L’indépendance de la Couronne canadienne Une question de droit et de conventions

Mémoire

Julien Fournier

Maîtrise en droit Maître en droit (LL. M.)

Québec, Canada

© Julien Fournier, 2017

L’indépendance de la Couronne canadienne Une question de droit et de conventions

Mémoire

Julien Fournier

Sous la direction de :

Patrick Taillon, directeur de recherche

Résumé

Ce mémoire explore les règles distinguant, tant dans sa dévolution que dans l’exercice de ses pouvoirs, la Couronne du Canada de la Couronne britannique. Le droit canadien constitue et encadre tous les organes de l’État, et, au premier chef, la Couronne, par des règles de droit et des conventions constitutionnelles que ce mémoire se fixe comme objectif d’identifier. Il s’agit donc de mettre en lumière comment la Couronne, pourtant indivisible à l’échelle de l’Empire à l’époque impériale, est devenue divisible lors de l’accession du Canada à l’indépendance. Pour ce faire, ce mémoire procède à l’étude du droit relatif à la Couronne partagé par le Royaume-Uni et ses anciens Dominions ainsi que celle de l’évolution des organes habilités à régir, et à faire agir, la Couronne au Canada.

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Abstract

This memory explores the rules that distinguish the Crown of Canada from the British Crown, both in its demise and in the exercise of its powers. Canadian law establishes and manages all State organs, and primarily the Crown, by rules of law and constitutional conventions that this memory intends to identify. The intent is, therefore, to highlight how the Crown, though indivisible through the Empire at its heyday, has became divisible at Canadian independence. It is done by the study of law related to the Crown shared by the and its late Dominions and the evolution of the organs that can legislate on, and make act, the Crown in Canada.

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Table des matières Résumé ...... iii Abstract ...... iv Remerciements ...... vii Introduction ...... 1 1 Les règles constitutives de la charge de Reine à l’époque impériale ...... 27 1.1 Aux origines de la monarchie : les règles de common law ...... 28 1.2 Les lois impériales fondamentales ...... 38 1.2.1 La souveraineté du Parlement : le Bill of de 1689 ...... 38 1.2.2 Une succession régie par le droit légiféré : l’Act of Settlement de 1701 ...... 40 1.2.3 L’évolution des Couronnes écossaise et anglaise : de l’union personnelle aux Unions Acts de 1706-1707 ...... 44 1.2.4 La Couronne irlandaise et l’Union with Act 1800 ...... 47 1.2.5 L’exigence du consentement aux mariages royaux : le Royal Marriages Act de 1772 ...... 48 1.3 L’application du droit d’Angleterre et des lois impériales au Canada ...... 49 1.4 L’indivisibilité formelle de la Couronne impériale ...... 55 1.4.1 L’origine de la règle d’indivisibilité ...... 55 1.4.2 La reconnaissance de l’indivisibilité de la Couronne impériale ...... 60 1.4.3 La Couronne et ses gouvernements : la divisibilité fonctionnelle de la Couronne à l’époque impériale...... 76 1.5 Conclusion : la continuité de la charge et le maintien de la suprématie de Westminster ...... 80 2 La divisibilité de la Couronne impériale britannique ...... 83 2.1 La divisibilité conventionnelle de la Couronne impériale ...... 84 2.1.1 L’état des conventions lors de l’Union de 1867 ...... 85 2.1.2 L’avènement de la souveraineté exécutive canadienne ...... 88 2.1.3 Les effets contemporains de la divisibilité conventionnelle : l’affaire Black c. Chrétien ...... 94 2.2 L’avènement de la divisibilité formelle de la Couronne impériale ...... 98 2.2.1 Une divisibilité formelle avant le Statut de Westminster? ...... 99 2.2.2 Le Statut de Westminster : l’indépendance législative du Canada ...... 103 2.2.3 L’application du Statut de Westminster : l’abdication du Roi Édouard VIII en 1936 ...... 117 2.3 Le parachèvement de la divisibilité formelle de la Couronne impériale ...... 136 2.3.1 Le dernier soupir de l’Empire : la doctrine inter se et son rejet ...... 136 2.3.2 La mise en œuvre de la divisibilité formelle de la Couronne impériale au Canada ...... 145 2.3.3 La reconnaissance de la divisibilité formelle par les titres royaux ...... 150

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2.3.4 La reconnaissance de la divisibilité formelle par la jurisprudence et la doctrine modernes ...... 160 2.3.5 De la Loi de 1982 sur le Canada à la Loi de 2013 sur la succession au trône : l’autonomie du droit canadien relatif à la Couronne? ...... 166 Conclusion ...... 178 Bibliographie ...... 185

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Remerciements

Je dois avant tout remercier le professeur Patrick Taillon, de m’avoir fait confiance dès ma première année au baccalauréat en me confiant d’importantes recherches en qualité d’auxiliaire. De m’avoir ensuite permis de publier avec lui, notamment sur le droit relatif à la Couronne dans Le Parlement et la Couronne au Canada. De m’avoir invité à co-enseigner avec lui le cours DRT-2203 : Séminaire : Charge et prérogatives de la Couronne à l’automne 2016 à notre Faculté, ce qui m’a permis de réfléchir sur bien des aspects de ce mémoire. Pour tout son soutien et ses encouragements.

Je remercie les professeurs Geneviève Motard et Patrick Taillon, ainsi que Mes André Joli-Cœur, Jean Fortier et André Binette, de m’avoir fait confiance, de m’avoir fait participer et donner mon avis dans l’affaire Motard c. Procureure générale du Canada, et ainsi saisir la réalité du litige constitutionnel.

Je remercie le professeur Pierre Issalys de m’avoir transmis la passion de l’histoire du droit public et des aspects « constitutionnels » du droit administratif. Je remercie le professeur Pierre Lemieux et lui de leurs judicieux commentaires lors de l’atelier de présentation du projet de ce mémoire et lors de son évaluation.

Je remercie l’étude Norton Rose Fulbright Canada, s.e.n.c.r.l., de m’avoir permis de travailler à temps partiel et de repousser quelque peu mon stage du Barreau afin de réaliser mes études de maîtrise en droit.

Je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, dans le cadre du Programme de bourses d’études supérieures du Canada Joseph- Armand-Bombardier au niveau de la maîtrise (BESC M), le Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ-Laval), ainsi que la Faculté de droit de l’Université Laval, de leur soutien financier.

Je tiens à remercier finalement ma conjointe, Mylina, ainsi que mes parents, Luce et Gilbert, ma sœur, Corinne, et ma belle-mère, Milaine, de leur soutien indéfectible tout au long de mes études supérieures.

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Introduction

Quand nous faisons une Révolution, nous ne détruisons pas notre maison, nous en conservons avec soin la façade et, derrière cette façade, nous reconstruisons une nouvelle maison. Vous, Français, agissez autrement : vous jetez bas le vieil édifice et reconstruisez la même maison avec une autre façade et sous un nom différent1.

Comme le disait Jean-Charles Bonenfant en 1963, la Couronne « fait sourire les uns, en met d’autres en colère ou émeut encore respectueusement quelques gentlemen et quelques vieilles demoiselles2 ». Les controverses sur la nature de « [c]ette Couronne aussi imprécise qu’omniprésente3 », sur ses évolutions, ses fonctions et son avenir incitent parfois les juristes à minimiser son importance dans le système constitutionnel canadien. Il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel du droit, le Canada est une monarchie constitutionnelle et sa Constitution attribue de larges pouvoirs à la Reine. Après tout, l’État et la Couronne ne font qu’un4. Comme la Cour suprême l’a récemment rappelé, la Couronne est « l’État dans sa globalité5 » et, symbole de cette équivalence de termes, le législateur québécois a remplacé dans ses lois les termes « Couronne » et « Sa Majesté » par « État »6.

1 Propos du premier ministre britannique Henry Campbell-Bannerman à l’ancien ambassadeur de France à la Cour de St-James, M. de Fleuriau, tels que rapportés dans Kenneth C. WHEARE, The Statute of Westminster and Dominion Status, London, Oxford University Press, 1953, p. 9-10. 2 Jean-Charles BONENFANT, « Destitution d’un premier ministre et d’un lieutenant-gouverneur », (1963) 28 Cahiers des Dix 9, 31. Bonenfant poursuit ainsi : « Le système est inoffensif pourvu qu’il fonctionne comme aujourd’hui et non comme à l’époque de Letellier de Saint-Just. Dans tous les pays, il faut un exécutif; il faut entourer cet exécutif d’un peu de panache et la Couronne y réussit assez bien ». 3 Id. 4 Voir : André ÉMOND, Constitution du Royaume-Uni : Des origines à nos jours, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 282-283; Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 306. 5 Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, par. 39 (la juge en chef McLachlin pour la Cour). 6 Ainsi, par exemple, si auparavant le Code civil du Bas-Canada édictait : “Lorsque le défunt ne laisse ni conjoint successible ni parent au degré successible, les biens de sa succession appartiennent au souverain » (1865, c. 41, art. 636), le Code civil du Québec énonce désormais : « Lorsque le défunt ne laisse ni conjoint ni parents au degré successible, ou que tous les successibles ont renoncé à la succession ou qu'aucun successible n'est connu ou ne la réclame,

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Les récents arrêts Black c. Chrétien7, O’Donohue8, Teskey9, Mcateer10, et l’affaire Motard c. Canada 11 témoignent d’un certain renouveau de ces questions et d’un besoin de clarification du droit relatif à la Couronne au Canada. Cela concerne particulièrement les règles faisant de la Couronne canadienne une institution distincte de celle du Royaume-Uni, propre à jouer le rôle qui lui est dévolu dans un État indépendant et où même la Couronne n’échappe pas au principe du constitutionnalisme et de la primauté du droit. Certes, cette dernière a toujours été liée historiquement, symboliquement et physiquement à la Couronne britannique, mais elle demeure néanmoins une institution juridiquement distincte de celle du Royaume-Uni. C’est d’ailleurs cette distinction juridique qui assure la pérennité de la primauté du droit et de l’indépendance du Canada.

Dans Black c. Chrétien12, le premier ministre canadien avait donné un avis à Sa Majesté à l’opposé de celui du gouvernement britannique relativement à l’anoblissement du magnat de la presse Conrad Black. Toute la question des conventions constitutionnelles sur la divisibilité de la Couronne était sous-jacente à cette affaire, où à la fois la souveraineté britannique et la souveraineté canadienne étaient en jeu.

l'État recueille, de plein droit, les biens de la succession qui sont situés au Québec » (RLRQ, CCQ- 1991, art. 696) [Notre soulignement]. Voir : Loi sur l'harmonisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999, c. 40; Citadelle, coopérative de producteurs de sirop d'érable c. Fédération des e producteurs acéricoles du Québec, 2005 QCCA 301; Patrice GARANT, Droit administratif, 6 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, EYB2010DRA5. Ce changement de vocabulaire ne dispense pas de l’étude du droit relatif à la Couronne : « Si demain la Grande-Bretagne cessait d’être une monarchie, beaucoup de raisonnements n’en resteraient pas moins fondés sur le concept de Couronne, même si on le cachait sous une dénomination n’évoquant plus la nature monarchique du régime » : Denis BARANGER, Écrire la constitution non écrite. Une introduction au droit politique britannique, Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 196. 7 Black v. Canada (Prime Minister), [2001] O.J. No. 1853 (ONCA). 8 O’Donohue v. Canada, 2003 ONSC 41404, motifs de la Cour supérieure confirmés par la Cour d’appel d’Ontario : [2005] O.J. No. 965 (per curiam). 9 Teskey v. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 612. 10 McAteer et al. v. Attorney General of Canada, 2013 ONSC 5895, confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario : 2014 ONCA 578. 11 Motard c. Canada (Procureure générale), 2016 QCCS 588 (en appel en Cour d’appel du Québec: no 200-09-009233-161 [greffe de Québec]). 12 Black v. Canada (Prime Minister), préc., note 7.

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Dans O’Donohue13 et dans Teskey14, la discrimination religieuse qui est au cœur des règles de succession au trône était attaquée devant les cours de justice ontariennes. Dans ces affaires, les demandeurs plaidaient que les dispositions de l’Act of Settlement15, qui prescrivent qu’un catholique (ou celui qui épouse un catholique) est exclu de la ligne de succession au trône, étaient contraires à la Charte canadienne des droits et libertés16. La place des règles de désignation du chef de l’État dans la hiérarchie des normes au Canada était donc centrale au litige.

Dans Mcateer17, la nature du serment à la Reine préalable à l’obtention de la citoyenneté était débattue. Le caractère obligatoire et le contenu de ce serment étaient attaqués pour violation de la liberté de religion garantie par la Constitution. Parmi les éléments en litige, il y avait évidemment la prétendue nature « britannique » de la monarchie canadienne qui faisait obstacle, selon les demandeurs d’origine irlandaise, à leur liberté de pensée républicaine.

Finalement, dans l’affaire Motard et Taillon c. Canada18, c’est la constitutionnalité de la Loi de 2013 sur la succession au trône19 qui est en jeu. À la suite du sommet de Perth en 201120, les royaumes du Commonwealth devaient mettre en œuvre en droit diverses modifications au droit de la succession royale. Parmi les changements proposés, il y avait la fin de la préférence des hommes sur les femmes et celle de l’incapacité de régner suivant le mariage avec un catholique, ainsi que l’abrogation et le remplacement des règles sur le consentement royal aux mariages des successibles à la Couronne. Le Canada a choisi d’exprimer, par loi

13 O’Donohue v. Canada, préc., note 8. 14 Teskey v. Canada (Attorney General), préc., note 9. 15 Act of Settlement, 1701, 12 & 13 Will. 3, c. 2 (Angleterre), art. 1. 16 Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.). 17 McAteer et al. v. Attorney General of Canada, préc., note 10. 18 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11. 19 Loi de 2013 sur la succession au trône, L.C. 2013, c. 6. 20 « Statement of Friday 28 October 2011 », annexe 1 dans HOUSE OF COMMONS, The Political and Constitutional Reform Committee, Rules of Royal Succession: Eleventh Report of Session 2010-12, Report, Together with Formal Minutes, Oral and Written Evidence, London, The Stationery Office, 2011, p. 10.

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fédérale, un « assentiment » qui ne modifie pas le droit canadien21. Comme le gouvernement du Canada prétend que la Constitution remet la charge de Reine du Canada à quiconque exerce « dans les faits » la souveraineté sur le Royaume- Uni22, l’indépendance de la Couronne canadienne est donc, au moins en partie, mise en doute par cette interprétation confirmée par le jugement de première instance de la Cour supérieure du Québec. Portée en appel, cette dernière décision a pour effet de faire dépendre la dévolution de la Couronne canadienne de celle du Royaume-Uni23.

De toutes ces affaires, une même constante : l’incapacité à reconnaître les mécanismes juridiques qui font que le Canada a toujours, des décennies après son indépendance, la même personne physique comme titulaire du poste de chef d’État que le Royaume-Uni. Pour les comprendre, de grands pans de l’histoire constitutionnelle du Canada sont mobilisés.

En effet, la nature de la Couronne au Canada a évolué sur certains aspects et est demeurée inchangée en d’autres depuis que les Anglais ont pris possession des territoires au nord du 45e parallèle au nom de leur monarque.

Après la réception du droit public anglais et l’application ex proprio vigore des lois britanniques au Canada, les lois constituant les colonies de l’Amérique du Nord britannique se sont empilées les unes sur les autres sans jamais modifier explicitement le statut de la Reine. Néanmoins, de multiples évolutions juridiques écrites et non écrites ont transformé les rapports entre le Canada et le Royaume- Uni pour faire évoluer en profondeur la nature de la charge de la Reine et les organes habilités à en modifier les caractéristiques essentielles au Canada.

21 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19. 22 « Complément au plan d’argumentation du Procureur général du Canada » du 8 octobre 2015, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17-018455-139, par. 10. 23 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 53 (le juge Bouchard): « À ce titre, ce ne sont pas tant les articles de ces lois impériales qui font partie de la Constitution canadienne ni les règles de succession comme telles, mais plutôt les principes sous-jacents à ces règles, comme celui de la reconnaissance que quiconque est Roi ou Reine du Royaume-Uni est Roi ou Reine du Canada, ainsi que celui d'une succession héréditaire déterminée par le Royaume-Uni ».

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D’abord, le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 a reconnu l’état du droit existant à l’époque de son édiction en déclarant que les provinces ont exprimé le désir de s’unir « […] sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande24 […] ». Ce statut, comme toute loi votée par le Parlement, a été édicté non pas dans un vacuum juridique, mais en tant qu’amendement et complément au droit légiféré et jurisprudentiel tel qu’il existait lors de son édiction. Cette portion du préambule reconnaît la common law d’alors : la Couronne impériale britannique était une et indivisible, elle n’était pas « brisée » (broken up) ou démembrée entre les îles britanniques, les Dominions et les colonies par delà les mers25.

Le statut juridique du Canada a évolué depuis 1867. D’un Dominion uni dans l’intérêt de l’Empire britannique26, le Canada est devenu un État souverain, indépendant, et égal au Royaume-Uni. De la Couronne impériale britannique est émergée une Couronne canadienne distincte, divisible, indépendante de celle du Royaume-Uni. Cette divisibilité résulte de règles conventionnelles et formelles qui sont apparues entre les années 1920 et les années 1980. Ultimement, la Loi de 1982 sur le Canada a scellé une fois pour toutes l’indépendance du Canada et de sa Couronne en mettant fin à la compétence du Parlement britannique de les régir27. Comment s’est opérée cette transformation de la Couronne? C’est là l’objet de la présente étude.

 Un objectif : identifier les règles constitutives d’une Couronne canadienne distincte de celle du Royaume-Uni

La principale question à laquelle tente de répondre ce mémoire est la suivante : quelles sont les règles formelles et conventionnelles qui font de la Couronne

24 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), préambule, par. 1 (traduction non officielle). 25 Canada v. Bank of Nova Scotia, (1885) 11 S.C.R. 1, 19-20 (le juge Strong); William P.M. KENNEDY, The Constitution of Canada 1534-1937, Londres, Oxford University Press, 1938, p. 379. 26 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule, par. 2. 27 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2.

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canadienne une entité juridique et politique distincte de celle du Royaume-Uni? Afin d’y répondre, plusieurs questions s’imposent.

La question de l’indépendance de la Couronne canadienne demande premièrement de comprendre comment celle-ci a été acquise. Dans quelle mesure et comment cette dernière a-t-elle été scindée de la Couronne impériale britannique?

Comme la personnalité juridique du Canada est Sa Majesté, il faut deuxièmement déterminer si les relations canado-britanniques, et plus généralement celles du Commonwealth, sont régies par le droit constitutionnel ou par le droit international. Cette question, déterminante quant à l’indépendance de Sa Majesté du chef du Canada, semble aujourd’hui quelque peu dépassée, mais elle était bel et bien controversée durant la période de l’acquisition de l’indépendance canadienne entre les années 1910 et les années 1950. À cette époque, le gouvernement britannique et certains auteurs adhéraient à la doctrine inter se28, laquelle cherchait à préserver l’indivisibilité de la Couronne impériale et à définir les relations à l’intérieur du Commonwealth comme celles d’une structure constitutionnelle commune. Sa Majesté ne pouvait contracter avec elle-même, et, partant, les relations entre les Dominions et le Royaume-Uni ne pouvaient être régies par le droit international29.

Si la Couronne canadienne est indépendante, cela soulève finalement la question de savoir pourquoi une même personne physique possède actuellement celle-ci en concomitance avec les Couronnes de plusieurs autres États (ou royaumes)? Comment s’organise et se pratique ce cumul? En somme, quelles incidences peut avoir cette situation sur l’indépendance juridique et politique de l’État canadien?

Notre hypothèse est simple : l’indépendance de la Couronne canadienne est inscrite et régie par le droit. Du coup, tout cela est beaucoup plus clair et beaucoup

28 Il s’agit, à strictement parler, davantage d’une théorie, mais nous utiliserons l’anglicisme « doctrine » pour référer à la doctrine inter se puisqu’il s’agit de l’expression consacrée en la matière. 29 Donal COFFEY, « British, Commonwealth and Irish Responses to the Abdication of King Edward VIII », (2009) 44 Ir. Jur. 95, 101-102. Voir : infra, p. 136 et suiv.

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plus juridiquement encadré qu’il n’y paraît. Il existe une série de règles juridiques et conventionnelles qui donnent les réponses à l’essentiel des interrogations qui surgissent en ce qui concerne la dévolution et l’exercice des pouvoirs de la Couronne au Canada.

Il s’agit donc d’explorer les règles distinguant, tant dans sa dévolution que dans l’exercice de ses pouvoirs, la Couronne du Canada de la Couronne britannique. Dans une monarchie constitutionnelle comme le Canada, le droit constitue et encadre tous les organes essentiels de l’État, et, au premier chef, la Couronne, par des règles de droit et des conventions constitutionnelles que ce mémoire se fixe comme objectif d’identifier.

Cela dit, ce mémoire se garde, autant que possible, d’identifier les règles du droit relatif à la Couronne faisant aujourd’hui partie de la Constitution formelle et supralégislative du Canada. C’est donc un mémoire qui porte davantage sur le droit constitutionnel et administratif canadien que sur la Constitution.

 Revue de la littérature

L’indépendance de la Couronne canadienne est généralement admise par la doctrine. Il existe cependant de vives controverses sur les fondements juridiques et les conséquences de cette indépendance. Celle-ci se prononce soit sur la divisibilité de la Couronne en général, soit sur les règles de dévolution de la Couronne, en particulier.

Concernant la divisibilité de la Couronne en général, les auteurs canadiens modernes (depuis au moins les années 1980) sont unanimes30 à reconnaître que la Couronne est divisible entre le Royaume-Uni et le Canada. Parmi ceux-ci, nous

30 Cependant, pour Peter Oliver, la divisibilité de la Couronne ne serait que conventionnelle : Mémoire des parties appelantes, ann. III, vol. IV, p. 2312, ligne 10, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureure générale du Canada, Cour d’appel du Québec, Québec, no 200-09-009233-161.

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trouvons notamment Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet31, Nicole Duplé32, Peter W. Hogg33, Jacques-Yvan Morin et José Woehrling34, Patrice Garant35, Josh Hunter36, Leslie C. Green37, Daniel P. O'Connell38 et David Keeshan39.

La question de la dévolution de la Couronne canadienne est plus épineuse. Il faut ici diviser les auteurs entre ceux qui, depuis 2013, ont choisi d’épouser soit la thèse de la reconnaissance automatique du souverain britannique (ou règle de symétrie), soit celle de l’indépendance de la succession royale canadienne, dans la foulée du débat sur la validité de la Loi de 2013 sur la succession au trône40. À cela s’ajoutent aussi ceux qui se sont prononcés avant la négociation de cette réforme.

Avant 2013, Margaret A. Banks41 avait adopté la position selon laquelle, depuis le 17 avril 1982, une modification de la succession royale britannique n’aurait aucun effet quand à la succession royale du Canada. Nicole Duplé avait également, au plus tard en 2011, énoncé que « le fait que la Reine du Canada soit aussi le chef d’État de plusieurs autres États souverains est sans conséquence dans l’ordre

31 e Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, e 2002, p. 77; Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 6 éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. II.65. 32 e Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel. Principes fondamentaux, 5 éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 224. 33 e Peter W. HOGG, Constitutional law of Canada, 5 éd., Toronto, Carswell, 2007 (version feuilles mobiles), p. 302-303. 34 Jacques-Yvan MORIN et José WOEHRLING, Les constitutions du Canada et du Québec : Du régime français à nos jours, t. 1, « Études », Montréal, Thémis, 1994, p. 383-384. 35 P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5. 36 Josh HUNTER, « A More Modern Crown: Changing the Rules of Succession in the Commonwealth Realms », (2012) 38 Commonwealth Law Bulletin 423, 438-439. 37 Leslie C. GREEN, « From Empire through Commonwealth to... », (1978) 16 Alta. L. Rev. 52, 65. 38 Daniel P. O'CONNELL, « The Crown in the British Commonwealth », (1953) 6 Int’l & Comp L. Q. 103. 39 er David KEESHAN, « Crown », dans Halsbury’s laws of Canada, à jour au 1 octobre 2012, no HCW-7 (LN/QL). 40 Préc., note 19. 41 Margaret A. BANKS, « If the Queen Were to Abdicate: Procedure under Canada's Constitution », (1989-1990) 28 Alta L. Rev. 535, 537.

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juridique canadien42 ». Dès 2002, Henri Brun et Guy Tremblay expliquaient ainsi le mode de désignation du chef de l’État canadien :

En vertu du préambule et de l’article 4 du Statut de Westminster de 1931, L.R.C. (1985), app. II, no 27, le Canada fut appelé à ratifier les conséquences qu’avait l’abdication d’Édouard VIII sur les droits de succéder au trône : Loi de la succession au trône, S.C. 1937, c. 16. Les règles de succession s’appliquent donc au Canada et elles gouverneraient pour lui aujourd’hui la succession d’Elizabeth II. Si le monarque décède ou abdique, la Couronne passe à son héritier protestant le plus rapproché; parmi ses enfants, les fils sont préférés et le droit d’aînesse joue43. [Notre soulignement]

De même, Peter W. Hogg affirmait, jusqu’à 2014, que les règles de succession contenues dans l’Act of Settlement, 1701 faisaient partie de la Constitution formelle du Canada et étaient supralégislatives44.

À l’extérieur du Canada, Donal Coffey45 avait, à la suite de son étude méticuleuse de la procédure d’abdication du roi Édouard VIII en 1936, déterminé que les règles de succession royale étaient indépendantes dans les différents Dominions. Pour sa part, Noel Cox46 présentait la situation comme incertaine, mais ses écrits, parfois légèrement contradictoires, semblent favoriser, à tout le moins pour certains royaumes du Commonwealth, une unité du Roi avec le Royaume-Uni. Outre ceux-là, les seuls textes doctrinaux ayant abordé la question de la succession royale avant 2013 remontent aux décennies 1930 à 1960.

À cette époque durant laquelle le Parlement impérial avait toujours compétence de légiférer pour le Canada, deux camps s’opposaient. Il y avait, d’un côté, Kenneth

42 N. DUPLÉ, préc., note 32, p. 224. 43 H. BRUN et G. TREMBLAY, préc., note 31, p. 364. 44 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, Student edition, Carswell, Toronto, 2011, p. 1-10. Il s’est dédit sur ce point après l’édiction de la loi de 2013 afin de soutenir la règle de la symétrie : P. W. HOGG, Constitutional Law of Canada, préc., note 33, par. 1.4 (ajout en 2014); infra, p. 12. 45 D. COFFEY, préc., note 29. 46 Noel COX, « The dichotomy of legal theory and political reality: the honours prerogative and imperial unity », (1998-99) 14 Aust. J. L. Soc. 15; Noel COX, « The Law of Succession to the Crown in New Zealand », (1999) 7 Waikato L. Rev. 49; Noel COX, « The control of advice to the Crown and the development of executive independence in New Zealand », (2001) Bond L. R. 166; Noel COX, « The Development of a Separate Crown in New Zealand », 2003, SSRN, en ligne : . Voir aussi : Noel COX, « The law of succession – a lesson in how not to reform transnational law », 2015, SSRN, en ligne : < SSRN: https://ssrn.com/abstract=2610829>.

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C. Wheare47, Sir Maurice Gwyer48, Sir Ivor Jennings49, Daniel P. O'Connell50 et Jean-Jacques Chevallier51, qui croyaient que les règles de succession royale faisaient partie du droit des Dominions, que ces Dominions n’étaient tenus que conventionnellement de maintenir des règles de succession harmonisées, ou que l’article 4 du Statut de Westminster52 était applicable à ces règles. De l’autre, William P. M. Kennedy53, Francis R. Scott54 et Frederick C. Cronkite55 qui, influencés par la doctrine inter se56, soutenaient le maintien d’un lien juridique formel entre les Dominions et le Royaume-Uni sous une Couronne demeurant, à certains égards, indivisible. Ils croyaient soit que l’article 4 du Statut de Westminster était inapplicable en matière de succession royale, soit que l’article 2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique57 suffisait à rendre applicable au Canada la législation impériale en la matière. Arthur B. Keith58, quant à lui, reconnaissait l’utilisation de l’article 4 du Statut de Westminster par le Canada en 1936, mais partageait dans un autre écrit la lecture de Cronkite basée sur l’article 2

47 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 198. 48 Sir Maurice GWYER, Memorandum by Sir Maurice Gwyer, Parliamentary Counsel to the UK Attorney-General, 23 November 1936, National Archives of Australia PRO: PREM 1/449. 49 e Sir Ivor JENNINGS, The British Commonwealth of Nations, 4 éd., Londres, Hutchinson University Library, 1961, p. 190-191. 50 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 112-113. 51 Jean-Jacques CHEVALLIER, « De la distinction britannique entre la “Convention constitutionnelle“ et le “Droit légal“, et de son rôle dans l’évolution du Statut de Dominion », dans La technique et les principes du droit public. Études en l’honneur de Georges Scelle, tome 1, Paris, LGDJ, 1950, p. 179, à la page 191-192. Chevallier croit que les Dominions peuvent agir indépendamment en matière de succession royale, comme durant la modification de 1936, mais qu’ils sont tenus conventionnellement d’agir de façon concertée. 52 Statut de Westminster de 1931, 22 Geo. V, c. 4 (R.-U.), art. 4. Cet article établit qu’aucune modification du droit d’un Dominion par le Parlement de Westminster n’est possible sans que celui- ci inscrive dans la loi en question que le Dominion a demandé et consenti à son édiction. 53 William P.M. KENNEDY, « Canada and the Abdication Act », (1937) 2 University of Toronto Law Journal 117. 54 Francis R. SCOTT, « Forgotten Amendments to the Canadian Constitution », (1942) 20 Canadian Bar Review 339. 55 Frederick C. CRONKITE, « Canada and the Abdication », (1938) 4 (2) Canadian Journal of Economics and Political Science 177. 56 Kennedy, Cronkite et Keith, notamment, sont considérés comme faisant partie de la doctrine inter se, qui postulait principalement l’indivisibilité de la Couronne impériale et que les relations dans le Commonwealth n’étaient pas régies par le droit international. Voir : infra, p. 136 et suiv. 57 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 2 (article abrogé par la Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire, 56-57 Vict., c. 14 [R.‑U.]). 58 Arthur B. KEITH, « Notes on Imperial Constitutional Law », (1937) 19 Journal of Comparative Legislation and International Law 105; Arthur B. KEITH, The Dominions as sovereign states, Londres, Macmillan & Co, 1938, p. 105-106.

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de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ce débat doctrinal entre, d’une part, les partisans de la doctrine inter se, qui nie la divisibilité de la Couronne et interprète restrictivement le Statut de Westminster de 193159 et, d’autre part, les auteurs davantage soucieux de l’égalité entre le Royaume-Uni et ses anciennes colonies, s’est dissipé à partir des années 1950 alors que l’émancipation politique et juridique des Dominions a été irréversiblement confirmée60.

Lors de l’édiction de la Loi de 2013 sur la succession au trône61, le gouvernement fédéral62, soutenu par plusieurs auteurs, a fait revivre certains aspects de la doctrine inter se, qui date pourtant d’une époque où le Canada était toujours sous l’autorité ultime du Parlement impérial et du Comité judiciaire du Conseil privé britannique, pour développer une thèse : la symétrie. Suivant cette dernière, quiconque est, à une période donnée, Roi du Royaume-Uni est automatiquement Roi du Canada63. Partant, il revient au Parlement britannique, ou à la situation factuelle du Royaume-Uni, de décider des règles de désignation du chef de l’État canadien, et la Constitution canadienne reconnaît ce changement sans devoir être modifiée. Cela a l’avantage d’éviter l’application de l’alinéa 41 a) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui exige que toute modification à la Constitution canadienne portant sur la charge de Reine ne se fasse que suite à une résolution de chaque chambre parlementaire provinciale et fédérale64.

59 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 60 Voir les développements infra, p. 136 et suiv. 61 Préc., note 19. 62 Rob NICHOLSON, « Modifications apportées à la loi concernant la succession au trône » (2013) 36 Revue parlementaire canadienne 8. Voir aussi : Julien FOURNIER, Patrick TAILLON, Geneviève MOTARD et André BINETTE, « L’abdication d’Édouard VIII en 1936 : “ autopsie ” d’une modification de la Constitution canadienne », dans Michel BÉDARD et Philippe LAGASSÉ (dir.), Le Parlement et la Couronne au Canada / Parliament and the Crown in Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 353, à la page 355. 63 R. NICHOLSON, préc., note 62, 8: « Canada is a , and it is a fundamental rule of our constitutional law that the Queen of Canada is the Queen of the United Kingdom, or, to put it another way, whoever, at any given period is the Queen or King of the United Kingdom is, at the same time, the Queen or King of Canada. That rule is embodied in the preamble to the Constitution Act of 1867 and in the provisions of that act ». Voir aussi : infra, p. 72 et suiv. et p. 166 et suiv. 64 Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16, al. 41 a) : « Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province : a) la charge de Reine, celle de gouverneur général

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Parmi les auteurs qui ont, depuis 2013, évoqué cette règle de la symétrie, nous trouvons, notamment, Peter W. Hogg65, Peter C. Oliver66, Mark D. Walters67, Andrew Heard68, Benoît Pelletier69 et le sénateur Serge Joyal70. Si les auteurs récemment convertis à cette approche sont nombreux et importants, ces derniers sont néanmoins inconstants quant aux motifs fondant la règle de reconnaissance automatique. Par exemple, le professeur Oliver s’appuie sur ce qu’il identifie comme les valeurs du Commonwealth, « continuity, flexibility, pluralism71 », tandis que des auteurs comme Walters et Joyal prétendent, dans le souffle du Renvoi relatif à la réforme du Sénat de 201472, que l’« architecture » de la Constitution ne comprend pas les règles qui déterminent le chef de l’État. Pour Walters, le droit canadien ne comprend tout simplement pas de règles de succession73. De plus, la plupart des auteurs de ce courant ne pêchent pas par excès de clarté quant aux sources de leur thèse, en renvoyant généralement au préambule et à certains articles de la Loi constitutionnelle de 1867 qui évoquent la monarchie, et ce texte perpétuerait pour eux la soumission du Canada au Parlement britannique en la

et celle de lieutenant-gouverneur; […] ». Voir aussi l’article 38, procédure subsidiaire de modification constitutionnelle, qui exige la participation d’au moins 7 provinces représentant 50% de la population. 65 Peter W. HOGG, « Succession to the Throne », (2014) 33 (1) N.J.C.L. 83. 66 Peter C. OLIVER, « The Commonwealth, Constitutional Independence and Succession to the Throne », expertise dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17-018455-139. 67 Mark D. WALTERS, « Succession to the Throne and the architecture of the Constitution of Canada », dans Michel BÉDARD et Philippe LAGASSÉ (dir.), Le Parlement et la Couronne au Canada / Parliament and the Crown in Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 263. 68 Andrew HEARD, « Dilemmas from Changes to the Royal Succession : Is There a Canadian Monarchy? », British Columbia Political Studies Association Annual Conference, présentée à l’Université de Colombie-Britannique, 2 mai 2013 [non publiée] p. 6. 69 SÉNAT, Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Témoignages, e re o 41 légis., 1 sess., n 32 (20 mars 2013) (Benoît Pelletier); Benoît PELLETIER, « Loi sur la succession au trône — Le fédéral n’a pas agi inconstitutionnellement », Le Devoir, 12 juillet 2013. Si le professeur Pelletier est incertain quant à la reconnaissance automatique alors qu’il comparait devant le Sénat, il l’est pourtant dans sa lettre ouverte parue dans Le Devoir une fois la Loi de 2013 votée. 70 Serge JOYAL, « La monarchie constitutionnelle au Canada : une institution stable, complexe et souple », dans Michel BÉDARD et Philippe LAGASSÉ (dir.), Le Parlement et la Couronne au Canada / Parliament and the Crown in Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 293. 71 P. C. OLIVER, préc., note 66, par. 1. 72 Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 R.C.S. 704, 2014 CSC 32. 73 Mark D. WALTERS, Submission to the Standing Senate Committee on Legal and Constitutional Affairs Concerning Bill C-53, An Act to assent to the alterations in the law touching the Succession to the Throne, 5 mars 2013, par. 7.

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matière. Serge Joyal74 est tout de même plus explicite, et prétend que le préambule du Statut de Westminster75, qui vise à maintenir l’harmonie au sein des anciens Dominions relativement aux titres royaux et à la succession royale, se serait rigidifié pour donner naissance à une règle formelle de dépendance de la Couronne canadienne sur la Couronne britannique, et non à une convention constitutionnelle.

Du côté des tenants, depuis 2013, de l’indépendance de la succession royale canadienne, nous trouvons, notamment, Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet76, Nicole Duplé77, Anne Twomey78, Philippe Lagassé et James W. J. Bowden79, Patrick Taillon, Geneviève Motard et André Binette80. Pour Brun Tremblay et Brouillet, « [c]hanger pour le Canada » les règles de dévolution de la Couronne ne peut se faire sans le recours à l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 (ou à tout le moins selon la procédure résiduaire de l’article 38)81, tandis que Duplé soutient que c’est l’article 38 qui régit cette modification82. Pour ces quatre auteurs, le fait que les Parlements néo-zélandais, australiens et britannique aient modifié leur droit respectif en la matière ne change rien au fait que le Canada doit intervenir. Pour Lagassé et Bowden, la charge de Reine est une corporation sole83, et elle inclut donc par nature ses successeurs, ce qui rend sans objet la règle de symétrie puisque cette dernière est fondée sur la prémisse que le droit canadien ne contient pas de règles de succession et que la symétrie comble ce vide84. Twomey, Taillon, Motard et Binette soutiennent que le Canada a toujours

74 S. JOYAL, préc., note 70. 75 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 76 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IV.158. 77 e Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel : Principes fondamentaux, 6 éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 689-690. 78 Anne TWOMEY, « Succession to the Crown of Canada », dans Michel BÉDARD et Philippe LAGASSÉ (dir.), Le Parlement et la Couronne au Canada / Parliament and the Crown in Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 319. 79 Philippe LAGASSÉ et James W.J. BOWDEN, « Royal Succession and the Canadian Crown as a Corporation Sole: A Critique of Canada’s Succession to the Throne Act, 2013 », (2014) 23 (1) Constitutional Forum 17, 19. 80 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62. 81 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IV.158. 82 N. DUPLÉ, préc., note 77, p. 689-690. 83 Voir : infra, note 161. 84 P. LAGASSÉ et J. W.J. BOWDEN, préc., note 79, 17-18.

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eu des règles de dévolution de la Couronne, et que ces dernières ne peuvent être aujourd’hui modifiées pour le Canada par le Parlement impérial, suivant les développements constitutionnels postérieurs à 1867, particulièrement le Statut de Westminster de 193185, l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act86 de 1936 et l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada87. Sur une note légèrement différente, Josh Hunter soutient aussi que la dévolution de la Couronne canadienne est indépendante, et propose, de son côté, que le préambule du Statut de Westminster puisse s’être rigidifié afin de fournir une procédure concurrente pour modifier les règles de succession royale canadiennes, pourvu que cela maintienne leur harmonisation avec le droit britannique88.

 Méthodologie

Pour démontrer que la Couronne du Canada est indépendante, nous entendons nous appuyer sur une approche positiviste fondée, d’une part, sur la distinction entre le droit positif et les conventions et, d’autre part, sur la primauté du droit, et ce, conjugué à une approche historique et comparée.

 Cadre théorique

Dans un contexte où les faits, les pratiques politiques, les règles conventionnelles, le droit international et les règles de droit formelles peuvent se faire concurrence, ou entrer en conflit, suivant les époques ou les responsables politiques en place, il importe, pour clarifier les règles applicables, et comme l’a fait la Cour suprême dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution89, de séparer le droit positif (le droit formel ou strict90) des autres sources de normativité. Ce

85 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 86 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, 1 Edw. VIII & 1 Geo. VI, c. 3 (R.-U.). 87 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2; A. TWOMEY, préc., note 78; J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62. 88 J. HUNTER, préc., note 36, 447-448. 89 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753. 90 Les expressions droit positif, droit formel et droit strict seront utilisés comme des synonymes.

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raisonnement, tiré notamment des travaux de Kenneth C. Wheare91 et de Jean- Jacques Chevallier92, commande de reconnaître les différences fondamentales entre le droit et les conventions et qu’il faille considérer les deux pour avoir la « Constitution complète du pays93 ». En effet, la majorité de la Cour suprême faisait sien ce passage de Colin Munro en 1981. Il écrivait :

If in fact laws and conventions are different in kind, as is my argument, then an accurate and meaningful picture of the constitution may only be obtained if this distinction is made. If the distinction is blurred, analysis of the constitution is less complete; this is not only dangerous for the lawyer, but less than helpful to the political scientist94 [...]. [Notre soulignement]

En ce sens, le cadre théorique adopté pour effectuer notre démonstration est de type positiviste. Il mise sur l’analyse du droit tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Le positivisme étant défini comme la séparation du droit et de la morale95, il s’agit ici de séparer le droit positif de la morale politique que représentent les conventions constitutionnelles96.

Ce droit positif -tant écrit que non écrit97-, c’est celui qui, à chaque époque pertinente, a pu être posé par les organes qui, conformément aux normes hiérarchiquement supérieures qui les gouvernaient, avaient le pouvoir de les poser validement. Il est également possible, tout en demeurant positiviste, de jeter un regard sur l’état des conventions constitutionnelles, du moins selon John Austin. Sa théorie du droit avait pour objectif de séparer le droit positif des autres sources de normativité. Il écrit:

91 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 1 à 20. 92 J.-J. CHEVALLIER, préc., note 51, à la page 179. Voir aussi : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. I.139. 93 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 884 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 94 Colin R. MUNRO, « Laws and Conventions Distinguished », (1975), 91 Law Q. Rev. 218, 224, cité dans id., 783 (le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mcintyre, Chouinard et Lamer). 95 John AUSTIN, Lectures on Jurisprudence or the philosophy of positive law, éd. par Robert CAMPBELL, Londres, John Murray, 1869, vol. 1, p. 82, cité infra, p. 16. 96 D. BARANGER, préc., note 6, p. 176. 97 Austin reconnaît, avec raison, que le droit coutumier, y compris la common law, font partie du droit positif, car ils sont sanctionnés par l’État : J. AUSTIN, préc., note 95, p. 103-104.

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The principal purpose or scope of the six ensuing lectures, is to distinguish positive laws (the appropriate matter of jurisprudence) from the objects now enumerated [laws of God, positive morality et laws metaphorical]: objects with which they are connected by ties of resemblance and analogy; with which they are further connected by the common name of “laws”; and with which, therefore, they often are blended and confounded98. [Notre soulignement]

Cependant, il ne s’interdisait aucunement d’analyser les normes extrajuridiques, à partir desquelles il pouvait montrer des liens avec le droit positif. Il écrit :

The divine law, positive law and positive morality, are mutually related in various ways. To illustrate their mutual relations, I advert, in the fifth lecture, to the cases wherein they agree, wherein they disagree without conflicting, and wherein they disagree and conflict99.

De même, le droit divin a pu possiblement avoir influencé le droit positif, notamment quant à l’établissement des règles les plus anciennes concernant la Couronne, mais ces dernières n’ont aujourd’hui de validité juridique qu’en tant que règles de droit positif, du moins selon Sir William Blackstone100.

Conformément à ce cadre conceptuel axé sur le positivisme, la Couronne est un organe de l’État comme les autres, et comme l’État et le droit ne font qu’un101, la Couronne et le droit ne sont qu’un. La Couronne, bien qu’elle ait des immunités et des prérogatives particulières, demeure soumise au droit102. Ce n’est pas parce que la Couronne a été, à une époque très lointaine, un organe avec des pouvoirs exorbitants et arbitraires qu’elle n’est pas aujourd’hui encadrée. Au contraire, le

98 Id., p. 82. 99 Id., p. 86. 100 Sir William BLACKSTONE, Commentaries on the laws of : in four books, vol. 2, Tucker ed., South Hackensack, New Jersey, É.-U., 1803 (réédition Augustus Kelley, 1969), p. 191-192 : « Yet while I assert an hereditary, I by no means intend a jure divino, title to the throne » [Italiques originaux]. Voir aussi : infra, p. 29 et suiv. 101 Voir : Carlos Miguel HERRERA, La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, coll. Diké, Québec, Presses de l’Université Laval, 2004, p. 57. Pour nous, si la violence est à l’origine, plus ou moins éloignée, d’une Constitution, celle-ci doit être respectée une fois établie. 102 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IX.28 : « La loi n'est donc pas nécessairement applicable à tous de la même façon. Le droit peut aménager des immunités spécifiques. […] Mais ce type de règles, même si elles découlent souvent de vieilles traditions remontant à l'époque où le monarque détenait un pouvoir personnel, doit de nos jours trouver son fondement dans le droit positif, législatif sinon jurisprudentiel ou coutumier. Du premier des agents de l'État jusqu'au plus humble citoyen, tous sont soumis au droit interprété et appliqué par les tribunaux » [Notre soulignement].

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principe constitutionnel de primauté du droit exprime justement la sujétion de la Couronne au droit103 et la soumission de Sa Majesté au même droit que toute autre personne104. C’est là le cœur même de l’idée de monarchie constitutionnelle : toute autorité est tirée de la Constitution105, « tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d’une règle de droit106 ».

Récemment, dans R.(Miller) c. Secretary of State for Exiting the European Union107, la Haute Cour de Justice d’Angleterre et du Pays de Galles a rappelé l’importance de ce principe d’encadrement de la Couronne pour la primauté du droit. Leurs Seigneuries écrivaient: « This subordination of the Crown (i.e. the executive governement) to law is the foundation of the rule of law in the United Kingdom108 ».

Leurs Seigneuries nous rappelaient également les propos suivants de Sir Edward Coke, tenus quelque 400 ans auparavant :

The King by his proclamation or other ways cannot change any part of the common law, or statute law, or the customs of the realm [...]. The King hath no prerogative, but that which the law of the land allows him109. [Notre soulignement]

En définitive, l’autorité royale est fondée sur le droit positif110.

103 Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, par. 59 (CanLII) (per curiam); Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 805-806 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). 104 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, 258, par. 71; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IX.26; P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 258. 105 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 104, 258, par. 72 (per curiam). 106 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3, 34, par. 10, cité dans Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 104, 258, par. 71; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IX.40. 107 R.(Miller) c. Secretary of State for Exiting the European Union, [2016] EWHC 2768 (Admin), confirmé en appel : [2017] UKSC 5. 108 Id., par. 26 (Lord Thomas of Cwmgiedd CJ, Sir Terence Etherton MR et Lord Sales). La suite du passage est tout aussi instructive: « It has its roots well before the war between the Crown and Parliament in the seventeenth century but was decisively confirmed in the settlement arrived at the in 1688 and has been recognised ever since » [Notre soulignement]. 109 The Case of Proclamations, (1610) 12 Co. Rep. 74, tel que cité dans id., par. 27 (Lord Thomas of Cwmgiedd CJ, Sir Terence Etherton MR et Lord Sales) 110 Voir : infra, p. 28 et suiv.

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C’est donc à la lumière de la primauté du droit que doit être compris le cadre conceptuel positiviste de la présente étude. Appliqué à la dévolution de la Couronne, le positivisme juridique signifie que : « […] le chef de l’État doit être désigné ni par ses prédécesseurs ni par jugement de Dieu ni selon le droit d’un autre État, mais bien en fonction de la loi du Parlement titulaire de la souveraineté dans l’État111 ». La Couronne s’organise donc à partir et en fonction de règles de droit formelles et non en suivant des considérations factuelles ou extrajuridiques telles que le droit divin ou étranger112.

Certes, cela ne veut pas dire que l’interprétation du droit positif ne tient pas compte de l’évolution historique et du contexte entourant l’établissement des différentes normes qui encadrent la Couronne du Canada. Contrairement à une certaine conception « caricaturale » du positivisme, nous ne nous limiterons pas à sa conception la plus stricte, souvent critiquée par Michel Troper, qui empêche l’interprète de regarder en dehors des sources formelles du droit113. Le contexte historique, les faits politiques et les discours doctrinaux sur ces faits apportent évidemment un éclairage essentiel. Comme Chevallier le dit: « le droit114 conventionnel a des rapports d’interaction et d’interpénétration avec le droit strict115 ». Comme nous l’avons vu précédemment, Austin remarquait aussi qu’il peut arriver que le droit positif et la morale soient reliés116. Mais les faits politiques ne peuvent permettre de contourner le droit positif117.

111 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 361. Le droit positif est, bien entendu, plus large que la loi du Parlement (supra, note 97), mais depuis le Bill of Rights, 1689, et l’Act of Settlement, 1701, seul le Parlement peut changer les règles de dévolution de la Couronne : infra, p. 42. 112 Voir : infra, p. 28 et suiv. 113 Michel TROPER, « Le positivisme comme théorie du droit », dans Christophe GRZEGORCZYK, Françoise MICHAUT et Michel TROPPER (dir.), Le positivisme juridique, Paris, L.G.D.J., 1993, p. 273, à la page 274. 114 Il faut cependant souligner, conformément à notre cadre théorique, que les conventions ne sont pas du droit positif. 115 J.-J. CHEVALLIER, préc., note 51, à la page 183. 116 J. AUSTIN, préc., note 95, p. 86, cité supra, p. 16. 117 Hormis dans le cas d’un renversement complet de l’ordre juridique, comme par exemple celui de 1689 en Angleterre. Dans ce cas, l’ordre juridique ancien n’est, en quelque sorte, plus lui-même « valide » : M. TROPER, préc., note 113, aux pages 276-277.

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La réponse à notre question de recherche fait, de plus, ressurgir plusieurs oppositions où se confrontent des conceptions épistémologiques concurrentes quant à la nature de la Couronne et du droit qui l’organise.

Parmi ces oppositions, cinq doivent être ici mentionnées et considérées comme des problèmes sous-jacents à la démonstration entreprise dans ce mémoire. Premièrement, il y a la question du décalage entre les faits et le droit qui semble complexifier l’étude des règles. En effet, il existe, dans l’histoire constitutionnelle du Canada et du Royaume-Uni, certains décalages entre les changements juridiques formels et les changements politiques. Par exemple, si, factuellement, le Canada est un pays souverain après la Première Guerre mondiale, son indépendance juridique complète n’est acquise qu’en 1982. En la matière, comme O’Connell le rapporte : « The law, as Latham has pointed out, follows the facts at only a respectful distance118 ».

Deuxièmement, et dans la même optique, les changements juridiques s’opèrent parfois bien avant que les acteurs reconnaissent ces changements. S’ajoute alors un décalage entre l’état du droit positif (et des institutions) qui évolue plus vite que le discours doctrinal sur ces mêmes institutions. Par exemple, peu avant et peu après le Statut de Westminster, une partie de la doctrine juridique est influencée par la doctrine inter se, qui refuse de prendre acte de changements qui seront pourtant reconnus par la suite de façon jurisprudentielle et doctrinale119. Ainsi, la doctrine inter se, bien que contemporaine à l’adoption du Statut de Westminster de 1931, apparaît aujourd’hui incapable de décrire les changements juridiques qui surviennent à l’époque.

Troisièmement, si des changements arrivent sans leur reconnaissance immédiate, c’est aussi parce qu’il existe une opposition politique entre ceux qui veulent maintenir des liens plus étroits entre le Royaume-Uni et le Canada et ceux qui veulent, au contraire, que le Canada affirme son indépendance. Ainsi, le loyalisme

118 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 123. 119 Parmi les auteurs, nous comptons, notamment, Kennedy, Cronkite, Keith, ainsi que des politiciens comme le premier ministre britannique Stanley Baldwin et le premier ministre canadien Louis St-Laurent. Voir : infra, p. 121, 136 et 159.

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ou la nostalgie impériale, d’un côté, et l’indépendantisme canadien, de l’autre, sont des sensibilités politiques qui influencent, dans un sens ou dans l’autre, l’interprétation des faits et du droit à la suite des changements apportés à l’organisation de la Couronne au Canada120.

À cela s’ajoute, quatrièmement, une autre opposition qui influence la manière d’analyser l’indépendance de la Couronne canadienne, soit celle entre le droit constitutionnel et le droit international. Comme nous l’avons vu plus tôt121, entre les années 1910 et les années 1950, la doctrine inter se cherchait à définir les relations à l’intérieur du Commonwealth comme celles d’une structure constitutionnelle commune à l’extérieur du droit international. La validité de cette théorie d’indivisibilité de la Couronne est donc tributaire de la question de savoir si les royaumes du Commonwealth sont régis entre eux par le droit constitutionnel ou par le droit international122.

