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University Microfilms International

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DELAME-WATTS, M. FRANCOISE

ART, RHETORIQUE ET IDEOLOGIE DANS LA POESIE DES JEUX FLORAUX DE AU SEIZIEME SIECLE (1513-1583). (FRENCH TEXT)

The Ohio State University PH.D. 1981

University Microfilms International300 N. Zeeb Road, Ann Arbor, M I 48106

Copyright issi by

DELAME-WATTS, M. FRANCOISE All Rights Reserved ART, RHETORIQUE ET IDEOLOGIE DANS LA POESIE DES JEUX FLORAUX DE TOULOUSE

AU SEIZIEME SIECLE (1513-1583)

DISSERTATION

Presented in Partial Fulfillment of the Requirements for

the Degree Doctor of Philosophy in the Graduate

School of The Ohio State University

By

M. Franqoise Delame-Watts,

licenciee et maitre es lettres, M.A.

*********

The Ohio State University

1981

Reading Committee: Approved By

Professor Hans Erich Keller

Professor Robert D. Cottrell Adviser Department of Romance Professor Aristdbulo Pardo Languages and Literatures REMERCTEMENTS

Cc travail n ’aurait pas etc possible sans les encouragements amicaux de Monsieur le Professeur Keller qui m'a fait decouvrir les multiples possi- bilites d'une oeuvre quasi inconnue ct qui ne s'est jamai . lasse de corri- ger les epreuvcs d'un travail encore hesitant. A Toulouse, le Secretaire de 1'Academic des Jeux Floraux, Monsieur Calberac, m'a genereusement ouvert le sanctuaire de Clemencc Isaure et m'a permis de consulter les precieux manu scrits du Livre Rouge et les Leys d'Amors ainsi quc les notes de M. de Gelis.

La presence d'une tradition encore vivante a grandement stimule mon etude.

Les remarques de Messieurs les Professeurs Cottrell, Pardo et Rule ont aussi attire mon attention sur des points qui manquaient de coherence ou de clarte.

C'est a Julia que je dois la farouche determination de terminer cette etude qui pourra peut-etre plus tard lui servir d'exemple. A ines parents, qui ont su enraciner dans mon esprit la haute valour de 1'education, et a Gene qui a su en accepter les sacrifices, je voudrais que ce travail exprime toute ma gratitude.

Marie-Sylvie Park et Peggy Kwik ont pu prouver que le metier de dactylo n'etait pas pure mecanique. VITA

August 6, 1949 ...... Born - Pau,

1966 ...... Baccalaureat en philosophie (mention bien) (etudes anglaises)

1966-1970...... Licence-es-lettres, Universite de Pau, France

1968-196 9 ...... French "assistante" in a British Grammar School

1969-1979(summers) ...... Instructor of French at the Centre d'Ete des Pyrenees, Universite de Pau, France

1970-197 2 ...... Maltrise-es-lettres, Universite de Pau, France (mention tres bien)

1971-197 2 ...... Exchange graduate student at Indiana University, Bloomington

1972-197 3 ...... Admissible a l'ecrit du CAPES d ’anglais, Universite de Toulouse, France

1974 ...... M.A., Department of Romance Lan­ guages, Ohio State University, Columbus, Ohio

1974- ...... Graduate Teaching Associate, Department of Romance Languages, Ohio State University, Columbus

FIELDS OF STUDY

Major Field: French Literature Sixteenth Century French Literature. Professor Hans-Erich Keller Medieval French Literature. Professor Hans-Erich Keller

Minor Field: Spanish and Latin American Literatures

iii Les grAndes dates de l ’hlstoire de Toulouse (fin du XVe et XVIe siecle)

1443 creation definitive du parlement de Toulouse

1476 debut de l'imprimerie a Toulouse

1520 premiere eglise protestante

1532-1534 sejour d*Etienne Dolet a Toulouse

1532 premiere grande persecution contre les Reformes et les humanistes

1533 sejour de Franijois ler (hotel de Bernuy)

1535 sejour de Marguerite de Navarre

1544 debut de la construction du Pont Neuf

1549 creation de la bourse des marchands

1555-1562 construction de l'hotel d'Assezat

1562 graves troubles religieux, defaite des protestants

fondation du College de Jesuites (1562 ou 1567?)

2 fevrier-19 mars 1565 sejour de Catherine de Medicis et Charles IX

1570 passage de l'armee protestante de Montgomery pres de Toulouse

3-4 octobre 1572 massacre des protestants ♦

1589 assassinat du president du parlement Duranti TABLE DES MATIERES

page REMERCIEMENTS ...... ii

VITA ...... _ iii

INTRODUCTION...... 1

Chapitre

I. DU CONSISTOIRE DU "GAI SABER" AU COLLEGE DE RHETORIQUE: 1323-1583 ...... 22

1. De 1*Institution du "Gal Saber" ...... 23 2. Le rituel ...... 32 Capltouls et Mainteneurs la Semonce les elections aux concours les recompenses les Triomphes 3. Les conditions des concours...... 41 4. Clemence Isaure: la Muse des Jeux Floraux 43 5. Les annees de misere ...... 49

II. LES CONDITIONS DE LA VIE INTELLECTUELLE A TOULOUSE AU XVIe SIECLE ...... 63

Introduction 1. Un discours institutionalise dans une societe de refus ...... 64 2. Les forces en p l a c e ...... 65 la bourgeoisie le Parlement et l’Universite les hommes 3. Le vent de la Reforme ...... 76 Jean de Pins, Etienne Dolet et Jehan de Boysson le mecenat bourgeois 4. Les Jeux et les fetes ...... 85 5. Situation linguistique ...... 88

v page XII. LE DISCOURS DE LA GLOIRE ...... 96

1. Pourquoi ecrire? ...... 97 fonction sociale et culturelle fonction theologique 2. Quelques poetes ...... 106

17. LA "LEGENDE" D'UNE EPOQUE ...... 137

1. Une oeuvre collective ...... 138 2. D i e u ...... 141 3. L'homme et ses angoiss.es...... 144 la vanite de 1'existence le vide ("nihil") le chaos 4. Les "valeurs authentiques"...... 151 l'ordre et l'harmonie la vertu 5. Ideologie politique et religieuse ...... 161 le discours du Roi les Guerres de Religion 6. Une litterature engagee ......

V. LE JEU DE LA FORME ...... 178

1. Le chant royal dans la tradition litteraire . 179 2. Les proportions du chant royal de Livre R o u g e ...... 186 3. Le refrain...... 190 4. L ' e n v o i ...... 199 5. La r i m e ...... 202 6. Les series modulantes ...... 209 7. Les Leys d'Amors...... 211 8. Le rythme ...... 214 9. La premiere generation de poetes (1539-1555) ...... 221 10. La deuxieme generation (1 5 5 6 - 1 5 8 3 ) ...... 228

VI. 'RHETORIQUE ET THEATRALITE ...... 253

1. Rhetorique et poesie au XVIe siecle ...... 254 definition de la rhetorique rhetorique et societe 2. Thettralisation du discours ...... 255 la f£te officielle le modus gravis periphrases et metaphores vi 3. L'imagination poetique ...... euphorie/disphorie abstraction et symboles les images couleurs et lumiSres sensations relief et vide: la plastique le mouvement les metamorphoses le theme aquatique 4. La scene mythologique ......

CONCLUSION......

BIBLIOGRAPHIE ......

vii INTRODUCTION

1. Les manuscrits des Jeux Floraux: le Llvre Rouge.

Toulouse peut s 'enorgueillir d'avoir ete un centre litteraire dont l'activite remonte au moyen age. Le Consistoire du Gai Savoir, cree en

1324, etait, en effet, une assemblee de notables eclaires de la ville et de la region dont les fonctions etaient de sanctionner le talent des poe­ tes qui venaient a Toulouse presenter leurs oeuvres aux concours poeti- ques du 3 mai. Le Consistoire remettait aux laureats, en guise de recom­ pense, une fleur: la Violette, 1'Eglantine ou le Souci. Les concours poetiques prirent ainsi le nom de Jeux Floraux de Toulc’^e.

