La société de cour à Hautefontaine à la fin de l'Ancien Régime

Michelle SAPORI

Si les cours de Compiègne et Villers-Cotterêts sous l'Ancien régime ne sont plus à présenter, il en est une plus méconnue, située à mi-distance, qui n'était pas tenue par le roi ou un prince du sang mais par des représentants de la haute noblesse. Hautefontaine accueillait à la veille de la Révolution de «très hauts et très puissants seigneurs», appartenant au sommet de la pyramide nobi- liaire française, et son château était une villégiature pour un cénacle s'ingéniant à reproduire les modes de vie de Versailles. L'engouement pour ce séjour champêtre tenait d'ailleurs à la mode du retour à la campagne, affichée par une noblesse domestiquée et nostalgique de l'époque féodale où elle était toute puissante en ses fiefs ruraux (1). Dans cet Ancien Régime finissant, Hautefontaine aristocratique illustre par ailleurs une société de Cour, soumise à l'obligation constante de tenir son rang social et de dépenser sans limite, pour être en accord avec son état, jusque dans ses seigneuries de province (2).

Tant qu'elle appartint à la épousé Lucie-Catherine Cary de Les châtelains famille de Brion, la seigneurie de Falkland. Leurs familles apparte- Hautefontaine offrit l'image tra- naient à cette nébuleuse aristo- Grands seigneurs à Paris ditionnelle de la vie des gentil- cratique anglaise et irlandaise et courtisans à Versailles, les pro- hommes ruraux de l'ancienne ayant accompagné le dernier roi priétaires du château de . Grands rassembleurs de Stuart Jacques II, exilé en France Hautefontaine étaient entourés terres, ces représentants de la après la «Glorious Révolution» d'une grand nombre de proches moyenne noblesse de robe atta- de 1689, et dont maintes person- et de pairs, qu'ils attirèrent dans chée aux vertus du travail (3), nalités devaient être les hôtes de leur campagne soissonnaise. menaient une existence mondai- Hautefontaine. Le comte de Rothe lui-même ne limitée avec un train de vie Grâce notamment aux témoi- n'eut guère le temps de profiter modéré (4). gnages de deux célèbres femmes de son acquisition, puisqu'il Tout change 1766, en 1764 : les mémorialistes du XVIII0 siècle mourut deux ans après en acquéreurs de la seigneurie de appartenant à leurs familles, la laissant fille et unique héri- Hautefontaine une ont été mariés à comtesse de Boigne (5) et la mar- tière, Lucie-Thérèse de Rothe. Sa Versailles avec l'agrément et quise de la Tour du Pin de dont tout le monde s'ac- présence en veuve, de Louis XV, accompa- Gouvernet (6), et en nous corde à reconnaitre le caractère gné de toute la famille dès royale : appuyant aussi sur des fonds altier et despotique, prit lors avec eux le faste et le luxe s'ins- d'archives locales (7), nous pou- en charge le patrimoine familial tallent au château. Charles bien reconstituer le compte de fille mineu- Edouard vons assez ce pour sa comte de Rothe, lieute- que fut la vie de cour à re de dix ans. La comtesse de nant général des armées du roi, Hautefontaine pendant les der- Rothe aurait pris amant inspecteur pour son de l'infanterie et colo- nières décennies de l'Ancien propre oncle, l'archevêque nel d'un régiment irlandais, avait Régime. Arthur-Richard Dillon (8), sous la protection duquel se déroulait La comtesse Dillon, fort jolie à Hautefontaine ; les Sheldon (la la vie du château. Ce noble pré- femme, ressemblait physique- mère de l'archevêque Dillon était lat avait eu une ascension rapide : ment à sa mère, qui avait été née Sheldon) furent à demeure, abbé d'Elan et de Saint-Jean-des- assez belle, mais avait, à sa dif- depuis l'achat du château jusqu'à il à Il Vignes, fut nommé tour tour férence, un caractère d'une dou- la Révolution. y décédèrent - évêque d'Evreux, archevêque de ceur angélique. Très à la mode, François Raphael Sheldon, briga- Toulouse puis de Narbonne, avec elle plut à Marie-Antoinette, qui dier des armées du roi, fut ainsi le titre de «Président né des Etats la fit entrer dans sa Maison enterré dans la crypte de l'église du Languedoc». Délaissant son comme dame du Palais. Ecrasée de Hautefontaine en 1765, ou y lointain diocèse, il ne se rendait par sa mère, la comtesse Dillon naquirent : le 13 mars 1786 et le en cette province que quelques n'eut pas le courage de revendi- 6 mars 1787, des bébés Sheldon semaines par an en novembre et quer auprès d'elle l'autorité qui furent tenus sur les fonts baptis- décembre, pour présider aux lui revenait sur la seigneurie de maux que l'on peut encore Etats de Montpellier. L'homme Hautefontaine, mais elle s'en aujourd'hui admirer dans l'église n'était pourtant pas dénué de ouvrit à la reine, qui l'encouragea paroissiale. On rencontrait aussi compétences et déployait de réel- à défendre ses intérêts et à les Dillon-Osmond, parents de la les capacités administratives, demander des comptes, ce qui comtesse de Boigne, nouvelle- mais une fois la session terminée, mit la comtesse de Rothe dans ment mariés, et dont l'arche- il s'empressait de rejoindre ses une grande colère et la brouilla vêque s'était fait l'actif protec- devait résidences de Paris et de définitivement avec sa fille (10). teur - leur fille raconter Hautefontaine. Il était en fait plus tard leurs souvenirs. davantage intéressé par les affai- La parenté Dans l'état-civil du village, res nationales : d'une stature aux noms bien soissonnais se imposante, excellent orateur, il se Il y avait table ouverte mêlent des consonnances faisait remarquer par ses discours chez les Rothe et les Dillon pour d'outre-Manche, personnages de aux assemblées générales du la diaspora irlandaise et anglaise. la noblesse militaire gradés dans Clergé de