Cinquièmement, est-ce que les institutions canadiennes sont constituées en droit canadien, ou demeure-t-il des domaines dans lesquels des pouvoirs sur le Canada dépendent du droit du Royaume-Uni, ou de l’action des responsables politiques britanniques? Comme l’essentiel des organes principaux de l’État canadien est constitué par des lois du Parlement impérial britannique, certains sont tentés de croire qu’il garde une souveraineté sur ces organes. Pour eux, ce Parlement peut nécessairement régir ce qu’il a constitué jadis, il demeure maître de « ses » lois. Par exemple, le gouvernement fédéral défend la validité constitutionnelle de la Loi de 2013 sur la succession au trône123 en soutenant que « l’identification de la Reine est prévue par une règle de droit constitutionnel […] qui reconnaît ou identifie la Reine du Canada comme étant la personne qui est la Reine du

120 Comme le remarquait Jacques-Yvan Morin en 1984 : « […] les auteurs ne manquent pas de juger la situation en fonction soit de leur attachement à l'Empire, soit de la valeur qu'ils attachent au selfgovernment des colonies. » : Jacques-Yvan MORIN, « La personnalité internationale du Québec », (1984) R.Q.D.I. 163, 193. Cela se reflète également dans la terminologie employée par les auteurs: « Moreover in politics names are ammunition and persons of different political opinions use different names for the same entity or the same name for different entities » : I. JENNINGS, préc., note 49, p. 11. 121 Supra, p. 6. 122 Voir : infra, p. 136 et suiv. 123 Préc., note 19.

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Royaume-Uni, un fait externe à la Constitution du Canada124 ». De même, cette idée du maintien de l’autorité du Parlement impérial sur ses lois en matière de dévolution de la Couronne est particulièrement chère au sénateur Serge Joyal, pour qui Westminster n’a implicitement jamais perdu sa compétence de légiférer pour le Canada en la matière malgré les articles 4 du Statut de Westminster et 2 de la Loi de 1982 sur le Canada125. Sur un sujet connexe, un praticien, Me Laferrière, prétendait que le Comité judiciaire du Conseil privé britannique avait toujours compétence sur le Canada parce que la Loi sur la Cour suprême126 n’a pas « pour effet de lier la juridiction anglaise du Comité qui se situe à l’extérieur du territoire canadien127 ». Que ce soit relativement à la dévolution de la Couronne ou à sa prérogative de rendre justice en dernier ressort, ces auteurs tentent de démontrer que le Canada est dépendant des autorités britanniques, car soumis au droit contemporain qu’elles élaborent. En somme, la Couronne est-elle une question de droit du Royaume-Uni ou de droit du Canada?

À travers ces oppositions, une même constante : l’application du droit positif canadien à la Couronne, une Couronne formellement indépendante, mais qui, sur le plan symbolique et par l’effet des conventions, demeure en union personnelle avec les autres royaumes du Commonwealth. Ce sont ces oppositions qui, en quelque sorte, sont la cause de bien des erreurs ou des incompréhensions. Or, ces questions sont incontournables et elles soulèvent des enjeux considérables, car à travers l’indépendance de la Couronne canadienne se joue l’indépendance de l’État canadien, et il en sera ainsi tant et aussi longtemps que la Couronne sera synonyme d’État.

124 « Complément au plan d’argumentation du Procureur général du Canada », préc., note 22, par. 10. 125 Mémoire du mis en cause L’honorable Serge Joyal, particulièrement aux par. 19 à 30, 42 et 64, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureure générale du Canada, Cour d’appel du Québec, Québec, no 200-09-009233-161. Sur ces articles, voir : infra, p. 114 et suiv. et p. 166 et suiv. 126 Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), c. S-26. 127 Claude LAFERRIÈRE, « Les décisions de la CSC sont-elles appelables? », Droit-inc, 15 décembre 2015, en ligne : .

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 Approches méthodologiques

Considérant que la Couronne canadienne telle qu’organisée aujourd’hui est le fruit d’une évolution historique complexe, le recours à une approche historique s’impose. Cette approche s’avère en fait indispensable à l’appréhension des oppositions expliquées précédemment afin de comprendre les évolutions qui ont transformé, au fil du temps, la Couronne impériale britannique en une Couronne canadienne distincte de celle du Royaume-Uni. L’histoire du droit public permet non seulement d’analyser ces évolutions, mais également de faire le tri qui s’impose parmi ces sources historiques, et ce, dans le but, entre autres, d’identifier les règles qui subsistent encore aujourd’hui. Pour reprendre les propos de Denis Baranger, la complexité des sources et des évolutions du droit relatif à la Couronne est telle que ce droit ne peut s’appréhender que par l’histoire constitutionnelle. Il écrit :

C’est là ce qui fait, me semble-t-il, peser sur le droit constitutionnel un impératif d’histoire, un devoir épistémologique de faire de l’histoire. C’est que les objets du juriste de droit constitutionnel sont des constructions d’une complexité telle que seule une analyse précise de leur développement historique permet de faire apparaître le champ des possibilités de significations dans lesquels ils s’insèrent et qui président à leur interprétation128. [Notre soulignement]

Chez Baranger, qui est probablement le plus grand spécialiste français du droit constitutionnel britannique, le recours à l’histoire pour comprendre ce droit n’est pas un choix, mais bien une obligation, un « devoir épistémologique » pour reprendre sa formule.

Nous tâcherons cependant de ne pas tomber dans le piège méthodologique identifié par Dicey, dès 1885, soit celui de s’intéresser tellement à l’évolution des règles constitutionnelles au point d’en oublier quel est le fruit de cette évolution. Conscient de cela, il écrit :

128 Denis BARANGER, « Le piège du droit constitutionnel », (2009) Jus Politicum 3, en ligne : , p. 11-18.

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[...] the essential difference between the historical and the legal way of regarding our institutions, and compelled me to consider whether the habit of looking too exclusively at the steps by which the constitution has been developed does not prevent students from paying sufficient attention to the law of the constitution as it now actually exists. The possible weakness at any rate of the historical method as applied to the growth of institutions is that it may induce men to think so much of the way in which an institution has come to be what it is, that they cease to consider with sufficient care what it is that an institution has become129. [Notre soulignement]

En cette matière, il faut en définitive que le juriste « ait vécu dans tous les siècles », ce qu'il ne peut faire sans « le secours de l'histoire130 ».

La méthode historique a néanmoins ses travers, notamment celui, bien souligné par Michel Morin, qui consiste à faire un usage anachronique et hors contexte des sources. Il écrit : « […] les juristes sont passés maîtres dans l’art de détacher un extrait de son contexte pour se l’approprier et lui donner une signification nouvelle131 ». Or, comme l’étude des règles régissant la dévolution de la Couronne se fera en partie à partir des sources primaires, dont les échanges diplomatiques canado-britanniques durant la crise d’abdication du roi Édouard VIII en 1936, le problème de la citation hors contexte identifié par Michel Morin se pose dans notre contexte avec davantage d’acuité. La question de l’indépendance de la succession royale canadienne étant controversée, le respect accordé aux sources primaires doit être particulièrement conséquent et prendre en compte les circonstances historiques qui caractérisent le droit positif et les pratiques politiques de chaque époque.

Outre le recours à cette approche historique, l’analyse fait également appel au droit comparé, particulièrement à celui des autres grands royaumes du Commonwealth que sont le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, afin de confronter certaines hypothèses relatives à l’évolution de la Couronne au Canada à la situation des autres royaumes du Commonwealth.

129 e Albert V. DICEY, Introduction to the study of the law of the Constitution, 8 éd., Londres, Macmillan, 1915, p. vii-viii (préface de 1885). 130 Principales Questions de Droit, qui fe jugent diverfement dans les differents Tribunaux du Royaume, Paris, Emery, Pere & Fils, M. DCC. XVIII [orthographe d’époque]. 131 Michel MORIN, « Les insuffisances d’une analyse purement historique des droits des peuples autochtones », (2003) 57 (2) Revue d’histoire de l’Amérique française 237, 252.

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Parmi ces États, le Royaume-Uni revêt un caractère particulier. En premier lieu, le droit britannique antérieur au 17 avril 1982132 est parfois directement applicable au Canada. En effet, le droit public d’Angleterre a été reçu au début de la colonisation133, le Parlement impérial britannique avait compétence sur le Canada jusqu’à 1982, ce qui fait que certaines de ses lois s’y appliquent par leur propre force134 (ex proprio vigore), et le Canada a « une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni135 ». Comme les dispositions expresses des textes constitutionnels sont parfois silencieuses quant au droit relatif à la Couronne, il y a lieu de compléter à partir des normes constitutionnelles britanniques qui ont été incorporées en droit canadien jusqu’à 1982136. En second lieu, le droit britannique moderne peut servir à titre de droit comparé.

Les royaumes de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, quant à eux, sont fort pertinents, car ce sont d’anciens Dominions qui ont obtenu leur indépendance au même rythme que le Canada, par l’effet du Statut de Westminster de 1931137 et de lois constitutionnelles adoptées dans les années 1980138. De plus, les règles régissant la Couronne y ont été introduites de la même façon et s’y maintiennent malgré les particularismes de chaque État. Il ne s’agit donc pas de mettre l’accent sur ces particularismes aux fins de comparaison avec le Canada, mais plutôt, pour paraphraser Imre Zajtay, de rechercher le « fond commun139 » du droit relatif à la Couronne partagé par le Royaume-Uni et ses anciens Dominions.

132 Voir : infra, p. 166 et suiv. 133 Voir : infra, p. 49 et suiv. 134 Avant 1931, ces dispositions étaient contraignantes pour les parlements coloniaux : infra, p. 49 et suiv. 135 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule, par. 1 (traduction non officielle). 136 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 805 et 876 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). Voir : infra, p. 63 et 64. 137 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 138 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16; Australia Act 1986, 1986 c. 2 (R.-U.); Constitution Act 1986, 1986, no 114 (N.-Z.). 139 Imre ZAJTAY, « Problèmes méthodologiques du droit comparé », dans Aspects nouveaux de la pensée juridique : recueil en hommage à Marc Ancel, vol. 1, Paris, A. Pedone, 1975, p. 69, à la page 75.

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En clair, pour emprunter aux mots employés par Brun, Tremblay et Brouillet, les juges et les auteurs qui disent le droit de ces pays interprètent un « droit public [qui] est historiquement semblable au nôtre140 ».

 Place dans la recherche en droit

Les ambitions de ce mémoire demeurent néanmoins limitées. Il s’agit d’explorer les règles de droit formel et les conventions faisant de la Couronne canadienne une entité indépendante de celle du Royaume-Uni, en s’appuyant sur une analyse historique et, à certains égards, comparative de l’évolution de la Couronne. En ce sens, le présent mémoire s’inscrit clairement dans la recherche doctrinale interne. Il vise, pour se placer dans le cadre établi par Jacques Chevallier, à faire « un travail de mise en cohérence, d’élimination de dissonances, de résorption des contradictions141 » dont est victime l’état actuel des connaissances sur le droit relatif à la Couronne. L’objectif étant d’identifier les règles qui organisent l’indépendance de la Couronne canadienne, l’analyse exégétique traditionnelle y prend une certaine importance. L’étude de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence est ici essentielle afin de cerner ces règles relatives à la divisibilité de la Couronne entre le Canada et les autres royaumes du Commonwealth ainsi que les effets juridiques des différents instruments canadiens et impériaux destinés à régir la succession, les titres royaux ou la Couronne en général. Mais, surtout, il s’agit de démontrer que la Couronne canadienne est indépendante par l’identification et la synthèse d’une série de règles de droit public de manière « à présenter une théorie ou perspective unificatrice142 » du droit positif canadien.

Pour ce faire, la démonstration s’articulera en deux temps. Il s’agira d’abord d’analyser les règles constitutives de la charge de Reine telles qu’elles ont été posées historiquement à l’époque impériale, et notamment le principe

140 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. I.90. 141 Jacques CHEVALLIER, « Doctrine juridique et science juridique », (2002) 50 Droit et société 103, 105. 142 CONSEIL DE RECHERCHE EN SCIENCES HUMAINES DU CANADA, Le droit et le savoir, Ottawa, Division de l’information, 1983, p. 75.

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d’indivisibilité formelle de la Couronne qui se dégage de ces règles [1.], pour ensuite examiner l’évolution, d’une part, du contenu de ces règles et, d’autre part, des procédures à suivre pour les modifier [2.]. Ainsi, le processus par lequel s’est opéré la divisibilité de la Couronne, tant dans ses aspects formels que conventionnels, pourra être examiné de manière à démontrer que l’accession du Canada à son indépendance est directement liée à la divisibilité de la Couronne. Or, ces évolutions ont obéi à des règles de droit auxquelles aucun organe de l’État ne peut échapper, évidemment.

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1 Les règles constitutives de la charge de Reine à l’époque impériale

I yield to no man in my passion for the greatness, the strength, the glory and the moral unity of the British Empire.

-Dicey143

La compréhension de la charge de Reine du Canada144 commande que l’on s’intéresse d’abord aux principales règles constitutives de cette charge telles qu’elles existaient avant que la Couronne impériale se divise145. Cela permet de faire le tri entre les règles qui subsistent encore aujourd’hui et celles qui ont évolué. Pour ce faire, il convient d’abord de décrire les règles encadrant la dévolution de cette charge et de ses prérogatives dans leur ordre chronologique d’apparition [1.1 et 1.2], de voir ensuite comment ce droit s’est transposé au Canada [1.3], d’élaborer sur la règle de l’indivisibilité formelle de la Couronne qui découle de l’appartenance du Canada à l’Empire britannique [1.4], et de conclure finalement sur le maintien, lors de l’Union, de ce droit et du contrôle de Westminster sur lui [1.5].

143 A. V. DICEY, préc., note 129, p. lxxxv. 144 La « charge de Reine du Canada » s’entend au sens des règles qui ont constitué la charge de Reine et encadré sa dévolution. Cette expression ne s’entend donc pas nécessairement, ici, au sens de ce qui est protégé par l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 (préc., note 16). 145 Cette période sera nommée l’« époque impériale ». Sur le plan de la terminologie, il faut souligner qu’il est bien difficile de trancher avec exactitude le moment factuel du changement d’emploi des termes, par exemple, entre l’Empire et le Commonwealth, ou entre un Dominion et un royaume du Commonwealth. Nous tenterons de faire correspondre le plus possible la terminologie employée avec l’état du droit à une époque donné, il faut donc mettre davantage l’accent sur la réalité juridique décrite que sur les termes employés par les acteurs. Sur le changement de terminologie, voir I. JENNINGS, préc., note 49, p. 11 et suiv.

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1.1 Aux origines de la monarchie : les règles de common law

Au temps de la , le plus grand juriste anglais de l’époque, Henry de Bracton, a énoncé l’une des maximes les plus fondamentales de notre droit public, et peut-être même le fondement originel de la primauté du droit : Rex sub deo et lege146 (le Roi est sous Dieu et sous le droit). Celle-ci est consignée comme suit par Robert Blackburn dans Halsbury’s Laws of England :

Bracton, fo 5b 'But the King himself ought not to be subject to man, but subject to God and to the law, for the law makes the King. Let the King, then, attribute to the law what the law attributes to him, namely dominion and power, for there is no king where the will and not the law has dominion'. The first sentence was quoted by Coke CJ to James I in Prohibitions del Roy (1607) 12 Co Rep 63147.

Reprise par Sir Edward Coke dans la décision Prohibitions del Roy en 1607, elle signifie que le Roi est sous Dieu et sous le droit, parce que c’est le droit qui fait le Roi148. Déjà au 15e siècle, la jurisprudence reconnaissait que sans la loi, il n’y a pas de Roi ni de succession : « […] YB 19 Hen 6, Pasch pl 1: 'La ley est le plus haute inheritance, que le roy ad; car par la ley il même et toutes ses sujets sont

146 Sir George Walter PROTHERO, Select Statutes and Other Constitutional Documents Illustrative of the Reigns of Elizabeth and James I, Oxford, Clarendon Press, 1894, p. 409, note 2 : « Ipse autem rex non debet esse sub homine sed sub deo et sub lege, quia lex facit regem...:non est enim rex ubi dominator voluntas et non lex » [Notre soulignement]. Cette formule semble avoir une filiation avec le plus récent préambule constitutionnel canadien : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit » : Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16, préambule. Voir aussi : Julien FOURNIER et Amélie BINETTE, « La Couronne : vecteur du fédéralisme canadien », (2017) 58 C. de D. 625, 629. 147 Robert BLACKBURN, « The Head of State », dans Halsbury’s Laws of England, Constitutional and o administrative law, vol. 20, 2014, n 16, note 9. Voir aussi : Jean LECLAIR, « L'avènement du constitutionnalisme en Occident : fondements philosophiques et contingence historique », 2011 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 159, 189; D. BARANGER, préc., note 6, p. 191 : « […] son office est de droit et que l’usage de ses pouvoirs est limité par le droit ». 148 La Cour suprême du Canada y réfère également dans Canadian Broadcasting Corp. v. Attorney General (Ontario), [1959] S.C.R. 188, 196 (le juge Rand pour les juges Cartwright et Fauteux) : « At common law admittedly the Sovereign could not be impleaded in his courts; they were established by him to administer the law of the land between subjects; but, as Bracton laid it down and as Coke admonished James I, he himself was under the law, a law which brooded over England encompassing all persons and, among other things, created the powers of the Sovereign, the residue of which today we call the prerogative » [Notre soulignement].

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rulés, et si la ley ne fuit, nul roy, et nul inheritance sera'149 ». Ce dernier passage est, pour Albert Venn Dicey, un fondement de la rule of law150.

La Couronne est constituée et dévolue suivant le droit (« by our laws151 »), puisque « the law makes the king152 ». Il s’agit donc d’une dévolution légale153, suivant des règles précises, permanentes, et qui n’ont rien d’un droit divin. Sir William Blackstone écrit :

The executive power of the English nation being vested in a single person, by the general consent of the people, the evidence of which general consent is long and immemorial usage, it became necessary to the freedom and peace of the state, that a rule should be laid down, uniform, universal, and permanent; in order to mark out with precision, who is that single person, to whom are committed (in subservience to the law of the land) the care and protection of the community; and to whom, in return, the duty and allegiance of every individual are due. It is of the highest importance to the public tranquillity, and to the consciences of private men, that this rule should be clear and indisputable: and our constitution has not left us in the dark upon this material occasion. [...] The hereditary right, which the laws of England acknowledge, owes its origin to the founders of our constitution, and to them only154. [Italiques originaux, notre soulignement]

Le pouvoir exécutif étant remis de jure à une seule personne, les règles de droit permettant de déterminer qui est cette personne doivent, pour Blackstone, être claires et indiscutables. Ces règles étant essentielles à la paix de l’État, le droit constitutionnel ne peut être obscur ou absent en la matière.

149 R. BLACKBURN, préc., note 147, à la note 9. 150 A. V. DICEY, préc., note 129, p. 179-180. 151 W. BLACKSTONE, préc., note 100, p. 191. 152 Supra, note 147. Voir aussi : « The Crown Imperial », (1914) 34 Canadian Law Times 708, cité infra, p. 82. 153 C’est une caractéristique essentielle de la monarchie britannique. En effet, selon Austin, ce n’était pas le cas dans la France absolutiste de l’Ancien Régime (ou encore dans l’Empire romain), la succession royale n’était alors qu’une question de morale et de faits politiques, puisque le Roi était un souverain absolu : J. AUSTIN, préc., note 95, p. 196 et 275; Frederic W. MAITLAND, The Constitutional History of England, Cambridge, Cambridge University Press, 1955, p. 529. Soulignons que, pour Austin, le Royaume-Uni n’est pas un État monarchique, c’est le Parlement (qui comprend la Reine ou le Roi) qui y est le souverain : J. AUSTIN, préc., note 95, p. 249, 253-254 et 277-278. 154 W. BLACKSTONE, préc., note 100, p. 190 à 192.

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Depuis des temps lointains, la Reine a deux corps, l’un naturel (la personne physique de Sa Majesté), l’autre politique (la Couronne). En 1608, la célèbre Calvin’s Case l’a reconnu:

[…] the King hath two capacities in him : one a natural body, being descended of the blood Royal of the realm; and this body is of the creation of Almighty God, and is subject to death, infirmity, and such like; the other is a politic body or capacity, so called, because it is framed by the policy of man [...] and in this capacity the King is esteemed to be immortal, invisible, not subject to death, infirmity, infancy, nonage [...]155. [Notre soulignement]

L’utilité de cette distinction était, à l’origine, d’empêcher la nullité des actes de l’État pour cause de minorité ou d’incapacité, car ils sont alors ceux du corps politique du souverain, qui est invisible et immortel156. Plus largement, il s’agit de distinguer l’action étatique de l’action privée de la Reine, puisque le corps politique correspond à la Couronne157 et la Couronne à l’État158. Comme Pierre Issalys et Denis Lemieux nous l’enseignent, cette distinction entre la Couronne et la personnalité physique ou privée de la Reine n’est « pas toujours clairement faite159 ». D’ailleurs, la législation emploie indistinctement les termes « Sa Majesté » et « Couronne », mais il s’agit en général de la personnalité morale de

155 Calvin’s Case, (1608) 7 Co. Rep. 1 a, 10a, (1608) E.R. 377, 388. 156 Voir aussi : John ALLEN, Inquiry into the rise and growth of the royal prerogative in England, Londres, Longman, Brown, Green and Longmans, 1849, p. 24-28; Ernst Hartwig KANTOROWICZ, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5. 157 Calvin’s Case, préc., note 155, 11a, 390: « […] the King’s Crown (that is, of his politic capacity) [...] » 158 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 306; André ÉMOND et Lucie LAUZIÈRE, Introduction à l’étude du droit, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, p. 30. 159 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 306. Jadis, toutes les possessions que le Souverain obtenait, par don, héritage ou autrement, se greffaient au patrimoine de la Couronne : Calvin’s Case, préc., note 155, 12a et 12b, 391. Par une série de lois du Parlement britannique, dont les plus significatives sont les Crown Private Estates Acts de 1800 (39 & 40 Geo. III, c. 88 [G.-B.]) et 1862 (25 & 26 Vict., c. 37 [R.-U.]), la Reine peut désormais posséder des propriétés privées, qui sont partiellement taxables et qui peuvent faire l’objet d’un testament (art. 5 à 9 de la loi de 1862). C’est ainsi que les résidences de Balmoral et Sandringham sont détenues : THE CROWN ESTATE, History, en ligne : . De plus, la plupart des propriétés de la Couronne britannique ne sont plus, de nos jours, gérées par la Reine elle-même ou son gouvernement, mais à la manière d’une entreprise publique, le Crown Estate : THE CROWN ESTATE, id.; Crown Estate Act, 1961, 9 &10 Eliz. II, c. 55 (R.-U.). Un pourcentage des revenus du Crown Estate, fixé au départ à 15%, sert au fonctionnement de la monarchie au Royaume-Uni : Sovereign Grant Act, 2011, c. 15 (R.-U.), par. 6(1). Voir aussi : Hilaire BARNETT, Constitutional and Administrative Law, 4e éd., Londres, Cavendish Publishing, 2002, p. 308; John KIRKHOPE, « Is the Duchy of Cornwall Entitled to Crown Immunity? », (2014) 1 Plymouth Law and Criminal Justice Review 41, 51.

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Sa Majesté (la Couronne), sauf si le contexte indique autrement160. Nous suivrons cette même pratique dans le présent mémoire : « Sa Majesté » ou « la Reine/le Roi » référera généralement à la Couronne.

Sur la forme juridique de cette Couronne, remarquons simplement et ce sans entrer dans le débat sur la nature corporative exacte de la Couronne161 que la Reine a une certaine personnalité juridique morale de la forme d’une corporation162. Pour nous, la Couronne est, en système de Westminster, la personnalité juridique perpétuelle qui comprend la puissance et la propriété publiques163.

Cette Couronne se transmet sans interrègne suivant la maxime The King never dies. Comme Sir Edward Coke l’avait rapporté dès 1608, la cérémonie du couronnement ne sert qu’à apporter de la solennité à la dévolution de la Couronne164. Cette maxime, reconnue par la Cour suprême du Canada en 1906,

160 Paul LORDON, La Couronne en droit canadien, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 6-7; Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21, par. 35(1) « Sa Majesté, la Reine, le Roi ou la Couronne ». Comparer par ex. : Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), c. 1 (5e suppl.), par. 222(2) (la dette fiscale est une créance de Sa Majesté) et Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, al. 46(1)a) et art. 49 (infractions contre Sa Majesté). 161 Nous devons cependant exprimer notre nette préférence pour la corporation sole, conformément à l’opinion de W. BLACKSTONE, préc., note 100, p. 469: « Corporations sole consist of one person only and his successors, in some particular station, who are incorporated by law, in order to give them some legal capacities and advantages, particularly that of perpetuity, which in their natural persons they could not have had. In this sense the king is a sole corporation ». Voir : Mathieu BERNIER-TRUDEAU, Corporations simple: La nature corporative de la charge royale canadienne assujettissant ses règles de succession au droit, note de recherche préparée dans le cadre du cours DRT-2204 : Recherche dirigée et rédaction d'écrits juridiques I sous la direction de Patrick Taillon, Université Laval, Hiver 2014 [non publiée]; P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5; Gérald-A. BEAUDOIN, La Constitution du Canada : institutions, partage des pouvoirs, droits et libertés, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 60; P. LAGASSÉ et J. W. BOWDEN, préc., note 79; James GRANT, A Practical Treatise on the Law of Corporations in General, as Well Aggregate as Sole, vol. 80, Law Libr. i., 1854, p. 622. 162 Noel COX, « Black v. Chretien and the Control of the Royal Prerogative », (2003) 12(3) Constitutional Forum 94, 97; P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5. 163 Voir aussi : J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 632. 164 « But the title is by descent; by Queen Elizabeth’s death the Crown and kingdom of England descended to His Majesty, and he was fully and absolutely thereby King, without any essential ceremony or act to be done ex post facto : for coronation is but a Royal ornament and solemnization of the Royal descent, but no part of the title » : Calvin’s Case, préc., note 155, 10b, 389. En droit légiféré contemporain, il y a des serments que le Souverain doit prononcer lors du couronnement sous peine de perdre la Couronne, voir : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 447-448.

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n’a jamais été renversée depuis. Au nom de la majorité, Sir Charles Fitzpatrick écrit:

The King never dies, the demise is immediately followed by the succession; there is no interval, the Sovereign always exists; the person only is changed, as Lord Lyndhurst said, in Viscount Canterbury v. The Queen165.

La charge de Reine a donc une succession perpétuelle166. Ainsi, sur le plan juridique, la dévolution de la Couronne a déjà eu lieu bien avant la cérémonie du couronnement, et même avant que la proclamation d’accession ne soit effectuée par le Conseil privé (ou conseil d’accession). Cette maxime est par ailleurs liée, selon Cox, à la doctrine de common law de la saisine, par laquelle l’héritier présomptif a un droit sur le patrimoine de son auteur en tout temps, même avant la succession167.

165 Canada v. Desrosiers, (1908) 41 S.C.R. 71, 77-78 (motifs du juge en chef Fitzpatrick). La règle a également été reconnue dans la Calvin’s Case, préc., note 155, 11a, 390 : « [...] by the laws of England there can be no inter regnum within the same ». Voir aussi : William R. ANSON, The Law and Custom of the Constitution, vol. 1, Parliament [1886], Oxford, Clarendon Press, 1911, p. 4 : « […] perpetuity is regarded as a royal attribute; the king, it is said never dies and the throne is never vacant […] »; W. BLACKSTONE, préc., note 100, p. 470 : « The king, for instance, is made a corporation to prevent in general the possibility of an interregnum or vacancy of the throne, and to preserve the possessions of the crown entire ; for, immediately upon the demise of one king, his successors is, as we have formerly seen, in full possession of the legal rights and dignity ». 166 De l’époque impériale jusqu’à une période relativement récente, la dévolution de la Couronne provoquait certains effets juridiques. Comme le serment visait la personne physique du souverain, les titulaires de charges publiques, tels les juges, députés et fonctionnaires, devaient prêter serment au nouveau monarque. Les assemblées électives, comme la Chambre des communes ou l’Assemblée législative, étaient dissoutes instantanément. Cela n’est plus le cas aujourd’hui : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. V.2.17; Loi d’interprétation, préc., note 160, art. 46 : (1) La dévolution de la Couronne n’a pas pour effet : a) de porter atteinte à l’occupation d’une charge publique fédérale; b) d’obliger à nommer de nouveau le titulaire d’une telle charge ou de lui imposer la prestation d’un nouveau serment professionnel ou d’allégeance. (2) La dévolution de la Couronne n’a pour effet, ni au civil ni au pénal, de porter atteinte aux actes émanant des tribunaux constitués par une loi ou d’interrompre les procédures engagées devant eux, ni d’y mettre fin, ces actes demeurant valides et exécutoires et ces procédures pouvant être menées à leur terme sans solution de continuité. Sur l’allégeance et le serment, voir : infra, p. 136 et suiv. 167 N. COX, préc., note 162, 97 : « It was also supported by the common law doctrine of seisin, where the heir was possessed at all times of a right to an estate even before succession ».

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Cette succession héréditaire est initialement régie par des règles de nature coutumière, au premier chef la primogéniture masculine, la représentation et la légitimité168.

D’abord, la primogéniture masculine signifie que le premier garçon du souverain est l’héritier, ou à défaut d’un garçon, la première fille. C’est ainsi qu’Elizabeth II hérita de la Couronne en 1952, car son père, le Roi George VI, n’avait eu aucun fils. Sur ce point, Benoît Pelletier nous enseigne que:

While certain rules touching the succession to the throne have thus been enacted since the Revolution of 1688, others are still confined to common law principles. The ancient feudal principle of primogeniture dictates that men have precedence over women, in a direct line from the sovereign, in order of succession to the throne. This rule originates in the feudal path of descents to land. The Crown too descends lineally to the issue of the reigning monarch, and the preference of males over females is strictly adhered to. Upon failure of the male line, the Crown descends to the female issue, but among the females, it descends by right of primogeniture to the eldest daughter only and not, as in common inheritances, to all the daughters at once169. [Notre soulignement]

Cette règle fait donc exception à l’ancien droit commun féodal en prévoyant que la Couronne ne peut se diviser entre les filles du souverain.

Ensuite, la représentation signifie que l’enfant survivant prend la place de son auteur décédé dans la ligne de succession170. Par exemple, le petit enfant du Roi devient l’héritier présomptif en cas de décès de son parent qui l’était jusqu’alors171.

168 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 321. 169 Benoît PELLETIER, « The Constitutional Requirements for the Royal Morganatic Marriage », (2005) 50 (2) McGill L. J. 265, par. 32. Voir aussi : P. W. HOGG, préc., note 65, p. 84; Robert BLACKBURN, “Written evidence submitted by Professor Robert Blackburn”, Political and Constitutional Reform Committee Publications, House of Commons (U.-K.), November 2011, en ligne: . 170 Anne TWOMEY, « The laws of succession to the throne – Australia and Canada », expertise dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17- 018455-139, par. 2.2 : « A further rule of 'representation' provides that surviving children take the place of their dead parent in the line of succession. Hence, if a monarch has, in order of birth, Daughter A, Son B and Son C, then Son B takes precedence as the heir over his older sister and younger brother. If Son B dies before succeeding to the throne but has Daughter D, she would replace her father in the line of succession, taking priority over her uncle, Son C, and her aunt, Daughter A ».

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Enfin, la règle de la légitimité signifie, quant à elle, que les enfants illégitimes sont exclus de la succession. Anne Twomey le souligne, la Legitimacy Act172 de 1976, qui vise à régir la situation d’enfants illégitimes au Royaume-Uni, spécifie expressément ne pas s’appliquer à la succession royale173. Cela confirme le maintien de la règle de common law en la matière.

Ce sont donc ces règles coutumières qui font de la charge de Reine une institution héréditaire. Ces règles sont, en quelque sorte, supplétives, car elles ont pu être complétées ou modifiées par le Parlement. Comme le remarque Sir William Blackstone, le Parlement impérial pouvait changer le point de départ de cette succession ou ajouter des limitations supplémentaires dans la succession royale. Concernant ce jus coronae qui est le cœur du droit relatif à la Couronne), il écrit:

The grand fundamental maxim upon which the jus coronae, or right of succession to the throne of these kingdoms, depends, I take to be this: “that the crown is, by common law and constitutional custom, hereditary; and this in a manner peculiar to itself: but that the right of inheritance may from time to time be changed or limited by ; under which limitations the crown still continues hereditary174. [Notre soulignement]

Sous réserve de ces limites légiférées, la Couronne est dévolue héréditairement175. Ce principe de supplantation des règles de droit non écrites par les règles de droit écrites est, du reste, semblable à celui applicable à un autre pan de la common law : la prérogative royale176. Celle-ci peut être confirmée, modifiée

171 Si on veut illustrer la règle par un exemple concret, si le Prince Charles (l’héritier présomptif actuel) meurt avant Sa Majesté la Reine Elizabeth II, le prince William succèdera directement, en représentant son père. 172 Legitimacy Act, 1976, c. 31 (R.-U.), annexe 1, art. 5: « It is hereby declared that nothing in this Act affects the Succession to the Throne ». 173 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 321. 174 W. BLACKSTONE, préc., note 100, p. 191. 175 Par exemple, dans sa conception philosophique des institutions britanniques, Edmund Burke accorde une égale importance au caractère sacré du principe de succession héréditaire et au pouvoir du Parlement de changer son application dans des cas d’ « urgence » : Edmund BURKE, Reflections on the Revolution in France. A critical edition, éd. par J.C.D. CLARK, Stanford, Stanford University Press, 2001, p. 100. 176 « La prérogative royale est [TRADUCTION] « le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est légalement investie à tout moment » : Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy Upon Deportation Proceedings, 1933 CanLII 40 (SCC), [1933] R.C.S. 269, p. 272, le juge en chef Duff, citant A. V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution (8e éd. 1915), p. 420. Il s’agit d’une source limitée de pouvoir administratif ne découlant pas de la législation, que confère la common law à la Couronne : Hogg,

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ou abrogée par loi du Parlement177. D’ailleurs, lorsque la common law est confirmée par une loi, elle en acquiert le rang dans la hiérarchie des normes178. Comme le constatent Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, ce principe a été renforcé par les lois les plus fondamentales de l’histoire constitutionnelle britannique, au premier chef desquelles figurent le Bill of Rights et l’Act of Settlement :

La suprématie législative permet au parlement d'abolir, de réduire ou de relativiser les prérogatives, de quelque nature qu'elles soient. De fait, les lois les plus fondamentales de l'histoire constitutionnelle britannique, dont le Bill of Rights de 1689 et l'Act of Settlement de 1701, avaient justement pour but de limiter des prérogatives royales : c'est ainsi que ni le souverain ni le gouvernement ne peuvent rendre eux-mêmes la justice ni intervenir dans son cours normal, dispenser de l'observation des lois ou imposer une taxe sans l'assentiment du parlement179. [Notre soulignement]

Ce principe est consubstantiel à la conception britannique de la primauté du droit, il participe de l’encadrement de la Couronne par la loi du Parlement et la common law. Les mêmes auteurs ajoutent : « D'un point de vue historique, la rule of law est donc l'assujettissement progressif du pouvoir royal au droit législatif et à la common law, tels qu'administrés par les tribunaux ordinaires180 ». Cet assujettissement, de même que la reconnaissance de la constitution de la Couronne par le droit, résulte, entre autres, de décisions judiciaires rendues au début des années 1600, notamment les Prohibitions del Roy181 en 1607, la Calvin’s Case182 de 1608 et la Case of Proclamations183 de 1610.

Appliqué aux sources des règles de succession royale, le principe de rule of law signifie que les lois du Parlement ont préséance sur les règles non écrites de p. 1-17 » : Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, par. 34 (per curiam). 177 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 103. 178 D. BARANGER, préc., note 6, p. 157. Voir aussi : Nadan v. The King, [1926] AC 482, [1926] UKPC 13. 179 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IX.80; Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 4 : « And whereas the Laws of England are the Birthright of the People thereof and all the Kings and Queens who shall ascend the Throne of this Realm ought to administer the Government of the same according to the said Laws [...] ». 180 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IX.19. 181 Prohibitions del Roy, (1607) 12 Co. Rep. 63. 182 Calvin’s Case, préc., note 155. 183 The Case of Proclamations, préc., note 109.

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primogéniture masculine, de représentation et de légitimité, mais que ces dernières subsistent et encadrent juridiquement la Couronne tant qu’elles ne sont pas contredites par le droit légiféré.

La question de la source juridique exacte de ces règles de droit non écrites sur la succession royale qui sont généralement respectées depuis les temps immémoriaux184 demeure néanmoins ouverte. Blackstone et Pelletier emploient indistinctement « common law » et « coutume constitutionnelle », tandis que Twomey parle plus souvent de common law. Pour les fins de la présente étude, il n’est pas nécessaire de trancher ce point, tant qu’il est bien compris qu’il s’agit ici de règles non écrites, certes, mais contraignantes sur le plan juridique et formel185. Le débat est également stérile dans la mesure où, par jugement des tribunaux, la common law « reçoit » les coutumes du royaume. Par exemple, la succession héréditaire est reconnue dans la Calvin’s Case :

The King holdeth the kingdom of England by birth-right inherent, by descent from the blood Royal, whereupon succession doth attend; and therefore it is usually said, to the King, his heirs and successors, wherein heirs is first named, and successors is attendant upon heirs. And yet in our ancient books succession and successor are taken for hereditance and heirs186.

Ainsi, ce qui a été à l’origine une règle coutumière aurait été confirmé par les tribunaux et dès lors transformé en règle de common law.

En définitive, la charge de Reine est donc constituée de ces règles de common law ou de coutume constitutionnelle et des lois du Parlement qui les ont altérées de temps à autre. Elles forment ensemble un système sui generis. Benoît Pelletier écrit :

By constitutional custom, these laws and principles are part of a system that is sui generis. The amalgamation of these statutes and customary

184 Et strictement depuis 1689. 185 La coutume est, comme la common law et contrairement aux conventions constitutionnelles, une source de règles sanctionnables par les tribunaux : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. I.131 et I.132. La coutume est donc du droit positif : supra, note 97. 186 Calvin’s Case, préc., note 155, 10b, 389. Voir aussi : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 447.

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principles constitute the office of the sovereign as well as the rules of succession187.

En somme, si les lois du Parlement jouent un rôle fondamental dans la détermination des règles de dévolution de la Couronne, ces lois doivent cependant être lues, comprises et analysées en tenant compte des règles juridiques non écrites qu’elles reconnaissaient et dans lesquelles elles baignent.

187 B. PELLETIER, préc., note 169, par. 33.

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1.2 Les lois impériales fondamentales

Parmi les lois qui ont réaménagé au fil du temps la charge de Reine avant l’avènement d’une Couronne canadienne distincte, cinq textes du Parlement impérial doivent principalement être analysés : le Bill of Rights, 1689188, l’Act of Settlement, 1701189, l’Union with Act, 1706190, l’Union with Ireland Act 1800191 et le Royal Marriages Act, 1772192.

1.2.1 La souveraineté du Parlement : le Bill of Rights de 1689

Après des siècles de luttes entre les souverains, les parlementaires et les juges quant à savoir quel organe, quelle volonté et ainsi quelle source du droit devait primer sur les autres, le Bill of Rights de 1689 a été adopté à l’occasion de la Glorieuse Révolution, qui a chassé le Roi Jacques II de l’Angleterre. Le Bill of Rights a officialisé son « abdication » et la prise de possession du pouvoir par son gendre et sa fille, Guillaume et Marie.

Ce texte est essentiel à bien des égards. Comme Émond le remarque, cet épisode constitue certainement une fracture dans l’histoire constitutionnelle britannique193. Il met d’abord un terme à cette lutte de pouvoir en établissant définitivement la souveraineté du Parlement194 même sur la question de savoir qui peut être le souverain195. Cette clé de voute de la Constitution britannique étend aussi les droits des sujets (notamment celui d’avoir un Parlement élu librement, convoqué

188 Bill of Rights, 1689, 1 Will. & Mary Sess. 2, c. 2 (Angleterre). 189 Act of Settlement, 1701, préc., note 15. 190 Union with Scotland Act, 1706, 6 Anne c. 11 (Angleterre). 191 Union with Ireland Act 1800, 39 & 40 Geo III, c. 67 (G.-B.). 192 Royal Marriages Act, 1772, 12 Geo. III, c. 11 (G.-B.). 193 André ÉMOND, « L'évolution de la relation entre la Couronne et le Parlement anglais », dans Michel BÉDARD et Philippe LAGASSÉ (dir.), Le Parlement et la Couronne au Canada / Parliament and the Crown in Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 5, à la page 29. 194 Le Bill of Rights est la confirmation de la souveraineté du Parlement, même si elle s’était, à certains égards, consolidée auparavant : id., aux pages 23 et suiv.; R.(Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, préc., note 107, par. 26 (Lord Thomas of Cwmgiedd CJ, Sir Terence Etherton MR et Lord Sales). 195 Auparavant, le Parlement avait légitimé, à la demande du souverain, les modifications à la succession royale à l’époque d’Henri VIII, tandis qu’Elizabeth Ire avait plus tard considéré ce sujet comme relevant de la prérogative royale : A. ÉMOND, préc., note 193, aux pages 21-22.

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fréquemment, et qui soit seul capable d’établir des prélèvements fiscaux196), et les privilèges des chambres parlementaires197. Avec le Bill of Rights, la Reine perd la compétence de légiférer seule198 et, depuis ce temps, « [t]he bedrock of the British constitution is [...] the supremacy of the Crown in Parliament199 ».

Plus précisément en ce qui concerne la charge de Reine, le Bill of Rights fixe la Reine Marie comme nouveau point de départ de la succession royale200. La loi établit également, à défaut de descendance de Marie, quels seront les points de départ supplétifs de la succession royale. Cette disposition rend également sans équivoque l’exclusion des enfants adoptés, en précisant que ce sont les héritiers « of the Body of the said Princesse» qui succèdent.

La Glorieuse Révolution avait aussi pour but d’éviter l’installation au pouvoir d’une dynastie catholique201. L’hypothèse d’une telle dynastie rimait, pour les politiciens de l’époque, avec la perspective d’un gouvernement autoritaire202. C’est pourquoi le Bill of Rights exclut également les catholiques et ceux qui marient des catholiques de la succession au trône et de la possession de la Couronne :

196 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 372. 197 st E. BURKE, préc., note 175, p. 163 : «This Declaration of Rights (the act of the 1 of William and Mary, sess. 2 ch. 2) is the corner-stone of our constitution, as reinforced, explained, improved, and in its fundamental principles for ever settled. It is called “An act for declaring the rights and of the subject, and for settling the succession of the crown.” You will observe that these rights and this succession are declared in one body, and bound indissolubly together ». [Notre soulignement] 198 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 386-387. 199 R.(Jackson) v. Attorney General, [2005] UKHL 56 (Lord Bingham of Cornhill), cité dans R.(Miller) v. Secretary of State for Exiting the European Union, préc., note 107, par. 23 (Lord Thomas of Cwmgiedd CJ, Sir Terence Etherton MR et Lord Sales). 200 « [...] And for preventing all Questions and Divisions in this Realme by reason of any pretended Titles to the Crowne and for preserveing a Certainty in the Succession thereof in and upon which the Unity Peace Tranquillity and Safety of this Nation doth under God wholly consist and depend The said Lords Spirituall and Temporall and Commons doe beseech their Majestyes That it may be enacted established and declared That the Crowne and Regall Government of the said Kingdoms and Dominions with all and singular the Premisses thereunto belonging and appertaining shall bee and continue to their said Majestyes and the Survivour of them dureing their Lives and the Life of the Survivour of them And that the entire perfect and full Exercise of the Regall Power and Government be onely in and executed by his Majestie in the Names of both their Majestyes dureing their joynt Lives And after their deceases the said Crowne and Premisses shall be and remaine to the Heires of the Body of her Majestie and for default of such Issue to her Royall Highnesse the Princess Anne of Denmarke and the Heires of her Body and for default of such Issue to the Heires of the Body of his said Majestie [...] » [Notre soulignement] : Bill of Rights, 1689, préc., note 188, art. 1. 201 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 368. 202 Id., p. 363-364.

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[...] And whereas it hath beene found by Experience that it is inconsistent with the Safety and Welfaire of this Protestant Kingdome to be governed by a Popish Prince [...] it may be enacted That all and every person and persons that [...] shall professe the Popish Religion or shall marry a Papist shall be excluded and be for ever uncapeable to inherit possesse or enjoy the Crowne and Government of this Realme and Ireland and the Dominions thereunto belonging or any part of the same or to have use or exercise any Regall Power Authoritie or Jurisdiction within the same203 [...].

Au regard de ces règles d’exclusion, ces personnes de confession catholique sont « considérées mortes » (naturally dead) aux yeux de la succession royale et peuvent n’exercer l’« autorité royale » (Regall Power Authoritie or Jurisdiction) en Angleterre ou dans ses Dominions.

De ces extraits du Bill of Rights, au moins deux principes se dégagent quant à la succession royale : cette succession est fixée en droit pour assurer « a Certainty in the succession », et cette succession est fixée dans le droit de tous les territoires soumis au Parlement de Westminster, étant établie pour l’Angleterre, les « Dominions » et « any part of the same204 ».

1.2.2 Une succession régie par le droit légiféré : l’Act of Settlement de 1701

À la mort de la Reine Marie en 1694, bien des inquiétudes entouraient alors l’avenir de la nouvelle dynastie établie par le Parlement en 1689. Guillaume et Marie n’avaient eu aucun enfant205, ce qui faisait qu’à la mort de ce dernier, la Couronne allait être dévolue à la princesse Anne, suivant le Bill of Rights206. Anne n’ayant pas plus d’héritier, le Parlement craignait alors que le fils de Jacques II, pourtant écarté par le Bill of Rights, se convertisse au protestantisme et prétende à la Couronne en tant qu’héritier légitime207.

De façon prospective, le Parlement a adopté l’Act of Settlement, 1701. Cette loi fixe donc un nouveau point de départ à la succession royale en la princesse

203 Bill of Rights, 1689, préc., note 188, art. 1. 204 Id., art. 1. 205 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 377. 206 Bill of Rights, 1689, préc., note 188, art. 1. A. ÉMOND, préc., note 4, p. 377. 207 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 377.

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Sophie, électrice de Hanovre, en plus de réaffirmer certains droits des sujets anglais et l’indépendance des juges des cours supérieures. Ce point de départ, toujours en vigueur aujourd’hui208, est édicté ainsi :

[...] That the most Excellent Princess Sophia Electress [...] be and is hereby declared to be the next in Succession in the Protestant Line to the Imperial Crown and Dignity of the said Realms of England France and Ireland with the Dominions and Territories thereunto belonging209 [...]. [Notre soulignement]

Sophie, une parente éloignée de la famille royale, allait succéder à la princesse Anne210.

L’Act of Settlement réitère également les limitations religieuses à la succession royale et à la possession de la Couronne contenues dans le Bill of Rights211, en plus d’ajouter l’exigence que le Souverain demeure en « communion » avec l’Église anglicane : « That whosoever shall hereafter come to the Possession of this Crown shall joyn in Communion with the Church of England as by Law established212 ».

Edmund Burke remarque que cette succession établie en droit et ces limitations religieuses ont été édictées pour la paix du Royaume. Il écrit :

This act also incorporated, by the same policy, our liberties, and an hereditary succession in the same act. Instead of a right to choose our own governors, they declared that the succession in that line (the protestant line drawn from James the First) was absolutely necessary “for the peace,

208 La ligne de succession a été déviée par l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936 (préc., note 86) pour exclure la descendance d’Édouard VIII. Selon son par. 1(2), l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act force la réinterprétation de l’Act of Settlement. Voir : infra, p. 117 et suiv. 209 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1. 210 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 377. 211 « [...] That all and every Person and Persons that then were or afterwards should be reconciled to or shall hold Communion with the See or Church of Rome or should professe the Popish Religion or marry a Papist should be excluded and are by that Act made for ever incapable to inherit possess or enjoy the Crown and Government of this Realm and Ireland and the Dominions thereunto belonging or any part of the same or to have use or exercise any regall Power Authority or Jurisdiction within the same [...].» [Notre soulignement] : Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1. 212 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 3; A. ÉMOND, préc., note 4, p. 377. André Émond remarque que le souverain peut appartenir à une autre religion, comme c’était le cas pour George Ier et George II, qui étaient luthériens allemands.

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quiet, and security of the realm,” and that it was equally urgent on them “to maintain a certainty in the succession thereof, to which the subjects may safely have recourse for their protection”213.

Tout comme le Bill of Rights, l’Act of Settlement a donc pour but d’établir par le droit « a certainty in the succession ». Toutefois, si ces deux lois fondamentales du Parlement anglais convergent sur ce point, le contexte juridique dans lequel elles ont été élaborées diffère considérablement. Rupture avec la légalité stricte, le Bill of Rights a constitué un coup de force par lequel deux chambres et non le Parlement ont remis la Couronne à des individus ayant pris le pouvoir par les armes214. Car le Parlement (Crown in Parliament) comprend le Roi, qui avait alors fui le royaume et n’a jamais sanctionné le Bill of Rights. Même en qualifiant cette fuite d’ « abdication », la Couronne aurait été dévolue à son fils, suivant la common law, et non à son gendre et sa fille215. C’est donc un acte « révolutionnaire » au sens juridique du terme, qui a modifié l’ordre établi sans respecter les règles de l’ordre ancien216.

L’Act of Settlement, quant à lui, a été le geste libre par lequel un Parlement légalement constitué217 a décidé qui occupera le poste de chef d’État. Il confirme en ce sens que la succession s’organise conformément au principe fondamental de la constitution britannique qu’est la rule of law. Ce dernier commande « que le chef de l’État doit être désigné ni par ses prédécesseurs ni par jugement de Dieu ni selon le droit d’un autre État, mais bien en fonction de la loi du Parlement titulaire de la souveraineté dans l’État218 ».

Dicey conclut que, suite l’Act of Settlement, le charge royale a désormais un fondement parlementaire: « the King occupies the throne under a Parliamentary

213 E. BURKE, préc., note 175, p.163-164. 214 Pour l’anecdote, les auteurs de la révolution légitimaient leur action en prétendant que Marie était l’héritière légitime, soutenant que le vrai fils de Jacques II était mort-né : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 368. 215 Id., p. 385-386. 216 Stanley A. DE SMITH, The New Commonwealth and its Constitutions, Londres, Stevens & Sons, 1964, p. 5. 217 Suivant l’ordre juridique établi à la suite du coup de force de 1689. 218 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 361. Voir aussi : Serge JOYAL, « Un entretien avec l'honorable sénateur Serge Joyal », (2012-2013) 44 (3) RD Ottawa 595, par. 60.

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title; his claim to reign depends upon and is the result of a statute219 ». En effet, seule la loi du Parlement, norme suprême dans l’ordre juridique britannique et édictée avec le concours des élus du royaume, a pu par la suite établir les règles de dévolution de la Couronne220. André Émond écrit :

On avait vu le Parlement modifier l’ordre de succession durant le règne d’Henri VIII (1509-1547). La nouveauté, depuis 1689, était de lui avoir reconnu le pouvoir de choisir librement ceux qui devaient régner. On passait ainsi d’une royauté établie par la volonté de Dieu à une royauté fondée sur le consentement populaire. La coutume de primogéniture a continué d’être appliquée afin d’identifier l’héritier de la Couronne, mais dans la seule mesure où le Parlement ne décidait pas de l’écarter pour un candidat plus à son goût.

Aucun autre monarque anglais n’osera prétendre qu’il devait ne rendre des comptes qu’au Tout Puissant. Malgré leur devise « Dieu et mon droit», les rois et reines de Grande-Bretagne et du Royaume-Uni ont accepté l’idée que le consentement populaire, dont le Parlement se faisait l’écho, constituait le véritable fondement de leur pouvoir221.

Les rois et reines ne règnent donc plus par la volonté divine, mais par le consentement du peuple et de son Parlement.

Mais il y a plus. L’Act of Settlement a placé à la tête de l’Angleterre une dynastie allemande, celle du Hanovre, mais ne subordonne pas la Couronne anglaise aux aléas de cette principauté; elle établit le monarque régnant en Hanovre dans le droit d’Angleterre et soumet sa succession au droit d’Angleterre. En d’autres termes, il résultait momentanément de l’Act of Settlement une union personnelle entre la Couronne d’Hanovre et celle d’Angleterre, mais conformément au principe anglais de rule of law cette présence d’une même personne physique à la tête de deux royaumes indépendants découlait du fait que les règles anglaises de succession convergeaient vers la personne régnant sur le Hanovre, sans que le droit de cette dernière ne s’impose en Angleterre. Ainsi, la dévolution de la Couronne anglaise (puis britannique) s’est continuée sans égard aux aléas du droit ou de la vie politique de la principauté d’Hanovre. C’est pourquoi la succession

219 A. V. DICEY, préc., note 129, p. 41. 220 D. COFFEY, préc., note 29, 97: « Any alteration in the line of succession would therefore require a statutory amendment ». 221 A. ÉMOND, préc., note 4, p. 385.

