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La nostalgie par défaut Radio Days Maurice Tourigny

Number 33, Spring 1987

URI: https://id.erudit.org/iderudit/22136ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Tourigny, M. (1987). Review of [La nostalgie par défaut / Radio Days]. 24 images, (33), 59–60.

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l y a des chansons qui vous font mémoire et retrouver le temps magi­ Une fois la projection terminée, les voyager dans le passé, qui vous que, les mélodies que jouait la toute- lumières rallumées, cette bouffée de Iramènent au lieu de votre puissante radio des années 30 et 40, jadis se dissipe et, à vrai dire, ne enfance? Il y a des airs à jamais les mélodies qui habitaient les mai­ laisse rien derrière elle sinon quel­ associés pour vous aux excentrici­ sons des New-Yorkais, riches et pau­ ques images de gags réussis ou de tés d'une cousine ou à votre premier vres, loin des feux de la Deuxième moments tendres. Où voulait en baiser, caché de vos parents? Sans Guerre. venir Allen avec ce collage de saynè­ doute. Personne n'y échappe, décrit deux mondes: celui tes aux rapports plus ou moins nets? Allen non plus. d'une famille juive de Rockaway, À une célébration du «bon vieux Son plus récent film, Radio Days, est quartier populaire de Brooklyn, et temps»? C'est tout! À la création une espèce de «Recherche du temps celui des stars de la radio dans leurs d'une atmosphère de nostalgie sans perdu» dans laquelle il remplace la «penthouses de Fifth Avenue». Le objectif précis? Peut-être. sonate de Vinteuil par «Tico Tico» de narrateur en voix off (celle de Woody) Malgré son humour souvent irrésisti­ , les petites made­ dit «je», parle au passé et nous ble, sa photographie enlevante et sa leines de maman par les poissons de raconte ses dizaines de souvenirs tel trame sonore qui nous fait battre la l'oncle Abe, un pêcheur invétéré. un ami assis à nos côtés commente­ mesure, Radio Days, ne dépasse pas Comme seul outil pour fouiller sa rait les films super 8 de son enfance. la somme de ses anecdotes. À moins

