En Allemagne, la CDU d’ ébranlée par la corruption

Des élus du parti d’Angela Merkel ont touché des commissions, en particulier sur des achats de masques. Les liens avec l’Azerbaïdjan de certains parlementaires conservateurs ont également été dévoilés.

Par Thomas Wieder(Berlin, correspondant) Publié hier à 11h31, mis à jour hier à 13h00 Temps de Lecture 4 min. ● Favoris ● Ajouter aux favoris ● Partage ● Partager sur Facebook ● Envoyer par e-mail ● Partager sur Messenger ● Plus d’options

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La chancelière allemande, Angela Merkel, à Berlin, le 25 mars. MICHAEL KAPPELER / VIA REUTERS Niels Korte a déjà essayé trois fois, en vain, de se faire élire au . Il comptait retenter sa chance cette année. Ce ne sera pas le cas. Mardi 30 mars, cet avocat, membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, a annoncé qu’il renonçait à se présenter aux élections législatives du 26 septembre à Berlin. La raison : au printemps 2020, il serait intervenu pour que le ministère de la santé achète des masques de protection à une société dans laquelle il détient des parts. Un contrat de 20 millions d’euros, selon le quotidien Die Welt.

La réaction de la CDU n’a pas tardé. Tout en assurant que M. Korte n’avait « aucun reproche à se faire », le parti a salué son « sens des responsabilités » dans un contexte où la confiance doit être « la valeur centrale » de la vie politique. « Or, les révélations des derniers jours menaçaient de saper cette confiance », a commenté la CDU, manifestement soulagée par ce retrait, qui lui évite de présenter, à Berlin, un candidat soupçonné d’affairisme. Même si celui-ci, jusqu’à présent, n’a pas été inquiété par la justice.

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Le cas de M. Korte n’est pas isolé. Depuis février, chaque semaine est marquée par de nouvelles révélations dans ce que les médias allemands ont baptisé « l’affaire des masques ». Les histoires sont similaires : des élus membres de la CDU ou de son alliée bavaroise, la CSU, soupçonnés d’avoir servi d’intermédiaires entre des fabricants de masques et les autorités. Quatre d’entre eux sont accusés d’avoir empoché plusieurs centaines de milliers d’euros de commission et font l’objet d’enquêtes pour corruption. C’est notamment le cas d’un ancien ministre de la justice du Land de Bavière, l’avocat Alfred Sauter (CSU), qui aurait monnayé ses services pour 1,2 million d’euros.

Contraindre à davantage de transparence A six mois des législatives, un autre scandale de corruption secoue la droite allemande, cette fois en lien avec l’Azerbaïdjan. Le 11 mars, l’élu CDU de Thuringe – dont on a appris depuis qu’il était également impliqué dans « l’affaire des masques » – a ainsi démissionné de son mandat de député après que le Spiegel a révélé qu’un journal régional dont il est le directeur avait touché 16 000 euros pour un publireportage célébrant le capital touristique de Bakou et de sa région.

Une semaine plus tôt, le Bundestag avait levé l’immunité parlementaire de son collègue Axel Fischer (CDU), lui aussi accusé d’avoir touché des pots-de-vin d’Azerbaïdjan. Une troisième députée CDU, Karen Strenz, était également visée par une enquête pour blanchiment d’argent dans la même affaire. Mais elle est morte, le 21 mars, après avoir fait un malaise lors d’un voyage en avion entre Cuba et l’Allemagne.

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Face à ces révélations en série, les dirigeants de la CDU et de la CSU ont décidé au plus vite de se débarrasser de leurs élus mis en cause : depuis février, le groupe conservateur du Bundestag a ainsi perdu quatre de ses membres (sur 246). Après s’y être opposé pendant des années, le parti de Mme Merkel s’est également résolu à ce que les activités des lobbys et les rémunérations des députés soient plus strictement encadrées.

Outre l’adoption d’une loi obligeant les lobbyistes professionnels à s’inscrire sur un registre tenu par le Bundestag et consultable par le public, la CDU-CSU a ainsi trouvé un accord avec le Parti social-démocrate (SPD), son partenaire au sein de la grande coalition au pouvoir à Berlin, pour contraindre les députés à davantage de transparence.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi La droite allemande se fait peur à six mois des élections législatives Adopté jeudi 26 mars, le texte prévoit notamment que tous leurs revenus annexes, dès lors qu’ils dépassent 1 000 euros par mois, soient signalés au centime près. Les députés devront également divulguer toute participation dans une société si elle est supérieure à 5 % du capital de celle-ci (contre 25 % jusqu’à présent). Enfin, il leur sera désormais interdit de se faire rémunérer pour des activités de conseil en lien avec les dossiers dont ils s’occupent au Bundestag.

Affaires plus nombreuses chez les conservateurs

A l’orée de la campagne des législatives, ces révélations sont du pain bénit pour l’opposition. « Aucun parti n’est à l’abri de faux pas commis par des individus. Mais, dans le cas de la CDU-CSU, tout laisse penser que c’est un problème structurel », a ainsi déclaré le président des Verts, Robert Habeck, début mars. « Les caisses noires, le lobbyisme et la corruption sont une vieille tradition à la CDU-CSU », a également réagi la présidente du parti de gauche Die Linke, Janine Wissler. Une allusion à l’affaire dite des « amigos » (« amis »), qui poussa à la démission le ministre-président de Bavière, Max Streibl (CSU), en 1993. Mais aussi au scandale des « caisses noires » de la CDU, qui éclaboussa les fidèles de l’ancien chancelier (1982-1998) et précipita l’élection d’Angela Merkel à la tête du parti, en 2000.

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De fait, même si des élus d’autres formations politiques ont été accusés de malversations ou de conflits d’intérêts ces dernières années en Allemagne, c’est chez les conservateurs que les affaires de ce type ont été les plus nombreuses, et ce pour deux raisons qui se combinent : leur longévité au pouvoir, tant au niveau fédéral que dans les Länder, et leurs liens avec le secteur privé.

En août 2020, le Spiegel et l’ONG Abgeordnetenwatch ont ainsi révélé que 30 % des membres du Bundestag exercent au moins une activité rémunérée en plus de leur mandat électif (pour lequel ils reçoivent une indemnité mensuelle de 10 383 euros). Après les libéraux-démocrates (FDP), qui sont 53 % à déclarer des revenus annexes, les plus nombreux à exercer une activité dans le privé sont les députés de la CSU (50 %), suivis de ceux de la CDU (36 %), du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (23 %), du SPD (23 %), de Die Linke (19 %) et des Verts (13 %). Thomas Wieder(Berlin, correspondant)