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Luth et luthistes en France au tournant du XVIIe siècle (1571-1623)

Mémoire

Alexis Risler

Maîtrise en musique Maître en musique (M. Mus.)

Québec, Canada

© Alexis Risler, 2014

Résumé

Après une intense activité d’impression de livres pour luth en France au milieu du XVIe siècle, seulement quatre recueils sont publiés à Paris entre 1571 et 1623. Ces rares sources témoignent de transformations majeures dans le langage des luthistes, mais paraissent isolées les unes des autres et se rattachent difficilement au répertoire de la brillante école française de luth qui éclot à partir des décennies 1620 et 1630. Afin d’estomper l’impression de rupture durant la période 1571-1623 et de tracer une trajectoire continue dans le développement du répertoire pour luth en France, cette étude propose de situer l’activité des luthistes dans un contexte artistique et sociohistorique plus large. Pour y parvenir, il faut observer les relations qu’entretient l’instrument avec le domaine de l’impression musicale, avec la danse en tant qu’art chorégraphique, puis considérer le contexte social dans lequel les luthistes ont évolué.

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Abstract

While many lute books have been published in France in the mid-sixteenth century, only four were printed in Paris from 1571 to 1623. These few sources reflect major changes in the language of the lutenists, but are isolated from one another and disconnected from the brilliant French lute school that blooms from the 1620s and 1630s. In order to reduce this perceived rupture during the 1571- 1623 period and draw a continuous path in the development of French lute repertoire, this study proposes to locate the lutenists’ activities in a broader artistic and socio-historical context. The dissertation is divided into three parts: the place of the instrument in musical printing; its connection with dance as a choreographic art form; and the social context in which the lutenists evolved.

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Table des matières

Résumé ...... iii Abstract ...... v Table des matières ...... vii Liste des tableaux ...... xi Remerciements ...... xiii Avertissement ...... xv Introduction ...... 1 Présentation du sujet ...... 1 État de la question ...... 7 Problématique et objectifs ...... 11 Méthodologie ...... 12 Plan de travail...... 14 Chapitre 1 : Adrian Le Roy et l’impression musicale ...... 17 Le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571) ...... 18 La place du recueil dans la production de Le Roy ...... 18 De voix de ville à air de cour ...... 22 Le caractère hybride du recueil de 1571 ...... 23 Portrait de l’édition musicale entre 1571-1623 ...... 24 Difficultés à la suite de la mort de Robert I Ballard ...... 25 Difficultés liées au contexte politique ...... 26 La musique instrumentale dans l’édition musicale ...... 28 Émergence et affirmation de l’air ...... 32 Lassus, Ronsard et la fin de la ...... 33 et l’affirmation de l’air ...... 35 Impact du transfert de la chanson vers l’air accompagné au luth ...... 38 Sommaire ...... 41 Chapitre 2 : Antoine Francisque et la musique de danse ...... 43 Le développement de la danse en France au XVIe siècle ...... 44 De François Ier à Charles IX ...... 45 La danse au luth au XVIe siècle ...... 47 L’apogée des divertissements dansés à la fin du siècle ...... 50

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Le Trésor d’Orphée ...... 53 Les innovations du Trésor d’Orphée ...... 54 Le Trésor d’Orphée, entre héritage du passé et modes nouvelles ...... 55 Les branles ...... 57 La volte et la courante ...... 59 Vers la suite instrumentale ...... 61 Les ballets de cour et le luth ...... 64 Développement du ballet de cour ...... 64 La musique des ballets ...... 70 Le luth et le ballet ...... 72 Une influence italienne? ...... 76 Sommaire ...... 80 Chapitre 3 : Robert Ballard et le statut social des luthistes ...... 81 Les luthistes indépendants et les aspirations à la cour ...... 82 Un milieu proche des facteurs d’instruments ...... 83 Les conditions précaires des luthistes indépendants ...... 84 À la recherche des faveurs d’un prince : l’exemple de Francisque ...... 86 La situation privilégiée des luthistes à la cour ...... 88 La carrière de Robert II Ballard ...... 89 Ouverture et fermeture de l’univers des offices ...... 92 Valet de chambre, un poste destiné aux luthistes ...... 96 La pratique du luth chez les amateurs ...... 98 Le luth chez la haute noblesse ...... 99 Le luth consacré par les académies militaires ...... 100 Le luth chez la noblesse de robe et la bourgeoisie ...... 102 Sommaire ...... 104 Conclusion ...... 105 Annexe 1 — Adrian Le Roy : Livre d’airs de cour miz sur le luth ...... 109 Annexe 2 — Antoine Francisque : Le Trésor d’Orphée ...... 112 Annexe 3 — Robert Ballard : Premier livre et Deuxième livre ...... 115 Annexe 4 – Transcriptions des épîtres dédicatoires ...... 120 Annexe 5 — Musique mesurée à l’antique ...... 123

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Appendice 1 — Généalogie des rois de France...... 125 Généalogie des derniers Valois ...... 125 Généalogie des premiers Bourbons ...... 126 Appendice 2 — Repères biographiques des principaux personnages cités...... 127 Bibliographie ...... 133 Sources premières et éditions musicales ...... 133 Ouvrages musicologiques ...... 134 Ouvrages historiques ...... 139

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Chronologie des instructions pour luth d’Adrian Le Roy……………………………………………..21 Tableau 2 : Musique instrumentale publiée en France de 1571 à 1623…………………………………………33

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Remerciements

Mes premiers remerciements vont à Marc-André Roberge, d’abord pour avoir accepté de diriger une recherche dont le sujet se situe à quelques siècles de ses sujets de prédilection, mais surtout pour ses conseils et la rigueur de sa révision linguistique. Le souci de la qualité de la langue française sera assurément au cœur de tous mes futurs travaux. Ensuite, je tiens à remercier mes parents pour leur amour et leur support indéfectible. Ma mère m’a déjà dit de ne jamais arrêter de jouer du luth par peur de ne pas gagner ma vie. Il semble bien que j’ai retenu la leçon, et que j’ai eu envie de l’appliquer à la musicologie. Finalement, je veux exprimer toute ma reconnaissance à celle qui a vécu ce long processus de l’intérieur, ma belle Véronique. Pour ta lecture attentive, pour m’avoir soutenu – et enduré – dans les périodes de doute, mais surtout pour tout le reste. Je garde un précieux souvenir de cette course folle à travers les rues de Berlin, en route vers le Philharmonie, où nous avons finalement raté le début du concert. C’est dans cette salle que j’ai réalisé que je ne voulais pas que mon univers musical se limite à l’interprétation de la musique ancienne, mais s’étende à toute l’histoire de la musique classique. Cette course, qui m’a ouvert la voie vers la musicologie, je la referais cent fois. Et j’arriverais en retard à tous les concerts du monde, si c’est avec toi.

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Avertissement

Plusieurs témoignages extraits de documents originaux sont cités dans ce mémoire. Afin d’en conserver toute la saveur, les graphies originales ont été conservées. Ainsi, une théorie et une méthode deviennent « teorie » et « metode », une tablature s’écrit parfois « tabulature », une danse et un ballet deviennent « dance » et « balet », tandis que travaux et mélanges se trouvent sous la forme de « travaulx » et « meslanges ». À quelques occasions, il a été nécessaire d’indiquer la mention sic pour dissiper tout doute, sinon, les textes ont été transcrits sans ajouts ni modifications.

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Introduction

Présentation du sujet

Le luth a occupé une place centrale dans la vie musicale française des XVIe et XVIIe siècles avant de disparaître au profit d’autres instruments, notamment le clavecin. Il faut attendre à la fin du XIXe siècle, après presque 200 ans d’oubli, pour voir apparaître les premières études musicologiques consacrées au luth1. C’est toutefois avec la présentation du colloque Le luth et sa musique, à Neuilly-sur-Seine en 1957, que le renouveau du luth en France se confirme, et ce, tant du point de vue musicologique que de l’interprétation2. Afin de stimuler à la fois la recherche et la réappropriation du répertoire par les interprètes, la collection Corpus des luthistes français voit le jour à la suite de ce colloque. Entre 1962 et 1996, cette collection publiée par le CNRS présente la totalité du répertoire français pour luth3. Elle inclut la notation en tablature – le système d’écriture spécifique des luthistes – et une transcription en notation moderne, qui facilite l’étude pour les non-initiés4. Le Corpus des luthistes français révèle deux moments forts de l’activité pour luth en France. D’abord, les décennies 1550 et 1560, qui sont marquées par un dynamisme soudain dans l’édition de livres pour luth. Puis, à partir des décennies 1620 et 1630, alors qu’une nouvelle génération de luthistes développe un style nouveau, qui rayonne ensuite à travers toute l’Europe. Entre ces deux pôles caractérisés par une forte présence du luth, peu de musique subsiste aujourd’hui, ce qui engendre une impression d’inertie, de stagnation. C’est cette apparente éclipse du luth durant plusieurs décennies, au tournant du XVIIe siècle, qui est à la base de ce mémoire. L’essor de la musique pour luth au XVIe siècle a été décrit en détail dans La musique de luth en France au XVIe siècle de Jean-Michel Vaccaro, monumental ouvrage de 486 pages abordant tous

1 Le premier ouvrage d’envergure sur le sujet, qui semble avoir été la source du dynamisme qui a suivi, est Michel Brenet, Notes sur l'histoire du luth en France (Turin : Bocca frères, 1899; réimpression, Genève : Minkoff, 1973). Michel Brenet est le pseudonyme de Marie Bobilier (1858-1918). 2 Les actes de ce colloque ont été publiés dans Jean Jacquot, dir., Le luth et sa musique : Neuilly-sur-Seine, 10-14 septembre 1957 (Paris : CNRS, 1958; réimpression, 1980). 3 Le Trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque ne figure toutefois pas dans cette collection pour des raisons qui seront expliquées dans cette introduction. 4 Le Corpus des luthistes français puise son répertoire dans des éditions imprimées et des manuscrits provenant tant de la France que de divers autres pays. Malgré des projets d’édition semblables ailleurs en Europe, la France reste à ce jour le seul pays dont l’ensemble du corpus pour luth a fait l’objet d’une édition scientifique.

1 les sujets liés à l’instrument à cette époque5. Vaccaro consacre une bonne part de son livre aux décennies 1550 et 1560, marquées par une intense activité d’impression de recueils pour luth solo à Paris. D’abord, le luthiste Guillaume Morlaye s’associe à l’imprimeur Michel Fezandat pour publier 11 livres pour luth entre 1552 et 15586. Puis, l’atelier d’impression musicale dirigé par le luthiste Adrian Le Roy et Robert I Ballard publie 10 livres pour luth entre 1551 et 1567, en plus d’imprimer des méthodes pour apprendre l’instrument7. En ajoutant le recueil du luthiste Julien Belin publié en 1556 chez l’éditeur Nicolas du Chemin, c’est donc pas moins de 22 livres pour luth solo qui paraissent à Paris dans les décennies 1550 et 1560. Le contrat liant Morlaye et Fezandat prévoit l’impression de 1 200 exemplaires pour chacun des livres. En appliquant les mêmes quantités aux publications parues chez les autres éditeurs, on atteint un nombre considérable de livres de tablatures de luth en circulation à Paris durant cette période8. La musique pour luth du XVIIe siècle, et plus particulièrement celle qui se développe à partir des décennies 1620 et 1630, n’a pas fait l’objet d’un ouvrage de synthèse comparable à celui de Vaccaro, bien que plusieurs études aient été publiées au cours des dernières décennies9. Ce répertoire n’a pas été diffusé dans des éditions imprimées, mais nous est plutôt parvenu par le biais d’abondantes sources manuscrites. Il se caractérise notamment par l’utilisation de divers accords alternatifs de l’instrument, alors qu’un seul accord standard a été en usage durant le XVIe siècle. Ce transfert vers les accords nouveaux se fait progressivement, comme en témoigne la Tablature de luth de différents autheurs sur l’accord ordinaire et extraordinaire de 1623, dont le titre indique la cohabitation des deux systèmes. L’accord standard disparaît toutefois complètement dans l’édition suivante, la Tablature de luth de différents autheurs, sur les accords nouveaux, publiée en 1631. La primauté des accords nouveaux est alors confirmée. La longue période entre les deux grands pôles d’activité du luth en France servira donc de cadre chronologique pour ce mémoire. Cette période s’étend de 1571 à 1623 et a été déterminée

5 Jean-Michel Vaccaro, La musique de luth en France au XVIe siècle (Paris : CNRS, 1981). 6 Le catalogue des publications pour luth de Fezandat est disponible dans Audrey Boucaut-Graille, « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 » (thèse de doctorat, Université François Rabelais, 2007), Annexe FEZ II, 165. 7 Pour le catalogue des livres de luth publiés par Le Roy et Ballard, voir ibid., Annexe LBR II, 219. 8 Vaccaro, La musique de luth, 66-67. 9 Anthony Bailes, « An Approach to 17th-Century French Lute Music », Lute News 85 (2008); David J. Buch, « Texture in French Baroque Lute Music and Related Ensemble Repertories », Journal of the Lute Society of America 20-21 (1987/1988); Nicole Desgranges, « Charles Mouton : Le luth en France au 17e siècle. Apogée et déclin d'un art instrumental », Analyse musicale 34 (1999); David Ledbetter, Harpsichord and Lute Music in 17th-Century France (Londres : Macmillan, 1987); Matthew G. Spring, « The Development of French lute style, 1600-1650 », dans From Renaissance to Baroque : Change in Instruments and Instrumental Music in the Seventeenth Century, sous la dir. de Peter Holman et Jonathan Wainwright (Aldershot : Ashgate, 2005).

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en fonction de deux publications. Le Livre d’airs de cour miz sur le luth d’Adrian Le Roy, paru en 1571, ouvre ce cadre chronologique. Il s’agit du dernier recueil publié par les imprimeurs Le Roy et Ballard, et il clôt les deux décennies d’activité soutenue d’édition. À l’autre extrémité du cadre chronologique, on trouve la Tablature de luth de différents autheurs sur l’accord ordinaire et extraordinaire de 1623. Cette publication, dont il ne subsiste aujourd’hui que la page de titre, marque le début de l’essor des accords alternatifs. Le style nouveau qui en découle se distingue complètement du répertoire précédent. De nombreux luthistes ont été attachés à la cour de France durant la période de 53 ans couverte par ce mémoire. Certains d’entre eux, actifs à la fin du XVIe siècle, ont joui d’une grande réputation, mais aucun n’a publié ses œuvres. C’est le cas de Guillaume de Vaumesnil (mort v. 1595), de Jacques Edinthon (mort v. 1590) et de Julien Perrichon (1566-v. 1597), dont les talents sont célébrés par les poètes et chroniqueurs de l’époque, parfois longtemps après leur mort10. Les rares pièces qui nous sont parvenues de ces luthistes sont extraites d’anthologies ou de manuscrits provenant d’Allemagne ou d’Angleterre, souvent parus après leur mort11. Ainsi, malgré la présence constante de luthistes virtuoses à la cour dans les dernières décennies du XVIe siècle, ceux-ci n’ont jamais publié les œuvres de leur vivant. Il faut attendre le début du XVIIe siècle pour qu’apparaissent de nouvelles éditions, soit Le Trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque, de même que le Premier livre (1611) et le Deuxième livre (1614) de Robert II Ballard12. Les œuvres de Francisque et de Ballard témoignent de changements importants dans le langage des luthistes, en se détachant progressivement des pratiques du XVIe siècle. Divers indices témoignent d’une nouvelle orientation du répertoire, notamment la nature des pièces, alors que certains genres musicaux disparaissent au profit de nouveaux. Le but de ce mémoire n’est pas de décrire de façon détaillée les structures musicales de ces transformations, mais plutôt de comprendre les raisons de leur émergence. Ces transformations apparaissent au terme d’une période de 30 ans sans publication – entre 1571 et 1600 – et, faute de pouvoir suivre la progression du langage à travers

10 Ronsard dédie un sonnet dithyrambique à Guillaume de Vaumesnil en 1565, sonnet qu’il dédie ensuite à Jacques Edinthon en 1578. Mersenne, dans son Harmonie universelle (1636), déclare, plus de 30 ans après la mort de ces luthistes, que parmi « ceux qui ont excellé à jouër du Luth, l’on fait tenir le premier rang à Vosmeny, & à son frere, à Charles & Jacques Hedinton Ecossois, au Polonois, & à Julian Perichon Parisien. » Cité dans André Souris, Monique Rollin et Jean-Michel Vaccaro, dir., Oeuvres de Vausmenil, Edinthon, Perrichon, Raël, Montbuysson, La Grotte, Saman, La Barre, Corpus des luthistes français (Paris : CNRS, 1974), xv. 11 Les pièces attribuées à Vaumesnil, Edinthon et Perrichon, ainsi que les sources, sont décrites dans ibid., vii-ix. 12 Il ne faut pas confondre le luthiste Robert II Ballard (v. 1575-v.1650) et son père, Robert I Ballard (v. 1525/30-1588), le célèbre imprimeur parisien.

3 un vaste corpus musical, il devient essentiel de poser un regard en dehors du strict répertoire pour luth, notamment en s’interrogeant sur divers aspects liés au contexte historique et social qui a vu naître ces œuvres. En 1970, Claude V. Palisca mettait de l’avant une idée qui allait être au cœur de toutes ses recherches : si l’analyse musicale permet de préciser les lieux, les moments et les mécanismes précis des changements stylistiques, c’est par une approche globale tenant compte du contexte sociohistorique que l’on peut déterminer les raisons de ces changements13. Dans le cadre de cette recherche, chacun des recueils devient donc un prétexte pour aborder diverses facettes de la vie musicale, artistique, ou sociale qui ont pu influencer l’art des luthistes durant cette période de transition. Ainsi, l’apparente inertie de la période 1571-1623 se transforme en un dialogue entre le luth et son contexte sociohistorique.

Présentation des recueils

Afin de mieux saisir les transformations qui apparaissent dans les recueils de Francisque et Ballard, il importe de s’attarder d’abord au Livre d’airs de cour miz sur le luth d’Adrian Le Roy (v. 1520- 1598), publié en 157114. Luthiste et éditeur du plus important atelier d’impression musicale parisien de la deuxième moitié du XVIe siècle, Adrian Le Roy est fortement ancré dans la tradition musicale de la Renaissance. Le recueil comporte 22 polyphoniques écrites pour la plupart par Nicolas de La Grotte sur des poèmes de Ronsard, et initialement publiées dans leur version originale pour quatre voix en 156915. La mise en tablature de chansons polyphoniques – c’est à dire leur transcription pour le luth – constitue l’une des pratiques les plus courantes au XVIe siècle dans tous les pays d’Europe, et elle a été un véhicule essentiel dans le développement de la musique instrumentale16. À l’instar du livre de Le Roy, qui s’y consacre entièrement, les recueils pour luth ont fait une large place à cette pratique tout au long du siècle. Le recueil de Le

13 Claude V. Palisca, « Stylistic Change and the History of Ideas », dans Musicology and the Computer. Musicology 1966–2000 : A Practical Program – Three Symposia, sous la dir. de Barry S. Brook (New York : City University of New York Press, 1970), 211-215. 14 Adrian Le Roy, Livre d’airs de cour miz sur le luth (Paris : Le Roy & Ballard, 1571). Disponible au http://petrucci.mus.auth.gr/imglnks/usimg/6/69/IMSLP264205-PMLP428285-leroy_livre_dair_de_cours.pdf. 15 Le livre Chansons de P. de Ronsard, Ph. Desportes, et autres (1569), de Nicolas de La Grotte, a connu un succès considérable, puisqu’il a été réédité à cinq reprises (1570, 1572, 1573, 1575, 1580). 16 La mise en tablature de pièces vocales apparaît comme « le lieu spécifique d’une recherche créatrice de formes ornementales », Vaccaro, La musique de luth, 140.

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Roy permet ainsi d’aborder à la fois les rapports entre la musique pour luth et l’édition musicale, et ses liens avec le répertoire vocal17. Le trésor d’Orphée d’Antoine Francisque (v. 1575-1605), publié en 1600, ne présente qu’une seule mise en tablature, la célèbre chanson « Susanne un jour » d’Orlande de Lassus18. Cette transcription s’apparente davantage à une fantaisie sur ladite chanson qu’à une véritable mise en tablature dans la tradition de la Renaissance. Il s’agit de la dernière transcription de chanson polyphonique publiée en France. Ainsi, en 30 ans, cette pratique fondamentale dans le développement du jeu au luth a été délaissée. Le Trésor d’Orphée est plutôt orienté vers la danse, dont la popularité n’a cessé de croître en France à la fin du XVIe siècle. Il apparaît comme un véritable ouvrage de transition qui s’éloigne des pratiques antérieures, sans pour autant marquer un aboutissement. Puisqu’il s’agit de la seule publication parue entre 1571 et 1610, il est difficile d’en cerner l’impact réel sur la transformation du langage. Ce recueil permet néanmoins d’aborder la danse en tant qu’art chorégraphique et d’observer le transfert qui s’opère, alors que les danses instrumentales s’affranchissent de leurs balises chorégraphiques pour devenir un art purement musical19. Les transformations stylistiques observées entre Le Roy et Francisque sont confirmées par les publications suivantes, les deux livres de Robert Ballard (v. 1575-v. 1650) parus en 1611 et 161420. Ils ne contiennent aucune transcription de chansons et délaissent les danses typiques du XVIe siècle encore présentes chez Francisque – gaillardes, pavanes et passemaises – pour mettre en valeur de nouvelles formes, par exemple les entrées et les ballets. Malgré ces transformations majeures, qui distinguent les deux livres de Ballard des publications précédentes, son œuvre n’appartient pas encore au nouveau style de luth du XVIIe siècle. Ballard est une figure intéressante : membre de la célèbre famille d’imprimeurs, il occupe un poste à la cour, en plus de servir la Reine régente Marie de Médicis et d’enseigner le luth au jeune Louis XIII. Sa carrière

17 Pour le détail du contenu du recueil, voir Annexe 1 – Adrian Le Roy : Livre d’airs de cour miz sur le luth, 1571. 18 Antoine Francisque, Le Trésor d’Orphée (Paris : Ballard, 1600). Réimpression du fac-similé (Genève : Minkoff, 1973). 19 Pour le détail du contenu du recueil, voir Annexe 2 – Antoine Francisque : Le Trésor d’Orphée, 1600. 20 La page de titre du recueil de Ballard de 1611 étant perdue, cette publication est datée d’après le privilège du 16 octobre 1611, figurant au verso du dernier feuillet. Son titre exact est inconnu, tandis que le recueil de 1614 s’intitule Diverses pièces mises sur le luth par Robert Ballard. Depuis leur édition dans la série Corpus des luthistes français en 1963 et en 1964, il est d’usage de distinguer ainsi les deux recueils : Premier livre (1611) et Deuxième livre (1614).

5 permet d’analyser le statut social des luthistes, tant à la cour qu’à Paris, et d’observer la place que le luth occupe dans la société française de l’époque21. Seules ces quelques sources imprimées en France ont été considérées dans cette étude, malgré l’existence d’autres sources. On dénombre en effet quelques manuscrits français de la même époque, mais la majorité des pièces sont anonymes et contiennent de nombreuses erreurs. Elles sont un précieux témoignage des pratiques amateurs, mais ne reflètent pas nécessairement les innovations stylistiques récentes22. De nombreuses pièces françaises proviennent également de manuscrits ou d’anthologies d’origine anglaise et germanique, ou en provenance d’Europe du Nord et de l’Est. Ces sources témoignent du rayonnement des luthistes français à cette époque, mais elles ont été exclues de cette étude, puisqu’il est impossible de déterminer dans quelle mesure les pièces reproduisent la version originale ou ont subi des modifications23. Finalement, les deux livres intitulés Le secret des muses du français Nicolas Valet n’ont pas été pris en compte. Publiés à Amsterdam en 1615 et 1616, ces recueils sont l’œuvre d’un compositeur qui a fait carrière à l’extérieur de la France et dont la musique a été grandement influencée par les luthistes anglais. Ces différentes sources manuscrites ou imprimées confirment la richesse et le rayonnement du style français pour luth, et leur exclusion dans cette étude n’est pas un jugement esthétique de leur contenu. Le but de ce mémoire est de relier les transformations dans le langage des luthistes avec des phénomènes artistiques, historiques ou sociaux spécifiquement français. Par conséquent, seules les sources imprimées en France permettent de situer les œuvres à la fois dans un contexte géographique précisément français (et même parisien), ainsi que dans un cadre chronologique sans équivoque. Plutôt que de tenter de recréer un portrait complet de la musique française pour luth entre 1571 et 1623 à partir de sources éparses, il s’agit plutôt d’utiliser les recueils de Le Roy, Francisque et Ballard comme points de départ afin de déterminer sans ambiguïté l’état de la musique pour luth en France à des moments précis. Les transformations révélées par les recueils de Francisque et de Ballard au début du XVIIe siècle sont considérables, mais le peu de sources disponibles fait en sorte qu’il est impossible d’en suivre l’évolution. On ne peut que constater leur apparition, après une longue éclipse de

21 Pour le détail du contenu des recueils, voir Annexe 3 – Robert Ballard : Premier livre, 1611; Deuxième livre, 1614. 22 Les sources manuscrites ou imprimées françaises et étrangères contenant de la musique française du tournant du XVIIe siècle sont décrites dans Vaccaro, La musique de luth, 71-89. 23 Par exemple, on trouve de nombreuses pièces attribuées à Julien Perrichon (mort vers 1597) dans le « Lord Herbert of Cherbury’s Lute-Book », manuscrit anglais daté de 1640. Il est fort probable que ces pièces, si elles sont bien de Perrichon, aient subi des modifications au fil des décennies. Il est donc délicat de les utiliser pour déterminer le style de la musique de luth du vivant du compositeur.

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publications. Il faut donc prendre un certain recul par rapport aux œuvres pour poser un regard sur diverses réalités musicales et sociales qui ont entouré les luthistes de cette époque et, le cas échéant, les ont influencés. En utilisant les transformations stylistiques comme prétexte pour situer le travail des luthistes dans un contexte historique global, on atténue le sentiment de rupture qui caractérise cette période au profit d’une recherche des liens de continuité qui ont permis l’éclosion d’un nouveau style instrumental. Pour ce faire, il faudra éviter l’écueil d’une périodisation qui tend souvent à séparer les XVIe et XVIIe siècles, et ce, tant dans la littérature musicologique que dans l’historiographie de la France. Ainsi, il sera possible de comprendre la transformation du langage des luthistes, ou du moins le contexte historique qui l’a permise.

État de la question

La rareté des sources musicales explique en grande partie le peu d’attention porté sur la période 1571-1623 par les spécialistes de la musique pour luth. Dans La musique de luth en France au XVIe siècle de Vaccaro, les chapitres consacrés à la période 1570-1600 sont plus courts que ceux qui s’intéressent à la période 1545-1570. Par ailleurs, les recueils qui structurent le présent mémoire ont fait l’objet d’édition. Le Livre d’airs de cour miz sur le luth de Le Roy et les deux livres de Ballard ont été transcrits et commentés dans la série Corpus des luthistes français éditée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 24 . Malgré l’abondance des détails biographiques qu’elles fournissent pour chaque compositeur, ces éditions ne proposent pas une vue d’ensemble de l’époque. Quant au Trésor d’Orphée, une transcription pour piano en notation moderne par Henri Quittard est parue en 1906, et le fac-similé est disponible depuis 197325. Le CNRS n’a pas cru bon de rééditer l’ouvrage, privant ainsi les chercheurs de l’étude critique qui ouvre chaque publication du Corpus des luthistes français.

24 Jean Jacquot, Pierre Yves Sordes et Jean-Michel Vaccaro, dir., Oeuvre d'Adrian Le Roy : Les Instructions pour le luth (1574), Corpus des luthistes français (Paris : CNRS, 1977); André Souris, Sylvie Spycket et Monique Rollin, dir., Robert Ballard : Premier livre (1611), Corpus des luthistes français (Paris : CNRS, 1963); André Souris, Sylvie Spycket et Monique Rollin, dir., Robert Ballard : Deuxième livre (1614) et pièces diverses, Corpus des luthistes français (Paris : CNRS, 1964). 25 Henri Quittard, dir., Le Trésor d'Orphée (1600) (Paris : L. Marcel Fortin & Cie, 1906); Antoine Francisque, Le Trésor d'Orphée (1600), réimpression du fac-similé (Genève : Minkoff, 1973). La transcription moderne de Quittard a permis des interprétations à divers instruments. Peu jouées par les luthistes, certaines pièces du Trésor d’Orphée ont fait partie du répertoire des pionniers du renouveau du clavecin, notamment Wanda Landowska (1879-1959), et sont encore jouées par les harpistes, grâce à une adaptation de Marcel Grandjany (1891-1975).

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Le manque d’ouvrages de synthèse ne s’observe toutefois pas uniquement dans le domaine du luth, mais s’étend plutôt à l’ensemble de la vie musicale en France au tournant du XVIIe siècle. Un tel ouvrage sur cette période est toujours souhaité, à l’image du livre de Christelle Cazaux consacré au règne de François Ier (1515-1547) paru en 200226. Les règnes de ses héritiers, les rois de la deuxième moitié du XVIe siècle27, n’ont pas fait à ce jour l’objet d’ouvrages musicologiques spécifiques, alors que des publications reliées aux rois des XVIIe et XVIIIe siècles ont été éditées par le Centre de musique baroque de Versailles28. Les ouvrages historiques généraux révèlent par conséquent des lacunes lorsqu’ils traitent de cette période, un fait clairement exprimé par Jeanice Brooks dans European Music, 1520-1640, alors qu’elle déclare que « bien que cette période ait été depuis longtemps étudiée par les chercheurs en littérature, elle a été, chez les musicologues, l’une des zones les moins explorées de l’histoire de la musique de la Renaissance29. » Elle admet néanmoins le rôle central du luth dans la vie sociale et dans la littérature de l’époque, sujet qui mérite selon elle des recherches plus approfondies. Si cette période a été moins étudiée, c’est sans doute en partie à cause de l’absence de compositeurs français de premier plan, ou du moins considérés comme tels. Les activités des imprimeurs parisiens de l’époque reflètent ce phénomène, alors qu’Orlande de Lassus (1532- 1594) y occupe une place prépondérante, bien qu’il soit originaire des Flandres et que sa carrière se soit déroulée principalement en Italie et à Munich. Kate Van Orden attribue cette absence de compositeur phare en France à l’instabilité politique30. En effet, en 1562 débutent les troubles de religion qui divisent le royaume. Plusieurs conflits se succèdent et dégénèrent en guerre civile en 1589, alors qu’Henri IV prend le pouvoir. L’édit de Nantes de 1598 met un terme aux conflits en encadrant la pratique de la religion réformée. L’assassinat d’Henri IV en 1610 replonge toutefois le royaume dans une période incertaine, alors que le dauphin Louis est trop jeune pour régner et que

26 Christelle Cazaux, La musique à la cour de François Ier (Paris : École nationale des Chartes, Centre d'études supérieures de la renaissance, 2002). 27 Ces rois sont les derniers de la dynastie des Valois : Henri II (1547-1559), François II (1559-1560), Charles IX (1560-1574) et Henri III (1574-1589), ainsi que le premier de la dynastie des Bourbons, Henri IV (1589- 1610). Voir l’appendice 1 pour la généalogie des rois de France à cette époque. 28 Jean Duron, dir., Regards sur la musique au temps de Louis XIII, Publications du Centre de musique baroque de Versailles (Wavre : Mardaga, 2007). Des ouvrages similaires sur Louis XIV, Louis XV et Louis XVI sont parus la même année. 29 « Late-sixteenth-century France – the era of Ronsard and Montaigne – has long been a focus for literary scholarship; but for musicologists, this has been one of the least investigated areas of history. » Jeanice Brooks, « France, 1560-1600 », dans European Music, 1520-1640, sous la dir. de James Haar (Woodbridge : Boydell Press, 2006). 30 Kate Van Orden, Music, Discipline, and Arms in Early Modern France (Chicago : University of Chicago Press, 2005), Chapitre 1, « Music in a Time of War », 3-36.

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la régence assurée par l’Italienne Marie de Médicis, l’épouse d’Henri IV, s’avère controversée. Il faut attendre à la fin des années 1610 avant que Louis XIII affirme définitivement son autorité, jusqu’à sa mort en 1643. Ainsi, durant plusieurs décennies, l’instabilité politique qui règne en France ne favorise pas de dynamisme au sein du milieu musical. Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs se sont néanmoins intéressés à cette époque en axant leurs recherches sur des compositeurs spécifiques. Par exemple, Isabelle His a étudié la vie et l’œuvre de Claude Le Jeune31, tandis que Marie-Alexis Colin s’est intéressée à Eustache du Caurroy, retraçant sa vie et publiant pour la première fois en notation moderne plusieurs de ses œuvres32. D’autres se sont intéressés à un genre spécifique. L’air de cour, genre dans lequel le luth occupe une place prépondérante, et qui émerge à la fin du XVIe siècle pour s’imposer au siècle suivant, a reçu beaucoup d’attention. Après la parution en 1991 du livre L’air de cour en France : 1571-1655 de Georgie Durosoir, Jonathan Le Cocq a étendu les recherches dans sa thèse de 1997 French Lute-Song, 1529-164333. Finalement, Jeanice Brooks s’est attardée à l’air de cour de la fin du XVIe siècle dans son livre Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, paru en 200034. Elle y aborde le sujet à travers différents thèmes (la vie de cour, le rôle des femmes, l’influence de l’Italie) plutôt que de façon chronologique, une approche originale qui révèle une analyse approfondie du sujet rendue possible grâce aux recherches antérieures. Le livre se conclut par un tableau s’étendant sur plus de 100 pages énumérant les musiciens de la cour mentionnés dans les registres royaux de 1559 à 1589, avec diverses informations, comme l’identification du statut du musicien, son instrument, son poste et son salaire. Une récolte de données de cette ampleur était jusqu’alors très rare pour cette période. Isabelle Handy a effectué un travail semblable dans Musiciens au temps des derniers Valois, 1547-1589 publié en 200835. Cet ouvrage s’avère précieux, puisqu’il est le fruit d’une étude des registres royaux et du dépouillement du Minutier central, qui regroupe les archives des actes notariés de Paris conservés depuis le XVIe siècle. Ces actes ne concernent plus seulement les musiciens présents à la cour, mais ils révèlent aussi les activités de tous les acteurs de la vie

31 Isabelle His, Claude Le Jeune (v. 1530-1600) : un compositeur entre Renaissance et Baroque (Arles : Actes Sud, 2000). 32 Marie-Alexis Colin, « Eustache Du Caurroy et le motet en France à la fin du XVIe siècle » (thèse de doctorat, Université François Rabelais, 2001); Marie-Alexis Colin, « Eustache du Caurroy : un compositeur français aux confins du XVIe et du XVIIe siècle », Acta musicologica 73, no 2 (2001) : 189-258. 33 Georgie Durosoir, L’air de cour en France : 1571-1655 (Liège : Mardaga, 1991); Jonathan Le Cocq, « French Lute-Song, 1529-1643 » (thèse de doctorat, Université d’Oxford, 1997). 34 Jeanice Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France (Chicago : Chicago University Press, 2000). 35 Isabelle Handy, Musiciens au temps des derniers Valois (1547-1589) (Paris : Honoré Champion, 2008).

9 musicale parisienne, incluant les luthiers et les éditeurs. En plus de présenter un tableau semblable à celui de Brooks, Handy propose une analyse des informations récoltées sur différents sujets et suggère diverses pistes de recherche. S’il ne s’agit pas encore d’une synthèse sur cette époque, l’abondance des informations recueillies – dont certaines sont venues confirmer et même modifier certaines datations jusqu’alors incertaines – est l’étape essentielle qui manquait pour avoir une vision plus complète de l’époque. Cependant, ces informations, aussi riches soient-elles, demeurent fragmentaires, et la plus grande prudence est de mise dans leur interprétation.

Entre Renaissance et Baroque

Outre l’absence d’ouvrages de synthèse, la frontière de 1600, qui s’est imposée pour distinguer la Renaissance du Baroque, ne facilite pas les études couvrant la période concernée par ce projet. De nombreux ouvrages de référence ont ainsi adopté ce découpage, soit pour des raisons arbitraires36, soit pour refléter une réalité historique, comme dans le cas des bibliographies de la famille d’éditeurs Ballard37. Les dépouillements d’archives n’échappent pas à ce découpage, et on trouve rarement des ouvrages complémentaires de part et d’autre de l’année 160038. Les ouvrages historiques généraux adoptent généralement cette même périodisation et abordent les XVIe et XVIIe siècles dans des chapitres distincts39, voire des volumes distincts40. Même les ouvrages traitant spécifiquement de la Renaissance ne franchissent que rarement la frontière de 160041. L’historiographie de la France s’accommode également de dates qui tendent à séparer les deux siècles. Le changement de dynastie marqué par l’arrivée d’Henri IV en 1589 sert souvent de frontière, ou plus souvent encore, la signature en 1598 de l’édit de Nantes, qui met un terme aux

36 Howard Mayer Brown, Instrumental Music Printed Before 1600 : A Bibliography (Cambridge : Harvard University Press, 1967). Dans son introduction, Brown ne justifie pas la limite chronologique de sa bibliographie. La frontière en 1600 pour clore la Renaissance semble pour lui chose admise. 37 Pierre Ballard succède à son père en 1599. Voir François Lesure et Geneviève Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, 1551-1598 (Paris : Heugel, Société française de musicologie, 1955); Laurent Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard : imprimeurs du roy pour la musique, 1599-1673, 2 vol. (Sprimont, Belgique : Mardaga, 2003). 38 Madeleine Jurgens, Documents du Minutier central concernant l'histoire de la musique, 1600-1650, tome 1 (Paris : S.E.V.P.E.N., 1967); Madeleine Jurgens, Documents du Minutier central concernant l'histoire de la musique, 1600-1650, tome 2 (Paris : S.E.V.P.E.N., 1974). 39 Donald Jay Grout, J. Peter Burkholder et Claude V. Palisca, A History of Western Music, 8e éd. (New York : W.W. Norton & Company, 2010). 40 Richard Taruskin, The Oxford History of Western Music, 5 vol. (Oxford : Oxford University Press, 2010). 41 Allan W. Atlas, Renaissance Music : Music in Western Europe, 1400-1600 (New York : W.W. Norton, 1998); Howard Mayer Brown, Music in the Renaissance (Englewood Cliffs, N.J. : Prentice-Hall, 1976).

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troubles de religion42. Des ouvrages récents proposent néanmoins un regard qui chevauche l’année 1600. Le livre European Music, 1520-1640 présente une vision plus vaste de la période de transition entre Renaissance et Baroque43. Chaque pays y est l’objet d’une étude chronologique, avant que ne soient approfondis des sujets pertinents spécifiques à chacun des différents foyers nationaux. Ainsi, les recherches sur le luth en France au tournant du XVIIe siècle se butent à une littérature certes de plus en plus fournie, mais qui ne permet pas encore une grande synthèse de l’époque. Cette tâche est d’autant plus difficile qu’une frontière séparant les XVIe et XVIIe siècles s’est imposée tant en musicologie que dans l’historiographie de la France. Cela crée, dans le domaine du luth, deux fragments orphelins. D’une part, les dernières décennies du XVIe siècle, qui sont perçues comme un quasi-déclin, en comparaison du corpus du milieu du siècle. De l’autre, les premières décennies du XVIIe siècle, dont la production musicale se rattache difficilement au nouveau style français qui rayonne à partir des décennies 1620 et 1630.

Problématique et objectifs

Face à deux fragments peu documentés qui n’offrent que quatre publications pour luth isolées les unes des autres, il faut envisager la période 1571-1623 comme une entité distincte de la Renaissance et du Baroque, ou plus précisément comme une période de transition entre les deux courants artistiques. La rareté des témoignages musicaux fait en sorte qu’il est impossible de définir une identité musicale spécifique à cette période, contrairement aux deux importants pôles d’activité du luth en France, qui ont chacun leur signature propre. Il y a donc une impression de rupture, à la fois entre chacun des recueils, puisque les contenus sont différents, mais aussi entre les deux grandes périodes d’activité du luth en France, qu’on peut difficilement relier entre elles. On doit alors chercher des éléments de continuité en se posant la question suivante : comment peut-on expliquer la transformation du langage dans la musique pour luth en France entre 1571 et 1623?

42 Robert Knecht, The French Renaissance Court, 1483-1589 (Londres : Yale University Press, 2008); Arlette Jouanna, La France du XVIe siècle : 1483-1598, Quadrige (Paris : Presses universitaires de France, 2006); Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue : 1598-1789, 2 vol. (Paris : Presses universitaires de France, 1974). 43 James Haar, dir., European Music, 1520-1640 (Woodbridge : Boydell Press, 2006).

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Puisque les publications ne permettent pas de suivre progressivement la transformation du langage, l’objectif de cette recherche est de comprendre les causes de ces transformations en situant l’activité des luthistes dans un contexte artistique et sociohistorique plus large. Cette remise en contexte vise à mettre en valeur des liens de continuité qui s’appliquent à la période étudiée pour ainsi atténuer l’idée de rupture que l’apparente inertie dans le milieu du luth peut induire. Il faut pour cela poursuivre les objectifs secondaires suivants, qui correspondent aux chapitres du mémoire : (1) comprendre les transformations dans le répertoire vocal afin d’évaluer la relation que le luth entretient avec celui-ci; (2) déterminer l’impact des transformations de l’art chorégraphique sur la musique de luth; (3) situer la place du luth et des luthistes dans la société française de l’époque. Il sera ensuite possible de dresser le véritable portrait du luth et des luthistes en France entre 1571-1623, ce qui permettra éventuellement de relier les deux grandes écoles de luth en traçant une trajectoire continue dans le développement du répertoire. Ainsi, les deux siècles d’activité du luth en France formeront une entité indissociable. On peut alors soumettre l’hypothèse que l’émergence de la brillante école française de luth du milieu du XVIIe siècle n’est pas un phénomène spontané, qui se dessine dans les premières décennies du siècle, mais plutôt le résultat d’un long processus, qui trouve sa source bien auparavant, dans le dernier tiers du XVIe siècle.

Méthodologie

La principale méthode utilisée pour cette recherche est la collecte de données reliées au luth et aux luthistes durant la période 1571-1623. Puisque les études spécialisées sur le sujet sont rares, cette collecte doit s’effectuer à travers un corpus d’ouvrages généraux. Ceux-ci incluent des recueils faisant le dépouillement d’archives notariales ou royales, ainsi que des traités d’époque et des études historiques. Jean-Michel Vaccaro a réalisé un tel travail afin de rassembler la documentation nécessaire pour son livre La musique de luth en France au XVIe siècle. Puisque cet ouvrage se limite au XVIe siècle, il faut étendre la recherche afin de couvrir la période allant de 1600 à 1623. Il s’agit d’abord d’isoler les données concernant les luthistes à travers les ouvrages de dépouillement d’actes notariés de Yolande de Brossard et de Madeleine Jurgens44. Un travail

44 Yolande de Brossard, dir., Musiciens de Paris 1535-1792 : actes d'état civil d'après le fichier Laborde de la Bibliothèque Nationale (Paris : A. & J. Picard, 1965); Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1; Jurgens, Documents du Minutier central, tome 2.

