LES ANNEES OBSCURES DE

OU

LA REVOLUTION A

()

1789 - 1800

- Lecture d’archives -

Gabriel Michel f.m.s.

1 Les années obscures de Marcellin Champagnat PRESENTATION

Le Frère Gabriel Michel, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Marcellin Champagnat, nous a offert « Né en 89 », roman historique en trois volumes : Tome 1 : La jeunesse d’un prêtre forézien sous la Révolution et l’Empire (1789-1815) Tome 2 : Vicaire et Fondateur (1815-1824) Tome 3 : Bâtisseur et Educateur (1824-1840)

Mais très tôt, notre auteur s’était intéressé au père de Marcellin, Jean-Baptiste Cham- pagnat, qui a joué un rôle de premier plan dans son village de Marlhes durant les années de la Révolution.

Cette « lecture d’archives » ne manquera pas de passionner les jeunes et les moins jeunes à propos d’une des périodes les plus fascinantes de notre histoire, vécue dans le vil- lage de Marlhes.

Frère Henri Vignau, C.G.

2 Les années obscures de Marcellin Champagnat INTRODUCTION

Je n’ai pas fait d’études proprement historiques, mais dès ma jeunesse j’ai été intéres- sé par les Archives, archives municipales d’abord pour faire une recherche de généalogie familiale. Et j’ai trouvé là une activité passionnante. Vers 30 ans, j’ai été interpellé par une vague allusion que l’on faisait à propos du père de Marcellin Champagnat : il aurait été pour quelque chose dans le mouvement révolution- naire local. Mes recherches généalogiques ne m’avaient fait connaître jusqu’alors que les registres d’Etat-Civil (naissances, mariages, sépulture), mais peut-être existait-il autre chose ? Telle était l’étendue de mon ignorance ! Je m’aventure donc à la mairie de Marlhes et je demande s’il y a un registre qui évo- querait la période révolutionnaire, et on m’apprend qu’il y a le majuscule registre des délibé- rations. Je l’ouvre et c’est pour voir que Jean-Baptiste Champagnat est le secrétaire qui a tenu une grande partie de ce registre et que les activités politiques de cette période se trou- vent largement consignées dans ces pages. Bien sûr, je n’y trouvais rien de Marcellin lui-même, mais je pouvais l’imaginer à partir de la vie politique et religieuse du temps et du lieu. De même que l’auteur juif Flusser avait écrit « Les années obscures de Jésus », à partir de ce qu’il savait du monde des enfants juifs au premier siècle de notre ère, je me suis décidé à écrire « Les années obscures de Marcel- lin Champagnat » dans un Bulletin des Frères Maristes. Plus tard j’ai découvert aussi aux Archives départementales et nationales, d’autres do- cuments qui confirmaient quelques faits connus par les biographes de Marcellin Champa- gnat. Mais restons-en aux années révolutionnaires et au début du Consulat, car l’histoire que vous allez lire se limite à cette courte période. On n’a pas pour Marlhes l’avantage qu’a La Valla-en-Gier où le secrétaire Barges a écrit ses Mémoires. Ici seules parlent les Archives. Un travail similaire est sûrement possible dans bien des villages, même si toutes les archives ne se prêtent pas à éclairer l’enfance d’un saint, fils de révolutionnaire.

Gabriel Michel, f.m.s.

3 Les années obscures de Marcellin Champagnat Première partie

DE 1789

AU 9 THERMIDOR

( 27 juillet 1794 )

Marcellin Champagnat est né avec la Révolution : il y a là autre chose qu’une phrase banale. Toute son enfance a baigné dans l’ambiance révolutionnaire.

Sa naissance est étroitement encadrée par la Réunion des Etats Généraux (5 mai 1789) et le Serment du Jeu de Paume (20 juin 1789) où se manifestent les exigences du Tiers-État, prélude à tous les autres bouleversements.

4 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre I. EVENEMENTS PRECURSEURS DE LA REVOLUTION.

1. – Préludes lointains ou proches.

a) Niveau national.

Face à l’absolutisme royal, il existe des Parlements qui sont des tribunaux. Seul, ce- pendant, le Parlement de Paris joue un rôle politique, car c’est lui qui «enregistre » les édits du roi, et, à cette occasion, il fait parfois des remontrances. Par ailleurs, un certain nombre de choses tempèrent l’absolutisme «théorique » du roi (qu’il soit Louis XV ou Louis XVI) : privilèges de la noblesse, des provinces, des villes. Il y a donc là un début de pouvoir de « l’opinion ». Sous Louis XV, le ministre Choiseul était arrivé à collaborer avec les Parlements en leur donnant en pâture les Jésuites : la supprime la Compagnie en 1764, avant que l’Eglise ne le fasse elle-même en 1773. Mais le successeur de Choiseul, Maupeou, supprimait purement et simplement les Parlements en 1771, et les remplaçait par les «Conseils Supérieurs ». De cette façon, il n’y avait plus d’opposition organisée. Louis XVI, au contraire, dès son accession au trône en 1774, rétablit les Parlements, c'est-à-dire met le doigt dans cet engrenage d’une opposition de plus en plus virulente qui va tout emporter.

b) Niveau régional.

A Marlhes, Jean-Baptiste Champagnat, père de Marcellin, se marie l’année suivante (1775). Il a un an de moins que le roi. Quand on voit la place qu’il va occuper plus tard, on se doute bien que le marchand1 qu’il est, dès ces années-là, a quelque envie de jouer un rôle. Il doit avoir des contacts avec la ville et avec le mouvement des idées. Il est, comme tout le monde, admirateur de ce jeune roi qui a l’air si libéral2. Comme beaucoup de ses contempo- rains, bourgeois ou aspirant à le devenir, il pense qu’il y a beaucoup de réformes à faire. Les réformes, à vrai dire, se ramènent à deux : l’égalité, une égalité très relative, car si la bourgeoisie critique les privilèges surannés de la noblesse, elle n’a pas la moindre envie que l’on touche au sien : celui d’avoir beaucoup plus d’argent que la masse du peuple. Il n’est pas question, ou du moins pas encore, d’ouvrir la porte toute grande aux pauvres, par des lois sociales qui redistribueraient sous forme d’allocations, de retraites, etc. . les res- sources des riches. On est bien d’accord pour protester théoriquement contre la gabegie, le gaspillage, mais les bourgeois ne veulent pas se sacrifier pour les autres : ils veulent seule- ment devenir la classe dirigeante.

1 : Dans les registres, il est appelé tantôt marchand, tantôt agriculteur, tantôt propriétaire. 2 :« Les députés témoigneront combien ses fidèles sujets du Tiers-État sont pénétrés d’amour, d’admiration et de reconnaissance pour sa personne, sa sagesse et sa bonté »(Cahiers de Doléances de Rochetaillée). « Le Royaume n’est qu’une grande famille dont le sage et vertueux prince qui nous gouverne est le père » (Cahier de Doléances de ). « La communauté a été pénétrée de la plus vive reconnaissance pour la bonté paternelle de son Roi » (St. Christo).

5 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – L’Etat a besoin d’argent.

C’est sur une question d’argent que va s’enclencher le phénomène révolutionnaire. L’argent, l’Etat, lui n’en a point ou pas assez. Il a essayé d’en trouver d’abord grâce à un mi- nistre, Turgot, qui parlait d’économies, de meilleure répartition des impôts, en somme de choses sérieuses. C’était trop austère. Les nobles, le haut clergé, ont exigé sa révocation. On l’a remplacé par Necker, un banquier, qui, lui, veut tout régler par des emprunts. Il révèle aussi le chiffre énorme des pensions versées aux courtisans. Marie-Antoinette et ses amis exigent son renvoi. Là-dessus, l’occasion de faire la guerre à l’Angleterre (1775-1782) arrive, en aidant les colons américains. Ce sera une très brillante vengeance de la Guerre de 7 ans3 où la France avait été cruellement humiliée, mais du point de vue financier c’est l’élargissement du gouf- fre. Vraiment l’emprunt ne suffit pas. Il faut trouver des ressources par une réforme finan- cière. Necker mis de côté, c’est Calonne qui prend sa place. L’homme est habile, mais les Parlements lui rendent la vie impossible. Après deux ans de lutte contre eux, il se décide à une solution intermédiaire entre le gouvernement absolu et la consultation des Parlements. Il convoque une « assemblée de notables », en espérant que ceux-ci auront le sens du bien commun. Il y a parmi eux des représentants des 3 ordres (clergé, noblesse, Tiers-État), choisis parmi des personnalités, des philanthropes, des hom- mes attachés à des idées nouvelles. On est en février 1787. En toute loyauté ou naïveté, Calonne leur révèle l’état effroyable des finances. Le ré- sultat c’est que, au lieu de susciter un mouvement de solidarité, il suscite l’indignation. on lui attribue tout le mal, et le roi doit le congédier. Il le remplace par Loménie de Brienne, un évêque (probablement athée) qui n’obtient rien de mieux de l’Assemblée des Notables. Dès lors, on pense aux Etats Généraux ou, comme dit La Fayette, à « mieux que ce- la », c'est-à-dire à une Assemblée Nationale qui discutera et imposera une Constitution.

3. – Réunion des Etats Généraux.

Réunir les Etats Généraux est une idée ancienne. Réunir une Assemblée Nationale est déjà une idée révolutionnaire. Les Etats Généraux n’ont plus été réunis depuis 1614. Comme un Concile dans l’Eglise ou comme un Chapitre Général dans le monde des Religieux, ils représentent une certaine volonté de démocratisation au sein de l’absolutisme. Leur statut est mis au point surtout à partir de janvier 1789. Bien sûr, on tient compte de ce qui avait été vécu lors des précédents Etats Généraux, mais c’était tellement loin que cela ne pouvait guère fournir de référence. Le gouvernement s’adapte donc comme il peut, en tenant compte des protestations qui lui parviennent. Le droit de suffrage est réglé de fa- çon libérale. Les curés obtiennent le droit électoral individuel. Mais les chanoines et les régu- liers n’ont qu’un droit de suffrage à deux degrés : un chanoine sur 10, un délégué masculin pour chaque communauté religieuse d’hommes ou de femmes. Les nobles, eux, se réunissent tous en assemblée et élisent directement leurs députés. Cependant, dans la région qui va nous intéresser, il faut introduire une nuance. Comme Bourg-Argental n’est qu’un bailliage4 secondaire, les nobles de cette région délégueront seu- lement un quart d’entre eux pour les représenter au bailliage principal de Montbrison.

3 : Guerre de 1756 à 1763 qui a fait perdre à la France le Canada et la Louisiane. 4 : Un bailliage est une circonscription judiciaire de l’Ancien Régime. Il y en a 373 en 1789. Ils devien- nent circonscriptions électorales pour les élections au Etats Généraux, mais 198 seulement sont le lieu même de l’élection des députés pour Versailles. Les autres bailliages ont simplement été le lieu où des élus se sont réunis pour choisir entre eux des électeurs qui ont été se joindre aux autres élec- teurs du bailliage principal. Tel a été le cas de Bourg-Argental.

6 Les années obscures de Marcellin Champagnat Pour être éligible, dans le Tiers-État de la région de Marlhes, il faut franchir trois éta- pes : le niveau de la paroisse, puis du bailliage secondaire (Bourg-Argental), puis du bail- liage principal (Montbrison). Les possibilités d’être l’un des députés qui iront aux Etats Généraux de Versailles sont pratiquement annulées pour les petites gens, et, pour tout le territoire, aucun paysan, aucun artisan ne sera élu. Il y a bien quelques unités qui ont le titre de laboureurs, fermiers ou culti- vateurs, mais ce sont des propriétaires fonciers.

a) Cahiers de doléances.

Au moins tous ceux qui ne sont pas des indigents et qui paient un impôt, si minime soit-il, se réunissent pour exprimer leurs doléances et choisir les délégués que le village en- verra à Bourg-Argental. J.B. Champagnit5 qui a 32 ans en 1787 ne reste pas sûrement inactif dans cette agita- tion qui parcourt la France. Et il n’est pas le seul dans la famille, car nous trouverons le frère de sa femme : Barthélemy Chirat du hameau de Malcognière, en bonne place, lui aussi, dans les officiers municipaux pendant la Révolution. C’est donc dire que Marie-Thérèse Chi- rat, femme de J.B. Champagnat, n’a pas de raison d’être opposée à l’activité de son mari, surtout dans cette période préliminaire à des événements dont on n’a pas encore idée. Il n’est pas possible de dire comment Champagnat ou Chirat ont participé à la rédac- tion des Cahiers de Doléances, car, dans le secteur de Bourg-Argental, tous les « cahiers » locaux sont provisoirement perdus6 Le bailliage de Bourg-Argental, étant un bailliage secondaire, c'est-à-dire créé après 16147, donc n’ayant pas eu de député en 1614, n’avait pas automatiquement le droit d’en avoir en 1789, et il faudra qu’il insiste beaucoup pour en avoir un. L’ensemble du bailliage du Forez (Bourg-Argental + Montbrison) comprenait 364 par- celles (villages ou parties de village rédigeant un cahier), et, sur ce nombre, 119 cahiers seu- lement ont été retrouvés, c'est-à-dire le tiers.

b) Le cahier d’une parcelle.

Les Cahiers retrouvés font des critiques un peu générales : donc il ne faut peut-être pas croire qu’on trouverait dans celui de Marlhes la description d’une situation très circons- tanciée. D’ailleurs, la synthèse faite au bailliage nous donnera une assez juste idée de ce que pouvait comporter un cahier local. Pour donner cependant une idée d’un cahier de parcelle, voici des extraits du cahier de Verrières, village du Montbrisonnais, à 60 km de Marlhes, où Marcellin fera plus tard son pe- tit séminaire. Le Cahier indique d’abord les coordonnées de cette « paroisse », son nombre de feux (150), son appartenance au diocèse de Lyon, à l’archiprêtré de Montbrison, à l’élection de Montbrison. C’est ensuite le procès-verbal de la réunion du 8 mars 1789 avec le nom des partici- pants. Ceux-ci sont au nombre de 71, mais seulement 31 sont capables de signer. Verrières ne comprenant qu’une parcelle délègue seulement 2 représentants pour la réunion au niveau du bailliage.

5 : Il orthographie toujours ainsi son nom. Mais ensuite nous l’orthographierons de la façon devenue plus normale. 6 : E. Fournial et J.P.Gutton, Cahiers de Doléances de la Province de Forez. Centre d’études foré- ziennes, 2, rue Tréfilerie, 42000 Saint-Etienne ; Tome I, p. 18 et 19. Cette perte est bien regrettable. Il y a des Cahiers qui n’ont pas de graves doléances, mais tel autre, comme Oriol parcelle de St. Ferréol, exprime le profond mécontentement d’une population misérable. 7 : Date des Etats Généraux précédents. La dernière consultation populaire était donc un événement qui se perdait dans la nuit des temps.

7 Les années obscures de Marcellin Champagnat Les délibérants ont pris connaissance du cahier de Montbrison, et ils estiment que leurs doléances à eux sont très voisines de ce qu’ont dit les gens de la ville. Eux, ils sont la classe des laboureurs, mais c’est de cette classe « que naissent tous les ressorts de la ma- chine », noteront-ils avec conviction. Or, cette classe est littéralement écrasée par les impôts. « De là vient que chaque jour, on voit procéder judiciairement à la vente "mobiliaire"8 des effets, bestiaux et denrées des gens de la campagne ». Les enfants qui voient leur père sous le poids de l’oppression .. « s’expatrient, vont au service de maîtres dans les grandes villes pour aider à leur luxe. »... Les pères de famille eux-mêmes doivent s’expatrier « pour gagner quelque chose pour payer leurs impôts ». Finalement, tout tourne autour de ce problème car il rend les maîtres plus pauvres que leurs domestiques, il cause ces dévastations de bois (seul moyen de se procurer de l’argent) qui transforment le pays en désert. Il y a des récriminations contre les privilégiés : 15 familles qui possèdent la moitié des revenus. Par contre, on plaint les curés qui sont à la « portion congrue ».

c) Préliminaire à la réunion des Etats Généraux.

Dès novembre 1787, le roi lui-même avait envisagé de convoquer les Etats Généraux et, le 8 août 1788, un Arrêt du Conseil Royal prévoyait une date qui, finalement allait être le 5 mai 1789. Mais, dans la petite ville de Montbrison, chef-lieu du bailliage du Forez, les nota- bles avaient commencé, dès octobre 1788, à réfléchir aux problèmes que poserait cette ré- union. Les Assemblées primaires, elles, se réunissent dans chaque village, pour rédiger leurs « cahiers » et nommer les électeurs primaires. Les électeurs primaires de la paroisse de Marlhes se rendront à Bourg-Argental, pour y faire un cahier synthèse et choisir les grands électeurs qui, eux, iront à Montbrison. A l’Assemblée de Montbrison seront élus les députés qui formeront les Etats Généraux de Versailles. Ils seront 1.165 pour toute la France.

d) Les élections (niveau Bourg-Argental)

Les cahiers locaux ayant été rédigés et les élections faites, le dimanche 1ier mars 1789 dans les parcelles du bailliage de Bourg-Argental, les électeurs primaires se réunissent le jeudi 5 à la ville même de Bourg-Argental, dans la chapelle des Pénitents du Saint- Sacrement. Le discours d’introduction rappelle le but à poursuivre : réforme des abus, établisse- ment d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, prospérité du royaume. Le roi assure spécialement au Tiers-État qu’il fait « le sujet de sa sollicitude pater- nelle ». On rappelle aux élus qu’ils ont deux devoirs à remplir : 1ier : Synthétiser tous les cahiers particuliers en un seul ; 2ième : Choisir le ¼ d’entre eux pour l’Assemblée générale de Montbrison. La liste des participants montre l’importance assez exceptionnelle de la paroisse de Marlhes qui comprend 6 parcelles, dont chacune a droit à 2 électeurs primaires ; St. Genest, par exemple, n’a que 4 parcelles. Voici le nom des parcelles et de leurs élus : - l’Hôpital du Temple de Marlhes : Paul Lardon-Desverneys et Augustin Tardy ; - La Faye-La Faurie : Gabriel Durieu, J.C. Jabrin ; - Prélager : Antoine Courbon, Jean Servaton ;

8 : Le texte porte mobiliaire mais il doit s’agir d’une expression de l’époque car elle n’est pas dans les dictionnaires contemporains. C’est pourquoi nous la mettons entre guillemets. NDLR

8 Les années obscures de Marcellin Champagnat - Clavas et Marlhes : Barthélemy Bergeron, J.B. Gereys ; - Pébert et La Frache : André Courbon, Jean Reboud.

Jonzieux qui va souvent être cité dans ces pages, ne comprend qu’une parcelle avec, comme élus, J. Louis Deville et J. Duplay. Marlhes a donc 12 représentants sur un total de 1049, soit 1/9 du bailliage. On nomme 12 commissaires pour synthétiser les doléances et le résultat sera communiqué aux élus, le lendemain 6 mars, à 11 h, après la messe du Saint-Esprit à laquelle sont invités les repré- sentants. Effectivement, le lendemain, on lit cette synthèse, chaque article étant discuté séparé- ment et « arrêté », soit à l’unanimité, soit à la pluralité des suffrages, « avec les restrictions, les modifications et les changements qui ont été reconnus nécessaires ». C’est une commis- sion de 4 qui fait la synthèse définitive. Le samedi 7 mars, après une nouvelle lecture, le cahier est « arrêté » et « signé » par tous les présents, sauf 4 qui ne savent pas signer. L’élection du quart des présents a lieu ensuite. Sur 27 élus, il y en a deux de Marlhes : Paul Lardon et Augustin Tardy et un de : J. Louis Delavialle. Outre les pétitions du cahier lui-même, on a confié aux élus le soin de demander que, sur les 8 députés qu’enverra le Forez à Versailles, il y en ait du bailliage de Bourg-Argental et, s’il ne devait y en avoir qu’un, qu’il appartienne au Tiers-État. Voici les principales doléances du cahier synthèse : - Convocation des Etats Généraux tous les 5 ans ; - Pas d’impôts, emprunts ou lois sans l’autorisation des Etats Généraux ; - Tiers-État en nombre égal à clergé-noblesse ; - Dans les délibérations, que les suffrages soient comptés non par ordre (Tiers- État = 1 ; clergé = 1 ; noblesse = 1), mais par tête : Tiers-État = 2 ; clergé = 1 ; noblesse = 1. - Décentralisation pour la perception de l’impôt ; - Contribution indistincte par les 3 ordres à tous les impôts ; - Suppression de la corvée, de la gabelle (sel) ; - Transporter les douanes aux frontières ; - Vendre les biens domaniaux pour acquitter la dette nationale ; - Réforme du code criminel ; abolition de la torture, interrogatoire simple et naïf, peine de mort simplement contre les assassins ; - Toutes les charges judiciaires, toutes les dignités ecclésiastiques, tous les grades mi- litaires, accessibles à tout homme du Tiers-État ; - Suppression de tous les droits seigneuriaux insolites, ne tenant pas à la tradition du fond ; - Suppression de la dîme ecclésiastique ou uniformité dans sa perception (on fait con- fiance au roi pour régler cette question) ; - Division des biens communaux entre les habitants limitrophes ; uniformité dans les poids et mesures.

e) Les élections (niveau Montbrison)

Et maintenant, les 27 élus du bailliage secondaire de Bourg-Argental vont se rendre à Montbrison pour le 16 mars et ils vont y rencontrer les autres délégués du Tiers-État du bail- liage principal de Montbrison et les délégués des deux autres ordres également.

9 : Par ailleurs, le 105ième élu est absent. C’est Claude Champagnat de la Mure (St. Victor- Malescours), élu par la parcelle de Séauve Bénite. La branche Champagnat qui est venue se fixer au Rosey était, au 17° siècle, à La Mure et donc Claude Champagnat a sûrement une parenté avec Jean-Baptiste.

9 Les années obscures de Marcellin Champagnat Parmi les membres du clergé, nous trouvons Jean-Antoine Allirot, curé de Marlhes ; Louis Pauze, curé de Riotord ; Antoine Robert, curé de St. Sauveur ; Jean Gaumont, curé de La Valla. Il y a aussi beaucoup de curés qui ont donné procuration, et toutes les congrégations de femmes ont donné cette procuration à quelque prêtre, car on a beau être dans le siècle des lumières, la femme n’a encore aucun droit d’expression dans la politique. Le curé de et le curé de Bourg-Argental l’ont donnée à Jamond, curé de St. Genest-Malifaux. C’est un groupe de quelque 140 présents. Autant d’absents ont donné procuration. Le curé de Jonzieux : J. Pradier, n’apparaît ni dans la liste des présents, ni dans la liste de ceux qui ont donné procuration. Il est curé-prieur depuis 1763. Ce titre qu’il sera le dernier à porter, vient de ce que, à l’origine, l’évangélisation de Jonzieux avait été faite par les moi- nes, plus spécialement ceux du prieuré de , dépendant de la grande Abbaye de l’Ile Barbe, près de Lyon. Le curé-prieur Pradier a deux vicaires. Pourquoi est-il absent ? Boude-t-il l’idée même d’Etats Généraux ? On va voir en tout cas qu’il sera très vite en compétition avec un curé élu par le peuple. Dans le groupe de la noblesse, on trouve Antoine Courbon de St. Genest-Malifaux. 84 nobles sont présents et 62 autres ont donné procuration. Quant au Tiers-État, il atteint le chiffre de 186 pour le bailliage de Montbrison, plus les 27 du bailliage de Bourg-Argental. On commence par la messe et on prend séance près de l’autel, le clergé à droite, la noblesse à gauche, le Tiers en face. Les 3 ordres réunis vont essayer de rédiger maintenant un cahier général des doléan- ces communes à la Province du Forez. Des commissaires sont établis pour faire cette syn- thèse. Tour à tour les 3 ordres éliront les députés qui devront rejoindre Versailles et former l’assemblée des Etats Généraux. Les deux élus du clergé sont Goulard, curé de et Gagnière, curé de St. Cyr10 Le 23 mars est le jour de la noblesse. Elle se déclare prête à abandonner tous ses pri- vilèges pécuniaires et elle offre de contribuer en proportion de ses moyens au paiement des impôts. « Jamais, dit Taine, l’aristocratie n’a été aussi digne du pouvoir qu’au moment où elle allait le perdre ». Ses élus seront J.B. de Nompère et Charles-Henri, comte de Grézoles. La noblesse est d’accord pour que le Tiers-État, dans les Assemblées, ait une repré- sentation égale à Clergé + Noblesse. Mais elle a aussi ses doléances : elle demande l’abolition des lettres de cachet, l’égalité des 3 ordres devant l’impôt, spécialement devant l’impôt foncier. Elle se penche sur le sort des curés : qu’à partir de la masse de biens de l’Eglise on leur trouve une dotation et aussi les moyens d’entretenir les biens du culte. Elle suggère que soient supprimées les maisons religieuses qui ont moins de 9 religieux et que les aliénations qu’on pourra ainsi faire aillent à éteindre la dette du clergé. Pour les droits féodaux, elle est d’accord, non de les supprimer purement et simplement, mais de les racheter, c'est-à-dire de dédommager les titulaires de ces droits.

10 : Les cahiers du Clergé ont des doléances assez particulières : - supprimer la mendicité des religieux ; - faciliter l’établissement des écoles ; - pourvoir à la retraite des curés après 15 ans de service ; - mettre un frein à la licence de la presse ; - trouver le moyen d’atteindre les capitalistes ; - donner des encouragements pour le « repeuplement des bois » ; - diminuer le nombre d’étangs, nuisibles à la santé et à l’agriculture. (Ces étangs se trouvaient surtout dans les plaines) ; - libérer les nègres ; - et, en outre, bien des choses communes avec les doléances du Tiers-Etat.

10 Les années obscures de Marcellin Champagnat Elle sollicite la séparation de Province du Forez de celle de Lyon « dont le génie com- merçant est trop différent ». Ce qu’on peut dire c’est qu’il y a peu de tiraillements, et, au contraire, une grande vo- lonté d’entente entre les 3 ordres. Une première preuve sera l’élection d’un membre de la noblesse : le Marquis de Ros- taing, comme député du Tiers-État. Les 3 autres seront Jamier, bourgeois de Montbrison ; Richard de Maisonneuve, bourgeois de Bourg-Argental ; Delandine avocat à Lyon. Ce qui confirme d’ailleurs que le Tiers-État est loin d’être représenté par des hommes du peuple.

11 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre II. MARLHES ET SA REGION - LES CHAMPAGNAT. SITUATION SOCIALE A PARIS ET DANS LA REGION EN 1789.

1. – Le village de Marlhes : situation administrative

En 1789, Marlhes fait partie linguistiquement et religieusement du Velay. Son dialecte est provençal et non franco-provençal (dialecte de l’ensemble du Forez). Cependant il est rattaché à la Province du Forez, mais au titre de « ressort du Velay ». Du point de vue admi- nistratif et financier, il dépend de la généralité de Lyon, divisée en 5 élections, l’une d’elles étant St. Etienne. Du pont de vue de la justice, il dépend du bailliage de Bourg-Argental. L’Ancien Régime s’accommodait de ces complications. La Révolution va les simplifier et Marlhes deviendra un canton du département de Rhône-et-Loire et, par voie de consé- quence, paroisse du diocèse de Lyon. Les nouveaux départements coïncident, en effet, avec les diocèses. Du point de vue de l’administration civile, Marlhes dépendra du district de St. Etienne.

2. – Son importance.

Ce n’est pas une petite paroisse négligeable : nous l’avons vu, par l’importance numé- rique de ses députés au bailliage. Le nombre de ses habitants est légèrement inférieur à celui de sa voisine : St. Genest- Malifaux. Les chiffres donnés par les curés en 1791 semblent assez exacts, car le salaire qu’ils demandent comme compensation de la nationalisation des biens du clergé sera en fonction de l’importance de leur paroisse, et les contrôles doivent être prévus. Or, pour Marl- hes, on déclare 2.575 âmes ; pour Jonzieux 775 et pour St. Genest-Malifaux :2.80011. Le premier vrai recensement en 1806 donne des chiffres un peu inférieurs : Marlhes : 2.371, St. Genest-Malifaux : 2.538. Pour ne pas alourdir ce chapitre, nous donnons en an- nexe quelques réflexions sur les évaluations de ce temps.12 Ce qu’il faut signaler tout de suite, cependant, c’est l’importance de la montagne par rapport à la plaine du Forez, estimée insalubre à cause de ses étangs. Comme dit E. Four- nial13 :« En 1789, ce sont les monts qui, en Forez, représentent la zone dynamique de la Province, la plaine, la zone ‘’sclérosée’’ » même, qui va être un temps capitale de cette région, n’a que1.837 habitants au recensement de 1806, et Bourg-Argental, en dépit de son titre de chef-lieu de bailliage, n’en a que 1.382.

3. – La famille Champagnat.

Dans ce gros village, quelle est la situation des Champagnat ? A cet égard, les regis- tres paroissiaux peuvent nous donner quelque lumière.

11 : A.D.L., L. 997. 12 : Voir annexe N° 1, à la fin du volume. 13 : E. Fournial et J.P. Gutton, Cahiers de Doléances de la Province du Forez, centre d’études foré- ziennes, 2 rue Tréfilerie, St. Etienne, Tome I, p. 10.

12 Les années obscures de Marcellin Champagnat Dans l’acte de mariage de Jean-Baptiste, le 21 février 1775, son épouse Marie- Thérèse Chirat et lui-même sont qualifiés « d’honnêtes 14» (honnête J. Bte Champagnat marchant, ..... honnête Marie-Thérèse Chirat), ce qui est caractéristique de la condition de petite bourgeoisie terrienne. Il n’est pas facile de juger de l’instruction de l’épouse. Dans l’acte religieux de mariage, il y a deux signatures Champagnat, l’une orthogra- phiée Champagniat, ce qui sera toujours la graphie employée par Jean-Baptiste, l’autre Champaignat, ce qui montre la difficulté qu’ont eue diverses langues face à la iotisation du N : ñ, nh, gn, ign, gni, etc...... Dans les témoins nommés, deux ne savent pas signer. Mais les deux Chirat, père et fils, signent la seconde signature, Champaignat semble être celle de Claude, oncle ou grand- oncle. Mais alors, pourquoi dans ce contrat de mariage, déclare-t-elle ne pas savoir signer ? Peut-être a-t-elle peur d’un nom beaucoup plus difficile à écrire que celui de Chirat. Cepen- dant, si on lui dit, lettre par lettre, elle veut bien essayer. La peur d’écrire était égale dans le monde des congrégations très voisines d’un peuple peu lettré. A Marlhes, les Sœurs de Saint-Joseph sont régulièrement déclarées rubanières et Louise, sœur de Jean-Baptiste, quand elle devra signer, signera Champaiat, n’arrivant pas à affronter la difficile graphie : GN. Dans une ville comme Lyon, pour l’ensemble du 18° siècle, 1 homme sur 4 et 1 femme sur 8 savent signer leur nom avec cependant un progrès vers la seconde moitié du siècle. Mais en campagne, dans un pays de neige et de mauvais chemins, et quand on habite hors du bourg, la proportion est sans doute plus mauvaise. Quoi qu’il en soit, instruits ou non, les deux époux sont d’une catégorie sociale qui se détache un peu du commun. C’est dans cette classe de citoyens actifs et éveillés que peu- vent se trouver les éléments susceptibles de faire la Révolution. Chef d’une famille nombreuse, sûr de lui-même et plein d’ambition, tel est Jean- Baptiste Champagnat, face à un avenir qui s’avère fertile en possibilités15. Les contrats de mariage sont parmi les documents les plus éclairants sur la situation sociale des époux. Or l’épouse apporte 2.862 livres de dot. L’époux ne doit pas apporter moins car il a l’entière hé- rédité de feu son père avec seulement obligation de payer divers droits à sa mère qui conti- nuera d’habiter dans la maison. Or, si l’on se réfère à l’étude de Maurice Garden (Lyon et les Lyonnais au XVIII° siècle, Flammarion 1975), un contrat entre 5.000 et 10.000 livres, pour les deux époux, situerait le nouveau ménage au moins dans les 10 % plus riches de la ville de Lyon16, s’ils étaient Lyonnais. On est donc bien moins étonné de voir que le père de Jean-Baptiste ait fait donner une assez bonne instruction à son fils. Dans quelle école ? Ce pourrait être Saint Sauveur qui, depuis le temps déjà lointain des Bénédictins de La-Chaise-Dieu, a un assez net avantage sur d’autres communes.

4. – Le contexte social régional en 1789.

Nous venons de voir les préliminaires d’une réforme, et celle-ci pouvait paraître des plus saines et des plus désirables. Une société fragmentée en 3 classes semblait décidée à agir fraternellement comme une grande famille, grâce à un roi qui s’en déclarait le père.

14 : Littré définit « honnête » : qui n’appartient ni à la classe basse, ni à la classe « élevée », et l’éclaire d’une citation de Rousseau :« Il s’est informé de votre naissance, on lui a dit qu’elle était ‘’honnête’’ ». Le mot honnête est fort équivoque à l’oreille d’un gentilhomme. 15 : L’acte de baptême de Marcellin, 14 ans après l’acte de mariage ci-dessus évoqué, indique tou- jours la même condition sociale du père :« honnête J.Bte Champagnat, marchand ». Marcellin est le 9ième enfant. Après lui, en naîtra encore un 10ième . 16 : Pour les années 1749-50, les contrats de 10.000 livres et au-dessus correspondent aux 4,5% plus riches. Pour les années 1786-89, aux 6,6% plus riches.(Etude faite sur 10.000 contrats).

13 Les années obscures de Marcellin Champagnat A vrai dire, il faut tout de même relativiser les idées égalitaires. Ceux qui sont trop pau- vres pour payer la moindre contribution sont exclus de la consultation de mars 1789, mais cela n’est guère plus ressenti comme une injustice que l’absence des femmes à cette même consultation. Les idées d’émancipation vont venir très vite, mais il faut leur donner le temps d’éclore. Disons en tout cas que si la bourgeoisie de 1789 n’a qu’un souci bien relatif des plus pauvres, c’est pourtant la misère populaire qui va servir de détonateur à l’explosion révolu- tionnaire. L’hiver de 1788-89 fut terrible. Il se termine le 19 janvier, mais a sévi depuis novembre. On n’a pas connu d’équivalent depuis 1709. Beaucoup d’arbres, de vignes, de blés furent gelés. En 1789, le pain de seigle se vend deux sous et trois deniers17 la livre, et le salaire journalier de ceux qui étaient ouvriers (par exemple, à St. Etienne ou à Firminy, dans la quincaillerie) arrivait rarement à 20 sous par jour. Une lettre des échevins de St. Etienne, le 26 décembre 1789 dira que la ville a 4.000 indigents sur 28.140 habitants. Dans les campagnes, comme Marlhes, la situation n’est pas meilleure, car le département est plutôt défavorisé par rapport à l’ensemble de la France, si du moins il faut tenir compte d’une enquête menée en 1790 par le Comité de mendicité de l’Assemblée Constituante. Dans cette enquête, la proportion des indigents en France est es- timée à 1 sur 9, alors qu’à St. Etienne, elle serait de l’ordre de 1 sur 7.

5. – Les événements précurseurs du 14 juillet 1789.

Cependant on peut dire qu’il n’y a aucun plan de révolution avant la réunion des Etats Généraux. Mais celle-ci ouvre d’immenses perspectives à une population qui avait consigné ses justes revendications dans les Cahiers de Doléances. Cette réunion a lieu à Versailles, le 5 mai 1789. Dès le début, le Tiers-État (c'est-à-dire, encore une fois, la bourgeoisie) affirme sa volonté de prendre la tête du mouvement. L’éloquence enflammée de Mirabeau va puissamment y contribuer. Dès le début, les dépu- tés de ce Tiers-État exigent le vote par tête et déclarent qu’ils ne sont pas seulement là au ti- tre d’Etats Généraux mais à celui d’une Assemblée Nationale où les 3 ordres délibéreront en commun. C’est la proclamation du 17 juin. Les députés du Tiers vont entraîner l’Assemblée dans ce sens. Plus exactement, c’est le clergé qui, en se joignant assez massivement au Tiers, fait pencher la balance, et l’on pourra dire, non sans raison :« Ce sont ces f..... curés qui ont fait la Révolution. » Par ailleurs, ce Tiers-État bourgeois va vite être dépassé par la violence des émeutiers parisiens qui mèneront les diverses assemblées bien plus loin qu’elles ne voudraient. « La Révolution va se faire, parallèlement, dans l’ordre, selon le rythme des législa- tions, dans le désordre au rythme des mouvements de rue, ceux-ci gagnant bientôt sur la lenteur des institutions ». (Guide de la Révolution française, p. 12) Mais, en attendant, le Tiers-État peut se croire maître de fronder impunément le pou- voir royal. En deux mois, il a remporté sa première victoire. Le roi ayant fait fermer la salle des délibérations, 600 députés (sur 1.000) se transportent, le 20 juin, dans la salle du Jeu de Paume et jurent de ne pas se séparer avant d’avoir « établi la Constitution du Royaume ». Le roi veut faire évacuer cette salle, mais Mirabeau donne alors la célèbre réponse : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes18 ». Les cahiers de Doléances avaient bien exprimé le souhait de donner une Constitution au Royaume, mais qu’elle fût imposée dès le départ, n’était pas prévu au programme.

17 : Le denier est le 1/12ième d’un sou. 18 : Sans doute, la phrase a-t-elle pris un tour plus oratoire lorsque, au cours des années, elle a été transmise à la postérité. Deux escadrons furent d’ailleurs envoyés, mais plusieurs nobles ralliés au Tiers, La Fayette, Liancourt ... s’opposèrent à leur passage. (Lavisse, La Révolution, Hachette 1920, p. 33)

14 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 27 juin le roi s’incline, et même invite tous les députés à former une Assemblée Na- tionale. Cependant, dans le même temps, il pense à réunir des troupes autour de la capitale et on se met à craindre que les privilégiés n’obtiennent la dissolution des Etats Généraux ; on commence çà et là à s’armer, sans bien savoir contre qui. On parle d’une armée de « bri- gands » au service des aristocrates. Il y a donc une « peur » collective qui commence début juillet. Necker ayant désap- prouvé les mouvements de troupes autour de Paris est renvoyé et cela apparaît à la foule comme un prélude au coup de force que, pense-t-on, médite le roi. Le rôle des agitateurs ai- dant, on aboutit en 3 jours à cet état d’excitation qui va se traduire par les violences du 14 juillet. Des émeutiers s’attaquent aux dépôts d’armes et s’emparent de la Bastille19. Cette forteresse est bien plus un symbole de l’arbitraire royal qu’une redoutable prison. Le gouverneur et le prévôt des marchands seront massacrés par des énergumènes de la fa- çon la plus horrible. Depuis lors, on fête cet anniversaire, mais, ce jour-là, toute l’Assemblée de Versailles était consternée. Ceux qu’on appelait des « capitalistes » n’étaient sans doute pas pour rien dans cette émeute ; elle était pour eux un moyen de faire rappeler Necker, l’homme qu’ils acceptaient pour ne pas perdre leur rente.

6. – Et les retentissements en province. Jacquerie ou psychose ?

Mais l’événement alimentait la peur. Dans toutes les provinces le peuple en armes s’empare des pouvoirs municipaux. Les paysans veulent brûler les vieilles chartes où sont inscrits les droits seigneuriaux ; çà et là, on incendie même des châteaux et, dans les trois quarts de la France, toute la deuxième quinzaine de juillet va vraiment être vécue sous le si- gne de la « Grande Peur ». Elle s’éteindra ensuite très vite, mais, le temps d’un éclair, elle aura fait comprendre à la bourgeoisie que même le droit de propriété auquel elle tient tant, pourrait bien être remis en cause20. Nous n’avons pas de témoignage de la réaction suscitée à Marlhes par l’événement, mais, par exemple, à La Valla (qui est à 30 km de Marlhes), nous avons le récit d’un secré- taire de mairie : Jean-Louis Barge qui fait largement allusion à cette « Grande Peur ». Nous lui laissons, bien entendu, la responsabilité de son interprétation. Disons simplement qu’il est d’une tendance politique qui paraît très proche de celle de Jean-Baptiste Champagnat : favo- rable aux idées nouvelles mais détestant les excès. Voici donc quelques extraits de son ré- cit :« Les agents révolutionnaires avaient tout prévu et tout préparé depuis un demi-siècle pour opérer un soulèvement général dans toute la France et abolir l’ancienne forme de gou- vernement. A cet effet, l’alarme fut générale ; le tocsin sonna partout. En 48 heures, des bruits sourds et confus se répandirent de bouche en bouche, disant :" Des troupes de bri- gands étrangers sont rentrés en France pour nous égorger. On a ouvert les portes des pri- sons et des galères pour grossir le nombre des meurtriers, etc." ..... ce fut par ces voix-là que le peuple ému prit les armes et la Révolution s’opéra » .

19 : Dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand, qui était présent, donne sa version de ce spectacle ignoble :« Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et des sans-culottes commençaient à ré- gner et leur faisaient escorte. Les passants se découvraient avec le respect de la peur.. » (Mémoires d’Outre-Tombe, Hachette, 1961, I, 150.) 20 :« La Grande Peur ébranla si violemment les campagnes qu’elle y est restée longtemps le souvenir le plus vivace qu’elles aient gardé de la Révolution : 1789 fut pour elles « l’annado de la paour » comme l’on disait dans le Midi ». (Lavisse, la Révolution, I 64)

15 Les années obscures de Marcellin Champagnat « Ce faux bruit parvint au chef-lieu de La Valla, le 28 juillet 1789, à 4h30 du soir. Les femmes ‘’éplorées couraient en troupes dans les rues..’’ Nous allons tous périr par le fer ou le feu, disait-on. Une multitude de brigands vomis de l’étranger, de nos galères, saccage tout, brûle tout, les bonnes maisons du Dauphiné sont déjà en cendres, etc...... » A La Valla, et sans doute dans bien d’autres endroits, c’est cette psychose qui suscite spontanément la constitution d’une milice. Voici, en effet, ce qu’écrit encore J. L. Barge :« Etant sorti comme les autres pour voir de quoi il s’agissait, plusieurs hommes vinrent à moi, et me proposèrent d’être leur comman- dant comme étant un ancien militaire (il a à ce moment 29 ans) ; il était question d’aller à la recherche de ces prétendus ennemis. Le nombre d’hommes rangés sous mon commande- ment était inférieur à celui de ceux qui avaient perdu la tête et s’étaient enfuis. » Et, d’ailleurs, même ceux qui suivent Barge le suivent comme des affolés qui ne savent pas trop ce qu’ils font. Chacun des habitants semble affairé à cacher ce qu’il a de plus pré- cieux, y compris le vieux curé Desbruyères et les dames Ferriol (les châtelaines) qui cachent leur argent dans la terre de leur jardin. Toute la nuit, on entend des cris. Il y a quand même les Sœurs de St. Joseph, et aussi 3 dévotes, qui prient Dieu , sans doute à voix assez haute pour qu’on l’ait remarqué. Finalement, au point du jour, quelques personnes commencent à vouloir savoir des nouvelles et accourent vers l’église où le tocsin sonne continuellement. C’est le vicaire Cha- puy qui les accueille et les mène (sans doute en procession quasi spontanée) à la Chapelle de Leytra. De là il les harangue, leur fait part de malheurs qui vont arriver et engage tous ceux qui sont en état de porter les armes à se ranger sous le commandement de Barge. Ils doivent même aller chercher tous les autres qui sont restés chez eux pour qu’ils se joignent à la troupe. Et il donne « en masse à ceux qui étaient armés sa bénédiction et l’absolution ». La cure leur fournit même des munitions et à Barge un ordre conçu en ces termes :« Il est enjoint de la part de Monsieur Royer, à tous ceux qui sont en état de porter les armes de se réunir et de marcher sous son commandement, sinon d’être fusillés de suite ». Le ton de cet ordre de mission montre bien à quel point les esprits pouvaient être su- rexcités. Sans doute, la prise de la Bastille, bien connue maintenant, ce 28 juillet21, trouvait les interprétations les plus fantaisistes, et Barge a soin de faire remarquer que, par bonheur, tous les gens de sa troupe étaient des braves gens, sans quoi ils auraient fait « plus de mal que les prétendus ennemis qu’ils allaient combattre ».. Il faut aussi dire que ce 28 juillet pouvait être le contrecoup, à La Valla, d’un premier contrecoup ressenti à St. Etienne le 24 juillet. St. Etienne avait-il voulu, ce jour-là, avoir sa petite prise de la Bastille ? Disons qu’il s’agit plutôt d’une réaction nettement bourgeoise contre des privilèges aristocratiques. Des bourgeois de la ville saccagent la mine que le marquis d’Osmond a ouverte à Roche-la- Molière, suite à une concession royale, pour exploiter le sous-sol. Un nouveau problème est posé : le sous-sol est à tout le monde et personne ne peut s’en réserver la possession ex- clusive. D’autres incidents auront lieu jusqu’à la fin de la même année où la violence trouve d’autres mobiles : xénophobie, et méfiance viscérale à l’égard des techniques qui entraînent le chômage. Ce sont, en effet, des Liégeois et des Allemands qui sont pris à partie et dont on brise les outils perfectionnés. Les chefs des corporations sont dépassés par leur base. En particu- lier les 1 et 2 septembre, on détruit l’atelier de Sauvade, inventeur d’une machine dont on es- time qu’elle crée du chômage.

21 :Elle l’a été à St. Etienne le 18, à Marlhes le 19. Et à St. Etienne, le 26, on célèbre la prise de la Bastille par un Te Deum à la Grande Eglise.

16 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il est donc bien difficile d’imaginer qu’un village important comme Marlhes n’ait pas eu ses têtes chaudes et ses femmes éplorées créant un certain climat de panique. Et c’est sans doute à partir de là que se lèvent des hommes d’action : un Jean-Louis Barge à La Valla ou un Jean-Baptiste à Marlhes, qui se disent : ‘’Il y a quelque chose à faire’’ ; nous ne verrons agir Jean-Baptiste Champagnat que deux ans plus tard - parce qu’il n’a pas écrit ses mémoi- res -, mais il est assez curieux de constater qu’il est un de ces hommes à qui, spontanément, des gens armés demandent d’être groupés et dirigés. C’est dire aussi que, comme Barge, il devait bien avoir reçu une certaine préparation militaire. Il est même piquant de voir que Barge dont nous sommes sûrs qu’il a été militaire n’apparaît que comme adjudant dans la liste de la garde nationale de La Valla en 1792, alors que Champagnat, en 1791, à Marlhes, apparaît comme colonel22.

7. – Nuit du 4 août.

Un des résultats de la « Grande Peur » devait être aussi de créer la panique dans l’Assemblée et de provoquer des décisions plus émotionnelles que réfléchies. Les députés du Tiers-État allaient donc défendre quelques revendications paysannes pour « endiguer » le mouvement révolutionnaire. Pendant la nuit du 4 août, la noblesse et le clergé décidaient de se sacrifier et, dans l’enthousiasme, l’Assemblée décrétait l’abolition du régime féodal et des privilèges, l’égalité devant l’impôt, la suppression des dîmes. C’était vraiment un acte irrai- sonné, car cette abolition des privilèges était aussi une abolition des charges. Il restait des droits seigneuriaux odieux, mais d’autres avaient leur raison d’être. En compensation de ses privilèges, la noblesse payait l’impôt du sang, c'est-à-dire était la seule ou presque, astreinte au service militaire. Désormais, elle s’en libère. Le clergé renonce à la dîme mais, par le fait même, il renonce aux services d’assistance publique qu’il accomplissait grâce à elle. Cette nuit est plus une nuit de panique que d’enthousiasme, car les jacqueries qui se sont déclen- chées à la suite du 14 juillet ont jeté l’épouvante dans l ‘Assemblée . « On a déraciné l’arbre qu’il eût fallu émonder », dira Rivarol. Et Mirabeau qui était absent cette nuit-là, blâmera ce « tourbillon électrique ». Désormais, c’est à l’Etat de tout faire, et sans argent, car ce que le peuple a surtout compris, c’est qu’il est délivré de toutes ses obligations. On verra s’il est facile à Jean- Baptiste Champagnat de faire rentrer quelques impôts quand il sera président de la Munici- palité ! Mais, provisoirement, cette décision, largement diffusée par journaux, brochures et images, apporte l’apaisement aux troubles ruraux. Cet apaisement est, sans doute, dû aussi au fait que les municipalités, qui se sont organisées, ont droit de requérir la force armée pour « dissiper les attroupements séditieux ».

22 : Voici ce que l’on peut dire sur l’armée avant 1789. Le roi entretenait une armée de mercenaires français et étrangers recrutées par racolage, moyennant prime et, le plus souvent, sur promesses fal- lacieuses. Il y avait aussi des « levées au sort » et, par exemple, en 1765, on comptait 105 bataillons de 700 hommes. Ces milices s’appelaient « régiments provinciaux ». l’équipement était à la charge des paroisses. La durée du service était de 6 ans. Si on tirait un mauvais numéro, c'est-à-dire un numéro qui imposait de faire 6 ans de service, on pou- vait payer un remplaçant. Selon les périodes - paix ou guerre- le prix pouvait varier de 600 à 6.000 fr. Ce dernier chiffre sera atteint lors de la guerre de Russie, car sous la Révolution et sous Napoléon, le principe a été le même, avec la différence qu’il s’agissait alors de levées incomparablement plus nombreuses que sous l’Ancien Régime. On verra aussi qu’il a des levées de « volontaires », à raison d’un certain nombre par communes. Dans ce cas, le « volontaire » fixe une somme que la commune lui paye, suite à une collecte.

17 Les années obscures de Marcellin Champagnat 8. – Les Journées d’octobre 1789.

Les violences de Juillet, qui paraissaient éteintes, se rallument cependant, et on a même pu dire que la Révolution avait commencé en octobre 1789. D’une part, l’Assemblée craint que le roi, s’il reste à Versailles, ne se laisse influencer par la Cour ou l’armée, et ne mette son veto à l’élaboration d’une Constitution ; et, d’autre part, à Paris, les agitateurs : Camille Desmoulins, Marat, excitent la foule par des discours ou par la presse. Le 5 octobre 1789, le pain ayant manqué à Paris, des Parisiennes se dirigent sur Ver- sailles. La Fayette les fait accompagner par la Garde nationale dont il a la direction, mais, de nouveau, l’émeute est sanglante comme le 14 juillet. Des gardes du corps sont égorgés dans le château de Versailles et la foule réclame la présence du roi à Paris. Dix jours plus tard, roi, reine, dauphin et députés sont donc emme- nés en ridicule procession jusqu’à la capitale. Les uns et les autres sont désormais les ota- ges de la Commune qui gouverne Paris. Il faut bien noter d’ailleurs que cette première Commune est très modérée. Lavisse peut même dire qu’elle était « l’élite de la bourgeoisie intellectuelle et commerçante de Pa- ris », avec Bailly comme maire ; Lavoisier est un des membres de cette municipalité. Pour le bon peuple, c’est plutôt une joie de voir revenir le roi à Paris, après 120 ans d’absence. Mais désormais l’Assemblée Constituante sera à la merci des pressions populai- res. Elle ne sera plus vraiment libre.

9. – Et leur retentissement en province.

La réaction à cet événement ne tarde pas à se manifester à St. Etienne. En novembre 1789, une émeute populaire est, là aussi, sur le point d’aboutir à une « commune ». Il s’agit d’un armurier nommé Claude Odde qui a répandu le bruit que les armes de la Manufacture sont expédiées à l’étranger pour armer les émigrés (car la première émigration date de juillet 1789). Il est conduit à la prison de Montbrison sous l’inculpation de calomnie et, effective- ment, la nouvelle est fausse. Mais les ouvriers décident d’aller le délivrer. Ils s’emparent de 5.612 fusils et ramènent en triomphe leur prisonnier libéré. Les ouvriers se contentent de ce succès et laissent peu après les échevins reprendre leurs fonctions, mais déjà s’est manifestée ainsi une réalité d’un Quart-Etat qui ne se recon- naît pas dans le Tiers-État et prend conscience de n’avoir rien de commun avec une bour- geoisie qui ne fait que l’exploiter. Les armes sont rendues mais l’ambiance d’insurrection est latente et un contingent de cavalerie, envoyé par le Ministre de l’Intérieur, aidera St. Etienne à retrouver le calme, puis à se constituer une milice. D’autres mesures de précaution sont prises pour tranquilliser les propriétaires. La confusion et les désordres sociaux qui ont surgi pendant les premiers mois de la Révolution se prolongeront et même s’aggraveront dans le département au cours de l’année 1790. Comme suite à l’accaparement du grain par les riches, le pain deviendra rare et cher : comme il est la base de l’alimentation des pauvres, les municipalités devront en surveiller la vente jusque vers le milieu de 1791, où la récolte sera plus rassurante. Mais sur ce fond social, la vie politique et administrative de la Révolution se constitue et il faut maintenant en signaler les premières étapes.

18 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre III. ORGANISATION ADMINISTRATIVE SOUS L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE

1. – Mesures administratives générales.

Le décret du 22 décembre 1789 a décidé un certain nombre de mesures administrati- ves: - La France sera divisée en départements, districts et cantons ; - Un nouveau système électoral mettra en place les administrations de ces divisions du pays ; En chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne, il y aura une municipa- lité. Comme tout le monde n’avait pas l’âme révolutionnaire, ces mesures étaient plus ou moins bien acceptées selon les départements. Pour la région de St. Etienne23 qui nous oc- cupe, la constitution du département lui-même ne se fait pas sans heurts. Finalement, le 15 janvier 1790, l’Assemblée Nationale peut décider par décret que Forez, Beaujolais et Lyon- nais seraient réunis en un seul département nommé Rhône-et-Loire. Pour la zone de Bourg- Argental, un décret du 24 janvier 1790 laissait ouvert un choix ultérieur éventuel en faveur du rattachement au Vivarais (devenu département de l’Ardèche). Le 30 janvier 1790, les députés de Rhône-et-Loire se réunissaient pour régler la divi- sion de leur département en districts et cantons.

2. – Atermoiements.

Le 25 février 1790, la division est mise au point. Le département de Rhône-et-Loire comprendra donc 6 districts : Lyon, la campagne de Lyon, St. Etienne, Montbrison, Roanne, Villefranche. Le district de St. Etienne comprend 14 cantons24. Marlhes est un de ces cantons comprenant 3 paroisses : Riotord, Jonzieux, Marlhes. Dans l’Assemblée primaire du 14 mai 1790, Riotord demande à être rattaché à la Haute- Loire, mais dans la réunion des « électeurs » du 23 juin un souhait un peu différent est ex- primé. La partie du Riotord plus proche de Marlhes voudrait appartenir au Forez, l’autre au Velay25. Maintenant que la division est faite, il faut mettre en mouvement les gens qui doivent agir et que l’on nomme justement les « citoyens actifs ». La Constituante a adopté une légi- slation qui est bien loin du suffrage universel. Pour être citoyen actif, il faut payer un impôt annuel égal à 3 journées de travail. Au début de 1790, le prix de la journée est évalué à Lyon à 10 sols (un demi-franc) ; ailleurs, à 6, 8 sols. Donc, on peut être citoyen actif si l’on paye un impôt entre 18 et 30 sols. Plusieurs municipalités abaisseront même le chiffre minimum au- dessous de 18 sols. Pour la France, il y aura 4.300.000 citoyens actifs sur 24 millions d’habitants. Le département de Rhône-et-Loire en a 91.800 ; le canton de Marlhes 658.

23 St. Etienne, ville qui s’est développée au cours du 18ième siècle, n’a pas encore l’importance admi- nistrative proportionnelle à sa population. Elle n’a aucun représentant aux Etats Généraux de 1789. 24 : Le canton est d’abord une circonscription seulement judiciaire (Décret 16 août 1790) 25 : E. Brossard et J. de Fréminville, Histoire du département de la Loire pendant la Révolution fran- çaise, St. Etienne 1905, I, p. 346.

19 Les années obscures de Marcellin Champagnat Dans chaque canton, il faut donc convoquer ces citoyens actifs qui doivent choisir ceux que l’on nomme « électeurs », lesquels, à leur tour, se réuniront au chef-lieu pour élire les administrateurs du département, puis, un peu plus tard, les administrateurs des districts. Pour être « électeur », il faut se trouver parmi les 50.000 Français les plus riches ; il y a un « électeur » pour environ 100 citoyens. Donc le canton de Marlhes, dans son assemblée primaire de 658 personnes choisira sept « électeurs ». Pour éviter les troubles et aussi les retards dus à la mauvaise volonté, il est prévu que le roi nomme des commissaires qui ne doivent pas influencer mais aider. Ils convoquent les citoyens actifs, indiquent le lieu, le jour de la réunion, répondent aux questions d’éclaircissement posées par l’Assemblée, etc. Des difficultés surgissent d’abord au niveau des commissaires et c’est seulement le 6 mars que le roi peut en nommer 3 qui acceptent. L’un de ceux-ci, De Saint-Vincent, a ren- seigné l’Assemblée Nationale sur l’état d’esprit du département de Rhône-et-Loire, dans les termes suivants : « Mon devoir ne me permet pas de vous dissimuler que le plus grand nombre de dis- cussions qui se sont élevées dans nos cantons ont, pour principe, l’ignorance absolue du peuple de nos campagnes qui ne voit presque point vos décrets et qui n’est point éclairé par ses pasteurs qui, en général, sont des ennemis irréconciliables de la Révolution, et cepen- dant se sont fait élire, dans un grand nombre de paroisses, maires ou procureurs de la commune... Soyez donc bien sûrs, Messieurs, que, s’il est difficile à un noble de s’assouplir sous la nouvelle Constitution, ce sera pour le clergé le chameau par le trou de l’aiguille ; leurs préjugés, leur éducation, leurs intérêts, leurs principes de domination seront d’éternels obstacles à leur patriotisme26... »

3. – Elections des administrations des départements et des districts.

Quoi qu’il en soit, les Assemblées Primaires peuvent avoir lieu courant mai, surtout le 14 mai, comme c’est le cas pour Marlhes. L’Assemblée des « électeurs » du département de Rhône-et-Loire se réunit à Lyon, le 7 juin 1790, pour nommer l’administration du district de St. Etienne. Pezant, président du bureau de cette Assemblée, chargé du discours de clôture ap- prouvé et envoyé à l’Assemblée Nationale, évoque assez clairement les obstacles qu’il a fal- lu surmonter pour arriver aux résultats acquis pendant cette première année de la Révolu- tion : « D’odieuses prééminences élevaient les Français au-dessus des Français... Indignés de cette foule d’abus, vous avez dit : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ; aussitôt le colosse de la féodalité s’est brisé avec éclat .... Nous avons enfin une Pa- trie, une Constitution et des Lois ; nous aurons des mœurs pures, une paix inviolable, une prospérité sans mélange, un système de finance sans déprédations.. Nous vous conjurons de ne point abandonner le Poste dans lequel notre juste confiance vous plaça, que vous n’ayez posé la dernière pierre de l’édifice majestueux de la Constitution27... » Qu’on ne se leurre pas trop sur l’idéal de justice ici exprimé. Nous le retrouverons à peu près identique sous la plume de Jean-Baptiste Champagnat l’année suivante. Les élus du 7 juin 1790 sont des hommes appartenant en général à la bourgeoisie. Ils sont attachés à la Révolution parce qu’elle favorise leur classe sociale mais ils ne veulent surtout pas d’une Révolution qui nuirait à leur fortune. Ils sont donc décidés à soutenir la Monarchie constitu- tionnelle et à s’opposer aux empiétements des patriotes exaltés.

26 : E. Brossard, op. cit., I 262-3. 27 : E. Brossard, op. cit., p. 271, 272.

20 Les années obscures de Marcellin Champagnat A l’Assemblée Nationale, en tout cas, on ne compte guère sur le département de Rhône-et-Loire comme sur un département progressiste : on s’en méfie plutôt comme d’un département conservateur. Voici, par exemple, comment Madame Roland apprécie, le 22 juin 1790, les élections de Lyon : « La cabale a presque tout fait pour le département de Lyon, Lyon dans lequel il n’y a pas ce qu’on appelle un homme dans un pays libre, je veux dire un être qui, à la connais- sance des Droits de l’homme et des devoirs d’administrateurs, joigne le caractère et les ta- lents nécessaires pour défendre les uns et suffire aux autres. Il règne dans ce pays la qua- druple aristocratie des prêtres et des petits nobles, des gros marchands et des robins. Ce qu’on appelait les honnêtes28 gens, dans l’insolence du vieux régime, présente à peine quel- ques patriotes ; il n’y a que le peuple qui chérisse la Révolution parce que son intérêt tenant immédiatement à l’intérêt général, il est juste, par sa situation comme par sa nature ; mais ce peuple, peu instruit, est en proie aux insinuations et, lors même qu’il juge bien, il a encore cette timidité et cette flétrissure des fers qu’il a si longtemps portés29 ». Trois ans plus tard, cette femme, d’ailleurs vraiment courageuse, allait mourir sur l’échafaud en disant, selon la tradition :« Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Mais quel sens donnait-elle au mot « peuple » ? En choisissant de devenir l’égérie des Gi- rondins, elle n’avait pas choisi la fraction la plus « sociale » de la Révolution. De même, tel Jacobin, comme Fouché, après avoir tenu le langage le plus « communiste » avant le terme, finirait richissime dans les années1820. Tout ceci soit dit simplement, non pas pour nier la sincérité des discours de cette épo- que, mais pour la nuancer quelque peu. Personne ne voulait être accusé de manquer d’amour pour la patrie. Mais ce sentiment est difficile à apprécier.

4. – Election des Directoires de départements et de districts.

Après l’élection de l’administration de chaque district (qui comprenait 12 membres), il faut maintenant élire un « directoire » et un bureau de ce directoire qui seront, eux, chargés, non pas seulement d’administrer mais de gouverner le département ou le district. Pour le département, les élections ont lieu à Lyon, le 9 juillet 1790 ; pour le district de St. Etienne, le 22 juillet. Comme on le voit, ce sont 4 ou 5 mois consacrés à des élections relatives de près ou de loin à des gens connus localement et qu’on juge sur l’influence qu’ils pourront avoir, etc. Incontestablement, quelque chose s’est mis en marche. Le Conseil général du district est un corps délibérant. Le Directoire du district (4 mem- bres) est l’organe exécutif. De plus une procureur-syndic (élu aussi) suit les affaires dans l’intervalle des sessions du Conseil général. Les membres du Conseil et du Directoire sont élus pour 4 ans, renouvelables par moi- tié tous les 2 ans. Au département correspond le Conseil général (36 membres), le Directoire exécutif (18 membres), et le procureur général syndic.

28 : On se rappellera que la famille Champagnat a droit dans les actes à l’épithète « honnête ». 29 : Lettres de Mme Roland, publiées par Claude Perroud, Paris, Imprimerie Nationale, Tome II, 1902., p. 97. Mme Roland est la femme du ministre de l’Intérieur. Elle fut plus que la collaboratrice de son mari ; elle le dirigea. Passionnée pour la Révolution, elle était violemment hostile à la Cour.

21 Les années obscures de Marcellin Champagnat 5. – Elections des municipalités.

Et maintenant, arrivons au niveau tout à fait local. La loi du 14 décembre 1789 a établi que le corps municipal de chaque commune peuplée de 500 à 3.000 habitants (cas de Marl- hes) comprendrait 6 membres. Dans ces mêmes communes, les citoyens actifs nomme- raient 12 notables qui, avec 4 officiers municipaux, formeraient le Conseil général de la commune. Le bureau serait constitué par le maire et un des officiers municipaux. Les offi- ciers municipaux et les notables seraient élus pour 2 ans et renouvelables par moitié chaque année. Ces élections ne se firent pas sans peine, en particulier, parce que dans beaucoup de communes, il y avait une grande masse d’illettrés. Pour la plupart des communes, elles eu- rent lieu en février et en mars 1790.

6. – Les Gardes Nationales.

Dès juillet - août 1789, des milices spontanées se sont constituées. La Constituante les légalise et en forme une « Garde Nationale ». Un premier décret, le 7 janvier 1790, encou- rage les initiatives déjà prises et demande aux « volontaires » de prêter le serment d’être fi- dèles à la nation, à la loi et au roi, entre les mains des maires et des officiers municipaux, en présence de la commune assemblée. Cet encouragement est assez volontiers suivi, car les risques de désordre ne manquent pas. Aussi le décret plus formel du 12 juin 1790 consacre- ra une réalité bien assise. Le 30 mai 1790, les délégués de 390 communes se sont réunis à Lyon pour célébrer la fête de la Fédération et donner ainsi du prestige à cette réalité nouvelle que sont les Gardes nationales30. Cependant, dans le département de Rhône-et-Loire, bien des communes sont encore, à cet égard, très mal équipées ou en état d’insubordination à l’égard de la municipalité. Ce sera particulièrement manifeste à Montbrison, le jour même du 14 juillet 1790. En guise de premier anniversaire de la Révolution, on aura une véritable bagarre entre des gardes natio- nales parallèles que l’on aura bien de la peine à pacifier. Les décrets définitifs concernant la constitution des Gardes nationales sont des 6 -12 décembre 1790. A Marlhes, ils semblent être entrés en application seulement 6 mois plus tard. L’organisation d’ensemble de la Garde nationale ne se fera que le 29 septembre 1791.

30 : Voir description de la journée dans P. Zind, article dans « Voyage et Missions », n° 106 (Voyages et Mission, Notre Dame de l’Hermitage, 42400 St. Chamond) Mais sur un éventuel retentissement de cette fête ou de celle de Paris, le 14 juillet 1790, aucun document de Marlhes ne nous renseigne, quoique cette dernière date soit considérée comme (date) de naissance du patriotisme français.

22 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre IV. DECRETS SOCIAUX ET RELIGIEUX.

Mais, depuis le 4 août 1789, des séries de mesures ont été prises, où l’inconscience le dispute à la générosité. Et comme, à partir d’octobre 1789, l’Assemblée est à Paris, elle subit l’influence de l’agitation populaire qui est entretenue systématiquement par les clubs. Les députés sont vraiment privés de liberté, et, en particulier, leurs décisions concer- nant les questions religieuses sont influencées par un anticléricalisme parisien de plus en plus virulent. Le haut clergé est assimilé – pas toujours à tort – aux privilégiés dont le nom générique va être celui d’aristocrates. Il est censé être du parti du roi, et, au fur et à mesure que les pri- vilégiés vont émigrer, ils seront considérés comme le parti de l’étranger, l’ennemi de la na- tion. A l’opposé, les curés patriotes redoublent d’un zèle démocratique qui (cas Linossier, à Jonzieux) saura à peu près garder la mesure, ou (cas de Jamon, à St. Genest-Malifaux) ira jusqu’à l’apostasie. Très vite, des problèmes jamais abordés (doit-on OUI ou NON reconnaître le catholi- cisme comme religion nationale ?) s’imposent à l’étude, et, progressivement, on va passer de la bienveillance à une foncière animosité. Dès l’année 1790, toute une série de décisions révolutionnaires sont prises qui corres- pondent mal à la composition modérée de la Constituante.

1. – Déclaration des Droits de l’Homme (juillet - 26 août 1789) et abolition des privilèges (4 août 1789)

On a déjà vu plus haut les dispositions prises dès 1789 et qui visent une égalité encore relative (cas des Juifs, cas des Noirs dans les colonies), mais qui marque un sérieux pro- grès. La conséquence devrait être surtout la possibilité pour tout Français, d’accéder à tous les emplois. C’est surtout la bourgeoisie qui va profiter de l’aubaine en enlevant à la no- blesse le monopole des grands offices. Mais enfin, dans l’armée surtout, des paysans sans instruction pourront s’élever jusqu’aux plus hauts grades. Tout soldat a « son bâton de ma- réchal dans sa giberne ». L’abolition des privilèges, votée dans la nuit du 4 août, était généreuse, mais les appli- cations, précisées seulement l’année suivante, furent bien limitatives et c’est plutôt en 1793, sous la Législative et la Convention que furent abolis tous les vestiges du régime féodal et seigneurial31. Ces décrets, en tout cas, n’avaient guère gêné la marche de la Révolution. Par contre, elle allait voir gripper son propre fonctionnement suite à des mesures de nature religieuse qui s’avéreraient, à l’usage, fort regrettables, même si elles étaient prises dans l’enthousiasme.

31 : Nous le verrons plus loin avec le cas de Courbon Saint-Genest.

23 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – Divers décrets.

Le 31 mai 1790, une déclaration est faite par le clergé de St. Etienne et des paroisses circonvoisines pour approuver les décrets de l’Assemblée Nationale. Parmi ceux-là, il y a la DECLARATION DES DROITS DE L’HOMME (26 août 1789), la nationalisation des biens du Clergé (10 octobre 1789), la suppression des vœux religieux (19 février 1790), l’octroi d’un salaire aux prêtres (avril 1790), la décision de vendre les biens nationaux aux enchères par vastes portions (14 mai 1790). La municipalité de St. Etienne peut applaudir au patriotisme religieux de son clergé et décider d’assister « en corps » au cérémonies de l’Octave de la Fête-Dieu de 1790 . Revenons maintenant sur quelques-uns de ces décrets.

a) Nationalisation des biens du clergé (oct. – 2 nov. 1789)

L’émeute du 5 octobre a déjà provoqué une certaine panique parmi quelques députés. Des évêques émigrent, des curés, dégoûtés, retournent en province, et tous ces vides lais- sent le champ un peu plus libre aux démagogues. Parmi ces derniers : Charles Maurice de Talleyrand, grand seigneur et évêque sans foi ni loi, qui n’a vraiment rien pour devenir un homme social. Il a compris qu’on ne pouvait rien attendre de la famille royale. Malgré ses conseils, en effet, le comte d’Artois (futur Charles X) frère de Louis XVI, a émigré. Talleyrand met donc résolument le cap sur la démagogie et il va se charger de faire les propositions que personne n’ose faire. Puisque la réunion des Etats Généraux a pour but principal de rechercher une solution à la situation de détresse de l’Etat, Talleyrand en tient une : que les rentes et les biens-fonds du clergé soient remis à la nation et que celle-ci assure au clergé 100 millions de revenus. La discussion va se prolonger du 10 octobre au 2 novembre 178932. Ces biens du clergé ou des ordres religieux évalués à 3 milliards seront vendus aux enchères et, effectivement, une première tranche de 400 millions est mise en vente le 19 dé- cembre 1789. On se demande d’abord comment indemniser le clergé, car l’idée d’un salaire est as- sez mal envisagée. Goulard, prêtre de Roanne, député du Forez, estime que le curé salarié perd son indépendance. Pourtant, c’est finalement la solution du salaire qui est retenue et bien acceptée des curés du département33. A Marlhes, comme ailleurs, les curés sont invités (décret du 24 juillet 1790) à produire un état des ressources et des charges de la cure. Voici l’état que fournit Allirot. Quand il indi- que son traitement comme une charge, cela signifie évidemment que c’est une charge pour la « marguillerie34 », la « fabrique » qui doit le lui payer.