France. L'archevêque L'archevêque tenait en effet sa les armées du roi ; le ministre de Narbonne et la comtesse de «Maison» au sens large de plénipotentiaire de Sa Majesté Rothe, qui avaient fait de l'époque, c'est à dire sa maison- auprès de l'électeur Palatin, Hautefontaine leur résidence née ou son lignage, et pas seule- Jacques Bernard 0' Dunne, le accoutumée, séjournaient le reste ment la famille étroite, suivant chevalier Edouard Swinburn, le du temps à Paris dans «l'hôtel de l'acception contemporaine. major 0' Flannagan, le colonel Rothe», immeuble particulier Parmi les proches omnipré- Georges Yelverton Kendall, le situé rue du Bac et plus tard rue sents, le cousin de l'archevêque brigadier Thomas de Betagh, Saint-Dominique. Edouard Dillon, dit «le beau milord comte de Roscommon, les Dans la famille, Dillon» (11), qui épousa 1777 Lee-Lichfield on se en ... mariait entre parents, pour éviter mademoiselle Françoise Harland la dispersion du patrimoine. Lorsque Lucie-Thérèse de Rothe, véritable propriétaire de la sei- gneurie, eut atteint ses 17 ans en 1769, on lui fit épouser le neveu de l'archevêque, aussi prénommé Arthur. Peu importait à la mère que sa fille, devenue comtesse de Dillon, portât plus une affection fraternelle que de l'amour conju- gal à un mari, qui était son cousin germain et avait été élevé avec elle (9). Le comte Arthur Dillon avait pour seul bien le régiment irlandais portant son nom et dont il était le jeune colonel. Essentiellement préoccupé d'af- faires militaires, ce La Fayette altifontain quitta vite son épouse pour participer à la guerre d'Indépendancedes Etats-Unis. Jacques Mermet, dans son article «L'enfant au Bois rêvait» (*), a donné une description très "romancée" mais attachante de la vie de cour à Hautefontaine. Il est à noter que la date mention- née par l'auteur est fantaisiste, aucun mariage n'y ayant été célébré le 18 mai 1783. Toutefois, cette même année, deux domestiques de l'archevêque Dillon se sont mariés : le 7 janvier, Jérémie Osselin avec Marie-Elisabeth Defournaux, cuisinière ; et le 21 juillet, Jean Fleury avec Thérèse Marin, fille du berger du village. D'autre part, le curé Marie-Joseph Véron, qui selon J. Mermet célébra ce mariage, était en fait mort depuis quatre ans, le 19 avril 1779, à l'âge de 87 ans !

"En cette jolie vallée où l'Aisne coule coquette et mutine, c'était jour de fête. Les cloches de Hautefontaine sonnaient un carillon joyeux, pendant que, dans les herbes de la forêt, s'agitaient les mignonnes clochettes des muguets parfumés. Par les routes illuminées du clair soleil de mai, par les sentes où chantaient les nids dans les buissons fleuris, les paysans, en leurs beaux habits de dimanche, se hâtaient vers le château. Parfois, ils devaient s'écarterpour laisser place à quelques carrosses armoriés secouant lourdement aux cahots des chemins son chargement de nobles dames en somptueux atours. C'était, en ce 18 mai 1783, la célébration des noces d'un valet de chambre du château de Hautefontaine avec une camériste de la comtesse de Rothe. Et, pour cet humble mariage de serviteurs, accouraient toute la noblesse et tous les ruraux de la contrée. Ainsi l'avait voulu le maître du lieu, M. l'Archevêque de Narbonne; ainsi le voulaient aussi les idées philosophiques du temps. Grandes dames qui se vantaient d'avoir lu Rousseau, fiers gentilshommes qui savaient redire un vers de Voltaire, tenaient à se donner le régal d'une fête champêtre. Pendant que Sa Majesté la Reinejouait à la bergère en ses Trianons, marquis et duchesses allaient passer une journée campagnarde à Hautefontaine avec de vrais laboureurs. Les habits de velours et les robes de damas se frotteraient, pour un instant, à la rude bure des cottes villageoises. (...) Seigneurs et châtelains, filles des champs et gars de charrues pénètrent dans la petite église, mais ne s'y mélangentpoint. La tribune seigneuriale resplendit des toilettes somptueuses; les diamants y scin- tillent; les perles y caressent les cous satinés, sous la poudre blanche des hautes coiffures. De là, en agi- tant mollement les plumes de leurs éventails, les grandes dames, comme en une loge de la Comédie domi- nant le parterre, laissent tomber un regard sur la foule aux mains dures qui emplit la chapelle. (...) Le bon curé Véron procède à la cérémonie du mariage. Il prononce un discours plein d'onction. H est ému : comment n 'éprouverait-il pas quelque timidité à parler ainsi devant tant de hauts person- nages. Mais le prêtre domine vite cet émoi. Son caractère sacréfait de lui le premier de cette foule. Et, lorsque le curé paysan étend ses mains pour bénir, tous les fronts devant lui, s'inclinent, même celui de M. l'Archevêque. La majesté divine, dont l'humble desservant campagnard est le ministre, s'impose de toute sa grandeur à ces châtelains qui retrouvent comme une dernière étincelle de leurfoi éteinte. La messe est achevée. La foule bourdonnante complimente les heureux époux et la journée va s achever en festins et en danses". (*) Paru dans Chroniques des pays d', 1929/1932, Imprimerie du Progrès de l'Oise, Compiègne. La coterie trop hardi Lauzun : «Sortez consacré quatre mois, et pou- Monsieur ! ». vaient alors se disperser dans les Les plus grands, les plus Le 12 mai 1779, Lauzun quitta châteaux de leurs familles et de brillants et les plus à la mode à la le village pour voguer vers leurs amis. cour du roi ne manquaient pas l'Amérique au secours des En décembre les hôtes du châ- d'aller à Hautefontaine et de s'en Insurgents, avec le corps de teau de Hautefontaine rega- trouver très honorés. Parmi eux volontaires qu'il venait de for- gnaient tous Paris, traversant la une