Les rencontres du Garde-Notes Baronniard Nº 1. - ÉTUDES ET RECHERCHES EN BARONNIES

LA SECTION ARCHÉOLOGIE DU CLUB SPORTIF ET CULTUREL MOTTOIS A LA MOTTE-

Chronique d’un groupe de bénévoles amateurs

Jean-Claude DAUMAS et Robert LAUDET Club Sportif et Culturel Mottois 26470 La Motte-Chalancon

Résumé Un groupe d’archéologues amateurs présente ses travaux et dresse le bilan de 18 ans d’activités. Il en développe les modalités de financement et leur impact en se posant des questions sur les chances de survie des musées locaux et de l’amateurisme en Archéologie.

LA CRÉATION

Créée officiellement en 1978, la Section Archéologie du Club Sportif Mottois compte 18 ans d’acti- vités ininterrompues, 18 ans de recherches archéologiques dans les montagnes du Diois et des Baron- nies. En fait, dès les années 60, les deux responsables : Jean-Claude Daumas et Robert Laudet, avaient commencé à s’intéresser à l’Archéologie, à glaner des renseignements concernant le secteur de La Motte-Chalancon. Nous avions ensuite participé à un stage de formation dans le chantier école d’Or- gnac dirigé par Jean Combier, directeur des Antiquités préhistoriques. C’est la prise en charge d’un site tout nouvellement découvert aux Gandus, à Saint-Ferreol- Trente-Pas qui nous poussa à nous structurer en association. L’ampleur de l’opération envisagée né- cessitait la mise en place d’une structure spécifique et nous avons bénéficié de la présence accueillante d’une société culturelle dynamique: le C.S.C.M. (Club Sportif et Culturel Mottois) Nous avons aussi été fortement aidés par la municipalité de La-Motte-Chalancon qui nous a per- mis d’aménager et d’utiliser une partie des greniers de l’ancienne gendarmerie, sans quoi il aurait été impossible de stocker le matériel de fouille et les vestiges recueillis, ni de disposer de l’espace néces- saire pour les travaux qui font suite à la fouille et pour l’information du public.

LES FOUILLES

Les activités de la section ont concerné essentiellement deux sites majeurs : Les Gandus, village de l’Age du Bronze à Saint-Ferreol-Trente-Pas et le site Chasséen de la Grotte du Trou Arnaud à Saint-Nazaire-le-Désert. Il s’agissait de fouilles pluri-annuelles inscrites dans les programmes priori- 96 Robert LAUDET et Jean-Claude DAUMAS taires définis par le Conseil Supérieur de la Recherche Archéologique et subventionnées par le Service des Fouilles et le Conseil Général. Parallèlement, une quinzaine d’opérations limitées ont été pratiquées sous forme de sondages, non subventionnés, sur des sites du secteur, afin d’échafauder une vue d’ensemble de la préhistoire locale. La première grande fouille qui a duré 8 ans aux Gandus a été motivée par l’importance du site en superficie et en densité des vestiges, à tel point qu’il a fallu des équipes d’une quinzaine de fouilleurs en moyenne pendant les deux semaines de fouille de chaque été pour en venir à bout. Ce site constitue maintenant une référence pour le Sud-Est. Le site du Trou Arnaud, notre deuxième grand chantier, était connu et célèbre depuis les années 50. En grand danger de destruction par les nombreux pillages dont il faisait l’objet, il s’est avéré être finalement encore très riche en vestiges d’une profonde originalité. L’étude de ce gisement exceptionnel fouillé pendant 5 ans s’inscrit dans le programme de recherches du Centre d’Archéologie Préhistori- que de Valence (C.A.P.V.) sur les Premiers Agri- culteurs de la Drôme, et nous avons collaboré largement avec les chercheurs qui y tra- vaillent.