Au chapitre des ressources35.

Le produit de la dîme perçue et à percevoir pour l’année 1790 est de quatre cent trente-trois métants36 de seigle, au prix de 6 livres le métant = 2.598.

32 : Sur proposition de Mirabeau ( 2 novembre 1789), l’Assemblée décrétait que les biens du clergé seraient mis à la disposition de la nation, à charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte et au soulagement des pauvres. 33 : Le décret du 11 août 1789 envisage les moyens de subvenir aux dépenses du culte divin, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et constructions des églises (c'est-à-dire tout ce dont le clergé était chargé), par une donation annuelle, à chaque curé, qui ne pourra être inférieure à 1.200 livres, non compris le logement. 34 : Néologisme (pour nous) à partie de « marguillier ». NDLR 35 : A.D.D.L. Liasse L. 1003. Le salaire d’un vicaire de campagne est de 700 livres (livre = franc). Donc ici, on envisage les 2 quartiers (= 2 trimestres) qui ont déjà été payés au vicaire. 36 : Métant = 33 litres.

24 Les années obscures de Marcellin Champagnat - plus, trois métants d’avoine, bonne qualité à cinquante sous le métant = 7, 10 - plus deux métants d’avoine de très mauvaise qualité à vingt sous le métant = 2. - Le revenu net de deux prés dépendant de la cure a été officiellement évalué et estimé cent vingt livres = 120. Il résulte que la totalité des revenus de ladite cure en cette dite année arrive à la somme de deux mille sept cent vingt-sept livres dix sous = 2.727,10.

Au chapitre des charges.

Il revient au curé pour son traitement de 1790, douze cents livres = 1.200. Il a été payé au vicaire trois cent cinquante livres, en ladite année = 350. Les cotes de taille37 et de vingtième38 dont ladite cure est imposée sur les rôles de la paroisse se portent à la somme de deux cent quatorze livres dix-huit sous = 214,18. La redevance dont la cure est grevée et qui est due annuellement au prieur de Saint Sauveur est : 1° - quatre-vingt-huit métants de seigle à six livres le métant = 528. 2° - de dix métants et deux tiers de métant de blé froment à sept livres = 74. 3° - vingt-quatre métants avoir à cinquante = 60. 4° - cent œufs de poule et dix-sept sous argent = 3,7. Les frais de perception et de déchet de grains ont été évalués, à cent vingt livres = 120. - Les frais du culte divin qui ont été à la charge du curé se sont portés à la somme de cent quarante-quatre livres = 144. - L’entretien d’un cheval absolument nécessaire pour le service de la paroisse de Marl- hes au moins deux cents livres : 200. - Il résulte que la totalité des charges se porte à la somme de deux mille huit cent qua- tre-vingt-quatorze livres dix-huit sous = 2.894,18. - Laquelle somme excède celle des revenus : 2.727,10. - L’excédent étant de cent soixante-sept livres 8 sous = 167,8. Fait et dressé le 22 avril 1791, Allirot, curé. Le Conseil municipal a examiné cet état le 1ier mai et l’a approuvé.

On voit assez par là, que les décrets sont peu à peu mis en application, mais que, deux ans après leur publication, les biens du clergé de Marlhes ne sont encore nationalisés que sur le papier. Une des idées perfidement capitaliste de la loi sur la nationalisation est celle de vendre par vastes portions (14 mai 1790), c'est-à-dire de rendre les biens nationaux accessibles aux seuls riches. Elle émane de gens qui, comme le Chapelier, sont aussi capitalistes qu’anticléricaux. Georges Lefebvre a pu écrire de cette loi :« C’est le coup le plus dur que la Constituante ait porté à l’enthousiasme révolutionnaire dans les campagnes ». Est-ce la période où, selon frère Avit, Jean-Baptiste Champagnat et son cousin Jean- Pierre Ducros auraient fait des affaires (emprunts, achats et ventes) qui ensuite se seraient soldées par un grave revers de fortune ? Une certaine réponse sera donnée dans la période thermidorienne (voir p. 172), Frère Avit dit simplement :« son terrible cousin l’engagea dans des affaires matérielles dont il retira habilement les profits, la fortune de sa victime que les anciens évaluaient à 80 à 100. 000 francs en fut fortement ébréchée ». (Annales du f. Avit, p. 15).

37 : Impôts. 38 : Impôts.

25 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) La suppression des vœux religieux (13-19 février 1790)

La vie religieuse, à la veille de la Révolution, n’est pas sans poser de problèmes, car, à côté des centres de ferveur, il y a des centres de tiédeur. Déjà, 20 ans plus tôt, la question a été posée de ces monastères qui ne représentaient pas grand chose d’évangélique, et une « commission des Réguliers », dirigée par Brienne, a fermé alors quelque 500 maisons, dissout quelques congrégations qui avaient trop peu de sujets, reculé l’âge des vœux, etc. Mais au lieu d’un appel à la rénovation, ces mesures étaient ressenties surtout comme une volonté de réduction pure et simple des maisons reli- gieuses, et la Constituante, en 1790, allait pouvoir envisager de la supprimer, un peu comme l’avait fait le monde protestant deux siècles plus tôt. Ce n’était pas une action bénigne car il existait entre 48.000 et 60.000 religieux. A vrai dire, l’arrêté des 13-19 février 1791 sur les vœux religieux ne prétend pas s’adresser au for interne. Les hommes de 1790 ne sont pas encore les hommes de l’An II. Il s’agit simplement d’abolir l’existence légale des vœux. Si les religieux le veulent, ils peuvent garder la vie commune. Ils auront pour les y aider le salaire prévu. A vrai dire, dans certaines communautés, c’est la débandade (Cluny, Cîteaux, Clairvaux, Génovéfains)39, mais d’autres tiennent mieux (Capucins, Chartreux, Trappistes). On peut parler de fidélité pour la moitié des religieux et pour presque toutes les religieuses. Celles qui n’avaient pas une activité apostolique directe (et c’était peut-être le cas d’une des tantes de Marcellin Champagnat qui était Sœur de St. Joseph) pouvaient aussi se retirer dans leur famille et y continuer, en gagnant leur pain (travail de rubanière dans ce cas) une vie de grande piété, à peu près comme au couvent40.

c). La Constitution Civile du Clergé

1 - Le Décret (12 juillet 1790).

La Constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790, pose un problème plus grave, et nous verrons qu’elle sera une des premières causes d’affrontement de Jean-Baptiste Champagnat avec son curé. C’est une Révolution profonde. Les circonscriptions ecclésiastiques sont remaniées, les évêchés ramenés de 135 à 83 (un par département) groupés en 10 métropoles. Pour constituer une paroisse, il faudra au moins 6.000 âmes. Evêques et curés seront élus, comme les députés, par les « électeurs », même si ceux-ci ne sont pas catholiques. Pour l’élection d’un évêque, ces « électeurs » for- meront une assemblée de département. Pour celle des curés, il formeront une assemblée de district. Les curés nommeront eux-mêmes leurs vicaires. L’évêque élu demandera l’institution canonique à son métropolitain et avertira simplement le Pape de son élection. L’Assemblée était censée répondre aux vœux de la Nation, mais en fait, les Cahiers de doléances n’avaient rien demandé de tel. La fraction la plus déterminée de l’Assemblée par- tait tout simplement d’un préjugé étatiste, d’après lequel le souverain a le droit, à lui seul, d’introduire dans le culte les changements qu’il juge bon. Par les cas de conscience qu’elle allait provoquer, cette Constitution civile venait briser la volonté patriotique des chrétiens les plus fervents qui auraient été les plus capables de discerner ce qu’il y avait d’évangélique dans les appels de la Révolution, mais qui la déteste- raient parce qu’elle lui imposait d’insolubles drames de conscience.

39 : A Valbenoîte (St. Etienne) par exemple, le couvent cistercien qui remonte au 12° siècle n’a plus que quatre moines. Dans un tel cas ou bien chacun se retire où il veut, on bien il accepte le regrou- pement avec une autre communauté, car on ferme d’autorité les maisons qui ont moins de 20 sujets. 40 : L’arrêté du 13-19 février 1790 laisse aux religieuses la faculté de rester dans les maisons où elles sont, et, en novembre 1790, un autre mesure de clémence est prise pour laisser ouvertes les chapel- les et églises des congrégations. (E. Brossard, op. cit. I p. 318)

26 Les années obscures de Marcellin Champagnat Sans doute, la France d’alors était très gallicane, mais la Constitution civile n’en restait pas moins inacceptable par les catholiques. Si les responsables de l’Eglise étaient bien d’accord pour accepter les réformes, ils y mettaient toujours une condition : que l’autorité re- ligieuse fût consultée dans les formes canoniques et, en 1789, le clergé avait fait assez preuve de sa volonté révolutionnaire et patriotique pour qu’on pût lui faire confiance. Dans les premières semaines qui suivent le décret, il est donc bien normal que des ca- tholiques, pas intégristes du tout, se soient posé la question : qu’en pensera le Pape ? et si celui-ci a tant attendu pour formuler sa condamnation c’était un peu par amour pour la « Fille aînée de l’Eglise », un peu par naturelle lenteur romaine, un peu aussi parce qu’il laissait à l’Eglise de France le soin d’agir par ses évêques, ce qu’elle a fait d’ailleurs. Fin octobre, en effet, l’épiscopat parlait avec unanimité. Trente évêques députés de la Constituante, c'est-à-dire tous, sauf Talleyrand et Gobel, publiaient une « Exposition des principes sur la Constitution civile du clergé », à laquelle allaient adhérer 93 de leurs confrè- res dans l’épiscopat. Entre autres choses, ils disaient : « Nous voulons connaître le vœu de l’église afin de rétablir un accord nécessaire entre la puissance civile et la puissance ecclésiastique, et de maintenir par leur union, le repos des consciences et la tranquillité publique. Nous voulons éviter le schisme. Nous voulons employer tous les moyens de la sagesse et de la charité pour prévenir les troubles dont une déplorable scission peut devenir l’ouvrage ». Chose inouïe dans ces siècles si gallicans, l’unanimité morale se référait au « succes- seur de Pierre, qui, placé dans le centre de l’unité catholique de la communion, doit être l’interprète et l’organe du vœu de l’Eglise universelle ». Mais le « successeur de Pierre » allait vraiment attendre trop longtemps pour parler et la situation, dans l’intervalle, prendre une tournure difficilement réversible. Dans le diocèse de Rhône-et-Loire, pendant les mois qui séparent le 12 juillet 1790 et la date d’élection d’Adrien Lamourette, comme évêque constitutionnel (9 février 1791), il y a un temps de refus et un temps de semi-alignement. Une partie du clergé de Rhône-et-Loire fait comme si rien n’était changé. En particulier, les chanoines de Lyon et de Montbrison dont les chapitres ont été supprimés refusent catégoriquement, dans leur ensemble, de reconnaî- tre le décret de l’Assemblée constituante. Tant que le gouvernement ne peut s’appuyer sur un évêque ayant prêté serment, il est bien obligé de patienter. Cependant, les décrets sont pris (par exemple 15 novembre 1790) par le Conseil Gé- néral de Rhône-et-Loire pour rappeler que canonicats, abbayes, chapitres et communautés sont supprimés. Les ecclésiastiques diocésains n’ont plus que jusqu’au début décembre 1790 pour prêter le serment civique : au prône des messes, ils doivent lire les décrets, no- tamment celui du 12 juillet 1790. Un problème de conscience commence donc à se poser, mais de façons très diverses, selon le tempérament et la formation. Suivant aussi le peu ou beaucoup de ressources que l’on a. On est irrité d’être dépossédé - si, par exemple, on est chanoine - ; ou on se gausse des confrères dépossédés, si on est jeune vicaire à la « portion congrue ». Cependant, la plus forte tendance du clergé est le refus. « Dans le Beaujolais, le Lyonnais et le Forez, dit E. Brossard41, les curés les plus recommandables avaient accueilli favorablement la Révolu- tion. La Constitution civile les mit dans la nécessité d’entrer en lutte avec elle et, souvent, les municipalités prirent leur parti... Dans les districts de Roanne et de Villefranche notamment, il était impossible d’installer des curés constitutionnels tant les municipalités et les populations leur étaient hostiles ».

41 : E. Brossard et J. de Fréminville. Notes sur l’histoire du département de la Loire pendant la Révolu- tion française. Inventaire analytique, I , p. 308.

27 Les années obscures de Marcellin Champagnat D’où contentieux et litiges. Tel jeune vicaire de Doizieu, bien plus « patriote » que la municipalité de sa paroisse, recourt aux autorités du district pour imposer la loi. Il expose « qu’il est dans l’intention de prêter le serment prescrit.. Il en a prévenu la municipalité mais craint qu’elle lui fasse des difficultés sous des prétextes frivoles ». Il demande donc au no- taire de se transporter à l’église quand il prêtera serment. Il y a évidemment aussi là le problème de ne pas perdre sa place, et, pour ce vicaire (nommé Péras), on trouve, le 9 janvier 1791, une attestation faite par Courbon, vicaire géné- ral, disant que Péras est effectivement le seul vicaire qui ait été nommé par l’autorité diocé- saine pour la paroisse de Doizieu42. L’obéissance à l’évêque est une chose, mais là encore c’est une question tout en nuances. Lyon a eu, pendant 30 ans et jusqu’à la veille de la Révolution (1788), un évêque, Mgr de Montazet, très favorable aux jansénistes et qui, comme tel, provoquait nécessaire- ment des réticences dans l’obéissance de plus d’un prêtre. Son successeur, Mgr de Marbeuf, n’est pas encore venu dans son diocèse et n’y viendra pas. Bientôt (avril 1791), il donnera ses ordres d’une lointaine ville d’Allemagne (Lübeck) où il aura fixé sa résidence d’émigré. On ne peut pas dire que ce soient des conditions idéales pour créer un climat d’obéissance, chez les administrés. Donc, on n’a pas lieu de s’étonner, même avant avril 1791, s’il y a du flottement dans le clergé à l’égard du choix à faire entre une obéissance aux décisions de l’Assemblée Cons- tituante qui, pour quelques-uns, paraît représenter un certain appel de l’Esprit à une vie plus fraternelle et plus évangélique, et une obéissance à l’Eglise hiérarchique qui comporte des difficultés d’interprétation. En particulier, on peut au moins surseoir en attendant de connaître l’avis du pasteur suprême : le Pape Pie VI43. C’est bien ce qu’exprime le Chapitre de Montbrison, le 26 novembre 1790 : « Il n’appartient qu’au Souverain Pontife de légitimer les suppressions (de Chapitres, par exemple)... Nous pouvons céder extérieurement à l’autorité séculière qui supprime et dé- truit ; mais nous n’obéirons d’esprit et de cœur qu’à la voix de celui qui est le chef visible de l’Eglise.. Après ce témoignage..., nous déclarons que nous serons les plus soumis des hommes aux lois qui intéressent l’ordre civil de cet empire, toujours fidèles à la nation dont les intérêts sont les nôtres et la prospérité notre bonheur, toujours fidèles à notre auguste monarque44. » Mais l’administration est bien forcée de faire appliquer les lois, et le Directoire du dis- trict de Montbrison réagit le 27 décembre 1790 en interdisant aux chanoines l’accès de l’église Notre-Dame et des salles capitulaires.

2 - La prestation du serment (27 novembre 1790).

Dans l’intervalle, au niveau national, tous les évêques et curés absents ont été invités à se rendre dans leurs paroisses et leurs diocèses, et, au cours d’une messe dominicale, en présence des fidèles, spécialement convoqués et aussi du Conseil général de la commune, ils doivent prêter serment sous peine d’être déchus de leurs fonctions. Ils seront « réputés avoir renoncé à leur office ». C’est le sens du décret du 27 novembre 1790. Ceux qui sont déchus peuvent continuer à dire leur messe dans la paroisse, mais ils ne peuvent exercer aucun ministère. A ce moment-là, on ne sait pas encore si le roi signera ce décret. Beaucoup de prêtres ne voyant pas vraiment où est leur devoir, vont donc prêter serment par esprit de concilia- tion.

42 : A.D.L., Liasse L. 156. 43 : Le roi avait, le 24 août 1790, demandé au Pape de sanctionner le décret du 12 juillet. 44 : E. Brossard et J. de Fréminville, Histoire du département de la Loire, Tome I, p. 346.

28 Les années obscures de Marcellin Champagnat Monsieur Dervieux45, alors curé de la paroisse St. Ennemond à St. Chamond, prête serment le 16 janvier 1791, mais ce serment est assorti d’un long commentaire qu’il a signé de sa main sur un de ses deux registres paroissiaux. S’il jure d’être fidèle à la Constitution civile du clergé, il en excepte formellement tout ce qui est du ressort de l’Eglise, n’entendant rien faire contre sa conscience et sa foi46 A La Valla, le curé Gaumont prête serment avec la formule suivante :« Je jure d’être fidèle à la Nation, à la loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décré- tée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le roi, dans tout ce qui regarde l’ordre civil et politique ; mais je jure en même temps d’être fidèle à la doctrine, à la morale et à la discipline de l’Eglise catholique, apostolique et romaine dans tout ce qui regarde l’ordre spirituel et la conduite des âmes ». Il est facile de voir qu’il ne nomme pas la Constitution civile du clergé. A partir de ces deux exemples, on peut facilement imaginer ce qu’a dû être le serment de Monsieur Allirot, car son nom apparaît dans plusieurs documents, joint à ceux des curés de St. Martin-en-Coailleux, St. Appolinard, St. Sauveur-en-Rue, La Valla, Bourg-Argental, comme n’ayant pas prêté le serment exigé47.

3 - L’implication politique.

il faut bien dire qu’il y a à ce moment une valse-hésitation dans l’esprit de plusieurs et que le département de Rhône-et-Loire au mois de décembre 1790, est agité par des bruits de contre-révolution. Une conspiration monarchique, avec Guillien de Pougelon au nombre de ses chefs, avait pour but de soulever Lyon et d’y appeler le roi en même temps que le pays serait envahi par les Piémontais et les émigrés et troublé par les insurrections des po- pulations du Midi. Les officiers municipaux de Lyon allaient révéler ces projets des ennemis de la Consti- tuante, le 13 décembre 1790. Ceux de Montbrison, renouvelés depuis peu, profitaient de cette occasion pour donner connaissance à l’Assemblée Nationale de leurs sentiments d’indignation contre ce complot et de la nécessité d’accélérer l’organisation des gardes na- tionales48. On comprend donc aisément que tout ce qui était opposé à la Constitution risquait d’être mis dans le même sac, qu’il s’agisse de la Constitution dans son ensemble ou de la section religieuse de cette Constitution qui s’appelait la « Constitution civile du Clergé ».

45 : Julien Dervieux qui, 30 plus tard, sera le grand ami du P. Champagnat, après avoir été dur envers lui. 46 : J. Camelin, les Prêtres de la Révolution, Badiou-Amant, Lyon 1944, p. 145-6. La formule officielle disait :« veiller avec soin sur les fidèles du diocèse, être fidèle à la Nation, à la loi et au Roi, et maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et ac- ceptée par le Roi ». 47 : Ou l’ayant prêté avec les restrictions, puisque tel est, par exemple, le cas du curé de La Valla, nommément cité ici. Quant à Laurens , Vicaire d’Allirot, on trouve son nom dans une liste de ceux qui ont prêté serment, peut-être avec restrictions. (P. Tavernier, le Diocèse du Puy pendant la Révolution, 1938, p. 64.) 48 : Arch. Nat., Adresses des maîtres et officiers municipaux de Montbrison à l’Assemblée Nationale, Montbrison, le 21 décembre 1790., C. 128.

29 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4 - La position de Mgr de Marbeuf.

Or une première réaction d’opposition à la Constitution civile du clergé, émanant de Mgr de Marbeuf, parvenait au diocèse datée du 5 décembre 1790. Elle n’éclairait guère les prêtres en vraie recherche de vérité car le « Primat des Gaules49 » y affectait un traditiona- lisme plutôt outrancier et, par ailleurs, il déclarait attendre une décision du Pape dont il ferait sa ligne de conduite. C’était une position identique à celle des chanoines de Montbrison, vue plus haut et l’on se souvient que le Conseil Général du district de Montbrison les avait sanctionnés. Or, le 26 décembre 1790, le roi se décide à signer la Constitution. Le Directoire de Rhône-et-Loire peut donc aller de l’avant et, le 5 janvier 1791, sanctionner Mgr de Marbeuf en déclarant irrecevable sa déclaration. Plusieurs prêtres se décident à prêter serment après le 5 janvier et surtout après le 20 janvier, où paraît une instruction émanant de l’Assemblée Constituante et qui tâche de justi- fier de manière doctrinale la Constitution civile du Clergé. Bien entendu, cette justification doctrinale n’est pas admise par tous. On entre dans une polémique où le récalcitrant est perdu d’avance, car il a la loi civile contre lui. On peut donc déjà parler d’une premier stade de persécution qui ne va pas tarder à s’intensifier50. La plupart des ecclésiastiques de la partie occidentale du département de Rhône-et- Loire prêtent serment. Par exemple, dans le district de Roanne, 5 seulement sur quelque 200 prêtres, seront réfractaires. La partie orientale où se trouve Marlhes est moins unanime, et, surtout, un certain nombre de jureurs insèrent des restrictions dans le texte de leur ser- ment, comme nous l’avons vu. L’ensemble des prestations de serment a lieu en décembre 1790, janvier et février 1791. Un décret du 27 janvier 1791 ordonne de procéder au remplacement des insermentés. Le 9 février 1791, Adrien Lamourette est élu évêque constitutionnel de Rhône-et-Loire malgré un nombre considérable d’abstentions51, car, au départ, l’élu n’était pas du tout dans les « épiscopables ». Il était connu comme ami et collaborateur de Mirabeau. A cette date, depuis 3 ou 4 mois, se sont fondées diverses sociétés d’Amis de la Cons- titution qui sont très attentives à l’application des décrets et tendent à créer un esprit « patrio- tiques » qui facilement prendra une tournure hostile au clergé réfractaire, tout en étant, dans son fond, assez sincère. Mgr de Marbeuf, parti pour l’exil en avril 1791 et qui, d’Allemagne, légifère pour une si- tuation qu’il ne partage pas, a rédigé, avant son départ, un mandement à lire au prône par lequel il refuse la Constitution civile du Clergé et continue à se déclarer chef du diocèse. Le Conseil Général du District de St. Etienne déclare, le 27 mars 1791 cette lettre in- constitutionnelle et rappelle au curé de la paroisse Notre-Dame (de St. Etienne) qui l’a lue en chaire qu’il lui est interdit de laisser prêcher dans son église aucun ecclésiastique qui n’aurait pas prêté le serment prescrit par la loi.

49 : Les titres traditionnels (Primat, archevêque) étaient supprimés par la Constitution civile du Clergé quand ils étaient seulement honorifiques. Lyon est donc simplement siège d’un évêché. La France ca- tholique étant divisée en 10 arrondissements métropolitains. Lyon est le siège métropolitain du Sud- Est. Mais vouloir conserver le titre de « Primat des Gaules », c’est heurter de front le jacobinisme parisien. 50 : A partir d’août 1791 surtout, on parlera très facilement de fanatisme et de prêtres fanatiques. 51 : 528 abstentions sur 900 électeurs.

30 Les années obscures de Marcellin Champagnat 5 - La position du Pape.

Mais si le Pape a pu hésiter quelque temps, il est bien obligé de résoudre finalement le problème : qui est l’évêque légitime, dans tous les diocèses où l’évêque canonique a refusé de prêter le serment, par exemple Mgr de Marbeuf qui a protesté contre l’élection de Lamou- rette et l’a déclaré intrus et schismatique ? La constitution civile prévoit, elle, que le nouvel élu adressera au Pape une lettre de « commission » pour maintenir l’unité avec le centre de l’Eglise, et c’est ce que fait Lamourette le jour même de son élection. Quant à l’institution ca- nonique, selon la constitution civile, le nouvel élu n’a pas à la demander au Pape, mais seu- lement à son métropolitain52. On est donc en pleine contradiction et, un peu partout, on at- tend avec impatience la décision pontificale. Ce n’est pas que l’envie manque à Pie VI d’agir. Par tempérament, il est très opposé à la Révolution et très irrité de la menace qui plane sur ses Etats d’Avignon. Un premier bref du Pape, le 10 mars 1791, sans condamner formellement la Constitution civile du clergé, en fait une très vive critique, et somme les prêtres de demeurer fidèles à l’Eglise catholique. Et c’est ainsi que Pradier, Curé de Jonzieux qui avait prêté serment le 6 mars, le rétracte le 27. Cependant, une excuse est encore possible : j’ai prêté serment purement et simple- ment, c'est-à-dire sans référence à la Constitution civile du Clergé et seulement comme un acte de patriotisme et de loyalisme. C’est pour refuser la validité de cette excuse que le Pape publie un autre bref adressé aux évêques, le 13 avril 1791, qui proteste contre les consécrations d’évêques qualifiées de sacrilèges, illégitimes et nulles. Le bref déclare suspendus de toute fonction épiscopale les évêques consécrateurs et consacrés, prononce la peine de suspens contre tout assermenté qui, dans un délai de 40 jours, n’aura pas rétracté son serment. Cette condamnation tardive n’était pas facile à mettre en application. Quand le premier bref était arrivé de Rome, déjà 60 évêques constitutionnels étaient installés, et la moitié du clergé paroissial s’était décidé pour le serment. Cependant, la casuistique pouvait encore jouer, et certains se tranquilliser en faisant appel au principe gallican selon lequel les déci- sions romaines n’avaient pas force de Loi en France tant qu’elles n’étaient pas homolo- guées par le Roi53. Mais tous les théologiens ne raisonnaient pas de cette façon, et c’est pourquoi, en conscience, bien des prêtres allaient se sentir tenus de rétracter leur serment. Le roi, d’ailleurs, était plein de remords, et, au début de la semaine sainte de 1791, il essayait d’aller faire ses Pâques à St. Cloud pour pouvoir communier de la main d’un in- sermenté, mais une véritable émeute allait l’en empêcher. Dans le département de Rhône-et-Loire, la date limite des prestations de serment avait d’abord été repoussée au 4 janvier 1791, puis repoussée encore. Au niveau national, le 7 mai 1791, la Constituante votait un décret de liberté religieuse qui acceptait une sorte de compromis laissant subsister les deux clergés54.

52 : dans ce cas, l’évêque de Paris. 53 : On a pu dire très justement que la constitution civile du Clergé était le « fruit monstrueux de la rencontre du gallicanisme et de la Déclaration des droits de l’Homme ». Delcher , évêque constitutionnel de la Haute-Loire, raisonnait exactement à partir du principe gallican : « Le Pape n’a aucune juridiction immédiate sur le peuple de France, il ne peut prononcer contre eux aucune peine canonique, s’il n’y est autorisé par le consentement du souverain. Cependant, la France n’a jamais cessé d’être unie de communion avec le Saint-Siège, d’être réputée catholique et une des plus précieuses portions de l’héritage de Jésus-Christ. » 54 : Les insermentés avaient le droit de dire la messe dans les églises des Constitutionnels, mais la messe seulement.

31 Les années obscures de Marcellin Champagnat Cela n’allait pas durer longtemps. Dans le diocèse de Lyon, Mgr de Marbeuf publiait, le 18 mai 1791, un mandement très triomphaliste d’allure où il se disait heureux de constater que le Pape n’avait fait que confirmer les sanctions par lui-même envisagées. Un certain nombre de prêtres rétractaient donc le serment qu’ils avaient prêté et c’était, par exemple, le cas pour Pradier, curé de Jonzieux. Ceux qui, comme Allirot, ont prêté un serment considéré comme nul à cause de ses réserves, peuvent juger sans doute qu’ils n’ont pas à se rétrac- ter.

32 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre V. LES DERNIERS MOIS DE LA CONSTITUANTE

Avant de voir agir Jean-Baptiste Champagnat dans son village de Marlhes, il faut voir comment évolue cette Assemblée Constituante qui a lancé la Révolution. Plus d’un de ses membres a déjà commencé à exprimer ses regrets. Mirabeau qui manifestait une volonté de soutien à la famille royale est mort le 2 avril 1791 Barnave, l’orateur après lui, le plus écouté, va bientôt suivre une tendance voisine. Mais les jeux sont faits. Bien des Pilate vont se laver les mains ou, surtout, fermer les yeux sur les malheurs à venir. Dès le mois de mai, les députés de la Constituante se sont déclarés non rééligibles. Ils vont donc livrer la France à des hommes nouveaux chez qui la modération sera de plus en plus rare. Sur le millier de députés de la Constituante, 650 siègent à gauche mais, sur ce nombre, 300 pourraient être ralliés à une politique de modération. Hélas ! la plaie au flanc que constitue la Constitution civile du Clergé fausse vraiment tout, car bien des prêtres et des chrétiens se trouvent pris entre la volonté de servir leur pays et l’inquiétude de cons- cience face à ces serments que l’on exige et exigera d’eux. Un modéré comme Barnave, pourrait être l’homme du moment qui empêcherait la montée de Robespierre, mais il a été trop longtemps à gauche ; il n’est pas crédible pour la droite. Ceux qui, comme lui, voudraient maintenant fixer la Révolution n’ont aucune envie de renier la Constitution civile du Clergé dont ils sont les artisans. Après la fuite et le retour du roi, il est assez clair que l’Assemblée est plutôt d’avis d’une certaine réconciliation nationale, d’un certain relèvement de la condition royale. Mais c’est alors qu’interviennent les meneurs. Une pétition pour la déchéance du roi est déposée au Champ de Mars et les citoyens conviés à la signer. C’est le 17 juillet 1791. Cette fois on ne pourra pas accuser le roi et ses ministres d’avoir réagi par la violence. Puisque provisoirement, il n’y a plus de pouvoir exécutif, c’est au maire de Paris, Bailly, et à l’Assemblée de prendre les décisions. La garde nationale est envoyée sur les lieux, commandée par La Fayette. Vers 6 heu- res du soir, les émeutiers l’attaquent. les gardes répliquent. Il y a des morts : 12, selon le procès-verbal officiel, des milliers selon les journaux de l’agitation. c’est le « massacre du Champ de Mars ». Trois ans plus tard, Bailly et Barnave seront condamnés à la guillotine pour cet acte qui n’aura pas été oublié. En attendant, l’Assemblée, encore maîtresse de la situation, ouvre une information contre les instigateurs de l’émeute et tant Robespierre que Danton doivent provisoirement se cacher. Mais dans le même temps, cette Assemblée veut maintenir sa pression contre le Cler- gé insermenté. Il y aura bien, à vrai dire, quelques petites concessions qui précèdent la fin de la Constituante mais elle ne seront qu’une brève accalmie. On a, par exemple, un moment, l’idée de ne point faire entrer la Constitution civile du Clergé dans le texte même de la Constitution, mais on veut en conserver un des principes fondamentaux ; le droit des citoyens d’élire les ministres du culte. Les Constituants, avant de se séparer, proclament une amnistie générale pour « tous les faits relatifs à la Révolution », qui permet donc de libérer certains prêtres ou laïcs inter- nés. Mais la Nouvelle Assemblée (Législative) ne laissera pas longtemps en vigueur ces mesures de pacification.

33 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 3 septembre 1791, la Constitution est présentée au Roi. Tout le pouvoir sera entre les mains d’une Assemblée unique. Et lui-même n’aura plus qu’un pouvoir symbolique : un droit de veto relatif. Le 13 septembre, il adresse son message d’acceptation, et les Te Deum peuvent écla- ter pendant qu’un certain nombre de gens prévoyants prennent le chemin de l’étranger.

34 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VI. L’IRRESISTIBLE ASCENSION DE J.B. CHAMPAGNAT A LA FIN DE LA CONSTITUANTE

( juin - septembre 1791 )

A partir de là, nous allons lire la Révolution dans le registre des Délibérations de Marl- hes qui s’ouvre le 2 juin 1791, calligraphié par J.B. Champagnat, père de Marcellin. C’est dire que nous descendons au niveau régional et que nous remontons un peu en arrière. Frère Avit, Annaliste des Frères Maristes, à la fin du 19° siècle, savait déjà que J.B. Cham- pagnat n’avait pas été un homme de tout repos. Très habilement, sans choquer les gens de son époque, il avait su dire à peu près toute la vérité :« J. B. Champagnat, écrivait-il, avait une grande réputation, un jugement incomplet55, un caractère faible et une instruction assez avancée pour son temps ». Curieux mélange savamment dosé pour ne pas réveiller les dormeurs et alerter les at- tentifs. Evidemment, ceux qui avaient pu, dès leur enfance, entendre parler de Champagnat, étaient , à l’époque du Frère Avit, des vieillards qui évoquaient une histoire déjà séculaire. Mais il ne faut pas du tout mépriser ces témoignages. Tel octogénaire qui oublie le présent, peut avoir gardé de son enfance un souvenir très vif. Et puis, il faut dire aussi que si Frère Avit écrit ses Annales vers 1886, il était déjà dans la région comme instituteur en 1840 (à St. Genest-Malifaux) et sa curiosité sans doute en éveil dès cette époque-là, avait pu recueillir des souvenirs qui n’étaient vieux que d’un demi- siècle.

1. – Les élections du 19 juin.

Le Registre des Délibérations du Conseil municipal du canton de Marlhes s’ouvre donc le 2 juin 1791, sur une page de très belle écriture de J.B. Champagnat. Son orthographe est relative, mais sa signature est celle d’un homme sûr de lui-même, qui a déjà l’habitude d’être écouté, obéi et qui a de l’ambition. Il vient d’être nommé secrétaire-greffier et il a accepté cette nomination « sous les ré- serves d’être payé et salarié pour le défrayer du temps qu’il sera obligé d’employer pour le dû de sa charge » Le 19 juin on semble se réunir dans l’enthousiasme « au son de la grande cloche », dans la chapelle de la « Confrérie du Très Saint Sacrement », pour des élections qui concer- nent justement la Constitution civile du Clergé. On élit président de cette assemblée primaire Louis Pauze, curé de Riotord. Le curé de Marlhes, Antoine Allirot, est nommé secrétaire ; son vicaire, Claude Laurens, sera scrutateur avec Jean Reboud, notaire et juge. Jean-Baptiste Courbon de la Faye est là au titre de maire de Marlhes. Sont présents les 658 citoyens actifs (Marlhes, Jonzieux, Riotord). Ils vont dési- gner 7 « électeurs » qui iront à St. Etienne élire un certain nombre de prêtres destinés à remplacer ceux qui n’ont pas voulu prêter le serment prescrit par l’Assemblée Constituante.

55 : Pour le religieux du 19° siècle, avoir été révolutionnaire pouvait manifester un certain manque de jugement.

35 Les années obscures de Marcellin Champagnat On est à deux jours de la fuite du roi, mais personne ne peut se douter, le 19 juin de ce qui va se passer le 21. Par contre, lorsque les grands électeurs se réuniront à St. Etienne, du 10 au 13 juillet, il est bien difficile de penser que cet événement n’a pas alors créé une situa- tion plus conflictuelle. En effet, le fait avait été connu dans le département dès le 24 juin, ce qui est un délai record - 3 jours - plusieurs des autres événements révolutionnaires mettant une semaine pour passer de Paris au département de Rhône-et-Loire.

2. – La convocation du 3 juillet 1791.

Dans la foule parisienne où se recrutent les émeutiers, on crie à la trahison. Mais la France profonde est beaucoup plus disposée à plaindre le roi, car, là encore, c’est la Consti- tution civile du Clergé qui est la grande cause du mal. Le roi, en effet, très fidèle catholique, après la réponse de Rome, a voulu obéir au Pape et avoir pour aumônier un prêtre réfractaire, résistant pour cela à des heures d’une émeute populaire qui voulait l’en empêcher. Il se trouve continuellement coincé entre des impératifs de conscience auxquels il ne peut faire face. De là l’idée de fuir et aussi de rejoin- dre les troupes qu’il a concentrées à la frontière franco-allemande. Il s’enfuit donc le 21 juin, est arrêté et ramené comme un captif. On peut comprendre qu’un prêtre, pratiquement réfractaire comme Allirot, soit un peu gêné dans sa conscience par toute forme de collaboration avec la Constitution civile du Clergé, maintenant que cette Constitution a des conséquences si lourdes pour un roi qui était profondément désireux d’apporter sa collaboration à tout ce que la Révolution avait de positif. Allirot qui avait participé à la première phase de l’Assemblée primaire décide, en son âme et conscience, qu’il ne fera pas un pas de plus dans cette voie. Bien des gens, comme lui, pensent que la Révolution doit faire marche arrière, mais J.B. Champagnat pense qu’elle doit aller de l’avant. Or, dans l’intervalle, entre la réunion de l’Assemblée primaire du 19 juin 1791 et la journée qui doit réunir à St. Etienne les « électeurs », il y a un dimanche, 3 juillet, où ceux-ci devront être convoqués. Dans un monde rural, totalement christianisé, le moment le plus sûr pour faire connaître une nouvelle de cet ordre est le prône de la messe56. J.B. Champagnat est donc chargé par la municipalité de demander à Monsieur Allirot de bien vouloir lire au prône la lettre de convocation qui est adressée aux « électeurs » par le procureur syndic. Refus du curé. Champagnat revient à la mairie chercher du renfort ; tout le Conseil municipal se dé- place, montre la lettre au curé, le prie de s’exécuter. Mais il répond qu’il ne peut faire une lecture qui tend à déplacer des confrères qui ne lui ont fait que du bien57 Il est certain que, parmi les confrères qu’Allirot ne veut pas faire déplacer, il y a son plus proche voisin, le curé Pradier de Jonzieux. Cette paroisse va bientôt recevoir ce qu’on appelle alors « un intrus », en la personne d’Antoine Linossier. Si le nom du nouveau venu n’est pas encore connu le 3 juillet, puisque l’élection n’a pas encore eu lieu, la décision est déjà acquise que le poste de Jonzieux sera pourvu d’un prêtre du clergé constitutionnel58

56 : L’habitude est bien prise de lire en chaire les ordonnances royales, les circulaires des intendants et autres avis. Un des devoirs du prêtre n’est-il pas de prêcher l’obéissance aux autorités ? Mais dans le cas présent, ce devoir n’est pas du tout évident. L’autorité royale est bafouée, et, de toute façon, il y a conflit entre une obéissance discutable et un sens indiscutable de justice et de chari- té. 57 : Il ne parle pas de lui-même, donc doit estimer que le serment de fidélité qu’il fait, même si c’était avec des réticences, peut être jugé valide. Par ailleurs, on verra plus loin qu’il se juge membre du dio- cèse du Puy, donc non atteint par une convocation qui concerne St. Etienne. 58 Le 13 juillet, le Conseil Général de Rhône-et-Loire durcit sa position et décide le remplacement de tous les prêtres non-conformistes. Les procureurs syndics sont tenus de convoquer les assemblées électorales en vue de l’élection des nouveaux ministres du culte.

36 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Le 14 juillet 179159.

Et nous arrivons au 2ième anniversaire du 14 juillet. Tout de suite, J.B. Champagnat va montrer que son zèle patriotique n’est pas médiocre. Il a déjà un nouveau titre : Colonel. Provisoirement , il commande à 12 gendarmes que l’on a recrutés sur place, pour défendre la patrie, à l’échelon local. Et déjà il exerce sur eux son talent oratoire. Voici le compte-rendu qu’il a lui-même laissé dans le registre. C’est en tout cas son écriture et sa signature, même s’il parle à la 3ième personne : « Ce jourd’hui 14 juillet 1791, sur l’heure de midi, devant nous, Messieurs les gardes nationales de la paroisse de Marlhes assemblées, le sieur Champagnat, colonel, étant mon- té sur l'autel de la patrie, dressé par ordre des sieurs officiers municipaux, en conséquence de l’Arrêté du Conseil Général du département de Rhône-et-Loire concernant la fête patrioti- que de ce jour, a dit : "Messieurs, nous voici tous rassemblés en corps fédératif ; renouve- lons sur cet autel de la patrie, par un serment patriotique, la promesse que nous avons faite de défendre de tout notre pouvoir la nouvelle Constitution. Nos droits étaient méconnus, nous les avons recouvrés. Cette liberté, si chère à tout individu, qui avait été enlevée dans un temps de despotisme, vient d’être rétablie. Nos au- gustes représentants à l’Assemblée Nationale ont reconquis nos droits sacrés. Tâchons de les maintenir et montrons-nous dévoués au soutien de cette Constitution qui fait le bonheur de tous. La Constitution française est faite, Messieurs, il faut la soutenir. Elle a tant coûté de travaux à nos augustes représentants. Quel malheur, si elle venait à échouer. Triomphons d’avoir raporté (sic = remporté) la victoire sur l’aristocratie par un dévouement fraternel, pro- mettons de ne jamais la violer, mais au contraire de la maintenir de toutes nos forces. L’Assemblée Nationale, par son décret du 22 juin dernier, a décrété la formule d’un serment patriotique que tout bon Français doit prêter. Le département de Rhône-et-Loire, par son arrêté du septième du présent mois, invite les gardes nationales des municipalités de son arrondissement de s’unir toutes par ce serment, ce jour d’huy à l’heure de midy. Unissons-nous donc avec les autres gardes nationales, et prononcez avec moi ce serment dans la formule décrétée le vingt-deux du dit mois dernier : « Je jure d’employer les armes remises en mes mains à la défense de la patrie et de maintenir contre tous les ennemis du dedans et du dehors la Constitution décrétée par l’Assemblé Nationale, de mourir plutôt que de souffrir l’invasion du territoire français par des troupes étrangères et de n’obéir qu’aux ordres qui seront donnés en conséquence des dé- crets de l’Assemblé Nationale". » Tous prêtent alors le serment et Champagnat ajoute :« Je n’ai pas lieu de croire qu’aucun de vous, Messieurs, soit dans le cas de prendre les armes et d’obéir en vertu d’autres ordres que ceux qui émaneront des décrets de l’Assemblée Nationale, mais s’il y avait aucun traître à la patrie parmi vous, qu’il se retire et sorte d’un corps qui doit être pour toujours uni et prêt à défendre les droits de la patrie. A l’exemple des habitants de la ville de Paris qui ont exposé leur vie et leur fortune, montrons-nous courageux. Nous sommes dans des contrées moins exposées qu’eux, mais ne soyons pas moins généreux. Chantons la victoire. Faisons-la triompher afin que l’on puisse dire : Vive les Français ! Vive la Constitution de l’Assemblée Nationale ». Ce discours comporte, entre autres choses, un très bref éloge de la Constitution. C’est là un thème très habituel aux orateurs de l’époque et qui, d’ailleurs, correspond à un senti- ment profondément vrai, mais aussi puissamment orchestré par la propagande. On n’aurait donc pas de peine à trouver bien des discours du même style. En voici un, par exemple, presque à la même date, par le curé Perrin, de St. Just-en-Bas pour l’ouverture de la séance du 28 août 1791 qui doit élire les députés de la Législative.

59 : Déjà le 14 juillet 1790, le premier anniversaire de la prise de La Bastille avait été une fête pour les Gardes Nationales déjà constituées, mais ce n’était pas le cas de Marlhes.

37 Les années obscures de Marcellin Champagnat D’abord, il félicite les membres de l’Assemblée Constituante :« Ils ont accompli les vœux d’une grande nation ;.. Nos sages législateurs ont paru ; ils ont juré de n’avoir pour objet que le bonheur du peuple et leur serment n’a pas été vain... Ils ont bravé une autorité despotique et la réunion de tous les moyens mis en œuvre pour faire échouer leur entreprise dès les premiers pas ; environnés de baïonnettes et prêts à succomber sous les coups de la violence, ils sont demeurés « inébranlables ». Et voici, maintenant, le couplet destiné aux candidats de la nouvelle Législative :« Il faut qu’ils soient invincibles à la force comme à la ruse.. Il existe des hommes en qui réside l’amour des lois de la Patrie, et dont toutes les vertus ont eu le temps d’être mises à l’épreuve ; c’est sur eux que doit s’arrêter notre choix60 ». Il n’y a donc pas de difficultés à imaginer un applaudissement nourri, lorsque Champa- gnat termine son discours du 14 juillet 1791. A la maison, par contre, c’est peut-être moins net, mais, comme nous l’avons vu, la pieuse épouse de J.B. Champagnat n’est pas forcé- ment hostile à ce qui se fait autour d’elle. La politique, c’est l’affaire des hommes ! On peut bien penser que Jean Barthélemy Champagnat -14 ans - a accompagné son père et son oncle à la cérémonie. Et serait-ce exagéré de penser que Marguerite Rose, 9 ans, est fière d’un père qui a tant de prestige dans son costume de colonel de la garde nationale ? Et Mar- cellin, 2 ans 3 mois, ne regarde-t-il pas avec étonnement ce contraste de couleurs : blanc, bleu et rouge qu’il n’avait encore jamais vu porter à son père ? Sans doute, la religieuse de St. Joseph qui est à la maison Champagnat et est la sœur de Jean-Baptiste, n’est-elle pas aussi favorable à l’action de son frère, elle qui a dû quitter son couvent. Mais ce 14 juillet 1791, Jean-Baptiste doit être assez content de lui-même. Marlhes avait pris du retard pour constituer sa garde nationale, mais il a évité ainsi plus d’un ennui. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas d’un vrai retard puisque l’organisation d’ensemble des gardes nationales ne devient officielle que le 20 septembre 1791. A partir de cette date, celles-ci ne se recrutent plus que parmi les « citoyens actifs », mais si des citoyens passifs en ont fait partie antérieurement, ils y sont maintenus. Les offi- ciers sont élus « à temps » et ne peuvent être réélus qu’après un intervalle de service comme soldats. Les gardes nationaux sont revêtus de l’uniforme : habit bleu roi, veste et culotte blanches ; leurs drapeaux tricolores portent l’inscription : le peuple français, la liberté ou la mort61 » C’est la garde qui élit ses officiers62. Raison de plus pour penser que Champagnat doit avoir quelque connaissance de l’art militaire pour avoir été choisi par ses pairs. En tout cas, il est l’homme du jour, l’homme qui réussit. Doit-il avoir des remords d’ordre religieux ? Il ne semble pas, car, s’il fait respecter la Constitution civile du Clergé, ce n’est pas pour lui un problème de conscience, et le serment qu’il a personnellement à prêter est sans relation avec une question qui doit lui paraître de nature purement ecclésiastique.

4. – A nouveau la question du clergé constitutionnel.

Sans doute est-il en lutte avec son curé pour une histoire relative à cette Constitution Civile du Clergé. Mais il est capable de comprendre la position d’Allirot : accepter de favori- ser une élection qui enlève une place à un confrère serait une démarche assez odieuse. Laissons donc Allirot juge de ce qu’il doit faire. Des prêtres qui marchent à fond dans le sens de la Constitution civile, il y en a cepen- dant tout près. C’est le cas de ceux qui se laissent élire en remplacement des insermentés, comme par exemple l’abbé Linossier, brillant sujet, ambitieux lui aussi. Voici l’acte de son installation :

60 : Registres des Délibérations de la mairie de Marlhes. 61 : Dans ses Mémoires, Jean-Louis Barge qui joue, à la Valla, le même rôle que Champagnat à Marl- hes, dépeint ainsi l’habit des gardes nationales : habits bleu ciel, parements, revers et passepoils rou- ges ; boutons jaunes. 62 : Lavisse, Histoire contemporaines, I p. 181.

38 Les années obscures de Marcellin Champagnat « Ce 24 juillet 1791, Antoine Linossier, prêtre vicaire à Firminy ayant été élu curé de la paroisse de Jonzieux, le 11 du présent, et après avoir reçu l’institution canonique de Mgr La- mourette, évêque métropolitain du Sud-Est, le 19 du susdit mois, a été installée en ladite pa- roisse laquelle a reçu le serment prescrit. Signé Delaviale, prêtre. » Les curés sont élus mais c’est eux qui choisissent leurs vicaires. Antoine Linossier choisit Jean Despinasse63 et tous les deux remplacent officiellement le curé Pradier et son vicaire Peyrard. Nous l’avons vu : Pradier avait prêté le serment, mais l’avait rétracté. Tant Pradier que Peyrard vont continuer à vivre dans la paroisse, avec, sans doute, l’assentiment de beaucoup de paroissiens et l’accord « tacite » des deux « intrus ». On voit, en tout cas, le curé Pradier signer encore un baptême le 6 février 1792. Antoine Linossier qui, beaucoup plus tard sera préfet d’études et conseiller de Marcel- lin Champagnat à Verrières, semble bien avoir été, cette année 1791, le genre connu, tou- jours renaissant et, peut-être nécessaire, du clerc totalement axé sur le progrès et non sur la tradition. Comme ses pareils d’autres époques, Il a provisoirement, une condescendance bienveillante pour les attardés qui ne sont pas, comme lui, ouverts à l’avenir, mais bien vite, il devra constater que les événements le mènent plus loin qu’il ne voudrait. La coexistence Linossier - Despinasse, avec Pradier - Peyrard n’a peut-être pas été tout à fait pacifique, mais un arrêté du Directoire de Rhône-et-Loire, du 31 août 1791, va ré- gler le cas. Les curés et les vicaires dont les successeurs éprouvaient des difficultés dans leur ins- tallation devaient, dans la huitaine, se retirer à 10 lieues de la paroisse64. Mais un article 5 disait aussi :« Sont dispensés des dispositions précédentes les curés non assermentés qui vivent et demeurent avec leurs successeurs ainsi que les vieillards au-dessus de 70 ans et ceux qui sont actuellement malades ou infirmes » Un autre article interdisait d’user de violence ou de voies de fait envers les curés in- sermentés65. Il est certain que pour le curé Pradier, déjà très âgé, ce sont des dispositions modé- rées qui ont dû être appliquées. Dans son testament, fait le 28 avril 1792, il est effectivement appelé :« ci-devant curé de la paroisse de Jonzieux ». Son vicaire Peyrard, au contraire, va bientôt partir pour pratiquer un ministère clandes- tin, car la tolérance envers les réfractaires ne va guère durer. Quant à Antoine Linossier, sa puissance de conviction devait être propre à rassurer le laïc Champagnat dans sa ferveur constitutionnelle. Vingt ans plus tard, en effet ce Linossier bien assagi est encore décrit comme un « esprit caustique, plein de verve, d’une critique sûre, en matière littéraire, homme éminent par le cœur ». Ce dernier trait rassure et permet d’imaginer ce jeune prêtre facilement sarcastique, mais attentif aux autres. Il semble bien, en effet, avoir eu plus tard, une fois la Révolution terminée, une réelle amitié pour Peyrard. Un autre voisin de Champagnat était le curé Jamon, (curé-prieur, lui aussi) de St. Ge- nest-Malifaux, totalement gagné aux idées nouvelles et qui deviendra le scandale de sa pa- roisse par son évolution antireligieuse.

63 ; Né à Bourg-Argental en 1756, ce prêtre exerce d’abord dans la Côte D’Or, puis dans la région. Il mourra curé de Grand-Corent en 1838. En 1794, il abdique l’état ecclésiastique et, le 23 juin de cette année-là, il vient réclamer « le secours annuel accordé aux curés et vicaires qui auraient abdiqué leur état » (Délibérations et arrêtés du Conseil et du Directoire du département de la Loire, ( Extraits édités par J. de Fréminville, St. Etienne, 1907) 64 : C’était la condition sine qua non pour continuer à toucher une subvention de 500 livres. 65 : Brossard, op. cit., I p. 395.

39 Les années obscures de Marcellin Champagnat 5. – Le mandement Lamourette.

Mais les encouragements à entrer dans le nouvel ordre de choses viennent encore de plus haut. L’évêque constitutionnel Lamourette publie une instruction que se veut gentille et pastorale, mais déplore que le Pape ait fait preuve de mauvaise volonté par les deux brefs qui ont condamné la Constitution civile du Clergé ; en somme, il s’est laissé envelopper dans une coalition qui n’est digne, ni de la supériorité de son rang, ni de la gravité de ses devoirs, ni de la sagesse de son administration : le Pape n’a rien expliqué, dit-il, mais il s’est contenté de condamner et de traiter d’hérétiques les principes de la Constitution civile. Dès le 3 avril, Lamourette a d’ailleurs sacré d’autres évêques, en particulier Delcher, évêque constitution- nel du Puy. Si un laïc, comme J.B. Champagnat, a des contacts avec Linossier et Jamon, il a dû leur entendre dire à peu près : Voyez la différence de ton : Lamourette parle le langage de la douceur et de la raison ; le Pape parle le langage de la passion. Heureusement que l’Eglise de France a toujours su garder le sens de son indépendance, etc. etc. J.B. Champagnat n’est sûrement pas l’homme à vouloir s’engager dans les discus- sions théologiques : que les curés s’entendent entre eux ; moi je suis chargé de faire exécu- ter la loi ; légalement, je ne connais que l’évêque Lamourette ; il publie une instruction pasto- rale qui doit être lue au prône. Mon curé doit la lire au prône. Je recommencerai comme au 3 juillet. La municipalité va donc trouver le curé pour lui demander de faire la lecture de l’instruction , le dimanche 7 août. Le curé demande le temps de réfléchir :« Il est malade, dit- il, les eaux qu’il prend en ce moment l’ont extrêmement affaibli ». On revient à la charge, le dimanche 14 août. Il répond toujours de la même façon. Champagnat rédige alors le procès-verbal « pour qu’aucune faute ne lui soit imputée ». Maintenant, il faut en référer aux administrateurs du district de St. Etienne. « Si votre curé ne peut pas faire la lecture, qu’il la fasse faire par le vicaire », répondent-ils. Le 28 août, on revient donc retrouver le curé. « Voulez-vous faire la lecture de l’instruction pastorale, et lire les prières énoncées au mandement ? - Je ferai les prières ordinaires ; - Vous pouvez faire faire la lecture par le vicaire. - Je ne peux l’y forcer ; je ne peux que lui demander de dire la messe, de confesser et d’aller administrer les sacrements ; mais s’il veut la faire, je ne m’y oppose pas » Le vicaire arrive alors. On l’interroge : « Voulez-vous faire la lecture ? - C’est à Monsieur le Curé à la faire. - Mais vous voyez bien qu’il s’y refuse. - Eh bien, moi aussi. » Champagnat rédige alors le procès-verbal « pour être adressé de suite à Monsieur le Procureur Syndic ». Sans doute, rédige-t-on cet acte à l’endroit même où s’est fait l’interrogatoire, car tout à fait à la fin du rapport, il note :« Nous lui avons réitéré de nous ex- pliquer les raisons qui l’empêchaient. Il nous a répliqué qu’il ne pouvait, mais que ce n’est pas en raison de son indisposition, et qu’il ne le peut pas ». La même petite guerre a eu lieu à un certain nombre d’exemplaires. voici ce qui dit Brossard :

40 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le Directoire du district de St. Etienne... prit les décisions (19 août et 9 septembre 1791) contre les curés de St. Martin-en-Coailleux et les curés de St. Apollinard, de St. Sau- veur-en-Rue, Marlhes, Burdignes, La Valla, Bourg-Argental qui avaient refusé de lire la lettre pastorale de l’évêque, le 16 juillet, et qui n’avaient pas prêté le serment constitutionnel66. Il décida de dénoncer au tribunal de district les curés pour être poursuivis comme rebelles à la loi, de les priver de leur traitement et de les déclarer déchus de leurs droits de citoyens ac- tifs ; en même temps, il demanda au département de faire pourvoir au remplacement des cu- rés non-conformistes dans la prochaine Assemblé électorale du district67. Au moins à Marlhes, cela n’a pas été exécuté. Le 19 août, le Directoire du district de St. Etienne prenait encore d’autres décisions contre « Flachat, curé de N. D. de St. Chamond et de St. André d’Izieux ; Chaland, curé de St. Julien en Jarez , St. Pierre et Ste. Barbe de St. Chamond ; Dervieux, curé de St. Enne- mond de St. Chamond ; Pollet, vicaire de N. D. de St. Chamond ; Monteillier et Forat, vicai- res d’Izieux qui attestaient qu’ils n’avaient jamais entendu prêter serment qu’avec des restric- tions et qui déclaraient excepter de leur serment tout ce qui tenait au dogme et au régime spirituel de l’Eglise ; et, en outre, refusaient d’entrer en communication avec l’évêque du dé- partement68 Le Directoire fut d’avis de les déclarer démissionnaires, le 3 septembre 1791. On le voit : la tension croissait nettement entre le monde officiel et le monde clérical. Des organisations comme « la Société des Amis de Montbrison » exploitaient les difficultés que créait l’existence de deux clergés, faisaient ressortir le danger des mesures de tolé- rance, comme tel décret du 7 mai 1791, et, à vrai dire, partaient aussi de considérations bien réelles, comme celles de la pression indirectement politique que pouvait comporter la direc- tion des consciences :« L’habitant simple et crédule aime la Constitution dont il ressent les bienfaits mais il redoute une damnation éternelle dont il est sans cesse menacé.. L’ancien curé parcourt les maisons... là, il confesse une pénitente et la fait communier en secret.. par- tout le nouveau curé est désigné comme un ravisseur qui s’est introduit dans le bercail69 ». Ce qui paraît machination aux yeux de la « Société des Amis de la Constitution » n’est dans beaucoup de cas que rigoureuse obligation de conscience de la part des prêtres in- sermentés. Mais on peut comprendre aussi que cette puissance occulte soit ressentie comme une atteinte à la liberté et provoque une sourde colère dans un monde laïc qui croit à l’existence d’une liberté sans entraves. En cet été 1791, l’anticléricalisme grandit et lorsque, le 29 août et le 3 septembre, les « électeurs » reprendront de nouveau le chemin des urnes, ce sera pour remplacer une As- semblée Constituante encore modérée par une Législative beaucoup plus décidée à se dé- barrasser de la résistance religieuse.

6. – Le climat social dans la région sous la Constituante.

Parallèlement aux luttes religieuses, il faut voir ce que devient le climat social. Les « biens nationaux » posent le problème de leur exploitation. En attendant d’être rachetés par les riches - puisqu’ils ne sont vendus que par larges portions - ils sont très sé- rieusement pillés. C’est le cas surtout des forêts dans une région essentiellement forestière.

66 :On sait que dans la liste indiquée, au moins le curé de La Valla avait prêté le serment, mais avec des réticences. On peut donc légitimement pense que le curé de Marlhes avait fait de même, puisque son changement n’est pas envisagé. Dans ces débuts, certaines administrations n’acceptent que le serment pur et simple ; d’autres sont moins strictes. 67 : E. Brossard, Histoire du département de la Loire pendant la Révolution, op. cit., p. 39. 68 ; Brossard, op. cit., 392. 69 : Brossard, op. cit., 388-89.

41 Les années obscures de Marcellin Champagnat Faute de données sur le village même de Marlhes, nous pouvons citer les Mémoires de J.L. Barge, à La Valla, qui nous montre les années 1790-1791 comme la « la ruée vers la forêt ». Une partie des forêts du Pilat appartenait, en effet, à des congrégations (Chartreux de St. Croix), à des prieurés (Prieuré de St. Sauveur) etc...... Une fois supprimées les Con- grégations, à partir de février 1790, par l’abolition des vœux religieux, on sent que les nou- veaux gouvernants, en l’occurrence les municipalités, deviennent d’un odieux sectarisme à l’égard des anciens propriétaires qui n’ont plus le droit de faire des coupes et doivent conti- nuer à payer les impôts. Toute une démagogie en faveur des habitants de la commune aux- quels on dit plus ou moins : servez-vous. Et personne ne se fait prier ; les mieux équipés y mettent simplement un peu plus de rage que les autres. Voici comment cela se passe à La Valla. J.L. Barge raconte que le branle a été donné par la première municipalité élue le 28 février 1790. « La municipalité de La Valla... fut la cause principale de la destruction de notre superbe forêt communale, évaluée à plus d’un million de francs. A cette époque, chacun se permettait des délits et des dévastations gra- ves. Le maire, les officiers et notables en donnèrent l’exemple : c’était à qui enlèverait le plus. En courant tous à la fortune, plusieurs y trouvèrent la ruine de leur santé et de leurs maison ».. et il cite des noms bien précis avec des précisions parfois rabelaisiennes sur leur maladie... « Guillaume Rivat, procureur de la commune, voyant les dégâts affreux et continuels qui se commettaient, craignant pour sa responsabilité voulut prendre quelque mesure pour les arrêter, ce qui irrita les brigands qui épièrent sa marche, le 6 juin 1790, jour de foire au Bessat ; ils l’atteignirent au lieu de la Sépia avec Claude Girodet, son voisin, l’un des douze notables ; une grêle de coups de pierres tombait sur eux ; sans le secours de leurs jambes, ils auraient été assommés. Ils en furent quittes comme à la bataille de « Mal plaqué »(sic) pour un bras et œil gauche. Girodet eut l’épaule et le bas droit rompus et Rivat reçut un coup de pierre sur l’œil gauche qui le tomba par terre ; mais le danger lui donna des forces ; il se releva et s’enfuit comme il put70 ». On sent qu’il y a du communisme dans l’air et que le Contrat Social de Rousseau71 a fait son chemin dans certains esprits. Barge continue en effet en disant : « Plusieurs simples particuliers s’étaient mis en tête de bâtir dans les communaux, entre autres un certain Girot, originaire de St. Genest et Antoine Tardy, dit le Pot de Luzernod, qui disait que, n’étant pas dans le monde lors de la distribution des terres, il entendait faire actuellement sa portion ; c’était l’homme le plus séditieux, le plus fripon et le plus chaud partisan de la loi agraire qu’il y ait en France. On séquestra le bois coupé par Girot et le public s’opposa toujours aux en- treprises du Pot. Ayant eu quelques différends avec Catherine Françon, veuve Lagnet, au lieu dit de la Guèze, il se permit de la frapper ; ayant des témoins, elle s’en fut se mettre au lit où elle resta jusqu’à ce que le dit Pot lui eût compté 30 deniers ; après quoi elle fut gué- rie72 » Dans un village comme Marlhes, plus axé que La Valla sur les métiers de la scierie, on peut penser que les bois appartenant aux Chevaliers de Malte n’ont pas été mieux proté- gés. D’une part, on a donc - et sans doute, un peu dans toute la région – cette course au trésor et, d’autre part, ces années sont très dures pour l’agriculture. Le froid excessif de l’hiver 1788-89 avait provoqué des dégâts qui avaient beaucoup réduit les approvisionne- ments en denrées indispensables. Aussi en 1790, on restait encore sur le qui-vive et cela donnait très vite lieu à des vio- lences dès qu’il y avait soupçon de vol ou d’accaparement.

70 ; Voir aussi : J. Combe. et ses environs. Dumas, 1969, p. 72-73. 71 : Vingt ans plus tôt, J.J. Rousseau qui, depuis le 1ier février 1769, était dans l’Isère, est venu herbo- riser au Pilat, au mois de juillet de cette même année. Il a été reçu à Doizieu où une délégation, no- taire en tête, voulait l’accueillir triomphalement mais il ne s’y est pas prêté. 72 : Manuscrit de J.L. Barge : chantage = vous me payez 30 deniers ou bien je vous dénonce comme m’ayant gravement blessée.

42 Les années obscures de Marcellin Champagnat A Montbrison, émeute le 10 mai 1790 : la foule menace les gardes nationales et ré- clame les dragons pour que l’on fasse baisser le prix du blé. Le 11, c’est à St. Bonnet le Château, le 18 à Bellegarde, St. Cyr, Chazelles-sur-Lyon, etc...... Et tout cela, plus ou moins groupé à la fin du mois de mai. Le ministre des finances Necker, se sent obligé d’adresser une lettre aux administra- teurs de Rhône-et-Loire :« ... la licence est portée au comble ;.. Sa Majesté compte, Mes- sieurs, que vous emploierez tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour remédier à ces excès.. Si vous pensez avoir besoin de forces pour le rétablissement du bon ordre, je vous prie de m’en faire part73 ». A St. Etienne, le 4 août 1790 va être l’occasion d’une émeute particulièrement sau- vage, bien propre à révéler d’avance ce que Napoléon appellera « L’homme (ou la femme) de 1793 ». Un certain Berthéas, chez qui on a trouvé 4 sacs de mauvais grains est littéralement lynché par la foule contre laquelle les gardes nationaux n’arrivent point à réagir. Arraché de sa prison où la municipalité a essayé de le mettre en sûreté, il est traîné à demi-mort jusque vers un cimetière où une femme l’achève en lui écrasant la tête avec une grosse pierre. D’autres émeutes du même genre amènent les bourgeois de St. Etienne à s’armer pour organiser une lutte assez meurtrière contre la population ouvrière. Il feront même appel à la milice de St. Chamond, puis recevront un renfort de 200 hommes de la marine. Quatre des émeutiers du 4 août sont pendus, et une véritable atmosphère de terreur règne dans la ville et dans toute la région. Comme il existe très peu de documents sur Marlhes pour 1789 et 1790, ces quelques traits de l’histoire de St. Etienne donnent une idée de l’atmosphère surexcitée qui s’établit dans bien des villages et dans laquelle, peut-on dire, Marcellin Champagnat est né et a grandi. Une des premières préoccupations de la municipalité dont J.B. Champagnat devient secrétaire est, en effet, de trouver une prison. C’est le 3 juillet 1791, le fameux jour des élec- tions que nous avons vu plus haut. Le soir, à l’issue des Vêpres, on se réunit de nouveau et l’on décide d’acheter une maison pour en faire une prison. « L’on n’ignore pas, dit le sieur Barralon, procureur de la commune, que n’ayant point de prison dans la paroisse de Marl- hes, ni aucune chambre pour s’assembler, même pour déposer les lettres et les registres de la municipalité, ce qui met dans l’impossibilité les officiers municipaux de faire observer les lois de police, arrêtant un coupable, où le mettre... il conviendrait d’acquérir une maison à Marlhes ». La seule à vendre, semble-t-il, est celle de la prébende des habitants de La Vida- lière... On décide donc de l’acheter. Quant à la misère des agriculteurs, elle est aussi évoquée par cet autre texte du même registre :« Les 8 et 9 mai 1791, écrit Champagnat, le vent du Nord a brisé une partie des blés. Puis, pendant 3 semaines, c’est le vent du midi qui a fait des ravages. Le 1ier juin, une gelée très forte a rendu stérile une partie des épis, les pommes de terre qui sortaient, le four- rage encore tendre. Puis un autre fléau, le tartarier a attaqué ce que les intempéries avaient laissé subsister ». Pour l’ensemble de la France, l’année 1791 n’est pas mauvaise, mais comme on le voit, à Marlhes, elle est plutôt désastreuse. Quant aux bien nationaux, c’est surtout en janvier - février 1791 qu’ils sont vendus74, et, même si c’est une opération capitaliste, elle aura au moins l’avantage de protéger les fo- rêts contre la dilapidation.

73 : Arch. Nat. Paris, 2 juillet 1790, F. 7, 3255. 74 : Cependant les « domaines de Tarentaise, La Valla, Rochetaillée, le Bessat, desquels dépendait l’exploitation du Grand Bois, formant ce qu’on appelait la forêt des Chartreux », sont mis en vente seu- lement à la suite d’une délibération du Conseil Général de la Loire du 25 octobre 1791.

43 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VII. LES DEBUTS DE LA LEGISLATIVE

( août - octobre 1791 )

1. – Niveau national.

L’Assemblée Constituante a donc terminé ses travaux. La Loi Constitutionnelle est so- lennellement proclamée le 18 septembre. Mais, dès le 30 août, des élections de nouveaux députés ont eu lieu, par exemple, celles de Rhône-et-Loire. Les élus sont 745. Très vite se forme une extrême gauche qui veut modifier la Consti- tution. Les Jacobins ne sont que 136. Mais l’ensemble est plus anticlérical, en particulier parce que les nouveaux députés devaient prêter le serment de fidélité à la Constitution et que bien des catholiques ne se sont pas sentis le droit de le prêter. Certains ont accepté, en vue d’un moindre mal et c’est le cas de Pierre-François de Colomb, écuyer, seigneur d’Hauteville et Baste75. Le voilà donc député de la Législative jusqu’au 10 août 1792 car il démissionnera alors, sera mis hors la loi, et réussira non sans peine à sauver sa tête. Les Députés de la Législative ont leur 1ière séance le 1ier octobre dans la salle du Ma- nège. Désormais, on prête serment sur le livre de la constitution. Le 7 octobre est le jour de réception du roi : « Vous avez besoin d’être aimé des Fran- çais ; nous aussi, Sire, nous avons besoin d’être aimés de vous » dit au souverain le Prési- dent de l’Assemblée. Aurait-on oublié la fuite du 20 juin ? En fait, non. Les attendrissements de la Législative ne dureront ni à l’égard du roi, ni à l’égard du clergé. Des les premières séances, un député du Puy de Dôme, Couthon, destiné à devenir le plus proche collaborateur de Robespierre, demandera une reprise de la lutte contre les prêtres réfractaires.

2. – Niveau régional.