véritable coterie s'était mer. Sheldon, habitué de forêt de Compiègne à cheval. constituée. Hautefontaine, colonel des hus- Le prince de Guéméné possé- Henri Louis Marie, prince de sards, partit également. Sur dait à Hautefontaine un important Rohan-Guéméné (12), grand place, les deux hommes se lièrent équipage de chasse dont la chambellan de France et officier d'amitié avec Alex de Fersen dépense se montait à quelque 30 de la Couronne, passait pour (15), passant toutes leurs soirées 000 £, somme comprenant les avoir une liaison affichée avec la ensemble. A son retour, le comte chiens, les chevaux et les gages comtesse de Rothe. Il était suédois se rendit fréquemment des piqueurs. Il en partageait la presque en permanence à chez la comtesse de Dillon, propriété et les frais avec le duc Hautefontaine et ne paraissait à Paris certainement, à de Lauzun et l'archevêque que très peu à Versailles, où l'ap- Hautefontaine fort probablement. Dillon. On se gardait toutefois de pelait pourtant sa charge en sur- La famille Polignac sévit aussi ses nuisances et la bruyante vivance de capitaine-lieutenant à Hautefontaine : Yolande meute était installée dans un vil- des gendarmes de la garde : Martine Gabrielle de Polastron, lage des environs. «L'attachement de M. de comtesse puis duchesse de On chassait le cerf pendant Guéméné pour madame Dillon Polignac, connue pour avoir été, l'été et l'automne dans les forêts était extrême : il ne vivait que avec la princesse de Lamballe, de Compiègne et de Retz. La pour elle et ne la quittait pas (...) une intime de Marie-Antoinette, chasse à courre avait lieu trois attaché aux pas de la comtesse, il auprès de laquelle elle disposait fois par semaine et les départs passait l'hiver à Paris chez l'ar- d'un grand crédit ; son mari, pour la battue étaient suivis par chevêque de Narbonne où logeait Armand Jules François de tous les jeunes gens de la parois- madame Dillon, et l'été à Polignac,était premier écuyer de se. La vie du village s'en ressen- Hautefontaine, terre de l'arche- Marie-Antoinette et à ce titre en tait évidemment, dans la mesure vêque. Il ne venait que rarement charge dans la «Maison de la où les chevaux et véhicules des à la cour qui aurait dû être son reine», du poste très important des habitants du château apportaient vrai séjour» (13). écuries. On retrouve également à du travail à un grand nombre de Armand Louis de Gontaut, duc Hautefontaine la belle-soeur, commerçants et d'artisans, mar- de Lauzun puis de Biron, véri- Diane de Polignac, maîtresse du chands de fourrage, selliers, ser- table Casanova de la cour, fit de comte de Vaudreuil, pour qui ruriers, charrons et bourreliers. Hautefontaine un de ses lieux pri- Yolande devait être accusée, sous L'équipage du château de vilégiés de séduction. Il s'y dis- la Révolution, d'avoir aidé Hautefontaine était d'ailleurs si puta d'abord avec son rival et Marie-Antoinette à dilapider la réputé que Louis XVI, chasseur néanmoins ami Guéméné les fortune de France. passionné, s'en serait montré faveurs de la comtesse de Dillon jaloux (16) : le roi passe pour M. le interpellé : «Plus lié que jamais avec La passion de la chasse avoir l'archevêque prince de Guéméné, nous nous Dillon à propos de son goût, fort épiscopal, quittions peu. Il me mena chez La passion de la chasse, peu pour la chasse : «Il Madame de Rothe (...) Le goût de mêlée à celle du cheval, était m'a été rapporté, dit le roi, que la chasse et de la campagne ren- constitutive du mode de vie des vous chassez beaucoup à courre. dit ma liaison plus intime, et je occupants du château, rythmait N'est-ce pas d'un mauvais exem- ple ?» effet, devins aussi assidu dans la mai- leur quotidien et par ricochet pour vos curés - «En son que M. de Guéméné» (14). celui du village et des environs, y Sire, pour mes curés, ce serait La comtesse ne répondant pas jouant un rôle à la fois écono- unefaute grave de chasser ; pour suffisamment à ses avances, il mique et culturel. moi, c'est la satisfaction d'un reporta ses tentatives sur madame La cour de Hautefontaine se goût hérité de mes ancêtres» de Martainville, soeur du «beau rendait de bonne heure à la cam- (17). Pour autant que cette anec- Dillon» et la liaison fut consom- pagne, à partir du printemps, et dote soit véridique, l'archevêque mée à Hautefontaine. Peut-être pour tout l'été. Mais le beau Dillon révélait ainsi sa sensibili- pour se faire pardonner, la com- voyage avait lieu seulement en té et sa conception du monde tesse de Dillon lui avait présenté octobre, lorsque les colonels typiquement «Ancien Régime» : la reine, et l'on connaît la célèbre étaient revenus de leurs régi- il se concevait plus noble que répartie de Marie-Antoinette au ments, auxquels ils avaient prélat. Une société de loisir et située au second étage, afin de faires, un chirurgien, un concier- de luxe mieux jouir de la vue sur le villa- ge, un précepteur, un chef de cui- ge tapi au fond de la petite vallée sine, un palefrenier, un cocher, un Les mondanités avaient ou sur la seconde cour du châ- postillon, un commandant pour un rôle primordial dans la vie des teau, dite «verte», avec en vis à l'équipage, mais aussi des fer- châtelains de Hautefontaine, dont vis deux grandes avenues bor- miers, secrétaires, jardiniers, le haut rang imposait des devoirs dées de 168 arbres. Un immense gardes chasses, piqueurs, valets de représentation envers les et magnifique escalier, en pierre d'écurie, valets et femmes de autres nobles. Oisifs et dépour- jusqu'au premier étage puis en chambre, frotteurs (20), filles de vus d'activité lucrative, sous bois jusqu'au second, avec une garde-robe et autre domestiques peine de déroger, ils