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agnatique, applicable au Hanovre, a empêché la Reine Victoria d’occuper cette charge tandis qu’elle montait sur le trône impérial britannique en 1837222. La loi salique, que l’on rencontrait plus souvent sur le continent européen, interdisait en effet aux femmes de régner sur cet État.

On peut donc tirer un autre principe de la succession royale qui se dégage de l’Act of Settlement : dans les royaumes partageant un même monarque, les Couronnes sont indépendantes. Ces monarchies fonctionnent en union personnelle, c’est-à- dire que le souverain d’un territoire obtient son titre en vertu du droit de ce territoire. Ce sont alors deux États souverains, qui ont un chef d’État distinct, mais dont la charge est attribuée à une même personne physique. Autrement dit, il est sous-jacent à l’Act of Settlement que la dévolution de la Couronne se fasse suivant le droit du territoire sur lequel son titulaire sera le souverain.

1.2.3 L’évolution des Couronnes écossaise et anglaise : de l’union personnelle aux Unions Acts de 1706-1707

Ce principe d’indépendance des Couronnes en contexte d’union personnelle existait déjà dans le droit constitutionnel d’Écosse et d’Angleterre depuis près d’un siècle.

En effet, avant le XVIIIe siècle, l’Écosse avait une monarchie distincte de celle de l’Angleterre. Cette charge de Roi d’Écosse était dévolue en vertu du droit de la succession royale alors applicable sur ce territoire. En 1603, par un concours de circonstances, le Roi d’Écosse est devenu Roi d’Angleterre sous le nom de Jacques VI d’Écosse et Ier d’Angleterre223. En effet, Elizabeth Ire n’avait aucun héritier, et Jacques VI d’Écosse était le seul membre de sa famille qui avait l’envergure pour devenir Roi d’Angleterre224. Par conséquent, un même Roi,

222 D. COFFEY, préc., note 29, 102; Thomas FRANCK, « The Crown as Head of the Commonwealth », (1953-1958) 2 U.B.C. Legal Notes 167, 170. 223 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 366. 224 L’ordre de succession pointait alors sur un dénommé Lord Beauchamp, que personne ne voulait voir monter sur le trône. Elizabeth ne voulant pas entendre dire un mot sur sa succession, pas même de ses conseillers privés, le secrétaire d’État Robert Cecil répandit dans l’opinion publique l’idée que Jacques VI était l’héritier présomptif de la Couronne anglaise. Une fois Elizabeth

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portant deux Couronnes différentes, a régné sur l’Angleterre et l’Écosse pendant l’essentiel des années 1600225. La Calvin’s Case de 1608 l’a reconnu: « […] the King hath but one person, and several capacities, and one politic capacity for the realm of England, and another for the realm of Scotland226 [...] ». C’est donc dire qu’en common law, tant par rapport à l’Écosse (1603-1707) qu’au Hanovre (1701- 1837), la dévolution de la Couronne anglaise (puis britannique) est indépendante en contexte d’union personnelle : « […] the King’s Royal issue should fail, &c. whereby those kingdoms might again be divided227 ». C’est pourquoi, lors de la Glorieuse Révolution, il a fallu que le Parlement écossais édicte une loi, le Claim of Right Act de 1689, pour que Guillaume et Marie règnent tout autant en Écosse qu’en Angleterre, préservant ainsi l’union personnelle228.

En réponse à cette situation, dès 1607, le Roi Jacques a formulé dans un discours le projet de pérenniser la succession royale commune de l’Angleterre et de l’Écosse. Au sujet de ce discours baptisé « Unus rex, unus grex, una lex », Guilluy écrit :

Unus rex – Si Jacques avait succédé à Élisabeth en 1603 et réalisé ainsi l’union dynastique [Note : une union personnelle] des Couronnes écossaise et anglaise, celle-ci devait cependant être pérennisée. Il apparaissait donc souhaitable que la ligne de succession au trône d’Écosse suive, pour l’avenir, celle de l’Angleterre, rendant alors l’union perpétuelle [Note : une union formelle des deux royaumes]229.

À terme, cette union dynastique perpétuelle a été réalisée, non pas en insérant dans le droit écossais un renvoi automatique au droit d’Angleterre, mais par

er décédée, Cecil proclama Jacques VI roi d’Angleterre en tant que Jacques I : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 305-306. Pour assurer la sécurité juridique de cette succession irrégulière, le Parlement adopta une loi : A most joyful and just recognition of the immediate, lawful and undoubted Succession, Descent and Right of the Crown, (1604) 1 Jam. I, с. 1 (Angleterre); G. W. PROTHERO, préc., note 146, p. 250. 225 Ainsi en était-il également entre l’Irlande et l’Angleterre : Thibault GUILLUY, « Les conceptions de l’Empire dans l’histoire britannique (XVIe-XVIIIe siècle) : entre unité et union », (2015) Jus Politicum 14, en ligne : , p. 6. Voir : infra, p. 47 et suiv. 226 Calvin’s Case, préc., note 155, 10 a, 389. La « politic capacity » est la Couronne, voir : supra, note 157. 227 Id., 26 a et b, 408. 228 Claim of Right Act, 1689, c. 28 (Écosse). Voir : J. HUNTER, préc., note 36, 428. 229 T. GUILLUY, préc., note 225, p. 10.

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l’adoption de dispositions législatives identiques sur l’ensemble du territoire de la Grande-Bretagne. Le projet politique formulé un siècle plus tôt par Jacques Ier et VI a en effet été réalisé par l’adoption des Unions Acts de 1706 et de 1707, auxquels les Écossais ont dû se résoudre pour des raisons économiques. Constituant la Grande-Bretagne, ces deux lois adoptées respectivement par le Parlement d’Angleterre et par le Parlement d’Écosse contiennent la disposition suivante :

Succession to the Monarchy.

That the Succession to the Monarchy of the United and of the Dominions thereto belonging after Her most Sacred Majesty and in default of Issue of Her Majesty be remain and continue to the most Excellent Princess Sophia Electoress and Dutchess Dowager of Hanover and the Heirs of her body being Protestants upon whom the Crown of England is settled by an Act of Parliament made in England in the Twelfth year of the reign of His late Majesty King William the Third intituled an Act for the further Limitation of the Crown and better securing the rights and Liberites of the Subject And that all Papists and persons marrying Papists shall be excluded from and forever incapable to inherit possess or enjoy the Imperial Crown of Great Britain and the Dominions thereunto belonging or any part thereof and in every such Case the Crown and Government shall from time to time descend to and be enjoyed by such person being a Protestant as should have inherited and enjoyed the same in case such Papist or person marrying a Papist was naturally dead according to the Provision for the descent of the Crown of England made by another Act of Parliament in England in the first year of the reign of Their late Majesties King William and Queen Mary intituled an Act declaring the Rights and Liberites of the Subject and settling the Succession of the Crown230. [Notre soulignement]

Par une disposition expresse, les parlements d’Écosse et d’Angleterre ont harmonisé le droit relatif à la dévolution de la Couronne à l’échelle de la Grande- Bretagne naissante de l’union législative des deux royaumes, ainsi que celui de leurs colonies par delà les mers. Par conséquent, Sophie de Hanovre, établie comme point de départ à la succession au trône d’Angleterre six ans plus tôt par l’Act of Settlement, est également devenue le point de départ de la succession au trône en Écosse231. Autrement dit, la perte de souveraineté de l’Écosse résulte, sur

230 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 2, identique à Union with England Act, 1707, Anne c. 7 (Écosse), art. 2. 231 Sophie ayant prédécédée la Reine Anne, son fils George Ier monta sur le trône de Grande- Bretagne en 1714.

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le plan juridique, du passage d’une union personnelle entre deux royaumes formellement distincts à la constitution d’un seul royaume (la Grande-Bretagne), où les règles de succession sont les mêmes sur l’ensemble du territoire.

1.2.4 La Couronne irlandaise et l’Union with Ireland Act 1800

Si les Acts of Union232 de 1706-1707 ont permis d’unir l’Écosse et l’Angleterre en une « Grande-Bretagne », il a fallu attendre l’annexion de l’Irlande en 1801 pour que le Royaume-Uni moderne naisse. Pourtant, l’Irlande avait été érigée en union personnelle avec l’Angleterre dès le règne d’Henri VIII par disposition d’une loi du vieux Parlement irlandais, la Crown of Ireland Act, 1542. L’article premier de cette loi fait expressément en sorte que la ligne de succession irlandaise suive perpétuellement celle de l’Angleterre233, afin que l’Irlande lui demeure subordonnée.

Au début du XIXe siècle, l’union personnelle s’est transformée en union législative, c’est-à-dire la création d’un État unitaire. Par une loi du Parlement britannique, l’Union with Ireland Act 1800234, et une loi du vieux Parlement irlandais, l’Act of Union (Ireland) 1800235, la Grande-Bretagne et l’Irlande ont été fusionnées, comme l’Écosse et l’Angleterre l’avaient été un siècle auparavant. L’article 2 de chacune de ces lois édicte la continuité quant à la succession royale du nouveau Royaume- Uni, et de ses Dominions236.

232 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190; Union with England Act, 1707, préc., note 230. 233 Crown of Ireland Act 1542, 33 Hen VIII, c. 1, art. 1 (Irlande):“The King’s highnesse, his heyres and successours, Kings of England, be alwayes Kings of Ireland, and that his Majestie, his heyres and successours, have the name, stile, title, and honour of King of Ireland, with all maner honours, preheminences, prerogatives, dignities, and other things whatsoever they be to the estate and majestie of a King imperiall appertayning or belonging; and that his majestie, his heyres and successours, be from henceforth named, called, accepted, reputed, and taken to be Kings of Ireland, to have, hold and enjoy the said stile, title, majestie, and honours of King of Ireland, with all maner preheminences, prerogatives, dignities, and all other the premisses unto the King’s highnesse, his heyres and successours for ever, as united and knit to the imperial crown of England.” [Notre soulignement] 234 Union with Ireland Act 1800, préc., note 191. 235 Act of Union (Ireland) 1800, 40 Geo III, c. 38 (Irlande). 236 Par exemple, voir la loi impériale Union with Ireland Act 1800, préc., note 191, art. 2 : “That it be the Second Article of Union, that the succession to the imperial crown of the said United Kingdom, and of the dominions thereunto belonging, shall continue limited and settled in the same manner as

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1.2.5 L’exigence du consentement aux mariages royaux : le Royal Marriages Act de 1772

Dernière des lois impériales affectant la succession royale avant l’avènement d’une Couronne canadienne distincte, le Royal Marriages Act, 1772 prescrit que les descendants du Roi George II doivent obtenir le consentement du souverain préalablement à leur union sous peine de nullité du mariage237. Ce consentement, enregistré dans les livres du Conseil privé238, visait historiquement à préserver le contrôle du monarque sur la maison royale. Depuis la consolidation du gouvernement responsable, ce mécanisme participe désormais au contrôle de la composition de la famille royale par le Cabinet, et plus particulièrement au choix de l’époux du chef de l’État. Blackburn écrit:

The logic behind this idea is that the partnership of the individual who is Head of State is a matter of public interest to the wellbeing of the Government and the country239.

Un mariage sans consentement royal étant nul, les enfants de cette union sont illégitimes. Ainsi, ils sont exclus de la succession royale240.

the succession to the imperial crown of the said kingdoms of Great Britain and Ireland now stands limited and settled, according to the existing laws and to the terms of union between England and Scotland.” [Notre soulignement] 237 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192, art. 1. L’article 2 de la même loi permet de passer outre le refus royal si le descendant avise le Conseil privé de la Reine qu’il va se marier et si, dans les 12 mois de cet avis, les deux chambres du Parlement n’ont pas déclaré expressément leur désapprobation du mariage. 238 Id., art. 1. 239 R. BLACKBURN, préc., note 169, p. 5-6. Comme Blackburn le souligne, encore dans les années 1950, le Cabinet avait effectivement empêché la Princesse Margaret, la sœur de la souveraine, de marier le capitaine Townsend parce qu’il était divorcé. 240 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 321. Voir : supra, p. 34.

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1.3 L’application du droit d’Angleterre et des lois impériales au Canada

Une fois établi l’essentiel des règles écrites et non écrites qui constituent la charge de Reine, il convient de dire quelques mots sur l’extension de ce droit aux territoires formant l’Empire britannique. Comment ces règles ont-elles été intégrées et appliquées dans les colonies, notamment celles de l’Amérique du Nord britannique et appelées à devenir le Dominion canadien? C’est là une question centrale qui fait appel à des règles antérieures à la constitution d’une Couronne canadienne indépendante, mais qui ont encore aujourd’hui une incidence considérable sur l’organisation de la charge de Reine au Canada.

Même si certains voudraient en minimiser les conséquences241, ces règles font partie du droit de ces territoires pour au moins deux motifs. D’une part, comme partie du droit public d’Angleterre, elles ont été introduites par réception lors du peuplement par les Britanniques ou de la conquête (ou cession) par les armes britanniques des différents territoires. D’autre part, en tant que lois du Parlement impérial destinées à régir l’Empire, elles font par leur propre force (ex proprio vigore) partie du droit de chacun des territoires de l’Empire.

La common law impériale prescrivait en effet que les règles du droit public d’Angleterre, telles qu’elles existaient au jour de la prise de possession par les Britanniques et pourvu qu’elles n’étaient pas inappropriées (unsuitable) à la situation de la colonie, étaient reçues dans le droit de la colonie242 et remplaçaient le droit public antérieur. Par exemple, dans une affaire relative à la responsabilité civile des policiers, la Cour suprême du Canada a jugé que le droit relatif à

241 P. W. HOGG, préc., note 65; P. C. OLIVER, préc., note 66; M. D. WALTERS, préc., note 67; A. HEARD, préc., note 68, p. 6; SÉNAT, préc., note 69 (Benoît Pelletier); B. PELLETIER, préc., note 69; S. JOYAL, préc., note 70. 242 Campbell v. Hall, (1774) 1 Cowp. 204, 98 E.R. 1045 (K.B.); Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, [2013] 2 R.C.S. 774, 2013 CSC 42, par. 14-17 (le juge Wagner pour la majorité); P. W. HOGG, préc., note 44, p. 2-1 et suiv. Sur la différence entre les colonies de conquête/cession et de peuplement en matière de réception du droit privé, voir : Geneviève MOTARD, Le principe de personnalité des lois comme voie d’émancipation des peuples autochtones : analyse critique des ententes d’autonomie gouvernementale au Canada, Thèse en droit, Université Laval, Québec, 2013, p. 40-42.

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l’administration de la justice est du droit public et a donc été remplacé par le droit public d’Angleterre. Le juge Kellock reproduisait et commentait l’extrait suivant :

Lareau, in his « Histoire du Droit Canadien », says at p. 54:

Le changement de domination, subi en 1760 par la conquête et en 1763 par la cession définitive du Canada à I'Angleterre, a introduit dans la colonie le droit public anglais. Le droit public et politique du vainqueur remplace le droit public de la nation conquise, quand bien même elle conserverait son droit privé.

Questions which concern the relation of the subject to the administration of justice in its broadest sense are part of the public law and, therefore, governed by the law of England and not by that of France243;

En effet, selon Geneviève Motard, les distinctions entre les colonies de peuplement ou de conquête/cession ne sont applicables qu’au droit privé244, ce qui veut dire que le droit public anglais remplace toujours le droit public existant, peu importe le mode d’acquisition du territoire concerné. Pour ce qui est du caractère unsuitable de certaines règles du droit d’Angleterre au contexte de la colonie, Peter Hogg observe que les règles de common law sont rarement considérées inappropriées, tandis que les règles légiférées le sont un peu plus fréquemment245. En réalité, pour Cox, il est plus exact de dire que la réception concerne la grande majorité du droit d’Angleterre246. Il faut finalement dire que les règles reçues pouvaient être modifiées librement par les parlements coloniaux247.

Surtout, les lois du Parlement de Westminster qui mentionnent expressément une des colonies ou l’ensemble de l’Empire (ou qui les impliquent nécessairement) font partie du droit de ces territoires par leur propre force248. La mention expresse ou l’implication nécessaire sont en ces matières des règles reconnues pour confirmer

243 Chaput v. Romain, [1955] S.C.R. 834, 854 (le juge Kellock pour les juges Kellock et Rand). 244 G. MOTARD, préc., note 242, p. 40-42. 245 P. W. HOGG, préc., note 44, p. 2-6. 246 N. COX, « The dichotomy of legal theory and political reality: the honours prerogative and imperial unity », préc., note 46, 18. 247 Colonial Laws Validity Act, 1865, 28 & 29 Vict., c. 63 (R.-U.), art. 3. 248 Relativement à ces lois, le Parlement de Westminster devenait le Parlement impérial : Dylan LINO, « Albert Venn Dicey and the Constitutional Theory of Empire », (2016) 36 (4) Oxford J. Leg. Stud. 751, 770; infra, note 252.

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l’intégration du droit impérial dans le droit interne des colonies, ce que le Colonial Laws Validity Act, 1865, a confirmé249.

Alors que les rois de la dynastie des Stuarts prétendaient à une possession personnelle des colonies, la jurisprudence a établi que les Dominions appartenaient à la Couronne, et faisaient donc partie du royaume250. Par conséquent, le Parlement impérial avait le pouvoir de régir l’Empire et chacune de ses parties, et les lois qu’il édictait s’y appliquaient d’elles-mêmes (ex proprio vigore)251. Cela a été affirmé en 1774 par Lord Mansfield dans Campbell v. Hall :

I will state the propositions at large, and the first is this: A country conquered by the British arms becomes a dominion of the King in the right of his Crown; and, therefore, necessarily subject to the Legislature, the Parliament of Great Britain252. [Notre soulignement]

Les lois édictées par le Parlement britannique (alors Parlement impérial) sous ce régime étaient inaltérables par les parlements coloniaux. Comme le rapporte Dylan Lino, pour Dicey, le Parlement impérial était le pouvoir suprême de l’Empire britannique, et ses lois étaient « binding on every Court throughout the British

249 Colonial Laws Validity Act, 1865, préc., note 247, par. 1(5) : « An Act of Parliament, or any provision thereof, shall, in construing this Act, be said to extend to any colony when it is made applicable to such colony by the express words or necessary intendment of any Act of Parliament: » [Notre soulignement]. 250 « The Crown Imperial », préc., note 152, 710. Voir aussi : The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, [1982] 2 All ER 118 (CA), p. 3 (Lord Denning M.R.) (LN/QL), cité infra, p. 60. 251 Comme le parlement d’une province canadienne a le pouvoir de régir le territoire de la province et les lois qu’il édicte s’y appliquent de leur propre force (ex proprio vigore), dans les limites du partage des compétences législatives : R. c. Morris, [2006] 2 R.C.S. 915, 2006 CSC 59, par. 77 (la juge en chef McLachlin et le juge Fish pour le juge Bastarache, dissidents). 252 Campbell v. Hall, préc., note 242, 208-214, 1047-1050 (Lord Mansfield). Voir aussi : Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, Student edition, Carswell, Toronto, 2009, p. 49 : « For the earliest colonial times the Parliament at Westminster had the power not only to make laws for the United Kingdom, by also to make laws for the overseas territories of the British Empire. In performing the latter function it was known as the imperial Parliament and its enactments were known as imperial statutes. An imperial statute applied in a colony, neither by virtue of reception of English laws, nor by the adoption of the colonial legislature, but by the statute’s own force (ex proprio vigore) ».

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dominions253 ». Cela découlait de la common law impériale elle-même, plus tard codifiée (et réformée partiellement) par le Colonial Laws Validity Act, 1865254.

Ainsi, le Bill of Rights255, l’Act of Settlement256, et l’Union with Scotland Act257 font partie du droit du Canada à la fois de leur propre force (ex proprio vigore), et ce parce qu’ils visent expressément les Dominions258, mais aussi en tant que droit reçu parce qu’ils faisaient partie du droit public d’Angleterre au jour de la prise de possession des territoires de l’Amérique du Nord britannique. Le Royal Marriages Act259, quant à lui, fait partie du droit canadien par sa propre force, car même s’il ne vise pas expressément les Dominions, il demeure une composante du droit constitutionnel de l’Empire régissant les colonies par implication nécessaire. Il a également été reçu260. Les règles de common law encadrant la Couronne261, quant à elles, ont à tout le moins été reçues comme le reste du droit public d’Angleterre262.

Cette intégration du droit relatif à la Couronne au Canada a été reconnue par plusieurs. Au premier chef, par la Cour supérieure de l’Ontario, qui s’est spécifiquement prononcée concernant les règles sur la succession royale

253 D. LINO, préc., note 248, 770, qui cite Albert V. DICEY, Lectures Introductory to the Study of the Law of the Constitution, Londres, Macmillan & Co, 1885, p. 355. 254 Colonial Laws Validity Act, 1865, préc., note 247. Voir aussi : infra, p. 67. 255Bill of Rights, 1689, préc., note 188. 256 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1. 257 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 2. Quant à l’Union with England Act, 1707 (préc., note 230, art. 2), il ne fait pas à proprement parler du droit public d’Angleterre, mais fait partie du droit constitutionnel impérial britannique. Il s’applique donc peut-être ex proprio vigore. Cela a peu d’impact dans la mesure où son article 2 est identique à l’article 2 de l’Union with Scotland Act, qui fait plus certainement partie du droit du Canada. 258 Les Dominions sont, comme Lord Mansfield le décrit, les pays conquis par les armes britanniques : Campbell v. Hall, préc., note 242, 208-214, 1047-1050 (Lord Mansfield), cité ci-haut. 259 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192. 260 Voir : A. B. KEITH, « Notes on Imperial Constitutional Law », préc., note 58, 106. 261 Supra, p. 28. 262 Les professeurs Motard et Taillon prétendent quant à eux que ces règles étaient également applicables ex proprio vigore, par leur caractère fondamental à l’administration de l’Empire : Mémoire des parties appelantes, préc., note 30, vol. I, p. 18, par. 40 et vol. II. Voir : R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, 172-173. Il est plus probable que les règles de common law encadrant la dévolution de la Couronne aient été supralégislatives à l’époque impériale étant donné l’intervention législative du Parlement britannique à leur sujet. La confirmation de la common law par droit statutaire lui donne une force statutaire, voir par analogie Nadan v. The King (préc., note 178), alors que le Comité judiciaire juge qu’une prérogative royale reconnue dans une loi impériale devient elle-même supralégislative aux lois coloniales (infra, p. 67); D. BARANGER, préc., note 6, p. 157.

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contenues dans l’Act of Settlement. Le juge Rouleau, dont les motifs ont été approuvés par la Cour d’appel, écrit :

The Act of Settlement is an imperial statute adopted by the United Kingdom in 1701. By its terms it provides that it is an act « established and declared » in the « Kingdoms of England, France and Ireland, and the dominions thereunto belonging ». As a result it became and remains part of the laws of Canada263. [Notre soulignement]

Il faut dire que la Cour suprême a depuis longtemps reconnu l’application au Canada du droit relatif à la Couronne provenant d’Angleterre. Dans Quebec North Shore Paper, le juge en chef Laskin affirme pour la Cour :

Il est bon de rappeler que le droit relatif à la Couronne a été introduit au Canada comme partie du droit constitutionnel ou du droit public de la Grande-Bretagne; on ne peut donc prétendre que ce droit est du droit provincial264.

Malgré cela, dans Motard, la Cour supérieure du Québec arrive à la conclusion que les règles de désignation du titulaire de la Couronne s’imposaient aux Dominions, mais n’étaient pas intégrées dans leur droit. Le juge Bouchard écrit :

Le tribunal […] réitère qu'il allait de soi que les règles de succession au trône s'imposent également aux Dominions, puisque ceux-ci étaient assujettis à la Couronne britannique, sans qu'il soit nécessaire pour autant que ces règles soient intégrées dans leur droit respectif265. [Notre soulignement].

Il est difficile de comprendre comment des règles de droit peuvent s’imposer au Canada sans pour autant faire partie de son droit. L’imposition ou l’application de règles de droit positif implique leur intégration dans le droit du Canada266. C’est notamment l’opinion largement majoritaire en Australie267 et en Nouvelle-

263 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 3 (le juge Rouleau). Voir aussi : Revised Statutes of Ontario, 1897, vol. III, appendix Part IV, p. xliii. 264 Quebec North Shore Paper c. C.P. Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, 1063 (le juge en chef Laskin pour la Cour), cité également dans PGQ et Keable c. PGC et al., [1979] 1 R.C.S. 218, 244. 265 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 62 (le juge Bouchard). 266 Colonial Laws Validity Act, 1865, préc., note 247, par. 1(5), cité supra, note 249. 267 o A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 324. Voir aussi : Succession to the Crown Act 2015, Act n 23 of 2015 (Australie); infra, note 474.

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Zélande268, des Dominions dans lesquels l’intégration du droit britannique s’est produite selon les mêmes principes qu’au Canada.

Au Canada, Maurice Ollivier avait recensé pour le compte du gouvernement fédéral toutes les lois impériales toujours applicables au Canada en 1945, et le Bill of Rights269, l’Act of Settlement270, l’Union with Scotland Act271, et le Royal Marriages Act272 s’y trouvent toutes273. Il convient de noter que des lois adoptées par les parlements au Canada font parfois explicitement référence à ces lois impériales, comme à l’article 2 de la Loi sur les sceaux concernant l’Union with Scotland Act, 1706274. Peter Hogg lui-même a reconnu que l’Act of Settlement fait toujours partie du droit du Canada en 2014. Il écrit :

The Act of Settlement, 1701 was an “imperial statute”, meaning a statute of the U.K. Parliament that applied not only in the United Kingdom, but also in British colonies. At confederation in 1867, the laws in force in the British North American colonies that united to become Canada automatically became part of the law of Canada. That included the Act of Settlement275. [Notre soulignement]

Selon lui, il y aurait aujourd’hui encore une centaine de lois impériales toujours en vigueur au Canada, dont la Loi de 1982 sur le Canada276 elle-même277.

En définitive, le droit constitutif de la Couronne a été introduit uniformément à mesure que l’Empire britannique s’étendait par delà les mers.

268 Voir : N. COX, « The Law of Succession to the Crown in New Zealand », préc., note 46; Royal Succession Act, 2013, no 149 (N.-Z.); infra, note 474. 269Bill of Rights, 1689, préc., note 188. 270 Act of Settlement, 1701, préc., note 15. 271 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190. 272 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192. 273 Maurice OLLIVIER, Problems of Canadian Sovereignty: From the British North America Act 1867 to the Statute of Westminster 1931, Canadian Law Book Co, 1945, Appendix B, p. 465. 274 Loi sur les sceaux, L.R.C. (1985), c. S-6. 275 P. W. HOGG, préc., note 65, 87. Il conclut toutefois que la modification britannique aux règles de succession est automatiquement applicable au Canada par le truchement de la règle supralégislative de symétrie, ou reconnaissance automatique, tirée des préambules de la Loi constitutionnelle de 1867 et du Statut de Westminster de 1931. Voir : infra, p. 72 et suiv. 276 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16. 277 P. W. HOGG, préc., note 252, p. 49, notes 69 et 70.

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1.4 L’indivisibilité formelle de la Couronne impériale

Le droit impérial britannique a été appliqué et intégré au Canada et dans les autres Dominions, parce que ceux-ci faisaient partie d’un même Empire, uni sous une Couronne une et indivisible. Puisque le droit constitutif de la Couronne était uniforme à l’échelle de l’Empire et puisque seul le Parlement impérial pouvait le modifier, l’Empire britannique reposait à son apogée sur le dogme de l’indivisibilité de la Couronne impériale britannique. Voyons l’origine de cette règle [1.4.1], sa reconnaissance [1.4.2] et son tempérament, la divisibilité fonctionnelle [1.4.3.].

1.4.1 L’origine de la règle d’indivisibilité

L’émergence de la règle d’indivisibilité de la Couronne a accompagné celle de la Couronne dite « impériale ».

Comme Guilluy le remarque, la première référence au caractère impérial de la Couronne anglaise remonte au règne d’Henri VIII. Dans son conflit avec l’Église catholique, celui-ci a demandé l’édiction de l’Act in Restraint of Appeals, 1533278 afin de « prohiber tout recours ou appel des décisions rendues par les tribunaux ecclésiastiques anglais devant les tribunaux du Saint-Siège, préservant ainsi de toute contestation extérieure une éventuelle décision par une cour anglaise279 ». Cette loi affiche la prétention suivante : l’Angleterre est un Empire et sa Couronne est impériale. L’Empire était alors, dans ce que Guilluy nomme la conception Tudor, la souveraineté de la Couronne (et donc de l’État) sur l’Angleterre280. Selon Blackstone, c’est à cela que réfère le Parlement à chaque fois qu’il qualifie la Couronne d’impériale. Il écrit :

The meaning therefore of the legislature, when it uses these terms of empire and imperial, and applies them to the realm of England, is only to

278 24 Hen. VIII, c. 12 (Angleterre). 279 T. GUILLUY, préc., note 225, p. 3. 280 Id., p. 4-5. Voir aussi : Philip MURPHY, Monarchy and the End of Empire, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 51; Richard KOEBNER, « The Imperial Crown of This Realm », 26 (73) Historical Research 29.

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assert that our king is equally sovereign and independent within these his dominions, as any emperor is in his empire281. [Notre soulignement]

À une époque médiévale durant laquelle l’État est en consolidation, la conception Tudor de l’Empire servait simplement à affirmer la souveraineté de l’État (la Couronne) anglaise sur le territoire anglais. Cela reposait sur l’idée qu’un empereur, comme celui du Saint-Empire romain germanique ou de l’Empire romain, était suprême en son Empire. Le Roi d’Angleterre, au nom duquel tous les pouvoirs étatiques s’exercent, n’avait donc de compte à rendre à aucun personnage étranger, ni même au pape282.

C’est dans les années 1600, sous le règne des Stuarts, que la conception théorique de l’Empire a évolué pour devenir une forme d’union. L’objectif était alors de concilier unité politique et diversité entre l’Écosse et l’Angleterre, alors en union personnelle283. Guilluy écrit : « Il s’agit avant tout de créer de l’unité politique et juridique en favorisant l’avènement d’un gouvernement central et d’institutions communes284 ». L’Empire était donc agrégatif, et ce terme était désormais employé selon son sens courant actuel : un ensemble de territoires sous une autorité ultime commune285. C’est cette conception Stuart de l’Empire qui, à terme, a servi les visées colonisatrices de la Grande-Bretagne.

Cette Couronne impériale anglaise devenait, de plus, indivisible. Déjà, en Angleterre, la Couronne était indivisible depuis au moins 1550, selon Paul Lordon. Il écrit :

Habituellement, les auteurs considèrent la citation suivante de Plowden, qui date peut-être de 1550, comme le point de départ de la théorie constitutionnelle de l'indivisibilité de l'État :

"[Le roi a]… un corps naturel et un corps politique indivisibles, et ces deux corps sont incorporés en une seule personne et constituent un seul

281 Sir William BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England, Oxford, Clarendon Press, 1765, vol. I, p. 235. Voir aussi : J. FOURNIER et A. BINETTE préc., note 146, 630. 282 C’est donc dire que, suivant la conception Tudor de l’Empire, la Couronne canadienne est toujours impériale de nos jours, puisque le Canada est un pays souverain. 283 T. GUILLUY, préc., note 225, p. 11. 284 Id., p. 11. 285 « Empire », Le petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2008, p. 363.

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corps et non plusieurs, c'est-à-dire le corps social dans le corps naturel… En sorte que le corps naturel est amplifié par l'adjonction du corps politique, (lequel corps politique contient la charge, le gouvernement et la majesté royale.)"

Citée dans MAITLAND, F.W., "The Crown as Corporation", (1901) 17 L.Q. Rev. 131, reproduite dans l'Annexe "B" de l'arrêt Canada c. I.-P.-É., [1978] 1 C.F. 533 (C.A.), p.567, 569286. [Notre soulignement]

Ainsi, la Couronne anglaise était à la fois indivisible et souveraine sur l’Angleterre, Sa Majesté le Roi y personnifiant l’État et ses pouvoirs. Nous verrons que cette règle d’indivisibilité de l’État est toujours applicable au Canada à l’échelle de la fédération canadienne287.

La Couronne impériale britannique, quant à elle, est apparue par l’union législative de l’Écosse et de l’Angleterre288. Pour Garant, « [i]l semble que les premières traces de la théorie de l'indivisibilité de la Couronne britannique se retrouvent dans l'arrêt Calvin de 1608289 ». Dans la Calvin’s Case290, il avait été jugé que comme les Écossais et les Anglais étaient les sujets d’un même Roi, les Écossais nés après l’union personnelle survenue en 1603 avaient la même allégeance (ligeance) au Roi, et avaient donc le droit de posséder des biens en Angleterre, malgré l’existence de deux Couronnes et de deux royaumes distincts291. Le jugement, rapporté par Sir Edward Coke, énonce:

Now, seeing the King hath but one person, and several capacities, and one politic capacity for the realm of England, and another for the realm of Scotland, it is necessary to be considered, to which capacity ligeance is due. And it was resolved, that it was due to the natural person of the King (which is ever accompanied with the politic capacity, and the politic capacity as it were appropriated to the natural capacity), and it is not due to the politic capacity only, that is, to his Crown or kingdom distinct from his natural capacity, and that for divers reasons292. [Notre soulignement]

286 P. LORDON, préc., note 160, p. 4. Voir aussi : J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 630. Sur les deux corps du Roi, voir : supra, p. 28 et suiv. 287 Voir : infra, p. 75. 288 J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 631. 289 P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5. 290 Calvin’s Case, préc., note 155. 291 Voir : supra, p. 44 et suiv. 292 Calvin’s Case, préc., note 155, 10 a, 389.

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La règle de l’arrêt Calvin est que l’allégeance (qui correspond à la citoyenneté d’aujourd’hui), qu’elle résulte de la naissance, du serment ou autrement, est due à la personne physique du monarque293, et non à la Couronne294. Ainsi, il s’est développé une allégeance, ou citoyenneté, commune des Écossais et Anglais entre 1603 et 1707, mais non une Couronne britannique indivisible295. Il faut cependant dire que l’union personnelle entre l’Écosse et l’Angleterre avait conduit, en pratique, à l’exercice unifié des pouvoirs royaux rattachés à ces deux Couronnes296.

L’union personnelle des Couronnes d’Écosse et d’Angleterre, qui existait durant la période allant de 1603 à 1707, s’est par la suite transformée sur le plan juridique en une union législative. La Couronne impériale britannique a été formellement constituée par les Unions Acts297 de 1706 et 1707298. Ce sont eux qui ont uniformisé les règles constitutives de la charge de Reine, tout comme les autres règles principales du droit public, à l’échelle de la Grande-Bretagne et de ses colonies en constituant la Grande-Bretagne en tant qu’État unitaire299. Alors que les Parlements écossais et anglais pouvaient encore régir indépendamment leur Couronne respective avant 1707, il n’y a dorénavant qu’un seul Parlement, à Westminster, ayant la compétence de modifier les caractéristiques essentielles de ce corps politique maintenant unique du souverain. Comme l’indivisibilité de la

293 P. LORDON, préc., note 160, p. 5. Cette règle sur l’allégeance a évolué au Canada, elle y est due à la Couronne uniquement, voir : infra, p. 136 et suiv.; McAteer et al. v. Attorney General of Canada, préc., note 10. 294 L’un des motifs des juges est que la trahison peut-être constituée par l’intention de tuer le souverain, alors que la Couronne est immortelle : Calvin’s Case, préc., note 155, 10 b, 389. 295 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 105. Voir aussi : J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 631. 296 T. FRANCK, préc., note 222, 170. 297 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 2; Union with England Act, 1707, préc., note 230, art. 2. 298 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 366; J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 631. 299 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 2 et 8; Union with England Act, 1707, préc., note 230, art. 2 et 8; John D. FORD, « The legal provisions in the Acts of Union », (2007) 66 Cambridge LJ 106, 108 : « In contrast to the earlier statement that the laws regulating trade, customs and excise should become the same in Scotland as they already were in England, the suggestion here was that the laws concerning public right might be made the same throughout the United Kingdom, as to some extent they would be when the Acts of Union were passed. The commissioners were clearly thinking of what would now be called constitutional laws, but there was some uncertainty at the time about the status of the criminal law of Scotland ».

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Couronne était une règle du droit public d’Angleterre, elle en est devenue une du droit public britannique. O’Connell rapporte que les tribunaux anglais ont reconnu cette règle au cours du 19e siècle, notamment dans In re Bateman’s Trust et dans In re Oriental Bank300.

En 1873, dans In re Bateman’s Trust, le procureur général d’Angleterre voulait saisir les biens d’une personne condamnée dans la colonie des New South Wales, dans le continent australien. Sir James Bacon, pour la Court of Chancery, a conclu que la prérogative est indivisible à l’échelle de l’Empire. Il écrivait:

[…] the Queen is as much the Queen of New South Wales as she is the Queen of England, and I must hold that every right which the Queen possessed by forfeiture extended as much to the colonies as to this country301. [Italiques originaux]

En 1884, dans In re Oriental Bank, la Chancery Division réitérait qu’il ne faillait pas distinguer les droits « impériaux » de la Couronne de ses droits dans les colonies302.

Puis, en 1913, la Cour du Banc du Roi d’Angleterre a tenu des propos qu’O’Connell qualifie, à juste titre, d’erronés. Selon ce dernier, la Calvin’s Case de 1608 a fait conclure à la Cour que la Couronne ne pouvait « be severed into as many distinct kingships as there are kingdoms303 ». La Calvin’s Case établissait pourtant expressément le contraire : l’Écosse et l’Angleterre, deux royaumes distincts, avaient chacune leur Couronne304. Or, comme nous le verrons, la Couronne, tout comme l’Empire britannique lui-même, n’étaient pas encore divisés en 1913, lorsque la Cour du Banc du Roi rendit son jugement critiqué par O’Connell. Il n’y avait alors qu’une seule Couronne impériale britannique qui, selon l’expression consacrée, était toujours « une et indivisible ».

300 In re Bateman’s Trust, [1873] L.R. 15 Eq 355; In re Oriental Bank Corporation, ex parte the Crown, (1884) 28 Ch D. 643; D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 105. Voir aussi : Canada v. Bank of Nova Scotia, préc., note 25, cité infra, p. 74. 301 In re Bateman’s Trust, préc., note 300, 361 (Sir James Bacon, V.C.). 302 In re Oriental Bank Corporation, ex parte the Crown, préc., note 300, 649 (le juge Chitty). 303 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 105, note 8, qui cite Gavin, Gibson v. Gibson, [1913] 3 K.B. 379, 389. 304 Calvin’s Case, préc., note 155, 10 a, 389, citée supra, p. 45 et 57.

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1.4.2 La reconnaissance de l’indivisibilité de la Couronne impériale

La constitution, par le Parlement impérial, des diverses colonies de l’Empire britannique se faisait, bien entendu, dans le contexte juridique existant à l’époque, ce qui veut dire sur la base de l’indivisibilité de la Couronne impériale. N’échappant pas à cette doctrine, tant les travaux préparatoires de la Confédération [1.4.2.1], la Loi constitutionnelle de 1867 [1.4.2.2] et les jugements canadiens de l’époque impériale [1.4.2.3] reconnaissent cette indivisibilité.

1.4.2.1 L’indivisibilité de la Couronne impériale dans les débats préconfédératifs

Le désir des Pères de la Confédération d’unir les colonies de l’Amérique du Nord britannique sous une Couronne impériale demeurant une et indivisible est sans équivoque à la lecture des débats préconfédératifs. Ils n’ont pas voulu créer un État ou un royaume distinct du reste de l’Empire, mais bien plutôt former une nouvelle puissance (Dominion), au sein d’un Empire incarné par une seule Couronne indivisible. Cette Couronne impériale, notamment, s’engage dans des traités, dirige ses forces armées et déclare la guerre de manière monolithique, et ce, par l’effet des conventions, de l’avis et du consentement de son gouvernement au Royaume-Uni.

La Couronne impériale britannique était indivisible comme l’État britannique était indivisible; le soleil ne se couchait jamais sur la Couronne impériale britannique. Selon la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, les colonies ne formaient qu’un seul royaume avec le Royaume-Uni du début des années 1700 jusqu’au moins la fin des années 1800. Lord Denning affirme:

In all these matters in the 18th and 19th Centuries it was a settled doctrine of constitutional law that the Crown was one and indivisible. The colonies formed one realm with the United Kingdom, the whole being under the sovereignty of the Crown. The Crown had full powers to establish such executive, legislative and judicial arrangements as it thought fit305. [Notre soulignement]

305 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250, p. 3 (Lord Denning M.R.). Voir aussi : T. FRANCK, préc., note 222, 167 : « In the beginning, of course, the Crown was an Imperial Unity. There was but one

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Les débats préconfédératifs ont été sans équivoque à cet égard. L’indivisibilité de la Couronne et l’appartenance à l’Empire sont évoquées dans les termes suivants:

John A. Macdonald, Assemblée législative du Canada-uni, le 6 février 1865, p. 225 : « [À la Conférence de Québec], pas un délégué n’a exprimé le désir de rompre avec la Grande-Bretagne ni de briser son allégeance envers Sa Majesté. […] Des gens ont prétendu, mais leur argument n’est pas des plus plausibles, que ce projet de confédération était un pas de plus vers l’indépendance, que cette union hâterait notre séparation d’avec la mère patrie. Je n’ai aucune crainte de cet ordre […].Plutôt que de nous percevoir comme une simple dépendante, [sic] l’Angleterre trouvera en nous une nation amicale, une population de moindre importance, mais tout de même puissante qui sera prête à lui prêter son concours dans la paix comme dans la guerre. [Applaudissements] L’Australie aussi deviendra une nation subordonnée. […] Nous sommes un peuple dépendant, avec un gouvernement dont l’autorité est limitée et déléguée, mais auquel on permet sans restriction de légiférer, même sur la destinée future du Canada et de l’Amérique du Nord britannique. »

Stephen March (opposant à la confédération), Chambre d’assemblée de Terre-Neuve, le 21 février 1865, p. 242 : « Ils [les citoyens] sont liés au pays par le plus fort des liens. Leurs pères sont morts pour faire admettre sa liberté […]. Nous faisons maintenant partie du glorieux Empire britannique; nous vivons au sein d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais, sous la gouverne de notre bien-aimée reine Victoria306. » [Notre soulignement]

Cette unité dans l’Empire est particulièrement frappante à la lecture du discours de Sir John A. Macdonald : l’indépendance du Canada n’est pas seulement inachevée par la Loi constitutionnelle de 1867, elle n’est tout simplement pas envisagée307. L’intention du constituant de 1867 est de ne former qu’un seul État avec le Royaume-Uni.

1.4.2.2 L’indivisibilité de la Couronne impériale dans la Loi constitutionnelle de 1867

Ce désir des constituants de l’époque s’est également transposé dans le texte de la Loi constitutionnelle de 1867. Au premier chef, dans le préambule : imperial government, one privy council to advise the Crown, and but one realm which at its zenith constituted one quarter of the earth’s land mass ». Sur le plan du droit international, voir : L. C. GREEN, préc., note 37. 306 Janet AJZENSTAT (dir.), Débats sur la fondation du Canada, Presses de l’Université Laval, Québec, 2004, p. 225 et 242. 307 R. c. Comeau, 2016 NBCP 3, par. 72 (le juge LeBlanc).

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[TRADUCTION NON Whereas the Provinces of OFFICIELLE] Considérant que Canada, Nova Scotia, and New les provinces du Canada, de la Brunswick have expressed their Nouvelle-Écosse et du Nouveau- Desire to be federally united into Brunswick ont exprimé le désir One Dominion under the Crown of de contracter une Union the United Kingdom of Great Fédérale pour ne former qu’une Britain and Ireland, with a seule et même Puissance Constitution similar in Principle to (Dominion) sous la couronne du that of the United Kingdom : Royaume-Uni de la Grande- Bretagne et d’Irlande, avec une And whereas such a Union would constitution reposant sur les conduce to the Welfare of the mêmes principes que celle du Provinces and promote the Royaume-Uni : Interests of the British Empire308: [Notre soulignement] Considérant de plus qu'une telle union aurait l'effet de développer la prospérité des provinces et de favoriser les intérêts de l'Empire Britannique:

Le Canada n’est donc pas constitué en 1867 en tant que pays indépendant, mais bien seulement comme une composante de l’Empire. Peter Hogg le souligne: « confederation must not be confused with independance309 ».

Le système impérial britannique était construit de telle manière que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire du Canada soient ultimement contrôlés par le Royaume-Uni par le truchement de l’indivisibilité de la Couronne. En effet, comme tous les pouvoirs de l’État appartiennent historiquement et fondamentalement à la Couronne, l’indivisibilité faisait en sorte que les autorités britanniques qui conseillaient la Couronne impériale conservaient une emprise considérable sur le Dominion, elle maintenait ainsi la suprématie des organes britanniques sur les organes canadiens. Bien qu’une certaine forme de séparation des pouvoirs soit apparue dans l’histoire récente du droit public canadien310, celle-ci était beaucoup moins rigide à l’époque impériale :

308 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule. 309 P. W. HOGG, préc., note 252, p. 51. 310 Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 28 (motifs de la juge Karakatsanis pour la majorité) : « [28] Au fil de plusieurs siècles de transformation

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À l’époque impériale, cette étanchéité était cependant bien moins complète. Par l’entremise de l’indivisibilité de la Couronne impériale, le pouvoir exécutif du Canada appartenait à la « Reine de l’Empire », le pouvoir législatif suprême à la « Reine-en-son-Parlement impérial » et le pouvoir judiciaire ultime à la « Reine-en-conseil, fontaine de toute justice »311.

Que ce soit sur avis du Conseil privé, de son Comité judiciaire, ou des Lords spirituels et temporels et des communes, la Couronne impériale cumulait tous les pouvoirs ultimes sur l’État canadien. Pour illustrer cela, on écrivait dans le Canadian Law Times en 1914:

The Crown, it has been said, is one and indivisible; "the highest and ultimate source of all executive authority throughout the Queen's dominions," and, it should be added, of all legislative authority as well throughout the colonies312.

En ce qui concerne le pouvoir exécutif, l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867 édicte la continuité dans des termes on ne peut plus clairs313. Lord Denning, en 1982, nous a enseigné que cette Couronne (au sens exécutif du terme) était à l’époque celle du Royaume-Uni. Appelé à analyser cette disposition, il écrit : et de conflits, le système anglais est passé d’un régime où la Couronne détenait tous les pouvoirs à un régime où des organes indépendants aux fonctions distinctes les exercent. L’évolution de fonctions exécutive, législative et judiciaire distinctes a permis l’acquisition de certaines compétences essentielles par les diverses institutions appelées à exercer ces fonctions » [Notre soulignement]. Malgré cela, il faut dire que tous les pouvoirs étatiques sont encore aujourd’hui exercés au nom de la Reine, y compris le pouvoir judiciaire : Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 9 et 17; Valin c. Langlois, (1879) 3 R.C.S. 1, 19-20 (motifs juge en chef Ritchie); Robert BLACKBURN, « Crown, in general », dans Halsbury’s Laws of England, Constitutional and o administrative law, vol. 20, 2014, n 14; J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 633. Sur la séparation des pouvoirs, voir aussi : Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455, par. 39-40 (le juge en chef Dickson pour la Cour); Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, 601 (le juge La Forest pour le juge en chef Dickson et le juge Gonthier); New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, 389 (la juge McLachlin); R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, 620 (la juge L’Heureux- Dubé pour la majorité); Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), préc., note 106, par. 139 (le juge en chef Lamer pour la majorité); Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 104, par. 15 (per curiam); Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 52- 54 (le juge Major pour la Cour); Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13; Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 3 R.C.S. 3, 2002 CSC 57. 311 J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 634-635. 312 « The Crown Imperial », préc., note 152, 711. 313 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 9 : « The Executive Government and Authority of and over Canada is hereby declared to continue and be vested in the Queen ».

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It contained a written constitution which was to last for over 100 years and more. It declared in section 9 that the executive government and authority of and over Canada was "to continue and be vested in the Queen". That is, in the Crown of England314. [Notre soulignement]

On s’en remettait alors à la common law et aux lois constitutives de la charge de Reine, qui continuent de s’appliquer dans le nouveau Dominion canadien comme si l’Union n’avait pas eu lieu. Patrice Garant le confirme :

À part ces quelques dispositions, notre Constitution fédérale demeure silencieuse sur la définition et le rôle du pouvoir exécutif. Comme le souligne Dawson, ce silence s'explique principalement par le fait que l'on s'en remettait tacitement à la common law d'Angleterre pour interpréter les parties non écrites de notre Constitution :

The Courts of England had been accustomed for centuries past to define the scope of executive authority and it was assumed in 1867 that the colonial and English Courts would continue to perform the same function in the Dominion of Canada.

C'est donc à la common law, et partant à l'histoire constitutionnelle britannique, qu'il faut nous référer, si nous voulons donner une interprétation valable à l'article 9 de la Loi de 1867315 […]. [Notre soulignement]

En fait, le droit fondamental de la Couronne demeure partie de notre droit constitutionnel par l’effet du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est du moins l’avis du juge en chef Laskin lors du Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution en 1981. Il écrit :

Il va sans dire qu’un préambule n’a aucune force exécutoire, mais qu’on peut certainement y recourir pour éclaircir les dispositions de la loi qu’il introduit. L’union fédérale “ avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ” peut fort bien comprendre […] des aspects de common law du régime constitutionnel unitaire du Royaume- Uni, tels la règle de droit et les prérogatives et immunités de la Couronne316. […]

314 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250, p. 5 (Lord Denning M.R.). Voir aussi : G.-A. BEAUDOIN, préc., note 161, p. 59. 315 P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5, citant Peter J. T. O'HEARN, Peace, Order and Good Government, Toronto, Macmillan, 1964, p. 102. 316 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 805 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer).

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Une partie appréciable des règles de la constitution canadienne est écrite. […] Une autre partie de la Constitution du Canada est formée de règles de common law. Ce sont des règles que les tribunaux ont élaborées au cours des siècles dans l’exécution de leurs fonctions judiciaires. Une part importante de ces règles a trait à la prérogative de la Couronne. Les articles 9 et 15 de l’A.A.N.B. prévoient :

9. À la Reine continueront d’être et sont par le présent attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.

15. À la Reine continuera d’être et est par le présent attribué le commandement en chef des milices de terre et de mer et de toutes les forces militaires et navales en Canada.

Par ailleurs, l’Acte ne s’étend pas beaucoup sur les éléments du “ gouvernement et pouvoir exécutifs ” et l’on doit recourir à la common law pour les découvrir, mis à part l’autorité déléguée à l’exécutif par la loi317. [Notre soulignement]

Évidemment, tous ces règles et principes applicables à la Couronne impériale britannique énoncés depuis le début de ce mémoire, toujours en vigueur à l’époque de l’Union, font partie de la Constitution du Royaume-Uni au sens du préambule de 1867. Dans cette même optique, l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 maintient le droit en vigueur dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique comme si l’Union n’avait pas eu lieu. Il édicte :

[TRADUCTION NON OFFICIELLE] 129. Except as otherwise provided by 129. Sauf toute disposition contraire this Act, all Laws in force in Canada, prescrite par la présente loi, — toutes Nova Scotia, or New Brunswick at the les lois en force en Canada, dans la Union, and all Courts of Civil and Nouvelle-Écosse ou le Nouveau- Criminal Jurisdiction, and all legal Brunswick, lors de l’union, — tous les Commissions, Powers, and tribunaux de juridiction civile et Authorities, and all Officers, Judicial, criminelle, — toutes les commissions, Administrative, and Ministerial, pouvoirs et autorités ayant force existing therein at the Union, shall légale, — et tous les officiers continue in Ontario, Quebec, Nova judiciaires, administratifs et Scotia, and New Brunswick ministériels, en existence dans ces respectively, as if the Union had not provinces à l’époque de l’union, been made; subject nevertheless continueront d’exister dans les (except with respect to such as are provinces d’Ontario, de Québec, de la enacted by or exist under Acts of the Nouvelle-Écosse et du Nouveau- Parliament of Great Britain or of the

317 Id., 876 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). Voir aussi : N. DUPLÉ, préc., note 77, p. 12.

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Brunswick respectivement, comme si Parliament of the United Kingdom of l’union n’avait pas eu lieu; mais ils Great Britain and Ireland), to be pourront, néanmoins (sauf les cas repealed, abolished, or altered by the prévus par des lois du parlement de la Parliament of Canada, or by the Grande-Bretagne ou du parlement du Legislature of the respective Province, Royaume-Uni de la Grande-Bretagne according to the Authority of the et d’Irlande), être révoqués, abolis ou Parliament or of that Legislature under modifiés par le parlement du Canada, this Act318. [Notre soulignement] ou par la législature de la province respective, conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi.