Mais retrouvons maintenant J.B. Champagnat dont les activités ne portent encore au- cune atteinte à la religion.

a) Faire la police.

A Marlhes, on a équipé la garde nationale. Champagnat a reçu pouvoir d’aller retirer « 12 fusils qui seront pris dans le magasin de la Manufacture de St. Etienne ». Et vraiment, on va l’utiliser cette garde, car l’agitation et la violence s’accroissent. A Pa- ris, la loi martiale est proclamée le 21 octobre 1791. Ça et là, des métayers et des fermiers se révoltent. A Marlhes, le banditisme sévit :« Si l’on n’agit pas, écrit Champagnat, le 23 oc- tobre 1791, il faudra que les honnêtes gens désertent le pays où les coquins cherchent à dominer et se permettent avec audace et impunité d’établir leur domination de la façon la plus révoltante ». Il y a, en particulier, un voleur connu de tous : François Lachaux. « Depuis 12 ans on le laisse en liberté. Qu’attendons-nous pour faire un exemple ? » Résolution : « La municipalité arrête que les gardes nationales seront requises de poursuivre Lachaux et son fils, ce dernier comme soupçonné et complice, de l’arrêter et tra- duire en prison, que le maire accompagnera les gardes nationaux et que dans le cas de cap- ture, il ordonnera au nom de la municipalité ce qui conviendra ».

75 : Plus tard, il sera maire de St. Sauveur en Rue et grand ami de Marcellin Champagnat auquel il demandera des Frères pour son école.

44 Les années obscures de Marcellin Champagnat Marlhes n’est pas une exception, car la proportion des « indigents », comme nous l’avons vu, est énorme. Ces indigents sont généralement des vagabonds, qui se font parfois charbonniers et vivent comme ils peuvent, prêts évidemment à la bagarre ou à la guerre pour la révolution ou la contre-révolution. On se souvient, par ailleurs, que les années précédentes ont vu un risque de famine, suivi de la réalité et aussi de la psychose d’accaparement : on imagine volontiers que les boulangers et autres commerçants trichent et emploient de fausses mesures.

b) Contrôler les poids et mesures.

Le 16 novembre 1791, Champagnat reçoit mission du « Conseil Général de la com- mune d’échantiller les poids et mesures ». il se servira d’une carte « échantillée et marquée du cachet de la ci-devant justice de St. Didier et sera payé « 12 sols pour chaque carte qu’il marquera et échantillera ».

c) Faire respecter la religion.

On a donc des occupations très saines à la mairie et les poussées d’anticléricalisme sont inexistantes. Le 23 novembre, « défenses sont faites à tous les hôtes aubergistes et cabaretiers de donner à boire et à manger les dimanches et fêtes, dans leurs cabarets, aux habitants de la paroisse, aux heures de service divin ». A St. Etienne, les autorités restent fidèles aux cérémonies religieuses. Le 21 novembre 1791, le Conseil général de la commune et la garde nationale participent, comme chaque année, à la procession du vœu de la ville, à l’église des Capucins. Pendant les 28 mois où l’Assemblée Constituante a gouverné la France (mai 1789- septembre 1791), l’Eglise a pourtant subi une déchéance prodigieuse, et, déjà, à partir d’avril 1791, commencent à apparaître, en divers lieux, des signes très palpables de désaffection religieuse ; par exemple, on enlève des cloches qui, au lieu d’appeler aux offices, serviront à fabriquer des pièces de monnaie. Les prêtres qui se réclament de leur fidélité à Rome ont encore quelques liberté, mais ils restent sans autres ressources que celles qui leur viennent de la générosité des fidèles. Par ailleurs ce clergé réfractaire reste très lié à une noblesse qui déjà a commencé à émi- grer, et à un roi, qui, le 20 juin 1791, a échoué dans cette tentative. Le mois d’octobre 1791 connaît encore quelques hésitations et la proclamation de la Constitution s’accompagne, en divers lieux, non seulement de Te Deum, mais aussi de priè- res pour la conservation des jours des représentants, de ceux du roi, de la reine et du dau- phin. Bientôt, hélas ! la parole ne sera plus du tout à la France profonde. Elle appartiendra exclusivement aux meneurs.

45 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VIII. AGGRAVATIONDE LA SITUATION PENDANT LA LEGISLATIVE

1. – A l’égard des prêtres réfractaires.

La situation religieuse se dégrade davantage à la fin de l’année 1791. L’imminence d’une guerre amène la Législative à s’engager dans une politique de répression vis-à-vis des prêtres réfractaires dont elle aura soin de faire uniformément, par la propagande, des enne- mis de l’intérieur. Dans le département de Rhône-et-Loire, cette analyse parisienne est cependant assez loin d’être acceptée aussi simplement. Presque partout, le clergé réfractaire est resté en place, et il est bien exact que cela contribue à de fortes tensions. Les réfractaires considè- rent les constitutionnels comme des « intrus » et des schismatiques, et ils ne se gênent pas pour le dire. On ne doit donc pas s’étonner quand le Conseil de district de Montbrison s’afflige ou feint de s’affliger de cette situation. « Partout les consciences sont alarmées, les discussions domestiques désolent les familles.. le fils fuit le père, la voix de la nature n’a plus aucun empire ». Evidemment, pour l’administration, la vérité est du côté de la loi. Et les prêtres réfrac- taires contestent cette loi. Même si on ne les accuse pas encore de connivence avec l’ennemi de l’extérieur, on leur trouve au moins le tort de diviser les Français. On ne parle pas encore de les éliminer physiquement, mais déjà on les sent gênants, et, dès le début de la Législative, en bien des endroits, on les traite de suspects. Officiellement, bien sûr, car dans un régime très loin du suffrage universel, le peuple ne peut guère se sentir partie pre- nante d’une loi qu’il n’a pas votée lui-même et qui est contraire à ses principes religieux. Quant à l’émigration (des nobles ou des prêtres), elle augmente de jour en jour, et Louis XVI juge bon, le 14 octobre, d’enjoindre aux émigrés de rentrer en France, sous peine d’être traités en ennemis. L’Assemblée Législative veut aller plus loin et elle vote un décret le 9 novembre 1791, déclarant en état de conspiration tout Français faisant partie d’un attroupement hors du royaume : ceux qui, au 1ier janvier 1792 n’auront pas déposé les armes sont passibles de la peine de mort. Le roi76 va opposer son veto à ce décret. Dans le district de St. Etienne, et plus généralement dans le département de Rhône-et- Loire, on n’est pas pressé de durcir les situations avec des populations souvent très religieu- ses. A Jonzieux, par exemple, plusieurs citoyens ayant réclamé l’autorisation d’exercer leur culte religieux dans une chapelle privée (évidemment avec le clergé réfractaire), le Directoire de Rhône-et-Loire estime leur demande recevable et conforme aux Droits de l’Homme. Les habitants de Jonzieux reçoivent donc l’autorisation de s’assembler « paisiblement et sans trouble » dans cette chapelle, à la charge d’ouvrir une porte sur la rue et d’y placer l’inscription :« Paix et Liberté : édifice consacré à l’exercice d’un culte religieux77 » Le 3 novembre 1791, le Directoire donnera même l’autorisation à toutes les sociétés religieuses ou séculières d’ouvrir églises, chapelles, temples et autres édifices en leur pos- session à tout culte religieux qui leur semblera bon.

76 : Le 16 novembre 1791, il y a un nouvel essai de libéralisation à l’égard du clergé réfractaire, mais c’est déjà trop tard. L’Assemblée est incapable de juger sérieusement : tout ce qui est réfractaire est une cinquième colonne, un ennemi de l’intérieur. La 1ière Terreur n’est pas loin (1792) 77 :E. Brossard, Histoire du Département de la Loire pendant la Révolution, I, 468-69.

46 Les années obscures de Marcellin Champagnat Mais au niveau de l’Assemblée Législative, c’est bien différent et celle-ci, le 29 novem- bre 1791, décide que les ecclésiastiques qui n’auront pas prêté le serment, sans restrictions, à la Constitution civile du Clergé, perdront leur pension et seront réputés « suspects de ré- volte contre la loi et de mauvaises intentions contre la Patrie78 ». C’est effrayant de voir qu’en deux ans on en est arrivé là. Boisgelin, un des évêques les plus modérés, fait alors une réflexion très juste qui résume bien la dégradation de la si- tuation :« Quel est ce droit que l’Assemblée s’attribue, non de faire des lois pour punir les crimes, mais de créer des crimes par des Lois ? ». Dans ces conditions, on comprend que le roi se sente soutenu par la nation profonde lorsqu’il oppose son veto aux décrets anticléricaux de la Législative. Le 19 décembre 1791, il bloque donc le décret du 29 novembre et cela explique qu’à Marlhes le curé Allirot et son vi- caire Laurens ne se sentent pas l’obligation de faire un acte d’allégeance plus précis aux dé- cisions de la Législative. Il prêteront serment seulement un an plus tard, en octobre 1792, car ils devront alors choisir entre émigrer et assurer auprès de leurs ouailles un ministère in- dispensable. Provisoirement ils sont protégés par le veto du roi. C’est à la fin de cette année que J. P. Ducros, cousin germain de J.B. se signale par un acte terroriste dont on ignore le sens, sinon qu’il montre que son auteur est déjà prêt à tout. Il incendie le château de la Ter- rasse à Jonzieux.

2. – La guerre et la conscription obligatoire.

Les 3 premiers mois de 1792 se passent dans une situation seulement tendue : On s’agite autour d’une possible déclaration de guerre et d’un appel aux volontaires qui ne sera guère entendu. Il faudra faire cette guerre avec les membres des gardes nationales volontai- res, soit quelque 35.000 soldats. A partir de mars 1792, le Pape a publié un nouveau bref qui est pratiquement la der- nière monition canonique avant l’excommunication pour les prêtres et évêques qui ne rétrac- teront pas leur serment. Mgr de Marbeuf envoie le bref à son diocèse. D’où nouvelles rétrac- tations et nouveaux troubles. Le 6 avril, même les congrégations hospitalières sont supprimées, le costume est pro- hibé. Dans cette fermentation des idées commence à germer la secte des Béguins avec Drevet, curé de St. Jean Bonnefonds : Elie va revenir. A l’Assemblée , au Ministère, l’agitation est à son comble : faut-il déclarer la guerre à l’Autriche qui abrite une émigration prête à la contre-révolution ? Finalement, le pas est fran- chi. Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre « au roi de Bohème et de Hongrie ». Plus que jamais, dans cette situation, les prêtres insermentés vont être présentés par les meneurs comme les alliés de l’ennemi. La loi se durcit donc contre eux et, le 27 mai 1792, la Législative vote la déportation de tout prêtre insermenté dénoncé par « 20 citoyens actifs » du même canton. En cas de trouble, la dénonciation d’un seul citoyen actif suffit. On ne peut pas dire qu’il n’y ait pas parfois une certaine possibilité d’accord entre prê- tres réfractaires et ennemis de l’extérieur. Mais à qui la faute ? on a poussé ces prêtres, souvent très patriotes, à agir contre leur conscience. S’ils n’agissent pas contre leur cons- cience, on les oblige pratiquement à fuir à l’étranger. A l’étranger, ils vont trouver des émi- grés qui ne manquent pas de bonnes raisons pour se justifier d’entrer dans une coalition, non contre la France, mais contre la Révolution. Le Pape Pie VI est évidemment anti-révolutionnaire et il ne demanderait pas mieux que de voir triompher la coalition qui s’organise contre la France et s’éteindre ainsi l’incendie al- lumé depuis 3 ans et qui prend des proportions catastrophiques.

78 : Dans le cas de récidive, il peut y avoir un emprisonnement de 2 ans. – E. Brossard, op. cit. I, 473.

47 Les années obscures de Marcellin Champagnat Quant au roi Louis XVI, c’est sa foi que le stimule mieux que son instinct de légitime défense qui, pourtant, aurait bien des raisons de s’exercer. Il a, nous l’avons vu, le droit de veto et il l’exerce. La loi du 27 mai, votée par l’Assemblée, est sans effet tant qu’il n’a pas donné son accord. Le lundi 11 juin, Roland lui envoie une lettre comminatoire. Dumouriez essaie aussi de le persuader. Mais c’est là qu’on voit cet homme trop souvent indécis devenir héroïque par fidélité à l’Eglise. Il congédie les ministres qui veulent le forcer à signer et il tient tête à la redoutable in- surrection populaire qui, le 20 juin 1792, l’assaille aux Tuileries79. Tant qu’il n’a pas signé, les prêtres insermentés jouissent donc encore d’un peu de liberté. Le 22 juin, le roi lance une proclamation au pays pour se plaindre de la violation de son domicile. Le directoire de Rhône et Loire approuve la conduite du roi (26 juin). A St. Etienne, le 14 juillet, après la messe, un des membres du Directoire fera une proclamation qui est une mise en garde contre les dangers qu’il y a à franchir « les sages barrières posées par la Constitution », à violer « la Loi qui consacre le veto royal, palladium de la Constitution ». Et ce discours, il le prononce au nom de ses collègues80. A Marlhes, personne sûrement n’a envie d’être plus farouche que le directoire du district. On peut dire, d’ailleurs, que du 24 au 30, il y a des réactions royalistes dans 70 dépar- tements. Mais déjà les relations entre l’administration du district de St. Etienne et la munici- palité sont mauvaises. Le maire laisse la foule crier : A bas le district, au cours de ce même 14 juillet. Les éléments urbains, en majorité ouvriers, sont noyautés par des agitateurs et évoluent vers les solutions violentes81. A Paris, bien entendu c’est pire. Cependant à l’Assemblée on est encore capable de moments d’émotion et Lamourette sait faire appel aux bons sentiments. Tout le monde s’embrasse. On parlera du baiser La- mourette qui précède, hélas ! de bien peu, le carnage que Danton va susciter. Le 11 juillet, l’Assemblée a déclaré la Patrie en danger. Quelques milliers de volontai- res acceptent de s’enrôler. A Marlhes, on a des moyens assez innocents de montrer son adhésion à la Révolution. Le 20 juillet 1792, Champagnat intitule une session du Conseil municipal : An 4 de la Liber- té ; l’idée c’est que l’an 1 commencerait avec le 14 juillet 1789. Sont-ce ses convictions révo- lutionnaires qui lui valent une promotion ? En tout cas, le 17 août, il devient commissaire. Le 26 il est scrutateur, lors de nouvelles élections et il est le premier comme « électeur » pour les élections de la Convention. Quant à la nouvelle ère, elle ne commencera, comme on sait, qu’avec l’abolition de la royauté. Le 27 juillet, Charles, duc de Brunswick, chef des armées coalisées, adresse à la France un ultimatum : intervention armée et subversion totale, s’il est fait le moindre outrage à la famille royale. Le résultat est la sinistre journée du 10 août, c'est-à-dire la séquestration de la famille royale. Ce n’est, d’ailleurs plus l’Assemblée qui fait les lois. Dans la nuit est constituée une « commune insurrectionnelle » avec Pétion et Manuel à sa tête ; elle va s’installer à l’Hôtel de Ville de Paris, se charger de gouverner la ville et aussi exercer une influence terrorisante sur la Législative elle-même. Elle a 288 membres, parmi lesquels il y a peu de Girondins, mais beaucoup de Monta- gnards. C’est la Commune qui fait transférer la famille royale du palais des Tuileries, où on l’a d’abord enfermée, à la prison de la tour du Temple. Le roi est désormais un prisonnier que l’on jugera pour trahison. Le 17 août, est créé un tribunal criminel extraordinaire.

79 : L’opinion, même au club des Jacobins, reste encore plutôt monarchique. De ce club, sont d’ailleurs membres le duc d’Orléans, Philippe-Egalité et le duc de Chartres, son fils, le future Louis- Philippe. 80 : E. Brossard, Histoire du Département de la Loire, op. cet., I, 502. 81 : Id. p. 505.

48 Les années obscures de Marcellin Champagnat L’autorité reste quand même théoriquement aux mains de l’Assemblée Législative qui s’empare du pouvoir exécutif et fait élire des ministres, Danton par exemple, qui devient le principal responsable des excès qui vont suivre. Dès le 10 août, l’Assemblée décide également que tous les décrets, jusque-là bloqués par le veto royal, seront immédiatement exécutoires. La justification de ce bouleversement, c’est qu’il faut gagner la guerre. Et effective- ment, s’instaure un climat de guerre pour plus de 20 ans. Avec les soldats de l’An II ou avec les grognards de Napoléon, la France fait la guerre à l’Europe, ou, si l’on veut, la France d’abord seulement décidée à défendre son territoire se découvre une vocation idéologique : étendre à l’Europe les principes de sa Révolution. Elle s’appuie sur sa Déclaration des Droits, accueille des patriotes de tous pays et leur promet l’aide de ses armées pour établir chez eux la Révolution. En décembre 1792, c’est ce qu’on pourra lire : « La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu’elle accordera fra- ternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté ». Avant le terme, c’est le droit d’ingérence au nom d’un idéologie en fait destructrice de liberté. Il faudrait écrire « Oh ! Soldats de l’An Deux... » La nouvelle de la journée du 10 août arrive le 13 à St. Etienne par un courrier extraor- dinaire. Dans l’intervalle, de nouvelles escarmouches ont eu lieu à St. Etienne, entre munici- palité et district. Quant au Directoire du département de Rhône-et-Loire, il est, plus encore que le dis- trict, considéré comme dangereusement réactionnaire pour le nouveau pouvoir exécutif qui s’appelle Conseil exécutif national. On va donc tout de suite envisager de le suspendre82. Le 14 août pourrait cependant apparaître comme le désir d’une certaine réconciliation religieuse, car on décide d’un nouveau serment qui sera appelé liberté - égalité et qui ne fait plus intervenir la Constitution civile du Clergé. Nous verrons que, dans le cas de Marlhes, il permettra aux deux prêtres de prolonger leur présence dans une paroisse.

3. – L’exil massif des prêtres (26 août 1792).

Le 26 août 1792, les prêtres réfractaires apprennent qu’ils doivent quitter la France dans les 15 jours sous peine d’être déportés en Guyane. Environ 30.000 vont donc s’exiler et c’est le cas de Monsieur Courbon, Vicaire Général de Lyon, originaire de St. Genest- Malifaux, bien connu d’Allirot et de Champagnat. Le clergé constitutionnel83 trouvera désor- mais une moindre concurrence quoiqu’un nombre d’insermentés au moins égal aux exilés continuent, ça et là, un ministère clandestin. Dans toute la France, les clubs vont s’acharner contre ce clergé « romain » et les mu- nicipalités « patriotes » s’empresser de les arrêter. A Paris, ils sont emprisonnés en masse dans l’Abbaye des Carmes, à St. Magloire et, en septembre, la foule excitée par des meneurs, en massacrera quelque 300. Ce prélude à la Terreur a contribué à hâter chez un grand nombre de prêtres la déci- sion de partir en exil.

82 : Brossard, op. cit., 513-514. 83 : Dans ce clergé constitutionnel, il faut classer ceux qui, jusque-là, étaient réfractaires, mais qui vont maintenant prêter serment. C’est le cas de Monsieur Allirot. Ce nouveau serment n’étant plus un ser- ment à la Constitution civile du Clergé, il n’est plus considéré comme illicite, au moins par certains théologiens.

49 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4. – Les massacres de septembre.

La Législative, si peu cléricale soit-elle, a assisté, frappée de paralysie, à ces « massa- cres de septembre » qui, au total, ont fait en France quelque 1.000 victimes. Personne n’est censé avoir vraiment voulu cela, mais c’était la conclusion d’une série de mesures visant à assimiler les prêtres réfractaires et les nobles à des traîtres. Un des buts les plus évidents de la fraction la plus extrémiste de l’intelligentsia, c’est d’éliminer, dans le minimum de temps possible, le problème religieux ; pour ce faire, la Législative a accumulé les mesures d’exception : Fermeture des derniers couvents qui doivent être vidés avant le 1ier octobre ; suppression des dernières corporations régulières ou séculières84 ; vente des biens des fa- briques ; défense de porter le costume ecclésiastique ; interdiction des processions ; ordres de déportations ; depuis le 10 août, ces décrets se sont succédé à une cadence infernale contre tous les vestiges du culte romain, en attendant que, dans une prochaine étape, on pût s’attaquer à l’autre clergé.

5. – Maintenir une présence chrétienne.

Un certain nombre d’ecclésiastiques, réfractaires jusque-là, croient pouvoir comme Alli- rot prêter le nouveau serment tel qu’il se présente dans les formules du 14 août et du 3 sep- tembre 1792 :« Je jure d’être fidèle à la nation, de maintenir de tout mon pouvoir, la liberté, l’égalité, la sûreté des personnes et des propriétés, et de mourir s’il le faut pour l’exécution de la Loi ». Evidemment, la « loi » signifie, entre autres choses, la Constitution Civile du Clergé que le Pape a déclarée hérétique, mais puisque celle-ci n’est pas explicitement nommée, un homme aussi sage que Monsieur Emery, Supérieur de St. Sulpice, estime que l’on peut prê- ter ce serment et même que l’on doit « préférer le service des fidèles à la pureté personnelle que donne la déportation ». Bien des prêtres vont donc choisir de prêter ce serment, dit Liberté - Egalité, pour sau- ver par leur présence la foi religieuse d’un peuple qui tient à la manifester. Même à Paris, en mai 1792, en dépit des manigances de Manuel, procureur syndic, les processions de la Fête-Dieu se sont déroulées comme d’habitude et malheur à ceux qui au- raient voulu les entraver : ils auraient encouru l’indignation populaire. « Les rois sont mûrs, mon cher Manuel, mais le bon Dieu ne l’est pas encore », dira Philippe-Egalité. A Noël 1792, la Commune de Paris décidera que les portes des églises seront fer- mées, mais les fidèles forceront le clergé à célébrer les messes de minuit. La semaine sui- vante (3 janvier 1793), pour la fête de Ste Geneviève, la foule sera plus dense encore dans les églises de Paris. Il y avait en tout cas, pour les prêtres, un problème de fidélité à un peu- ple croyant qu’il ne fallait pas laisser sans pasteurs. L’Eglise constitutionnelle, elle, va s’effriter assez misérablement, mais elle aura aussi des héros. Les lâchages viennent simplement de l’instabilité humaine qui s’aggrave inévitable- ment en période difficile. Se sentant membre d’une église sécularisée et nationalisée, cer- tains auront tendance à rejeter ce qui est de tradition latine et non universelle. C’est ce que fait, dès novembre 1792, l’évêque d’Evreux, Lindet, en annonçant son mariage : « Il faut sauver ce que le vaisseau de l’Eglise contient de plus précieux et jeter le reste à la mer. Il faut dégager la doctrine céleste de J.C. des opinions théologiques qui ne servent qu’à l’obscurcir. »

84 : Pour les sœurs de St. Joseph, il semble que ce ne soit pas trop drastique car elles n’ont pas été fondées par lettres patentes et elles ne font pas de vœux. Au moins la grand’ tante de Marcellin mour- ra dans sa communauté en 1798.

50 Les années obscures de Marcellin Champagnat A partir de ce qui a été entendu et lu de 1960 à 1980, on peut bien comprendre ce qui a été entendu et lu dans la période 1789-1799. Jamais peut-être, l’histoire ne s’est aussi bien répétée.

51 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre IX. LES ELECTIONS ET LES PARTIS AU DEBUT DE LA CONVENTION

1. – A Paris.

La Législative s’achève donc sur une première Terreur très sanglante. Au lieu de frei- ner ce déchaînement démagogique elle va consacrer ses derniers mois à rédiger quelques autres décrets anticléricaux. Le 18 juillet 1792, elle met en vente les palais épiscopaux ; le 14 août, elle réquisi- tionne les objets de bronze existant dans les églises, car la patrie est en danger et il faut faire des canons85. Elle se séparera le 20 septembre 1792 sur quelques actes supplémentai- res de déchristianisation : les registres consignant naissances, mariages, décès, seront te- nus par les officiers municipaux86 : le remariage des divorcés est autorisé ainsi que le ma- riage des personnes engagées dans les ordres sacrés. Et maintenant, place à une nouvelle Assemblée, appelée Convention, comme aux USA, qui sera élue au suffrage universel et sera chargée de doter la France d’un nouveau régime. Ce nom de Convention évoque surtout, dans l’Histoire de France, l’étape la plus sanglante de la Révolution. On peut s’étonner que, en moins d’un an, l’Assemblée Législa- tive puisse être considérée comme déjà caduque, mais, évidemment, l’événement du 10 août change tout : on est désormais en république. La nouvelle Assemblée sort des urnes entre le 5 et le 20 septembre. C’est Paris sur- tout, qui se passionne pour la lutte électorale, car, essentiellement, c’est l’opposition Robes- pierre - Brissot qui va devenir guerre à mort entre Jacobins et Girondins. Ces deux partis, d’abord alliés, vont tout mener, et le centre (la Plaine, le Marais), hon- nête et terrorisé, créera des majorités fluctuantes en se déplaçant sous le coup de continuel- les appréhensions jusqu’au jour où, après la chute de Robespierre, il reprendra assez de mordant pour apparaître anti-jacobin, anti-terroriste.

2. – Dans la région.

La loi concernant les élections de la Convention est du 13 août 1792. La période élec- torale commence le 20 août. Le 19, le maire de St. Etienne proclame, place Chavanelle, au son du canon, la loi qui annonce la suspension du pouvoir exécutif et qui déclare que les mi- nistres ont perdu la confiance de la nation. Ces élections, théoriquement au suffrage universel, vont se faire dans un climat de ter- reur aussi peu démocratique que possible. Elles manifesteront une avancée incontestable des Jacobins. A cette élection, les modérés terrorisés par les massacres de Septembre, ont déserté les urnes. Une faible partie de l’électorat a pris part au vote pour l’ensemble du pays. La Convention n’aura donc qu’une minorité de royalistes. Essentiellement bourgeoise, elle ne comptera que 2 ouvriers sur 750 membres. Cependant une bonne partie d’entre eux ont déjà fait partie des deux Assemblées précédentes.

85 : Dans l’Assemblée Législative, il y a 264 Feuillants qui prônent la tolérance. Mais, divisés en 2 groupes, ils se laissent manœuvrer par 136 opposants qui se réunissent chez les Jacobins et vont, eux aussi, former 2 groupes ennemis : Girondins et Montagnards. Entre ceux-ci et les Feuillants, il y a une masse amorphe de 300 députés du « Marais » qui votent opportuniste. 86 : Encore faut-il trouver des citoyens sachant écrire un peu correctement.

52 Les années obscures de Marcellin Champagnat A Marlhes, les élections primaires ont lieu le 26 août 1792. On n’y sent plus la pré- sence du curé de Marlhes, mais Linossier, curé de Jonzieux, y est nommé. Il est secrétaire, et le scrutateur est J.B. Champagnat. Les conditions électorales sont un peu différentes : 21 ans, à condition d’être domicilié depuis un an. Au premier tour du scrutin, c’est J.B. Champagnat qui recueille le plus de suffrages. Il sera donc un de ces « électeurs » qui se réuniront à St. Etienne pour élire directement les députés de la Convention. Il y a 6 « électeurs » par canton et Barthélemy Chirat de Malcognière, beau-frère de Champagnat, fait aussi partie des 6. Ces électeurs se réunissent donc à St. Etienne (peut-être jugé plus sûr que Lyon) dans « l’église des ci-devant Minimes » pour nommer les 15 députés qui représenteront le dépar- tement de Rhône-et-Loire à la Convention. Les élections ont lieu entre le 2 et le 12 septembre. Il faut autant de tours de scrutin qu’il y a de candidats. Les trois premiers élus sont de Villefranche, Montbrison et Lyon. Le 4ième est un docteur, Priestley87, d’origine anglaise, mais dont l’élection est homologuée par décret de l’Assemblée Nationale. Avant l’élection du cinquième, on assiste au défilé d’un bataillon de volontaires des Landes dont la présence est destinée à insuffler le zèle patriotique requis pour continuer les élections. Le cinquième élu est de Montbrison, le sixième de Valbenoîte. Avant l’élection du douzième, on décide que les électeurs de la région de St. Etienne, bien qu’ils soient les plus proches, recevraient un dédommagement égal aux autres, soit 3 li- vres par jour. Le quinzième et dernier élu est Javogues qui doit être en train de calculer comment il se vengera de cette humiliation. Plusieurs de ses électeurs risquent bien de devenir, un jour, ses victimes. On élit ensuite cinq suppléants et, là encore, le cinquième est un de ceux qui se feront à juste titre détester : André Béraud, maire de St. Pierre de Bœuf. Pour la période il sera ce- pendant presque un modéré. Plus tard, en novembre, il y aura d’autres élections pour renouveler les membres des « corps administratif et judiciaire ».

3. – Politique religieuse.

L’idée de détruire toute religion animait déjà certains membres de l’Assemblée Législa- tive ; elle animera un nombre encore plus grand de Conventionnels. Dès le 28 septembre, un décret réduit les traitements ecclésiastiques les plus élevés. Le 13 novembre 1792, Cambon propose de supprimer le budget du culte, mais l’Assemblée ne le suivra pas :« elle n’a jamais eu l’intention de priver les citoyens des minis- tres du culte que la Constitution civile leur avait donnés ». Cette même déclaration sera en- core renouvelée le 11 janvier et le 27 juin 179388.

87 : Il s’agit du père de Joseph Priestley, philosophe anglais, totalement favorable à la Révolution. Le 26 août 1792, la Législative avait décerné la citoyenneté française à tous les philosophes étrangers qui « avaient bien mérité de l’humanité ». (Lavisse, Révolution, p. 436.) 88 : C’est dire que la Convention ne suit pas toujours les poussées les plus irréligieuses qui viennent surtout de la Commune de Paris, dont les animateurs les plus farouches sont : Hébert, Anacharsis Cloots, Momoro. Chaumette, le procureur-syndic, est encore plus férocement anti chrétien.

53 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4. – Situation militaire.

Par contre, la date du 20 septembre 1792, sur laquelle s’achève la période de la Légi- slative, est celle d’une brillante victoire de l’armée révolutionnaire contre la coalition. Dumou- riez dispose de l’artillerie nouvelle fabriquée sur les plans de l’ingénieur Gribeauval. La vio- lence et la précision de la canonnade, la ferme contenance des troupes qui, au cri de « Vive la Nation », opposent une résistance héroïque, découragent les Prussiens, et Charles de Brunswick, l’homme de l’ultimatum, donne l’ordre de la retraite. Goethe, le poète, est présent et il comprend le sens de cette journée. La Nation armée est victorieuse contre les armées de métier des Souverains. « De ce lieu et de ce jour, dit-il, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ». Ainsi, ce même mois de septembre rappellera à la fois un massacre odieux et une bril- lante victoire. Il pourra être le premier mois d’une ère nouvelle, sinistre et glorieuse : l’an I de la République.

54 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre X. CHAMPAGNAT, COMMISSAIRE SOUS LA CONVENTION.

1. – La conscription et la République.

Le 27 août, la séance à la mairie de Marlhes avait été houleuse. Champagnat, nommé commissaire de district par le Conseil Général de St. Etienne, avait fait à l’Assemblée lecture d’une lettre qu’il avait reçue du procureur-syndic. Il s’agissait « d’élire quatre volontaires » qui devraient partir pour l’armée du Midi. L’expression est pleine de charme, mais enfin, peut-être y avait-il effectivement, assez de jeunes gens qui s’étaient déclarés prêts à partir pour qu’il faille vraiment choisir entre eux. Les quatre élus qui ont respectivement 34, 19, 22 et 19 ans acceptent leur nomination et promettent de partir tout de suite. Mais après cela , il s’agit « d'élire » le 1 /10ième des hom- mes « pour la permanence », c'est-à-dire pour faire partie de ce groupe dans lequel on pui- sera au fur et à mesure des besoins. Cette fois, les électeurs ne sont pas aussi zélés. Dune voix unanime, ils disent « qu’ils veulent partir et se lever en masse avant que désigner le 1 /10ième des citoyens ». patriotisme commode duquel on essaie vainement de les faire revenir. Ils se retirent tous, les uns après les autres sans faire « d'élection ».

2. – Une vraie garde nationale.

Le 9 septembre 1792, J.B. Champagnat se préoccupe de la constitution d’une vraie garde nationale, car les premières rumeurs des massacres de Paris ont eu à peu près le temps d’arriver à Marlhes et ce même jour il y aura encore 70 prisonniers massacrés à Ver- sailles. Or, depuis le 9 décembre 1791, le Conseil général de Rhône-et-Loire avait demandé aux communes de faire cette organisation.

3. – Lever des impôts.

Il faut, en outre, mettre en route les nouveaux impôts pour financer la lutte de la France contre l’Europe : le nouveau commissaire constitue donc un rôle dans lequel chaque contri- buable se libérera au marc la livre de son impôt foncier89.

4. – Le clergé de Marlhes prête serment.

Le curé Allirot avait pu, jusque-là, éluder les prestations de serment. Comme suite à la loi du 20 août, il se décide, le 12 octobre, ainsi que son vicaire : « Je jure d’être fidèle à la nation, de maintenir la liberté ou de mourir en la défendant ». Tous deux, Allirot et Laurens, demandent une attestation de l’acte de civisme qu’ils viennent de faire. On verra plus loin que les deux prêtres se considéraient peut-être encore comme fai- sant partie du diocèse du Puy. Mais à l’égard du serment, cela ne changeait rien car l’évêque canonique du Puy, Mgr de Galard, était en exil, comme Mgr de Marbeuf, et il con- damnait le serment.

89 : Expression ancienne = au prorata de sa fortune.

55 Les années obscures de Marcellin Champagnat C’est donc plutôt à l’avis de Monsieur Emery90 qu’ils pouvaient se référer car lui était favorable à cette prestation. Cela ne veut pas dire qu’ils se rangeaient derrière Delcher, l’évêque constitutionnel du Puy, dont le gallicanisme était aussi outrancier que sa dignité sa- cerdotale était inattaquable91. Dans le cas de ce serment, le Pape ne s’était pas prononcé et n’a jamais, dans la suite, voulu ratifier une condamnation qu’avait préparée une Congréga- tion romaine92. Allirot et Laurens ont donc pu se décider en leur âme et conscience. A Jonzieux, Li- nossier a déjà prêté le serment deux semaines plus tôt. La loi, en effet, ne badinait pas. Promulguée le 26 août, elle connut, sans doute, quel- ques délais d’acheminement mais, à partir du moment où il en avait reçu communication of- ficielle, un ecclésiastique qui ne voulait pas prêter serment, n’avait plus que 8 jours pour s’exiler. Il recevait un passeport avec l’indication de la route à suivre jusqu’à la frontière ou jusqu’à un port d’embarquement, ainsi qu’un secours de 3 livres par étape de 40 km, s’il était sans ressources. Passé le délai indiqué, il était passible de déportation en Guyane, s’il était trouvé sur le territoire national.

5. – Dans la région : oppression anticléricale.

Dans la Loire, l’attitude des autorités à l’égard de la religion s’avère d’abord ambiguë, puis beaucoup plus hostile. Le 20 août 1792, à St. Etienne, il a fallu célébrer à la Grand’ Eglise un service solennel « à la mémoire des bons citoyens qui avaient perdu la vie à Paris, dans la nuit du 10 au 11 août, en combattant pour le triomphe de la liberté ». C’est une manière comme une autre de faire servir un acte de dévotion à cette haine de la royauté qu’il faudra bientôt vouer par ser- ment. Non seulement il ne faut pas s’apitoyer sur le roi, mais il faut s’apitoyer, et au cours d’une liturgie, sur ses adversaires. Le 4 octobre, à St. Etienne toujours, la municipalité décide de remplacer les Sœurs de l’Hôtel-Dieu qui, « n’étant point dans l’esprit de la Révolution, exercent sur les malades la plus cruelle tyrannie et leur rendent à peine les secours que commande l’humanité ». Par contre, le 12 novembre, cette même municipalité vote un crédit pour les Sœurs de St. Charles, à titre de prêt, jusqu’à ce que la Convention leur fixe un salaire.

6. – Mais peu visible à Marlhes.

a) Lettres administratives et réquisitions.

A Marlhes, pendant toute l’année 1792, on n’a pas l’impression que l’anticléricalisme se manifeste. A la mairie, les préoccupations sont d’ordre administratif, voire charitable à l’égard des nécessiteux. On proteste contre les « impôts écrasants, plus écrasants qu’avant 1791, où pourtant taille, capitation, contributions pour les routes, vingtième, emportaient, et au-delà, la moitié des revenus de chaque particulier93 ».

90 : Saint prêtre, supérieur de St. Sulpice, qui sera un conseiller plein de modération pour toute cette période difficile. 91 : après le Bulles de Pie VI, condamnant la Constitution civile du Clergé, il avait écrit :« Je suis Français, j’ai quelque connaissance des principes de nos libertés qui ne sont qu’un faible reste de la discipline et des maximes des premiers et beaux siècles de l’Eglise. Suivant ces principes, le Pape n’a aucune juridiction immédiate sur les peuples de France, il ne peut prononcer contre eux aucune peine canonique, s’il n’y est autorisé par le consentement du souverain ». (Gonnet, Essai sur l’histoire du diocèse du Puy-en-Velay, 1789-1802, p. 154-155) 92 : Tavernier, Le Diocèse du Puy pendant la Révolution , 1938, p. 163. 93 : Registre des Délibérations, p. 30.

56 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) Marasme dans l’industrie et l’artisanat.

L’abolition des douanes intérieures (2 novembre 1790), puis celle des octrois (1 mai 1791) avait d’abord causé l’euphorie, et la vente des soieries fabriquées en France avait beaucoup progressé. Mais dès le mois de mai 1792 ; on sent que le protectionnisme revient et, dans la séance du 17 novembre 1792, le Conseil municipal de Marlhes évoque les ou- vrages de rubans « qui cessent de toutes parts94 ».

c) Brouillard sur l’évolution religieuse.

Les événements sanglants de Paris sont sûrement bien connus en cette fin d’année mais, comme on l’a vu, le curé et le vicaire de Marlhes ont décidé de prêter serment. Ils ont même eu la préséance car, maire, officiers municipaux, procureur ne feront la même presta- tion que les jours suivants. L’évêque constitutionnel Lamourette se sent à l’aise au sein de toutes ces transforma- tions révolutionnaires, et il rêve sincèrement d’un retour à la simplicité évangélique. « Voilà que tout va être nouveau dans l’Eglise et dans ses Pasteurs, et que tous biens vont renaître avec l’esprit de sagesse, de simplicité et de travail dans l’ordre sacerdotal.. Dé- sormais, la tribu lévitique composera la partie la plus saine, la plus incorruptible, la plus vé- nérable de tout le peuple ». Il se voit visiter son diocèse, allant d’abord aux petits : « les in- nocents habitants des champs iront allègrement au-devant du pasteur. Ils pousseront des cris de joie du plus loin qu’ils l’apercevront sur les coteaux, s’avançant au milieu de ses prê- tres et de ses lévites, et s’appuyant sur son bâton noueux et agreste ».. Ce romantisme évangélique ne lui épargnera pas , un peu plus tard, d’être arrêté et condamné à la guillotine, mais, en attendant, en 1792, c’est un pasteur auquel un certain nombre de prêtres acceptent de se référer. En effet, après Mgr de Marbeuf, parti en exil dès avril 1791, son vicaire général, Monsieur Courbon, s’est exilé lui aussi, le 2 septembre 1792. Par contre, c’est le moment où l’abbé Linsolas, « préposé » par Mgr de Marbeuf, va commencer à créer les « missions » qui deviennent une organisation remarquable. Les ou- vriers apostoliques, restés au péril de leur vie, vont être répartis très méthodiquement dans le diocèse : un prêtre itinérant est chargé de 7 ou 8 paroisses. Il est pourvu de pouvoirs ex- ceptionnels, sait les maisons qui sont des cachettes sûres. Il est suppléé par des catéchistes pendant ses absences. L’abbé Linsolas est chargé de transmettre les directives épiscopales, de trancher les cas embarrassants, etc. Le système sera à peu près au point fin 1794 et fonctionnera jusqu’au rétablissement concordataire, non seulement à Lyon, mais un peu dans toute la France. Evidemment, les insermentés, si courageux et si solidement organisés, pouvaient galvaniser les populations. Même dans les départements peu religieux du Centre, les municipalités feront le moins de zèle possible pour appliquer les lois. Et quant à ceux où les réfractaires sont en vénération, les agents de l’autorité y craindraient même des soulèvements populaires s’ils faisaient arrê- ter quelqu’un d’entre eux95. Il faut avoir cela à l’esprit pour comprendre la suite des événe- ments qui, même s’ils sont tragiques, sont atténués par la résistance populaire. Disons qu’à Marlhes, sous la Législative, ce n’est pas la parfaite tranquillité, mais rien n’est encore catastrophique ; Paris n’est pas la province, et la mauvaise récolte et les impôts sont peut-être plus préoccupants que la politique. On peut dire d’ailleurs, comme on l’a vu, que le clergé de la paroisse est en situation à peu près régulière puisqu’on ne fait plus cas de la Constitution Civile du Clergé et que curé et vicaire ont fait le serment de liberté - égali- té.

94 : Registre des Délibérations. P. 28. 95 : Vois Latreille, R. Rémond, Histoire du catholicisme en France, III, 136-137.

57 Les années obscures de Marcellin Champagnat d) Une nouvelle ère.

La Convention a décidé que la suppression de la royauté introduisait une nouvelle ère. Après les initiatives privées, comme celle de Champagnat et d’autres96, qui la faisaient com- mencer au 14 juillet 1789 viendra la décision définitive. Le 11 novembre 1792, on arrive à la formule officielle : An 1ier de la République Fran- çaise. La nouvelle ère ne commence pas le 14 juillet 1789, mais le 22 septembre 1792, dé- but de l’automne qui suit la chute de la royauté. C’est donc essentiellement une ère républicaine, car un des premiers actes de la Con- vention a été de confirmer la journée du 10 août en abolissant officiellement la Royauté. Le décret est du 21 septembre. La Convention, qui est une assemblée constituante, a tous les pouvoirs et, dès les premiers jours, elle prend divers décrets dans les domaines administratif, judiciaire, etc.

96 : Au niveau du département, on trouve, comme à Marlhes, une délibération du 2 août 1792, intitu- lée :« An IVième de la Liberté ».

58 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XI. LE DEBUT DE 1793

1. – L’exécution du Roi.

1793 débute par l’exécution du roi le 21 janvier. Cet événement affecte-t-il beaucoup la population ? C’est difficile à dire. Il va y avoir en février des réactions royalistes contre les députés foréziens qui ont voté la mort du roi : Javogues, Dupuy, Noël Pointe et Dubouchet qui sont à leur tour menacés, eux et leurs familles. Mais ceci est plutôt sensible dans les zo- nes où résident les familles de ces députés. Le paysan moyen ne peut sûrement pas croire à toutes les calomnies qui circulent sur les trahisons d’un roi, hélas ! trop faible, pour faire face à des situations impossibles. Mais le mécontentement général vient surtout de la mauvaise récolte de 1792 dont les conséquences sont durement ressenties en ce printemps 1793 ; les réserves de blé s’épuisent et le prix du pain monte en flèche.

2. – La levée de 300.000 hommes.

En tout cas, si, en janvier, la mort du roi laisse un peu indifférente une parti de la popu- lation, avec le mois de mars tout va changer, car tous les Français ont appris désormais que le 24 février une loi a été votée : la levée de 300.000 hommes. En Vendée, elle sera, avec la mort du roi et surtout la persécution religieuse, la cause de la révolte de cette région. Le patriotisme du peuple français a, par ailleurs des aspects bien différents, selon qu’il s’agit de zones proches des frontières où l’on a connu maintes fois des invasions avec tou- tes leurs horreurs, ou, au contraire, de zones à l’écart de conflits. La France tout entière connaîtra l’invasion ennemie à la fin de la période napoléonienne, mais, jusqu’en 1793, c’est un risque qui n’apparaît guère réel, dans le Massif Central. Dès lors, on ne va pas se laisser si facilement enrôler à Marlhes ou à La Valla, et les conscrits vont régulièrement se camou- fler, pendant toutes les années qui vont suivre. On voudrait bien être patriote, mais où va cette Révolution ? Elle a du bon, mais, après les odieux massacres de 1792, la condamna- tion du roi en janvier 1793, la scission qu’elle a causée dans le monde catholique, comment croire que cette Révolution est dans la vérité ?

3. – Dumouriez et la psychose de trahison.

En ce même mois de mars 1793 qui appelle les jeunes à la guerre, on apprend une au- tre nouvelle stupéfiante : Dumouriez, celui qui, six mois plus tôt a sauvé la Révolution à Val- my, un des généraux les plus brillants, et qui plus est, ministre de la Convention est battu à Nerwinden. Il rejette la responsabilité sur le gouvernement, veut tourner ses troupes contre la Convention. Elles ne le suivent pas. Il passe à l’ennemi. L’événement contribue puissam- ment à accroître la psychose de trahison au sein de la Convention, et à rendre celle-ci plus méchante encore qu’elle n’avait l’intention de l’être. Emigrés et prêtres réfractaires sont dès lors des suspects que tout citoyen a le devoir de dénoncer.

4. – Que se passe-t-il à Marlhes ?

Revenons un peu en arrière pour essayer de deviner ce qui se passe à Marlhes où les documents se font alors rares.

59 Les années obscures de Marcellin Champagnat Au mois de novembre 1792, dans tout le pays, les administrations des départements, districts et cantons sont renouvelées. Pour Marlhes, J.B. Courbon de La Faye, maire sortant est en compétition avec Augustin Tardy. Au premier tour, personne n’obtient la majorité ab- solue (Courbon : 18, Tardy : 15), mais le second tour est nettement défavorable à Courbon, car Tardy obtient 36 voix sur 43 votants. Champagnat continue à être secrétaire-greffier de la nouvelle municipalité. Les instances locales : conseil général, conseil principal, fonction- nent normalement comme le montre une délibération du 14 janvier 1793. Cette délibération fait aussi état d’un procureur. Ces organismes ou ces responsables, prévus dès la période de la Constituante (1790-1791) étaient, comme nous l’avons vu, cal- qués sur ce qui existait au niveau du district qui avait un Conseil, un directoire et un procu- reur-syndic. Le Conseil général de la municipalité était composé du maire, des officiers municipaux, des notables et du procureur, soit quelque 15 personnes. Le Conseil principal était formé simplement du maire et des officiers municipaux ; il était, par exemple, chargé par le conseil général de la municipalité d’adresser une pétition au district ; c’est lui aussi qui convoquait ce Conseil général. Le procureur était chargé de requérir l’application de la loi. Reboud, procureur étant mort, c’est Barthélemy Chirat, de Malcognière, beau-frère de Champagnat, qui prend sa place. Y a-t-il à Marlhes des tiraillements à l’intérieur de ces organismes ou bien les élections de 1792 ont-elles créé un malaise ? Une chose surprend en tout cas. Après la réunion du 14 janvier, il y aura encore une brève réunion le 18 janvier, puis, de là, on saute au 6 avril et ensuite au 24 septembre.

5. – Champagnat, Juge de paix.

Depuis, on ne sait quel mois de 1793, J.B. Champagnat a été nommé juge de paix97. Cet emploi relevait encore d’une de ces décisions de l’Assemblée Constituante (1789-91) qui avait voulu laisser les cantons se doter de juges à portée de main. La municipalité de la commune juge les contraventions, le juge de paix du canton, les délits et le tribunal dépar- temental, les crimes. Le contentieux administratif (qui va avoir du travail, à cause des ventes des biens nationaux, puis à cause des émigrés) est attribué, lui, au Directoire de district et de département. Après septembre 1792, les troubles se sont multipliés et, en particulier, les vieux ré- flexes anticléricaux et anti-monastiques, se sont exprimés par des brûlement de titres (par exemple, à l’abbaye de , Loire) ou par des dévastations de forêts qui appartenaient aux chartreux de Ste. Croix (dans le Pilat) . C’est le moment où l’on se plaint que les juges de paix ne savent plus réagir. On a donc besoin de gens comme Champagnat, qui ont fait leurs preuves depuis le début des événements.

6. – Les nouveaux impôts.

Un des grands problèmes des municipalités est l’établissement des rôles pour le paie- ment des impôts, et les délibérations évoquent un peu la chicane qui s’impose à la municipa- lité de Marlhes, car si les principes existent, leur application n’est pas du tout évidente. Les anciens impôts avaient disparu, le 1ier janvier 1791, remplacés par la contribution foncière (23 novembre 1790), la contribution mobilière en janvier 1791, et la patente (2 mars 1791), mais tout cela demandait un temps considérable d’organisation et, dans l’intervalle, le Trésor restait vide.

97 : On voit qu’il l’est encore dans des actes notariés du 14 septembre 1794 au 1ier février 1795, mais le 20 octobre 1795, ce n’est plus lui.

60 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le Conseil municipal de Marlhes, en tout cas, plus naïf, plus fidèle, ou simplement plus rusé, se plaint continuellement de trop payer d’impôts. par exemple, le 18 janvier 1793, la nouvelle municipalité Tardy constate que la municipalité sortante n’a pu (ou n’a pas voulu) « faire la matrice du rôle de la contribution mobilière ». Il est, en effet, commode de gagner du temps en disant : « Personne d’entre nous ne sait faire ». Seulement, s’il y a eu jusqu’ici un flottement, la Convention qui a le plus grand besoin d’argent pour sa guerre, ne permettra pas que cela dure. Et nous apprenons donc, par cette délibération du 18 janvier, que le Directoire du district de St. Etienne a nommé un commissaire à cette fin.

61 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XII. LA GUERRE CONTRE LYON

1. – La lutte Girondins - Montagnards

La Convention a d’abord eu une forte proportion girondine et, jusqu’au 2 juin 1793, ce sont les Girondins qui dirigent le gouvernement, car ils ont l’appui du Centre. Il sont les plus zélés pour aider les patriotes étrangers et propager la Révolution en Europe. Mais, peu à peu, cette politique d’aide aux pays libérés devient une politique d’annexion qui inquiète l’Europe. Cette politique d’annexion, de tendance girondine, commence à être mal acceptée par la fraction montagnarde de la Convention. Par contre, cette fraction montagnarde a voulu la mort du roi, alors que les Girondins étaient plutôt pour son simple maintien en prison. Là-dessus, arrivent les échecs militaires de Dumouriez (Nerwinden, 18 mars 1793). Le général déçu rejette la responsabilité sur le gouvernement.. Il passe alors à l’ennemi et cette trahison est génératrice d’une nouvelle peur. C’est l’époque où la rhétorique joue à plein pour créer l’ambiance de patriotisme né- cessaire à unir les citoyens. A St. Etienne le Conseil général dit son indignation dans une let- tre à la Convention. « Enfin, le voile épais qui couvrait de si noires perfidies est déchiré ; le traître Dumou- riez a levé le masque ; sous le manteau du patriotisme, il cachait la bassesse d’un esclave et les vices d’un tyran ; il voulait donc nous donner un roi et de nouveaux fers 98 ». Souvent, cette rhétorique sera un moyen de ne pas passer aux actes et une vertueuse indignation tiendra lieu de zèle patriotique, mais les moyens de surveillance vont cependant rendre diffi- cile la passivité, et, le 18 mars 1793, la Convention a voté un décret qui oblige tout citoyen à dénoncer les émigrés et les prêtres passibles de déportation. A Paris, les sans-culottes s’agitent, s’introduisent de plus en plus dans le club des Ja- cobins et accusent les Girondins de complicité avec Dumouriez. Ceux-ci deviennent la cible des Montagnards. 29 d’entre eux sont arrêtés. Les amis d’hier deviennent ennemis irréconci- liables et c’est très justement qu’un historien de la Révolution a pu écrire : « Jamais on a vu tant d’exemples de courage, de dévouement, de générosité. Mais aussi, jamais on ne s’est trouvé en présence d’un tel assemblage de perfidie, de calomnie, de cruauté99 ». La Province suit ces événements et, désormais, on n’aura plus seulement la rébellion ouverte ou sourde des groupes déjà persécutés : catholiques réfractaires et royalistes, mais aussi une lutte à mort entre républicains. Les autres citoyens vont décider en leur âme et conscience s’ils veulent être pour les Girondins ou pour les Montagnards. 60 départements, donc plus des deux tiers, prendront parti contre les Montagnards, que l’on appelle aussi Ja- cobins, car ils ont pris à peu près toute la place à ce Club100. Et comme la Convention, à par- tir de mars 1793 est nettement dominée par les Montagnards, le mot Convention est un peu assimilé au parti jacobin vainqueur. Dans cette rébellion de 60 départements, il n’y a qu’un point commun : la volonté de se débarrasser de la dictature parisienne mais, parmi les rebelles, les uns veulent un retour au passé, les autres veulent continuer la Révolution. On va donc avoir d’étranges alliances, et la révolte de Lyon permettra de voir lutter côte à côte des royalistes et des républicains, des catholiques fervents et des impies.

98 : Cité dans Bossakiewicz : Histoire Générale... de St. Etienne, Edit. la FERE, 1905, p. 195. 99 : H. Walter, Hist. Des Jacobins, Aimey-Somogy, Paris, 1946. P. 310. 100 : Au départ, le nom de Montagnard leur venait simplement de la place (les sièges les plus hauts) que le parti occupait dans la salle de l’Assemblée.

62 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – Premier temps : les Lyonnais gagnent (mai - juin 1793).

Depuis février 1793, Lyon était victime de la tyrannie du jacobin Chalier, et des centai- nes de ses habitants se sentaient menacés de la guillotine. L’occasion se présente donc de brandir l’étendard de l’insurrection au moment où, à la Convention, commence la lutte entre Girondins et Montagnards. Le Conseil général du dé- partement de Rhône-et-Loire siégeant à Lyon, est en faveur des Girondins, alors que la mu- nicipalité de Lyon est en faveur des Montagnards. Le 16 mai 1793, le Conseil général, qui dispose de la garde nationale, fait attaquer l’Hôtel de Ville, et, fin mai, l’insurrection est victorieuse. Chalier est arrêté le 30. La municipalité de St. Etienne, plutôt girondine aussi, est prête à envoyer sa garde na- tionale à Lyon, pour soutenir la lutte du Conseil général. Montbrison et Roanne, les deux au- tres villes principales, sont aussi sympathisantes à la même cause. Mais les ouvriers de St. Etienne, eux, protestent contre les intentions de la municipalité et, à la suite de réunions et de congrès, on se trouve, fin juin 93, dans un début de guerre ci- vile (provisoirement, guerre froide). La Convention se trouve, à ce moment-là, dans de mauvais draps car, en Vendée, les Chouans sont en train de battre les Bleus. Ils ont pris Saumur et envisagent la marche sur Paris. En Vendée, l’alliance entre le trône et l’autel est beaucoup plus forte que dans le reste du pays. Mais surtout les Chouans ont conscience de faire une guerre sainte contre l’impiété. Il ne veulent connaître que les « bons prêtres », et ces soldats paysans portent sur la poitrine le Cœur transpercé dont les missionnaires de Grignon de Montfort leur ont appris le culte. On est là aux antipodes de la modération de Monsieur Emery, Supérieur de St. Sul- pice, et l’évêque de la Rochelle, Mgr de Coucy, n’hésite pas à dire que les conscrits ne peu- vent en conscience servir sous les drapeaux de la République et donc doivent faire tous leurs efforts pour se réunir soit aux royalistes, soit aux alliés. L’insurrection de Lyon, au contraire, se veut républicaine. Même si son chef, le géné- ral Précy est royaliste, il fait taire ses sentiments pour ne présenter la lutte que comme une résistance à l’oppression jacobine. Le 8 juillet, il dispose d’une armée, mais qui manque d’armes. Il fait donc appel à St. Etienne, cité de l’armurerie, pour en avoir. Cependant l’administration de St. Etienne ne veut pas se compromettre jusqu’à fournir des armes à la rébellion et elle refuse les 10.000 fusils demandés. Un détachement de 1.200 Lyonnais ira donc prendre ce que l’on ne veut pas lui donner. Les Lyonnais entrent à St. Chamond le 11 juillet et à St. Etienne le 12, sans grande difficulté d’ailleurs dans les deux cas. Tout se passe assez pacifiquement et, le 14 juillet est encore plus positivement le jour de l’insurrection de la ville contre la Convention jacobine. A Lyon, le 15 juillet, Chalier est ju- gé, condamné et guillotiné101. A Paris, cependant, le Comité de Salut Public102 était informé par Marat, dès le début de juin, du danger que représentait la rébellion lyonnaise et, le 11 juillet 1793, Couthon pro- posait à la Convention une série de mesures pour mater l’insurrection, y compris celle de dégarnir les frontières des Alpes. Une armée de 20.000 hommes commandés par Keller- mann est donc dirigée contre la ville rebelle. Par ailleurs, l’armée révolutionnaires est victorieuse sur la frontière allemande et, donc, des troupes vont pouvoir être dégagées pour le même but.

101 : Ce devait être un horrible essai de la guillotine qu’il fallut faire tomber quatre fois. Chalier avait, d’ailleurs, été jusqu’au bout d’un incroyable courage. 102 : Voir Annexes en fin du volume.

63 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 22 juillet, Javogues, député de la Convention, est adjoint à Reverchon et à De La- porte pour exercer le rôle de « représentant du peuple en mission » (c'est-à-dire de dictateur local) dans cette région d’où il est originaire103. Le registre des délibérations de Marlhes étant muet pendant cette période ne nous permet pas de savoir les réactions populaires de ce village, car ce que nous y lirons, au mois d’octobre, correspond à un revirement de situation qui n’a pas encore eu lieu. On a bien l’impression que l’attentisme doit être l’attitude principale. Et puis, il faut bien dire que pour tous ces paysans, les mois de juillet et d’août sont des mois où l’on travaille 15 heures par jour plutôt que 10, et, même si l’on veut faire de la politique, on n’en a guère le temps. On doit d’ailleurs avoir à faire à un été de la St. Médard104 car, le 13 juillet, la munici- palité de St. Genest-Malifaux constate que les foins pourrissent dans la campagne et que l’on n’a pas le temps d’aller secourir Lyon. Mais le Comité de Salut public n’est pas décidé à céder. Mars a connu une première « levée » pour essayer de trouver 300.000 soldats. En août, c’est la levée en masse. Tant aux frontières qu’à l’intérieur (contre Vendée, Lyonnais, Marseille, Toulon, etc.), on atteint le million d’hommes : amalgame qui mêle les gens de métier, les volontaires et les réquisition- naires, c'est-à-dire les célibataires de 18 à 25 ans. En outre, c’est un peu tout le pays qui va travailler pendant plusieurs années pour la guerre : fabrique d’armes, ateliers de confection d’uniformes et de souliers. Le télégraphe de Chappe et même l’aérostation vont être mis à profit. En Vendée, dès le 1 ier août, Barère envisage ce qui sera réalisé quelques mois plus tard : faire incendier et massacrer tout ce pays.

3. – Deuxième temps : les Jacobins contre-attaquent.

A St. Etienne, on peut dire, pour simplifier, que la municipalité reste en faveur des Lyonnais, mais pas la population ouvrière. Fin juillet, on apprend que 3 colonnes de l’armée jacobine se dirigent sur Lyon ; l’une d’elles est commandée par Javogues. Tout ce qui est jacobin dans les campagnes du Forez commence à s’agiter. A St. Etienne, les Lyonnais, après quelques journées relativement paisibles, se sont rendus compte que la prolongation de leur séjour devenait dangereuse, et ils commencent à quitter la ville, le 19 juillet, sans incident trop grave, laissant seulement un contingent réduit, pour maintenir l’ordre. La 10 août 1793, tant à Lyon qu’à St. Etienne et en divers autres lieux de la région, l’anniversaire de la chute de la royauté est célébré avec enthousiasme : c’est quelque chose qui paraît unir des tendances républicaines prêtres à s’entre-déchirer. Çà et là, une messe fait même encore partie de cette célébration de la liberté105. En divers lieux, on procède aussi, ce jour-là à des brûlements de titres seigneuriaux en quantités énormes.

103 : Bellegarde en Forez (Loire). 104 :« Quand il pleut pour la St. Médard, il pleut quarante jours plus tard » (c'est-à-dire à la suite) 105 : A Paris Marat, avant de mourir assassiné le 13 juillet 1793, s’était pourtant fait le porte-parole de l’opposition à toutes les formes du culte chrétien : « Jacobins, vous ne connaissez pas vos plus mor- tels ennemis : ce sont les prêtres constitutionnels » ( dans Aulard, La Société des Jacobins, V, p. 358.)

64 Les années obscures de Marcellin Champagnat Toutes les tendances républicaines veulent, en effet, se donner cet autre point com- mun : la lutte contre l’aristocratie. Le roi a été exécuté, mais, pour détourner le plus long- temps possible les exigences égalitaristes qui s’affirment, les révolutionnaires de la Conven- tion, qui sont pratiquement tous des bourgeois, donnent en pâture aux sans-culottes106 les aristocrates avec leurs titres féodaux. Nous retrouverons ce problème dans la région de Marlhes. Dans le Forez, la situation est imprécise. Le 25 août, St. Etienne est encore tenu par l’armée de Servant, c'est-à-dire des Lyonnais ; mais Rive-de-Gier est tombée aux mains d’un colonne jacobine et la troupe «lyonnaise » qui veut reprendre la ville est exterminée. Les Lyonnais quittent définitivement St. Etienne, le 29 août 1793, mais, commandés maintenant par Rimberg, un habile stratège, ils se replient en bon ordre sur Montbrison. De là encore, il y a espoir de maintenir le ravitaillement en grains des assiégés de Lyon mais bientôt toutes les routes seront coupées. Couthon107 en personne est venu de Paris organiser parmi les paysans du Puy de Dôme un soulèvement qu’il va diriger sur Montbrison. C’est pendant la période après le 15 août, que Javogues se montre d’une grande effi- cacité. Avec des bandes en partie recrutées le long du chemin, il reprend St. Etienne, puis Montbrison, et il revient alors en direction de Lyon, rejoindre Châteauneuf-Randon, autre chef de bande, au village de Saint Genis-Laval. Reverchon que nous retrouverons plus tard y est aussi. Le 19 septembre, Châteauneuf-Randon adresse à la ville de Lyon un ultimatum qui commence ainsi : « Un décret de l’Assemblée Nationale a nommé Couthon, Châteauneuf-Randon et Maignet, adjoints à Dubois-Crancé, Gauthier, Reverchon, Delaporte et Javogues pour sou- mettre les rebelles de Lyon ; le peuple des départements de Rhône-et-Loire, du Puy-de- Dôme, du Cantal, de l’Ardèche, de la Haute-Loire et autres que nous dirigeons personnelle- ment s’est levé en masse pour faire respecter la loi dans la ville de Lyon » L’heure vient où il faudra non seulement se manifester comme républicain, mais comme jacobin. Au milieu du mois d’août, Champagnat ne sait peut-être pas encore quelle décision po- litique il prendra, mais il ne néglige pas les aspects concrets de la situation. Un document (Archives privées) intitulé : Revente des biens nationaux, nous apprend que le 20 août 1793, « un pré appelé de Goyne... contenant neuf métérées et un quart ci-devant dépendant de la prébende de St. Jean-Baptiste du Temple » lui est « adjugé par procès-verbal » pour 3.950 livres. Y a-t-il eu d’autres tractations où il a pu profiter d’un vent de terreur qui commençait à souffler ? En tout cas, il n’est pas le seul à afficher la couleur. On verra plus loin que le cousin Ducros de Jonzieux a dû faire des « acquisitions intéressantes ». Mêlant, lui aussi, profits pécuniaires et politique, il fait une démarche en direction de Javogues et, le plus surprenant, c’est qu’il la fait en compagnie du curé Antoine Linossier.

106 : Ce terme n’est pas réservé aux émeutiers qui manifestent continuellement dans les rues de Paris. Il ne correspond pas non plus à notre idée actuelle de prolétariat ou de sous-prolétariat. Les sans- culottes sont, étymologiquement, ceux qui n’ont pas la culotte de l’aristocratie, mais qui ne sont pas non plus habillés comme de vrais bourgeois. Il regroupent des travailleurs indépendants, des petits boutiquiers, des artisans, des compagnons, des apprentis. Ils aspirent à l’égalité, mais ils ne sont pas opposés à la propriété. Il sont un peu anarchistes, un peu « forts en gueule », mais surtout toujours prêts aux manifestations. Leur porte-parole est Hébert. Certains, comme Jacques Roux, ancien prê- tre, méritent assez bien le nom d’enragés. 107 : Couthon est, avec Robespierre et Saint-Just, l’âme du Comité de Salut Public ou mieux du « Grand Comité » qui va gouverner dictatorialement la France pendant un an.

65 Les années obscures de Marcellin Champagnat Cette démarche semble surtout humanitaire. Les deux délégués s’en vont, le 13 août 1793, demander une aide en argent ou en vivres, aux « représentants en mission », occupés à la lutte contre Lyon. Ils plaident la cause de Jonzieux qui est menacé de disette, mais comment ne pas penser non plus qu’il y a là un bon moyen d’être parmi les premiers à pou- voir dire : Nous sommes avec vous de tout cœur contre tout ce qui est « lyonnais, girondin ou royaliste ? » En fait, Claude Javogues, au lieu de rester sous les murs de Lyon, est en train de faire une incursion dans le Forez. A Lyon, le 16 août, dans l’après-midi, un trompette de l’armée de Kellermann remet un dernier ultimatum des « représentants en mission » : ils ne traiteront pas avec les actuels di- rigeants de la ville : « Nous ne connaissons que la loi, nous n’obéissons qu’à elle et nous ne traiterons jamais avec les fonctionnaires qui persistent à la méconnaître. Voilà notre dernier mot108 ». Dès le 15 août, d’ailleurs, Kellermann avait reçu des quatre « représentants » l’ordre d’incendier la ville et de forcer, en même temps, les hauteurs de la Croix Rousse. Keller- mann est un honnête soldat qui n’a pas envie de lutter contre ses compatriotes par ces moyens extrêmes. Dubois-Crancé et Gauthier, représentants chargés de la lutte contre la ville rebelle, demandent même le 15 août, au Comité de Salut Public de Paris, le remplacement de Kel- lermann au commandement de l’Armée des Alpes109, voyant en lui un tiède possible. Fina- lement, le 22 août, il obéit aux ordres de la Convention et le bombardement commence, se- mant l’incendie, jour et nuit pendant 45 jours110. Les assiégés sont invités ensuite à ouvrir leurs portes, sinon la vengeance sera sans pitié. Le 29 septembre 1793, les assiégés repoussent encore très courageusement un as- saut qui paraissait fatal. Déjà la résistance est vaine, mais le général Précy galvanise les énergies. Le 9 octobre, il tente une sortie désespérée avec l’espoir de continuer, dans les cam- pagnes environnantes, une guerre de partisans. L’honneur sera sauf mais les quelques cen- taines d’hommes emmenés par Précy seront massacrés, lui-même réussissant à fuir. Le 10 octobre, Lyon cesse toute résistance. Dans l’euphorie de cette victoire, la Convention déclare que la Constitution de l’An I est mise de côté et que « le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu’à la paix » - c'est-à-dire décide ce qu’il veut. Le pouvoir exécutif est confié au Comité de Salut Public et au Comité de Sûreté Générale. Tous les deux sont composés de 12 membres. Ce sera la centralisation à outrance, le Comité de Salut Public gouvernant les Provin- ces et l’armée par ses « représentants en Mission » et par ses « agents nationaux ». Ces 9 ou 10 mois qui précèdent la mort de Robespierre peuvent s’appeler la « Ter- reur », même si ce terme est parfois réservé à la législation des tout derniers de ces mois. De 300.000 à 500.000 personnes seront emprisonnées et jugées par des tribunaux révolu- tionnaires. Au moins 17.000 seront condamnées à mort, chiffre que l’on peut porter à 35.000 à 40.000, si l’on ajoute les exécutions sans jugement et les décès en prison. Evidemment, ce sont les régions insurgées qui sont les plus touchées : quelque 89% du total. Le 16 octobre 1793, paraît un décret de la Convention :« La ville de Lyon sera dé- truite... Il sera élevé sur ses ruines une colonne avec inscription : ‘’Lyon fit la guerre à la li- berté, Lyon n’est plus" ».

108 : René Bittard des Portes, l’Insurrection de Lyon en 1793, Paris, Emile Paul, éditeur, 1906... p. 246. 109 : René Bittard des Portes, l’Insurrection de Lyon en 1793, p. 251. 110 : Prélude à une guerre bactériologique, on lance aussi des projectiles nauséabonds, pour créer dans la ville assiégée la hantise de la peste.

66 Les années obscures de Marcellin Champagnat La réalisation de cette décision n’a pu être totale faute de temps, mais le martyre de Lyon allait être une des plus grandes horreurs de la Révolution. Couthon lui-même aurait agi avec modération, mais Fouché et Collot d’Herbois allaient être de nouveaux Nérons. Cette ville de 120.000 habitants allait en perdre 45.000, les uns tués, les autres obligés de fuir. Javogues avait envisagé le même sort pour Montbrison, qui avait nettement pris parti pour les Lyonnais. « Toutes les murailles et fortifications qui entourent la ville de Montbrison seront ra- sées. Il sera élevé une colonne portant cette inscription : " La Ville de Montbrison fit la guerre à la Liberté, elle n’est plus" ». (décret de Javogues, 29 octobre 1793)

4. – Briser l’unité de la Région Lyonnaise.

Dès le 12 août 1793, donc avant la chute de Lyon, la Convention prend des disposi- tions pour briser l’unité de la région lyonnaise en révolte. Le département de Rhône-et-Loire sera scindé en deux : le Rhône et la Loire. Malgré l’importance numérique de St. Etienne, les droits de priorité historique de Montbrison et aussi la rapidité de croissance de Roanne, c’est Feurs qui est choisi provisoirement comme chef-lieu. Toute petite ville de moins de 2.000 habitants, Feurs est géographiquement bien au centre du Forez. Cela lui vaudra le triste rôle de chef-lieu de la guillotine111

5. – Dernier mois de la guerre contre Lyon.