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semblable doit être ensuite effectué à partir des dépouillements de registres royaux fournis sous forme de tableaux dans les ouvrages d’Isabelle Handy et de Jeanice Brooks45. Ces tableaux sont précieux puisqu’ils n’étaient pas disponibles lors de l’étude de Vaccaro et contiennent des informations inédites. Il sera alors possible de dresser un portrait à jour des luthistes présents en France entre 1571 et 1623 et de comparer leurs conditions de pratique avec celles des autres instrumentistes. Les données recueillies dans les registres des institutions royales françaises demeurent fragmentaires, bien qu’essentielles à cette étude. Comme l’a noté David Fiala : Certaines sources relevant de l’histoire des mentalités permettent de mettre en perspective des éléments concordant entre des évolutions culturelles et sociales. Ce n’est là qu’une ébauche du travail qui reste à faire. Fonder ce travail sur l’histoire institutionnelle peut paraître simplificateur, mais c’est justement cette simplification qui fait le prix de cette méthode : les faits simples, clairs et datés qu’offre l’histoire institutionnelle ne valent pas pour eux-mêmes; ils sont de solides jalons pour ancrer l’interprétation d’une réalité mouvante et complexe46.

Afin d’interpréter les données récoltées, il faut donc les analyser à la lumière d’autres témoignages de l’époque. Pour ce faire, ce mémoire s’inspire de la méthode utilisée par Margaret McGowan dans son étude de la danse à la Renaissance. Dans son livre Dance in the Renaissance : European Fashion, French Obsession, elle soutient que le véritable portrait de l’art chorégraphique en France au XVIe siècle demeure incomplet malgré l’existence de documents officiels détaillant la pratique de la danse à la cour. Afin de reconstituer ce portrait, elle puise à toutes les sources disponibles traitant du sujet : les traités, les sources littéraires (récits, chroniques et poèmes), les sources picturales (tableaux, tapisseries, croquis de décors et costumes)47. Ainsi, dans le cadre de ce mémoire, une telle analyse comparative des données recueillies dans les documents d’archives et des renseignements transmis par le biais de chroniques ou de traités de l’époque permettra d’interpréter cette « réalité mouvante et complexe » que représente le domaine du luth au tournant du XVIIe siècle. Afin d’expliquer la transformation du langage des luthistes français entre 1571 et 1623, il est également nécessaire d’effectuer diverses études comparatives. Cette méthode a été adoptée par Kate Van Orden, qui propose des analogies entre la musique française du tournant du XVIIe

45 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 369-565; Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 413-536. 46 David Fiala, « La naissance du musicien professionnel au tournant du XVIe siècle », dans Guide de la musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 181-182. 47 Margaret McGowan, Dance in the Renaissance: European Fashion, French Obsession (London : Yale University Press, 2008).

13 siècle et la discipline militaire de l’époque48. Cette comparaison a permis d’ouvrir des perspectives intéressantes sur la musique, puisque le domaine militaire est mieux documenté. Il s’agit d’abord de comparer le répertoire pour luth et le répertoire vocal de la même époque. Les rares sources musicales pour luth entre 1571 et 1623 pourront ainsi être évaluées à la lumière des abondantes publications de musique vocale. À l’aide des deux ouvrages bibliographiques des imprimeurs Ballard – celui concernant la période 1551-1598 et celui couvrant les activités de 1599 à 167349 –, il est possible de dresser le catalogue des publications en France entre 1571 et 1623. Cela permet de situer la production pour luth dans un cadre plus vaste. Il faut ensuite comparer les transformations dans le répertoire pour luth et celles que l’on trouve dans les pratiques chorégraphiques afin de déterminer si les deux domaines poursuivent des trajectoires similaires ou distinctes. Une analyse comparative de divers traités d’époque sur la danse est nécessaire pour déterminer les changements durant la période couverte par ce mémoire. L’Orchésographie de Thoinot Arbeau et L’Harmonie universelle de Marin Mersenne, qui abordent à la fois les aspects techniques et le rôle social des danses, seront les principaux ouvrages consultés50.

Plan de travail

La recherche sera divisée en trois chapitres, chacun étant basé sur un recueil spécifique. Il ne sera pas nécessaire de fournir une analyse musicale détaillée, puisque le contenu des éditions, tel que décrits sommairement plus haut, suffisent à démontrer les changements survenus51. Le contenu des recueils n’est donc pas en soit l’objet d’une analyse, mais devient plutôt un prétexte pour aborder divers aspects liés à l’activité des luthistes. Le fait de centrer le propos de chaque chapitre sur un recueil en particulier ne veut toutefois pas dire que les autres en sont exclus, puisque les thèmes abordés concernent souvent toutes les publications, mais à divers degrés. Le premier chapitre, basé sur le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571) de Le Roy, présente une étude des activités des imprimeurs Ballard, ce qui permet de connaître la véritable situation de l’édition musicale dans la période 1571-1623. Une analyse de la place de la musique

48 Van Orden, Music, Discipline, and Arms. 49 Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard; Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard. 50 Thoinot Arbeau, Orchésographie (Langres : Jehan des Preyz, 1588); Marin Mersenne, Harmonie universelle, Livre II (Paris : Pierre Ballard, 1636); 51 La musique de luth en France au XVIe siècle de Vaccaro et les éditions du Corpus des luthistes français comportent des analyses musicales substantielles.

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instrumentale en général – et de la musique pour luth en particulier – à travers le vaste corpus vocal est alors possible. Aussi, on constate des transformations dans les répertoires vocaux, ce qui permet de se questionner sur les rapports qu’entretient le luth avec la musique vocale. Le second chapitre, basé sur Le Trésor d’Orphée (1600) de Francisque, étudie l’essor de la danse en France et l’influence de l’art chorégraphique sur la musique pour luth. Ce chapitre observe également les liens entre le luth et le ballet de cour, genre qui se développe au tournant du XVIIe siècle en réunissant diverses formes d’arts52. L’influence des courants artistiques issus de l’Italie est déterminante dans le développement du ballet, ce qui permet de vérifier l’impact de la présence italienne auprès des luthistes et de leur musique. Le troisième et dernier chapitre, basé sur les recueils de Ballard (1611 et 1614), propose un portrait de l’activité des luthistes indépendants et de ceux rattachés à la cour de France. Durant la période 1571-1623, plusieurs règnes se succèdent et, bien que Marie-Alexis Colin affirme que « la cour d'Henri IV ne possède pas la splendeur intellectuelle et artistique qui caractérisa celle des Valois »53 , le lien unissant le règne du Bourbon avec ceux des derniers Valois est confirmé par Jacqueline Boucher, qui considère que les artistes à la cour de Henri IV « sont des restes du règne de Charles IX et Henri III »54. Malgré les troubles politiques, on peut donc envisager une certaine continuité dans le milieu musical, ce qui facilite une étude des conditions de pratique des luthistes. On constate également que la pratique amateur du luth se répand, phénomène qui mérite une attention particulière. C’est en suivant une telle démarche que l’on pourra développer une connaissance plus juste du contexte artistique et sociohistorique dans lequel les luthistes ont évolué au tournant du XVIIe siècle, et ainsi expliquer la transformation du langage dans la musique pour luth, malgré le peu de sources musicales disponibles.

52 Margaret McGowan, L'art du ballet de cour en France, 1581-1643 (Paris : CNRS, 1963). 53 Colin, « Eustache du Caurroy : un compositeur français », 201-202. 54 Jacqueline Boucher, La cour de Henri III (Rennes : Ouest France, 1986), 127.

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Chapitre 1 : Adrian Le Roy et l’impression musicale

Adrian Le Roy et Robert I Ballard ont dominé le marché de l’édition musicale en France durant la deuxième moitié du XVIe siècle. Les données relatives à leurs vies et à leur association ont été exposées dès 1955 par François Lesure et Geneviève Thibault dans leur Bibliographie des éditions d’Adrian Le Roy et Robert Ballard, 1551-15981, et plus récemment par Laurent Guillo dans un ouvrage similaire consacré aux descendants de Ballard qui se sont succédés à la tête de l’atelier au XVIIe siècle2. Le Roy et Ballard obtiennent du roi Henri II, le 14 août 1551, un premier privilège de neuf ans pour « imprimer, faire imprimer et faire exposer en vente tous livres de musique, tant instrumentale que vocale »3. Puis, ils reçoivent le 16 février 1553 la charge d’imprimeurs du roi pour la musique, auparavant détenue par Pierre Attaingnant. Cette charge est renouvelée régulièrement par les successeurs d’Henri II : en 1568 par Charles IX, en 1576 par Henri III, puis en 1594 par Henri IV. Elle implique des gages annuels mais, surtout, les associés bénéficient des avantages accordés aux membres de la maison royale, notamment l’exemption de taxes, dont la taille4. Le Roy et Ballard sont les seuls imprimeurs de musique dans toute l’Europe à avoir joui au XVIe siècle du titre d’imprimeurs du roi, et ils ont su conserver durant plusieurs règnes cette position privilégiée, et ce, malgré l’instabilité politique en France à la fin de ce siècle. Cet avantage leur a permis d’éliminer progressivement toute concurrence5. À Paris, la veuve de Pierre Attaingnant cesse ses activités après 1557, alors que Michel Fezandat – à qui on doit l’édition des œuvres des luthistes Guillaume Morlaye et de son maître Albert de Rippe – délaisse les publications musicales au début des années 1560. Le plus important concurrent parisien de Le Roy et Ballard, Nicolas Du Chemin, qui œuvrait dans le domaine de l’édition musicale depuis 1549, décline à partir de 1570 et met un terme à ses activités en 15766. À partir de cette date, Le Roy et

1 Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard. 2 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard. 3 Ibid., 24. 4 La taille est le principal impôt direct servant notamment à soutenir l’effort de guerre. Elle est prélevée annuellement chez les roturiers, tandis que la noblesse et le clergé en sont exemptés. Pour le détail des avantages liés à la charge d’imprimeurs du roi, voir Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 26; Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 12. 5 Dans sa thèse de doctorat, Audrey Boucaut-Graille soutient que Le Roy et Ballard ont volontairement mis en œuvre des stratégies pour évincer leurs concurrents. Boucaut-Graille, « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 », 362-403. 6 Les activités des autres imprimeurs sont abordés dans Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, 17; Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 9. Les informations ont été validées par les catalogues mis à jour dans la thèse de Boucaut-Graille.

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Ballard exercent donc un monopole quasi total sur tout le royaume de France, l’impression musicale en région étant alors marginale7. La direction de l’atelier sera transmise de père en fils chez les Ballard, et la famille jouera un rôle central dans l’édition musicale française jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, créant ainsi une véritable dynastie d’imprimeurs. Une étude du catalogue de l’atelier à la fin du XVIe siècle et au début du siècle suivant permet de dresser le portrait de la vie musicale en France, puisque l’atelier, par ses stratégies commerciales, de même que grâce aux liens privilégiés qu’il a entretenus avec la cour, domine le marché de l’impression musicale. Il s’agit toutefois de la partie visible de l’activité musicale, où la transmission orale est encore importante, notamment dans le domaine de la musique instrumentale. De plus, Adrian Le Roy, par son statut de luthiste-compositeur et éditeur, apporte une dimension intéressante à cette étude portant spécifiquement sur la musique pour luth, puisqu’il a été au cœur de tous les développements liés à l’instrument.

Le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571)

S’il ne suscite pas l’intérêt des interprètes de nos jours, le Livre d’airs de cour miz sur le luth d’Adrian Le Roy est néanmoins révélateur des nouvelles tendances qui apparaissent dans le paysage musical français à la fin du XVIe siècle. D’abord, il contient la première mention du terme « air de cour », et ce, presque 40 ans avant que le genre ne prenne son véritable essor. Ensuite, il fait office d’ouvrage à caractère pédagogique, fonction explicitée par l’auteur dans l’épître dédicatoire. Finalement, il possède un caractère hybride : s’il permet une interprétation pour une seule voix soutenue par le luth, il peut également être envisagé comme un ouvrage destiné à un usage strictement instrumental.

La place du recueil dans la production de Le Roy

La liste des ouvrages écrits par Adrian Le Roy met en relief deux facettes de son œuvre : le travail du compositeur et celui du pédagogue. Dans les décennies 1550 et 1560, Le Roy se consacre principalement à la publication de ses propres compositions pour luth ou guitare. C’est d’ailleurs avec son Premier livre de tabulature de luth (1551) que s’amorcent les activités de l’atelier. Cette publication est suivie de plusieurs autres recueils pour luth et guitare la même année, puis l’année

7 Pour des informations sur les petits imprimeurs régionaux, voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 11.

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suivante. C’est donc par l’œuvre de Le Roy que les associés se lancent dans le domaine de l’impression musicale. Les dernières pièces pour luth de Le Roy se trouvent dans le Livre d’airs de cour miz sur le luth de 1571. Celui-ci paraît à une époque où il se consacre davantage aux traités de musique et aux instructions instrumentales, notamment celles pour le luth8. Les rééditions en France, ainsi que les traductions anglaises parues à Londres quelques années plus tard, attestent la popularité de ces instructions pour le luth. Cela confirme également l’existence d’une clientèle amateur dont les imprimeurs associés ont voulu tirer profit. Aucune édition originale française des instructions pour luth de Le Roy n’a été conservée, et c’est donc par leurs traductions que leurs contenus sont connus. Le livre A briefe and plaine Instruction... publié à Londres en 1574 réunit en un seul volume les trois instructions d’abord parues séparément. Les problèmes bibliographiques causés par la perte des éditions originales françaises imposent une certaine prudence quant à la chronologie de ces ouvrages. Ces problèmes ont été abordés dans l’introduction de l’édition des instructions pour le luth de Le Roy dans la collection « Corpus des luthistes français »9. Le tableau 1 présente le résultat de leur étude :

Tableau 1 : Chronologie des instructions pour luth d’Adrian Le Roy

Année Titre Lieu d’édition

[1567] [Breve et facile instruction pour apprendre la tablature, conduire et Paris disposer la main sur le luth]10

1568 A briefe and easye instruction to learne the tableture / to conducte and Londres dispose thy hande unto the Lute / englished by J. Alford Londenor.

[1570] [Instruction de partir toute musique des huit divers tons en tablature de Paris luth] Probablement associée à une réédition de [1567]

8 Le terme « instruction » est utilisé aux XVe et XVIe siècles pour désigner divers ouvrages pédagogiques généraux (Instruction fort facile pour apprendre la musique practique, Cornelius Blockland, 1573), ainsi que des ouvrages destinés à l’apprentissage du chant (Instructions pour apprendre à chanter à quatre parties, Laurent Dandin, 1582), de la danse (L’art et l’instruction de bien dancer, anonyme, 1490) ou d’un instrument (les divers recueils de Le Roy pour luth, guitare ou cistre). 9 Jacquot, Sordes et Vaccaro, Oeuvre d'Adrian Le Roy : Les Instructions pour le luth (1574). Malgré l’étude étoffée présentée en introduction, certaines attributions douteuses sont encore considérées dans les recherches récentes. Par exemple, le tome V (1863) de la Biographie universelle des musiciens de François- Joseph Fétis mentionne l’existence d’une édition de 1557 de l’instruction de *1570+. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une erreur, et cette édition n’a pas été considérée par l’équipe du Corpus des luthistes français. On retrouve toutefois cette édition douteuse dans le catalogue de la thèse de Boucaut-Graille (p. 211-78). 10 Le titre de l’instruction de *1567+ est calqué sur celui l’instruction pour le cistre parue en 1565. Le titre de l’instruction de *1570+ est une traduction du titre anglais.

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Année Titre Lieu d’édition

1571 Livre d’Airs de cour miz sur le luth Paris

1574 A briefe and plaine Instruction to set all Musicke of eight / divers tunes Londres in Tableture for the Lute. / With a briefe Instruction how to play on the Lute by Tableture, to conducte and dispose thy / hand unto the Lute, with certaine easie lessons for that purpose. / And also a third Booke containing divers new / excellent tunes. / All first written in french by / Adrian Le Roy, and now trans / lated into english by I. Ki / Gentelman.

Regroupe trois livres : 1. Une traduction de [1570] 2. une réédition du livre de 1568 3. les airs de cour du livre de 1571 (auxquels s’ajoutent huit psaumes et une pièce intitulée Harte opprest, sans antécédents connus).

[1583] Réédition de [1570] Paris

Jean-Michel Vaccaro a insisté sur l’importance de l’apparition de traités instrumentaux au XVIe siècle, phénomène nouveau qui s’est développé d’abord autour des instruments à cordes pincées11. Outre le luth, Le Roy publie en effet des traités pour guitare, cistre et mandore12, qui n’ont aucun équivalent en France au XVIe siècle chez d’autres familles d’instruments13. Ce n’est qu’avec l’Harmonie universelle de Marin Mersenne en 1636 que l’art instrumental n’est plus traité de façon marginale, mais intégré dans un ouvrage général sur la musique, phénomène qui arrive plus d’un siècle après la parution de la Tres breve et familiere introduction... d’Attaingnant en 1529, première instruction française pour le luth14. C’est dire la place importante qu’occupe le luth très tôt dans l’histoire du développement de l’art instrumental en France, ce que confirme la série d’instructions de Le Roy. Selon Vaccaro, « la vulgarisation des techniques instrumentales devient un phénomène essentiel de l’histoire de la musique du XVIe siècle »15, et l’essor du luth est dû à la popularité de l’instrument chez une clientèle amateur pour qui l’apprentissage d’un instrument

11 Vaccaro, La musique de luth, 29-32. 12 Dans le second livre de son Harmonie universelle, Marin Mersenne mentionne que la mandore possède d’ordinaire quatre cordes, mais qu’on en trouve avec un plus grand nombre, afin qu’elle s’approche du luth, dont elle est « le racourcy, & le diminutif ». Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 93. Consulté à l’adresse http://imslp.org/wiki/Harmonie_universelle_(Mersenne,_Marin). 13 Pour une liste des traités théoriques et instructions instrumentales publiés en France au XVIe siècle et au début du XVIIe, voir l’annexe 1 dans Howard Mayer Brown, « Ut musica poesis : Music and Poetry in France in the Late 16th-century », Early Music 13 (1994) : 50-54. 14 Vaccaro, La musique de luth, 22. 15 Ibid., 31.

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est désormais valorisé. La dédicataire du Livre d’airs de cour miz sur le luth de Le Roy, la comtesse de Retz, incarne cet idéal dont l’élite intellectuelle française fait la promotion à la fin du XVIe siècle. Selon Jeanice Brooks, « à une époque où de nombreux écrivains préconisaient une réhabilitation de la noblesse par le moyen de l’éducation, la comtesse fut l’exemple parfait des bénéfices de l’étude des sciences et des lettres, le modèle idéal pour une cour de l’avenir16. » Issue de la noblesse, Claude-Catherine de Clermont (1543-1603), comtesse de Retz, possède une vaste culture et un intérêt prononcé pour les arts et les lettres. Elle a été dame de compagnie de Catherine de Médicis et amie intime de Marguerite de Valois17. La Comtesse a consolidé sa position privilégiée dans la noblesse française grâce à son mari, le Florentin Albert de Gondi, qui a gravi les échelons à la cour de France jusqu’à devenir premier gentilhomme de la Chambre du Roy en 1568, maréchal en 1573, puis duc et pair en 158118. La comtesse de Retz a été l’hôtesse d’un cercle d’intellectuels réunissant les plus illustres artistes et penseurs de l’époque, annonçant l’essor des salons littéraires au XVIIe siècle. Dans l’épître dédicatoire du Livre d’airs de cour miz sur le luth, Le Roy révèle l’intention derrière cette publication : Ces jours prochains MADAME vous ayant présenté l’instruction d’asseoir toute Musique facilement en tablature de Luth, qui estoit fondée exemplairement sur les chansons d’Orlande de Lassus lesquelles sont difficiles et ardues comme pour rompre le disciple de l’art à franchier aprez toutes difficultez : je me suis avisé de luy mettre en queue pour le seconder ce petit opuscule de chansons de la cour beaucoup plus legieres (que jadis on appeloit voix de ville, aujourdhuy Airs de Cour), tant pour vostre recreation, à cause du suget (que l’usage ha desja rendu agréable) que par la facilité d’icelles plus grande sur l’instrument auquel vous prenez plaisir.19

Le livre a donc pour but de présenter des pièces plus simples que les mises en tablature des instructions précédentes, pour que la comtesse puisse elle-même les jouer au luth. La dédicace nous apprend également qu’elle connaît déjà les pièces, sans doute par les versions vocales de La Grotte, qui avaient connu un grand succès.

16 Jeanice Brooks, « La comtesse de Retz et l'air de cour des années 1570 », dans Le concert des voix et des instruments à la Renaissance, sous la dir. de Jean-Michel Vaccaro (Paris : CNRS, 1991), 301. 17 Sœur des rois François II, Charles IX et Henri III, et première épouse d’Henri de Navarre, futur Henri IV, Marguerite de Valois a été immortalisée sous le nom de « reine Margot » par le roman d’Alexandre Dumas. 18 Pour les détails concernant la promotion sociale de Gondi, voir ibid., 301-302. Voir aussi Nicolas Le Roux, La faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois (c1547-c1589) (Paris : Diffusion, Presses universitaires de France, 2000), 63-68. 19 Pour la transcription complète de l’épître dédicatoire, voir annexe 4.

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De voix de ville à air de cour

Dans sa volonté de créer un ouvrage plus accessible, Le Roy se tourne vers un type de pièces « beaucoup plus legieres, que jadis on appelloit voix de ville, aujourd’huy Airs de cour ». Cette légèreté s’oppose à la complexité des chansons de Lassus utilisées précédemment par Le Roy pour enseigner l’art de la mise en tablature dans son instruction de 1570. Il est logique que ce soit des compositions de Lassus qui aient servi à cette démonstration, puisqu’elles incarnent le sommet de la chanson polyphonique, genre vocal sur lequel s’est élaboré l’art des luthistes de la génération de Le Roy20. Celui-ci délaisse néanmoins la chanson dans son dernier recueil de pièces pour luth. L’évolution des genres vocaux au XVIe siècle pose des problèmes d’ordre terminologique, puisque des termes différents sont parfois utilisés pour décrire une même réalité ou, à l’inverse, un même terme décrit parfois des réalités très différentes. Il y a en outre des problèmes chronologiques, puisque l’apparition d’un nouveau genre n’implique pas la fin immédiate d’un genre antérieur21. Il devient alors impossible de circonscrire avec précision le passage d’un genre à l’autre. Les problèmes d’ordre terminologique seront abordés ici, alors que ceux liés à la chronologie du développement de l’air seront traités plus en détail à la fin de ce chapitre. La dédicace de 1571 trace un lien direct entre les appellations « voix de ville » et « air de cour ». Le terme « vauldeville » apparaît dans une moralité jouée en 1507, mais c’est au milieu du siècle qu’on commence à le retrouver de plus en plus fréquemment, sous diverses orthographes (vau de ville, vaudeville, voix de ville). Il s’agit au départ d’une composition d’allure populaire sur un texte profane strophique, et dont l’intérêt musical repose sur la mélodie généralement confiée à la voix supérieure. Les parties inférieures font office d’accompagnement, en créant une texture homophonique basée sur une harmonie simple 22 . Il s’agit donc d’un genre opposé aux constructions contrapuntiques savantes de la chanson polyphonique. Un flou terminologique persiste cependant tout au long de la deuxième moitié du XVIe siècle, alors que les termes chanson, air (avec ou sans la spécification « de cour ») et voix de ville sont parfois utilisés pour

20 Vaccaro situe l’âge d’or de la mise en tablature en France entre 1545-1570. Vaccaro, La musique de luth, chapitre VI. 21 Il se peut également qu’une pièce possède les caractéristiques d’un genre avant l’apparition de celui-ci. Par exemple, on retrouve les caractéristiques de l’air dans certaines compositions de Claudin de Sermisy sur des poèmes de Clément Marot publiées à la fin des années 1520, comme la célèbre Tant que vivray. Le terme air constituerait « une désignation plus adéquate », même s’il n’apparaît que 50 ans plus tard. Frank Dobbins et Annie Coeurdevey, « Air, Air de cour, Voix de ville, Air spirituel », dans Guide de la musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 589-591. 22 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 1-2; Dobbins et Coeurdevey, « Air, Air de cour, Voix de ville, Air spirituel ».

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désigner le même type de composition. Bien que Le Roy mentionne que son livre est constitué d’airs de cour, jadis qualifiés de voix de ville, les modèles vocaux de Nicolas de La Grotte étaient parus sous le titre de Chansons de P. de Ronsard. Ainsi, les termes chanson, air et voix de ville s’appliquent aux mêmes compositions qui forment le Livre d’airs de cour miz sur le luth de 1571. Malgré sa dédicace qui semble rejeter l’appellation voix de ville pour consacrer l’air de cour, Le Roy publie deux ans plus tard un Premier livre de chansons en forme de vau de ville composé à quatre parties, chansons qui sont pour la plupart des nouvelles harmonisations de mélodies utilisées par Certon dans son Premier livre de chansons (1552). Selon Brooks, une démarcation entre la voix de ville et l’air s’établit progressivement dans la deuxième moitié du XVIe siècle et s’observe dans les pièces du livre de 1571 où l’on remarque un style « distinctement déclamatoire, totalement exempt des structures métriques et des phrases régulières de l’ancienne voix de ville »23. L’air devient donc un genre distinct, même s’il conserve la texture homophonique et la structure strophique des voix de ville, desquelles il se démarque toutefois par une plus grande liberté rythmique. Une autre distinction entre voix de ville et air de cour est mentionnée par Le Roy dans sa dédicace, alors qu’il spécifie que les textes sont « sortis de bonnes forges comme du Seig. Ronsard, Desportes et autres des plus gentilz poëtes de ce siècle »24. Signe de l’ennoblissement du genre, l’air peut maintenant accueillir les meilleurs poètes, tandis que l’appellation voix de ville subsiste pour désigner des pièces monodiques plus légères et d’allure populaire. En plus d’apposer un nom inédit à ce nouveau genre de composition, et de le distinguer par la nature des textes utilisés, Le Roy l’assimile à la cour, lieu qui réunit ce qu’il y a de plus noble et raffiné. Le qualificatif « de cour » apposée aux airs de Le Roy n’est toutefois pas d’ordre géographique, mais implique, selon Brooks, une « qualité intrinsèque des pièces et l’esprit dans lequel leur interprétation doit être comprise »25.

Le caractère hybride du recueil de 1571

Le Livre d’airs de cour miz sur le luth, bien qu’il soit associé généralement au répertoire vocal, figure dans le présent mémoire au même titre que des ouvrages instrumentaux. Jonathan Le Cocq affirme même que le livre est d’abord destiné à une interprétation instrumentale, à l’instar de

23 Brooks, « La comtesse de Retz et l'air de cour des années 1570 », 310. 24 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 14. 25 « Courtliness is a quality of the pieces themselves and the mentalities through which their performance was understood. » ibid., 19.

23 trois autres publications semblables de Le Roy26. Ces publications présentent une mélodie notée sur une portée, ainsi qu’une tablature reproduisant cette mélodie, en plus de compléter l’harmonie. Le Cocq s’appuie sur divers indices pour étayer sa thèse. D’abord, il note que les recueils français similaires – la Tres breve et familiere introduction...(1529) d’Attaingnant et le Premier livre de psalmes [...] reduitz en Tabulature de Leut (1554) de Guillaume Morlaye – ne reproduisent pas la mélodie dans l’accompagnement, et sont donc, sans ambiguïté, destinés à une interprétation vocale. Aussi, lorsque des pièces extraites des livres de Le Roy sont publiées par d’autres éditeurs – notamment dans les anciens Pays-Bas et en Angleterre – la mélodie notée sur une portée n’est pas reproduite, obligeant une interprétation instrumentale. Finalement, il démontre que l’ambitus de la mélodie se détache du modèle initial pour s’adapter au registre de l’instrument, s’éloignant ainsi du registre de la voix27. Le Cocq n’ose pas affirmer que le livre de 1571 a servi exclusivement à des interprétations instrumentales, mais il conclut que Le Roy a eu peu d’impact dans le développement de l’air accompagné, ou du moins qu’il ne l’a pas perçu comme un genre indépendant. Certes, il semble évident que ces pièces ont été conçues pour pouvoir être jouées par un luth seul. Vaccaro note cependant que « le texte poétique, avec ses nombreuses strophes, y tient une place trop importante pour que la musique puisse conserver une existence indépendante hors de lui. » Pourquoi, en effet, Le Roy aurait-il transcrit toutes les strophes des chansons – parfois au-delà d’une vingtaine – si le livre était destiné d’abord à un usage instrumental (Annexe 1 – Adrian Le Roy : Livre d’airs de cour miz sur le luth, 1571). Ainsi, le Livre d’airs de cour miz sur le luth occupe une place particulière dans l’œuvre d’Adrian Le Roy. À la croisée des chemins entre sa production musicale et ses ouvrages pédagogiques, ce livre annonce les transformations qui apparaissent progressivement dans l’art vocal à la fin du XVIe siècle, avant de s’affirmer au début du siècle suivant.

Portrait de l’édition musicale entre 1571-1623

Des études séparées du catalogue de Le Roy et Ballard, et de celui de Pierre Ballard, mènent à des conclusions inexactes en ce qui a trait à la place de la musique instrumentale dans l’édition

26 Il s’agit du Second livre de guiterre (1552), du Cinquiesme livre de guiterre (1554) et du Tiers livre de tablature de luth (1552). Voir Jonathan Le Cocq, « The Status of Le Roy's Publications for Voice and Lute or Guitar », Lute Society Journal 35 (1995) : 4. 27 Ibid., 18.

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musicale au tournant du XVIIe siècle. Par exemple, la notice consacrée à l’atelier de Le Roy et Ballard dans le Guide de la musique de la Renaissance mentionne que la musique instrumentale est « bien représentée, avec plus de 15 recueils »28. Toutefois, presque tous ces ouvrages sont parus au cours des décennies 1550 et 1560. Cette interprétation du catalogue ne met donc pas en perspective l’absence de publications pour luth au cours des 30 dernières années du siècle. Aussi, Laurent Guillo, dans son catalogue des ouvrages publiés par Pierre Ballard, affirme que « la parution du Trésor d’Orphée d’Antoine Francisque, en 1600, inaugure les éditions pour luth en format in-folio et annonce l’intérêt prononcé que Pierre porte à cet instrument29. » Certes, il y a une présence accrue du luth dans les publications grâce à la collection d’airs de cour qui débute en 160830. Cela n’a toutefois pas d’équivalent dans le répertoire solo de l’instrument. Il est donc nécessaire de combiner les deux catalogues et de poser un regard sur la stricte période 1571- 1623, afin d’avoir un portrait plus juste de la situation de la musique instrumentale dans l’édition musicale à cette époque. On constate que cette période est marquée par plusieurs bouleversements.

Difficultés à la suite de la mort de Robert I Ballard

Lorsque Le Roy et Ballard obtiennent au milieu des années 1570 le monopole de l’impression musicale à Paris, l’atelier connaît sa période d’activité la plus prospère. Dans la seule décennie 1570, on compte 105 publications – incluant les éditions originales et les rééditions – dont 23 pour la seule année 1578. Puis, dans la décennie 1580, ce sont 76 publications qui paraissent, avec un sommet de 14 pour l’année 158731. Divers événements viennent alors ralentir les activités de l’atelier, qui ne reprennent normalement qu’à partir de 1606. On a attribué ce ralentissement aux problèmes causés par la succession à la tête de l’atelier. Robert I Ballard meurt en juillet 1588, alors que paraissent la même année six éditions portant encore le nom des deux associés. Aucune publication ne paraît en 1589 et 1590, puis seulement trois rééditions sont imprimées en 1591, sous le seul nom de Le Roy. À nouveau, aucun ouvrage n’est publié en 1592, avant que les activités ne reprennent de façon plus constante entre 1593 et 1598. Les publications, durant ces six années, paraissent sous les noms d’Adrian Le Roy et de la « veufve R. Ballard » (Lucrèce Dugué). Selon

28 Marie-Alexis Colin, « Le Roy, Adrian, Ballard, Robert », dans Guide de la musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 703-705. 29 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 14. 30 Entre 1608 et 1643, Pierre Ballard publie 16 livres d’airs accompagnés au luth. 31 Les statistiques ont été compilées à partir de l’annexe *LRB I+ dans Boucaut-Graille, « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 », 211-218.

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Laurent Guillo, la baisse de production à partir de 1589 semble être la marque d’une désorganisation et de l’inexpérience des successeurs de Ballard dans la gestion de l’atelier. Tandis que Le Roy conserve son rôle d’éditeur et que la veuve de Robert I Ballard s’occupe des aspects commerciaux et comptables, Pierre Ballard occupe dès 1593 la place de son père pour la logistique technique de l’atelier, et ce serait même grâce à son implication que l’atelier redémarre à partir de 159332. Après la mort de Le Roy en 1598, les éditions sont imprimées « par la veufve R. Ballard, & son fils Pierre Ballard », avant que Lucrèce Dugué ne se retire définitivement en 1606. Pierre Ballard dirige alors seul les activités de l’imprimerie et instaure de nouvelles politiques éditoriales. Cela se traduit par un retour aux publications de messes et, surtout, par la publication de la collection d’airs accompagnés au luth. La relance de l’atelier est alors confirmée, et les éditions originales surpassent les rééditions. Dans la décennie 1600, 39 publications voient le jour, dont 26 originales. Dans la décennie 1610, 56 livres sont publiés, dont 40 éditions originales, et cette ascension se poursuit dans la décennie suivante, signe que l’atelier s’est bel et bien redressé après la crise de 1589-93. Il est certain que la mort de Robert I Ballard a eu un impact déstabilisant sur les activités de l’atelier. Ni sa veuve ou Le Roy, trop ancrés dans les activités passées de l’atelier, ne pouvaient assurer la relance, qui se réalise plutôt grâce au souffle nouveau apporté par Pierre Ballard. Toutefois, ces problèmes de succession surviennent durant l’un des épisodes les plus troubles de l’histoire de France. Le royaume, et plus particulièrement la ville de Paris, est plongé dans une crise sans précédent, et il est permis de croire que le sort de l’atelier aurait probablement été le même si Robert I Ballard avait été en vie.

Difficultés liées au contexte politique

Après plus de 25 ans de troubles politiques et religieux ponctués par diverses révoltes, l’assassinat du duc de Guise en décembre 1588 déclenche une véritable guerre civile33. Henri III, qui a cautionné ce geste, perd l’appui déjà fragile de plusieurs de ses sujets. L’influente faculté de théologie de l’Université de Paris les libère de leur serment d’obéissance envers le roi, et ce dernier est finalement excommunié par le pape Sixte V. Isolé et chassé de Paris, Henri III est

32 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 11-15. 33 La chronologie des événements est détaillée dans Jouanna, La France du XVIe siècle : 1483-1598. Pour une analyse des événements et de ses répercussions, voir Michel De Waele, Réconcilier les Français : Henri IV et la fin des troubles de religion, 1589-1598 (Québec : Presses de l'Université Laval, 2010). La confusion conceptuelle autour de la nature des conflits, notamment les révoltes et guerres civiles, est abordée aux pages 15 à 33.

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contraint de se rapprocher d’Henri de Navarre, et ce, malgré les allégeances protestantes de celui- ci. Afin de mettre un terme au conflit, les nouveaux alliés entament le siège de Paris afin de reprendre la ville contrôlée par la Ligue34. Toutefois, Henri III est poignardé par le moine Jacques Clément et succombe à ses blessures dans la nuit du 1er au 2 août 1589. Sur son lit de mort, il reconnaît Henri de Navarre, futur Henri IV, comme son successeur légitime. Celui-ci, que la Ligue refuse évidemment de reconnaître comme roi, lève d’abord le siège de Paris. Les troupes d’Henri IV organisent quelques mois plus tard un nouveau siège de la ville, qui dure d’avril à août 1590. Les misères que connaissent les habitants de Paris durant les sièges successifs sont décrites par les chroniqueurs de l’époque. Henrico Caterino Davila raconte que Le pauvre peuple, sans pain, sans argent, et réduit à une extrême misère, estoit contraint de paistre l’herbe, à la manière des bestes *...+. N’ayant plus ny bouillie, ny pain d’avoine, ils furent contraints de recourir à des choses immondes et funestes, jusques à piler les ossements de morts, qu’ils réduisoient ainsi en farine dont ils faisoient du pain, aliment abominable et si contagieux, que la matière en estant tirée des morts, ils en accroissoit aussi de beaucoup de nombre35.

Les malheurs ne touchent pas seulement les plus démunis. Pierre de L’Estoile raconte que « la maladie en tua plus que n’eust fait le glaive de l’ennemi entrant de furie dans Paris. Le nombre seul des procureurs de Parlement de Paris qui sont décédés en ladite ville de Paris, depuis Pasques 1590 jusques à Noël, est de soixante deux36. » Il va sans dire que cette situation affecte l’activité économique de la ville, et le domaine de l’imprimerie n’y échappe pas. La situation économique du royaume était déjà précaire depuis le début des troubles de religion en 1562, malgré une fragile relance entre 1575 et 158537. Lorsqu’éclate la guerre civile à la fin des années 1580 et que Paris est assiégée, la situation des imprimeurs s’écroule. Seuls les plus puissants réussissent à traverser cette crise. Les contrats d’apprentis dans les métiers de l’impression recensés par Denis Pallier révèlent cet effondrement : sur les 150 contrats de la période 1585-1594, aucun n’est signé entre le 28 décembre 1589 et le 10

34 Après la mort en 1584 du duc d’Anjou – frère d’Henri III et héritier du trône, puisque le roi est incapable d’avoir une descendance –, la loi salique, qui régit la succession des rois, désigne Henri de Navarre comme héritier. La Ligue se forme autour du duc de Guise et regroupe les forces catholiques qui refusent qu’un protestant hérite de la couronne de France. 35 Extrait de l’Histoire des guerres civiles de France d’Henrico Caterino Davila, cité dans Joël Cornette, Chronique de la France moderne. De la Ligue à la Fronde (Paris : SEDES, 1995), 16. 36 Extrait des Mémoires de Pierre de L’Estoile, cité dans Cornette, Chronique de la France moderne : 18. 37 C’est d’ailleurs à ce moment que l’atelier de Le Roy et Ballard connaît ses meilleures années. Les détails sur les activités des imprimeurs parisiens à cette époque sont extraits de Denis Pallier, Recherches sur l'imprimerie à Paris pendant la Ligue, 1585-1594 (Genève : Droz, 1976).

27 juillet 159338. Durant cette période, « il n’est plus en effet de marché du livre, si l’on met à part les pièces partisanes39. » La presque totalité des publications de 1589 et 1590 est en effet constitué de pamphlets, de journaux, de tracts et d’autres pièces brèves entretenant la propagande ligueuse. De plus, le Parlement de Paris promulgue une série de règlements dès la fin des années 1580 pour contrôler l’activité des imprimeurs. En conséquence, « les cadres politiques dont la Ligue enserre le métier ne laissent aux gens du livre d’alternative qu’entre l’engagement [pour la Ligue], ou bien, à tout le moins, une neutralité prudente40. » Dans une ville contrôlée par la Ligue, les imprimeurs officiels du roi sont les premiers atteints par le ralentissement, voire l’arrêt des activités d’impression. Plusieurs quittent la ville, d’autres mettent leurs activités en veilleuse, et quelques rares conservent certaines activités permises par le pouvoir en place. Ainsi, peu importe la mort de Robert I Ballard, la situation de l’atelier d’impression musicale aurait sans doute connu le même sort durant les années 1589-93. L’absence complète de publications chez Le Roy et Ballard en 1589 et en 1590 correspond en effet aux moments où Paris est assiégée, et sa population en état de survie. Ce n’est que lorsqu’Henri IV est finalement reconnu roi en 1594, à la suite de sa conversion au catholicisme l’année précédente, que l’atelier se relève progressivement, à l’image de toute l’industrie de l’impression qui retrouve ses activités normales au début du XVIIe siècle41. Les liens étroits entretenus depuis plus de 40 ans entre les imprimeurs de musique et le pouvoir royal s’avèrent donc inutiles durant cette crise. Pendant qu’Henri IV cherche à affirmer son autorité, l’atelier est privé du pouvoir qui garantit son bon fonctionnement, et doit interrompre sa production dans l’attente qu’on lui accorde à nouveau un privilège pour imprimer la musique. À la lumière des troubles de la fin du XVIe siècle, l’activité des imprimeurs de musique durant la période 1571-1623 s’articule en trois temps : le faste des années 1571 à 1588, le ralentissement des années 1589 à 1605, puis finalement, la reprise de 1606 à 1623.

La musique instrumentale dans l’édition musicale

On sait que les publications pour luth sont rares durant toute la période 1571-1623, mais y a-t-il eu d’autres publications instrumentales? Dans le catalogue de Le Roy et Ballard, Lesure et Thibault

38 Ibid., 31. 39 Ibid., 122. 40 Ibid., 117. 41 Pour des détails sur la reprise des activités d’impression à Paris au XVIIe siècle, voir Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (Genève : Droz, 1969).

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ont initialement recensé 349 publications, dont 207 recueils de musique vocale profane, 123 de musique vocale sacrée, 17 recueils instrumentaux et 2 ouvrages théoriques42. Le catalogue s’est aujourd’hui enrichi de quelques volumes au fil des découvertes récentes. Boucaut-Graille dénombre 362 volumes43, dont 30 publications instrumentales, qui incluent les instructions et les recueils perdus cités principalement dans le catalogue de Brown 44 . De ces publications instrumentales, 16 sont destinées au luth, 9 à la guitare, 3 au cistre et 2 à la mandore. Ainsi, on constate que tous les recueils instrumentaux publiés par l’atelier sont consacrés à des instruments à cordes pincées, et plus de la moitié est dédiée au luth, ce qui n’est pas étonnant pour un atelier codirigé par un luthiste45. Rappelons toutefois que la plupart de ces publications voient le jour dans les décennies 1550 et 1560. Le Trésor d’Orphée de Francisque paraît en 1600, alors que Pierre Ballard prend les commandes de l’atelier, laissant présager un retour aux publications d’œuvres pour luth. Il faut pourtant attendre plus de 10 ans avant de voir paraître le Premier livre (1611) de Robert II Ballard. Pierre Ballard se distingue néanmoins de ses prédécesseurs en publiant des œuvres destinées à diverses formations instrumentales. Ainsi, deux livres de fantaisies instrumentales, l’un d’Eustache du Caurroy et l’autre de Charles Guillet, paraissent en 161046. La publication suivante pour luth, la Tablature de luth de différents auteurs..., aujourd’hui perdue, est publiée en 1623 et sort donc du cadre de cette étude. Le tableau suivant présente tous les recueils de musique instrumentale publiée en France dans la période 1571-1623.