Les oeuvres des aspirants<-poetes furent rassemblees par les soins d'un greffier dans divers recueils. Pour la periode du moyen age, il exis- te le Registre de Cornet (XlVe siecle) et le Registre de Galhac (XVe sie­ cle) , tous deux en occitan. Les Leys d'Amors (1356), veritable manifeste poetique de la poesie florale, signalent que les concours poetiques avai- ent pour raison d'etre la "deffence et illustration" de la langue occi<- tane. Certains poemes en franqais furent cependant introduits des le

XVe si2cle, et au XVIe siecle, en 1513 plus exactement, avec l fexpansion du pouvoir royal, le franqais devint la langue officielle des Jeux Flo-

f raux. Les poemes qui en attestent furent recueillis dans le manuscrit du

Livre Rouge, l'objet de notre etude. Ce volumineux manuscrit, 2 la cou- verture de maroquin rouge 5 filets dores, se trouve actuellement 2 la Bi- bliothSque des Jeux Floraux de Toulouse, situee 2 l ’Hotel d ’Assezat, Le dos de la couverture et la page de garde sont en sole verte, Les premie­ res pages ont un cadre enlumine de fleurs et de fruits dans un style tres italien. On y voit le Christ en croix, avec, a sa droite, la Vierge et 2 2

sa gauche, saint Jean. C'est sur ce texte que les candidats apposaient les mains en prononqant leur serment de fidelite.

Les proces-verbaux des seances ont ete rediges successivement par les greffiers Almeny (le prenom nous est lnconnu), de 1513 a 1539; Gabriel

Coderci, de 1539 a 1550; Bernard Codercl de 1550 a 1568; Pierre Codercl de 1568 3 1598. Codercl etait, sans aucun doute, la forme italianisee de

Couderc, nom bien meridional.^ Presque tous etaient notaires ou avocats.

Les greffiers titulaires avaient des suppleants, par lesquels ils se fai- saient remplacer f requemment,, surtout pour la transcription des poesies; aussi l'ecriture du manuscrit change-t-elle souvent, de meme que 1'ortho- graphe.^

A partir de 1540, les proces-verbaux furent rediges et enregis-

tres au fur et a mesure que les seances eurent lieu. Le prestige dan3 lequel les greffiers etaient tenus et le soin qui fut apporte a la ttans- cription des poemes temoignent du degre de raffinement esthetique et in-

tellectuel dont jouissalt la vllle de Toulouse au XVIe siecle,

Au XVIe siecle, Toulouse vivait son siecle d ’or. Le commerce avait enrichi la ville qui arborait a present les signes exterieurs d ’une grande capitale regionale pouvant rivaliser avec Bordeaux ou Montpellier,

Sa renommee s ’etendalt meme a la Catalogne, et on almait la comparer a une ville italienne. Joseph-Just Scaliger, ne a Agen en 1540, en dit ceci dans ses Impressions et souvenirs du Midi de la France; "Tholosa habet pa- 3 latia multa, est pulchior Lutecia1'. Dans leur Nouvelle histoire de la litterature occitane (: Presses Universitaires de France, 1970), Ro­ bert Lafont et Christian Anatole parlent des "poussees de la Renaissance" 3

3 Toulouse en ces terxnes:

C'est le siecle de la bourgeoisie commergante. On voit cet es- sor I Marseille, mals nulle part comme 3 Toulouse elle n ’appa- ra£t puissante et active. Entre 1515 et 1540, la culture du pastel se repand dans le Lauragais et l'Albigeois. On en ex­ trait des pains appeles canabas -le mot devient synonyme de richesse fabuleuse...Un capitalisme jeune et rapace prend en mains Industrie et commercialisation du pastel; il s'est ins­ talls 3 Toulouse. II met en exploitation la voie fluviale de la Garonne. Toulouse se voit confirmee dans son role de foyer directeur de l’Occitanie occidentale. Elle redevient la gran­ de capitale bourgeoise, intellectuelle, artistique qu'elle etait au XHIe s i e c l e . 4

De riches bourgeois, tels les de Bernuy et les d'Assezat, qui s'etaient enrichis grace au commerce du pastel, avaient pris les services du maitre d'oeuvre Nicolas Bachelier, eleve de Michel-Ange, pour se faire construi- re de magnifiques demeures. Au XVIe siecle, on assiste a une renaissance des arts auxquels 1’architecture et la litterature prenaient une part ac­ tive. Les riches bourgeois de Toulouse almaient s'entourer d'un luxe qui favorisait l'epanouissement des arts et des lettres. Dans son Hlstoire de Toulouse, Henri Ramet mentionne un grand nombre d ’artistes qui, apres

Lyon et l'ltalie, chercherent a Toulouse 3 pouvoir vivre de leur art.

C'etait le cas d ’architectes tels que Jehan Raney, Loys Privat, Antoine

Lescalle, Michel Collin, Guiraud Mellot, Jean Aleman, etc, Ils laisserent des marques determinantes dans 1'architecture de la ville et des environs: les hotels de Pierre, Mansencal, d'Aldeguier, de Pins, Dumay, Saintr'Ger^ main et des chateaux comme ceux de Saint-Jory et de Casselardit, A l ’avS^ nement de la Renaissance, les yeux des intellectuels toulousains etaient tournes vers l’ltalie, d ’ou emanait une sensibilite qui n'etait pas tres differente de la leur. Sur le chemin des grandes peregrinations du moyen age et de la Renaissance, Toulouse n ’etait pas loin des grands centres intellectuels de l'Spoque, Cet enthousiasme pour les arts profita a l'e- panoulssement de la litterature frangaise du Midi de la France et marqua profondement des Meridionaux tels que Marot, Montaigne, Scaliger, Sallus-

te du Bartas, Guy du Faur de Pibrac, Marguerite de Navarre et bien d ’au-

tres. II favorlsa aussi l’interet que la ville de Toulouse porta 3 la per­ petuation de ses Jeux Floraux, Les Meridionaux, cependant, ne se voyaient pas differents de la culture nationale 3 laquelle ils voulaient apparte- nir. Au contraire, ils contribuerent a l’alimenter d ’une nouvelle vigueur avec leur sensibilite meridionale.

Le Registre de Galhac s'arrete en 1485. Le Livre Rouge debute en

1513, mais avec les seules deliberations des seances qui precedent syste­ ms tiquement les poemes primes, II en est ainsi jusqu'en 1539, date du premier poSme transcrit en franqais dans le Livre Rouge. Le manuscrit se compose de deux volumes, le premier allant de 1513 a 1583 et le second de

1584 a 1641. Ce second volume, autrefois recouvert de velours vert, etait aussi connu sous le nom de Registre Vert. A part quelques lacunes, dues aux circonstances ou 3 l ’erreur du greffier, nous sommes en presence des resumes complets de ce qui s'est passe aux Jeux Floraux de Toulouse du regne de ,Louis XII 3 celui de Louis XIII inclus,

Le Livre Rouge, qui avait ete egare, fut retrouve en 1770 par l ’abbe Magi (prenom inconnu)^ (1721-1801). La petite histoire veut que

Magi menaga de vendre le manuscrit aux Anglais s ’il n ’etait par regu au sein de ce qui etait devenu entretemps l’Academie des Jeux Floraux. II y remplaga comme Mainteneur Guillaume de Ponsan 3 la mort de ce dernier, et cecl en 1775 seulement, C'est l ’abbe Magi qui est responsable des an- )

5 notations en marge des poemes du Livre Rouge,

Le manuscrit fut publie par Francois de Gelis et Joseph Anglade sous le titre Actes et deliberations du College de Rhetorique, 1513-1641

(Toulouse: Privat, 1933). Compte tenu de l'abondance des poSmes primes sur une periode de pr§s d'un siecle et demi, nous avons cru bon de limi^ ter notre etude au Livre Rouge proprement dit. c'estoa-dire S la periode allant de 1513, date du passage officiel 3 la langue franqaise, 5 1583.