Peter Hogg nous enseigne que « [t]he effect of s. 129 was to avoid a vacuum of law319 ». Il s’agit de prévenir le vide, notamment parce que la Loi constitutionnelle de 1867 ne comprend pas tout le droit constitutionnel du Canada320.

Toujours concernant le pouvoir exécutif, l’indivisibilité de la Couronne impériale a notamment eu pour conséquence que, de 1867 jusqu’à l’acquisition de l’indépendance canadienne, les affaires étrangères ont été conduites pour l’Empire britannique en entier, et que seul ce dernier bénéficiait de la personnalité internationale. Les travaux de Jean-Charles Bonenfant sont par ailleurs très instructifs quant au lien entre l’article 9 et l’indivisibilité de la Couronne. Il affirme :

[...] il reste qu'on rédigea le texte d'une loi constitutionnelle d'une colonie anglo-saxonne qui ne pouvait s'exprimer dans le monde que par l'intermédiaire de la Couronne britannique. […]

Lorsque la troisième résolution de Québec, le futur article 9 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, dit que le pouvoir ou gouvernement exécutif résidera dans le souverain du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, et sera administré par le souverain ou le représentant du souverain, suivant les principes de la constitution britannique, on ne songe pas à une reine Victoria en qui s'incarneraient une reine du Royaume-Uni et une reine du Canada, mais à un seul personnage dont les actes en politique extérieure, inspirés uniquement par ses ministres anglais, vont engager le Canada321. [Notre soulignement]

318 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 129. 319 P. W. HOGG, préc., note 44, p. 2-11. 320 Id., p. 1-12. 321 Jean-Charles BONENFANT, « L’esprit de 1867 », (1963) 17 (1) Revue d’histoire de l’Amérique française 19-38, 35. Voir aussi : P. W. HOGG, préc., note 252, p. 51.

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Sur ce sujet, et comme pour confirmer le tout, le seul endroit où les traités sont abordés dans le texte de 1867 se trouve à l’article 132, et cela concerne précisément les traités signés par Sa Majesté pour l’Empire322. Si le Parlement fédéral avait compétence pour mettre en œuvre législativement les traités, seuls les traités signés par l’exécutif impérial sont envisagés. Conscient de cela, Lord Atkin, dans l’Avis sur les conventions de travail, écrit: « it was not contemplated in 1867 that the Dominion would possess treaty-making powers323 ».

De même, la Couronne impériale commandait les forces armées au Canada324. Ces forces armées étaient, à l’époque, celles de l’Empire. Théoriquement, toutes les questions intéressant le pouvoir exécutif du Canada pouvaient encore faire l’objet d’une instruction provenant de la Reine (agissant alors, par convention, sur avis de son gouvernement britannique) au gouverneur général325.

À l’emprise qu’exerçait le gouvernement britannique sur l’exécutif au Canada, il s’ajoutait, bien évidemment, la suprématie de la Reine-en-son-Parlement impérial sur les parlements coloniaux. En 1865, le Colonial Laws Validity Act, 1865326 a confirmé, tout en modifiant quelque peu, la common law impériale en matière de suprématie des lois du Parlement de Westminster. Comme nous l’avons vu plus tôt, cette règle de suprématie s’appliquait à toutes les lois impériales visant, expressément ou par implication nécessaire, l’Empire en entier ou l’une de ses parties327. C’est sur cette base que, notamment, les lois constitutionnelles des colonies de l’Amérique du Nord britannique, tels la Loi constitutionnelle de 1867 et tous les autres Actes de l’Amérique du Nord britannique adoptés à Westminster de 1867 à 1930, ont été supralégislatifs pour les parlements locaux, ce qui témoignait de la supériorité de la volonté exprimée par la Reine-en-son-Parlement impérial

322 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 132; Hugo CYR, Canadian Federalism and Treaty Powers. Organic Constitutionalism at Work, New York, PIE Peter Lang, 2009, p. 91. 323 Avis sur les conventions de travail, [1937] A.C. 326 (C.P.), par. 10 (Lord Atkin pour leurs Seigneuries). Voir aussi : Avis sur les radio-communications, [1932] A.C. 304 (C.P.), par. 6 (Le Vicomte Dunedin pour leurs Seigneuries); P. W. HOGG, préc., note 252, p. 51. 324 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 15. 325 Infra, p. 85. 326 Préc., note 247. 327 Voir : supra, p. 49 et suiv.

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sur toute règle de droit dans l’ordre juridique canadien. Cette règle de suprématie est également confirmée par le texte même de l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui en plus de maintenir le droit en vigueur lors de l’Union, prescrivait que celui-ci ne pouvait être modifié par les parlements au Canada dans « les cas prévus par des lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande328 ». Ce qui était maintenu, c’est la suprématie de Westminster sur l’armature fondamentale de l’Empire, ce qui comprenait, en plus du texte de 1867, le droit relatif à la Couronne.

Ce raisonnement a été expressément appliqué aux appels à Sa Majesté-en- conseil, en 1926, par le Comité judiciaire du Conseil privé dans Nadan v. The King. Ces appels ultimes au Comité judiciaire (officiellement à Sa Majesté-en-conseil) étaient possibles en vertu de la prérogative royale, reconnue par des lois du Parlement impérial, principalement les Judicial Committee Acts de 1833 et de 1844329. Le Parlement fédéral avait tenté de mettre fin à ces appels en matière criminelle. Le Comité judiciaire, constatant la mention expresse des Dominions contenue dans les lois de 1833 et 1844, a déclaré invalide et inopérant l’article 1025 du Code criminel qui éliminait ces appels, le tout en application de l’article 2 du Colonial Laws Validity Act, 1865330. Il convient de reproduire ici ce long extrait des motifs du Lord Chancelier au nom du Comité judiciaire :

It has been recognized and regulated in a series of statutes, of which it is sufficient to mention two-namely, the Judicial Committee Act, 1833 (3 & 4 Will. 4, c. 41), and the Judicial Committee Act, 1844 (7 & 8 Vict. c. 69). The Act of 1833 recites that "from the decisions of various courts of judicature in the East Indies and in the Plantations, Colonies and other Dominions of His Majesty abroad, an appeal lies to His Majesty in Council," [...] These Acts, and other later statutes by which the constitution of the Judicial Committee has from time to time been amended, give legislative sanction to the jurisdiction which had previously existed.

328 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 129. Voir aussi les articles 12 et 65; Reference re : British North America Act, 1867, s. 129 (Can.), [1882] J.C.J. No. 4, par. 12 (Lord Watson); Ontario (Attorney-General) v. Canada (Attorney-General), [1947] A.C. 127, par. 9 (Lord Jowitt, L.C.) (C.P.) (LN/QL); P. W. HOGG, préc., note 252, p. 54. 329 Judicial Committee Act, 1833, 3 & 4 Wm. IV, c. 41 (R.-U.); Judicial Committee Act, 1844, 7 & 8 Vict., c. 69 (R.-U.). 330 Préc., note 247, art. 2.

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Under what authority, then, can a right so established and confirmed be abrogated by the Parliament of Canada? The British North America, Act, by s. 91, empowered the Dominion Parliament to make laws for the peace, order and good government of Canada in relation to matters not coming within the classes of subjects by that Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and in particular it gave to the Canadian Parliament exclusive legislative authority in respect of "the criminal law, except the constitution of Courts of criminal jurisdiction, but including the procedure in criminal matters." But however widely these powers are construed they are confined to action to be taken in the Dominion; and they do not appear to their Lordships to authorize the Dominion Parliament to annul the prerogative right of the King in Council to grant special leave to appeal. Further, by s. 2 of the Colonial Laws Validity Act, 1865, it is enacted that "any colonial law which is or shall be in any respect repugnant to the provisions of any Act of Parliament extending to the Colony to which such law may relate, or repugnant to any order or regulation made under the authority of such Act of Parliament or having in the Colony the force and effect of such Act, shall be read subject to such Act, order or regulation, and shall to the extent of such repugnancy but not otherwise, be and remain absolutely void and inoperative." In their Lordships' opinion s. 1025 of the Canadian Criminal Code, if and so far as it is intended to prevent the Sovereign in Council from giving effective leave to appeal against an order of a Canadian Court, is repugnant to the Acts of 1833 and 1844 which have been cited, and is therefore void and inoperative by virtue of the Act of 1865331. [Notre soulignement]

En définitive, ce dont il s’agit ici, c’est du maintien de la supralégislativité de règles extérieures à la Loi constitutionnelle de 1867, malgré l’Union. Non seulement les dispositions des lois impériales de 1833 et 1844 qui visaient d’ailleurs l’Empire en entier et non le Canada précisément faisaient partie du droit du Canada, mais elles étaient également constitutionnelles au sens formel du terme.

C’est donc dire que, quant au pouvoir judiciaire, le droit d’appel ultime à Sa Majesté-en-conseil (qui demande conventionnellement avis au Comité judiciaire du Conseil privé) a continué de prévaloir, bien que cela n’ait pas été expressément écrit dans la Loi constitutionnelle de 1867332. L’indivisibilité de la Couronne impériale a donc fait en sorte que c’était le Comité judiciaire du Conseil privé

331 Nadan v. The King, préc., note 178, p. 4-5 (le Vicomte Cave, L.C.). Voir aussi : Ontario (Attorney-General) v. Canada (Attorney-General), préc., note 328, par. 9 (Lord Jowitt, L.C.). 332 Cette continuité s’opère par le maintien général du droit préconfédéral : Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 129; P. W. HOGG, préc., note 252, p. 54.

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britannique qui supervisait tous les « tribunaux de la Reine333 » présents dans les colonies. Cela instituait donc une subordination entre le système judiciaire du Dominion et une cour impériale qui rend justice au nom de la Couronne.

En somme, la charge de Reine n’est pas constituée par la Loi constitutionnelle de 1867, elle n’est que continuée. Certes, certains pouvoirs lui sont confirmés ou lui sont nouvellement attribués, mais l’essentiel de sa charge réside ailleurs. Cela n’a rien d’étonnant, dans la mesure où les autorités impériales n’allaient logiquement pas fixer ou codifier, en 1867, les règles constitutives d’une Couronne une et indivisible à l’échelle de l’Empire dans une loi constitutionnelle particulière applicable à un seul Dominion. Ainsi, l’indivisibilité de la Couronne impériale a entraîné, pour un temps, une forme de "britannisation" des règles constitutives de la charge de Reine, des règles alors entièrement applicables et intégrées dans l’ordre juridique canadien, même si, à l’époque, elles ne peuvent être modifiées que par le Parlement impérial.

1.4.2.2.1 La charge de gouverneur général

Il en est de même pour le gouverneur général. Sa charge n’est pas constituée par la Loi constitutionnelle de 1867334, mais par d’autres règles de droit édictées par le gouvernement impérial. Certes, comme Andrew Heard et plusieurs autres, nous constatons que la Loi de 1867 présume l’existence d’un gouverneur général et lui attribue des fonctions335. Celles-ci lui appartiennent, peu importe quel est son titre336. Ce sont néanmoins les lettres patentes qui demeurent constitutives de la charge du gouverneur général. Ainsi, la Reine désigne par prérogative royale, sur avis de ses ministres britanniques, une personne pour administrer le gouvernement du Canada à sa place. Monahan écrit :

333 Valin c. Langlois, préc., note 310, 19 et 20 (motifs du juge en chef Ritchie) : « [Traduction] [Les cours supérieures] sont les tribunaux de la Reine, tenus de prendre connaissance de toutes les lois et de les appliquer, soit qu’elles aient été adoptées par le Parlement du Canada ou par les législatures locales », tel que cité dans J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 633, note 44. 334 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. V-2.22. 335 Andrew HEARD, Canadian Constitutional Conventions, Toronto, Oxford University Press, 1991, p. 16. 336 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 10.

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However, it is noteworthy that the office of the governor general itself is not created by the Constitution Act, 1867. It is established through letters patent issued by the queen pursuant to the prerogative rather than through the Constitution Acts. The letters patent also establish the duties and powers of the office of the governor general, authorizing the governor general "with the advice of Our Privy Council for Canada . . . to exercise all powers and authorities lawfully belonging to Us in respect of Canada337." [Notre soulignement]

Ce sont donc les lettres patentes qui ont, à chaque fois, constitué la charge de gouverneur général.

De 1867 à 1878, tous les gouverneurs généraux étaient nommés par de nouvelles Lettres patentes jointes à une commission338. Ultimement, les Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada de 1947339 ont révoqué les lettres antérieures et « reconstitué » la charge pour la dernière fois jusqu’à ce jour. L’article premier de ces lettres édicte :

I. Nous constituons, ordonnons et déclarons, par les présentes, qu'il doit exister un gouverneur général et commandant en chef dans et sur le Canada et que les nominations à la charge de gouverneur général et commandant en chef dans et sur le Canada doivent être faites par commission sous Notre Grand Sceau du Canada340. [Notre soulignement]

Tant dans le cas de la Reine que du gouverneur général, ces charges existent donc non pas en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, mais en vertu de règles situées à l’extérieur de cette loi341.

337 th Patrick J. MONAHAN, Constitutional Law, 3 ed., Toronto, Irwin Law, 2006, p. 197; Voir aussi : Malaïka BACON-DUSSAULTS, « La modification des Lettres patentes constituant la charge du gouverneur général du Canada », (2011) 5 Journal of Parliamentary and Political Law 199, 208- 209. 338 Christopher MCCREERY, « Myth and Misunderstandings: The Origins and Meaning of the Letters Patent Constituting the Office of the Governor General, 1947 », dans Jennifer SMITH et D. Michael JACKSON (dir.), The Evolving Canadian Crown, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2011, p. 31, à la page 35. Voir aussi : David E. SMITH, The Invisible Crown : The First Principle of Canadian Government, Toronto, University of Toronto Press, 2000, p. 40. 339 Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, 1947, reproduites dans L.R.C. (1985), app. II, no 31. 340 Id.. 341 Ce serait donc dire que les Lettres de 1947 font partie de la Constitution du Canada. Voir par exemple : G.-A. BEAUDOIN, préc., note 161, p. 66 : « Les Lettres Patentes de 1947 font partie de notre Constitution écrite ».

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1.4.2.2.2 Le Canada comme union fédérale « sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande »

La portion du premier considérant du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exprime le désir des provinces de s’unir « sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande342 », fait aussi dire à certains qu’il existe de nos jours une règle supralégislative non écrite de symétrie, ou de reconnaissance automatique, qui est soit reconnue par le préambule, soit établie par celui-ci. Cette règle, à la base du jugement de la Cour supérieure dans Motard, ferait en sorte que le souverain britannique serait automatiquement le souverain canadien. Le juge Bouchard écrit :

Tout comme le préambule de la Loi de 1867 incorpore dans la Constitution canadienne le principe du privilège parlementaire et non la source juridique de ce privilège, la règle qui reconnaît et identifie le souverain du Canada comme la personne qui est souverain du Royaume-Uni est aussi incorporée à la Constitution, sans pour autant incorporer le droit britannique de la succession au trône343.

Cette règle est défendue dans les travaux récents de Peter W. Hogg344, Peter C. Oliver345, Mark D. Walters346, Andrew Heard347, Benoît Pelletier348 et du sénateur Serge Joyal349, qui ont précédé ou suivi de peu la réforme de 2013 des règles de succession royale. Dans cette optique, la référence à la Couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande contenue au préambule serait devenue une référence à la Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et elle aurait pour conséquence, non pas d’incorporer en droit canadien le droit britannique de la succession royale, ce que l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada350 prohibe désormais, mais bien une règle non écrite suivant

342 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule, par. 1 (traduction non officielle). 343 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 153 (le juge Bouchard). 344 P. W. HOGG, préc., note 65. 345 P. C. OLIVER, préc., note 66. 346 M. D. WALTERS, préc., note 67. 347 A. HEARD, préc., note 68, p. 6. 348 SÉNAT, préc., note 69 (Benoît Pelletier). 349 S. JOYAL, préc., note 70. 350 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2.

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laquelle la personne qui occupe en pratique ou dans les faits le poste de chef de l’État au Royaume-Uni est automatiquement chef de l’État au Canada.

Certes, il est évident que le désir, par exemple, de Sir John A. Macdonald ou de Lord Carnarvon351, était que le souverain du Canada soit celui du Royaume-Uni. C’était très probablement le désir de tous les hommes politiques au pouvoir au milieu des années 1800. C’était surtout la conséquence logique de l’appartenance du Canada à l’Empire. D’ailleurs, seul Westminster pouvait décider de la personne du souverain à l’échelle de l’Empire à l’époque352. Toutefois, le Canada n’est plus un ordre juridique subordonné à l’Empire. Prétendre que le Royaume-Uni décide encore aujourd’hui des règles de dévolution de la Couronne canadienne est contraire à l’indépendance et à la primauté du droit canadien. De plus, cette interprétation du préambule contredit le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 et les règles dans lesquelles cette loi baigne, notamment la compétence du Parlement impérial de légiférer pour le Canada et la supralégislativité de ses lois, la réception du droit public d’Angleterre et le caractère fondamental d’une dévolution de la Couronne régie par le droit. Surtout, la symétrie suppose par définition deux Couronnes, ou deux charges, entre qui opérer. Pourtant, en 1867, il n’y avait qu’une seule Couronne impériale une et indivisible et une seule Reine dans l’Empire britannique. Ce raisonnement présente aussi l’inconvénient de faire fi des lois constitutionnelles subséquentes édictées par le Parlement impérial pour le Canada, comme l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act353 de 1936 et la Loi de 1982 sur le Canada354. En définitive, si cette règle non écrite est confirmée par les tribunaux d’appel, la règle de dévolution de la Couronne en droit canadien serait tout simplement tributaire d’une situation de fait, soit celle du Royaume-Uni, puisque l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada interdit désormais au Parlement de Westminster de légiférer pour le Canada355. Celle-ci suivrait alors perpétuellement la Couronne britannique, nonobstant toute autre

351 Secrétaire britannique aux Colonies et ministre porteur du projet d’Acte de l’Amérique du Nord britannique. 352 Voir : infra, p. 82. 353 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86. 354 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2. 355 « Argumentation », Mémoire des parties appelantes, préc., note 30, par. 16.

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disposition ou tout autre principe de la Constitution du Canada. Comme nous le verrons plus loin356, cela met non seulement en péril l’égalité entre le Canada et le Royaume-Uni consacrée par la Déclaration Balfour de 1926 et reconnue par le Statut de Westminster de 1931, mais heurte directement l’indépendance du Canada, qui voit le choix de son chef d’État soumis aux aléas politiques d’un autre pays.

Nous traiterons de l’existence et de la survie éventuelles de cette règle au moment d’étudier la Loi de 1982 sur le Canada357.

1.4.2.3 L’indivisibilité de la Couronne impériale dans la jurisprudence

L’indivisibilité de la Couronne impériale a été reconnue par les tribunaux pendant au moins un demi-siècle après l’Union de 1867.

L’arrêt de principe en cette matière réside probablement dans les motifs du juge Strong dans Canada v. Bank of Nova-Scotia. La Cour suprême du Canada devait alors déterminer si, en vertu de la prérogative royale, l’État fédéral canadien pouvait être payé en priorité sur les créanciers ordinaires de la Bank of Prince Edward Island. Le juge Strong écrivait:

That, for the purpose of entitling itself to the benefit of its prerogative rights, the Crown is to be considered as one and indivisible throughout the Empire, and is not to be considered as a quasi-corporate head of several distinct bodies politic (thus distinguishing the rights and privileges of the Crown as the head of the government of the United Kingdom from those of the Crown as head of the government of the dominion, and, again, distinguishing it in its relations to the Dominion and to the several provinces of the dominion) is a point so settled by authority as to be beyond controversy358. [Notre soulignement]

Alors qu'en première instance, la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard avait nié l’existence de la prérogative, la Cour suprême reconnaissait qu’étant donné l’indivisibilité de la Couronne impériale, on ne devait pas distinguer les prérogatives

356 Infra, p. 88 et 107. 357 Infra, p. 170 et suiv. 358 Canada v. Bank of Nova Scotia, préc., note 25, 19-20 (le juge Strong).

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de la Couronne du chef du Royaume-Uni ou du Canada. Le germe de l’indépendance canadienne était semé par cet arrêt : c’est par cette indivisibilité de la Couronne que les gouvernements coloniaux ont pu exercer eux-mêmes les prérogatives royales, et ultimement affirmer leur indépendance, c’est-à-dire établir la divisibilité de la Couronne359.

Par ailleurs, il ne convient pas ici de s’étendre sur la controverse jurisprudentielle qui a existé à cette époque concernant la place de la Couronne dans le gouvernement des provinces, hormis pour rappeler que le Comité judiciaire a clairement exprimé le lien direct entre Sa Majesté et les lieutenants-gouverneurs provinciaux360 (et donc les gouvernements provinciaux). À l’intérieur de la fédération, la Couronne canadienne demeure encore à ce jour formellement indivisible, mais les pouvoirs, les droits et les devoirs de la Couronne sont exercés par ses gouvernements suivant le partage des compétences. C’est d’ailleurs la solution à laquelle est récemment arrivée la Cour suprême dans Grassy Narrows, où elle a jugé que les obligations de la Couronne canadienne envers les peuples autochtones sont remplies, selon le cas, par l’un ou l’autre de ses gouvernements. Ce n’est donc pas parce qu’un territoire est visé par un traité avec une nation autochtone qu’il sort de la compétence provinciale361. La juge en chef McLachlin, pour la Cour, écrit :

359 N. COX, préc., note 162, 99 (qui réfère à Herbert EVATT, The Royal Prerogative, Sydney, The Law Book Company, 1987). Voir : infra, p. 88 et suiv. La prérogative royale peut en effet, dans certains cas, être exercée par un ou des ministres de la Couronne : Black v. Canada (Prime Minister), préc., note 7, par. 33 (le juge Laskin pour la Cour). 360 Liquidators of the Maritime Bank v. Receiver-general, (1892) A.C. 437 (C.P.). Voir aussi : Bonanza Creek Gold Mining Company Ltd. c. Rex, [1916] 1 A.C. 566 (C.P.); Re Silver Brothers Ltd., [1932] A.C. 514 (C.P.); Switzman c. Elbling, [1954] B.R. 421; Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61; P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 310-311; P. GARANT, préc., note 6, EYB2010DRA5; D. Michael JACKSON et Lynda HAVERSTOCK, « The Crown in the Provinces: Canada’s Compound Monarchy », dans Jennifer SMITH et D. Michael JACKSON (dir.), The Evolving Canadian Crown, Kingston, McGill- Queen’s University Press, 2011, p. 11. 361 Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), préc., note 5, par. 35 (la juge en chef McLachlin pour la Cour) : « Les promesses contenues dans le Traité no 3 étaient celles de la Couronne, non du Canada [l’État fédéral]. Leur respect incombe aux deux ordres de gouvernement en conformité avec le partage des pouvoirs opéré par la Loi constitutionnelle de 1867 ».

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Ces obligations lient la Couronne. Le gouvernement qui exerce un pouvoir de la Couronne — qu’il s’agisse du gouvernement fédéral ou d’un gouvernement provincial — est assujetti aux obligations de la Couronne envers le peuple autochtone concerné362. [Italiques originaux]

Autrement dit, « [e]n principe, la Couronne canadienne est indivisible, et l’exercice de ses pouvoirs est partagé entre deux ordres de gouvernement égaux363 ».

1.4.3 La Couronne et ses gouvernements : la divisibilité fonctionnelle de la Couronne à l’époque impériale

L’indivisibilité de principe de la Couronne impériale connaissait évidemment des aménagements facilitant la gestion locale des différentes colonies. Conformément à la conception Stuart de l’Empire, l’indivisibilité conciliait l’unité politique, d’un côté, et l’autonomie locale, de l’autre, et ce jusqu’à un certain point364. C’est ainsi que, malgré l’indivisibilité de l’État impérial britannique, l’Empire était « divisible sur le plan fonctionnel ». Nicole Duplé résume la question de la manière suivante :

Il est certain que l'Empire était divisible sur le plan fonctionnel puisque les colonies disposaient de pouvoirs autonomes et de trésors distincts. Pendant la période coloniale, la Couronne a donc été le symbole de l'unité de l'Empire365.

Cette divisibilité « pratique » remontait à une époque incertaine, mais antérieure à l’Union fédérale de 1867. Par exemple, en matière d’affaires autochtones, cette divisibilité remonterait à 1860. C’est du moins ce que prétend Émond:

Commencé vers les années 1840, décidé officiellement en 1858, le transfert de compétence du gouvernement impérial à la colonie a été complété dans les faits en 1860. À partir de ce moment, et bien que des engagements aient été pris en son nom, la Couronne en chef du Royaume- Uni ne devait plus rien aux autochtones du Canada. La jurisprudence l'a confirmé : il a suffi à la métropole qu'elle crée un gouvernement local pour que ses droits et obligations, eu égard au territoire desservi et aux pouvoirs cédés, soient automatiquement dévolus à la nouvelle administration

362 Id., par. 50 (la juge en chef McLachlin pour la Cour). 363 J. FOURNIER et A. BINETTE, préc., note 146, 650-651. Voir aussi : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.132. 364 T. GUILLUY, préc., note 225, p. 11. 365 N. DUPLÉ, préc., note 32, p. 224.

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coloniale; ce qui revenait à dire que la Couronne pouvait être divisée entre ses différents chefs de gouvernement366. [Notre soulignement]

Comme on le voit, la divisibilité fonctionnelle était tributaire des fonctions étatiques déléguées au gouvernement local. Elle suivait le « scope of self-government ». À ce sujet, Hogg écrit :

Within the British Empire (or, later, the Commonwealth), once a territory has acquired a degree of self-government, then, as to matters falling within the scope of self-government, the Queen was thereafter advised by her colonial ministers, not her British ministers; and the colonial government, with its power to raise taxes and create separate treasury, would assume the responsability for debts and other obligations pertaining to matters within the scope of self-government367. [Notre soulignement]

Elle apparaissait donc dès l’établissement d’un gouvernement local. En 1982, Lord Kerr écrit:

First, as there stated, it is clear that "on the ground [grant] of a representative legislature, and perhaps even as from the setting up of courts, legislative council and other such structures of government, Her Majesty's government in a colony is to be regarded as distinct from Her Majesty's government in the United Kingdom"368. [Notre soulignement]

Ce gouvernement local, selon Lord Kerr, n’avait pas besoin d’être très élaboré. Il pouvait se limiter à quelques structures embryonnaires, comme un conseil législatif et des tribunaux.

Les effets de la divisibilité fonctionnelle étaient notamment de limiter la responsabilité du gouvernement impérial (Her Majesty’s Government in the United Kingdom) et de permettre l’établissement d’un gouvernement local (Her Majesty’s Government in the colony), avec un trésor distinct et un procureur général qui pouvait poursuivre et être poursuivi au nom de ce gouvernement local.

366 André ÉMOND, « Partenaire des peuples autochtones du Canada : les différents visages de la Couronne », (1997-1998) 29 R.D. Ottawa 63, par. 10 (LN/QL). 367 P. W. HOGG, préc., note 33, p. 302-303; 368 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250, p. 10 (Lord Kerr).

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L’arrêt de principe sur cette question a été rendu par la Chambre des Lords dans Attorney-General v. Great Southern and Western Railway Company of Ireland 369. Dans cette affaire, une compagnie de chemin de fer avait transféré du matériel ferroviaire au gouvernement britannique lors de la Première Guerre mondiale, le gouvernement devant rembourser le coût du matériel une fois le conflit terminé. Or, après la guerre, la compagnie a demandé une condamnation de l’État britannique au paiement du matériel. Cependant, l’État libre d’Irlande avait été constitué entre temps en tant que Dominion. La question se posait de savoir qui, de l’Irlande ou du Royaume-Uni, devait payer pour le coût du matériel. La Chambre des Lords a conclut que cette obligation appartenait désormais à l’État libre d’Irlande. Lord Phillimore écrit:

The property of the Crown in the Dominion is held for the purposes of that Dominion. Its benefits accrue to the Dominion Exchequer, and liabilities in connection with it must be discharged out of the same Exchequer. His Majesty has separate Attorney-Generals to sue and be sued in respect of each Dominion370.

En somme, la divisibilité fonctionnelle signifiait que les biens du Dominion étaient la propriété de la Couronne pour ce Dominion, Sa Majesté ayant un trésor, un gouvernement et un procureur général pour chaque Dominion. Il s’agissait d’une exception de droit formel à l’indivisibilité de la Couronne impériale, qui demeurait donc en principe. Le maintien de l’indivisibilité supposait que chacun des gouvernements de Sa Majesté pouvait invoquer les prérogatives royales371 et que les droits de Sa Majesté naissant dans une partie de l’Empire pouvaient, du moins selon certaines décisions judiciaires, être exercés par un gouvernement d’une autre partie de l’Empire (particulièrement par le gouvernement impérial dans une colonie)372.

369 Attorney-General v. Great Southern and Western Railway Company of Ireland, [1925] A.C. 754 (H.L.). 370 Id., 779. 371 Canada v. Bank of Nova Scotia, préc., note 25, 19-20 (le juge Strong), cité supra, p. 74. 372 In re Bateman’s Trust, préc., note 300, 361 (Sir James Bacon, V.C.); In re Oriental Bank Corporation, ex parte the Crown, préc., note 300, 649 (le juge Chitty). Voir: supra, p. 59. Concernant la situation actuelle dans la fédération canadienne, voir : Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), préc., note 5, par. 32 (la juge en chef McLachlin pour la

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Cour) : « Certes, le Traité no 3 a été négocié avec la Couronne du chef du Canada, mais il ne s’ensuit pas pour autant que la Couronne du chef de l’Ontario n’est pas liée par le traité, ni habilitée à agir relativement à ce dernier ».

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1.5 Conclusion : la continuité de la charge et le maintien de la suprématie de Westminster

S’il est difficile de penser l’Empire en termes juridiques373, et ce, surtout dans la tradition anglo-saxonne dans laquelle les règles ressortent de jugements fondés sur des cas particuliers, il est néanmoins possible de tirer quelques conclusions. Ainsi, à l’époque impériale :

 La charge de Reine est constituée par la common law (ou la coutume constitutionnelle), ainsi que par des lois impériales (supra, p. 36).

 Ces règles se conjuguent avec le principe britannique de primauté du droit (rule of law), qui en l’occurrence entraîne une dévolution de la Couronne établie par le droit du territoire sur lequel la Couronne est souveraine, et ce, notamment pour assurer une certitude dans la succession (supra, p. 28 et 42).

 Ce droit a été intégré dans les territoires de l’Empire britannique par sa propre force (ex proprio vigore), ou à tout le moins par sa réception comme partie du droit public d’Angleterre (supra, p. 49).

 Ces règles constitutives applicables par leur propre force ne pouvaient d’aucune façon être modifiées par les parlements locaux, et ce, par l’effet de la common law constitutionnelle, puis par le Colonial Laws Validity Act, 1865374 (supra, p. 51 et 67).

 La Couronne impériale britannique était une et indivisible (supra, p. 55). Cette indivisibilité de principe était néanmoins tempérée par une forme de divisibilité fonctionnelle entre les gouvernements de Sa Majesté dans les différents Dominions et dans le Royaume-Uni, qui a permis au Canada d’exercer une autonomie partielle (supra, p. 76).

373 Voir : T. GUILLUY, préc., note 225; D. LINO, préc., note 248, 751. 374 Préc., note 247.

80

 Par l’effet du préambule et des articles 9 et 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce droit et la charge de Reine ont été maintenus lors de l’Union (supra, p. 61 et suiv.).

Les parlements coloniaux ne pouvaient donc pas remettre en question les choix du Parlement de Westminster quant au contenu du droit impérial relatif à la Couronne, ce qui a d’ailleurs été reconnu par le ministère fédéral de la Justice. Cela aurait été ni plus ni moins qu’une modification constitutionnelle au sens formel du terme. Les avis juridiques de ce ministère, écrits en 1936-1937, énonçaient:

Accordingly, there can be no doubt that from the strictly legal point of view, prior to the enactment of the Statute of Westminster, it would have been beyond the powers of the Parliament of Canada to enact a law changing the succession. […] A change of this sort would have been a fundamental constitutional change which could only be made legally effective by enactment by the Parliament of the United Kingdom375. [Notre soulignement]

La dévolution de la Couronne, avant 1931, connaissait donc un législateur unique : le Parlement impérial. Une seule personne portait alors la Couronne britannique une seule Couronne impériale et qui était donc Roi tant au Royaume-Uni que dans ses colonies. Mais la dévolution de la Couronne demeurait une dévolution légale, c’est-à-dire organisée selon la primauté du droit. Elle n’avait rien à voir avec une reconnaissance factuelle et automatique du Roi britannique par un royaume canadien qui, de toute manière, n’existait pas. En d’autres termes, si le droit constitutif de la Couronne impériale pouvait s’appliquer et s’intégrer pleinement en droit canadien durant cette période, il n’y avait alors aucune utilité à établir une quelconque symétrie entre cette Couronne impériale et une Couronne canadienne qui n’existait pas encore. C’est en étant conscient de cette indivisibilité de la Couronne impériale que le Canadian Law Times publiait, en 1914, la synthèse suivante:

375 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Fonds Ernest Lapointe, Notes concerning royal abdication and succession, « Edward VIII – Canada’s constitutional position concerning the abdication », MG27-IIIB10, vol. 49, no 30, R8207-2-3-F, p. 13-14, 1-2.

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The British form of government is monarchical. The common law of England, the basis of our constitutional law, recognizes only one person as exercising authority without commission from any other within or without the realm. That one person is the wearer for the time being of the Crown of the United Kingdom of Great Britain and Ireland. Who at any moment of time may wear that Crown is now determined by statute, the Act of Settlement, as it is usually styled, passed in 1700, by which the Crown was settled upon the Electress Sophia of Hanover and her heirs, being Protestants.

"The law makes the King." The legal theory of British jurisprudence is, that further back than any court will look there was, as part of the common law of England, a fundamental law of the constitution governing the Kingship376. [Notre soulignement]

La dévolution de la Couronne est légale puisqu’il y a, à la base de notre droit constitutionnel, des règles de droit qui l’organisent. Ainsi, même après l’Union de 1867, les règles constitutives de la charge de Reine demeuraient partie du droit du Canada et étaient altérables uniquement par le Parlement de Westminster.

376 « The Crown Imperial », préc., note 152.

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2 La divisibilité de la Couronne impériale britannique

My full belief is that an Imperial constitution based on goodwill and fairness may within a few years come into real existence, before most Englishmen have realised that the essential foundations of Imperial unity have already been firmly laid. The ground of my assurance is that the constitution of the Empire may, like the constitution of England, be found to rest far less on parliamentary statutes than on the growth of gradual and often unnoted customs.

-Dicey377

Si l’époque impériale était caractérisée par l’indivisibilité de la Couronne impériale et la suprématie du Parlement de Westminster, la Première Guerre mondiale va marquer le début d’une nouvelle ère constitutionnelle pour le Canada. À partir de ce moment, la Couronne s’est divisée graduellement entre le Canada et le Royaume-Uni, comme elle s’est divisée également avec les autres Dominions britanniques. D’abord conventionnelle [2.1], cette divisibilité va se formaliser en droit positif plus tard, notamment en vertu du Statut de Westminster et des pouvoirs qu’il octroie au Canada [2.2]. Cette divisibilité formelle s’accompagne néanmoins de conventions constitutionnelles visant à maintenir, sur le plan symbolique, une union personnelle entre les différents royaumes du Commonwealth dans le respect de leur indépendance politique respective. À partir des années 1930, par une série de mesures, l’État fédéral a progressivement mis en œuvre cette divisibilité formelle, qui a été reconnue par la jurisprudence et la doctrine, puis parachevée par la Loi de 1982 sur le Canada378 [2.3]. Celle-ci a sonné le glas de la compétence juridique de la Couronne britannique au Canada, marquant du même coup l’indépendance complète de la Couronne canadienne.

377 A. V. DICEY, préc., note 129, p. lxxxvi. 378 Préc., note 16.

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2.1 La divisibilité conventionnelle de la Couronne impériale

Pour devenir un État indépendant de l’Empire, la divisibilité de la Couronne impériale au profit d’une Couronne canadienne a été nécessaire. Cette divisibilité s’est néanmoins opérée par étapes. Alors que la divisibilité fonctionnelle, dont il a été précédemment question379, n’était qu’un tempérament au principe d’indivisibilité au sein du vaste Empire britannique, elle a néanmoins favorisé le développement de nouvelles pratiques qui, suite à l’implication des Dominions dans la Première Guerre mondiale, ont entraîné de profonds changements dans les relations entre le gouvernement impérial et les Dominions. La première forme de divisibilité de la Couronne qui a alors été obtenue par le Canada est conventionnelle. Cette convention, toujours existante aujourd’hui, repose sur des pratiques qui lient les acteurs politiques et dont la raison d’être est l’autonomie du Canada.

Si l’obtention du gouvernement responsable au milieu du XIXe siècle signifiait que le gouverneur n’exerçait le pouvoir exécutif de la colonie que de l’avis d’un conseil ayant la confiance de la chambre parlementaire élue380, il demeurait des domaines où la Reine et ses représentants suivaient l’avis et le consentement des ministres britanniques381 [2.1.1]. D’autres conventions ont du être développées afin d’établir l’égalité politique entre le Royaume-Uni est ses anciens Dominions.

À terme, ces conventions ont permis de consacrer l’indépendance politique du Canada. La divisibilité conventionnelle signifie que pour toutes les affaires canadiennes, la Couronne n’agit que suivant l’avis et le consentement de ses ministres canadiens (fédéraux et provinciaux), et non plus de l’avis de ses ministres britanniques382. En d’autres termes, les actes de la Reine et ses représentants ne sont dictés que par les ministres responsables devant les

379 Supra, p. 76 et suiv. 380 Paul G. MCHUGH, « Time Whereof-Memory, History and Law in the Jurisprudence of Aboriginal Rights », (2014) 77 Saskatchewan Law Review 137, 162 : « The Lieutenant Governor of Upper Canada, exercising several prerogative powers, was responsible first to imperial authorities then, after the union (1840) from 1860, he followed the advice of colonial Ministers ». 381 N. COX, préc., note 162, 99-100. 382 Voir : A. TWOMEY, préc., note 78, aux pages 325-326.

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chambres élues de la fédération. C’est, pour ainsi dire, l’aspect conventionnel de l’indépendance canadienne : formellement, le Canada était toujours un Dominion britannique, mais suivant les conventions, son gouvernement était indépendant du gouvernement britannique. Sa Majesté devait se comporter en conséquence. En 1981, la majorité de la Cour suprême écrit :

Au sein de l’Empire britannique, les pouvoirs du gouvernement étaient conférés à différents organes qui ont fourni un terrain fertile à la croissance de nouvelles conventions constitutionnelles, inconnues de Dicey, par lesquelles des colonies autonomes ont acquis un statut égal et indépendant au sein du Commonwealth. Plusieurs d’entre elles ont été consacrées par le Statut de Westminster, 1931, 1931 (R.-U.), chap. 4383.

C’est donc par une première étape conventionnelle que le Canada et sa Couronne sont devenus indépendants dans les années 1920 [2.1.2]. En ce sens, la divisibilité conventionnelle de la Couronne représente le parachèvement du gouvernement responsable.

Par ailleurs, tant et aussi longtemps que le Canada aura pour chef d’État la même personne physique que les autres royaumes du Commonwealth, la divisibilité conventionnelle de la Couronne garde sa pertinence, puisqu’elle garantit l’indépendance de ces pays en prohibant toute ingérence de la part d’un gouvernement dans les affaires des autres par l’entremise de la Reine [2.1.3].

2.1.1 L’état des conventions lors de l’Union de 1867

L’Union de 1867 n’est pas la naissance d’un pays indépendant384. Cependant, la création du Dominion du Canada s’est faite dans la continuité de l’octroi du gouvernement autonome (self-government) commencé avec l’Acte constitutionnel

383 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 879 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). 384 Supra, p. 60 et 80. Encore en 1911, un tribunal anglais venait rappeler que le Canada était une « colonie ou dépendance britannique » : In re Sir S. M. Maryon-Wilson's Estate, [1911] 2 Ch. 58, [1912] 1 Ch. 55, cité dans J.-Y. MORIN, préc., note 120, 198.

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de 1791385 et continué plus sérieusement sous le régime du Canada-Uni avec, notamment, l’avènement du gouvernement responsable en 1847-1848386.

Durant cette période, dans les affaires internes des self governing States, la Couronne, bien que formellement une et indivisible, agissait généralement de l’avis et du consentement des ministres canadiens par le biais du Gouverneur général, du gouverneur-en-conseil ou de ses équivalents provinciaux (les gouvernements canadiens). Dans Theodore c. Duncan, une affaire australienne, le Comité judiciaire a reconnu cela. Le Vicomte Haldane déclare:

The Crown is one and indivisible throughout the Empire, and it acts in self- governing States on the initiative and advice of its own Ministers in these States387.

Pourtant, même dans les affaires internes, il demeurait des domaines dans lesquels les gouvernements locaux n’avaient pas le dernier mot. En effet, le gouverneur général était nommé par la Reine de l’avis des ministres britanniques, qui lui donnaient des instructions quant à la manière d’exercer ses prérogatives. André Siegfried résume très bien le caractère paradoxal de cette autonomie sous tutelle lorsqu’il écrit: « […] le vice-roi d’un Dominion régnait sans gouverner, mais il recevait cependant, en tant que fonctionnaire, des instructions du Colonial Office388 ». Autrement dit, les gouverneurs étaient désormais condamnés à un rôle politiquement passif sous l’effet du gouvernement responsable, mais ils devaient se résoudre à recevoir des ordres et des avis de deux « maîtres » différents, soit du gouvernement colonial dans un nombre croissant de domaines et, plus rarement néanmoins, du gouvernement impérial, avec dans ce cas une autorité prédominante.

385 Acte constitutionnel de 1791, reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 3. 386 Réjean PELLETIER, « La responsabilité ministérielle : mythes et réalités », dans Patrick TAILLON, Eugénie BROUILLET et Amélie BINETTE (dir.), Un regard québécois sur le droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur d’Henri Brun et de Guy Tremblay, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 159, à la page 161; K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 47. 387 Theodore c. Duncan, [1919] A.C. 696, [1919] 26 C.L.R. 276 (C.P.), 282 (le Vicomte Haldane). Dans cette affaire, le Parlement du Queensland avait exproprié des aliments au profit du gouvernement impérial pour l’effort de guerre lors de la Première Guerre mondiale. 388 Préface de Yves G. BRISSONNIÈRE, « Commonwealth d’abord », Paris, Éditions Domat Montchrestien, 1955, p. 8-9.

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En somme, si les instructions de 1847-1848 intimaient au gouverneur de se laisser guider par les ministres locaux responsables, d’autres instructions accompagnant la nomination du gouverneur confirmaient son droit de s’opposer aux décisions du cabinet de la colonie. Par exemple, il devait refuser de sanctionner, ou réserver pour le bon plaisir de la Reine (ce qui veut dire à l’époque, par l’effet des conventions, pour le bon plaisir des ministres britanniques), certaines lois dont celles relatives au divorce ou contraires aux traités d’Empire389. La procédure à respecter en vue de l’octroi de la grâce (mercy) était également fixée dans les instructions390. En s’abstenant de déléguer explicitement certaines prérogatives royales au gouverneur général, les Lettres patentes et les instructions elles-mêmes limitaient en pratique les pouvoirs du gouvernement fédéral, qui devait alors passer directement par Londres391.

Dans les affaires extérieures, la Couronne demeurait, même conventionnellement, indivisible392. Les questions relatives à la nationalité, à la marine marchande, aux relations internationales et aux affaires militaires de l’Empire étaient conduites en un seul bloc, c’est-à-dire de l’avis et du consentement des ministres britanniques, par le biais de Sa Majesté ou de la Reine-en-conseil (le gouvernement britannique)393. C’est ainsi que la Première Guerre mondiale a été déclarée pour tout l’Empire par le Roi agissant de l’avis des ministres britanniques, ce qui incluait le Canada394. Même conventionnellement, le Canada n’avait rien à dire. Comme il disposait d’un gouvernement autonome, c’est cependant le gouvernement du Canada qui a décidé de l’étendue de l’effort de guerre qu’il désirait offrir aux forces impériales395.

389 C. MCCREERY, préc., note 338, aux pages 35-36. 390 Id., à la page 37. 391 Voir plus généralement : Arthur B. KEITH, Imperial unity and the dominions, Oxford, Clarendon Press, 1916. 392 Cependant, dès les années 1860, des représentants canadiens participent aux délégations britanniques qui négocient des traités qui concernent la Province du Canada : J.-Y. MORIN, préc., note 120, 190-191. Voir aussi : L. C. GREEN, préc., note 37, notamment à la page 58. 393 N. COX, préc., note 162, 99-100. 394 L. C. GREEN, préc., note 37, 62. 395 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.52.

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2.1.2 L’avènement de la souveraineté exécutive canadienne

Bien malin celui qui prétendrait connaître la date exacte de l’acquisition de la souveraineté canadienne. Même la Cour suprême ne s’est pas risquée à un tel exercice, se contentant d’affirmer simplement que la souveraineté a été acquise entre 1919 et 1931. La Cour écrit :

There can be no doubt now that Canada has become a sovereign state. Its sovereignty was acquired in the period between its separate signature of the Treaty of Versailles in 1919 and the Statute of Westminster, 1931, 22 Geo. V., c. 4396.

La date de l’apparition de la convention qui fonde la souveraineté canadienne sur le plan du pouvoir exécutif est tout autant incertaine, puisqu’il est de la nature des conventions de, généralement, s’établir par l’effet du temps397. Cox nous enseigne qu’elle est apparue, pour ce qui est des Dominions en général, au cours des décennies 1920 et 1930, et qu’elle ne fut confirmée définitivement que dans les années 1940398.

Avant d’aborder l’étude des événements marquants de cette époque qui ont permis la reconnaissance des nouvelles conventions constitutionnelles, il est important de reconnaître le rôle majeur du Canada comme locomotive de l’acquisition de l’égalité de statut des anciens Dominions avec le Royaume-Uni. Stanley A. de Smith écrit:

[…] when Canada cracked the façade of imperial unity by insisting on the acknowledgment of its own distinct international personality, constitutional conventions were called to new duties. Drained of their elusive fluidity, they were embedded in formal resolutions of Imperial Conferences to identify the structure of the growing Commonwealth. The Canadian, South African and Irish nationalists pressed home their advantage, and their immediate

396 Re: Offshore Mineral Rights, [1967] S.C.R. 792, 816 (per curiam). 397 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 888 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). Quoiqu’un seul précédent assez fort puisse fonder à lui seul une convention constitutionnelle. 398 N. COX, préc., note 162, 100. L’indépendance diplomatique du Canada ne fut consacrée qu’après la Seconde Guerre mondiale : François LEDUC, Guide de la pratique des relations internationales du Québec, Québec, Publications du Québec, 2009, p. 14.

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demands for an explicit renunciation of the surviving elements of inequality of status were conceded399.

Dès 1917, une conférence impériale a souligné la nécessité de redéfinir les rapports entre le Royaume-Uni et ses Dominions, mais, comme l’indiquent Brun, Tremblay et Brouillet, on a reporté les discussions sur ce sujet à une conférence à être tenue après la fin de la guerre400. Les Dominions étaient alors définis comme des nations autonomes d’un Commonwealth impérial401. C’est donc seulement après la Première Guerre mondiale que le système impérial s’est effrité.

Une des premières tentatives d’endiguer le pouvoir du gouvernement britannique sur le Canada fut la Résolution Nickle de 1919. Jusqu’alors, Sa Majesté pouvait, par exercice de sa prérogative sur avis de ses ministres britanniques, conférer des honneurs, dont des titres de chevalerie ou de noblesse dans la pairie du Royaume- Uni. C’est ainsi que, par exemple, John A. Macdonald, George-Étienne Cartier, Wilfrid Laurier ou Robert Laird Borden ont pu porter le titre de « Sir ». Or, le problème appréhendé par le gouvernement fédéral de l’époque était celui de l’établissement d’une classe de Canadiens couverts d’honneurs et de titres par le gouvernement britannique, ce qui provoquerait immanquablement chez eux une inclinaison au maintien des liens impériaux.

Par la Résolution Nickle de 1919, la Chambre des communes du Canada a demandé au Roi « to refrain hereafter from conferring any title or honour or titular distinction upon any of your subjects domiciled or ordinarily resident in Canada [...]402 ». Prélude à la divisibilité conventionnelle de la Couronne, l’objectif de la Résolution Nickle était donc de limiter ou d’annihiler la discrétion de Sa Majesté pour les honneurs remis à des Canadiens de l’avis de son gouvernement britannique. Le critère de rattachement au Canada choisi était celui de la résidence ordinaire, semblable à celui adopté deux ans plus tôt dans la première Loi de

399 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 2. 400 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.53. 401 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 24. 402 Telle que reproduite dans Black v. Canada (Prime Minister), préc., note 7, par. 14.

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l’impôt sur le revenu,403 et ce, vraisemblablement, en raison du caractère très lacunaire de la citoyenneté canadienne à l’époque404.

Il s’agissait donc d’une tentative d’établir que, concernant une affaire canadienne comme les honneurs, ce soit l’avis des ministres canadiens qui soit déterminant dans l’exercice de la prérogative royale. La Résolution Nickle promeut donc en quelque sorte la montée d’une nouvelle convention constitutionnelle.

Puis, en 1923, la signature autonome du Traité du flétan avec les États-Unis, et la conférence impériale de la même année qui a reconnu la compétence des Dominions de négocier et de signer leurs traités de leur propre chef405, signifiaient que, dorénavant, Sa Majesté devait obéir aux ministres canadiens. Ce sont par conséquent les ministres canadiens qui dirigent les affaires étrangères du Canada.

Il y a eu, par contre, quelques résistances. Cox rapporte que le premier ministre australien, William Hughes, souhaitait distinguer l’avis formel à Sa Majesté, donné seulement par le gouvernement britannique, de l’avis informel pouvant être donné par les Dominions406. Cette suggestion n’a cependant pas été suivie.

La Conférence impériale de 1926 a, ensuite, marqué le point d’orgue de l’établissement de la divisibilité conventionnelle de la Couronne407. De cette conférence, on retient généralement la déclaration de Lord Balfour qui l’a conclu, et qui allait en quelque sorte témoigner du sentiment des autorités britanniques d’être liées par de nouvelles conventions constitutionnelles sur les rapports entre l’Empire et ses Dominions. Par le texte de cette déclaration, les autorités britanniques ont reconnu que les Dominions constituent des:

[…] collectivités autonomes au sein de l’Empire britannique, de statut égal et en aucune façon subordonnées l’une à l’autre pour ce qui est de leurs

403 Loi de l’Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, c. 28, par. 4(1). 404 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. III.69. 405 Id., par. II.55 et II.56. Voir aussi : N. DUPLÉ, préc., note 77, p. 16; J.-Y. MORIN, préc., note 120, 193. 406 N. COX, préc., note 162, 100. 407 Plus largement, la convention constitutionnelle reconnue par la Déclaration Balfour confirme que les Dominions sont « des entités autonomes qui ne sauraient plus être considérées comme assujetties à une volonté autre que la leur » : N. DUPLÉ, préc., note 77, p. 16.

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affaires internes ou extérieures, tout en étant unies par une allégeance commune à la Couronne, et librement associées comme membres du Commonwealth britannique des Nations408.

Alors qu’on remarque ici l’absence du mot indépendance, il faut néanmoins souligner la présence de trois valeurs importantes pour la suite des choses : autonomie, égalité et liberté. C’était, selon Green, la fin de l’appartenance des Dominions à l’Empire du point de vue du droit international409. Whitehall avait, dès lors, perdu l’essentiel de son pouvoir sur le Canada.