42 Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, 20. 43 Boucaut-Graille n’a pas eu la prétention de publier un catalogue à jour. Ainsi, sa liste des publications de Le Roy et Ballard n’est pas numérotée, et l’on doit donc utiliser les références des divers catalogues où elle a puisé ses informations. 44 Brown, Instrumental Music Printed Before 1600. 45 L’importance des publications pour luth dans le corpus instrumental du XVIe siècle dans toute l’Europe est indéniable. En se basant sur la bibliographie d’Howard Mayer Brown, Vaccaro présente les statistiques suivantes concernant la place du luth dans la production instrumentale européenne au XVIe siècle : 65 % des publications lui sont consacrées, alors que 22 % sont dédiés aux claviers, 11 % aux autres instruments à cordes pincées, et 2 % à la viole de gambe. Vaccaro, La musique de luth, 63. 46 Il s’agit des premières œuvres instrumentales non destinées à des cordes pincées publiées à Paris depuis le Quart livre de danseries de Jean d’Estrée, imprimé par Nicolas du Chemin et 1564.

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Tableau 2 : Musique instrumentale publiée en France de 1571 à 162347

Année Auteur Titre Type d’ouvrage Référence 1571 Adrian Le Roy Airs de cour miz sur le luth Musique LRB 154

BR 15713 [1578] [Pierre Brunet] [Tablature de mandore] Musique Perdu LRB 228 [1578*] [Adrian Le Roy] [Briefve & facile instruction... Pédagogique Perdu

sur la Guiterne] BR [1578]7 1578 Orlande de Moduliduarum... Musique sacrée LRB 208

Lassus BR 15786 1582 Baltasar de Le Balet comique de la Royne Ballet LRB 248

Beaujoyeulx BR 15823 1583* Adrian Le Roy Instruction de partir toute... en Pédagogique BR 15833 tablature de luth [1585] [Adrian Le Roy] [Instruction pour la mandore] Pédagogique Perdu

BR [1585]7 1589 Thoinot Arbeau Orchésographie Traité de danse BR 15891 Publié par J. des Preyz 1600 Antoine Le Trésor d’Orphée Musique G 1600-B Francisque 1601* Orlande de Moduliduarum... Musique sacrée G 1601-C Lassus 1610 Eustache Du Fantaisies à 3, 4, 5 et 6 parties Musique G 1610-B Caurroy 1610 Charles Guillet 24 fantaisies à 4 parties Musique G 1610-D 1611 Robert Ballard Premier livre Musique G 1612-B 1614 Robert Ballard Deuxième livre Musique G 1614-D 1623 Divers Tablature de luth de différents Musique G 1623-J autheurs sur l’accord ordinaire et extraordinaire

On constate immédiatement le caractère erratique des publications instrumentales, qui n’obéissent à aucune politique éditoriale semblable à celle des décennies 1550 et 1560, alors que Le Roy et Ballard publiaient leurs collections pour luth ou pour guitare. Ainsi, la rareté des sources musicales n’est pas unique au luth, mais s’applique à l’ensemble de la musique instrumentale de la période 1571-1623. On peut aisément l’expliquer pour la décennie 1590, marquée par divers

47 Il s’agit dans tous les cas d’éditions originales, sauf celles identifiées par un astérisque. Les mentions entre crochets concernent des ouvrages perdus. Les références proviennent des bibliographies de Brown (BR), Lesure et Thibault (LRB) et Guillo (G). Outre les publications déjà mentionnées, le tableau inclut des ouvrages regroupant à la fois des œuvres vocales et instrumentales (les Moduliduarum de Lassus, le Balet comique de la Royne), et un recueil paru chez un autre imprimeur (l’Orchéographie d’Arbeau, ouvrage théorique consacré à la danse, mais incluant des œuvres musicales).

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bouleversements, mais on s’étonne qu’il en soit de même pour les décennies 1570 et 1580, qui ont été les années les plus productives de l’atelier. Par contre, le virage entamé à la fin des années 1560 vers les ouvrages à caractère pédagogique se confirme avec les rééditions des instructions pour la guitare (1578) et pour le luth (1583), de même qu’une destinée à la mandore (1585) sans édition antérieure connue. C’est là que se trouve le paradoxe sur la pratique instrumentale en France au tournant du XVIIe siècle : la publication de ces instructions révèle le dynamisme de la pratique instrumentale et témoigne de l’existence d’une clientèle amateur. Toutefois, cela ne se traduit pas par une offre accrue de recueils de pièces pour ces instruments de plus en plus joués. Les luthistes-compositeurs semblent avoir voulu conserver le secret de leur art. On constate en effet que les luthistes qui ont publié leurs œuvres sont issus du milieu marchand ou de l’imprimerie (notamment Adrian Le Roy et Guillaume Morlaye), tandis que les plus célèbres luthistes rattachés à la cour de France ne nous ont laissé que quelques œuvres. Celles-ci nous sont parvenues dans des manuscrits ou des anthologies publiées à l’extérieur de la France, telles que le Thesaurus harmonicus (1603), publié à Cologne par Jean-Baptiste Besard, ou A Varietie of Lute Lessons (1610), publié à Londres par Robert Dowland48. La préface des instructions pour luth de Le Roy, connue uniquement dans sa traduction anglaise de 1574, confirme que les luthistes aient préféré garder secrets les « mystères de leur science » : The Author [Adrian Le Roy] feared not to be reproved by the Masters of this Art for having disclosed the misteries of this Science, herebefore alwayes keps bidden in their bosomes, without communicating it to others then to such as had spent many yeares in their schooles. In which he maketh not so much conscience to prophane holy thinges, as it were to them that be not professed, as to make common and therby more profitable, a treasure before hidden49.

Le phénomène n’est toutefois pas unique aux luthistes. Les ménétriers conservent jalousement leur répertoire de danse, transmis de façon orale au sein des guildes50. Il en va de même pour la musique pour clavier en France. On ne retrouve aucune publication pour clavier entre 1531 et 167051. Pourtant, tout au long du XVIe siècle, les comptes royaux font état de la présence de

48 Le Thesaurus harmonicus de Besard contient les uniques exemples musicaux de Jacques Edinthon et Guillaume de Vausmenil, de même que plusieurs pièces de Julien Perrichon et Jacob Reys. A Varietie of Lute Lessons de Robert Dowland (le fils du célèbre luthiste), contient des œuvres de Jacob Reys, Julien Perrichon et René Saman. Ces luthistes ont tous été employés à la cour de France et célébrés comme les plus grands virtuoses de leur instrument. 49 Transcrit dans Jacquot, Sordes et Vaccaro, Oeuvre d'Adrian Le Roy : Les Instructions pour le luth (1574), 3. 50 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 20. 51 Après la publication par Pierre Attaingnant d’une collection de sept volumes de musique pour instruments à clavier en 1531, il faut attendre en 1670 avant de voir paraître les deux livres de pièces de clavecin de

31 nombreux joueurs de clavier – orgue ou épinette – à la cour, dont les plus illustres reçoivent les éloges des chroniqueurs de l’époque52. De plus, certains de ces musiciens étaient en position idéale pour voir leurs œuvres publiées. C’est le cas de Nicolas de La Grotte (v. 1530-v. 1600), l’auteur des airs vocaux mis en tablature par Le Roy dans son Livre d’airs de cour miz sur le luth de 1571. La Grotte est d’abord et avant tout un joueur d’orgue et d’épinette. Il a occupé un poste prestigieux à la cour, en plus d’avoir entretenu des liens avec les imprimeurs de musique. En effet, une centaine de ses chansons sont publiées dans divers ouvrages, dont son livre de Chansons de P. de Ronsard, Ph. Desportes et autres imprimé à six reprises entre 1569 et 1580. Pourtant, aucune pièce pour clavier n’a été imprimée53. Ainsi, l’activité instrumentale échappe, dans une vaste proportion, à l’impression musicale, et ce, tant du côté des musiciens professionnels rassemblés au sein des guildes, que chez les virtuoses rattachés à la cour. Il faut donc se tourner vers les répertoires vocaux pour constater les transformations qui apparaissent dans le goût musical français au tournant du XVIIe siècle.

Émergence et affirmation de l’air

Adrian Le Roy, la veuve de Robert I Ballard et Pierre Ballard doivent assurer la relance de l’atelier à la suite de la crise de 1589-93. Le choix des publications répond sans doute davantage à des impératifs commerciaux qu’à une volonté de plaire au nouveau roi Henri IV. Leurs décisions éditoriales concordent néanmoins avec la politique de restauration qu’il préconisait. Michel De Waele associe les politiques d’Henri IV à une volonté de restauration, c'est-à-dire « le retour à un état ou à une situation qui a déjà été connu par le passé, donc à un retour à des bases anciennes, déjà éprouvées », par opposition à une reconstruction, qui « implique l’introduction de nouveaux éléments qui peuvent changer radicalement la réalité quotidienne de cet État ou de cette

Jacques Champion de Chambonnières, même si celui-ci, de même que ses contemporains Louis Couperin et Jean-Henry d’Anglebert, étaient actifs bien avant cette date. 52 La place de l’épinette et de ses virtuoses à la fin du XVIe siècle est abordée dans Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 169-175. 53 Une pièce pour orgue de La Grotte se trouve toutefois dans un manuscrit conservé à Vienne. Il s’agit d’une fantaisie sur le Anchor che col partire de Cyprien de Rore. Aussi, le Novus Partus (1617) de Besard contient une courante pour luth de La Grotte. Les références à ces pièces, ainsi que les éléments biographiques de La Grotte se trouvent dans Souris, Rollin et Vaccaro, Oeuvres de Vausmenil, Edinthon, xxvi- xxvii.

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société »54. Ainsi, l’atelier d’imprimerie mise dans un premier temps sur les œuvres qui ont assuré son succès dans les décennies précédentes, notamment les chansons de Lassus ou les compositions sur des textes de Ronsard. Puis, progressivement, l’air s’impose dans la production de l’atelier, de même que le compositeur qui incarne cette transition, Claude Le Jeune.

Lassus, Ronsard et la fin de la chanson

Les premières publications, après l’arrêt de la production en 1589-90, sont des rééditions de recueils où figurent majoritairement des œuvres de Lassus, compositeur phare du catalogue de l’atelier depuis plus de 20 ans. Alors que la collection de livres de chansons en est à son 25e volume, ce sont plutôt les Quatorzieme et Sesiesme livres qui sont réédités en 1591. Le contenu de ces deux rééditions demeure inchangé, mais les pages de titre sont modifiées. Plutôt que de mentionner que les chansons proviennent « D’Orlande de Lassus & autres », les titres des rééditions de 1591 n’indiquent plus que Lassus. Cette stratégie de modification du titre pour mettre en valeur un seul compositeur vedette – quitte à ne pas refléter tout à fait le contenu du livre – n’est pas nouvelle chez Le Roy et Ballard. Mais cette fois, la modification survient au moment où l’atelier doit tout mettre en œuvre pour s’assurer la vente de ses publications. Le choix du recueil n’est également pas laissé au hasard, puisque le Sesiesme livre, initialement paru en 1565, constitue le plus grand succès commercial de l’atelier. Il s’agit, en 1591, de sa neuvième édition55. Ainsi, l’atelier répond certes à des impératifs commerciaux, mais instaure néanmoins une politique éditoriale marquée par un « retour à des bases anciennes ». Le Sesiesme livre est également l’un des premiers recueils publiés par Pierre Ballard en 1599, après la mort de Le Roy. Il sert donc à nouveau d’assise, cette fois pour soutenir les débuts du jeune imprimeur. Lassus domine nettement le catalogue de Le Roy et Ballard durant les 30 dernières années du XVIe siècle56. Le rôle des imprimeurs dans la diffusion de l’œuvre de Lassus est immense et reflète un courant européen. Ainsi, « la maison Ballard a “fait” Lassus en France, mais elle ne faisait que suivre sur ce terrain l’édition musicale étrangère (vénitienne et flamande,

54 Michel De Waele, dir., Lendemains de guerre civile : réconciliations et restaurations en France sous Henri IV (Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2011), 8. 55 Le Sesiesme livre contient notamment la chanson Bonjour mon cœur de Lassus, l’un des plus grands succès du XVIe siècle, et l’une des rares chansons de Lassus sur un texte de Ronsard. 56 Selon Boucaut-Graille, on compte 1257 attributions pour Lassus dans le catalogue de Le Roy et Ballard, tandis que Jacques Arcadelt arrive second avec 399 attributions. Boucaut-Graille, « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 », 384-385.

33 notamment)57. » Les liens d’amitié liant Lassus et Le Roy, attestés par leur correspondance, a sans aucun doute facilité l’accès de l’atelier à un abondant répertoire. Lassus est mort en 1594, et bien que son style incarne l’apogée de l’ancienne tradition polyphonique du XVIe siècle, ses œuvres demeurent dans le catalogue de l’atelier jusqu’en 1625, principalement dans le domaine de la musique sacrée. Son œuvre profane n’est pas en reste. Une ultime réédition des Meslanges de la musique d’Orlande de Lassus – publiés à l’origine en 1570 et contenant 131 chansons, madrigaux et vers latins de 4 à 10 voix – paraît en 1619, alors que le genre de la chanson a pratiquement disparu de l’édition musicale58. C’est dire l’importance de Lassus non seulement dans les meilleures années de l’atelier, mais également son rôle central dans la reprise des activités et le processus de restauration de la clientèle perdue suite aux troubles de la décennie 1590. La réédition de musique sur des poèmes de Ronsard est un autre geste éditorial marquant une volonté de s’ancrer dans la tradition. Ronsard a été, selon Françoise Ferrand, le « pôle d’attraction de l’activité musicale en France » entre 1550 et 1580, avec près de 350 textes mis en musique, dont certains en plusieurs versions59. Toutefois, à sa mort en 1585, les compositeurs avaient déjà délaissé ses textes au profit de ceux d’une nouvelle génération de poètes. Malgré cela, des rééditions de deux livres de Sonetz de P. de Ronsard par Guillaume Boni, publiés originalement en 1576, paraissent en 1593 et 1594. Le premier livre est à nouveau publié en 1597, 1608 et 1624 (septième édition), et le second fait l’objet d’une troisième édition en 1607. Dans l’édition de 1594 du second livre, un sonnet de Boni est ajouté à la préface. Le compositeur y déclare que ses pièces appartiennent à une autre époque et s’excuse de ne pas suivre les nouvelles modes musicales60. Il est permis de se demander si la popularité de ces deux livres, écrits par un compositeur qui a fait carrière à Toulouse et ne semble pas avoir eu une faveur particulière de la cour, aurait été la même si les textes n’avaient pas été signés par Ronsard. Aussi, en 1619 paraissent les Odes de Pierre Ronsard par Pierre Cléreau, réédition d’un recueil de 1575, lui-même une réédition modifiée de recueils publiés en 1559 et 1566. Cléreau est mort en 1570, et sa carrière s’est déroulée en dehors de Paris61. De plus, son œuvre n’a pas obtenu le même succès

57 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 10. 58 Dans la décennie 1610, 24 recueils d’airs, 4 anthologies mixtes et 2 recueils de chansons sont publiés. 59 Françoise Ferrand, « Ronsard, Pierre de », dans Guide de la musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 779-792. 60 Frank Dobbins et Annie Coeurdevey, « Boni, Guillaume », dans Guide de musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 607-609. 61 Annie Coeurdevey, « Cléreau, Pierre », dans Guide de la musique de la Renaissance, sous la dir. de Françoise Ferrand (Paris : Fayard, 2011), 631.

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que celle de Boni. La réédition de 1619, parue presque 50 ans après la précédente de 1575, aurait probablement été improbable sans les poèmes de Ronsard62. Ainsi, le premier réflexe de l’atelier, après la crise de 1589-93, a été de se reconstruire à partir de valeurs sûres, tant sur le plan musical, en poursuivant l’impression d’œuvres de Lassus, que sur le plan littéraire, en favorisant les compositions sur des poèmes de Ronsard. Cette politique éditoriale de restauration n’a toutefois pas empêché l’apparition de nouvelles publications tournées vers l’avenir de l’atelier.

Claude Le Jeune et l’affirmation de l’air

Tous les livres de chansons imprimés par Pierre Ballard, à partir de 1599, sont des rééditions de recueils publiés par Le Roy et Ballard. Jusqu’à la fin des années 1570, la chanson avait dominé le catalogue des imprimeurs associés. L’année 1578, avec son record de 22 publications, donne la mesure de ce phénomène : 17 livres de chansons (7 originaux et 10 rééditions), 2 d’airs (un original et une réédition), 2 de musique sacrée (tous les deux originaux), et un livre instrumental (pour mandore, aujourd’hui perdu). Après 1578, la tendance commence tranquillement à s’inverser, alors que les airs prennent une place plus importante, mais il reste difficile d’établir la chronologie exacte des débuts du genre. Ainsi, en 1583 paraissent les Vingtdeuxieme livre et Vingttroisieme livre de chansons de divers auteurs, qui sont les dernières éditions originales exclusivement consacrées au genre. La même année paraît le Vingtquatrieme livre, puis, en 1585, le Vingtcinquieme livre. Ce sont les deux derniers recueils de la collection, et pour la première fois, leurs titres indiquent qu’ils sont composés « d’airs et de chansons ». De plus, ils sont, à l’exception de quelques pièces du Vingtquatrieme livre, exclusivement consacrés à Orlande de Lassus et Claude Le Jeune63. Ainsi, au terme d’une collection de livres de chansons entamée en 1552, l’atelier réunit, au sein d’un même ouvrage, deux genres et deux compositeurs qui poursuivaient jusqu’alors des trajectoires parallèles. Les transformations esthétiques apparues progressivement dans la deuxième moitié du XVIe siècle s’observent donc dorénavant dans le domaine de l’impression musical.

62 Même si les compositeurs avaient délaissé les textes de Ronsard, le prestige du poète à la cour semble être resté très grand, si on se fie à l’ampleur des cérémonies après sa mort. Voir le chapitre « Les funérailles de Ronsard » dans Frances A. Yates, Les académies en France au XVIe siècle (Paris : Presses universitaires de France, 1996), 241-267. 63 Le nom de Claude Le Jeune ne figure pas dans le titre de l’édition du Vingtquatrieme livre de 1583. Son ajout lors de la réédition de 1585 témoigne de la popularité croissante du compositeur.

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Claude Le Jeune, compositeur huguenot, apparaît une première fois dans le catalogue de Le Roy et Ballard en 1564 avec une collection de psaumes, mais c’est à partir des recueils conjoints avec Lassus qu’il émerge véritablement dans les publications des imprimeurs. Le livre Meslanges de la musique de Clau. Le Jeune, première publication de musique profane uniquement consacrée à ses œuvres, paraît en 1586, et est rééditée l’année suivante, preuve de son succès. Un recueil inédit d’Airs mis en musique paraît en 1594. Il s’agit de la première édition originale après la crise de 1589-93, et peut-être la première édition suivant le renouvellement du privilège royal accordé aux imprimeurs par Henri IV64. Sans être nécessairement une commande directe du roi, la reprise des publications originales avec un recueil d’airs d’un compositeur protestant n’est sans doute pas un hasard. Malgré la mort de Robert I Ballard, l’atelier sait encore s’assurer les faveurs royales65. Claude Le Jeune fait figure de compositeur pivot, ce qu’exprime bien le titre de la biographie d’Isabelle His, Claude Le Jeune (v.1530-1600) : un compositeur entre Renaissance et Baroque66. Pivot d’abord par son œuvre, qui réunit la chanson et l’air, avant d’affirmer la prédominance de ce dernier genre, mais aussi par sa vie, qui symbolise la réconciliation religieuse souhaitée par Henri IV et scellée, bien fragilement, par l’édit de Nantes en 159867. Le Jeune est originaire de Valenciennes, ville des Pays-Bas espagnols qui a joué un rôle important dans la diffusion des courants réformés, mais qui est située dans la région où s’est développée la grande tradition de la polyphonie franco-flamande catholique. Huguenot convaincu, il doit fuir Paris au cours du siège de la ville en 1590. Il a été au service de plusieurs membres de la noblesse protestante68, puis du duc d’Anjou, le frère du roi Henri III. Finalement, entre 1594 et 1596, il est nommé « Maître compositeur ordinaire de la Chambre du Roi » par Henri IV, qu’il avait déjà fréquenté auparavant69. Le Jeune est le seul compositeur protestant qui occupera ce poste prestigieux dans l’histoire du royaume de France, et ce, avant même que l’édit de Nantes ne redonne officiellement aux protestants le droit d’occuper une charge royale. Même si son œuvre n’est que timidement

64 La charge d’imprimeur du roi et le privilège qui lui est associé ont été renouvelés par Henri IV en avril 1594, mais il est impossible de connaître l’ordre de parution des trois recueils publiés la même année. 65 L’influence patronale dans les activités des imprimeurs de musique est discutée dans Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 28-29. 66 His, Claude Le Jeune. 67 Tout en affirmant le rétablissement de l’Église apostolique et romaine comme seule religion en France, l’édit de Nantes accorde le droit de culte aux protestants. De plus, il leur garantit des droits civils semblables aux catholiques. 68 Notamment François de La Noue, Charles de Téligny, Henri de La Tour d’Auvergne et Guillaume d’Orange. Pour le détail des liens entre Le Jeune et le milieu protestant, voir ibid., 30-77. 69 On ne sait exactement à quelle date il entre en fonction, mais son titre est confirmé dans un privilège royal daté de 1596 et reproduit dans le Dodécacorde publié à La Rochelle en 1598.

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diffusée à la fin du XVIe siècle, il jouit d’une grande estime, même auprès des catholiques70. C’est toutefois après sa mort en 1600 qu’une grande partie de son œuvre est publiée, notamment ses livres de psaumes. L’édition par Pierre Ballard de 11 recueils de pièces de Le Jeune entre 1601 et 1612 est le « premier acte important du jeune imprimeur »71. Les termes « air » et « chanson » commencent donc à se côtoyer dans un même titre avec le Vingtquatrieme livre de 1583, essentiellement consacré à Lassus et à Le Jeune. Cela distingue clairement les deux genres, qui jusqu’alors étaient souvent confondus par les imprécisions terminologiques exposées précédemment. Le terme « air » apparaît pour la première fois dans le recueil Musique de Guillaume Costeley en 1570. À l’intérieur du recueil, Costeley nomme un groupe de pièces « chansons en forme d’air » pour désigner les pièces homorythmiques sur poésie strophique72. Il faut attendre les Airs mis en musique par Fabrice Marin Caiétain en 1576 pour voir le terme figurer dans le titre d’un livre. Quant à l’appellation « air de cour », après le livre de Le Roy en 1571, on le retrouve seulement en 1596 (Airs de court mis en musique[...] de plusieurs autheurs73), puis en 1597 (Airs de court de Denis Caignet). Le terme « air de cour » devient plus fréquent au XVIIe siècle, mais sans jamais supplanter la simple appellation « air ». C’est dans la décennie 1590 que les publications de livres d’airs dépassent en nombre pour la première fois ceux de chansons, avec 9 livres d’airs (dont 6 originaux), 3 anthologies mixtes et 7 livres de chansons (tous des rééditions). L’air connaît son épanouissement sous la gouverne de Pierre Ballard, qui est quasiment le seul imprimeur en Europe à en publier (contrairement aux chansons du XVIe siècle). Les recueils de chansons sont dorénavant marginaux : dans la décennie 1610, on retrouve 24 livres d’airs et 2 livres de chansons. Ainsi, plus de 80 recueils d’airs de cour sont publiés sous la gouverne de Pierre Ballard, et ce, dans trois formats différents : l’air polyphonique (habituellement à 4 voix), l’air monodique accompagné au luth et l’air monodique sans accompagnement. Ce sont les airs accompagnés au luth qui représentent la véritable innovation dans ce domaine, alors que 24 livres paraissent entre 1608 et 164374. De plus, les 3 premiers livres

70 Un célèbre épisode raconte que le compositeur catholique a usé de son influence pour sauver un manuscrit de Le Jeune, le Dodécacorde, recueil de psaumes protestants. Malgré son utilisation dans le culte protestant, le Dodécacorde est publié par Pierre Ballard à Paris en 1618 et témoigne de la lente réconciliation entre les confessions. His, Claude Le Jeune, 62-65. 71 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 14. 72 Dobbins et Coeurdevey, « Air, Air de cour, Voix de ville, Air spirituel », 589. 73 Il s’agit d’une réédition d’un recueil de l’année précédente intitulé simplement Airs mis en musique [...] de plusieurs autheurs. 74 De ce nombre, 16 font partie d’une collection d’airs de différents auteurs, 5 sont consacrés à des airs d’Étienne Moulinié, et 3 à des compositeurs mineurs (Jean Boyer, François Richard et Louis de Rigaud). La

37 publiés sont réédités dans les années suivantes (4 ans pour le premier livre, 5 pour le second, et 3 pour le troisième), signe indéniable du succès qu’ils obtiennent. La qualité des airs au luth dès les premiers livres de la collection, de même que la réponse favorable instantanée de la clientèle, confirment que la pratique n’est pas nouvelle. Pierre Ballard n’a pas créé un genre nouveau, mais a plutôt récolté les fruits mûrs d’une pratique amorcée bien avant, et annoncée par Le Roy dans son Livre d’airs de cour miz sur le luth en 1571. Si la pratique de l’air accompagné au luth existait au temps de Le Roy, la chanson polyphonique était encore trop populaire pour céder sa place, et le nombre de luthistes amateurs sans doute insuffisants pour pouvoir constituer un succès commercial.

Impact du transfert de la chanson vers l’air accompagné au luth

La polyphonie reste très présente en France malgré les succès de la collection d’airs accompagnés au luth. Ce sont les versions au luth qui représentent habituellement le genre dans les concerts et enregistrements de nos jours, si bien qu’il est facile d’y voir le format privilégié au XVIIe siècle. Pourtant, l’air au luth apparaît dans l’édition plus tardivement que l’air à quatre voix, et disparaît plus tôt. Plusieurs airs existent dans les deux formats, et si l’air au luth découle souvent de la version polyphonique, il semble que l’inverse soit également possible. En effet, certains airs d’Étienne Moulinié – qui publie chez Ballard à partir de 1624 – auraient d’abord été conçus en version avec luth avant d’être transcrits pour quatre voix75. Au terme du développement de l’air au luth, l’accompagnement n’est donc plus uniquement une réduction instrumentale des voix, mais devient un objet sonore idiomatique créant un véritable dialogue entre art vocal et art instrumental. Cette nouvelle dynamique créée par l’air monodique s’observe à l’époque dans toute l’Europe. En Italie, le genre est consacré avec la parution en 1601 du Nuove musiche de Giulio Caccini, qui codifie dans sa préface l’art de bien interpréter ce type de chant nouveau. En Angleterre, le finit par s’imposer dans sa version monodique, délaissant les versions à

liste des éditions et rééditions des recueils d’airs au luth est présentée dans Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 139. 75 Annie Cœurdevey, « La formation du langage tonal en France dans la première moitié de XVIIe siècle : Étienne Moulinié » (thèse de doctorat inédite, Université François Rabelais, Tours, 1991), cité dans ibid., 141.

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quatre voix76. Malgré le succès de la monodie accompagnée, les compositeurs français demeurent attachés aux airs polyphoniques, encore abondamment publiés dans les années 1660. L’une des conséquences de la conception plus harmonique de l’air – par opposition à l’aspect contrapuntique de la chanson – est le développement de la basse continue77. Apparue d’abord en Italie à la fin du XVIe siècle, elle se développe progressivement en France et finit par supplanter les tablatures dans les recueils d’airs au milieu du XVIIe siècle. En délaissant ce mode d’écriture strictement lié au luth, l’accompagnement des airs devient alors possible sur d’autres instruments, notamment le clavecin, dont l’essor au milieu du XVIIe siècle coïncide avec le déclin du luth. Ainsi, la remarquable présence du luth dans le catalogue de Pierre Ballard, grâce aux 24 livres d’airs publiés de 1608 à 1643, n’est qu’un dernier sursaut. L’instrument n’obtiendra plus jamais en France le prestige qu’il avait conservé depuis le milieu du XVIe siècle. La relation du luth envers le répertoire vocal se transforme donc en même temps que l’air supplante la chanson. Dans la pratique instrumentale, l’impact le plus significatif de la disparition de la chanson est l’abandon de la mise en tablature, qui a été au cœur du développement du jeu au luth tout au long du XVIe siècle. La pratique de la mise en tablature a progressé en même temps que ce sont développées les chansons polyphoniques, et c’est l’œuvre de Lassus, dernier maître de la grande tradition contrapuntique, qui a suscité le plus de transcriptions78. C’est toutefois avec Lassus que la chanson s’éteint à la fin du siècle, entraînant également la fin des mises en tablature. Vaccaro attribue l’abandon de cette pratique des luthistes à la nature des textes des œuvres vocales de Lassus. La mise en tablature s’est développée à l’origine sur des chansons dont la musique n’est pas strictement liée au sens du texte. Toutefois, l’écriture de Lassus est plus madrigalesque et accorde une place plus importante aux paroles, qui dictent l’allure de la musique. Par conséquent, un rapport conflictuel s’installe entre certains passages expressifs – lents, contemplatifs ou mélancoliques – des modèles vocaux de Lassus, et la virtuosité

76 Les pièces du First Booke of Songs or Ayres (1597) de John Dowland peuvent être chantées à une ou quatre voix avec accompagnement de luth, tandis que celles des Third and Fourth Booke of Ayres (1617) de Thomas Campion sont écrites pour une seule voix. 77 Au lieu de noter de façon précise les notes de l’harmonie, la basse continue ne présente que la ligne de basse avec un chiffrage indiquant l’harmonie qui se déploie au-dessus. L’instrumentiste est libre de réaliser l’accompagnement de diverses manières, à condition de respecter le chiffrage. 78 Entre 1563 et 1612, dans divers pays d’Europe, on compte 319 mises en tablatures basées sur 133 modèles vocaux de Lassus. Christine Ballman, Le luth et Lassus (Bruxelles : Académie royale de Belgique, 2011), 22.

39 ornementale sans cesse grandissante des luthistes79. Cette théorie explique certes en partie le phénomène d’abandon de la mise en tablature, mais ne suffit pas à en saisir toute la dynamique. En effet, la dernière mise en tablature publiée en France, la Susanne un jour de Francisque, est un exemple très réussi, bien qu’il s’apparente davantage à une fantaisie sur la chanson qu’à une mise en tablature digne de la pratique développée au XVIe siècle. Pourquoi, alors, ne pas avoir poursuivi de telles expériences? Une autre explication du déclin du genre se trouve dans la nature du modèle vocal choisi. Francisque élabore sa pièce instrumentale sur une chanson. S’il respecte ainsi la tradition de la mise en tablature, il utilise néanmoins un modèle vocal démodé. Si les luthistes veulent suivre les nouvelles tendances musicales du début du XVIIe siècle, ils doivent se tourner vers les pièces vocales de la nouvelle génération de compositeurs, par exemple les airs de Le Jeune. Cela implique un modèle vocal au format plus court et répétitif. En effet, la forme strophique des airs ne permet pas un développement musical du même type que la forme continue de la chanson, par nature plus longue. La simplicité des mises en tablature du Livre d’airs de cour miz sur le luth de Le Roy démontre bien les limites d’un tel exercice. Pour accroître l’ampleur des pièces, les mises en tablature d’airs strophiques nécessitent le recours à la variation, technique que l’on trouve déjà à l’époque dans certaines danses. Le Trésor d’Orphée de Francisque contient par exemple trois « passemaises » et une « pavane espagnolle », qui utilisent un schéma harmonique répétitif sur lequel s’élaborent diverses variations. Francisque a préféré développer l’art de la variation sur ce type de pièces plutôt que sur les airs vocaux strophiques. Au début du XVIIe siècle, le luth redéfini sa relation avec le répertoire vocal en développant son rôle d’accompagnateur. Ce rôle lui permet de cultiver un jeu instrumental affranchi des parties vocales, contrairement aux accompagnements du siècle précédent. L’ambiguïté suscitée par les tablatures du Livre d’airs de cour miz sur le luth de Le Roy en 1571, à la fois accompagnements et pièces solos, disparaît dans la collection d’airs de cour commencée en 1608. La disposition graphique de ces recueils confirme ce virage. La nouvelle collection associe étroitement la mélodie et la tablature en les superposant sur une même page, plutôt que de les présenter sur des pages séparées, comme c’était le cas dans le livre de Le Roy. Mais surtout, la mélodie ne figure plus dans l’accompagnement, ce qui enlève toute autonomie à celui-ci. En assumant pleinement son rôle d’accompagnateur, le luth renonce au répertoire vocal comme tremplin vers l’élaboration de son art soliste. C’est vers la danse qu’il doit dorénavant se tourner.

79 Jean-Michel Vaccaro, « Roland de Lassus, les luthistes français et la chanson », Revue belge de musicologie 39/40 (1985/86) : 158-174.

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Sommaire

Il y a peu de publications pour luth pendant la période 1571-1623, mais ce phénomène s’applique à l’ensemble de la pratique instrumentale, qui n’engendre alors que quelques recueils épars. En observant les tendances dans les publications d’œuvres vocales, on constate que la présence du luth dans le domaine de l’imprimerie musicale est en étroite relation avec les répertoires vocaux. D’abord, à la fin du XVIe siècle, les dernières apparitions du luth dans les publications sont les mises en tablatures des instructions d’Adrian Le Roy et de son Livre d’airs de cour miz sur le luth. Puis, au XVIIe siècle, après une éclipse de plusieurs décennies, le luth réintègre les publications, principalement grâce à la collection d’airs de cour au luth. On assiste donc à une transformation du rôle du luth dans sa relation avec le répertoire vocal : de commentateur extérieur par l’entremise de la mise en tablature, il développe une pleine participation en tant qu’accompagnateur. Ce rôle existait évidemment auparavant, mais il est dorénavant consacré dans l’édition musicale. Puisque les liens avec le répertoire vocal sont assurés par l’air de cour, les luthistes se tournent vers d’autres genres pour créer un matériau musical nouveau.

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Chapitre 2 : Antoine Francisque et la musique de danse

Au début du XVIIe siècle, le répertoire du luth s’oriente de façon définitive vers la musique de danse. Le Trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque y est presque entièrement consacré. Cette prédilection pour la danse reflète une réalité sociale bien illustrée par Margaret McGowan dans son livre consacré à l’art chorégraphique au XVIe siècle, qui insiste sur l’engouement suscité particulièrement en France 1 . La danse en France au XVIe siècle n’est pas seulement un divertissement, mais un art qui embrasse des préoccupations philosophiques, sociales et politiques. Afin de démontrer les vertus de la danse, les auteurs de l’époque s’appuient sur des sources grecques et latines de l’Antiquité et tracent des parallèles entre la danse et les autres formes d’art, notamment l’architecture. Une chorégraphie bien exécutée permet de recréer sur scène les harmonieuses proportions architecturales des traités antiques. Ainsi reliée à l’Antiquité, si chère aux humanistes de la Renaissance, la danse s’élève au rang d’art noble2. Elle devient un moyen pour communiquer et promouvoir un idéal social, ce qui lui donne un pouvoir de persuasion. Selon Thoinot Arbeau, auteur de l’Orchésographie (1589), traité chorégraphique français de la fin du XVIe siècle, la danse est « une espèce de Rhetorique muette »3. La danse n’est pas recommandée par les théoriciens et penseurs pour le plaisir qu’elle procure; elle est plutôt encouragée pour son potentiel de raffinement des mœurs. Elle peut servir de levier pour la promotion sociale d’un individu, principalement à la cour où l’on admire les courtisans pour leurs talents de danseurs. Tandis que les hommes doivent briller par leur vitesse, leur puissance et la variété de leurs pas, les dames sont admirées pour l’aisance et la dignité de leurs mouvements, leur précision et leur contrôle. Les danses à la cour sont de plus en plus codifiées et, au début du XVIIe siècle, les révérences qui les précèdent deviennent un rituel dans lequel se manifeste la qualité de l’éducation d’un individu. La danse s’impose comme une pratique morale qui participe au processus de civilisation défini par le sociologue Norbert Elias, hypothèse soutenue par Kate Van Orden, qui suggère une étude plus approfondie de ce phénomène4. Les auteurs de l’époque soulignent qu’une chorégraphie mal exécutée ou une danse sans intentions

1 McGowan, Dance in the Renaissance. 2 Ibid., Chapitre 2, « Disourse on dancing ». 3 Arbeau, Orchésographie, f. 5v. Le fac-similé de la réédition de 1596 est disponible au http://imslp.org/wiki/Orchésographie_(Arbeau,_Thoinot). 4 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 88-91.

43 vertueuses peut corrompre les âmes5. Le caractère lascif et sensuel de certaines danses inspire les poètes qui voient dans cet art une métaphore du désir amoureux. C’est d’ailleurs lors d’un bal présenté en 1545 que Ronsard rencontre la jeune Cassandre, qui lui inspire son premier recueil des Amours, et imprègne chez lui – puis chez les poètes de l’époque – une forte association entre la danse et la passion amoureuse6. La danse est indissociable de la musique, mais toutes deux sont perçues différemment dans l’éducation des jeunes nobles. Tandis que l’apprentissage de la musique émane du courant humaniste, qui valorise les arts et les lettres, l’étude de la danse s’accorde avec la vaillance physique traditionnellement mise en valeur chez la noblesse. La danse n’entre pas en conflit avec la carrière militaire puisqu’elle développe à un jeune âge des aptitudes similaires à celles que les jeunes nobles utilisent plus tard dans le maniement de l’épée ou dans l’équitation. Ces liens entre danse et art martial apparaissent chez Arbeau, alors que la dernière chorégraphie qu’il présente, « Les Bouffons », alterne les pas de danse et les figures à l’épée7. La musique et la danse sont donc intimement liées, et une étude de cette dernière est nécessaire pour pallier le manque de sources musicales au tournant du XVIIe siècle.

Le développement de la danse en France au XVIe siècle

La danse est profondément ancrée dans la culture française, si bien que l’on peut établir une continuité dans les traditions entre 1450 et 16208. C’est toutefois durant les règnes des derniers Valois que la danse prend une place centrale dans la vie de cour, ce que confirme la régularité des dépenses consacrées à cet art observée dans les comptes royaux, de François Ier à Henri III. Cet engouement se traduit par une production musicale plus visible, alors que les premiers

5 Cette position sera principalement soutenue par des auteurs protestants, notamment Lambert Daneau, qui publie à Genève en 1579 son Traité des danses, auquel est amplement resolue la question, asavoir s’il est permis aux Chrestiens de danser, qui ne contient aucune information chorégraphique, mais plutôt un exposé sans nuances sur les dangers potentiels de la danse. 6 Marie-Joëlle Louison-Lassablière, Études sur la danse : de la Renaissance au siècle des Lumières (Paris : L'Harmattan, 2003). Le chapitre 12 traite du thème de la danse chez Ronsard. 7 Arbeau, Orchésographie, f. 97-104. Le titre complet du traité rend compte de la proximité entre la danse et les disciplines martiales : Orchésographie, metode, et teorie en forme de discours et tablature pour apprendre a dancer, battre le Tambour en toute sorte & diversité de batteries, Jouër du fifre et arigot, tirer des armes et escrimer, avec autres honnestes exercices fort convenables à la Jeunesse. Les liens entre les arts et la discipline militaire au tournant du XVIIe siècle sont au cœur du livre de Kate Van Orden, Music, Discipline, and Arms in Early Modern France. 8 McGowan, Dance in the Renaissance, 31.

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imprimeurs de musique français saisissent le potentiel commercial de l’art instrumental, resté jusqu’alors dans le domaine de la transmission orale. Le luth devient un médium privilégié pour la circulation du répertoire de danse. Au moment de l’éclipse de publications de musique instrumentale à la fin du siècle, la danse est, paradoxalement, plus populaire que jamais, alors que se multiplient les spectacles d’une ampleur inédite.

De François Ier à Charles IX

La popularité de la danse en France croît tout au long du XVIe siècle, et n’est que faiblement ébranlée par les troubles de religion. À la cour, à la ville ou à la campagne, l’enthousiasme pour les spectacles chorégraphiques touche toutes les couches de la société9. On pratique différents types de divertissements dansés, notamment les bals, les mascarades et les ballets. Le bal, dans sa plus simple expression, ne requiert aucune préparation préalable, seulement des danseurs expérimentés et un large espace. Le bal est le divertissement coutumier du peuple – tant des paysans que des bourgeois –, mais il fait également partie du quotidien de la cour, sous une forme certes plus raffinée. Les danses sociales – pavane, gaillarde, branle, etc. – connues de tout danseur expérimenté s’enchaînent10. Les bals sont parfois interrompus par des mascarades, qui nécessitent un minimum de préparation. Des danseurs revêtent des costumes thématiques richement décorés, puis des scènes théâtrales et des chorégraphies simples en lien avec le thème choisi se succèdent. Ce mélange de théâtre et de danse, soutenu par la musique, trouve son plein épanouissement dans les ballets de cour, qui se développent dans la deuxième moitié du XVIe. L’émergence de ce genre nouveau, dont il sera question à la fin du présent chapitre, n’éclipse pas pour autant les bals et les mascarades. Ces divertissements évoluent plutôt en parallèle et s’influencent mutuellement11. La fascination de François Ier pour la danse s’est développée lors de son séjour dans le nord de l’Italie en 1515, alors qu’il assiste à de nombreuses mascarades. La correspondance d’ambassadeurs italiens présents à la cour de France dévoile ses talents de danseur. On y apprend

9 Même le clergé n’y échappe pas. En 1580, le représentant du pape à Paris assiste à un ballet dansé, entre autres, par des cardinaux récemment nommés chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit par Henri III. Ibid., 13. 10 Dans les études anglophones, il est d’usage de parler de « social dance » pour décrire ce type de danses, mais dans L’art du ballet de cour en France, Margaret McGowan utilise le terme « danse de société ». L’appellation « danse sociale » a été préférée dans ce mémoire, malgré la connotation péjorative qu’elle peut avoir aujourd’hui. Après tout, les danses en ligne d’aujourd’hui ne sont-elle pas comparables à ces danses de la Renaissance aux pas codifiés? 11 McGowan, Dance in the Renaissance, 61-62.