Un tel corpus est riche d'interet par sa cohesion, il offre une vaste fresque litteraire, ou l'on peut percevoir 1'evolution des sensibilites d l'interieur d'un siecle renaissant et bouleverse, Les chants de gloire se feront lentement chants de deuil, en berne d'un humanisme qui n'a pas realise toutes ses esperances, Les quelques cent poetes qui furent les laureats du Livre Rouge se font les porte-parole de la sensibilite de leur epoque.

2. Etat des recherches

Toute la litterature critique concernant les Jeux Floraux au XVIe siecle est anterieure a 1933, Les Actes et deliberations du College de

Rhetorique de Franqois de Gelis et Joseph Anglade contiennent, en effet, une introduction detaillee consacree au Livre Rouge.^ Franqois de Gelis, historien et Mainteneur des Jeux Floraux, est le critique qui s'est intS** resse le plus S l'histoire des Jeux Floraux, Son travail est celui d'un erudit consciencieux mais manquant d'objectlvite et de rigueur scientific que. Son Histoire critique des Jeux Floraux depuis leur ortgine jusqu'5 leur transformation en Academie, 1324^1694 (Bibliotheque Meridionale, 2e serie, XV, Toulouse: Privat, 1912) est l'ouvrage de rdfSrence essentiel 6

a notre etude. II y trace l ’histoire de l’Academie des Jeux Floraux, le

rltuel des concours poetiques; mats Franqois de Gelis est plus interesse

aux querelles entre Capltouls et Mainteneurs et aux polemiques concernant

1'existence de Clemence Isaure, "bienfaitrice des Jeux", que par 1*analyse

litteraire du Livre Rouge, a laquelle il ne consacre que quelques pages

et qu’ll condamne de son mepris. Avec une nostalgie toute romantique,

Franqois de Gelis regrette le passage au franqais et il pense que les poe­

tes ne sont pas a l'aise avec une langue qu’ils maltrisent encore mal.

A cette allegation, on pourrait repondre que meme pour Marot, Montaigne,

Salluste du Bartas, le franqais n'etait pas la langue maternelle. Les

"gasconismes" dont leur oeuvre est parsemee ne font que corroborer la

theorie de Joachim du Bellay selon laquelle la langue franqaise devait etre enrichie par les expressions dialectales des diverses provinces,

L*oeuvre de Franqois de Gelis contient aussi de nombreuses negligences, en particulier dans les references bibliographiques. Certains articles du meme auteur s ’interessent 3 quelques poetes en particulier, mais essen**

tiellement dans une perspective historique. C ’est le cas de "Les Jeux

Floraux pendant la Renaissance et les Guerres de Religion. Quelques ren- seignement inedits sur Jean-Etienne Duranti",^ "Les poetes humanistes des

Jeux Floraux",® "Quelques poetes des Jeux Floraux aux XVIe et XVIIe aiec~ les".^ Mario Roques et Franqois de Gelis echangerent une correspondance virulente de critiques mutuelles dont la Bibliotheque des Jeux Floraux garde les traces. Dans un compte rendu de l’Hlstoire critique des Jeux

Floraux, Mario Roques en fait une critique feroce:

Son livre, quoique assez mal compose (il est forme de chapitres trop longs et touffus et il abonde en redites) pourra faire la joie des esprits superficiels.10

Et plus loin:

Monsieur de Gelis a en somme gache un beau sujet. II en a au moins montre l'interet: puisse le sujet etre repris par un tra- vailleur plus methodique et mieux prepare.^

Nous devons tout de meme tenir compte des recherches de Franqois de Gelis, car elles ont au moins le merite de faire une synthese des travaux des nom- breux historiens et chroniqueurs qui l ’ont precede.

Des volumes entiers ont 3te ecrits sur l’histoire des Jeux Floraux de Toulouse. Des le XVIIe siecle, des ecrivains comme Guillaume de Catell2

(Memoire de l’Academie du Languedoc, Toulouse: Colomiez, 1633), Pierre de

Cazeneuve (Traite de l'Origlne des Jeux Floraux, Toulouse, 1659) ou Ger­ main de Lafaille (Annales de la ville de Toulouse depuis la reunion de la comte de Toulouse 3. la couronne , Toulouse: Colomiez, 1687-1701) se sont passionnes pour ce sujet. Au XVIIe siScle, Simon de Laloubere est l'au- teur du Traite de l’Origlne des Jeux (Toulouse: Lecamus, 1715). Les seu- les titres de ces ouvrages indiquent bien comme l'histoire des Jeux Flo­ raux est inextricablement liee A celle de la ville de Toulouse. Charles de Lagane ecrivit un Discours contenant l’histoire des Jeux Floraux et de

Dame Clemence (Toulouse: n.p., 1789)13 Guillaume de Ponsan publia une

Histoire de L ’Academie des Jeux Floraux en 1764 (Toulouse: Pigon). Au

XVIIIe siScle, les dominicains Claude de Vic et Joseph Vaissette entrepri- rent une volumineuse Histoire generale de Languedoc (jusqu'en 1790), qui fut poursuivie par Ernest de Roschach et puhli£e par ses soins (Toulouse;

Privat, 1872-1893). Ceci est le premier travail modeme dans lequel l’histoire des Jeux Floraux occupe une place d ’honneur. Avec la renais­ sance meridionale de l’age ro^antique, l’interet pour le centre litterai­ re de Toulouse trouva an nouvel essor, surtout dans le but de deplorer

l'abandon de 1’idiome national, C ’est A cette epoque (1820) que Victor

Hugo fut couronne par l ’Academie. Philippe-Vincent Poitevin-Peitavi ecri- vit un Memoire pour servir 5 l’histoire de3 Jeux Floraux (Toulouse: Dal­ les, 1813), Alexandre du MAge une Histoire des institutions religleuses, politiques, .judiciaires et littSraires de la ville de Toulouse; biogra- phi toulousaine (Toulouse: Chapelle, 1844-1846). L'abbe Adrien Salvan est 1'auteur de Clemence Isaure, bienfaitrice des Jeux Floraux (Toulouse:

Dieulafoy, 1853). II y a aussi les travaux de Camille Chabaneau (Origine et itablissement de I'Academje des Jeux Floraux, Toulouse; Privat, 1895),

En ce qui concerne la legende de Clemence Isaure, les travaux d ’Ernest de

Roschar.h sont les plus convaincants (Hypothese sur la statue de Cleimence

Isaure, Toulouse: Privat, 1895; et Les douze livres de l ’histoire de Tou­ louse du X H I e au XVIIle siecle, 1295-1787 , Toulouse; Privat, 1887),

En 1914, le docteur Jean-Baptiste Noulet publia une transcription des poe­ mes en occitan sous le titre de Les Joies du Gal Savolr (Toulouse: Privat).

Apres lui, il n ’y a guere qu'Armand Praviel (Histoire anecdotique des Jeux

Floraux, Toulouse: Privat,1923) et Franqois de Gelis (Histoire critique f des Jeux Floraux, 1912 et Actes et deliberations du College de Rhetorique,

1933) qui se soient vraiment interesses A ce sujet. Ils l’ont fait cepen- dant dans une perspective romantique et s'accordent A trouver le genre de­ cadent.