Depuis ce moment, seuls les ministres canadiens, du fédéral ou des provinces suivant le partage des compétences, sont aptes à conseiller la Couronne relativement au Canada. La déclaration concluant la conférence de 1929 a été encore plus explicite que celle de Lord Balfour en 1926, du moins quant à ce principe général :

[C]'est le droit du gouvernement de chaque Dominion de donner des avis à la Couronne sur toutes les questions ayant trait à ses propres affaires. En conséquence, il ne serait pas conforme à la pratique constitutionnelle que fussent donnés à Sa Majesté, par le gouvernement de Sa Majesté en Grande-Bretagne, sur une question quelconque relevant des affaires d'un Dominion, des avis contraires aux vues du gouvernement de ce Dominion410.

Comme le dit si bien Cox, « [t]his was the only possible outcome of the doctrine of equality411 ». Cela emporte quelques conséquences pratiques et immédiates.

Concernant la conclusion des traités, comme l’enseignent Brun, Tremblay et Brouillet, la Couronne émet les pleins pouvoirs aux diplomates, en vertu de la prérogative royale, de l’avis du gouvernement canadien. Ils écrivent: « Les pleins pouvoirs seront émis par la couronne sur avis du gouvernement concerné, de

408 Telle que traduite et reproduite dans Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 790 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). 409 L. C. GREEN, préc., note 37, 61. 410 Tel que rapporté dans H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.61. Voir aussi : S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 2. 411 N. COX, préc., note 162, 100.

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façon à indiquer spécifiquement la partie de l'empire pour laquelle les plénipotentiaires signeront412 ».

Quant au gouverneur général, celui-ci n’est plus le représentant du gouvernement britannique, mais celui de la Reine seulement413. Comme la Reine agit seulement de l’avis du gouvernement canadien, il est pure logique que le gouverneur général en fasse de même. Ainsi, la nomination du gouverneur lui-même se fait par la Reine de l’avis du gouvernement fédéral414. De même, il n’y a plus d’instructions pouvant émaner des ministres britanniques à l’endroit du gouverneur415, car ni la Reine ni le gouverneur n’agissent de l’avis de ces ministres. Même les communications entre le gouvernement de Sa Majesté pour le Royaume-Uni et le gouvernement de Sa Majesté pour le Canada doivent se faire directement, « et non plus par l’intermédiaire du gouverneur général416 ».

En matière militaire, l’octroi du titre de commandant-en-chef des armées au gouverneur général, effectué dès 1905417, rendait aisée la prise en charge des forces armées par le gouvernement fédéral. Jusqu’alors, le commandement était octroyé au plus haut gradé britannique présent au Canada, et le maintien de cette règle aurait été difficilement conciliable avec l’indépendance du pouvoir exécutif canadien418.

Quant aux pouvoirs légaux de la Reine et de son représentant concernant la sanction, le veto, le désaveu et la réserve des lois, ceux-ci ne s’exercent désormais plus que de l’avis des ministres canadiens419.

412 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.57. 413 Id., par. II.60; K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 125-126. 414 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.60; K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 126. Ce sont tout de même des Britanniques qui seront nommés à ce poste jusqu’aux années 1950. 415 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.61. 416 Id., par. II.60. 417 C. MCCREERY, préc., note 338, à la page 37. 418 Id. 419 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. II.61. Dans la mesure où ces pouvoirs sont toujours exerçables dans le respect des conventions.

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Cette redéfinition du rôle de la Reine et du Gouverneur général avait été rendue nécessaire entre autres par la célèbre affaire King-Byng de 1926420. Le premier ministre Mackenzie King dirigeait alors un gouvernement de coalition même si son propre parti comptait moins de députés que l’opposition conservatrice. Secoué par un scandale de corruption, il décida de demander au gouverneur Lord Byng de Vimy de dissoudre la Chambre plutôt que d’y subir une défaite certaine421. Lord Byng refusa, le premier ministre King démissionna et le gouvernement conservateur appelé par Byng ne survivra que pendant 3 jours422. Les décisions du gouverneur Byng ont alors été critiquées tout simplement parce qu’il avait été nommé par la Reine sur avis de ses ministres britanniques, et parce qu’il était toujours sujet à des instructions de la part de Whitehall. Cela était incompatible avec les exigences d’impartialité et d’apparence d’impartialité, identifiées par Hugo Cyr, pour que le représentant de la Reine puisse exercer son rôle d’arbitre constitutionnel légitime423. De plus, cela heurtait l’égalité de statut avec le Royaume-Uni424, même si en l’espèce Lord Byng avait exercé sa discrétion sans ingérence britannique425. Comme nous l’avons vu, ces problèmes ont été écartés par l’établissement de la divisibilité conventionnelle.

À travers tous ces exemples, il y a une même constante : le pouvoir politique de conseiller Sa Majesté ou ses représentants pour les affaires de la fédération canadienne s’est déplacé des ministres britanniques vers ceux du fédéral et des provinces. En définitive, la divisibilité conventionnelle de la Couronne signifie donc que les pouvoirs du monarque et de ses représentants sont conservés, mais sont

420 Selon Wheare, cet événement avait convaincu King que des questions théoriques pouvaient avoir des répercussions pratiques : K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 25. Voir aussi : P. W. HOGG, préc., note 252, p. 54. 421 Réjean PELLETIER, préc., note 386, à la page 169. Voir aussi : Herbert V. EVATT, The King and His Dominion Governors, 2e éd., Londres, Frank Cass & Co., 1967, p. 55 et suiv. 422 N. DUPLÉ, préc., note 77, p. 233. 423 Hugo CYR, « Du vote de non-confiance », dans Patrick TAILLON, Eugénie BROUILLET et Amélie BINETTE (dir.), Un regard québécois sur le droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur d’Henri Brun et de Guy Tremblay, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 133, aux pages 134 et 148. 424 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 25, citant Arthur B. KEITH, Speeches and Documents on the British Dominions, Londres, Oxford University Press, 1932, p. 152. 425 T. FRANCK, préc., note 222, 168.

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exercés par les ministres canadiens426. C’est pourquoi, à la différence de son père lors de l’entrée en guerre de 1914, le Roi George VI a déclaré la guerre au Troisième Reich pour le Canada de l’avis de son premier ministre Mackenzie King427.

2.1.3 Les effets contemporains de la divisibilité conventionnelle : l’affaire Black c. Chrétien

La convention sur la divisibilité de la Couronne s’est maintenue, il va sans dire, jusqu’à nos jours. C’est que, même aujourd’hui, le cumul par une même personne physique des charges de chef d’État du Canada et de 15 autres royaumes (union personnelle) pourrait mener à des atteintes à l’indépendance de chacun de ces États sans celle-ci428.

Encore une fois, le passé fournit des exemples du risque d’atteinte à l’indépendance en contexte d’union personnelle. Durant les années 1600, l’Écosse, alors sous le même Roi que l’Angleterre, avait tenté une aventure coloniale au Panama, l’expédition Darien. L’échec de cette aventure avait été

426 Une atteinte possible à ce principe du monopole de l’exercice de l’autorité exécutive sous la dictée de responsables canadiens est la régence. La régence a lieu quand le monarque est dans l’incapacité de régner lui-même ou qu’il est mineur. Un régent ou un Conseil d’État est alors mis en place. Ce problème a été contourné en contexte canadien par l’émission des Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada de 1947 [préc., note 339], qui autorisent le gouverneur général à exercer tous les pouvoirs de la Reine pour le Canada (sauf celui de nommer un gouverneur général, évidemment). Selon Anne Twomey, l’incapacité ou la minorité d’un souverain seraient moins dramatiques dans les anciens Dominions qu’au Royaume-Uni, étant donné que le gouverneur général serait disponible pour donner la sanction royale à un projet de loi concocté ad hoc pour répondre à une telle situation. Ainsi, la présence du gouverneur général et des lieutenants-gouverneurs rend la question de la régence moins névralgique en droit canadien, puisque les gouverneurs peuvent déjà exercer les pouvoirs de la Reine, même lorsqu’elle est en mesure d’agir. La compétence du régent (ou du Conseil d’État) d’exercer les pouvoirs de la Reine pour le Canada, notamment afin de nommer un gouverneur général, demeure cependant un point de droit obscur : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 450-451; Anne TWOMEY, « Royal Succession, Abdication and Regency », actes d’un colloque tenu du 14 au 16 janvier 2016 à Government House, Victoria, C.-B., The Institute for the Study of the Crown in Canada [à paraître], p. 12. 427 J. HUNTER, préc., note 36, 438. Voir aussi : L. C. GREEN, préc., note 37, 62. 428 Il faut aussi dire que le rôle de la Reine comme chef du Commonwealth comporte aussi son lot de questionnements quant à l’application des principes du gouvernement responsable aux actes qu’elle pose en cette qualité : Peter BOYCE, « Philip Murphy. Monarchy and the End of Empire: The House of Windsor, the British Government, and the Postwar Commonwealth », (2015) 120 (1) American Historical Review 337.

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attribué, selon Guilluy, à la « polygamie » du Roi, qui devait préserver les intérêts de ses royaumes, jugés inconciliables par les acteurs de l’époque. Il écrit :

Les difficultés résultant d’une union exclusivement dynastique de deux royaumes demeurant distincts, cette « polygamie » évoquée par Jacques VI & I à l’occasion de son premier discours devant le Parlement anglais en 1603, devaient se poser tout au long du XVIIe siècle. À la fois à la tête des royaumes d’Angleterre et d’Écosse, le monarque devait préserver les intérêts de chacun de ses royaumes, alors même qu’ils s’avéraient parfois inconciliables. Mais c’est certainement le retentissant échec de l’expédition Darien à la fin du siècle qui illustra le mieux la fragilité d’un tel compromis, qui plaçait le monarque dans une position ambivalente429.

[…]

En plus de la situation économique déplorable dans laquelle elle entraîna le pays, l’expédition Darien mit donc en évidence les défaillances de l’union dynastique entre les deux royaumes et la nécessité de rationaliser et de refonder cette union sur des bases nouvelles. Cette union devenait d’ailleurs d’autant plus précaire que la Glorieuse Révolution avait désormais contraint le monarque à partager sa souveraineté avec le Parlement anglais, sans qu’ait pour autant été clarifiée sa situation à l’égard du Parlement écossais430.

Alors que le monarque gérait personnellement à la fois les affaires de l’Écosse et de l’Angleterre, il risquait de se faire influencer par les autorités anglaises au détriment des intérêts de l’Écosse, et ce, particulièrement dans le contexte du lancement de leurs empires coloniaux concurrents.

Dans l’état actuel des choses, alors que le monarque est conventionnellement dépouillé de l’administration du gouvernement, tant que Sa Majesté n’exerce ses pouvoirs dans un royaume que de l’avis des ministres de ce royaume, l’indépendance est garantie.

Il n’empêche que même dans cette configuration contemporaine, des situations limites peuvent se présenter et questionner l’état des conventions. À cet égard, l’affaire Black c. Chrétien431 offre un exemple de conflit entre les volontés des gouvernements britannique et canadien relativement à l’exercice d’une prérogative royale par Sa Majesté, plus précisément sur les honneurs. En 1999, le

429 T. GUILLUY, préc., note 225, p. 11. 430 Id., p. 12. 431 Black v. Canada (Prime Minister), préc., note 7.

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gouvernement britannique a conseillé à Sa Majesté d’élever Conrad Black à la pairie du Royaume-Uni à titre de Lord Black, ce qui lui aurait permis de siéger à la Chambre des Lords432. Le premier ministre Chrétien est alors intervenu auprès de Sa Majesté pour bloquer la nomination. Il convient de préciser que comme l’affaire a été jugée sur un moyen préliminaire, les faits allégués par Black ont été tenus pour avérés433.

Conrad Black a demandé un jugement déclaratoire et des dommages-intérêts, notamment pour abus de pouvoir et négligence, à l’encontre du premier ministre Jean Chrétien et du gouvernement du Canada. La Cour supérieure et la Cour d’appel ont conclu que le premier ministre Chrétien exerçait la prérogative royale sur les honneurs (la Cour supérieure se base également sur celle relative aux affaires étrangères). Or, il semble impossible pour les cours de justice de contrôler un tel acte relatif à un privilège et non à un droit434. Il n’y avait pas d’intérêts individuels importants en jeu, alors que cela aurait pu être différent dans le cas de l’exercice d’une prérogative telle que la délivrance des passeports.

L’affaire est pertinente pour ses aspects factuels, conventionnels et donc non justiciables. La question soulevée est la suivante : que se passe-t-il lorsque la Reine reçoit des avis divergents de la part de ses différents gouvernements? Cox résume ainsi la problématique:

The major question which is raised by Black, and which was not addressed by the Court, was what happens when conflict occurs between the Crown's advisors. British honours are principally the concern of British ministers, and likewise Canadian ministers can advise the Queen with respect to Canadian honours. Whether Canadian ministers can advise the Queen with respect to Canadian citizens receiving British honours raises important constitutional questions. Whilst there may be no important individual interests at stake, the identification of the proper sources of advice to the Crown is critical435.

432 N. COX, préc., note 162. 433 Black v. Canada (Prime Minister), préc., note 7, par. 6. 434 Voir aussi : Lorne SOSSIN, « The Rule of Law and the Justiciability of Prerogative Powers: A Comment on Black v. Chrétien », (2002) 47 R.D. McGill 435. 435 N. COX, préc., note 162, 99.

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Or, en l’espèce, après l’intervention de Jean Chrétien, Tony Blair a retiré son avis à la Reine. Elle n’a donc pas eu à trancher elle-même le conflit. L’avis du gouvernement britannique a été revu de manière à éviter toute contradiction avec celui du gouvernement canadien.

Il n’empêche qu’au-delà de la divisibilité conventionnelle, la controverse entourant l’affaire Black met aussi en cause la divisibilité formelle de la Couronne436. Cette dernière a pour effet de distinguer la Couronne britannique et la Couronne canadienne pour en faire deux charges différentes. C’est pourquoi Cox prétend, à juste titre, que donner un honneur britannique doit être effectué seulement selon l’avis des ministres britanniques. Seule la Couronne britannique est compétente en cette matière. De fait, l’avis donné par Chrétien l’a été à la Reine du Canada, qui n’a aucune compétence sur les honneurs britanniques. Cox écrit :

The Queen should act solely upon the advice of British ministers when awarding a British peerage. If her Canadian Prime Minister offers her advice, it is to her as Queen of Canada. As Queen of Canada she is powerless to prevent the conferring of a British title, although she could consult with herself, wearing her other hat as it were437.

En définitive, l’avis pertinent était celui du premier ministre britannique, et toute autre conduite de la part de Sa Majesté aurait mis en péril non seulement la divisibilité de la Couronne, mais aussi l’indépendance même du Royaume-Uni438.

436 Voir : infra, p. 98 et suiv. 437 N. COX, préc., note 162, 100. 438 Pour l’anecdote, Cox remarque que deux ans plus tard, en 2001, le Royaume-Uni a accordé deux titres de chevalerie à des Canadiens, dans ce qui semble un pied-de-nez à l’ingérence de Chrétien dans l’affaire Black : N. COX, préc., note 162, 101.

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2.2 L’avènement de la divisibilité formelle de la Couronne impériale

La divisibilité conventionnelle de la Couronne a rendu possible l’indépendance politique du pouvoir exécutif canadien. Conjuguée à la souveraineté des pouvoirs législatif, judiciaire et constituant, la divisibilité s’est par la suite formalisée en une règle de droit positif. La divisibilité formelle de la Couronne est donc le processus par lequel la Couronne canadienne est devenue juridiquement indépendante et distincte de la Couronne britannique, comme l’État canadien est devenu à la même époque indépendant de l’État britannique : Sa Majesté du chef du Canada n’est plus la même personne juridique que Sa Majesté du chef du Royaume-Uni. Il existe à partir de ce moment deux royaumes, deux États, où les charges de chef de l’État sont attribuées à la même personne physique.

Encore une fois, ce processus a été lent et évolutif : en interaction avec les conventions constitutionnelles et certaines réticences doctrinales, il a pu y avoir un certain décalage entre le moment, plus ou moins précis, où la divisibilité formelle et l’émergence d’une Couronne canadienne se sont opérées par rapport au moment où ces changements ont été acceptés et assimilés par les responsables politiques, les tribunaux et par la doctrine. C’est pourquoi il faut bien distinguer historiquement chacune des étapes de ce processus de divisibilité formelle de la Couronne.

Il convient, dans la présente section, de centrer d’abord notre étude sur les décennies 1920 et 1930. À cette époque, la divisibilité conventionnelle a rendu possible un exercice incompatible de la prérogative royale par les gouvernements britannique et canadien, ce qui a peut-être, dès lors, provoqué la divisibilité formelle de la Couronne [2.2.1]. Par la suite, le Statut de Westminster de 1931 a permis aux parlements canadiens, et par ricochet aux tribunaux canadiens, de régir la Couronne canadienne distinctement [2.2.2], ce qui a permis de confirmer et de formaliser la divisibilité. Finalement, le Statut a également encadré l’exercice du pouvoir du Parlement impérial de légiférer pour le Canada, notamment sur le droit

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canadien relatif à la Couronne, et cette procédure s’est appliquée lors de l’abdication du Roi Édouard VIII en 1936 [2.2.3].

Dans la section suivante [2.3], nous aborderons comment, entre les années 1930 et 1980, la divisibilité de la Couronne a été contestée par la doctrine inter se, comment elle a été ensuite reconnue par les tribunaux et par la doctrine, puis comment elle a finalement été parachevée par les autorités politiques.

2.2.1 Une divisibilité formelle avant le Statut de Westminster?

Entre la signature séparée du Traité de Versailles en 1919 et le Statut de Westminster de 1931, il y a eu des changements fondamentaux aux conventions constitutionnelles relatives aux relations entre Sa Majesté et ses ministres, ce que nous avons appelé la divisibilité conventionnelle de la Couronne. Ces changements ont été consignés dans les rapports des conférences impériales des années 1920439. Ils ont précisé les acteurs habilités à conseiller Sa Majesté quant à l’exercice de ses pouvoirs relativement au Canada. Par l’effet de ces conventions, le Canada a commencé à faire agir la Couronne de manière distincte de celle du Royaume-Uni.

Par exemple, en déclarant la guerre à l’Allemagne à une semaine d’intervalle de la déclaration faite par le Roi au nom du Royaume-Uni, le gouvernement du Canada a exercé la prérogative royale en matière de défense de manière indépendante de celle des autres royaumes du Commonwealth440. De même, dans un traité commercial entre Sa Majesté et le Roi des Belges, mis en œuvre par le Parlement fédéral dans la Loi de la convention avec la Belgique, 1924441, les plénipotentiaires (les ministres canadiens) n’ont engagé que le Canada, ce qui exclut les autres royaumes partageant le même monarque, dont le Royaume-Uni. Malgré le titre

439 Supra, p. 88 et suiv. 440 Brian M. MAZER, « Sovereignty and Canada: An Examination of Canadian Sovereignty from a Legal Perspective », (1977-1978) 42 Sask. L. Rev. 1, 12, note 37 : « A major factor has to be the fact that Canada was no longer obligated by a British declaration of war. This is manifested in the World War II example where Canada did not declare war until seven days after Great Britain». Voir aussi : L. C. GREEN, préc., note 37, 62; T. FRANCK, préc., note 222, 171. 441 Loi de la convention avec la Belgique, 1924, 14 & 15 Geo V, c. 9 (Can.).

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royal de « Roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande et des Possessions Britanniques d’au delà [sic] des mers, Empereur des Indes442 » qui figurait officiellement dans la loi, ce n’est que la Couronne canadienne qui a été engagée443.

La Couronne impériale est devenue par conséquent formellement scindée, et le Canada agit à travers la Couronne canadienne comme une personne internationale à part entière. Comme Green le souligne, les événements de septembre 1939 montrent qu’il s’agissait dorénavant d’une union personnelle, et non d’une Couronne unique444. Depuis, il existe, en droit positif, une Couronne du Canada. Sa prérogative royale est exercée de manière incompatible et indépendante par rapport à la Couronne britannique, parce que Sa Majesté suit l’avis de ministres différents.

Cette divisibilité formelle est-elle antérieure au Statut de Westminster de 1931? Dans un arrêt rendu en 1982, Lord Denning affirmait que le droit positif a été changé en la matière par l’« usage et la pratique » constitutionnels. Il écrit:

Hitherto I have said that in constitutional law the Crown was single and indivisible. But that law was changed in the first half of this century -- not by statute -- but by constitutional usage and practice. The Crown became separate and divisible --according to the particular territory in which it bas sovereign. This was recognised by the Imperial Conference of 1926445.

En effet, l’exercice incompatible mais légal446 de la prérogative royale par la Couronne au Canada et au Royaume-Uni447, suite à l’établissement de la divisibilité conventionnelle, a peut-être provoqué l’avènement de la divisibilité formelle de la Couronne.

442 Id., annexe, préambule. 443 Sur l’évolution du titre royal et son absence d’effets réels, voir : infra, p. 150 et suiv. 444 L. C. GREEN, préc., note 37, 62. Voir aussi : D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 117, cité infra, p. 142. Sur l’union personnelle, voir : supra, p. 44 et suiv. 445 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250, p. 7 (Lord Denning, M.R.). 446 Voir : supra, p. 74; Canada v. Bank of Nova Scotia, préc., note 25, 19-20 (le juge Strong). 447 Voir : N. COX, préc., note 162, 99 (qui réfère à Herbert EVATT, préc., note 359).

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Il semble donc que les conventions aient eu un effet sur le droit formel et qu’elles aient été cristallisées en droit positif. Cet effet est indirect, mais suivant les enseignements du Renvoi : résolution pour modifier la Constitution448, cela demeure suspect. Précisément concernant l’acquisition par le Canada de la souveraineté de son pouvoir exécutif, la majorité de la Cour suprême fait une distinction. Le juge en chef écrit :

Le savant Juge en chef [Sir Lyman Duff] traitait alors d’une évolution qui est caractéristique du droit international coutumier, l’acquisition par l’exécutif fédéral canadien du plein pouvoir indépendant de conclure des conventions internationales449.

Limitée et confinée au cas de figure mentionné, la Cour suprême reconnaît qu’en contexte international, la pratique peut se cristalliser en droit coutumier. Et le droit international coutumier est généralement reçu en droit canadien à titre supplétif, en tant que common law450. Dans cette optique, la common law, influencée par l’évolution du droit international coutumier dans les années 1920, pourrait être la source juridique formelle de l’indépendance canadienne et de la divisibilité de la Couronne.

De même, il est également possible que, comme le droit relatif à la Couronne est largement constitué de règles de common law et de coutume constitutionnelle451, ces dernières aient pu évoluer validement lors de l’acquisition de l’indépendance canadienne, soit sans heurter aucune règle de source législative, soit de pair avec les modifications législatives. Brun, Tremblay et Brouillet mettent l’accent sur l’importance de la coutume en tant que source du droit positif, cette dernière permettant « un haut degré d’adaptation du droit aux faits452 ».

D’un point de vue plus « révolutionnaire » au sens juridique du terme, les conventions apparues dans les années 1910 et 1920 ont changé les faits; le

448 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 774-775 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer). 449 Id., 778 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer), qui réfère à Renvoi relatif à The Weekly Rest in Industrial Undertakings Act, [1936] R.C.S. 461. 450 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. VIII.105 et suiv. 451 Voir : supra, p. 28 et p. 64. 452 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. I.134.

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Canada est un pays souverain, et la coutume et les tribunaux l’ont reconnu453. Plus radicalement, pour O’Connell, l’atteinte du statut de Dominion (ce qui correspond dans notre terminologie à devenir un royaume du Commonwealth) a le même effet juridique qu’une sécession454. Il affirme également que les pouvoirs restants des organes britanniques sur les Dominions (Parlement impérial et Comité judiciaire du Conseil privé britannique) après leur indépendance existent en vertu de l’ordre juridique souverain des Dominions, et non plus celui du Royaume-Uni. Il écrit: « The grundnorm has in this sense shifted to the units of the Commonwealth455 ». Pour cet auteur, l’ordre juridique canadien est devenu autonome de l’ordre juridique britannique lorsque le Canada est devenu politiquement indépendant. Morin et Woehrling ont aussi proposé une théorie similaire, qui expliquerait pourquoi le Parlement impérial s’est lié validement lors de l’octroi de l’indépendance canadienne456. Suivant cette dernière, puisque le Parlement impérial n’agissait sur le Canada qu’en vertu de l’ordre juridique canadien, qui reconnaît l’existence d’une Constitution supralégislative, il pouvait agir en contradiction avec le principe fondamental de l’ordre juridique britannique qu’est la souveraineté parlementaire.

Pour nous, si la divisibilité formelle est antérieure à 1931, elle résulte de l’exercice valide, mais incompatible, de la prérogative royale par les Couronnes britannique et canadienne, ainsi que de l’évolution de la common law et de la coutume en conséquence.

453 Sur la reconnaissance de la divisibilité de la Couronne par les tribunaux et la doctrine, voir : infra, p. 136 et suiv. 454 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 120. 455 Id., 122. 456 J.-Y. MORIN et J. WOEHRLING, préc., note 34, p. 461 à 467. Ces points demeurent toutefois épineux. Par exemple, en droit constitutionnel purement interne, une convention qui heurte le texte constitutionnel ne peut jamais se cristalliser en droit strict, comme le montre l’exemple du désaveu et de la réserve : Reference re The Power of the Governor General in Council to Disallow Provincial Legislation and the Power of Reservation of a Lieutenant-Governor of a Province, [1938] S.C.R. 71. Il faut cependant souligner, comme Brun, Tremblay et Brouillet, l’importance de mettre l’accent davantage sur « le sens du discours utilisé », que sur les termes employés lorsque les tribunaux et les auteurs utilisent les mots « usage » ou « coutume », qui peuvent décrire, selon le contexte, une simple pratique, une coutume ayant la force du droit positif ou une convention constitutionnelle : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. I.132.

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2.2.2 Le Statut de Westminster : l’indépendance législative du Canada

Quoi qu’il en soit, la divisibilité de la Couronne a reçu la force du droit positif par l’adoption de la Loi visant à donner effet à des résolutions adoptées lors des conférences impériales de 1926 et de 1930457, plus connue selon son titre court : Statut de Westminster de 1931458.

Comme Mazer l’écrit : « The Imperial Conference of 1926 issued a formal statement proclaiming the complete equality of status of the United Kingdom and the Dominions459 ». Il demeurait néanmoins nécessaire de mettre en œuvre juridiquement cette égalité460. C’est sur cette base qu’a été négocié le Statut de Westminster, et c’est sur cette base qu’il convient selon nous de l’interpréter.

Parce qu’elle vise à donner effet aux conférences impériales des années 1920, et spécifiquement à celle de 1926461, les principes qui sous-tendent cette loi impériale sont ceux énoncés par Lord Balfour dans sa célèbre déclaration finale de la conférence de 1926 : égalité, liberté et autonomie. Il y était alors question « de collectivités autonomes au sein de l’Empire britannique », dotées d’un « statut égal et en aucune façon subordonnées l’une à l’autre […] unies par une allégeance commune à la Couronne, et librement associées462 ». D’une rédaction fortement technique, et visant à satisfaire la situation constitutionnelle actuelle et éventuelle de chacun des Dominions ayant acquis le self-government (ce qui correspond, généralement, aux vieilles colonies de peuplement), le Statut n’est pas, par son texte même, un grand énoncé de principes. D’un ton des plus sobres, il vise à mettre en œuvre, par une série de dispositions rédigées dans la tradition juridique anglo-saxonne, la souveraineté législative des colonies qui y sont visées.

457 Traduction non officielle. 458 Préc., note 52. Voir : Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 67 (le juge Bouchard). 459 B. M. MAZER, préc., note 440, 11. 460 P. W. HOGG, préc., note 252, p. 55 : « The [Balfour] declaration was important, because it accepted the principle that the dominions were equal in status to the United Kingdom. However, the measures required to implement this principle were left to the conference of 1930 ». 461 « The Statute of Westminster, 1931, endeavored to put into legal reality the recommendations of the 1926 Imperial Conference »: B. M. MAZER, préc., note 440, 11. 462 Telle que traduite et reproduite dans Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 790 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer).

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Celles-ci sont, suivant l’article 1 du Statut, le Canada, l’Australie, la Nouvelle- Zélande, l’Union sud-africaine, l’État libre d’Irlande et Terre-Neuve463. Comme bien d’autres lois du Parlement de Westminster464, le Statut est une loi impériale applicable de sa propre force (ex proprio vigore) au Canada465.

Il faut dire d’emblée que le Statut est devenu pleinement applicable à des dates qui varient d’un État à l’autre. Suivant le désir de chacun des anciens Dominions, certaines dispositions ne sont entrées en vigueur que lorsque le Parlement concerné les a mises en application, suivant l’article 10 du Statut. C’est le cas en Australie et en Nouvelle-Zélande, où les articles 2 à 6 du Statut n’ont été exécutoires respectivement qu’à partir de 1942 et de 1947466. À Terre-Neuve, le Statut a tout simplement été suspendu par une loi impériale subséquente au moment de la Grande dépression467.

Les articles du Statut pertinents au contexte de la Couronne canadienne sont les articles 2, 4 et 7, ainsi que la convention codifiée dans le 2e paragraphe du préambule.

2.2.2.1 L’article 2 : la fin de la suprématie des lois impériales

Le principe de liberté, ou de souveraineté législative des Dominions, est mis en œuvre par le paragraphe 2(1) du Statut. Essentiellement, celui-ci met fin à l’application du Colonial Laws Validity Act468 de 1865, et donc à la supralégislativité des lois impériales sur les lois des parlements des Dominions469. Il édicte: « (1) The Colonial Laws Validity Act 1865 shall not apply to any law made after the commencement of this Act by the Parliament of a Dominion470 ». Le paragraphe

463 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 1. 464 Voir : supra, p. 49 et suiv. 465 Voir : supra, p. 49. 466 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 10; S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 8. 467 Newfoundland Act, 1933, 24 Geo. V., c. 2 (R.-U.). Voir : P. W. HOGG, préc., note 252, p. 48. 468 Colonial Laws Validity Act, 1865, préc., note 247. 469 Les règlements pris en vertu des lois canadiennes ne sont pas, tout comme les lois des parlements elles-mêmes, sujets à la suprématie des lois impériales : Co-Operative Committee on Japanese Canadians v. Canada (Attorney General), [1947] A.C. 87 par. 10 (Lord Wright) (C.P.) (LN/QL). 470 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, par. 2(1).

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2(2), quant à lui, vise à prévenir la résurgence de la common law pré-1865 relative à la supralégislativité des lois impériales en l’écartant expressément :

(2) No law and no provision of any law made after the commencement of this Act by the Parliament of a Dominion shall be void or inoperative on the ground that it is repugnant to the law of England, or to the provisions of any existing or future Act of Parliament of the United Kingdom, or to any order, rule or regulation made under any such Act, and the powers of the Parliament of a Dominion shall include the power to repeal or amend any such Act, order, rule or regulation in so far as the same is part of the law of the Dominion471. [Notre soulignement]

Le dernier segment de phrase de ce paragraphe vise à limiter le pouvoir des parlements des Dominions : ces derniers ne peuvent modifier les lois impériales que pour ce qui est de la « version » qui fait partie du droit du Dominion. Ainsi, ce sont dorénavant des règles du droit national qui peuvent être modifiées par les parlements de chacun des anciens Dominions472. Par ailleurs, au Canada, les lois impériales ne peuvent être modifiées que suivant le partage des compétences législatives établi en 1867473.

En Nouvelle-Zélande et en Australie, des parlements ont abrogé certaines lois impériales et en ont maintenu expressément d’autres en vigueur474. Le Canada n’a pas entrepris une telle révision systématique, mais a modifié explicitement ou implicitement des pans significatifs du droit anglais qu’il a reçu ou des lois impériales qui s’y appliquent par leur propre force.

C’est ainsi que la common law et les lois impériales ne sont plus génératrices d’infractions criminelles au Canada depuis 1955, suivant les alinéas 9a) et b) du Code criminel475, mais que le droit criminel d’Angleterre demeure source de

471 Id., par. 2(2). Le par 7(2) étend ce pouvoir aux parlements des provinces. 472 P. W. HOGG, préc., note 44, p. 1-12. Voir aussi : A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 114-115. 473 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, par. 7(2) et (3); P. W. HOGG, préc., note 44, p. 1- 12; Quebec North Shore Paper c. C.P. Ltée, préc., note 264, 1063 (le juge en chef Laskin pour la Cour). 474 Voir par exemple: Imperial Acts Application Act 1969 (New South Wales); Imperial Acts Application Act 1980, 1980, No. 9426 (Victoria); Imperial Acts Application Act 1984 (Queensland); Imperial Acts Application Ordinance 1986, 1986, No. 93 (Australia Capital Territory); Imperial Laws Application Act 1988, 1988, No. 112 (N.-Z.). 475 Code criminel, préc., note 160, al. 9 a) et b).

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moyens de défense476. Par conséquent, si prétendre que la dévolution de la Couronne est régie autrement que par le Bill of Rights477, l’Act of Settlement478 et les Unions Acts479 de 1706-1707 était anciennement constitutif de haute trahison en vertu de lois impériales480, ce n’est manifestement plus le cas au Canada depuis au moins 1955, date à laquelle le Parlement fédéral a édicté l’actuel alinéa 9b) du Code.

De même, le droit relatif à la citoyenneté481 ou à la marine marchande a pu évoluer distinctement du droit britannique. Le Parlement fédéral a aussi remplacé, expressément, l’article 24 de l’Union with Scotland Act, 1706482 par un nouveau régime en matière de sceaux royaux483.

Le Canada a également pu abroger les Judicial Committee Acts de 1833 et de 1844484. Alors que dans Nadan v. The King485 en 1926, cette abrogation implicite avait été jugée illégale486, elle est permise après l’adoption du cadre établi par les articles 2 et 3487 du Statut de Westminster488. En 1949, avec l’abolition par le Parlement fédéral de tous les droits d’appel au Comité judiciaire, la hiérarchie des tribunaux canadiens devenait donc indépendante du Royaume-Uni489. En somme, le Canada s’est servi des pouvoirs octroyés par le Statut pour parachever la

476 Id., par. 8(2) et (3). 477 Bill of Rights, 1689, préc., note 188. 478 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1. 479 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 2; Union with England Act, 1707, préc., note 230, art. 2. 480 The Act 1 Anne Stat. 2 1702, 1 Ann. St. 2, c. 21 (Angleterre), art. 3; The Succession to the Crown Act, 1707, 6 Anne, c. 41 (G.-B.), art. 2. Cette dernière disposition a également été abrogée en droit anglais en 1967: Criminal Law Act 1967,1967, c. 58 (R.-U.). Voir aussi : M. OLLIVIER, préc., note 273, p. 465; A. V. DICEY, préc., note 129, p. 41-42. 481 Voir : infra, p. 136 et suiv. Concernant d’autres Dominions, voir : A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 113-114. 482 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 24. 483 Loi sur les sceaux, préc., note 274, art. 2 « grand sceau du Royaume » et « instrument royal », et art. 3. Voir : infra, p. 145. 484 Judicial Committee Act, 1833, préc., note 329; Judicial Committee Act, 1844, préc., note 329. 485 Nadan v. The King, préc., note 178. 486 Voir : supra, p. 68. 487 Ce dernier article permet au Parlement fédéral de légiférer avec une portée extraterritoriale. 488 R. v. British Coal Corp., [1935] A.C. 500 (C.P.) (LN/QL); Ontario (Attorney-General) v. Canada (Attorney-General), préc., note 328, par. 9 (Lord Jowitt, L.C.). 489 Loi modifiant la Loi de la Cour suprême, S.C. 1949 (2e sess.), c. 37, art. 3; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433, par. 82 (la juge en chef et les juges LeBel, Abella, Cromwell, Karakatsanis et Wagner); B. M. MAZER, préc., note 440, 12.

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divisibilité formelle de la Couronne, ce que nous étudierons davantage plus loin dans le présent mémoire [2.3].

2.2.2.2 Le 2e paragraphe du préambule : l’harmonisation conventionnelle des règles de succession

Cette émancipation des parlements des Dominions de la suprématie des lois impériales représentait évidemment une menace à l’unité de l’Empire (ou du Commonwealth) et à l’indivisibilité apparente de la Couronne. Si les autorités britanniques étaient prêtes à permettre l’abrogation des dispositions impériales concernant les prérogatives royales, notamment quant au Comité judiciaire490, elles craignaient néanmoins que cette souveraineté législative conduise certains Dominions à remettre en question la monarchie elle-même. C’est pourquoi les anciens Dominions et le Royaume-Uni se sont entendus, à la manière d’un traité491 ou d’un engagement politique réciproque, sur l’harmonisation des règles de succession royale et des titres royaux. Le deuxième considérant du Statut le reconnaît explicitement:

And whereas it is meet and proper to set out by way of preamble to this Act that, inasmuch as the Crown is the symbol of the free association of the members of the British Commonwealth of Nations, and as they are united by a common allegiance to the Crown, it would be in accord with the established constitutional position of all the members of the Commonwealth in relation to one another that any alteration in the law touching the Succession to the Throne or the Royal Style and Titles shall hereafter require the assent as well of the Parliaments of all the Dominions as of the Parliament of the United Kingdom492: [Notre soulignement].

Son texte lui-même l’affirme, la règle contenue dans ce paragraphe est établie par voie de préambule, et non par une disposition opérante. Elle l’est parce que la Couronne est un symbole de libre association. Elle confirme le sentiment des membres du Commonwealth d’être liés politiquement, dans leurs relations entre eux, à ce que toute modification du droit relatif à la succession royale ou aux titres royaux requière l’assentiment des parlements des Dominions tout comme celui du

490 B. M. MAZER, préc., note 440, 13. 491 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 33 (le juge Rouleau), cité infra, note 658. 492 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, préambule, par. 2.

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Royaume-Uni493. Il s’agit donc d’une convention d’assentiment mutuel qui lie tous les royaumes qui sont parties au Statut de Westminster494, la raison d’être en est le maintien à la fois d’une union personnelle, de la souveraineté législative de chacun des États, et de l’égalité entre eux.

Sir Ivor Jennings nous enseigne que l’article 2 du Statut permettait la modification de l’Act of Settlement, 1701, qui faisait partie du droit des Dominions. Les Dominions pouvaient donc établir leur propre Roi, et ainsi « briser » l’union personnelle qui caractérisait à l’époque le Commonwealth495. C’est pourquoi le deuxième considérant du Statut a été inséré à titre de gentleman’s agreement. Il écrit:

These provisions gave rise to difficulties. The King held his throne by virtue of an Act of Parliament, the Act of Settlement, 1701, which applied to the Dominions as part of the laws of the Dominions. If the Dominions could repeal imperial legislation could they not establish their own King, and so break up the Commonwealth? Accordingly another gentleman’s agreement was inserted in the preamble. Any alteration in the succession to the Throne or the royal style and titles was to require the assent of the Parliaments of all the Dominions as well as the Parliament of the United Kingdom. So there was to be one King, but the succession was to be arranged by concurrent legislation496. [Notre soulignement]

493 Traduction libre. 494 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 149 : « The Conference of 1930, on the recommendation of the Conference of 1929, placed on record a constitutional convention designed to regulate the exercise of legislative power by the Dominions or by the United Kingdom in respect of the Succession to the Throne and the Royal Style and Titles » [Notre soulignement]. Il faut dire que le Statut lui-même a été édicté à la demande et avec le consentement des Dominions : Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, préambule, par. 5. 495 C’est ce qui a d’ailleurs été fait, directement ou indirectement, dans les États-membres du Commonwealth où la monarchie a été abolie. Une nouvelle procédure de désignation du chef de l’État a remplacé les règles de dévolution de la Couronne alors intégrées dans le droit de ces anciennes colonies britanniques. Cela a notamment été le cas en Inde, en Afrique du Sud, en Irlande et au Pakistan. 496 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 190-191. Les juristes du ministère fédéral de la Justice, dans un avis juridique rendu à l’époque de l’abdication d’Édouard VIII en 1936-1937 (voir : infra, p. 117 et suiv.), avaient adopté cette même opinion : « The underlying assumption of the constitutional convention, as expressed, is that the Parliaments of the several members of the British Commonwealth of Nations are, in respect of any proposed alteration in the law touching the succession to the Throne or the Royal Style and Titles of co-ordinate authority; and the convention clearly contemplates independent and concurrent legislative action on the part of each member of the Commonwealth for the purpose of making effective any alteration in the law touching the succession to the Throne or the Royal Style and Titles. The words "the assent", as used in the second recital of the preamble, are so used with reference to action on the part of the Parliaments

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Le maintien d’un seul roi à travers le Commonwealth est donc le fait du maintien par les différents royaumes d’un droit de la succession royale harmonisé. Wheare est du même avis :

The wording of the convention makes it clear, indeed, that it is intended to supplement and regulate the powers conferred on the Dominion Parliaments by section 2 of the Statute. For it is so phrased that it envisages the power of any Dominion Parliament to legislate for the Succession to the Throne or the Royal Style and Titles, and it goes on to say that that power ought to be exercised with the assent, not only of the Parliaments of all the Dominions but also of the Parliament of the United Kingdom497. [Notre soulignement]

Ce dernier souligne que ce n’est pas l’allégeance commune qui fait l’objet de la convention constitutionnelle, car elle est beaucoup trop large498. Celle-ci peut également regrouper au moins une citoyenneté unifiée de même que les appels au Comité judiciaire. La convention est limitée à l’harmonisation de la succession royale et des titres royaux499. Wheare le confirme:

It is well to stress that the scope of this convention is limited. It requires the consents of the Parliaments of all the members of the Commonwealth only for alterations in the laws touching the succession to the Throne or the Royal Style and Titles. These are two specific and relatively restricted topics. They are not coterminous with, for example, the concept of “common allegiance to the Crown”, though they may form an element in it. They do not include, I would submit, the topic of regency500 [...].

De fait, le droit de la régence n’est pas harmonisé à travers le Commonwealth depuis 1931, et n’a jamais fait l’objet de lois d’assentiment501.

of all the Dominions as well as of the Parliament of the United Kingdom, and if "the assent" of the Parliament of the United Kingdom to a proposed alteration in the law touching the Succession to the Throne or the Royal Style and Titles requires legislative action in order to make the alteration effective, so also must it require legislative action by each of the Dominion Parliaments for the like purpose » [Notre soulignement] : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Fonds Ernest Lapointe, préc., note 375, p. 45. 497 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 175. 498 Voir aussi les développements sur l’allégeance : infra, p. 136 et suiv. 499 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 174-175. 500 Id., p. 175. 501 Voir : supra, p. 94.

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Rappeler l’existence d’une convention dans le préambule d’une loi n’a rien d’exceptionnel. Le préambule d’une loi peut en effet reconnaître des conventions constitutionnelles. En 1981, la majorité de la Cour suprême écrivait:

Fondées sur la coutume et les précédents, les conventions constitutionnelles sont habituellement des règles non écrites. Toutefois certaines ont pu être consignées dans les comptes rendus et documents des conférences impériales, dans le préambule des lois tel le Statut de Westminster, 1931, ou dans les comptes rendus et documents des confé- rences fédérales-provinciales502. [Notre soulignement]

À cet égard, le préambule n’est pas en soi une condition suffisante à l’existence de la convention, pas plus qu’il n’est une condition nécessaire. À tout le moins, il témoigne du sentiment des responsables politiques d’être liés par les précédents, ce qui facilite ensuite la démonstration de l’existence de la convention.

Ce choix en faveur d’un engagement conventionnel, consigné au paragraphe 2 du préambule, plutôt qu’une obligation juridique formelle, n’est pas le fruit du hasard. Cela a été mûrement réfléchi et débattu à l’occasion de l’adoption du Statut. Comme le rapporte Twomey, lors de la négociation du Statut, le Roi George V et le gouvernement britannique avaient suggéré qu’une exception formelle au retrait de la suprématie des lois impériales (qui est devenu l’article 2 du Statut) soit faite en ce qui concerne les règles de succession royale et les autres règles fondamentales à l’unité de l’Empire. Cette idée a été rejetée à l’initiative de l’Irlande, du Canada et de l’Afrique du Sud, car elle était jugée incompatible avec le principe d’égalité. Twomey résume ainsi ces discussions:

King George V wanted a limitation to be placed upon the removal of the application of the Colonial Laws Validity Act, ‘to ensure no tampering with the Settlement Act’. Initially, the British Government argued that the Colonial Laws Validity Act should continue to apply to certain foundational laws that touched the essential structure of the Empire. However, the Irish Free State, Canada and South Africa objected on the basis that co- equal States could not be bound by the will of one of them. The Irish argued instead that uniformity should be achieved by mutual consent and

502 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 880 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). Voir aussi : J.-J. CHEVALLIER, préc., note 51, à la page 182 : « […] le droit conventionnel, souvent non écrit, peut être écrit sans changer de nature pour autant » [Italique original]; K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 8.

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reciprocal legislation enacted on a voluntary basis. This was finally accepted by the Imperial Conference. It saw the subject of succession to the throne as falling within a category ‘in which uniform or reciprocal action may be necessary or desirable for the purpose of facilitating free co- operation among the members of the British Commonwealth in matters of common concern’. The retention of exclusive British legislative power over succession to the throne was regarded as inconsistent with the principle of equality laid down in the Balfour Declaration503.

Le principe d’égalité signifie en effet, comme le souligne Mazer, que le Canada, le Royaume-Uni, ou un autre des membres du Commonwealth ne peut être lié par la volonté d’un autre État. Il écrit:

Equality is another term which is closely related to sovereignty. If all states have supreme authority then in the absence of any treaty stipulations to the contrary, all states are equal  that is no state can legally impose its will on another. Morgenthau believes that equality and independence are synonymous with sovereignty504. [Notre soulignement]

Or, ce caractère conventionnel de l’harmonisation des règles de dévolution de la Couronne a été récemment remis en doute par certains. Selon Joyal, la règle juridique formelle du préambule serait à l’effet qu’il subsiste à ce jour une autorité unilatérale britannique sur les règles de dévolution de la Couronne. De ce point de vue, la convention imposerait au Parlement impérial de n’agir que de l’assentiment des Dominions, mais Westminster garderait juridiquement loisir d’agir selon son bon vouloir, et sa volonté s’imposerait au Canada505. L’engagement du préambule ne pèserait donc que sur le Parlement impérial. Dans la même optique, Hunter prétend que la dévolution de la Couronne canadienne est indépendante, mais que le préambule de 1931 pourrait aujourd’hui fournir au Parlement fédéral une procédure concurrente pour en modifier les règles, mais seulement afin de maintenir leur harmonisation avec le droit britannique506. Cette interprétation, développée à l’occasion de la réforme de la succession royale de 2013, n’a

503 A. TWOMEY, préc., note 78, aux pages 326-327. 504 B. M. MAZER, préc., note 440, 7. 505 S. JOYAL, préc., note 70, notamment aux pages 306-307 et 311-312. 506 J. HUNTER, préc., note 36, 447-448. Hunter souligne la tendance de la Cour suprême à tirer des principes sous-jacents à partir du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), préc., note 106; Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 104.

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toutefois aucun écho dans le droit des autres anciens Dominions régis par le Statut de Westminster.

En l’état actuel du droit positif, le caractère conventionnel du 2e considérant du préambule du Statut de Westminster connaît une forte assise dans la doctrine. Interrogé par le sénateur Joyal devant le Sénat lors de l’étude du projet de Loi de 2013 sur la succession au trône507, Pelletier soulignait que l’essentiel de la doctrine reconnaît ce caractère conventionnel508. Coghill écrit que le préambule, pour ses parties non reprises dans la partie opérante du Statut, ne représente qu’un espoir et non une contrainte juridique: « It will be noticed that the Preamble already quoted is not followed by any enacting words, and is, itself, expressed in a form more of expectation and hope than of command509 ». Comme Chevallier le remarquait, il s’agit d’un énoncé fort important, mais qui demeure conventionnel. Il écrit :

L’importance de cette disposition est considérable. Or ce n’est pas une disposition légale; elle ne fait pas partie du Statute Law bien qu’elle figure dans le Statut de Westminster. Car, répétons-le, elle est inscrite seulement dans le préambule, elle est absente du corps même du Statut. Elle n’a donc pas la valeur légale qu’aurait un article proprement dit du statut; elle s’analyse en déclaration écrite d’une convention constitutionnelle : rien de plus510. [Italiques originaux]

C’est donc la coopération politique et non la contrainte juridique qui préside à la mise en œuvre de la convention constitutionnelle d’harmonisation des règles de succession royale et des titres royaux. Cette harmonisation revêt un caractère volontaire. Wheare l’affirme sans détour:

It is to be noted that this declaration is a convention; it is not law. It does not prevent a Member of the Commonwealth from altering the law on these matters and any such alteration would not fail to be of full legal effect

507 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19. 508 SÉNAT, préc., note 69 (Benoît Pelletier), p. 32:17 et 32:18. Voir aussi : B. PELLETIER, préc., note 169. 509 Eustace H. COGHILL, « The King- Marriage and Abdication », (1937) 10 Australian Law Journal 393, 398. 510 J.-J. CHEVALLIER, préc., note 51, à la page 191. Voir aussi : D. COFFEY, préc., note 29, 103 et 105; B. PELLETIER, préc., note 169, par. 51; M. GWYER, préc., note 48, par. 11; K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 149-150.

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because the assent of other parliaments had not been obtained. This, however, is just one illustration of the basis upon which the obligation to co- operate in the Commonwealth exists it is voluntary; it is not legally required or enforceable; it is a convention to co-operate to the extent and by the methods which each Member has voluntarily accepted for itself511. [Notre soulignement]

D’ailleurs, les titres royaux ne sont plus harmonisés aujourd’hui512.

Il faut finalement remarquer que c’est le Parlement qui procède à l’« assentiment » conventionnel sous le préambule513, nous verrons plus loin qu’il en est autrement concernant la « requête et le consentement » du Dominion sous l’article 4 du Statut514. Au Canada, le Parlement du Dominion se comprend au sens de l’article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867, il faut donc une loi du Parlement fédéral. Le Parlement comprenant la Reine, le Sénat et la Chambre des communes515, une simple résolution commune des deux chambres, ou un acte de l’exécutif, ne suffirait pas pour respecter strictement la convention.

2.2.2.3 L’article 7 et le maintien de la suprématie de la Constitution au Canada

La libération du Canada de l’autorité contraignante du Parlement britannique par le biais de l’article 2 du Statut a cependant fait l’objet d’une exception formelle importante. Comme le remarque Sir Ivor Jennings, la Constitution des Dominions repose essentiellement sur des lois impériales, et si ses derniers ont obtenu l’autorité de modifier les lois impériales, ils pourraient donc modifier leur Constitution516. Or, à la demande des provinces canadiennes, et dans le but de les protéger d’une modification constitutionnelle unilatérale par le Parlement fédéral, les par. 7(1) et (3) du Statut ont été édictés517. Ces derniers ont permis de

511 Kenneth C. WHEARE, The Constitutional Structure of the Commonwealth, Oxford, Clarendon Press, 1960, p. 131. 512 Voir : infra, p. 150 et suiv. 513 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, préambule, par. 2, cité supra, p. 107. 514 Voir : infra, p. 114 et suiv. 515 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 17. 516 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191; B. M. MAZER, préc., note 440, 11 : « However, the provisions of the Statute of Westminster were not to affect the B.N.A. Act and its amendments. This was a Canadian request because otherwise the B.N.A. Act could be amended by ordinary act of the Canadian Parliament ». 517 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 7; I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191-192.

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maintenir, de 1931 à 1982, la supralégislativité des Actes de l’Amérique du Nord britannique adoptés jusqu’alors et, au premier chef, le partage des compétences établi en 1867. Des articles semblables ont aussi été édictés pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande518. Cette exception a donc maintenu la supralégislativité de certains pans du droit relatif à la Couronne519. Pour modifier ces règles, il fallait toujours, malgré l’adoption du Statut de Westminster, recourir au Parlement impérial.

2.2.2.4 L’article 4 et la compétence conditionnelle du Parlement impérial sur le Canada

Combiné à l’article 7 du Statut, l’article 4 a été l’unique procédure de modification de la Constitution supralégislative du Canada entre 1931 et 1982. Cet article constitue à la fois un tempérament à la souveraineté législative des Dominions prévue à l’article 2 et le complément logique, d’un point de vue canadien, à l’exception nécessaire à cette souveraineté contenue à l’article 7. Il a pour effet de maintenir la compétence juridique du Parlement impérial de légiférer pour le Canada et les autres Dominions, tout en encadrant ce pouvoir par des conditions de forme. Ces dernières ont pour but de s’assurer que cette législation impériale a été adoptée « à la demande et avec le consentement » du ou des Dominions concernés. Cet article 4, dans une formulation presque sacramentelle, édicte:

No Act of Parliament of the United Kingdom passed after the commencement of this Act shall extend, or be deemed to extend, to a Dominion as part of the law of that Dominion, unless it is expressly declared in that Act that that Dominion has requested, and consented to, the enactment thereof520. [Notre soulignement]

Ainsi, aucune loi du Parlement impérial édictée après le Statut ne sera intégrée au droit d’un Dominion sans que ce Parlement n’ait indiqué expressément que le Dominion a demandé et a consenti à son édiction.