Cet été 1793 voit donc le triomphe de Javogues qui, peu à peu, va imposer sa loi de fer dans le Forez. Javogues est le dictateur - né , qui a le talent oratoire, le goût de la terreur et l’absence de scrupules. Suivons un peu son ascension glorieuse. Le 7 septembre, il est à St. Etienne, à la tête d’une armée pour « fraterniser avec les citoyens de cette commune ». Dès le len- demain, des arrestations sont opérées et les scellés sont mis sur les maisons de ceux qui sont soupçonnés d’avoir de la sympathie pour la cause lyonnaise. Entre le 10 et la fin du mois pleuvent les arrêtés, les réquisitions d’hommes et de vi- vres, et les membres des gardes nationales de chaque village sont sommés d’avoir à rejoin- dre l’armée de la République campée à Saint Genis-Laval. A St. Genest-Malifaux, les réqui- sitionnaires partent, en effet, le 29 septembre et sans doute en est-il à peu près de même à Marlhes. Nous savons par un document privé que J.B. Champagnat fait partie de ceux qui ont marché contre Lyon. C’est sans doute au titre de la garde nationale ; il est dans une liste de pères de famille dont la femme et les enfants ont été payés pour 13 jours, à raison de 20 sols par jour pour les enfants et 3 livres (= 3 francs) pour la femme. A côté de son nom on lit : une femme, huit enfants. Dès le 7 septembre 1793, la municipalité de St. Genest a décidé que sa garde natio- nale se tiendrait en permanence prête à partir. Mais des contingents vont avoir aussi à sta- tionner dans le village. Par exemple, arrive de l’Ardèche une compagnie de 100 hommes, qu’il faut loger et à qui il faut fournir « l’étape », c'est-à-dire une demi-livre de pain, une livre de viande et deux litres de vin par homme et par jour. Le 30 septembre, Javogues fait une réquisition plus ample que celle qui est prévue : elle ajoute aux célibataires, ceux qui sont mariés sans enfants, entre 18 et 35 ans. Ils doivent être prêts le 3 octobre à partir pour Saint Genis-Laval.

111 : En 1795, suite au revirement thermidorien, Montbrison deviendra chef-lieu du département de la Loire.

67 Les années obscures de Marcellin Champagnat Les 3 jours qui suivent, la municipalité de St. Genest crie au secours : depuis 8 jours, elle doit héberger 300 volontaires, et, ce soir du 1ier octobre, on en attend 300 autres. Cela est au-dessus de ses moyens : la récolte de 1792 n’avait pas suffi à l’alimentation du pays ; celle de 1793 n’était guère brillante. Nous verrons par la suite le nombre de recensements de grains qu’il a fallu faire à Marlhes.

6. – La chute de Lyon (9 octobre 1793). Ses incidences dans la région de Marlhes.

a) A Marlhes.

Le 10 octobre, on apprend que Lyon s’est rendu. Il faut donc arrêter les frais et laisser retourner chez eux volontaires et réquisitionnaires. Le 13 octobre, la municipalité de St. Ge- nest qui a pu, un peu, faire ses comptes, écrit qu’elle ne risque pas de fournir du blé, mais qu’elle a besoin, au contraire, qu’on lui en fournisse, car les volontaires ont mangé une parti du blé en bottes (c'est-à-dire non encore battu). Marlhes n’a pas dû, comme St. Genest, voir passer sur son territoire les volontaires de l’Ardèche, mais probablement ceux de la Haute-Loire. Le registre des délibérations de Marlhes, en ce début d’octobre, parle à nouveau et nous éclaire un peu. Javogues vient de nommer deux exécutants : André Béraud et Benoît Pignon qui met- tront à leur tâche tout le zèle souhaitable. Pignon s’attirera même les félicitations de Javo- gues. Voici quelques extraits du texte consigné dans le registre (p. 35) et qui va avoir force de loi. Plus que de délibérations, il s’agit d’une série d’arrêtés rédigés à l’intention de la mu- nicipalité pour qu’elle sache bien désormais quelle est la loi et quels sont les hommes aux- quels elle a à se soumettre. Il ne s’agit plus de délibérer mais d’agir. Javogues est alors à Saint Genis-Laval, à la tête de son armée, et, le 27 septembre, il fait proclamer, ça et là, des menaces aux négli- gents qu’on lui a signalés. « Les représentants du peuple envoyés dans les départements de Rhône-et-Loire, Puy de Dôme et adjacents, informés qu’il y a beaucoup de municipalités négligentes qui ne font pas mettre à exécution l’arrêté 2 de la loi du 12 juillet, concernant les rebelles de Lyon, que cette insouciance pourrait devenir funeste à la chose publique en diminuant les gages de la République, soit en laissant impunis les coupables qui ont porté les armes contre la patrie ou qui ont participé aux complots des contre-révolutionnaires de Lyon, arrêtent que les citoyens André Béraud, maire de la commune de St. Pierre de Bœuf, et Benoît Pignon, juge au tribu- nal du district de St. Etienne, feront apposer les scellés et séquestrer les biens de toutes personnes prévenues de complicité ou suspects dans toute l’étendue du district de St. Etienne et dans les endroits où l’on aurait omis d’exécuter la loi ; autorisent les citoyens Bé- raud et Pignon à s’adjoindre telles personnes qu’ils jugeront à propos pour exercer la plus active surveillance et pour empêcher qu’aucune personne puisse échapper à la peine portée par la loi du 12 juillet dernier... Fait au quartier général de Saint Genis-Laval, le vingt-sept septembre mil sept cent quatre-vingt-treize et le second de la République française, une et indivisible. » Signé : Claude Javogues.

68 Les années obscures de Marcellin Champagnat Après avoir consigné le texte même de sa délégation, Béraud ajoute ses décisions personnelles :« Nous... requérons la municipalité de Marlhes de mettre, sans délai, les scel- lés et faire séquestrer tous meubles, immeubles, papiers et tous autres objets de tous ceux qui sont restés à Lyon ou qui n’en sont pas sortis112 aux termes de la loi ou qui ont pris les armes contre la patrie, ainsi que tous ceux qui se seraient coalisés avec ces rebelles ou même ceux qui leur auraient donné la main pour exécuter leurs projets liberticides, soit en leur fournissant des denrées, soit enfin de tout individu qui aurait montré de l’incivisme, soit par leurs propos, soit par leurs écrits. » Suivent diverses menaces concernant surtout un retard dans l’exécution.. ‘’Sera tenue la municipalité de remettre, sous huitaine, entre les mains des susdits commissaires, copie ou extrait des procès et enfin copie de toutes leurs opérations ». « A cet effet, enjoignons113à la municipalité J.B. Champagnat, notre secrétaire-greffier de la dite municipalité, pour lui aider dans cette opération.. ; à telle fin que l’intérêt de la Ré- publique n’éprouve aucun retard et qu’ils aient à faire accélérer le plus promptement possible et à se conformer etc...... ». « Avec plein pouvoir, en cas de trouble et d’empêchement, de requérir la force armée pour les aider dans toutes leurs opérations quelconques ». Béraud appose sa signature et son titre de commissaire. J.B. Champagnat, qui était jusque-là secrétaire-greffier, fait donc désormais partie de plein droit du Conseil municipal. Est-ce le moment où il décide de donner l’exemple et de se mettre en route à la tête de ses hommes de la garde nationale, de quelques réquisitionnaires et de quelques volontaires ? Cela correspondrait assez bien aux 13 journées d’allocations 114 qui lui ont été versées et ce serait aussi pour lui un moyen assez habile de ne pas intervenir dans des décisions municipales où la situation devient explosive115 En tout cas, la page suivante du registre est signée : J.P. Ducros, commissaire. On se souvient que, si J.B. Champagnat est plutôt modéré, Ducros est plutôt extrémiste. C’est lui qui s’est chargé d’écrire la déclaration de Béraud, et la suivante de Pignon. Il intervient aussi à St. Genest, car il est chargé de contrôler les déclarations de ce canton.

b) A St. Genest-Malifaux.

Revenons maintenant un peu en arrière pour voir quelques autres incidences de cette guerre à St. Genest-Malifaux, la petite ville voisine. Bien des églises avaient déjà été dépouillées de leurs cloches car la guerre exigeait la fabrication de canons ; dans un certain nombre de localités (La Valla, par exemple), la muni- cipalité réussit à sauver les cloches116, en enivrant l’équipe des soudards qui est venue pro- céder à cette opération. Une histoire semblable est racontée de J.B. Champagnat à St. Ge- nest. Lorsque le frère Avit117 fait son enquête, 100 ans après les événements, les vieux lui racontent ce qu’ils tiennent de leurs parents ou grands-parents à savoir que J.B. Champa- gnat a empêché les sans-culottes de St. Etienne de démolir l’église de St. Genest, en les fai- sant gorger de vin118.

112 : Allusion à des habitants de Marlhes ayant relations ou parenté à Lyon 113 : Lire sans doute : adjoignons. 114 : Voir plus haut : Chap. XII, e)-. 115 : La Terreur fit des fonctions municipales tout autre chose qu’une sinécure.. On se rappelle qu’en ces années mémorables, responsabilité équivalait à péril de mort. (Ramet et G. Guichard, Feurs, Li- brairie Chevalier, St. Etienne (sans date). 116 : Une des excuses que vont alléguer tous ces pays de neige de la Loire-Montagne, c’est qu’une cloche au moins est indispensable pour sauver chaque année quelque voyageur égaré par une tem- pête ou le brouillard. 117 : Le Frère Avit a rédigé les Annales pour chacune des écoles maristes (fascicules d’une vingtaine de pages) et ensuite l’Abrégé des Annales (quelque 1.000 pages) qui est aussi l’histoire de la Con- grégation pendant les 60 premières années (vers 1886). 118 : F. Avit, Abrégé des Annales, Edition imprimée – Rome 1972 p. 13. ( ?).

69 Les années obscures de Marcellin Champagnat Dans les Annales de St. Genest-Malifaux, Frère Avit en parle aussi en donnant plus de précisions : « Le clocher avait été en partie démoli par les sans-culottes en 1793. Ils voulaient abattre l’église entière, mais J.B. Champagnat, père de notre pieux fondateur, très considéré dans le pays, leur fit lâcher prise en les gorgeant de vin ». (Annales de St. Genest, p. 3). L’épisode, s’il est exact, pourrait se situer début octobre119, car le curé Jamon est alors dénoncé comme suspect et la municipalité doit le soutenir, se déclarant indignée que quel- qu’un ait osé l’inculper. Le curé Jamon est, en effet, un révolutionnaire de la première heure. Il a été des plus empressés à s’inscrire au nombre des jureurs et a entraîné son vicaire avec lui. Il a démocratisé son nom qui était Jamon de Ribeyre. Il est plus attentif à la politique qu’à son ministère. C’est au point qu’assister à sa messe est un acte de civisme révolution- naire120. Si donc, sous Javogues, un homme comme Jamon a pu être inculpé, si d’ailleurs le maire Monteux a fait de la prison, c’est qu’ils avaient mal choisi leur camp et opté plus ou moins clairement pour la rébellion lyonnaise. On sent bien que les tensions ont dû être fortes et que les soupçons et les accusations se sont multipliés. N’oublions pas que la délation avait pris rang de devoir national. Alors, à tout bout de champ, on devait chercher à deviner de quel parti était tel ou tel. Le jour même de la chute de Lyon, (9 octobre) est aussi la foire de la St. Denis à St. Genest-Malifaux. Matricon, maire de La Valla, se trouve dans un café. Il montre le vicaire de Ruthiange (), Jean Villedieu et le traite d’aristocrate et de fanatique. Villedieu lui répond de même. Matricon le fait arrêter, mais Villedieu porte l’affaire devant la municipalité de St. Genest qui déclare reconnaître Matricon pour aristocrate et fanatique et Villedieu pour vicaire - patriote. Pour un oui, pour un non, on est soupçonné. Ceux qui ont des voyages à faire pour leur commerce risquent vite de passer pour espions ou émigrés. Le 18 septembre 1793, Camille Dugas, rubanier de St. Chamond s’était trouvé à St. Genest. La guerre battait déjà son plein et, même s’il faisait valoir 600 métiers dans le vil- lage, ce n’était pas un motif suffisant pour se promener. Il doit justifier son déplacement « A St. Chamond, on sait que je suis ici ». Oui, mais n’a-t-il pas fui une réquisition ? – « J’ai des infirmités et c’est pour cela que je n’ai pas été requis pour la levée de St. Chamond. » Il s’en tire en donnant 200 livres pour manifester son zèle patriotique. Antoine Courbon fait de même et le curé Jamon en donne 40. Un détail de ce genre peut aider à comprendre que ces trois personnages ont été vic- times de quelque dénonciation liée au siège de Lyon. Qu’un curé aussi révolutionnaire que Jamon soit inculpé, que les soldats de Javogues veuillent non seulement enlever les cloches de l’église, mais démolir le clocher et l’église, est une affaire qui reste mystérieuse. Ce qui donne plus de poids aux assertions du Frère Avit, c’est qu’il a connu St. Genest, non seulement dans la décade 1880 où il écrit ses Annales, mais aussi 40 ans plus tôt, quand il est un jeune et brillant instituteur pouvant écouter des gens qui ont été témoins directs.

119 : La démolition systématique des clochers est envisagée, mais seulement par le Conseil Général de la Commune de Paris, le 23 novembre 1793. Ces « Clochers » par leur esprit de domination sur les autres édifices semblent contrarier les principe de l’égalité » (P. Ste. Claire-Deville, la commune de l’An II, p. 126) 120 : Un peu plus tard, le 11 novembre, un certain Macle, du Violet, sera mis en état d’arrestation « pour n’avoir pas assisté aux offices divins de l’Eglise paroissiale. Il promet d’assister aux offices susdits, d’être un bon Républicain et d’être un vrai sans-culotte » (Assez évidemment, cela devait vouloir dire qu’il avait assisté aux offices d’un prêtre, qui n’étaient pas, comme la messe de Jamon, une séance d’endoctrinement politique) Registre des délibérations de St. Genest-Malifaux, Loire)

70 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XIII. I – LA REPRESSION SOUS JAVOGUES

1. – Les condamnations.

La ville de Lyon est tombée le 9 octobre 1793, mais le 28 octobre 1793, le bataillon de Marlhes est encore au Logis-Neuf, à quelques kilomètres de Saint Genis-Laval, où il se trou- vait à la fin du siège. Entre ces deux dates, Javogues a déjà sérieusement organisé la répression. Il s’est recruté une armée révolutionnaire à peu près du style :« Grandes Compa- gnies » du Moyen Age, qui a pour devise :« Guerre aux châteaux, paix aux chaumières » et qui est bien disposée à toutes les formes de pillage. Immédiatement aussi après la chute de Lyon, sont constitués des tribunaux révolution- naires à divers endroits. Celui de Feurs a été constitué sur les indications de Couthon, avec un peu de sens de l’équité et de la modération. Mais pour Javogues, ce tribunal sera vite ju- gé trop mou. Pour lui fournir une pâture plus abondante, il établira des sociétés populaires et des comités de surveillance, où la délation est encouragée et payée. On a pu dire que Javogues avait été plus modéré que Fouché121 et Collot d’Herbois qui faisaient la même besogne à Lyon. Sans doute les condamnés à mort de Feurs et Montbri- son sont moins de 100, contre 1.684 à Lyon. Mais cette modération est bien relative, car la fuite des Lyonnais était bien plus difficile dans une ville assiégée, et par ailleurs, à Feurs, s’il n’avait tenu qu’à Javogues les « mitraillades » auraient comme à Lyon, anéanti beaucoup plus vite les suspects. A partir du 7 novembre 1793, une commission siège à Feurs pour juger les suspects et la guillotine fonctionne à partir du 22 novembre. Javogues aurait voulu faire son affaire personnelle de tous les jugements et leur don- ner la forme la plus expéditive. Le 30 décembre 1793, il écrivait au juge Bardet : « Il faut que vous ayez perdu toute honte pour aller blanchir des aristocrates aussi gangrenés (le comte Charpin-Feugerolles et Denis du Rosier, de Magneux)... Je vous défends de juger aucun criminel jusqu’à ce que j’arrive à Feurs. » Le 1ier février 1794, il amènera à Feurs, de St. Etienne, un convoi de 200 prisonniers. Le 10 février, son triomphe sera de faire exécuter en une fois 28 prisonniers, et le 13, il se prépare à en faire autant pour 69 autres ; il a même fait creuser trois gigantesques fosses pour cette hécatombe. Mais alors, il est rappelé à Paris, car sa conduite commence à écœurer le trio gouvernemental : Robespierre, St. Just et Cou- thon. Les gens de cette époque était habitués aux exécutions capitales comme à un specta- cle mais ces spectateurs n’oublient pas l’horreur des scènes d’exécution : la guillotine qui se met à mal fonctionner et à prolonger le supplice des victimes, les fusillades qui remplacent la guillotine mais sont exécutés par des soldats insuffisamment pourvus de balles et qui doivent courir en chercher pour achever ceux qu’ils n’ont pas réussi à tuer. On ne peut pas dire que cela ait été positivement voulu comme l’est actuellement la torture sous tant de régimes politiques ; mais enfin le procès de Javogues, quelques années plus tard, ne manquera pas de griefs à sa charge.

121 : C’est vraiment faire un choix entre la peste et le choléra, car Fouché est un dictateur particulière- ment odieux. Avant de se déchaîner à Lyon il a déjà sévi à Nevers et Moulins, et Madelin a pu écrire : « C’est au nom de Fouché qu’à des 100 lieus de Nevers on brise un peu partout les croix et les ima- ges.. qu’on célèbre les fêtes de la Raison » (Madelin, Fouché, I, p. 109).

71 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – D’autres aspects de sa dictature.

Evidemment les « représentants en mission » ont été choisis souvent parmi les plus durs des Jacobins, et comme ils devaient appliquer une réglementation de Terreur, il n’est pas toujours facile de voir ce qui relève du gouvernement et ce qui relève de leur propre sa- disme. Il semble bien difficile en tout cas, de ne pas reconnaître que Javogues, Fouché et d’autres ont fait plus qu’il ne leur était demandé, pour terroriser les populations. Voici quelques exemples :

a) La loi du maximum et ses punitions.

La loi du 11 septembre 1793 détermine un prix maximum des grains, des farines et des fourrages. Le 29 septembre 1793, la Convention porte un autre décret qui étend les mêmes mesures à tous les objets de première nécessité et établit en même temps un maximum pour les gages, les salaires, la main d’œuvre et les journées de travail. Javogues se charge d’édicter des mesures complémentaires pour effrayer les éven- tuels coupables : les boulangers ou bouchers en contravention avec le maximum sont me- nacés d’être attachés pendant 6 heures à un poteau, la tête rasée, avec deux écriteaux : boulanger (ou boucher) infidèle.

b) L’emprunt forcé.

La Convention a aussi porté un décret (3 septembre 1793) qui s’appelle l’emprunt for- cé. Là encore, Javogues, sans cesse en train de déclamer contre les riches et les prêtres se charge de mettre ce décret à exécution. On peut d’abord trouver de l’argent en dépouillant les églises et en dénonçant comme suspects des riches dont la condamnation entraînera la confiscation de la fortune. Et ensuite on prélèvera sur les riches non suspects, mais simple- ment trop riches, les sommes dont l’Etat à besoin. Le 25 décembre 1793, un décret précise qu’il s’agira de riches dont la fortune dépasse 100.000 francs.

c) La persécution religieuse.

Mais c’est surtout la persécution menée sans pitié contre les églises et le clergé qui a contribué à faire de Javogues le personnage un peu mythique du Néron forézien qu’il est de- venu dans le souvenir populaire. L’étude d’ensemble du problème religieux pendant toute l’année de la Terreur sera faite plus loin et ramènera le souvenir de quelques-uns de ses ac- tes.

72 Les années obscures de Marcellin Champagnat II – DANS LA REGION DE MARLHES.

1. – Champagnat chaperonné par Ducros.

Revenons au registre de Marlhes pour y lire la proclamation de Pignon que J.P. Ducros a copiée le 12 octobre 1793. « Nous, Benoît Pignon, commissaire des Représentants dans toute l’étendu du district de St. Etienne, considérant que le citoyen CHAMPAGNAT, délégué par notre frère Béraud pour faire séquestrer les biens des scélérats dans toute l’étendue du canton de Marlhes, ne donne pas aux ordres qui lui sont confiés toute l’activité nécessaire, considérant que le ci- toyen Jean-Pierre Ducros a déjà réuni la confiance des représentants du peuple et qu’il doit être digne de la nôtre, nous avons arrêté qu’en vertu de nos pouvoirs, nous adjoignons audit Champagnat ledit Ducros pour coopérer conjointement avec lui et en conformité de leurs convictions, au salut de la chose publique. Ils pourront opérer séparément si besoin est, avec défense néanmoins d’entraver leurs opérations et de rien faire qui puisse nuire aux in- térêts de la République. En conséquence, nous enjoignons à notre susdit délégué de surveil- ler les municipalités du canton de Marlhes et circonvoisines, de dresser tous les procès- verbaux contre les délinquants comme aussi nous autorisons notre susdit commissaire tou- jours en vertu de nos pouvoirs, de faire arrêter, apposer les scellés sur papiers et séquestrer tous les biens généralement quelconques de tous ceux qui ont présidé les assemblées pri- maires illégalement convoquées, qui ont été membres, ou qui ont été jurés de jugement de- puis le mois dernier (juillet) comme aussi de toux ceux qui ont porté les armes en faveur des rebelles de Lyon, qui les ont favorisés directement ou indirectement. Nous autorisons le dit Ducros à faire arrêter et transférer dans les prisons de St. Etienne toutes les filles béates122 et fanatiques et tous les prêtres réfractaires dont ils pour- ront s’emparer. le présent pouvoir devenant commun audit Champagnat lequel ainsi que Du- cros demeure autorisé à requérir toutes forces armées à l’exécution des présentes. Le 11 octobre 1793, An II de la République une et indivisible. Signé Pignon, commissaire. » Ce Document est une critique du zèle révolutionnaire insuffisant de Champagnat qui va trouver alors une échappatoire providentielle : partir à la tête d’une escouade de Marlhiens en direction de Lyon pour participer au siège de cette ville.

2. – La chasse aux suspects.

De cette façon Champagnat peut laisser l’odieux des activités persécutrices à Ducros qui ne demande qu’à terroriser. Les textes et la tradition ont conservé suffisamment de souvenirs des agissements de ce dernier. A son mariage, le 13 novembre 1783 avec Marguerite Châtelard, il faisait le don prin- cier d’une petite cloche (trois quintaux vingt livres) à l’église ; mais la Révolution a fait de lui un forcené.

122 : La béate est une pieuse femme qui a fait non des vœux de religion, mais des promesses, vit chez elle et, généralement enseigne lecture et catéchisme aux enfants, la dentelle aux filles et une phar- macopée élémentaire. Marlhes possède actuellement « une maison de la béate », sorte de musée qui fait revivre un peu cet institut séculier avant la lettre. Voir dans Cahiers d’Histoire. Auvergne. Tome 23. 1978 : M. Perrel, l’Enseignement féminin sous l’Ancien Régime. Les Ecoles populaires en Auvergne, Bourbonnais et Velay. A partir de p. 203 pour les Béates.

73 Les années obscures de Marcellin Champagnat Comme pour Javogues, on a sûrement corsé sa légende, mais il y a à peu près una- nimité pour affirmer qu’il a pourchassé les prêtres et religieuses et fait condamner des inno- cents. Quant aux anecdotes qui scandalisaient plus facilement les gens simples, comme celle d’avoir fait boire son cheval dans le bénitier, c’est le genre de faits attribués à plusieurs révolutionnaires de diverses régions. L’histoire qu’a conservée Mademoiselle Rosalie Mas- sardier de Rebaudes est sûrement de cette même période. Elle parle de la famille Planchet, comme une de celles qui avaient pour les prêtres ré- fractaires des cachettes très sûres que n’atteignent pas les sondages à coups de baïonnette ou de sabre. « Donc, lorsqu’il fut décidé que les religieuses de Jonzieux devaient être conduites à Feurs pour y être emprisonnées en attendant la guillotine, le chef des bleus123 vint trouver le père Planchet et lui dit brutalement ‘’Tenez vos bœufs prêts à telle heure car nous en avons besoin pour amener les nonnes à St. Etienne’’. C’est un nommé Ravel qui est chargé de la corvée. Le char est escorté par un peloton de gendarmerie. Au lieu dit : la Chavanne, les Bleus s’arrêtent pour boire. Le char continue et arrive à un endroit broussailleux. Ravel dit alors sans se retourner :’’Si quelqu’une voulait se sauver, ce n’est pas moi qui la verrais’’. Une jeune religieuse, Jouve de Massardière, en profite en effet. Les gendarmes en re- joignant le char, s’aperçoivent que ‘’la Jouvette manque’’. Ils menacent le conducteur qui ré- pond posément :’’vous n’aviez qu’à surveiller vos prisonnières ; dans l’état où sont les che- mins, j’ai bien assez de m’occuper de mes bêtes’’. » La sœur devait rester cachée dans sa famille toute la Terreur et rejoindre ensuite ses compagnes sauvées par la mort de Robespierre124. La délibération qui menace les béates est suivie d’une autre où le commissaire J.B. Reynaud125 note que les citoyens commissaires (sans doute Ducros et Champagnat) ont pouvoir aussi sur les villages frontières de la Haute-Loire. L’ensemble est daté du 12 octobre 1793 et Ducros appose sa signature et son titre de commissaire sans doute comme une déclaration de copie conforme.

3. – Un aristocrate a St. Genest-Malifaux.

Nous avons vu qu’à St. Genest-Malifaux, il devait y avoir des gens compromis, et Ja- vogues ne s’en laissait imposer par personne : riches, prêtres, aristocrates, autant de gens qu’il était prêt à supprimer. Encore fallait-il avoir contre eux des chefs d’accusation. Or Antoine Courbon (chevalier seigneur de la baronnie de la Faye, Marlhes, St. Genest et autres places, portant d’azur à la face d’or, chargée de 3 étoiles de gueules, accompa- gnée de quatre croissants d’or, 3 en chef, une en pointe) est la plus haute distinction nobi- liaire de St. Genest et alentours. Il a hérité de la grande maison (actuellement mairie) que son père Jean-François a fait construire. C’est l’aristocrate sûr de lui-même qui sait se faire respecter. Que peut Javogues contre lui ? La loi des suspects (du 17 septembre 1793) lui permet de faire incarcérer tous ceux qui ont soutenu la « tyrannie et le fédéralisme », ceux qui n’ont pu obtenir un « certificat de civisme ». On comprend donc qu’un homme bien au courant des événements comme Antoine Courbon de la Faye, ne prenne pas de risque. Le 20 septembre, il s’est fait donner un certificat de civisme, et 2 jours avant, le 18, un passeport pour aller voir son fils en pension dans la maison d’instruction de Tournon. Il ob- tient aussi une déclaration attestant qu’il n’a pris aucune part dans la rébellion de Lyon126.

123 : Soldat de la Révolution : les blancs étant les royalistes. 124 : Témoignage de Mademoiselle Rosalie Massardier, recueilli par un chercheur anonyme. On sent que l’enquête, tapée à la machine a été faite sérieusement. 125 :« Représentant en mission » pour la Haute-Loire, aussi impitoyable que Javogues. 126 : Ce chef d’accusation conduit sûrement à la guillotine.

74 Les années obscures de Marcellin Champagnat Or, Javogues peut aussi faire condamner un aristocrate s’il n’a pas apporté au greffe de la municipalité ses titres seigneuriaux. La peine prévue est 5 ans de fers et le délai 3 mois. La loi est du 17 juillet 1793. Antoine Courbon ne se met pas dans ses torts. Le 9 octobre, il se présente à la mairie, assez décontracté, disant que « soumis aux lois, il vient faire déposer les titres et papiers concernant les rentes seigneuriales et les droits seigneuriaux qu’il possède et qui sont sup- primés » Il laisse la malle peine de titres, pour « être ouverte quand la municipalité le jugera à propos. Il a encore, ajoute-t-il beaucoup d’autres papiers. La municipalité se charge de l’avertir de les apporter quand la décision aura été prise, concernant le brûlement des titres seigneuriaux ». Dans les jours qui suivent, le maire n’a guère le loisir de penser aux titres de Courbon. Il est fatigué d’un emploi plein de dangers. Il a menacé, au cours du mois d’août, de démis- sionner, et de nouveau, le 7 ou le 8 octobre, il annonce qu’il le fera pour la saint Martin, le 12 novembre ; Lui aussi est victime de dénonciations et on l’a retenu prisonnier quelques jours, puis rétabli dans ses fonctions le 15 octobre « attendu qu’il pourrait n’avoir cédé que pour un moment aux erreurs que lui avaient suggérées des administrateurs infidèles » Le 11 novembre, Antoine Courbon reprend l’initiative et juge convenable d’inviter Marl- hes et Riotord « pour se rendre compte de la destruction de ses titres seigneuriaux.. d’autant plus que Marlhes lui réclame les titres concernant cette commune ». Le 14 novembre, il y a un office funéraire pour Marat127 et pour Chalier128 etc. ... On imagine un peu ce que doit être cette liturgie célébrée par le curé Jamon sur le point de dé- froquer. Au retour on veut faire le brûlement, mais Antoine Courbon demande si Marlhes et Riotord sont là. On répond que non, et lui, alors d’exiger que ce soit renvoyé au dimanche 17. Marlhes, cela veut dire J.B. Champagnat, secrétaire-greffier et J.B. Barralon, officier municipal. Les deux seront donc là le 17 novembre 1793, et, à une heure du soir, autour de l’arbre de la liberté, on brûlera les titres, en présence de la garde nationale. Le commandant de la garde est Chamberlhac qui est, avec Courbon, un des quatre nobles de St . Genest129. Ce n’est sûrement pas une cérémonie grotesque. Il faut plutôt se représenter le sacri- fice librement consenti d’un aristocrate qui devient citoyen et qui proclame par son acte : « Je suis vôtre ». Théoriquement ! Courbon est en tout cas un homme dont on a besoin, et, le dimanche suivant, le 24 novembre, on le charge (avec quelques autres) d’acheter « jus- qu’à 1.000 quintaux de blé » ce qui évidemment est une mission de confiance. Le 24 dé- cembre 1793, il viendra présenter ses certificats de civisme et de résidence. Sur aucun point, il n’admet qu’on puisse le suspecter.

4. – La délation.

Les accusations de pure vengeance n’ont pas dû manquer comme c’est facilement le cas dans les périodes troublées. Nous en avons vu quelques-unes dans les derniers jours de la guerre civile. Quelques jours plus tard, par exemple, la municipalité de St. Genest sauve Barthélemy Pauze qui s’est fait arrêter par le commissaire de St. Romain-les-Atheux. Il est de St. Genest et il a, dit-il, obéi à toutes les réquisitions. Il prête serment « de n’être plus fanatique, d’être fidèle à la Loi en véritable républicain et de vivre en vrai sans-culottes ».

127 : L’un des conventionnels les plus durs dans le procès de Louis XVI, dans ses attaques contre Dumouriez, puis contre les Girondins. Assassiné par Charlotte Cordey (13 août 1793). 128 : Il y a eu un véritable culte pour Chalier parmi les conventionnels. 129 : On pourra consulter, pour une autre région, une étude sur le brûlement des titres féodaux :As- pect de l’abolition du régime seigneurial dans le département du Puy de Dôme (Auvergne) tome XXIII. 1978, fasc. 2 p. 169. Presses Universitaires de Lyon, 86 rue Pasteur, 69007 Lyon)

75 Les années obscures de Marcellin Champagnat 5. – Réquisitions.

Les pages du Registre de Marlhes qui suivent la fin de la guerre sont des copies d’arrêtés concernant les réquisitions de blé, ou le prix maximum que Javogues fixe impérati- vement pour les denrées de base. La municipalité promet de nommer 12 membres pris dans son sein, qui, conjointement avec 4 membres du Conseil Général du district, feront le recensement des réserves de blé existantes.

6. – Nouveau calendrier.

Et puis les délibérations recommencent et, cette fois, avec le nouveau calendrier le 23 octobre 1793 (2 brumaire An II)130

7. – La fin de l’année 1793.

Arrivent maintenant les plus mauvais jours. Depuis 3 à 6 mois, il n’y a plus de travail dans le ruban, les troubles politiques vont donc s’aggraver de troubles sociaux, car la faim est mauvaise conseillère.

130 : C’est par les décrets des 5 octobre et 24 octobre 1793 que la Convention adoptait le nouveau Ca- lendrier, mais en le faisant débuter à l’automne 1792 (22 septembre 1792 = 1ier Vendémiaire An I)

76 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XIV. LA TERREUR SOUS JAVOGUES

1. – L’organisation terroriste en province.

C’est surtout à partir de fin décembre 1793 que la France connaît la centralisation to- tale du gouvernement révolutionnaire. La Convention gouverne au moyen de deux comités de 12 membres chacun : le Comi- té de Salut Public et le comité de Sûreté Générale représentés dans les Provinces par 58 « représentants en mission ». Le comité de Salut Public a été créé en mars 1793, et, le 10 octobre, un décret prévoit que le « Conseil exécutif provisoire, les ministres, les généraux, les corps constitués sont placés sous la surveillance du Comité de Salut Public » Un décret du 4 décembre 1793 prévoit encore que « les mesures de gouvernement et de salut public... les opérations majeures de diplomatie sont sous son contrôle. Le Comité de Sûreté Générale a compétence pour tout ce qui est relatif aux personnes et à la sûreté géné- rale ». Le fédéralisme, surtout le fédéralisme lyonnais, avait suffisamment fait peur au gou- vernement central pour que celui-ci ait voulu supprimer tous les organismes qui étaient ap- parus plus ou moins spontanément : comités révolutionnaires centraux ou départementaux, réunions de « sociétés populaires », armées révolutionnaires locales, tribunaux révolution- naires de province, etc. ... Les « représentants en mission » n’ont donc pas autre chose à faire que d’exécuter les ordres de Paris, soit directement, soit par nouveaux comités interposés. Leurs pouvoirs sont illimités, d’après l’arrêt du 29 décembre 1793. Ils surveillent aussi bien les « sociétés populaires » que les armées révolutionnaires des départements, ou les tribunaux criminels extraordinaires. Ces chefs locaux et leurs créatures risqueraient d’être grisés par leur pouvoir, si les deux comités de Paris ne les surveillaient pas étroitement. Effectivement les abus de pouvoir n’ont pas manqué, mais il faut dire cependant que la Révolution française n’a pas connu l’odieux enchaînement que devait être plus tard le système stalinien, tel que Soljenitsyne le décrit dans « l’Archipel du Goulag ». Les petits chefs locaux ont bien pu quelquefois compter sur l’immunité si leurs crimes s’accompagnaient d’une basse servilité à l’égard de leurs su- périeurs hiérarchiques, mais, par exemple, le rappel de Javogues montre qu’une certaine surveillance existait en haut lieu et savait réagir contre les excès les plus graves. Des gens comme Robespierre ou Saint-Just avaient une haute idée de leur mission. Mais comment faire pour s’entourer uniquement d’exécutants vertueux ? Godechot a pu écrire à propos des Jacobins qui dominent toute cette période :« Ils forment une véritable Eglise, très intolé- rante, mais dont l’idéal reste pur et noble et dont le dynamisme est un des moteurs de la Ré- volution. » A l’échelon municipal, le « représentant en mission » va surtout faire régner la terreur par les « comités de surveillance révolutionnaires », et plus efficacement encore par l’agent national. Le 8 floréal An II (27 avril 1794) Marlhes fait connaissance avec ce Comité et avec cet agent substitué au procureur et qui est pratiquement un petit dictateur.

77 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il est certainement un personnage dangereux pour les municipaux, soit à la fin de la présente période, soit à la fin du Directoire. Sa création est due à un décret du 14 frimaire, An II (4 décembre 1793) qui place des agents municipaux auprès des administrations des districts et des municipalités. Il est tenu d’adresser, tous les 10 jours, des comptes « déca- daires au directoire du district s’il est agent communal, au Comité de Salut Public et au Co- mité de Sûreté générale s’il est agent de district. Il a le droit de requérir et de poursuivre l’exécution des lois, de dénoncer les négligences et les infractions ». Un de ses devoirs est de surveiller les autorités constituées. Ces agents nationaux vont déverser une paperasserie incroyable, car ils ne doivent rien laisser au Comité de Sûreté générale de ce qui concerne « la tranquillité intérieure, les conspirations qui pourraient être tramées contre l’égalité et la liberté.., l’esprit public, etc. ..». Encore faut-il pour cette fonction, trouver des patriotes sachant lire et écrire, ce qui manque très souvent, dans les petites communes131. Lettrés ou non, les agents nationaux ont le droit de décerner des mandats d’arrêt, de poser et lever les scellés. Alors qu’il est interdit aux administrations de département, district et commune, de se déplacer (on a vu les soupçons que cela pouvait faire peser, relativement au fédéralisme lyonnais), le gouvernement recommande aux agents nationaux de faire des tournées dans leur arrondissement pour surveiller la stricte application des lois, la définition même de leur fonction en faisant des personnages aussi redoutables que contestés. Pouvait-on éviter toutes les bavures de cette période ? Il faut en juger avec le recul que nous avons maintenant. On peut dire qu’au printemps 1794, l’excuse de la patrie en danger n’était plus valable, mais dans la période précédente, il faut reconnaître que le Comité de Salut Public avait la tâche difficile de défendre les frontières et surveiller, à l’intérieur, ce qui était (ou lui parais- sait) l’ennemi. et cette tâche il l’a réalisée132. Grâce au nombre (1.000.000) de soldats, grâce à l’armement dont on les dote, des hommes à peu près vêtus et nourris, tiennent tête à une coalition européenne. Depuis l’antiquité c’est la première fois qu’une armée vraiment nationale marche au combat et qu’une nation entière travaille (de gré ou de force) pour cette armée133 C’est en fonction de cet idéal, qu’il faut juger des gens qui n’avaient plus le choix, une fois le doigt mis dans l’engrenage. Le mérite de certains est d’avoir maintenu un idéal de ver- tu et d’honnêteté, uni hélas ! à une dureté impitoyable. Dans son « Robespierre », J. Massin rappelait en 1920 que la Cour de Cassation avait déjà réhabilité la mémoire de 2.700 fusillés parmi les victimes beaucoup plus nombreuses des mutineries de 1917.. Or du 10 mars 1793 au 9 thermidor 1794, le Tribunal Révolutionnaire de Paris n’a prononcé, en tout et pour tout, que 2.627 condamnations à mort134. Encore une fois la faute grave est beaucoup plus dans la sauvagerie féroce des représentants en mission, que dans l’idéal impitoyable de leurs chefs.

131 : Voici par exemple quelques lignes d’une délibération de la commune de (20 km de Marlhes) qui semble bien rédigée par l’agent national nommé Rousset, le 10 fructidor An II (17 août 1794) : « Considérand que le fasnatisme fus dans tout lais tant le fléos dus jean roumin et le preteste des plus orrible forfait laine myt de la Lisbertai Lingaslitai et dus bongneur pusblique... Ouy (=oui) la gant national a raite : lais cistoyen de cepte commûne sons requis aux noms de la lois et du bongheur de la paitriss, à renverser de suite tout lay signe du fasnatisme, et de connaître aux tr jour de repos que le jour consacré par la loi, lay patriote Eclairés sons requis à pros pas ger lais masquesime de la Raissons de toute par... » 132 : Depuis juillet 1793, le pouvoir exécutif est exercé par ce Comité qui comprend : Barère, Carnot, Couthon, Prieur, Collot d’Herbois, Saint-Just, Billaud-Varenne, Lindet et Robespierre. 133 Mais on n’est pas du tout obligé d’admirer cette tuerie de 25 ans pour aboutir aux frontières d’avant 1789. On est à peu près d’accord pour compter 850.000 tués et 550.000 disparus du côté français au cours des guerres de la Révolution et de l’Empire. Si l’on en compte autant du côté opposé on n’est pas loin de 3.000.000. Et l’on peut rêver à 25 ans d’un règne paisible de Louis XVI acceptant une douce évolution face aux demandes légitimes d’une monde ouvrier du début de l’ère industrielle. 134 : J. Massin, Robespierre, Club Français du Livre, Paris 1963, p. 51.

78 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – Le rappel de Javogues.

Un des actes à l’honneur de Robespierre est, par exemple, le rappel de Javogues au début de 1794. Le 29 janvier 1794 (10 pluviôse, An II) le Comité de Salut Public adresse à Javogues une lettre courtoise lui signalant que désormais les départements du Rhône et de la Loire sont sous la surveillance de ses collègues de Commune Affranchie (Lyon), que sa mission est donc sans objet et qu’il est invité à rentrer à Paris, dans le sein de la Convention natio- nale. Le Comité lui rappelle, d’ailleurs qu’il a lui-même naguère fait cette demande. Mais il prend mal ce rappel, car il sait que son accusateur est Couthon, qui lui reproche de désho- norer la Révolution par son immoralité et sa cruauté. Il sait surtout qu’il a manifesté une haine personnelle envers Couthon et qu’il doit s’attendre à un règlement de comptes. Le 1ier février, il se permet une proclamation des plus violentes contre Couthon, et le 4 février il écrit à Collot d’Herbois une lettre totalement dépourvue de prudence. Il est exaspéré qu’on lui reproche ses « arrêtés destructeurs ». Il vomit de basses injures contre « l’infâme Cou- thon », parle de Barère « vendu aux riches », de Prieur de la Côte d’Or, parent d’aristocrate etc. « C’est une guerre à mort entre eux et moi et j’accepte volontiers le défi ». Il y étale sa haine contre les prêtres :« Il serait beaucoup plus simple de les fusiller » ; contre les riches :« au moins 500 riches coupables qui peuvent laisser à la République plus de 200 millions de biens », sa pitié pour le pauvre peuple. « Quant à moi, ajoute-t-il enfin, je n’offre pour toute justification à mes détracteurs que ma mère dans les fers, trois combats que j’ai essuyés, ma misère ; 1.500 millions que je voulais faire séquestrer au profit des sans-culottes, et de l’or que j’apporte à la Convention135 ». Couthon obtient de Robespierre un ordre formel de rappel immédiat et le 23 pluviôse An II (11 février 94), les officiers municipaux de Feurs sont chargés d’annoncer à Javogues l’ordre de Paris. Ils ont grand’ peur car Javogues se permet facilement de recevoir les gens à coups de pied, de leur tirer les cheveux ou la barbe. Mais cette fois, il a choisi d’obéir avec douceur et il va même trouver le moyen de se réconcilier (apparemment) avec Couthon et de sauver sa tête pour 2 ans. En réalité, il attend son heure, et le 9 thermidor, il ne sera pas le dernier de ceux qui entraîneront la chute de Robespierre. En tout cas le Forez était débarrassé de lui, et, si ce n’était pas pour autant la fin de la Terreur, ce devait être quand même le salut pour un certain nombre de prisonniers. Voilà donc le genre de proconsul sous l’autorité duquel les responsables municipaux comme J.B. Champagnat ont dû manœuvrer à leurs risques et périls pendant 4 ou 5 mois. Si Robespierre rappelle Javogues à Paris, c’est parce qu’il ne veut ni des sauvages, ni des brutes à la tête d’un département. Ce n’est pas à dire qu’il ait réussi à faire un bon choix de « représentants en missions » : la vertu n’est pas plus courante dans un milieu révolu- tionnaire que dans un milieu conservateur, mais il ne faut pas blâmer les premiers responsa- bles de tout le mal que font leurs subordonnés. Robespierre, par exemple, était écœuré de Fouché ; il n’a pas pu s’en débarrasser. Napoléon n’y réussira pas davantage. Et Fouché qui empêchera Napoléon de se redresser après Waterloo, trouvera encore moyen d’introduire le règne de Louis XVIII. Que faire contre l’habileté de certaines crapules !136

135 : Texte de la lettre dans F. Gonon, Claude Javogues. Imprimerie de la Loire, St. Etienne, 1938. 136 : Voir annexe 4.

79 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XV. LE PROBLEME RELIGIEUX DE L’AN II.

Il faut maintenant aborder dans son ensemble l’évolution religieuse de France pendant la dernière année de cette première partie de la Révolution, c'est-à-dire sensiblement après la chute de Lyon (octobre 1793) jusqu’à la mort de Robespierre (juillet 1794).

1. – L’effondrement relatif de l’Eglise constitutionnelle en 1793-1794

Dans l’esprit de beaucoup de Conventionnels, la tolérance à l’égard d’une Eglise cons- titutionnelle n’était qu’une étape vers la déchristianisation totale ; mais les aléas de la Révo- lution vont comporter de tels remous que l’on n’aura jamais une ligne de pensée ou de con- duite bien suivie et que l’on retrouvera même l’ennemi d’hier devenant provisoirement allié ou vice versa. Robespierre, par exemple, est un des premiers à avoir proposé, en 1789, au scandale de l’Assemblée, le mariage des prêtres, mais, en 1793-1794, il est plus proche de l’Eglise assermentée, que la plupart de ses collègues ; les Girondins au contraire sont le parti le plus violemment anticlérical de la Convention, mais ceux d’entre eux qui échappent au massacre en 1793, refont surface en 1794, plus ou moins dans le coude à coude avec des prêtres ré- fractaires qui, comme eux, rentrent de l’exil. Il ne faut pas demander trop de logique à cette période, mais essayer de suivre au jour le jour des évolutions souvent inattendues. De façon globale, on peut dire qu’au milieu de l’année 1793, l’Eglise constitutionnelle cesse d’être considérée comme l’alliée indéfectible de la Révolution. Si certains prêtres constitutionnels ont pu se réjouir l’année précédente de l’exil massif des insermentés, qui leur laissent le champ libre, il vont devoir déchanter pen- dant toute l’année qui précède le 9 thermidor. L’Eglise constitutionnelle n’est pas composée que de farfelus. Ses évêques, par exem- ple, sont, sauf une quinzaine sur 80 – des hommes d’une véritable valeur religieuse. Ils ont des principes gallicans avancés, parfois un idéal très révolutionnaire, mais ils réagissent sai- nement sur des questions où la tradition de l’Eglise catholique est ferme. Lamourette, par exemple, refuse l’institution canonique à des prêtres qui prétendent exercer leur ministère après s’être mariés. Mais c’est justement là qu’ils vont se heurter à un gouvernement qui fait fi de tout prin- cipe religieux. L’autre clergé avait estimé devoir dire non dès le premier accroc, c'est-à-dire dès la Constitution Civile du Clergé, et, en moins de deux ans, on avait fait de ce clergé l’ennemi public numéro 1 et on l’avait, souvent bien malgré lui, jeté dans les bras d’aristocrates parfois athées qui n’avaient presque rien de commun avec lui. On arrivait maintenant à un deuxième cran, avec les prêtres constitutionnels qui, à leur tour, devaient dire : Ma conscience catholique ne peut plus être d’accord avec ma cons- cience civique ; il est vrai, par exemple que le célibat des prêtres n’est pas une donnée évangélique, mais je dois tenir compte aussi d’une tradition séculaire de mon Eglise, et, si mon Eglise gallicane s’est vu reconnaître des libertés dont elle a usé au cours de siècles, elle n’a jamais accepté un clergé marié.

80 Les années obscures de Marcellin Champagnat Or, c’était à partir de points comme celui-ci, que les relations entre le gouvernement et l’Eglise constitutionnelle allaient devenir tendues, voire mauvaises. Des prêtres, en effet pré- tendaient se marier en continuant à être prêtres et ils recouraient au pouvoir civil pour faire reconnaître ce droit. N’était-ce pas dans le prolongement de la Constitution Civile du Clergé, estimaient-ils ? Du moment que celle-ci avait pu, en 1790, faire élire le clergé par des ci- toyens qui, en partie, n’étaient pas catholiques, on n’en était plus à un détail près. Il suffisait d’ouvrir un peu plus les vannes pour précipiter le torrent incontrôlable de toutes les libertés. Et malheur à qui s’y opposerait ! On en arrive, en effet, tout de suite aux menaces. Le 19 juillet 1793, la Convention dé- crète que les évêques qui apportent directement ou indirectement quelque obstacle au ma- riage des prêtres, seront déportés137 et remplacés. A partir de novembre, soit la Commune de Paris, soit la Convention, ont trouvé que le mariage des prêtres était le moyen le plus efficace pour détruire pratiquement la religion ca- tholique. Les fidèles, en effet, peuvent encore avoir quelque confiance dans un prêtre as- sermenté, car la licéité ou non licéité des serments a souvent été difficile à apprécier ; mais un prêtre marié est inacceptable pour les fidèles catholiques de cette époque. La loi du 25 brumaire An II (15 novembre 93) stipule que tout prêtre marié, fût-il réfrac- taire, échappera à la déportation. Le mariage est vraiment la panacée pour tous les indécis. L’abominable Fouché prélude aux excès révolutionnaires le 10 août 1793, en célébrant le baptême civique de sa fille Nièvre, dans la cathédrale de Nevers ; le 25 septembre en inaugurant un buste de Brutus dans cette même cathédrale. Le même jour, il publie un arrêté obligeant tous les ministres du culte à se marier, ou à adopter un enfant ou un vieillard indi- gent. Enfin le 9 octobre, il ordonne la destruction de « toutes les enseignes religieuses », et il laïcise les funérailles. La Commune de Paris, avec à sa tête, Chaumette, qui naguère à Nevers, avait encou- ragé, sinon inspiré Fouché, va pousser le plus activement possible le travail de déchristiani- sation par des moyens vraiment dignes de l’homme de 1793. Le 6 novembre 1793, Chau- mette et ses sbires vont tirer de son sommeil et de son lit, Gobel, l’évêque de Paris, pour l’amener à faire son abdication, le lendemain et à coiffer le bonnet rouge. Grégoire138, indigné, vole à la tribune et malgré les menaces, proteste que lui, il restera évêque, car ce n’est ni du peuple, ni de l’Assemblée qu’il tient sa mission. Les vicaires épiscopaux de Gobel suivent ce dernier dans sa défection. Paris n’a plus d’évêque, et, les idées diaboliques se succédant, on organise pour le décadi suivant,10 no- vembre, une « Fête de la Raison ». Cette fête célébrée à Notre-Dame, est une grossière caricature des cérémonies catho- liques. La Raison est personnifiée par une actrice de l’Opéra, en grande robe blanche et manteau bleu, « image fidèle de la beauté ». C’est là une idée d’Hébert, qui, depuis la mort de Marat, a pris le relais pour tout ce qui concerne la déchristianisation. Mais la Convention suit mal des gens aussi extrémistes et Robespierre est indigné. Il va réagir et il peut se souvenir qu’en juillet 1791 les Jacobins ont été à deux doigts d’être dissous et que l’évêque Grégoire, aussi Jacobin que lui, a été un des rares à lui rester fidèle139. Or il sait que Grégoire est aussi ferme dans sa foi chrétienne que dans son ardeur révolutionnaire.

137 : Il s’agit de la déportation à Cayenne. A vrai dire devant l’impossibilité d’organiser ce voyage on va laisser pourrir les confesseurs de la foi sur les pontons de Rochefort, c'est-à-dire sur des navires ex- négriers qui vont rester en rade pendant un an. Les conditions y sont tellement affreuses que 66% mourront. L’odieux organisateur de cette « guillotine sèche » est un ami de Couthon : Maignet. 138 : Député et chef de l’Eglise constitutionnelle. 139 : Il y a eu un moment où ils n’ étaient plus que 5 : Robespierre, Pétion, Buzot, Grégoire et Prieur. Le club allait être dissous et aurait dû alors s’agréger aux Feuillants.

81 Les années obscures de Marcellin Champagnat Voilà donc Robespierre, le 1ier frimaire (21 novembre1793) qui prononce un grand dis- cours hostile au culte de la Raison, rappelant que la Convention n’a ni prescrit ni voulu pros- crire le culte catholique. Sous son influence, la Convention vote le 16 frimaire (6 décembre) un décret affirmant la liberté des cultes. Les « prêtres réfractaires ou turbulents » continue- ront à être proscrits, mais les prêtres constitutionnels ne doivent pas être inquiétés. Cette courageuse attitude de Robespierre met un frein à l’extension du culte de la Rai- son, et aussi, mais très provisoirement, à la déchristianisation : la fête de Noël 1793 est cé- lébrée dans presque toute la France. La plaidoyer qu’avait fait Robespierre en faveur de la liberté du culte, donc de la re- connaissance de l’Eglise constitutionnelle, n’a cependant pas été suivi d’un contrôle efficace de ceux qui devaient faire respecter cette liberté, car les « abdications » ont été nombreuses ( entre 6.000 et 9.000) et quelque 2.000 prêtres ont envisagé le mariage auquel on les pous- sait par toutes sortes de pressions. Sur les 2.000, 1.750 ont pris leur décision en 1794, ce qui suppose ou que les proconsuls de province agissaient à leur guise, ou que Robespierre ne voyait pas d’un mauvais œil les pressions qui tendaient à détruire l’Eglise constitution- nelle. Ceux qui pensent que Robespierre était sincère dans sa volonté de ne pas entraver le culte catholique peuvent en donner quelques preuves. Par exemple Chaumette avait, le 23 novembre, décidé qu’à Paris tous les temples et églises de toutes religions seraient sur-le- champ fermés et que quiconque en demanderait la réouverture serait déclaré suspect. Or, en décembre deux ou trois chapelles ont quand même été rouvertes. En février 1794, elles étaient fermées à nouveau, et le printemps 1794 était l’apogée de la déchristianisation et de la ‘déprêtrisation’. Il est pourtant un peu difficile d’y voir la faute de Robespierre, car il en- voyait à l’échafaud, Hébert, Chaumette et leurs amis, pour motif d’athéisme. Dans l’Eglise constitutionnelle, il y a ceux qui flanchent, mais aussi ceux qui, affrontés à une hostilité confondant insermentés et assermentés, rejoignent le clergé romain. Et même après la Terreur, certains relaps rejoindront ce troupeau, car ils trouveront dans l’Eglise ro- maine, moins d’intransigeance que dans l’évêque Grégoire, qui est un peu le pape de l’Eglise constitutionnelle et veut celle-ci pure et dure. En attendant, cette Eglise constitutionnelle va s’amenuisant. Après le 9 thermidor, il ne lui restera plus guère qu’une trentaine d’évêques. Elle n’est pas quantité négligeable, mais enfin elle est quand même très affaiblie, n’ayant guère trouvé les moyens d’assurer sa re- lève.

2. – Cheminements et tendances des nouveaux cultes.

Par ailleurs, depuis 1790, des cérémonies patriotiques ont préparé les esprits à des li- turgies laïques, et peu à peu celles-ci se sont introduites dans les églises. On a honoré en- suite la Sainte « Montagne » et ses martyrs : Chalier à Lyon ; Marat à Paris. On va mainte- nant déchristianiser la vie quotidienne par le nouveau calendrier qui supprime toute réfé- rence à la sainteté chrétienne. A vrai dire, pourtant, deux tendances opposées s’affrontent parmi les Conventionnels : Il y a ceux qui détestent l’Eglise catholique romaine, et ceux qui détestent toute Eglise chré- tienne. D’où l’idée de nouveaux cultes, susceptibles d’éviter au peuple une frustration reli- gieuse insupportable. Robespierre essaie de trouver une voie susceptible de faire l’unité au sein de ce monde révolutionnaire. Il n’aime pas l’Eglise catholique romaine, mais il pense que les catho- liques ont pour eux les Droits de l’Homme, et sont libres de rester catholiques, si, toutefois, il veulent bien faire partie de l’Eglise constitutionnelle. Cette Eglise constitutionnelle devra se plier à certaines exigences, par exemple, à certaines institutions républicaines comme le Nouveau Calendrier, mais dans un contexte d’opinions pluralistes n’est-il pas admissible de laïciser l’année et de soumettre au système métrique le regroupement des jours 10 par 10 au lieu de 7 par 7 ?

82 Les années obscures de Marcellin Champagnat Disons cependant tout de suite que la réforme du calendrier et tout ce qu’elle impliquait pouvait viser deux buts.

a) Propagande athéiste.

Dans un premier temps au moins, il n’est pas exclu que l’athéisme ait fait cause com- mune avec une volonté de libertinage moral ; en tout cas les fêtes décadaires seront bien souvent accusées d’immoralité. Là-dessus on peut citer Grégoire, l’évêque constitutionnel qui risque bien d’être une bonne référence : « La postérité, dit-il, ignorera une partie de ces horreurs, car il est des faits que la plume n’ose tracer, mais dans le vague où peut se pro- mener l’imagination et dans les généralités sous lesquelles la chasteté de l’histoire enve- loppe ce qu’elle n’ose exprimer, on devine que les horreurs d’Onan, d’Antiochus et de Bal- thazar réunies ne peignent encore que très imparfaitement celles dont nous fûmes contem- porains, et ces faits indéniables sont consignés dans des procès-verbaux, des journaux, des correspondances authentiques, dans la mémoire des acteurs et des témoins ». Par ailleurs, les Conventionnels avaient assez le préjugé bourgeois au sujet des vices populaires. L’ouvrier moyen ne pouvait utiliser ses loisirs que dans la débauche, l’ivrognerie et la bagarre ; mieux valait donc qu’il fût au travail le plus longtemps possible. Toute la pre- mière partie du XIX° siècle verra la suppression pratique des jours de repos qui se réduiront aux jours de chômage ; à l’époque de la Révolution, l’industrialisation n’est pas encore assez poussée pour en arriver là, mais la bourgeoisie fait ce calcul : la décade remplaçant la se- maine réduira les jours de repos d’une façon appréciable. Par ailleurs on voudrait bien alphabétiser les masses ignorantes, créer des écoles, mais cela est long et les maîtres manquent. On emploiera donc le décadi pour des séances de formation civique et morale ou d’endoctrinement.

b) .... ou proclamation de l’Etre Suprême.

Robespierre se rend assez compte de la volonté athéiste des réformateurs du Calen- drier et n’hésite pas à affirmer son déisme : il parie pour Dieu face à une masse de Conven- tionnels impies140. Il affrontera leurs moqueries s’il le faut, mais la rage au cœur, et il n’aura pas de re- mords à les éliminer, tant ceux qui veulent plus de Terreur (Hébert) que ceux qui en veulent moins (Danton). En tout cas, il a soin de souligner l’implication politique qu’il voit dans leur athéisme. C’est au lendemain de l’exécution de Danton que Couthon (porte-parole de Robes- pierre) annonce à la Convention le dépôt d’un projet de fête dédiée à l’Eternel. Le 18 floréal (7 mai) un décret est voté :« Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre Suprême et l’immortalité de l’âme ». Ce décret a été précédé d’un rapport de Robespierre sur les idées religieuses et morales et sur les fêtes nationales. Dans ce rapport, il s’élève contre les hom- mes qui, vendus à l’ennemi « attaquèrent tout à coup les cultes par la violence, pour s’ériger eux-mêmes en apôtres fougueux du néant et en missionnaires fanatiques de l’athéisme ». « L’idée de l’être Suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel continu à la jus- tice, elle est donc sociale et républicaine141 ».

83 Les années obscures de Marcellin Champagnat Par ailleurs, le Culte de l’être Suprême lui semble ne pas s’opposer aux autres cultes, mais pouvoir être accepté comme une base rassurante par tous les citoyens qui ne sont pas dépourvus de sens religieux. Finalement il accepte une certaine compromission : on peut parler de la raison, non pour la célébrer comme une déesse, mais pour lui donner le rôle qu’elle a vraiment : recon- naître les vérités fondamentales. Un décret du 23 floréal (12 mai 1794) décide en effet qu’on écrira au frontispice des églises :« "Temple de la Raison". Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre Suprême et l’immortalité de l’âme ». Robespierre ne faiblit pas dans sa confession de la foi déiste. Contre Fouché qui avait fait inscrire sur les cimetières :« La mort est un sommeil éternel », il élève sa protestation : « Français, ne souffrez pas que vos ennemis cherchent à abaisser vos âmes et à énerver vos vertus par une funeste doctrine. Non, Chaumette ; non, Fouché, la mort n’est point un sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie qui jette un crêpe funèbre sur la nature et qui insulte la mort ; gravez-y plutôt celle-ci : « La mort est le commencement de l’éternité ». Typique encore cette autre phrase qui dit sa pensée profonde : « Vous vous garderez bien de briser le lien sacré qui unit les hommes à l’auteur de leur être. Il suffit même que cette opinion ait régné chez un peuple pour qu’il soit dangereux de la détruire142 ». Il a voulu et assez bien réussi une solennisation de la fête de l’Etre Suprême le 20 prai- rial (8 juin 1794) dont la date correspondait à la Pentecôte, cette année-là. Et, dans son es- prit, c’était peut-être une sorte de demi-réconciliation avec un culte catholique, car au moins c’était une fête en l’honneur du vrai Dieu créateur et à laquelle pouvaient participer, lui sem- blait-il, catholiques et non-catholiques. Elle comportait des hymnes à l’Eternel, des discours sur la Providence et l’Immortalité de l’âme, une procession de chars ornés des prémices de la récolte : dons offerts à l’Etre Suprême.

c) Persécution quand même.

Mais, comme nous l’avons vu, dans le département surtout, la persécution religieuse continue quand même et s’accroît. souvent d’ailleurs en réaction, contre Robespierre à qui certains ne pardonnent pas d’avoir arrêté la déchristianisation, d’avoir « réveillé le fana- tisme » en substituant au culte de la Raison un credo spiritualiste.

d) Atermoiements des déchristianisateurs.

Il y en a même qui pensent que Robespierre serait allé plus tard vers une atténuation de la persécution. Ils ont des chances d’être dans le vrai, car celui-ci sait bien qu’il a des en- nemis plus acharnés que les catholiques, même papistes. Les tensions qui se manifestent à l’Assemblée mènent très vite à des affrontements sanglants et Robespierre en a profité, nous l’avons vu, pour dresser ses partisans contre les déchristianisateurs à outrance.

140 : S’il est difficile d’affirmer que Robespierre était un homme religieux comme Rousseau, au moins avait-il plus que d’autres le respect des sentiments populaires et donc il estimait pour le moins inop- portune l’élimination brutale de la foi religieuse. Si elle ne correspondait à rien, pensait-il, elle s’éteindrait elle-même.. 141 : On comprend que R. Garaudy ait naguère alerté les marxistes contre la collusion regrettable en- tre l’athéisme et l’esprit révolutionnaire, due seulement au contexte social du temps et du lieu où écri- vait Marx. L’histoire de la Révolution française donne un enseignement contraire. Les Girondins, moins à gauche que les Jacobins, sont plus irréligieux qu’eux. Robespierre lui, estime vendus à l’ennemi ceux qui donnent de la France l’idée d’une nation impie que les peuples voisins ont, pour ce motif, intérêt à détruire. 142 : Voir Voyelle, Mourir autrefois : Firmin Didot, 1974, p. 223

84 Les années obscures de Marcellin Champagnat Certains pourront être scandalisés que j’atténue tellement les fautes bien réelles de Robespierre. Non, il ne s’agit pas d’en faire un saint laïc, mais de le situer plus proche d’un Marc-Aurèle que d’un Néron. Il unit vertu et cruauté un peu malgré lui, entouré qu’il est de rapaces plus carnassiers que lui. Cette mise au point me paraissait nécessaire pour mieux situer l’action d’un jacobin local – J. B. Champagnat - qui a dû essayer de s’adapter dans une situation qui évoluait à toute allure.

85 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XVI. LE PROBLEME RELIGIEUX DANS LA REGION FIN 1793.

1. – Les abdications.

a) Jamon, curé de St. Genest-Malifaux.

Dans la région, une des premières manifestations éclatantes de la déchéance de l’Eglise commence avec l’abdication du curé Jamon. Dès le 24 novembre 1793, Jamon annonce à la municipalité que, conformément aux vœux de la Convention, il renonce à son sacerdoce143. Cette abdication a été le fait de beaucoup d’autres, mais la voix publique lui a attribué des actes plus graves : ce serait lui qui aurait été la principale vedette de saturnales à St. Etienne, le 1ier décadi de nivôse An II (30 décembre 1793) pour célébrer la prise de Toulon sur les Anglais. « Au milieu de ce triomphe de la justice nationale, dit le chroniqueur, un prêtre vêtu de sa robe d’ignominie, s’était avancé au milieu des groupes et avait fait l’aveu public et solen- nel de ses jongleries sacrées : « Je fus trompé et je vous trompai ; à présent, rendu à la véri- té, à la Nation, à la Liberté, je ne veux plus être que citoyen, lui payer toute la dette entière et verser s’il le faut mon sang pour elle». « A l’instant, il jette loin de lui sa soutane, la foule aux pieds avec l’indignation de l’homme libre et se prosterne devant la majesté du peuple en accusant ses erreurs, il de- mande grâce. Girard, citoyen de Narbonne, député de l’Aude, le relève et, l’embrassant, lui dit :’’Au nom du peuple français, au nom de liberté républicaine, je te reconnais citoyen144" ».

b) Linossier, curé de Jonzieux et autres cas.

Cependant, si cette abdication est la plus spectaculaire, elle n’est pas la seule. C’est le temps où Fesch, oncle de Napoléon que l’on trouvera dix ans plus tard à la tête du diocèse, renonce aussi à son sacerdoce et trouve un emploi très rémunérateur dans « les fournitures de l’armée de son neveu ». A Jonzieux, le curé Linossier abdique aussi en 1793 et, en 1802, il n’aura pas encore réintégré la vie sacerdotale. Monsieur Courbon, vicaire général, qui a mis par écrit plus de 2.000 appréciations sur les prêtres du diocèse en 1802, donne bien l’impression qu’à cette date, Antoine Linossier est en dehors de tout ministère :« Linossier, natif de St. Genest- Malifaux, intrus à Jonzieux, actuellement négociant à Marseille. »

143 : Isidore Hedde, St. Etienne ancien et moderne : tome XII de la Revue du Lyonnais, p. 202 et sq. 144 : Galley attribue le fait à un abbé JULLIARD. Mais Vanel l’attribue plutôt à Jamon. Bulletin histori- que du diocèse de Lyon, année 1926. 3 p. 163. En tout cas, la réputation de Jamon est restée mauvaise. Une délibération de Montfaucon (Haute- Loire), en date du 25 thermidor an III, l’appelle « Terroriste consommé ». Il devient conservateur de la Bibliothèque du Puy et meurt en 1807, pensionnaire de l’Etat, sans qu’on puisse dire s’il s’est réconcilié avec l’Eglise. François Dominique Jamon avait d’abord été jésuite. Il avait un frère, François-Régis, qui est « intrus » à Notre-Dame de St. Chamond et Izieux en 1791, abdique le sacerdoce en 1793, se réfugie aussi à Montfaucon où il emporte 11 tableaux appartenant au château de St. Chamond. Un autre frère, Jean- Baptiste est procureur du roi à Montfaucon puis député de la Législative. (Voir Gerval, revue d’histoire locale, n° 28, sous la signature de Parizot.)

86 Les années obscures de Marcellin Champagnat Courbon étant, comme Linossier, originaire de St. Genest, il y a toutes chances qu’il soit particulièrement bien informé. Chausse, dans sa ‘‘vie de Monsieur Duplay145’’, présente le cas d’Antoine Linossier de façon assez difficile à comprendre. Il nous dit qu’il « résigna ses fonctions de Curé de Jon- zieux le 29 décembre 1792 ». Le contexte a presque l’air de dire que c’est pour laisser la place au curé Peyrard. Mais alors le problème serait de savoir quel est désormais son rôle, car il est bien certain qu’il reste alors sur place et même, nous l’avons vu, semble prendre des options politiques jacobines. Il cesse de signer les registres en qualité de curé le 30 jan- vier 1793, ce qui est normal, car le décret transférant les registres de l’Etat Civil du curé à un officier public est du 29 septembre 1792. Cependant, on peut voir qu’il devient « officier pu- blic chargé de constater les naissances, mariages et décès » et que le 26 décembre 1793, il donne sa démission de cette fonction, remettant à Ducros ses registres « en règle et en bon état ». Puisqu’il a « abdiqué », peut-être est-ce seulement à ce moment-là. Chausse ne sait pas bien comment le laver de sa faute, il tâche d’atténuer celle-ci au maximum en la limitant presque au fait d’avoir été jureur : « Il interrogea, dit-il, sa conscience et désabusé de ses erreurs, il les rétracta sincèrement. Son retour146 fut aussi complet qu’on pouvait l’attendre d’une âme droite et généreuse : on peut dire à sa décharge que sa vie était restée pure et qu’il ne s’était associé à aucun acte de persécution contre les catholiques ». S’il y a tant de circonlocutions pour évoquer cet homme, c’est sans doute qu’une partie de sa vie pouvait prêter à interprétation moins favorable. Quant à la rétractation et au retour, à quelle date ont-ils eu lieu ? C’est ce qu’on ne sait pas. L’essentiel est qu’il ait été ensuite un bon prêtre et qu’il ait, dans les années 1809, rénové le séminaire de Verrières. Nous avons vu que le mariage était le plus sûr moyen pour un prêtre de se faire ab- soudre d’éventuelles fautes anti-révolutionnaires, mais la simple abdication était aussi une solution qui assurait matériellement l’avenir en ouvrant des possibilités de secours ou de re- conversion. Un décret du 22 novembre 1793 avait clairement ce sens, et Jamon l’a appliqué dès le lendemain de sa publication. L’évêque Lamourette envisageait aussi l’abdication mais il a été arrêté avant, comme sympathisant girondin. Envoyé à Paris, il trouve à la prison de la conciergerie Monsieur Eme- ry avec qui il peut préparer sa réconciliation. Avant de monter à l’échafaud le 10 janvier 1794, il semble qu’il ait fait amende honorable « d’avoir rempli un siège qui n’était pas va- cant ».

2. – La destruction des objets sacrés.