Un tel mepris pour une oeuvre aussi massive (plus de cent poemes de quelques soixante-quatorze poetes dans le Livre Rouge) peut s ’expliquer par la distance existant entre la poesie de cette epoque, pur exercice de

1'esprit, et celle plus ardente qu'affectionnaient les critiques romanti- ques. 11 existe une echelle de valeurs esthetiques pour chaque generation qui risque d ’aveugler 1’appreciation du gout des generations precedentes, d ’autant plus pour celles distantes de quatre siecles. Les critiques an- terieurs, plus amateurs qu'analytiques, tombaient dans le piege de l'ana- chronisme esthetique. Evoquons ici la remarque de Pierre Bee:

II n'y a pas d ’art sans echelle de valeurs, et le lecteur mo^ derne, retrouvant les anciennes lignes de clivage peut et doit arriver aisement 2 une discrimination esthetique qui ne soit pas anachronique.^

Nous tenterons de faire cet effort de "discrimination estherique" afin de retrouver les criteres de valeurs qui etaient 2 1*origine de la celebra^ tion des Jeux Floraux de Toulouse.

La partialite et souvent les negligences de la critique nous en-^ couragent 3 poursuivre notre interet pour le corpus que reprSsente le Liv~ re Rouge de Toulouse. Les poesies primees au cours du XVIe siecle etaientn elles de si mauvais gout? Souffrent-elles de la comparaison avec les oeu-- vres d'auteurs consacres du meme siecle? Est-ce qu'un tel corpus ne trahit pas une certaine vision du monde, pergue par la sociSte qui en sanction^

f nait le gout?

Paul Zumthor est le chef de file des critiques litteralres qui ont recemment entrepris de reconsiderer la poesie des Grands Rhetoriqueurs, dans laquelle peut aussi s’inscrire l fart des poetes des Jeux Floraux du

XVIe siecle, En totale opposition aux travaux d ’Henri Guy, qui avaient pris presque valeur canonique, Paul Zumthor s ’est proposS de rShabiliter ces "mal-aimes". Dans Essal de poitique m§dtevale (Parisj Seuil, 1972), 10

Langue, texte et enigme (Paris: Seuil, 1975) et Le Masque et la lumiere

(Paris: Seuil, 1978), Zumthor demontre qu'il faut chercher au-dela des apparences, du "masque” , pour apprecier ce qui fait la "lumiere” de la rhetorique medievale. II place le texte en situation historique, ce que nous tenterons de faire dans le contexte du Livre Rouge. Certains cha- pitres de Le Masque et la lumidre sont determinants a notre etude, 3 sa- voir "Le jeu du pouvoir", "Le discours de la gloire", "Un lieu dans l !his'" toire". En outre, un recent colloque 3 l ’Ohio State University sur le th3me de "Court Patronage and the Arts (Fevrier, 1980), dont les Actes seront publies sous peu, a egalement illustre l'etroite relation entre la creation artistique et le jeu du pouvoir, Grace 3 ces oeuvres, nous ten^ terons de deceler le role de l'art dans la glorification du statu quo,

3. La litterature occitane en 1513

On ne peut pas separer la production litteraire des Jeux Floraux au XVIe siecle de son contexte dans la litterature occitane, Robert La^ font et Christian Anatole consacrent un important chapitre de leur Nouvel~ le Histoire de la litterature occitane 3 ce qu’ils norament "Les poussdes de la Renaissance" 5 Toulouse.^ Charles Camproux en decrit dgalement les composantes dans son livre Histoire de la litterature occitane (Paris:

Payot, 1971). Depuis la Croisade des Albigeois, qui fut marqude au X U I e siecle par la ddfaite catastrophique du Midi (traite de Paris, 1229} prise de Monsegur, 1244), la litterature occitane ne connaissait plus le ferment intellectuel necessaire 3 son epanouissement, A partir de cette date, l'dvolution de l'Occitanie suivit Involution generale de la France dirin gde par 1'Universite de Paris, qui avait implante ses ftliales partout en 11

France et notamment 1 Toulouse, Toulouse etait lentement devenue une vil«- le royale et franchement catholique, Camproux note:

La seule vie intellectuelle possible d'une grande cite occita^ ne de cette Spoque, c'est la vie religieuse gtroitement ratta-* chSe I l'orthodoxie r o m a i n e . 1 6

A cette Spoque, la litterature orthodoxe et didactique commenga S fleurir,

Les poemes du Livre Rouge en ont le ton grave et solennel. La litteratu^ re occitane avait perdu ses caracteristiques propres pour absorber un mo^ de de pensde et d'expression parisien. Camproux parle d'"agonie lente" des lettres et de la langue occttanes dSs le XXIIe siecle, Les exerci~ ces de 1 'esprit remplagaient la spontaneite du coeur et pliaient les poetes S une discipline intellectuelle StrangSre au temperament occitan,

La production litteraire du Livre Rouge est le resultat de ce long passa^ ge de plusieurs slecles qui marque 1 'assimilation d'une forme de pensSe

£ une autre. Au XVIe siecle, la situation est sensiblement differente, car 1'assimilation est souhaitie plus que forcee. La mentalite propre au peuple d'oc se voyait pletnement realisSe dans 1'expression en frangais et en se conformant S des criteres de genres typiquement frangais. Elle s'lmposa meme a la nouvelle mentalite frangaise issue de la fusion entre le Nord et le Midi, Les oeuvres de Marot, Montaigne, Du Bartas jouerent un role preponderant. Henri TV conquit la capltale, Lorsque, en 1539, les Ordonnances de Villers''Cotterets imposSrent le frangais dans les actes officiels, ils ne firent que sanctionner un fait accomplij

C'est qu'a la date de 1539, l'ancienne litterature occitane n'etait plus parce qu'il n'y avait plus de civilisation occirv tane consciente,!?

Andrei Gourdin corrobore cette idee lorsqu'il expliquej 12

Tout se passe comme si les hahitants du Midi etaient d ?accord pour considdrer que la langue d ’oc doit etre reservee aux be- solns de la vie courante et que le frangais, dont l 1Europe va reconnaitre au XVIIIe sidcle l'universalite, convient seul aux ouvrages de 1'e s p r i t . 18

Le prestige du roi de France, de ses ecrivains et de sa langue s'etendait aux intellectuels du Midi comme au dehors des frontieres. Des 1380, le roi d'Aragon Jean Ier ouvre sa cour S la poesie frangaise d'oll. La cre^ ation du Consistori de la Gaya Ciencia de Barcelone (1393) est moins la marque du prestige de la ville que celle de Paris au travers de la capi- tale occitane. Meme Ga3ton Phebus, comte de Foix, ecrivait en frangais.

A 1*epoque des humanistes, on s ’interessa plus aux lettres qufau redressement de l’idiome regional. De plus, pour vivre de sa plume, il fallait trouver la protection du pouvoir dont les renes etaient detenues par Paris. Comme les poetes de Toulouse, Marot en connaissait le jeu;

Car une matinee N ’ayant dix ans, en France fut mene La ou depuls me suis tant promene Que j ’oubliai ma langue maternelle Et grossement appris la paternelle Langue francoyse, es grands cours estimee, Laquelle enfin s'est quelque peu limde Suivant le roi Francois Ier du nom Dont le savoir excede le renom.19

Le frangais conquerait le pays comme vehicule de culture et de pouvoir de culture. Ronsard resume la situation dans son Art po

Mats aujourd’huy pour ce que nostre France n fobeit qu*a un seul Roy, nous sommes contraints, si nous voulons parvenir § quelr* que honneur, de parler son langage, autrement nostre labeur, tant fust^ii honorable et parfaict, seratt estimS peu de cho^ se, ou (peut etre) totalement mespris§,20

Jodelle Scrivit sur le tombeau d ’un poete favorl de Frangois Ier "les rois m ’ont enrichi", Comme Marot, les poetes de Toulouse ressentirent le her soin d'ecrire en franqais. La concurrence des poetes "francimands" les effrayait, mals ils cherchaient toutefois a les imiter. Meme Pey de Gar­ ros, qui fut une des tetes de file de la renaissance occitane des annees

1560, composa en franqais et remporta la Violette aux concours de 1557.