45 sa vigueur et son agilité, de même que son goût pour les chorégraphies atypiques remplies de sauts frénétiques. Même lors des jours les plus sombres, la danse demeure au cœur du quotidien du monarque. Lors de sa détention en Espagne en 1525, après la défaite de Pavie aux mains de l’empereur Charles Quint, François Ier se joint à des dames venues danser dans ses appartements au son des luths, flûtes, violes et tambourins. Lors de sa libération, il ne faut pas attendre son retour en France pour assister à des festivités. Charles Quint organise 10 jours de banquets, bals et mascarades à Madrid pour souligner l’entente conclue entre l’Empire et le Royaume de France12. Il y a également des bals et des mascarades sur une base régulière durant le règne d’Henri II, qui succède à François Ier, mais la fréquence est moins grande. Henri II possède de grandes qualités de danseur, mais lorsqu’il devient roi en 1547, les spectacles et exercices militaires prennent plus d’importance que les festivités dansées. Néanmoins, un ambassadeur de Mantoue écrit en 1559 qu’il y a de la danse chaque jour à la cour13. C’est toutefois sous le règne des enfants d’Henri II et de Catherine de Médicis, notamment Charles IX et Henri III, que la danse prend une ampleur jamais vues à la cour. Même si on possède peu de renseignements sur les talents de danseur de Charles IX, plusieurs témoignages attestent son appréciation de la danse. L’engouement de Charles IX pour cet art, et l’esprit festif qu’il implique, interfère dans les affaires d’État. En 1572, l’amiral Coligny, qui tente de persuader Charles IX d’intervenir contre les Espagnols dans le Comté de Flandre, se plaint de n’avoir aucune attention une fois qu’ont débutées les festivités entourant le mariage de la sœur du roi, Marguerite de Valois, et d’Henri de Navarre. La même année, un ambassadeur anglais écrit à la reine Élisabeth qu’il ne peut conclure aucune affaire puisque le roi est trop « occupé à danser » (« busy with his dancing »)14. Le caractère nomade de la cour, qui commence à s’enraciner définitivement à Paris seulement durant le règne d’Henri III, n’empêche en rien la présentation des spectacles. Sous François Ier, les plus grandes fêtes ont lieu à Paris ou à Fontainebleau, sa résidence favorite, mais les artistes suivent le roi dans ses déplacements. Des festivités sont organisées tout au long de sa visite des provinces du royaume entre 1532 et 153415. De même, lors de la tournée de Charles IX entre 1564 et 1566, chaque ville accueille le roi avec des divertissements16. Une « entrée royale »

12 Cazaux, La musique à la cour de François Ier, 207-210. 13 Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 127. 14 Les deux anecdotes de 1572 sont citées dans ibid., 86. 15 Cazaux, La musique à la cour de François Ier, 191-195. 16 À l’initiative de la reine-mère, Catherine de Médicis, Charles IX entreprend une tournée à travers le royaume, alors qu’il quitte Paris le 24 janvier 1564 pour ne revenir que le 1er mai 1566. Ce voyage permet au jeune roi, âgé alors de 14 ans, de connaître son royaume et de se présenter à ses sujets.

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souligne son arrivée, puis s’enchaînent les banquets et les bals, où se côtoient les pratiques de la cour et les diverses coutumes régionales. Des salles de bal sont aménagées dans chaque ville où le roi passe plus de quelques jours. C’est au cours du XVIe siècle qu’on assiste à une transition des salles temporaires vers des salles permanentes pour la présentation des bals, qui, plutôt que d’être une activité de divertissement présentée durant les banquets, deviennent une activité distincte qui suit le repas. La salle du Petit-Bourbon est construite à proximité du Louvres en 1570 et est inaugurée en 1572 avec la présentation du ballet Le Paradis d’amour, point culminant des festivités entourant le mariage de Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre. Elle peut accueillir 2 500 personnes, témoignant de l’ampleur des spectacles alors envisagés17. C’est à ce moment que s’amorce une nouvelle ère dans le divertissement de cour en France, mais c’est également à cette date que la musique instrumentale disparaît de l’édition française. La musique qui accompagne les danses sociales des bals des décennies précédentes est cependant accessible, notamment dans des sources de musique pour le luth.

La danse au luth au XVIe siècle

Le premier imprimeur de musique parisien, Pierre Attaingnant, actif de 1528 à sa mort en 1551 ou 1552 – l’atelier continue toutefois sous la direction de sa veuve jusqu’en 1557 – tire profit de l’engouement des Français pour la danse18. Attaingnant publie des danses sous plusieurs formes, dont l’unique recueil français de danses au clavier du XVIe siècle19, ainsi qu’une collection de neuf livres de « danceries » à quatre parties parus entre 1530 et 1557. Dans le domaine du luth, son rôle a été déterminant, même s’il n’a publié que deux ouvrages. Après la Très brève et familière introduction de 1529 – constituée de mise en tablature de pièces vocales, à l’exception de quatre préludes –, le recueil Dixhuit basses dances paraît au début de l’année 153020. Il s’agit du premier recueil de danses harmonisées publié en France, et le premier livre exclusivement consacré à des danses à paraître dans toute l’Europe21. Son contenu révèle les principales danses populaires de

17 McGowan, Dance in the Renaissance, 70. 18 Au sujet d’Attaingnant, voir Daniel Heartz, Pierre Attaingnant, Royal Printer of Music (Berkeley : University of California Press, 1969). 19 Un seul des sept livres pour clavier d’Attaingnant contient des danses, les autres étant consacrés à des mises en tablature de pièces vocales sacrées ou profanes. 20 Pour des raisons de commodité, ce recueil est communément appelé Dixhuit basses dances, alors que son titre complet fait l’énumération de tout son contenu : Dixhuit basses dances garnies de Recoupes et Tordions, avec dixneuf Branles, quatre que Sauterelles que Haulberroys, quinze Gaillardes, & neuf Pavennes, de la plus grant part desquelles le subject est en musique. 21 Vaccaro, La musique de luth, 249-250.

47 l’époque : en plus des 18 basses danses, dont la plupart sont présentées en petites suites avec une recoupe et un tourdion22, on trouve 19 branles, 15 gaillardes et 9 pavanes. Ce recueil dévoile la phase embryonnaire du travail des luthistes, que Vaccaro qualifie de « stade primitif »23, et permet de mieux saisir les transformations qui auront lieu tout au cours du siècle. L’aspect rudimentaire de certaines pièces nous fournit des exemples de l’art de la ménestrandise avant l’acquisition de techniques d’écriture savantes et permet de toucher « aux racines populaires de la musique instrumentale »24. Ces pièces développent essentiellement l’ornementation mélodique de la voix supérieure. On peut observer deux autres niveaux d’écriture dans le recueil : des pièces qui développent une texture discontinue à deux ou trois sons, puis des pièces qui démontrent une maîtrise plus convaincante de la texture polyphonique (Vaccaro ne recense toutefois que cinq accords à quatre sons dans tout le recueil). Les danses sont basées sur des mélodies préexistantes, souvent issues du répertoire populaire, et le travail du luthiste consiste en une harmonisation et une adaptation de cette mélodie à son instrument, plutôt qu’en un véritable travail d’invention. En ce sens, le processus de composition des danses du recueil d’Attaingnant est comparable aux mises en tablature de chansons polyphoniques. Toutefois, alors que les chansons fournissent des modèles de contrepoint exemplaires issus de compositeurs « savants », les danses au luth sont écrites à partir d’un modèle mélodique simple dépourvu d’élaboration polyphonique. On constate alors la maladresse des harmonisations des luthistes lorsqu’ils ne peuvent s’appuyer sur un modèle polyphonique25. Dans les Dixhuit basses dances, ce sont le caractère rythmique et l’ornementation de style improvisé qui sont valorisés, plutôt que la polyphonie. Certaines pièces moins rudimentaires présentent néanmoins une écriture contrapuntique se rapprochant du style vocal, ce que Vaccaro décrit comme un phénomène « d’acculturation progressive des joueurs d’instruments au contact des modèles fournis par la musique vocale ». Il conclut en affirmant que « l’examen attentif des Dixhuit basses dances nous permet de constater que, contrairement à l’idée couramment admise, le style instrumental ne s’est pas constitué en se dégageant

22 Les basses danses comportent 20 pas correspondant à un nombre équivalent de mesures. La recoupe, de même tempo, comporte 12 pas/mesures, tandis que le tourdion est une danse plus rapide qu’Arbeau compare à la gaillarde. Les trois danses sont musicalement indépendantes et ne partagent généralement pas de matériau commun. Voir Daniel Heartz, dir., Preludes, Chansons and Dances for Lute Published by Pierre Attaingnant, Paris, 1529-1530 (Neuilly-sur-Seine : Société de Musique d'Autrefois, 1964). 23 Vaccaro, La musique de luth, 267. 24 Ibid., 269. 25 Le caractère plus « savant » des transcriptions parues l’année précédente dans la Très brève et familière introduction, qui présente les mises en tablature de chansons composées en grande partie par Claudin de Sermisy, célèbre compositeur, vient appuyer ce constat.

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progressivement du style vocal mais, à l’inverse, qu’il a commencé par s’en rapprocher en imitant le contrepoint des voix 26 . » Ainsi, l’hétérogénéité du recueil dévoile un art en pleine transformation. Les Dixhuit basses dances constituent un témoignage important dans l’histoire de l’émergence de l’art instrumental, mais ce premier livre français de danse au luth est encore loin d’affirmer la maturité des luthistes-compositeurs. Le fait que les luthistes ne maîtrisent pas encore l’art de la composition « savante » explique peut-être la présence d’un autre chaînon manquant dans l’histoire du luth en France, alors qu’aucun livre n’est publié entre 1530 et 155127. Cela se produit tandis qu’on observe une augmentation du nombre de danses dans les sources de musique pour luth des années 1530 et 1540 partout ailleurs en Europe. L’activité du luth en France n’est toutefois pas réduite à néant durant ces décennies sans publications, puisque le luthiste d’origine italienne Albert de Rippe séjourne à la cour de 1528 jusqu’à sa mort en 1551. Puisque son œuvre est publiée à titre posthume, de Rippe est généralement associé à l’école française du milieu du siècle, même si son œuvre a été composée dans les décennies précédentes28. Puisqu’il a surtout écrit des fantaisies et de mises en tablature de chansons, ce sont les luthistes Guillaume Morlaye et Adrian Le Roy qui fournissent l’essentiel du répertoire de danses pour luth parues dans les années 1550 et 1560. À travers leurs compositions, on constate les transformations dans les types de danses en vogue depuis les Dixhuit basses dances d’Attaingnant. Le premier changement majeur est l’abandon de la basse danse, pourtant à la base du recueil de 1530. Le trio basse danse, recoupe et tourdion est remplacé par la pavane et la gaillarde, les deux danses les plus populaires au milieu du siècle, souvent présentées en couple et utilisant le même matériau thématique. Arbeau confirme en 1589 que les basses danses sont « hors d’usage depuis quarante ou cinquante ans »29. Même si les descriptions des danses dans l’Orchésographie s’ouvrent avec cette danse, Arbeau ne fournit pas d’exemple musical pour l’illustrer. Il présente plutôt une pavane en guise de première démonstration, signe de l’ascendance qu’a prise cette danse.

26 Vaccaro, La musique de luth, 276. 27 Deux recueils pour luth sont publiés par Jacques Moderne à Lyon dans les années 1540 (les années précises ne sont pas déterminées), mais il s’agit d’œuvres de Bianchini et de Paladin, deux luthistes italiens. Pour les sources européennes pour luth dans les années 1530 et 1540, voir ibid., 281-283. 28 De Rippe est considéré parmi les luthistes français, puisqu’il a passé plus de 20 ans à la cour de François Ier, contrairement à d’autres luthistes italiens, comme Bianchini et Paladin, qui n’ont séjourné que brièvement en France. 29 Arbeau, Orchésographie, f. 24v. On en trouve néanmoins encore dans le Tiers livre de tabulature de guiterre de Le Roy en 1552 et dans le Tiers livre de danseries à quatre parties de Jean d’Estrées en 1559.

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L’écriture de pièces sur des mélodies populaires préexistantes demeure le procédé de composition le plus fréquemment utilisé. Plusieurs livres de « danceries » à quatre parties publiés à cette époque contiennent les mêmes mélodies utilisées par Morlaye et Le Roy dans leurs danses au luth. On peut ainsi apprécier le travail d’adaptation et d’ornementation de ces luthistes à partir des diverses versions disponibles d’une même mélodie. Même si le procédé de composition privilégié est demeuré le même depuis Attaingnant, les techniques d’écriture chez Morlaye et Le Roy se raffinent et démontrent une progression dans l’art de la composition30. Les danses de la période 1550-1570 dévoilent une double tendance : d’une part, il y a un accroissement des compétences polyphoniques calquées sur les modèles vocaux et, d’autre part, un développement de procédés purement instrumentaux détachés de l’écriture vocale. Par exemple, les pavanes et gaillardes du Premier livre de tabulature de luth (1551) de Le Roy sont toutes suivies d’une version « plus diminuée », c'est-à-dire variée au moyen de diminutions, la technique ornementale la plus fréquente à la Renaissance, qui consiste à substituer aux notes longues des motifs mélodiques en valeurs plus brèves. Ainsi, les danses au luth du milieu du siècle, par leurs variations ornées de plus en plus fréquentes, laissent entrevoir leur autonomie future, mais elles conservent encore leurs attaches chorégraphiques, en plus de se baser sur des mélodies populaires déjà existantes. L’invention pure, à partir du simple cadre métrique fourni par la forme des danses, appartient à la fin du siècle, période malheureusement très pauvre en sources musicales.

L’apogée des divertissements dansés à la fin du siècle

L’éclipse de publication à la fin du XVIe siècle survient alors que la danse au luth démontre des signes d’émancipation. La situation est paradoxale, puisqu’il s’agit de la période durant laquelle les spectacles de danse vont prendre une ampleur sans précédent, particulièrement sous le règne d’Henri III de 1574 à 1589. L’obsession d’Henri III pour la danse et les festivités est bien documentée31. La correspondance d’ambassadeurs anglais présents à la cour entre 1572 et 1587 fournit des informations sur la fréquence des festivités. On y apprend que des bals étaient dansés

30 Ceci est démontré en détail dans Vaccaro, La musique de luth, 297-311. Il note particulièrement l’accroissement de la densité polyphonique. L’ambitus des pièces est plus large, et on utilise tous les registres de l’instrument. Les accords à quatre sons deviennent la base du jeu au luth, tandis que les accords à cinq ou six sons apparaissent. Aussi, on assiste à un accroissement de la virtuosité, principalement par le biais de l’écriture en diminutions. 31 Jacqueline Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III » (thèse de doctorat, Université de Lyon, 1981). Le tome 3 traite des divertissements à la cour d’Henri III.

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chaque jour en janvier et février (les mois d’hiver où on suspendait souvent les campagnes militaires), et deux à trois fois par semaine pendant les autres mois. Des ballets étaient également présentés régulièrement tout au long de l’année32. Parmi ces spectacles d’envergure se trouvent les festivités de 1585, alors qu’une délégation anglaise remet à Henri III l’Ordre de la Jarretière, la plus haute distinction du royaume d’Angleterre. Les banquets et ballets organisés par divers nobles se succèdent sur plusieurs jours, et la fête culmine avec la présentation d’un « ballet du roi », qui rassemble 40 musiciens et 120 danseurs33. La magnificence des spectacles et l’attrait qu’ils exercent sur le roi et la cour suscitent la réprobation des autorités religieuses, catholiques ou protestantes, qui condamnent le fait que les festivités ne semblent jamais s’interrompre. Le juriste Estienne Pasquier raconte qu’au premier dimanche du carême de 1584, pendant que les moines chantaient les matines, à la cour « ce ne furent que dances, balays et mascarades » 34. Il y a néanmoins une nouvelle attitude plus stricte d’Henri III envers la vie de cour, alors qu’il tente de contrôler les dépenses35. Il impose entre 1578 et 1585 une série de règlements sur les vêtements, coiffures et comportements des courtisans. Il limite leur accès à certaines pièces selon leur rang, réduisant ainsi le nombre de personnes dans sa chambre, et instaure un meilleur contrôle des cérémonies et l’introduction d’habitudes plus régulières à la cour. L’horaire hebdomadaire est précisément planifié, prévoyant les plages horaires pour les audiences et conseils, mais aussi pour les promenades et les divertissements. On prévoit la tenue de bals en soirée les jeudis et dimanches, tandis qu’il y a de la musique les soirs du lundi au mercredi. Même s’il impose des règles plus strictes pour encadrer les divertissements et les festivités, Henri III est convaincu de l’importance des grandes démonstrations artistiques dans les affaires du royaume. Il crée ainsi en 1585 l’office de maître de cérémonie pour coordonner les divertissements et les cérémonies officielles. On reproche au roi, comme on l’avait fait à ses prédécesseurs, de négliger les affaires d’état et d’être trop occupé à apprendre de nouveaux pas et à danser des ballets. En février 1588, dans l’un des moments les plus tendus de la guerre entre Henri III et la Ligue, Pierre de L’Estoile déplore que le roi continue à dépenser pour des mascarades et des ballets comme si régnait « la plus profonde paix du monde, et comme s’il n’y eût plus eu de guerre ni de Ligue en

32 McGowan, Dance in the Renaissance, 7. Voir aussi la liste des divertissements dansés présentés en France au XVIe siècle aux pages 249-259 du même livre. 33 Ibid., 171-172. 34 Cité dans ibid., 181. 35 Les tentatives de réforme d’Henri III sont exposées dans le chapitre « L’organisation de la cour : problèmes et solutions », Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 196-248.

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France »36. Les critiques sur la trop grande importance accordée aux festivités semblent un lieu commun chez les détracteurs du pouvoir royal au XVIe siècle. Même Henri IV, pourtant plus préoccupé au début de son règne par les affaires militaires que par les divertissements, se fait reprocher par le duc de Nevers en 1595 son absence au front, trop absorbé par « des bals… et des spectacles »37. Henri IV démontre envers la danse une attitude moins flamboyante que ses prédécesseurs. Elle a néanmoins occupé une place importante dans sa Navarre natale, et Marguerite de Valois raconte dans ses mémoires qu’à l’été 1579, passé à Nérac en compagnie d’Henri IV, des bals sont dansés chaque jour38. La situation politique des premières années du règne d’Henri IV ne favorise toutefois pas la présentation régulière de divertissements. Néanmoins, alors qu’il séjourne à Tours en 1593 dans l’attente de la reconquête de Paris, deux ballets de dimensions modestes sont organisés par sa sœur Catherine de Navarre39. Ce n’est qu’à partir de son retour dans la capitale en 1594 que la danse et les spectacles retrouvent leur place dans la vie de cour, sans jamais atteindre l’ampleur du temps des derniers Valois. Henri IV reconnaît néanmoins l’utilité des ballets dans les affaires politiques. À la signature de la paix de Vervins en 1598, qui met un terme à la guerre contre l’Espagne, on organise des bals et des ballets afin d’impressionner la délégation espagnole. Les spectacles dansés sont « une réflexion de la puissance de la cour de France et contribuent à la réputation internationale du pays »40. Ainsi, on constate que la danse occupe une place centrale à la cour de France. Non seulement elle est considérée comme un divertissement, mais également comme un instrument de représentation du pouvoir royal. Les danses au luth du début et du milieu du siècle confirment cet engouement pour la danse et permettent de constater une évolution dans le langage des luthistes, influencés par les techniques savantes du contrepoint. L’absence de publications et de

36 Pierre de L’Estoile, Journal pour le règne de Henri III, 12 février 1588 (Paris : Gallimard, 1943), 544. Jacqueline Boucher note que L’Estoile, de par son éducation, se situe à mi-chemin entre catholicisme et protestantisme. Il se montre parfois très critique du règne d’Henri III, mais Boucher lui reproche son manque de partialité. Celle-ci modère les propos de L’Estoile, clamant qu’il faut voir dans les festivités « l’expression d’une mentalité selon laquelle les réjouissances étaient indispensables à la vie. » Boucher, La cour de Henri III, 120-123. Jacques-Auguste Thou (1553-1617), conseiller politique d’Henri III et Henri IV condamne néanmoins en 1581 la magnificence des festivités qu’il qualifie de « profusions odieuses » en regard de « la misère du peuple ». Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 172. 37 Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 175-176. 38 Ibid., 174. 39 Les quelques informations disponibles sur ces ballets sont exposées dans McGowan, L'art du ballet de cour en France, 54-61. 40 « Contemporaries saw dances as a reflection of the strength of the French court and as contributing to the country’s international reputation. » McGowan, Dance in the Renaissance, 132.

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témoignages musicaux à la fin du siècle correspond au moment où les spectacles chorégraphiques prennent une ampleur jamais vue à la cour de France. Cette activité intense dans le domaine de la danse impose des transformations dans les modes, qui, faute de s’observer dans des sources musicales du dernier tiers du XVIIe siècle, se constatent dans le contenu du Trésor d’Orphée en 1600.

Le Trésor d’Orphée

Le contenu du Trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque est très varié41. S’Il perpétue certaines pratiques du XVIe siècle, il annonce néanmoins le futur de la danse au luth. Suivant la tradition des publications instrumentales de l’époque, le titre complet décrit en détail les divers types de pièces que contient le recueil : LE TRÉSOR D’ORPHÉE, LIVRE DE TABLATURE DE LUTH CON- TENANT UNE SUSANE UN JOUR PLUSIEURS FANTAISIES PRELUDES PASSE- maises Gaillardes Pavanes d’Angleterre Pavane Espagnolle fin de Gaillarde Suittes de Bransles tant à cordes avalées qu’autres. Voltes & Courantes. mises par ANTOINE FRANCISQUE.

Sur 71 pièces, toutes sont des danses à l’exception de l’unique mise en tablature de chanson – la Susanne un jour –, de 2 fantaisies et de 5 préludes42. Ces genres, bien que minoritaires, se trouvent au début du livre et inscrivent le recueil dans la continuité des éditions antérieures43. Puisque le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571) ne contient aucune danse, c’est dans l’instruction pour le luth de Le Roy, publiée quelques années auparavant, que l’on trouve les dernières danses publiées en France avant Le Trésor d’Orphée44. La nature des danses diffère entre les deux sources, et on ne peut que constater les changements, sans toutefois pouvoir les expliquer à la lumière d’autres

41 Outre les analyses fournies pas Vaccaro dans La musique de luth en France au XVIe siècle, l’étude la plus complète du Trésor d’Orphée se trouve dans Laurent Lesca, « Antoine Francisque, joueur de luth et compositeur », Musique ancienne 19 (1985) : 45-56. 42 La graphie « Susanne », plus usuelle à l’époque, est utilisée ici, plutôt que « Susane », la graphie inhabituelle qu’on retrouve dans Le Trésor d’Orphée. 43 Les publications du milieu du XVIe siècle (de Rippe, Le Roy et Morlaye) présentent d’abord les fantaisies, ensuite les mises en tablature de chansons, puis les danses. 44 Comme expliqué au chapitre précédent, ce livre serait paru à Paris en 1567, mais ne nous est connu que par la traduction anglaise de 1568.

53 sources musicales. Il faut donc s’intéresser à l’aspect chorégraphique et au contexte social de pratique pour comprendre l’apparition de nouvelles modes. La danse devient à terme un genre musical indépendant de l’aspect chorégraphique, pavant la voie à la suite instrumentale.

Les innovations du Trésor d’Orphée

Les transformations les plus apparentes révélées par Le Trésor d’Orphée se trouvent dans les types de danses majoritairement représentés, dont il sera question plus loin, mais d’autres, plus subtiles, concernent la typographie, la facture de l’instrument et l’apparition d’une technique instrumentale intimement associée au luth. En ce qui a trait aux innovations typographiques, Le Trésor d’Orphée fait usage, pour la première fois en France, d’une tablature à six lignes, alors que toutes les publications antérieures n’en utilisaient que cinq. Aussi, les symboles rythmiques présentent dorénavant le corps des notes plutôt que seulement les hampes (comparer les images des annexes 1 et 2). Il est étonnant de trouver de telles améliorations typographiques pour une publication isolée parue au terme de trois décennies sans nouvelles éditions pour luth. Cela atténue l’impression de stagnation dans le domaine du luth et permet de supposer une activité plus soutenue que ce que laisse croire l’absence de publications. L’ajout d’une sixième ligne n’est toutefois pas un changement esthétique, mais plutôt une conséquence de l’évolution de la facture instrumentale45. Il s’agit en effet de la première publication requérant un luth à neuf chœurs, tandis que les sources imprimées en France au XVIe siècle n’en nécessitaient que six46. Plusieurs luths italiens sont importés et modifiés à Paris au tournant du XVIIe, favorisant un développement de la facture des instruments. Le luth à neuf chœurs de Francisque n’est qu’une étape, puisque les instruments à dix chœurs s’imposent dans les années 1610, tant dans les livres de Robert II Ballard que dans la collection d’airs de cour au luth. Ces transformations confirment à nouveau que l’activité des luthistes est en plein essor au début du XVIIe siècle. Aussi, on trouve chez Francisque une technique instrumentale intimement liée au luth, à savoir la première véritable expérimentation d’accord alternatif de l’instrument, avec les pièces

45 Pour une étude complète des transformations concernant le luth au début du XVIIe siècle, voir Matthew G. Spring, « The Development of French lute style, 1600-1650 », dans From Renaissance to Baroque : Change in Instruments and Instrumental Music in the Seventeenth Century, sous la dir. de Jonathan Wainwright et Peter Holman (Aldershot : Ashgate, 2005), 173-190. 46 Le luth à la Renaissance possède une corde simple (la plus aigüe, aussi nommée chanterelle), tandis que les autres cordes sont doublées. On utilise le terme « chœur » pour désigner tant la corde simple que les cordes doubles. Le luth à 6 chœurs est donc composé de 11 cordes (1 simple + 5 doubles) et le luth à 9 chœurs possède 17 cordes (1 simple et 8 doubles). L’augmentation du nombre de chœurs sur le luth se fait toujours par l’ajout de cordes graves.

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dites « à cordes avalées »47. Cette modification de l’accord apparaît précédemment en France dans les livres de guitare de Guillaume Morlaye, mais ne concerne que le chœur le plus grave. Il s’agit alors d’un moyen d’augmenter le registre de l’instrument. Chez Francisque, ce sont des chœurs médians qui sont altérés, ce qui impose de nouveaux positionnements de la main gauche sur le manche, et implique par conséquent une conception nouvelle de l’utilisation de l’instrument. L’importance de cette première expérimentation, qui ne concerne que 13 des 71 pièces, est confirmée par le développement ultérieur du luth au XVIIe siècle. En effet, à partir des années 1630, l’accord utilisé durant la Renaissance disparaît au profit de divers accords nouveaux48. Ainsi, Le Trésor d’Orphée n’est pas encore totalement détaché de certaines traditions de la Renaissance (notamment l’ordre de présentation des pièces), mais contient les premières traces des transformations qui marqueront le jeu au luth au XVIIe siècle (accroissement du nombre de chœurs, modification de l’accord). Le Trésor d’Orphée est donc un précieux et rare témoignage de l’étape de transition entre les écoles de luth françaises des XVIe et XVIIe siècles. Lesca et Vaccaro ont fourni des analyses musicales détaillées, travail qui n’est plus à faire ici49. Toutefois, leurs analyses se contentent de constater les nouveautés stylistiques et formelles, sans tenter d’expliquer les causes de leur apparition. En l’absence de sources musicales, une étude des modes chorégraphiques des dernières décennies du siècle s’impose.

Le Trésor d’Orphée, entre héritage du passé et modes nouvelles

Les types de danses contenues dans Le Trésor d’Orphée diffèrent des recueils du siècle précédent. D’abord, les pavanes et les gaillardes, au cœur des recueils du XVIe siècle, n’occupent désormais qu’une place mineure – quatre pavanes et trois gaillardes –, et ne sont plus associées en couple. Les danses les plus représentées dans Le Trésor d’Orphée sont les branles (26), les courantes (12) et les voltes (12). Le branle, sous ses diverses déclinaisons, s’inscrit dans une longue tradition puisqu’il est présent depuis les Dixhuit basses dances d’Attaingnant en 1530, tandis que les

47 On trouve, dans Le Trésor d’Orphée, une suite de neuf branles, de même que deux voltes et un ballet « à cordes avalées ». 48 Les titres des anthologies publiées par Pierre Ballard en 1623 (malheureusement perdue à l’exception de la page de titre) et 1631 sont éloquents au sujet de la transformation progressive de l’accord de l’instrument : Tablature de luth de différents autheurs sur l’accord ordinaire et extraordinaire (1623), Tablature de luth de différents autheurs, sur les accords nouveaux (1631). Robert II Ballard, dans ses livres de 1611 et 1614, n’utilise que l’accord « ordinaire », tandis que ses quelques pièces contenues dans l’anthologie de 1631 utilisent un accord « nouveau ». 49 Lesca, « Antoine Francisque, joueur de luth et compositeur »; Vaccaro, La musique de luth, 323-354.

55 courantes et les voltes sont des genres nouveaux. Afin de comprendre les raisons qui expliquent que la pratique du branle persiste, alors que courantes et voltes surgissent de manière inattendue, il faut consulter des ouvrages de l’époque sur l’art chorégraphique. Parmi ceux-ci, on trouve en premier lieu l’Orchésographie de Thoinot Arbeau (pseudonyme anagramme de Jehan Tabourot). Il s’agit d’un traité de danse présenté sous la forme d’un dialogue entre le maître Arbeau et son élève Capriol. Les chorégraphies sont décrites avec précision, de même que la musique qui doit accompagner chaque type de danse. Publié en 1588, l’Orchésographie est l’œuvre d’un maître de danse né en 1520 qui demeure attaché à certaines pratiques du passé. En plus de militer pour le retour de la basse danse (disparue, comme on l’a vu, depuis plus de 40 ans), il se réfère constamment aux éditions de livres de « danceries » d’Attaingnant et Du Chemin parues dans les années 1550 et 1560. Il fait ainsi un état des lieux de la danse qui englobe le milieu du XVIe siècle et la première moitié du cadre chronologique de ce mémoire. Il s’agit d’un précieux ouvrage sur la danse, mais il n’est parfois pas aisé de reconstituer exactement les pas, même s’ils sont décrits avec précision. Sa définition de « danser » montre la richesse de son vocabulaire, mais démontre aussi les problèmes d’interprétation qui guette le lecteur du XXIe siècle : Danser c'est-à-dire saulter, saulteloter, caroler, baler, treper, trepiner, mouvoir et remuer les piedz, mains et corps de certaines cadences, mesures et mouvementz, consistans en saultez, pliement de corps, divarications, claudications, ingeniculations, elevations, jactations de piedz, permutations et aultres contenances50.

Un autre ouvrage fournit d’importantes informations sur la danse à cette époque : l’Harmonie universelle (1636) de Marin Mersenne. Né en 1588, Mersenne n’a pas été un témoin direct des transformations à la fin du XVIe siècle, mais il a été proche de Jacques Mauduit (1557-1627), un compositeur au cœur de la vie musicale de la cour durant les règnes d’Henri III, d’Henri IV et de Louis XIII51. L’Harmonie universelle aborde tous les sujets liés à la musique – les aspects spéculatifs et philosophiques, la théorie musicale, les genres et les instruments –, en plus d’un chapitre dédié à la danse. Puisqu’il s’agit d’abord d’un ouvrage consacré à la musique, les détails chorégraphiques sont abordés avec moins de précision que dans l’Orchésographie. Mersenne traite surtout de la

50 Arbeau, Orchésographie, f. 4. On peut toutefois compter sur des ouvrages qui reprennent les directives chorégraphiques d’Arbeau et les rendent accessibles, notamment Mabel Dolmetsch, Dances of England and France, from 1450 to 1600 (New York : Da Capo Press, 1975). 51 Mersenne consacre trois pages de son Harmonie universelle à Mauduit, et l’amitié entre les deux hommes (confirmée par leur correspondance) incite à croire que de nombreuses informations musicales transmises dans l’ouvrage de Mersenne on été recueillies auprès de Mauduit. Ainsi, bien que la parution de L’Harmonie universelle dépasse de 10 ans le cadre chronologique de ce mémoire, plusieurs informations font état de l’activité musicale au tournant du siècle, alors que Mauduit est actif à la cour.

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structure rythmique et de l’origine des danses. L’Harmonie universelle n’est pas une méthode pour apprendre à danser, mais fournit plutôt un portrait des pratiques reliées à la danse au début du XVIIe siècle.

Les branles

Arbeau et Mersenne décrivent en détail les branles puisqu’ils sont dansés « tant aux Balets, & aux Bals, qu’autres recreations »52. McGowan souligne le caractère « infiniment flexible [des branles] qui s’adaptent à toutes les conditions sociales »53. Des danses semblables aux branles sont présentes dans tous les pays d’Europe sous diverses appellations, mais Mersenne ne traite que de ceux qui sont propres à la France. Contrairement à la plupart des danses, qui s’exécutent en couple, le branle se danse par « tant de personnes que l’on veut »54, qui se tiennent par la main et se déplacent en rond « de cousté, & non pas en marchant en avant »55. Arbeau présente quatre principaux types de branles : double, simple, gay, et de Bourgogne (parfois appelé branle de Champagne). À partir de ces quatre types de branles, plusieurs variantes sont déclinées, puisque chaque région du royaume possède ses pratiques spécifiques. Arbeau présente ainsi une vingtaine de variétés de branles, dont la gavotte56. Pour sa part, Mersenne en décrit six : simple, gay, de Poitou, double de Poitou, de Montirandé, et la gavotte. Ces types de branles, et leur ordre, correspondent exactement aux suites de branles contenues dans Le Trésor d’Orphée, tant pour la suite de branles en accord ordinaire que celle « à cordes avalées »57. Mersenne mentionne que plusieurs variantes de ces six branles existent, mais il ne fait état que du passepied de Bretagne. Il semble donc qu’au début du XVIIe siècle, six types de branles se soient imposés durablement, ce que confirme la concordance entre Le Trésor d’Orphée et l’Harmonie universelle. Les autres demeurent des variantes à partir de ces six modèles. Ainsi, les types de branles, et l’ordre dans

52 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 167. 53 « Branles were infinitely flexible in adapting to any social conditions. » McGowan, Dance in the Renaissance, 95. 54 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 167. 55 Arbeau, Orchésographie, f. 68v. Voir aussi la section sur les branles dans Dolmetsch, Dances of England and France, 55-81. 56 La relation entre la gavotte/branle et la gavotte baroque introduite à la cour sous le règne de Louis XIV n’est pas claire. La gavotte/branle semble toutefois s’être perpétuée de nos jours, notamment en Bretagne. Il suffit d’assister à un Fest Noz breton pour constater que plusieurs des danses, et notamment les diverses variétés de gavottes, reflètent la pratique des branles de la Renaissance (danseurs qui se tiennent par la main et se déplacent en rond en effectuant des pas de côté). 57 Il n’y a toutefois pas de branle de Montirandé dans la suite « à cordes avalées ».

57 lequel Francisque les présente, ne sont pas fortuits, mais reflètent une pratique établie dès les premières années du XVIIe siècle. Vaccaro soutient que les luthistes français se sont désintéressés du branle au milieu du XVIe siècle58. Seul Le Roy a publié des branles pour le luth – simple, gay, de Poitou, de Bourgogne et de Malte –, et le total de sa production est inférieur aux branles contenus dans le seul recueil des Dixhuit basses dances de 1530. Vaccaro note que les branles sont néanmoins encore très présents dans les recueils de « danceries » à quatre voix de la même époque, de même que dans les livres pour guitare ou pour cistre, instruments considérés plus rudimentaires que le luth. Il en conclut que « les luthistes français paraissent se désintéresser d’un type de danse très marqué par ses origines populaires et dont le caractère est peu compatible avec des intentions musicales plus raffinées et savantes »59. L’hypothèse est séduisante, et il y a certes moins de branles dans les recueils de luth du milieu du XVIe siècle, mais on en trouve néanmoins durant toute la carrière de Le Roy, du Premier livre de tabulature de luth de 1551 à l’Instruction de 1568. De plus, si on se fie aux traités de danses, le branle ne semble pas avoir perdu en popularité dans la seconde moitié du XVIe siècle, alors qu’Arbeau consacre plus de 50 pages à ses différentes déclinaisons. Confirmant cette popularité, les branles sont abondamment représentés dans Le Trésor d’Orphée. Cependant, ce retour en force dans le répertoire du luth implique un changement radical dans l’utilisation de cette danse. Les branles des Dixhuit basses dances de 1530 possèdent l’aspect rudimentaire associé au répertoire des ménétriers. Ceux de Francisque démontrent une maîtrise de nouvelles techniques de composition et une nouvelle façon d’aborder le genre : « Le caractère rustique du branle n’y est présent qu’au second degré, comme élément de style et non directement manifesté par une technique elle-même rudimentaire60. » Les branles de Francisque sont donc plus raffinés, mais ils demeurent néanmoins construits sur une structure métrique stricte permettant encore de les danser61. Cet aspect chorégraphique du branle est également présent dans l’œuvre de Robert II Ballard. Son Premier livre ne contient aucun branle, mais on trouve quatre branles de la cornemuse, trois branles gays, et quatre branles de village dans le second livre de 1614. Les seules appellations « de la cornemuse » et « de village » démontrent bien le caractère populaire qui reste

58 Vaccaro, La musique de luth, 285-286. 59 Ibid., 285. 60 Ibid., 338. 61 Lesca, « Antoine Francisque, joueur de luth et compositeur », 49.

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accolé aux branles62. Malgré sa popularité et sa présence dans les bals et ballets de cour, le branle n’est jamais devenu l’apanage exclusif des classes supérieures, sans doute en raison de sa grande diversité et du fait qu’il soit dansé sur tout le territoire français. Il a donc toujours conservé son aspect populaire et ses fortes attaches chorégraphiques. C’est dans d’autres types de danse que se délient progressivement ces attaches, particulièrement dans les voltes et les courantes.

La volte et la courante

On constate chez Francisque la prépondérance inattendue des voltes et des courantes, danses jusqu’alors pratiquement absentes des sources musicales. Une seule volte se trouve dans les recueils pour luth imprimés au XVIe siècle – la « volte de Provence » de la version anglaise de 1568 de l’Instruction de Le Roy – tandis que les courantes du Trésor d’Orphée sont les premières publiées en France63. La popularité et le développement de ces deux danses semblent avoir été très rapides à la fin du siècle, car la description qu’en fait Arbeau ne tient déjà plus la route chez Francisque. Selon Arbeau, la courante « differe beaucoup de la volte, & se danse par une mesure binaire legiere »64. Pourtant, toutes les voltes et les courantes de Francisque présentent la même métrique ternaire; de plus, sur le plan stylistique, la distinction entre les deux danses n’est pas toujours évidente65. Les voltes et les courantes sont caractérisées par un agencement d’unités métriques de diverses longueurs, ce qui s’oppose à la structure régulière des branles66. C’est également dans ces danses, plus que dans toute autre du Trésor d’Orphée, que l’on constate l’allègement de la texture polyphonique, qui devient la plupart du temps réduite à deux voix. Cette polarisation de la voix supérieure et de la basse donne aux voltes et aux courantes un caractère délicat, voire précieux. Ainsi, les voltes et les courantes de Francisque manifestent un virage stylistique, et on regrette de n’avoir que Le Trésor d’Orphée pour en témoigner au terme de trois

62 L’étude des concordances fournit dans l’édition du Deuxième livre de Ballard de la collection « Corpus des luthistes français » nous apprend que les quatre branles de la cornemuse sont nommés branles simples dans d’autres sources, alors que le troisième branle gay est nommé branle de Poitou. L’ordre ainsi créé, simple– gay–de Poitou, correspond aux trois premiers types de branles présentés par Mersenne et Francisque. Ainsi, Ballard, même s’il nomme différemment ses branles, respecte l’ordre établi. 63 On trouve trois courantes du luthiste français Victor Montbuysson dans le Florilegium publié par Adriaen Denss à Cologne en 1594. Montbuysson a cependant fait carrière à l’extérieur de la France, notamment à la cour du duc Moritz, Landgrave de Hesse-Cassel de 1595 à 1627. Voir les notes biographiques dans Souris, Rollin et Vaccaro, Oeuvres de Vausmenil, Edinthon. 64 Arbeau, Orchésographie, f. 65v. 65 Vaccaro, La musique de luth, 345-346. On ne trouve qu’une seule courante binaire, composée par Edinthon, dans le répertoire de la fin du siècle. 66 Lesca, « Antoine Francisque, joueur de luth et compositeur », 50.

59 décennies sans publications. Il faut alors se tourner vers le contexte social dans lequel se sont développées ces danses pour en comprendre la surprenante éclosion. Arbeau et Mersenne se contredisent sur les origines de la volte. Tandis que le premier affirme que « La Volte est une espèce de gaillarde familiere aux Provençaulx »67, ce qui est corroboré par la « volte de Provence » de Le Roy, le second déclare qu’elle est originaire d’Italie, mais ajoute qu’il y a « si long-temps qu'elle est en France, qu'on la peut dire naturelle »68. La volte se danse en couple, alors que l’homme fait tourner la femme « plusieurs tours en la levant fort haut, comme s’il la vouloit faire voler »69. Elle captive la cour dans la deuxième moitié du XVIe siècle, et plus particulièrement durant le règne d’Henri III70. La volte implique une proximité des corps et un caractère lascif. Elle trouve donc dans l’entourage d’Henri III un milieu propice à son succès, puisque, malgré les tentatives de policer la cour, le goût du luxe y côtoie la recherche des plaisirs sensuels71. Cette conjoncture explique la grande popularité de la volte, mais lui vaut aussi de nombreux détracteurs, puisqu’elle devient le symbole d’une certaine dérive des mœurs à la cour d’Henri III. C’est sous le règne de Louis XIII – le fils d’Henri IV – que les mœurs se raffinent. Les danses sont alors précédées par une série de révérences, qui instaurent un système de politesses ritualisées. La frivole volte de Provence est alors bannie de la cour en raison de ses tours et ses sauts qui laissent entrevoir les jambes des dames incapables de tenir leurs jupons72. Déjà en 1589, Arbeau faisait une mise en garde sur les dérives auxquelles cette danse pouvait mener : « Je vous laisse à considerer si cest chose bien seante à une jeusne fille de faire de grands pas & ouvertures de jambes73. » Ainsi, la popularité de la volte à la fin du siècle, favorisée par le climat de la cour d’Henri III, explique l’importance soudaine de cette danse dans Le Trésor d’Orphée. L’esprit frivole de la volte se traduit musicalement par son aspect allègre et vif, de même que par sa structure métrique fluctuante. Au début du XVIIe siècle, la volte décline aussi rapidement qu’elle est apparue, remplacée par la courante, qui devient « la plus frequente de toutes les dances pratiquées en

67 Arbeau, Orchésographie, f. 63v. 68 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 165. La volte semble pourtant bel et bien provenir de la France. Comme le remarque Mabel Dolmetsch, on ne trouve aucune description de cette danse dans les sources italiennes, et seul Arbeau en décrit précisément les pas. Dolmetsch, Dances of England and France, 129. 69 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 165. 70 McGowan, Dance in the Renaissance, 98-99. 71 Voir le chapitre « Les relations des deux sexes » dans Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 1 288-1 329. 72 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 100. 73 Arbeau, Orchésographie, f. 64v.