L’idée que l’Eglise réfractaire n’a plus le droit à l’existence, que l’Eglise constitution- nelle va rapidement disparaître, entraîne la décision de continuer à prendre les cloches des églises (puisque l’opération est largement entamée),à s’emparer aussi de tous les trésors des sacristies et enfin à accaparer les églises elles-mêmes. Frère Avit a recueilli à Marlhes une tradition concernant J.B. Champagnat et ce pillage des églises. Introduisons ici une explication qui ne sera pas totalement claire, mais qui s’appuie sur des documents repris en annexe

145 : J.M. Chausse, Vie de l’abbé J.L. Duplay, 1887, T. I, p. 34. 146 : En tout cas, c’est après plus de dix ans.

87 Les années obscures de Marcellin Champagnat Frère Avit, annaliste de la congrégation des Petits Frères de Marie, dit deux choses apparemment opposées. D’une part, J.B. Champagnat aurait sauvé l’église de St. Genest- Malifaux que les émissaires de Javogues venaient détruire. Il les aurait fait boire, et dans l’engourdissement de l’ivresse, ceux-ci seraient repartis sans accomplir leur besogne. Par ailleurs, il emmène à St. Etienne des ornements sacerdotaux pour y être brûlés. Frère Avit, gêné par ce qui lui semble un sacrilège ajoute : « Ce fait ne nous semble pas assez prou- vé », alors qu’il l’est fort bien par une lettre de Champagnat à Javogues. Cette lettre mani- feste une panique voilée derrière un humour forcé. Il n’y a aucun doute à l’égard de l’écriture et de la signature de J.B. Champagnat, mais c’est un Champagnat qui a sûrement quelque chose à se faire pardonner par Javogues. Sa lettre est datée du 3 décembre 1793, et il fait allusion à des chasubles qu’il a apportées pour amadouer le « représentant en mission », qui, au contraire, l’a giflé en public. Cette brutalité était coutumière à Javogues, mais Champagnat a bien compris qu’elle présageait un châti- ment plus grave. On peut donc penser que Champagnat, en apportant des vêtements liturgiques voulait faire oublier une autre action qui pourrait être, par exemple, le sauvetage de l’église de St. Genest. Javogues, grâce à ses mouchards, aurait compris que le responsable de ce sauve- tage était Champagnat, et il l’aurait cassé dans sa fonction de commissaire. Le signature de Champagnat est en effet suivie de ex-commissaire, ce qui pourrait être une manière de s’humilier devant le tout-puissant proconsul. Plus simplement on peut penser aussi que Javogues attend des objets de valeur, et qu’il prend l’offrande de Champagnat pour une moquerie, car elle n’a aucune valeur mar- chande. Quoi qu’il en soit, nous sommes bien dans cette période de pillage des églises que des documents nous révèlent pour des villages voisins147. Pour Jonzieux, des traditions de cet ordre existent. Le 24 germinal An II (12 avril 1794) Marguerite Odin remet au conseil un calice avec sa patène, deux croix, l’une en argent, l’autre en cuivre, que Linossier, ci-devant curé, lui avait confiées pour les retirer. Ces « objets de la superstition » sont adressés de suite aux administrateurs du district pour être convertis en monnaie républicaine. Peu après, Jacques Planchet, capitaine de la garde livre de son côté, certains objets de même nature. C’est un peu étonnant que Ducros ait attendu jusqu’au mois d’avril 1794 pour exiger tout cela, mais, comme le curé Linossier était un prêtre constitutionnel et qu’ils semblent avoir marché la main dans la main, au moins apparemment, il a pu attendre davantage, car d’habitude, cette opération a eu lieu à la fin de 1793. A La Valla, un document non signé existe aux archives municipales, qui relate ce qui s’est passé le mercredi 18 décembre 1793. Le Conseil municipal a dû se réunir et sur « les trois heures de relevé », les citoyens Monatte, procureur de St. Chamond et Bourgeois, juge criminel, se présentent et se font conduire à l’église pour y faire l’inventaire des ornements li- turgiques. « Ils ont d’abord déchiré les livres de chant et de messe. Ledit Bourgeois a abattu les statues et corniches de l’autel du chœur à coups de sabre ; ayant ouvert le tabernacle, il a pris dans le croissant une hostie qu’il a brisée entre ses mains et foulée à ses pieds en di- sant au maire et au greffier présents : « Voyez comme ces scélérats de calotins vous ont trompés ; s’il existait un Dieu dans ce pain, que ferait-il ? Que vous abattiez de suite tout ta- bleau, statue, croix et autres ornements, monuments du fanatisme ; que ce temple soit fer- mé, qu’il ne serve désormais qu’à des fêtes civiques ». Ce qui a été ponctuellement exécuté.

147 : En 1992, une très belle exposition appelée : « Paramentica » a eu lieu à Fourvière. Il s’agissait de vêtements liturgiques faits à Lyon au début du 19ième Siècle. Le guide faisait remarquer que si les Canuts des années 1800 ont pu gagner 3 fois plus qu’ils ne gagneront en 1825, c’est parce que les sacristies avaient été vidées par les pillages de la Révolution et que les commandes pleuvaient de tous les coins de France.

88 Les années obscures de Marcellin Champagnat Suit la liste des objets qui sont retirés de l’église et qui finalement rejoindront St. Etienne148. Que les braves gens aient gardé le souvenir d’un Champagnat allant brûler des orne- ments sacerdotaux à St. Etienne, montre simplement qu’il s’est passé à Marlhes, quelque chose de semblable, avec la différence que Champagnat, commissaire, pouvait sacrifier le clinquant pour sauver le meilleur. En ce qui concerne les cloches, Marlhes ne les a pas sauvées comme on a pu le faire La Valla. Le 12 novembre, un décret émanant d’Armeville exige que les quatre cloches soient livrées pour être fondues. On essaie bien de transiger à deux, mais vainement.

3. – Confiscation des Eglises et culte décadaire.

Javogues qui est continuellement en train de tonner contre « la scélératesse des prê- tres et l’infamie des riches » ne va pas tarder à s’emparer des églises. Son décret du 26 dé- cembre 1793 les met toutes à la disposition des sociétés populaires. Les « représentants en mission » ne se font pas faute de faire fi des lois révolutionnaires, car le 6 décembre, la Con- vention avait décrété :« Toutes violences et mesures contraires à la liberté des cultes sont défendues », exception faite, bien entendu, des « prêtres réfractaires ou turbulents ». Javogues invoque, pour agir ainsi, deux bonnes raisons : instaurer le nouveau culte et soulager les malheureux qui pourront s’abriter contre le froid dans ce local désaffecté. L’homme n’a pas assez vécu pour qu’on puisse juger de son amour des pauvres, mais le cas de Fouché qui paraissait animé des mêmes intentions est très éclairant sur les fausses sincérités149. Il faut admirer les intentions sociales qui se manifestent au cours de l’An II, et qui parfois sont sincères, mais il est bon aussi de les réduire à leur juste dimension. Javo- gues sait trouver à sa rage antireligieuse des justifications humanitaires :« Les églises se- ront désormais consacrées à l’instruction. Dans ces maisons nationales, il y aura un feu pu- blic pendant l’hiver pour le soulagement de l’humanité souffrantes ». (A Commune d’Armes, 1ier nivôse An II, 21 décembre 1793. Signé Javogues) L’église de Marlhes, en tout cas, n’a pas tardé à devenir un temple décadaire. Il faut bien se rappeler toutes ces interrogations de l’histoire pour éclairer un peu le cas de Jean- Baptiste Champagnat. Même s’il est un chrétien et un chrétien actif, puisqu’il a été trésorier des Pénitents de son village, il peut être contaminé par un contexte de philosophie rationa- liste qui a débordé sur la province. Et même si ce n’est pas le cas, il doit se dépêtrer le moins mal possible dans un imbroglio pas rassurant du tout. Par ailleurs il faut bien appren- dre à nuancer. A côté des énergumènes comme Javogues ou des rapaces comme Fouché, il y a des révolutionnaires plus sincères, même si les circonstances les rendent féroces. Alors, dans un petit coin de province, ne faut-il pas orienter humainement cette Révolu- tion, puisque, au départ, on a cru en elle et qu’on y croit encore, et cela malgré toutes les er- reurs et les monstruosités qu’elle commet et qui s’accumulent en ce fameux An II (fin 1793 et 2 /3 de 1794) ?

148 : Barge raconte aussi très en détail l’événement,, disant cependant que les hosties n’étaient proba- blement pas consacrées et faisant une liste des objets sauvés qui est bien plus longue que celle des objets volés (op. cit. p. 20 bis) 149 : Voir annexe 4.

89 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XVII. LE PROBLEME RELIGIEUX DANS LA REGION EN 1794.

1. – Le culte décadaire.

J. B. Champagnat a pu penser plus d’une fois comme le Girondin Barnave : « Il est bien agréable de commencer une révolution, mais il est bien fâcheux de la mener à son terme ». Hélas, il avait mis le doigt dans un engrenage. La seule liberté qui lui restait c’était de limiter les dégâts. Pour ce qui concerne le culte décadaire, autant les rapports seront nombreux dans la seconde partie de la Révolution (1797-1799) autant il sont rares, pour cette période de la Terreur. On en trouve une en avril, donc après le départ de Javogues. C’est un « administrateur du Directoire du district nommé Joseph Voytier » qui vient présider un décadi qui n’a rien de spécialement religieux. Son objectif principal est un recen- sement de grains. La loi du maximum n’est pas modifiée ; donc il faut savoir ce que possède chacun pour que rien ne soit vendu au marché noir. Les ordres d’ailleurs viennent de Paris, du Comité de Salut Public qui a prévu de faire recenser les grains d’un district par des admi- nistrateurs d’un autre district (mars 1794). La visite de Voytier à Marlhes, le 1ier avril, comporte aussi une de ces mesures dont on ne sait si elles visent à soulager l’humanité souffrante ou à punir l’humanité riche :« Les malheureux doivent être placés chez les citoyens aisés. » Le ton général d’une journée de décadi étant celui d’une leçon d’instruction civique, on comprend qu’elle n’ait pas attiré la grande foule. Voytier vient surtout menacer, rappeler qu’il faut observer le décadi et faire disparaître tous les signes extérieurs des cultes. Parmi ces signes, il restait la dernière de cloches que la municipalité avait réussi à sauver jusque-là. Le 3 floréal An II (22 avril 1794) on trouve encore quelques précisions sur la célébra- tion du décadi, dans le registre des délibérations : « Les jours de décadi dans les campagnes plus que dans les villes, doivent être em- ployés à lire les lois, ceux qui sont en état, et les autres à écouter. Pour cette affaire, il convient que tous se rassemblent dans le temple de la Raison (ci- devant église) à 10 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir ». On prévoit qu’une affiche avertira les citoyens de ce devoir, mais à cause de ceux qui ne savent pas lire, on désigne des annonceurs, 2 ou 3 par hameaux, qui proclameront aussi les sanctions. Pour ceux qui travaillent un jour de décadi, l’amende est variable selon que l’on est « chef de maison ou domestique ». Pour les chefs de maison, il est prévu « 8 jours de pri- son, la première fois et passage en correctionnelle s’il y a récidive ». Quelques jours avant, Reverchon, « représentant en mission », guère moins farouche que Javogues, proférait des menaces sans doute destinées à être répercutées pour l’ensemble des agents nationaux. « Le fanatisme reparaît avec sa tête hideuse et hypocrite.. Déjà certains jours dont le souvenir devrait être passé sous silence150 ont été marqués par la suspension des travaux champêtres et par la parure affectée des femmes.. »

150 : Il ne faut même plus prononcer le mot dimanche.

90 Les années obscures de Marcellin Champagnat « Malheur à ceux qui, après un avertissement aussi formel, déserteraient les temples consacrés à la Raison, ou profaneraient les fêtes décadaires. Les autorités constituées, et surtout les comités de surveillance seraient coupables s’ils négligeaient une seule minute de saisir les individus qui, sous prétexte de religion ou autrement, jettent les pommes de dis- corde au milieu des citoyens151 ». Vraiment, il devait être très difficile de « profaner » le décadi sans se faire dénoncer, mais enfin entre une présence de corps et une participation enthousiaste, il y a de la marge. Frère Avit avance une affirmation difficile à vérifier :« D’après les registres municipaux de Marlhes, dit-il, J.B. Champagnat pérora un jour de décade (lire sans doute décadi) en chaire, dans l’église transformée en club. Il fit remarquer que les récoltes étaient magnifiques et en attribua la gloire à la déesse Raison. C’était au mois de mai (Fr. Avit oublie de men- tionner l’année). Deux ou trois jours après, le 24 mai, une gelée et une forte couche de neige détruisaient complètement les récoltes si vantées. Les habitants maugréèrent contre l’orateur mal avisé152 ». Les précisions de jour (24 mai) montrent assez que l’histoire n’est pas inventée, mais Frère Avit précise ailleurs qu’on lui a lu les registres. Confond-il alors ce qui lui a été lu et ce qui lui aurait été transmis par tradition orale ? Ou bien y aurait-il eu, comme à La Valla, quel- qu’un qui aurait rédigé des mémoires conservés, un temps, à la mairie, et plus tard perdus. En tout cas rien n’existe de cela dans le registre des Délibérations. Ce qui n’est pas impossible, c’est que Champagnat, se transformant en orateur instruc- teur, ait pu exalter la raison humaine qui sait faire pousser le blé, et que cela se soit terminé par quelque péroraison à la gloire de la raison humaine, tellement admirable qu’elle appa- raissait pour ainsi dire sacrée. S’il s’agit du 24 mai 1794, on pourrait dire que l’intervention de Champagnat s’inscrivait dans une suite d’effets oratoires qui n’avaient guère fait défaut de- puis un an surtout. Quand on pense par exemple à la fête du 10 août 1793, à Paris, ses sta- tues, ses cortèges, ses ornementations réglées par le peintre David, on comprend bien que l’orateur de service, en l’occurrence Hérault de Séchelles, ne pouvait pas rester muet. Du moment que la nature était représentée par une statue, cela invitait à la saluer par des mots ou un discours qui prenaient forme d’invocation. Dans le cas de J.B. Champagnat, il faut donc voir quelque chose de genre oratoire ou poétique plutôt que le revirement sacrilège de quelqu’un qui cesserait de croire au vrai Dieu pour se mettre à croire à une déesse, comme frère Avit en donnerait presque l’idée. Il est certain qu’à la fin du Directoire (1798-99) J.B. Champagnat jouera le rôle d’instructeur du décadi à une période où la déchristianisation est aussi active que sous la Terreur, en 1794. Mais, autant qu’on puisse en juger par ses comptes-rendus - que nous trouverons plus avant - ce rôle se limite à une « conscientisation » du citoyen, avec un souci assez marqué que tout se passe dans le bon ordre et la moralité. Il semble bien que les fêtes décadaires n’aient pas toujours été aussi mornes et qu’elles soient devenues surtout des « bals décadaires ». La fête de l’Etre Suprême que Ro- bespierre a fait célébrer le 8 juin 1794, apparaissait comme une réaction de dignité face à une mauvaise tenue évidente de certains décadis. St. Etienne n’avait pas attendu cette date et, le 7 mai, avait suspendu ces célébrations, « jusqu’à ce que le Comité d’instruction ait présenté dans un rapport exprès les moyens de les faire servir à un délassement honnête ou qu’il ait indiqué le moyen de les remplacer par un autre genre de délassement qui ne compromette pas la morale publique. »

151 : Dans Brossard et Fréminville. Histoire du dép. de la Loire, pendant la Révolution II, p. 42. 152 : Frère Avit, Abrégé des Annales op. cité. P. 21, 22.

91 Les années obscures de Marcellin Champagnat A Marlhes, si l’on n’a pas de rapports sur les décadis de cette période, c’est peut-être aussi que Champagnat ne rédige plus les actes. Il est bien encore secrétaire-greffier, comme on a pu s’en rendre compte par le « brûlement des titres de Courbon » en novembre 1793 et comme le montre aussi la délibération du 4 ventôse An II (22 février 1794) où il est réélu à cette fonction, lors du renouvellement du Conseil municipal. Mais il a dû arguer de la diffi- culté qu’il y avait d’être commissaire et d’exécuter en même temps certaines tâches de se- crétaire-greffier. Et puis, à partir d’octobre 1793, il a été nommé membre du Conseil Général de Marlhes. Dès lors, ce n’est pas très indiqué de participer aux délibérations du Conseil et à la fois de rédiger ses délibérations.

2. – Les sentiments des catholiques romains.

Jusqu’à quel point les catholique fidèles à l’Eglise réfractaire pouvaient-il de bonne foi participer au culte décadaire ? Il y a un document qui peut être assez éclairant à cet égard. Il s’agit d’un prêtre qui se prépare au martyre, Monsieur de Castillon, vicaire général de Lyon, guillotiné le 15 décembre 1793. Avant de mourir, il écrit une lettre qui sera, 3 ou 4 jours plus tard, connue et répandue dans tout le diocèse. Elle montre bien comment est vu le nouveau culte et le danger réel qu’il représente pour la foi. En même temps qu’elle répond à certaines objections qui se devinent par exemple : le patriotisme nous demande de faire front contre les ennemis de la France. Voici d’abord l’exorde très voisin du ton des Actes des Apôtres ou des Epîtres de Saint Paul : « La grâce et la paix qui viennent de Dieu et de Jésus-Christ, Notre Seigneur, soient avec vous, mes dignes coopérateurs et nos Très chers Frères les Catholiques. Nous rendons des actions de grâce à Dieu par Jésus-Christ pour vous dont la foi et la charité sont connues au loin. Il est témoin le Dieu que nous servons, des prières et des vœux que nous formons perpétuellement pour qu’il vous fortifie dans ces précieuses vertus. Près de terminer une carrière de peine et de sollicitude, touchant presque à notre dernière heure par une mort glorieuse, nous vous devions, nos très chers Frères, quelques avis qui vous serviraient de règle de conduite, quelques paroles de consolation. On a pu nous en- chaîner de fers, mais on ne pourra jamais enchaîner la parole de Dieu ; la vérité ne sera ja- mais captive. Malheur à nous si nous craignons ceux qui ne peuvent que donner la mort au corps. Nous allons faire entendre peut-être pour la dernière fois, notre voix, cet acte du de- voir dût-il rapprocher l’instant de notre fin passagère ». Voici maintenant la réponse de ce qui doit être l’objection de plusieurs : la patrie est vraiment en danger ; les chrétiens ne doivent pas être les ennemis de l’intérieur : « Nous vous recommandons, nos Très Chers Frères, ce que nous vous avons toujours enseigné, d’après Jésus-Christ et les Apôtres : soyez soumis aux puissances de la terre, non par crainte des châtiments, mais pour votre conscience. Nous vous dirons avec la même fermeté : gardez-vous d’obéir à des lois qui seraient opposées à la foi, à la discipline, à la morale et à l’enseignement de l’Eglise ; leur obéir serait un crime, il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ; imitez la conduite des premiers fidèles qui ne se révoltaient jamais contre l’autorité, mais qui préféraient la mort à l’apostasie ou à l’idolâtrie. » Il y a donc un problème de discernement, mais attention aux sophismes : « Peut-être serez-vous bientôt placés dans cette alternative. Peut-être exigera-t-on que vous assistiez aux fêtes de la Raison et de l’impiété, qu’on vous présentera comme des fêtes civiques. Gardez-vous, nos très Chers Frères, de donner dans un piège aussi grossier, dont nous nous proposons de vous faire connaître le danger. » Déjà il y a des renégats et qui font une dangereuse propagande.

92 Les années obscures de Marcellin Champagnat « Des hommes qui se disaient jadis catholiques vous crient d’un bout de la France à l’autre qu’ils renoncent au culte de leurs pères pour embrasser celui de la liberté et de la Raison ; voilà le culte qu’ils établissent sur les débris de la religion catholique qu’ils abjurent et dont ils voudraient faire disparaître jusqu’aux plus petits vestiges ; voilà un hommage qu’ils rendent à une divinité nouvelle, voilà une religion qu’ils fondent puisque tout culte exté- rieur et public en suppose évidemment une ; ils renoncent donc à leur foi, ils rejettent Dieu et Jésus-Christ pour un fantôme de divinité ; en participant à leurs fêtes, vous seriez les fau- teurs de ce culte impie, vous seriez par-là même très coupables devant Dieu. » C’est dès le début qu’il faut être très courageux pour ne pas faire les premiers pas qui en entraînent d’autres. « Ce n’est pas, Nos Très Chers Frères, le temps de mollir, de lâcher ou de trahir sa foi, par des réponses ambiguës. Ne rougissez pas de Jésus-Christ, devant les hommes si vous ne voulez pas qu’il rougisse de vous devant son Père, à la façon des Anges. Vous devez vous refuser constamment aux sollicitations et aux menaces ; faites con- naître que votre religion vous interdit pareil culte. Ah ! si vous cédez, quel scandale pour vos frères, que de larmes vous ferez verser à votre mère commune, la sainte Eglise ! Ne vous exposeriez-vous pas à perdre pour toujours la couronne éternelle qui sera le prix de votre courage ? Si vous cédiez, vous perdriez, comme les apostats des premiers siècles, les fruits de votre patience dans la persécution, vous recevriez peut-être le châtiment terrible que plu- sieurs d’entre eux éprouvèrent, vous vous mettriez dans la cas de céder à tout ce qui vous serait demandé. Ne vous y trompez pas, les ennemis de la religion vont pas à pas dans la destruction et il serait bien difficile qu’une faiblesse ne vous entraîne pas à une foule d’autres qui vous seront demandées, et, pour avoir voulu conserver une vie passagère, vous vous exposeriez à perdre éternellement votre âme. » Les chrétiens de France se trouvent donc vraiment dans la situation qui a été celle des premiers chrétiens. « Peut-être (dans la position où vous allez bientôt vous trouver, il faut prévoir des chu- tes), peut-être voudrait-on vous traîner dans le Temple de l’impiété comme autrefois les premiers fidèles ; imitez les généreux confesseurs de la foi de ces temps-là, résistez à tout acte, à tout geste, qui annoncerait une adhésion extérieure, faites connaître par vos paroles et votre conduite que vous êtes catholiques. Peut-être enfin, vous sollicitera-t-on comme Eléazar de faire semblant de vous rendre à ce qu’on demandera de vous. Imitez ce généreux vieillard, préférez le mort glorieuse à une vie honteuse, par une lâcheté et une faiblesse aussi coupables. Si la mort suit de près votre constante fermeté, elle sera le terme de vos maux et le commencement de votre bonheur éternel. » Celui qui va monter à l’échafaud peut évidemment encourager ses frères au martyre : « Vous avez sous les yeux une nuée de témoins, des exemples sublimes à suivre, beaucoup ont été trouvés dignes des biens éternels que le Seigneur leur préparait dans sa miséricorde. Ils ont vu d’un œil tranquille les persécutions, les tourments et la mort. Ils y marchaient avec courage et après avoir semé dans la tristesse, ils allaient recueillir dans la joie. Ils vous ont montré, nos Très Chers Frères, la route de la gloire immense, c’est à vous de la suivre. Cette mort glorieuse pour la religion sera pour tout catholique ce que le bap- tême de sang était pour celui qui avait le bonheur de la recevoir. Le passage de cette vie de misère dans la céleste Jérusalem sera aussi prompt que celui d’un enfant qui meurt dès qu’il a reçu le baptême. » Le martyre, personne n’en est capable par ses propres forces. Mais le secours de Dieu est tout puissant :

93 Les années obscures de Marcellin Champagnat « Ces vertus fondées sur la tradition de tous les siècles sont bien consolantes et capa- bles de ranimer votre courage. Vous me direz sans doute que vous ne vous trouvez pas as- sez de force, assez de générosité pour un tel sacrifice ; ne mesurez un tel sacrifice que par le triomphe de la grâce sur la nature et soyez assurés qu’avec le secours de Dieu vous vain- crez votre faiblesse ; parmi ces généreux athlètes qui sont arrivés au port de la bienheu- reuse éternité plusieurs craignaient cette faiblesse de la nature, redoutaient l’instant de leur supplice, mais le Seigneur qui veillait sur eux, les a protégés, les plus pusillanimes ont mon- tré du courage, une constance que leurs ennemis n’ont pu s’empêcher d’admirer. C’est ainsi, mes Très Chers Frères, que Dieu se sert de ce qu’il y a de plus faible pour confondre les forts. Mettez toute votre confiance dans le Seigneur, il n’abandonne jamais ceux qui espè- rent en lui ». Vraiment cette lettre est très remarquable et son auteur sent qu’il peut dire qu’elle re- présente la vérité. Il conjure maintenant ses frères chrétiens de penser au salut de leur âme qu’un éventuel reniement mettrait en péril : « Dieu m’est témoin, mes Très Chers Frères, que nous avons exposé la vérité tout en- tière, nous vous la devions avant que d’aller dans notre véritable patrie, mais devons-nous vous dire aussi : Malheur à celui qui fermerait l’oreille à notre parole ! Malheur à celui qui craindrait de paraître ce qu’il doit être ! Dieu tirerait une vengeance terrible de ce crime au grand jour de ses justices. Nous vous conjurons, nos Très Chers Frères, par les entrailles de la miséricorde de Dieu, de ne pas dégénérer de la foi et de la constance de ceux qui vous ont précédés dans la gloire, de vous rendre dignes de la même couronne par votre patience dans ces tribula- tions, par votre soumission à la volonté de Dieu, par votre courage dans les sacrifices, d’imiter leur générosité à pardonner à leurs ennemis et à leurs bourreaux, d’imiter l’amertume de leurs regrets sur leur passé, leur ferveur, leur recueillement en allant au sup- plice, leur force d’âme dans le sacrifice de leur vie ; rien ne vous sera difficile avec de pareil- les dispositions, la mort vous paraîtra douce, le Dieu des Miséricordes vous comblera ici- bas, vous récompensera dans ses tabernacles éternels, où nous serons tous réunis. Tous ceux qui sont avec nous et qui persistent dans l’unité catholique vous saluent ; saluez ceux qui vous aiment en Jésus-Christ. Que la grâce et la paix soient avec vous tous. Ainsi soit-il. » Il est bien certain que cette lettre a dû avoir un poids considérable sur ceux qui étaient hésitants, et, comme l’Eglise constitutionnelle est malmenée elle-même à partir d’octobre 1792, la lettre de Monsieur de Castillon a certainement amené à une saine réflexion un peu tous les chrétiens de France au sujet des cérémonies liturgico-patriotiques qui risquaient maintes fois d’être un acte d’impiété. On peut se demander par ailleurs ce qu’aurait donné un clergé obéissant massivement à un homme d’esprit large comme Monsieur Emery ou à un progressiste comme Grégoire, mais ce qui est certain c’est que le clergé réfractaire qui obéissait à des directives plus rigou- reuses, a montré un héroïsme qui a entraîné l’adhésion des fidèles, a provoqué de leur part un incroyable dévouement et finalement a donné à ce clergé un prestige qui allait se mainte- nir longtemps et alimenter la renaissance religieuse au début du 19ième siècle. Clergé réfrac- taire et catholiques fidèles à Rome avaient en effet vécu ensemble des années de danger continuel et redoutable. Dans tels ou tels lieux des laïcs arrivaient à vivre, sans prêtres, une vie de prière com- munautaire et d’écoute de la parole de Dieu plus intense que celle qu’ils avaient pu vivre dans la période normale. Un prêtre échappé en juin 1794 des prisons de Besançon a pu dire des cantons de Vercel et de Montbenoît :« Je n’ai vu nulle part une image plus vraie de la ferveur qui honora le berceau du christianisme ».

94 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Réaction du clergé constitutionnel.

Nous l’avons vu, le cas du clergé constitutionnel demande un appréciation nuancée, mais qui n’est pas globalement négative. Certains constitutionnels ont renoncé à leur sacer- doce, mais d’autres ont réagi avec beaucoup de courage, car à partir de la fin 1793 il ne s’agissait plus simplement d’un schisme justifiable dans une optique gallicane, il s’agissait d’un tournant inacceptable de la politique religieuse qui visait à détruire l’idée même de reli- gion chrétienne. Voici un jugement qui vaut pour le début 1794 et qui nous montre des prêtres constitu- tionnels vraiment conscients du rôle qui leur échoit maintenant : résister à tout prix au travail de déchristianisation. Ce jugement est celui d’un des commissaires les plus farouchement antireligieux du district de St. Etienne : Benoît Pignon, qui écrit le 13 pluviôse An II (1ier fé- vrier 1794) après avoir fait brûler toutes « les marques du fanatisme » qu’il a pu réunir :« Ce jourd’hui décadi, certifie les faits ci-après consignés : Dans les cantons de Bœuf (St. Pierre de Bœuf) et Pélussin, l’esprit y est beaucoup fa- natisé et semble rétrograder et perdre les hauteurs où il était élevé à mon premier passage ; La cause de cette tiédeur se trouve dans un esprit de religion mal entendu et fomenté par les prêtres constitutionnels qui habitent dans ces cantons153. Il explique qu’à , il a essayé de faire abattre croix et saints et de refuser messes et prêtres, mais, dans la nuit, des « factieux » ont mis des croix de paille à toutes les portes de la maison où il logeait et promis de la faire brûler si le propriétaire continuait d’abriter Pignon. Le dimanche il a été obligé d’accepter qu’une messe soit dite par le curé de Chavanay. Après la messe, le curé Franton, s’est enfui dans les montages. Il ajoute qu’il est difficile de sévir dans cette région de Pélussin, car les gens se sou- tiennent tous, « étant presque tous parents ». Face à un clergé qui cesse d’être un béni-oui-oui, il ne faut pas s’étonner de la persé- cution des dictateurs quels qu’ils soient. Que ce clergé constitutionnel redevienne réfractaire ou que, comme Grégoire, tout en restant dans ligne qu’il a choisie, il s’affiche résistant, il de- vient inacceptable pour les Marat, les Hébert, les Chaumette, les Fouché. Mais quand vien- dra thermidor, on verra que les deux Eglises sont encore bien vivantes.

153 : C’est incroyable à quel point fonctionnent les stéréotypes et sont répétées les formules. On a l’impression déjà d’un lavage de cerveau imposé à tous les fonctionnaires. A St. Esprit, près de Bayonne, le Comité Révolutionnaire emploie les mêmes termes que Pignon : « Le fanatisme relève sa tête altière. Déjà, diverses communes ont rétrogradé dans leurs progrès vers la raison et la philoso- phie ».

95 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XVIII. L’ENTREE DANS LA PHASE DERNIERE DE LA TERREUR

1. – La situation au printemps 1794.

Après 6 mois de Terreur, la France aspirait à souffler et un répit paraissait possible, car les armées étaient victorieuses pratiquement partout, au début 1794. Or c’est en juin que Robespierre intensifie le régime de Terreur. Il n’est donc pas très facile d’apprécier la marge de manœuvre dont disposent les « re- présentants en mission », les « commissaires », les « agents ».

2. – Politique socio-économique.

a) Emprunt forcé.

A Marlhes, c’est le 11 ventôse An II (1 ier mars 1794) qu’on met en application la loi de l’emprunt forcé. Champagnat est le premier nommé d’un groupe de 6 (il y a parmi eux Barthélemy Chi- rat) qui sont établis contrôleurs. La délibération se veut rassurante en prévenant les riches que peut-être aucun d’eux ne sera assez riche pour tomber sous coup de la loi, car celle-ci ne concerne que les « fortunes considérables ». Le Conseil de Marlhes se décharge sur cette équipe de l’odieux d’une telle mission.

b) Perquisitions.

Les municipalités se sentent menacées ; pour activer les réquisitions, on leur demande de se réunir, deux fois par décade. La municipalité de Marlhes décide de le faire trois fois et pour les abstentionnistes, au lieu d’une simple censure, il y aura une amende. Javogues n’est plus là mais des hommes comme Ducros n’ont à recevoir de personne des leçons de terrorisme. Le 26 germinal (15 avril 1794) il constate qu’on a bien réuni les 40 quintaux de blé pour « nourrir les indigents ». La jonction avec la récolte suivante s’avère en effet difficile pendant le printemps 1794. D’autres réquisitions ou recensements concernent chevaux, cochons, vieux linge pour faire du papier, salpêtre pour faire des cartouches154, fusils, etc...... Nous avons déjà vu comment se répercutait en province la politique sociale du Comité de Salut Public qui, sage et réaliste dans son principe, ne l’était pas toujours dans ses appli- cations. Elle devait consister en des allocations aux pauvres, des secours aux malades, une aide aux vieillards. A cette fin était ouvert le « Grand Livre de bienfaisance nationale » On ne peut pas facilement apprécier l’action sociale de Champagnat, faute de docu- ments à cet égard. Ses fonctions de commissaire et de juge de paix, surtout avec la solution de l’aigle à deux têtes : Ducros - Champagnat sont plutôt extra-territoriales , plus à l’échelle du canton ou même de la petite région qu’à celui de la commune.

154 : Dans toutes les communes l’autorité locale nomme des salpêtriers pour diriger le lessivage des murailles salpêtrées et organiser un atelier d’évaporation. Le 13 floréal (2 mai 94) l’administration du district de St. Etienne requiert toutes les bonnes volontés (vieillards, femmes, enfants) de toutes les municipalités pour faire brûler mauvais bois, broussailles et autres combustibles afin d’en tirer des cendres qu’on portera à St. Etienne ou à St. Chamond, aux usines de salpêtre.

96 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Lutte de Robespierre contre les Hébertistes.

Mais à Paris, les luttes ont commencé avant juin. Depuis la fin de l’hiver 1793, les Hé- bertistes155 excitaient les sans-culottes à réclamer de grandes mesures, face à la menace de disette. Robespierre était malade. Pour satisfaire cette extrême gauche, Saint-Just qui aurait voulu être plus modéré, doit décréter le séquestre des biens des suspects et leur répartition au profit des indigents. Ce sont les décrets de ventôse (26 février et 3 mars 1794) qui sont bien dans la ligne sociale de Robespierre, mais d’un égalitarisme insuffisant pour les Héber- tistes. Robespierre, encore convalescent, doit agir, et ne pouvant céder aux requêtes déma- gogiques des Hébertistes, il présente ceux-ci comme complices du « complot de l’étranger » et les fait guillotiner le 23 mars 1794. Deux des victimes étaient amis de Javogues qui pou- vait dès lors se sentir en danger. Le 13 prairial (1ier juin 1794) la Convention lance en effet un nouveau décret d’arrestation contre lui. Mais, après explication, il retrouve la liberté tout en restant à Paris156

4. – Lutte contre les indulgents.

A l’autre extrême, étaient les « Indulgents » que Robespierre fait aussi globalement accuser de corruption et guillotiner le 5 avril 1794 (le principal d’entre eux était Danton). Enfin, une autre fournée avec Chaumette est exécutée le 13 avril 1794. A cette épuration des partis, s’ajoutait une épuration de la police et de l’armée.

5. – L’opposition continue.

Robespierre et ses collègues du Comité de Salut Public comptaient bien grâce à ces exécutions, à droite et à gauche rester en communion avec le peuple. Mais la politique des lois de ventôse continuait à être vilipendée, comme trop conservatrice, par la presse la plus violente, c'est-à-dire, toujours, le « Père Duchêne » qui, même après l’exécution de son fon- dateur, continuait à souffler l’agitation. Saint-Just était bien obligé de consacrer à la guerre la majeure partie des réquisitions qu’il faisait faire et cela limitait son désir d’aider davantage les plus déshérités. Au mois de mai 1794, on se trouve donc à Paris dans un état de tension violente mais sourde contre la Convention dont les rangs se sont éclaircis et le Comité de Salut Public qui apparaît nettement dictatorial. Il y a aussi épuration au club des jacobins. Sur l’initiative de Couthon, Dubois-Crancé en est exclu le 23 messidor (11 juillet) pour s’être mal conduit au siège de Lyon et deux plus tard, c’est le tour de Fouché, sur dénonciation de Robespierre lui- même. Que se passe-t-il en province ? Que se passe-t-il à Marlhes ? Dans la confusion des idéologies, à quelle tendance exacte se rattachent les commissaires locaux : Champagnat, Ducros, Séauve, Voytier ? Ce n’est pas facile à dire mais, vu qu’ils se maintiennent dans leur poste en pleine dictature robespierriste, on peut bien penser qu’ils sont jacobins, et le peuple les considère sans doute comme tels.

155 :Hébert est un journaliste de génie et un affreux démagogue. Son journal : « Le Père Duchêne » sait parler au peuple et à la populace, dénoncer, ridiculiser, ameuter, sans respect pour qui que ce soit. Il est certain que des gens comme Hébert donnent à l’étranger l’idée d’une France diaboliquement an- tireligieuse et immorale. 156 : Nous le retrouverons. D’abord il sauve sa vie grâce à des complicités puis, à partir du 26 octobre 1795, grâce à l’amnistie, mais pendant la réaction royaliste, il sera arrêté de nouveau et exécuté le 9 octobre 1796.

97 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XIX. FIN DE ROBESPIERRE

1. – La grande terreur.

A partir du 22 prairial An II (10 juin 1794) la France, déjà soumise à un régime dictato- rial, passe sous le régime de la Terreur. La loi du 22 prairial, rédigée par Couthon, est votée par la Convention. Elle supprime tout interrogatoire, refuse à l’accusé le concours d’un avo- cat. Le tribunal n’a le choix qu’entre l’acquittement et la mort. De mars 1793 à juin 1794 (15 mois), on avait exécuté à Paris 1.251 personnes. Du 10 juin 1794 au 27 juillet (9 thermidor) (un mois et demi) la Grande Terreur en fera mourir 1.376. Même si nous avons ci-dessus relativisé l’importance numérique de ces exécutions, elles prennent en ce début d’été une accélération manifeste.

2. – La grande terreur à Marlhes.

a) Conscription et fugitifs.

A Marlhes le 5 prairial (24 mai) on incorpore tous les garçons de la première réquisi- tion. Il ne s’en présente que 10 ou 12. On avertit les autres que s’ils n’obtempèrent pas, ils seront traités comme des émigrés. Le 21 prairial (9 juin 1794) ce sont les parents des réfractaires qui sont menacés. On va mettre les scellés sur leurs domiciles et sur leurs meubles. Et on va nommer trois com- missaires pris dans le corps municipal pour cette fâcheuse besogne. Le 26 prairial, on note de visiter 31 familles, le 27 à partir de 5 heures. Le 29 prairial (17 juin 94) on constate que l’opération a été faite mais qu’il faut mainte- nant, avec la garde nationale, rechercher les déserteurs dans les maisons et dans les bois. Champagnat est-il encore colonel ou commandant de cette garde nationale ? Rien n’en res- sort dans les délibérations. Le 9 messidor, l’emploi de la force auprès des conscrits réfractaires et de leurs parents n’a pas été couronné de succès, car on envisage de recourir maintenant aux arguments de raison et de patriotisme. Et n’oublions pas qu’il faut faire les foins. Ce même 9 messidor (27 juin) le Comité de Salut Public fixe donc les prix des journées des journaliers : 15 sols par jour, s’ils sont nourris, 30 en cas contraire. En 1790 c’était res- pectivement 10 et 15.

b) Marlhes réuni au canton de St. Genest.

A cette époque, des regroupements de communes ont lieu, dont il est difficile d’apprécier le sens : Marlhes fera partie pour quelque temps du canton de St. Genest- Malifaux.

c) Le curé Allirot et le Clergé réfractaire.

Le 15 messidor An II (3 juillet 1794), une délibération nous apprend qu’un groupe d’hommes a fauché le pré de Jean Antoine Allirot « ci-devant curé » audit Marlhes, alors que ce pré fait partie des biens nationaux de la commune.

98 Les années obscures de Marcellin Champagnat Les délibérations suivantes nous apprennent qu’« Allirot » n’a pas paru dans la com- mune depuis le 14 septembre 1793. Pour une raison ou une autre, il a donc préféré rejoindre les « missionnaires » de Linsolas. Il ne signait plus les registres depuis le 21 février 1793, mais ceci est régulier, car l’Etat Civil devait être tenu par la Mairie, dès le mois d’août 1792. A partir de la chute de l’Eglise constitutionnelle (octobre 1793) il est inscrit sur une liste de « prêtres insermentés et perturbateurs se cachant dans les forêts ». Cette liste sera adressée le 13 vendémiaire An III (4 octobre 1794) par le Directoire du district de St. Etienne aux représentants composant le Comité de législation157 Quand Courbon, vicaire général, dressera, en 1802, un « Tableau général des prêtres du diocèse de Lyon » (2.558 prêtres), il aura pour Allirot une appréciation louangeuse :« Alli- rot ex-curé de Marlhes158, y exerçant, piété, talents plus qu’ordinaires » Le curé Allirot a donc, à partir de 1793, exercé un ministère clandestin, mais dont nous ne savons pas grand chose. Les prêtres dans son cas devaient éviter de se rencontrer ail- leurs que dans des maisons très sûres où ils pouvaient dire leur bréviaire et célébrer les offi- ces pendant la nuit. « Ces généreux confesseurs, nous rappelle Rosalie Massardier, demeurèrent dans des greniers, des étables, y dormant comme ils pouvaient, priant, lisant, écrivant, quand on avait pu leur procurer quelques livres ou du papier. Jusqu’à minuit, ils avaient l’habitude de confesser, de recevoir les fidèles, dans l’endroit où ils avaient été appelés et où on se disait tout bas qu’on les trouverait ce soir-là : ils consolaient leurs malades, bénissaient leurs ma- riages, baptisaient leurs enfants et, à minuit, on préparait le nécessaire pour la célébration de la messe qui se disait le plus souvent dans un grenier ou dans une grange. Dès que le jour pointait, le confesseur de la foi disparaissait ou rentrait dans son gîte obscur, dormait sous la garde de ses hôtes et de la Providence, et reprenait ensuite ses exercices de dévo- tion ». « Jabrin (hameau de Jonzieux) dit le récit, fut une des principales retraites de ces prê- tres insermentés. La tradition constante l’affirme et avec preuves à l’appui. Jusqu’à ces der- nières années (la rédaction du document cité semble avoir été faite vers les années 1950) on conservait un lit alcôve, à double fond très ingénieusement imaginé, qui datait de l’époque. Il suffisait de soulever une trappe mobile qui servait de fond de lit pour voir s’ouvrir une cachette située entre la cloison qui faisait le fond du lit et le mur de la maison. De l’intérieur, on n’avait qu’à se verrouiller pour dissimuler parfaitement le réduit et en rendre l’entrée impénétrable. Cette cachette était surtout utile pour y dissimuler les vases sacrés et les ornements d’église. Pendant plus 100 ans, les parents ont montré à leurs enfants cette alcôve en rappelant l’usage auquel elle avait servi sous la Terreur. Il est infiniment regretta- ble que ce souvenir ait disparu lors de la réparation récente de la vieille demeure familiale. » Toutefois il reste encore le souvenir suivant : « Pendant la Terreur, les prêtres du voisinage et de la paroisse de Jonzieux, comme tous leurs confrères, se cachèrent dans des maisons sûres. La famille Planchet de Jabrin donnait souvent asile aux prêtres proscrits. Les deux vicaires : Monsieur Peyrard, originaire du pays et son confrère, semblent y avoir résidé à demeure, au moins dans les premiers temps. Une cachette bien organisée abritait pendant le jour, l’étroite fenêtre qui éclairait tant bien que mal ce réduit leur permettait de lire le bréviaire. Un jour, que de cette cachette ils voyaient passer sur la route de Marlhes un de ceux qui faisaient le triste métier de pour- voyeurs de la guillotine, ils se dirent l’un à l’autre : " Si nous n’avions pas plus de conscience que lui, il nous serait facile de le descendre"».

157 :D’après Testenoire-Lafayette, Histoire de St. Etienne, p. 242.243. 158 :« Ex-curé » parce que, en 1802, date à laquelle Courbon rédige ses appréciations, Allirot n’a pas dû encore être réintégré officiellement dans son office, les retombées du Concordat étant encore à discuter, et Mgr Fesch n’ayant pas encore publié les nominations.

99 Les années obscures de Marcellin Champagnat La cachette dont parle Mademoiselle Massardier n’était autre que la grange n’était au- tre que la grange dans laquelle était emmagasiné le foin, au milieu duquel on avait aménagé un abri que ne pouvaient atteindre ni les baïonnettes, ni les sabres des inquisiteurs et dont l’accès était impossible, une fois que l’entrée en avait été aveuglée par une brassée de foin, mais il fallait, pour ne pas y étouffer, une ouverture. On en pratiqua une dans la muraille à 3 mètres du sol, c’est à côté de ce trou ou furon, comme on dit dans le pays, que l’abbé Pey- rard pouvait lire son bréviaire. Le furon existe encore et il se trouve à l’extrémité ouest de la grange. Il est facilement reconnaissable, car au lieu d’avoir été aménagé au moment de la construction comme les deux autres, il a été pratiqué par l’extraction de deux ou trois moel- lons du mur. « Le curé d’une des paroisses des environs, St. Didier ou Ste. Sigolène, je crois, venait souvent demander asile à la famille Planchet. Comme, dans ces derniers jours de terreur ou de crimes les braves gens se sentaient toujours en danger, ils avaient grand soin de fermer toutes les portes avant la nuit et ils n’ouvraient qu’à bon escient. Le bon curé avait une ma- nière à lui de frapper, et à la question :’’Qui est là ?’’ il répondait ‘’Ouvrez papa’’. Du reste la défiance était de rigueur pour les hommes honnêtes. Une nuit la famille Planchet fut réveillée par les aboiements furieux des chiens de l’écurie : les gens y coururent en toute hâte, bien armés. Il était temps : des malandrins allaient pénétrer dans l’écurie par la petite fenêtre (ac- tuellement porte) qui s’ouvre du côté de Marlhes, malgré la boutasse159 de purin qui se trou- vait au-dessous. Dans ces tristes jours, les chrétiens étaient surveillés, espionnés et brimés de toutes les façons. Au cours d’une perquisition faite chez Planchet, pour y rechercher les prêtres, les gendarmes, après avoir tout fouillé, allèrent à l’écurie et se mirent à larder à coups de baïon- nettes, un gros tas de paille qui s’y trouvait. Or Benoîte Planchet, plus tard épouse Massar- dier de Rebaudes (grand-mère de Mademoiselle Rosalie Massardier) et qui avait alors sept ou huit ans, effrayée par les gendarmes, s’y était cachée. Elle disait plus tard n’y avoir échappé que par miracle ». Au même hameau de Jabrin, on a conservé aussi le souvenir de deux visites domici- liaires dont au moins une par Ducros. Dans l’une, les images et statues religieuses sont pro- fanées ; dans l’autre, à la question :’’Est-ce qu’il n’y a pas ici de calotin ?’’ une grand-mère répond : ‘’S’il y en avait vous sauriez les trouver’’ ». Cette longue citation, si elle n’a pas évoqué le curé Allirot, personnellement, a, au moins, donné une idée du genre d’existence qu’il a dû mener spécialement pendant la Grande Terreur. A St. Sauveur, le curé Robert, victime de la Terreur, mourait guillotiné le 16 mars 1794160. Ainsi la région se trouvait représentée par toutes les nuances de la résistance à la per- sécution, depuis la faiblesse jusqu’au martyre.

159 : Il s’agit de la fosse à purin. 160 : Arrêté le 8 janvier 1794, il est emmené à Montbrison, puis à Feurs. Le 14 février, il fait partie d’un groupe de 160 prisonniers qui sont dirigés sur le prison de Roanne. Jugé le 16 mars 1794, il est exé- cuté à 13h30 à Lyon, place des Terreaux.

100 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Chute de Robespierre.

Et l’on arrive au 9 thermidor An II (27 juillet 1794). Evidemment le grand événement : la mort de Robespierre, ne pourra être connue à Marlhes que quelques jours plus tard161, mais il se trouve que ce jour-là la municipalité se réunit pour écouter lecture de deux arrêtés de Reverchon, représentant du peuple auprès du district. On y parle de la destruction de tout fanatisme, de la réquisition des déserteurs et du décadi à observer. A Paris, Robespierre s’est donc fait huer, le 8, à la séance de l’Assemblée ; à son tour il est mis en accusation. Emprisonné. Il se tire, semble-t-il une balle de revolver, sans autre effet que de se briser la mâchoire. Le lendemain, il est guillotiné avec Saint-Just et Couthon. Pour ne pas perdre la main, le 11 thermidor on guillotinera une fournée de 70 fidèles de Robespierre ou autres, la plus nombreuse de la Révolution.

161 : ‘’La nouvelle de l’exécution de Robespierre était parvenue à Lyon le 14 thermidor (1ier août) au soir. Le lendemain le président de l’administration du district : Dumanoir, la communiquait à ses collè- gues, à Saint Genis-Laval. Ces serviteurs si zélés du régime terroriste tournèrent aussitôt leur veste et incontinent, applaudirent à la chute de Robespierre qui avait voulu, disaient-ils « enfoncer un poignard liberticide dans le flanc de la patrie ». E. Herriot, Lyon n’est plus. Vol. IV, p. 359. Hachette 1937.

101 Les années obscures de Marcellin Champagnat Deuxième partie

DE LA CHUTE DE ROBESPIERRE

AU CONSULAT.

1794 - 1800

102 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre I. LES RETOMBEES DU 9 THERMIDOR JUSQU’A FIN 1794

1. – La journée du 9 thermidor à Marlhes.

Par toute la France, les terroristes sont déconcertés . La plupart ne peuvent pas croire la nouvelle de la mort de Robespierre qui a dû parvenir à St. Etienne et à Marlhes, le 15 ou le 16 thermidor. A Marlhes, il y a une délibération qui se situe le 15 thermidor et qui pourrait bien être une précaution pour éviter des troubles ; on y rappelle l’interdiction de fêter le ci-devant di- manche 16 thermidor (3 août) qui est en même temps une fête baladoire Ceux qui cessent de travailler ce jour-là seront regardés comme suspects et punis comme tels. On prévoit donc de faire des tournées dans les cabarets pour voir s’il s’y trouve des rassemblements et l’on mettra les scellés sur les cabarets qui vendraient du vin ce jour-là. Il est possible qu’il s’agisse là de la simple continuation ou d’un renforcement de la po- litique anti-chrétienne déjà commencée. La fête baladoire du premier dimanche d’août était à vrai dire plutôt une « vogue » qu’une fête religieuse. On l’appelait cependant le dimanche de St. Adrien et le clergé avant et après la Révolution, luttait pour que cette fête ne soit pas une occasion de beuveries, donc qu’elle garde un caractère chrétien. L’opération 16 thermidor An II (3 août 1794) pourrait donc être une occasion de réagir doublement contre le vieux calendrier, puisqu’on interdirait, et la célébration d’un dimanche, et la célébration d’une fête traditionnelle. Mais il n’est pas impossible non plus que ces mesures de précaution soient liées de quelque façon à la chute de Robespierre maintenant connue. A vrai dire, il y avait eu tant de têtes coupées pendant la Grande Terreur, que la mort de Robespierre n’en était finalement qu’une de plus et que cette nouvelle est tombée sur une population abrutie par la peur. Et ceci, aussi bien à Paris qu’en province. « Il est arrêté que le commandant de la garde nationale devra réunir 50 hommes dès 5 heures du matin pour les placer aux divers chemins d’accès à Marlhes avec mission d’arrêter tout étranger qui viendrait à Marlhes pour y faire la fête. On ne laisse rentrer que ceux ayant un laisser passer et voyageant pour affaires, les- quels pourront boire et manger, et se retirer de suite ».

2. – Vie politique et religieuse de Thermidor à fin 1794.

a) Niveau national.

Nous allons maintenant essayer de suivre pas à pas l’évolution qui se fait pendant les mois qui suivent la chute de Robespierre. On appelle thermidoriens ceux qui ont renversé Robespierre. Dans l’ensemble, ils sont plus anti-religieux que Robespierre et son équipe, donc on pourrait s’attendre à une persécu- tion encore plus violente, mais ils vont essayer de se démarquer de celui qu’ils flétrissent de tous les noms. Selon eux, Robespierre et ses amis maintenant éliminés, étaient des terroris- tes, eux non. Ils sont surtout obligés de tenir compte du désir de liberté qui se manifeste partout.

103 Les années obscures de Marcellin Champagnat Certains « thermidoriens », comme Tallien, sont des opportunistes, prêts à toutes les concessions. Sa femme, « la nouvelle Antoinette », est une des plus éhontées de ces « mer- veilleuses » qui commencent à faire parler d’elles par leur luxe, leur indécence et leur gaspil- lage. La mort de Robespierre, en effet, est le signal de deux sortes d’ouvertures : chez les uns, au dévergondage (en opposition à la vertu de Robespierre), et chez les autres, à une pratique religieuse libérée des contraintes de la loi civile persécutrice. Cela se sent progressivement au cours de cette fin d’année 1794. Au début, la persécution religieuse continue. Il y a des exécutions capitales d’ecclésiastiques, après Thermidor, six dans le département de la Haute-Loire, et, dans la Loire, le curé Gaumont de La Valla. Il y a même telle action antireligieuse que Robespierre avait bloquée et qui maintenant est mise à exécution : la suppression du budget des Cultes (18 septembre 1794) qui coupe ses ressources à l’Eglise constitutionnelle. Mais le vent commence à tourner. Le 27 novembre 1794, un journal de Paris note qu’on « fait la queue à la messe comme à la porte des boulangeries ». Evidemment en plein Paris, ce ne peuvent être des prêtres insermentés, mais l’Eglise constitutionnelle, avec son chef l’évêque Grégoire, s’affirme avec audace162. Elle est plus pauvre mais bien décidée à annoncer l’Evangile. Dans un discours retentissant, Grégoire réclame la liberté du culte et il ose rouvrir les églises de son diocèse de Loir-et-Cher, dès le 21 décembre 1794.

b) Niveau de district.

1 - Persécution après thermidor.

Les bourgeois qui sont les administrateurs du district de St. Etienne paraissent d’abord aussi hostiles que les sans-culottes de Paris à tout ce qui est prêtre ou religieux ; au moins c’est l’impression que laissent leurs écrits. Ils ne savent parler que de fanatisme, « d’aveugle crédulité », « de momeries ridicules » etc. On voit par ailleurs que la préoccupation de ren- dement agricole et industriel n’est pas absente de leurs préoccupations. « Ce fanatisme, disent-ils, donne un éclat scandaleux à la célébration des dimanches, il arrache les laboureurs aux travaux précieux de l’agriculture, les armuriers à la fabrication des foudres de la République, et tous à la raison ». Il est dit aussi que les maires, officiers municipaux, qui « ne surveilleront pas les mai- sons fanatiques où les prêtres se rendent la nuit, où ils exercent leur ministère d’imposture et de mensonge, seront arrêtés comme partisans et fauteurs du fanatisme ». Ce texte appartient à un arrêté du 5 nivôse An III, c'est-à-dire du 25 décembre 1794163, date où pourtant, nous l’avons vu, le vent a déjà tourné. Mais ces aboyeurs de décembre ont fait un gros progrès, car maintenant ils se conten- tent de menaces, alors que trois mois plus tôt, il assassinaient encore. En effet, par exemple, Jean Gaumont, curé de La Valla-en-Gier, capturé le 8 fructidor An II (23 août 1794), donc un mois après la mort de Robespierre, a été condamné à mort le 16 fructidor (2 septembre 1794). Parmi les signataires de l’acte de condamnation, on trouve Bourgeois de St. Chamond que nous avons signalé plus haut 164.

162 : Voir annexe 3 : Grégoire et l’église constitutionnelle. 163 : Cité dans J.B. Galley, St. Etienne et son district pendant la Révolution, St. Etienne 1909, III p. 28-29. 164 : L’acte de condamnation précise : ‘’Condamne le dit Gaumont à la peine de mort, à être livré dans le jour, entre les mains de l’exécuteur des jugements criminels, pour être mis à mort ». Il sera le der- nier de la liste des victimes de cette période dans la région.

104 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2 - L’intermède des béguins.

Un peu plus tard (novembre 1794) on a eu, avec les Béguins de St. Jean-Bonnefonds, un cas de mysticisme un peu poussé qui pouvait être un bon moyen de donner du travail concret à la garde nationale de St. Genest-Malifaux. Les membres d’une secte animée par Fialin, curé de Marcilly, Jean-Jacques Drevet, curé de St. Jean-Bonnefonds et François Bonjour, ex-curé de Fareins, ont cru arrivé le temps de la nouvelle Jérusalem. Courageusement, au début de novembre, ils ont pris la route pour aller attendre dans le Grand Bois, la fondation de la République de Jésus-Christ. On parle de 40 à Praroé (Tarentaise) et de 50 à St. Genest que la police arrêtera. Ils ont choisi le hameau appelé « La République », ce nom paraissant presque prédestiné à leur secte qui allait avoir un succès assez durable165, mais qui était alors bien marginale. Ce nom de Béguins prendrait aussi une connotation un peu méprisante et ce serait par moquerie qu’on dirait de Marcellin Champagnat, bâtisseur, qu’il voulait peut-être fonder une nouvelle secte de Béguins.

3 - Impressions d’ensemble.

Bien des municipalités, par ailleurs, ne poursuivaient qu’à contrecœur les prêtres ré- fractaires, sachant bien que ceux-ci avaient le soutien moral des populations. Et lorsqu’il y avait menace, cela faisait plutôt partie d’un rituel destiné surtout à satisfaire l’agent national qui était l’œil ... de Paris. On parlait comme les Jacobins, en attendant de parler contre eux. En tout cas, vers la fin de l’année 1794, la recherche des prêtres réfractaires ne donne aucun résultat et bientôt on recherchera ceux qui les ont livrés. Les missions de l’abbé Linsolas, délégué de Mgr de Marboeuf, sont maintenant très au point avec chefs, adjoints, missionnaires et catéchistes. Ces missions donnent aux paroisses une alternative, face à l’église constitutionnelle qui, il est vrai, n’est plus subventionnée mais qui n’est pas obligée de se cacher, tandis que l’Eglise insermentée continue à être illégale et sujette à répression.

c) Niveau local.

A Marlhes, rien n’est changé. Champagnat qui a su se maintenir dans la modération, doit continuer à faire de même, dans ses diverses attributions, tout en essayant de voir dans quel sens vont les nouveaux courants ;

1 - Sécularisation.

Le 28 fructidor An II (14 septembre 1794) la délibération de ce jour concerne l’ancien calendrier. Il « entraîne avec lui le plus grand abus qui est celui d’entretenir le fanatisme ; il faut donc fixer les jours de marchés et de foires à tous autres jours dans le district que ceux comme ci-devant ». (p. 72. Registre des Délibérations) Cette déclaration est écrite par J.B. Champagnat, son écriture étant très caractéristi- que. Mais on ne peut pas dire qu’elle exprime son opinion, car on voit que l’ensemble du texte concerne le district plus que la seule municipalité de Marlhes. C’est donc plutôt un texte dicté.

165 : Aujourd’hui encore il reste des Béguins à St. Jean-Bonnefonds. L’idée des Fondateurs, c’est qu’on était arrivé à l’ère du Saint-Esprit, après l’ère du Père (ancien Testament) et l’ère du Fils (l’Eglise). Elie était revenu etc. (B. Laurent, Les Béguins en Forez. Loire Républicaine 1944)

105 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il y a, en effet, des directives qui se retrouvent identiques dans les campagnes envi- ronnantes. Le 10 fructidor An II (27 août 1794), le secrétaire de Graix, qui doit passablement peiner pour rédiger les mêmes menaces, parle d’anéantir tout signe superstitieux de fana- tisme, de « faire travailliée lais jour a pellés sit devant dis manche et faite, et de connaître aux tre jour de repos que le jour con sa cré par la loy, les patriotes éclairés sont requis a pros pager les mas que sime de la Raison ». A Marlhes, en tout cas, les Assemblées du conseil se font dans la “ci-devant église”, que l’on appelle: Temple de la Raison, l’allusion à l’Etre Suprême n’étant pas du goût des maîtres du jour, anti-Robespierristes, comme la clique des Fouché – Tallien - Barras. Malgré les réactions assez nombreuses, on peut voir baisser le sens religieux auprès de ces églises laïcisées. Ce qui continue, c’est l’Eglise des Catacombes.

2 - Conscrits et prêtres réfractaires.

Le 13 vendémiaire An III (4 octobre 1794) la municipalité de Marlhes se trouve accu- sée, par le district, de manquer de zèle dans la recherche des conscrits qui se cachent et des prêtres réfractaires. Elle réagit par l’indignation : « Nous avons fait plus qu’aucune autre commune pour faire rendre les garçons à leur poste ». C’est la garde nationale de St. Genest-Malifaux qui avait prospecté dans la commune de Marlhes, et la garde nationale de Marlhes dans la commune de St. Genest-Malifaux, pour que l’impartialité soit plus assurée ; ceci, bien entendu, moyennant accord des deux commu- nes. On n’a donc pas manqué de zèle. « Quant aux prêtres réfractaires, la municipalité ne voit et ne sait où sont les prêtres dont on parle »

3 - Dénonciation.

Après la défense, l’attaque. « Si on nous accuse, c’est que quelque intrigant et ennemi de la chose publique a sans doute fait des rapports faux ». D’où décision d’écrire une lettre au District où l’on parlera « des gens mal intentionnés et qui ne cherchent qu’à vouloir éclairer le feu d’une guerre civile dans cette commune ». Le 7 brumaire An III (28 octobre 1794) ont trouve encore un arrêté des représentants du peuple : Charlier et Rocholle concernant « la destruction du fanatisme et de la supersti- tion qui font les plus grands maux dans les campagnes ». Il y aura donc, le prochain décadi, une séance de civisme pour « ramener les individus qui ont été trompés ». Il est question d’ennemis qui cherchent à les perdre en leur défendant d’exécuter les lois. Ce qui est assez probable, c’est que les gens religieux doivent commen- cer à maudire ouvertement le décadi et à célébrer le dimanche.

3. – Quand commence le revirement politique et religieux.

a) Niveau national.

Nous avons vu qu’un journal du 27 novembre 1794 était témoin, à Paris, d’un renou- veau de pratique religieuse, donc de plus grande liberté. Cela amène à se poser la question : quand a commencé le dégel ? On ne peut guère fixer des dates très précises, mais il y a quand même une série de petits faits qui montrent que vers la fin novembre, le nom de jacobin, allié souvent à l’épithète terroriste, commence à avoir mauvais presse.

106 Les années obscures de Marcellin Champagnat Carrier, une des brutes que Robespierre n’avait pas eu le temps de faire juger, est tra- duit devant le tribunal de la Convention et exécuté le 16 décembre 1794. Le mouvement hébertiste, déjà décimé sous Robespierre, s’effondre en novembre 1794 ; les sans-culottes, eux, sont divisés et ne savent pas bien où donner de la tête. Comme nous l’avons vu, ils ne sont ni un prolétariat, ni une classe sociale homogène. Leur majorité est composée d’artisans et de boutiquiers. Or ceux-ci, par exemple face à la loi du maximum, sont très heureux de voir taxer le blé ou les pommes de terre, mais beaucoup moins de voir taxer le pain ou la viande. Les ouvriers de ce groupe résistent, eux, à la fixa- tion des salaires. Il leur était facile d’être unis contre les prêtres ou contre les aristocrates. Mais maintenant, contre qui faut-il s’unir ? Le club des jacobins est fermé depuis le 12 novembre 1794 et il n’est plus aussi facile de regrouper en un faisceau les diverses tendances révolutionnaires au nom de la patrie en danger, comme en 1792, car maintenant les armées sont victorieuses aux frontières, et la Vendée presque pacifiée provisoirement.

b) Niveau du district.

A Saint Etienne, disons qu’au niveau de la mairie, c’est plutôt l’anarchie, déjà à partir du 12 frimaire An III (2 décembre 1794). Les « Patriotes » ne peuvent plus administrer ; les royalistes pas encore.

c) Niveau local.

La municipalité de Marlhes commence à être ébranlée à partir de décembre. Un arrêté du citoyen Laforêt, agent national du district, en date du 28 frimaire An III (18 décembre 1794) remplace le citoyen Tardy par le citoyen J.B. Courbon de la Faye. Ce sentiment correspond bien au mouvement général. Une Convention de plus en plus modérée (ou bourgeoise ou girondine, comme on voudra) veut travailler avec les hommes d’affaires et se démarquer de l’homme de 1793. Si les Conventionnels restent encore essen- tiellement républicains, ils aiment mieux n’importe quoi que d’être soumis à la dictature du prolétariat comme au temps de Marat ou d’Hébert. Après l’agent national, ce sera peu à peu tout le Conseil qui sera remplacé.

4. – Le cas des biens nationaux.

Le cas des biens nationaux est plus délicat à comprendre. On s’aperçoit, là aussi, que dès la fin de 1794, il y a une sorte de redistribution. Il ne s’agit pas en général d’un revire- ment de nature religieuse, mais là encore, d’une action anti-jacobine. Ça et là, il y a aussi quelques restitutions d’églises au clergé sous la pression des populations.

a) Avant fin octobre.

Au début octobre, où la réaction ne semble pas avoir commencé, on a un texte du 14 vendémiaire An III (4 octobre 1794) qui constate simplement :« Depuis que les Assemblées se tiennent dans la ci-devant église, la maison commune ne sert que dans sa partie prison ». Donc, il y a des biens nationaux, comme une église, qui ne sont, ni monnayables, ni achetables pour de multiples raisons et c’est bien commode pour la municipalité de recourir à des impôts pour les acheter, tout en continuant à s’en servir.

107 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) A partir de fin octobre.

Mais il y a d’autres biens qui sont mis en vente ou revente. Il semble que l’on touche là à un autre problème, comme nous le verrons l’année suivante pour Champagnat. (Voir p. 172 et Annexe 2) Dans le registre des délibération, on signale, par exemple au 7 brumaire (28 octobre 1794), la mise en vente de « plusieurs biens nationaux » entre autres une maison, jardin et bois etc. appartenant aux ci-devant Sœurs de St. Joseph de Marlhes. Sans doute est-ce là une suite normale à une loi qui a déjà 5 ans d’existence. Les sœurs de St. Joseph ont déjà vendu une maison et un pré (probablement les mêmes) en 1791, avec « hypothèque des vendeuses jusqu’au parfait payement qui était réparti sur 7 ans ! » Disons donc que ce cas est un peu difficile à bien interpréter, mais le 8 décembre 1794 (16 brumaire An III), on a une vente où J.P. Ducros donne subrogation à Coupat pour le pré acquis par ledit Ducros, de la nation au district de Commune d’Armes166 ayant appartenu à la ci-devant fabrique de Marlhes, au prix de 3.500 livres. Ce terrain, Ducros l’avait payé 1.300 livres, mais si l’acquisition ne date que d’un an, avec la dégringolade rapide de l’assignat, il y perd très nettement, comme nous verrons en étudiant plus loin cette question. Cela veut donc dire, comme nous le verrons aussi, que l’on commence à trouver qu’un certain nombre d’acquéreurs de biens nationaux ont profité de leur situation en 1793 ou avant pour acheter des biens et que l’on veut leur faire rendre gorge167. Mais comme ce ne sont pas des saints qui veulent réparer ce qu’ils appelleront dilapidation, il n’est pas impossi- ble qu’ils deviennent à leur tour des profiteurs.

5. – Les certificats de civisme.

a) Niveau du district.

Un des personnages (Benoît Pignon, juge au tribunal de district) que nous avons vu à Marlhes, au moment de la guerre contre Lyon et qui, avec André Beraud, était un des séides de Javogues en 1793, devient à son tour victime de Reverchon qui est le représentant en mission pour la Loire et qui le fait arrêter. Le 19 août 1794, quelques membres de la munici- palité de St. Etienne, proposent de lui faire décerner un certificat de civisme ; il a l’appui de quelques municipaux, de deux commissaires et du Comité Révolutionnaire, mais le maire (Just Froment) ne cède pas, estimant que la conduite de Pignon n’a pas été justifiable. On voit donc qu’au sein des groupes qui sont ou se disent révolutionnaires, la fin de Robespierre a introduit des lignes de démarcation et d’opposition très nettes qui ne feront que s’accentuer. Evidemment le refus du certificat de civisme rend plus probable la possibilité d’être un jour ou l’autre condamné.

b) Niveau local.

Or, à Marlhes, Champagnat a su se maintenir, et dès le 16 thermidor An II (3 août 1794), il estime bon, lui, juge de paix, ainsi que le greffier de la justice de paix, Jean Tardy, de demander un certificat de civisme.

166 : Nom révolutionnaire de St. Etienne. 167 : Voir quelques données plus évidentes en 1795.

108 Les années obscures de Marcellin Champagnat Lorsqu’on a eu un rôle aussi compromettant que celui de Juge de paix, avec toutes les perquisition, réquisitions etc...... qui ont pu pleuvoir dans les derniers mois, il est bon de se prémunir. J.B. Champagnat pourra donc exhiber le certificat suivant : « Le citoyen Champagnat, juge de paix du canton de Marlhes, né dans cette commune le 16 juillet 1755, haut de cinq pieds, deux pouces, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, front large, visage long et maigre, gros nez, bouche moyenne, barbe rousse.. ; a demandé un certificat de résidence, civisme, non rébellion, non détention. Le Conseil après 3 jours d’affiches, sur l’attestation des citoyens Pierre et J.B. Reboud, cultivateurs de cette com- mune, instruits d’ailleurs de la conduite et des principes du citoyen Champagnat (lui) a déli- vré le présent pour (lui) servir de justification de résidence dans cette commune depuis plus trois ans, de civisme, de non rébellion et de non détention ». Toute cette déclaration est faite à la fois pour Champagnat et pour Tardy qui signent tous les deux avec six membres du Conseil général de Marlhes. A vrai dire, bonne au mois d’août, cette déclaration ne serait peut-être pas un docu- ment utile quelques mois plus tard.

c) Conclusion.