518 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 8 et 9. 519 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 876 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer), cité supra, p. 65. 520 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 4.

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Cette disposition a plusieurs effets. D’abord, elle établit l’étanchéité des ordres juridiques britanniques et canadiens. Alors que, par l’effet du Colonial Laws Validity Act521 de 1865, les lois impériales édictées antérieurement à 1931 s’intégraient au droit canadien s’il y avait une simple « implication nécessaire » de l’Empire ou du Canada522, les lois adoptées après le Statut ne se sont intégrées que si elles contenaient une mention expresse523. En effet, selon Wheare, une référence à la « requête et au consentement » d’un Dominion indique aux tribunaux qu’une loi édictée par le Parlement de Westminster s’applique dans le droit de ce Dominion524. Pour ce faire, il fallait que le Parlement impérial mentionne expressément avoir obtenu la demande et le consentement du Dominion en question relativement à l’édiction de cette loi. Remarquons que l’article 4 était silencieux quant à l’organe devant exprimer la demande et le consentement pour le Dominion, cela couvre donc tant le Parlement, ses chambres, le gouvernement, voire un nombre significatif de provinces525.

Comme nous le soulignions avec Taillon, Motard et Binette, même si l’article 4 ne comprenait que des exigences de forme, il s’agissait tout de même d’exigences bien réelles526. En fait, dès 1911, une convention constitutionnelle était établie à l’effet qu’aucune loi impériale ne pouvait être applicable à un Dominion sans sa demande et son consentement527. L’article 4 codifie cette convention et la transforme en règle de droit formel.

La souveraineté parlementaire britannique, qui empêche un Parlement de lier ses successeurs, demeurait cependant un obstacle à l’établissement définitif de la

521 Colonial Laws Validity Act, 1865, préc., note 247, par. 1(5). Voir : supra, p. 49 et suiv. 522 Ou de l’une des colonies qui l’a formé. 523 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 143. 524 Id., p. 143. 525 Id., p. 147; Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 909 (les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer). Voir aussi : J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 376. 526 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 370. Voir aussi : P. W. HOGG, préc., note 252, p. 55; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. VIII.128, qui réfère à Manuel c. A.-G., [1982] 3 All E.R. 822 (C.A.), 830; D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 113. 527 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 190.

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souveraineté législative canadienne528. En effet, comment concilier le maintien de la compétence de légiférer du Parlement britannique pour le Canada avec le principe d’égalité et avec la souveraineté législative dont il est question à l’article 2 du Statut, si ce n’est que par cette exigence impérative d’une « demande et d’un consentement » du Canada? Or, le Comité judiciaire a reconnu dès 1935 que le Canada était bel et bien, en pratique, souverain sur le plan du pouvoir législatif. Dans British Coal Corp., le Lord Chancelier, au nom du Comité judiciaire, écrit :

But it is well known that s. 7 was inserted at the request of Canada and for reasons which are familiar. It is doubtless true that the power of the Imperial Parliament to pass on its own initiative any legislation that it thought fit extending to Canada remains in theory unimpaired: indeed, the Imperial Parliament could, as a matter of abstract law, repeal or disregard s. 4 of the Statute. But that is theory and has no relation to realities. In truth Canada is in enjoyment of the full scope of self-government: its Legislature was invested with all necessary powers for that purpose by the Act, and what the Statute did was to remove the two fetters which have already been discussed529.

Interprété de pair avec l’article 7, l’article 4 a donc été, en fait, la procédure générale de modification constitutionnelle au Canada entre 1931 et 1982530. Les juges Martland et Ritchie l’avaient remarqué en 1981 :

Il est toutefois intéressant de voir que toutes les modifications adoptées après l’entrée en vigueur du Statut de Westminster, 1931 contiennent une déclaration que le Canada les a demandées et y a consenti531.

528 Lino a démontré que cette souveraineté parlementaire avait permis la flexibilité dans l’aménagement constitutionnel des différentes colonies, comme la mise en place du fédéralisme au Canada et en Australie, mais qu’elle était ultimement, par son caractère absolu, une menace à l’unité de l’Empire : D. LINO, préc., note 248, 754-755. 529 R. v. British Coal Corp., préc., note 488, par. 19 (le Vicomte Sankey, L.C.). Voir aussi : J.-Y. MORIN et J. WOEHRLING, préc., note 34, p. 461 à 467; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. VIII.127 à VIII.132. 530 J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 375. Théoriquement, l’article 4 pouvait servir à toute forme de législation destinée à s’appliquer uniformément à travers le Commonwealth, tant qu’elle est édictée avec la demande et le consentement des Dominions visés. Wheare soutient en effet que les conférences impériales ont reconnu le pouvoir du Parlement impérial de légiférer dans le droit des Dominions, et le Statut ne visait pas en principe à éradiquer ce pouvoir : K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 142. En pratique, en ce qui concerne le Canada, cet article n’a été utilisé que pour édicter des lois constitutionnelles. Brun, Tremblay et Brouillet sont par ailleurs d’avis que l’article 4 empêchait au Parlement impérial de légiférer dans certains domaines. Ils écrivent : « Cependant, l'article 4 du Statut de Westminster donne suite à des conventions constitutionnelles et on peut considérer qu'il interdit au Parlement britannique certains champs de législation » : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. VIII.129.

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La Loi de 1982 sur le Canada elle-même a été édictée avec la demande et le consentement du Canada, suivant l’article 4 du Statut. Son préambule énonce:

Whereas Canada has requested and consented to the enactment of an Act of the Parliament of the United Kingdom to give effect to the provisions hereinafter set forth532[…].

Entre 1931 et 1982, l’article 4 permettait donc, à la demande et avec le consentement du Canada, de maintenir l’harmonisation de certains pans du droit relatif à la Couronne. Mais, dans la mesure où il a établi une certaine forme d’étanchéité des ordres juridiques britannique et canadien, il s’agissait d’une harmonisation entre, d’un côté, une version canadienne du droit relatif à la Couronne, et de l’autre, sa version britannique533. Le pouvoir du Parlement de Westminster de légiférer pour le Canada en sort transformé. Ce dernier subsistait, non plus dans le cadre d’une union législative qui permettait à Londres d’imposer ses choix notamment en ce qui concerne l’organisation de la Couronne à l’ensemble de l’Empire, mais plutôt dans le cadre d’une action concertée à la demande et avec le consentement de chacun entre pays indépendants.

En définitive, bien qu’il maintienne le rôle de Westminster, l’article 4 accroit significativement le contrôle du Canada sur sa Couronne.

2.2.3 L’application du Statut de Westminster : l’abdication du Roi Édouard VIII en 1936534

À peine cinq ans après l’édiction du Statut de Westminster, le cadre juridique qu’il établissait pour les affaires du Commonwealth a été mis à épreuve par la crise de l’abdication du Roi Édouard VIII535.

531 Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 832, (les juges Martland et Ritchie, dissidents). Voir : Loi constitutionnelle de 1940, 3 & 4 Geo. VI, c. 36 (R.-U.); Loi constitutionnelle de 1946, 9 & 10 Geo. VI, c. 63 (R.-U.); Loi constitutionnelle de 1949, 12, 13 & 14 Geo. VI, c. 22 (R.-U.); Loi constitutionnelle de 1951, 14 & 15 Geo. VI, c. 32 (R.-U.); Loi constitutionnelle de 1960, 9 & 10 Eliz. II, c. 2 (R.-U.); Loi constitutionnelle de 1964, 1964, c. 73 (R.-U.). 532 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, préambule. 533 Par exemple, les lois sur la régence adoptées à Westminster après 1931 ne s’appliquent pas au Canada, voir : supra, note 426. 534 Pour une étude en détail de cet épisode, voir : J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62.

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Sans entrer dans les détails de l’affaire, il convient de rappeler qu’Édouard VIII, roi depuis la mort de son père George V en janvier 1936, voulait se marier avec la roturière américaine Wallis Simpson, sur le point d’être deux fois divorcée, dont il s’était épris. Après consultation de son gouvernement ainsi que de ceux des Dominions, et après avoir dûment obtenu leur accord sur ce point, le premier ministre britannique Stanley Baldwin, au nom de tous les premiers ministres des Dominions, a indiqué au Roi le choix qu’il avait à faire : son Empire, ou son projet de mariage536. En faisant de ce choix une question de principe, le gouvernement britannique (soutenu par les gouvernements des Dominions), mettait sa responsabilité ministérielle en jeu. Dans ces circonstances, il devenait impossible pour Sa Majesté de se maintenir à la tête de l’État et de s’opposer aux recommandations clairement signifiées par ses gouvernements.

Si la portée de la convention constitutionnelle du gouvernement responsable quant aux affaires personnelles du chef de l’État pouvait à elle seule faire l’objet d’une étude, c’est ici le processus de mise en œuvre de l’abdication à travers le Commonwealth qui s’avère le plus pertinent pour les fins de la présente étude. En effet, l’édiction du Statut de Westminster pouvait laisser croire à la divisibilité de la Couronne, mais il se trouvait encore plusieurs interprètes (notamment à travers la doctrine inter se) pour défendre le contraire. Or, son application en 1936 n’a laissé aucun doute quant à la division formelle de la Couronne impériale en plusieurs Couronnes indépendantes. Même Keith, qui croyait en la doctrine inter se et en l’indivisibilité de la Couronne, reconnaît que « […] the case for divisibility may be strengthened by the facts relating to the royal abdication of 1936537». Les événements de 1936 ne sont donc pas sans conséquence sur la nature de la Couronne canadienne.

535 Voir : I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191. 536 D. COFFEY, préc., note 29, 98. Ces tristes interventions du Cabinet dans la « moralité » de la famille royale auront aussi raison, notamment, des projets de mariage de la princesse Margaret dans les années 1950, voir : supra, note 239. 537 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 105. Sur la doctrine inter se, voir : infra, p. 136 et suiv.

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Comme chacun le sait, Édouard VIII a finalement opté pour son mariage, ce qui a entraîné, de la fin novembre au 11 décembre 1936, un jeu de diplomatie entre les gouvernements des anciens Dominions et celui du Royaume-Uni quant à la manière de mettre en œuvre l’abdication et les modifications corrélatives aux règles concernant la Couronne. Ces modifications visaient à radier les descendants potentiels d’Édouard VIII, ainsi que lui-même, des successibles à la Couronne, ce qui voulait dire modifier l’Act of Settlement538, ainsi que soustraire ces personnes aux exigences de consentement au mariage royal énoncées dans le Royal Marriages Act, 1772539.

Cette modification des plus complexes a bien évidemment fait l’objet d’une négociation et d’une coordination à l’échelle des anciens Dominions régis par le Statut de Westminster. Avant cette négociation, le gouvernement britannique avait pu compter sur des avis juridiques forts élaborés, dont l’un produit par Sir Maurice Gwyer, qui allait devenir peu après la crise d’abdication le juge en chef de l’Inde. Ces avis ont conclu, d’une part, à la nécessité de modifier le droit légiféré pour mettre en œuvre une abdication royale, d’autant plus qu’il s’agissait en l’espèce d’une abdication pour le Roi et ses descendants et, d’autre part, au fait qu’il faillait modifier le droit de chacun des royaumes du Commonwealth540. En effet, l’avis des avocats de la Couronne britannique reconnaissait que, comme l’Act of Settlement541 fait partie du droit des anciens Dominions, l’abdication ne peut y être effective que si ce droit est modifié. Cet avis énonce:

The Act of Settlement is at the present moment part of the law of each Dominion as well as of the United Kingdom, and the abdication will, therefore, be of no effect in a Dominion unless the action taken alters the law in the Dominion as well as in the United Kingdom542. [Notre soulignement]

538 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1; A. B. KEITH, « Notes on Imperial Constitutional Law », préc., note 58, 105. 539 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192; D. COFFEY, préc., note 29, 100. 540 D. COFFEY, préc., note 29, 100 et 105. 541 Act of Settlement, 1701, préc., note 15, art. 1. 542 NATIONAL ARCHIVES OF AUSTRALIA, « Crown Law Advice to the UK Government », 1936, PRO: DO 121/39, par. 5.

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De plus, Gwyer remarque qu’une telle modification du droit des anciens Dominions, si elle est accomplie par législation britannique, doit respecter les exigences de l’article 4 du Statut de Westminster. Il écrit :

[…] for section four of the Statute of Westminster makes it clear that an Act which, for example, amends the Act of Settlement (which latter Act is at the present time part of the law of all the Dominions) would not extend to any Dominion unless it was expressly declared in the amending Act that that Dominion had requested, and consented to, its enactment. I am of opinion that it will, therefore, be necessary, not merely as a matter of courtesy and constitutional propriety but as a matter of law, to secure the assent of the Dominions to the proposed Bill and that if consent is not obtained from any Dominion the amendments of the Act of Settlement for which the Bill makes provision will be of no effect in that Dominion, and, accordingly, in that Dominion the new King will not become King nor will the new succession become the law of the Dominion543. [Notre soulignement]

Gwyer l’affirme sans équivoque: pour qu’il n’y ait toujours qu’un seul Roi qui règne en même temps à l’échelle des royaumes du Commonwealth, leurs règles de dévolution de la Couronne doivent en tout temps demeurer harmonisées, et donc être modifiées corrélativement.

Il faut aussi remarquer que, depuis le Statut de Westminster de 1931, une autre pierre avait été ajoutée à l’édifice constitutionnel des anciens Dominions. Cette fois, cela concernait l’Afrique du Sud uniquement, via le Status of the Union Act, 1934544. Cette loi, édictée par le Parlement sud-africain, a mis fin à la compétence législative du Parlement britannique dans ce territoire545. Son article 2 énonçait:

The Parliament of the Union shall be the sovereign legislative power in and over the Union, and notwithstanding anything in any other law contained, no Act of the Parliament of the United Kingdom and passed after the eleventh day of December, 1931, shall extend, or be deemed to extend, to the Union as part of the law of the Union, unless extended thereto by an Act of the Parliament of the Union546. [Notre soulignement]

543 M. GWYER, préc., note 48, par. 13. 544 Status of the Union Act, 1934, Act no 69 of 1934 (Afrique du Sud). 545 Il s’agit donc d’une disposition similaire à celles édictées en 1982 et en 1986 pour le Canada et l’Australie : Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2; Australia Act 1986, préc., note 138, art. 1. Voir : infra, p. 166 et suiv. 546 Status of the Union Act, 1934, préc., note 544, art. 2.

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Son article 5 contenait également une disposition relative à la Couronne. Plus précise que l’article 2, cette disposition énonçait cependant ce qu’il était possible d’interpréter comme une règle de symétrie entre la Couronne sud-africaine et celle du Royaume-Uni :

[…] ‘heirs and successors’ shall be taken to mean His Majesty’s heirs and successors in the sovereignty of the United Kingdom of Great Britain and Ireland as determined by the laws relating to the succession of the Crown of the United Kingdom of Great Britain and Ireland547. [Notre soulignement]

La définition des « héritiers et successeurs » de Sa Majesté semblait donc renvoyer au droit relatif à la dévolution de la Couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Interprétée de cette manière, cette disposition aurait eu pour effet d’unir perpétuellement la succession des Couronnes sud-africaine et britannique, et de laisser au Parlement britannique le pouvoir d’en décider les règles.

Selon O’Connell, cette disposition visait cependant à reconnaître la divisibilité de la Couronne dans cet ancien Dominion. Il écrit : « The succession to the Union throne was thus implied to be distinct from the succession to the Imperial throne548[...] ».

Cependant, le premier ministre britannique Stanley Baldwin y voyait bel et bien une règle d’« implied incorporation », synonyme d’une règle de symétrie ou de reconnaissance automatique549. Le 4 décembre, il a donc proposé à ses homologues du reste du Commonwealth que les constitutions de leurs royaumes contiennent également, implicitement dans leur cas550, une telle règle551. De cette

547 Status of the Union Act, 1934, préc., note 544, art. 5. 548 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 113. 549 À la différence qu’à l’époque, le Parlement impérial a toujours compétence sur les anciens Dominions, sauf l’Afrique du sud. Sur la symétrie, voir : supra, p. 72 et suiv. et infra, p. 170 et suiv. 550 Baldwin propose aussi que l’article 2 du Commonwealth of Australia Constitution Act, 1900 (63 & 64 Vict., c. 12 [R.-U.]) contient une telle règle d’« implied incorporation ». Cet article est semblable à l’article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 (préc., note 24), abrogé par la Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire (préc., note 57). 551 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Lettre du 4 décembre 1936 du haut- commissaire britannique (« British high commissioner ») à Ottawa au premier ministre King inter alia lui remettant un résumé du télégramme du premier ministre britannique Baldwin de la même date, Prime Ministers' Fonds, « William Lyon Mackenzie King », MG26 J1, vol. 216, microfiche C3688, p. 186688-186695 (par. 6, page 4 du télégramme).

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manière, l’interprétation de l’article 5 du Status of the Union Act, 1934552, une loi du Parlement sud-africain, aurait été généralisée à l’ensemble des anciens Dominions, comme si cet article ne faisait que codifier une règle ailleurs non écrite.

Le 6 décembre, le premier ministre canadien Mackenzie King a rejeté catégoriquement cette thèse553. Il a envoyé un télégramme à son homologue britannique en les termes suivants :

The suggestion which, as we understand it, is contained in the latter part of paragraph 6 and in paragraph 8 of your telegram, that in view of the references to “King” contained in the constitutional Acts of certain Dominions, and which might be held to be implicit in the British North America Act, no action of any kind is necessary in Canada, does not appear acceptable in view of the recognised position of the Dominions in regard to the Crown, and to the explicit provisions of the second preamble of the Statute of Westminster which as the Secretary of State for Dominions Affairs stated in introducing the Bill expressed an existing constitutional convention554. [Notre soulignement]

Ce même jour, Mackenzie King a exigé que référence soit expressément faite, dans la loi mettant en œuvre l’abdication, à la requête et au consentement du Canada suivant l’article 4 du Statut de Westminster. Il a également proposé de répondre aux exigences conventionnelles d’assentiment parlementaire plus tard555. Cette deuxième communication énonçait:

[…] there has been some misunderstanding of our position. We proposed to meet the immediate situation by a formal request for the insertion in the proposed United Kingdom Statute of a recital of our request and consent for the passage of the said Bill. Later we proposed to meet the constitutional implications of the preamble of the Statute of Westminster by securing the assent of the Canadian Parliament referred to therein556. [Notre soulignement]

552 Status of the Union Act, 1934, préc., note 544. 553 D. COFFEY, préc., note 29, 106. 554 Télégramme du Premier ministre du Canada au Premier ministre du Royaume-Uni, 6 décembre 1936, gracieusement fournit par Anne Twomey. 555 Sur la convention d’assentiment, voir : supra, p. 107 et suiv. 556 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Lettre du 6 décembre 1936 du premier ministre King au haut-commissaire britannique à Ottawa pour être transmise au premier ministre britannique Baldwin quant à la procédure proposée par ce dernier le 4 décembre et la position du Canada, Prime Ministers' Fonds, William Lyon Mackenzie King, MG26 J1, vol. 216, microfiche C3688, p. 186732-186733.

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Le 9 décembre, alors que son homologue néo-zélandais avait proposé une simple référence à l’assentiment des Dominions (un terme employé dans le préambule du Statut)557, Mackenzie King a insisté sur les termes requête et consentement contenus dans la procédure formelle de l’article 4. Cette disposition visait, selon lui, à assurer l’égalité constitutionnelle des anciens Dominions avec le Royaume-Uni. Il a écrit:

The use of the word " assent " would have certain advantage, but we consider it open to the minor objection of confusion with the different significance given to the same word in the preamble of the Statute of Westminster, and to the serious objection that its use would weaken the procedure devised in Section 4 of the Statute of Westminster for ensuring the constitutional equality of the Dominion. Under the terms of Section 4, the United Kingdom Parliament cannot legislate for Canada unless it is expressly declared in the Act that Canada has requested and consented to the enactment thereof, or, in other words, Canada must (hand written in margin: as regards the necessary procedure) have taken the initiative by formally requesting such action and expressed its consent to the terms of the draft Act. It does not appear desirable to set a precedent for a lower procedure or phraseology so far as Canada is concerned. I have already pointed out that Section 4 of the Statute is not applicable to New Zealand558. [Notre soulignement]

Le ton et les mots qui ont été choisis sont particulièrement fermes pour une communication diplomatique : le premier ministre ne voulait pas créer de précédent pour une procédure plus simple et il considère que la modification expresse du droit canadien est impérative. Le libellé du préambule de la loi britannique proposé par Mackenzie King, pour ce qui concerne le Canada, a été repris presque mot pour mot dans le projet de loi (et dans la loi telle que sanctionnée), ce qui montre qu’au-delà des différents points de vue exprimés sur

557 Rappelons que l’article 4 du Statut n’était toujours pas en vigueur en Australie et en Nouvelle- Zélande : supra p. 104. BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Lettre du 9 décembre 1936 (9 :50 am) du haut-commissaire britannique à Ottawa au premier ministre King lui remettant les modifications proposées au projet de loi britannique (Abdication Act) par le premier ministre de Nouvelle Zélande, Prime Ministers' Fonds, William Lyon Mackenzie King, MG26 J1, vol. 216, microfiche C3688, p. 186782-186783. 558 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Lettre du 9 décembre 1936 du premier ministre King au haut-commissaire britannique à Ottawa pour être transmise au premier ministre britannique Baldwin quant aux modifications proposées au projet de loi britannique par le premier ministre de Nouvelle-Zélande le 9 décembre, Prime Ministers' Fonds, William Lyon Mackenzie King, MG26 J1, vol. 216, microfiche C3688, p. 186784-186786.

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ces questions, c’est l’interprétation des autorités gouvernementales canadiennes de l’époque, représentées par Mackenzie King, qui a été retenue en droit positif.

Le 10 décembre 1936, le Roi Édouard VIII a signé sa déclaration d’abdication. Par son texte même, elle demandait aux organes habilités de donner suite à son désir d’abdiquer, elle ne constituait pas en soi un instrument d’abdication559. Un débat existe quant à la possibilité d’une abdication par simple écrit du monarque560, et il a été évité par la procédure employée. Mackenzie King a rapporté à la Chambre des communes du Canada qu’un original de l’instrument d’abdication a été envoyé au gouvernement canadien pour être conservé dans les livres du Conseil privé de la Reine pour le Canada561. Cette pratique témoigne encore une fois de la divisibilité de la Couronne impériale en faveur d’une Couronne canadienne.

Ce même jour, le gouvernement canadien a adopté un ordre en conseil visant à fournir la requête et le consentement du Canada à l’adoption d’une loi impériale suivant l’article 4 du Statut de Westminster. Cet ordre édicte:

That, in order to insure that the requirements of the fourth section of the Statute are satisfied, it is necessary to provide for the request and consent of Canada to the enactment of the proposed legislation; and, in order to insure compliance with the constitutional convention expressed in the second recital of the preamble, hereinbefore set forth, it is necessary to make provision for securing the assent of Parliament of Canada thereto;

[…]

That the enactment of legislation by the Parliament at Westminster, following upon the voluntary abdication of His Majesty the King, providing for the validation thereof, the consequential demise of the Crown, succession of the heir presumptive and revision of the laws relating to the succession to the throne, and declaring that Canada has requested and consented to such enactment, by hereby approved;

559 Cette déclaration est reproduite dans l’annexe de l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86. 560 Voir par exemple : A. ÉMOND, préc., note 4, p. 448-449; D. COFFEY, préc., note 29, 109-110; A. B. KEITH, « Notes on Imperial Constitutional Law », préc., note 58, 105 : « It was patent that, in the absence of any precedent, the Act of Abdication could not be deemed to be effective without legislation, which meant that the abdication must be legalized and the succession thereupon defined ». Contra : F. C. CRONKITE, préc., note 55, 178 561 e e CHAMBRE DES COMMUNES, Débats, 18 parl., 2 sess., vol. 1, (14 janvier 1937), p. 2 (William Lyon Mackenzie King).

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That the proposed legislation, in so far as it extends to Canada, shall conform as nearly as may be to the annexed draft bill562. [Notre soulignement]

Cet ordre en conseil vise donc bel et bien à demander et à consentir à l’adoption d’une loi impériale visant à provoquer la dévolution de la Couronne ainsi que la révision du droit relatif à la succession royale, qui sont la conséquence de l’abdication, et ce, en droit canadien. Contrairement à l’essentiel des lois impériales adoptées pour le Canada sous le régime de l’article 4 du Statut, c’est ici le gouvernement, et non les chambres parlementaires fédérales, qui a fourni la « requête et le consentement » officiels du Canada, puisque l’hiver et la grandeur du pays rendaient impossible la convocation rapide du Parlement563. Cela est toutefois, pour les raisons que nous avons vues plus tôt, sans conséquence564.

Le 11 décembre 1936, le projet de loi sur l’abdication a été déposé dans les chambres du Parlement impérial. Le premier ministre Baldwin l’a introduit en ces termes:

The provisions of this Bill require very few words of explanation from me at this stage. It is a matter which, of course, concerns the Dominions and their Constitutions just as it concerns us565. [Notre soulignement]

Il a traversé toutes les lectures à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords et a été sanctionné par Édouard VIII le jour même566. L’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, avait modifié le droit canadien conformément à l’article 4 du Statut, auquel le préambule réfère expressément:

And whereas, following upon the communication to His Dominions of His Majesty’s said declaration and desire, the Dominion of Canada pursuant to the provisions of section four of the Statute of Westminster 1931 has requested and consented to the enactment of this Act, and the

562 regarding Canadian Request and Consent for Enactment of United Kingdom altering succession, C.P. 1936-3144, (1936) Gaz. Can. II, p. 843. 563 Voir : J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 392. 564 Supra, p. 115. 565 ROYAUME-UNI, House of Commons, Parliamentary Debates, vol. 318, col. 2199 (décembre 1936) e e (M. Baldwin). Voir aussi : CHAMBRE DES COMMUNES, Débats, 18 parl., 2 sess., vol. 1, (19 janvier 1937), p. 67 (William Lyon Mackenzie King). 566 D. COFFEY, préc., note 29, 100.

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Commonwealth of Australia, the Dominion of New Zealand, and the Union of South Africa have assented thereto567: [Notre soulignement]

Comme Wheare l’enseigne dans cette citation souvent reprise: « The Act therefore applied to Canada as part of the law of Canada, and would be so construed by a Court568 ».

Outre la dévolution de la Couronne provoquée par le paragraphe 1(1), le paragraphe 1(2) de l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936 édicte la radiation d’Édouard VIII et de tous ses descendants des successibles à la Couronne. Il modifie ainsi expressément l’Act of Settlement :

His Majesty, His issue, if any, and the descendants of that issue, shall not after His Majesty’s abdication have any right, title or interest in or to the succession to the Throne, and section one of the Act of Settlement shall be construed accordingly569. [Italiques originaux]

Corrélativement, le paragraphe 1(3) soustrait ces mêmes personnes des exigences du Royal Marriages Act, 1772570.

Selon Wheare, l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936 s’ajoutait à la longue liste des statutes constitutionnels britanniques571.

Ce 11 décembre 1936, au moment de la sanction royale, George VI est devenu Roi de tous les royaumes du Commonwealth, sauf en Afrique du Sud et en Irlande572. Selon O’Connell, la dévolution de la Couronne sud-africaine a eu lieu immédiatement lors de la signature de la déclaration d’abdication le 10 décembre 1936 par l’effet du Status of the Union Act, 1934573. Or, cette interprétation est peut-être critiquable à certains égards. C’est pourquoi une loi adoptée par le Parlement sud-africain en 1937 a confirmé rétroactivement que la dévolution de la

567 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86, préambule. 568 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 285. 569 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86, par. 1(2). 570 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192; D. COFFEY, préc., note 29, 100. 571 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 8. Ces statutes vont du Bill of Rights aux lois constitutives des ministères. 572 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191. 573 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 113.

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Couronne sud-africaine avait eu lieu à cette date précise574. Le Parlement de l’État libre d’Irlande a fixé, quant à lui, la dévolution de la Couronne irlandaise au 12 décembre 1936575, et il en profita pour retirer la monarchie de son gouvernement interne, ne la conservant qu’aux fins des relations extérieures576. En fixant sur le plan temporel la dévolution de leur Couronne à un moment différent de celle du Royaume-Uni, ces deux royaumes ont démontré la divisibilité de la Couronne impériale.

Du point de vue canadien, le gouvernement avait demandé et consenti à l’édiction de la loi impériale, mais le Parlement qui comprend les élus du peuple n’avait toujours pas fourni son assentiment, tel que l’exigeait conventionnellement le préambule du Statut577. C’est pourquoi, en janvier, le Parlement fédéral a édicté la Loi sur la modification de la loi concernant la succession au trône, 1937578. Cette loi rappelle en préambule que le gouvernement a demandé et consenti à l’édiction de la loi impériale de 1936, et reproduit en annexe cette dernière ainsi que la déclaration d’abdication579. Les chambres des Parlements australien et néo- zélandais ont également voté des résolutions pour exprimer l’assentiment de leur assemblée580.

En définitive, à la lumière de la loi impériale de 1936 et de la loi canadienne de 1937, le Statut de Westminster de 1931 cumulait deux types d’exigences. S’il était

574 His Majesty King Edward the Eighth’s Abdication Act, 1937, no 2 of 1937 (Afrique du Sud), par. 1 (1). 575 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191. 576 Executive Authority (External Relations) (Ireland) Act, 1936, no 58 of 1936, par. 3 (2) (Irlande); Constitution (Amendment No. 27) (Ireland) Act, 1936, no 57 of 1936 (Irlande). 577 Voir : supra, p. 107 et suiv. 578 Loi sur la modification de la loi concernant la succession au trône, 1937, 1 Geo. VI, c. 16. 579 À ce moment, les avocats du gouvernement fédéral ont produit des avis juridiques au soutien de la procédure employée par le gouvernement en décembre de l’année précédente ainsi que par rapport au projet de loi d’assentiment qui allait être déposé, voir par exemple : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, préc., note 375, p. 13-26, p. 18 : « It may thus be assumed that there remained in the Parliament of the United Kingdom the power to make laws extending to Canada, and that if the laws set forth on their face the request and consent of Canada, they would by effective. This is particularly true in the case of a law relating to the constitution, such as His Majesty's Declaration of Abdication Act 1936. There could be no doubt as to the validity of this law, which contained on its face a recital of the request and consent of Canada » [Notre soulignement]. 580 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 191. Comme nous l’avons vu plus tôt, l’article 4 du Statut n’était toujours pas en vigueur en ce moment dans ces anciens Dominions : supra, p. 104.

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désiré que le Parlement impérial procède à la modification des règles applicables à la Couronne canadienne en plus de celles applicables à la Couronne britannique, il devait respecter l’article 4, c’est-à-dire inscrire dans une loi que la demande et le consentement du Canada ont été obtenus581. La convention constitutionnelle reconnue par le préambule commandait en plus que les Parlements de tous les Dominions, dont le Canada, fournissent leur assentiment582. Coffey résume ces exigences ainsi:

To sum up: (i) the preamble to the Statute of Westminster required that any alteration in the law of royal succession required “the assent … of the Parliaments of all the Dominions”; (ii) in addition, Canada, the Irish Free State and South Africa were protected by s.4 of the Statute of Westminster which also required “request and consent” to Imperial legislation. Since legislation affecting royal succession was Imperial legislation, the process of “request” and “consent” was required; and (iii) s.4 did not apply to Australia and New Zealand583.

Pour Wheare, la procédure employée par le Canada en 1936-1937 l’a été dans le respect complet du droit positif et des conventions. Il écrit: « […] the action of the Dominion of Canada was in complete accordance with the rules of convention and of strict law which applied to the case584 ». Certains auteurs de doctrine, dont Kennedy, Cronkite et Walters, ont pourtant critiqué la procédure employée en 1936 et, dans Motard, la Cour supérieure du Québec leur a donné raison585.

Pour Kennedy, l’article 4 du Statut était inapplicable en matière de succession royale, et le gouvernement fédéral n’aurait pas dû l’invoquer586. Il s’étonnait que le Canada soit le seul Dominion qui ait invoqué l’article 4 du Statut587. On comprend alors qu’il ne savait pas, au moment de publier ses travaux, que le Parlement

581 « [...] if the British Act amended the Act of Settlement but Canada did not request and consent to it, then the Act of Settlement would remain unamended in Canada » : D. COFFEY, préc., note 29, 105. 582 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 151-152. 583 D. COFFEY, préc., note 29, 104. Voir aussi : K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 278-280. 584 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 285. 585 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 90 et suiv. (le juge Bouchard). 586 W. P.M. KENNEDY, préc., note 53, 118. 587 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 332. Voir le préambule de l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86, cité supra, p. 125.

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impérial ne pouvait plus légiférer pour l’Afrique du Sud588 et que les articles 2 et 4 du Statut étaient inapplicables en Australie et en Nouvelle-Zélande589.

Pour Cronkite, le Parlement impérial n’avait pas besoin d’obtenir la demande et le consentement du Canada, puisque l’article 2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 définissait, selon lui, la Reine du Canada comme la Reine du Royaume-Uni. S’appuyant sur ses travaux de 1938, le juge Bouchard écrit en 2016:

[92] Quant au professeur F.C. Cronkite, il estime que les nouvelles règles de succession au trône adoptées au Royaume-Uni ne nécessitaient pas la demande et le consentement du Canada en vertu du Statut de Westminster (1931), étant donné que l'identité de la Couronne était déterminée par la Loi de 1867590.

Cronkite avait cependant méconnu un événement juridique essentiel : l’article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur lequel il fondait son raisonnement, avait pourtant été abrogé en 1893591. Cherchant à faire une sorte de mise à jour des travaux de Cronkite, Walters prétend que le Parlement impérial aurait tout simplement agi par erreur en abrogeant l’article 2, alors qu’il voulait selon lui abroger l’article 3592.

De Kennedy et Cronkite (le Parlement impérial n’aurait pas du ou n’avait pas besoin) à Walters (le Parlement impérial s’est trompé), il y a pourtant une même constante : la remise en question de lois édictées par un Parlement à l’époque souverain et suprême. Cela semble critiquable à bien des égards. D’une part, même en 1981, la Cour suprême a toujours refusé de remettre en question les choix éventuels du Parlement impérial quant à la Constitution canadienne593. Les

588 Status of the Union Act, 1934, préc., note 544, art. 2; Voir : supra, p. 120. 589 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 10; Voir : supra, p. 104. 590 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 92 (le juge Bouchard). 591 F. C. CRONKITE, préc., note 55, 186; Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire, préc., note 57. 592 L’article 3 permet à Sa Majesté de proclamer, dans les 6 mois de la passation de la loi de 1867, l’union des provinces fondatrices en un seul Dominion ayant pour nom « Canada » : Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, art. 3. M. D. WALTERS, préc., note 67, à la page 271. 593 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 776 et 801 (le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mcintyre, Chouinard et Lamer) : « […] l’autorité du Parlement britannique ou ses pratiques et conventions ne sont pas des affaires sur lesquelles cette Cour se permettrait de statuer ».

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juges majoritaires sur le droit formel, dans le Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, écrivaient en effet que « [l]a compétence de ce parlement [impérial] est, pour les motifs déjà exposés, entière et il lui appartient à lui seul de décider d’agir et du mode d’action594 ». D’autre part, le caractère facultatif de l’adoption d’une loi ne la rend pas inapplicable. Il était facultatif d’adopter le Statut de Westminster, tout comme la Charte canadienne des droits et libertés, mais c’est pourtant la loi au Canada. Avec égards pour ces auteurs et le juge Bouchard, si, jusque là, une règle non écrite de symétrie devait être tirée du préambule de 1867, l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act de 1936 l’a abrogée.

De plus, concernant l’argument précis de l’article 2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867595, il faut souligner que cet article était similaire aux dispositions contenues dans bien des lois britanniques même celles applicables à l’intérieur du Royaume-Uni, comme l’Interpretation Act, 1889596 et répondait à une pratique bien ancrée visant, puisque le monarque n’est pas lié par une loi sauf s’il y consent597, à soumettre tous les futurs monarques à l’application d’une loi, codifiant ainsi la règle The king never dies598. Cette disposition n’a donc jamais eu pour objet de « définir » la Reine599. Ainsi, même si l’article 2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique était toujours en vigueur, il ne pourrait avoir le sens suggéré par Cronkite et Walters. Il est par ailleurs inutile de chercher à l’intérieur de la loi de 1867 les règles d’accès à cette charge, car les règles écrites et non écrites de dévolution de la Couronne sont contenues ailleurs600. Il ne faut pas oublier que « comme notre Constitution est dérivée d’un régime constitutionnel dont les règles fondamentales ne sont pas fixées dans un seul document ou dans

594 Id., 799 (le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mcintyre, Chouinard et Lamer). 595 Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, préc., note 24. 596 Interpretation Act, 1889, 52 & 53 Vict., c. 63 (R.-U.), art. 30. 597 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 4, p. 1330. 598 Voir : supra, p. 32. 599 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 340; « Plaidoirie écrite des demandeurs », dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17-018455- 139, p. 50 et suiv. 600 Voir : supra, p. 27 et ss et p. 61 et suiv.

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un ensemble de documents faisant autorité, il n’est pas étonnant qu’elle retienne certains aspects de cet héritage601 ».

Plus généralement, il faut écarter les écrits de ces auteurs, car ils s’inscrivent dans une interprétation plus large du Statut de Westminster et du droit non écrit de la Couronne (la doctrine inter se602), qui a été rejetée subséquemment par la législation, la jurisprudence, l’essentiel de la doctrine ainsi que par la pratique politique. Nous l’étudierons plus loin603.

Outre ces auteurs, le juge Bouchard s’appuie aussi sur le discours du ministre de la Justice Ernest Lapointe, qui, en janvier 1937, a défendu l’action de son gouvernement face à l’opposition lors de l’étude du projet de loi d’assentiment venu a posteriori satisfaire à la convention constitutionnelle du deuxième paragraphe du préambule du Statut. Le ministre déclarait:

« May I now just sum up my contention on these two points. Upon the abdication of Edward VIII it became necessary because of the attendant circumstances for the parliament of the United Kingdom to enact legislation for two main purposes: first, to make the abdication and the accession of George VI effective; second, to alter the law touching the succession to the throne. In so far as the contemplated legislation would relate to the abdication and succession it would extend at once to the dominion as part of the law of that dominion, and would consequently require the previous request and consent of the dominion to the enactment thereof, in accordance with section 4 of the Statute of Westminster. In so far as the legislation would operate to alter the law touching the succession to the throne, the assent of the dominion parliament is required in accordance with the constitutional convention set out in the second recital to the Statute of Westminster, but such assent could be given within any reasonable time thereafter, as it would not be a condition precedent to the enactment of the legislation but merely a convention limiting its operation in the dominion. With regard to the former the government took the action which was required under section 4, which admittedly does not require the assent of parliament. With regard to the latter the government now asks the assent of parliament to the alteration in the law touching the succession to the throne, so as to give effect to the convention. Inasmuch as such alteration can operate in the future only in the event of there being issue of the Duke

601 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), préc., note 106, par. 92 (le juge en chef Lamer pour la majorité) 602 À l’exception de Walters. 603 Infra, p. 136 et suiv.

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of Windsor, it is not necessary that such assent should have any retroactive effect. […] » (soulignement du tribunal)604.

Cet extrait, pourtant clair sur la distinction entre la convention constitutionnelle d’assentiment et l’exigence formelle de demande et consentement suivant l’article 4 du Statut, a été interprété ainsi par le juge Bouchard :

[80] Comme on peut le constater à la lecture de ces commentaires, une distinction est apportée entre la partie de la loi du Royaume-Uni qui concerne l'abdication d'Édouard VIII et l'accession de George VI, laquelle requiert au préalable la demande et le consentement du Dominion à son adoption, conformément à l'article 4 du Statut de Westminster (1931), et est d'application immédiate, et celle qui vise la modification à la loi concernant la succession au trône, laquelle requiert l'assentiment du Dominion, conformément à la convention constitutionnelle énoncée au deuxième considérant du Statut de Westminster (1931), et n'a d'effet que pour l'avenir605.

Ici, le tribunal oppose la question de l’abdication à celle de la succession pour écarter du droit canadien les paragraphes 1(2) et (3) de l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act606, alors qu’ils sont par ailleurs tout autant d’application immédiate que le paragraphe 1(1).

Il y a pourtant deux façons de lire cet extrait du ministre Ernest Lapointe. Soit les procédures conventionnelles et formelles sont alternatives (l’une pour l’abdication, l’autre pour la succession), soit elles sont cumulatives. Dans le doute, nous croyons qu’il faut se retourner vers l’ordre en conseil et la loi impériale de 1936, qui ne contiennent pas cette distinction entre l’abdication et la succession, bien au contraire. Selon l’ordre en conseil du gouvernement fédéral, la demande et le consentement du Canada visaient tout autant l’abdication que les autres modifications qu’elle entraînait au droit de la succession royale. Reproduisons à nouveau ce passage critique:

That the enactment of legislation by the Parliament at Westminster, following upon the voluntary abdication of His Majesty the King, providing for the validation thereof, the consequential demise of the Crown,

604 Tel que cité dans Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 79-80 (le juge Bouchard). 605 Id., par. 80 (le juge Bouchard). 606 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86, par. 1(2) et (3).

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succession of the heir presumptive and revision of the laws relating to the succession to the throne, and declaring that Canada has requested and consented to such enactment, by hereby approved607; [Notre soulignement]

Tout comme l’ordre en conseil, la loi édictée par le Parlement impérial ne fait pas non plus cette distinction entre l’abdication et la modification du droit relatif à la succession royale. Son préambule fait état d’une demande et d’un consentement canadiens à la loi entière, et sa partie opérante ne contient qu’un seul article608. De plus, une abdication par loi du Parlement est elle-même une modification à la succession royale, car elle remet en question l’attribution de la Couronne opérée par l’Act of Settlement, 1701609. Après tout, les règles de dévolution de la Couronne sont, comme l’affirme le préambule de la Loi de 2013 sur la succession au trône l’affirme, des « règles de succession et de possession610 » de la Couronne. Elles ne s’appliquent pas qu’à chaque dévolution de la Couronne, elles s’appliquent en permanence, car leur irrespect provoque la dévolution (demise of the Crown)611.

Surtout, le débat qui a eu lieu à la Chambre des communes du Canada en 1937 a une valeur bien minime quant à l’interprétation d’une loi impériale déjà édictée. Il ne s’agit pas de travaux préparatoires pouvant éclairer sur l’intention du législateur, ces derniers étant constitués en fait par les communications intergouvernementales, l’ordre en conseil adopté par le gouvernement fédéral le 10 décembre 1936, les débats tenus dans les chambres du Parlement impérial et, à la limite, les avis juridiques britanniques préalables. En somme, les propos de

607 Order in Council regarding Canadian Request and Consent for Enactment of United Kingdom altering succession, préc., note 562, p. 843. 608 Voir les citations supra, p. 124 et 126. 609 D. COFFEY, préc., note 29, 109-110. Voir aussi : J. FOURNIER, P. TAILLON, G. MOTARD et A. BINETTE, préc., note 62, à la page 381. 610 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19, préambule, par. 2 : « que les représentants des royaumes dont Sa Majesté est la souveraine ont convenu, le 28 octobre 2011, de modifier les règles de succession et de possession visant leur couronne respective » [Notre soulignement]. 611 Ainsi en est-il lorsque le souverain devient catholique ou se marie avec un catholique : supra, p. 38 et suiv.

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Lapointe ont la valeur de ceux d’un ministre prétendant interpréter a posteriori une loi du Parlement, c'est-à-dire aucune612.

En définitive, l’abdication d’Édouard VIII, et la loi impériale qui l’a juridiquement effectuée, ont démontré que, dans le respect de l’article 4 du Statut de Westminster, le Parlement impérial avait la compétence de maintenir l’harmonisation de certains pans du droit relatif à la Couronne dans la mesure où le Canada le demandait, y consentait formellement et que cette loi le déclarait expressément. Cependant, l’insistance de Mackenzie King sur le respect de l’article 4, tout comme la mise en œuvre de l’abdication un jour plus tôt en Afrique du Sud et un jour plus tard en Irlande, ont permis la démonstration de la divisibilité de la Couronne, puisque chacun des royaumes bénéficie depuis 1931 du contrôle sur son droit relatif à la Couronne. Comme Mackenzie King le plaidait auprès du gouvernement britannique, l’égalité des royaumes du Commonwealth n’exigeait rien de moins613. Dans le cas particulier du Canada, où, contrairement à l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le Statut s’appliquait intégralement, le recours à l’article 4 a aussi permis de témoigner de l’étanchéité de l’ordre juridique canadien par rapport à celui du Royaume-Uni et des autres royaumes du Commonwealth.

Enfin, si le préambule de 1867 a pu laisser croire, d’une quelconque manière, à une règle de symétrie614, la loi impériale adoptée en 1936 écarte cette possibilité. Ainsi, de 1936 jusqu’à 2013, le droit de la succession royale au Canada était donc celui fixé et reconnu par l’Act of Settlement, tel que modifié par l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936615. De Smith le confirme: « Throughout the Commonwealth the law relating to the succession to the throne was that laid down

612 En pratique, on sait que le ministre cherchait surtout à justifier que le gouvernement ait fournit seul la demande et le consentement du Canada en décembre 1936, alors que les chambres parlementaires auraient voulu avoir leur mot à dire. Cela était alors impossible à cause du contexte géographique et climatique canadien (supra, p. 125). Il devait donc expliquer à l’opposition pourquoi l’inaction du Parlement en décembre 1936 ne posait juridiquement aucun problème, et pourquoi l’assentiment de ce dernier était néanmoins nécessaire a posteriori en 1937. À terme, ce désir des chambres parlementaires a mené à leur participation à l’élaboration de, probablement, toutes les lois impériales édictées subséquemment pour le Canada. 613 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA, préc., note 558, cité supra, p. 123. 614 Voir : supra, p. 72 et suiv. 615 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86, par. 1(2).

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by the Act of Settlement, 1700, as amended by the legislation passed on the abdication of Edward VIII616 ».

616 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 10.

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2.3 Le parachèvement de la divisibilité formelle de la Couronne impériale

Alors que la Déclaration Balfour de 1926, telle que mise en œuvre par le Statut de Westminster de 1931617 et l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936618, a permis l’avènement de la divisibilité formelle de la Couronne impériale, celle-ci demeurait, à bien des égards, à reconnaître et à parachever.

Ce processus, qui s’est étalé des années 1930 aux années 1980, a d’abord été marqué par les réticences doctrinales portées par les auteurs de la doctrine inter se, soutenus occasionnellement par le gouvernement britannique [2.3.1]. À partir des années 1930, par une série de mesures, l’État fédéral a continué la mise en œuvre de cette divisibilité formelle en droit interne canadien, comme il l’a promue par l’exercice de la prérogative royale, par ses pratiques politiques et diplomatiques [2.3.2], ainsi que par l’adoption de nouveaux titres royaux [2.3.3]. La divisibilité de la Couronne a été ensuite reconnue par les tribunaux et par la doctrine [2.3.4], puis a finalement été parachevée par la Loi de 1982 sur le Canada619 [2.3.5]. Celle-ci a sonné le glas de la compétence juridique de la Couronne britannique au Canada, marquant du même coup ce qu’on pourrait croire l’indépendance complète de la Couronne canadienne. Nous verrons comment cette dernière a récemment été mise en doute par la résurgence de la thèse de la symétrie à l’occasion de la réforme de la succession royale de 2013.

2.3.1 Le dernier soupir de l’Empire : la doctrine inter se et son rejet

Les écrits de Kennedy, Cronkite et Keith, ainsi que les suggestions de Stanley Baldwin, doivent être situés dans un contexte plus large, qui commande de s’intéresser aux origines du Statut de Westminster, à son accueil par la doctrine, et à l’interprétation de ce texte et du droit non écrit sur la Couronne qui opposait dans les années 1930-1940 les autorités britanniques et canadiennes.

617 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 618 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86. 619 Préc., note 16.

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D’abord, il faut souligner que l’Empire était à la croisée des chemins au tournant du siècle. Il y avait en jeu l’option du fédéralisme impérial, qui comprenait la représentation directe des colonies au Parlement de Westminster, suivant des aménagements à concevoir. Comme le rapporte Lino, Dicey avait, dans les dernières années de sa vie, livré une critique virulente de ce projet de fédéralisme impérial, car le fédéralisme exige une constitution rigide, ce qui aurait renversé de grands pans du système britannique. Lino écrit:

For Dicey, federalism—partly because it depended on a rigid constitution— meant both weak and conservative government. The constituent power in a federal state, the collective people, was ‘a despot hard to rouse’, unlike the ‘ever-wakeful legislator’ of the English Parliament acting as constituent assembly620.

Ce projet de fédéralisme impérial a ultimement été écarté au profit de la structure mise en place par le Statut de Westminster, qui rejetait le fédéralisme, établissait l’égalité de statut, tout en tentant de garder une certaine unité de l’Empire (le Commonwealth). Jacques-Yvan Morin résume ainsi l’issue de ce débat:

D'ailleurs, l'Empire eût pu évoluer aussi bien vers le fédéralisme, comme la chose fut proposée par la Nouvelle-Zélande à la Conférence impériale de 1911, que vers la souveraineté de ses membres. N'eût été du refus opposé à la « fédération impériale », tant par la Grande-Bretagne que par les dominions, une structure fédérative aurait pu se développer, fondée sur l'autonomie et la personnalité internationale de ses membres. On préféra, après la Première Guerre mondiale, s'acheminer vers l'égalité de statut entre les dominions et la métropole, c'est-à-dire, à toutes fins utiles, vers la souveraineté des anciennes colonies621.

Au-delà de l’hésitation entre le fédéralisme impérial et l’égalité de statut, l’extrait de Morin rend bien ce que nous pourrions maladroitement décrire comme une forme de « pudeur » dans le choix des mots. Des changements majeurs se mettent en place autour de cette idée d’égalité de statut sans pour autant que ne soient associés à ces changements des termes plus polémiques comme souveraineté, indépendance ou divisibilité de la Couronne. Il y a en quelque sorte un décalage entre la réalité juridique et les mots choisis pour la décrire.

620 D. LINO, préc., note 248, 769. 621 J.-Y. MORIN, préc., note 120, 197. Voir aussi : id., 757.

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De plus, il y a dans le choix des mots une tendance à n’en dire le moins possible, puisque l’ambiguïté favorise les consensus nécessaires, ce qui reporte les débats sur les conséquences des changements juridiques à plus tard. Pour ce qui est de la Couronne, la question principale au tournant du Statut de Westminster était celle de la portée à donner à l’égalité de statut et à l’allégeance commune, deux grands principes reconnus par la déclaration Balfour de 1926. À ce moment, comme Wheare l’analyse, il demeurait difficile de dire si le Commonwealth était une union personnelle, ou si la Couronne impériale était toujours indivisible, alors que l’opinion variait entre les différents chefs de gouvernement de chacune des entités représentées622.

La doctrine inter se apparaît dans ce contexte. À une époque où plusieurs interprétations sont encore possibles, elle défend à son maximum l’unité de l’Empire et l’indivisibilité de la Couronne impériale623. L’essentiel de cette doctrine reposait sur le postulat suivant : la Couronne étant indivisible, les relations des membres du Commonwealth inter se (qu’on peut traduire par entre eux) doivent être, même après 1931, régies par le droit constitutionnel et non par le droit international. Coffey écrit:

The indivisible Crown meant that the King was King of all of the Commonwealth countries at the same time, rather than King of each separately. This theoretical point had a number of practical applications. If the King was a single King then it axiomatically followed that treaties, which were concluded in the name of Heads of State, could not be concluded between Commonwealth members, as the Head of State in both instances was the same person performing the same function. Therefore, Commonwealth relations were, under the inter se doctrine, constitutional rather than international624. [Notre soulignement]

La doctrine inter se s’opposait à celle de l’union personnelle, dont le Général Hertzog, le premier ministre sud-africain, était le plus grand défenseur. Pour lui, la situation entre les membres du Commonwealth était donc la même que celle qui

622 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 29-30. 623 La doctrine inter se est, strictement parlant, une conséquence de la doctrine de l’indivisibilité de la Couronne impériale, voir : S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 10-11. Comme elles sont intimement intereliées, nous les traiterons ici comme un tout. 624 D. COFFEY, préc., note 29, 101.