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France »74. Ce transfert de la volte vers la courante se confirme dans les deux livres de luth de Robert II Ballard. On trouve 24 courantes (dont 10 portent le nom d’« Angélique ») et 6 voltes dans le Premier livre de 1611, puis 17 courantes et une seule volte dans le Deuxième livre de 1614. La chorégraphie de la courante se distingue de la volte en abandonnant les tours, les sauts et la proximité des danseurs, qui suscitaient la réprobation. Toutefois, musicalement, les styles développés dans les voltes et les courantes restent similaires75.

Vers la suite instrumentale

Plusieurs transformations ont lieu dans les répertoires de danses à la fin du XVIe siècle, puisque les modes chorégraphiques évoluent rapidement durant les règnes de Charles IX et d’Henri III. Les danses nobles et lentes, comme la pavane, s’effacent au profit de ces « dances lascives & deshontees que l'on à introduict en leur place au regret des sages seigneurs & des dames & matrones de bon & pudique jugement76. » Si la pavane se trouve encore chez Francisque en 1600, elle a complètement disparu chez Ballard une décennie plus tard. D’autres danses pourtant vives semblent désintéresser les luthistes, comme la gaillarde, qui jouit encore d’une bonne réputation au XVIIe siècle77. Elle se trouve pourtant en quantité négligeable chez Francisque (trois gaillardes dans Le Trésor d’Orphée) et chez Ballard (deux dans le Deuxième livre). Les deux compositeurs semblent préférer les récentes danses en vogue pour développer un langage nouveau, plutôt que de tenter de l’appliquer à des danses déjà ancrées dans la tradition. C’est donc dans les voltes et courantes que s’exprime leur « modernité ». Le « style brisé »78, esquissé chez Francisque dans ces deux danses, franchit une nouvelle étape de son développement dans les courantes de Ballard en

74 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 165. 75 L’étroite parenté entre la volte et la courante est soulignée par Vaccaro et Lesca, qui analysent simultanément ces deux types de danses, et par Dolmetsch, qui les présente dans le même chapitre, malgré leurs différences chorégraphiques. 76 Arbeau, Orchésographie, f. 29v. 77 La gaillarde est l’une des danses les plus populaires du XVIe siècle, et est considérée comme le véritable test d’aptitude chez les danseurs, puisque la chorégraphie laisse place à l’improvisation et permet une démonstration de créativité et d’inventivité. François de Lauze, dans son Apologie de la Danse et de la parfaite methode de l’enseigner tant aux cavaliers qu’aux dames (1623), considère encore la gaillarde comme un moyen de se bâtir une réputation. Voir Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 93-104. 78 Le style brisé est une technique d’écriture développée au luth dans laquelle les différentes notes des accords ne sont pas pincées simultanément, mais plutôt arpégées. Ces arpèges ne suivent toutefois pas des schémas réguliers, ce qui permet à la fois de varier la texture, tout en créant un continuum sonore ininterrompu. Il n’est pas rare, dans le style brisé, que la note de basse soit syncopée plutôt que de figurer sur un temps fort. L’instabilité rythmique ainsi créée sera pleinement exploitée par les luthistes du milieu du XVIIe siècle.

61 s’imposant comme élément stylistique indissociable de la musique pour luth. On peut retracer les origines du style brisé dans la musique des luthistes du milieu du XVIe siècle, mais il s’agissait alors d’un outil d’ornementation rythmique utilisé pour pallier à la courte durée des sons produits par l’instrument. À partir de Francisque, le style brisé perd sa fonction ornementale pour devenir une technique de variation, dont Robert II Ballard sera le premier à exploiter systématiquement. Il devient ensuite l’élément central du langage des luthistes français du milieu XVIIe siècle, et distingue leur art des autres répertoires instrumentaux79. L’arpègement quasi systématique des accords, fondement du style brisé, dissout les temps forts et dissipe la clarté métrique nécessaire à l’élaboration d’une chorégraphie, favorisant ainsi le concept de danse strictement instrumentale. Aussi, le style brisé implique une texture allégée et accentue la polarisation de la voix supérieure et de la basse au détriment des voix intérieures, affirmant toujours plus l’affranchissement des modèles vocaux polyphoniques80. On ne trouve pas ces nouveaux éléments stylistiques – le style brisé et la polarisation des voix supérieure et basse – dans les branles de Francisque ou Ballard, qui conservent une allure populaire et un style plus conventionnel. De plus, leurs branles utilisent des mélodies préexistantes, alors que les voltes et les courantes présentent un matériau musical original qui se déploie sur une structure métrique abstraite81. C’est donc à travers les danses nouvelles qu’on assiste au transfert du travail d’arrangement vers l’invention « pure », que le soutient à la création musicale passe du « modèle concret au modèle abstrait »82. L’usage chorégraphique ne semble dès lors plus requis. Mersenne confirme l’émancipation des danses de leurs attaches chorégraphiques, lorsque, parlant de l’allemande, il déclare qu’on « se contente aujourd’huy de la jouër sur les instrumens sans la dancer »83. La table est donc mise pour le regroupement des danses en suite, sans préoccupation chorégraphique. Tant que les danses restent liées à leurs chorégraphies, elles peuvent difficilement se développer musicalement à cause du caractère répétitif lié au contexte

79 Les clavecinistes français vont éventuellement s’approprier le style brisé. Voir David Ledbetter, « Aspects of 17th-Century Lute Style Reflected in the Works of the "Clavecinistes" », Lute Society Journal 22, no 2 (1982) : 55-67 ; Ledbetter, Harpsichord and Lute Music in 17th-Century France. 80 Vaccaro, La musique de luth, 351-352. 81 Pour Francisque, voir Lesca, « Antoine Francisque, joueur de luth et compositeur », 49-51. Pour Ballard, voir l’étude des concordances dans Souris, Spycket et Rollin, Robert Ballard : Premier livre (1611); Souris, Spycket et Rollin, Robert Ballard : Deuxième livre (1614) et pièces diverses. 82 Vaccaro, La musique de luth, 297. 83 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 165. L’allemande est présente en France au XVIe siècle, mais ne jouit pas de la même popularité que dans les pays germaniques. Le Thesaurus harmonicus de Jean-Baptiste Besard publié à Cologne en 1603 contient plus d’allemandes que de branles, de courantes ou de voltes. L’allemande prend ensuite une place centrale au cœur de la suite instrumentale française du XVIIe siècle.

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d’exécution. En effet, dans les bals, les types de dansent se succèdent sans retour en arrière84. Chaque danse se prolonge tant « qu'il plaist aux joueurs d'instruments ou aux danceurs »85. Cela développe certes l’art de l’improvisation et de l’ornementation chez les musiciens, qui répètent inlassablement les mêmes pièces durant les bals, mais ne favorise en rien une conception des danses en une suite unifiée. Les livres de Francisque et de Ballard regroupent d’ailleurs les pièces par genre, à l’image du déroulement d’un bal. À partir des années 1630, les danses au luth sont classées de façon totalement différente au sein des recueils : par tonalité, par type d’accord, par compositeur (dans le cas des anthologies), puis finalement par genre86. Il n’y a malheureusement pas de publications pour luth dans les années 1620 – la seule anthologie datée de 1623 n’est connue que par sa page de titre – et il est donc difficile de comprendre ce qui s’est passé entre le Deuxième livre de Ballard de 1614 et les publications pour luth des années 1630. Par contre, on trouve dans la Tablature de mandore (1629) de François de Chancy, un luthiste et compositeur, les premiers groupes allemande–courante–sarabande, enchaînement qui deviendra le fondement de la suite instrumentale baroque87. L’ordre des danses de ces « proto-suites » n’est cependant pas encore totalement fixé, mais il ne s’agit pas d’un ordre aléatoire, car il semble y avoir une certaine hiérarchie dans l’enchaînement des pièces. David J. Buch a cherché à classifier les danses de ces proto-suites selon leur dignité et leur décorum, afin de comprendre comment elles s’établissent selon un ordre standard plus tard dans le siècle88. Plutôt que de chercher dans les pratiques des bals de la Renaissance, ou dans les couples de danses comme les pavanes et gaillardes abondantes dans les sources musicales du XVIe siècle, il propose de passer par le ballet de cour, spectacle qui prend une importance capitale dans la vie artistique du tournant du XVIIe siècle, ce qui se reflète dans l’œuvre du luthiste Robert II Ballard.

84 Par exemple, on danse d’abord la pavane un certain temps, puis on enchaîne la gaillarde, les voltes et les courantes, sans répéter les types de danses déjà exécutées. 85 Arbeau, Orchésographie, f. 32v. 86 Spring, « The Development of French Lute Style, 1600-1650 », 180. 87 David J. Buch, « The Influence of the Ballet de Cour in the Genesis of the French Baroque Suite », Acta musicologica 57, no 1 (1985) : 95. 88 Ibid., 98. Une séquence selon le caractère des danses a d’ailleurs été codifiée par Henri III dans des règles édictées en 1578, alors qu’il impose l’ordre de présentation des danses : d’abord la pavane, entamée par le roi et la reine et suivis par les courtisans, puis l’allemande, le branle, la courante, la volte et finalement la gaillarde. Voir McGowan, Dance in the Renaissance, 92-93.

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Les ballets de cour et le luth

La création du « ballet de cour » est le résultat de l’accroissement des divertissements – et de la fascination qu’ils exercent – à la cour des derniers Valois, notamment durant les règnes de Charles IX et Henri III, qui couvrent les années 1560 à 1589. Ce genre nouveau est en partie issu des mascarades et intermèdes italiens, qui ont séduit les Français depuis les campagnes d’Italie de la fin du XVe siècle. Il faut néanmoins se garder de tracer une trajectoire trop directe entre ces genres italiens et le ballet de cour français. Les racines de la danse en France sont profondes, et des spectacles costumés et masqués y sont présentés depuis le Moyen Âge. La cour voisine de Bourgogne, qui brille durant le XVe siècle, est riche en divertissements et les échanges sont nombreux avec la cour de France89. Ce sont ces diverses influences, réunies sous l’impulsion du courant humaniste français à la fin du XVIe siècle, qui vont fournir les conditions favorables au développement du ballet de cour. Plusieurs ballets de cour sont présentés durant la période 1571- 1623, mais il est difficile d’en reconstituer le déroulement musical90. À la différence des livrets, la musique des ballets de cour nous est parvenue de façon fragmentaire, ce qui ne permet qu’un aperçu partiel de la splendeur de ces spectacles. On constate néanmoins que les luthistes y sont liés de deux manières : d’une part, ils font partie de la formation instrumentale qui accompagne les danses et les airs lors des représentations, et, d’autre part, ils s’approprient la musique des ballets et l’adaptent à leur instrument pour créer des œuvres détachées de leur contexte scénique initial.

Développement du ballet de cour

Les festivités à grand déploiement deviennent plus fréquentes durant le règne de Charles IX, de 1560 à 1574. Catherine de Médicis joue un rôle important dans la multiplication des manifestations artistiques à cette époque, notamment lors du grand tour de France de son fils Charles IX entre 1564 et 156691. Sous le règne de ce dernier, on présente le Paradis d’amour (1572), considéré comme le premier exemple de ballet de cour. C’est toutefois le Balet comique de

89 Henry Prunières propose la première étude des origines du ballet de cour en 1914, ouvrage qui fait encore autorité aujourd’hui. Le premier chapitre traite des origines françaises, bourguignonnes et italiennes de ce genre. Henry Prunières, Le ballet de cour en France avant Benserade et Lully (Paris : Henri Laurens, 1914). 90 À partir des listes fournies dans les ouvrages de McGowan, on peut dénombrer au-delà d’une centaine de ballets présentés durant cette période. 91 Des festivités à Fontainebleau à l’hiver 1564 sont organisées juste avant le départ. La tournée culmine avec les fêtes de Bayonne à l’été 1565.

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la Royne (1581), qui constitue la première grande réussite du genre. Ces spectacles exigent de grands moyens, nécessitent beaucoup de temps de préparation – au minimum quatre à six semaines – et, surtout, impliquent une grande quantité d’artistes92. L’originalité et la force du ballet de cour se trouvent dans la collaboration nécessaire entre divers créateurs, qui élaborent une œuvre collective. De plus, le ballet de cour est un lieu de création empreint d’une grande liberté, ce qui fait dire à Mersenne, dans sa définition du ballet, qu’il n’est « autre chose qu'un meslange de toutes sortes d'airs, de mouvements & de pieds à discretion, & selon que la science conduit l'esprit de l'Auteur de ces dances »93. Les chorégraphies ne sont pas régies par des formes fixes, contrairement aux danses sociales, qui doivent se plier aux exigences d’une métrique préétablie et de formules rythmiques régulières94. L’absence de contraintes et de règles fixes mène à l’élaboration de nouveaux genres chorégraphiques exclusivement rattachés aux spectacles de cour, comme la danse imitative, qui doit plus au théâtre qu’à l’art chorégraphique, ou la danse géométrique, dans laquelle des figures sont dessinées au sol par les danseurs95. Le développement de tels spectacles d’envergure ne découle pas d’une volonté strictement artistique. Il s’inscrit dans un contexte social plus vaste, et le ballet de cour finit par incarner « l'expression des aspirations et des réalités philosophiques, politiques, morales et sociales de cette époque »96. Mus par des aspirations philosophiques, les créateurs du ballet cherchent à représenter sur terre la perfection de l’harmonie céleste, à « imiter le chant des planètes et la danse des cieux »97. Cette idée d’harmonie céleste est déjà présente au VIe siècle chez Boèce, qui inclut la musique dans le quadrivium, et est reprise au Moyen Âge et à la Renaissance par tous les théoriciens de la musique98. Elle prend une autre dimension à la fin du XVIe siècle sous l’influence

92 McGowan, Dance in the Renaissance, 82. 93 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 170. 94 Monique Rollin, « La musique de ballet dans les tablatures de luth : souvenir et source d'inspiration », dans Le ballet aux XVIe et XVIIe siècles en France et à la Cour de Savoie, sous la dir. de Marie-Thérèse Bouquet-Boyer, Cahiers de l'I.R.H.M.E.S. (Genève : Slatkine, 1992), 54-55. 95 On pouvait, par exemple, tracer au sol le nom du roi et de la reine. Pour une description de ces nouvelles pratiques chorégraphique, McGowan, L'art du ballet de cour en France, 36-42. Pour des exemples tirés de divers ballets, McGowan, Dance in the Renaissance, 105-118. 96 McGowan, L'art du ballet de cour en France, 7. 97 Pierre Bonniffet, « Esquisse du ballet humaniste (1572-1581) », dans Le ballet aux XVIe et XVIIe siècles en France et à la Cour de Savoie, sous la dir. de Marie-Thérèse Bouquet-Boyer, Cahiers de l'I.R.H.M.E.S. (Genève : Slatkine, 1992), 24. 98 Cette vision spéculative de la musique est au cœur de l’Harmonie universelle de Mersenne, mais ce dernier innove en incluant à son traité des notions pratiques sur l’art musical. Sur la théorie musicale au XVIe siècle, voir Philippe Vendrix, « On the Theoretical Expression of Music in France During the Renaissance », Early Music History 13 (1994) : 249-273; Philippe Vendrix, La musique à la Renaissance, Que sais-je? (Paris : Presses universitaires de France, 1999).

65 de la pensée humaniste. La quête de l’harmonie céleste doit passer par une fusion des arts, qui permet, croit-on, de reproduire le modèle des spectacles de la Grèce antique. Baltasar de Beaujoyeulx, le chorégraphe du Balet comique de la Royne en 1581, décrit l’esprit de son ballet dans l’avis au lecteur qui ouvre le livret de l’œuvre. Il ne s’agit pas seulement de présenter des « meslanges géométriques de plusieurs personnes dansans ensemble sous une diverse harmonie de plusieurs instruments », ou de présenter simplement une comédie théâtrale, mais de mesler l’un et l’autre ensemblement, et diversifier la musique de poesie, et entrelacer la poesie de musique, et le plus souvent les confondre toutes deux ensemble : ainsi que l’antiquité ne recitoit point les vers sans musique, et Orphée ne sonnoit jamais sans vers. *…+ Ainsi j’ay animé et fait parler le Balet, et chanter et resonner la Comedie : et y adjoustant plusieurs rares et riches representations et ornements, je puis dire avoir contenté en un corps bien proportionné, l’œil, l’oreille, et l’entendement99.

Le mouvement pour un retour à l’alliance de la poésie, de la musique et de la danse prônée par les auteurs de l’Antiquité est né au milieu du XVIe siècle, porté par les poètes de la Pléiade réunis autour de l’helléniste Jean Dorat. Pour Ronsard, figure emblématique de la Pléiade, la « Poësie sans les instrumens, ou sans la grace d’une seule, ou plusieurs voix, n’est nullement aggreable »100. Cependant, ce sont les activités de l’Académie de Poésie et de Musique, fondée par un autre poète issu de la Pléiade, Jean-Antoine de Baïf, qui cristallisent cette aspiration à une fusion des arts101. Baïf élabore le principe de la « musique mesurée à l’antique », dont le rythme respecte la prosodie et le mètre de la poésie. Cette musique est censée posséder le pouvoir « de raffiner et de purifier les esprits de leurs auditeurs, et, par le biais de cette purification, de les préparer à une accession aux niveaux supérieurs de la connaissance »102. La poésie de Baïf recourt à la versification selon des schémas préétablis, utilisés par les auteurs grecs, qui alternent les syllabes brèves ou longues. Les compositeurs transposent ces vers en musique en associant les syllabes brèves à des valeurs de note courtes, et les syllabes longues à des valeurs de note longues. Cette combinaison du texte et de la musique, tous deux soumis à un même schéma, accentue le caractère rythmique des compositions « mesurées à l’antique » (Annexe 5 – Musique mesurée à

99 Pour un fac-similé du livret, voir Baltasar Beaujoyeulx, Le balet comique de la Royne (1581), introduction par Margaret McGowan (Binghamton : Center for Medieval & Early Renaissance Studies, 1982). 100 Cité dans McGowan, L'art du ballet de cour en France, 16. 101 Les lettres patentes de novembre 1570, délivrées par Charles IX, confirment la création de L’Académie de Poésie et de Musique. Outre Baïf, le compositeur Joachim Thibaud de Courville est au centre des activités de l’Académie, qui ne survit toutefois guère à la mort de Charles IX. Elle est remplacée au début du règne d’Henri III par l’Académie du Palais, qui accorde toutefois une place secondaire à la musique. Voir Yates, Les académies en France au XVIe siècle. 102 Ibid., 47.

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l’antique). La forme poétique privilégiée par Baïf, une fois traitée musicalement, devient donc un support idéal pour la danse. Ainsi, non seulement la poésie et la musique fusionnent pour recréer l’antique harmonie céleste « dans l’espace imaginaire », mais la danse la matérialise en créant « une géométrie dans l’espace “réel” de la scène »103. La fusion souhaitée par l’Académie de Baïf se manifeste dans trois ballets présentés entre 1572 et 1581, que Bonniffet qualifie de « ballets humanistes ». Il s’agit du Paradis d’amour (1572), du Ballet des Polonais (1573), et du Balet comique de la Royne (1581). Le rôle de Baïf dans la création du ballet de cour demeure toutefois indirect. Il a contribué au livret du Paradis d’amour, mais il n’a pas participé à l’élaboration du premier chef-d’œuvre du genre, le Balet comique de la Royne. Les visées de Baïf et de ses collaborateurs au sein de l’Académie s’inscrivent aussi dans un contexte politique marqué par les troubles de religion, qui couvrent les années 1562 à 1598104. L’harmonie céleste que tente de recréer l’Académie au début des années 1570 se veut une réponse au climat de tension qui règne au sein du royaume depuis près d’une décennie. Les ballets projettent une paix souhaitée en ces temps de crise, et leur potentiel politique est vite compris et saisi par Catherine de Médicis et ses fils. Les trois « ballets humanistes » sont conçus dans une optique qui dépasse le strict cadre artistique. Le Paradis d’amour est le parfait exemple d’utilisation politique du ballet de cour. Il est présenté dans le cadre du mariage du protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, et de la catholique Marguerite de Valois, la sœur du roi. Ce mariage a été planifié par Charles IX et Catherine de Médicis pour calmer les tensions entre catholiques et protestants, et le Paradis d’amour, présenté deux jours après la noce, se veut le point culminant des festivités. Le roi et ses frères participent au spectacle, protégeant le paradis des assauts répétés de bandes de chevaliers errants. Ceux-ci, incarnés par Henri de Navarre et ses compagnons protestants, sont d’abord repoussés en enfer, avant d’être délivrés par des dames, métaphore de l’union d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois qui doit ramener la paix dans le royaume105. Cet effort de réconciliation, illustré dans le Paradis d’Amour, est anéanti deux jours plus tard, lors du massacre de la Saint-Barthélemy, alors que l’élite protestante, rassemblée à Paris

103 Bonniffet, « Esquisse du ballet humaniste (1572-1581) », 27. 104 Yates, Les académies en France au XVIe siècle, 91-99. 105 Pour une description du Paradis d’amour, voir Prunières, Le ballet de cour en France, 70-74. Pour des analyses complémentaires, voir Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 107-110; McGowan, Dance in the Renaissance, 87-90.

67 pour le mariage, est décimée106. Les deux autres « ballets humanistes » servent à démontrer la splendeur de la cour de France, malgré les temps troubles. Le Ballet des Polonais est présenté à Paris en 1573 en l’honneur des ambassadeurs polonais venus annoncer l’élection du duc d’Anjou, futur Henri III, au trône de Pologne, tandis que le Balet comique de la Royne est créé en 1581 pour célébrer le mariage du duc de Joyeuse, le favori d’Henri III, et de Marguerite de Vaudémont, la demi-sœur de la reine Louise. Ce ballet est la plus grande réussite du genre à la fin du XVIe siècle, et est le « premier exemple connu d'un effort conscient pour réaliser en un même spectacle l'union des arts tant souhaitée par les théoriciens »107. La place de premier plan qu’occupe ce ballet dans l’étude de l’évolution du genre en France n’est pas uniquement due à ses qualités et à son ampleur. Son étude détaillée a été facilitée par l’abondance de détails qui nous sont parvenus et qui fait presque toujours défaut pour les spectacles de ce temps. Il s’agit du seul ballet de cour du XVIe siècle dont un livret complet, édité par Le Roy et Ballard, ait été préservé. En plus des textes récités ou chantés, on y trouve des didascalies et des indications scéniques, une grande partie de la musique vocale et instrumentale, ainsi que des gravures représentant la salle, les costumes et les décors. Un seul autre livret imprimé, mais incomplet et sans musique, réunissant les ballets présentés devant Henri IV à Pau et à Tours en 1592 et 1593, nous est parvenu durant les 30 années qui suivent le Balet comique de la Royne, même si une centaine de ballets sont recensés durant cette période. Les textes des ballets sont toutefois souvent publiés dans les recueils des poètes qui les ont écrits, mais aucune indication sur la scénographie, la chorégraphie ou la musique ne les accompagnent, ce qui rend le livret du Balet comique d’autant plus précieux. Ainsi, à travers les trois ballets dit « humanistes », on peut constater les tendances dans la conception d’un spectacle artistique global au service d’une idée politique (la tentative de réconciliation du Paradis d’amour) ou d’une démonstration de magnificence (le Ballet des Polonais et le Balet comique de la Royne). Les informations précises sont trop rares pour pouvoir établir une forme fixe. Le genre est en constante évolution, et on se réfère « à une période et à un courant de pensée vaguement définis, à des habitudes, beaucoup plus qu’à une esthétique

106 Certains commentateurs de l’époque ont par la suite interprété l’intrigue du Paradis d’amour comme une annonce du massacre qui allait suivre, et ont prétendu que la noce avait été planifiée par Catherine de Médicis pour rassembler l’élite protestante à Paris afin de l’éliminer. 107 McGowan, L'art du ballet de cour en France, 42. Outre cet ouvrage de McGowan, on trouve une description du Balet comique de la Royne dans Prunières, Le ballet de cour en France, 82-94.

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précise »108. La fonction sociale des ballets et leur utilisation à des fins politiques ont ainsi pu être étudiées plus en détail que leurs qualités artistiques. La rareté des documents témoignant des multiples facettes artistiques – texte, musique, costume, décor, mise en scène – qui forment un ballet de cour n’est pas sans rappeler la rareté des publications pour luth durant les mêmes années. On peut à nouveau en imputer une partie de la responsabilité au contexte politique instable de la fin du siècle, alors qu’on assiste à un ralentissement de la fréquence de festivités (aucun ballet n’est recensé à Paris de 1586 à 1593). Lorsqu’Henri IV entre dans Paris en 1594 et confirme son autorité, la présentation de ballets reprend, mais ceux-ci deviennent moins théâtraux et spectaculaires109. La modestie des fêtes organisées par Henri IV, que la situation financière précaire du royaume impose, est légèrement transformée à la suite de son mariage avec Marie de Médicis en 1601. Mais les ballets de cour ne regagneront pas immédiatement la grandeur des « ballets humanistes ». Ceux-ci s’appuyaient sur une œuvre littéraire assurant l’unité du spectacle, tandis que les ballets du début du XVIIe siècle s’orientent davantage vers un divertissement mettant en vedette la danse et la musique. Le « ballet à entrées », qui présente une succession de tableaux plutôt qu’une œuvre unifiée, ne découle pas d’un idéal artistique aussi ambitieux que le « ballet humaniste ». Il favorise néanmoins une division en diverses pièces indépendantes qui, comme nous le verrons, fournissent un matériau facilement utilisable par les luthistes. Ainsi, malgré une relative abondance de sources littéraires – les textes des ballets publiés dans les recueils poétiques, mais aussi les divers récits de commentateurs qui assistent aux représentations – peu de détails nous sont parvenus sur les chorégraphies, la scénographie et la musique. Les idéaux de l’Académie de Baïf, notamment la « musique mesurée à l’antique », ne se reflètent pas directement dans la musique des luthistes tels que Francisque et Ballard. Pourtant, le luth, plus que tout autre instrument, a servi à promouvoir l’union de la poésie et de la musique, en se faisant l’écho de la lyre antique et en devenant le compagnon idéal du chant. À travers les rares sources musicales des ballets et les témoignages de commentateurs de l’époque, on peut tenter de comprendre le rôle du luth.

108 Bonniffet, « Esquisse du ballet humaniste (1572-1581) », 18. 109 Prunières, Le ballet de cour en France, 98-110.

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La musique des ballets

On trouve de la musique vocale et instrumentale issue des ballets dans de rares sources, et celles- ci, bien que précieuses, demeurent incomplètes, notamment parce qu’elles ne permettent pas de recréer le spectacle dans son intégralité. Par exemple, il y a les nombreux airs vocaux composés à l’origine pour des ballets, puis intégrés dans les recueils d’airs de cour publiés par Pierre Ballard110. Détachés de leurs ballets d’origine, ils deviennent des airs isolés et autonomes. Les sources de musique instrumentale pour la période 1571-1623 sont encore plus imprécises. Mis à part les extraits instrumentaux publiés dans le livret du Balet comique de la Royne, il faut se référer à des sources secondaires, et donc à des versions potentiellement différentes du contexte d’origine111. D’abord, il y a le Terpsichore (1612) de Michael Praetorius, une anthologie contenant une grande quantité de danses de la fin du XVIe siècle, pour la plupart anonymes, et dont certaines proviennent de ballets. Les danses sont transcrites à quatre ou cinq parties, mais aucune instrumentation n’est détaillée, pas plus que l’endroit dans le ballet où elles apparaissent. Il est donc impossible de recréer leur sonorité d’origine ou de les replacer dans leur contexte initial. Ensuite, on trouve des extraits de ballets dans la collection Philidor, mais les airs de danse sont transcrits en version simplifiée, avec uniquement la mélodie et la basse. On ignore comment l’harmonie était complétée, et à nouveau, aucun détail n’est fourni sur l’instrumentation. Finalement, les transcriptions au luth, et principalement celles de Robert II Ballard, constituent une source appréciable, sur laquelle nous reviendrons en détail. Ainsi, ces rares sources ne nous révèlent qu’une infime partie de toute la musique composée pour les ballets de cour au tournant du XVIIe siècle112. La musique des ballets de cour n’est pas autonome, mais est plutôt liée à l’action, au déroulement théâtral du ballet. Elle est composée pour accompagner un air ou s’adapter à une chorégraphie, pour « soutenir le spectacle et non pour être entendue »113. Un ballet présente une succession de poèmes récités, de chants polyphoniques ou monodiques, et de danses. Les airs

110 Ibid., 225-231. Prunières s’attarde particulièrement aux compositeurs Pierre Guédron et Antoine Boesset. 111 Ces sources secondaires sont décrites dans Georgie Durosoir, « Traces de la musique instrumentale dans les ballets de cour (v. 1600-1630) », dans Le concert des voix et des instruments à la Renaissance, sous la dir. de Jean-Michel Vaccaro (Paris : CNRS, 1995), 579-585. 112 Michel Henry, violoniste à la cour, dresse une liste des ballets joués entre 1580 et 1620, dans laquelle il nomme plusieurs compositeurs de musique instrumentale, tels que Lore, Chevalier, La Font, Richaine, La Motte et Le Bret. Toutefois, aucune musique de ces compositeurs ne nous est parvenue. Voir François Lesure, « Les recueils de ballets de Michel Henry (vers 1620) », dans Les fêtes de la Renaissance, sous la dir. de Jean Jacquot (Paris : CNRS, 1956), 205-220. 113 Rollin, « La musique de ballet dans les tablatures de luth », 55.

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vocaux sont souvent écrits à quatre ou cinq voix, mais l’air monodique s’impose au tournant du XVIIe siècle lorsque les récits déclamés sont progressivement remplacés par des récits chantés. La musique instrumentale est habituellement composée par le chorégraphe ou un musicien différent du compositeur des airs vocaux du ballet. On peut trouver des danses sociales dans les ballets, mais leurs chorégraphies se transforment et deviennent plus libres. La musique qui les accompagne devient par conséquent elle aussi plus souple, n’étant plus assujettie « à des formules rythmiques invariables et déterminées »114. D’autres chorégraphies sont créées de toutes pièces et possèdent un aspect théâtral généralement absent des danses sociales. La musique qui accompagne ces danses théâtrales est plus flexible, par exemple en pressant ou ralentissant les tempos, ou en alternant les mesures binaires et ternaires. La composition musicale se plie donc à la chorégraphie de ces danses « libres ». Ainsi, le ballet n’est pas le lieu d’une création musicale instrumentale indépendante. La musique est un élément secondaire des ballets et se caractérise par une uniformité du style. Prunières a étudié les extraits de ballets dans le Terpsichore de Praetorius et dans la collection Philidor. Il est frappé par la « monotonie », ou encore « l’immobilité » des pièces instrumentales115. De plus, il ne distingue pas d’évolution durant la période comprise entre 1600 et 1650, ou de différences de style entre les compositeurs. Si les sources musicales sont rares, les informations sur l’utilisation des instruments, comme on a pu le constater, le sont encore plus. On sait toutefois que l’ampleur des spectacles nécessitait la participation des instrumentistes rattachés à la Chambre, à l’Écurie et parfois même à des musiciens de la ville116. Il est difficile de connaître le nombre exact de musiciens employés dans les ballets de la période couverte par ce mémoire. On sait, par contre, grâce au livret du ballet La délivrance de Renaud présenté en 1617, que 28 violes et 14 luths étaient placés sous la direction de Mauduit, en plus des 64 voix. Dans un autre passage du ballet, un second groupe de musiciens se joint au premier, et sont alors réunis plus de 45 instruments et 92 voix117. Cet exemple démontre l’ampleur que peuvent prendre les ballets, tandis que quelques musiciens sont nécessaires à l’accompagnement des bals118. Bien qu’on possède parfois un compte précis des instruments en présence, aucune information sur leur utilisation n’est mentionnée, « comme si la

114 Prunières, Le ballet de cour en France, 212. 115 Ibid., 210. 116 McGowan, Dance in the Renaissance, 76. 117 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 112-113. 118 Même s’il mentionne la possibilité d’utiliser les « violons, espinettes, fluttes traverses et à neuf trouz, haulbois & toutes sortes d’instruments », Arbeau privilégie néanmoins le simple duo tambourin et flûte. Arbeau, Orchésographie, f. 33v. De plus, l’iconographie des bals de l’époque met rarement en scène plus de quatre ou cinq musiciens.

71 musique instrumentale allait de soi : comme s'il n'était pas nécessaire d'en parler, sinon par de vagues allusions », laissant pressentir « qu'elle ne pouvait être ni très élaborée ni très variée »119. Elle a beau figurer au sein d’un spectacle d’envergure, la musique instrumentale des ballets semble être marquée par le même aspect simple et répétitif qui caractérise la musique des bals. On possède peut-être peu de détails sur l’utilisation exacte des instruments, mais on observe néanmoins certaines tendances. Les instruments aux timbres délicats, comme les violes et les luths, sont privilégiés pour accompagner les airs vocaux, tandis que les instruments aux timbres brillants servent à accompagner les danses. Certaines couleurs instrumentales servent également à représenter des situations ou personnages précis. Les hautbois sont utilisés pour les tritons et autres divinités marines, les musettes et les chalumeaux pour les bergers, les trompettes pour les charges et les fanfares, la guitare pour les Espagnols. Les violons dominent cependant les ballets, mais leur présence est si constante qu’ils sont rarement mentionnés ou spécifiés120. Mersenne explique l’usage des instruments en fonction de leur caractère et des effets qu’ils produisent sur l’âme humaine : « D'abondant l'on experimente que les airs de Balets, & des Violons excitent davantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouvements, ou de leur sons aigus, que les airs que l'on jouë sur le Luth, ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graves & plus languissans121. » Ainsi, le luth n’est pas un instrument privilégié pour la danse, mais il trouve néanmoins sa place au cœur du ballet de cour.

Le luth et le ballet

Les luthistes se trouvent mêlés aux ballets de cour de deux manières. En plus d’une implication comme accompagnateurs au sein même du spectacle, ils transcrivent pour luth seul des extraits de ballets. Robert II Ballard en a adapté de nombreux dans ses deux livres de luth. Le Premier livre de 1611 contient 15 pièces intitulées « ballets », tandis que le Deuxième livre de 1614 en présente cinq122. Certains de ces ballets ne sont composés que d’un seul air, mais la plupart sont constitués de deux à quatre « chants », selon l’appellation que prennent ces airs dans les recueils de Ballard. Quelques ballets possèdent un titre précis faisant référence au spectacle original, par exemple le

119 Durosoir, « Traces de la musique instrumentale dans les ballets de cour », 582. 120 Ibid., 584-585. 121 Mersenne, Harmonie universelle, Livre II, 172. 122 On en trouve également un dans la Tablature de Luth de differens autheurs sur les accords nouveaux, publiée à Paris par son frère Pierre Ballard en 1631, et deux dans Le Petit Bouquet de Frise orientale (1631) de Louis de Moy.

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Ballet de la Reyne, le Ballet des Contre-Faits d’Amour, le Grand ballet de Saint-Germain, ou encore le Ballet des chevaux, exceptionnellement constitué de huit chants123. À partir de l’étude des concordances des deux livres, effectuées par Monique Rollin dans la collection « Corpus des luthistes français », on peut dégager les statistiques suivantes : les 20 ballets sont composés d’un total de 53 chants, et de ce nombre, 23 ne se trouvent que dans les livres de Ballard. C’est le Premier livre qui est plus riche à ce sujet, avec 22 chants inédits, tandis que le Deuxième livre n’en contient qu’un seul. On trouve des pièces isolées intitulées « ballet » dans d’autres publications pour luth parues à l’extérieur de la France à la même époque. Certaines de ces pièces ont recours à des mélodies utilisées par Ballard, mais présentent des transcriptions différentes124. Toutefois, Ballard est le seul à organiser ses ballets en suite cohérente de plusieurs chants125. Le Ballet de la Reyne, extrait du Premier livre, contient trois chants suivis d’une courante. Nous sommes encore loin de la suite instrumentale du milieu du siècle, mais Ballard offre pour la première fois un enchaînement de plusieurs pièces de caractères différents. De plus, Buch note que les chants qui concluent certains ballets de Ballard s’apparentent, par leur structure et leur caractère, à des sarabandes, bien qu’ils ne portent pas encore ce nom. Cette information est cruciale dans la recherche de liens entre les ballets et la suite instrumentale. La sarabande des compositeurs de la grande école de luth du XVIIe siècle, calquée sur les chants qui terminent les ballets de Ballard, possède le même rôle conclusif dans le trio allemande–courante–sarabande, noyau fondateur de la suite126. Les extraits de ballets conservés dans plusieurs sources permettent d’apprécier le travail de transcription au luth de Ballard. Prunières, qui affirme avoir transcrit l’œuvre de Ballard et vouloir éventuellement l’éditer (ce qui n’est jamais advenu), note que les transcriptions d’un air de ballet par Ballard sont nettement plus intéressantes que les versions dépouillées de cette même mélodie retrouvées chez Philidor127. Dans les diverses transcriptions pour luth d’un même air, la qualité varie également. Tandis que certaines transcriptions sont des adaptations « textuelles ou littérales », celles de Ballard sont des versions « interprétatives » dans lesquelles des modifications

123 Certains noms de ballets chez Ballard ne coïncident pas avec les noms retrouvés chez Philidor ou Praetorius. Par exemple, le chant du Ballet des Manans de Ballard se retrouve dans le Ballet des Paysans et des Grenouilles chez Philidor, et dans le Ballet de Grenouille chez Praetorius. 124 On trouve ces pièces principalement dans le Thesaurus harmonicus (Cologne, 1603) et le Novus partus (Augsburg, 1617) de Jean Baptiste Besard; le Testudo gallo germanica (Nuremberg, 1615) de Georg Leopold Fuhrmann; Le Secret des Muses (Amsterdam, 1618) de Nicolas Valet. 125 Rollin, « La musique de ballet dans les tablatures de luth », 62. 126 Buch, « The Influence of the Ballet de Cour in the Genesis of the French Baroque Suite », 103. 127 Prunières, Le ballet de cour en France, 210.

73 importantes sont apportées, par le biais de l’ornementation et de la variation128. La structure harmonique des pièces est conservée d’une version à l’autre, tandis que la mélodie est ornementée. Il s’agit d’un travail semblable aux mises en tablature de chansons polyphoniques du siècle précédent. Cela permet de constater la créativité de divers luthistes à partir d’un même modèle. Après avoir poussé les mises en tablature de chansons polyphoniques à ses extrêmes possibilités – pensons à la quasi-fantaisie de Francisque sur la chanson Susanne un jour – il aurait été surprenant qu’un luthiste de la trempe de Ballard en revienne à de simples transcriptions littérales. C’est en exploitant pleinement de nouvelles possibilités instrumentales – notamment le style brisé – que Ballard démontre sa créativité, et ce, même s’il s’appuie sur des modèles préexistants. Toutefois, les deux livres de Ballard ont sans doute peu à voir avec l’utilisation du luth dans le cadre des ballets. Les sources littéraires des ballets mentionnent peu d’utilisation d’instruments solistes, à l’exception du luth qui accompagne les récits monodiques. L’abondance de dessins contenus dans les livrets de ballets, qui présente un personnage faisant sont entrée en jouant du luth, permet d’affirmer que « le luth solo accompagnait systématiquement les récits chantés »129. Plusieurs de ces images proviennent du règne de Louis XIII, alors que les livrets imprimés deviennent plus abondants. Le récit des fêtes de Fontainebleau en 1564 fait néanmoins état de la même pratique. Lors d’un banquet donné le 14 février, une mascarade est présentée par le duc d’Orléans (futur Henri III) en l’honneur de son frère, le roi Charles IX. Le texte, écrit par Ronsard, a été mis en musique par Nicolas La Grotte. Les airs à quatre voix sont accompagnés par l’épinette, la viole, la flûte et la cornemuse, tandis que les airs monodiques sont soutenus par le luth seul130. L’accompagnement au luth de l’air monodique dans le cadre des mascarades et ballets semble ainsi une pratique ancrée depuis la fin du XVIe siècle. Il n’est donc pas surprenant de retrouver de nombreux récits issus des ballets dans les collections d’airs de cour au luth. Par contre, pour l’utilisation du luth dans les airs instrumentaux des ballets, l’écart entre les accompagnements réalisés dans les spectacles et les pièces de Ballard est probablement immense. La texture raffinée des transcriptions de Ballard serait dénaturée une fois jouée, par exemple, par les 14 luths de la Délivrance de Renaud de 1617. Ainsi, une différenciation s’effectue dans l’emploi du luth au sein d’un ensemble, ou lorsqu’il est utilisé comme instrument soliste. Aussi, les

128 Rollin, « La musique de ballet dans les tablatures de luth », 61. 129 Durosoir, « Traces de la musique instrumentale dans les ballets de cour », 584. 130 Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 158-159.

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transcriptions de ballets au luth se détachent des origines scéniques du genre, à l’image de certaines danses sociales qui se sont dissociées de leurs aspects chorégraphiques. S’il se trouve au sein d’ensembles instrumentaux afin accompagner la danse dans les ballets et les bals, le luth ne peut pas, selon Vaccaro, soutenir seul la danse131. Sa sonorité délicate est en effet peu compatible avec le contexte bruyant d’une fête dansante. Pourtant, certains traités de danse italiens confient au luth les exemples musicaux accompagnant les différentes danses132. Il semble donc que le luth seul puisse être envisagé comme instrument accompagnateur dans un contexte d’intimité, comme une leçon de danse. C’est effectivement dans des contextes intimes qu’on trouve d’autres exemples attestant l’usage du luth seul pour accompagner la danse. Brantôme raconte dans ses Vies des Hommes illustres et Capitaines François que Charles IX, se trouvant malade, réclame à la fin d’un repas que tout le monde quitte la salle, à l’exception de quelques gentilshommes, dont Philippe Strozzi – le colonel général des troupes françaises –, le maréchal de Brissac, et Brantôme lui-même. Charles IX demande à Brissac de jouer du luth, étant selon Brantôme « le seigneur et gentilhomme de France qui en joüoit des mieux », et à Brissac de danser puisqu’il « dansait des mieux qu’on en avoit veu à la cour jamais »133. On raconte aussi qu’à la fin de sa vie, Sully, proche conseiller d’Henri IV chargé de superviser les finances royales, dansait seul chaque soir au son du luth134. Si ces anecdotes séduisent par la stature des personnalités qu’elles impliquent, elles ne livrent par contre aucune information précise sur la nature de la musique interprétée. Le contexte d’intimité dans lequel se sont épanouis les luthistes ne favorise pas la divulgation de leur pratique, et c’est sans doute là l’une des raisons qui expliquent l’inconstance des publications. Ainsi, le luth n’a pas échappé à l’engouement généré par la création des ballets. Il a, d’une part, participé aux spectacles et, d’autre part, utilisé le matériau musical des ballets pour créer ses propres versions instrumentales. À l’image des voltes et des courantes pour luth, les ballets se détachent de leurs origines chorégraphiques pour devenir des objets strictement sonores. L’absence de sources détaillées laisse toutefois plusieurs questions sans réponses. On sait par contre que de nombreux Italiens ont été au cœur du développement du ballet de cour français, et

131 Vaccaro, La musique de luth, 250-251. 132 Par exemple, le Nobilita di Dame (1600) de Frabritio Caroso, et le Gratie d’Amore (1602) de Cesare Negri présentent des tablatures de luth et une mélodie sur portée pour accompagner leurs danses. La mélodie est également présente dans la tablature, permettant un accompagnement au luth seul. 133 Pierre de Bourdeille (v. 1540-1614), dit Brantôme, est un chroniqueur qui a consacré la plupart de ses écrits à des récits sur les courtisans et les militaires de son temps. Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 156. 134 Ibid., 175.