On peut conclure qu’à la fin de l’année 1794, un revirement a eu lieu : Champagnat, s’il n’est pas encore évincé des différentes tâches qu’on lui a confiées, sent qu’elles sont en train de lui échapper. Il n’est peut-être pas fâché outre mesure d’abandonner une situation vraiment trop délicate. Allirot n’est pas encore paru au grand jour, mais cela ne tardera pas. Théoriquement la persécution religieuse continue mais peu violente. Une autre persécution a commencé : contre les jacobins et les robespierristes.

6. – Autres aspects de la fin 1794.

a) Le souci de l’Instruction populaire.

Nous avons déjà vu que, en août 1794, l’église sert aux assemblées et la maison commune est particulièrement employée comme prison. Une autre partie de cette dernière qui reste inemployée, pourrait permettre de loger un instituteur ou une institutrice. C’est la première fois qu’on entend parler de ceux-ci et d’ailleurs au conditionnel. Dans un autre département : la Vienne, une étude a été faite qui tend à démontrer que les municipalités du Directoire furent composées de modérés... et s’occupèrent essentielle- ment des écoles et des moyens de communication. Peut-être y a-t-il eu aussi des efforts du même ordre dans le département de la Loire, car enfin l’idée d’un droit à l’instruction gratuite et obligatoire datait des premiers moments de la Constituante. On trouve, en tout cas, des sortes de slogans en faveur de l’instruction populaire :« Egalité, Liberté, Fraternité L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison et mettre l’instruction à la portée des citoyens ». Ce souhait est une sorte d’en-tête pour une décision communiquée à la municipalité de Marlhes par le district de commune d’Armes (= St. Etienne) le 11 frimaire, An III (1ier décem- bre 1794) mais il n’implique aucune décision. Ce souhait du 1ier décembre 1794, peut être in- terprété comme une velléité de faire quelque chose pour l’instruction populaire, comme une sorte de rappel que l’administration du district glisse en forme de publicité auprès des muni- cipalités qui n’ont encore rien organisé.

109 Les années obscures de Marcellin Champagnat En fait, il est impossible de dire si la bonne intention a été changée en réalité. Le peu que nous apprend la biographie de Marcellin Champagnat sur un maître brutal est sûrement plus tardif et ce maître devait bien plutôt être un de ces Briançonnais qui organisaient eux- mêmes un peu d’instruction en se faisant payer par les familles comme d’autres salariés de la commune.

b) Réquisitions et fixation des prix.

1 - Le blé.

La préoccupation principale de cette fin 1794 est celle du ravitaillement. La machine révolutionnaire continue d’assurer, avec la lutte contre la coalition, un ravi- taillement intérieur qui exige beaucoup de surveillance. Le 24 thermidor, An II (11 août 1794) on propose de collecter les grains battus ou de les faire battre sans la moindre négligence. On réquisitionne aussi voitures et voituriers pour les acheminer à St. Etienne. Le 3 fructidor, An II (20 août 1794) et le 12, même préoccupation assortie de mena- ces : si le battage n’est pas fait dans les 3 jours après l’avertissement, le coupable peut être considéré comme suspect. On est, en effet, dans un risque réel de famine. « L’été précédent a été vécu dans l’angoisse de cette famine ». Et la nouvelle récolte, au moins dans le district de St. Etienne, est très maigre. A Marlhes, il y a eu la grêle, le 13 fructidor, An II (30 août 1794), laissant le pays sans espérance pour l’hiver. C’est le gouvernement central qui, en octobre, va sauver la situation alimentaire de la Loire, en prélevant les quintaux nécessaires sur la Saône-et- Loire excédentaire. Mais en attendant on comprend les attitudes passives des paysans qui gardent leur blé en gerbes au lieu de le battre. En toute rigueur, on consentira à prêter du blé à St. Etienne, et St. Etienne en rendra l’équivalent quand il aura reçu celui qu’il attend de Saône-et-Loire. Il est fait en tout cas un appel vibrant à la solidarité en faveur de St. Etienne et de son approvisionnement en blé. « 8 batteurs de blé » étaient réclamés. Marlhes en offre généreu- sement 20. Le 15 fructidor, An II (1ier septembre 1794) tous les batteurs requis ont dû se rensei- gner et ils ont de bonnes faisons pour refuser d’aller à St. Etienne battre les gerbes. Ceux qui n’ont pas un travail urgent sont alors convoqués pour le lendemain 3 vendé- miaire à 5 heures du matin. Avant d’attendre le lendemain, on tente une première réquisition, le jour même en la personne d’un dénommé André Seux qui devrait donc partir immédiatement. Il refuse disant qu’il a des sabots à faire et qu’il verra bien si on le fait arrêter ! Un « piquet » de la garde nationale est alors convoqué pour aller l’arrêter ; ne le trou- vant pas chez lui, le chef fait son rapport : « après avoir apposé les scellés sur la maison ». Le 3 vendémiaire, An III (26 septembre 1794), on a bien arrêté six journaliers, mais ils font valoir d’excellentes raisons : famille nombreuse, femme malade, femme enceinte etc...... et surtout demandent que tous les journaliers de Marlhes soient convoqués comme eux et qu’on procède avec tous, par l’élection ou par le sort. On avait prévu de mettre ces réfractaires en prison à Commune d’Armes (St. Etienne) mais le conseil constate, non sans humour ‘’qu’il en coûterait et ne procurerait pas de bat- teurs ». On se range à peu près à cet avis. Le bon sens paysan prévaut sur le règlement.

110 Les années obscures de Marcellin Champagnat Finalement, le 6 vendémiaire, An III (27 septembre 1794) on offre dix livres d’étrennes à ceux qui partent tout de suite. Ils demandent encore que, s’ils ne sont pas de retour quand on arrachera les « truffes », les leurs soient tirées et arrachées par les citoyens, chacun dans son quartier. Leur requête est acceptée. En réalité l’organisation des réquisitions n’était pas coordonnée. Las batteurs reviennent le 28 vendémiaire, An III (19 octobre 1794) : les uns sont tombés malades ; à d’autres, il est arrivé de ne pas être nourris pendant une journée entière. Ils semblent furieux et ne veulent pas rendre les 10 livres d’étrennes qu’on leur avait avancées. Tous les arguments d’ailleurs sont bons aux citoyens de Marlhes pour ne pas obéir aux réquisitions. Par exemple, si on leur reproche d’être en retard pour envoyer les voi- tures chargées de vivres réquisitionnées, il disent que deux voyages par semaine est exces- sif : un aller et retour, en effet, avec des voitures à bœufs ou à vaches, par les chemins ca- hoteux de Marlhes à St. Etienne, prend trois jours. On voudrait bien obéir, mais où trouver le temps pour cultiver son propre domaine ? Et puis, comment accepter de ne pas être payé plus que Tarentaise ou St. Genest qui ont un trajet tellement moindre ?

2 - Loi du maximum.

De plus, il faut observer la Loi du Maximum dans l’achat au cultivateur. On surveille de près ceux qui essayeraient d’acheter au marché noir. La garde nationale de Marlhes est mise à contribution pour accompagner les contrô- leurs nommés. Le 11 fructidor, An II (28 août 1794), il y en a au moins 20, divisés en 4 escouades qui se tiennent prêts à intervenir au cours du contrôle à faire chez tous les paysans. Le 15 fructidor, An II (1ier septembre 1794), on envisage la lutte contre les revendeurs qui vont jusqu’au Guizay168, écouler leur marchandises vers St. Etienne. Le 18 fructidor, An II (4 septembre 1794) la loi sur le maximum est encore évoquée. Tant que les denrées de base ne sont pas assurées, elle est, en effet, une sauvegarde in- dispensable. En novembre 1794, au maximum national, on substitue un maximum de district et puis le 24 décembre (4 nivôse, An III) la loi du maximum est supprimée purement et sim- plement.

3 - Pommes de terre.

Arrive le moment de la récolte des pommes de terre, il faut prévenir là aussi le marché noir. Le 15 vendémiaire, An III (6 octobre 1794) on prévoit donc de faire le « recensement des pommes de terre169 » exigé par le district.

4 - Salpêtre.

Mais il faut travailler aussi pour la guerre, et le 13 fructidor, An II (30 août 1794), le 18 et le 23, nous retrouvons J.B. Champagnat chargé, avec Bergeron (du Conseil municipal), d’avancer de l’argent (pris sur le budget de St. Genest) aux deux commissaires qui paieront les ouvriers de l’usine de salpêtre. Le dernier jour complémentaire (21 septembre 1794) : appel à toutes les bonnes volon- tés pour ramasser :« fougères, mousses, genêts, bruyères » et en tirer des cendres pour la fabrication du salpêtre afin d’approvisionner en poudre l’armée des Alpes. Mais chacun trouve de bonnes raisons pour ne pas collecter : ou bien il y a peu de ces plantes dans son secteur, ou bien il s’en sert pour faire du fumier.

168 : Colline au-dessus de St. Etienne, en direction de Marlhes. 169 : L’administration parle des pommes de terre, mais lorsqu’elle cite les plaintes des paysans, elle emploie le mot « truffes ».

111 Les années obscures de Marcellin Champagnat c) Impôts.

D’autres délibérations de fructidor, An II concernent la cote mobiliaire car les impôts doivent entrer coûte que coûte.

d) Litiges de localités.

Cette question des impôts encore mal réglés, soulève sûrement des polémiques. On peut s’en apercevoir par les réactions d’un hameau (Le Coin) qui, quelques décades plus tard, deviendra commune indépendante (St. Régis du Coin). Le 12 vendémiaire, An III (3 oc- tobre 1794), il lui prend fantaisie de vouloir payer ses impôts à Déaume (ci-devant St. Sau- veur) et non à Marlhes170. Toute l’affaire reviendra, le 19 brumaire An III (9 novembre 1794) et ce sera J.B. Champagnat « juge de paix de ce canton », qui, avec un membre du conseil, sera chargé de faire entendre raison aux gens du Coin. Incontestablement, il est l’homme habile à régler les conflits.

e) Donc travail intense d’administration et de police.

Cette période, entre la fin des moissons et la cueillette des pommes de terre, comporte normalement quelques jours ou quelques semaines moins chargés d’occupations, et, pour cette année 1794, c’est sans doute bien utile car chaque jour, le maire et ses adjoints doi- vent se réunir assez longuement. Les 5 jours de la fin de l’été (17-21 septembre 1794) sont, pour les autres, des jours de fête (appelée sans-culottides), mais pour les municipaux, ils sont jours de travail. Le 1ier de ces jours (17 septembre 1794), on a une réunion du maire et des officiers municipaux avec les propriétaires de la commune, pour parler encore du contrôle des récol- tes. Le 2ième jour complémentaire, on se préoccupe de répartir une somme de 870 livres, entre les indigents dont on a pu établir maintenant la liste en fixant la cote mobilière de tout citoyen de Marlhes171. On a déjà vu que le 5ième jour complémentaire avait comporté un appel à la bonne vo- lonté générale pour collecter tout ce qui pouvait produire du salpêtre. De nouveau, vers la fin octobre, les réunions reprennent, pour organiser des réquisi- tions, verser des acomptes aux parents des défenseurs de la patrie, etc. Presque chaque fois d’ailleurs, on part d’un arrêté émanant de l’Administration du district et on l’applique comme on peut. Mais il est facile de voir qu’il y a vraiment un travail considérable pour le- quel, hélas ! la collaboration des citoyens est bien relative.

170 : Ce problème revient aussi maintes fois pour des hameaux proches de Riotord qui voudraient payer leurs impôts dans la Haute-Loire, où ils sont sans doute moins élevés que dans la Loire. 171 :Avec les décrets de ventôse (mars 1794) il y a quelques anticipations socialisantes dans la politi- que largement « libérale » de la Révolution. Et elle se continuent après thermidor.

112 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre II. PERIODE THERMIDORIENNE : le premier trimestre 1795.

Nous avons donc vu qu’une réaction assez puissante, bien que confuse s’était nette- ment amorcée vers la fin 1794. Elle va s’intensifier dans la première moitié de 1795.

1. – Evolution politique et religieuse : niveau national.

Du point de vue social, le début de 1795 est très dur : les denrées sont rares et chères. Dès pluviôse (février 1795), les transports de grains ont cessé d’être sûrs et dès la fin de ventôse (mi-mars), le pain fait défaut. Comme il faut trouver du travail pour les gens, des bourgeois comme Fournas ou Du- gas, marchands de rubans de St. Chamond, obtiennent des passeports pour aller « en Suisse et autres pays conquis par la République, à l’effet d’y exporter les objets de luxe pour échanger, soit contre des objets de première nécessité, soit des matières premières172 ». Quoi qu’il en soit, la loi du 3 ventôse, An III (21 février 1795) semblant laisser une vraie liberté à tous les cultes, dès la fin de ventôse, An III (20 mars 1795), les prêtres réfractaires sortent de leurs cachettes, et les fidèles qui demandent les églises en location, peuvent re- cevoir l’accord de la commune et du district. Il va y avoir, bien sûr, çà et là, lutte entre les prêtres constitutionnels et les prêtres réfractaires. Le clergé constitutionnel est, nous l’avons dit, en général moins bien vu que le clergé réfractaire. Il a cédé à beaucoup de pressions, y compris vers le mariage et, par suite, il a, au moins dans la Loire, perdu beaucoup de son crédit auprès des catholiques, les plus soli- des dans la foi. Le clergé réfractaire qui a vécu caché est donc celui qui conserve le plus d’emprise, mais enfin il y a eu tant de serments divers à prononcer que, entre une fraction du clergé constitutionnel, composée de girouettes et le clergé totalement réfractaire, il existe un clergé très sérieux qui a cru pouvoir prêter en conscience l’un ou l’autre des serments et qui n’a pas démérité pour autant. La reconnaissance du culte catholique réfractaire se développe hélas dans la foulée d’une réaction royaliste et contre-révolutionnaire, ce qui va avoir pour l’avenir des consé- quences dangereuses d’inféodation à la monarchie légitimiste. On arrive à une telle confusion que la « jeunesse dorée », les fils à papa, fraternisent même avec des sans-culottes contre les Jacobins. On assaille les cafés où ceux-ci se ré- unissent. On les accuse d’être des « buveurs de sang », et la Marseillaise qui parle de « sang impur abreuvant nos sillons », devient un hymne proscrit, remplacé par une chanson composée par l’acteur Gaveau et intitulée « Le réveil du peuple contre les terroristes ». Ces « muscadins » (autre nom de cette jeunesse dorée) deviennent le fer de lance d’une Con- vention embourgeoisée et de plus en plus hostile aux forces prolétaires. Enragés, Hébertis- tes, Jacobins : tous les vainqueurs d’hier vont demain être en danger. Marat qui avait la meilleure place au martyrologe révolutionnaire devient exécré et l’on enlève du Panthéon son buste et aussi celui d’autres personnages qui avaient seulement le tort d’être les héros des Jacobins. Dès lors, bien des vengeances vont s’exercer. La série des meurtres royalistes com- mence à Lyon, le 14 février 1795. De jeunes aristocrates, par désœuvrement, se font tueurs et s’associent avec des vauriens de profession. Une des bandes s’appelle : « Compagnons de Jésus », plus tard transformée en « Compagnons de Jéhu ».

172 : Joseph de Fréminville, op. cit. p. 160.

113 Les années obscures de Marcellin Champagnat La vie devient réellement dangereuse pour ceux qui ont été en place au temps de Ro- bespierre, et la Convention semble s’unir aux bandits royalistes par la loi du 5 ventôse, An III (23 février 1795). Bien des Jacobins chercheraient à fuir, mais cette Loi du 5 ventôse, An III (23 février 1795) prescrit : « Tous membres des administrations des départements et des districts, des municipali- tés... des tribunaux tant ordinaires que révolutionnaires, des commissions et, généralement, tous les fonctionnaires publics... tant militaires que civils qui ont été destitués ou suspendus de leurs fonctions depuis le 10 thermidor, An II (mort de Robespierre), ou dont les fonctions ont été supprimées depuis la même époque, sont tenus à se retirer dans les communes où ils étaient domiciliés avant ce temps et d’y rester jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordon- né, sous la surveillance de leurs municipalités ». Pour un Robespierriste, le seul point de chute rassurant serait l’armée qui, elle, reste avant tout révolutionnaire sans trop de nuances entre terroristes et autres. Jusqu’à la fin mars 1795, les arrestations se font au compte-gouttes, mais ensuite, el- les deviennent plus fréquentes. C’est d’ailleurs le moment où Javogues se fait appréhender.

2. – Quand commence le revirement politique et religieux.

a) Niveau de district.

A la mairie de St. Etienne, la confusion qui a commencé en décembre 1794 va conti- nuer jusqu’à la mi-février 1795. Dès février 1795, on ne sait plus trop ce qu’on attend, ni ce qu’on entend par les mots que l’on emploie. Qui est contre-révolutionnaire ? De quel parti sont ceux qui crient : « A bas la République » ? C’est le moment où Tellier, représentant à Lyon, vient calmer St. Etienne avec une compagnie de hussards. Plutôt qu’une répression, il fait une épuration des administrateurs. Et cette épuration prend un tour anti-jacobin. C’est nettement le cas aussi, avec la fermeture de la « Société de St. Chamond » (13 février 1795). Dans une délibération du 7 germinal, An III (27 mars 1795), on parle d’écarter des no- minations à l’administration du département, « les prédicateurs ou partisans de la secte qui a désolé la France173 ». C’est également au mois de mars que commencent à disparaître les appellations topo- graphiques révolutionnaires, et les noms de Saint réapparaissent : Saint-Etienne, Saint- Genest, Saint-Sauveur, etc. Les délibérations du conseil municipal de Marlhes emploient en- core Commune d’Armes174, le 11 floréal, An III (30 avril 1795), mais Saint-Etienne, le 28 prai- rial, An III (11 juin 1795). Ces points superficiels ne signifient pas pourtant un retour religieux dans tous les cas, mais ils sont l’indice d’un renversement de tendance. On peut voir les Ursulines de St. Chamond (Marie Rossary, Catherine Rozet, Louise Hervier) venir rétracter le serment de liberté - égalité qu’elles avaient dû prononcer en 1792. Dans les villages les plus chrétiens des prêtres célèbrent publiquement le culte. C’est le cas à La Cula dès janvier 1795.

173 : J. de Fréminville op. cit. p. 182. 174 : J. de Fréminville op. cit. p. 182.

114 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) Niveau local.

C’est pendant ce trimestre que les changements interviennent au sein de la municipali- té de Marlhes. La nomination de J.B. Courbon de la Faye est officielle le 15 nivôse (4 janvier 1795). Un conseiller, Bergeron, démissionne, il est remplacé par Teyssier. Et, peu à peu, tous les autres membres, donc Champagnat... sont démissionnés. Il n’y a pas vraiment le choix pour les remplaçants, et, par exemple, Servanton auquel on demande de remplacer Séauve essaie bien de dire qu’il habite à une heure et demie de distance et qu’il sait à peine signer son nom, sa nomination est effective quand même. Le représentant du peuple auteur de tous ces bouleversements anti-jacobins, s’appelle Laforêt. Il n’est pas pour autant en faveur d’un retour des prêtres insermentés. Il tonne au contraire contre le « mauvais esprit » de ces campagnes qui, au début de 1795, célèbrent des liturgies clandestines.

115 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre III. PERIODE THERMIDORIENNE : avril - août 1795.

1. – Coup d’Etat manqué de germinal An III, et conséquences.

a) Niveau national.

1 - Point de vue politique.

Les Jacobins et leurs amis se sentent directement menacés. A Paris, le 12 germinal (1ier avril 1795), ils essayent de montrer les dents. Des sections des leurs envahissent la Convention et on court le risque de voir nommer un gouvernement insurrectionnel. Mais fina- lement ils se contentent de réclamer la Constitution de 1793, et des mesures pour remédier à la disette. Leur ennemi, c’est Boissy d’Anglas, bien décidé à lutter contre tout nouveau terrorisme et que les Jacobins appellent Boissy-Famine, l’accusant d’être la cause de la disette. A la Convention, les Jacobins sont devenus minoritaires, et, comme leur essai de coup d’Etat a fait peur à la majorité, celle-ci se tient en garde. Une première réorganisation de la Garde nationale est déjà intervenue le 7 avril 1795. Elle va s’avérer efficace lors des insur- rections de prairial (1ier prairial = 20 mai). Ce jour-là, ce sont surtout des femmes qui envahissent l’Assemblée qui est présidée par Boissy d’Anglas175. Au cours de l’émeute, un député, Féraud, a été décapité, et l’on vient présenter sa tête au bout d’une pique à Boissy, qui, calmement, se lève et salue respectueu- sement la malheureuse victime. Cette émeute se solde par un échec pour la Montagne que l’on estime coupable des désordres qui viennent de se produire. Une très dure épuration va s’en suivre qui élimine les principaux Montagnards, sans d’ailleurs beaucoup de discrétion. L’émeute populaire a été réprimée par les armes, et c’est la première fois, depuis 1791 que le gouvernement réprime par les armes une émeute populaire. Comme la garde natio- nale n’a pas été tout entière favorable à cette répression, elle est de nouveau épurée, le 16 juin 1795. Le tribunal révolutionnaire est supprimé. Les derniers vestiges du gouvernement révo- lutionnaire disparaissent. Les bâtiments du club des Jacobins de la rue Saint-Honoré sont démolis. Une autre signe d’évolution « anti-terroriste », c’est la suppression (17 avril 1795) du rôle de l’agent national. On revient au procureur d’avant 1793.

175 : Boissy d’Anglas est une gloire de l’Ardèche, et Annonay lui a élevé un monument. Il va devenir l’un des cinq directeurs pendant la période du Directoire. Protestant, et, par conviction plutôt royaliste, il aura bien une période de sa vie où l’opportunisme le conduira à dire son admiration pour Robes- pierre, mais, à partir de thermidor, il est résolument anti-terroriste. Il fera rétablir la liberté des cultes, sera élu au conseil des 500 par 72 départements, mais sera, ensuite, victime de la répression du 18 fructidor. Il réussira à se cacher ; sous Napoléon, il entrera au tribunat, et sera pair de France sous les rois. Il meurt en 1826. (Monument à Annonay Ardèche)

116 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2 - Point de vue religieux.

Le 11 prairial An III (30 mai 1795), les lieux de culte sont ouverts moyennant une nou- velle prestation de serment qui peut régulariser la situation même d’un prêtre qui aurait refu- sé toutes les prestations de serment exigées jusque-là. Cependant les « Romains » ne s’accordent pas sur la licéité de cet engagement. L’Eglise constitutionnelle, qui, elle aussi, est fière de ses martyrs - 8 de ses évêques sont morts sur l’échafaud - manifestera brillamment son existence, le 15 août 1795, en orga- nisant une célébration très solennelle à Notre-Dame de Paris avec trois évêques officiants176.

b) Niveau régional.

1 - Point de vue politique.

Dans le district de St. Etienne, l’administration est presque entièrement renouvelée à partir de février 1795. Dans les fonctions publiques, il ne reste plus un seul Jacobin. Par contre, il y a des royalistes. En mai 1795, l’ex-maire de St. Etienne, Johannot, est assassiné. Il est remplacé par Jean-Claude Chovet qui appartient à l’une de ces familles bourgeoises qui aspiraient à la noblesse et dont la Révolution a anéanti les espérances. Et les officiers municipaux sont, eux aussi, des conservateurs. Or, cette municipalité va rester en place près d’un an.

2 - Point de vue religieux.

J. B. Galley177 fait remarquer que la conquête de tous les sièges administratifs et judi- ciaires fut conduite, dans la Loire, avec une persévérante énergie. Jusque dans les petites communes, on déposséda les administrateurs suspects d’avoir aidé l’œuvre de l’An II. Ce qui s’est passé à Marlhes corrobore bien cette constatation. La nouvelle administration a, comme directive officielle de tolérer le clergé, assermenté ou pas, pourvu qu’il ne prêche pas la révolte et le royalisme. Le 13 messidor (1ier juillet 1795), le procureur peut assurer ses pairs qu’ils « surveille scrupuleusement » ce clergé qui n’a guère envie de créer des ennuis, mais qui peut, éventuellement, se laisser manipuler par la montrée de la réaction..

c) Niveau local.

1 - Les prêtres.

A Marlhes, le curé Allirot reparaît, et sans doute dès la fin 1794, mais il attend quel- ques temps avant de prêter le nouveau serment. C’est dire qu’il doit hésiter entre les directi- ves intégristes de son lointain évêque et la position raisonnable de Monsieur Emery. De toute façon, il n’a à subir aucune concurrence d’un prêtre constitutionnel. Il peut donc se réinstaller dans sa paroisse, et la nouvelle administration municipale lui facilite cer- tainement la tâche, suite d’ailleurs au décret du 6 fructidor, An III (12 août 1795).

176 : Dans les « Annales de la Religion », op. cit., p. 300, on peut voir les réactions d’un clergé consti- tutionnel qui estime avoir agi selon sa conscience : « On a demandé des rétractations. Et de quoi ? ont répondu les prêtres éclairés. D’une loi qui n’existe plus ? afficher l’incivisme jusqu’à publier qu’on se repent d’avoir aimé sa patrie ? Cette proposition était trop absurde ». Voir Annexe 3 sur l’Évêque Grégoire. 177 : J.B. Galley, St. Etienne et son district, pendant la Révolution (S.E. Imprimerie Loire Républicaine, 1909,III, p. 34)

117 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il n’a pas peur de se déclarer « prêtre insermenté178 », curé de la paroisse de Marlhes, au diocèse du Puy. Y a-t-il distraction ou défi à la Révolution179 ? La formule qu’il ajoute ne manque pas de piquant convaincu qu’il n’est pas de ressource plus propice à rétablir le bon ordre et la fidélité dans l’Empire180 à vivifier l’esprit public et le caractère national... que la re- ligion catholique »...

2 - Les Sœurs.

En prairial An III (Mai 1795), le district essaie de redonner une existence légale aux Sœurs de St. Joseph et aux Béates. Or, J.B. Champagnat a une tante nommée Jeanne qui appartient à cette congrégation. Quand elle meurt en 1798, elle habite le même domicile que Marguerite Frappa, une autre religieuse de St. Joseph181. Ces Sœurs mènent donc à deux ou davantage une vie religieuse effacée, tout en exerçant le métier de rubanières. L’autorisation de prairial An III a-t-elle permis à Jeanne de reprendre plus librement sa vie conventuelle ? C’est au moins une explication plausible. Une autre religieuse est sœur de Jean-Baptiste et tante de Marcellin. Frère Avit l’appelle sœur Thérèse, mais son prénom était Louise182. Le problème des religieuses était quand même un peu différent de celui des prêtres. Pratiquement, même bien après la Révolution, elles sont déclarées rubanières, c'est-à- dire qu’elles ont un métier qui les fait vivre. La mise en commun de leurs biens les rend, en outre plus disponibles pour consacrer du temps à la prière et à diverses formes de charité et d’apostolat, comme la visite des malades ou l’instruction à peu près gratuite183. Curieuse situation vraiment ! Les deux religieuses peuvent retrouver une vie conven- tuelle paisible au moment même où leur frère et neveu va être inquiété - plus ou moins gra- vement, comme nous allons le voir -. Mais il n’est pas impossible qu’à cause même des deux religieuses la réaction ait été moins méchante à son égard184

2. – Le problème des biens nationaux.

a) Niveau national.

La question des Biens nationaux et de leur vente prend un intérêt très particulier pour l’histoire de Marlhes et de Champagnat. Disons qu’au niveau national, on se trouve face à la détérioration accélérée de l’assignat et qu’on essaie de sauver cette monnaie en relançant la vente des biens nationaux qui n’ont pas encore été achetés. Ce serait effectivement un moyen de revaloriser ces billets qu’on a émis sans discrétion. Le malheur c’est qu’on conti- nue à en émettre et qu’ainsi ils continuent à perdre leur valeur.

178 : Il peut se déclarer « insermenté » car s’il a prêté le serment en 1792, il n’avait pas prêté serment à la Constitution civile du Clergé en 1790 ou, du moins, il y avait introduit beaucoup de restrictions. Il ne fait pas allusion au serment Liberté-Egalité car Pie VI ne s’est jamais prononcé sur ce dernier. 179 : Il peut aussi vouloir dire qu’il est originaire du diocèse du Puy, car il appartenait à ce diocèse jus- qu’à la loi du 24 août 1790 qui a rattaché Marlhes au diocèse de Lyon. 180 : Le terme est curieux ; ce peut être une manière de dire qu’on ne lie pas religion et royauté. 181 : Elle était, en effet, en communauté avec Jeanne et trois autres en 1791. 182 : L’acte de décès (15 mai 1824) donne les deux noms. Elle savait à peine signer son nom. Elle si- gnait Champaiat. 183 : Dans une enquête de 1805, on voit que les Sœurs de Marlhes enseignent la lecture (pas l’écriture) et la couture (ADL, T. 735) 184 : Frère Jean-Baptiste Furet, dans la vie du Père Champagnat, évoquant une tante religieuse de Marcellin, l’appelle Marie. Ou bien ce serait le nom religieux de sa grand’ tante Jeanne ou alors ce se- rait le nom d’une troisième religieuse apparentée à sa mère ( ?)

118 Les années obscures de Marcellin Champagnat Une curiosité de l’histoire de ce temps c’est que la valeur du froment devient la base fixe du traitement des fonctionnaires. Le traitement annuel des directeurs de la République est évalué à 500 tonnes de froment, les administrateurs à 15 tonnes, car l’évaluation en as- signats ne veut plus rien dire.

b) Niveau du district.

Au niveau du district (et sans doute, de bien d’autres districts) il y a autre chose. D’une part, on vend des biens nationaux non encore vendus, mais aussi on revend parce qu’on es- time que la première vente était irrégulière. Il s’agit là d’une des deux grandes actions « anti- terroristes » : ruiner les « terroristes » et, éventuellement les tuer. « Il sera fait, lit-on dans un arrêté du district de St. Etienne, une recherche exacte de tous ceux qui, sous le régime de la Terreur, se sont rendus coupables de dilapidation ou actes d’oppression185 ». Il revient donc aux autorités de faire cette recherche et, éventuellement, de punir les coupables.

c) Niveau local.

Ce problème des biens nationaux doit être expliqué avant celui des meurtres royalis- tes. Les deux problèmes intéressent l’histoire de Marlhes et de Champagnat, mais celui des biens nationaux précède et suit celui des meurtres royalistes.

1 - Les ventes de J.P. Ducros.

Les archives notariales permettent de voir avec surprise que Jean Pierre Ducros vend beaucoup de propriétés, au mois d’avril 1795, c'est-à-dire tout de suite après le coup d’Etat manqué de germinal. Cela avait commencé (ou continué) en décembre précédent, mais en avril on a coup sur coup : Le 30 germinal (19 avril 1795) une partie de patural champêtre pour 4.400 fr. ; le 4 flo- réal (23 avril), un autre terrain, 34.000 fr. ; puis un autre 26.000 fr. ; puis, le 6 floréal, encore un autre 4.500 fr. Or un document plus tardif permet de voir que, au moins une de ces ven- tes, a été faite sous le coup de la menace. Ce document est une révision de jugement faite le 17 ventôse, An VIII (8 mars 1800). La veuve de J.P. Ducros obtient que, dans le cas du terrain cité plus haut, estimé 26.000 fr., il y a eu « lésion d’outre moitié du juste prix » et qu’il doit être payé 62.400 fr. Sachant que J.P. Ducros a été tué le 3 juin 1795, on peut faire deux suppositions pour expliquer ces ventes hâtives : 1) Il cherche de l’argent liquide pour fuir à l’étranger ou à l’armée qui n’a pas dit son dernier mot et reste foncièrement jacobine, ou 2) Ducros est obligé de vendre tout ce qu’il a acquis en fait de biens nationaux car les nouvelles autorités au niveau du district et au niveau local, nous l’avons vu, se créent la douce obligation de poursuivre les « dilapidateurs », c'est-à-dire ceux qui ont profité de leur situation pour acheter des biens nationaux à plus ou moins vil prix. Or, ce qui est très clair c’est qu’on va les leur faire céder à plus vil prix encore. Et ce sera probablement la vengeance des nouveaux maîtres qui font fortune sur le dos des vain- cus en se donnant en plus le beau rôle de justiciers. C’est très clair dans un document qui concerne Jean-Baptiste Champagnat, quelques mois plus tard, mais sûrement dans le même contexte.

185 : Fréminville, op. cit., p. 217.

119 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2 - Une revente de Champagnat.

Frère Avit, transmettant probablement une information des notables de Marlhes, pres- que un siècle plus tard, nous dit quelque chose qui pourrait bien avoir un fondement. « Son terrible cousin (= J.P. Ducros) engagea Jean-Baptiste dans des affaires maté- rielles dont il retira habilement des profits ; la fortune de sa victime que certains estiment de 80.000 fr. à 100.000 fr. en fut fortement ébréchée186 ». Sans doute, faut-il comprendre que Ducros et Champagnat ont fait des acquisitions de biens nationaux et, si elles sont importantes, leur liquidation forcée à bas prix était une ruine. Or, c’est facile à observer dans le document qui nous a été remis concernant Jean- Baptiste Champagnat. Le 23 messidor (11 juillet 1795), on revend un pré de la prébende de St. Jean-Baptiste du Temple qu’avait acquis Champagnat, le 20 août 1793. Rien ne donne l’impression qu’on lui demande son avis187. Le lui paie-t-on ? Il faut le croire, mais, en tout cas, la somme qu’on lui donne est risible. En 1793, il l’a payé 3.950 livres. En 1795, l’acquéreur auquel il est adju- gé par l’extinction du 5ième feu le paie 8.500 livres. Or, voici comment se présente la dégradation de l’assignat. Si l’on prend 100 comme valeur de l’assignat en 1789, cela devient 31,50 en août 1793, et 3,50 en juin 1795. L’équivalent des 3.950 livres de 1793 serait donc de 40.000 fr.188 Très nettement, on a l’impression d’un coup monté. Au lieu de partir d’une somme d’environ 40.000 fr., on part d’une somme qui ne correspond presque plus à rien et l’on s’arrange pour faire monter les enchères très lentement afin qu’un acquéreur l’obtienne pour une somme encore bien dérisoire au 5ième feu. Nous ne savons pas quelles sommes Champagnat avait investies en achat de biens nationaux, mais les assignats qu’on l’obligeait à recevoir étaient en train de fondre comme neige au soleil189.

3. – Les meurtres royalistes.

Mais il y a pire dans la réaction.

a) Niveau national.

Nous avons vu que dès la fin 1794 et surtout au début de 1795 bien des émigrés étaient entrés, dont certains assez désireux de se venger. La réaction effectivement groupait ensemble des gens qui avaient des motivations fort diverses ; des royalistes parfois dépour- vus de sens religieux et de sens social, avec aussi des prêtres et des laïcs prêts au martyre pour leur foi ; des jeunes de 18-25 ans, peu satisfaits d’être mobilisés, avec aussi des petits fermiers qui s’estimaient lésés par les réquisitions de vivres ou de bétail qu’on avait faites ou tenté de faire chez eux depuis deux ans. Cela créait donc une masse de mécontentements dont allaient profiter des aventuriers et des tueurs. Il va, par exemple, se créer des bandes comme cette « Compagnie de Jésus ou de Jéhu » qui assassinent ceux qui sont sur leur liste noire et qu’ils désignent du terme mystérieux de « Mathevons ». Ils assassinent dans les rues et aussi dans les prisons : une centaine les 4 et 5 mai 1795, dans les prisons de Lyon et de Saint Genis-Laval.

186 : Le salaire journalier masculin, si l’on répartit les gains sur une année, atteint difficilement 1 franc, au début de la Révolution. 187 : Voir annexe 2, à la fin du volume. 188 : L’estimation part du change qui était donné à Bâle (Archives privées) 189 : C’étaient les papeteries d’Ambert qui fabriquaient le papier des assignats. Or, elles-mêmes s’y sont ruinées car on les payait en assignats.

120 Les années obscures de Marcellin Champagnat Evidemment, Lyon avait été une des villes les plus malmenées par la Terreur mais, en- fin, cela permet de juger un peu ce qui se passe dans le reste du pays. A Paris, le 14 juillet 1795, les royalistes étaient déjà assez sûrs et assez forts pour em- pêcher le chant de la « Marseillaise » et tout le monde entonnait avec enthousiasme le « Réveil du Peuple », chant d’inspiration royaliste composé par Souriguières de Saint- Marc et qui n’était ni plus ni moins qu’une incitation au meurtre.

b) Niveau régional.

Dans le département de la Loire, c’est le moment où plus d’un se jure d’atteindre l’homme haï entre tous : Javogues. Déjà jugé au temps de Robespierre, il n’avait pas encouru de condamnation et, depuis le 9 thermidor 1794, il pouvait travailler dans l’ombre à préparer une insurrection proléta- rienne. Mais les royalistes de l’an II (1795) reprennent son procès et toutes les accusations- pleuvent contre lui. Le dossier est énorme. En même temps, on va s’occuper de ceux qui ont collaboré avec lui. Au moins à partir de mai, ceux que l’on considère comme Jacobins sont trop surveillés pour pouvoir se cacher. Si les accusations que l’on lance contre eux amènent leur arrestation, leur vie est en danger et l’expérience leur montre qu’ils sont en cas de légitime défense. Ils peuvent craindre le sort de l’ex-maire de St. Etienne, Johannot, assassiné lors d’un transfert de prison, le 7 mai 1795 ou celui d’un autre citoyen, Mathieu Drillon qui avait été la première victime du genre, le 5 mai. Le 16 mai, le district de St. Etienne adresse à la Convention un message où le slogan « périssent les tyrans » évoque bien évidemment les amis de Robespierre. Le 26 prairial (14 juin), un détachement de hussards est envoyé de Montbrison à Feurs pour s’occuper de plusieurs citoyens « qui ont déserté leurs foyers pour se répandre dans les campagnes où ils propagent les principes du terrorisme qu’ils ont constamment manifestés ». Assez évidemment, on désigne par là les amis de Javogues que l’on nomme « ennemi de l’humanité, le tyran du département, l’infâme Javogues » Il y a une sorte d’apothéose, le 3 messidor An II (21 juin 1795) où l’on se réjouit sans vergogne des vengeances exercées contre les Jacobins. Le « Réveil du Peuple » est là, comme à Paris, le chant de ralliement des revan- chards : « Poursuivons-les jusqu’au trépas Partage l’horreur qui m’anime Ils ne m’échapperont pas ». Les Jacobins sont accusés de tous les mauvais coups, y compris d’actes anti- révolutionnaires, comme de couper, pendant la nuit, les arbres de la Liberté. On les ap- pelle « Tigres altérés de sang », « cannibales de la Révolution ». On crie : « Vive la Conven- tion ! Vive la République ! A bas les Jacobins ! ». Le district de St. Etienne, plus royaliste que la moyenne des départements français, croira pouvoir, le 13 messidor An III (1ier juillet 1795), se décerner toutes les louanges pour l’écrasement des « terroristes » qu’il unit habilement aux « dilapidateurs de la fortune publi- que ».

c) Niveau local.

On sait mal alors ce qu’il advient de Champagnat, mais l’histoire de son cousin, J.P. Ducros, est assez bien connue, même si certains détails diffèrent d’un témoignage à l’autre.

121 Les années obscures de Marcellin Champagnat 1 - J.P. Ducros.

Ducros est donc arrêté et la tradition a rapporté que les gendarmes qui l’emmenaient, une fois arrivés sur les dernières collines où l’on peut encore apercevoir les bois de Jon- zieux, ont dit à leur prisonnier :« Ducros, regarde bien le clocher de Jonzieux, car c’est la dernière fois que tu le verras ». Quoiqu’il en soit de ce détail, Ducros est mort le 3 juin 1795, comme le rappelle l’acte de mariage de sa fille unique :« fille majeure et légitime de feu J.P. Ducros, décédé à St. Etienne, le 15 prairial, An III, ainsi que le constate l’acte de décès délivré au dit St. Etienne ». Voici les faits : dans la nuit du 14 au 15 prairial (2-3 juin 1795), une partie des prison- niers enfermés dans les prison de Sainte-Marie de St. Etienne, sont cyniquement égorgés sans que la municipalité royaliste en manifeste autre chose qu’une douleur très douteuse. C’est dans cette circonstance que J.P. Ducros sait se montrer lucide et courageux. Le rapport judiciaire dit qu’il se « donne quatre coups de couteau à ceux qui veulent l’attaquer, casse d’un coup de pied la cheville à l’un d’eux et reçoit lui-même, à l’instant, plusieurs coups de pistolet, de sabre et de baïonnette et tombe mort ». Le témoignage de l’état civil est plus bref :« J.P. Ducros, habitant le lieu de la Rou- chouze, commune de Jonzieux, époux de Marguerite Châtelard, détenu dans la maison d’arrêt de cette commune, est décédé dans icelle la nuit dudit 15 prairial, âgé de 27 à 28 ans ». Ce jour-là, il y eut 11 cadavres. Galley cite encore d’autres témoins du massacre, entre autres un dénommé Pupil, qui, après avoir nommé 10 compagnons, ajoute : « Ducros fit résistance. Avec un petit fer, il blessa Mourguet jeune et, avec ses doigts et la force qu’il avait, il lui fit une petite ouverture au ventre, il le désarma et, du même moment, il blessa Terrasson de St. Chamond ; celui-ci en est mort le 6, quatre jours après. Le dit Ducros blesse aussi les deux frères Leclerc. Le susdit Ducros qui était de Jonzieux fut tué dans la prison. » Ici, comme à Lyon, il semble bien que ce soit la Compagnie de Jéhu (ou de Jésus) qui ait opéré et dont, sans l’histoire de Ducros, nous n’aurions pas connu les membres. Des poursuites allaient avoir lieu contre les assassins, mais assez mollement jusqu’en l’An VII où les Jacobins reprendront le dessus. Cette affaire, en tout cas, créa une impression de terreur dans le pays forézien, et, sans doute, tout particulièrement à Marlhes et à Jonzieux. Les catholiques, les royalistes, étaient au moins aussi effrayés que les autres, car ils redoutaient des vengeances en chaîne.

2 - Champagnat.

Champagnat a-t-il échappé à la prison ? L’année suivante (22 avril 1796), alors que la situation se renverse au moins provisoirement, J.B. Courbon de la Faye190 se vante d’être une « vrai républicain » qui a reçu sous « son toit » les « patriotes ». Cela veut dire, par exemple, qu’il a contribué à sauver Champagnat en ces mois de juin-juillet 1795 qui ont dû être les plus dangereux pour lui ? Cependant, à Marlhes, il faut attendre une délibération du 1ier Thermidor (12 juillet 1795) pour se rendre compte de la transformation des mentalités. Dans cette délibération, il est question du fils de Paul Lardon qui vient réclamer répara- tion au sujet d’injustes confiscations dont son père a été victime, l’année précédente. On fait droit à sa demande et on en prend occasion pour flétrir les excès de l’année précédente :« les administrations de ces temps de terreur » et « la tyrannie qui a reculé le 9 thermidor191 ».

190 : Ne pas le confondre avec Antoine Courbon dit Courbon Saint-Genest. 191 : c'est-à-dire qui s’est exercée même après le 9 thermidor.

122 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4. – Situation économique.

a) Niveau national.

Socialement parlant, l’hiver 1794 a été marqué par la rareté et la hausse de certaines denrées, mais sans que cependant la situation soit tout à fait tragique. L’assignat dégringole, mais n’est pas encore totalement dévalorisé ; les besoins de la guerre donnent encore un peu de travail aux chômeurs et les jeunes qui le veulent sont à l’armée, donc n’ont pas à se poser le problème du chômage. Au total, on est peut-être un peu moins malheureux qu’à la veille de la Révolution où, comme nous l’avons vu, l’année 1789 avait été très mauvaise. Enfin, il y eu tellement de têtes coupées parmi les meneurs que l’émeute n’est pas le danger le plus quotidien : on s’en méfie. Cependant, dans une civilisation où le stockage n’est pas encore bien considérable, le printemps est toujours crucial, car il faut faire la jonction avec la prochaine récolte et on ne gagne rien à manger son blé en herbe comme cela arrivait souvent aux époques de famine. La France du XVIII° siècle a considérablement amélioré ses routes et c’est son plus grand atout maintenant pour lutter contre la famine. Comme la suppression de la loi du maximum a provoqué un renchérissement des graines et de la paille, c’est vraiment l’occasion de mettre à profit les routes aménagées dans les précédentes décades, afin d’assurer le ravitaillement des populations moins bien pourvues.

b) Niveau local.

1 - Situation socio-économique.

Un des premiers actes de la municipalité et du maire Courbon de la Faye (24 ventôse : 14 mars 1795), c’est de décider un achat de grain, car non seulement les indigents mais même la classe aisée sont rationnés. La délibération montre que l’on compte sur d’autres secteurs du département et aussi sur la Saône-et-Loire, l’Isère etc. Mission est donc donnée à deux citoyens de procéder à une série d’achats pouvant aller jusqu’à 2.000 quintaux. Le 23 germinal (12 avril), Courbon qui a fait le voyage de Mâcon en indiquera un peu le résultat, et mission sera donnée à deux autres, qui ont l’occasion d’aller à Mâcon, d’en ache- ter, malgré le prix élevé, pour employer le restant des assignats. L’été 1795 connaît encore une très grande misère. On vole des pommes de terre dans les champs, des gerbes aux gerbiers, car la soudure s’avère difficile. Mais comme la récolte suivante s’annonce bonne, on se met à spéculer sur cette récolte. Le district n’arrive pas à l’acheter aux paysans méfiants, qui veulent la vendre le plus cher possible et ne veulent pas être payés avec ces assignats dont ils voient bien la rapide dévaluation.

2 - Les réquisitions.

Si on ne recherche plus les prêtres réfractaires, on poursuit et on poursuivra encore d’insaisissables conscrits. Par exemple, le 10 thermidor , An III (28 juillet 1795) aucun conscrit, ni de Marlhes, ni de Jonzieux, ne se présente au sort pour aller travailler à St. Etienne, à la manufacture d’armes : ou bien on n’arrive pas à savoir leur âge, ou bien dans le cas des domestiques, les patrons ne veulent pas dire leur nom. Finalement, il se trouve que Courbon St. Genest, nouvel administrateur du district de St. Etienne, est de passage à Marlhes, le 17 thermidor, et va régler la question. Il écrit tran- quillement son opinion sur le registre de Marlhes :« que l’on prenne donc des volontaires et que l’on laisse de côté ce tirage au sort qui, d’ailleurs, n’est pas prévu dans les arrêtés. »

123 Les années obscures de Marcellin Champagnat 5. – Conclusion.

Cette période est, sans doute, des plus tragiques pour la famille Champagnat. Alors que la France religieuse respire, à Marlhes et Jonzieux, c’est l’inquiétude qui domine, et, dans les familles Champagnat et Ducros, c’est l’angoisse. Est-ce le moment où Marcellin (6 ans) pose la question :« Qu’est-ce que la Révolu- tion : une femme ou un bête ? » et où la tante, Sœur, répond :’’Dieu te fasse la grâce de ne jamais éprouver ce que c’est que la Révolution, elle est plus cruelle qu’aucune bête qui soit au monde192’’ ».

192 : Vie de Joseph Benoît Marcellin Champagnat, Rome 1989, p.4.

124 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre IV. FIN DE LA CONVENTION : septembre - octobre 1795

1. – Préparation d’une nouvelle Constitution.

Ces excès royalistes ne peuvent pas moins faire que de susciter des interrogations. Qui donc veut le retour au passé, s’il doit déchaîner tant de haines ? Les conventionnels arrivent à la fin de leur mandat. Ils ont gouverné la France pendant les trois années les plus sanguinaires de son histoire ; Pendant le mois d’août, ils établissent une nouvelle Constitution, moins démocratique que celle de 1793193 et qui revient à peu près à celle de 1791. Au lieu d’une « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », il y a une déclaration des droits et des devoirs et l’on ne mentionne plus le droit à l’instruction, au travail, à l’assistance, à l’insurrection, qui figu- raient dans la Constitution de 1793. Le suffrage, lui, est devenu très large car, il suffit de payer une contribution directe, si minime soit-elle, pour être électeur. Cela devrait donner 6.000.000 de participants aux pro- chains suffrages. En réalité, le peuple est tellement dégoûté et défiant, l’enthousiasme de 1789 tellement tombé, que le référendum pour approuver la Constitution de 1795 comportera seulement 1.056.390 Oui et 49.978 Non. Lorsqu’il ne s’agit plus d’un référendum, mais d’élections de députés, le suffrage est à deux degrés, comme dans les cas qui ont été vus auparavant.

2. – Mises en garde contre la réaction.

a) Niveau national et régional.

Cependant, les Conventionnels craignent assez de se séparer en laissant le champ li- bre à la réaction. Il faut donc au moins faire planer quelques menaces. Celles-ci sont bien exprimées dans une mise en garde violent, émanant des « représentants », c'est-à-dire de ces hommes encore très puissants qui gouvernent les départements au nom du gouverne- ment central. Voici ce qu’on peut lire en date du 1ier août 1798, au sujet des «ennemis de la Pa- trie », évoqués assez clairement. « Les uns ne veulent pas déclarer qu’ils sont soumis aux lois et trouvent des autorités assez lâches pour fermer les yeux, les autres depuis longtemps émigrés ou déportés ren- trent en France, et, contre le gouvernement qu’ils calomnient, font un crime aux pères et aux mères d’avoir fourni des défenseurs à l’Etat ; tous courent les campagnes avec les déser- teurs qu’ils ont rassemblés, les jeunes gens qu’ils retiennent, les mécontents qu’ils ont aigris, renversent les statues de la Liberté, menacent les autorités constituées, persécutent les prê- tres constitutionnels, exigent des citoyens le serment de fidélité au chimérique Louis XVIII, la restitution des biens du clergé... Eternels ennemis de la France républicaine, vous, qui ne pardonnerez jamais aux Français d’avoir repris les biens que vous aviez envahis... »

193 : Cette Constitution de l’An I n’a jamais été appliquée. Boissy d’Anglas le rapporteur, l’estimait « une organisation de l’anarchie ».

125 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 1ier fructidor (18 août), un décret prive de leurs droits civiques les émigrés qui « n’ont pas encore régularisé leur situation ». L’hostilité contre les prêtres réfractaires rede- vient vive. Par contre, les terroristes retrouvent leur droit de vote. C’est dire que la Convention donne un coup de barre à gauche. Pour mieux dire, elle profite de cette fin de règne pour bien faire la part égale entre les crimes terroristes de 1792- 1794 et les représailles anti-terroristes de 1795. En se retirant, elle fera en effet amnistier tous les accusés politiques. Javogues sera de nouveau en liberté. La fin de l’An II est aussi la fin de la Convention et la dernière séance de cette assem- blée est déjà de l’an IV (26 octobre 1795).

b) Niveau local.

A Marlhes, on a sans doute quelque retard sur les événements, car dans une délibéra- tion du 19 fructidor (5 septembre 1795) on en est encore à la décision de poursuivre ceux qui, sous le régime de la Terreur, se sont rendus coupables de dilapidation ou d’actes d’oppression. Mais comme le registre est ensuite muet pendant quatre mois, on ne peut pas dire la suite qu’a eue cette décision. Le témoignage cité plus haut de Jean-Baptiste Courbon de la Faye, montre assez que ces poursuites ont dû être modérées.

3. – Revirement contre les réfractaires.

La Terreur Blanche et le réveil monarchique avaient donc provoqué une réaction des thermidoriens et leur âpreté s’était réveillée avant qu’ils abandonnent le pouvoir. Un essai de débarquement d’émigrés à Quiberon, avec l’aide des Anglais ira dans le même sens. Hoche, le pacificateur en fait fusiller 748. La Convention se sépare sur quelques décrets défavorables au clergé réfractaire que l’on s’était mis à tolérer. Le 20 brumaire, An II (6 septembre 1795), un décret déclare bannis à perpétuité les ecclésiastiques déportés, et interdit toute restriction au serment de prairial qui devient obligatoire tant pour le culte privé que pour le culte public. D’ailleurs, un nouveau serment est exigé le 7 vendémiaire A, IV (29 septembre 1795 : « Je reconnais que l’universalité des citoyens français est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». Il doit être pur et simple. Quiconque exercera le culte sans l’avoir prêté sera puni de prison, et, en cas de récidive, de 10 ans de gêne. Suit une longue liste de prohibitions, en particulier de toute taxe pour l’entretien du culte, de lire toute lettre d’un ministre du culte ré- sidant hors de France. Beaucoup de prêtres réfractaires ne crurent pas pouvoir, en conscience, prêter un serment qui rompait les liens avec le gouvernement monarchique.. L’évêque de Tarbes, en exil, n’hésitait pas à écrire : « Tant qu’il reste une espérance fondée à une puissance légi- time de recouvrer l’autorité, tout sujet de cette puissance doit en conscience lui rester fidèle et travailler selon sa situation et son pouvoir, à sa restauration ». Tel autre évêque, Thémines, qui va plus tard faire un schisme de « petite Eglise », dé- clare suspens ipso facto ceux qui prêteront ce serment. Un an après la mort de Robespierre, on est encore loin d’une pacification religieuse. Tout un clergé réfractaire envisage de rentrer de nouveau en clandestinité et donc risque d’être aussi durement proscrit que jamais ; quant au clergé qui prête ce serment, il est ligoté assez étroitement dans son activité.

126 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4. – Vers un nouveau gouvernement.

La Convention qui a été, tour à tour, girondine, montagnarde, puis thermidorienne, a terminé son œuvre : la Constitution de l’An III (28 août 1795). A partir d’octobre 1795, on en- tre sous un régime nouveau : le Directoire qui tire son nom du pouvoir exécutif exercé par cinq Directeurs. Le pouvoir législatif dépend, non d’une assemblée unique, mais de deux : les Cinq- Cents et les Anciens. Les élections ont lieu du 20 au 26 vendémiaire (11 – 17 octobre 1795). Le département de la Loire, vote nettement contre-révolutionnaire, c'est-à-dire rejette cette révolution qui, pour lui, signifie : églises fermées, assignat dévalué, maximum tyrannique, jeunes sur le front, etc......

5. – Situation socio-économique à Marlhes.

Les derniers mois de 1795 seront encore très durs, les vivres (pain surtout ) restant ra- res et chers, malgré toutes les mesures prises par les municipalités du district : souscriptions publiques, achat de grain dans les départements voisins, distributions fréquentes de secours aux indigents, emprunt forcé.

127 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre V. LE DIRECTOIRE A SES DEBUTS

Depuis le 9 thermidor, An II, il est assez évident que les ressorts de la Révolution sont brisés. Cependant elle continue grâce à l’armée et grâce aux subterfuges. a) L’armée reste révolutionnaire et elle est puissante car elle tient tête à une coalition européenne. Pour elle, émigrés, chouans, royalistes : c’est tout un, c’est l’ennemi ; et elle est prête à intervenir pour empêcher la politique de basculer à droite. b) Par ailleurs, les révolutionnaires ont trouvé des expédients pour se maintenir au pouvoir. La Convention se sépare bien, en octobre 1795, mais, pour sauvegarder la continui- té révolutionnaire, les élections ne porteront chaque fois que sur 1/3 des députés. Les deux autres tiers seront formés de députés sortants... qui ne sortiront pas. On repart donc pour quatre ans d’un gouvernement sans vraie identité, voué aux crises et aux coups d’Etat. Dans les départements, il n’y a pas d’administrations vraiment élues, mais des Commissaires du Directoire et qui agissent à coups d’arrêtés.

1. – Les débuts du Directoire.

a) Au niveau national.

Le Directoire continue d’abord la politique anti-religieuse de la Convention et donne des ordres pour l’exécution des décrets contre les réfractaires déportables. Mais, localement, dans la Loire, il y a assez largement résistance à cette mise en application, car les popula- tions protègent presque partout les prêtres réfractaires.

b) Les débuts du Directoire dans la Loire.

1 - Révocation d’administrations.

Dans la Loire, le pouvoir est encore entre les mains de révolutionnaires patentés. A partir du 9 brumaire (31 octobre 1795), le représentant Reverchon joue un rôle dictatorial, et, comme naguère Javogues, révoque les administrateurs en place, les remplaçant par ses créatures. Parmi les administrateurs révoqués, il y a Courbon - St. Genest : on lui reproche son inertie lors de l’assassinat de J.P. Ducros. Mais les nouveaux administrateurs nommés n’acceptent pas volontiers leur poste, et il y a des refus qui sont qualifiés par Reverchon de « lâche frayeur ou de timidité chimérique ».

2 - Epuration de la gendarmerie et de la garde nationale.

Reverchon continue l’épuration et se préoccupe d’avoir une gendarmerie sûre. A St. Etienne, la municipalité plus jacobine va devenir d’autant plus méchante qu’elle se sent me- nacée par les royalistes. La nouvelle garde nationale sera à peu près constituée à la fin de 1796.

3 - Réquisitions et luttes contre les insoumis.

128 Les années obscures de Marcellin Champagnat La chasse aux conscrits réfractaires recommence le 5 pluviôse, An IV (25 janvier 1796) avec toujours aussi peu de résultats que précédemment : ils sont malades, dit-on, ou dispa- rus, ou peut-être même déjà sur le front. Reverchon, obéissant aux ordres de Paris, revient à la ligne de 1792-1794 : pour con- tinuer la guerre, il faut réquisitions et impôts, et il faut aussi recommencer la lutte contre les prêtres insoumis. Pour les prêtres « soumis », on peut dire que pendant l’An IV et l’An V (jusqu’au 18 fructidor), le culte devient assez libre. Les autres, au contraire, vont de plus en plus être con- sidérés comme des agitateurs et des traîtres, et, à partir du 5 germinal, An IV (25 mars 1796), on dresse des listes et on procède à des arrestations comme aux plus mauvais jours de 1793 et 1794. Dans la plupart des communes, cependant, les fidèles protègent leurs prêtres, et, quand ceux-ci sont arrêtés, ils trouvent souvent des juges bienveillants.

4 - Culte décadaire et politique religieuse.

Officiellement , on n’a pas renoncé au culte décadaire, puisque tous les cultes sont au- torisés. A partir du 25 octobre 1795, on a même trouvé un nouveau moyen de mettre en va- leur quelques décadis. Le premier décadi de chaque mois (de germinal à vendémiaire = dé- but du printemps à début d’automne) sera consacré à des solennités : la jeunesse, les époux, la reconnaissance, l’agriculture, la liberté, les vieillards, la République. Cela laisse li- bre la célébration du dimanche, mais enfin est ressenti aussi comme volonté d’imposer un autre culte, qui d’ailleurs n’aura pas de succès.

5 - Suppression des districts

Sur le plan administratif, la nouvelle Constitution de l’An III a changé pas mal de cho- ses, et, entre autres, supprimé les districts. Celui de St. Etienne cessera officiellement d’exister au début de 1796. Il n’y a plus alors que le département de la Loire.

6 - ... et des communes.

A partir du Directoire aussi, les communes n’existent plus. Il n’y a plus que des can- tons. Marlhes qui avait d’abord été canton, puis était devenu commune du Canton de St. Genest, un peu avant la mort de Robespierre, redevient un canton formé de Marlhes et de Jonzieux. La composition de la municipalité est modifiée ; elle comprend : un président, cinq administrateurs et un commissaire du Directoire exécutif.

7 - Mesures économiques.

La période du Directoire commence avec deux mesures économiques. La première est un emprunt forcé sur les riches dont on peut s’acquitter en numéraire métallique, en or, en argent, ou en grain, ou enfin en assignats pour le centième de leur valeur nominale. On est alors au 19 brumaire (10 novembre 1795). La seconde est une décision concernant les assignats qui doivent obligatoirement être remboursés en monnaie métallique. C’est une solution pour les faire disparaître peu à peu.

129 Les années obscures de Marcellin Champagnat c) Les débuts du Directoire à Marlhes.

1 - L’Administration.

C’est le 13 nivôse An IV (3 janvier 1796) que nous pouvons rouvrir le registre de Marl- hes, non pas à vrai dire pour une délibération, mais pour y apprendre que l’administration se- ra désormais surveillée par un nommé Duding, commissaire du pouvoir exécutif. Il a été nommé par le Directoire le 24 brumaire An IV (13 novembre 1795) : c’est un instituteur. Le 16 nivôse An IV (3 janvier 1796), un adjoint de Jonzieux, Chavanna, se présente pour remplir l’office de contrôleur dans l’opération de l’emprunt forcé. Le 21 nivôse An IV (11 janvier 1796), on annonce que les réunions du « Conseil Géné- ral » devront avoir lieu tous les quintidis (milieu de la décade) dans les cantons au-dessus de 5.000 âmes194.

2 - Réquisitions d’hommes.

Le 14 nivôse An IV (3 janvier 1796), le département requiert 50 hommes de troupe pour les montagnes de St. Genest, le capitaine de gendarmerie ayant écrit qu’il y a des ras- semblements dans les environs de Marlhes. Le 2 pluviôse An IV (22 janvier 1796), on n’a pu arrêter qu’un « homme conduisant trois chevaux chargés de provisions ».

2. – Réactions royalistes de 1796.

a) Niveau national.

Mais le retour vers la gauche amorcé à l’automne 1796 s’effectue assez mal. La conspiration de Babeuf, dite conspiration des Egaux, en septembre 1796, révèle le danger terroriste, et le Directoire revient vers la droite. Les élections de l’An V (janvier 1797) seront nettement favorables aux modérés et aux royalistes195

b) Dans la région.

Ce que veut le peuple, c’est la fin de l’oppression et il est clair que c’est le clergé ré- fractaire qui souffre le plus de cette oppression. Donc le peuple se révolte en sa faveur. Mais en même temps, les royalistes continuent leur avancée et, encore une fois, avec des motivations très diverses, royalistes et catholiques se trouveront unis seulement pour lutter contre les oppresseurs. Tout cela ne contribuera pas peu à sceller l’union du trône et de l’autel que l’on retrouvera jusqu’en 1830 et au-delà. Le 21 janvier 1796, on a oublié de célébrer « l’anniversaire du supplice du tyran » (Louis XVI). Cette fête sera renvoyée au 20 mars et, vraiment, plutôt pour la forme.

194 : Le canton de Marlhes dépasse seulement 3.000 âmes (Marlhes, 2.500 et Jonzieux, 700) 195 : Sur 216 conventionnels sortants, 13 seulement sont réélus.

130 Les années obscures de Marcellin Champagnat 1 - Attentats.

Pendant l’été 1796, les troubles se multiplient. C’est au point que l’administration muni- cipale de Marlhes prend un arrêté interdisant les dénominations de mathevons (révolution- naires qui méritent d’être tués) et de muscadins(royalistes), ainsi que les chants séditieux comme c’est le cas du « Réveil du peuple » devenu à peu près l’anti-Marseillaise. Le 17 thermidor An IV (4 août 1796), est assassiné André Béraud, que nous avons vu agir et qui était commissaire près de la municipalité de St. Pierre de Bœuf. C’était un révolu- tionnaire assez modéré, mais classé terroriste puisqu’il avait agi surtout avant thermidor.

2 - Condamnation de Javogues.

Et puis, c’est le tour de Javogues, toujours résidant à Paris. Il semble avoir pris part à un coup de main que l’on appelle l’affaire de Grenelle ou conspiration des Egaux196. Comme les conspirateurs voulaient renverser le Directoire, mais que la police a eu vent de l’affaire, Javogues est arrêté dans la nuit du 9 au 10 septembre 1796, et enfermé dans la pri- son du Temple. La façon dont il est jugé est bien discutable, même si, dans son passé foré- zien, il a commis assez d’injustices et de cruautés pour mériter la mort. Il est fusillé le 19 vendémiaire An V (10 octobre 1796) On ne peut pas trop s’attendrir sur un terroriste de sa trempe, mais Fouché avait, en 1793, fait couper bien plus de têtes que Javogues et il commençait, lui, en 1796, cette bril- lante carrière qui allait lui permettre d’acquérir toute la fortune et les titres désirables sous le Directoire, l’Empire et même la Restauration. Quoi qu’il en soit, en dehors de sa famille qui l’aimait et priait pour lui, il n’y eut pas grand monde pour pleurer Javogues dans tout le Forez. Son nom était devenu comme le condensé un peu mythique des crimes de la Terreur pour le département.

c) A Marlhes.

1 - Démission de la municipalité.

Au printemps 1796, quelque chose grince à Marlhes. Le 25 pluviôse An IV (14 février 1796), les membres de l’administration ont dû être mis en accusation, car ils clament leur innocence : ils n’ont provoqué « aucune mesure sédi- tieuse et contraire à la loi ». « Ils ne sont ni parents, ni alliés d’aucun suspect, excepté Peyrard qui a un beau-frère prêtre, absent depuis cinq ans, ne sait où il est, mais ledit Peyrard, depuis la Révolution, a toujours rempli des charges au gré du public ». Le 11 germinal An IV (31 mars 1796), Jean Duplay, agent municipal de Jonzieux197, donne sa démission pour raison de santé. Il est assez évident que les raisons avancées ne sont pas vraies, car à Marlhes, ce même jour, c’est Jean Peyrard qui donne sa démission d’agent municipal avec des raisons beaucoup trop nombreuses pour être réelles. François Chavanna en fait autant le 12 germinal An IV (18 avril 1796)

196 : En réalité, le camp de Grenelle est un traquenard monté par la police pour compromettre les membres du complot des Egaux préparé par Babeuf et autres partisans de la « Loi agraire ». 197 : Jean Duplay est le père des abbés Duplay qui seront l’un et l’autre grands amis de Marcellin Champagnat. Ce Jean Duplay, nous dit Chausse dans sa vie de Jean-Louis Duplay, a su « participer largement à la protection des prêtres réfractaires ».

131 Les années obscures de Marcellin Champagnat Avant de se retirer, ils rajustent notablement le salaire du secrétaire-greffier (qui passe de 400 à 1.000 francs) et les sommes attribuées pour les fournitures (papier, encre). Sans doute, y a-t-il une indexation bien normale correspondant à la dévaluation de l’assignat, mais il doit se passer quelque chose qui nous échappe. Le registre est, en effet, de nouveau muet jusqu’au 14 fructidor An IV (31 août 1796). A vrai dire, les démissions, au moins de Peyrard et de Chavanna, n’ont pas été accep- tées, car l’année suivante, 21 ventôse An V (11 mars 1797), les deux municipaux reparlent de démission. Qu’y a-t-il au fait ? L’administration de Marlhes est attaquée : le canton est très en re- tard pour verser ses impôts (2.547 livres) : si, dans les trois jours, ils ne sont pas acquittés, les meubles et effets tant du président que des agents municipaux seront saisis par huissier.

2 - Pour des questions d’impôts.

Le président, J.B. Courbon de la Faye et l’agent (qui est encore Peyrard) ne font ni une ni deux : proclamation est faite à tous les contribuables d’avoir à payer ce qu’ils doivent dans les trois jours sous peine d’y être contraints par les mêmes moyens dont les responsables sont menacés. Peut-être faut-il voir là tout simplement une mise en demeure un peu fracassante pour obtenir en un temps record une contribution indispensable à la lutte de Bonaparte contre les Autrichiens. On ne gagne pas la guerre sans argent, et la Loire est un département assez voisin des Alpes, donc un de ceux sur qui on compte le plus directement. C’est, en effet, pendant cette année 1796 que Bonaparte est chargé de l’Armée des Alpes, à partir du 22 février, et si, bientôt, ses victoires vont lui permettre de prélever assez de butin pour son armée, ce n’est pas le cas au tout début de la campagne. Bonaparte, arrêté comme Jacobin, à la chute de Robespierre, est rentré en grâce à la fin de la Convention, ayant sauvé celle-ci contre les insurgés royalistes par son intervention armée du 13 vendémiaire An IV (5 octobre 1795). Comme ses collègues : Jourdan, Moreau, Hoche, il fait une guerre à la fois militaire et idéologique : l’armée française, veut lutter contre les tyrans et libérer les peuples. Mais dans une guerre en Italie, il faut faire continuellement preuve de psychologique et composer avec le pouvoir étrange du Saint-Siège. Pie VI, sans faire partie de la coalition des rois contre la République Française, compte bien sur la victoire de l’Autriche associée au Piémont et des flottes de Naples et de l’Angleterre. Or, les Piémontais capitulent, et Milan tombe le 14 mars 1796. Commencent alors en- tre Pie VI et Bonaparte des tractations où celui-ci tient médiocrement compte des directives de Paris, ayant déjà son idée sur le rôle pratique de la religion catholique chez les peuples latins. Sa correspondance manifestera souvent un profond mépris pour le pontife, mais sou- vent aussi ses expressions sont étudiées pour donner le change au Directoire. Il lui serait facile de marcher sur Rome, mais il trouvera de bonnes raisons pour ne pas le faire et se contenter de signer un armistice à Bologne (20 juin 1796) qui sera financière- ment ruineux pour le Pape, mais laissera la Ville Eternelle dans une relative liberté. La guerre reprend avec l’Autriche et c’est la série des victoires : Castiglione, Arcole, Rivoli. Arcole est du 17 novembre 1796. Or, c’est fin octobre que Kellermann réclame, de la part de Bonaparte, 100 voitures au département de la Loire qui trouve des excuses. « Le fanatisme et le royalisme travaillent de concert et sans déguisement à pervertir l’opinion, à égarer le peuple, et à lui inspirer le dégoût du régime républicain », autrement dit : Nous aurons bien de la peine à réaliser ce que vous demandez. Déjà le 7 germinal An IV (27 mars 1796), on avait fait à Marlhes une réquisition de chevaux, mules, mulets et juments, qui n’avait pas donné de résultats. Tous les animaux amenés n’avaient pas la taille voulue.

132 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 2 brumaire An V (23 octobre 1796), Marlhes a trouvé une contre-attaque :« la Ré- volution a détourné la Semène, rivière de St. Genest - Marlhes, pour favoriser les eaux du Furens qui arrose St. Etienne. Marlhes comme St. Genest estiment pouvoir faire valoir que c’est une richesse dont on les prive ». Il est, en tout cas, assez évident que le malaise persiste à la municipalité. Et sans doute y a-t-il des gens pour dire tout bas ou tout fort : « Celui qu’il nous faut c’est Champa- gnat ». On s’en apercevra mieux en 1797.