LES FOUILLEURS : 75% DE DRÔMOIS

Le recrutement des fouilleurs bénévoles s’est fait essentiellement parmi les connais- sances des deux responsables des fouilles ou des fouilleurs eux-mêmes. Nous avons aussi essayé d’intégrer les habitants intéressés de la commune ou des communes voisines comme Saint-Ferréol, Saint-Nazaire, Volvent ou Fig. 1 : Temps de travail par site . Au total 150 personnes ont participé à la fouille ou au traitement du matériel. ce nombre élevé ne doit pas faire illusion : 40 n’ont été actifs qu’une journée ou même une demi-journée, la moitié, moins de 5 jours et une soixantaine seulement ont travaillé 10 jours ou plus au cours des 18 années. A l’opposé, un petit nombre de fouilleurs sont revenus souvent, en particulier pour le chantier d’envergure des Gandus où nous avons bénéficié d’une véritable équipe d’une dizaine de personnes présentes presque chaque année et donc parfaitement rodées. Sans ce noyau de fidèles, nous n’aurions pu mener à bien l’opération ’’ Gandus »... La répartition géographique montre logiquement la part prépondérante des Drômois (75%) et parmi eux des Mottois et des Diois puisque les deux responsables habitent La Motte et Die. LA SECTION ARCHÉOLOGIQUE DU CLUB SPORTIF ET CULTUREL 97

Fig. 2 : Localisation des travaux 98 Robert LAUDET et Jean-Claude DAUMAS

L’EXPLOITATION DU MATERIEL : UN TRAVAIL DE LONGUE HALEINE

Une fois le chantier de fouille estival terminé, commence le travail d’exploitation: il faut laver, marquer, classer, dessiner les vestiges afin de préparer le rapport de fouille annuel pour le ministère de la Culture et le Conseil général de la Drôme. Un travail de plus longue haleine encore pour reconstituer certains vestiges et communiquer avec de nombreux spécialistes afin d’étudier scientifiquement le matériel exhumé et les structures décou- vertes lors de la fouille. Ainsi nous avons été amenés à collaborer avec divers organismes de recherche, notamment : - le C.D.P.A. (Centre de Documentation de la Préhistoire Alpine) dirigé par A. Bocquet que nous avons consulté maintes fois, - le C.A.P.V. (Centre d’Archéologie Préhistorique de Valence) animé entre autres par A. Beeching et J. Brochier. L’Archéologie moderne ne peut en effet se concevoir que de façon pluridisciplinaire en faisant appel à de nombreux scientifiques spécialisés, ce qui n’est pas toujours très facile pour une équipe d’amateurs si elle était isolée.

DES INFORMATIONS POUR TOUS

Une fouille archéologique ne serait justifiable sans la communication de ses résultats aux autres archéologues mais aussi au public intéressé par le patrimoine de la région où il vit et, pourquoi pas, où il passe ses vacances. Nous avons largement utilisé toutes les méthodes possibles pour sensibiliser les habitants du Diois et des Baronnies, évitant seulement les relations tapageuses sur les journaux qui entraînent des pillages indésirables.

Des visites de chantier

Elles ont été presque quotidiennes en cours de fouille, que ce soit sur les pentes des Gandus ou dans la Grotte du Trou Arnaud. C’est chaque fois environ 300 personnes qui ont pu voir fonctionner un chan- tier de fouille et parfois même y participer. Cette ini- tiation in situ a toujours donné d’excellents résultats pour la protection des sites.

Des soirées locales

Avec projection de diapositives et présentation des trouvailles, elles ont été nombreuses à La Motte- Chalancon où elles ont touché 160 personnes.

Des expositions

A plusieurs reprises, le matériel archéologique a été exposé à La Motte, à St-Ferréol-Trente-Pas et surtout à et St Nazaire-le-Désert pour toute la saison d’été, touchant ainsi plus de 2000 visiteurs. Figure 3 : Information du public LA SECTION ARCHÉOLOGIQUE DU CLUB SPORTIF ET CULTUREL 99

Publication-bilan Un fascicule illustré de 40 pages, intitulé Archéologie de l’Oule à la Roanne permet à tous de prendre connaissance du passé archéologique de la région, de la Préhistoire à la période Gallo-Romaine.