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régissait l’Écosse et l’Angleterre dans les années 1600, ou le Hanovre et la Grande-Bretagne dans les années 1700625. Coffey écrit:

Hertzog claimed that the King held all of his titles separately. The King was King of the United Kingdom, King of South Africa, King of the Irish Free State, etc. On this view of multiple crowns it was theoretically possible for the King to be replaced in one of the Commonwealth countries and yet remain King in the others, e.g. the King would cease to be King of South Africa but remain King of the other Commonwealth countries626.

L’avenir a donné raison à Hertzog: ce remplacement du chef de l’État d’un royaume, sans conséquence sur le droit formel des autres royaumes, s’est produit à plusieurs reprises lorsque certains membres du Commonwealth sont devenus des républiques.

Parmi les défenseurs de l’indivisibilité, il y avait Keith, pour qui les relations dans le Commonwealth inter se ne sont pas régies par le droit international, mais bien par le droit constitutionnel627. Celui-ci remarque aussi qu’en union personnelle, les relations entre les Couronnes sont régies par le droit international, comme l’exemple du Hanovre l’avait démontré, alors que ce dernier État pouvait rester neutre dans une guerre britannique et vice versa, alors que ces deux royaumes étaient dirigés par la même personne. Il en déduit que des traités pouvaient être conclus entre la Couronne britannique et la Couronne hanovrienne, mais que ce n’était pas le cas selon lui au sein du Commonwealth628.

Dans son traité de 1937, Kennedy réitère, lui aussi, sa profession de foi en l’indivisibilité de la Couronne impériale britannique, alors qu’il affirme que « [t]he imperial crown is one and indivisible and is not broken up between the British Isles, the dominions and the rest of the empire629 ». Jacques-Yvan Morin s’est livré à une analyse intéressante de la pensée de ce dernier en la matière. Dans un article publié en 1984, c’est-à-dire longtemps après que la doctrine inter se ait perdu tout

625 Voir : supra, p. 40 et suiv. 626 D. COFFEY, préc., note 29, 101-102. 627 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 133. 628 Id., p. 133-134. 629 W. P.M. KENNEDY, préc., note 25, p. 379.

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son sens, il souligne cette vieille opposition entre le loyalisme et l’indépendantisme canadien dans les écrits doctrinaux. Il écrit :

Le cas le plus intéressant est celui de W.P.M. Kennedy, partagé entre ses sentiments de fidélité à l'Empire et la sympathie qu'il éprouve pour les objectifs nationaux de son pays d'adoption. Dans un premier temps, il veut bien reconnaître que le Dominion possède une très large autonomie et même « un statut national distinct », tout en demeurant juridiquement partie intégrante de l'Empire; il ne constitue point un État souverain ni ne peut revendiquer un « statut international » (il semble que ces deux notions aient le même sens pour l'auteur). Dans un deuxième temps, quelques pages plus loin, il affirme qu'il n'entend point invoquer les « anciennes formules » de la souveraineté une et indivisible; il se déclare disposé à admettre la compatibilité entre la souveraineté des dominions et l'unité impériale, pour peu que cette concession favorise le maintien de I'Empire630. [Notre soulignement]

Cronkite, quant à lui, soumet que l’article 2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique pourtant abrogé depuis 1893631 permet le maintien de l’indivisibilité de la Couronne632.

Il n’empêche que l’influence de cette doctrine doit être prise au sérieux, d’autant plus qu’elle a été défendue par le gouvernement britannique au cours des années 1930, y compris lors de la crise d’abdication de 1936633.

Entre autres éléments de contexte, il faut prendre en compte les aboutissants de cette doctrine pour le Royaume-Uni. Si elle avait trouvé application en droit positif, la doctrine inter se aurait permis de maintenir une relation économique privilégiée en termes de libre-échange entre les entités de l’Empire. Cette relation inter se n’aurait pas été une relation internationale. Par conséquent, les autres États, avec lesquels le Royaume-Uni a signé par le passé des traités contenant la clause de la

630 J.-Y. MORIN, préc., note 120, 194. 631 Voir : supra, note 591. 632 F. C. CRONKITE, préc., note 55, 186 : « It might possibly be suggested that action under section 4 of the Statute of Westminster was essential in order that His Majesty's Declaration of Abdication Act, 1936, might be construed as legislation with reference to an indivisible Crown. It is submitted, however, that section 2 of the British North America Act is quite sufficient, for Canada at least, to accomplish the result that this concept may be continued if it is the true concept ». 633 D. COFFEY, préc., note 29, 101.

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nation la plus favorisée634, n’auraient pas pu invoquer les nouveaux accords conclus entre les gouvernements du Commonwealth, qui donnaient des conditions plus favorables de libre-échange, ces derniers accords n’étant pas, suivant la doctrine inter se, des traités internationaux635. Les litiges entre les membres du Commonwealth, n’ayant pas été davantage internationaux suivant la doctrine inter se, ils auraient été soustraits de la compétence des cours internationales. De même, les accords impériaux auraient été exemptés de l’obligation d’enregistrement auprès de la Société des Nations636. On peut aussi spéculer sur l’effet qu’a pu avoir la menace du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale sur l’état d’esprit du gouvernement britannique et des auteurs de ces écrits de 1937-1938. Rappelons à cet égard que l’indivisibilité de la Couronne, dans l’hypothèse où elle était toujours applicable, aurait permis l’entrée en guerre automatique de tous les Dominions dès la déclaration de guerre faite par le Roi de l’avis de ses ministres britanniques, comme cela avait été le cas en 1914.

La doctrine inter se, en postulant le maintien de l’indivisibilité de la Couronne impériale, avait en définitive pour objet de minimiser les effets de l’édiction du Statut de Westminster.

Dans son ouvrage publié en 1938, Keith considère que la suprématie du Parlement britannique sur les questions constitutionnelles n’était pas politiquement remise en question par l’adoption du Statut de Westminster de 1931637. Il avait tort : le Conseil privé avait déjà jugé, en 1935, qu’il s’agissait d’une suprématie théorique638. Le Parlement impérial n’était alors, du moins par l’effet des conventions, qu’un simple fiduciaire, et le Canada a cherché activement à mettre

634 « […] disposition ou série de dispositions ayant pour but de garantir à chacun des deux contractants, sur des points convenus, un traitement aussi favorable que celui dont jouissent d’autres États ou leurs ressortissants dans le territoire de l’autre partie contractante » : Lodewijk Ernst VISSER, « La clause de “la nation la plus favorisée” dans les traités de commerce », (1902) 4 (2) Revue de droit international et de législation comparée 66. 635 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 133-137; S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 11. 636 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 11. La Société des Nations avait en effet pour but la fin de la diplomatie secrète qui avait mené au déclenchement de la Première Guerre mondiale. 637 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 124. 638 R. v. British Coal Corp., préc., note 488, par. 19 (le Vicomte Sankey, L.C.), cité supra p. 116.

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fin à cette suprématie639. Selon Cox, Keith considérait une « monstruosité constitutionnelle » que les ministres des Dominions puissent conseiller directement le Roi640. Les forces centrifuges dans les anciennes colonies ont pourtant réussi à obtenir et à défendre cet acquis641. Comme O’Connell l’affirme, alors que les propos de Keith étaient déjà questionnables lors de leur publication, ils étaient définitivement démodés et obsolètes une décennie plus tard642.

Pour de Smith, si la Couronne pouvait être considérée indivisible avant 1931, les développements successifs concernant les assises de cette indivisibilité ne permettaient plus de la soutenir après cette date643. Parmi ces fondements ébranlés, l’unité de l’état de guerre à travers l’Empire, balayée par les déclarations de guerre et de paix séparées durant la Deuxième Guerre mondiale. En ce qui concerne le Canada, rappelons que Mackenzie King avait attendu au 10 septembre 1939 pour déclarer la guerre à l’Allemagne nazie, soit une semaine après le Royaume-Uni644. Pour O’Connell, l’incohérence de l’action des différents royaumes à cette occasion démontre qu’il y a plusieurs souverains. Il écrit:

The net result of these various procedures was that the Crown was at war in respect of one portion of the Commonwealth and at the same time at peace in respect of another. The independence evidenced in the termination of war on the part of the several Dominions only confirms the Crown’s divided character645.

Selon de Smith, cette situation était juridiquement insupportable du point de vue de l’indivisibilité de la Couronne. Il écrit:

That a Dominion could remain neutral de jure in a war in which Her Majesty was engaged was a notion both politically unpalatable and legally

639 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 800 (le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mcintyre, Chouinard et Lamer) 640 N. COX, « The control of advice to the Crown and the development of executive independence in New Zealand », préc., note 46, 171. 641 Voir : supra, p. 84 et suiv. 642 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 104. 643 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 10-11. 644 Sur la procédure employée, voir : T. FRANCK, préc., note 222, 171. 645 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 117. Voir aussi : L. C. GREEN, préc., note 37, 62; supra, p. 100.

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insupportable, given the concept of common allegiance to an indivisible Crown; yet the facts of life might instate it as part of a new order646.

Sur le plan de l’unité de la politique étrangère, fondamentale à l’indivisibilité de la Couronne, celle-ci n’existait plus après 1945647. Bien avant cela, les Dominions s’étaient déjà opposés à la proposition du Royaume-Uni à l’effet qu’ils ne puissent nommer d’ambassadeur dans les pays où il y avait déjà un ambassadeur britannique648. Cette proposition avait été avancée puisque l’ambassadeur représente le chef de l’État, qui était du point de vue britannique un et indivisible.

La fin des appels à Sa Majesté-en-conseil, intimement liés à l’allégeance commune, a aussi ébranlé l’indivisibilité de la Couronne. Par la mise au rencart dans certains royaumes de cette prérogative royale majeure, on ne pouvait plus se rendre aux « steps of the Throne649 » pour demander justice. Surtout, la fin des appels au Comité judiciaire du Conseil privé britannique signifiait que le droit relatif à la Couronne n’avait plus un interprète ultime unique.

Un autre dogme cher aux auteurs inter se, l’interdiction de faire « sécession » de l’Empire, a été écarté suite au passage de l’Inde au statut de république en 1949- 1950. Défendue par Keith650 et Kennedy651, critiquée par l’Irlande et l’Afrique du Sud652, cette interdiction s’est révélée sans fondement lors de l’accueil de l’Inde au sein du Commonwealth, pourvu qu’elle reconnaisse le statut de la Reine en tant que chef du Commonwealth, ce qui exclut tout pouvoir juridique formel653.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la doctrine inter se était donc déjà largement écartée par la doctrine et les responsables politiques. En 1953, O’Connell écrivait l’un des articles les plus étoffés et les plus convaincants sur la situation de la Couronne dans le Commonwealth, et démontrait que le droit international gouverne cet organisme intergouvernemental et les relations entre ses

646 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 11. Voir aussi : L. C. GREEN, préc., note 37, 62. 647 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 114. 648 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 10-11. 649 Id., p. 10. 650 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 100-103. 651 D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 120, note 56. 652 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 11. 653 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 195; D. P. O'CONNELL, préc., note 38, 121.

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membres654. De même, les entités du Commonwealth qui sont demeurées des monarchies sont des « kingdoms in their own right655 ». Dorénavant, le Commonwealth est une union personnelle. Green écrit:

It is clear from this that whatever unity remained to the Commonwealth depended upon the King and not the Crown, so that it would seem that here is a further instance of a type of Personal Union656.

En 1964, Stanley de Smith affirmait sans détour que la doctrine inter se avait été tuée dans l’œuf par la communauté internationale, qui ne la considérait pas une règle valide en droit international657. Certaines traditions toujours respectées sont pourtant héritées de cette époque, particulièrement la nomination de hauts- commissaires entre les royaumes du Commonwealth en lieu et place d’ambassadeurs. Il n’empêche qu’au-delà des pratiques symboliques et de la survivance d’une ancienne terminologie, la réalité juridique qui encadre le statut des représentants du Canada dans les autres royaumes du Commonwealth est bien celle du droit international, et non les règles internes d’un Empire qui n’existe plus.

En définitive, la règle juridique était la divisibilité de la Couronne, tandis que la cohésion de l’Empire (qui est alors renommé le Commonwealth) allait être maintenue par l’effet de conventions constitutionnelles, qui ont acquis dans une certaine mesure la valeur de traités658, c’est-à-dire d’engagements politiques entre États souverains sans conséquence en droit interne. En plus de la succession royale et des titres royaux harmonisés, une convention allait pour un temps exiger une consultation mutuelle des royaumes lorsque l’un d’eux voulait légiférer

654 D. P. O'CONNELL, préc., note 38. 655 Id. 656 L. C. GREEN, préc., note 37, 65. 657 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 11. 658 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 33 (le juge Rouleau): « [33] As a result of the Statute of Westminster it was recognized that any alterations in the rules of succession would no longer be imposed by Great Britain and, if symmetry among commonwealth countries were to be maintained, any changes to the rules of succession would have to be agreed to by all members of the Commonwealth. This arrangement can be compared to a treaty among the Commonwealth countries to share the monarchy under the existing rules and not to change the rules without the agreement of all signatories. While Canada as a sovereign nation is free to withdraw from the arrangement and no longer be united through common allegiance to the Crown, it cannot unilaterally change the rules of succession for all Commonwealth countries » [Notre soulignement].

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concernant les matières d’intérêt commun, comme la marine marchande, le commerce et la citoyenneté659. En ce sens, il a bien eu une application partielle de la doctrine inter se dans les conventions et la pratique, et ce, afin de maintenir l’apparence d’une Couronne commune. Cependant, l’évolution du droit et des conventions n’a cessé de confirmer progressivement son déclin. En effet, hormis en ce qui concerne l’harmonisation des règles de dévolution de la Couronne, l’essentiel de ce cadre conventionnel est aujourd’hui tombé en désuétude.

2.3.2 La mise en œuvre de la divisibilité formelle de la Couronne impériale au Canada

À partir des années 1930, le Parlement fédéral canadien a commencé à légiférer sur la prémisse qu’il existait une Couronne canadienne distincte de celle des autres royaumes du Commonwealth. L’État fédéral s’assurait donc que la situation canadienne demeurait indépendante de celle des autres royaumes, notamment en ce qui concerne l’exercice du pouvoir exécutif, la citoyenneté, les affaires criminelles (les crimes liés à la sûreté de l’État) et les serments. Le gouvernement fédéral a également mis à jour certaines pratiques en conséquence.

Cela s’est fait, au premier chef, par l’édiction de la Loi sur les sceaux660 en 1939. Celle-ci remplace le Grand sceau du Royaume, établit par l’Union with Scotland Act, 1706661, par le Grand sceau du Canada. Ce dernier peut être utilisé dans tous les cas où, antérieurement, il fallait faire apposer le sceau britannique662, et il est gardé par le gouvernement fédéral663. À titre d’exemple, même la nomination du gouverneur général par la Reine se fait sous ce Grand sceau664, tout comme les

659 K. C. WHEARE, préc., note 1, p. 172. 660 Loi sur les sceaux, préc., note 274; T. FRANCK, préc., note 222, 172 : « Another symbol of the unitary Crown in Canada was retired in 1939 by the passage of the Seals Act ». 661 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190, art. 24. 662 Loi sur les sceaux, préc., note 274, art. 2 « grand sceau du Royaume » et « instrument royal », et art. 3. 663 T. FRANCK, préc., note 222, 172. 664 Règlement sur les documents officiels, C.R.C., c. 1331, par. 4(1).

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nominations des juges des cours supérieures et fédérales665 et, depuis 1982, les modifications à la Constitution supralégislative du Canada666.

Par la suite, le Canada a établi sa propre citoyenneté. Il faut dire que la citoyenneté commune était elle-même un élément central à l’unité de l’Empire et à l’allégeance commune667, et sa rupture a contribué à la divisibilité de la Couronne. Comme le dit Thomas Franck: « The Citizenship Acts are monuments to the national independence of the Dominions and the divisibility of the Crown668 ». En common law, l’allégeance est en effet due à la personne physique du souverain, et est traditionnellement indivisible peu importe le nombre de ses Couronnes ou de ses royaumes, suivant la Calvin’s Case de 1608669. Certes, la common law en matière d’allégeance et de citoyenneté avait déjà été remplacée par des lois des Parlements670, mais la qualité de sujet britannique est longtemps demeurée partagée à travers l’Empire671. Cette unité a été rompue en premier par le Canada, qui a établi sa propre citoyenneté en 1946-1947672, sous l’impulsion de Mackenzie King. Ce dernier est devenu symboliquement le premier à recevoir un certificat de citoyen canadien devant la Cour suprême en janvier 1947673. Du point de vue du droit britannique, les Canadiens n’ont plus les mêmes droits que les véritables nationaux du pays depuis 1962674, même s’ils conservent le droit de vote en qualité de citoyens du Commonwealth675. De plus, la common law canadienne

665 Id., par. 4(6). 666 Voir par exemple : Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16, art. 38. 667 A. B. KEITH, The Dominions as sovereign states, préc., note 58, p. 114 et suiv. 668 T. FRANCK, préc., note 222, 176. 669 Calvin’s Case, préc., note 155. Voir aussi : supra, p. 57 et suiv.; Polly J. PRICE, « Natural Law and Birthright Citizenship in Calvin’s Case (1608) », (2013) 9 (1) Yale Journal of Law & the Humanities 73. 670 Notamment : British Nationality and Status of Aliens Act, 1914, 4 & 5 Geo. V., c. 17 (R.-U.); Loi de naturalisation, S.C. 1914, c. 44. Voir : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. III.68. 671 S. A. DE SMITH, préc., note 216, p. 10; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, p. 142 et suiv. 672 Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19. 673 GOUVERNEMENT DU CANADA, Forging Our Legacy: Canadian Citizenship and Immigration, 1900– 1977, en ligne:< http://www.cic.gc.ca/english/resources/publications/legacy/chap-5.asp#chap5-2>. 674 L. C. GREEN, préc., note 37, 53. Sur la situation antérieure, voir : T. FRANCK, préc., note 222, 171-172. 675 British Nationality Act 1981, 1981 c. 61 (R.-U.), al. 37(1)b); Representation of the People Act 1983; 1983 c. 2 (R.-U.), al. 1(1)c); THE ELECTORAL COMMISSION, Elections : who does what, en

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relative au serment à la Reine a évolué distinctement du droit britannique. Suivant l’arrêt McAteer, rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en 2014, le serment n’est plus dû à la personne physique du souverain comme l’affirmait pourtant la Calvin’s Case, mais bien seulement à la Couronne canadienne et à la forme de gouvernement qu’elle représente au Canada676.

De même, le Code criminel reconnaît la divisibilité de la Couronne dès lors que le crime de trahison commis en sol étranger ne vise qu’un « citoyen canadien ou un individu qui doit allégeance à Sa Majesté du chef du Canada677 ». Par contre, certaines lois, comme la Loi sur la défense nationale, réfèrent toujours aux « forces de Sa Majesté » afin de référer à toutes les forces militaires des royaumes du Commonwealth à la fois678.

Dans la même optique, remarquons aussi que le serment de citoyenneté n’est désormais prononcé qu’à l’endroit de la Reine du Canada:

Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien679. [Notre soulignement]

Ainsi en est-il dans la Loi sur les serments d’allégeance680, qui précise que l’on doit remplacer le nom du souverain en cas de dévolution de la Couronne.

Sur le plan des actes du pouvoir exécutif, notons l’expression distincte du consentement du Canada aux mariages royaux qui ont un impact immédiat sur la succession royale, suivant le Royal Marriages Act, 1772681. Comme nous l’avons vu plus tôt, cette loi exige que le monarque exprime en conseil son consentement ligne : , p. 1. 676 McAteer et al. v. Attorney General of Canada, préc., note 10, par. 50-51 (le juge Weiler). 677 Code criminel, préc., note 160, par. 46(3). 678 Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), c. N-5, art. 2 « forces de Sa Majesté » : « Les forces armées de Sa Majesté, où qu’elles soient levées, et notamment les Forces canadiennes. (Her Majesty’s Forces) ». 679 Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), c. C-29, annexe. 680 Loi sur les serments d’allégeance, L.R.C. (1985), c. O-1, par. 2(1). Cette loi soulève peut-être un problème de partage des compétences, selon H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. V-2.18. 681 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192. Voir aussi : supra, p. 48 et suiv.

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aux mariages des descendants de George II, et que ce consentement soit inscrit dans les livres du Conseil privé, sous peine de nullité du mariage. Dans la même optique, nous avons également vu que les enfants illégitimes sont exclus de la succession royale. Or, depuis 1947, le Canada a entrepris de convoquer le Conseil privé de la Reine pour le Canada afin de constater le consentement au mariage du premier successible à la Couronne. À l’époque, Mackenzie King avait été invité à siéger au Conseil privé britannique en prévision du mariage de la princesse Elizabeth (la Reine actuelle) avec le prince Philip, mais il avait refusé et il avait convoqué le Conseil privé canadien afin de bien démontrer l’autonomie de la Couronne canadienne682. Ce consentement canadien a eu pour effet d’assurer la légitimité des enfants du couple royal, et donc de sécuriser juridiquement les degrés principaux de l’ordre de succession. Ainsi, le prince Charles, l’héritier présomptif actuel, est avec certitude un enfant légitime du point de vue du droit canadien. Ainsi en est-il du prince William, car le mariage de ses parents, le prince Charles et Lady Diana Spencer, a fait également l’objet d’une réunion du Conseil privé de la Reine pour le Canada et d’une inscription dans ses livres en 1981683. La procédure n’a pas été suivie lors du mariage du prince William et de la princesse Catherine Middleton en 2011. Ce mariage était concomitant à la négociation de l’accord de Perth qui mena à l’édiction de la Loi de 2013 sur la succession au trône684, et l’on peut émettre l’hypothèse que le gouvernement fédéral voulait être conséquent avec la règle de symétrie que postule cette dernière. Cela témoigne de cette volonté de rupture du gouvernement Harper avec la tradition canadienne établie depuis Mackenzie King en ce qui concerne le processus de « canadianisation » de la Couronne.

682 Formal consent to the marriage of Princess Elizabeth, (1947) Gaz. Can. I, p. 2423; Peter John BOYCE, The Queen's Other Realms: The Crown and Its Legacy in Australia, Canada and New Zealand, Sydney, Federation Press, 2008, p. 80-81 : « Mackenzie King wanted a Privy Council meeting to consider the proposed marriage of Princess Elizabeth in 1947, following the process laid down in the Royal Marriages Act of 1772. King had declined in invitation from George VI to send a Canadian to sit with the British Privy Council, to emphasise the autonomy of Canada's Crown, and a meeting was held in Ottawa, presided over by chief justice as a deputy of the governor-general ». 683 Declaration of consent to the marriage of His Royal Highness the Prince of Wales (Published also as Extra No. 18. dated 27/3/81), (1981) Gaz. Can. I, p. 2327. 684 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19. Voir : supra, p. 3.

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Alors que nous terminons l’étude des actions du gouvernement de Mackenzie King, il faut souligner l’apport considérable que le premier ministre a fourni à l’avènement et au parachèvement de la divisibilité de la Couronne canadienne. Que ce soit :

 lors des négociations durant les conférences impériales des années 1920,

 face à Baldwin qui, en 1936, proposait l’ « implied incorporation » (la symétrie), et voulait interpréter restrictivement la limite à suprématie du Parlement impérial sur le Canada contenue dans l’article 4 du Statut,

 lors de l’édiction de la Loi sur les sceaux685,

 lors de l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale en 1939,

 lors de l’établissement de la citoyenneté canadienne,

 lors de l’application du Royal Marriages Act, 1772686 au mariage de la future Reine Elizabeth,

 lors de l’édiction des Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada687, qui permettent une action plus aisément autonome de la Couronne canadienne,

 dans le combat judiciaire pour la fin des appels à la Reine-en-conseil britannique,

Mackenzie King a été constant : il a établi la divisibilité de la Couronne canadienne et donc, en pratique, l’indépendance de son pays.

685 Loi sur les sceaux, préc., note 274. 686 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192. Voir aussi : supra, p. 48 et suiv. 687 Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, 1947, préc., note 339. Voir aussi : T. FRANCK, préc., note 222, 171.

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Encore une fois sur le plan des actes du pouvoir exécutif, soulignons que Sa Majesté la Reine Elizabeth II a été proclamée distinctement Reine du Canada lors de son accession en 1952688.

Plus récemment, la divisibilité de la Couronne a, de nouveau, été reconnue lors de l’accord de Perth689, et le Parlement fédéral en fait état dans le préambule de la Loi de 2013 sur la succession au trône:

que les représentants des royaumes dont Sa Majesté est la souveraine ont convenu, le 28 octobre 2011, de modifier les règles de succession et de possession visant leur couronne respective690 […];

En somme, le Canada est aujourd’hui un royaume sous la Couronne du Canada.

2.3.3 La reconnaissance de la divisibilité formelle par les titres royaux

Une autre conséquence importante de la divisibilité de la Couronne a été l’adoption de titres royaux distincts pour la Couronne canadienne. D’emblée, il est important de souligner que le titre royal (« Royal style and titles ») est d’une nature similaire à celle d’un honneur ou, plus particulièrement, de la formulation d’un titre de noblesse691. Néanmoins, le titre participe des symboles de l’État, comme les armoiries et les drapeaux. Il ne s’agit donc pas de définir la personne du souverain ou de définir la Couronne, ce qui est une question de droit décidée en vertu d’autres sources du droit (comme la loi et la common law692), mais de donner une titulature au monarque693.

Par exemple, le titre royal permet parfois au souverain d’exprimer une prétention sur un territoire sur lequel il n’est pas souverain. Ainsi, d’Édouard III (XIVe siècle) à George III (en 1801), le titre royal anglais (puis britannique) comportait la mention

688 GOUVERNEMENT DU CANADA, Le monarque, en ligne : , cité infra, p. 163. 689 J. HUNTER, préc., note 36, 439. 690 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19, préambule, par. 2. 691L’ensemble des titres composant la noblesse ou l’aristocratie d’un pays. 692 Supra, p. 27. 693 N. COX, « The control of advice to the Crown and the development of executive independence in New Zealand », préc., note 46, 176.

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« roi de France », et ce, bien que les souverains britanniques ne régnaient plus sur le territoire français depuis fort longtemps694. En clair, le titre royal peut être en incohérence avec les faits ou même d’autres règles de droit695.

Afin de bien cerner l’interrelation entre les titres royaux et l’indépendance de la Couronne canadienne, il convient d’en définir la procédure à suivre en cas de modification. Cette procédure a changé à travers les époques, et ses évolutions sont en lien avec la reconnaissance de la divisibilité dans le titre. Du reste, en cette matière comme en bien d’autres, il ne faut pas sous-estimer les fréquents décalages entre le droit et les discours politiques. Ce genre de décalage a été particulièrement vif lors de la modification du titre royal en 1953.

Depuis les temps immémoriaux, la modification des titres royaux entre dans le champ de la prérogative royale696. À chaque modification du titre, le Parlement britannique, puis canadien, s’est efforcé de maintenir le titre dans le champ de la prérogative. Lors de la dernière modification canadienne en 1953, il avait été suggéré d’établir le titre par loi du Parlement, mais les juristes du gouvernement fédéral avaient remarqué, pertinemment, que cela ne respectait pas la tradition697.

Bien que le titre ait pour assise la prérogative royale, depuis 1800, il est de pratique constante que Sa Majesté n’émette pas de proclamation royale pour modifier les titres royaux sans avoir obtenu un assentiment parlementaire

694 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Memorandum on the history of the law relating to the royal style and titles, « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069, p. 2. 695 De même, le Scottish Covenant Association faisait remarquer au gouvernement du Canada, lors de l’avènement de la Reine Elizabeth en 1952, que la nommer Elizabeth « II » pour l’ensemble du Royaume-Uni n’était pas justifié ni juridiquement ni historiquement car il n’y avait jamais eu de reine Elizabeth en Écosse : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Lettre du Scottish Covenant Association au Haut-commissaire canadien à Londres, « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069. Le titre royal tel que codifié dans une loi d’interprétation peut, par contre, avoir un effet sur l’interprétation des lois auxquelles la loi d’interprétation en cause s’applique : Alberta c. Canada (Commission canadienne des transports), préc., note 360. 696 Les juristes du gouvernement fédéral à l’époque de la modification de 1953 nous enseignent qu’avant 1800, le titre royal n’avait aucune base légiférée : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, préc., note 694, p. 1. 697 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Memorandum for Mr. Pickersgill, « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069, p. 2.

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préalable. À cette époque, une disposition de l’Union with Ireland Act698 avait fourni un assentiment parlementaire à une proclamation royale effectuée par la suite. L’article premier de cette loi déclare que:

That it be the First Article of the Union of the kingdoms of Great Britain and Ireland, that the said kingdoms of Great Britain and Ireland shall, upon the first day of January which shall be in the year of our Lord one thousand eight hundred and one, and for ever after, be united into one kingdom, by the name of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, and that the royal stile and titles appertaining to the imperial crown of the said United Kingdom and its dependencies, and also the ensigns, armorial flags and banners thereof, shall be such as his Majesty, by his royal proclamation under the Great Seal of the United Kingdom, shall be pleased to appoint699. [Notre soulignement]

Ainsi, c’est la proclamation du 1er janvier 1801 par le Roi George III qui a juridiquement établi les nouveaux titres royaux (ainsi que les drapeaux et armoiries)700. L’assentiment parlementaire devenait toutefois nécessaire en vertu de ce qu’il convient de qualifier de convention constitutionnelle naissante701.

Cependant, jusqu’en 1931, rien dans la structure constitutionnelle de l’Empire britannique ne rendait nécessaire l’obtention d’un assentiment parlementaire venant des colonies ou des Dominions pour la modification des titres royaux. La pratique voulait que l’assentiment vienne uniquement du Parlement de Westminster. La proclamation royale subséquente valait pour tout l’Empire et chacune de ses parties. Il en a été ainsi lors des modifications de 1876, de 1901 et de 1927702.

698 Union with Ireland Act, 1800, préc., note 191. Voir : supra, p. 47 et suiv. 699 Id., art. 1. 700 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, By the King [microform] : a proclamation, declaring His Majesty's pleasure concerning the royal stile and titles appertaining to the imperial crown of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, and its dependencies, and also the ensigns armorial, flags, and banners thereof / By the King, a proclamation, declaring what ensigns or colours shall be borne at sea in merchant ships or vessels belonging to any of His Majesty's subjects of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, and the dominions thereunto belonging « Great Britain. Sovereign (1760-1820 : George III) », Mg. livres - Mic.F. CC-4 no. 49760, No AMICUS : 6750929. Comme son nom l’indique, cette proclamation est applicable au Royaume-Uni et dans ses colonies. 701 Il est également possible de prétendre que la loi accorde un pouvoir de type réglementaire au monarque, ce qui aurait effacé la prérogative. Dans cette optique, la loi habilitante devient juridiquement nécessaire pour autoriser la proclamation royale. 702 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, préc., note 694, p. 3-5. La modification de 1927 avait par contre été approuvée informellement lors d’une conférence impériale tenue en 1926.

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En 1931, le Statut de Westminster a ajouté davantage d’exigences conventionnelles703. Comme nous l’avons vu plus tôt, la modification de la succession royale ou des titres royaux par un Dominion ou par le Royaume-Uni nécessitait désormais l’assentiment de tous les Parlements des Dominions et du Parlement du Royaume-Uni704. Ainsi, toute modification par Sa Majesté du droit relatif aux titres royaux requérait l’assentiment de tous ses Parlements. À la suite des lois d’assentiment, la proclamation royale effectuée par Sa Majesté pouvait s’appliquer dans tout le Commonwealth ou seulement l’un des royaumes.

L’objectif était alors la conservation d’un titre royal harmonisé pour tout le Commonwealth, malgré la compétence juridique qu’acquièrent les Dominions grâce aux dispositions opérantes du Statut705 de légiférer indépendamment sur le titre706. Autrement dit, si la Couronne canadienne est devenue indépendante, une convention constitutionnelle visait à préserver une unité dans le titre à l’échelle du Commonwealth. Il s’agissait encore une fois de concilier les apparences avec le principe de l’indépendance et de l’égalité des Dominions707.

Cette procédure a été suivie lors des deux modifications aux titres royaux ayant eu lieu au Canada depuis 1931.

En 1947, l’indépendance de l’Inde a provoqué le besoin d’omettre la mention « Empereur des Indes » des titres royaux. Le Parlement fédéral a édicté la Loi pourvoyant au changement des titres royaux de Sa Majesté, 1947, qui déclare que:

2. Le parlement du Canada donne, par les présentes, son assentiment à l’omission des expressions “ Indiae Imperator ” et “ empereur des Indes ” dans les titres royaux.

703 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, préambule, par. 2. 704 Voir : supra, p. 107 et suiv. 705 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52, art. 2 et 3. 706 N. COX, « The Development of a Separate Crown in New Zealand », préc., note 46, p. 2-3; Voir : supra, p. 107 et suiv. 707 A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 327.

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3. La date où ladite omission doit prendre effet sera publiée dans la Gazette du Canada708. [Notre soulignement]

Le Parlement fédéral a donc exprimé son assentiment à la modification à venir et il a réservé à l’exécutif canadien le pouvoir de déterminer l’entrée en vigueur de cette modification au Canada709.

De façon parallèle, le Parlement britannique a édicté l’Indian Independence Act, 1947, qui contenait également une disposition d’assentiment. Son paragraphe 7(2) déclare:

The assent of the Parliament of the United Kingdom is hereby given to the omission from the Royal Style and Titles of the words “Indiae Imperator” and the words “Emperor of India” and to the issue by His Majesty for that purpose of His Royal Proclamation under the Great Seal of the Realm710. [Notre soulignement]

Sa Majesté a, par la suite, effectué une proclamation royale unique modifiant le titre royal pour l’ensemble du Commonwealth711. C’est l’une des dernières fois où le Roi agissait pour le Canada et le Royaume-Uni dans un acte exécutif commun applicable dans plusieurs royaumes à la fois.

Le Conseil privé de la Reine pour le Canada a fixé l’entrée en vigueur de la modification à la même date que la proclamation royale, soit le 22 juin 1948712. Il s’agissait alors de maintenir l’harmonie du titre royal dans le respect de la convention constitutionnelle du préambule du Statut de Westminster.

708 Loi pourvoyant au changement des titres royaux de Sa Majesté, 1947, 11 Geo. VI, c. 72, préambule, art. 2 et 3. 709 Voir aussi : A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 350. 710 Indian Independence Act, 1947, 10 & 11 Geo VI, c. 30, par. 7(2) (R.-U.). 711 Proclamation by the King (1948), 22 juin 1948, 38330 Gaz. Lon., p. 3647 (R.-U.); B. PELLETIER, préc., note 169, par. 53. 712 Order in Council, P.C. 2828 du 21 juin 1948; Avis du gouvernement, 22 juin 1948, 82 Gaz. Can. Extra no 5. Il est opportun de noter que l’avis dans la Gazette du Canada fait abstraction de la proclamation du Roi. L’avis est donné directement en vertu des dispositions de la loi canadienne de 1947. Le décret du Conseil privé canadien, quant à lui, nous enseigne en préambule que les gouvernements britannique et canadien se sont entendus pour que la modification aux titres royaux en ce qui concerne le Canada soit rendue effective par « an Order in council ». On pourrait donc croire que, en ce qui concerne le titre canadien, la prérogative royale a été exercée par le gouverneur-en-conseil et non pas par le Roi George VI. La prérogative royale peut en effet, dans certains cas, être exercée par un ou des ministres de la Couronne, voir : supra, note 359.

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En 1953, des considérations politiques et religieuses ont forcé l’adoption d’un titre royal distinct pour chacun des royaumes du Commonwealth713. Particulièrement, il s’agissait d’effacer la mention jugée désuète aux « British Dominions beyond the Seas714 » et, dans certains royaumes, la mention « Défenseur de la Foi ». En somme, le titre ne correspondait plus aux « relations constitutionnelles courantes au sein du Commonwealth715 ».

Comme le souligne Pelletier, chaque État devait procéder au changement approuvé informellement par les différents partenaires du Commonwealth. Il écrit :

Each monarchy of which the queen was sovereign was to enact its own legislation, allowing the queen to adopt a title suitable to the country but with a common element symbolizing the role of the sovereign as a unifying factor in the Commonwealth716.

Un élément commun devait être retenu, mais chaque État était libre d’adopter un titre lui convenant. La simple apparence d’une Couronne unique ne tenait plus: le titre royal n’allait plus être commun, ni même harmonisé717.

Dans cette optique, le Parlement fédéral a adopté la Loi sur les titres royaux, qui édicte que:

Le Parlement du Canada consent à ce que soit prise par Sa Majesté une proclamation royale sous le grand sceau du Canada fixant la forme des titres royaux pour le Canada, de la façon suivante :

Elizabeth Deux, par la grâce de Dieu Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi718. [Notre soulignement]

Ainsi, le Parlement fédéral a énoncé la formulation expresse à laquelle il a donné son assentiment, mais il a laissé le soin à l’exécutif d’édicter la modification du droit positif par le biais d’une proclamation royale.

713 Pour d’autres détails historiques sur cet épisode, voir : P. MURPHY, préc., note 280, p. 50-53. 714 B. PELLETIER, préc., note 169, par. 36. 715 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, Communiqué de presse du Cabinet du premier ministre du Canada, le 12 décembre 1952, dans « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069. 716 B. PELLETIER, préc., note 169, par. 37. 717 Id., par. 36. 718 Loi sur les titres royaux, L.R.C. (1985), c. R-12, art. 2.

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Le 6 juin 1953, Sa Majesté a donc adopté la proclamation royale qui sous le Grand sceau du Canada et de l’avis du Conseil privé canadien modifie formellement les titres royaux « quant au Canada ». Cette proclamation édicte que:

SACHEZ DONC MAINTENANT que de et par l’avis de Notre Conseil privé pour le Canada Nous établissons, quant au Canada, par Notre présente proclamation royale, Notre désignation et Nos titres royaux ainsi qu’il suit, savoir, dans la langue française : “ Elizabeth Deux, par la grâce de Dieu, Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi ” […] (Grand Sceau du Canada)719. [Notre soulignement]

C’est cette proclamation qui, encore de nos jours, régit la titulature du souverain en droit canadien.

Sur le plan conventionnel, il faut noter que le préambule de la Loi sur les titres royaux720 de 1953 ne fait plus référence au préambule du Statut de Westminster. Ce préambule déclare plutôt que:

Considérant :

que les premiers ministres et autres représentants des pays du Commonwealth réunis à Londres en décembre mil neuf cent cinquante- deux, sont arrivés à la conclusion que les titres royaux, dans leur forme actuelle, ne reflètent pas la nature des liens constitutionnels existant au sein du Commonwealth et qu’en conséquence, à ce stade de l’évolution de celui-ci, il serait conforme à la réalité constitutionnelle que chaque pays membre adopte un libellé adapté à sa situation tout en conservant un élément de fond commun;

que les représentants de tous les pays intéressés ont convenus de prendre, dans leur pays respectif, les mesures nécessaires en vue d’obtenir l’agrément constitutionnel requis pour l’adoption des modifications envisagées;

que, pour donner effet à ce qui précède, il convient que le Parlement du Canada donne son accord à une proclamation royale fixant le libellé des titres royaux à employer au Canada […]721. [Notre soulignement]

719 Proclamation royale (1953) au Canada, 6 juin 1953, 87 Gaz. Can. I, p. 1689. 720 Loi sur les titres royaux, préc., note 718, art. 2. 721 Id., préambule.

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La convention constitutionnelle reconnue par le deuxième considérant du préambule du Statut de Westminster a, du moins en ce qui concerne les titres royaux722, évolué pour n’exiger qu’une consultation informelle des royaumes. Il n’est plus question d’harmonisation des titres royaux à l’échelle du Commonwealth, ni simplement entre le Canada et le Royaume-Uni. Comme Anne Twomey l’affirme, la convention d’assentiment mutuel aux modifications des titres royaux a été abandonnée. Même une convention de simple consultation serait tombée en désuétude723.

Puisque le véhicule juridique utilisé pour modifier les titres royaux est une proclamation royale, et non pas une loi impériale adoptée pour le Canada, l’article 4 du Statut de Westminster n’entrait pas en jeu. Cela est confirmé par Benoit Pelletier. Il écrit:

[...] Once more, paragraph 3 of the preamble and section 4 of the Statute [of Westminster] did not apply because the alteration was done through a royal proclamation. Again, there was no statute to extend to Canada and no enforced request and consent to express724.

En résumé, la Reine, en tant qu’organe exécutif canadien, a modifié le droit du Canada725.

Du côté britannique, le Parlement de Westminster a édicté le Royal Titles Act, 1953, qui donne l’ « assentiment » à ce que la Reine modifie les titres royaux pour le Royaume-Uni et ses colonies. Cette disposition déclare que:

1. The assent of the Parliament of the United Kingdom is hereby given to the adoption by Her Majesty, for use in relation to the United Kingdom and all other the territories for whose foreign relations Her Government in the United Kingdom is responsible, of such style and titles as Her Majesty may think fit [...]726.

722 Pour la succession royale, voir : infra, p. 176 et 182. 723 A. TWOMEY, préc., note 170, par. 7.9. Par exemple, en 1974, la Nouvelle-Zélande a modifié ses titres royaux sans aucune consultation extérieure. 724 B. PELLETIER, préc., note 169, par. 54. Concernant la modification de 1947-1948, voir le par. 53. 725 Voir aussi : A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 350. 726 Royal Titles Act, 1953, 1 & 2 Eliz. II, c. 9 (R.-U.), art. 1.

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Pour ces derniers territoires, la modification aux titres royaux (alors distincts des titres canadiens) a été rendue effective par une proclamation royale du 28 mai 1953727, qui n’a aucun effet juridique dans les anciens Dominions.

La divisibilité de la Couronne a donc été confirmée par la modification des titres royaux en 1953. Alors qu’avant le Statut de Westminster, le Colonial Office s’opposait à l’emploi des termes « Roi du Canada » dans le titre royal728, ce dernier titre s’impose maintenant depuis 1953. Le « Roi du Canada », qui était juridiquement distinct du « Roi du Royaume-Uni » comme l’avait démontré l’entrée en guerre de 1939, devenait officiellement et aux yeux de tous un organe indépendant. Brun et Tremblay écrivent :

[L]a divisibilité de la couronne apparaissait évidente puisqu’elle agissait distinctement en fonction des avis reçus des différentes parties de l’empire. Le “ Roi du Canada ” n’était plus le même organe que le roi des autres membres de l’empire. Cela fut formalisé par la Loi sur la désignation et les titres royaux, S.C. 1952-53, c. 9729 […].

Anne Twomey va plus loin. Pour elle, ce résultat de l’évolution constitutionnelle de l’Empire supporte une réinterprétation des dispositions constitutionnelles pour qu’elles prennent en compte la divisibilité de la Couronne. Elle écrit :

The establishment of a separate Crown was later also recognised through the establishment of different royal styles and titles for the Sovereign of each of the Realms. While this was achieved by a combination of legislation and proclamation and no formal changes were made to the Constitutions of Australia or Canada, the legislative change supported a reinterpretation of constitutional provisions referring to the Crown730.

Sans aller jusqu’à prétendre que des actes infraconstitutionnels puissent changer l’interprétation de la Constitution formelle du Canada731, force est d’admettre que l’évolution constitutionnelle reconnue par les titres royaux doit être prise en compte dans l’interprétation constitutionnelle, notamment en ce qui concerne le préambule

727 Proclamation by the Queen (1953), 29 mai 1953, 39873 Gaz. Lon., p. 3023 (R.-U.) 728 N. COX, « The Development of a Separate Crown in New Zealand préc., note 46, p. 15. 729 H. BRUN et G. TREMBLAY, préc., note 31, p. 77. Voir aussi : T. FRANCK, préc., note 222, 173. 730 A. TWOMEY, préc., note 170, par. 4.6. 731 Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IV.59. Voir aussi : Québec (P.G.) c. Healy, [1987] 1 R.C.S. 158, par. 22 (per curiam).

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et les articles 9, 15 et 17 de la Loi constitutionnelle de 1867. Après tout, cette évolution résulte de plusieurs modifications au droit constitutionnel canadien effectuées par le Parlement impérial, dont le Statut de Westminster de 1931732 et l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act733 de 1936, et non pas seulement de la proclamation royale de 1953 qui, au fond, découle de ces changements.

L’impact de l’opposition politique entre loyalisme et indépendantisme canadien identifiée en introduction au présent mémoire734 a été particulièrement présent au moment de modifier les titres royaux en 1953. Le débat sur la loi de 1953735 s’est vite transporté sur la nature de la monarchie canadienne. D’une part, il s’agissait de minimiser les effets de la discrimination anti-catholique contenue dans les règles de succession royale en élaborant la thèse selon laquelle ces discriminations n’existaient pas en droit canadien, mais plutôt dans les lois du Royaume-Uni736, dans un contexte où la minorité canadienne-française était en ébullition et que les droits de la personne étaient de plus en plus considérés. D’autre part, il s’agissait de calmer les tenants du loyalisme face à une législation qui écartait un peu plus le Canada du giron « impérial »737.

C’est dans ce contexte que Louis St-Laurent s’est adressé à la Chambre des communes et a affirmé:

Her Majesty is now the Queen of Canada but she is the Queen of Canada because she is the Queen of the United Kingdom and because the people of Canada are happy to recognize as their sovereign the person who is the sovereign of the United Kingdom. It is not a separate office. It is the recognition of the traditional development of our institutions; that our parliament is headed by the sovereign; and that it is the sovereign who is recognized as the sovereign of the United Kingdom who is our sovereign

732 Statut de Westminster de 1931, préc., note 52. 733 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86. 734 Supra, p. 19. 735 Loi sur les titres royaux, préc., note 718. 736 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA, préc., note 697, p. 2-3. 737 La prise en compte des « home-grown imperialists » canadiens ressort à la page 5 du mémorandum relativement à la question de l’Irlande du Nord : id., p. 5; L’année 1952 marque également la première nomination d’un Canadien, Vincent Massey, à titre de gouverneur général du Canada : GOUVERNEMENT DU CANADA, Le gouverneur général, en ligne : .

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and who is loyally and, I may say, affectionately recognized as the sovereign of our country738. [Notre soulignement]

Les propos du premier ministre détonnent alors considérablement avec l’évolution du droit positif. D’abord, le premier ministre a, dans ses propos, nié la divisibilité de la Couronne provoquée par le Statut de Westminster et par la politique de son prédécesseur Mackenzie King, et ce, d’une manière analogue aux auteurs de la doctrine inter se. Pourtant, au-delà des mots employés devant la Chambre des communes, et comme le remarque en rétrospective Hunter : malgré la déclaration de Louis St-Laurent, l’adoption de titres royaux séparés a participé à l’établissement de la divisibilité de la Couronne739.

En définitive, le débat de 1953, tout comme le titre royal lui-même, ne peuvent servir à nier les effets de l’His Majesty’s Declaration of Abdication Act de 1936740 et de la loi canadienne de 1937741, qui ont reconnu l’existence des règles de succession royale en droit canadien, de même qu’ils ne peuvent servir à nier l’évolution constitutionnelle plus large ayant eu lieu entre 1926 et 1953.

Chose certaine, depuis 1953, autant la procédure de modification du titre royal canadien que le titre lui-même sont formellement indépendants du Royaume-Uni.

2.3.4 La reconnaissance de la divisibilité formelle par la jurisprudence et la doctrine modernes

Malgré les réticences des auteurs associés à la doctrine inter se, la divisibilité formelle de la Couronne a, à terme, été reconnue par la jurisprudence et la doctrine.

738 e e CHAMBRE DES COMMUNES, Débats, 21 parl., 7 sess., nº 2 (3 février 1953), p. 1566 (Louis St- Laurent). 739 J. HUNTER, préc., note 36, 438-439: « [Citation de Louis St-Laurent omise] the adoption of separate Royal Styles and the subsequent disavowal of the Westminster Parliament of any ability to legislate for its former colonies seems in retrospect to be a recognition that in fact what was once a unified Imperial Crown is now 16 distinct legal Crowns joined in a single physical person ». 740 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86. 741 Loi sur la modification de la loi concernant la succession au trône, 1937, préc., note 578.

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Au premier chef, elle l’a été dans R. c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta742, une décision rendue en 1982 par la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles. Sentant que le « rapatriement » signifierait l’indépendance complète de la Couronne canadienne, des Autochtones canadiens ont demandé aux tribunaux anglais de reconnaître les obligations que la Couronne impériale britannique avait contractées auprès d’eux par les traités conclus à travers les siècles. Lord Denning et Lord May ont rejeté leur demande, car la Couronne a été entièrement divisée entre le Canada et le Royaume-Uni lors de la déclaration Balfour de 1926 et du Statut de Westminster de 1931. Lord Kerr, pour sa part, réitère la jurisprudence plus traditionnelle, notamment celle de la Chambre des Lords743, qui reconnait que Sa Majesté a un procureur général qui doit être poursuivi pour les obligations de la Couronne aux fins canadiennes744 (ce nous avons appelé la divisibilité fonctionnelle de la Couronne).

En somme, suivant la majorité, le droit non écrit de la Couronne a changé lors de l’acquisition de l’indépendance canadienne. Lord Denning écrit :

Hitherto I have said that in constitutional law the Crown was single and indivisible. But that law was changed in the first half of this century -- not by statute -- but by constitutional usage and practice. The Crown became separate and divisible --according to the particular territory in which it bas sovereign. This was recognised by the Imperial Conference of 1926745.

Lord May ajoute :

Although at one time it was correct to describe the Crown as one and indivisible, with the development of the Commonwealth this is no longer so. Although there is only one person who is the Sovereign within the British Commonwealth, it is now a truism that in matters of law and government

742 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250. 743 Attorney-General v. Great Southern and Western Railway Company of Ireland, préc., note 369; Voir : supra, p. 76 et suiv. 744 The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250, p. 10 (Lord Kerr), cité supra, p. 77. 745 Id., p. 7 (Lord Denning, M.R.).

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the Queen of the United Kingdom, for example, is entirely independent and distinct from the Queen of Canada746. [Notre soulignement]

Selon cet arrêt, en droit, la Reine du Royaume-Uni est entièrement indépendante et distincte de la Reine du Canada.

En Nouvelle-Zélande, la Cour d’appel a jugé que la Reine du Royaume-Uni était une souveraine étrangère alors que le gouvernement britannique demandait une injonction contre la parution du récit d’un de ses anciens agents secrets747.

La doctrine fait état de ces décisions. Dans Halsbury’s Laws of Canada, on recense que:

Traditionally, in constitutional legal theory, the Crown was considered a single and indivisible entity throughout the British Empire. That understanding of the monarchy, however, evolved during the course of the 20th century as the result of constitutional usage and practice. The Crown came to be recognized as separate and divisible according to the particular territory in which it was sovereign, as evidenced by the declarations of the Imperial Conference of 1926748.

Sa Majesté est donc indépendamment Reine du Canada et Reine du Royaume- Uni. Nicole Duplé écrit:

En accédant à la souveraineté, les anciennes colonies britanniques sont devenues des entités juridiques non seulement distinctes les unes des autres, mais distinctes également de l'entité juridique qu'est le Royaume- Uni. Le Canada détient son propre chef d'État, et le fait que la Reine du Canada soit aussi le chef d'État de plusieurs autres États souverains est sans conséquence dans l'ordre juridique canadien. Dans ce dernier contexte, la Reine est le symbole incarné de la souveraineté canadienne et, comme il ne peut y avoir d'État dans l'État, la souveraineté est indivisible dans son principe749. [Notre soulignement]

746 Id., p. 13-14 (Lord May). 747 Attorney-General for the United-Kingdom v. Wellington Newspaper Ltd, [1988] 1 NZLR 129 (HC and CA), p. 20-24. La décision est d’autant plus importante que la Nouvelle-Zélande retenait encore à l’époque les appels au Comité judiciaire. 748 D. KEESHAN, préc., note 39. Voir aussi : J.-Y. MORIN et J. WOEHRLING, préc., note 34, p. 383-384: « La Conférence de 1926 établit également qu'il convenait désormais de distinguer entre le Roi (ou la Reine) agissant d'une part, comme Souverain de Grande-Bretagne et, d'autre part, comme Souverain du Canada, bien qu'il s'agisse d'une seule et même personne »; P. W. HOGG, préc., note 33, p. 302-303; H. BRUN et G. TREMBLAY, préc., note 31, p. 77 et 364, voir la citation supra, p. 158. 749 N. DUPLÉ, préc., note 32, p. 224.