75 on peut se demander si cette présence italienne a exercé une influence sur le développement du jeu au luth.

Une influence italienne?

L’influence italienne en France au XVIe siècle est bien documentée, mais dans le cas du développement du ballet de cour, il est peut-être plus approprié de parler d’échanges culturels, car le phénomène est réciproque. La circulation d’Italiens en France s’est accentuée lors des guerres d’Italie, débutées à la fin du XVe siècle et poursuivies dans la première moitié du XVIe siècle. L’influence italienne se fait sentir dans toutes les disciplines artistiques. Tandis qu’on assiste, à la fin du XVIe siècle, à un renversement de tendance dans les milieux de l’architecture, de la sculpture et de la peinture – avec le retour en force à la cour d’artistes français aux postes prestigieux –, il en est autrement dans les domaines de la danse et de la musique135. Divers relevés de compte du règne d’Henri III témoignent de la grande présence de chantres et de joueurs d’instruments en provenance d’Italie. Mais la seule présence de ces artistes, aussi grande soit-elle, ne permet pas de conclure à une italianisation des divertissements de la cour136. Les échanges ont été nombreux entre les spectacles de cour français et italiens, mais tandis que d’Italie émerge l’opéra, la France se consacre au ballet. Les sources d’influences sont les mêmes, mais à terme, les destinations sont différentes : « On ne songe pas à nier les échanges qui se sont poursuivis entre la France et l’Italie, mais le moins qu’on puisse dire est qu’ils paraissent n’avoir détourné aucun des deux pays de sa voie originale. La sensibilité nationale a joué pleinement son rôle en ce domaine137. » De plus, le poète Ottavio Rinuccini (1562-1621), auteur de livrets des premiers opéras italiens, a séjourné en France au début du XVIIe siècle, peu de temps après le mariage de la Florentine Marie de Médicis et d’Henri IV. Aux dires de son fils, il est le premier Italien à avoir importé le ballet en Italie, preuve d’une influence inverse à l’idée généralement reçue. Aussi, certains divertissements italiens, comme la Mascherata dell’Ingrate présentée à Mantoue en 1608, épousent la forme du ballet à la française138.

135 L’influence italienne sur la cour de France, à laquelle Jacqueline Boucher accorde une grande importance, est traitée en détail au chapitre 4 de sa thèse. Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 531- 629. 136 Rappelons qu’au siècle suivant, c’est un musicien d’origine florentine, Jean-Baptiste Lully, qui crée le style baroque français en s’opposant farouchement à la musique italienne. 137 Bonniffet, « Esquisse du ballet humaniste (1572-1581) », 48, note 80. 138 Prunières, Le ballet de cour en France, 106. On doit à Rinuccini les livrets de Dafne (1598), mis en musique par Jacopo Peri et considéré comme le premier opéra (la musique est toutefois perdue), Euridice (1600), mis

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L’arrivée massive d’Italiens à la cour de France au milieu du XVIe siècle n’est pas étrangère à l’influence qu’a exercée Catherine de Médicis, particulièrement après la mort d’Henri II, alors que règnent ses fils. Charles IX a considérablement augmenté le nombre de musiciens et danseurs à la cour, et plusieurs d’entre eux sont Italiens, si bien qu’on trouve dans un compte de 1572 une section consacrée aux « Italliens »139. Cette présence accrue de musiciens italiens reste néanmoins limitée à des postes très spécifiques liés à la danse. Le domaine de la musique vocale, dont on peut mieux suivre les tendances à cette époque grâce au catalogue de Le Roy et Ballard, échappe à cette arrivée massive d’artistes italiens. Bien qu’on trouve diverses pièces sur des textes italiens (souvent de compositeurs français) dans des livres de chansons depuis les années 1550, seulement quatre publications entièrement consacrées à des compositeurs italiens paraissent chez Le Roy et Ballard140. Lorsqu’il prend seul la direction de l’atelier en 1606, Pierre Ballard se consacre aux collections d’airs de cour typiquement français, et il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour voir à nouveau une ouverture aux œuvres d’artistes originaires d’Italie et d’ailleurs141. C’est donc bel et bien dans l’univers du ballet de cour que la présence italienne se fait sentir plus concrètement. Ce sont principalement des violonistes et des baladins (maîtres danseurs et chorégraphes) qui arrivent à la cour de France dès le milieu des années 1550. Dans l’un des plus importants traités italiens de danse, le Gratie d’amore (1602), Cesare Negri confirme que plusieurs maîtres danseurs ont enseigné à des membres de la maison royale française au cours du XVIe siècle, et proclame le rayonnement de l’école Milanaise dans toute l’Europe142. Entre 1570 et 1590, parmi tous les artistes recensés dans les comptes royaux, Boucher a répertorié 47 % d’Italiens parmi les joueurs d’instruments, dont 76 % des violonistes, et 100 % des baladins (elle n’en répertorie par contre seulement que 6)143. On constate donc que les violonistes et les maîtres de danse, habituellement responsables des chorégraphies des ballets de cour, sont italiens. Il n’est pas rare qu’ils possèdent la double compétence de violoniste et de danseur, ce qui en fait les personnes en musique par Peri et Giulio Caccini et présenté à Florence pour célébrer les futures noces de Marie de Médicis et d’Henri IV, puis L’Arianna (1608), mis en musique par Claudio Monteverdi (musique perdue, à l’exception du Lamento). 139 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 110. 140 On trouve Il primo libro di villanelle alla napolitana (1565), le Di Regolo Vecoli da Lucca il secondo libro de madrigali a cinque voci (1586), Il primo libro de madrigali a sei voci, di Pietro Vecoli da Lucca (1587), et les Madrigali a quatro voci di Luca Marenzio (1598). Jeanice Brooks traite des échanges franco-italiens dans un chapitre judicieusement intitulé « Dialogues with Italy », dans lequel elle présente la liste des pièces profanes italiennes publiées en France entre 1530 et 1600. Dans Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth- Century France, 255-332. 141 Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, 21. 142 Cité dans McGowan, Dance in the Renaissance, 10-12. 143 Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 564.

77 toutes désignées pour élaborer les chorégraphies et la musique qui les accompagne. Le prestige qu’acquièrent les violonistes par le biais de la danse et du ballet se reflète dans leur rang social. Tandis qu’ils étaient membres de l’Écurie sous François Ier, ils sont transférés définitivement à la Chambre au début du règne de Charles IX144. Chez Catherine de Médicis, les violonistes italiens se voient offrir la charge prestigieuse de valet de chambre, charge qu’acquiert Beaujoyeulx, le chorégraphe du Balet comique de la Royne, dès 1560, même si le violon n’a pas encore gagné ses lettres de noblesse145. Les bandes de violons se développent rapidement à la fin du siècle, sous l’impulsion des immigrants italiens, et forment au début du XVIIe siècle la base de la formation musicale liée aux ballets, avec la création de la bande des 24 violons du roi. La prédominance de violonistes et de baladins italiens, acteurs essentiels dans la création des ballets, incite à s’interroger si une telle influence a pu se produire chez les luthistes. On ne trouve toutefois aucun luthiste italien en France au tournant du XVIIe siècle, tant dans les comptes royaux que dans les archives notariées. À la cour, comme à Paris, le domaine du luth semble avoir été exclusivement français. Pourtant, l’un des premiers musiciens italiens de renom à avoir été attiré à la cour de France par François Ier est le luthiste Albert de Rippe (à l’origine Alberto da Ripa). Arrivé en France en 1529, il est considéré comme l’équivalent musical du Primatice ou de Rosso, peintres célèbres également recrutés par François Ier à cette époque146. De Rippe est toutefois le seul luthiste de renom à avoir laissé sa marque en France. Il est en grande partie responsable de l’éclosion de publications pour luth dans les années 1550, alors que son élève Guillaume Morlaye publie son œuvre chez l’imprimeur Fezandat, bientôt suivi par Le Roy et Ballard147. On retrouve bien la trace d’autres luthistes italiens de passage en France à la même époque, par exemple les luthistes et chanteurs Fabrizio et Luigi Dentice, exilés de Naples148. Aucune de leurs œuvres n’a toutefois été retrouvée en France, tant dans les sources imprimées que manuscrites. Rien ne laisse croire qu’ils aient eu un impact sur le développement de l’instrument et de son répertoire dans leur pays d’exil.

144 Les musiciens de l’Écurie (qui réunit les trompettes, saqueboutes, fifres, tambourins, cornets à bouquin) sont responsables de la musique militaire et des manifestations publiques telles que les « entrées royales » et les défilés. Les musiciens de la Chambre sont composés de chantres et de joueurs d’instruments (luth, épinette, viole) et sont responsables des divertissements quotidiens, souvent dans l’intimité du roi. 145 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 160-162. Voir aussi Laurent Guillo, « Les violons italiens du roi durant le voyage de Charles IX, 1564-66 », dans La musique de tous les passetemps le plus beau : hommage à Jean-Michel Vaccaro (Paris : Klincksieck, 1998), 207-211. 146 Cazaux, La musique à la cour de François Ier, 136-139. 147 Morlaye et Fezandat publient six livres de de Rippe, tandis que Le Roy et Ballard en impriment cinq. 148 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 258.

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Mis à part de Rippe, l’influence de luthistes italiens en France est donc négligeable, surtout dans la période 1571-1623. L’étude du contenu des publications italiennes de la même période confirme la distinction entre les deux répertoires. Le luthiste Giovanni Antonio Terzi a publié deux livres à Venise, l’un en 1593 et l’autre en 1599149. Sur un total de 154 pièces, on trouve 69 mises en tablatures de pièces vocales profanes ou sacrées (dont une Susanne un jour), alors qu’elles ont pratiquement disparu en France. Il y a également 19 pièces de musique dite abstraite (des fantaisies, des toccates et de préludes), de même que 66 danses. De ces danses, la gaillarde domine, alors qu’elle est en quantité limitée chez Francisque et Ballard. On trouve quelques exemples des danses qui font la spécificité des luthistes français : six courantes, quatre voltes et quatre branles. Toutes ces danses sont accompagnées du qualificatif « francese ». Il est donc clair que l’influence s’est effectuée de la France vers l’Italie. Le contenu de l’Intavolatura di liuto de Simone Molinaro, publié en 1599, est encore fortement attaché aux traditions du XVIe siècle. Il contient 41 fantaisies et 8 mises en tablatures de chansons (incluant également une Susanne un jour). Les danses du livre de Molinaro sont des saltarello et des paires de pass’e mezzo et gagliarda. Ces dernières danses sont l’équivalent du couple pavane et gaillarde populaire en France au milieu du siècle, alors que le saltarello est typiquement italien et ne se retrouve pas en France. Ce n’est qu’avec le premier livre de luth de Johannes Hieronymus Kapsberger en 1611 qu’on assiste à un détachement du langage du XVIe siècle, tel qu’observé en France à partir de Francisque. Ce virage prend toutefois une autre voie qu’en France. Le livre de Kapsberger présente uniquement des toccates, genre complètement absent du répertoire français, des gaillardes et des courantes, qui ne sont plus indiquées « francese ». Finalement, le deuxième livre de 1614 de Pietro Paolo Melii, contient principalement des courantes et des gaillardes, mais aussi des voltes (dont deux « alla francese ») 150. Ainsi, les éditions italiennes contemporaines du Trésor d’Orphée, celles de Terzi et Molinari, sont en retard sur les changements révélés par Francisque, notamment dans les genres privilégiés, qui reflètent encore les traditions du XVIe siècle. Les publications italiennes suivantes, celles de Kapsberger et Melii, exactement contemporaines des deux livres de Ballard, démontrent finalement un virage vers la danse semblable à celui observé en France. Mais tandis que les pièces typiquement italiennes ne se retrouvent pas en France (notamment la

149 Le contenu des deux livres est détaillé dans Suzanne Court, « Giovanni Antonio Terzi and the Lute Intabulations of Late Sixteenth-Century Italy » (thèse de doctorat, University of Otago, 1988). 150 Le contenu du livre de Molinaro est disponible dans Brown, Instrumental Music Printed Before 1600, 432- 433. Les contenus des livres de Kapsberger et Melii sont disponibles dans les éditions de Richard Civiol, sur le site http://luthlibrairie.free.fr.

79 toccate), les danses typiquement françaises sont adoptées par les luthistes italiens (par exemple la courante). Ainsi, malgré l’arrivée de nombreux artistes italiens en France dans la deuxième moitié du XVIe siècle, une influence inverse s’observe dans le domaine du luth. Il semble que les luthistes français se soient détachés plus rapidement des traditions du XVIe siècle pour créer un langage nouveau. Il faut donc éviter tout « italo-centrisme » pour définir les changements dans la vie musicale à cette époque. Il faut plutôt chercher au cœur de la cour et de la société françaises ce qui a pu favoriser un dynamisme capable de générer des transformations dans le langage des luthistes au tournant du XVIIe siècle.

Sommaire

La danse est au cœur des divertissements français tout au long du XVIe siècle. Cet engouement se manifeste dans le catalogue l’imprimeur Pierre Attaingnant, qui publie en 1530 le premier recueil de luth uniquement consacré à la danse, ainsi que chez les luthistes du milieu du siècle, principalement Adrian Le Roy et Robert Ballard, dont les compositions témoignent des goûts du temps pour la danse. Pourtant, dans les trois dernières décennies du XVIe siècle, au moment où la danse génère des spectacles d’une envergure jamais vue en France, aucune publication pour luth ne paraît. Arrive alors Le Trésor d’Orphée d’Antoine Francisque, qui témoigne du changement dans les types de danses en vogue : les pavanes et gaillardes disparaissent au profit de la volte et la courante. Ces danses nouvelles deviennent le lieu du développement d’un nouveau style d’écriture marqué par un allègement de la texture polyphonique et le recours au style brisé. Ce style devient chez Ballard le principal outil de variation et marque dès lors les débuts d’un langage typiquement associé aux luthistes. Ballard est d’ailleurs l’auteur de nombreux ballets adaptés au luth. Ainsi, non seulement le luth a participé aux représentations de ce spectacle fusionnant diverses formes d’art, mais il s’en est approprié le matériau musical pour créer des transcriptions idiomatiques, à l’image des mises en tablatures de chansons du siècle précédent. Les ballets de cour français ont été marqués par une forte présence de violonistes et chorégraphes italiens, mais cette influence italienne ne semble pas s’être transposée dans le milieu des luthistes. Les luthistes français ont développé un style qui leur est propre, ce qui incite à chercher en France les causes de l’émergence de la brillante école française de luth.

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Chapitre 3 : Robert Ballard et le statut social des luthistes

Au tournant du XVIIe siècle, la vie musicale française se concentre autour de Paris. Le marché de l’impression musicale est dominé par les Ballard, qui détiennent le titre d’imprimeurs du roi pour la musique. Alors que Pierre Ballard succède à son père à la tête de l’atelier, son frère, Robert II Ballard, poursuit une brillante carrière de luthiste. À travers son œuvre, le style innovateur dévoilé par Le Trésor d’Orphée (1600) d’Antoine Francisque franchit une nouvelle étape, pavant la voie à une génération de luthistes français qui brilleront à partir des décennies 1620 et 1630. Les luthistes employés à la cour de France ou par diverses maisons princières n’ont laissé que de rares pièces qui nous sont parvenues dans des manuscrits ou des anthologies publiées en dehors de la France. Ainsi, aucun luthiste de cour n’a publié ses œuvres en France durant tout le XVIe siècle. La situation n’est pas différente au siècle suivant, sauf en ce qui concerne Robert II Ballard. On le retrouve à la cour durant toute sa carrière, et il publie deux livres pour luth (1611 et 1614). Mais n’est-il pas surprenant de ne retrouver que deux livres, alors que sa famille lui donne un accès direct au marché de l’édition? Ses deux livres peuvent être interprétés comme des tentatives de positionnement au sein de la cour ou, du moins, révèlent une volonté de s’attirer les faveurs des personnalités les plus influentes du royaume. En ce sens, la publication de ses œuvres s’inscrit dans une stratégie d’ascension sociale. Ce phénomène s’observe également dans Le Trésor d’Orphée de Francisque, ce que met en lumière l’analyse des épîtres dédicatoires de chacun des recueils. À la fin du XVIe siècle, la cour réside davantage à Paris, dont le statut de pôle musical est amplifié. Bien que les résidences royales soient encore nombreuses sous Henri III, ce dernier séjourne à Paris « plus qu’aucun de ses prédécesseurs »1. Cette « sédentarité » nouvelle de la cour permet aux élites parisiennes issues de la bourgeoisie de côtoyer davantage la maison royale, ce dont chacune des parties tire avantage2. Cette nouvelle proximité se fait également sentir dans le milieu musical, alors que cohabitent à Paris les musiciens de cour et les musiciens indépendants. Pour ces derniers, il est dorénavant plus facile de se rapprocher de la cour et de ses musiciens et, éventuellement, d’aspirer à briguer une charge officielle. L’étude des actes notariés et des

1 Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 732. Boucher fournit un itinéraire précis de la cour sous Henri III, de 1574 à 1589, aux pages 842-851. 2 Ibid., 184-196.

81 comptes royaux de la fin du XVIe siècle révèle un accroissement des échanges entre les deux milieux musicaux, et dévoile les liens tissés entre les musiciens issus de diverses classes sociales3. Cette dynamique profite spécialement aux luthistes : Paris devient autour de 1630 la capitale européenne du luth, alors que de nombreux musiciens étrangers viennent y faire leur apprentissage4. La position privilégiée de Paris dans le milieu européen du luth n’est pas apparue spontanément au début du XVIIe siècle, mais s’est bâtie progressivement au cours des décennies précédentes, moins étudiées en raison de la rareté des sources musicales. Ces décennies sont pourtant marquées par l’instabilité politique. Les troubles de religion, qui culminent avec avènement d’Henri IV, avant de s’estomper durant son règne, sont suivis de la régence controversée de Marie de Médicis de 1610 à 1617. Les luthistes ont donc cheminé à travers cette période instable pour s’émanciper pleinement à partir des années 1630. Au cœur de cette période, les carrières de Francisque et de Ballard permettent d’aborder le contexte social dans lequel les luthistes indépendants et les luthistes de cour ont évolué. Il est risqué de prétendre à une synthèse du sujet pour cette époque. Il est plus judicieux de chercher à mettre en relief certaines réalités qui expliquent l’ascension hors du commun de l’instrument et de la transformation de son langage dans un contexte spécifiquement français.

Les luthistes indépendants et les aspirations à la cour

Les actes notariés révèlent la présence de nombreux luthistes en activité à Paris entre 1571 et 16235. On trouve ces luthistes agissant à titre de parrains lors d’un baptême, de témoins lors d’un mariage, ou cités comme veufs lors du convoi funèbre de leurs épouses. Ils sont également mentionnés dans des contrats d’apprentissage établissant les modalités des leçons dispensées à leurs élèves, des transactions immobilières ou des signatures de bail. Ces témoignages de la présence de luthistes fournissent cependant des détails épars, incomplets, et souvent sans aucune information pertinente concernant leurs activités musicales. Il est donc vain de tenter de dresser

3 La cohabitation entre les musiciens de la ville et ceux de la cour est étudiée dans le chapitre « Les musiciens de Paris, les musiciens du roi : des destins croisés », dans Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 79-96. 4 Spring, « The Development of French Lute Style, 1600-1650 », 177. 5 Les principales sources consultées concernant le dépouillement des actes notariés sont Brossard, Musiciens de Paris 1535-1792; Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1; Jurgens, Documents du Minutier central, tome 2.

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un portrait complet de la situation à partir de ces documents. Toutefois, ceux-ci peuvent révéler des phénomènes déterminants dans l’essor du luth à cette époque. Ainsi, on découvre des liens étroits entre les luthistes et les facteurs d’instruments, qui révèlent une synergie essentielle au développement de l’instrument. Malgré cette dynamique, qui permet aux luthistes de tenir un rôle privilégié dans le processus de naissance de l’interprète virtuose, on constate néanmoins les conditions précaires des musiciens indépendants à cette époque. Le plus célèbre d’entre eux, Antoine Francisque, aspire à une ascension sociale et tente d’améliorer sa condition en sollicitant les faveurs d’un protecteur par l’entremise de l’épître dédicatoire de son Trésor d’Orphée.

Un milieu proche des facteurs d’instruments

Les actes notariés permettent de constater les liens que la communauté musicale a tissés par les mariages et les parrainages. Il s’agit d’un phénomène qui touche particulièrement le milieu musical qui, après celui des orfèvres, montre « l’esprit de corps le plus vif de toutes les corporations de la capitale »6. On trouve plusieurs exemples d’alliances entre familles de musiciens, mais également entre le milieu des musiciens et celui des « faiseurs d’instruments »7. Ces relations étroites entre musiciens et facteurs d’instruments permettent une interaction nécessaire au développement de l’art instrumental au tournant du XVIIe siècle. Ainsi, sur l’acte de baptême du fils du facteur d’instruments Gervais Rebans, daté du 7 mai 1605, les luthistes Antoine Francisque et Valère Tessier apparaissent à titre de parrains. On trouve donc Francisque intimement lié à l’un des principaux facteurs de luth de Paris. On a déjà constaté que son Trésor d’Orphée dévoile effectivement des innovations en matière de lutherie, notamment l’accroissement du nombre de chœurs, qui était resté constant durant tout le XVIe siècle (voir chap. 2). Cette proximité entre instrumentistes et facteurs, qu’on retrouve à plusieurs reprises dans les actes notariés, et ce, pour diverses familles d’instruments, a assurément stimulé le développement de l’art instrumental. Faute de pouvoir déterminer si la demande des luthistes pour de nouvelles possibilités techniques a précédé l’offre des luthiers (ou s’il s’agit de l’inverse), il faut plutôt voir les transformations dans la facture des instruments comme le résultat d’une synergie entre les deux corps de métiers. Il convient de s’attarder sur le milieu de ces « faiseurs d’instruments » et de confronter leur activité au tournant du XVIIe à la rareté des publications pour luth. La facture instrumentale

6 François Lesure, « La facture instrumentale à Paris au XVIe siècle », The Galpin Society Journal 7 (1954) : 15. 7 Il s’agit du terme utilisé pour désigner les facteurs d’instruments dans de nombreux actes notariés.

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évolue à la fin du XVIe siècle à un point tel qu’ils se regroupent officiellement en corporation, dont les statuts sont entérinés par Henri IV en 15998. Selon François Lesure, « si l’on veut trouver une explication plus profonde des fondements de la vogue du luth, c’est d’abord dans l’histoire de la facture qu’il faut la chercher : contrairement au violon, au clavecin et, à plus forte raison, aux instruments à vent, le luth était dans les années 1620-1630 un instrument que les facteurs avaient en quelque sorte porté au sommum [sic] de sa perfection9. » Cette vision semble accorder aux facteurs d’instruments les mérites de la gloire du luth et vaut la peine d’être nuancée au profit de la synergie précédemment évoquée. Certains documents des dernières décennies du XVIe siècle révèlent une grande quantité de luths sur le marché, ce qui ne peut être qu’une réponse à une demande grandissante. Le 31 mai 1575, Anthoine Besse, marchand et bourgeois de Paris, commande 200 luths à Gervais Rebans, celui-là même qui choisit Francisque pour devenir parrain de son fils10. D’autres informations sur la quantité de luths produits à la fin du siècle proviennent des inventaires après décès de certains facteurs. Dans un document du 1er octobre 1587, on dénombre, dans l’atelier du facteur Claude Denis, 272 instruments, dont 67 luths de divers modèles (35 de Padoue, 14 de Lyon, 9 de Venise, 9 vieux luths), en plus de 18 tables de luth, 13 étuis et 5 « paquetz de grosses cordes »11. Dans l’inventaire du 6 mai 1596, effectué après la mort du facteur Pierre Aubry, on trouve 78 luths parmi 344 instruments12. Ainsi, même si la qualité n’est pas encore celle des années 1620 et 1630, la quantité produite confirme la présence d’une clientèle déjà nombreuse dans les décennies 1570 à 1590, ce qui n’a pu qu’encourager les facteurs à perfectionner leur art. De plus, il s’agit des trois décennies sans publications pour luth en France et, faute de résoudre le mystère de cette éclipse, on constate que le milieu du luth est en pleine expansion, ce qui favorise l’éclosion de grands virtuoses.

Les conditions précaires des luthistes indépendants

Il est risqué de tenter une analyse quantitative des luthistes professionnels parisiens étant donné les imprécisions terminologiques qui caractérisent l’appellation des musiciens aux XVIe et XVIIe

8 Précédemment, les facteurs d’instruments sont sous le régime des métiers libres. À titre de comparaison, la création de la première corporation de musiciens parisiens date de 1321. 9 François Lesure, « Recherches sur les luthistes parisiens à l'époque de Louis XIII », dans Le luth et sa musique, sous la dir. de Jean Jacquot (Paris : CNRS, 1980), 211. 10 Lesure, « La facture instrumentale à Paris au XVIe siècle », 31. Rebans est donc en activité depuis de nombreuses années lorsque Francisque arrive à Paris dans les dernières années du siècle. 11 Ibid., 36-38. 12 Ibid., 42-44.

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siècles13. Le terme générique de « joueur d’instruments » est en effet couramment utilisé à cette époque, témoignant de la polyvalence des instrumentistes. Les appellations plus précises, telles que « joueur de luth » ou « maître joueur de luth » se font de plus en plus fréquentes au tournant du XVIIe siècle, sans toutefois jamais devenir la norme. Ainsi, de nombreux luthistes resteront sans doute à jamais inconnus, masqués sous le qualificatif de « joueur d’instruments »14. Néanmoins, les nouvelles appellations précisant l’instrument de prédilection des musiciens témoignent d’une spécialisation instrumentale grandissante, un phénomène qui favorise l’éclosion d’une nouvelle catégorie de virtuoses vedettes. Parmi cette nouvelle catégorie de musiciens, Isabelle Handy mentionne les plus célèbres du XVIe siècle : Julien Perrichon, Thomas Champion dit Mitou, Guillaume de Vaumesnil, les frères Édinthon, les Dugué (l’organiste Jehan et les luthistes Mathurin et Étienne), Estienne Leroy et Albert de Rippe. Tous ces musiciens, à l’exception de Champion, de Jehan Dugué et de Leroy sont des luthistes. Leur talent leur permet d’être employés à la cour et de jouir de conditions favorables à l’émancipation de leur art. Les luthistes se démarquent donc au sein de la vie musicale à la cour et deviennent les virtuoses les plus en vue. À l’opposé, les luthistes indépendants ne jouissent pas d’un statut particulier et se fondent dans la masse des autres joueurs d’instruments. Leurs conditions de vie sont précaires en comparaison de celles offertes à la cour. Des actes notariés nous révèlent les modalités d’embauche de groupes de musiciens15. En 1607, un contrat stipule que 14 musiciens devront jouer 92 aubades pour des membres de la corporation des « tissutiers-rubanniers » entre huit heures du soir et sept heures du matin, à l’occasion de la Nativité de la Vierge. Les 14 musiciens se partageront la somme de 75 livres tournois, soit moins de 6 l.t. par instrumentiste16. Un autre contrat, signé en 1618, stipule que 24 joueurs d’instruments devront jouer 120 aubades le vendredi à parti de sept heures. Neuf d’entre eux joueront également le samedi matin jusqu’à quatre heures, puis huit autres le dimanche de midi jusqu’à cinq heures. Pour toutes ces

13 Ce problème a été abordé dans Vaccaro, La musique de luth, 39. 14 Bien que le terme « joueur d’instruments » désigne souvent les joueurs de violons et de hautbois, on ne peut exclure les luthistes. C’est sous cette appellation qu’on trouve Robert II Ballard dans le livre de Yolande de Brossard, Musiciens de Paris, 1535-1792. Aucun des actes recensés dans cet ouvrage concernant Ballard ne fait d’ailleurs mention qu’il joue du luth. 15 La nature des instruments composant ces groupes n’est pas spécifiée, mais il est fort probable que des luthistes aient œuvré au sein de tels ensembles instrumentaux. 16 Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1, 420. La livre tournois est une monnaie utilisée en France sous l’Ancien Régime pour la tenue des comptes. Une livre se divise en 20 sous ou en 240 deniers. Entre 1577 et 1602, la tenue des comptes se fait en écus (1 écu vaut 3 livres tournois).

85 interventions, les musiciens se partageront 90 l.t.17 L’enseignement du luth apporte également une source de revenus pour les luthistes indépendants, mais les conditions sont souvent peu avantageuses. En 1609, le luthiste Robert Pinsson s’engage pour 84 l.t. à se rendre tous les jours au logis de George Allamain, sieur de Choussy, pour lui enseigner le luth, et ce, durant un an18. Un autre contrat de 1617, dont la durée n’est pas mentionnée, stipule que Balthazar Racquet devra accueillir quotidiennement en son logis son élève Jacques Castel pour lui enseigner le luth et le chant, moyennant 75 l.t., dont la moitié ne sera versée que lorsque l’élève aura maîtrisé ces arts19. À titre de comparaison, lorsqu’il intègre la cour de la reine Marie de Médicis en 1612, Robert II Ballard touche 1 200 l.t. annuellement, auxquels s’ajoutent 600 l.t. supplémentaires en 1617. Il s’agit d’un traitement particulièrement élevé comparativement aux luthistes indépendants, surtout si l’on considère que les musiciens de cour travaillent généralement durant une demi- année20. On comprend, à la lumière de ces exemples illustrant les sources de revenus auxquels peuvent aspirer les luthistes indépendants, que la recherche d’un poste à la cour, ou au sein d’une maison princière, est une constante préoccupation. À défaut de contacts pouvant faciliter l’accession à la cour, le recours à l’édition de ses œuvres offre un moyen de mettre en valeur son talent afin de susciter l’intérêt d’un puissant protecteur.

À la recherche des faveurs d’un prince : l’exemple de Francisque

Il est vrai que la « profession de luthiste trouve sa consécration dans le service permanent d’un prince »21, mais ce phénomène a été presque exclusivement traité du point de vue des patrons et mécènes qui tentent d’attirer à leur cour les plus grands virtuoses. Cette réalité est plus rarement abordée sous l’angle inverse, celui des luthistes qui aspirent aux postes prestigieux. Cette aspiration s’observe dans l’épître dédicatoire du Trésor d’Orphée de Francisque et peut nous aider à comprendre pourquoi ce luthiste inconnu a publié ces œuvres, contrairement à ses illustres contemporains employés à la cour. L’épître est dédiée « À Monseigneur le Prince », ce qui, en 1600, fait référence à Henri II de Bourbon (1588-1646), prince de Condé et fils d’Henri Ier de Bourbon. Ce dernier est le cousin d’Henri IV et l’un des principaux chefs du parti protestant. Empreinte d’humanisme par ses références mythologiques, la dédicace exprime une extrême

17 Ibid., 426. 18 Jurgens, Documents du Minutier central, tome 2, 446. 19 Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1, 445-446. 20 Les musiciens de la cour travaillent durant deux quartiers non consécutifs de trois mois, ou parfois durant un semestre de six mois consécutifs. 21 Vaccaro, La musique de luth, 45.

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humilité assez typique du genre : « J’ay prins hardiesse de consacrer aux autelz de vostre clemence ces premices de mes travaulx *…+. Encores que je recognoisse trop l’imbecilite de mes forces & que par l’incapacité de l’œuvre je face recognoistre mon insuffisance22 *…+ » Aucune étude n’a fait grand cas de cette dédicace, pourtant inusitée. Le dédicataire du Trésor d’Orphée, Henri II de Bourbon, prince de Condé, naît en prison en 158823. Sa mère est accusée du meurtre de son père, décédé quelques mois avant sa naissance. Il est néanmoins élevé comme un prince, et Henri IV devient son parrain en 1592. Dans une lettre au parlement datée du 7 novembre 1595, Henri IV confirme la place de Condé au sein de la monarchie, lorsqu’il le désigne « premier prince de nostre sang et héritier présomptif de cette couronne, jusques à que Dieu nous ayt donné des enfants »24. Henri IV n’ayant en effet aucun héritier légitime à cette date, le prince de Condé est élevé comme un futur roi. Mais Henri IV s’en désintéresse à partir de 1599, alors que son mariage avec Marguerite de Valois est dissout et qu’un nouveau contrat est conclu avec sa future épouse, Marie de Médicis. De ce nouveau mariage naît en 1601 le successeur d’Henri IV, le futur Louis XIII, brisant ainsi les espoirs du prince de Condé d’accéder à la couronne. Or, ce dernier est encore l’héritier présomptif au moment de la parution du Trésor d’Orphée de Francisque. Rien n’indique que le prince ait employé le luthiste, ni même qu’il y ait eu une vie musicale particulièrement fleurissante à sa cour25. Surtout, le prince n’a que 12 ans lorsque Francisque lui dédie son Trésor d’Orphée, et il a encore bien peu de poids politique dans le royaume de France. La fin de l’épître de Francisque indique néanmoins qu’il tente de briguer sa protection : « Je me tiendray trop honorablement satisfaict de mon travail en recevant si riche recompense que vostre bonne affection, laquelle je supply le Createur : me vouloir octroyer & a vous continuer. » Cette dédicace est la seule destinée à Henri II de Condé, tant dans le catalogue de l’atelier Ballard à l’époque de l’association avec Adrian Le Roy, que dans celui de Pierre Ballard. Souvent destinées aux membres de la famille royale, les dédicaces se diversifient à la fin du XVIe siècle et s’étendent à la grande et à la petite noblesse, à la bourgeoisie, ainsi qu’aux représentants du clergé26. Ainsi, alors qu’on ne trouve pas d’épître dédiée à Henri IV avant 1608, on en trouve

22 Le texte complet est transcrit dans l’annexe 4. 23 Voir le chapitre 1, « Jeunesse d’un prince », dans Caroline Bitsch, Vie et carrière d'Henri II de Bourbon, prince de Condé, 1588-1646 (Paris : Honoré Champion, 2008), 15-25. 24 Cité dans ibid., 22. 25 Francisque reconnaît dans son épître les intérêts du prince qui a « en telle affection les artz Liberaux ». Bien que présenté comme un homme intelligent et cultivé, le prince de Condé semble avoir encouragé davantage la littérature, le théâtre et les arts picturaux que la musique. Voir ibid., 357-406. 26 Audrey Boucaut-Graille, « Utilisateurs et mécènes de la musique imprimée à Paris au XVIe siècle : étude des dédicaces des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard », Seizième Siècle, no 2 (2006) : 249-251.

87 dédiées à divers personnages de son entourage : à Charles Myron, évêque d’Angers et conseiller du roi, en 1599; au duc de Bouillon, premier gentilhomme de la Chambre du roi et maréchal de France en 1601; à « l’evesque de Carcassonne, conseiller du roy » en 1606; au « Conseiller du Roy en ses conseils d’estat & privé, & premier secrétaire des commandements & finances de sa Majesté » en 160727. On peut se surprendre de retrouver toutes ces personnalités influentes dans les dédicaces des premières années du siècle, alors que le roi n’y figure pas avant 1608. Est-ce que le fait qu’Henri IV n’impose pas son autorité immédiatement et que son avènement divise le royaume explique qu’il faille attendre très tardivement durant son règne pour trouver une dédicace lui étant adressée? Il faudrait envisager une étude des épîtres dédicatoires qui inclurait tous les genres de publications pour voir si l’absence de dédicace à Henri IV est généralisée ou si les publications musicales sont un cas isolé. L’épître de Francisque démontre néanmoins la volonté d’entrer au service d’un puissant personnage afin d’améliorer sa condition sociale. Francisque a préféré dédier son recueil à un prince de 12 ans plutôt qu’au roi, sachant peut-être qu’il lui serait fort difficile d’attirer l’attention du monarque. Récemment arrivé à Paris, Francisque ne semble en effet pas avoir joui de contacts qui auraient pu jouer en sa faveur et faciliter son entrée à la cour. Mais pourquoi Francisque dédie-t-il son recueil au prince de Condé? Le fait que celui-ci soit en 1600 l’héritier présomptif a-t- il joué sur le choix de Francisque? La rareté des éléments biographiques sur le parcours de Francisque ne permet pas de confirmer cette hypothèse. Si ses efforts pour obtenir un poste à la cour ont été vains, il en est autrement pour Robert II Ballard, qui a pu profiter d’une famille bien implantée dans l’entourage royal.

La situation privilégiée des luthistes à la cour

Les musiciens de la cour se répartissent dans les trois départements qui rassemblent la totalité des officiers royaux, soit la Chapelle, la Chambre et l’Écurie. Les luthistes trouvent leur place à la Chambre, aux côtés des joueurs d’épinette, de viole, de violon et de quelques chantres. Ils évoluent dans l’intimité des rois, donc dans une position privilégiée pour obtenir leur faveur. Mais la chambre est également plus vulnérable aux coupures de postes que les autres départements. En 1572, on y trouvait 22 musiciens, puis 40 en 1580. Henri III, dans ses tentatives de réduire la taille

27 Ces dédicaces sont mentionnées dans Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard.

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de la cour, réduit ce nombre à 20 en 158428. En 1599, il ne reste plus que 8 chantres et 5 instrumentistes dans l’entourage d’Henri IV29. Afin de comprendre la position que les luthistes ont occupée à la cour, il faut d’abord considérer le parcours de Robert II Ballard. On constate que ses deux livres, parus à trois ans d’intervalle, alors que sa carrière s’étend sur un demi-siècle, arrivent à un moment stratégique pour mieux se positionner à la cour. Ensuite, on remarque que le phénomène de vénalité des offices a permis l’ascension sociale de certains luthistes, mais a également favorisé un système dans lequel le talent n’est pas suffisant pour s’assurer un poste. Finalement, le statut privilégié des luthistes par rapport aux autres instrumentistes se confirme par leur emploi au poste de valet de chambre.

La carrière de Robert II Ballard

La carrière de Robert II Ballard a été décrite en détail par François-Pierre Goy dans la présentation de l’édition du fac-similé du Premier livre de 161130. À partir de cette biographie, il est maintenant possible de soumettre de nouvelles hypothèses en situant le parcours du luthiste dans le contexte politique de l’époque. Robert II Ballard est rattaché à la maison royale dès 1600, alors qu’il est cité comme « valet de chambre suivant la cour » dans un document notarié. On le trouve ensuite sous diverses appellations : « valet de chambre ordinaire du roi » en 1606; « valet de chambre du roi » en 1610, 1611 et 1618; « musicien de la chambre du roi » en 1632; « musicien ordinaire du roi » en 1634; « joueur d’instruments de la musique du roi » en 1639; « maître de la musique du roi » en 1640; « musicien du roi » en 1642 et 1650. Cependant, aucun de ces titres ne mentionne son instrument. Il est toutefois qualifié de « joueur de luth », sans mention le rattachant à la cour, dans divers actes notariés entre 1598 et 1605, avant d’être finalement cité en 1640 comme « joueur de luth de la chambre du roi ». Devant une telle diversité de titres, il est difficile de connaître les fonctions exactes de Ballard à la cour durant sa carrière, surtout que ces titres proviennent d’actes notariés, et non de documents royaux officiels. L’appartenance du luthiste à la maison du roi ne fait néanmoins aucun doute31.

28 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 78-79. 29 Isabelle His, « Les répertoires musicaux associés au roi Henri IV », Revue belge de musicologie 59 (2005) : 146. Cette taille réduite rend difficile l’accès à un poste, et cela explique peut-être pourquoi Francisque se tourne vers la maison du prince de Condé. 30 Robert Ballard, Premier livre de tablature de luth (1611), réimpression du fac-similé présentée par François-Pierre Goy et Pascale Boquet (Paris : J.M. Fuzeau, 1995). 31 L’introduction historique de Monique Rollin dans l’édition des œuvres de Ballard, dans la collection « Corpus des luthistes français » en 1963, n’établissait pas clairement l’appartenance de Ballard à la maison

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Les informations les plus détaillées sur la carrière de Ballard à la cour proviennent de la période de régence, assurée par de Marie de Médicis, entre la mort d’Henri IV en 1610 et l’accession au plein pouvoir de Louis XIII en 1617. Ballard est engagé comme « maître joueur de luth » en 1612 pour 1 200 l.t. par an, somme considérable, qui est augmentée de 600 l.t. supplémentaires en 1617. Le 1er septembre 1612, le jeune Louis XIII reçoit « la premiere leçon pour apprendre a jouer du luth par Balard [sic] »32. Toutefois, la reine lui retire en 1618 ses gages annuels, et Ballard est dorénavant rémunéré « selon le service qu’il y rendra »33. Dans son introduction historique, Monique Rollin avait associé le retrait de Ballard des officiers rémunérés aux efforts du gouvernement pour réduire les « dépenses folles » de la régence, affirmation généralement admise depuis34. L’analyse du contexte politique invite toutefois à revoir cette proposition. En effet, entre mai 1617 et février 1619, Marie de Médicis est exilée à Blois, chassée de Paris par son fils Louis XIII, qui affirme sa pleine souveraineté dans la gestion du royaume. Cette réclusion est néanmoins un exil doré, car la reine mère « a perdu le pouvoir mais conserve tout le reste : argent, serviteurs, statut »35. Elle conserve donc ses revenus, qui lui permettent de maintenir un train de vie digne d’une reine : son entourage se compose d’environ 160 officiers domestiques, dont 9 musiciens36. Les contraintes budgétaires, évoquées pour expliquer le retrait de Ballard des officiers rémunérés, tiennent difficilement la route, puisque Marie de Médicis poursuit durant son exil son rôle de mécène auprès de peintres, écrivains, comédiens et musiciens, en plus d’effectuer diverses dépenses considérables37. Les informations que détenait Rollin en 1963 permettaient seulement de confirmer que Ballard avait été employé par Marie de Médicis. Or, on sait aujourd’hui qu’il figure à la Chambre du roi de façon continue durant toute la première moitié du XVIe siècle. On peut ainsi supposer qu’il ait cumulé une charge à la Chambre du roi et un poste dans la maison de la reine durant la période de la régence. Rien n’indique que

royale, ce que fait la présentation historique de François-Pierre Goy dans l’édition du fac-similé aux éditions Fuzeau en 1995. 32 Madeleine Foisil, dir., Journal de Jean Héroard (Paris : Fayard, 1989), 2049. Jean Héroard a été le médecin de Louis XIII. De 1601 à 1628, il consigne quotidiennement par écrit les moindres détails concernant la santé, le régime et les actions de Louis XIII. 33 Cité dans Ballard, Premier livre de tablature de luth (1611), 5. 34 Souris, Spycket et Rollin, Robert Ballard : Premier livre (1611), xii. L’introduction historique de cette édition de 1963 est encore régulièrement utilisée malgré la biographie nettement plus complète fournie en 1995 par François-Pierre Goy dans la nouvelle édition du fac-similé. À preuve, la biographie de Ballard dans le Grove est basée sur le texte de Rollin. 35 Jean-François Dubost, Marie de Médicis : la reine dévoilée (Paris : Payot & Rivages, 2099), 586. 36 Dubost ne mentionne malheureusement pas l’identité des neuf musiciens qui suivent la reine. 37 Elle dépense 5 000 l.t. pour de la vaisselle, 2 700 l.t. pour un lit, et passe pour 160 000 l.t. de commandes à son orfèvre préféré durant les 22 mois de sa captivité. Dubost, Marie de Médicis : la reine dévoilée, 591.