avaient rampe en fer, conduisait à la salle plus polyvalents. l'obligation sociale de parader à manger. afin de conserver leur prestige et Le château possédait vingt- Les serviteurs se recru- d'en augmenter le rayonnement. cinq appartements destinés aux taient au village ou dans les terres Tous les arts y contribuaient et hôtes étrangers et qui étaient sou- alentour de la seigneurie, mais étaient à l'honneur dans cette vent tous occupés. Ils bénéfi- venaient aussi, pour certains, de société raffinée. On s'émer- ciaient du dernier confort de très loin. Ils constituaient une veillait cheminée à d' «aristocratie» de la des fêtes, concerts, sou- l'époque : alcôve et sorte pers et autres spectacles char- chambranle de marbre, mais domesticité éventuellement appa- mants donnés par Guéméné dans aussi bidets et chaises de commo- rentée (21), hiérarchisée du plus le théâtre qu'il avait fait construi- dités. (La chambre de la comtes- autorisé au simple exécutant. Ces re aux Tuileries. Ce prince entre- se disposait même d'une salle de gens se mariaient parfois avec tenant des musiciens, des chan- bain avec une baignoire). Chaque des Altifontains, mais le plus sou- teurs et des danseuses, continuait appartement comportait une vent entre eux, ce qui contribuait ce mode d'existence à chambre, deux petits cabinets encore à les séparer du monde Hautefontaine, où ses concerts contigus, une garde-robe et une extérieur et à en faire un milieu ainsi ils étaient réputés excellents. ou plusieurs pièces attenantes, à autonome et fermé - Madame Dillon était elle-même côté ou au-dessus, pour le loge- avaient leur propre billard dans bonne musicienne et, relative ment des domestiques, avec cou- l'office. rareté pour l'époque, possédait loir ou escalier interne les reliant Ils étaient souvent honorés, les au château un piano-forte. Elle directement. chatelains assistant à leurs céré- chantait avec le célèbre Piccini, L'intérieur du château monies. Ainsi, lors du mariage qui aurait, dit-on, prisé sa voix. était agrémenté d'une décoration célébré le 20 novembre 1765 On jouait beaucoup la comédie. particulièrement riche et raffinée, entre Jacques Flobert, jardinier On bavardait en buvant du thé. digne de la naissance et du statut originaire de Hautefontaine, et On faisait Geneviève Delorme, née à Vic- des parties de tric-trac. élevé de ses propriétaires : dessus On s'exerçait même à l'astrono- de porte en bas-reliefs, grand sur-Aisne, on note la présence du mie à l'aide d'un téléscope nombre de tableaux et de gra- comte et de la comtesse de Rothe, anglais et d'une grande lunette vures, représentant le plus sou- de mylord de Roscomon, du astronomique. vent des portraits de famille, des vicomte de Polignac, de Jules et paysages ou des marines Jean de Polignac ainsi qu'Arthur Préfigurant nos actuels anglaises, dont certaines oeuvres Dillon, qui ont tous signé au rendez-vous d'affaires et les rela- d'artistes connus, comme Hubert registre avec le curé. Ces tions publiques de notre temps, Robert (18). moments étaient certainement les réceptions, fêtes et visites vécus comme amusants et pitto- dites privées à frotteur, fille de garde- se succédaient sans Des domestiques resques : cesse à Hautefontaine. l'image des maîtres. robe ou jardinier avaient pour La distribution intérieure du témoins ducs et marquises, château, reconstruit dès avant Pour recevoir, il fallait de comme le voulait l'air du temps, 1720, témoignait des conditions l'espace, mais aussi du personnel renouant ainsi avec la tradition de ces réceptions. Toutes les piè- de service nombreux et aux attri- paternaliste de la noblesse rurale. ces étaient disposées aurait domestiques étaient autour d'un butions variées : on en Les en noyau central situé dans le grand compté une quarantaine en per- généralement très fiers, faisant pavillon et comprenant les appar- manence à la fin du XVIIIo suivre leur propre désignation tements de les d'état civil la parade : un salon de siècle, ce qui qui était nettement dans actes par musique, un grand salon de com- plus que du temps de la famille dignité de leurs maîtres. On pagnie, une salle de billard, une De Brion (19). Le château avait conçoit l'attachement à ces der- salle à manger majestueuse, flan- entre autres un intendant, un niers, que plusieurs ont suivis en quée de deux petits «resserts» et maître d'hôtel, un homme d'af- émigration sous la Révolution.

L'anglomanie à la mode Un tel conformisme tatillon la logique de ce système et gar- paraissait pourtant peu compati- dait dans ce désordre de si «Paraître» était le mot clé et ble avec la fonction épiscopale, bonnes manières, que ses suivre les contemporains observaient modes un impératif : à offrant dans le cas d'espèce de partir des années 1770, la France l'archevêque Dillon un objet qu' «en arrivant à Hautefontaine, de Louis XVI prétendait vivre «à notoire de scandale : la vie de ce on était sûr qu 'elle était la maî- l'anglaise», et le modèle d'Outre- prélat non résident en son diocè- tresse du prince de Guéméné, et Manche s'imposait d'autant plus se, remplie de loisirs et de mon- lorsqu 'on y avait passé six mois, à Hautefontaine, qu'il s'inscrivait danités, sa liaison avec sa propre on en doutait» (26). dans la généalogie même de ses nièce constituaient des «écarts», L'urbanité des moeurs allait seigneurs, il d'où ils puisaient une pour lesquels la haute société et très loin dans la tolérance : était reconnaissance supplémentaire. les autorités du XVIIIo siècle ainsi recommandé à l'épouse C'est aussi d'Angleterre que montraient une étrange et bien d'entretenir des relations ami- venaient les sports hippiques, hypocrite indulgence, pourvu que