3. – Restauration religieuse de 1796.

a) Au niveau national.

Le 9 fructidor An IV (26 août 1796), Portalis (qui sera ministre des cultes sous l’Empire et est alors député aux Cinq-Cents) fait un courageux discours pour réclamer la liberté de conscience. Le 16 brumaire (6 novembre), puis le 14 frimaire (4 décembre), sera votée une rectifi- cation qui supprime la référence aux peines portées contre les ecclésiastiques. La progres- sion vers plus de liberté se continuera, et le 29 prairial An V (17 juin 1797), Jordan proposera même de renoncer aux serments exigés des prêtres. Enfin, le 8 messidor (26 juin 1797), on tente d’abolir totalement les lois qui frappent de déportation et de réclusion les réfractaires.

b) Niveau de Marlhes et sa région.

1 - Restauration relative

Du point de vue religieux, dans la Loire, la situation va aussi vers le mieux. Le 22 ger- minal An IV (11 avril 1796), on a bien édicté une mesure mettant un peu plus l’accent sur la sécularisation : pénalités aux ministres du culte qui feront sonner les cloches pour convoquer aux offices ; mais comme l’observance de la décade et du décadi n’est plus imposée, tout le monde revient pratiquement à l’observance du dimanche avec ou sans sonnerie de cloches.

2 - mais réelle.

Le 28 juin 1796, s’ouvre le Jubilé du Puy, une des manifestations bien utiles pour la restauration de la foi. Normalement ce Jubilé aurait dû avoir lieu le 25 mars, car, cette an- née-là, la date de l’Annonciation tombait le Vendredi Saint et depuis presque un millénaire, c’était cette coïncidence qui offrait au peuple chrétien l’occasion d’une indulgence exception- nelle. Mais la cathédrale du Puy était occupée par Delcher, évêque constitutionnel, et le Pape Pie VI ne pouvait donc pas encourager les fidèles à s’unir à une Eglise qu’il considérait comme schismatique. L’indulgence du Jubilé avait finalement été renvoyée à une date ultérieure. Au lieu de la gagner dans la cathédrale du Puy, on pouvait faire le pèlerinage dans diverses églises du diocèse. Marlhes ne faisait plus partie de ce diocèse, mais ce n’était pas un court laps de 5 ans qui pouvait faire oublier une tradition aussi vénérable, d’autant plus que la coïncidence 25 mars - Vendredi Saint, avait eu lieu peu auparavant, en 1785 et que Jean-Baptiste Champagnat, alors recteur des pénitents, y avait sans doute participé. Il est donc bien cer- tain que plusieurs membres de la famille Champagnat ont dû faire ce pèlerinage, par exem- ple, à Montfaucon qui était le plus proche dans la liste des centres indiqués par la Bulle pon- tificale. Et cela d’autant mieux que juin 1796 est un des moments où la liberté religieuse pa- raît presque totale. C’est la période où se créent des petits séminaires (St. Jodard, Roche).

133 Les années obscures de Marcellin Champagnat Les missions de Linsolas connaissent aussi un franc succès jusqu’au début de 1797. Même si elles sont adaptées à une clandestinité qui, provisoirement, n’est pas indispensa- ble, elles fonctionnent aussi très bien en ces moments où l’on croit commencer un ère nou- velle. Voici à peu près comment on peut alors répartir le clergé français. Outre les prêtres constitutionnels qui ont prêté tous les serments et qui sont largement rejetés par les fidèles, il y a trois autres groupes de prêtres. - Ceux qui, après avoir refusé jadis le serment à la Constitution civile du clergé, ont es- timé pouvoir en prêter d’autres (comme Allirot) et, particulièrement, le serment à un Etat pu- rement laïque qui se déclarait indifférent à l’égard de tous les cultes (La période post- thermidorienne des années III, IV et V ; fin 1794 à 1797). Allirot en tout cas profite bien du moment (18 décembre 1796) pour faire une cérémonie importante : la « réconciliation » dans son église qui avait servi à des cultes non chrétiens. - Ceux qui refusent ce serment par obéissance à la hiérarchie (la plupart des mission- naires de Linsolas) - Enfin, un groupe janséniste aussi strict que le précédent mais en opposition avec lui sur des points de doctrine jamais bien réglés depuis un siècle et demi (les relations à l’intérieur du monde catholique ont été empoisonnées par cette lutte plus encore au 18ième siècle qu’au 17ième). A St. Etienne, les deux principales églises qui avaient été transformées, l’une en forge (La Grand’ Eglise), l’autre en temple de la Raison (Notre-Dame) pendant la Terreur, ont déjà été rendues au culte, vers novembre 1795. Il faut noter qu’il y aura des endroits plus protégés, où, même dans la période très dure qui va suivre les deux ou trois années d’accalmie religieuse, le clergé insermenté pourra pra- tiquement narguer la persécution. Même la défense de sonner les cloches peut y être en- freinte. C’est ce que note le député Camille Jordan, dans son rapport du 29 prairial An V (17 juin 1797). Il propose de laisser libre cette sonnerie, ce qui lui vaudra le surnom de Jordan- carillon.

4. – La guerre continue.

Mais quel que soit le gouvernement, il est bien obligé de continuer la guerre. Suite à la loi des 2 /3, une réaction royaliste s’amorce avec le tiers rénové, mais n’arrive quand même pas à introduire une majorité décidée à pactiser avec la coalition.

134 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VI. LE DIRECTOIRE AU DEBUT DE 1797

1. – Au plan national

L’année 1797 est aussi favorable à Bonaparte que l’a été la précédente. Jusqu’en fructidor (septembre 1797), le gouvernement central laisse continuer le glis- sement à droite (royaliste et religieux) quoique ses relations avec le Saint-Siège soient de plus en plus mauvaises. Les négociations d’armistice ont repris à Florence en septembre 1796. Bonaparte, vainqueur à Mantoue d’une coalition qui a relevé la tête impose la paix de Tolentino, le 19 février 1797. D’une part, il sauve Rome et affirme même :« Mon soin parti- culier sera de ne point souffrir qu’on apporte aucun changement à la religion de nos pères » ; mais, d’autre part, l’Etat romain, d’Avignon et de ses plus riches provinces (Légations et Marches jusqu’à Ancône), doit payer une très lourde contribution en argent et en œuvres d’art. Pour le Directoire, Bonaparte a son explication : « Cette vieille machine (le Saint- Siège) se détraquera toute seule ». Mais les Directeurs ne sont guère satisfaits, eux qui avaient demandé l’invasion de Rome « pour faire chanceler le flambeau du fanatisme, briser le trône de la sottise et planter sur sa capitale l’étendard de la liberté ». Le Directoire avait même pensé imposer au Pape d’ordonner « des prières publiques pour la prospérité et les succès de la République française ». Une manière de l’humilier. Ce chantage à la prière officielle va d’ailleurs revenir bien des fois dans les changements de gouvernements du demi-siècle qui suivra, mais jamais cela ne partira d’une intention aussi ir- révérencieuse. Les sentiments de Bonaparte sont un peu moins pervers, mais ils varient selon les in- terlocuteurs et aussi suivant les circonstances, car la politique de Pie VI est plus d’une fois assez peu judicieuse. Bonaparte peut donc dire à un intime :« La folie du Pape est sans égale », et écrire à Cacault, chargé des affaires du gouvernement français auprès du Saint Siège :« J’ambitionne plus le titre de sauveur que de destructeur du Saint-Siège ». Avant Tolentino, il a pensé exiger du Pape une Bulle invitant les catholiques à la sou- mission à leur gouvernement. Il y a renoncé, car Grégoire, chef du clergé constitutionnel, al- lait alors demander que le Pape annule tous ses écrits relatifs à la France depuis 1789, ce qui introduisait une casuistique interminable. La correspondance de Bonaparte, à cette date, montre qu’il pense faire avec Rome une entente qui sera un peu celle du futur Concordat, mais, en attendant, en cette fin d’année 1797, il a d’abord décidé qu’il allait sauver la Révolu- tion : le coup d’Etat de fructidor.

2. – Situation dans la Loire.

a) Tendances royalistes.

La situation du département pourra nous aider à mieux comprendre le malaise qui flotte sur Marlhes, en cette année 1797.

135 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 23 ventôse, An V (11 mars 1797), ont eu lieu à St. Etienne, des bagarres entre muscadins et républicains : quatre morts. On se préparait ainsi aux élections du 22 mars qui allaient être nettement favorables aux royalistes. Ceux-ci déjà très hardis dans la période qui avait précédé, ne laissaient pas envisager aux Républicains une coexistence bien pacifique, une fois qu’ils auraient le pouvoir. Que beaucoup de prêtres insermentés aient pris fait et cause pour les royalistes, à ce moment-là, c’est probable ; car plutôt que douceur évangéli- que, on pensait croisade. Mais comment voir clair, comment agir sans passion dans de pa- reilles circonstances ? Même ceux qui allaient subir de la façon la plus évangélique deux nouvelles années de persécution pouvaient fort bien ne pas être des agneaux avant ce mo- ment et aspirer, comme le Saint Pierre d’avant Pâques, à un messianisme un peu plus armé. En tout cas, les royalistes de la région avaient, en la personne du Général Precy, le chef des fédéralistes Lyonnais de 1793, un homme de guerre habile et décidé. La nouvelle municipalité installée à St. Etienne, le 26 mars 1797, avec Antoine Neyron à sa tête, était modérée et prononçait, pour la forme, le serment de haine à la royauté et à la monarchie. Il est assez curieux d’ailleurs de voir que Claude Fauriel, pourtant ardent républicain, et qui était alors hors du département, ait écrit à un ami combien ces élections lui paraissaient satisfaisantes. Sans doute, jugeait-il les hommes plus que leur parti et les voyait-il plus ca- pables de calmer les esprits que n’auraient fait leurs adversaires. Après les municipales, venaient les législatives, le 9 avril 1797. Elles envoyaient à l’Assemblée deux royalistes : Antoine Courbon, dit St. Genest, et Pierre Imbert. La réaction de la Loire était donc à cet égard une des plus nettes de l’ensemble de la France. A l’Assemblée des Cinq-Cents, la majorité royaliste élisait comme président Pichegru qui, plus tard, en 1804, participerait au complot royaliste contre Bonaparte. Les royalistes étaient désormais assurés de la majorité aux deux chambres, mais ils voulaient procéder prudemment. C’est peu à peu qu’ils suppriment les lois révolutionnaires. Par exemple, le 27 août 1797, celles qui punissaient les prêtres insoumis et les assimilaient aux émigrés. Juillet et août 1797 sont deux mois où majorité et minorité se toisent et se demandent qui va tirer le premier.

b) Tendances religieuses.

Pendant cette période de réaction royaliste qui a suivi les élections d’avril, le clergé diocésain de Lyon a dû croire, en tout cas, que l’œuvre anti-catholique de la Révolution était terminée. Pour l’ensemble de la France, plus de 30.000 communes avaient repris l’exercice public du culte. Les deux clergés, sans arriver à une mutuelle compréhension, font des pas vers une meilleure entente. Un concile national de l’Eglise constitutionnelle publie des lettres au Pape et au clergé insermenté, puis nomme un titulaire au siège épiscopal de Lyon : Claude-Marie Primat qui, après le Concordat, sera un évêque de l’Eglise enfin réunie. Et pourtant, on doit bien sentir que la bataille n’est pas gagnée. Marlhes n’est pas seul endroit à avoir un registre de délibérations muet pendant la période qui précède fructidor 1797. A St. Etienne, c’est presque la même chose. On peut y voir de sourdes conspirations, ou plus simplement une volonté d’apaisement de la part d’une municipalité assez sûre d’elle- même. Il est donc légitime de supposer que les mois d’été 1797 ont été des mois paisibles chez Champagnat, toute la maisonnée se réjouissant de cette paix. Même si Jean-Baptiste était partagé entre une satisfaction de calme retrouvé et le désir que la Révolution ne fasse pas marche arrière. Marcellin avait alors 8 ans. Impossible de relier quoi qu’on sache de lui avec cet été de calme, précurseur d’orage. Comme tout le monde il se réjouissait sans doute des glorieuses victoires du général Bonaparte.

136 Les années obscures de Marcellin Champagnat c) Tribulations à la mairie de Marlhes.

A la mairie de Marlhes, la situation se ressent de la guerre. Les 98 départements français, car la France en a créé dans les pays conquis, doivent trouver 240 millions de francs, la Loire 2.453.000 et Marlhes 30.549 ; ceci avant le 20 ther- midor. Les protestations contre un impôt trop lourd, mal calculé, continuent les jours suivants et, sans doute, le département a-t-il accueilli les déclarations faites, car le 26 fructidor (12 septembre 1797) on trouvera l’indication de nouvelles sommes nettement inférieures : 13.500 fr. dont 10.300 pour Marlhes et 3.228 pour Jonzieux. Cette somme semble avoir été remise le jour même, probablement « avancée » par quelqu’un, mais on nomme un « jury d’équité » pour répartir les versements que chaque contribuable devra faire. Ce jury sera composé de 5 personnes : deux des plus imposés, deux imposés moyens et un imposé faible.

d) Et l’on retrouve Champagnat.

Le 12 thermidor An V (30 juillet 1797), on voit reparaître, après 3 ans d’absence des registres, J.B. Champagnat dans une délibération. C’est à titre d’expert pour apprécier les dommages causés par la gelée au printemps et par la grêle au mois de juillet. Il semble, en effet, que ce soit catastrophique : les propriétai- res ne peuvent payer leurs impôts, ni les fermiers leur loyer. On a donc recours à une équipe dans laquelle il y a aussi Barthélemy Chirat, de Mal- coignières.

137 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VII. LE DIRECTOIRE ET LE COUP D’ETAT DE FRUCTIDOR

1. – Avant le coup d’Etat.

a) Signes de modération et de paix.

Bonaparte, en Italie, a donné d’immenses espoirs. Après les préliminaires de Leoben (avril 1797), il signe avec l’Autriche la paix de Campo-Formio (19 septembre1797) Hoche, qui va mourir ce même mois de septembre 1797, a presque pacifié la Vendée. N’est-ce pas le moment de chercher vraiment la paix avec toute l’Europe ? De toute façon, la guerre sur terre est provisoirement arrêtée. Seule, l’Angleterre continue sur mer, mais Pitt entame des pourparlers à Lille et se montre disposé à reconnaître les conquêtes de la Révo- lution française, en Belgique, en Allemagne, en Hollande et en Italie. Le Conseil des Cinq- Cents et celui des Anciens ont une majorité modérée. Il y a donc un moment où une paix intérieure et extérieure totale semble proche. Et elle est très désirée, car enfin, rares sont les familles qui désirent voir s’éterniser cette mobilisa- tion qui fait bien des victimes parmi les jeunes et met dans une situation dangereusement in- stable les prêtres réfractaires.

b) Signes ambivalents.

Par ailleurs, l’année 1797 a commencé sous le signe de la réaction royaliste qui conti- nue, et, le 12 mars, par exemple, un volontaire nommé Neyret est assassiné à St. Etienne, pour avoir affirmé qu’il était républicain. Le 27 juillet (9 thermidor) on célèbre par une fête civique l’anniversaire de la mort de Robespierre. Entre républicains et royalistes, il y a ce point très commode et très faux de se proclamer anti-robespierriste. Tout le monde est censé s’opposer à un retour de la terreur. Et c’est alors qu’elle va revenir.

2. – Coup d’Etat du 18 fructidor (4 septembre 1797).

Les militaires, en effet, c'est-à-dire les officiers que la Révolution avait créés de toutes pièces, se méfiaient de la paix. Ils comptaient sur leurs soldats et, à l’intérieur, sur tout ce qui était jacobin et « patriote ». Bonaparte, bon stratège et bon psychologue, décide de prendre l’affaire en main et envoie à Paris Augereau avec un détachement, pour envahir la salle du Conseil et arrêter les députés qui protesteraient. C’est le coup d’Etat du 18 fructidor (4 sep- tembre 1797) dont Augereau dira qu’il l’a réussi « comme un ballet d’opéra ». Le Directoire choisit la guerre et la lutte va reprendre contre l’ennemi du dehors et celui supposé du dedans. Pendant deux ans, il faudra vivre une nouvelle Terreur. Or, c’est à ce moment que, à la mairie de Marlhes, J.B. Champagnat reparaît en scène. Bonaparte qui a téléguidé le coup d’Etat du 18 fructidor semble se désintéresser de la suite. A-t-il déjà changé de camp en son âme et conscience ? Juge-t-il que la France n’est pas mûre et qu’il faut laisser la gauche s’embourber dans un marécage de répressions qui feront aspirer à un ordre dont il se chargera plus tard ? Ou tout simplement cède-t-il à un rêve un peu fou ? Toujours est-il qu’il se lance dans l’expédition d’Egypte avec, peut-être l’idée de réussir ce que n’avait pas réussi Alexandre le Grand : conquérir l’Inde. Mais l’idée est d’abord d’ébranler l’Empire anglais.

138 Les années obscures de Marcellin Champagnat Quoi qu’il en soit, son projet est accepté par le Directoire, assez content de se débar- rasser de ce général ambitieux. Le départ de son armée aura lieu en mai 1798, mais le 1ier août, la flotte française sera détruite, à Aboukir rendant l’expédition de Bonaparte inutile malgré les succès qu’elle remporte l’année suivante sur les Turcs, à ce même Aboukir.

3. – L’Après fructidor.

a) En France.

Les lendemains de fructidor marquent un vrai retour à 1793. Dès le 19, les élections du printemps sont annulées, 53 députés sont déportés, parmi lesquels deux des présidents des Assemblées : Barbé-Marbois et Pichegru, et deux directeurs : Barthélemy et Carnot, ce der- nier réussissant à s’échapper. La loi du 19 fructidor An V rétablit les lois tombées en désué- tude et les aggrave. Emigrés et prêtres ne pourront pas se contenter d’être soumissionnai- res, mais devront faire le serment de « haine à la royauté et à l’anarchie ». Cette fois, Monsieur Emery hésite sur la licéité du serment, mais des évêques non émigrés estiment qu’on peut le prêter – ce que vont faire un certain nombre de prêtres que d’autres appelleront par dérision les « haineux ». Ces nouveaux assermentés représentent environ de 1/3 des soumissionnaires de 1795, et le 1/5 de l’ensemble des réfractaires, donc une proportion assez considérable, quand on pense que tous les évêques de l’émigration ont été farouchement opposés à ce serment198. Contre les autres, vont débuter deux ans d’une persécution qui enverra à Cayenne, aux îles de Ré ou d’Oléron, ou sur les pontons de Rochefort199 quelque 2.135 prêtres. Ce chiffre représente à peu près le 1/10ième de ceux qui auraient pu tomber sous le coup de la loi, mais qui ont été protégés par leurs fidèles.

b) Dans la Loire.

Dans la Loire, un des représentants, Gaspard Praire Montaut, « un homme industrieux qui dirige depuis longtemps à St. Chamond une manufacture extrêmement utile » est con- damné à la déportation en Guyane. Imbert et Antoine Courbon-St.-Genest perdent leur siège aux Cinq-Cents. L’administration du département et toutes les municipalités de tous les cantons sont révo- quées. Le 5 novembre 1797, la municipalité de St. Etienne est changée. Ses nouveaux membres essaient de calmer les esprits, interdisent les « dénominations de royalistes, chouan, muscadin, mathevon, terroriste et autres semblables », ce qui pourrait traduire une volonté de conciliation, mais ils indiquent leur virage républicain en invitant les citoyens à élaguer de leurs habillements tous les objets qui paraissent être le ralliement au royalisme. Le 8 décembre 1797, ils précisent encore mieux leur orientation en faisant occuper mi- litairement la ville de St. Etienne pour procéder à l’arrestation des « prêtres réfractaires, émi- grés, déserteurs, réquisitionnaires et égorgeurs royaux » (Tous termes que nous retrouve- rons largement à Marlhes).. Ces mesures aboutissent seulement à l’arrestation de deux suspects. L’un des deux d’ailleurs doit être remis en liberté.

198 : Voici comment un prêtre explique à son évêque ce qui a motivé sa décision :« J’ai dit : Comme homme, comme chrétien, et surtout comme ecclésiastique, je dois haïr ce qui occasionnerait la plus grande effusion de sang humain. Or, le rétablissement de la royauté, dans le moment actuel, occa- sionnerait la perte de plusieurs milliers d’hommes ; je me dois de haïr tout ce qui pourrait y contri- buer ». 199 : Ces pontons étaient de mauvais bateaux qui, compte tenu de la surveillance de la marine an- glaise ont dû rester dans le port de Rochefort et devenir une prison aussi malsaine que la Guyane. (il en est question dans la note 137 de la page 73)

139 Les années obscures de Marcellin Champagnat L’agitation continue en 1798, permettant à l’administration de réagir contre les « fu- reurs barbares des égorgeurs royaux et des prêtres réfractaires ». Tout devient suspect : pas question de se travestir pour le mardi-gras ; et, à partir de 8 heures du soir, si l’on sort dans la rue, sans porter une lanterne, on est passible d’arrestation. Le 28 mars 1798, St. Etienne est déclaré en état de siège, afin d’arrêter le plus possi- ble de suspects. Le port de la cocarde, signe républicain, est de nouveau obligatoire. En janvier 1799, la municipalité est réorganisée, mais sa tendance républicaine n’est pas modifiée. Le 21 janvier, on célèbre (pour la dernière fois) « l’anniversaire de la juste pu- nition du dernier roi des Français ». A partir de mars, il est établi que tout citoyen depuis l’âge de 15 ans devra porter une « carte de sûreté », faute de laquelle, il sera immédiatement arrêté – disposition qui rend en- core plus précaire la situation des réfractaires. En avril 1799, les Assemblées primaires votent le renouvellement de la nouvelle muni- cipalité.

c) A Marlhes.

1 - La municipalité Champagnat.

C’est dans ce contexte qu’en nivôse An VI (décembre 1797), la municipalité de Marl- hes est changée et que Champagnat devient le citoyen N° 1 du canton. Entre le coup d’Etat de fructidor (18 septembre 1797) et le 11 février 1798, aucune ré- union du Conseil municipal de Marlhes n’a été consignée. Il est assez évident que la nou- velle tendance mettait ses hommes en place et interdisait toute activité politique aux munici- palités sortantes qui devaient sans doute se contenter d’expédier les affaires courantes. Le 11 février 1798 s’ouvre sur une déclaration de J.B. Champagnat, ornée de son im- mense signature qui tient plus de la moitié de la largeur de la page. Les termes sont curieux. « Je, soussigné, J.B. Champagnat du Rosey, ayant été nommé par arrêté du district, en date du 9 nivôse de l’an V (29 décembre 1797), président de l’administration du canton de Marlhes quoique je n’eusse pas dû être appelé à cette place, mes connaissances étant trop confuses pour en remplir les fonctions, cependant empressé d’obéir au gouvernement, j’accepte la dite charge et jure haine à la royauté et à l’anarchie et d’être fidèle à la Constitu- tion de l’An III. Fait ce 23 nivôse An VI (12 janvier 1798) » Il est donc nommé depuis le 29 décembre 1797 à cette première place de son canton. S’il a tant hésité, c’est qu’il sait maintenant ce que veut dire Révolution. Il sait ce que cela a coûté à son cousin de se lancer à fond dans l’aventure révolutionnaire. Lui-même, sans doute, malgré la modération dont il a fait preuve aux jours les plus dures de 1792,1793,1794, a sûrement fait l’objet depuis trois ans, de quelques menaces ou moqueries quand la réac- tion royaliste était plus marquée. Et puis, finalement, on a eu besoin du Jacobin qu’il était pour sauver le moins mal pos- sible la situation. Un chercheur anonyme qui a étudié naguère quelques documents officiels ou privés, sans citer assez clairement ses sources, précise que J.B. Champagnat a réfléchi 15 jours avant d’accepter cette charge de président de l’administration municipale. On le comprend facilement. On est loin des jours de 1791 avec toute leur ferveur démocratique. Il n’est plus ques- tion d’élection maintenant. On est nommé par arrêté du « Directoire exécutif ». Avec Champagnat, ont été nommés Jean Servanton, agent municipal et Jean Barra- lon, adjoint. De l’ancienne administration, il reste au moins Duplay.

140 Les années obscures de Marcellin Champagnat Tous doivent jurer haine à la royauté et à l’anarchie, et, en outre, d’être fidèles à la Constitution de l’An III. Après tout, ce serment n’est pas si terrible que cela, car la royauté (les futurs Louis XVIII et Charles X) est en exil, et les violences dont ont fait preuve leurs sectateurs pendant les trois dernières années, ne portent guère un Jacobin à vouloir s’apitoyer sur eux. Quant à la Constitution de l’An III, c’est celle qui a suivi la mort de Robes- pierre : elle est plutôt un compromis auquel ont pu se rallier des gens pacifiques et même des prêtres.

2 - Le commissaire Trilland.

J.B. Champagnat a donc fait son option et tout de suite, il va être affronté aux mêmes difficultés qu’avant la Terreur. Lui, le modéré, il va devoir louvoyer sous l’œil, non plus de Ja- vogues et de J.P. Ducros, mais de Victor Trilland, géomètre de St. Sauveur, nommé Com- missaire200 depuis le 17 nivôse (6 janvier 1798). Donc à peu près à la même date que Champagnat.

200 :Constitution du 5 fructidor An III (22 août 1795), Titre 7, art.191 :« le Directoire exécutif nomme auprès de chaque administration départementale et municipale un commissaire qu’il révoque lorsqu’il le juge convenable. Le Commissaire surveille et requiert l’exécution des lois ».

141 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VIII. LE PROBLEME DE L’ADMINISTRATION CHAMPAGNAT.

Voici donc les principaux problèmes qui se présentent à la municipalité.

1. – La chasse aux suspects.

La chasse aux suspects va certainement être une des premières activités, non pas tel- lement de la municipalité qui est très réservée à cet égard, mais du Commissaire Trilland qui, sans doute, veut de l’avancement. Cela commence dès le 11 ventôse An VI (1ier mars 1798) et concerne les « jeunes gens de la réquisition » et les « prêtres réfractaires ». Ces derniers, en effet, ont dû choisir entre se cacher ou fuir à l’étranger. Trilland , faisant partie du canton de Bourg-Argental, a recours à la gendarmerie de ce canton, plutôt qu’à la gendarmerie locale. L’administration de Marlhes se déclare désireuse de faire tout ce qui est exigé, mais « il n’y a pas longtemps, disent Champagnat et ses collègues, qu’ils sont en place », et puis vraiment, après recherches, on ne trouve ni réquisitionnaires, ni prêtre réfractaires.201. On ne trouve pas non plus, le 15 ventôse An VI (5 mars ), dans les archives de la mu- nicipalité, le tableau des prêtres réfractaires que réclame Trilland. On cherchera. Il faut aussi faire la liste de ceux qui ont droit de vote, dans les communes où des « égorgements ont eu lieu lors de la réaction royaliste ». mais Champagnat peut affirmer que, dans son canton, il n’y a pas eu d’égorgement. Il est vrai, en effet, que l’assassinat de son cousin, J .P. Ducros a eu lieu à St. Etienne et que ce ne sont pas des gens de Marlhes ou de Jonzieux qui étaient impliqués. Le 13 germinal An VI (2 avril 1798), Trilland réclame son « Etat des émigrés et des prêtres réfractaires, leurs noms, leurs surnoms, qualités et demeures ». et cela « séance te- nante de ce jour ». Et séance tenante, Champagnat et Duplay s’exécutent. ils ont trouvé la dite liste. Est- ce une liste réelle ou un état néant ? Nous ne savons pas mais Trilland reconnaît avoir reçu la liste. Le 14 floréal An VI (3 mai 1798), Trilland requiert du capitaine de gendarmerie de St. Sauveur, dix soldats et 4 gendarmes de Bourg-Argental pour venir faire à Marlhes des per- quisitions. Et le citoyen Hérault se présente avec 10 militaires et 3 gendarmes, prêt à agir « dans les maisons qui seront indiquées et assignées ». L’administration (responsable : Champagnat) fait donc accompagner le détachement dans les « maisons qu’elle soupçonne s’y retirer les personnes suspectes ». Mais le citoyen Hérault revient bredouille. Il n’a trouvé « personne qui lui eût paru être dans le cas de l’arrestation ». Champagnat, Trilland et Hérault signent ce constat. En tout cas, on va faire un dénombrement de la population (et aussi des bestiaux de toutes espèces). Le dénombrement de la population sera un moyen de voir clair pour le re- crutement des nouvelles classes. On désigne donc des commissaires pour ce dénombre- ment et leur travail doit être terminé « dans les trois jours ». De nouveau, le 24 prairial An VI (12 juin 1798), Trilland réclame sa liste très circons- tanciée « des déserteurs, réquisitionnaires, prêtres réfractaires, émigrés ».

201 :Champagnat rédige le 2 mars une lettre au Directoire de St. Etienne assurant que l’esprit moral et politique du canton est bon, qu’on n’y connaît personne de rebelle aux lois, qu’on va de suite donner les ordres les plus précis à la gendarmerie de Bourg-Argental (A.D.L., Liasse, L. 110)

142 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il faut aussi lui donner une appréciation sur la « moralité politique de ce canton, car le recouvrement des impositions ne s’y active pas ; quels en sont les motifs ? » « L’administration, séance tenante, nous en rendra compte ». Et cette fois, il veut aller prospecter lui-même, escorté de la gendarmerie de Bourg- Argental. Champagnat, de nouveau, doit s’exécuter et faire son compte-rendu : « On n’a pas connaissance qu’il y ait des prêtres réfractaires ou des émigrés ; la moralité politique est as- sez bonne ». Le 27 messidor An VI (15 juillet 1798), Trilland remet à la municipalité un arrêté du dé- partement plein de rappels et de menaces. Il est prévu que, pendant un mois, il peut y avoir des visites domiciliaires, à l’effet d’arrêter « les émigrés rentrés, les agents de l’Angleterre, les prêtres déportés rentrés ou ceux soumis à la déportation, les chefs de chouans ou de brigands qui n’ont pas déposé les armes ou les ont reprises après la pacification, et les égorgeurs ». On voit là les procédés auxquels les régimes totalitaires nous ont maintenant habitués : les prêtres réfractaires sont mis dans le même sac que tous les indésirables. Toujours aussi il y a la même demande de dresser une liste de suspects avec les mêmes insistances : sur le champ, avec procès-verbal séparé de chaque arrestation, des détails de toutes les mesu- res prises, copie du procès-verbal à adresser de suite à l’administration centrale, sans au- cun retard, en gardant le secret inviolable sur les mesures prises : les fonctionnaires qui au- raient la lâcheté de le révéler devant être dénoncés sans délai, Et il faudra transcrire de suite sur les registres le présent arrêté. Peut-être Champagnat commence-t-il à connaître cet énervé de Trilland. Puisqu’il faut faire quelque chose tout de suite (l’administration municipale ne pourra se séparer qu’après que l’ordre aura reçu son entière exécution) on le fera. On écrira à la gendarmerie de Bourg- Argental de se rendre à Marlhes, pour faire les perquisitions. Suit une phrase, mal construite, qui pourrait traduire l’agacement de Champagnat :« Et comme depuis longtemps, il n’a pas paru dans le canton de prêtres, l’administration ne connaissant point de maison suspecte, n’y ayant pas eu d’égorgement... La gendarmerie sera accompagnée de l’agent principal de la Commune de Marlhes » (A Jonzieux, tous ont refusé). Il est aussi arrêté que procès-verbal sera dressé des arrestations, même si aucune n’est faite. On serait presque porté à traduire : « les ordres imbéciles seront exécutés ; les gens de Jonzieux, eux, ont compris !... » Le brigadier vient faire son rapport après un jour et une nuit de perquisitions. Il n’est pas dit positivement qu’il n’a rien trouvé, mais c’est bien ce qu’il semble. Le 27 thermidor An VI (14 août 1798) il y a un motif plus sérieux de mobiliser « 14 vo- lontaires, plus deux personnes de Bourg-Argental », car St. Etienne est en état de siège, comme nous l’avons vu plus haut. Evidemment, pour ce nouveau cas, la même litanie recommence des suspects à pour- suivre. Terra, agent municipal, est chargé d’accompagner les gendarmes dans la nouvelle perquisition. Le 28, ils ont quand même mis la main sur «deux paraissant de la réquisition et un comme déserteur », mais en réalité le premier n’est pas de la réquisition, parce que trop jeune, l’autre a un congé en bonne forme après six ans de guerre et le 3ième est estropié. Trilland est donc amené à reconnaître que leurs raisons sont bonnes. Le 9 fructidor An VI (26 août 1798), il continue de réclamer « dans un délai de trois jours sa liste désignative et circonstanciée ». Le 16 fructidor An VI (12 septembre 1798), il constate que le délai est expiré et il rend responsable la municipalité de tous les malheurs qu’elle a encourus par sa négligence. En conséquence, il lui déclare qu’elle est « sous le glaive de la loi et de l’arrêté du Directoire exécutif ».

143 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il faut croire que, cette fois, le glaive de la loi a dû faire peur à Champagnat auquel Tril- land pouvait dire :« Ce n’est pas admissible de me donner une liste néant, alors que tout le monde sait qu’Allirot et Laurens sont des prêtres réfractaires qui se cachent dans la com- mune de Marlhes et que Peyrard en fait autant dans la commune de Jonzieux ». Ce texte a dû être rédigé après la menace du 16 fructidor, mais daté quand même du 9, premier des trois jours de délai au-delà desquels il y avait danger d’être reconnu coupable de négligence. Quelques jours après, le 30 fructidor (16 septembre 1798), s’éteignait Jeanne Cham- pagnat, tante de Jean-Baptiste. C’est Marguerite Frappa qui vient faire la déclaration à la mairie. Or, Marguerite Frappa était Sœur de St. Joseph en 1791, lors d’une vente qu’avait faite la communauté qui, à ce moment-là comprenait cinq religieuses. Sont-elles encore le même nombre en 1798 ? En tout cas, il est dit positivement que Marguerite Frappa et Jeanne Champagnat vivent dans le même domicile, exerçant toutes deux le métier de rubanière202. Le 12 vendémiaire An VII (3 octobre 1798), Trilland fait faire une nouvelle perquisition qui ne donne aucun résultat. Il s’agissait d’un « attroupement de brigands ». vrai ou suppo- sé ! La guerre continue aussi et, de nouveau, il faut recruter et par la conscription obliga- toire et par le volontariat. Le loi du 19 fructidor An VI (5 septembre 1798), sur l’organisation de l’armée de terre vient d’être complétée par celle du 3 vendémiaire An VII (25 septembre 1798) qui met 200.000 conscrits en activité de service et on offre des avantages à ceux qui n’attendraient pas d’être réquisitionnés :« au son de la caisse, il sera ouvert un registre où seront portés les conscrits volontaires203 ». Mais le 20 vendémiaire An VII (11 octobre 1798), les administrateurs de la municipalité sont forcés de voir que personne ne s’est présenté, ni de Marlhes, ni de Jonzieux. Il faut donc faire une nouvelle proclamation « avec invitation aux conscrits de se rendre de suite pour se faire inscrire »... De plus, « les agents et adjoints des deux communes parcourront chacun dans la sienne, les maisons où ils croiront y avoir des conscrits, les inviteront ainsi que les pères et mères et les maîtres et maîtresses qui en ont, à donner tous les renseigne- ments possibles, soit sur l’âge ou la taille avec déclaration qui leur sera faite qu’il sera pro- cédé au tableau de leur absence conformément à la loi, sur leur refus de se présenter et donner tous les renseignements nécessaires204 ». Le 27 vendémiaire (18 octobre 1798), ils doivent hélas ! constater que pères et mères, maîtres et maîtresses n’ont rien voulu dire et qu’il faudra faire le tableau uniquement avec les « registres » de l’état civil et autres, car le département exige que ce tableau lui soit envoyé sans délai. Il est bien évident que, quand on est président de la municipalité, il faut dans un tel cas gémir tout haut sur l’absence de sens patriotique de ces jeunes qui sont atteints du virus de l’objection de conscience deux siècles avant nous ! Mais allez voir ce que pense, dans le fond, J.B. Champagnat, qui a quand même son fils Barthélemy âgé de 21 ans (né le 12 mars 1777) !

202 : C’est effectivement une indication fréquente pour bien des religieuses. Le travail de confection des rubans permettait à la fois une vie de prière très simple du genre oraisons jaculatoires, et en même temps était un petit gagne-pain. Louise Champagnat, sœur de Jean-Baptiste, et aussi reli- gieuse de St. Joseph, qui meurt en 1824, est également, nous l’avons vu, déclarée rubanière. 203 : La loi sur le service militaire établissait la « conscription », c'est-à-dire l’obligation de faire, chaque année, la liste des jeunes gens atteignant l’âge de 20 ans. Le temps de service est de 5 ans. Cepen- dant, tous ne sont pas nécessairement appelés. Il y a tirage au sort pour aboutir au nombre fixé pour chaque canton. 204 : La levée en masse de Carnot du 23 août 1793 prévoyait la réquisition spécialement des célibatai- res ou veufs sans enfants de 18 à 25 ans ; la loi Jourdan, du 19 fructidor An VI (5 septembre 1798) prévoit la conscription de tous les Français de 20 à 25 ans. (Lavisse, Histoire de la France contempo- raine, II, 155)

144 Les années obscures de Marcellin Champagnat Au 18 brumaire An VII (18 novembre 1798), Trilland revient plus menaçant que ja- mais :« Ceux de parmi vous - il s’adresse par écrit à toute la population - qui auront donné et donneront asile aux réquisitionnaires de 18 à 25 ans, (c'est-à-dire ceux qui à l’époque du 23 août avaient atteint 18 ans) seront dénoncés et rigoureusement poursuivis à ma dili- gence ». « Ceux qui donnent asile aux conscrits de 20 à 21 ans seront également dénoncés et poursuivis, et vous, pères et mères, qui, par l’instigation des prêtres réfractaires et des en- nemis de notre gouvernement, retenez vos enfants chez vous, exhortez-les à ce qu’ils volent à la défense de la patrie. Quelle gloire pour eux et pour vous, s’ils ont participé à la paix, combien vous serez heureux ! » L’orateur reprend son souffle pour fulminer des menaces qui, on le sait, risquent d’être tout à fait réelles, un moment ou l’autre. Donc, « ces fautifs seront déportés dans des pays sauvages, dans l’Afrique et, en conséquence, je vais requérir la force armée pour les arrêter. C’est bien douloureux d’en venir à de pareilles extrémités, mais il faut absolument que je remplisse mon devoir. Je vous assure que les receleurs de ces prêtres réfractaires vont être rigoureusement poursuivis. J’annonce encore aux citoyens, dans les propriétés desquels il existe des croix et autres signes de religion, que le détachement qui est sur le point d’arriver se transportera à leurs frais et dépens pour les abattre et seront poursuivis comme rebel- les ». « Si la force armée vous fatigue, c’est certainement vous qui le voulez : vous vous êtes laissés séduire par ces infâmes prêtres qui vous ont corrompus. Que ces corrupteurs vous ti- rent donc du fossé dans lequel ils vous ont jetés, mais leur puissance n’est rien moins que le crime ». « Si jusqu’ici, j’ai usé de commisération envers vous dont je suis blâmable auprès du gouvernement, c’est que j’attendais de vous que vous reviendriez de cette grande erreur. Quelle grande satisfaction pour moi et pour vous, mais.... vos opiniâtretés nous causent de grandes inquiétudes, beaucoup d’embarras ». « Aujourd’hui, citoyens, vous pouvez compter que je vais me mettre en devoir de vous poursuivre avec la plus grande rigueur et, à cet effet, je requiers la force armée ». « Oh ! récalcitrants, c’est bien vous qui la voulez cette force armée ; il faut donc con- sentir à vos désirs, vos sinistres desseins se dévoilent. Le gouvernement actuel vous déplaît, sans doute, puisque vous l’abhorrez. Ces infâmes prêtres ont voilé vos yeux et ont imprimé dans vos cœurs la haine de ces gouvernements sous lesquels les Français sont très heu- reux. ». Ce discours assez bête et méchant devait quand même bien terroriser, car on savait ce qu’avait été la Terreur sous Javogues, et là, on avait un personnage de même acabit. Le rôle de Champagnat n’était certainement pas facile, car il n’y avait certainement pas moyen de s’en tirer sans faire tout le zèle possible pour ... sauver les apparences. Le 12 ventôse An VII (2 mars 1799), Trilland signe encore avec Champagnat un do- cument qui constate l’inexistence, à Marlhes, de ces ennemis qui ont nom : agents de l’Angleterre, émigrés, etc. ... Il est fait allusion à un attroupement le 21 nivôse (sans doute de nature contre-révolutionnaire) à St. Sauveur, mais là non plus, personne de Marlhes. Ce- pendant le rédacteur se déclare prêt à refaire des « perquisitions », s’il y avait le moindre « individu suspect ». Le 23 germinal An VII (12 avril 1799), voilà Trilland qui réclame de nouveau sa liste « de conscrits et de réquisitionnaires, séance tenante, avec tous les détails déjà vus plus haut. L’administration municipale est responsable du moindre retard ; duquel retard, il sera donné sur le champ extrait au commissaire ». L’administration note simplement qu’elle s’en occupera dans le plus bref délai. La délibération du 8 floréal An VII (27 avril 1799), nous apprend que le canton de Marl- hes doit fournir 23 hommes (Marlhes 18, Jonzieux 5). L’administration restera en perma- nence assemblée jusqu’à ce qu’elle aura atteint ce chiffre. Mais c’est inutile ; aucun ne se présente.

145 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le 23 floréal (12 mai 1799), on rappellera encore que la liste des conscrits qui ne sont pas partis à l’armée est affichée dans le Temple décadaire. On reprend ces résolutions car « toute négligence... compromettrait essentiellement les intérêts gouvernementaux », mais on ne sait plus trop quelle menace envisager. On en a trouvé cependant une nouvelle : placer des gardes nationaux chez les parents des conscrits et des réquisitionnaires dont l’administration connaîtra le domicile. Le 23 prairial An VII (11 juin 1799), Trilland se déclare « indigné qu’après plusieurs in- vitations et réquisitions faites à cette administration municipale, il n’y ait aucun succès pour le départ des conscrits réquisitionnés et déserteurs ». On a l’impression qu’il écume de rage et ne sait pas comment attaquer cette adminis- tration municipale de Marlhes dont il doit bien se demander si elle ne se moque pas de lui. « Cette administration s’occupera sous sa responsabilité individuelle et collective de la confection de la liste des conscrits et réquisitionnaires absents qu’ils lui transmettront dans le plus bref délai pour, par celui-ci, la transmettre au commissaire central ». C’est au total une bonne quinzaine d’interventions qu’aura faites Trilland, et, comme on l’a vu, pratiquement sans aucun résultat, au cours de ces deux années de fin de Révolution. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Champagnat a dû agir très habilement pour, à la fois, se maintenir lui-même et éviter des représailles aux autres. Il a dû cependant y avoir quelques cas de conscriptions plus ou moins volontaires, car le 11 pluviôse An VII (30 janvier 1799), le registre des délibérations porte un cas de réforme d’un conscrit : « Mathieu Crouzet qui doit être renvoyé dans ses foyers, parce qu’il a la vue basse » (myopie). C’est une commission de santé qui fait cette déclaration.

2. – Plantation de l’arbre de la Liberté.

Le 19 ventôse An VI (9 mars 1798), Trilland a exigé la plantation d’un arbre de la liber- té « dans les quinze jours » (la loi est du 24 nivôse ou 13 janvier), tant à Marlhes qu’à Jon- zieux. Et tout de suite, le ton est agressif : « à défaut de quoi, le commissaire prendra des mesures contre la négligence de l’administration municipale ». On s’exécute donc en faisant remarquer qu’on n’a connu la loi que le 7 mars. Le 25 ventôse (15 mars), Champagnat peut dresser le constat de la plantation de l’arbre de la liberté, « aux trois couleurs » ; à côté du dit arbre en est un autre avec ses raci- nes, bois sycomore vivace ; le tout, aux cris de « Vive la République, de chants patriotiques avec le son de la caisse faisant retentir tout lieu dudit Marlhes ». Le procès-verbal de l’événement est dressé à 6 heures du soir, donc quand la foule commence à se retirer avec l’arrivée de la nuit ; Il est difficile de penser que Marcellin (presque 9 ans) n’a pas participé à des fêtes de ce genre où étaient son père et son oncle, et qui avaient au moins le gros avantage de ne faire de mal à personne, même si elles étaient à la gloire d’une Révolution que l’on savait capable de persécuter des gens que l’on aimait et estimait. On ne pouvait pas oublier, en ef- fet, que le curé de St. Sauveur, Antoine Robert, avait été guillotiné en 1794, et que mainte- nant la Révolution reprenait ce chemin sanglant.

146 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Culte et fêtes décadaires.

a) Au plan national.

Depuis 1796, Larevellière essayait vainement d’implanter le culte de la Théophilan- thropie. On espérait surtout dans le succès du culte décadaire, mais les pressions gouver- nementales pour l’imposer allaient amener de nouveau la réaction courageuse de l’Eglise constitutionnelle dont la hiérarchie au moins se montrait unanime à le refuser. Le Directoire va essayer de rendre ce culte plus attrayant en plaçant aux jours de décadi des célébrations de noces, des récits patriotiques, des instructions sur l’agriculture, etc......

b) A Marlhes.

1 - Fêtes du décadi.

La plantation des arbres de la liberté est en tout cas le début d’une nouvelle campagne de déchristianisation avec la volonté de remplacer le culte chrétien par un culte civique comme en 1793-1794. On va donc avoir une série de célébrations du décadi et des fêtes de la République. Pendant la Terreur, on voyait un peu que ce culte avait eu lieu à Marlhes, mais enfin assez faiblement, tandis que sous cette seconde Terreur (1797-1799) il sera plus marqué ; ce qui est quand même relatif car, dans une grande ville comme St. Etienne, à la fin de cette pé- riode, le 15 novembre 1799, le maire Bonnaud se plaindra à l’administration municipale de l’indifférence des Stéphanois à célébrer les fêtes des décadis.

2 - Fêtes diverses.

Voici une liste de quelques-unes des fêtes destinées à rehausser un peu le décadi205. - FETE DE LA JEUNESSE. – Elle marque l’arrivée du printemps 1798 (30 ventôse An VI = 20 mars. « De la place publique, les citoyens se dirigent en procession vers l’arbre de la Liberté, les vieillards marchant les premiers mais précédés de quatre jeunes. Il y des chants patrioti- ques, la lecture de proclamations émanant du Directoire de Paris et on termine par des dan- ses, le tout dans le meilleur ordre ». Ce petit détail n’est sans doute pas inutile, car, quand on parle des chansons et des danses du Directoire, c’est souvent lié à libertinage dans le sens du 17ième siècle (impiété) et du 18ième (mauvaises mœurs). - 14 JUILLET 1798. Le 26 messidor An VI. La « fête de l’anniversaire » est suivie de danses et autres jeux patriotiques. - FETE DE LA CHUTE DE ROBESPIERRE. – le 9 thermidor An VI (27 juillet 1798) le Directoire terroriste est censé se réjouir de la mort de l’autre Terroriste « par des danses et des chants patriotiques avec des cris de joie et de Vive la République ». - FETE DE LA MORT DE ROBESPIERRE.. – Le 10, c’est la « fête de la liberté », célé- brée « avec la plus grand joie, par des danses et autres amusements républicains, le tout s’étant passé dans le meilleur ordre possible ». Quel sens ont de tels procès-verbaux ? Probablement Champagnat avait pour Robes- pierre plus d’estime que pour ses remplaçants mais il fallait des procès-verbaux. On en ferait ... pour Trilland et ses pareils.

205 : Ces fêtes sont prévues par le décret du 3 brumaire An IV, à des dates qui correspondent assez mal à celles que nous indiquons: 1ier brumaire : fête de la fondation de la République ; 10 germinal : de la jeunesse ; 10 floréal : des époux ; 10 prairial : de la reconnaissance ; 10 messidor :de l’agriculture ; 9, 10 thermidor : de la liber- té ; 10 fructidor : des vieillards.

147 Les années obscures de Marcellin Champagnat - CHUTE DE LA ROYAUTE. Le 23 thermidor (10 août 1798), il faut bien célébrer la chute de la royauté. On élève donc un autel et la fête est célébrée avec toutes les cérémo- nies possibles, chants patriotiques, cris de Vive la République. - 4 SEPTEMBRE 1798. Le 26 fructidor An VI (12 septembre). Champagnat fait son rapport sur la fête célébrée le 18 fructidor, anniversaire du coup d’Etat. Plus ou moins le même scénario : autel en plein air, danses et autres divertissements, sans oublier les cris de joie de : Vive la République. - 19 SEPTEMBRE 1798. Le 3 ième jour complémentaire An VI (19 septembre 1798), au- tre fête encore du même ordre. On a vraiment l’impression que, comme dans les pays totali- taires d’aujourd’hui, il faut tenir les gens sous pression par ces fêtes communautaires, aussi ennuyeuses qu’obligatoires. - 22 SEPTEMBRE 1798. Le 1ier vendémiaire An VII (22 septembre 1798) la fête con- tinue avec le même rituel et le même procès-verbal. - EXECUTION DE LOUIS XVI. Le 2 pluviôse An VII (21 janvier 1799), c’est l’anniversaire de l’exécution de Louis XVI (« la juste punition du dernier roi des Français »). C’est fait avec tout la pompe possible, avec des chants patriotiques et autres divertissements analogues : le cri de Vive la République y a été répété plusieurs fois. Lecture a été faite de la lettre du ministre de l’Intérieur en date du 30 frimaire dernier (20 décembre 1798), signée : François de Neufchâteau ; Invocation a été faite à l’Etre Su- prême et imprécations contre les parjures. Les autorités constituées et les fonctionnaires pu- blics s’étant retirés dans le Temple décadaire ont prêté le serment de haine à la royauté et à l’anarchie et de fidélité et d’attachement à la République et à la constitution de l’An III, en suivant les mots prononcés par le président (Champagnat) et le commissaire leur a fait le discours suivant : « Citoyens, C’est aujourd’hui l’anniversaire de la fondation de la République Française, jour solen- nel où la Providence a marqué le jour de la naissance de la Liberté universelle. Célébrons-la, cette liberté chérie, en attendant qu’elle naisse pour le reste de l’univers. La France en a joui la première, grâces en soient rendues à l’Etre Suprême qui tient dans ses mains les destinées des mondes. Que notre reconnaissance vole vers les Pères de la Patrie, vers les sages gouvernants qui savent nous la garantir des atteintes des esclaves des rois... (Ici, allusion à différentes lois républicaines qui peuvent stimuler l’amour de la li- berté. Citoyens, un parjure est un lâche ; un vrai républicain ne jure pas en vain, j’en atteste les mânes des Regulus, des Brutus206, de Guillaume Tell, de Sydney (écrit Cidney) Voltaire et Rousseau, la crainte des supplices (écrit sublices), ne sauraient leur arracher un parjure ; ils savent mourir pour ne pas violer leurs serments et ils donnent le grand exemple à l’univers. imitons l’exemple de ces héros, imitons ceux des stoïciens par la fidélité à tenir nos serments. N’est-ce pas le sang républicain qui coule dans nos veines ? Oui, la constitution de l’An III est l’arche sainte à laquelle la France attache ses desti- nées. Malheur à ceux qui voudraient y porter atteinte. Pâlissez, mortels téméraires, qui osez l’attaquer, et vous, indifférents, qui n’osez pas vivre pour elle, ni la défendre, courez aux pieds de ces rois perfides, allez les servir en es- claves.

206 : Les Romains sont très à la mode dans ce monde bourgeois (donc cultivé) qui fait la Révolution. On pourrait même dire qu’il y a un ressourcement parallèle dans l’Eglise constitutionnelle qui cherche ses lettres de noblesse dans les premiers siècles chrétiens. Les Annales de la Religion op. cit., p. 171, citent par exemple l’Histoire ecclésiastique de Fleury : ‘’Dans les Gaules, tant qu’elles furent soumises aux empereurs romains, le clergé et le peuple élirent leurs évêques ».

148 Les années obscures de Marcellin Champagnat Il est temps que cette grande nation ne soit plus souillée par vous ; quant à nous, le sang de Brutus coule dans nos veines, la liberté est le feu sacré qui nous est confié et la Constitution de l’An III est la Charte immortelle où nous apprenons nos droits et nos devoirs. Vive la République (ce mot a été répété plusieurs fois par les autorités constituées et par les fonctionnaires publics) ». - FETE DES EPOUX. – Le 2 floréal An VII (21 avril 1799) est célébrée la fête des époux (chants, Vive la République, toute la pompe possible, toute la tranquillité possible et procès-verbal dressé dans le « Temple décadaire, lieu destiné à célébrer les fêtes décadai- res et nationales ») - CEREMONIE FUNEBRE. – il faut introduire parmi ces célébrations, à date fixe, une cérémonie funèbre, non prévue, mais qui permettait autant que les fêtes précédentes de former le sens civique et patriotique ; le 23 avril 1799, trois plénipotentiaires français étaient assassinés au Congrès de Rastadt (Allemagne) qui durait depuis deux ans. La France révolutionnaire irritait toute l’Europe des rois par une expansion qui ne s’arrêtait pas. Après la création des républiques romaine, cisalpine, ligure, on avait eu les ré- publiques batave, helvétique, parthénopéenne (Naples) et enfin la république toscane. La meilleure armée, celle de Bonaparte, étant coincée en Egypte, l’occasion semblait bonne à l’Angleterre, l’Autriche, la Russie, le roi de Naples, la Turquie, de s’unir en une se- conde coalition contre la France. L’Autriche laissait passer les troupes russes sur son territoire. Dès lors, le Directoire déclarait la guerre à l’Autriche (12 mars 1799) et quelques semaines plus tard, avait lieu cet assassinat des ministres français qui permettait de susciter l’indignation nationale contre « l’horrible Maison d’Autriche ». La cérémonie commémorative eut lieu à Marlhes le 8 juin 1799. Jusqu’à quel point les gens étaient-ils sensibles à cet événement ? Le rapport, en tout cas, parle du « caractère lu- gubre et de deuil de la cérémonie. L’on voyait leurs regrets peints sur leurs visages. De tou- tes parts, les cris alarmants jurèrent haine à la royauté et à l’anarchie, en déclarant qu’ils étaient prêts à marcher pour la défense de la patrie plutôt que de souffrir que le terrain fran- çais soit souillé par les barbares autrichiens et leurs satellites ». On profite, en tout cas, de l’occasion pour rappeler à leur devoir ceux qui doivent être sous les drapeaux. « La liste des conscrits de ce canton qui ne sont pas partis à l’armée a été affichée au Temple décadaire où les noms ne pourront être effacés qu’au fur et à mesure de leur dé- part ; et, dans la salle où l’administration tient séance, a été placée une inscription en gros caractères portant ces mots : le neuf floréal de l’An VII et à 9 heures du soir, le gouverne- ment autrichien a fait assassiner par ses troupes les ministres de la République française : Bonnier, Roberjot, et Jean de Brie chargés par le Directoire exécutif de négocier la paix à Rastadt ». C’est Champagnat qui a signé cette déclaration. L’a-t-il faite lui-même ? Le texte se termine ainsi :« De tout ce que dessus a été rédigé le présent procès-verbal dont expédition sera adressée au commissaire exécutif près l’administration centrale du département de la Loire, et ont les administrateurs signé ». il faut croire qu’ils ont signé la copie expédiée à St. Etienne, car celle du registre est si- gnée Champagnat seulement. En tout cas, malgré la cérémonie funèbre et les phrases dithyrambiques, on n’arrive pas à trouver un seul conscrit de plus. - 14 JUILLET 1799. – Le 22 messidor (14 juillet 1799), c’est Trilland qui signe le pro- cès-verbal de la fête qui comporte toujours les mêmes éléments : chants, cris, toute la pompe, danses, serments de haine aux tyrans, etc...... - FONDATION DE LA REPUBLIQUE. Le 1ier vendémiaire An VIII (23 septembre 1799) on fête l’anniversaire de la fondation de la République207.

207 : ou aussi du début du calendrier républicain.

149 Les années obscures de Marcellin Champagnat On a donc la preuve que ces fêtes étaient célébrées. Comment et avec quel enthou- siasme ? C’est impossible à dire, mais il fallait faire des rapports officiels. Ce qui est proba- ble en tout cas, c’est que les enfants Champagnat, Marcellin et ses frères devaient bien y participer. C’était une bonne occasion d’apprendre les chants patriotiques de cette époque.

4. – Foires et marchés.

Une première fois, le 3 messidor An VI (21 juin 1798), Trilland s’était attaqué au calen- drier. Chacun devait bien se rappeler « que l’ère vulgaire était abolie ». On fixait donc les da- tes de marchés et des foires, et attention : cet ordre ne pouvait être interverti sous aucun prétexte. C’est le 29 brumaire An VII (19 novembre 1798) que Trilland vient en imposer une première réglementation. Les foires avaient leur côté religieux de célébration de la fête d’un Saint. Or, il fallait faire disparaître toute trace chrétienne du calendrier et fixer de nouvelles dates qui seraient impératives. Quand aux jours de marché, qui, eux étaient d’un rythme hebdomadaire, il faudrait qu’ils soient désormais d’un rythme décadaire « sans qu’en aucun cas, l’ordre que les administrateurs auront établi puisse être interverti sous prétexte que les marchés tomberaient à des jours ci-devant fériés ». Trilland constate que la plupart des administrations municipales de ce département ne se sont point encore conformées aux dispositions contenues dans l’arrêté du Directoire. Il s’agit donc « d’accélérer les changements »...et « de faire oublier jusqu’aux dernières traces du régime théocratique ». Trilland fait la liste des nouveaux jours de marché de tous les cantons de la Loire. Là, il sera difficile de ne pas se conformer aux prescriptions, car étaler les marchandises un jour autre que le jour indiqué, c’est s’exposer à des poursuites. Il y a également une nouvelle liste des jours de foire. Pour Marlhes, c’est le 6 octobre, le 10 février, le 27 avril et le 25 juin.

5. – Les biens nationaux.

Nous avons vu que la question des biens nationaux est en marche. A Marlhes, il y a très peu de choses à cet égard. Cependant le 21 prairial An VI (8 juin 1798), la délibération nous apprend que le citoyen Benoît, receveur des droits d’enregistrement, demande qu’il soit procédé « à l’estimation du bâtiment ci-devant presbytère où l’administration municipale tient ses séances ». Comme on fait allusion à loi du 6 août 1791, relative à l’évaluation des biens nationaux, il est très possible que le curé Allirot ait, dès cette époque-là, cédé ce bâtiment à la com- mune en en restant locataire moyennant un forfait ou quelque annuité, car il ne semble pas qu’il y ait quoi que ce soit d’anticlérical dans cette déclaration. Plutôt la constatation que la municipalité occupe le local sans se soucier de verser une location.

6. – L’impôt et le jury d’équité.

Un problème plus difficile est celui de la répartition de l’impôt « somptuaire et person- nel » pour laquelle il faut nommer un jury d’équité. Pierre François Colomb refuse, pour motif de santé, de faire partie du jury d’équité : on connaît assez ses opinions et la persécution qu’il a subie avant le 9 thermidor. D’ailleurs, il est déjà juge de paix. Quand le pays ne sera plus couvert de neige (on est le 16 février), on pourra revoir la question, laisse-t-il entendre.

150 Les années obscures de Marcellin Champagnat La loi du 14 thermidor An V (1ier août 1797) prévoit qu’un citoyen, qui est nommé juré ne peut refuser cette fonction, sinon pour maladie grave et attestée par un certificat médical. Mais justement, Colomb a ledit certificat. Il se contentera donc des fonctions qu’il a déjà, sur- tout régler les litiges de frontières Loire et Haute-Loire, dans cette zone, et il sera remplacé comme juré par Barthélemy Chirat que nous avons déjà vu plus d’une fois à des postes im- portants. Disons que ce choix conforte Champagnat. Le 22 prairial An VI (10 avril 1798), on s’attaque aux impôts. Il s’agit de faire rentrer les « arriérés » des « patentes » non encore payées. Pour cela le commissaire est un nommé Vendryer. Champagnat n’a qu’à faire exécuter l’ordre. il fait d’ailleurs remarquer que « péné- tré de nos devoirs, nous avons déjà fait les démarches requises par la loi ». Trilland intervient de suite disant qu’il a la liste des citoyens assujettis au droit de la pa- tente et qu’il se charge de l’exécution. On le sent très capable de semer la panique pour que les gens courbent l’échine sous la menace de graves sanctions. Le 24 prairial An VI (12 juin 1798), J.B. Champagnat fait de son mieux pour défendre ses administrés : « Si le recouvrement des impositions est lent, c’est que le numéraire est rare ; il y a très peu de bois. Depuis trois ans, gelée et grêle ont emporté la récolte : ; la fabrication du ruban ne va plus... ». Le 4 frimaire An VII (24 novembre 1798), un nouvel impôt a été voté ; celui des portes et fenêtres. On décide donc le 6 nivôse (26 décembre 1798) de nommer des experts pour parcourir Marlhes et Jonzieux et faire cet état des portes et fenêtres qui permettra d’établir un rôle (cahier portant la liste des contribuables avec indication de leur cotisation indivi- duelle) et de percevoir des impôts qui ne soient pas trop contestés. Quant à choisir l’employé chargé de les percevoir, cela est mis en adjudication et J. Ri- vaton, à qui on avait d’abord adjugé cet office pour 5 centimes par contribuable, le conserve, mais seulement pour 3 ½ centimes, après adjudication à la bougie (3 feux). Vers la fin du Directoire, après le mois de floréal (mi-mai 1799), de nombreuses pages du registre des délibérations sont consacrées au problème des impôts. Le 8 pluviôse An VII (27 janvier 1799), Champagnat fait remarquer que Marlhes paie « à moitié plus d’impôts qu’il en devrait supporter208 » et qu’il a remis une liste de 200 indi- gents.

7. – Création d’emplois.

a) Garnisaire.

On a bien l’impression aussi que Trilland trouve des emplois pour ses petits amis. Un certain Antoine Faure était garnisaire209, c'est-à-dire chargé du recouvrement des contribu- tions, mais la fonction paraissait incompatible avec un autre emploi déjà occupé par Faure. Trilland fait donc nommer à sa place Claude Morel qui a défendu la « République en qualité de soldat ». Il est bien normal aussi de pouvoir montrer aux conscrits que cela sert à quelque chose d’avoir été soldat, en particulier donne des priorités pour certains emplois. Mais Champagnat et sa municipalité font acte d’indépendance et décident que Morel sera accepté sans que cela nuise à Faure qui conservera son emploi de garnisaire.

208 : ADL Liasse L. 514. 209 : Ce mot, disparu du vocabulaire, évoque surtout le rôle du gendarme qui s’installe dans la famille d’un déserteur, doit être nourri et logé par elle, et peut espionner ce qui révélerait la cachette du cou- pable. Mais, comme ici, il peut avoir un sens plus large ;

151 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) Mandeur.

Le 15 prairial An VI (3 juin 1798), par contre, on crée un nouvel emploi : celui de « mandeur »c'est-à-dire de crieur chargé d’annoncer à son de caisse (tambour) les lois et ar- rêtés. Il s’agit d’un « invalide de guerre : Christophe Forêt. Il sera en même temps concierge de la commune (de la mairie).

c) Garde Champêtre.

On nomme aussi un garde champêtre qui sera payé 300 francs par an et devra rendre compte de trois et trois jours de ses tournées. C’est une création d’emploi dans la ligne « loi rurale et forestière », qui prévoit une surveillance accrue des propriétés. Et toujours Trilland est là pour signer avec Champagnat. Cependant le 13 ventôse An VII (3 mars 1799), on juge que le choix qui a été fait de Pierre Granger comme garde champêtre est mauvais, car, St. Sauveur où il habite, est vrai- ment trop loin (14 km). On cherchera donc un autre « vétéran » domicilié à Marlhes. Assez évidemment la municipalité de Marlhes fait comprendre à Trilland, de St. Sau- veur :« Nous aussi nous avons des petits amis qui sont tout aussi indiqués ». Quand à la « loi rurale », Trilland la déclare très intéressante pour la conservation des propriétés générales de ce canton(29 floréal An VI = 18 mai 1798). C’est le bourgeois qui rassure ses pairs.

8. – Les réquisitions.

La guerre continuant, les réquisitions continuent aussi qui suscitent une obéissance re- lative, même si Trilland semble à peu près continuellement présent. L’administration centrale réclame à l’administration de Marlhes « pour la subsistance de ses troupes » 22 sacs d’avoine. D’abord, pensent les conseillers, même en cherchant bien on ne trouverait pas le 1/10ième de cette quantité. On écrira donc qu’il n’y a pas d’avoine. s’il faut faire des listes et répartir 22 sacs théoriques sur les citoyens en retard de paiement d’impôts, on le fera sans que pour autant cela fasse trouver de l’avoine. mais la réquisition est maintenue : Marlhes 16 sacs, Jonzieux 6. Trilland a toujours le même ton :« requérons l’administration municipale de mettre à exécution la loi, la rendant responsable du moindre délai, ce dont elle lui rendra compte dans trois jours à Marlhes. » Le 29 messidor An VI (17 juillet 1798), ce sont cinq fusils qui sont réclamés pour l’armement d’un bataillon. On répondra qu’on n’a ni les fusils, ni l’argent pour en acheter. Le 4 brumaire An VIII (25 octobre 1799), Trilland vient encore réquisitionner des che- vaux pour l’armée ; on lui fera la liste de ceux qui existent dans le canton.

9. – Fixation des limites entre communes.

Le 5 prairial (24 mai 1799), on essaie encore de régler une question en suspens de- puis le début de la Révolution : il faut fixer les limites entre Marlhes, Jonzieux d’une part, qui sont dans la Loire, et St. Romain, St. Victor qui sont dans la Haute-Loire, car il y a des ha- meaux qui payent deux fois l’impôt. La question reviendra et, le 26 pluviôse An VII (12 fé- vrier), Champagnat réclamera une délimitation stricte pour le canton, car tous les habitants veulent être de la Haute-Loire pour payer moins d’impôts. C’est Colomb qui est chargé de l’étude. Trilland est toujours là et exige qu’on donne « de suite » connaissance de la nomina- tion de Colomb à l’administration de St. Didier (Haute-Loire)

152 Les années obscures de Marcellin Champagnat 10. – Questions diverses.

a) Poids et mesures.

Le 29 brumaire An VI (19 novembre 1798) nous permet de faire connaissance avec le problème des mesures du système métrique qu’il faudra mettre en application un peu plus vite car la « lenteur ou plutôt la négligence des administrations municipales en font un devoir au citoyen commissaire ». Voici quelques éléments pour d’éventuels calculs : La charge de vin est de 305 livres poids de Lyon, ce qui fait 122 bouteilles (la bouteille étant 2 ½ litres). La métanchée210 (mesure agraire) = 262,166 toises carrées, soit sensiblement 1.000 mètres carrés. La toise = 6 pouces. Le pied (ci-devant pied des rois) = 12 pouces.

b) Règlement de chasse.

On s’attaque aussi aux méfaits de la chasse. Celle-ci sera libre aux propriétaires sur leurs terres seulement. L’ouverture va du 15 floréal (mai) jusqu’à la « dépouille » (chute des feuilles).

c) Absence d’instituteur.

Dans toutes les délibération de l’époque du Directoire, rien ne nous permet de penser qu’il y a eu à un moment quelconque un instituteur. Un état des comptes, à la mairie, à la fin du Directoire, nous montre même bien claire- ment qu’il n’y en a point, au moins officiellement. Une rubrique prévoyait : « Indemnité ac- cordée aux instituteurs des écoles primaires ». on a dû écrire à la suite : « Point ». la pres- que totalité des enfants doit donc rester analphabète, sauf les filles qui peuvent apprendre à lire chez le Sœurs. En 1799, Marcellin Champagnat a déjà 10 ans. Le retard qu’il prend sera difficile à rat- traper. Il le dira, 40 ans plus tard, en écrivant au ministre de l’Instruction publique : « ...J’ai senti par les peines infinies que j’avais éprouvées pour apprendre à lire et à écrire, l’urgence de créer une Société qui pût... procurer... l’enseignement ».

210 : En Forez, le mot employé est ‘métérée’

153 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre IX. LE DIRECTOIRE CONTRE PIE VI.