Devant les sociétes savantes drômoises Quelques 300 membres des principales sociétés d’études du Département ont été mis au courant de nos découvertes lors de leurs réunions à Valence, Die ou La Motte-Chalancon. Ce fut le cas deux fois pour Histoire et Archives Drômoises et la Société d’Archéologie de la Drôme, une fois pour Études Drômoises, la Société de Sauvegarde des monuments de la Drôme et le Groupe Crouzet.

Une campagne d’initiation auprès des écoles Dans le cadre de l’E.M.A.L.A. (Équipe Mobile d’Animation et de Liaison des Baronnies), nous avons animé une initiation à l’Archéologie pour les classes rurales des Baronnies (355 élèves et 20 maîtres) avec des visites commentées de musées et d’expositions, des visites de sites, le prêt de pan- neaux d’exposition, le tout assorti de travaux pratiques et de fouilles factices.

Participation aux réunions, congrès, colloques Nous avons présenté plusieurs communi- cations, notamment à propos des Gandus : - lors des rencontres annuelles des Préhis- toriens de la Moyenne Vallée du Rhône à Va- lence. - à Lyon en 1983 lors de la réunion excep- tionnelle de la Société Préhistorique Fran- çaise. - à Yenne-Chambery en 1986 au Colloque de l’Âge du Fer dans les Alpes. - à Lons-le-Saunier en 1990 lors du collo- que international sur l’Habitat et l’Occupa- tion du Sol à l’Age du Bronze en Europe. Le Trou Arnaud et les autres sites fouillés ont été présentés : - à quatre reprises aux Rencontres Néo- lithiques et Protohistoriques de Lyon. - aux rencontres annuelles des Préhisto- Fig. 4 : Participation aux congrès, colloques, réunions riens de la Moyenne Vallée du Rhône à Va- lence en 1992. - aux rencontres Néolithiques Rhône-Alpes à Lyon et à Orgnac en 1986-87-88-91. - au Congrès National de Spéléologie à Montélimar en 1993.

Publications dans les revues spécialisées

Après avoir attendu quelques années pour avoir une vue plus synthétique, nous avons publié dans des revues : - départementales : Études Drômoises, Revue Drômoise, Histoire et Archives Drômoises, 100 Robert LAUDET et Jean-Claude DAUMAS

- régionales : Actes des Rencontres Néolithiques et Protohistoriques de Lyon, Études Préhistoriques, dont le nº 16 en 1985 fut consacré entièrement au Village de l’Age du Bronze des Gandus (32 pages sous couverture couleur) - nationales : Actes du colloque international de Lons-le-Saunier. Cette documentation de première main sur des sites aussi importants pour la recherche que sont les Gandus et le Trou Arnaud est régulièrement utilisée par de nombreux archéologues. En ce qui concerne les publications, nous tenons à jour la bibliographie concernant l’Archéologie dans le Diois et les Baronnies.

LA DESTINATION DES VESTIGES

En accord préalable avec les propriétaires des sites et la Direction des Antiquités, nous avons prévu le dépôt définitif du matériel archéologique dans les musées locaux de Die et de , ceci à l’issue de son étude et de sa publication. Il nous apparaît en effet que Diois et Baronnies forment une entité géographique et humaine, et qu’il serait contre nature de lui soustraire cette parcelle de son patrimoine, d’autant que sa vocation touristique semble s’affirmer d’année en année. Toutefois, nous pensons que l’en- richissement qu’apporteront nos col- lections à ces musées doit être ac- compagné d’une amélioration sensible des conditions de conserva- tion, de sécurité et de présentation au public qui est indispensable.

APERÇU SUR LE COÛT DE L’ARCHÉOLOGIE AMATEUR

La recherche archéologique ne peut se passer de subventions pour, dans un premier temps permettre le fonctionnement du chantier de fouille, et ensuite à financer les étu- des de laboratoire, puis aider à la publication des résultats ou à leur présentation muséographique. Chaque opération de fouille sous- entend le problème de l’hébergement des fouilleurs (transport, coucher et nourriture). Les épouses des deux responsables ont largement contri- bué à la préparation des repas. Le budget nourriture est de loin le plus élevé et absorbe les 3/4 des subventions.