cales avec la maîtresse supposée apparus sous le règne de Georges l'on fit preuve d'un minimum de du mari. La jalousie était stigma- III (1738-1820), repris par discrétion et de respect apparent tisée. La princesse de Guéméné, quelques jeunes aristocrates fran- des codes en vigueur. L'évêque fille du maréchal de Soubise, çais au cours des deux décennies de Montpellier (23), était un des était gouvernante des enfants de précédant la Révolution. rares à en imposer un peu à l'ar- France ; l'éducation du dauphin Toujours à cheval, à l'armée ou à chevêque de Narbonne, dans le exigeant sa constante présence, la chasse, ils se lancèrent dans souci de ménager l'opinion du elle ne pouvait découcher de l'élevage des Versailles permission chevaux de course, clergé du Languedoc : «lorsque sans une installant des haras à l'anglaise cet évêque suivait la chasse en toute entière écrite de la main du sur leurs propriétés. Un habitué calèche, l'archevêque disait à ses roi. Elle n'en demandait jamais de Hautefontaine, le duc de camarades chasseurs : «Ah ça, que pour aller à Hautefontaine Lauzun, gagna la première cour- messieurs, il ne faudra pas jurer voir la comtesse Dillon, maîtres- se sur hippodrome en mars 1775, aujourd'hui». mais dès que l'ar- se supposée de son mari (27). en présence de la famille royale deur de la chasse l'emportait, il Mais dans cette société les et de la cour assemblée. Il exer- était le premier à piquer des deux gestes étaient étonnament çait ses talents dans le et à oublier la recommandation» chastes, à l'inverse des paroles. Soissonnais, où les courses de (24). Si les propos étaient libres jus- chevaux faisaient désormais La mère de la comtesse de qu'à la licence, le moindre tie par- des jeux et spectacles donnés Boigne aimait son mari, aussi contact physique était officielle- dans le parc du château. était-elle en butte à ment prohibé : il était hors de Parallèlement, les écuries de la Hautefontaine à la moquerie, ce question de se donner le bras ou grande noblesse s'étoffaient en qui la rendait souvent malheureu- la main pour se promener ou aller personnel anglais, le duc de Le ton était si libre que dîner. Jamais un homme n'aurait Chartres se. y et le comte d'Artois se maintes fois elle en pleura d'em- eu l'audace de partager le même dotant même d'interprêtes. A barras. Un jour, la voyant très sopha femme, et l'imitation avec une poser de celui des princes, triste, un vénérable grand vicaire seulement la main sur le dos d'un l équipage de Guéméné à s'approcha d'elle et lui dit : fauteuil occupé par une représen- Hautefontaine était mené à l'an- «Madame la marquise, ne vous tante du sexe féminin eût paru glaise, ainsi toute la maison, affligez êtes bien jolie insolente grossièreté que pas, vous une ... selon la mode du temps. Les et c'est déjà tort le A Hautefontaine, on ne voulait d gens un ; on vous écurie et le personnel lié à la pardonnera pourtant. Mais, si pas des enfants, cela faisait trop chasse portaient souvent des vous voulez vivre tranquille ici, esprit bourgeois de famille. La noms britanniques (22). cachez mieux votre amour pour seule petite fille tolérée, la future votre mari ; l'amour conjugal est marquise de la Tour du Pin, passa Un centre de galanterie le seul qu 'on n 'y tolère pas» (25). ses jeunes années dans cette Si l'amour entre époux était ambiance qui, selon elle, faillit Dans cette société de méprisé et son expression interdi- lui gâter l'esprit et lui ôter toute cour, on vivait constamment sous te, il était en revanche de bon ton idée de morale ou de religion. le regard et en fonction de l'opi- d'afficher libertinage et Mais jeune anal- nion son ses une paysanne des autres. En matières de infidélités réelles ou supposées. phabète avait été placée à côté sentiments, l'aristocratie à la Il fallait toutefois le faire dans le d'elle et la préserva de la conta- mode avait établi de nouvelles cadre de règles dont gion des mauvaises pensées (28). règles convenues, de comportement deve- personne n'était dupe mais que La bonne Marguerite était des nues la norme. tous suivaient. La comtesse de environs de Compiègne, peut- Dillon avait parfaitement intégré être de Hautefontaine ; elle avait vingt-cinq ans, ne connaissait de sa famille et, en 1771, la com- se, que l'on voyait desfenêtres du que le village où elle était née et tesse de Rothe offrit un drapeau à château, ne présentèrent plus portait sur les princes, les ducs et la compagnie d'archers de cette qu'une solitude que rien ne les grands de la terre un jugement paroisse, que le prélat bénit cette venait diversifier, elle comprit la sévère, ne voyant que le mal dans fois dans l'église de nécessité de changer de vie» cette vie futile. Son point de vue Hautefontaine. De nombreux (29). était vraisemblablement partagé membres de la compagnie firent Au printemps de 1783, la com- par les gens de sa condition : le déplacement depuis Montigny- tesse de Rothe, qui n'aurait aupa- même s'ils pouvaient être recon- Lengrain à cette occasion. ravant jamais consenti à retarder naissants à l'égard des seigneurs L'après-midi se fit un tirage à d'une heure son départ pour qui les faisaient vivre, ils n'en l'oiseau, où les seigneurs pré- Hautefontaine, l'abandonna pour étaient pas moins hostiles à leur sents se mélèrent aux paysans une maison surnommée «La mode de vie. pour gagner le prix de 24 £ offert Folie Joyeuse» à Monfermeil, par la comtesse. Enfin, chaque plus près de Paris. Des chariots Seigneurs et villageois semaine deux cents indigents de meubles et d'effets quittèrent auraient été accueillis au château le château pour la nouvelle La haute société du XVIIIo pour y recevoir de généreuses