanes parmi ces spécialistes qui s’assemblent autour d’une sépulture n’est pas ici une occasion de soutenir l’idée que de tels personnages ont pu

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être au centre d’une prétendue proto-religion, mais seulement de donner un exemple des manières détournées dont les aspects les plus divers de la vie sociale s’articulent avec la mort. Dans le modèle classique du chamanisme – j’allais dire le seul, celui du chamanisme sibérien, étudié par Hamayon (1990) –, les éléments de la vie sociale, d’échange et de représentations qui s’accrochent à un décès concernent un commerce d’âmes entre humains et maîtres du gibier. Les chamanes négocient des âmes humaines contre du gibier pour les hommes tout en essayant de retarder la livraison des premières. Loin du chamanisme sibérien, les innombrables cas ethnographiques où des êtres pseudo-humains ou associés aux morts ont à voir avec du gibier sont autant d’exemples de ces activités profondément liées à la mort mais parlant aussi de tout autre chose. Les exemples amérindiens ou néo-guinéens abondent.

16 Parler de Nouvelle-Guinée, c’est encore évoquer un autre imbroglio d’actions, de pensées et de logiques sociales que nombre de sociétés de cette partie du monde enrôlaient dans des affaires de vie, de mort et de guerre à l’occasion d’un décès. Sur la côte sud de la grande île, ce sont la chasse aux têtes, les initiations masculines, la circulation de substances vitales captées hors du groupe et la fertilité du monde qui étaient en jeu lors d’un décès. Bien loin de là, chez ces Baruya dont j’ai dit plus haut qu’on aurait bien du mal à comprendre en quoi ils diffèrent de leurs cousins ankave au seul vu de leurs sépultures, la guerre est potentiellement liée au moindre décès, pour cette bonne raison que c’est vers le territoire des ennemis qu’un chamane expédie les vecteurs mortifères qu’il extrait du corps d’un malade. Et comme les chamanes participent aussi directement à la guerre en désignant le groupe responsable d’une maladie, mais aussi en allant dévorer le foie de leurs homologues chez l’adversaire, on voit que, là encore, gérer une mort, ce n’est pas seulement s’occuper du devenir des composantes de la personne, c’est aussi régler – rétablir ? –, des relations entre groupes.

17 Il est à peine besoin de rappeler qu’en Nouvelle-Guinée, en plus d’être une forme élémentaire de la sociabilité lorsque autrui apporte sa présence et son soutien à une action collective comme un deuil, nombre de festins sont soit un moyen de compter ses alliés, soit une occasion de faire la paix (notamment en compensant par de la nourriture ou des dons de porc(s) ou de richesse les vies des tués au combat, lorsque le système de pensée local admet une telle équivalence entre des personnes et des choses), soit encore un moyen de rivaliser par les dons de nourriture au lieu de rivaliser par les coups. Rivaliser pour avoir la paix et moins de tués au combat, et non pas rivaliser pour afficher un pouvoir supérieur à celui du voisin ou sa seule capacité à accumuler ou redistribuer des richesses. Comme on le voit, il s’agit là encore d’actions et de registres de pensée dont la mort et les cadavres ne sont pas éloignés mais qui parle de tout autre chose que du voyage au pays des morts, d’identité ou de statut. Les repas funéraires ne sont certainement pas qu’une façon de valider son statut, d’étaler sa richesse ou de souligner un fondement du pouvoir, mais un moyen de transformer des relations entre groupes qu’un décès a tendues en une négociation ou une compensation (y compris au sens banquier du terme) de dettes de vie ou de mort. Et il ne s’agit pas de seulement de rappeler ou de légitimer un principe de pouvoir sur autrui (celui, limité, des organisateurs de festins), mais bien d’exercer pleinement la fonction qui lui est associée.

18 Et alors ? Ces activités humaines relatives à la mort laissent-elles des traces matérielles susceptibles d’alimenter l’analyse et la modélisation archéologique ? Je n’en sais rien.

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Mais ces exemples ethnographiques nous rappellent deux aspects des réalités sociales mobilisées autour de la mort.

19 D’abord, il n’y a pas de « d’abord ». Il n’existe pas de domaine de la vie sociale qui s’imposerait plus qu’un autre lorsqu’un décès vient alimenter, raviver, des relations entre les hommes, ou entre eux et les êtres dont ils peuplent le monde, au milieu de discours, d’assemblées, de festins, de dons, d’objets et d’activités techniques entrelardées de rituels. Ce qui se joue et s’active autour et à propos d’une mort, c’est un système de pensées et d’actions où se mêlent le sort du mort et des stratégies des vivants et qui renvoie potentiellement à la guerre, à la maladie, à la paix, à la chasse, etc.

20 Ensuite, on aurait tort de penser que la dette, le don, le pouvoir et l’identité, ou encore le voyage du mort vers l’au-delà sont les seules préoccupations/actions collectives mises en gestes et en matière lorsque survient un décès ou lorsqu’il s’agit de composer avec les morts anciens. Au-delà des « rites de mort », ce ne sont alors ni le mort, ni les morts qui sont directement en jeu, mais la mort. La mort à la fois en tant que cause du malheur et comme conclusion d’une forme de vie qui ne sera plus et qu’il y a lieu de traiter en tant que telle, d’expliquer, d’imputer et de compenser dans des pratiques matérielles et imaginaires où les affaires de riches et de pauvres, de légitimité des acteurs ou d’identité ne sont qu’à la marge de ce qui se met en gestes et en paroles.

NOTES

1. « Avec le temps, tout poste sera occupé par un incompétent incapable d’en assumer la responsabilité. » (Peter & Hull 1969) 2. Généralement. À Samoa, la sépulture pourrait contenir le petit morceau de natte cérémonielle enveloppant l’insecte quelconque ramassé en lieu et place d’un disparu en mer, mais ne compliquons pas tout !

AUTEUR

PIERRE LEMONNIER Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie-CREDO (UMR 6574), Maison Asie Pacifique, Campus St Charles, 3 Place Victor Hugo, 13003 Marseille — [email protected]

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