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Ballard ait suivi la reine dans son exil, et on peut supposer qu’il se voit retirer ses gages annuels puisqu’il ne la sert plus sur une base régulière, plutôt qu’en raison d’une décision visant à assainir les finances de la couronne. Il est difficile de déterminer les fonctions exactes des musiciens à la cour, même lorsqu’ils figurent dans des documents officiels. Cela est amplifié lorsqu’ils occupent d’autres fonctions, comme celle de valet de chambre – que porte Ballard tout au long de sa carrière –, fonction qui peut impliquer diverses tâches non reliées à la musique. Le journal de Jean Héroard, qui révèle la première leçon de Ballard à Louis XIII, donne toutefois un aperçu de la nature du travail de luthiste à la cour. On y apprend que, dès sa jeune enfance, Louis XIII montre un intérêt marqué pour la musique, qu’il écoute « tout transporté et comme ravy » (12 février 1605)38. Il s’endort et mange au son du violon et du luth, joué par Florent Hindret. Celui-ci apparaît régulièrement entre 1604 et 1608, période durant laquelle Louis XIII « prend humeur de vouloir apprendre à jouer le luth » (26 août 1607). Hindret, qui est également conseiller notaire et secrétaire du roi, ne figure plus dans le journal à partir de 1609, au moment où Louis XIII quitte le château de Saint-Germain pour le Louvre. C’est à partir de ce moment qu’il côtoie Robert II Ballard, mais ce dernier est rarement cité, même s’il initie le jeune roi au luth. À partir de 1610, on trouve plutôt le luthiste et chanteur Henry de Bailly, qui veille au sommeil de Louis XIII, puisque celui-ci aime s’endormir « à sa musique de luths et de voix » (2 et 13 septembre 1612)39. Bien que Bailly soit souvent cité seul pour endormir le jeune roi, l’expression « de luths et de voix », utilisée à plusieurs reprises dans le journal, sous-entend qu’il peut y avoir plus d’un luthiste lors de ces séances musicales. Parmi les autres luthistes, retrouve-t-on Robert II Ballard? Une seule mention le confirme, lorsque le 14 septembre 1612, Louis XIII, revenu de chez la reine à neuf heures, et après avoir prié Dieu et s’être dévêtu, est « amusé doulcement aux luths de Bailly et de Balard [sic+», avant de s’endormir à dix heures. Peut-on en déduire que Ballard est présent à chaque fois que la présence de plus d’un luthiste est sous-entendue? Les scènes faisant intervenir Ballard dans le journal de Jean Héroard sont trop rares pour pouvoir l’affirmer. On réalise toutefois, grâce à ce journal, la place privilégiée que le luth et les luthistes ont occupée dans la jeunesse de Louis XIII. Celle-ci n’est pas étrangère à la grande popularité que va acquérir l’instrument durant son règne.

38 Les rapports de Louis XIII à la musique sont discutés dans Foisil, Journal de Jean Héroard, 167-184. 39 Henry de Bailly se trouve dans le journal jusqu’en 1614. Il devient plus tard surintendant de la musique de la Chambre du roi. Aucune œuvre pour luth ne nous est parvenue, mais on retrouve ses airs de cour dans la collection publiée par Pierre Ballard à partir de 1608.

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Ballard a été au service de la maison royale pendant toute sa carrière, mais c’est durant la régence qu’apparaissent ses deux publications. L’épître dédicatoire de son Premier livre (1611) est adressée « À la Reyne régente », suivi d’un avis « au lecteur »40. Il s’agit de l’une des deux seules publications musicales dédiées à Marie de Médicis41. Ballard semble avoir voulu améliorer sa condition à la cour et s’attirer les faveurs de la reine dès les premières années de la régence, vœux exaucés puisqu’il entre à son service à partir de 161242. Est-ce l’impopularité de Marie de Médicis et sa régence contestée qui font en sorte qu’il n’offre qu’une dédicace générale « au lecteur » pour son Deuxième livre en 1614? D’abord soucieux d’améliorer sa situation à la cour après la mort d’Henri IV, il a peut-être ensuite opté pour une certaine prudence afin de ne pas être trop associé à une régence controversée. Il n’a rien publié durant ses 10 premières années de service à la cour, et aucun autre recueil consacré exclusivement à ses œuvres ne paraît pendant les 35 dernières années de sa carrière, alors qu’il aurait été, par sa famille, en position privilégiée pour le faire. Il semble peu probable que la parution des deux livres durant la régence soit un concours de circonstances ou le fruit du hasard. Il est donc possible d’envisager les publications de Ballard comme une utilisation de l’édition musicale à des fins stratégiques visant à mieux se positionner dans la hiérarchie des musiciens de la cour. Ainsi, malgré une situation familiale qui a sans doute favorisé son accession à la maison royale, le rang de Ballard n’a jamais été garanti parmi les luthistes de la cour. Il s’agit pourtant aujourd’hui du luthiste le mieux connu de cette époque, en grande partie à cause de ses deux recueils. Il figure néanmoins parmi les luthistes privilégiés, car, au début du XVIIe siècle, l’accession aux charges de cour est de plus en plus difficile, le talent et le mérite individuel n’étant pas toujours suffisants pour accéder aux postes prestigieux.

Ouverture et fermeture de l’univers des offices

La possession d’un office – c'est-à-dire d’une charge à la cour – assure non seulement une situation financière favorable, mais apporte le prestige social. La création de nouveaux offices est fréquente tout au long du XVIe siècle, et notamment en temps de guerre ou de crise, car ces

40 Le texte complet est transcrit dans l’annexe 4. 41 L’autre est le Second livre d’airs de cour de Pierre Guédron, publié en 1612. 42 Laurent Guillo a interprété cette dédicace comme un remerciement et a ainsi daté le recueil de 1612. La date de 1611 généralement utilisée se réfère au privilège daté d’octobre 1611.

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offices, vendus par le roi, deviennent une source nécessaire de revenu43. On accède à un nouvel office par achat direct au roi, à moins que celui-ci ne l’ait offert en cadeau. Il s’agit en effet d’une forme de don permettant au bénéficiaire de profiter de l’office et des gages qui en découlent, ou alors de le vendre au plus offrant. En cette période où les finances royales sont constamment fragilisées par les troubles politiques, le don d’office constitue un moyen efficace de distribuer des faveurs sans piger directement dans les coffres du royaume. Dans le cas d’un office déjà existant, il se transmet entre particuliers par vente, par mariage, ou se lègue à un héritier. Divers systèmes de taxation permettent à la couronne de générer des revenus lors de ces transactions. La transmission des offices entre particuliers a été le sujet de nombreuses tentatives de réforme, notamment par Charles IX et Henri III, puisqu’elle implique une perte de contrôle du pouvoir royal dans le choix des officiers. Lorsqu’Henri IV prend le pouvoir, la vénalité des offices est si bien implantée et cautionnée qu’elle est devenue une « institution monarchique »44. Henri IV tente néanmoins de révoquer les transferts héréditaires d’offices en 1598. Il approuve toutefois en 1604 l’édit de Paulet, qui consacre la vénalité des offices, en autorisant leur transmission par vente ou par hérédité, en échange d’une taxe annuelle, surnommée la « paulette »45. Au cours du XVIe siècle, la vente d’offices a rendu les postes à la cour davantage accessibles à des individus de milieux sociaux hétérogènes, notamment issus de la bourgeoisie46. Les fonctions les plus prestigieuses sont encore réservées à la noblesse, mais de nombreux offices sont brigués par des roturiers et leur servent de tremplin social, permettant parfois de faire « entrer à la cour des personnes appartenant aux classes très moyennes du royaume, voire même des gens de métier, parvenus à la notoriété par leur mérite »47. En cette période qui voit s’accroître le prestige de la musique instrumentale et consacre les premiers virtuoses, le mérite de certains luthistes permet effectivement une ascension sociale remarquée. C’est le cas de Jacques d’Avrilly, fils d’un sergent d’Orléans, qui devient « luthiste et aumônier » de François d’Alençon, le jeune frère d’Henri III48 . Même les métiers les plus précaires, comme celui de « porteur

43 Roland Mousnier, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII (Paris : Presses universitaires de France, 1971), 35-92. 44 Ibid., 92. 45 Ibid., 223-241. 46 Ibid., 77-78. 47 Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 164. 48 L’attribution du titre d’aumônier à des laïcs est fréquente au XVIe siècle. Elle permet aux détenteurs du titre de jouir des bénéfices ecclésiastiques, notamment de la prébende, un revenu fixe attaché à ce titre, sans pour autant être tenu d’exercer leurs fonctions. Voir Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 290-291. L’ascension sociale d’Avrilly par ses seuls talents de luthiste, souvent soulignée dans la littérature,

93 d’instruments », permettent parfois une ascension sociale. Par exemple, Paul Janvier accède à la cour grâce à l’office subalterne de « porte-épinettes », avant d’occuper, à la fin du règne d’Henri III, le poste plus prestigieux de hautboïste de l’Écurie49. À partir du XVIIe siècle, l’accession à des charges de cour pour des musiciens inconnus devient toutefois plus difficile. Le cas d’Antoine Francisque illustre cette réalité, lui qui n’a jamais obtenu de poste dans une maison princière, malgré la notoriété qu’a pu lui apporter la publication de son Trésor d’Orphée. Les offices se transmettent plutôt dans une même famille, ou se vendent au plus offrant, phénomènes qui s’observent dans certaines carrières de luthistes. Le cas de Mathurin Dugué et de son fils Étienne, tous deux luthistes, est révélateur du fonctionnement de la transmission des charges de cour à la fin du XVIe siècle. À l’époque de la parution du livre Le luth en France au XVIe siècle de Jean-Michel Vaccaro, les informations sur ces deux personnages étaient rares, si bien qu’ils ne sont que brièvement évoqués. Les récents dépouillements d’archives démontrent pourtant que Mathurin a connu une brillante carrière50. Il est joueur de luth de Charles IX, avant de devenir valet de chambre d’Henri III. Il sert également Catherine de Médicis et Henri de Navarre, futur Henri IV, à titre de valet de chambre. Ce cumul des postes témoigne d’une brillante carrière pour ce luthiste jusqu’à récemment méconnu et dont aucune œuvre n’est conservée. De plus, dans des états de compte de la maison de Catherine de Médicis datant du milieu des années 1580, le nom de Mathurin Dugué est accompagné de l’inscription « père et fils à survivance ». Cela indique qu’à sa mort ou à sa résignation, son office de valet de chambre sera transmis directement à son fils Étienne. Celui-ci connaît également une brillante carrière. En plus de servir Catherine de Médicis, on le retrouve dès 1575 parmi les joueurs d’instruments de la Chambre du roi, et une dernière fois en 1595 comme maître joueur de luth ordinaire de la Chambre du roi. Le transfert d’un office de musicien de cour à un membre de la famille devient fréquent au XVIe siècle, et le terme « à survivance » apparaît dans les actes notariés, les musiciens étant soucieux de consolider leur succession par des documents officiels51. La famille Dugué fait partie des premières dynasties de l’histoire de la musique. Trois générations de musiciens se succèdent entre les règnes de François Ier et Henri IV, qu’ils soient chantres, organistes, luthistes ou facteurs d’instruments. L’influence familiale a-t-elle facilité l’accès à la cour

doit être nuancée. Sa liaison avec François d’Alençon est bien documentée, et son rôle « ne se bornait pas à remplir un emploi de cour »; Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 1328. 49 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 114-115. 50 Les nouvelles informations sur Mathurin et Étienne Dugué sont disponibles dans ibid., 353-356. 51 Ibid., 130.

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à Mathurin Dugué, puis à son fils Étienne? Aucune œuvre de ces deux luthistes ne nous est parvenue, et aucun commentateur de l’époque ne vante leurs mérites, contrairement à plusieurs autres luthistes actifs durant la même période. Il est donc permis de se demander si leur lignée a eu plus de poids que leur talent dans leurs fructueuses carrières. Ainsi, au tournant du XVIIe siècle, l’accès aux offices se referme en faveur de dynasties familiales de musiciens. Ce transfert héréditaire peut se faire au détriment de la qualité musicale, alors qu’il devient difficile pour un musicien sans filiation d’accéder à un poste par son seul talent. La possession d’un office devient une marchandise estimée faisant partie du patrimoine familial. À la mort du violoniste du roi d’origine italienne Cesare Negri en 1587, divers prétendants présentent des demandes au roi afin de lui succéder. Negri n’a pas désigné son successeur avant sa mort, mais a néanmoins pris soin de céder son office à sa femme, qui pourra le vendre au plus offrant52. On constate ainsi que la possession d’un office fait naître un véritable marché se souciant bien peu de la qualité musicale des successeurs. Quelques documents nous informent de la vente de la charge de luthistes. René Saman est actif dès le début des années 1610 et apparaît brièvement au service de la reine régente Marie de Médicis53. En 1619, il est à la fois joueur de luth de la musique de la chambre du roi et maître pour le luth des enfants de la chapelle. En 1629, il vend son office de joueur de luth ordinaire de la Chambre du roi à Gabriel Caignet pour la somme de 1 800 l.t. Aussi, en 1645, après une carrière bien remplie, Robert II Ballard cède son office de joueur de luth de la chambre du roi à Claude de La Motte, pour la somme de 300 l.t., montant étonnant bas en comparaison de l’exemple précédent. On peut se surprendre qu’il n’ait pas transmis son office à son jeune frère Léon, ou à son fils Alexandre, tous deux luthistes. Léon accède néanmoins à un office puisqu’il est mentionné en 1648 comme joueur de luth ordinaire de la chambre du roi. Précédemment, en 1625, il est qualifié de « bourgeois de Paris » sur un acte notarié54. Ce titre procure certains avantages, comme l’exemption de la taille; il est accordé aux « bons citoyens, habitants des villes, soit officier du roi, marchands, gens vivant de leurs rentes et autres »55. Il est porté par de plus en plus de musiciens à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. Le statut des musiciens, du moins ceux qui forment l’élite, s’améliore et permet une ascension sociale alors

52 Boucher, La cour de Henri III, 211-212. Il ne faut pas confondre ce violoniste avec le chorégraphe du même nom auteur du Gratie d’amore de 1602. 53 Souris, Rollin et Vaccaro, Oeuvres de Vausmenil, Edinthon, xxviii-xxix. 54 Les informations sur Léon Ballard sont extraites d’actes notariés figurant dans Jurgens, Documents du Minutier central, tome 2, 268-269. 55 Extrait d’un document du Parlement de Paris de 1560, cité par Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 281.

95 inédite. Parmi ces musiciens privilégiés, les luthistes ont souvent occupé les positions les plus prestigieuses.

Valet de chambre, un poste destiné aux luthistes

Seuls les membres de la haute noblesse peuvent aspirer aux grands offices – tels que gentilshommes de la chambre, gentilshommes servants, maîtres d’hôtel, écuyers d’écurie – ou servir dans le service de garde de la compagnie des Cent gentilshommes56. Parmi les postes accessibles à la petite noblesse, mais aussi aux roturiers, on trouve celui de valet de chambre, « véritable carrefour social »57. Il est offert aux individus les plus méritants provenant de divers corps de métiers. Il s’agit de l’office le plus prestigieux auquel peut aspirer un musicien à la fin du XVIe siècle, et ceux qui y sont nommés sont « presque invariablement des luthistes ou des chanteurs-luthistes »58. Les luthistes, qui cumulent habituellement cette charge et leurs tâches musicales, côtoient ainsi le roi dans son intimité quotidienne59. Dans le compte des obsèques de François Ier, décédé en 1547, les seuls valets de chambre à figurer dans la liste des musiciens sont les luthistes Hubert Despalt et Albert de Rippe60. En 1560, sur un état de la maison de François II, le luthiste Guillaume Le Boulanger, seigneur de Vaumesnil, est le seul musicien à figurer dans les valets de chambre61. En 1572, sous Charles IX, Beaujoyeux, le chorégraphe du Balet comique de la Royne, s’ajoute à Guillaume Le Boulanger, désigné cette fois par la simple appellation « Vaumesny »62. Dans l’état de la maison d’Henri III en 1575, on trouve à nouveau Beaujoyeux, « Vaumeny » (dans cette nouvelle orthographe), et le luthiste Mathurin Dugué63. Ce dernier est le seul à figurer parmi les valets de chambre sur l’« état des officiers domestiques » d’Henri III en 158064. Finalement, en 1584, alors qu’Henri III s’efforce de réduire la taille de la cour, Dugué est « reduictz avec recompense », c'est-à-dire qu’il est retiré des états de la maison, de laquelle il ne reçoit plus de gages, mais conserve son titre de valet de chambre, et continue ainsi à profiter des exemptions de taxes et autres avantages que lui apporte cet office. Sa carrière s’achève, et son fils

56 Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 161. 57 Ibid., 165. 58 « Musicians awarded such posts were almost invariably lutenists or singer-lutenists », dans Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 77. 59 Le qualificatif « ordinaire », qui accompagne normalement l’appellation « valet de chambre », désigne un service quotidien, par opposition à « extraordinaire », qui désigne un service occasionnel. 60 Cazaux, La musique à la cour de François Ier, 253-260. 61 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 394-395. 62 Ibid., 395-396. 63 Ibid., 396-398. 64 Ibid., 402-404.

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Étienne, entré à cette date comme joueur de luth de la Chambre, est prêt à assurer la survivance de son office. Le nombre de valets de chambre, toutes catégories de métiers confondues, augmente de façon remarquée au cours du XVIe siècle, et cette charge est tellement convoitée qu’il y a une liste d’attente dans le cas où une place se libère. En 1572, il y a 36 valets de chambre ordinaires et 69 « au(ltr)es valletz de chambre à réduire », c'est-à-dire en attente d’une charge. Tels les officiers de la cour, ils reçoivent des gages annuels, même s’ils ne sont pas officiellement en poste. On trouve parmi les valets en attente de 1572 le luthiste « Vaumeny ». Il s’agit probablement de Jehan, le jeune frère de Guillaume, puisque ce dernier est déjà valet depuis au moins 156065. Le jeune Vaumesnil accède finalement au poste, puisqu’on le trouve parmi les valets de chambre d’Henri IV en 159066. Dans ces divers états de compte faisant état du personnel musical de la Chambre durant les règnes des derniers Valois, on constate que tous les valets de chambre sont luthistes, à l’exception de Beaujoyeux. Dans le cadre de ce mémoire, des documents semblables n’ont pu être consultés pour le règne d’Henri IV, mais on sait d’après des actes notariés que le luthiste Julien Perrichon a porté ce titre en 159567, de même que Robert II Ballard en 1600, Henry de Bailly en 1601 et Charles Le Forestier en 1605. Outre les gages associés à la charge de valet de cour et les bénéfices, tels que les exemptions de taxes, cet office apporte un prestige social et place les joueurs de luth au sommet de la hiérarchie musicale. Les luthistes se trouvent alors en bonne position pour solliciter des faveurs et recevoir des cadeaux, comme des dons en argent ou des terres68. Albert de Rippe reçoit à la fin de sa carrière la seigneurie de Carroys-en-Brie69. Guillaume Le Boulanger est déjà seigneur de Vaumesnil lorsqu’il apparait vers 1559-1560, mais la reine mère, Catherine de Médicis, lui achète en 1583, au prix de 2 333 écus et un tiers, des terres et une maison70. Le prestige des plus grands luthistes leur permet également de cumuler des emplois

65 On trouve Guillaume de Vaumesnil en attente d’un poste de valet de chambre en 1559-1560. Voir ibid., 490. 66 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 322. 67 Julien Perrichon, dont une vingtaine de pièces subsistent en manuscrit ou publiées dans des recueils en dehors de la France, figure dès 1576, à l’âge de 10 ans, comme « joueur de luth » du roi. Dans son Essai sur la musique ancienne et moderne de 1780, J.B. de Laborde écrit que Perrichon, « célèbre Joueur de luth, était attaché à la Musique d’Henri IV, & ce prince aimait beaucoup à l’entendre ». Il meurt dans les dernières années du siècle, ce que confirme la « Gaillarde faicte sur une volte de feu Perrichon », qui figure dans Le Trésor d’Orphée de Francisque. 68 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 99. 69 CORPUS, XV 70 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 325.

97 simultanés dans diverses maisons, augmentant ainsi leur fortune. À la fin des années 1570, Guillaume de Vaumesnil est à la fois en service chez Henri III et chez son frère François d’Anjou. Au début des années 1580, Mathurin Dugué est simultanément employé par Henri III et par sa mère Catherine de Médicis. Pourtant, un édit de 1579 interdisait à quiconque figurant sur l’état de la maison du roi d’appartenir à la maison d’un prince ou d’un seigneur71. Les plus célèbres luthistes du temps ont été tant convoités qu’ils ont pu échapper à cette interdiction. Ainsi, les luthistes ont occupé les postes les plus distingués parmi les musiciens de cour, ce qui leur a permis d’œuvrer dans l’entourage immédiat des plus puissants personnages du royaume. Grâce au prestige acquis dans le milieu musical, le luth devient l’instrument de prédilection d’une nouvelle catégorie de musiciens amateurs qui valorisent la pratique instrumentale.

La pratique du luth chez les amateurs

Au tournant du XVIIe siècle, l’apprentissage du luth est de plus en plus fréquent. Les petits chantres – des enfants formés dans la maîtrise de la Chapelle royale – reçoivent, en plus des leçons de chant, une formation instrumentale. En 1572 et 1578, le petit chantre Nicolas Boyer reçoit de Charles IX une pension « pour continuer à apprendre à jouer du luth selon le bon commencement qu’il en a pour sa pension et pour son habillement »72. Pierre Burgat, « naguerres petit chantre de la chapelle de musique », reçoit toujours une pension d’Henri III en 1578 « pour apprendre le luth »73. Il n’y a pas encore de poste officiel pour l’enseignement du luth à cette époque, mais puisque ces exemples figurent sur des documents de la Chambre, on peut supposer que ce sont les luthistes de la Chambre qui dispensent les leçons. L’apprentissage du luth chez les petits chantres devient la norme à la fin des années 1610, puisque deux précepteurs sont officiellement affectés à l’enseignement. René Saman et François Richard se partagent la tâche de « precepteur pour le luctz des enfans de Ladicte chappelle de musicque de sa Majesté », œuvrant à tour de rôle durant un semestre et touchant 300 l.t. chacun74.

71 Boucher, « Société et mentalités autour de Henri III », 161. 72 Handy, Musiciens au temps des derniers Valois, 147-148. 73 Brooks, Courtly Song in Late Sixteenth-Century France, 434. 74 Il est fait mention de leur rôle de précepteurs dans un document daté de 1619, mais ils pourraient avoir été en poste dès les années précédentes. Souris, Rollin et Vaccaro, Oeuvres de Vausmenil, Edinthon, xxviii.

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L’apprentissage du luth se généralise non seulement auprès des petits chantres de la Chapelle, mais se propage auprès d’amateurs issus de diverses classes sociales. D’abord, l’instrument est de plus en plus pratiqué par la haute noblesse, issue des maisons royales et princières, et par la noblesse dite « d’épée », occupant traditionnellement des fonctions militaires. Ensuite, cette ascendance du luth au sommet de la hiérarchie sociale est confirmée lorsque l’instrument s’impose dans le programme des académies militaires créées durant le règne d’Henri IV. Finalement, la pratique du luth se répand à la bourgeoisie marchande et à la noblesse dite « de robe », qui en est souvent issue. Cette nouvelle noblesse, œuvrant dans les domaines de la justice et des finances, est en pleine expansion au tournant du XVIIe siècle et peut désormais aspirer à un mode de vie similaire à celui de la haute noblesse.

Le luth chez la haute noblesse

Plusieurs auteurs ont interprété les postes de Robert II Ballard, qui enseigne le luth à Louis XIII, et d’Ennemond Gautier, qui initie le Cardinal Richelieu à l’instrument, comme une confirmation du prestige qu’a atteint le luth dans les premières décennies du XVIIe siècle75. Cela mérite d’être affirmé différemment, car il n’est pas nouveau que des luthistes occupent des postes prestigieux dans l’entourage des rois. Cela est même plutôt la norme depuis l’arrivée d’Albert de Rippe à la cour de François Ier en 1529. Ce qui est exceptionnel, ce n’est donc pas tant la présence de Ballard ou Gautier, mais bien le statut de leurs élèves. Avec Louis XIII et Richelieu, le luth a atteint le sommet de la hiérarchie sociale. On ne se contente plus de s’entourer de luthistes fameux, on veut dorénavant soi-même en jouer76. Si tous les rois, de François Ier à Henri III, ont démontré un intérêt marqué pour la musique, la pratique instrumentale personnelle, qui s’incarne par le luth, est une nouveauté. Cependant, plusieurs personnages de la haute noblesse ont pratiqué le luth dès la fin du XVIe siècle, notamment des femmes. Marguerite de Valois, première épouse d’Henri IV et sœur de Charles IX et Henri III, chante en s’accompagnant au luth. Il en est de même pour Catherine de Bourbon, la sœur d’Henri IV77, ainsi que pour la dédicataire du Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571) d’Adrian Le Roy, la comtesse de Retz. Celle-ci mérite d’être mentionnée

75 Voir notamment Spring, « The Development of French Lute Style, 1600-1650 », 177. 76 Si Louis XIII a un véritable talent pour la musique, il semble en être autrement pour Richelieu. Dans ses Historiettes, un recueil de mémoires écrit au milieu du XVIIe siècle, l’auteur Tallemant des Réaux déplore le fait que tout le monde veuille apprendre le luth, y compris Richelieu dont « c’estoit la chose la plus ridicule qui se pust imaginer que de le voir prendre des leçons de Gaultier. » Cité dans André Souris et Monique Rollin, Oeuvres du vieux Gautier, Corpus des luthistes français (Paris : CNRS, 1963), xii. 77 His, « Les répertoires musicaux associés au roi Henri IV », 144-145.

99 au côté des deux exemples précédents, même si elle n’est pas membre de la maison royale. Son influence dans les milieux artistiques de l’époque est grande, et son mari Albert Gondi, qui a accédé aux plus hautes sphères du pouvoir, est « l’une des premières fortunes du royaume »78. De grandes figures militaires sont également reconnues pour avoir pratiqué le luth. Le duc de Mayenne, chef militaire de la Ligue après l’assassinat de ses frères en 1588, est reconnu pour avoir excellé au luth79. Il est à propos de rappeler la scène relatée par Brantôme évoquée précédemment, alors que Strozzi, le colonel général des troupes françaises, accompagne au luth le maréchal de Brissac, qui danse pour divertir Charles IX. Après le spectacle, le roi déclare : « Voyla comme apres que j’ay tiré du service de mes deux couronnelz à la guerre, j’en tire mon plaisir à la paix. » Et Brantôme de poursuivre : « Et certes il avoit raison, car c’estoit une fort belle chose de voir ces deux couronnels si parfaictz en deux telz divers exercices80. » On constate donc que la pratique du luth ne s’oppose pas aux valeurs militaires, mais s’impose en complément des mérites physiques, permettant de réaliser l’idéal cultivé dans les cercles humanistes de l’époque. François de La Noue, l’un des plus illustres hommes de guerre de son temps, connu sous le nom de « Bras de Fer », recommande la musique dans l’éducation des jeunes nobles d’épée dans son livre Discours politiques et militaires publié en 1587. Il propose la création d’académies militaires offrant une formation complète dont la musique est partie intégrante.

Le luth consacré par les académies militaires

Dès son retour à Paris en 1594, Henri IV met en œuvre les propositions de François de La Noue et mandate Antoine de Pluvinel pour établir la première académie parisienne destinée exclusivement aux jeunes nobles81. Il s’agit d’une première initiative prise par Henri IV dans le domaine de l’éducation, bientôt suivie par une restructuration de l’Université de Paris, puis l’ouverture de nombreux collèges provinciaux supervisés par les Jésuites. L’ouverture de la première académie, quelques mois seulement après la reprise de Paris, n’est pas fortuite. Elle s’inscrit plutôt dans une volonté d’exercer un certain contrôle dans l’éducation de la jeune noblesse. Celle-ci est issue des plus riches et influentes familles du royaume, qui se méfient souvent d’une monarchie trop centralisatrice et réclament une plus grande indépendance. Les élèves de l’académie sont donc « les jeunes nobles qui peuvent présenter la plus grande menace pour la monarchie dans le

78 Le Roux, La faveur du roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois (c1547-c1589), 65. 79 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 16. 80 Cité dans Vaccaro, La musique de luth, 36. 81 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 39-45.

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futur »82. On s’assure ainsi de leur fidélité ou, du moins, on peut diriger leur éducation dans l’intérêt du pouvoir royal. La popularité de ces académies pour nobles est immédiate, et, à la fin du règne de Louis XIII, cinq institutions supplémentaires ont vu le jour à Paris. Les recommandations de François de La Noue concernant l’introduction de la musique dans le programme des académies se concrétisent dès la création par Pluvinel de la première d’entre elles. Mais plutôt que la musique théorique, c’est la pratique instrumentale, incarnée par l’apprentissage du luth, qui est prescrite. Depuis le Moyen Âge, la musique a été enseignée parmi les sciences mathématiques, comme en fait foi sa place dans le quadrivium aux côtés de l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. La musique à l’académie de Pluvinel n’est plus seulement théorique ou spéculative, mais pratique, et est abordée dans le même esprit que les exercices physiques. Dans son célèbre essai De l’institution des enfans (1579), Montaigne parle déjà de la nécessité de l’exercice concret et pratique dans l’apprentissage. Il écrit qu’il est impossible de « manier un cheval, ou une pique, ou un luth, ou la voix, sans nous y exercer ». De plus, l’éducation doit réunir et stimuler l’esprit et le corps, car « ce n’est pas une ame, ce n’est pas un corps qu’on dresse : c’est un homme; il n’en faut pas faire deux. Et, comme dict Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme une couple de chevaux attelez à mesme timon83. » Ainsi, la musique n’est plus seulement une science abstraite, mais un exercice concret qui occupe à la fois l’esprit et le corps, qui « réunit l’aspect perceptible du son et l’univers spéculatif des nombres »84. Dans les académies, c’est le luth qui va permettre la jonction de ces deux facettes de la musique. La diversité des professeurs engagés au sein des académies témoigne du programme complet d’éducation qui est visé. On trouve évidemment un écuyer et un maître d’armes, mais aussi un danseur, un acrobate, un mathématicien, un peintre, un précepteur des lettres et un musicien. Le poste de professeur de musique semble avoir été « invariablement occupé par des luthistes »85. Les leçons musicales ont généralement lieu en après-midi, faisant suite aux exercices physiques de la matinée. Les lettres patentes des académies militaires fondées au courant du XVIIe siècle dans le sillage de l’académie de Pluvinel confirment la présence d’un luthiste, et consacre l’apprentissage de l’instrument comme partie intégrante du programme.

82 « *…+ the young nobles who might pose the greatest threat to the monarchy in the future. » Ibid., 40. 83 Michel de Montaigne, Essais, livre 1, chap. XXVI. Cité dans Vaccaro, La musique de luth, 30. 84 Van Orden, Music, Discipline, and Arms, 53. « Music was a practical and practicable mathematics that occupied both body and intellect, bridging the sensible realm of sound and the speculative realm of number. » 85 Ibid., 45.

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Il y a une corrélation évidente entre l’instruction du luth dans les académies et l’essor de l’air de cour accompagné au luth qui fleurit dans l’édition musicale à partir de 1608. Pour pouvoir constituer un succès commercial, les livres d’airs de cour nécessitent cette clientèle de jeunes nobles formés dans les académies. Celle-ci manquait au temps d’Adrian Le Roy, alors que son Livre d’airs de cour miz sur le luth (1571) est resté un cas isolé. La relative simplicité des accompagnements des livres d’airs de cour du XVIIe siècle est dorénavant à la portée d’une multitude de joueurs de luth amateurs issus de la noblesse. Cela explique sans doute le succès de ces publications, contrairement au répertoire solo, qui est de plus en plus complexe et devient accessible seulement à l’élite des joueurs professionnels. Mais le luth a aussi ses détracteurs, qui le considèrent, avec la danse et les autres arts, comme une activité frivole détournant les jeunes nobles de leurs devoirs militaires. Si le luth ne peut empêcher les excès de la jeunesse, sa pratique, notamment par l’entremise des airs de cour, dirige néanmoins les jeunes nobles vers « une sphère sociale dans laquelle la modération et la maîtrise de soi sont estimées86. » Ainsi, l’idéal humaniste réunissant les armes et les arts s’incarne grâce au luth, qui s’inscrit dans la formation militaire des jeunes nobles dès 1594. Le phénomène ne se limite toutefois pas à l’éducation militaire, en cette époque où une nouvelle noblesse émerge et où les frontières sociales deviennent de plus en plus poreuses.

Le luth chez la noblesse de robe et la bourgeoisie

Au tournant du XVIIe siècle, on assiste à la montée d’une noblesse dite « de robe », qui n’est pas issue du domaine militaire, mais de la justice et des finances. En effet, les marchands et bourgeois les mieux nantis ont acquis au cours du XVIe siècle des fortunes pouvant surpasser celle des aristocrates. Leurs fils étudient les lettres et le droit dans les collèges et universités pour embrasser ensuite des métiers de juristes, avocats, administrateurs ou parlementaires87. Ces hommes fortunés s’anoblissent en acquérant des terres ou en se procurant directement un titre de noblesse par l’achat d’un office. Sous les règnes d’Henri III et d’Henri IV, plusieurs offices sont créés, et leur vente constitue une source de revenus appréciable en ces temps de troubles et d’incertitude. Chez cette nouvelle noblesse, l’apprentissage du luth devient une pratique courante, de même que chez les bourgeois et marchands non nobles aspirant à une ascension

86 Ibid., 53. « It seems rather optimistic to imagine that the lute could temper the excesses of youth, but at least airs de cour directed those who played them toward a social sphere in which moderation and self- restraint were valued. » 87 Ibid., 8-13.

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sociale. La pratique du luth a ainsi atteint diverses classes sociales au tournant du XVIIe siècle : les membres de la maison royale, les noblesses de robe et d’épée, ainsi que la bourgeoisie marchande en quête de mode de vie similaire à la noblesse. Les aspirants à l’apprentissage du luth ont pu bénéficier d’instruments dont la valeur était assez modeste. En 1596, un luth de Padoue, le plus prisé d’entre tous, vaut 6 écus (soit 18 l.t.), tandis qu’un luth de Paris est estimé à 3 écus (9 l.t.) et qu’un luth d’Allemagne s’achète 1 écu (3 l.t.). De plus, contrairement à aujourd’hui, la valeur des instruments diminue en vieillissant, et les luths usagés s’achètent pour la moitié du prix d’un instrument neuf88. Il est donc facile pour quiconque financièrement aisé de se procurer un luth. Cela se confirme par la présence de l’instrument dans de nombreux inventaires, pour la plupart effectués après un décès, conservés dans les actes notariés. Dans les deux volumes des Documents du Minutier central concernant l’histoire de la musique (1600-1650), on trouve 183 luths sur 405 instruments recensés dans les inventaires de particuliers, soit 45 % des instruments. Arrive au second rang l’épinette avec 97 cas (24 %), tandis que le violon, qui connaît pourtant une ascension fulgurante depuis les dernières décennies du XVIe siècle, ne se trouve qu’à 15 reprises (4 %)89. Si la pratique instrumentale se généralise chez les amateurs, ces chiffres démontrent que le luth tient le premier rôle dans cet essor. Il est encore plus intéressant de considérer les professions de ces musiciens amateurs. Parmi les gens qui ont possédé des luths, la nouvelle noblesse de robe et la bourgeoisie sont bien représentées : trois notaires et un commis au greffe travaillant tous au Châtelet90, de même que quatre avocats. Les officiers de justice sont aussi présents en grand nombre, avec notamment un lieutenant-criminel en la généralité de Paris et un commissaire en l’artillerie de France. Finalement, on recense trois marchands et bourgeois de Paris, un docteur en la faculté de médecine, un joaillier du roi, ainsi qu’un professeur en lettres grecques et un pédagogue au collège de Navarre. On ne peut exclure que, parmi ces exemples, certains aient possédé un luth seulement pour le prestige, voire comme élément purement décoratif, et qu’ils aient peu ou pas pratiqué l’instrument. Certains documents témoignent toutefois de l’apprentissage du luth par des personnages aux métiers divers, par exemple par un commissaire au Châtelet en 1598 ou par un

88 Vaccaro, La musique de luth, 59. 89 Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1, 864; Jurgens, Documents du Minutier central, tome 2, 884. 90 Forteresse parisienne abritant un siège de justice et une prison.

103 marchand en 161691. D’autres contrats pour des leçons de luth impliquent un marchand bourgeois de Paris en 1628 et un avocat au parlement en 163592. On retrouve également Robert II Ballard dans un document daté de 1600, alors qu’il loue « une maison neufve » à Pierre Le Saulnier, « marchant maitre appoticaire et espicier, bourgeois de Paris », pour la somme de 50 écus. Ce bail, d’une durée de deux ans, stipule que Ballard devra également enseigner le luth au fils dudit marchand « soict au College de Navarre ou il est a présent ou autre lieu ou il demourera en ceste ville », et ce durant toute la période du contrat, sans gages supplémentaires93. Ainsi, l’apprentissage du luth devient la norme au tournant du XVIIe siècle chez tous ceux qui jouissent d’une aisance financière, qu’ils soient issus de la noblesse d’épée et de robe, ou de la bourgeoisie marchande. Bien que ces musiciens amateurs n’aient pas généré une intense activité de publications pour luth solo, ils participent à l’essor extraordinaire que connaît l’instrument à cette époque en insufflant un dynamisme permettant la multiplication des carrières de luthistes professionnels qui leur enseigne.

Sommaire

Les documents d’archives révèlent certains aspects essentiels de la vie des luthistes indépendants à Paris, notamment les liens étroits qu’ils entretiennent avec le milieu des facteurs d’instruments. Toutefois, leurs conditions de vie restent précaires en comparaison de celles des luthistes de la cour ou à l’emploi d’une maison princière. Les épîtres des recueils d’Antoine Francisque et de Robert Ballard témoignent de cette volonté d’améliorer sa condition sociale en s’assurant la protection des puissantes personnalités du royaume. Robert II Ballard est à l’emploi de la cour durant toute sa carrière, mais il évolue dans un univers où la détention d’un office devient de plus en plus difficile. Les offices se vendent ou se transmettent héréditairement, ce qui limite l’accès aux offices et favorisent certaines dynasties familiales de musiciens. Néanmoins, à travers ce milieu de cour qui tend à se refermer, on constate que les luthistes occupent souvent les positions les plus prestigieuses auxquelles peuvent aspirer les musiciens, notamment celle de valet de chambre. Le prestige qu’acquiert le luth en fait l’instrument de prédilection pour l’apprentissage de l’art instrumental par une nouvelle catégorie de musiciens amateurs issue des noblesses d’épée et de robe.

91 Lesure, « Recherches sur les luthistes parisiens à l'époque de Louis XIII », 215. 92 Jurgens, Documents du Minutier central, tome 1, 449 et 451. 93 Le contrat est transcrit dans Lesure et Thibaut, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, 49.