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Le gouvernement fédéral partageait ce point de vue. Dans une publication en ligne, il a affirmé que:

La reine Elizabeth II est le premier monarque proclamé distinctement Souverain du Canada. La proclamation confirme le statut du nouveau monarque comme reine du Canada, indépendamment de son rôle de reine du Royaume-Uni et des autres royaumes du Commonwealth750. [Notre soulignement]

Les travaux de Cox, axés sur les symboles (honneurs, armoiries) et l’exercice de la prérogative, et centrés principalement sur la Nouvelle-Zélande, reconnaissent la divisibilité de la Couronne751. Il résume, à juste titre, le processus d’établissement de cette dernière ainsi :

The development of the concept of the divisible Crown came about as the Dominions obtained control of the prerogative. One king, several kingdoms gradually became several distinct kingships. This was not as the result of any conscious policy decision, but merely as a result of the natural evolution of domestic laws and practices in the absence of an insistence on uniformity by the imperial authorities. Thus in 1936 South Africa asserted its independence by insisting that the king owed his title to local rather than imperial law, and asserted this successfully752. [Notre soulignement]

Ce qui a disparu à l’échelle de l’Empire s’est néanmoins préservé au Canada. La Couronne canadienne est donc indivisible753. Paul Lordon, dans son ouvrage édité sous les auspices du ministère fédéral de la Justice, écrit :

Bien que l'on ne puisse plus affirmer que la Couronne du chef du Canada et la Couronne du chef du Royaume-Uni sont indivisibles, la notion de l'indivisibilité a été préservée au Canada754.

Suivant cette logique, dans l’hypothèse où une province canadienne faisait sécession de la fédération, sa Couronne deviendrait distincte de celle du Canada.

Récemment, dans R (on the application of Quark Fishing Ltd) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs755, la Chambre des Lords a eu à

750 GOUVERNEMENT DU CANADA, préc., note 688. 751 Voir les références supra, note 46. 752 N. COX, « The control of advice to the Crown and the development of executive independence in New Zealand », préc., note 46, 188. 753 Voir aussi : supra, p. 75. 754 P. LORDON, préc., note 160, p. 35.

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réexaminer la question de la divisibilité de la Couronne en droit britannique contemporain, sur fond d’application de la Convention européenne des droits de l’homme756 et du Human Rights Act757 de 1998 aux territoires dépendants du Royaume-Uni. Il s’agissait en l’espèce d’une demande en dommages dirigée contre la Couronne britannique par des pêcheurs qui s’étaient fait refuser illégalement leur permis de pêche dans la zone maritime des South Georgia and South Sandwich Islands, un British Overseas Territory situé en Antarctique sans population, sauf une poignée de scientifiques qui y séjournent temporairement. La majorité des juges en sont venus à la conclusion que l’illégalité commise, même par un ministre britannique qui avait donné avis à l’Administration locale, l’a été en définitive par la Reine des South Georgia and South Sandwich Islands, et non par la Reine du Royaume-Uni. La Chambre des Lords a convenu à l’unanimité que des dommages ne pouvaient de toute manière être octroyés pour l’illégalité commise.

Pour Lord Bingham of Cornhill, la divisibilité de la Couronne survenait dès la constitution d’un gouvernement local, même sans parlement, sans gouvernement responsable et malgré l’autorité ultime du Parlement impérial758. Les pouvoirs de la Reine, même exercés par l’entremise d’un ministre britannique, étaient en droit strict ceux de la Reine du territoire en question, et non ceux de la Reine du Royaume-Uni. Il écrit:

Such power and authority can be exercised only by the Queen, who in this context is (and is only) the Queen of SGSSI. It is in my view correct in constitutional theory to regard the Secretary of State as her mouthpiece and medium759.

Selon cette interprétation fort audacieuse de Lord Bingham of Cornhill, il n’y aurait indivisibilité de la Couronne que s’il n’y a aucun autre gouvernement local que le

755 R (on the application of Quark Fishing Ltd) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [2005] UKHL 57. 756 First Protocol to the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms 1950 (Rome, 4 November 1950; TS 71 (1953); Cmnd 8969). 757 Human Rights Act 1998, 1998, c. 42 (R.-U.). 758 R (on the application of Quark Fishing Ltd) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, préc., note 755, notamment aux par. 4 et 17 (Lord Bingham of Cornhill). 759 Id., par. 12 (Lord Bingham of Cornhill).

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gouvernement britannique lui-même760. Si cette théorie peut raisonnablement être appliquée aux pouvoirs de la Couronne ou à ses obligations, elle atteint toutefois sa limite lorsqu’il est question de ses propriétés. Par exemple, il est difficile de concevoir qu’un navire de la Royal Navy parti en exercice autour des South Georgia and South Sandwich Islands devienne propriété de la Couronne locale lors de sa traversée de l’Atlantique.

Pour Lord Hoffmann et Lord Hope of Craighead761, l’affaire Quark mettait davantage en cause la divisibilité gouvernementale établie dans Attorney-General v. Great Southern and Western Railway Company of Ireland762, que nous avons appelé la divisibilité fonctionnelle de la Couronne763.

Pour Lord Nicholls of Birkenhead, la question de la divisibilité et de la capacité dans laquelle le ministre britannique fautif a agi n’a pas de pertinence en l’espèce764.

Finalement, pour la Baroness Hale of Richmond, il n’y a pas de divisibilité de la Couronne britannique par rapport à ce territoire. Selon elle, et à juste titre selon nous, il faut distinguer la situation juridique canado-britannique (dans laquelle la divisibilité formelle de la Couronne est reconnue), de celle d’un territoire gouverné par le Royaume-Uni, dont le seul gouvernement est constitué d’un commissaire nommé par la Reine sur avis de son gouvernement à Whitehall, et d’un directeur des pêches, tous deux à temps partiel, fonctionnaires britanniques de carrière et résidants en dehors du territoire (aux îles Falklands)765. Elle écrit:

In those circumstances, to maintain the strict separation between Her Majesty as Queen of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and Her Majesty as Queen of South Georgia and the South

760 Id., par. 19 (Lord Bingham of Cornhill). 761 Id., par. 57 (Lord Hoffmann) et par. 72-76 (Lord Hope of Craighead). 762 Attorney-General v. Great Southern and Western Railway Company of Ireland, préc., note 369. Voir aussi les motifs minoritaires de Lord Kerr dans The Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, préc., note 250. 763 Voir : supra, p. 76 et suiv. 764 R (on the application of Quark Fishing Ltd) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, préc., note 755, par. 45 (Lord Nicholls of Birkenhead). 765 Id., par. 95 (Baroness Hale of Richmond).

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Sandwich Islands does indeed, as the Court of Appeal said ([2004] EWCA Civ 527 at [50], [2005] QB 93 at [50]), look like the 'abject surrender of substance to form'766.

Rétrospectivement, la théorie de Lord Bingham of Cornhill, qui renverse la règle de l’indivisibilité de la Couronne britannique, aurait eu pour effet de créer une Couronne du Québec dès la création d’un gouvernement local par la Proclamation royale de 1763767.

Finalement, en 2016, dans Motard, la Cour supérieure du Québec a reconnu la divisibilité de la Couronne. Le juge Bouchard écrit :

C'est donc à partir de 1931 qu'apparaît l'existence d'une Couronne canadienne séparée de la Couronne britannique, à savoir un chef d'État distinct malgré que les deux États désignent la même personne physique768.

La Cour a cependant reconnu une règle de symétrie entre ces Couronnes769, laquelle subordonne la dévolution de la Couronne canadienne à celle du Royaume-Uni.

2.3.5 De la Loi de 1982 sur le Canada à la Loi de 2013 sur la succession au trône : l’autonomie du droit canadien relatif à la Couronne?

2.3.5.1 La Loi de 1982 sur le Canada et la fin de la compétence du Parlement impérial dans les anciens Dominions

Malgré l’avènement de la divisibilité formelle de la Couronne, le Parlement impérial demeurait le pouvoir constituant ultime sur le Canada. C’était donc que la Couronne britannique (la Reine-en-Parlement) avait toujours compétence sur le Canada. D’un autre point de vue, à suivre la majorité de la Chambre des Lords dans Quark770, la Reine n’agissait alors que comme Reine du Canada, c’est-à-dire

766 Id., par. 95 (Baroness Hale of Richmond). 767 Proclamation royale de 1763, reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, no 1. 768 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 67 (le juge Bouchard). 769 Voir : supra, p. 72 et suiv. et infra, p. 170 et suiv. 770 R (on the application of Quark Fishing Ltd) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, préc., note 755. Dans cette affaire, la Chambre des Lords a jugé que la Reine ne pouvait agir que comme Reine des South Georgia and South Sandwich Islands, en vertu des pouvoirs

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par les pouvoirs qui lui étaient conférés par le droit constitutionnel canadien. Quoi qu’il en soit, ce dernier lien est tombé en 1982.

À ce moment, les deux chambres du Parlement fédéral ont voté une résolution commune demandant à Sa Majesté (dans ce contexte, le gouvernement britannique) de bien vouloir déposer dans les chambres du Parlement impérial un projet de loi tel que rédigé par les parlementaires fédéraux771. Le Parlement impérial a alors édicté la Loi de 1982 sur le Canada772. L’annexe B de cette loi a pour titre Loi constitutionnelle de 1982 et comprend essentiellement la Charte canadienne des droits et libertés, des droits pour les peuples autochtones ainsi qu’une procédure de modification constitutionnelle. Le corps de la Loi de 1982 sur le Canada est traduit en français en annexe A. L’ensemble de la Loi de 1982, y compris les annexes, a force de loi au Canada773, tandis que seul le corps de cette dernière (composé de seulement quatre articles) a force de loi au Royaume-Uni. Ce corps est entré en vigueur, tant au Canada qu’au Royaume-Uni, au moment de la sanction royale le 29 mars 1982. L’annexe B, quant à elle, allait entrer en vigueur à une date ultérieure à être fixée par proclamation. L’article premier du corps de la Loi de 1982 renvoyait en effet aux dispositions de l’annexe B pour l’entrée en vigueur de cette dernière, et son article 58 édicte que :

Sous réserve de l’article 59, la présente loi entre en vigueur à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada774.

C’est pourquoi Elizabeth II, accompagnée de Pierre-Elliot Trudeau et de Jean Chrétien, respectivement premier ministre du Canada et procureur général, a signé une proclamation devant l’édifice du Parlement fédéral le 17 avril 1982. Cette proclamation édicte que l’entrée en vigueur de l’annexe B, la Loi constitutionnelle de 1982, a lieu immédiatement. Si c’est peut-être la Reine du Royaume-Uni qui a sanctionné la Loi de 1982 sur le Canada le 29 mars, c’est la Reine du Canada qui octroyés par le droit local, même si elle suivait l’avis d’un ministre britannique. Voir : supra, p. 164 et suiv. 771 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, préambule, par. 1. 772 Id. 773 Id., art. 1 et 3 et al. 52 (2) a) de l’annexe B. 774 Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16, art. 58.

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a fait l’acte de mise en vigueur de son annexe B le 17 avril 1982, une annexe qui ne s’applique qu’au Canada. La sanction du 29 mars 1982 était donc la dernière intervention de la Reine du Royaume-Uni sur le Canada.

L’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada édicte qu’à partir du 17 avril 1982, le Parlement impérial abdique sa compétence sur le Canada:

No Act of the Parliament of the United Kingdom passed after the Constitution Act, 1982 comes into force shall extend to Canada as part of its law775.

Pour ce qui nous occupe, le « rapatriement » signifie donc deux choses : la fin de la compétence du Parlement impérial de légiférer pour le Canada, et le remplacement de toutes les procédures de modification constitutionnelle antérieures par une nouvelle procédure. En 1982, Hogg écrivait:

The leading features of the constitutional resolution in the (second) version in which it reached the Supreme Court of Canada (and in its third and presumably final version) were as follows : (1) new amending formulas which would enable the British North America Act (to be renamed the Constitution Act) to be amended in future without resort to the United Kingdom; (2) the relinquishment by the United Kingdom Parliament of its residual power to legislate for Canada (this is the "patriation" of the constitution)776.

La Cour suprême faisait une remarque analogue à l’occasion du Renvoi sur l’opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution:

La Loi constitutionnelle de 1982 est maintenant en vigueur. Sa légalité n’est ni contestée ni contestable. Elle prévoit une nouvelle procédure de modification de la Constitution du Canada qui remplace complètement l’ancienne tant du point de vue juridique que conventionnel. C’est pourquoi, même en supposant que le consentement du Québec était conventionnellement requis dans l’ancien système, cette règle serait désormais sans objet ni effet777. [Notre soulignement]

775 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2. 776 Peter HOGG, « Constitutional Law – Amendment of the British North America Act – Role of the Provinces », (1982) 60 R. du B. can. 307, 309. Voir aussi : H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 31, par. IV.110, VIII.131 et VIII.132. 777 Renvoi sur l’opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793, 806, (per curiam). Voir aussi : Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 104, par. 32 (per curiam).

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L’article 2 a donc scellé une fois pour toutes l’indépendance du Canada et de sa Couronne en mettant fin à la compétence du Parlement britannique de les régir. « Le dernier signe de soumission, le besoin de recourir au Parlement britannique pour modifier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique778 » avait disparu. L’article 4 du Statut de Westminster a également été abrogé pour ce qui est du droit canadien779. Le droit impérial peut, dorénavant, être modifié au Canada suivant le partage des compétences législatives, ou les procédures de modification constitutionnelle de la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, suivant le caractère véritable de la règle visée780.

Le Parlement impérial a également abdiqué son pouvoir sur l’Australie en 1986. À cette occasion, il a édicté:

No Act of the Parliament of the United Kingdom passed after the commencement of this Act shall extend, or be deemed to extend, to the Commonwealth, to a State or to a Territory as part of the law of the Commonwealth, of the State or of the Territory781.

Le Parlement de la Nouvelle-Zélande, qui est un État unitaire à souveraineté parlementaire (comme le Royaume-Uni), a lui-même supprimé la compétence du Parlement impérial sur son territoire cette même année:

No Act of the Parliament of the United Kingdom passed after the commencement of this Act shall extend to New Zealand as part of its law782.

Par conséquent, aujourd’hui, comme Twomey le remarque, l’article 4 du Statut de Westminster n’est plus en vigueur nulle part, hormis au Royaume-Uni même. Le Parlement impérial a donc perdu son pouvoir de légiférer uniformément sur la Couronne à l’échelle de l’Empire. Elle écrit:

778 Renvoi : résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 802 (le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mcintyre, Chouinard et Lamer). 779 Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16, annexe, par. 17. 780 P. W. HOGG, préc., note 44, p. 1-12. 781 Australia Act 1986, préc., note 138, art. 1. 782 Constitution Act 1986, préc., note 138, par. 15(2).

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Hence the statutory provision [l’art. 4 du Statut] which […] would have allowed a change in the United Kingdom’s law of succession to the throne to extend to a Dominion as part of its law is no longer operative in any part of the world783.

Les références à la Couronne impériale contenues au préambule du Commonwealth of Australia Constitution Act, 1900784, similaires à celles contenues au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867785, doivent céder le pas à l’incompétence législative de Westminster sur la Couronne australienne consacrée par la loi de 1986, selon le plus haut tribunal de ce pays. Le juge en chef Gleeson et les juges Gummow et Hayne écrivent:

The phrases "under the Crown" in the preamble to the Constitution Act and "heirs and successors in the sovereignty of the United Kingdom" in covering cl 2 involve the use of the expression "the Crown" and cognate terms in what is the fifth sense. This identifies the term "the Queen" used in the provisions of the Constitution itself, to which we have referred, as the person occupying the hereditary office of Sovereign of the United Kingdom under rules of succession established in the United Kingdom. The law of the United Kingdom in that respect might be changed by statute. But without Australian legislation, the effect of s 1 of the Australia Act would be to deny the extension of the United Kingdom law to the Commonwealth, the States and the Territories786 [l’Australie]. [Notre soulignement]

Suivant l’Australia Act, 1986787, les modifications contemporaines au droit britannique n’ont donc aucun effet quant à la Couronne australienne.

2.3.5.2 La réforme de 2013 des règles de dévolution des Couronnes des anciens Dominions et du Royaume-Uni

Ce cadre juridique, établi en 1982 d’un point de vue canadien et en 1986 d’un point de vue australien ou néo-zélandais, est mis à l’épreuve depuis 2011, alors que les

783 Anne TWOMEY, « Changing the Rules of Succession to the Throne » (2011) Sydney Law School Research Paper no 11/71, p.10. 784 Commonwealth of Australia Constitution Act, 1900, préc., note 550, préambule. Voir aussi : supra, note 550. 785 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule, par. 1. 786 Sue v. Hill, [1999] H.C.A. 30, par. 93 (le juge en chef Gleeson et les juges Gummow et Hayne). 787 Australia Act 1986, préc., note 138, art. 1.

170

royaumes du Commonwealth ont négocié, lors du sommet de Perth, diverses modifications aux règles de dévolution de leur Couronne respective788.

En 2013, les Parlements britannique, australiens et néo-zélandais ont mis en œuvre ces modifications dans leur droit789. Premièrement, la règle de common law de la primogéniture masculine est limitée aux personnes nées le ou avant le 28 octobre 2011790. La primogéniture simple régira les personnes nées après, ce qui veut dire que le premier né succède sans discrimination entre les hommes et les femmes. Deuxièmement, la dévolution de la Couronne (demise of the Crown) n’est plus provoquée par le mariage du monarque avec un catholique romain, mais le souverain ne peut toujours pas être catholique791. À cette fin, le Bill of Rights, 1689792, l’Act of Settlement, 1701793, l’Union with Scotland Act, 1706794, entre autres, sont modifiés. Troisièmement, le Royal Marriages Act, 1772795, est abrogé et remplacé par de nouvelles dispositions ne s’appliquant qu’aux six premiers successibles à la Couronne796. Sous ce nouveau régime, les personnes qui font défaut d’obtenir le consentement requis à leur mariage, et leurs descendants, sont exclus de la succession royale. À cet égard, la loi australienne effectue un renvoi statique à l’article 3 de la loi britannique797, tandis que la loi néo-zélandaise édicte

788 « Statement of Friday 28 October 2011 », préc., note 20; Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19, préambule, par. 2, cité infra, note 829. 789 Succession to the Crown Act, 2013, c. 20 (R.-U.); Succession to the Crown Act 2015, préc., note 267 (Australie); Succession to the Crown (Request) Act 2013 (New South Wales); Succession to the Crown (Request) Act 2013 (Tasmania); Succession to the Crown Act 2013 (Queensland); Succession to the Crown (Request) Act 2013, Act no 60/2013 (Victoria); Succession to the Crown (Request) Act 2014, Act no 3 of 2014 (South Australia); Succession to the Crown Act, 2015 (Western Australia); Royal Succession Act, préc., note 268 (N.-Z.). Pour le droit antérieur, voir : supra, p. 27 et suiv. 790 Succession to the Crown Act, préc., note 789 (R.-U.), art. 1; Succession to the Crown Act 2015, préc., note 267 (Australie), art. 6; Royal Succession Act, préc., note 268 (N.-Z.), art. 5. 791 Succession to the Crown Act, préc., note 789 (R.-U.), par. 2(1) et annexe 2; Succession to the Crown Act 2015, préc., note 267 (Australie), art. 7 et annexe 1, art. 1 à 6; Royal Succession Act, préc., note 268 (N.-Z.), art. 6, 10 et 11. 792 Bill of Rights, 1689, préc., note 188. 793 Act of Settlement, 1701, préc., note 15. 794 Union with Scotland Act, 1706, préc., note 190. 795 Royal Marriages Act, 1772, préc., note 192. 796 Succession to the Crown Act, préc., note 789 (R.-U.), art. 3; Succession to the Crown Act 2015, préc., note 267 (Australie), art. 8, et annexe 1, art. 8; Royal Succession Act, préc., note 268 (N.-Z.), art. 8 et 12. 797 Succession to the Crown Act 2015, préc., note 267 (Australie), art. 8: « A person is disqualified from succeeding to the Crown if the person is disqualified by subsection 3(3) of the Succession to

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une délégation oblique à la Reine du Royaume-Uni pour les fins de l’octroi du consentement798.

Contrairement à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande, le Canada n’a pas transposé en droit canadien les termes de l’accord de Perth : il a laissé un autre Parlement, celui de Westminster, le faire à sa place. En effet, la doctrine de l’ « implied incorporation », proposée par le premier ministre britannique Stanley Baldwin et rejetée par Mackenzie King en 1936799, a été « ressuscitée » par le gouvernement fédéral et théorisée par une partie de la doctrine sous les vocables « reconnaissance automatique » ou « symétrie »800. C’est sur cette base, l’application automatique à la Couronne canadienne des changements britanniques, qu’a été édictée la Loi de 2013 sur la succession au trône801. Cette loi ne procède pas explicitement à la modification du droit canadien, elle se limite à exprimer l’assentiment conventionnel du Parlement fédéral au projet de loi britannique802, suivant le 2e considérant du préambule du Statut de Westminster.

Cette règle de symétrie existe-t-elle en droit canadien, et ce malgré l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada? La question est controversée, et elle fait actuellement l’objet d’un pourvoi en Cour d’appel du Québec803, mais comme elle heurte au moins une partie de l’indépendance de la Couronne canadienne, quelques remarques s’imposent.

the Crown Act 2013 of the United Kingdom, as in force at the commencement of this section, from succeeding to the Crown in right of the United Kingdom » [Notre soulignement]. Ce renvoi est statique puisqu’il n’incorpore pas les modifications futures au droit britannique en la matière. 798 Royal Succession Act, préc., note 268 (N.-Z.), art. 8: (1) A person who, after the changeover, proposes to marry, and who immediately before marrying is one of the 6 people next in the line of succession to the Crown, must obtain before marrying the consent to the marriage concerned of the Sovereign in right of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland. (2) The effect of a person’s failure to comply with subsection (1) is that the person and the person’s descendants from the marriage concerned are excluded from succeeding to the Crown. [Notre soulignement] 799 Voir : supra, p. 122 et suiv. 800 Voir les auteurs nommés supra, p. 72 et suiv. 801 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19; R. NICHOLSON, préc., note 62, 8; P. W. HOGG, préc., note 65. 802 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19, art. 2. 803 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11.

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Il faut dire d’emblée qu’il y a une certaine récurrence dans la résurgence de cette thèse de la symétrie. Elle apparaît systématiquement pour faire obstacle à des lois limitant, dans le cas du Statut de Westminster de 1931, ou éliminant, dans le cas de la Loi de 1982 sur le Canada, la compétence du Parlement impérial. Il est vrai que l’Empire était beaucoup plus flexible au temps de la souveraineté de ce Parlement, mais cette flexibilité a dû disparaître pour permettre l’avènement de l’égalité de statut et l’indépendance des anciennes colonies britanniques804.

Voyons tour à tour les décisions canadiennes pouvant soutenir ou non une règle de la symétrie.

En 2003, dans O’Donohue, la Cour supérieure de l’Ontario rendait une décision, entièrement confirmée par la Cour d’appel, selon laquelle la Charte canadienne était inapplicable aux règles de dévolution de la Couronne. La question a été considérée non justiciable805, et le juge Rouleau a conclu qu’en plus d’avoir été introduites en droit canadien806, les règles sur la succession royale contenues à l’Act of Settlement font partie de la Constitution supralégislative du Canada807. Partant, la Charte ne pouvait les invalider808. Le tribunal a également déclaré que si un tribunal canadien rendait un jugement contraire, cela briserait l’harmonisation de la succession royale avec le reste du Commonwealth, désirée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et le préambule du Statut de Westminster809. Il a comparé ce dernier à un traité par lequel les membres du Commonwealth partagent un même monarque sous les règles existantes et se sont engagées à ne pas en changer les règles sans l’accord des autres membres810. Il a ajouté que le désir de maintenir cette harmonisation a été manifesté par la modification du droit canadien lors de l’abdication d’Édouard VIII, et que sans une telle modification, celle-ci aurait été inapplicable au Canada : « Arguably, without this statute,

804 D. LINO, préc., note 248, 767 : « […] constitutional flexibility was an incident of parliamentary sovereignty ». 805 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 39 (le juge Rouleau). 806 Id., par. 3 (le juge Rouleau). Voir citation supra, p. 53. 807 Id., par. 24 (le juge Rouleau). 808 Id., par. 25 (le juge Rouleau). 809 Id., par. 21 et 31-33 (le juge Rouleau). 810 Id., par. 33 (le juge Rouleau), cité supra, note 658.

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Edwards VIII's abdication would not have been effective in respect of the Crown of Canada811 ». À la lumière de cet arrêt, l’harmonisation des règles de succession royale pourrait donc être une obligation de nature conventionnelle. Le juge Rouleau a aussi affirmé, à juste titre, que: « A constitutional monarchy, where the monarch is shared with the United Kingdom and other Commonwealth countries, is, in my view, at the root of our constitutional structure812 ». Soulignons que, tout comme le gouvernement responsable, l’union personnelle avec le reste du Commonwealth peut être essentielle à notre structure constitutionnelle, mais demeurer conventionnelle. En définitive, le juge Rouleau, dans l’arrêt O’Donohue, ne tranche pas directement cette question, si ce n’est que de manière incidente. Il se concentre sur la question principale et affirme que la Charte canadienne ne peut s’appliquer aux règles de succession royale puisque ces dernières ont le même rang dans la hiérarchie des normes au Canada.

Dans Teskey, la même question que dans O’Donohue s’est à nouveau posée, mais cette fois à l’occasion de l’adoption de la Loi de 2013 sur la succession au trône813. La Cour d’appel d’Ontario a rendu, essentiellement, le même jugement814. L’affaire avait alors, en quelque sorte, déjà été jugée. Cependant, les règles de succession avaient ou allaient être modifiées dans le droit des autres royaumes du Commonwealth. Et donc la question de la nature formelle ou conventionnelle de la symétrie demeurait toujours sans réponse: si « the same rules of succession must apply for the selection of the King or Queen of Canada and the King or Queen of Great Britain815 », qui peut ou qui doit alors modifier ces règles dans l’ordre juridique canadien? Comme ce mémoire se garde autant que possible d’étudier la procédure de modification constitutionnelle au Canada816, limitons-nous à analyser la compétence de Westminster de modifier, directement ou par faits interposés, les règles applicables à la Couronne canadienne (c’est-à-dire la symétrie).

811 Id., par. 34 (le juge Rouleau). 812 Id., par. 21 (le juge Rouleau). 813 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19. 814 Teskey v. Canada (Attorney General), préc., note 9. 815 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 36 (le juge Rouleau). 816 Voir : supra, p. 7.

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Dans Motard, la question de la procédure de modification, comme celle de l’existence d’une règle formelle de reconnaissance automatique, a été directement soumise à la Cour supérieure du Québec. Sous la plume du juge Bouchard, la Cour a conclu à l’existence de la règle de symétrie. Pour le tribunal, la seule autorité formelle sur la désignation du souverain du Canada se trouve dans les limites du territoire britannique. La seule procédure qui demande l’assentiment du Canada est conventionnelle817. La symétrie soumet donc formellement la Couronne canadienne au Royaume-Uni, soit en reconnaissant, pour reprendre la formule du juge Bouchard, « que quiconque est Roi ou Reine du Royaume-Uni est Roi ou Reine du Canada, ainsi que [le principe] d'une succession héréditaire déterminée par le Royaume-Uni818 ». Cela dit, le juge ne tranche pas la question de savoir si ce sont les faits politiques ou le droit britannique qui sont reconnus automatiquement en droit canadien.

Finalement, le jugement est silencieux sur les motifs qui rendent l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada819 inapplicable en la matière820. Cet article prohibant la modification du droit canadien par le Parlement impérial après le 17 avril 1982, l’on doit conclure que ce seraient, comme le Procureur général du Canada le plaidait dans cette affaire821, les faits existants au Royaume-Uni qui gouvernent la désignation de notre chef d’État. Cela est manifestement un contournement de l’esprit de l’article 2, si ce n’est de sa lettre, puisque cette règle non écrite de symétrie permet à Westminster de régir le Canada relativement à des matières qui sont ultra vires des Parlements fédéral et provinciaux du Canada pris individuellement. En effet, si le juge considère que la Charte canadienne est inapplicable à la succession royale, c’est donc que ces règles sont elles aussi supralégislatives et modifiables suivant l’une des procédures complexes figurant à

817 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11. 818 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11. 819 Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 16, art. 2, cité supra, p. 168. 820 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11. 821 « Complément au plan d’argumentation du Procureur général du Canada », préc., note 22, par. 10, cité supra, p. 21.

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la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982822. Par conséquent, il y aurait bel et bien un pouvoir constituant sur le Canada qui demeurerait dans les îles britanniques. Cela ramènerait le Canada à une époque antérieure à 1931 : une simple convention lie le Parlement britannique alors qu’il légifère sur les institutions canadiennes, et il n’a pas à obtenir la requête et le consentement formels du fédéral comme l’article 4 du Statut de Westminster l’exigeait823. Surtout, cela heurte la primauté du droit, car ce n’est plus « le droit qui fait le Roi824 », ce sont les « faits » politiques au Royaume-Uni. De monarchie constitutionnelle, le Canada passe à une monarchie « factuelle »825, ce qui renverse les principes fondamentaux de la Constitution britannique sur lesquels le pays est pourtant fondé826. À terme, la question de l’existence d’une règle de symétrie sera tranchée par la Cour d’appel du Québec.

Finalement, si la règle formelle de symétrie n’est pas retenue, la question de savoir si la convention d’harmonisation des règles de la succession royale a survécu au « rapatriement » de la Constitution se pose. Il faut rappeler que celle relative aux titres royaux est tombée depuis les années 1950827. En 1982, la Cour suprême affirmait que les conventions entourant le Statut de Westminster n’ont plus de pertinence depuis l’édiction de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour écrivait en effet que cette loi « prévoit une nouvelle procédure de modification de la Constitution du Canada qui remplace complètement l’ancienne tant du point de vue juridique que conventionnel828 ». Cependant, il serait assez drastique de ne plus reconnaître de portée à une convention respectée depuis 1931, envers

822 Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), préc., note 310, 389 (la juge McLachlin). Les procédures de modification constitutionnelle complexes sont contenues dans les articles 38 à 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 16. 823 Voir : supra, note 817. 824 Voir la citation de Bracton : supra, p. 28. 825 « Argumentation », Mémoire des parties appelantes, préc., note 30, par. 16-18. 826 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 24, préambule, par. 1; A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 344. 827 Voir : supra, p. 156. 828 Renvoi sur l’opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, préc., note 777, 806, (per curiam), cité plus longuement supra, p. 168.

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laquelle le sentiment d’être lié a été réitéré à Perth en 2011829, et qui demeure un élément important à la pertinence de la monarchie au Canada.

829 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19, préambule, par. 2 : « que les représentants des royaumes dont Sa Majesté est la souveraine ont convenu, le 28 octobre 2011, de modifier les règles de succession et de possession visant leur couronne respective ».

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Conclusion

Le cadre juridique régissant la Couronne au Canada réside, c’est du moins ce que nous avons tenté de démontrer, dans une application des règles générales gouvernant le droit public ainsi que dans l’ordre juridique dans son ensemble. Pour le comprendre, il est fondamental de le distinguer des conventions constitutionnelles, même s’il faut toujours garder ces dernières à l’esprit (supra, p. Erreur ! Signet non défini. et suiv.). Depuis les premiers établissements de l’Amérique du Nord britannique, ce droit a bien sûr évolué, mais toujours suivant le principe de primauté du droit. C’est donc dire que la Couronne a toujours été, au Canada, encadrée par le droit, et que ce droit a toujours été modifié par les organes compétents à le faire légalement. Aussi, les règles de droit (common law et lois impériales) qui n’ont à ce jour pas été modifiées demeurent toujours applicables. En filigrane de ces développements figure la maxime de Bracton: « the King himself ought not to be subject to man, but subject to God and to the law, for the law makes the King830 ». C’est donc dire que l’autorité royale est fondée sur le droit positif (supra, p. 28 et suiv.).

Il ne faut pas oublier que le droit relatif à la Couronne a été introduit au Canada, que ce soit par la réception du droit public d’Angleterre ou par l’application de leur propre force (ex proprio vigore) des lois du Parlement impérial (supra, p. 49 et suiv.). Des débuts de la colonisation jusqu’au Statut de Westminster de 1931, les règles constitutives applicables par leur propre force ne pouvaient être modifiées par les parlements locaux, et ce, par l’effet de la common law, puis par le Colonial Laws Validity Act, 1865 (supra, p. 51 et suiv. et 67 et suiv.). La common law prévoyait alors aussi que la Couronne impériale britannique était une et indivisible (supra, p. 55 et suiv.). Cette indivisibilité de principe était tempérée par une forme de divisibilité fonctionnelle entre les gouvernements de Sa Majesté dans les différentes colonies et dans le Royaume-Uni, qui a permis à ces dernières d’exercer une autonomie partielle (supra, p. 76 et suiv.). L’Union fédérale de 1867 n’a rien changé à cet aspect du droit. Par l’effet du préambule et des articles 9 et

830 R. BLACKBURN, préc., note 147, à la note 9.

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129 de la Loi constitutionnelle de 1867, le droit relatif à la Couronne et à la charge de Reine a été maintenu lors de l’Union (supra, p. 61 et suiv.).

C’est sur le plan conventionnel que les premières évolutions sont survenues. Traditionnellement, la Reine ou ses gouverneurs n’agissaient que de l’avis et du consentement des ministres britanniques, sauf dans les matières sur lesquelles les colonies avaient obtenu le self-government (supra, p. 85 et suiv.). C’est seulement après la Première Guerre mondiale que cette pratique a été profondément modifiée.

Depuis des évolutions négociées et reconnues lors de conférences impériales, Sa Majesté n’obéit qu’à ses ministres canadiens concernant les affaires canadiennes: c’est la divisibilité conventionnelle de la Couronne. Parmi ces conférences, celle de 1926 a reconnu, par la célèbre Déclaration Balfour, l’égalité entre le Canada et le Royaume-Uni (supra, p. 88 et suiv.). La divisibilité conventionnelle répond donc au principe d’égalité des royaumes du Commonwealth. Sa Majesté ne doit suivre, relativement à un royaume, que l’avis de son gouvernement responsable dans ce royaume. Ainsi, quand Sa Majesté, ou ses représentants, agissent pour le Canada, ils ne suivent l’avis que des gouvernements fédéral et provinciaux du Canada, suivant le partage des compétences (supra, p. 84 et suiv.).

Sur le plan juridique, à partir de 1931, l’article 7 du Statut de Westminster a maintenu la supralégislativité de certains pans du droit relatif à la Couronne (supra, p. 113 et suiv.), tandis que l’article 2 a permis aux parlements canadiens d’en modifier d’autres (supra, p. 104 et suiv.). Par l’effet de l’utilisation des prérogatives royales d’abord, et par le Statut de Westminster ensuite, la Couronne canadienne s’est juridiquement divisée de la Couronne britannique. La divisibilité formelle de la Couronne répond au principe d’indépendance, elle signifie que la Couronne du Canada est une entité juridique entièrement distincte de la Couronne du Royaume- Uni, car, d’une part, ces Couronnes peuvent agir de manière incompatible (de l’avis de ministres différents) et, d’autre part, ces Couronnes sont régies par des pouvoirs législatifs et constituants indépendants (supra, p. 98 et suiv.). Cette divisibilité formelle de la Couronne impériale a été confirmée par la loi impériale

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His Majesty’s Declaration of Abdication Act de 1936 (supra, p. 117 et suiv.), ainsi que par la doctrine, par des lois ordinaires, par des actes de l’exécutif (dont les titres royaux), ainsi que par la jurisprudence, ce qui a permis de rejeter définitivement la doctrine inter se sur l’indivisibilité de la Couronne impériale (supra, p. 136 et suiv.). Par le rejet de cette thèse, il a par ailleurs été établi que c’est le droit international qui régit l’essentiel des relations au sein du Commonwealth.

L’indépendance du Canada et de sa Couronne a été parachevée par l’édiction de la Loi de 1982 sur le Canada, qui a mis fin à l’autorité du Parlement impérial sur le Canada et a remplacé les procédures de modification constitutionnelle antérieures par celles de la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 (supra, p. 166 et suiv.). La modification du droit relatif à la Couronne, comme pour ce qui est du reste du droit impérial toujours en vigueur au Canada, est aujourd’hui effectuée suivant le partage des compétences législatives, ou les procédures de modification constitutionnelle de la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, suivant le contenu de la règle visée831 (supra, p. 169).

Pour l’essentiel, le cadre juridique et conventionnel canadien, que ce mémoire avait pour objectif d’étudier, confirme l’importance de la protection juridique accordée à l’indépendance de la Couronne du Canada. Cependant, la procédure de modification des règles constitutives de la Couronne  et l’existence même des règles de dévolution de la Couronne canadienne  suscitent encore la controverse. Bien que ces règles de droit soient toujours en vigueur en droit canadien832, la thèse de la symétrie  écartée en 1936  a récemment trouvé application dans les motifs de la Cour supérieure à l’occasion de la décision Motard, qui concerne la constitutionnalité de la Loi de 2013 sur la succession au trône833. Or, cette thèse de la symétrie, qui veut que le chef de la fédération canadienne soit automatiquement déterminé par le Royaume-Uni, a pour effet

831 P. W. HOGG, préc., note 44, p. 1-12. 832 O’Donohue v. Canada, préc., note 8, par. 3 (le juge Rouleau); P. W. HOGG, préc., note 65, 87. Ce dernier conclut toutefois à l’existence de la règle de symétrie. Contra: Motard c. Canada (Procureure générale), préc., note 11, par. 62 (le juge Bouchard). 833 Loi de 2013 sur la succession au trône, préc., note 19.

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d’occulter les règles constitutives de la Couronne canadienne et, par le fait même, d’en nier, en partie, l’indépendance. La thèse de la symétrie cherche, comme le dit Anne Twomey, à « dé-patrier » ces règles834. Si cette thèse était confirmée par les tribunaux d’appel, cela voudrait donc dire que le Canada n’a pas besoin de modifier son droit interne lorsqu’il est question de modifier ou d’abroger les règles qui encadrent la dévolution de la Couronne. Par l’effet de la symétrie, le Canada serait dépendant des autorités britanniques, car il serait soumis au droit contemporain qu’elles élaborent, soit directement (ce qui contredirait les termes de l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada), soit par les conséquences factuelles de ce droit (ce qui serait contraire au principe de primauté du droit). De ce point de vue, la modification de certains aspects essentiels de la Couronne canadienne relèverait  même après 1982  de la compétence du Royaume-Uni. Cela ne serait plus du ressort du droit canadien, car ce dernier devrait désormais s’effacer face aux nouvelles normes édictées dans les îles britanniques.

Suivant la symétrie, l’indépendance du Canada et de sa Couronne ne reposeraient que sur des conventions, ce qui heurte le caractère formel de l’indépendance canadienne, en plus de ramener le Canada à une période antérieure à 1931 où il ne pouvait s’opposer que politiquement aux choix du Parlement de Westminster, puisque l’article 4 du Statut n’est plus applicable en la matière depuis 1982. À la défense de cette thèse de la symétrie, Heard et Walters prétendent néanmoins que l’indépendance de la Couronne canadienne n’est pas heurtée, puisque le Canada conserve le pouvoir de modifier cette règle constitutionnelle non écrite qui formalise la symétrie, et ce, par le biais des procédures prévues à la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982835. Ainsi, selon Walters, les craintes pour

834 Anne TWOMEY, « The royal succession and the de-patriation of the Canadian Constitution », Constitutional Critique, The University of Sydney, en ligne : . 835 A. HEARD, préc., note 68, p. 6; M. D. WALTERS, préc., note 73, par. 52 : « [Traduction] Bien entendu, l’argument que je soutiens dans ces pages n’implique pas que le régime constitutionnel canadien soit à la merci des caprices du législateur britannique lorsqu’il s’agit de définir la Couronne. Si la Grande-Bretagne adoptait des règles de succession royale contraires aux valeurs constitutionnelles canadiennes voire abolissait la monarchie, il faudrait évidemment que le Canada modifie sa Constitution pour s’adapter aux nouvelles réalités. En fait, sous l’effet de la nécessité, la Constitution du Canada pourrait être remaniée par interprétation judiciaire de manière que, pendant la période de transition, les idéaux de légalité ou de règle du droit soient respectés et effectifs ».

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l’indépendance canadienne, quoiqu’elles puissent avoir été justifiées dans les années 1930, n’auraient plus de pertinence aujourd’hui836.

Il n’empêche qu’à la lumière de l’évolution constitutionnelle et des règles de droit constatées à l’occasion de ce mémoire837, il existe bel et bien une Couronne canadienne formellement indépendante. Or, si cette Couronne demeure en union personnelle avec les autres royaumes du Commonwealth, c’est, selon nous, sous l’effet de conventions constitutionnelles, de choix politiques, de traditions et de symboles. En effet, la convention, reconnue par le deuxième paragraphe du préambule du Statut de Westminster de 1931, exige le maintien d’une union personnelle entre les royaumes du Commonwealth, ou du moins entre ceux régis par le Statut (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada et Royaume-Uni) (supra, p. 166). Pour ce faire, toute modification des règles de dévolution de la Couronne de ces royaumes doit faire l’objet d’un assentiment mutuel.

L’union personnelle est donc un objectif ou un idéal politique que les royaumes du Commonwealth poursuivent librement, non seulement en fonction du principe d’égalité qui encadre leurs relations, mais aussi dans le respect de la primauté du droit interne de chacun de ces royaumes qui, formellement, consacre l’indépendance des anciens Dominions. Autrement dit, Sa Majesté n’est pas juridiquement Reine du Canada simplement parce qu’elle est Reine du Royaume- Uni, elle est Reine du Canada suivant le droit du Canada838. La primauté du droit, fondée sur la constitution et l’encadrement de la Couronne par le droit, ne peut reconnaître, selon nous, d’autres solutions.

836 M. D. WALTERS, préc., note 73, par. 50. 837 Ce constat est partagé par Anne Twomey: « It appears to be contrary to the historical record and to reverse what had been a well-accepted path of independence by the Realms under a divisible Crown »: A. TWOMEY, préc., note 78, à la page 320. 838 Frank MACKINNON, The Crown in Canada, Calgary, Glenbow-Alberta Institute, 1976, p. 78 et 79: « The sovereign of Canada is selected by automatically accepting the eldest son of the previous sovereign, or, where there is no son, the eldest daughter, or, where there are no children, the nearest heir in collateral line. Canada is not thereby choosing the sovereign of England to be, ipso facto, her sovereign. That person actually occupies several separate jobs, being sovereign, separately, of each of the nations that so acknowledge him or her. It is a simple and understandable process, and, except only in rare instances, it is one that causes no dispute about succession and no interruptions between reigns. And it is not just a matter of heredity. The parliament of each of the states may consent to or alter as it wishes the procedure by which the throne is occupied, the succession, and the powers and titles of the sovereign » [Notre soulignement].

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Bien entendu, le droit canadien ne sera définitivement établi sur la question que lorsque la Cour suprême aura à s’y pencher. Le Canada est, en quelque sorte, à un carrefour entre confirmer l’indépendance de sa Couronne, telle qu’établie et désirée par Mackenzie King, ou rétablir un certain lien juridique formel avec le Royaume-Uni en donnant effet, au Canada, à des dispositions législatives du Parlement de Westminster adoptées après 1982.

Certes, l’ambition de ce mémoire n’était pas d’analyser en long et en large les fondements et les conséquences de cette controversée règle non écrite de symétrie, mais bien plutôt d’examiner la trajectoire historique par laquelle s’est progressivement acquise l’indépendance de la Couronne canadienne. Or, nul doute que si la thèse de la symétrie était confirmée par les tribunaux d’appel dans Motard, cette dernière marquerait une forme de recul en ce qui concerne l’indépendance de la Couronne du Canada. La loi édictée par le Parlement impérial à l’occasion de la crise de l’abdication de 1936839, de même que l’article 2 de la Loi de 1982 sur le Canada, seraient écartés au profit d’une reconnaissance automatique en droit canadien de tous les changements contemporains et futurs qui surviendront au droit britannique sur la dévolution de la Couronne.

Si nous avons réussi à démontrer qu’il y avait, dans l’évolution constitutionnelle, une cohérence et une constance autour de l’indépendance d’une Couronne canadienne organisée et soumise au principe de la primauté du droit, d’autres recherches seront peut-être nécessaires afin d’étudier plus en profondeur les conséquences et la portée de la règle de symétrie. Outre la question de savoir si cette thèse marque un recul par rapport à l’indépendance du Canada et de sa Couronne, bien d’autres questions se posent sur la compatibilité de cette règle avec les principes constitutionnels fondamentaux que représentent notamment la primauté du droit et l’égalité de statut qui doit caractériser les relations entre les anciens Dominions et le Royaume-Uni.

839 His Majesty’s Declaration of Abdication Act, 1936, préc., note 86.

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Après tout, l’union personnelle que représente aujourd’hui le Commonwealth, du moins en ce qui concerne le Royaume-Uni et ses anciens Dominions régis par le Statut de Westminster de 1931 et demeurés des royaumes, est fondée sur un attachement commun à la primauté du droit ainsi que sur le principe d’égalité de statut entre les membres du Commonwealth. Pour illustrer ce principe, Sir Ivor Jennings allait jusqu’à dire, en son temps, que la Reine pourrait hypothétiquement déménager au Canada et nommer un gouverneur général pour exercer ses pouvoirs au Royaume-Uni840. Cela rend bien compte de l’égalité de statut entre ses royaumes. La monarchie et les règles qui la gouvernent ne sont plus aujourd’hui imposées à ces États à partir du Royaume-Uni. Il s’agit d’un héritage commun à tous, obtenu de par leur appartenance antérieure à l’Empire britannique, envers lequel ils doivent, depuis leur indépendance, assumer l’entière responsabilité. La nature du Commonwealth, en ce qui les concerne, puise toujours sa source dans la Déclaration Balfour de 1926 et le Statut de Westminster de 1931 : le Commonwealth les place dans un « statut égal », en « aucune façon » ne les subordonne, et les unit dans une libre association par une allégeance commune à la monarchie841.

840 I. JENNINGS, préc., note 49, p. 194: « This is a purely formal tie because the Queen is Queen of Canada, etc., as well as Queen of the United Kingdom, and in relation to Canada she always acts on the advice of her Canadian Ministers. Generally, in fact, the Governor-General of Canada acts on her behalf, and he is advised by Canadian Ministers in the same way as the Queen herself is advised by United Kingdom Ministers in the United Kingdom. It would theoretically possible for her to migrate to Canada and appoint a Governor-General for the United Kingdom » [Notre soulignement]. D’ailleurs, au moins depuis les années 1860, la jurisprudence reconnait que la Reine doit être considérée présente au Canada aux fins canadiennes, en l’espèce la compétence des tribunaux à l’égard d’une affaire intéressant les terres de la Couronne : In Re Holmes, (1861) 2 Johnson & Hemming 527, 70 E.R. 1167. 841 Déclaration Balfour de 1926, traduite et reproduite dans Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, préc., note 89, 790 (les juges Laskin, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer), citée supra, p. 91.

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842 Y compris la législation anglaise ou britannique reçue.

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WHEARE, Kenneth C. The Statute of Westminster and Dominion Status, London, Oxford University Press, 1953. Principales Questions de Droit, qui fe jugent diverfement dans les differents Tribunaux du Royaume, Paris, Emery, Pere & Fils, M. DCC. XVIII [orthographe d’époque].

e. Travaux universitaires non publiés

BERNIER-TRUDEAU, Mathieu. Corporations simple: La nature corporative de la charge royale canadienne assujettissant ses règles de succession au droit, note de recherche préparée dans le cadre du cours DRT-2204 : Recherche dirigée et rédaction d'écrits juridiques I sous la direction de Patrick Taillon, Université Laval, Hiver 2014 [non publiée].

HEARD, Andrew. « Dilemmas from Changes to the Royal Succession : Is There a Canadian Monarchy? », British Columbia Political Studies Association Annual Conference, présentée à l’Université de Colombie-Britannique, 2 mai 2013 [non publiée].

201

MOTARD, Geneviève. Le principe de personnalité des lois comme voie d’émancipation des peuples autochtones : analyse critique des ententes d’autonomie gouvernementale au Canada, Thèse en droit, Université Laval, Québec, 2013.

4. Fonds d’archives

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA. « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA. « Royalty - Royal Styles and Titles - July – December », R165-137-X-E, No MIKAN 1445069.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA. By the King [microform] : a proclamation, declaring His Majesty's pleasure concerning the royal stile and titles appertaining to the imperial crown of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, and its dependencies, and also the ensigns armorial, flags, and banners thereof / By the King, a proclamation, declaring what ensigns or colours shall be borne at sea in merchant ships or vessels belonging to any of His Majesty's subjects of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, and the dominions thereunto belonging dans “Great Britain. Sovereign (1760-1820 : George III)”, Mg. livres - Mic.F. CC-4 no. 49760, No AMICUS : 6750929.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA. Fonds Ernest Lapointe, « Edward VIII – Canada's constitutional position concerning the abdication », MG27-IIIB10, vol 49, no 30, R8207-2-3-F.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES CANADA. Prime Ministers' Fonds, « William Lyon Mackenzie King », MG26 J1, vol. 216.

GWYER, Sir Maurice. Memorandum by Sir Maurice Gwyer, Parliamentary Counsel to the UK Attorney-General, 23 November 1936, National Archives of Australia PRO: PREM 1/449.

NATIONAL ARCHIVES OF AUSTRALIA. « Crown Law Advice to the UK Government » (1936), PRO : DO 121/39.

202

NATIONAL ARCHIVES OF AUSTRALIA. « Royalty - Abdication of King Edward VIII – General » (1936-1937), NAA A461 V396/1/1.

5. Documents judiciaires

OLIVER, Peter C. « The Commonwealth, Constitutional Independence and Succession to the Throne », expertise dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17-018455- 139.

TWOMEY, Anne. « The laws of succession to the throne – Australia and Canada », expertise dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, o Cour supérieure, Québec, n 200-17-018455-139.

« Complément au plan d’argumentation du Procureur général du Canada » du 8 octobre 2015, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, Cour supérieure, Québec, no 200-17-018455-139.

Mémoire des parties appelantes, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureure générale du Canada, Cour d’appel du Québec, Québec, no 200-09-009233- 161.

Mémoire du mis en cause L’honorable Serge Joyal, dans le dossier Motard et Taillon c. Procureure générale du Canada, Cour d’appel du Québec, Québec, no 200-09-009233-161.

6. Documents gouvernementaux

CONSEIL DE RECHERCHE EN SCIENCES HUMAINES DU CANADA. Le droit et le savoir, Ottawa, Division de l’information, 1983.

GOUVERNEMENT DU CANADA. Forging Our Legacy: Canadian Citizenship and Immigration, 1900–1977, en ligne:< http://www.cic.gc.ca/english/resources/publications/legacy/chap- 5.asp#chap5-2>.

203

GOUVERNEMENT DU CANADA. Le gouverneur général, en ligne : .

GOUVERNEMENT DU CANADA. Le monarque, en ligne : .

LEDUC, François. Guide de la pratique des relations internationales du Québec, Québec, Publications du Québec, 2009.

NICHOLSON, Rob. « Modifications apportées à la loi concernant la succession au trône » (2013) 36 Revue parlementaire canadienne 8. Revised Statutes of Ontario, 1897, vol. III, appendix Part IV.

THE CROWN ESTATE. History, en ligne : .

THE ELECTORAL COMMISSION. Elections : who does what, en ligne : .

7. Documents parlementaires e e CHAMBRE DES COMMUNES. Débats, 18 parl., 2 sess., vol. 1, (14 janvier 1937).

HOUSE OF COMMONS. The Political and Constitutional Reform Committee, Rules of Royal Succession: Eleventh Report of Session 2010-12, Report, Together with Formal Minutes, Oral and Written Evidence, London, The Stationery Office, 2011.

WALTERS, Mark D. Submission to the Standing Senate Committee on Legal and Constitutional Affairs Concerning Bill C-53, An Act to assent to the alterations in the law touching the Succession to the Throne, 5 mars 2013

BLACKBURN, Robert. “Written evidence submitted by Professor Robert Blackburn”, Political and Constitutional Reform Committee Publications, House of Commons (U.-K.), November 2011, [en ligne] [http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201012/cmselect/cmpolcon/1615/ 1615we02.htm] (consulté le 9 mai 2016).

ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS. Parliamentary Debates, vol. 318, col. 2199, (décembre 1936).

204

SÉNAT. Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, Témoignages, 41e légis., 1re sess., no 32 (20 mars 2013) (Benoît Pelletier). e e CHAMBRE DES COMMUNES. Débats, 2 lég, 7 sess, nº 2 (3 février 1953).

8. Traité international First Protocol to the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms 1950 (Rome, 4 November 1950; TS 71 (1953); Cmnd 8969).

205