demeure (30). Mais l'archevêque siècle se piquait d'enthousiasme aumônes - fait qui reste toutefois garda sa préférence pour pour les fêtes pastorales et cham- à confirmer. Cette bienfaisance Hautefontaine, où il revint se pêtres. La vieille noblesse rurale en faveur des déshérités, confor- délasser et travailler, préparant jouait un rôle de médiateur entre me à la tradition aristocratique, notamment des rapports pour les le roi et les paysans, alors que la était le fait de privilégiés pour assemblées de notables de 1787- noblesse de cour, quelque peu l'essentiel exemptés d'impôts, 1788, où il se signala par son dépossédée de cette prérogative, alors que le petit peuple en était opposition au ministère Calonne cherchait pour une part à se rap- accablé. et fit des propositions pour amé- procher de la source terrienne à liorer les revenus de l'Etat, de l'origine de sa puissance. Le crépuscule de la sei- 1789 à 1791. Au cours de cette A Hautefontaine, les châtelains gneurie de Hautefontaine période troublée le prélat voltai- encourageaient les fêtes rustiques rien resta fidèle au roi et à la et participaient aux réjouissances Cette brillante période de monarchie, tout en acceptant cer- paysannes. La vie paisible du vil- la vie de Hautefontaine à taines réformes, comme la resti- lage s'éveillait à ces occasions. l'époque des Rothe-Dillon n'a tution de l'état-civil aux protes- Le jour de la Fête Dieu, les toutefois représenté qu'un feu de tants. Il devait finalement émig- jeunes filles venaient déposer une paille dans la petite histoire du rer à Londres et y mourir en pilier couronne de fleurs au pied du village, qui croisa alors fugitive- du trône et de l'autel, en 1806. calvaire, encore visible aujour- ment la grande histoire de la d'hui, érigé au lieu-dit «La croix France. La paroisse devait bien- Endettement et alter- blanche», sur la chaussée tôt reprendre sa vie anonyme de nance sociale Brunehault. Chaque année, le 6 toujours, depuis les temps où elle mai, il appartenait au seigneur de portait le nom d'Alta-Fontana. Alors, Hautefontaine fut couronner «La Rosière de La mort par maladie de poitri- bien le «château des plaisirs», Hautefontaine», choisie comme ne de la comtesse de Dillon, en suivant l'heureuse expression de la plus vertueuse des filles du vil- 1782, mit pour ainsi dire un Jacques Mermet (31), illustrant la lage. Elle était couronnée au lieu- terme à la brillante vie de plaisirs logique de cette grande noblesse dit «la Marguerite», près de la au château. Le deuil chassa les d'Ancien Régime, qui voulait fontaine Sainte-Walburge, et le amis et une relative solitude coûte que coûte rester à la place soir, le seigneur ouvrait le bal l'emporta. A la fin de l'automne qu'elle estimait lui être assignée avec l'heureuse élue. 1782, l'archevêque alla présider par le sang. Talonnée par les En 1781, la veuve de Rothe et les Etats du Languedoc à élites bourgeoises imitant leur le prince de Guéméné donnèrent Montpellier. Restée, la comtesse mode de vie, contrainte à de larges subsides à la paroisse s'ennuyait : «Lorsqu'elle se sen- défendre une position dominante pour reconstruire le presbytère de tit seule à Hautefontaine, dans ce menacée, la clientèle aristocra- Hautefontaine. La bienfaisance grand château naguère si animé tique de Hautefontaine était prise du châtelain s'étendait également et si brillant, lorsqu'elle vit les dans l'engrenage d'une consom- aux populations des paroisses écuries vides, qu'elle n'entendit mation ostentatoire dont le avoisinantes appartenant à la sei- plus les aboiements des chiens, moteur principal était la distinc- gneurie : en 1766, l'archevêque des trompes des chasseurs, tion. Elle dépensait sans limite, vint bénir les cloches de lorsque les allées réservées à la s'endettait jusqu'à la faillite, Montigny-Lengrain en présence promenade des chevaux de chas- selon l'adage «noblesse oblige» et sans forcément exprimer un ment au dessous de sa valeur, chevêque succédât à Maurepas, projet libre choix (32). Tel était le destin comme «bien national de secon- qui aurait été contrecarré par Marie- des «noceurs» de Hautefontaine. de origine», suite à l'émigration Antoinette, ce qui est plausible. La reine En 1782 le prince de Guéméné de ses ci-devant détenteurs. Par avait en tout cas soutenu sa dame d'hon- connut la plus retentissante failli- ce biais et la pratique financière neur contre sa mère (et l'archevêque). te du règne de Louis XVI, qui fit des cessions de créances, les pro- (11) La rumeur publique désigna la principale raison de sa relative priétés furent acquises par des Edouard Dillon comme un des amants célébrité des couches de la reine, à la suite d'un banal incident : son passif atteignait 33 représentants ascen- millions de £ et touchait plus de dantes, gros laboureurs du où Marie-Antoinette lui avait fait appor- 3000 créanciers, dont une foule Soissonnais, anciens fermiers de ter du bouillon après un malaise. de petites gens, marchands, arti- la comtesse de Rothe, futurs (12) De la branche Guéméné de la sans, domestiques, petit peuple notables de la commune (35). grande famille bretonne à la célèbre de était tournée ère «Roi puis, Duc daigne, Paris grondant son méconten- Une page et une devise : ne ne tement, au point que le roi dut nouvelle commençait... Rohan suis» et neveu du Cardinal de la intervenir en rachetant Lorient, fameuse affaire du collier. propriété du prince, afin de hâter NOTES : (13) Mémoires du baron de Bésenval la liquidation. C'est aussi à la (1) Cet état d'esprit des élites avait sur la cour de France, Mercure de semelle de ses souliers sur la été popularisé par les écrits de France, 1987, p. 106. terre