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Conclusion

Au terme de cette étude, on constate que la période 1571-1623 s’envisage, sous plusieurs aspects, dans une perspective de continuité et non de rupture, malgré une périodisation qui tend à séparer les XVIe et XVIIe siècles, et ce, tant dans la littérature musicologique que dans l’historiographie de la France. D’abord, l’analyse conjointe des catalogues de l’atelier d’imprimerie de Le Roy et Ballard, puis de Pierre Ballard, démontre certes un transfert de la chanson polyphonique vers l’air de cour, mais ce processus se fait de façon progressive. Certaines pratiques musicales bien ancrées dans la tradition du XVIe siècle se perpétuent dans les premières décennies du XVIIe siècle, notamment l’édition d’œuvres d’Orlande de Lassus ou de chansons composées sur des vers de Ronsard. En matière de musique instrumentale, il apparaît toutefois que la rareté des publications n’est pas unique au luth, mais s’étend plutôt à l’ensemble de l’activité instrumentale durant la période 1571-1623. Ensuite, l’étude de la danse démontre une popularité accrue de l’art chorégraphique tout au long du XVIe siècle. Cet essor culmine au début de la période ciblée par ce mémoire, alors qu’on trouve les premiers exemples de ballets, un genre qui sera au cœur de la vie musicale française de façon ininterrompue jusqu’à Lully au XVIIe siècle et Rameau au milieu du siècle suivant. Cette vision continue de la pratique de la danse en France s’avère très utile pour comprendre l’abandon et l’émergence de divers types de danses dans le répertoire des luthistes. Finalement, bien que la période 1571-1623 ait été politiquement mouvementée et instable, avec les troubles de religion, l’avènement d’Henri IV et la régence de Marie de Médicis, on constate que les conditions de pratique des musiciens n’ont pas été modifiées. Cela permet d’aborder les carrières des luthistes selon les mêmes paramètres durant toute cette période. Malgré la succession de différents règnes distincts les uns des autres à bien des égards, les institutions musicales s’inscrivent dans la continuité. Il est possible de considérer le luth à l’avant-garde du développement de la musique instrumentale durant les deux moments forts de l’instrument en France, soit dans les décennies 1550 et 1560 et à partir des décennies 1620 et 1630. L’absence d’abondantes sources musicales pour la période 1571-1623 ne permet pas une telle vision de l’instrument. On constate plutôt que les luthistes canalisent les courants artistiques et musicaux dominants de cette époque en les intégrant à leur art. Ainsi, le transfert, au tournant du XVIIe siècle, de la chanson polyphonique vers l’air de cour se traduit par l’abandon des mises en tablature de chanson. Le rapport des luthistes avec le répertoire vocal se réoriente et les conduit à une participation active au cœur même de

105 l’air de cour accompagné au luth, alors que les mises en tablature les situaient en périphérie de la pratique vocale. Aussi, l’abandon des mises en tablature laisse le champ libre à d’autres genres musicaux, principalement la danse. Les types de danses présents dans les recueils de Francisque et Ballard sont le reflet des changements dans les pratiques chorégraphiques. L’abandon, dans les recueils pour luth, de certaines danses populaires coïncide avec leur déclin dans les bals du XVIe siècle. À l’inverse, la popularité fulgurante de danses telles que la courante et la volte se reflète immédiatement dans les publications pour luth. Ces danses nouvelles sont le lieu privilégié de nouvelles expérimentations stylistiques, alors qu’y apparaissent – plus que dans toute autre danse – les prémisses du style brisé, qui fera la gloire de la brillante école de luth française du milieu du XVIIe siècle. Ces premiers signes d’émancipation de la danse vers un art libéré de ses attaches chorégraphiques ne signifient pas pour autant que les luthistes sont affranchis des pratiques musicales de leur temps. La transposition au luth d’extraits de ballets dans les recueils de Ballard démontre les limites de l’autonomie de l’art des luthistes, qui puisent encore à d’autres sources musicales. L’invention pure sur des modèles abstraits appartient à la prochaine génération. Si les luthistes ont pu être aux premières loges de la vie musicale et suivre les transformations dans le répertoire vocal et l’art chorégraphique, c’est notamment grâce au prestige que de leur instrument. Ce prestige est parfois artificiellement gonflé, notamment lorsque le luth est assimilé à la lyre antique par les auteurs humanistes, qui le considère dès lors comme le reflet de la perfection musicale de l’Antiquité. Mais les luthistes, loin de jouer les imposteurs, ont fait honneur à cette réputation, et nombre d’entre eux sont devenus les virtuoses les plus célébrés de leur époque. Leur présence à la cour, dans l’entourage proche des rois, est systématique depuis le règne de François Ier jusqu’à celui de Louis XIII. À la lumière des informations obtenues en répondant aux six objectifs secondaires énoncés dans l’introduction, il est possible de répondre à la question principale de cette recherche, à savoir : comment peut-on expliquer la transformation du langage dans la musique pour luth en France entre 1571 et 1623? Il semble que la position centrale du luth dans la vie musicale française de cette époque soit à la base de ce phénomène. Cela a permis au luth d’être en contact constant avec les diverses formes d’art dominantes de cette époque, particulièrement les répertoires vocaux et la danse. La polyvalence de l’instrument, qui lui a permis d’accompagner le chant et la danse dans des contextes d’intimité, mais également de participer aux spectacles à grand déploiement tels que les ballets, situe continuellement le luth au cœur des innovations

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artistiques de son temps. Si l’instrument n’a pas atteint l’autonomie qui lui permettra éventuellement de développer un style unique, il n’est pas non plus à la remorque d’autres instruments, mais accompagne – au sens propre et figuré – les courants artistiques dominants, collabore à leur développement. Toutefois, cette situation privilégiée ne suffit pas pour permettre au luth de s’émanciper complètement à partir des décennies 1620 et 1630. Il faut encore un dernier ingrédient pour que l’instrument franchisse l’étape ultime dans sa progression. L’extraordinaire essor de la pratique instrumentale amateur au tournant du XVIIe siècle, qui se fait essentiellement par l’apprentissage du luth, constitue alors un véritable catalyseur, qui assure ce dynamisme inédit. Les publications pour luth des décennies 1550 et 1560 étaient sans doute de calibre trop élevé pour la clientèle amateur de l’époque. On en trouve en quelque sorte la confirmation dans l’épître de Le Roy à la comtesse de Retz, lorsqu’il admet avoir voulu présenter, dans son Livre d’airs de cour miz sur le luth, des pièces plus faciles que celles de ses ouvrages précédents. Le virage vers les instructions pour le luth de l’atelier Le Roy et Ballard au début des années 1570 coïncide avec une augmentation de la production de l’instrument par les facteurs, signe incontestable d’un marché en expansion. Une nouvelle clientèle se développe à un point tel que la pratique du luth devient la norme chez les plus hautes classes sociales. Ainsi, après avoir joui d’un prestige symbolique dans la pensée humaniste, le luth est consacré socialement comme instrument de prédilection de la pratique musicale individuelle. L’hypothèse que l’émergence de la brillante école française de luth du XVIIe siècle soit le résultat d’un lent processus se confirme, processus qui s’opère entre 1571 et 1623. Il devient ainsi possible de tracer une trajectoire continue dans le développement du répertoire pour luth en France. Il est difficile de trouver des preuves historiques permettant de relier directement l’apparition des méthodes instrumentales et l’accroissement des joueurs de luth amateurs, puisqu’on ne possède pas de témoignages de l’utilisation de ces ouvrages. La corrélation est néanmoins évidente et ce phénomène conduit, à terme, au deuxième moment fort de l’histoire du luth en France. Mais cette période de rayonnement du luth à partir des décennies 1620 et 1630 n’est pas accompagnée d’une intense activité d’édition comme au siècle précédent. Au final, ce n’est pas tant l’absence de publications durant les trois dernières décennies du XVIe qui est notoire, mais bien l’effervescence dans la publication de livres pour luth dans les décennies 1550 et 1560, qui figure comme un phénomène particulier et isolé. L’étude de l’activité d’impression musicale des XVIe et XVIIe siècles se butera toujours au fait que les catalogues sont aujourd’hui

107 incomplets et que le véritable portrait sera toujours en partie voilé. Si on peut tirer de ce portrait imparfait certaines conclusions incontestables, d’autres, plus risquées, prêteront toujours flanc à la critique. Il en va de même pour l’analyse des données colligées dans les documents royaux ou les actes notariés. Ces témoignages du passé sont la partie visible d’une activité réelle beaucoup plus vaste. Dans l’élaboration du sujet de ce mémoire, il avait d’abord été question de sonder des espaces inexplorés par Jean-Michel Vaccaro, dont les recherches sont intimement liées au répertoire, en proposant une vision sociologique de l’activité des luthistes. Les recherches préliminaires ont démontré que les informations sur les liens entre les luthistes et leur milieu social sont trop éparses pour que cela soit tenté dans le cadre de ce travail. Les ouvrages de dépouillement d’archives disponibles datent des années 1960-1970 et se voulaient à l’époque l’étape initiale d’un plus vaste projet, malheureusement jamais mené à terme. Des recherches récentes ont pourtant mis à jour de nouveaux éléments historiques, qui permettent de préciser des parcours biographiques et modifient parfois certaines réalités de l’époque que l’on tenait pour acquises. Les éléments biographiques concernant la carrière de Robert II Ballard, dévoilés par François-Pierre dans l’édition du fac-similé du Premier livre de 1611, démontrent que la recherche archivistique n’a pas dit ces derniers mots. L’intérêt de plus en plus prononcé pour la vie musicale en France au tournant du XVIIe siècle encouragera sans doute de nouvelles recherches, qui devraient mener à de nouvelles découvertes. Ainsi, faute d’avoir toutes les informations pour dresser le portrait complet du luth durant les années 1571-1623, la démarche qui a soutenu l’écriture de ce mémoire a en quelque sorte effectué le chemin inverse. Il a plutôt été question d’explorer une période précise de l’histoire musicale française à partir du luth et des luthistes. Cet angle a permis d’approfondir les connaissances sur les décennies les plus pauvres en répertoire, et il est permis de croire que l’application de cette approche à des périodes plus fertiles pourrait apporter un nouvel éclairage à ce champ de recherche. Si l’histoire du luth se bute à une documentation incomplète, le nombre d’histoires que l’instrument peut encore nous raconter semble infini.

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Annexe 1 — Adrian Le Roy : Livre d’airs de cour miz sur le luth

Adrian Le Roy, Livre d’airs de cour miz sur le luth, 1571 À Paris. Par Adrian le Roy & Robert Ballard, Imprimeurs du Roy

Exemplaire unique conservé à Bruxelles, Bibl. Royale, Fétis no 2379 Les folios 17 à 20 sont manquants, mais la table des matières (f. 24v) permet d’en reconstituer le contenu.

Consulté sur http://javanese.imslp.info/files/imglnks/usimg/6/69/IMSLP264205-PMLP428285- leroy_livre_dair_de_cours.pdf

Dépouillement (l’auteur du texte est indiqué entre parenthèse)

Le ciel qui fut large donneur (Sillac), f. 2v-3 Quand ce beau printems je vois (Ronsard), f. 3v-4 Las que nous sommes miserables (Desportes), f. 4v-5 Quand j’estoys libre ains que l’amour cruelle (Ronsard), f. 5v-6 Mais voyez mon cher esmoy (Ronsard), f. 6v-7 Quand le gril chante, f. 7v-8 Or voy-je bien qu’il faut vivre en servage (De Baïf), f. 8v-9 Has-tu point veu ce grand vilain, f. 9v-10 La terre nagueres glacée (Desportes), f. 10v-11 Ah Dieu que c’est un estrange martire, f. 11v-12 Las je n’eusse jamais pensé (Ronsard), f. 12v-13 Autant qu’on voit aux cieux de flammes, (Ronsard), f. 13v-14 Tant que j’estoys à vous seul agréable, f. 14v-15 Je suis amour le grand maistre des dieux (Ronsard), f. 15v-16 Demandes-tu douce ennemie (Ronsard), f. 16v-17 Ma maistresse est toute angelette, f. 17v-18 Douce maistresse touche, f. 18v-19 J’estoys pres de ma maistresse, f. 19v-20 J’ay bien mal choisi, f. 20v-21 Ce n’est point pour t’estrener (Paquier), f. 21v-22 D’un gosier machelaurier, f. 22v-23 Mon cœur, ma chere vie (Ronsard), f. 23v-24

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« Le ciel qui fut large donneur », f. 2v-3

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Annexe 2 — Antoine Francisque : Le Trésor d’Orphée

Antoine Francisque, Le Trésor d’Orphée, 1600 À Paris. Par la veufve de Robert Ballard, & son filz Pierre Ballard, Imprimeurs du Roy en musique

Exemplaire unique conservé à Paris, Bibl. Nat., Res. Vm7 363. Fac-similé édité par Minkoff (Genève, 1973).

Dépouillement Susane un jour, f. 2-4 Fantaisie, f. 4-4v. Fantaisie, f. 5-5v. Prelude, f. 5v. Prelude, f. 6 Prelude, f. 6-6v. Passemaise, f. 6v.-7 Passemaise, f. 7v.-8 Passemaise, f. 8v.-9 Pavane Espagnolle, f. 9v.-10 Pavane d’Angleterre, f. 10-10v. Pavane d’Angleterre, f. 11-11v. Fin de gaillarde, f. 12-12v. Gaillarde, f. 13 Gaillarde faicte sur une volte de feu Perrichon, f. 13v.-14 Gaillarde, f. 14v.-15 Premier Branle simple, f. 15v. Second, f. 16 Troisiesme, f. 16 Quatriesme, f. 16v. Cinquiesme, f. 17 Sisiesme, f. 17v. Premier Branle gay, f. 18 Second, f. 18-18v. Troisiesme, f. 18v. Premier Branle de Poitou, f. 19 Second, f. 19-19v. Troisiesme, f. 19v.-20 Premier Branle double de Poitou, f. 20 Second, f. 20

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Premier Branle de Montirandé, f. 20v. Second, f. 20v. La Gavotte, f. 21-21v. [Branles à cordes avalées] Premier Branle simple a cordes avalées, f. 22 Second, f. 22v. Troisiesme, f. 22v.-23 Quatriesme, f. 23 Branle gay, f. 23 Premier Branle de Poitou, f. 23v. Second, f. 23v. Branle double de Poitou, f. 24 Gavotte, f. 24 Pavane [à cordes avalées], f. 24v. Prélude, f. 25 Courante, f. 25 Courante, f. 25v. Courante, f. 25v. Courante, f. 26 Courante, f. 26 Courante, f. 26v Courante, f. 26v Courante, f. 27 Courante, f. 27 Courante, f. 27v Courante, f. 27v Courante, f. 28 Prelude, f. 28v. Volte, f. 28v. Volte, f. 29 Volte, f. 29 Volte, f. 29v Volte, f. 29v Volte, f. 30 Volte, f. 30 Volte, f. 30v Volte, f. 30v Volte, f.31 Volte a cordes avalées, f. 31 Volte a cordes avalées, f. 31v. Ballet a cordes avalées, f. 31v. La Cassandre, f. 32

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« Susanne un jour », f. 2

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Annexe 3 — Robert Ballard : Premier livre et Deuxième livre

Robert Ballard, [Premier livre], 1611 [À Paris. Par Pierre Ballard, Imprimeur du Roy]

Exemplaire unique conservé à Paris, Bibl. Mazarine, Rés 4761/B Fac-similé édité par Fuzeau (Paris, 1995).

Dépouillement Entrées de luth Premiere, p. 1 Seconde, p. 2 Troisiesme, p. 3 Quatriesme, p. 4 Cinquiesme, p. 5 Sixiesme, p. 6 Septiesme, p. 7 Huitiesme, p. 8 Neveiesme, p. 9 Ballet de M. le Dauphin Premier chant, p. 10 Second, p. 10 Troisieme, p. 11 Ballet de la Reyne Premier chant, p. 12 Second, p. 12-13 Troisiesme, p. 13 Courante, p. 13 Entrée de luths : Premier chant, p. 14 Second, p. 15 Troisieme, p. 16 Ballet des esclaves Premier chant, p. 17 Second, p. 18 Troisiesme, p. 19 Ballet des contre-faits d’amour Premier chant, p. 20 Second, p. 20 Troisiesme, p. 20-21

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Ballet des insencez Premier chant, p. 22 Second, p. 22-23 Troisiesme, p. 23 Ballet Premier chant, p. 24 Second, p. 24-25 Troisiesme, p. 25 Ballet, p. 26-27 Ballet des dieux, p. 28 Ballet, p. 29 Ballet, p. [30] Ballet des manans, p. 31 Ballet Premier chant, p. 32 Second, p. 32 Ballet Premier chant, p. 33 Second, p. 33 Ballet Premier chant, p. 34 Second, p. 34 Ballet Premier chant, p. 35 Second, p. 35 Troisiesme, p. 35 Courante Premiere courante (courante de la Reyne), p. 36-37 Seconde, p. 38-39 Troisiesme, p. 40-41 Quatriesme, p. 42-[43] Cinquiesme, p. 44-45 Sixiesme, p. [46]-47 Septiesme, p. 48-49 Huitiesme, p. 50-51 Neufiesme, p. 52-54 Dixiesme, p. 55 Unsiesme, p. 56-57 Dousiesme, p. 58-59 Angéliques Premiere, p. 60-61 Seconde, p. 62-64

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Troisiesme, p. 64-65 Quatriesme, p. 66-67 Cinquiesme, p. 68-69 Sixiesme, p. 70-71 Septiesme, p. 72-73 Huitiesme, p. 74-75 Neufiesme, p. 76-77 Dixiesme, p. 78 Courante, p. 79 Courante, p. 80-81 Voltes Premiere Volte, p. 82-83 Seconde, p. 84-85 Troisiesme, p. 86-87 Quatriesme, p. 88 Cinquiesme, p. 89 Sixiesme, p. 91-92

Robert Ballard, Diverses pièces mises sur le luth par Robert Ballard, 1614 À Paris. Par Pierre Ballard, Imprimeur du Roy

Exemplaire unique conservé à Saint-Pétersbourg, Bibl. publique Saltykov-Sccedrin Fac-similé non édité. Dépouillement d’après l’édition du Corpus des luthistes français.

Grand ballet de Saint-Germain Premier chant Second Troisiesme Quatriesme Ballet Ballet des Princes Premier chant Second Troisiesme Quatriesme Ballet Ballet des chevaux Premier chant Second Troisiesme Quatriesme

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Cinquiesme Sixiesme Septiesme Huitiesme Courantes Première courante Seconde Troisiesme Quatriesme, La Princesse Cinquiesme, La Valette Sixiesme Septiesme, La Vignonne Huitiesme, L’Espagnolle Neufiesme Dixiesme Unsiesme Dousiesme, A la fin ce tiran Treisiesme Quatorsiesme Quinsiesme Seisiesme Dixseptiesme Volte Gaillarde Première gaillarde Seconde Branles de la cornemuse Premier Second Troisiesme Quatriesme Branle gay Second Troisiesme Branles de village Premier Second Troisiesme Quatriesme

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« Courante de la Reyne », Premier livre (1611), p. 36

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Annexe 4 – Transcriptions des épîtres dédicatoires

Adrian Le Roy, Livre d’airs de cour miz sur le luth, 1571 À Paris. Par Adrian le Roy & Robert Ballard, Imprimeurs du Roy

Disponible en ligne au http://javanese.imslp.info/files/imglnks/usimg/6/69/IMSLP264205-PMLP428285- leroy_livre_dair_de_cours.pdf

A TRESEXCELLENTE DAME CATERINE DE CLERMONT, CONTESSE DE RETZ

Ces jours prochains MADAME vous ayant presenté l’instruction d’asseoir toute Musique facilement en tablature de Luth, qui estoit fondée exemplairement sur les chansons d’Orlande de Lassus lesquelles sont difficiles & ardues comme pour rompre le disciple de l’art à franchir aprez toutes difficultez : je me suis avisé de luy mettre en queue pour le seconder ce petit opuscule de chansons de la cour beaucoup plus legieres (que jadis on appelloit voix de ville, aujourdhuy Airs de Cour) tant pour votre recreation, a cause du suget (que l’usage ha desja rendu agréable) que pour la facilité d’icelles plus grande sur l’instrument auquel vous prenez plaisir. Car vous ayant desja offert tout mon petit service comme serviteur hereditaire de votre maison, il ha falu que cestuicy ayst suivy le precedent : auquel si les harmonies musicales ne sont pareilles aux premieres, aumoins les lettres sont sorties de bonnes forges comme du Seig. Ronsard, Desportes, & autres des plus gentilz poëtes de ce siecle. J’espere que le public en recevra contentement, auquel j’ay jusques à present assez heureusement accomodé mes labeurs : mais vous estans desormais vouez comme chose votre, il me suffira que vous en demeuriez satisfaitte de ma part & que tous autres en soyent redevables a votre grandeur. Laquelle je supplie notre Seigneur conserver & accroistre en toute prosperité & m’entretenir en votre bonne grace. A Paris le 15 jour de Fevrier 1571. Votre tres-humble serviteur Adrian le Roy

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Antoine Francique, Le Trésor d’Orphée, 1600 À Paris. Par la veufve de Robert Ballard, & son filz Pierre Ballard, Imprimeurs du Roy en musique

Réimpression du fac-similé (Minkoff : Genève, 1973)

A MONSEIGNEUR LE PRINCE Monseigneur. J’ay prins hardiesse de consacrer aux autelz de vostre clemence ces premices de mes travaulx non que mon propre merite ou l’excellence de l’œuvre me peut induire à l’esmanciper soubz l’authorité de vostre nom je sçay que tout ainsi que Appelles seul eut pouvoir de peindre Alexandre & Lysippe de l’eslever en bosse ainsi a vous le plus rare & excellent jeune Prince que le ciel aye donné pour ornement a nostre siecle rien ne doibt estre offert qui ne soit accomply & parfaictement élabouré mais comme ainsi soit qu’entre toutes les vertus dont le ciel vous à richement doüé vous ayez en telle affection les artz Liberaux que vous leur rendez plus d’honneur que vous n’en recevez d’ornement encor que vous y soyez tres accomply : & bien meritant de ceulx qui les ayment, temoignez vouloir rendre grace aux muses de la recommandation quelles vous ont acquise entre les hommes : Ceste clemence disie, m'a faict soubz l'authorité de vostre nom donner jour, à cest abortif à ce que arrozé du nectar de voz faveurs, il puisse prendre vie & que l'autel inviolable de vostre grandeur le maintienne contre la mesdisance de ceux qui ou jugeants mal de la syncerité de mon affection ou jaloux de mon zele envers le public, voudroyent avancer quelque chose au prejudice de ma reputation. Ce n'est ny l'arrogance ny le peu de cognoissance de moy mesme qui m'induisent à le jetter en lumiere, je sçay que Chœrile & Sufæne ont plus perdu de credit par ung feul œuvre : qu'ilz ont publié qu'ilz n'en avoyent onques acquis en toute leur vie : l'instance de mes amis l'ha d'une violence extraordinaire arraché avant que d'estre formé, pour le donner disent ilz à l'utilite publique : Encores que je recognoisse trop l'imbecilite de mes forces & que par l'incapacite de l'œuvre je face recognoistre mon insuffisance, toutefois j'ayme mieux leur complaire avec quelque desadvantage que par leur resister trop opiniatrement acquerir le nom d’ingrat & superbe, plus tost que d’homme bien advise : Que si la candeur de mon affection ne vous est desagreable & vous plaist le prendre en vostre protection, j’espere qu’il ne se trouvera ny Mævie ny Zoile ny Thelin qui ose reprouver ce qui aura esté approuvé par un si puissant, si sage, & si magnanime Prince, & auquel est deu tant de respect pour ses vertuz & merites, que son plaisir doit estre l’archetype auquel nous devons conformer noz volontez, cest donc de vostre seule bonte non de mon merite, que j’espere que cest œuvre, quoy que basty avec peine excessive & diligence exquise, prendra quelque vigueur, & s’il plaist à Dieu le benir de tant, que vostre excellence en reçoive quelque contentement, je me tiendray trop honorablement satisfaict de mon travail en recevant si riche recompense que vostre bonne affection, laquelle je supplye le Createur : me vouloir octroyer & a vous continuer. MONSEIGNEUR En parfaicte sante treslongue & Heureuse vie. De vostre excellence le tres-humble & tres-affectione serviteur. ANTHOINE FRANCISQUE

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Robert Ballard, Premier livre, 1611 [À Paris. Par Pierre Ballard, Imprimeur du Roy]

Réimpression du fac-similé (Fuzeau : Paris, 1995)

A LA REYNE REGENTE

MADAME, J’ay pris la hardiesse de faire imprimer ce que j’ay recueilli de mon labeur, pour montrer a la posterité que les moindres de vos passe-tems sont tres-louables, et contribuent grandement à la vertu : je sçay bien que cette tablature que je méts en lumiere, est trop peu pour satisfaire à mon devoir; mais je la tiens assés estimable puis que ce sont de simples fleurs ecloses des rayons des yeux de la plus belle, la plus sage, et vertueuse Reyne qui soit au monde. Il me suffira donc de suplier tres-humblement, vostre Majesté, de les avoir pour agreables, comme venans d’elle mesme, partant d’un cœur tres-devot à luy rendre toute sorte de devoir et d’obeissance, avec laquelle j’invocque la divine bonté vous continuer ses graces et benedictions :

Estant, de vostre Majesté, MADAME, Le tres-humble et tres-obeissant serviteur et sujét, R. BALLARD

AU LECTEUR

Lecteur, Je t’ay bien voulu avertir que cét ouvrage n’est pas peut estre en telle perfection que tu l’eusse peu desirer de moy, pour l’observation des scrupuleuses reigles de la Musique : toutes-fois si tu le consideres, & que tu entendes bien la portée du Luth, tu ne m’accuseras peut estre pas si facilement d’ignorance, ou de negligence : neant-moins je ne veux pas en cela si fort m’excuser, que je ne sois bien aise que les maistres prenent la peine de l’examiner sans passion, pour en juger sainement : car je me remettray toujours à la discretion de ceux qui en peuvent estre capables. Te supliant bien fort de le reçevoir suivant la bonne intention que j’ay de t’honorer & servir.

R. BALLARD

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Annexe 5 — Musique mesurée à l’antique

« Revecy venir du printans », Claude Le Jeune Extrait du recueil Le Printemps (Paris : Ballard, 1603)

Syllabe longue : – Syllabe courte : U Schéma rythmique utilisé : U U – U – U – –

Poème d’Antoine de Baïf (deux premiers vers) : U U – U – U – – Re-ve-cy ve-nir du prin-tans U U – U – U – – L’a-mou-reuz’ et bel-le sai-zon

Mise en musique Extrait de Henry Expert, Les Maîtres Musiciens de la Renaissance françaises (Paris : A. Leduc, 1900), 11-12. Disponible au http://conquest.imslp.info/files/imglnks/usimg/a/ac/IMSLP129948-PMLP253191- Le_Printemps.pdf .

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Appendice 1 — Généalogie des rois de France

Généalogie des derniers Valois

François Ier (1494-1547) Règne : 1515-1547

Épouse : Claude de France (1499-1524)

Henri II (1519-1559) Règne : 1547-1559

Épouse : Catherine de Médicis (1519-1589)

François II (1544-1560) Charles IX (1550-1574) Henri III (1551-1589) Marguerite de Valois François d'Alençon Règne : 1559-1560 Règne : 1560-1574 Règne : 1574-1589 (1553-1615) (1555-1584)

Épouse : Épouse : Épouse : Héritier présomptif de 1574 à sa Épouse d'Henri de Navarre (futur Marie Stuart (1542-1587) Elisabeth d'Autriche (1554-1592) Louise de Lorraine (1553-1601) mort, en l'absence de Henri IV) de 1572 à 1599 Sans descendance Sans descendance Sans descendance descendance d'Henri III

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Généalogie des premiers Bourbons

Henri IV (1553-1610) Règne : 1589-1610

Épouse : Marguerite de Valois de 1572 à 1599 Marie de Médicis de 1600-1610

Régence de Marie de Médicis de 1610 à 1614

Louis XIII (1601-1643) Règne : 1610-1643

Épouse : Anne d'Autriche (1601-1666)

Louis XIV (1638-1715) Règne : 1643-1715

Épouse : Marie-Thérèse d'Autriche (1638-1683 ) Françoise d'Aubigné (1635-1719)

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Appendice 2 — Repères biographiques des principaux personnages cités

Arbeau, Thoinot (1520-1595) Pseudonyme de Jehan Tabourot, auteur du traité chorégraphie l’Orchésographie, publié à Langres en 1588 et réimprimé en 1589 et 1596).

Attaingnant, Pierre (v. 1494-v. 1551/52) Premier imprimeur-éditeur musical français, actif à partir de 1525. Il publie les premiers recueils français pour luth, la Tres breve et familiere introduction (1529) et les Dixhuit basses-dances (1530).

Avrilly, Jacques d’ (2e moitié du XVIe siècle) Fils d’un sergent d’Orléans, il devient luthiste et premier favori de François d’Alençon au début des années 1580.

Baïf, Jean-Antoine de (1532-1589) Membre de la Pléiade, qui vise à renouveler la poésie française par l’imitation des poètes de l’Antiquité. En 1570, il fonde l’Académie de Poésie et de Musique avec le musicien Thibault de Courville, dans laquelle ils expérimentent la musique mesurée à l’antique.

Bailly, Henri de (?-1637) Compositeur, luthiste et chanteur actif à la cour sous Henri IV et Louis XIII. Il est « valet de chambre du roi et maître joueur de luth » en 1601, puis devient « superintendant de la musique de la chambre du roi ». Au début des années 1610, il joue du luth et chante pour endormir le jeune Louis XIII.

Ballard, Pierre (v. 1575-1580-1639) Fils de l’imprimeur Robert I Ballard et frère cadet du luthiste Robert II Ballard. Il s’implique dans l’atelier d’impression à partir de 1593, puis, après la mort d’Adrian Le Roy en 1598, il prend la tête de l’atelier aux côtés de sa mère. Après le retrait de celle-ci en 1606, il dirige seul l’atelier, qu’il relance grâce notamment à la collection d’airs de cour accompagnés au luth.

Ballard, Robert I (v. 1525-30-1588) Il fonde en 1551, avec son cousin Adrian Le Roy, un atelier d’impression musical qui domine le marché parisien durant la deuxième moitié du XVIe siècle. De son mariage avec Lucrèce Dugué, naissent plusieurs fils, dont Pierre, qui lui succède, Robert II, qui devient luthiste à la cour, et Léon, également luthiste.

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Ballard, Robert II (v. 1575-v. 1650) Fils de l’éditeur Robert I Ballard et frère aîné de Pierre Ballard. Il est mentionné comme joueur de luth dès 1598, puis « valet de chambre du roi » dès 1600. En 1612, il est à l’emploi de Marie de Médicis et donne les premières leçons de luth au jeune Louis XIII. Il publie deux recueils pour luth, le Premier livre (1611) et le Deuxième livre (1614).

Beaujoyeulx, Baltasar de (av. 1535-v. 1587) Chorégraphe et violoniste italien, il arrive en France vers 1555. Il devient valet de chambre de Catherine de Médicis, Charles IX et Henri III. Il est le maître d’œuvre du Balet comique de la Royne, présenté en 1581, et considéré comme l’un des premiers exemples de ballet français.

Besard, Jean-Baptiste (v. 1567-v. 1616) Luthiste et compositeur actif principalement en Bourgogne et dans les pays germaniques. Il publie à Cologne en 1603 le Thesaurus harmonicus, anthologie qui comporte de rares pièces de compositeurs français de la fin du XVIe siècle, notamment Vaumesnil, Edinthon et Perrichon.

De Rippe, Albert (v. 1500-1551) Luthiste originaire de Mantoue. Il arrive en France en 1528 et demeure au service de François Ier jusqu’à sa mort. Son œuvre posthume est publiée par son élève Guillaume Morlaye, puis par l’atelier Le Roy et Ballard.

Dowland, Robert (v. 1591-1641) Fils du célèbre luthiste John Dowland. Également luthiste, il publie en 1610 une anthologie, Varietie of Lute-Lessons, dans laquelle on trouve deux courantes du luthiste français René Saman.

Du Caurroy, Eustache (1549-1609) L’une des figures musicales principales à la cour au tournant du XVIIe siècle, il sert les rois Charles IX, Henri III et Henri IV. Il est chantre en 1575, puis « compositeur de la musique de la chambre » en 1595 et « compositeur de la musique de la chapelle » en 1599.

Du Chemin, Nicolas (v. 1515-1576) Imprimeur parisien actif entre 1549 et 1576. Son catalogue, dominé par des livres de chansons polyphoniques, comporte des livres de « danseries » et un recueil pour luth de Julien Belin, paru en 1556.

Dugué, Étienne (2e moitié du XVIe siècle) Luthiste et fils de Mathurin Dugué. Il apparaît dans les états de maison d’Henri III en 1575. Il obtient la survivance de la charge de son père. En 1595, il est toujours « joueur de luth ordinaire de la chambre du roi ».

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Dugué, Lucrèce (1545-ap. 1615) Fille de l’organiste du roi Jehan I Dugué et de Perette Edinthon (la sœur des luthistes Charles et Jacques). Épouse de Robert I Ballard, mère de Robert II Ballard et Pierre Ballard, elle codirige l’atelier d’impression avec Adrian Le Roy de 1593 à 1598, puis avec son fils Pierre de 1599 à 1606.

Dugué, Mathurin (2e moitié du XVIe siècle) Luthiste et père d’Étienne Dugué. Dès 1562, il est joueur de luth du duc d’Orléans, futur Henri III. À partir de 1575, il est valet de chambre de Catherine de Médicis et d’Henri III. Il cède sa charge à son fils Étienne au milieu des années 1580.

Edinthon, Charles (2e moitié du XVIe siècle) Luthiste d’origine écossaise, frère de Jacques Edinthon. Il apparaît à la cour en 1548 et la dernière mention date de 1575.

Edinthon, Jacques (?-v. 1590) Luthiste d’origine écossaise, frère de Charles Edinthon. Il au service de Henri III entre 1575 et 1587. Il est célébré comme l’un des plus grands virtuoses de son temps, avec son frère Charles. Seulement cinq pièces nous sont parvenues, sans qu’il soit possible de préciser lequel des frères en est l’auteur.

Fezandat, Michel (milieu du XVIe siècle) Imprimeur parisien actif entre 1538 et 1577. Il se consacre à l’édition musicale de 1551 à 1558. Il publie plusieurs recueils de tablatures de luth, guitare ou cistre, dont ceux de Guillaume Morlaye, avec qui il s’associe pour publier l’œuvre posthume d’Albert de Rippe.

Francique, Antoine (v. 1575-1605) Luthiste et compositeur, il se marie à Cambrai en 1596. La date de son arrivée à Paris est inconnue, mais il publie en 1600 Le Trésor d’Orphée chez l’imprimerie Ballard. Il est parrain du fils du facteur d’instrument Gervais Rebans en 1605.

Gautier, Ennemond (1575-1651) Membre d’une famille de luthistes, il est souvent désigné sous le nom de « vieux Gautier ». Il est au service de la reine Marie de Médicis entre 1600 et 1631, et enseigne le luth au cardinal Richelieu. Son œuvre, essentiellement conservée sous forme manuscrite, appartient à l’école française du XVIIe siècle, contrairement à Robert II Ballard, dont la carrière se déroule pourtant dans les mêmes années.

Hindret, Florent (début du XVIIe siècle) Luthiste, conseiller notaire et secrétaire du roi. Entre 1604 et 1608, il apparaît régulièrement dans le journal de Jean Héroard à titre de joueur de luth du futur Louis XIII. Il ne subsiste aucune autre information sur sa carrière, et aucune œuvre ne nous est parvenue.

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La Grotte, Nicolas de (v. 1530-v. 1600) Compositeur, organiste et joueur d’épinette. Sa carrière fleurit principalement sous le règne d’Henri III. Une seule pièce pour clavier subsiste, une fantaisie sur le madrigal Anchor che col partire, mais son recueil vocal Chansons de P. de Ronsard, Ph. Desportes, et autres (1569) connaît cinq rééditions et est transcrit pour luth et voix dans le Livre d’airs de cour miz sur le luth (1570) d’Adrian Le Roy.

Lassus, Orlande de (v.1532-1594) Compositeur franco-flamand, dont la carrière se déroule principalement en Italie (1544-1554) et à Munich (1556-1594). Il est considéré comme le compositeur le plus célèbre de la seconde moitié du XVIe siècle, comme en témoigne la diffusion de son œuvre dans tous les pays d’Europe. En France, il occupe une place démesurée dans le catalogue de Le Roy et Ballard.

Le Jeune, Claude (v. 1530-1600) Compositeur huguenot, il publie ses premières œuvres dès 1552, mais ses allégeances religieuses l’empêchent d’occuper un poste à la cour. Il gravite néanmoins dans les cercles musicaux parisiens, notamment l’Académie de Poésie et de Musique de Baïf. À l’avènement d’Henri IV, il devient finalement « Maître compositeur ordinaire de la Chambre du Roi ». Son œuvre, qui marque le transfert de la chanson vers l’air – dont plusieurs sont mesurés à l’antique –, est éditée en grande partie après sa mort.

Le Roy, Adrian (v. 1520-1598) Luthiste, compositeur et éditeur. Il codirige avec Robert I Ballard le plus important atelier d’impression musical français de la deuxième moitié du XVIe siècle. Il compose essentiellement de la musique instrumentale pour luth et guitare, en plus de publier des instructions pour ces instruments.

Mauduit, Jacques (1557-1627) La plupart des informations concernant Mauduit proviennent de l’Harmonie universelle de Mersenne. Il est, avec Le Jeune, le compositeur ayant le mieux exploité la musique mesurée à l’antique, notamment en publiant en 1586 un recueil de Chansonnettes mesurées de Jean-Antoine Baïf. Lors du siège de Paris en 1590, il empêche l’autodafé du manuscrit du Dodécacorde de Le Jeune, malgré leurs confessions distinctes.

Mersenne, Marin (1588-1648) Mathématicien, philosophe et théoricien de la musique. Il entretient une correspondance avec les plus grands penseurs de son temps, tels que Descartes, Hobbes et Galilée. Il publie en 1636 son Harmonie universelle, ouvrage à la fois théorique et pratique, abordant autant les principes acoustiques que l’art de la composition vocale et de la pratique instrumentale.

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Morlaye, Guillaume (milieu du XVIe siècle) Luthiste, marchand et éditeur, il apparaît dans un document de 1541 comme « marchant et joueur d’instruments », mais on perd sa trace à partir de 1560. En plus de ses propres œuvres pour luth ou guitare éditées par Michel Fezandat, Morlaye obtient en 1552 un privilège de 10 ans pour publier l’œuvre de son maître Albert de Rippe.

Negri, Cesare (v. 1535-1604) Danseur, chorégraphe et maître de ballet italien. Il publie à Milan en 1602 le traité chorégraphique Le Gratie d’Amore. Il ne doit être confondu avec le violoniste du même nom actif en France et décédé en 1587, qui cède à sa femme la survivance de sa charge de violoniste de la chambre.

Perrichon, Julien (1566-v. 1597) Fils d’un hautboïste et violoniste du roi, ce jeune luthiste prodige entre à la cour à l’âge de 10 ans. Il est maître joueur de luth et valet de chambre durant les premières années du règne d’Henri IV. Il meurt prématurément, comme en fait foi la « Gaillarde faicte sur une volte de feu Perrichon » de Francisque. Une vingtaine de pièces lui sont attribuées, extraites principalement du Thesaurus harmonicus (1603) de Bésard et du manuscrit Lord Herbert of Cherbury’s Lute-Book (1640).

Rebans, Gervais (fin du XVIe siècle, début du XVIIe siècle) Facteur d’instruments parisiens. Il reçoit une commande en 1575 pour la fabrication de 200 luths. Il désigne Antoine Francisque comme parrain de son fils en 1605.

Saman, René (?-1630) Il apparaît en 1610, alors que deux courantes figurent dans le Varietie of Lute-Lessons publié en Angleterre par Robert Dowland. En 1615, il est au service de la reine régente Marie de Médicis, puis devient « precepteur pour le luctz des enfans de Ladicte chappelle de musicque de sa Majesté » en 1619. Sept courantes figurent également dans le Lord Herbert of Cherbury’s Lute- Book (1640).

Vaumesnil , Guillaume Le Boulanger, seigneur de (?-v. 1595) Il figure en 1559 comme valet de chambre à la cour d’Henri II et est déjà cité à cette date par le poète Jodelle parmi les « princes des musiciens ». Il demeure valet de chambre sous Charles IX et Henri III. À la fin des années 1570 et au début des années 1580, il occupe également divers postes à la cour de François d’Alençon (écuyer d’écurie, échanson, conseiller et maître d’hôtel) et auprès de Catherine de Médicis (valet de chambre), de qui il reçoit une terre et une maison en 1583. Il est célébré comme le plus grand luthiste de son temps, mais seulement deux pièces subsistent dans le Thesaurus harmonicus (1603) de Bésard. Il est inhumé dans l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés vers 1595.

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Vaumesnil, Jehan Le Boulanger, dit (?-ap. 1611) Frère de Guillaume de Vaumesnil. Il a été au service d’Henri III, de François d’Alençon, de Marguerite de Navarre et valet de chambre de Catherine de Médicis à partir de 1581. Avec son frère, il accompagne le duc d’Anjou en Angleterre en 1579.

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Bibliographie

Sources premières et éditions musicales

Arbeau, Thoinot. Orchésographie. Langres : Jehan des Preyz, 1588. Disponible au http://imslp.org/wiki/Orchésographie_(Arbeau,_Thoinot).

Ballard, Robert. Premier livre de tablature de luth (1611). Réimpression du fac-similé présentée par François-Pierre Goy et Pascale Boquet. Paris : J.M. Fuzeau, 1995.

Beaujoyeulx, Baltasar. Le balet comique de la Royne (1581). Réimpression du fac-similé présentée par Margaret McGowan. Binghamton : Center for Medieval & Early Renaissance Studies, 1982.

Francisque, Antoine. Le Trésor d'Orphée (1600). Réimpression du fac-similé. Genève : Minkoff, 1973.

Heartz, Daniel, dir. Preludes, Chansons and Dances for Lute Published by Pierre Attaingnant, Paris, 1529-1530. Neuilly-sur-Seine : Société de Musique d'Autrefois, 1964.

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Mersenne, Marin. Harmonie universelle. Paris : Pierre Ballard, 1636.

Quittard, Henri, dir. Le Trésor d'Orphée (1600). Paris : L. Marcel Fortin & Cie, 1906.

Souris, André, et Monique Rollin. Oeuvres du vieux Gautier. Corpus des luthistes français. Paris : CNRS, 1963.

Souris, André, Monique Rollin et Jean-Michel Vaccaro, dir. Oeuvres de Vausmenil, Edinthon, Perrichon, Raël, Montbuysson, La Grotte, Saman, La Barre. Corpus des luthistes français. Paris : CNRS, 1974.

Souris, André, Sylvie Spycket et Monique Rollin, dir. Robert Ballard : Premier livre (1611). Corpus des luthistes français. Paris : CNRS, 1963.

Souris, André, Sylvie Spycket et Monique Rollin, dir. Robert Ballard : Deuxième livre (1614) et pièces diverses. Corpus des luthistes français. Paris : CNRS, 1964.

133

Ouvrages musicologiques

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Bailes, Anthony. « An Approach to 17th-Century French Lute Music ». Lute News 85 (2008) : 8-22.

Ballman, Christine. Le luth et Lassus. Bruxelles : Académie royale de Belgique, 2011.

Balsamo, Jean. « La musique dans l'éducation aristocratique au XVIe siècle ». Dans Claude Le Jeune et son temps, en France et dans les états de Savoie (1530-1600). Musique littérature et histoire. Actes du colloque international de Chambéry, 4-7 novembre 1991., sous la dir. de Marie-Thérèse Bouquet-Boyer et Pierre Bonniffet, 190-197. Bern : Peter Lang SA, Éditions scientifiques européennes, 1996.

Bonniffet, Pierre. « Esquisse du ballet humaniste (1572-1581) ». Dans Le ballet aux XVIe et XVIIe siècles en France et à la Cour de Savoie, sous la dir. de Marie-Thérèse Bouquet-Boyer, 15- 49. Cahiers de l'I.R.H.M.E.S. Genève : Slatkine, 1992.

Boucaut-Graille, Audrey. « Les imprimeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528-1598 ». Thèse de doctorat, Université François Rabelais, 2007.

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Brenet, Michel. Notes sur l'histoire du luth en France. Turin : Bocca frères, 1899. Réimpression, Genèves : Minkoff, 1973.

Brooks, Jeanice. Courtly Song in Late Sixteenth-Century France. Chicago : Chicago University Press, 2000.

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