4. Methode

Certains critiques ont renonce a expliquer le fait litteraire par le phenomene sociologique. Ils ont peur de reduire 1*artiste a une col- lectivite qui determine tout. Cependant, nous pouvons rSpondre, avec

Erich Kohler, que "chaque genie est la somme des possibilites de son temps,

Sa liberte se situe sur le plan de la realisation", 21 litterature est le miroir et 1'interpretation de l'etat de la societe cl un moment precis de l fevolution historique;

Un tel etat repose toujours sur une tension entre 1‘ideal et la realite, et la littdrature n ’atteint a l‘art qu'en reproduisant cet etat de societe plus ou moins petri de contradictions inters nes; au reste, il ne s ‘agit pas seulement de reproduire, il s ’a^ git de metamorphoser, de donner forme, en dotant 1 ‘oeuvre d'art du sens de la coherance qui la ddf i n i s s e n t . 22

Jacques Maurens donne une definition semblable de la fonction de la lit^ telrature; "La litterature exprime la reponse de l ‘homme au d£fi de la realite".

Pour ces raisons, il nous semble intSressant de replacer le dlscours de la poesie des Jeux Floraux au XVIe siecle en situation et de discerner, 9 trar* vers elle, Involution de la sensibilitS de mpoque,

Le savoir du poete est un savoir mSdiatiae par le phSnom&ne arrv tistique, ^uoique engagS dans le mouvement historique, le po§te ne peut nous offrir une image complete de la realite, L foeuvre est un miroir par^ 14

ce qu'elle enrigistre un reflet partiel, Le miroir joue le role de reve-

lateur. La fonction du critique sera de dechiffrer les images dans le miroir, Les deformations que nous y verrons seront les contradictions

d ’une epoque, Pierre Macherey signale que "le miroir est par certains

cotes un miroir aveugle, mais il est aussi miroir d ’etre a v e u g l e " . 24

Le miroir sera expressif autant par ce qu'il dit que par ce qu'il omet de mentionner, Le non-dit, S une periode ou il etait facile de passer pour un heretique, avait autant d'importance que le "dit".

Le sens de 1'oeuvre resulte de l’agencement a l ’interieur de 1 ’oeuvre de reflets partiels et d'une certaine impossibilite de refleter.

Pour Lucien Goldmann,^ les relations entre 1’oeuvre et le grou™ pe social sont aussi le veritable sujet de la creation, Mais l’oeuvre, selon lui, n ’est pas seulement le reflet de la conscience collective, c'est aussi un des elements constitutifs de celle-ci, celui qui permet aux membres du groupe de prendre conscience de ce qu'ils pensaient, senn talent et faisaient sans en savoir objectivement la signification, L ’S« tude de Lucien Goldmann porte essentielleraent sur le roman, mais nous posons comme hypothese que sa theorie peut etre verifiee aussi dans le cas de lat poesie de la pdriode qui nous interesse. Nous tenterons de monr* trer comment, au XVIe siecle, les Jeux Floraux jouent le jeu d ’un ordre bien Stabli, fait de conciliation et de recherche d ’harmonie,

5, Illustration de la mSthode

Notre travail peut se decomposer en deux grandes parties, La pre^ miSre replace le texte dans son contexte purement historique et sociologit' que, La seconde analyse le contenu rhStorique et thdatral du discours 15

floral. Les deux parties se combinent dans la mesure ou la forme est le

miroir de son contenu; on y trouve les aspirations et les contingences

d fune epoque. Selon nous, la poesie des Jeux Floraux au XVIe siecle est

la mlse en scene par la rhetorique des images et de la phrase d ’un ordre

social qui prevalait 1 Toulouse et qui aimait se voir represente de la

sorte. Ceci explique notre titre "Art, Rhetorique et Ideologie dans la

Poesie des Jeux Floraux de Toulouse atf Seizieme Siecle (1513-1583) .

Le premier chapitre traite de 1'histoire des Jeux Floraux propre" ment dite, depuis leur crdation par les sept troubadours de Toulouse en

1324 sous le nom de "Consistori de la Subregaya Companhia del Gai Saber",

jusqu'S 1583, l'annee oQ se termine le premier volume du Livre Rouge,

Nous presenterons les personnages qui sanctionnaient les Jeux, c'est^a-

dire les Capitouls et les Mainteneurs; nous evoquerons leurs incessantes querelles d'influence. Nous parlerons des conditions dans lesquelles les

concours avaient lieu, du rituel. Nous mentionnerons les raisons pour

lesquelles les transcriptions de certaines annees manquent au registre.

La figure de Clemence Isaure domine 1 ’institution meme du "Gai Saber", et nous parlerons de sa legende et des polemiques qu’elle a fait naxtre,

Dans le second chapitre, nous examinerons la situation intellect f 9

tuelle S Toulouse au XVIe siecle. Nous constaterons la presence d ’un dlscours institutionnalise dans une societe traditionnellement de refus et nous nous demanderons comment ces deux caractSres peuvent coexister.

La sociSte toulousaine nous apparalt comme la confrontation de diffSrent' tes factions: celles du Parlement et-de 1 ’Universite, celle des conserva- teurs de la vieille scolastique et celle des humanistes qui gagnent rapi- 16 dement du terrain, XI exista 5 Toulouse un climat intellectuel qui fut favorise par le mecenat de la bourgeoisie qui comptait rendre ses valeurs plus explicites, Les Jeux Floraux, de plus, s'inscrivent dans une trar' dition festive que les Toulousains et les hommes de la Renaissance apprSt' ciaient fort. Nous terminerons ce chapitre en analysant la situation linguistique a Toulouse au XVIe siecle,

Dans le troisieme chapitre, que nous intitulons "Rourquoi dcrire?" nous examinerons les motivations des poetes ^ ecrfre et celles. de leurs censeurs 3. participer si diligemment aux concours podtiques, Nous re« chercheront les traces que ces jeunes poStes laissSrent pour la postdritS ou si, pour la plupart, ils tomberent dans l'oubli,

H Nous analyserons ensuite, dans le quatrieme chapitre, les thSmes particuliers au Livre Rouge; dans ce corpus de plus de cent poemes, nous verrons 1'expression d ’une oeuvre collective qui ressemhle 3 la "13gendeM epique d'une epoque. L'homme, avec ses angoisses du "nihil" terrible et du chaos, s'en remet 3 Dieu ou au roi. Dans un monde dSgradg, les valeurs authentiques seront celles de la vertu pour atteindre la grace, l*ordre et 1 '"harmonie". La litterature du Livre Rouge est une litterature engav^ gee, engagee dans le conflit des Guerres de Religion, mais non pour le parti-pris fanatique; elle est engagee plutot dans la recherche de la conrv ciliation et de 1 '"accord".

Dans le cinquieme chapitre, tout en etudiant 1 ^imagination politic que des poetes du Livre Rouge, nous constaterons une mise en sc§ne rhSto*' rique et presque theatrale du discours. II y a amplification du discours sous sa forme hyperboliquej les poetes sont le plus 3 liaise dans le granr diose et le cosmique. II y a une claire fascination pour les poles op^ 17 poses du Bien et du Mai, de l’Etre et du Neant, qui, outre les resonances metaphysiques a aussi des consequences esthetiques. Le poete est, comme

Dieu, celui qui donne forme £ 1'informe ou au vide du silence. Le Livre

Rouge est aussi le theatre d'une scene £ l ’echelle cosmique; les dieux du paganisme y affrontent la tradition chrStienne et populalre, Les ima­ ges, de plus, appartiennent a la tradition du baroque litteraire; tout y est metamorphose et mouvement.