de Hautefontaine, où il avait Bernardin de Saint-Pierre et J.J. (14) Mémoires du duc de Lauzun, passé une bonne partie de sa vie, Rousseau glorifiant la nature, ou les ber- général Biron, Paris, Olivier Orban, que ce prince avait dispersé une gères en satin de Watteau. Il fut consa- 1986, p. 68. des plus grosses fortunes de cré par Marie-Antoinette se réfugiant (15) Alex de Fersen, aimé de Marie- France (33). dans son hameau du petit Trianon. Antoinette, devait organiser la fuite de Peu avant la Révolution, l'ar- (2) voir Norbert Elias, La société de Varennes en juin 1791. la chevêque était criblé de dettes, cour, Paris, Flammarion, 1985. (16) D'après les mémoires de mar- du Pin, cité, 39 malgré ses énormes revenus (3) Charles de Brion frisa la déro- quise de La Tour op. p. : (800 000 £ de rentes annuelles de geance quand Louis XIV lui accorda en «L'équipage (de Hautefontaine)... était biens du clergé) et la rumeur 1669, par lettres patentes, l'exclusivité si bien mené que le pauvre Louis XVI en parvint aux oreilles du roi qui des coches d'eau sur l'Aisne et l'Oise, était sérieusement jaloux et, quoiqu'il s'en inquiéta «On dit, Monsieur rapportant des bénéfices considérables, aimât beaucoup à parler de chasse, on l'archevêque, : que vous avez de avec l'accord des habitants de ne pouvait le contrarier davantage grandes dettes ?» «Sire, don- qu'en devant lui quelque - je Compiègne. racontant nerai des ordres à mon intendant (4) Seuls le marquis de la Salle de exploit de la meute de Hautefontaine». pour qu'il s'en informe» (34). Ce Crespin et surtout la duchesse de (17) Duchesse d'Abrantès, Histoire n'était constituaient le des salons de Paris, T. 1, 297-298. pas une impertinence : Mortemart, douairière, p. comme beaucoup de grands cercle de cour restreint des Brion. (18) Chargés en 1792 de trier les Dillon ne comptait pas et laissait (5) Mémoires de la comtesse de objets d'arts provenant des séquestres ce soin à son homme d'affaires. Boigne, née d'Osmond, Paris, Mercure révolutionnaires à Compiègne pour les Accordant leur train de vie non de France, 1986. musées nationaux, les peintres Moreau a leur budget mais à leur position (6) Mémoires de la marquise de la Le Jeune et Lemonnier signalèrent plus de cour, indépendamment de Tour du Pin, Mercure de France, 1989. particulièrement un de ces tableaux. leurs ressources et sans rationali- (7) registres d'état-civil, mairie de (19) Selon B. Ancien, on comptait 42 té économique «bourgeoise», les Hautefontaine fonds Bernard Ancien domestiques, alors que les châtelains ; , châtelains s'endettaient en multi- Archives Municipales de Soissons (je précédents en avaient très peu. pliant les emprunts et les rentes remercie sa directrice, madame Delval). (20) nettoyeurs de parquets... etc. viagères. (21) Deux exemples le fils du jardi- Mais on ne prêtait (8) Sa généalogie compte 13 degrés : qu'aux riches les fournisseurs de noblesse prouvés, 20 pairs d'Irlande. nier de la comtesse avait pour parrain le faisaient : crédit aux nobles sur la (9) De ce mariage naquit en 1770 jardinier du cardinal de Bernis ; sa particule. En 1789 une nuée de Henriette-Lucy Dillon, future marquise femme de chambre était la fille de servi- créanciers affolés se fit connaître. de la Tour du Pin de Gouvernet, dont la teurs des appartements du roi. L administration du département comtesse de Rothe était la grand'mère fut attérée l'étendue des l'archevêque de Narbonne le grand dettes par et dont la seigneurie était gre- oncle. Elle passa son enfance et une par- vée de partout. En janvier 1798, tie de son adolescence à Hautefontaine le Directoire dut suspendre l'in- dont elle disait «J'aimais beaucoup terminable : liquidation des cette habitation que je savais devoir un créances, rendant les héritiers de jour m'appartenir. C'était belle Rothe une insolvables. La seigneurie terre, toute domaines avait en ...». été auparavantbradée large- (10) Il fut un temps question que l'ar- en 1777 et 1779. avec moins de bonheur que la fille du (33) Le prince Guéméné perdit ainsi- (23)Montmorency, évêque de Metz, cultivateurr, de 1767 à 1779 jusqu'à 12 sa femme aimée en juillet 1782, son dont la maison était plus régulière que ans, au point d'écrire : «Je n'ai pas eu honneur et sa fortune en septembre de la celle de Hautefontaine et l'évêque de d'enfance». même année. Soissons de Bourdeilles faisaient partie (29) Mémoires de la marquise de la (34) Chanoine A. Sabarthès, Arthur- des hôtes habituels du château. Tour du Pin, op. cit., p. 47. Richard Dillon, dernier archevêque de (24) Mémoires de la comtesse de (30) Le mobilier restant était impor- Narbonne (1763-1806), Imprimerie

Boigne, op. cit, p. 50. tant : le recollement de l'inventaire fait Brillo et Gauthier, Narbonne, 1943. (25) Idem, p. 49. sous la Révolution compte 1709 arti- (35) Comme les Bergeron, les (26)'Idem, p. 49. cles, dont la vente prit deux mois. Ringuier..., parents de Suzanne Giroult. (27) Le duc de Montbazon, fils aîné (31) Jacques Mermet, «Le château En 1799, le château, en mauvais état, fut des époux Guéméné, séjournait aussi des plaisirs», in Chroniques et souvenirs acquis et détruit par un agent de la souvent à Hautefontaine. des pays de l'Oise, 1925-1932, p. 109- Commune de Paris, Jean-Baptiste (28) Comme Suzanne Giroult, toutes 116. Canis, grand agioteur de biens natio- deux ont été élevées par leurs grand'mè- (32)Selon l'expression de Mme de naux, venu s'installer à Compiègne sous res à même époque, la future marquise Boigne à propos de Hautefontaine : «on la Révolution. de 1770 à 1783 jusqu'à 13 ans, mais s'y amusait de toutes ses forces». QU'EST DEVENUE LA BIBLIOTHEQUE DE L'ARCHEVEQUE DILLON ?