Fig. 5 : Les publications LA SECTION ARCHÉOLOGIQUE DU CLUB SPORTIF ET CULTUREL 101

QUI FINANCE ?

Les aides de l’A.F.A.N. et du Conseil Général de la Drôme ont couvert chacune environ 40 % des dépenses. La Municipa- lité de La Motte a couvert 10%, Jeunesse et Sports 6% et la Municipalité de Nyons 4%. Le travail fourni par la section repré- sente 142 mois de travail (soit 12 années). Compte tenu du montant des subventions qui se sont élevées à 286.000 francs, on peut estimer que chaque heure de tra- vail des membres de la section Archéolo- gie du C.S.C.M est revenue à la collecti- Fig. 6 : Le financement vité à 12 francs, ou encore que les subventions versées ne représentent que 15% de la valeur de l’ensemble du travail si on le ramenait au coût d’une activité salariée. L’archéologie-amateur est donc 8 fois moins onéreuse....

LE LOCAL

Le local utilisé par la section est installé dans un grenier. Il comprend deux petites piè- ces aménagées par les membres de l’associa- tion et un grenier pour le stockage du matériel de fouille (en tout une surface utile de 70 m2). Un tel espace est vital pour notre association étant donné que nous nous trou- vons à 36 et 50 km des deux musées voisins susceptibles d’accueillir le matériel. Fig. 7 : Valeur comparée du travail et des Etant donné qu’il s’agit d’un local communal subventions mis àdisposition pour une cotisation modique, nous sommes à la merci d’un changement d’affectation de ces locaux, car nous n’aurions pas la possibilité de supporter la location d’une telle surface, et encore faudrait-il la trouver...

LES PERSPECTIVES D’AVENIR

Nous avons le sentiment de vivre un tournant décisif de notre association depuis deux ou trois ans du fait de plusieurs facteurs : certes, il y a une certaine lassitude de notre part en ce qui concerne de gros chantiers, nous avons évoqué le problème de la précarité des locaux, mais il faut surtout se poser des questions quant au financement et la façon dont il sera assuré à l’avenir. 102 Robert LAUDET et Jean-Claude DAUMAS

En effet, les orientations de la recherche archéologique exigent des équipes pluridisciplinaires dont on sait qu’elles ont déjà du mal à vivre et des axes de recherche de plus en plus précis. La multiplication des fouilles de sauvetage liées aux grands travaux monopolise les moyens finan- ciers. Seules les fouilles d’envergure risquent d’être financées, les travaux de sondages et de recher- ches locales n’étant pas subventionnés. La politique de développement de musées régionaux de qualité, dont on doit se réjouir par ailleurs, risque de compromettre la survie des musées locaux aux moyens trop réduits, surtout si ces musées refusent de faire évoluer leurs structures administrative et s’il n’existe pas vraiment de volonté locale au niveau des élus. Ceci éloigne d’autant plus les amateurs des structures d’appui. Le présent bilan semble pourtant prouver que, à condition de se plier à certaines exigences, des équipes d’amateurs ont encore leur place dans une archéologie moderne en pleine mutation, surtout dans des régions éloignées de tout centre où on voit mal comment des structures de plus en plus administratives pourront assurer la surveillance et la protection des sites. Il apparaît nettement, quand on regarde la situation à partir du terrain, que beaucoup d’éléments peuvent être sauvés grâce à une présence permanente et proche des archéologues sur les lieux. Les chiffres montrent que nos travaux n’ont pas été onéreux pour la collectivité par rapport au travail fourni et aux résultats obtenus. Il est donc de notre devoir de questionner l’administration et les élus pour que soit précisé et considéré le devenir de l’amateurisme en archéologie et de nous inquiéter de nos possibilités de survie.