Dans le sixieme chapitre, nous examinerons l’esthetique des chants royaux qui constituent la majorite des poemes du Livre Rouge. Nous es- sayerons de demontrer que les poemes des Jeux Floraux n ’etaient pas les seules "episseries" que du Bellay voulait bien entendre. La forme rigide du chant royal laissait une liberte dans le systeme de rimes et de reso­ nances qui donnait au poeme les pures caracteriatiques du "chant". Nous percevrons le jeu du langage qui est de 1'essence meme de cette forme de poesle.

En conclusion, nous entreprendrons une reevaluation prudente de

1'oeuvre des poetes des Jeux Floraux de Toulouse. 11 serait naif de penr' ser qu’il existat des genies meconnus parmi les poetes des Jeux Floraux et que la seule ou, au maximum, les deux ou trois poesies primees, puissent porter la gloire quasi inexistante de certains de ces poetes £ une postS- * rite bien tardive. Certains poetes trouverent la celSbritS, tels que

Robert Gamier, Salluste du Bartas ou Pey de Garros. D'autres furent des figures d ’une certaine renommee dans les cercles litteraires de l ’gpoque;

Forcadel, Guillaume du Buys, Pierre le Loyer, Pierre de Brach, Pierre

Dampmartin, Pierre Paschal, etc, Tous, en gSneral, dtaient de tr£s jeun 18 nes gens qui faisaient leurs premieres armes dans les cercles litterair' r e s .

La valeur du Livre Rouge tient a sa coherence et c ’est plutot en tant qu'oeuvre collective qu’elle est interessante. A une epoque de leur vie ou leur individualite poetique n'etait pas encore bien acquise, les poetes expriment ce qu'une societe attendait d'eux, c'est~a-dire certai- nes valeurs et une certaine esthetique. Dans un monde tourmente, dont le baroque sera 1'expression litteraire, le poete doit se conformer S des contingences rigides qui sont le cadre d ’un monde que les '’Mainteneurs '*t censeurs de ces concours, tentent de retenir. C’est dans un corpus com~ pose d'oeuvres relativement mineures et souvent mediocres que la methode socio-critique peut mettre i jour les facettes de 1*oeuvre laissees aut- rement inexplorees.

f 19

Notes de 1 * Introduction

^ Frederic Mistral, Lou Tresor dou Felibrige, 3e ed. (Aix en Provence:

edicioun Raxnoun Belenguie, 1968), I, 594.

r y Henri Ramet, Histoire de Toulouse (Toulouse: Tarride, 1935), p. 398.

Francois de Gelis et Joseph Anglade, ed., Actes et deliberations du

College de Rhetorique (Toulouse: Privat, 1933), p. 2, n. 3; AD en abrege

par la suite.

^ Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littera-

ture occitane (Paris: Presses Universitaires de France, 1970), pp. 268-69.

^ L'abbe Magi etait docteur en theologie et "collectioneur distingue."

Ceci lui valut de retrouver le Livre Rouge en 1770. Henri Jacoubet lui a

consacre une etude (L'abbe Magi, Toulouse: Privat, 1929). Francois de Gelis

et Joseph Anglade racontent les demeles de l'abbe Magi avec l'Academie des

Jeux Floraux concernant la restitution du precieux document, v. AD xiv-xv.

^ AD ix-xxii.

^ Francois de Gelis, "Les Jeux Floraux pendant la Renaissance et les

Guerres de Religion.Quelques renseignements inedits sur Jean-Etienne

Duranti ," Memoires de l'Academie des sciences, inscriptions et belles-

lettres de Toulouse, lie serie, 6 (1918): 141-161. 8 Franqois de Gelis, "Les poetes humanistes des Jeux Floraux,"

Memoires de l'Academie des sciences, inscriptions et belles-lettres de

Toulouse, lie serie, 7 (1919): 45-68. 20 Q Francois de Gelis, "Quelques poetes des Jeux Floraux aux XVTe et

XVIIe siecles," Memoires de l^cademie des sciences, inscriptions et belles-

lettres de Toulouse, 12eserie, 1 (1923): 61-91.

^ Mario Roques, compte rendu du livre de Francois de Gelis, Histoire

critique des Jeux Floraux, in Romania, 42 (1913): 446-450.

^ Roques, p. 450.

^•2 Le titre complet en est "Memoires de l’Academie du Languedoc cu-

rieusement et fidelement recueillis de divers autheurs grecs, latins, fran-

coys et espagnols; et de plusieurs titres des archifs des vllles et commu-

nautes de la mesme province, et autres circonvoisines (Toulouse: Colomiez,

1633).

13 Philippe Tamizey de Larroque mentionne aussi l'ouvrage de Charles

de Lagane, mais aucune bibliographie ou encyclopedie n ’en fait mention

(Guillaume Colletet, Vie des poetes gascons, Philippe Tamizey de Larroque,

ed., Paris, 1886; rpt. Geneve: Slatkine, 1970, p. 45.) Tamizey de Larroque

fait aussi allusion aux polemiques sur Clemence Isaure et il tente d'eta-

blir une bibliographie (pp. 43-46) t ce sujet; elle s'avere etre insuffi-

sante.

14 Pierre Bee, "Quelques reflexions sur la poesie lyrique medievale: probleme et essai de caracterisation," in Melanges offerts a Rita Lejeune,

f ed. Jeanne Wathelet-Willem (Gembloux: Duculot, 1969),p. 1323.

Lafont et Anatole, pp. 267-329. 16 Charles Camproux, Histoire de la litterature occitane, 2e ed.

(Paris: Payot, 1971), p. 65. 17 Camproux, p. 86. lg Andre Gourdin, Langue et litterature d oc (Paris: Presses Univer- 21 sitalres de France, 1949), p. 46.

19 Cite par Camproux, p. 88. 20 Pierre de Ronsard, Oeuvres Completes, ed. Paul Laumonier (Paris:

Didier, 1949), XIV, 12. 21 . . , Erich Kdhler, in Collogue Litterature et Societe, Institut de Socio-

logie de l'Universite Libre de Bruxelles et l'Ecole Pratique des Hautes

Etudes de Paris, 21-23 mai 1964, discussion finale (Editions de 1'Institut de Sociologie de l’Universite Libre de Bruxelles, 1967), p. 48. 22 Kohler, p. 48.

^ Jacques Maurens, La Tragedie sans tragedie (Paris: Annand Colin,

1966), pp.7-8. 24 Pierre Macherey, Pour une theorie de la production litteraire

(Paris: Maspero, 1974), p. 151. 25 Macherey, p. 151. 26 Lucien Goldmann, Pour une Sociologie du roman (Paris: Gallimard,

1964) .

» CHAPITRE I

DU CONSISTOIRE DU "GAI SABER"

AU COLLEGE DE RHETORIQUE: 1323-1583

22 23

1. De 1'institution du "Gai Saber"

L'institution des Jeux Floraux est intimement liee aux celebres

Leys d'Amors qui representent leur acte officiel de naissance. La poesie courtoise du Midi de la France avait disparu dans la tourmente de la Croisade contre les Albigeois. Dante venait de mourir a Ravenne,

la guerre de Cent Ans allait bientot ravager la chretiente.l C'est alors que sept troubadours essayerent de rallumer le flambeau de l'art et de 1'ideal en se groupant pour former le Consistoire du "Gay Saber", la "Gaie Science", et proposer le premier "Art poetique", les Leys d'Amors. Adolphe Gatien-Arnoult, historien des Leys, explique:

Si l'on songe que Toulouse etait alors la vraie capitale in- tellectuelle du pays d'Oc; que ce pays ou Langue d'Oc compre- nait physiquement la plus grande partie de la France, entre la Loire, les Pyrenees, les Alpes et les deux mers, tandis que moralement, il s'Stendait au del3 des Pyrenees et des Alpes, en Espagne et en Italie; et que pour tous ces pays, le corps des poetes de Toulouse etait une sorte de senat poetique ou d'aeropage litteraire, 3 qui l'on reconnaissait le droit souverain de decreter et d'appliquer les lois de la composition, il est impossible qu'on ne soit pas frappe de 1'excessive importance d'un tel livre. C'est mille fois plus qu’un dictionnaire de l’Academie franqaise de ce temps-13: car c'est un code de litterature donne par la seule littera­ ture qui exista alors.2

Guilhem Molinier, qui se chargea de la redaction des Leys ne « visait pas 3 l'originalite. Avec ses collaborateurs, il fut influence par les ouvrages 3 la mode, bourres de citations d'auteurs antiques, profanes ou sacres. Le premier livre s'inspire en particulier de deux traitis italiens qui jouissaient d'une grande reputation: le Tresor de

Brunetto Lattini et l'Ars loquendi et tacendi d'Alberto de Brescia.