Dianne Wiest

59 qu'on ne se lance dans des interpré­ hilarants comme il s'en trouve tou­ mie du propos des œuvres sur les­ tations outrancières comme ce col­ jours chez Allen. Impossible de ne quelles elle s'abat. lègue new-yorkais qui y a vu une pas éclater quand Monsieur Zipsky, Hommage à New York on l'a déjà dit, réflexion sur la célébrité, une décla­ en proie à une crise nerveuse, quitte mais aussi hommage au cinéma. Au ration puissante sur le show-busi­ son domicile en sous-vètements et bout de cette lente et savante mon­ ness américain, etc. menace les passants d'un couteau tée des escaliers de Radio City N'allez pas croire que Radio Days de boucher ou quand Madame Silver­ Music Hall, Joe entre dans la salle: soit un film terne et ennuyeux: on rit man succombe à une attaque d'apo­ sur l'écran, Katherine Hepburn et souvent, on est parfois touché et plexie en voyant sa voisine embras­ James Stewart dans The Philadel­ jamais on ne s'embête. Un demi- ser un Noir. Mais Woody Al Ien nous a phia Story. Les leçons de diction que succès de Woody Allen demeure gâtés avec ses oeuvres précédentes prend Sally White (), une plus intéressant qu'une réussite de et nous sommes en droit de réclamer cigarette-girl «dumb blonde» (typi­ la plupart des autres cinéastes amé­ plus que quelques drôleries bien que du cinéma des années 40) qui ricains. Mais où donc est l'unité et la tournées. veut faire de la radio, rappellent mesure de '? Les personnages de Radio Days, étrangement celles que suit l'actrice Dans la comparaison des univers de (une autre ravissante idiote) jouée ceux qui font la radio et de ceux qui quoique bien suggérés, ne satisfont pas la curiosité qu'ils font naître par Jean Hagen dans Singin' in the l'écoutent? Certainement pas! Où Rain. donc est l'audace technique et la chez le spectateur. Comme on aime­ force des personnages de Manhat­ rait en savoir plus long sur Tante Bea Comment ne pas songer à Fellini en tan? Dans l'utilisation de la musique (l'incomparable ), la voyant le groupe de petits garçons, et dans les esquisses de portraits? belle myope toujours amourachée jumelles en main, fascinés par la Aucun parallèle possible. Où sont la d'hommes qui la déçoivent, sur la beauté aux formes généreuses qui folie deZe//g, la compassion de Han­ mère (jouée avec brio par Julie Kav- danse et se déshabille à sa fenêtre. nah and Her Sisters, l'analyse ner) qui avoue avoir gâché sa vie Certaines scènes de Radio Days, si piquante de ...? mais qui cache sa désillusion sous ce n'était de la couleur, semblent Parfois dans Radio Days, comme der­ une bonne humeur trompeuse, sur empruntées aux comédies d'intrigue rière une porte entrouverte, on saisit Joe le narrateur qui semble souvent du jeune George Cukor, avec leurs la présence fugitive du génie de imperméable au clan familial vivant décors lisses et blancs, avec leur Woody Allen. La relation père-fils sous le même toit. Plutôt que de adultère sophistiqué, avec leur raffi­ occupe peu de place dans la cinéma- développer ces personnages atta­ nement caractéristique de la «haute» tographie du réalisateur, mais ce lien chants, Allen encombre son film qu'elles montrent à l'œuvre. donne à Radio Days quelques-uns de d'une multitude de figurants: Biff Hommage à la radio aussi puisqu'on ses scènes les plus drôles, les plus Baxter () vedette d'un l'entend de la première à la dernière justes et les plus touchantes. radio-roman de propagande de minute du film et qu'elle joue pres­ Joe, le narrateur, se souvient d'une guerre, du Masked Avenger (Wallace que le rôle d'un second narrateur en bonne fessée administrée par son Shawn) un petit homme grassouillet soulignant, en complétant ou en père. Pour punir le garnement d'un qui ne correspond en rien au justicier annonçant les pirouettes du récit. auquel il prête sa voix à la radio, et mauvais coup, le paternel le renverse On pourrait résumer le tout en disant sur ses genoux et le tape lorsque la une galerie de visages choisis davantage pour l'étrangeté de leur que Radio Days livre la marchandise radio diffuse un bulletin spécial: une que promet son titre. 90 minutes de fillette est tombée dans un puits et bouille que pour leur apport vérita­ ble au film. souvenirs qui dessinent un tableau une équipe de sauvetage essaie de d'époque attendrissant, gentil, l'en tirer; on ne sait si l'enfant est Selon son habitude, le réalisateur agréable à l'œil et à l'oreille. Woody vivante et le reporter sur place... Le Allen n'est pas artiste à bâcler un visage figé, le père change ses cla­ garde quelques minutes de Radio Days pour donner un coup de cha­ film; la construction de Radio Days ques pour des caresses à son fils n'est pas déficiente, ni aucun de ses qu'il maintient dans la position de la peau à sa ville chérie. Continuant son exploration de , Allan aspects techniques. Mais pourquoi fessée. Quelques instants plus tard, donc une œuvre d'ambiance des comme le reste de l'Amérique, la nous emmène cette fois chez Macy's, au Times Square, au King années 40, alors que nous avons un famille entière autour de la table de accès direct à cette période par le la salle à manger, écoute le dénoue­ Cole Room de l'Hôtel St-Régis. , l'opérateur, y va d'une cinéma, la musique et l'art qu'elle ment du drame suivi en direct par la nous a légués? radio. Le père, ému par cette histoire contre-plongée admirative au pied triste, serre Joe dans ses bras du NBC Building et laisse glisser sa comme pour le protéger des dangers caméra dans le luxueux foyer art RADIO DAYS de la vie. déco de Radio City Music Hall. Si on États-Unis, 1987 mettait bout à bout toutes les ima­ Ré: Woody Allen ges de New York des films de Woody Scé: Woody Allen Le père, plein d'ambitions pour son Allen, on obtiendrait sans doute, de Ph: Carlo Di Palma garçon, refuse de lui avouer son toute l'histoire du cinéma, l'hom­ Déc: Speed Hophkins métier qu'il juge dévalorisant. L'en­ mage le plus flatteur et le plus amou­ Int: Mia Farrow (Sally White), Seth Green fant surprend son père au travail reux jamais payé à la ville. (Joe), (la mère), Josh Mostel dans des circonstances qu'il ne faut (Abe), Michael Tucker (le père), Dianne pas révéler au futur spectateur et qui À bien y penser, voilà peut-être ce qui Wiest (Bea), (Rocco), Jeff nous valent un très beau moment du cloche dans Radio Days: le film est Daniels (Biff Baxter), (la film. chanteuse du Nouvel An). atteint d'«hommagite aigùe», mala­ minutes, couleurs À côté de ces petits faits si exacte­ die du cinéma actuel qui frappe dure­ DIST: ORION ment traduits à l'écran, des instants ment l'action dramatique et l'écono­

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