A la veille de la Révolution, la bibliothèque du château de Hautefontaine aurait compté près de 3000 ouvrages. Il s'agissait d'un fond particulièrement riche pour l'époque, servant à agrémenter les lec- tures de l'archevêque et des nombreux hôtes de l'aristocratie séjournant régulièrement sur place, parfois pour de longues périodes. Un arrêté du 9 février 1792 ayant constaté l'émigration la comtesse de Rothe, les scellés furent apposés au château et tous ses biens placés sous séquestre. Immédiatement, le ci-devant marquis de la Tour du Pin Gouvernet, époux de la petite-fille de la comtesse, formula opposition en arguant de sa qua- lité de créancier de la terre de Hautefontaine. Son argument consistait de surcroît à dire que la comtes- se était anglaise et ne pouvait être assujettie à la loi contre les émigrés, mais le directoire du district de Compiègne, qui avait dû suspendre la procédure sur l'ordre du département de l'Oise, repoussa sa requê- te et obtint finalement le feu vert des représentants en mission de passage dans la ville au printemps 1793, pour vendre l'ensemble des propriétés comme «biens nationaux de seconde origine». L'inventaire des biens de la comtesse avait été achévé en octobre 1792, l'adjudication des meubles et effets commença en juillet 1793, celle des terres en décembre 1794, pour se terminer seule- ment en 1799, avec la vente du château au citoyen Jean-Baptiste Canis, qui devait bientôt procéder à sa démolition et à la revente de ses matériaux. Les livres de la bibliothèque connurent un autre sort. Chargés avec d'autres papiers dans un «chariot des hôpitaux militaires ambulants» du district, qui dut effectuer cinq voyages pour ramener le tout à Compiègne, ils furent réunis aux ouvrages confisqués à d'autres émigrés ou récupérés après la fermeture des établissements religieux du ressort. L'ensemble fut déposé dans un appartement de l'an- cien palais royal. L'inventaire établi faisait état de 2315 livres provenant du château de Hautefontaine, parmi lesquels se trouvait une collection de l'Encyclopédie (de Panckouke ?) en 112 volumes. M. de La Tour du Pin eut plus de chance avec la bibliothèque qu'avec le château et les terres de l'ancienne seigneurie, qu'il ne put jamais récupérer : ses droits ayant été finalement reconnus, les livres de la bibliothèque Dillon, identifiés grâce aux armoiries du prélat gravées sur les reliures ou à ses ex libris, lui furent restitués, ce qui diminua de manière appréciable le fond du dépot du district. Les ouvrages restants constituèrent dans un premier temps la bibliothèque du Prytanée militai- installé re, par Bonaparte au Palais ; puis, en 1806, après le transfert de cet établissement à Châlons-sur- Marne, M. Delmas, maire de Compiègne, put les verser dans la première bibliothèque municipale de la ville, dont il confia la gestion à M. Esmangard de Bournonville, qui classa l'ensemble et en dressa un catalogue. Sous réserve des manuscrits, incunables et ouvrages précieux attribués à la Bibliothèque Nationale de Paris, ces livres font partie de nos jours de la bibliothèque municipale Saint-Corneille de Compiègne. Julien SAPORI

Sources : - Jacques Cance, Trente mois qui ébranlèrent le terroir, , 1984, p. 49. Emile - Coët, Tablettes d'histoire locale, T. 1, 1894, p. 104-105. Marie - La Motte Collas, conférence donnée à la Société Historique de Compiègne, vers 1960. - Dossier «Bibliothèque Historique», déposé à la bibliothèque municipale de Compiègne. - Archives départementales de l'Oise, , dossier Q. 2414. La Révolution à Hautefontaine, repères chronologiques

mai 1787 arrivée du curé François Quequet à Hautefontaine - : octobre 1787 Jean-Baptiste Sivé (1766-1808), notaire royal la prévôté chatellenie de - : reçu comme en et Pierrefonds, à la résidence de Hautefontaine. février 1790 formation de la municipalité Georges Dauvé, maire J.B. Sivé, greffier - : : ; juin-juillet 1790 conflit la municipalité le curé à de la lecture des lois - : entre et propos septembre 1790 demande de les indigents de la district de Compiègne - : secours, pour commune, au novembre 1790 élection d'un maître d'école, suite à conflit la municipalité - : nouveau un avec 19 décembre 1790 la municipalité refuse le du curé Quequet, assorti de «restrictions» - : serment -janvier 1791 : le curé, qui refuse de refaire son serment, est imité par ses confrères de , et Jaulzy, qui se réfugient au château de Hautefontaine. février 1791 visite controversée de l'ex-évêque de Soissons De Bourdeilles château de Hautefontaine - : au 1791 l'archevêque de Narbonne A.R. Dillon (1721-1806), résidant château chez nièce Mme - mars : au sa de Rothe proteste de son civisme auprès des autorités de Compiègne. avril 1791 le district de Soissons dénonce «l'agitation aristocratique réfractaire» à Hautefontaine - : et auprès du district de Compiègne, qui dément après enquête. mai 1791 remplacement du curé Quequet Gabriel Lacoche (1758-1835), ancien Bernardin - : par d'Ourcamp ; il établit à son domicile une sorte de club civique. 22-25 1791 à 1' de la fuite de Louis XVI de arrestation à Varennes, intervention des - juin : annonce et son gardes nationales d', Coeuvres et Pierrefonds au château de Hautefontaine, où sont arrêtés trois prêtres réfractaires, conduits à Compiègne. Le district qualifiant cette intervention d' «arbitraire», fait libé- rer les prêtres et dénonce la municipalité de Hautefontaine au département de l'Oise. décembre 1791 le notaire J.B. Sivé quitte Hautefontaine Estrées Saint-Denis. - : pour juin 1792 première mention de de F. Quequet, de de Rothe A.R. Dillon. - : l'émigration Mme et août 1792 inventaire des biens de Mme de Rothe de F. Quequet, «absents». - : et novembre 1792 sécularisation de l'état-civil le curé G. Lacoche, notable municipal, devient officier - : ; public de la commune. 1793 inventaire du mobilier du château, estimé à 61 000 £ - janvier : février-mars 1793 suspension de la des biens de Mme de Rothe, émigration étant contestée - : vente son 1793 troubles frumentaires à Pierrefonds dans les environs (cf. Chelles) - mars : et 1793 des meubles effets de de Rothe d'émigrée. - juillet : vente et Mme comme biens -11 septembre 1793 : arrestation de G. Lacoche, frère d'émigré, comme «suspect». Le district de Compiègne et la municipalité de Hautefontaine demandent sa libération pour son «patriotisme constant». 8 octobre 1793 premier unique de prénom républicain dans l'état-civil de Hautefontaine. - : et cas 25 novembre 1793 le curé G. Lacoche, à Hautefontaine début novembre, épouse - : revenu sa servante Marie-Thérèse Depierre, qui accouche d'un fils le 2 décembre. décembre 1793 G. Lacoche à fonctions de curé lettres de prêtrise, «voulant - : renonce ses et remet ses officier prouver son attachement à la République» ; il redevient notable municipal et d'état-civil.

-16 avril 1794 : à Hautefontaine de l'agent-national du district Bertrand qui déplore la passage , y non obervance des décadis et le patriotisme modéré de la commune. 15 mai 1794 exécution de Michel Esquerre, ancien valet de chambre d'A.R. Dillon, émigré - : comme août 1794 le district dénonce le retard des réquisitions de grains à Hautefontaine - : décembre 1794 des biens fonciers immobiliers de l'ancienne seigneurie de Hautefontaine - : vente et janvier 1795 suppression de l'atelier de salpêtre dirigé G. Lacoche - : par août 1795 du du culte catholique, les habitants refusent curé - : au moment retour un assermenté octobre 1795 Hautefontaine, rattachée à la municipalité cantonale de Pierrefonds, n'a plus - : qu'un agent municipal (Pierre Crété en 1795-96, Giroust en 1797-1798 ; Bergeron en 1799).