Joseph Anglade y note aussi 1'influence du troubadour N'Ath de Mons, celle de SSneque, Ciceron, Aristote, cites de seconde main, ainsi que 24

la presence de nombreux fragments de l'Ancien Testament. Quant S la

prosodle et la grammaire, Mollnler avoue avoir voulu rassetnbler ce qui

avait ete dcrit jusque^lil, Le troubadour Raymond Vidal de Besalu avait

publiS 3. la fin du Xlle siScle ou au ddbut du XlITe siecle Las Razos de

Trobar, sorte de grammaire divisee en huit parties; Uc Faidit, auteur

de Donatz Proensals, avait compose un traite de grammaire et de metric

que. Divers ouvrages, de plus, avaient Ste publies entre la date de la

creation du Consistoire (1324) et celle de la publication des Leys

(1356); ces ouvrages laisserent leurs traces dans la redaction finale,

C'est le cas du Doctrinal de Trobar que Raymond de Cornet, natif du

Quercy, ecrivit en septembre 1324, au lendemain du premier concours.

II existait aussi le Glosari de Joan de Castelnou, ecrit en 1341.

Les Leys d'Amors ne furent publies qu'en 1356, trente-trois ans apres la creation officielle du Consistoire du "Gay Saber", mais un document contemporain donne preuve que les Leys servaient dej3 de rSgle aux poStes de 1340. Guilhem Molinier en fut le redacteur, mais son travail fut le fruit de la collaboration de toute l'assemblee lettree faisant partie du Consistoire de la Gaie Science de Toulouse. Ce docu- f ment, en occitan, est unique en son genre et est conserve 3 la Biblio- theque des Jeux Floraux de Toulouse. II est precieux pour les linguis- tes, les historiens et les litt§raires.

Les Leys sont introduits par le rappel des origines du "Gay

Saber". Molinier explique:

Per so, en lo temps passat, foron en la reyal nobla ciutad de Tholoza.VII. vallen, savi, subtil e discret senhor, liqual hagro bon dezirier e gran affectio de trobar aquesta nobbla, 25

excellen, meravilhoza e vertuoza dona Sciensa, per que lor des e lor aministres lo gay saber de dictar , per saber far bos dictatz en romans, am losquals poguesso dire e recitar bos motz e notabbles, per dar bonas doctrinas e bos essenhamens, a lauzor et honor de Dleu nostre senhor e de la sua glorioza Mayre, e de totz los Sans de Paradis, e ad estructio dels ignorens e no sabens, e refrenamen dels fols e nescis ayma- dors, e perviure am gaug et am l’alegrier dessus dig, e per fuire ad ira e tristicia, enemigas des Gay Saber. E finalmen li dit senhor, per miels atrobar aquesta vertuza dona Sciensa, lor gran dezirier e lor bona affectio mezeron ad executio. E tramezeron lor letra per diversa partidas de la Lengua d ’Oc, afi que 11 subtil dictador et trobador venguesso al jorn a lor assignat, per so que 1 dig.VII. senhor poguesso auzir e vezer lor saber, lor subtilitad e lors bonas oplnios, e que apenre pogues la us am 1‘autre, e la dita nobla poderoza e vertuoza Dona trobar.^

Tout en poursuivant son developpement, Guilhem Molinier donne l*exemple des poesies qui pourront etre mises en competition:

Als honorables et als pros Senhors, amix e companhos, Als quals es donatz le sabers Don creyh als bo gaugz e plazers, Sens e valors e cortezia La sobregaya companhia Dels. VII. trobadors de Tholoza Salut e mays vida j o y o z a . 5

"La Compagnle tres gale des sept troubadours de Toulouse'' etait fondde. Joseph Anglade exprime cette naissance en termes lyriques:

Ces poStes echappalent k la lol de malediction divine: ils > enfant§rent dans la joie une oeuvre longue et difficile et dont la vitalite a ete assez forte pour qu'elle survecut a de nombreux changements locaux et nationaux.6

Molinier poursuit:

Tug nostre major cossirier

Son de chantar e d ’esbaudir 7

Les intentions et le ton du manifeste litteraire attestent d'un enthousiasme pour l'art et la connaissance, le "Gay Saber", & l'avant- 26

garde des idSes gmises & la Renaissance. Le savoir est pare de toutes

les vertusj il mSne & la joie et chasse la col§re,® Son acc§s est rendu

plus facile grace au Verbe, cet ’’Art de bien dictier", qui en est 1 ’ins­

trument ultime et grace auquel lea poStes de Toulouse tenteront de ri- / valiser de talent. Le Verbe conduit 9 Dieu, et les poetes sont cons-

cients de la mission qui accompagne leur art. Le poSte est celui qui montre la lumiSre, corrige les moeurs et fait acceder & la felicite, la

"joie", par la subtilitS de son jugement et de son discours. Le Consis­

toire du "Gay Saber" fait ainsi l'apologie de l'art de la parole styli-

s<2e, veritable "Joyau" au goGt litteraire de l'epoque et porteur de

connaissance. 9 La "joya" d ’or fin, remise en recompense fait allusion

au joyau stylistique 5 atteindre, mais aussi a l’experience de "joie"

tiree de la connaissance, et au travers d ’elle, de Dieu.

Ceci justifie le titre de Leys d 1Amors, que l'on a traduit par

Rggles de poesle mystique. Armand Praviel explique, dans Histoire Anec- dotique des Jeux Floraux, que, dans la poesle meridionale, la conception de 1'"Amors" n'avait jamais cessS de s'epurer. Vers le milieu du X H I e si&cle, elle aboutissait au pur platonisme de 1'amour mystique et d ’une poSsie purement religieuse.10 Joseph Anglade a rappeli comment, avec

Folquet de Lunel et Server! de Girone, cette poesie s'epanoult & la cour de Henri de Rodez, ultime refuge de la poesie meridionale a la fin du

XHIe siScle.ll Du Rouergue, elle se manifeste a Toulouse de la maniere la plus nette, puisque le Consistoire du "Gay Saber" encourageait sur- tout les themes de 1 'amour de Dieu et de la Vierge Marie. Ainsi le "Gay

Saber" pouvaitt.il etre acquis au travers de la glorification divine, car 27

le service de Dieu est change de joie et d ’allSgresse, 11 en sera de meme au XVIe si£cle,

Meme 9i cette podsie egt tournde vers Dieu, elle n ’en reste pas moins une poesie "gaye", pleine d fespoir, Les Leys le demontrent a

coups de syllogisme et de constatations morales)

Avec la joie et l ’alldgresse, tout homme, quand les circonsr. tances le demandent, supporte et souffre toutes sortes de pelnes, S savoir les mlsdres, les angolsses, les tribulations par lesquelles 11 nous faut passer pendant la presente vie; avec une telle joie et allegresse, l ’hoimne devient meilleur dans les bonnes actions, et sa vie s ’ameliore mieux qu’avec la trlstesse; car de meme que la Joie et 1'allegresse recon- fortent le coeur, entretiennent le corps, conservent la va- leur des cinq sens corporels, 1'intelligence, 1 'entendement et la memoire, et font la vie humaine fleurie, ainsi chagrin et tristesse confondent le coeur, gatent le corps et desse- chent les os, ddtruisent ladite valeur des sens et font paraltre l’honane plus vieux qu'il a ’est.12

Molinier evoque ensuite le lien de la tradition qui le lie aux sept

troubadours:

Perque nos set, seguen lo cors Dels trobadors qu’en son passat, Havem a nostra voluntat I. loc meravilhos mant dit noel Et pus dels dimenges de l'an. E no y suffrem re malestan, Qu’essenhan I1us 1 ’autre repren E. 1 torna de son falhimen A so que razos pot suffrir. E per mays e miels enantir Lo saber qu'es tan ricz e cars, Fam vos saber que, totz affars E totz negocis delayshatz, El die loc serem, si Dieu platz, Lo prumler jorn des mes de may, E serem ne mil tans plus gay Si.us hy vezem en aquel jorn, Qu’a nos no cal d ’autre sojorn Mas quan d'isshausar lo saber.