A l’intérieur du pays, le Directoire n’obtient que l’universelle désobéissance entretenue par la vie chère, la conscription, le brigandage ; c’est la ruine de l’esprit civique. Mais si le gouvernement échoue à l’intérieur dans sa politique anti-religieuse, la guerre d’Italie lui permet de frapper durement l’Eglise. Depuis le traité de Tolentino, les Français, sans occuper Rome, s’y comportent avec beaucoup de désinvolture et provoquent l’animosité de la population, en particulier par leurs rapines dans les musées. Une « minori- té » de patriotes est favorable à l’idéologie révolutionnaire, mais contre eux agissent les ze- lanti qui comptent bien, un jour ou l’autre être libérés par les troupes autrichiennes. Fin 1797, c’est l’insurrection contre les Français ; elle est suivie de la rupture diploma- tique, et, le 20 janvier 1798, c’est l’occupation militaire de la Ville Eternelle que Bonaparte avait évitée et qui est réalisée par le général Berthier. Ce dernier exige que Pie VI soit expul- sé de Rome, et le Pape octogénaire, sera déporté successivement en diverses ville d’Italie. Or, en 1799, l’Autriche entre en guerre contre la France et elle est d’abord victorieuse. D’où décision du Directoire de faire transporter en France « le citoyen Pape » qui pourrait complo- ter avec la seconde coalition. Résultat assez inattendu : la population, au long du parcours Briançon - Valence que va suivre l’illustre prisonnier, se montre respectueuse et affectueuse à l’égard de ce vieillard que la Révolution traite si mal. Enfermé dans la citadelle de Valence, il meurt le 29 août 1799 en pardonnant de tout cœur à ses ennemis. Les cardinaux étant dispersés, on ne voit pas comment lui donner un successeur dans une Europe en guerre et dans une Italie en plein chaos. L’histoire de l’Eglise est-elle termi- née ? Mais, comme Marie, le Vendredi Saint, croyant contre toutes les évidences, il devait y avoir à Marlhes des femmes (la mère de Marcellin, ses tantes...) qui savaient que le Sei- gneur réveillerait sa puissance par les moyens qu’il voudrait, car il était avec son Eglise jus- qu’à la fin des siècles. A Londres, on fera pour Pie VI des funérailles grandioses où les Protestants seront aussi empressés que les Catholiques. Peu après, Bonaparte rentre d’Egypte. Le 9 octobre, il est à Fréjus. Deux jours après, à Valence, il croise quelques prélats romains qui ont accompagné le pontife dans son exil, et, conversant avec eux, il apprend quel a été l’exode du Pape et sa captivité. « Nous avons jusqu’ici inutilement sollicité du Directoire la permission de le transporter en Italie. Il ne nous même pas été accordé de pouvoir correspondre avec nos familles » - « Cela est trop fort, dit alors Bonaparte ». Et il poursuit sa route. Il est à Paris le 14 octobre. Trois semaines plus tard, ce sera le coup d’Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799). Dans l’intervalle, il oublie le cas de Pie VI qu’il faut pourtant ensevelir. Faire appel à un évêque Constitutionnel n’est pas pensable. On enterre donc le pontife dans le cimetière communal après une banale cérémonie, le 30 janvier 1800. Ce n’est qu’en février 1801 que Pie VII allait obtenir le rapatriement de la dépouille mortelle de son prédécesseur. Le 17, celle-ci serait accueillie à Rome au milieu d’un im- mense concours du monde chrétien (Baldassari, Histoire de l’enlèvement de Pie VI, Périsse, 1842, p. 563 et sq. )

154 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre X. LE CONSULAT

1. – Le coup d’Etat du 18 brumaire.

Que s’est-il passé qui ait pu créer les conditions favorables au coup d’Etat de Bona- parte ? Le Directoire avait pourtant fait nettement retour à la ligne de 1793. A partir de juin 1799 surtout, la tendance jacobine s’y était renforcée, et il y avait même eu un petit coup d’Etat connu sous le nom de coup d’Etat de prairial (30 prairial An VII = 18 juin 1799). Dans le nouveau gouvernement, Fouché est ministre de la police, et, avec lui, on peut s’attendre aux lois les plus perverses. C’est le cas de la Loi des Otages (12 juillet 1799) qui permet de prendre comme otages des nobles, des émigrés, des ascendants de gens supposés coupa- bles et de les rendre civilement débiteurs des indemnités dues à des victimes de la guerre. On prétend galvaniser ainsi toute la France contre la seconde coalition. Par ailleurs, un emprunt forcé est prélevé sur les riches, et on envisage aussi des me- sures d’exécution rapide pour le recrutement des conscrits. Le résultat c’est que tous les gens un peu riches, toute la bourgeoisie, se sentent me- nacés. Plutôt que de voir le glissement vers une anarchie de style sans-culottide s’accentuer encore, mieux vaut se jeter dans les bras de l’armée qui est révolutionnaire, bien sûr, mais qui est aussi un élément d’ordre. Deux des directeurs, Sieyès et Ducos, sont donc bien d’accord pour laisser faire un coup d’Etat militaire qui introduirait un changement de Constitution. Les victoires de Massé- na et de Brune au début de l’automne 1799 renforcent cet espoir. Là-dessus, Bonaparte re- vient de son expédition, plein d’ambition. Très vite, il se met d’accord avec Sieyès et décide les grands lignes de l’opération . On demandera la démission des Directeurs, et les mem- bres des deux Conseils chargeront Sieyès, Ducos et Bonaparte de modifier la Constitution. Le 18 brumaire, Bonaparte fait son entrée au Conseil des Cinq Cents. Il est accueilli par des cris hostiles, mais son frère Lucien, qui est président de l’Assemblée, fait entrer la troupe qui disperse les députés récalcitrants. La partie est gagnée. La France vient, et pour 15 ans, de se donner un dictateur. C’est un Révolutionnaire, mais il sait pour qui il a fait le coup d’Etat. Il a opté intérieurement contre la dictature du pro- létariat, contre l’homme de1793. Son gouvernement sera le triomphe de la bourgeoisie.

2. – Répercussions dans la Loire.

Les proclamations et décrets émanant de la nouvelle équipe gouvernementale doivent être lus dans les différents quartiers de la ville de St. Etienne, par l’administration municipale accompagnée de la force armée. On n’est jamais sûr de rien, peuvent penser les gens devenus méfiants depuis 10 ans. Ce n’est peut-être qu’un coup d’Etat de plus, mais, enfin, Bonaparte est déjà connu comme un brillant chef militaire. De toute façon, les administrations municipales, en raison de la gra- vité des événements « se constituent en permanence »

155 Les années obscures de Marcellin Champagnat 3. – Répercussions à Marlhes.

On ne peut pas dire quel a été à Marlhes l’impact du 18 brumaire. Le 12 frimaire (2 dé- cembre 1799), les Consuls font un remplacement, mais qui sera de courte durée : Trilland, théoriquement objet d’une promotion - il a fait assez de zèle - est remplacé par Perret, im- primeur d’étoffes. L’arrêté est signé de Sieyès, Ducos et Bonaparte. Perret arrive le 29 frimaire (19 décembre 1799) et prend ses fonctions en prononçant le nouveau serment qui est plein de pondération : « Je jure d’être fidèle à la République une et indivisible, fondée sur l’égalité, la liberté, et le système représentatif, de laquelle prestation de serment, qui a été signé par ledit Per- ret, procès-verbal ». Champagnat signe avec Perret et Rivaton, agent.

4. – Constitution de l’An VIII.

Le 25 janvier 1800, Bonaparte publie la Nouvelle Constitution de l’An VIII. Cette Constitution rassure, en plaçant à la tête de la République trois Consuls nommés pour 10 ans. Mais la réalité du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif est confiée au seul Bonaparte. Il nomme et révoque les ministres et tous les fonctionnaires ; seul, il a le droit de proposer des lois, il les fait préparer et rédiger par le Conseil d’Etat, composé de ses créatures. Il y a bien deux Assemblées législatives : le Tribunat et le Corps législatif, mais elles ne peuvent pas modifier les lois. Elles les approuvent ou les rejettent. Est rétabli un suffrage universel tout à fait fictif. Le vote des citoyens aboutit à fournir des listes de candidats, parmi lesquels le Sénat choisira, et le Sénat est nommé par le Premier Consul. D’ailleurs, en pratique, le gouvernement de Bonaparte sera encore plus absolu que le supposerait la Constitution. Les Français ont-ils tellement envie de savoir ce que représente le nouveau pouvoir ? Ils veulent surtout le changement d’avec un régime qui ne fait le bonheur de personne. Ils approuvent à l’unanimité morale la nouvelle Constitution : 1.562 non, contre 3.011.007 oui. A Marlhes, la nouvelle Constitution est lue à la mairie et on décide de la publier « au son de la caisse dans les lieux accoutumés ». Elle est aussi affichée pour ceux qui savent lire.

5. – De nouveau, Trilland et ses exigences.

Sans raison apparente, le 7 pluviôse An VIII (27 janvier 1800), arrive un arrêté de Bo- naparte annulant la nomination de Perret. Le 16 pluviôse (5 février 1800), Trilland est de retour, toujours aussi envahissant et agaçant. Il faut bien dire aussi que, en dépit du coup d’Etat, bien des problèmes concrets restent les mêmes.

a) Les Conscrits et les réquisitionnaires.

Le 22 pluviôse (12 février 1800), Trilland impose à Champagnat de faire publier et affi- cher le discours du général de division Moncey aux conscrits et aux réquisitionnaires. Le 1ier germinal (22 mars 1800), il est encore là pour faire sur le champ publier avec solennité la proclamation du ministre de la guerre aux réquisitionnaires et aux conscrits. Le 7 germinal (28 mars 1800), il écrit dans le registre un nouvel arrêté concernant les conscrits. Leur contingent sera composé à partir des plus jeunes, jusqu’à ce que le nombre demandé soit au complet.

156 Les années obscures de Marcellin Champagnat L’administration municipale devra donc siéger en permanence pour former ce contin- gent qui est beaucoup plus raisonnable que l’année précédente : cinq hommes. Encore Champagnat fait-il remarquer - à tort ou à raison - que le calcul est fait sans discernement : on demande trois hommes à St. Genest et cinq à Marlhes, alors que ce devrait être l’inverse, si l’on tient compte du chiffre des populations. Cette fois, c’est un maréchal des logis qui viendra avec un sergent et 12 fusiliers acti- ver le départ des réquisitionnaires.

b) La garde nationale.

Trilland trouve de nouveaux reproches à faire à l’administration de Marlhes ; elle n’a pas encore réorganisé la garde nationale quoiqu’elle en ait été requise plusieurs fois. Le 19 ventôse (10 mars 1800), il y aura donc une réorganisation de la garde nationale faite par Champagnat et son administration, conjointement avec Trilland. C’est Jean-Baptiste Courbon de la Faye qui est choisi comme commandant : on a compris que la victoire de Bonaparte était une victoire de la bourgeoisie. Dans la liste des membres répartis par section, Charles Frappat, du Rozet, est un des capitaines.

c) Réquisitions des chevaux.

Le département fait aussi une réquisition de chevaux, juments, mulets pour l’armée. Le texte est écrit par Trilland et signé par Champagnat. On en réclame 67 au département dont un à Marlhes. Comme toujours, Trilland rendra responsable cette administration de la « moindre négligence ». Sous le Directoire, on de- mandait beaucoup, sachant qu’on obtiendrait peu. Mais, même si on n’en demande plus qu’un, comment choisir ? L’administration ne voit d’autre parti à prendre que de convoquer par une assemblée ceux qui ont des chevaux. Celui qui cédera le sien sera remboursé par une cotisation des autres.

d) De l’impôt.

Le 7 germinal (28 mars 1800), la municipalité s’occupe du problème, jusqu’ici jamais mis au point, de l’impôt. Marlhes et Jonzieux devant verser 23.331 francs d’impôts mobiliers et personnels, l’administration ordonne et enjoint au nom de la loi « aux agents municipaux, chacun dans sa commune respective, de procéder conjointement avec leurs adjoints et les commissaires de répartition de l’An VII, aussitôt la réception du mandement, à la confection du rôle, qu’ils remettront dans un délai de 10 jours ».

6. – La fin de la municipalité Champagnat.

a) Une des dernières séances.

Le 15 germinal (5 avril 1800), on sent que quelque chose change. Il faut contrôler l’état des registres car, « cette administration vient de clore sa dernière séance. Le juge de paix mettra les scellés dans la salle où cette administration tenait séance » ; c’est Trilland qui si- gne. Les municipalités de cantons sont supprimées. Cependant, on revient le lendemain pour dresser un inventaire du mobilier et de tous les registres et autres papiers.

157 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) La recherche des réquisitionnaires.

Il faut croire d’ailleurs qu’on ne met pas tout de suite les scellés sur la salle qui contient le registre des délibérations car, le 23 germinal (13 avril 1800), Trilland y écrit encore une note, comme suite à une lettre au préfet. On publiera « à son de caisse et de trompe en pré- sence de la force armée » : - 1° L’avis aux réquisitionnaires ; - 2° L’appel aux citoyens qui désirent s’enrôler pour l’armée de Dijon. Et il faudra faire tout de suite la plus grande publicité aux deux exemplaires de la lettre du préfet. Mais le registre constate encore, le 7 floréal An VIII (27 avril 1800) que les conscrits sont difficiles à joindre211.

c) L’appel à la garde nationale.

Comme on n’arrive pas à joindre ces conscrits, il faut se servir des gens qui, eux, sont indiscutablement bien fichés sur les registres et qui ont déjà fait une sorte de service mili- taire, c'est-à-dire les membres de la garde nationale. Depuis presque 10 ans que celle-ci existe, elle a dû permettre de préparer de vrais patriotes que l’on va affecter à « seconder la troupe de ligne dans la poursuite et l’arrestation des réquisitionnaires et conscrits en retard de rejoindre ou déserteurs ». Il est prévu que l’on peut en prendre pour cette tâche dans la proportion de 3 sur 90. Bien entendu, le commissaire du gouvernement (Trilland pour ne pas le nommer) « séance tenante, s’est levé simultanément » (C’est Champagnat qui écrit ce mot qui doit évoquer dans son esprit un ressort arrachant Trilland à sa chaise) et a dit aux administra- teurs : « Je vous requiers au nom du sauveur de notre patrie (Bonaparte) d’exercer le pouvoir dont vous êtes aujourd’hui honorés ». Mais, enfin, Champagnat ne se fait plus trop d’illusion. On fera ce qu’il faut, mais il faut tout prévoir : « Dans le cas où personne ne se présenterait (de son plein gré) ils seront choi- sis par le sort ». Le 8 floréal An VIII (28 avril 1800), on a quand même des noms : J.B. Courbon (de Jonzieux), Jacques Soubrin (Marlhes) et le fils aîné de J.B. Epalle (Marlhes). C’est Trilland qui présente cette liste. Reste seulement à avertir les intéressés ! Nous ne savons pas quel a été le résultat.

d) Dernière séance.

Finalement le 15 floréal (5 mai 1800), Trilland accomplit sa dernière tâche : faire appo- ser les scellés sur l’écusson de la serrure de la chambre où ont été déposés les objets inven- toriés. Cette action est conforme aux indication données :« dans la lettre au préfet en date du 9 du présent mois pour que Colomb, juge de paix, ait à s’y conformer ». « Aussi clos et arrêté les dits jour et an et ont les administrateurs signé avec le com- missaire et le secrétaire ». Effectivement, il y a l’immense signature de Champagnat, celle de Trilland, celles de Rivaton et Terra, agents.

211 : Jean Merley, dans un article cité au début du présent ouvrage, estime qu’en cette région les jeu- nes d’alors, de 16 à 30 ans, sont presque partout six mois absents. « Ils se répandent jusque dans la capitale, parfois en Espagne et surtout dans les départements voisins pour travailler comme terras- siers ou scieurs de long ». c’est donc une population très mouvante et peu saisissable pour les recen- sements.

158 Les années obscures de Marcellin Champagnat Pour les registres de l’Etat civil, Champagnat cesse de signer le 9 pluviôse An VIII (28 janvier 1800) le registre des naissances ; le 10 floréal An VIII (22 avril 1800), le registre des mariages ; le 5 fructidor An VIII (22 août 1800), le registre des décès. Il peut regagner le Ro- zet et enseigner des techniques de construction et autres à ses fils, répartir quelques agneaux entre Marcellin et Jean-Pierre pour qu’ils se lancent dans le commerce. Lui-même laissera définitivement cette politique qui a été si difficile à gérer.

e) St. Etienne au début de 1800.

On est à un mois de distance de Marengo (14 juin 1800). Bonaparte n’est encore que Premier Consul, mais on sent que ses ambitions grandiront vite. Il a déjà dans la tête, un plan de réformes dans tous les domaines. A St. Etienne, le 5 janvier 1800, l’administration municipale a fait démolir le temple de la Souveraineté nationale. C’est peut-être une coïncidence (car son état de délabrement fai- sait craindre un accident). Il avait été construit deux ans auparavant, mais il y avait là aussi tout un symbolisme. Mathiez a pu écrire :« Si le Directoire fut si vite renversé par Bonaparte, la cause en fut l’impopularité de sa politique anticléricale ». Bientôt d’ailleurs, le culte Décadaire ne serait plus qu’un souvenir un peu ridicule et les églises se rouvriraient212. Quant à la théophilantropie (tas de filous en troupe, comme on tra- duisait) elle a vécu depuis déjà plus d’un an. Le 12 avril, une nouvelle municipalité stéphanoise est nommée par Bonaparte. Le 5 mai, l’état de siège est levé. Avec toute la France, St. Etienne et sa région respi- rent. Par ailleurs, depuis1797, les récoltes ont été bonnes. Dans les « temps et les mo- ments » que Dieu seul connaît, cette première année du 19ième siècle est à marquer d’une pierre blanche.

212 : Au point de vue administratif, au 17 février 1800 (28 pluviôse) les départements retrouveront des subdivisions qui s’appelleront arrondissements.

159 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre XI. VERS LE CONCORDAT.

Cependant La Révolution, au moins sous son aspect religieux n’est pas terminée. Le Concordat, s’il est déjà dans la pensée de Bonaparte, ne l’est pas dans ses réalisations con- crètes. Le Premier Consul a bien été obligé de s’entourer de gens qui, dans leur ensemble, n’ont guère envie de faire la paix avec le monde catholique et encore moins avec le Pape. Ils pensaient bien que le citoyen Pape, comme ils disaient, dont la dépouille mortelle, comme celle d’un autre citoyen, repose dans le cimetière de Valence, serait le dernier. Il se trouve qu’en mai 1800 on réussira à en élire un autre, mais de là à faire alliance avec lui, il y a loin. Cependant Bonaparte, qui a la cote auprès du peuple, pense à ouvrir au peuple chré- tien les portes de la liberté. Il n’a sans doute guère de convictions chrétiennes, mais il a une conviction : dans un pays comme la France, la religion - la religion catholique et romaine - est le vrai moyen de redonner la paix et le bonheur. Le serment qu’il propose aux prêtres émigrés ne peut pas être plus libéral : « Je jure d’être fidèle à la république une et indivisible, fondée sur l’égalité et le système représenta- tif ». Il faut vraiment être aussi barre-de-fer213 que Linsolas pour y voir du mal. Monsieur Emery, en tout cas conseille de le prêter. Il publie même un livre à ce sujet : « Témoignage de l’Eglise depuis les apôtres jusqu’à nos jours », en faveur de la promesse de fidélité, pour démontrer que le serment du 28 décembre 1799 est normal214. Et les prêtres émigrés rentrent en foule. La nouvelle Constitution de l’an VIII entre en vigueur le jour de Noël 1799. Les édifices sont rendus au culte. Et les journaux l’annoncent. Bien sûr, il y a encore des Fouché - ministre de la Police depuis les derniers soubre- sauts du Directoire - et des Talleyrand qui agiront pour faire capoter une aussi belle réalisa- tion, ou au moins l’orienter à leur guise. Bonaparte malheureusement a besoin d’eux. Cependant des problèmes restent et en particulier celui des deux Eglises. La loi du 2 pluviôse An VIII (22 janvier 1800) permet que les lieux de culte servent à la fois aux constitu- tionnels et aux insermentés, ce qui ne peut durer indéfiniment. Faudra-t-il demander aux as- sermentés de faire amende honorable. Leurs chefs, Grégoire en particulier, les invitent au refus. Ils n’ont pas à demander pardon d’une faute qui est le contraire d’une faute : une obéissance aux autorités constituées, comme on le demande aux chrétiens depuis Saint Pierre et Saint Paul. Dans des paroisses comme Marlhes, le problème ne se pose pas. Il n’y a pas eu d’anti-Allirot, même si l’on voit apparaître un « Mijola, prêtre catholique » qui tient les regis- tres entre le 11 juin 1798 et le 1ier avril 1799. Le curé de Marlhes rentre dans son église et dans son presbytère. On ne sait pas trop si on lui a rendu cette cloche que la mairie avait re- demandée naguère (une sur quatre), mais si oui, il sait bien que ni Perret, ni Champagnat ne l’empêcheraient de la sonner pour appeler tous les paroissiens aux deux messes dominica- les, car il n’y manque sûrement personne, même si l’habitude s’est un peu perdue depuis cet affreux 18 fructidor où l’actuel Premier Consul avait agi comme le plus détestable Jacobin. A Jonzieux, avec le curé Peyrard, ce sera la même unanimité, car là non plus il n’y a pas concurrence, l’abbé Linossier étant encore occupé dans un commerce quelque part à Marseille.

213 : Ce mot est de Monsieur Emery. 214 : En fait, Linsolas va être saisi par le police de Fouché, le 8 septembre 1801 et exilé à Turin.

160 Les années obscures de Marcellin Champagnat Pourtant, à Lyon, un évêque constitutionnel, Claude Primat, nommé l’année précé- dente, est arrivé le 2 mars 1800. Faut-il s’en désoler ou espérer qu’il fera sa rétractation ? Courbon, vicaire général, rentré d’exil et qui est originaire de St. Genest-Malifaux, peut don- ner quelques renseignements quand il vient dans la région. Il sait sûrement que le conclave est réuni à Venise depuis le 1ier octobre 1799, mais n’a pas encore réussi à élire un Pape. Dans l’intervalle, un évêque, Verdollin, a été nommé par le Saint-Siège, comme admi- nistrateur, successeur de Mgr de Marbeuf, décédé en exil. Administrateur évidemment, en at- tendant qu’il y ait un Pape, ce qui est cependant réalisé le 14 mars 1800. Mais Verdollin qui est en exil, ne viendra même pas dans son diocèse, se contentant de redonner des pouvoirs aux vicaires généraux. Combien de temps, ces nouvelles mettent-elles pour être connues dans la région ? Comment faut-il les interpréter ? Pourquoi tant de temps pour élire un Pape, alors que sur les 46 cardinaux du Conclave, 30 sont Italiens ? Jeux politiques, bien sûr, peuvent dire les prêtres rentrés d’un exil romain ! Volonté des grandes puissances ! Laissons donc. A Marlhes, les questions sont plus simples. Il faut tout de suite penser aux points essentiels et, par exemple, la Première Communion à préparer pour tant de gar- çons et de filles qui, ces deux dernières années, en ont été sérieusement empêchés. On sait que Marcellin Champagnat l’a faite à onze ans. C’est dire qu’il lui reste une année, le jour traditionnel de la paroisse de Marlhes étant le jeudi de la Passion qui, en 1801, sera le 26 mars. Mais revenons à l’année 1800. Bonaparte est reparti en Italie, faire face à la coalition. Va-t-on nous annoncer des victoires, comme en 1796 et 1797 ? Eh bien oui. Il a, paraît-il, été vainqueur de nouveau à Marengo, ce nom que des générations de petits écoliers connaîtront avec la phrase célèbre de Desaix qui arrive pour constater une défaite, mais qui amène des troupes fraîches : 8.000 hommes :« Il est 14 heures, la bataille est perdue : mais nous avons le temps d’en gagner une autre ». Assaut inattendu contre les Autrichiens qui déjà cé- lèbrent leur triomphe ; et les voilà mis en déroute. A 17 heures, la furia francese a remporté la victoire. Ces nouvelles arrivent à flots dans toute la France. Mais le plus beau c’est que, dit-on encore, Bonaparte a réuni à Milan 200 prêtres pour leur dire ce qui est vraiment sa pensée profonde :« Persuadé que la religion catholique est la seule qui puisse procurer le bonheur véritable à une société bien ordonnée et affermir les bases d’un bon gouvernement, je vous assure que je m’appliquerai à la protéger et à la défendre dans tous les temps et par tous les moyens ». Oui, on peut s’apitoyer sur le sort de Desaix, cet homme merveilleux que les musul- mans, en Egypte, appelaient le sultan juste, car le jour même de Marengo, il a reçu une balle en plein cœur, mais dans l’ensemble, les nouvelles sont bonnes, voire exaltantes. Les tractations avec Rome ont commencé. Pie VII a nommé Mgr Spina pour préparer le concordat. Bien sûr, il y aura des obstacles. Bonaparte veut refaire à neuf tout l’épiscopat français et donc d’abord demander à tous les évêques nommées par le Saint-Siège de don- ner leur démission. Le Pape a-t-il le droit de faire cela ? Jamais chose semblable n’a eu lieu dans l’histoire de l’Eglise. Spina est aidé par Bernier, un évêque bien intrigant, mais bien ha- bile qui devine les concessions indispensables auxquelles il faut consentir pour sauver la re- ligion. Et l’hécatombe a lieu. Le 15 août 1800, Pie VII, par le bref Tam multa, demande à tous les évêques français de se démettre de leur siège et de résigner leur pouvoir entre ses mains. Désastre? Non, au contraire, reconnaissance d’un pouvoir suprême au successeur de Pierre, comprendra-t-on à la longue. A la longue, oui, mais tout de suite, en divers lieux, la mentalité gallicane amorce un schisme de Petite Eglise dont il subsiste encore des survi- vants à St. Genest-Malifaux, en 1999.

161 Les années obscures de Marcellin Champagnat Le Pape adresse aussi une encyclique Ecclesia Christi à tout le peuple chrétien, pour expliquer et justifier l’action qu’il a dû faire. Donc, au moins pour les chrétiens de Marlhes, il y a lieu de se réjouir sans réticence. Toutefois, pendant encore plus d’une année subsiste une inquiétude. Les tractations sont longues. Quand Mgr Spina a cru pouvoir accepter une exi- gence de Bonaparte, encore faut-il la faire connaître à Rome. Des jours et des semaines pour un aller et retour. Et pleuvent les colères et les menaces de Bonaparte. Le 19 mai 1801, on est en pleine crise. Quelques jours plus tôt, Bonaparte pouvait dire, même s’il ne le pen- sait pas: «Le Pape me donne envie de me faire luthérien ou calviniste ainsi que toute la France». Et Madame de Staël rêvait d’un retournement à la Henri VIII. Le 14 du même mois, Bonaparte avait même transmis un ultimatum: son ambassa- deur, Cacault, quittera Rome si, dans les cinq jours, le Pape n’a pas accepté le projet fran- çais. Heureusement Cacault est bienveillant et persuade le Cardinal Consalvi de le suivre à Paris. Et il faudra bien toute l’habileté du cardinal pour renouer le dialogue. Consalvi est à Paris le 20 juin. Il est reçu le 21. Sur place, il peut mieux comprendre le cercle étroit où Bo- naparte lui-même doit évoluer. On aboutit à un 6ième projet. Il y aura encore deux menaces de rupture avant le 9ième et dernier projet. Mais au moins le monde officiel français aura com- pris que rien ne peut se faire sans la Pape qui, le 16 juillet 1801, donne son accord, et en même temps nomme Mgr Caprara, légat pour régler les nombreux points qui restent à préci- ser, car on est encore loin du but. Mgr Spina, lui, sera heureux, le 2 décembre 1801, de recevoir l’accord du gouverne- ment français pour le rapatriement de la dépouille mortelle du Pape Pie VI. C’est lui qui ac- compagnera le précieux convoi et oubliera, en Italie, la lutte épuisante qu’il a dû mener. Mgr Caprara arrive à Paris le 4 octobre 1801. Il essaie bien de se montrer le plus ac- commodant possible ce qui est d’ailleurs dans sa nature. Cependant, il y a des points sur lesquels il ne voit pas comment on pourrait transiger. Bonaparte montre que lui-même sait transiger. Il avait réduit le nombre d’évêchés à 50. Il y en aura 60, mais dans ce nombre 32 évêques seront des hommes nouveaux, 16 seront des titulaires de l’Ancien Régime et 12 de l’Eglise constitutionnelle. Mais les assermentés ont formellement désobéi au Saint-Siège. Il n’est quand même pas possible de nommer évêque quelqu’un qui n’est pas soumis au suc- cesseur de Saint Pierre.. Il est vrai qu’il y a des principes gallicans! Et le temps passe. Et les colères de Bonaparte se renouvellent. Elles terrorisent le pauvre légat. Bonaparte veut être le maître et montrer que le Saint-Siège lui obéit autant que ses ministres et que ses assemblées législatives. Et c’est lui, maintenant, qui traîne les pieds, car il faut encore que le Concordat puisse devenir loi par l’accord du Tribunat et du Corps Législatif. Le Tribunat sera presque unanimement favorable ; mais le Corps Législatif, seulement par 228 voix sur 300. On a beau trembler devant le Premier Consul, certains osent quand même dire non à cette « capucinade » qu’il prépare. N’importe. Le 15 avril 1802, l’accord avec l’Eglise n’est plus seulement une série de gestes bienveillants; c’est une loi d’Etat. le ministre chargé des Affaires du Culte est un bon catholique: Portalis. Le 25 mars, on a conclu avec l’Angleterre la paix d’Amiens. Quelle merveille de pou- voir aussi annoncer la paix avec l’Eglise! Va-t-on y arriver pour le 18 avril, fête de Pâques?. En fait, les derniers jours de la Semaine Sainte sont encore un calvaire pour le légat qui sait bien qu’à Rome, on va le blâmer d’avoir trop concédé. Et à Lyon même, que devient le Pri- mat, ex-assermenté qui va faire partie du nouvel épiscopat ? Il sera évêque de Toulouse. Pour Lyon, rien n’est encore fait. Le Saint-Siège a nommé un nouvel administrateur du dio- cèse: Mgr de Mérinville pour attendre une nomination plus définitive.

162 Les années obscures de Marcellin Champagnat Tout n’est pas parfait, mais quand même ce 18 avril, sera une grande date. L’Eglise romaine triomphe et le peuple chrétien est en fête. A Notre-Dame de Paris, tous les impies de l’intelligentsia et de l’armée doivent être présents à la grand’ messe au cours de laquelle aura lieu la grande proclamation. Leur brouhaha irrespectueux sera dominé par deux con- certs d’orgue dirigés par Méhul et Cherubini, et mieux encore par la musique militaire repre- nant l’habitude de glorifier le Seigneur. Et le bourdon de la cathédrale, muet depuis 10 ans, s’ébranlera, suivi par les cloches de 40.000 églises. La veille du grand jour, Chateaubriand vient de publier « Le Génie du Christianisme ». Pour tout dire, certains parmi les meilleurs ne sont pas rassurés. Monsieur Emery dira, dans une lettre à un ami: « Si on avait eu la condescendance qu’a eue le Saint Père (Pie VII), si on s’était contenté, pour recevoir les jureurs et les intrus, d’une déclaration de sou- mission au Saint-Siège, le schisme serait fini et nous ne verrions rien de ce que nous voyons maintenant ». Mais cette condescendance n’était pas évidente pour tout le monde, comme le laisse entendre Monsieur Montanier (Manuscrit de Desloges, Histoire du Séminaire de Lyon) : « Ce qui nous affligeait le plus, c’était la dénégation des nouveaux réconciliés qui déclaraient hau- tement n’avoir rien rétracté ». La nomination définitive d’un archevêque pour Lyon allait enfin apporter un apaise- ment. Il s’agissait de l’oncle de Bonaparte, Mgr Fesch qui, comme tant d’autres, aux mauvais jours de 93 avait abdiqué son sacerdoce. Nommé en juillet, il arrive à Lyon au début de dé- cembre, et tout de suite il propose aux assermentés une formule d’adhésion assez anodine. Un registre est ouvert où s’inscrivent 342 noms à partir du 7 décembre 1802. Les signataires acceptaient de dire : « Je déclare, entre les mains de Mgr l’Archevêque de Lyon, que j’adhère d’esprit et de cœur au concordat et à toutes les mesures prises par l’Eglise et par l’Etat pour le rétablissement de la religion en France et que je me soumets en- tièrement à tous les projets du Saint-Siège sur les affaires ecclésiastiques de France ». « Mais, ajoute Montanier, le prélat dut se repentir de sa condescendance extrême lors- qu’il vit des populations catholiques repousser avec horreur des prêtres obstinés dans le schisme qui lui étaient envoyés ». Monsieur Courbon ne se cachait pas pour dire : « J’ai bien peur que Dieu ne nous reproche notre facilité, notre excessive indulgence dans les jours que nous venons de passer ». Quoi qu’il en soit, Bonaparte, le 3 octobre 1802, fait venir à Paris Courbon et deux au- tres prêtres insermentés, Renaud et un autre prêtre, tous deux assermentés, et tâche de les convaincre de faire la paix. Non sans peine, ni sans laisser des interrogations. Monsieur de Mérinville, finalement nommé à Chambéry, manifestera assez clairement qu’il est heureux de quitter le diocèse. Ce qui écœurait encore plus le bon clergé et les bons chrétiens, c’étaient les « articles organiques » que Bonaparte avait ajoutés au texte, sans l’accord du Pape. Mais enfin la marche arrière n’était plus possible. Bonaparte n’irait sûrement pas à Canossa. Il fallait donc vivre et supporter les intrus réintégrés qui d’ailleurs pour la plupart désiraient simplement faire oublier le passé. Heureux village de Marlhes où le problème n’existait pas! La vie chrétienne normale avait repris. A vrai dire, il ne fallait plus enseigner le catéchisme du diocèse de Puy, car ce diocèse n’existait plus. Le nouveau catéchisme à enseigner restait très orthodoxe, mais il devait faire appel à un patriotisme orienté. Le petit Français chrétien devait apprendre que Napoléon avait été suscité par Dieu dans des circonstances difficiles. Comme l’enseigne la Bible pour David, il était l’oint du Seigneur. On devait l’aimer, payer l’impôt, répondre à la conscription et ces devoirs étaient prescrits sous la menace des peines de l’enfer. Depuis des siècles, le 15 août était la fête de l’Assomption, avec messe, vêpres, pro- cession, à Marlhes au moins autant qu’ailleurs, mais désormais il ne faudrait pas oublier que ce jour était aussi la saint Napoléon.

163 Les années obscures de Marcellin Champagnat Les anciennes fêtes qui ruinaient le savetier de La Fontaine était bien réduites en nombre. Outre l’Assomption, il y aurait désormais l’Ascension, la Toussaint et Noël, auxquel- les s’ajouteraient le 14 juillet et un peu plus tard, le 2 décembre, anniversaire d’Austerlitz. Disons que la paix religieuse valait bien quelque soumission. Monsieur Allirot et son vi- caire se devaient d’accepter un catéchisme mis au point par Caprara et Portalis, en accord avec la doctrine de Bossuet. Dans la famille Champagnat, hélas, après l’euphorie générale de 1802, voici que ve- naient les épreuves. En 1803, deux frères de Marcellin Champagnat mouraient au cours de l’année: Jean-Baptiste, 23 ans et Benoît-Joseph, 13 ans. Celui-ci était le 10ième et dernier de la famille. Le père allait mourir l’année suivante, mais un peu avant ce dernier décès, un prê- tre était passé au Rozet, à la recherche de vocations sacerdotales, et Marcellin avait dit oui à l’appel. Avec ce fils de Jacobin, l’Eglise trouverait un apôtre pour relancer sa marche vers une nouvelle aventure missionnaire en France et aux antipodes.

164 Les années obscures de Marcellin Champagnat ANNEXES

165 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 1. RECENSEMENTS

Sous l’Ancien Régime, on n’a guère que des recensements fantaisistes « par feux » - disons par familles indépendantes. A partir de là, on prend un coefficient moyen qui tient compte des enfants, des grands-parents vivant à la maison et aussi d’éventuels domesti- ques. Voici par exemple une étude sans titre et sans explication et qui concerne une assez bonne partie du Forez autour de St. Etienne pour les années 1720 et 1721. Les chiffres sont presque le double de la réalité. Le seul intérêt semble être de montrer que Marlhes, tout en étant une « paroisse » plus considérée, puisqu’elle dispose de 6 parcel- les, est moins peuplée que St. Genest qui pourtant n’a que quatre parcelles.

Marlhes : En 1720 En 1721 1. Hôpital du Temple 1030 1070 2. La Faye et La Faurie 1300 1330 3. Prélager (Prélagier et le Champt) 480 480 4. Clavas et Marlhes 430 480 5. La Faye et Marlhes 800 820 6. Prébert (Peubert) et La Frache. 340 350 4380 4530

Saint Genest-Malifaux : Saint Genest-Malifaux 1030 1100 St. Genest-en-Feugerolles 1300 1350 Pléney-en-Rochetaillée 1600 1660 La Montagne-Saint-Genest-Malifaux 930 1030 4860 5140

Peut-être s’agit-il de montrer que, au Moyen Age et à la Renaissance, Marlhes, rési- dence des Templiers, puis des Chevaliers de Malte, a connu une prospérité qu’il a ensuite un peu perdue en faveur d’un village voisin, plus actif dans l’artisanat. Dans un mémoire de maîtrise concernant St. Genest, Odile Massardier215 à partir d’un comptage effectué en 1788 et qui dénombre 420 feux, estime la population à 2.100 habi- tants. Elle a donc pris le coefficient 5, ce qui est un peu modeste, comme nous allons voir. En 1793, une délibération de la municipalité de St. Genest, en date du 12 mai, refuse une évaluation à 2.500, mais c’est pour réduire une réquisition de 35 hommes. Les respon- sables municipaux disent donc :« C’est beaucoup trop, car ... la population de St. Genest n’arrive pas à 2.500 habitants, encore compte tenu des femmes et des filles que la fabrique de rubans avait attirées et d’une grande quantité de domestiques »

215 : Odile Massardier, Aperçu démographique et social d’un village du Forez, à la veille de la Révolu- tion : Saint Genest-Malifaux de 1760 à 1789 ; Mémoire dactylographié, 1971.

166 Les années obscures de Marcellin Champagnat Mais puisque c’est Marlhes qui nous intéresse, il faut rappeler que, au moins pour ce village, nous avons un recensement dû à l’instigation de Monsieur Allirot qui doit avoir à justi- fier le salaire qu’on va lui attribuer au prorata du nombre de ses paroissiens. Ce recense- ment s’intitule :« Etat de la population de la paroisse de Marlhes pour l’année 1790, Mon- sieur Allirot Curé-prieur de Marlhes ». Il donne non seulement le nom de chaque hameau, mais pour chaque habitant il donne aussi son nom, son prénom, son âge, s’il (ou elle) a fait sa première communion, s’il (ou elle) a été confirmé (e), marié (e), s’il (ou elle) est veuf (ou veuve). Il y a même une allusion à son métier et à sa situation de propriétaire ou granger. A la fin, la statistique ajoute quelque 75 « pauvres » qui sont sans doute des SDF, sans feu (c’est le cas de le dire), ni lieu. Et il y a aussi un « supplément » : famille arrivée ré- cemment ou simplement oubliée. Cela donne un total de 2.575 habitants. Jean Merley, dans un article « La situation économique et politique de la Haute-Loire à la fin du Directoire » - Marlhes est à la frontière - fait la considération suivante : « La plupart des jeunes gens de 16 à 30 ans sont presque partout six mois absents ; ils se répandent dans la capitale, parfois en Espagne et surtout dans les départements voisins pour travailler comme terrassiers ou comme scieurs de long ». Cela fausse-t-il le comptage de Monsieur Allirot ? Je ne pense pas, car il a tout intérêt à n’oublier personne et on peut imaginer qu’il opère de la façon suivante. Un jour, en chaire, il annonce qu’il doit procéder au recensement de la population. Il convoque donc, un premier dimanche, par exemple les gens de Lallier et du Rozet :« Je demande qu’un responsable de chaque feu vienne à la maison paroissiale pour me donner nom, prénom, âge, etc. de cha- que membre de son feu. Cela aura lieu tel jour, à telle heure. Qu’on se le dise !... ». Dans un village où tout le monde est pratiquant, où il n’y a pas de protestants, le comp- tage est relativement facile, et même s’il y a des scieurs de long qui sont partis au loin jus- qu’à l’hiver, dans la famille elle-même on les connaît bien. Est-ce à dire que ce sera parfait ? Sûrement pas, car ce doit être plutôt hâtif et, par exemple, à Jean-Baptiste Champagnat, qui a 36 ans, on en attribue 47. Pour le dernier-né, Joseph-Benoît, l’âge n’est pas indiqué. Le recensement sera repris en 1808. Là encore il y a des approximations et, à Marie- Thérèse qui devrait avoir 63 ans, on en attribue 60. Disons cependant que, faute d’exactitude, à partir des recensements de la période ré- volutionnaire, on peut avancer un chiffre probable de 24 millions d’habitants pour l’ensemble de la France.

167 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 2 REVENTE DES BIENS NATIONAUX

REVENTE DES BIENS NATIONAUX DE PREMIERE ORIGINE

Ci-devant dépendant de la Prébende de St. Jean-Baptiste du Temple. L’an 3ième de République française, une et indivisible, et le 8ième jour du mois de Messi- dor, nous, administrateurs du District de Commune d’Armes, nous [nous] sommes transpor- tés, accompagnés de l’agent national, dans la salle des séances, où étant, celui-ci a annon- cé qu’il allait être procédé à la réception des premières enchères, pour la vente des Biens ci- après désignés : indiqués par l’affiche N° XII du mois de Messidor dont il a été donné lec- ture : laquelle affiche a été bien et dûment publiée et apposée dans les lieux prescrits par li loi ; lesquels biens consistent en : Un pré appelé de Goyne, situé à Marlhes, contenant 9 métérées et un quart, joignant d’orient et septentrion le pré de Jean Chouche et le patural de la Commanderie du Temple ; de midy le pré de l’hôtel-Dieu et de septentrion, un chemin vicinal. Adjugé par procès-verbal du 20 avril 1793 au citoyen Jean-Baptiste Champagnat, de Marlhes, à la somme de trois mille neuf cent cinquante livres, Estimé par procès-verbal d’expert à la somme de (ligne raturée) Les quels biens seront adjugés définitivement à une seconde publication qui sera faite dans une décade et demie, sous les conditions ci-après : Depuis et le 23 du mois de Messidor, 3 ième année de la République une et indivisible, à neuf heures du matin, Nous, Administrateurs du District de Commune-d’Armes, accompa- gnés de l’Agent national, nous sommes rendus dans la salle des séances, où nous avons annoncé que, d’après la publication faite par l’affiche du 8 Messidor apposée à cet effet, dans les lieux prescrits par la Loi, il allait être procédé à l’adjudication définitive des biens in- diqués par ladite affiche, et de l’article 4 mentionné en icelle, dont la consistance est plus au long détaillée dans le procès-verbal de première criée, qui a eu lieu le 8 du mois de messidor et, de suite, l’Agent national ayant donné lecture des dites affiches du procès-verbal de la première séance, des détails y portés, sur la situation et consistance des objets mis en vente, et des clauses, charges et conditions y détaillées, nous avons ouvert les enchères sur la somme de trois mille neuf cent cinquante livres qui est le montant de l’estimation, n’y ayant pas eu d’enchères mises lors de la première séance. En conséquence, nous avons fait allumer un premier feu, pendant la durée duquel il a été offert par le citoyen Faure, la somme de quatre mille livres ayant fait allumer successi- vement quatre feux, pendant la durée desquels les enchères ont été portées à la somme de huit mille cinq cent livres par le citoyen, J. Nicolas de St. Etienne. Il a été allumé un 5 ième feu qui s’est éteint, sans qu’il ait été fait aucune nouvelle en- chère ; en conséquence, le District a adjugé au citoyen Nicolas neveu, demeurant à St. Etienne, comme dernier enchérisseur, les biens désignés en l’affiche et au présent procès- verbal, pour le prix et somme de huit mille cinq cents livres aux clauses, charges et condi- tions portées par ledit procès-verbal, et prescrites par les Lois, que le dit citoyen Nicolas a déclaré bien connaître, et a signé avec nous. Fait au District de Commune-d’Armes, lesdits jour, mois et an que dessus. Sur la mi- nute Nicolas, adjre Royet... et Praire. ------Enregistré à St. Etienne le 25 messidor, 3ième année de la République française, reçu vingt sols Signé Balme la rature de trente huit mots approuvée. Pour expédition M. Paret, Secrétaire.

168 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 3 GREGOIRE ET L’EGLISE CONSTITUTIONNELLE

Grégoire (1750-1831) est un esprit très indépendant. Député aux Etats-Généraux, il devient évêque constitutionnel et appartiendra à toutes les Assemblées de la Révolution, sans être régicide et sans manquer de courage pour critiquer ce qui est critiquable et pour proclamer sa foi. Après Thermidor, il réclame le liberté des Cultes. Membre des Cinq-Cents sous le Di- rectoire, il restera le républicain opposé aussi bien à Napoléon qu’aux Bourbons. Il est sur- tout le « patriarche de l’Eglise gallicane ». C’est un homme plein de générosité et de dignité. Il refuse un épiscopat que Bonaparte voudrait lui donner au moment du concordat, comme il refuse de faire amende honorable au Saint Siège. Elu député de l’Isère en 1819, il voit son élection annulée : il sera jusqu’à la fin un prêtre d’avant-garde. Sa mort en 1831 sera l’occasion d’une grande manifestation libérale : 20.000 personnes à son enterrement. L’Eglise constitutionnelle dont il était le chef a eu plus d’apostats que l’Eglise insermen- tée, mais il ne faut pas non plus généraliser. Grégoire n’est pas le seul à avoir été un catho- lique très sincère, au sein de cette Eglise. Elle avait comme organe de diffusion :« les Annales de la Religion » où l’on trouve de vraies préoccupations pastorales d’avant-garde. On y débat, par exemple, d’un missel en français, réalisation dont on a conscience qu’elle sera difficile : il y a beaucoup d’idiomes en France, une langue vivante est par ailleurs toujours en évolution, d’où le danger des mots qui changent de sens. On décide, en attendant, d’avoir des missels bilingues : français-latin. La mentalité gallicane explique en grand partie les attitudes anti-romaines de l’Eglise constitutionnelle. Dans un contexte de guerre étrangère, elle fait prévaloir son « patriotisme » sur l’obéissance au pape.

169 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 4. FOUCHE - JAVOGUES ET LEUR SINCERITE EGALITAIRE.

Javogues n’a pas assez vécu pour qu’on puisse juger de son détachement de l’argent. il est certain qu’il a expédié à la Convention des sommes importantes pillées ça et là. Ses al- lures de bandit généreux, style Mandrin, au service des petits, correspondent-elles à quelque chose de réel ? Ce qu’il faut dire, en tout cas, c’est que les proclamations de désintéresse- ment ne voulaient pas dire grand chose à cette époque. Une petite crapule comme le juge Bourgeois de St. Chamond, au dire de J.L. Barge, a toujours l’égalité à la bouche :« qui- conque cherche à affamer son semblable mérite la mort », dit-il ; mais il se laisse acheter avec la plus grande facilité. Pourvu que J.L. Barge lui porte du beurre, du fromage, des per- drix, dans un moment de dures restrictions, il est prêt à fermer les yeux sur maintes choses. Au niveau des crapules supérieures, on a le cas de Fouché qui est probablement le premier et le plus avancé dans les proclamations égalitaires. Très clairement, il est opposé à une révolution bourgeoise :« La Révolution serait un monstre politique et moral, si elle avait pour but d’assurer la félicité de quelques centaines d’individus et de consolider la misère de vingt-quatre millions de citoyens. Ce serait une illusion blessante pour l’humanité que de dé- clamer sans cesse le mot d’égalité si des intervalles immenses de bonheur devaient toujours séparer l’homme de l’homme ». Et voici le même Fouché, inventant bien avant la lettre, la dictature du prolétariat : « Pour être vraiment républicain, il faut que chaque citoyen éprouve et opère en lui-même une révolution égale à celle qui a changé la face de la France. Tout homme qui a des larmes à donner aux ennemis du peuple, qui ne réserve pas toute sa sympathie pour les victimes du despotisme et pour les martyrs de la liberté ; tous ces hommes ainsi faits et qui osent se dire républicains ont menti à la nature et à leur cœur ; qu’ils fuient le sol de la liberté ; ils ne tarde- ront pas à être reconnus et à l’arroser de leur sang impur ». Et encore : « Prenez tout ce qu’un citoyen a d’inutile, car le superflu est une violation évidente et gratuite des droits » Faites confiance à cet homme si détaché ! Il mourra en 1820, un des plus riches de France !

170 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 5. EXTRAIT DES REGISTRES DES MUNICIPALITES DE LA PAROISSE DE MARLHES Délibération du 2 juin 1791

171 Les années obscures de Marcellin Champagnat 172 Les années obscures de Marcellin Champagnat Annexe 6. CHRONOLOGIE DE LA REVOLUTION FRANCAISE

1789. 5 mai Réunion des Etats Généraux à Versailles. 17 mai Les 1000 députés décident qu'ils sont une Assemblée Constituante chargée de faire une constitution qui met fin à la royauté absolue. Courant juillet La Grande Peur: on brûle des châteaux. 14 juillet Prise de la Bastille. 4 août (Nuit) Clergé et noblesse renoncent à leurs privilèges. 5 octobre Une troupe de Parisiennes vont assaillir le château de Versailles et ramènent à Paris roi, reine, dauphin et députés.

1790. Février Suppression des vœux des religieux. mai Les propriétés des religieuses et des religieux peuvent êtres vendues comme biens nationaux. Un salaire compensera. 12 juin Avignon qui faisait partie de l'Etat pontifical, vote son annexion à la France. 12 juillet Constitution civile du Clergé. Evêques et prêtres seront élus par le peuple. Les prêtres doivent prêter serment à cette Constitution s'ils veulent pouvoir être élus. Ils seront assermentés et recevront un salaire ; les autres seront inser- mentés ou réfractaires et n'auront plus de ressources. Ces derniers vont vite apparaître comme anti-patriotes.

1791 Début de l'année Beaucoup de prêtres se décident pour le serment, mais souvent un ser- ment assorti de beaucoup de restrictions. 13 avril Pie VI condamne la Constitution civile du Clergé. Ceux qui ont prêté serment doivent se rétracter. 20 juin Le roi essaie de s'enfuir. Il est ramené à Paris. 14 juillet Deuxième anniversaire de la Bastille. Fête grandiose pour faire oublier la boucherie du premier 14 juillet. 17 juillet Emeute contre le roi au Champ de Mars. La Fayette fait tirer sur la foule. 3 septembre La monarchie devient officiellement constitutionnelle. Le roi conserve un droit de veto. 1 octobre Réunion de la nouvelle Assemblée (Législative). 20 novembre Les prêtres qui n'ont pas prêté serment sont passibles de déportation. Le roi mettra son veto.

1792 15 mars Ministère girondin. 20 avril Déclaration de guerre à l'Autriche. 24 avril Rouget de Lisle compose la Marseillaise. 20 juin Emeute contre le roi : A bas le veto. Il résiste. 27 juillet Ultimatum de Brunswick. Subversion totale si on touche au roi. 10 août Louis XVI et sa famille prisonniers. Tous les décrets bloqués par le veto sont exécutoires. 20 août Loi de déportation contre les prêtres réfractaires qui cependant peuvent prê- ter un nouveau serment. 30.000 fuient à l'étranger. 21 La Vendée commence à se soulever pour défendre sa foi. 2 septembre Massacre de prêtres emprisonnés et autres prisonniers.

173 Les années obscures de Marcellin Champagnat 20 septembre. Les Français sont victorieux à Valmy contre les Autrichiens. 20 Début de la nouvelle Assemblée (La Convention). 22 Début de l'an l de la Nouvelle Ere.

1793 21 janvier Louis XVI guillotiné. 24 février Levée de 300.000 hommes. 10 mars La Vendée accentue son soulèvement. 18 mars Dumouriez, le vainqueur de Valmy, passe à l'ennemi. 6 avril Création du Comité de Salut Public qui contrôlera tout. 29 mai Lyon, à son tour, se soulève contre la Convention. 31 mai-2 juin Guerre à mort entre Jacobins et Girondins. 13 juillet Marat assassiné par Charlotte Corday. 14 juillet Les Lyonnais semblent vainqueurs. 17 Chalier (équivalent de Marat à Lyon) est guillotiné. 4 août La Convention lance 3 armées contre Lyon. courant août Mobilisation de près d'un million d'hommes (levée en masse). 5 octobre La Convention adopte officiellement le nouveau Calendrier. 9-10 Lyon est écrasé. 12 A Paris (St Denis) profanation des tombeaux des rois. 16 Marie-Antoinette guillotinée. 31 Les députés girondins exécutés Novembre-décembre Cérémonies sacrilèges en divers lieux. 10 novembre Fête de la Raison dans la cathédrale de Paris.

1794. Janvier Les colonnes infernales de Turreau mettent la Vendée à feu et à sang. 5 avril Robespierre fait guillotiner le parti de Danton. 13 avril Robespierre fait guillotiner le parti de Chaumette. 8 juin Fête de l'Etre Suprême. Mais la persécution continue. 10 juin Grande Terreur. Plus d'avocat. 26-27 juillet (= 8-9 thermidor) Robespierre guillotiné. Pendant un an Convention thermidorienne. Alternatives de persécution et de pacification.

1795 mai-juin Terreur blanche contre les ex-terroristes de 93-94. 26 octobre Nouveau gouvernement : Le Directoire. 5 Directeurs. Assemblée renouvelable par tiers.

1796 mars-mai Série de victoires de Bonaparte en Italie. 10 mai Répression de la conspiration de Babeuf. 9-10 septembre Répression de la conspiration des Egaux (Babeuf encore).

1797 19 février Traité de Tolentino. Bonaparte annexe des Etats pontificaux. avril Les élections à l'Assemblée sont de plus en plus à droite. 4 septembre(= 18 fructidor) Coup d'Etat de Bonaparte. Elections annulées. Le Directoire devient plus persécuteur que jamais. 17 septembre Traité de Campo-Formio (Bonaparte et l'Autriche).

174 Les années obscures de Marcellin Champagnat 1798 20 janvier Rome occupée par l'armée française. 15 février Pie VI , prisonnier et exilé à Valence. 19 mai Bonaparte part pour l'Egypte. l juillet Prise d'Alexandrie, Le Caire, les Pyramides. 1 août Mais la flotte française détruite à Aboukir. 22 août Bonaparte quitte l'Egypte. 29 août Pie VI meurt à Valence. 9 novembre(= 18 brumaire). Bonaparte renverse le Directoire.

1800 25 janvier Nouvelle Constitution. Consulat. 14 mars Election de Pie VII. 25 juin Bonaparte fait connaître son désir de contacts avec le pape.

1801 15 août. Pie VII signe le Concordat.

1802 18 avril (Pâques) Proclamation du Concordat.

175 Les années obscures de Marcellin Champagnat TABLE DES MATIERES

PRESENTATION ...... 2 INTRODUCTION ...... 3

Première Partie De 1789 au 9 Thermidor (27 juillet 1794)

Chapitre I. EVENEMENTS PRECURSEURS DE LA REVOLUTION...... 5 1. – Préludes lointains ou proches...... 5 a) Niveau national...... 5 b) Niveau régional...... 5 2. – L’Etat a besoin d’argent...... 6 3. – Réunion des Etats Généraux...... 6 a) Cahiers de doléances...... 7 b) Le cahier d’une parcelle...... 7 c) Préliminaire à la réunion des Etats Généraux...... 8 d) Les élections (niveau Bourg-Argental)...... 8 e) Les élections (niveau Montbrison) ...... 9 Chapitre II. MARLHES ET SA REGION - LES CHAMPAGNAT. SITUATION SOCIALE A PARIS ET DANS LA REGION EN 1789...... 12 1. – Le village de Marlhes : situation administrative...... 12 2. – Son importance...... 12 3. – La famille Champagnat...... 12 4. – Le contexte social régional en 1789...... 13 5. – Les événements précurseurs du 14 juillet 1789...... 14 6. – Et les retentissements en province. Jacquerie ou psychose ?...... 15 7. – Nuit du 4 août et Déclarations des Droits...... 17 8. – Les Journées d’octobre 1789...... 18 9. – Et leur retentissement en province...... 18 Chapitre III. ORGANISATION ADMINISTRATIVE SOUS L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE...... 19 1. – Mesures administratives générales...... 19 2. – Atermoiements...... 19 3. – Elections des administrations des départements et des districts...... 20 4. – Election des Directoires de départements et de districts...... 21 5. – Elections des municipalités...... 22 6. – Les Gardes Nationales...... 22 Chapitre IV. DECRETS SOCIAUX ET RELIGIEUX...... 23 1. – Déclaration des Droits de l’Homme et abolition des privilèges (juil.-août 1789) 23 2. – Divers décrets...... 24 a) Nationalisation des biens du clergé (oct. – 2 nov. 1789) ...... 24 Au chapitre des ressources...... 24 Au chapitre des charges...... 25 b) La suppression des vœux religieux (13-19 février 1790)...... 26 c). La Constitution Civile du Clergé...... 26 1 - Le Décret (12 juillet 1790)...... 26 2 - La prestation du serment (27 novembre 1790)...... 28 3 - L’implication politique...... 29 4 - La position de Mgr de Marbeuf...... 30 5 - La position du Pape...... 31 Chapitre V. LES DERNIERS MOIS DE LA CONSTITUANTE ...... 33

176 Les années obscures de Marcellin Champagnat Chapitre VI. L’ASCENSION DE J.B. CHAMPAGNAT A LA FIN DE LA CONSTITUANTE ...... 35 1. – Les élections du 19 juin...... 35 2. – La convocation du 3 juillet 1791...... 36 3. – Le 14 juillet 1791...... 37 4. – A nouveau la question du clergé constitutionnel...... 38 5. – Le mandement Lamourette...... 40 6. – Le climat social dans la région sous la Constituante...... 41 Chapitre VII. LES DEBUTS DE LA LEGISLATIVE ...... 44 1. – Niveau national...... 44 2. – Niveau régional...... 44 a) Faire la police...... 44 b) Contrôler les poids et mesures...... 45 c) Faire respecter la religion...... 45 Chapitre VIII. AGGRAVATION DE LA SITUATION PENDANT LA LEGISLATIVE ...... 46 1. – A l’égard des prêtres réfractaires...... 46 2. – La guerre et la conscription obligatoire...... 47 3. – L’exil massif des prêtres (26 août 1792)...... 49 4. – Les massacres de septembre...... 50 5. – Maintenir une présence chrétienne...... 50 Chapitre IX. LES ELECTIONS ET LES PARTIS AU DEBUT DE LA CONVENTION...... 52 1. – A Paris...... 52 2. – Dans la région...... 52 3. – Politique religieuse...... 53 4. – Situation militaire...... 54 Chapitre X. CHAMPAGNAT, COMMISSAIRE SOUS LA CONVENTION...... 55 1. – La conscription et la République...... 55 2. – Une vraie garde nationale...... 55 3. – Lever des impôts...... 55 4. – Le clergé de Marlhes prête serment...... 55 5. – Dans la région : oppression anticléricale...... 56 6. – Mais peu visible à Marlhes...... 56 a) Lettres administratives et réquisitions...... 56 b) Marasme dans l’industrie et l’artisanat...... 57 c) Brouillard sur l’évolution religieuse...... 57 d) Une nouvelle ère...... 58 Chapitre XI. LE DEBUT DE 1793...... 59 1. – L’exécution du Roi...... 59 2. – La levée de 300.000 hommes...... 59 3. – Dumouriez et la psychose de trahison...... 59 4. – Que se passe-t-il à Marlhes ?...... 59 5. – Champagnat, Juge de paix...... 60 6. – Les nouveaux impôts...... 60 Chapitre XII. LA GUERRE CONTRE LYON ...... 62 1. – La lutte Girondins - Montagnards ...... 62 2. – Premier temps : les Lyonnais gagnent (mai - juin 1793)...... 63 3. – Deuxième temps : les Jacobins contre-attaquent...... 64 4. – Briser l’unité de la Région Lyonnaise...... 67 5. – Dernier mois de la guerre contre Lyon...... 67 6. – La chute de Lyon (9 octobre 1793). Incidences dans la région de Marlhes...... 68 a) A Marlhes...... 68 b) A St. Genest-Malifaux...... 69 Chapitre XIII. I – LA REPRESSION SOUS JAVOGUES ...... 71

177 Les années obscures de Marcellin Champagnat 1. – Les condamnations...... 71 2. – D’autres aspects de sa dictature...... 72 a) La loi du maximum et ses punitions...... 72 b) L’emprunt forcé...... 72 c) La persécution religieuse...... 72 II – DANS LA REGION DE MARLHES...... 73 1. – Champagnat chaperonné par Ducros...... 73 2. – La chasse aux suspects...... 73 3. – Un aristocrate a St. Genest-Malifaux...... 74 4. – La délation...... 75 5. – Réquisitions...... 76 6. – Nouveau calendrier...... 76 7. – La fin de l’année 1793...... 76 Chapitre XIV. LA TERREUR SOUS JAVOGUES ...... 77 1. – L’organisation terroriste en province...... 77 2. – Le rappel de Javogues...... 79 Chapitre XV. LE PROBLEME RELIGIEUX DE L’AN II...... 80 1. – L’effondrement relatif de l’Eglise constitutionnelle en 1793-1794 ...... 80 2. – Cheminements et tendances des nouveaux cultes...... 82 a) Propagande athéiste...... 83 b) .... ou proclamation de l’Etre Suprême...... 83 c) Persécution quand même...... 84 d) Atermoiements des déchristianisateurs...... 84 Chapitre XVI. LE PROBLEME RELIGIEUX DANS LA REGION FIN 1793...... 86 1. – Les abdications...... 86 a) Jamon, curé de St. Genest-Malifaux...... 86 b) Linossier, curé de Jonzieux et autres cas...... 86 2. – La destruction des objets sacrés...... 87 3. – Confiscation des Eglises et culte décadaire...... 89 Chapitre XVII. LE PROBLEME RELIGIEUX DANS LA REGION EN 1794...... 90 1. – Le culte décadaire...... 90 2. – Les sentiments des catholiques romains...... 92 3. – Réaction du clergé constitutionnel...... 95 Chapitre XVIII. L’ENTREE DANS LA PHASE DERNIERE DE LA TERREUR ...... 96 1. – La situation au printemps 1794...... 96 2. – Politique socio-économique...... 96 a) Emprunt forcé...... 96 b) Perquisitions...... 96 3. – Lutte de Robespierre contre les Hébertistes...... 97 4. – Lutte contre les indulgents...... 97 5. – L’opposition continue...... 97 Chapitre XIX. FIN DE ROBESPIERRE ...... 98 1. – La grande terreur...... 98 2. – La grande terreur à Marlhes...... 98 a) Conscription et fugitifs...... 98 b) Marlhes réuni au canton de St. Genest...... 98 c) Le curé Allirot et le Clergé réfractaire...... 98 3. – Chute de Robespierre...... 101

178 Les années obscures de Marcellin Champagnat Deuxième Partie De la chute de Robespierre au Concordat : 1794 - 1800

Chapitre I. LES RETOMBEES DU 9 THERMIDOR JUSQU’A FIN 1794...... 103 1. – La journée du 9 thermidor à Marlhes...... 103 2. – Vie politique et religieuse de Thermidor à fin 1794...... 103 a) Niveau national...... 103 b) Niveau de district...... 104 1 - Persécution après thermidor...... 104 2 - L’intermède des béguins...... 105 3 - Impressions d’ensemble...... 105 c) Niveau local...... 105 1 - Sécularisation...... 105 2 - Conscrits et prêtres réfractaires...... 106 3 - Dénonciation...... 106 3. – Quand commence le revirement politique et religieux...... 106 a) Niveau national...... 106 b) Niveau du district...... 107 c) Niveau local...... 107 4. – Le cas des biens nationaux...... 107 a) Avant fin octobre...... 107 b) A partir de fin octobre...... 108 5. – Les certificats de civisme...... 108 a) Niveau du district...... 108 b) Niveau local...... 108 c) Conclusion...... 109 6. – Autres aspects de la fin 1794...... 109 a) Le souci de l’Instruction populaire...... 109 b) Réquisitions et fixation des prix...... 110 1 - Le blé...... 110 2 - Loi du maximum...... 111 3 - Pommes de terre...... 111 4 - Salpêtre...... 111 c) Impôts...... 112 d) Litiges de localités...... 112 e) Donc travail intense d’administration et de police...... 112 Chapitre II. PERIODE THERMIDORIENNE : le premier trimestre 1795...... 113 1. – Evolution politique et religieuse : niveau national...... 113 2. – Quand commence le revirement politique et religieux...... 114 a) Niveau de district...... 114 b) Niveau local...... 115 Chapitre III. PERIODE THERMIDORIENNE : avril - août 1795...... 116 1. – Coup d’Etat manqué de germinal An III, et conséquences...... 116 a) Niveau national...... 116 1 - Point de vue politique...... 116 2 - Point de vue religieux...... 117 b) Niveau régional...... 117 1 - Point de vue politique...... 117 2 - Point de vue religieux...... 117 c) Niveau local...... 117 1 - Les prêtres...... 117 2 - Les Sœurs...... 118

179 Les années obscures de Marcellin Champagnat 2. – Le problème des biens nationaux...... 118 a) Niveau national...... 118 b) Niveau du district...... 119 c) Niveau local...... 119 1 - Les ventes de J.P. Ducros...... 119 2 - Une revente de Champagnat...... 120 3. – Les meurtres royalistes...... 120 a) Niveau national...... 120 b) Niveau régional...... 121 c) Niveau local...... 121 1 - J.P. Ducros...... 122 2 - Champagnat...... 122 4. – Situation économique...... 123 a) Niveau national...... 123 b) Niveau local...... 123 1 - Situation socio-économique...... 123 2 - Les réquisitions...... 123 5. – Conclusion...... 124 Chapitre IV. FIN DE LA CONVENTION : septembre - octobre 1795 ...... 125 1. – Préparation d’une nouvelle Constitution...... 125 2. – Mises en garde contre la réaction...... 125 a) Niveau national et régional...... 125 b) Niveau local...... 126 3. – Revirement contre les réfractaires...... 126 4. – Vers un nouveau gouvernement...... 127 5. – Situation socio-économique à Marlhes...... 127 Chapitre V. LE DIRECTOIRE A SES DEBUTS...... 128 1. – Les débuts du Directoire...... 128 a) Au niveau national...... 128 b) Les débuts du Directoire dans la Loire...... 128 1 - Révocation d’administrations...... 128 2 - Epuration de la gendarmerie et de la garde nationale...... 128 3 - Réquisitions et luttes contre les insoumis...... 128 4 - Culte décadaire et politique religieuse...... 129 5 - Suppression des districts ...... 129 6 - ... et des communes...... 129 7 - Mesures économiques...... 129 c) Les débuts du Directoire à Marlhes...... 130 1 - L’Administration...... 130 2 - Réquisitions d’hommes...... 130 2. – Réactions royalistes de 1796...... 130 a) Niveau national...... 130 b) Dans la région...... 130 1 - Attentats...... 131 2 - Condamnation de Javogues...... 131 c) A Marlhes...... 131 1 - Démission de la municipalité...... 131 2 - Pour des questions d’impôts...... 132 3. – Restauration religieuse de 1796...... 133 a) Au niveau national...... 133 b) Niveau de Marlhes et sa région...... 133 1 - Restauration relative ...... 133 2 - mais réelle...... 133

180 Les années obscures de Marcellin Champagnat 4. – La guerre continue...... 134 Chapitre VI. LE DIRECTOIRE AU DEBUT DE 1797 ...... 135 1. – Au plan national ...... 135 2. – Situation dans la Loire...... 135 a) Tendances royalistes...... 135 b) Tendances religieuses...... 136 c) Tribulations à la mairie de Marlhes...... 137 d) Et l’on retrouve Champagnat...... 137 Chapitre VII. LE DIRECTOIRE ET LE COUP D’ETAT DE FRUCTIDOR ...... 138 1. – Avant le coup d’Etat...... 138 a) Signes de modération et de paix...... 138 b) Signes ambivalents...... 138 2. – Coup d’Etat du 18 fructidor (4 septembre 1797)...... 138 3. – L’Après fructidor...... 139 a) En France...... 139 b) Dans la Loire...... 139 c) A Marlhes...... 140 1 - La municipalité Champagnat...... 140 2 - Le commissaire Trilland...... 141 Chapitre VIII. LE PROBLEME DE L’ADMINISTRATION CHAMPAGNAT...... 142 1. – La chasse aux suspects...... 142 2. – Plantation de l’arbre de la Liberté...... 146 3. – Culte et fêtes décadaires...... 147 a) Au plan national...... 147 b) A Marlhes...... 147 1 - Fêtes du décadi...... 147 2 - Fêtes diverses...... 147 4. – Foires et marchés...... 150 5. – Les biens nationaux...... 150 6. – L’impôt et le jury d’équité...... 150 7. – Création d’emplois...... 151 a) Garnisaire...... 151 b) Mandeur...... 152 c) Garde Champêtre...... 152 8. – Les réquisitions...... 152 9. – Fixation des limites entre communes...... 152 10. – Questions diverses...... 153 a) Poids et mesures...... 153 b) Règlement de chasse...... 153 c) Absence d’instituteur...... 153 Chapitre IX. LE DIRECTOIRE CONTRE PIE VI...... 154 Chapitre X. LE CONSULAT ...... 155 1. – Le coup d’Etat du 18 brumaire...... 155 2. – Répercussions dans la Loire...... 155 3. – Répercussions à Marlhes...... 156 4. – Constitution de l’An VIII...... 156 5. – De nouveau, Trilland et ses exigences...... 156 a) Les Conscrits et les réquisitionnaires...... 156 b) La garde nationale...... 157 c) Réquisitions des chevaux...... 157 d) De l’impôt...... 157 6. – La fin de la municipalité Champagnat...... 157 a) Une des dernières séances...... 157

181 Les années obscures de Marcellin Champagnat b) La recherche des réquisitionnaires...... 158 c) L’appel à la garde nationale...... 158 d) Dernière séance...... 158 e) St. Etienne au début de 1800...... 159 Chapitre XI. VERS LE CONCORDAT...... 160

Annexes

Annexe 1. RECENSEMENTS ...... 166 Annexe 2 REVENTE DES BIENS NATIONAUX ...... 168 Annexe 3 GREGOIRE ET L’EGLISE CONSTITUTIONNELLE ...... 169 Annexe 4. FOUCHE - JAVOGUES ET LEUR SINCERITE EGALITAIRE...... 170 Annexe 5. EXTRAIT DES REGISTRES DES MUNICIPALITES … DE MARLHES ...... 171 Annexe 6. CHRONOLOGIE DE LA REVOLUTION FRANCAISE...... 173

182 Les années obscures de Marcellin Champagnat