Donarem una vloleta De fin aur, en senhal d'onor 28

No regardan pretz ni valor, Estamen n± condicio De senhor nl de companho, Mas sol manlera de trobar. E adonx auziretz chantar E legir de noatrea dictatz E se y vezetz motz mal pauzatz 0 tal re que be non estla, Voa ne faretz a vostra gula, Qu’a razo no contradirem. Mas ben crezatz que aoatendrem So qu’aurem fayt, en dlsputan; Quar responden et allegan Es conogut d'ome que aap, Can gent razon e tray a cap So q'us altres li contraditzj E cel que raman esbahitz Tant que ao qu’ades ha retrag No sab rezonar, l'autruy fag Par que vol per sieu retenir, Et enaysal faseacaulr, Car l’autruy aaber vol emblar. Per que us volem assabentar E us suppleyam e us requirem Que.l dit jorn qu’assignat havem Voa veyam aay tan gent garnitz De plazens sos e de bels dltz Que.l segles ne sla plus gays, Tant que jocglar ne valhan mays E torne valors en vertut, E.l Dleus d ’Amors que vos ajut.13

Done, le mardi apres la Toussalnt de 1323, sept notables de

Toulouse se trouvaient reunis sous un laurier, dans le verger d'un fau­ bourg de la ville, le "barri" des Augustines, II y avait la Bernard de

Panassac, seigneur d'Arrouede,^ en Gascogne, Guilhem de Lobrat, Beren- guier de Sant Plancat, Peyre de Mejaneserra,^ Guilhem de Gantaut, Pey

Camo^ et enfin Bernard Oth.^ Le Consistoire du "Gay Saber" venait de prendre naissance et proposait des concours poetiques pour assurer sa postiritd.

Le premier concours eut lieu et il ne manqua point de rimeurs 29

avideg de reciter leurs vers en public. Ils furent regus par le ConsiS’-

toire, auquel s ’etaient joints les Capitouls de la ville, les nobles,

les marchands. Le premier jour, on recevait les poSmes, le second, on

les examinalt, et le troisi&me jour de mai,

La jorn de Santa Crotz de may,

la Violette, recompense supreme, fut accordSe au po§te Arnaut Vidal, de

Castelnaudary, pour une chanson en l ’honneur de la Viergei

Mayres de Dieu, verges pura Vas vos me vir de cor pur

Cette scSne a £tS fixde dans une vaste toile d ’un peintre toulousain,

Jean-Paul Laurens, On y voit le poSte disant ses vers, en plein air, sur une estrade dressSe sou3 d ’enormes platanes qui ont remplace le laurier. DerriSre lui brillent les murs de la ville toute rose.

Joseph Anglade en devoile la portee:

Le berceau de la Gaie Science ne fut pas quelque salle tene- breuse, comme il devait y en avoir dans la Toulouse du moyen age... La Gaie Science s'epanouit et fit ses premiers pas en plein air, sous le clair soleil, ou a 1'ombre d ’arbres tou- jours verts, dans le parfum enivrant des fleurs et des plantes de mai. En evoquant ce paysage, la pensee se reporte sans peine aux cadres gracieux dans lesquels les conteurs du qua- torzieme et du quinziSme siecle italien ont place la plupart de leurs recits.^®

» Les troubadours voulaient faire oeuvre durable. Ils avaient obtenu des Capitouls de la ville que celle-ci paieralt rSgulierement la fleur d ’or sur la budget de la ville. Ils creaient les titres honori- fiques de Bachelier, Maltre et Docteur "en Gaie Science". II ne leur manquait plus que de codifier leurs r§gles poetiques et grammaticales qui, troi3 cents ans avant Boileau, devaient fixer, pour les provinces du Midi, le premier "Art poStique" et avoir une influence determinante 30 sur la production litteraire toulousaine.

II existe deux redactions des Leys d*Amors. La premiere, inti-

tulee Las Flors del Gal Saber, a ete editee en 1841-1843 par les soins d'Adolphe Gatien-Arnoult, professeur I l'Universite de T o u l o u s e . ^

La deuxl£me redaction a e t i publiee sous le titre de Las Leys d ’Amors:

Manuscript de l’Acad&nle des Jeux Floraux (1919) et fournlt l'hlstoire dStaillde de la fondatlon du Gal Savoir alnsl que la protee morale, phi- losophique et rellgleuse de la tentative des sept troubadours.20 c'est sur cette version que nous basons notre developpement.

Le pretexte des concours poetiques tels que les sept troubadours

1 'entendalent Stait bien de "maintenir" la langue d'oc dans sa purete primitive et d'opposer une barrlere legale aux influences etrang§res qui commengaient Si la corrompre. Ils avaient senti le besoin d'Stablir un code littSraire, faute de quol les traditions se perdraient. Les Leys sont nes d'une volonte de faire revlvre une tradition qui avait perdu de son brillant. En effet, ce n'est pa9 a 1323 que l’on peut faire re- monter les activites litteraires de Toulouse. Des les Xle et Xlle siecles, des amateurs des lettre9 se reunlssalent a Toulouse, comme ils le faisalent dans les differents puys du nord de la France tels Arras, f Rouen, Valenciennes, Amiens, Caen. Le Languedoc, qui plus est, avait connu au Xlle siScle une civilisation brillante dans laquelle la litte­ rature avait tenu une place de choix, Dans son Histoire litteraire de la France mddigyale, Paul Zumthor explique que, au moyen age, la region aituSe entre le Rhin et la Garonne etait le creuset d'une intense acti­ vity littSraire,21 Comme dans les puys ou la vie litteraire etait sou- vent sanctionnde par un environnement religieux, le Consistoire de 31

Toulouse etait une societe de lalques fortement attachee 3 un enseigne-

ment religleux:

Ma9 tant es grans l'ensenhamens De cels que fan vers e chansos Qu'atresi qu.l religios Mostran la vida sperital^

Dans les puys, des concours poetiques avaient ete aussi organises sous

la presidence d'un "prince", et le talent poetique ouvrait souvent la

porte aux milieux aristocratiques. Paul Zumthor explique le develop­

pement de 1'activity litteraire en province en ecrivant:

Ce phdnomene est desormais du, moins 3 un besoin instinctif de regrouper les forces civilisatrices qu'3 1'aspiration d'un monde equilibrd et sur de soi qui cherche 3 integrer la beau- te, pour elle-meme, aux puissances reelles de la v i e . 23

A Toulouse, l'activite litteraire de cette epoque reflate une

accalmie politique et une certaine prosperite economique. En ce debut

du XlVe siScle, la guerre des Albigeols est terminee, celle des Anglais

n'est pas encore commencee, l'industrie fleurit et le commerce prospere.

Marchands et banquiers, 3 la suite des sept troubadours, vont mettre 3

profit 1 'argent amassS dans les comptoirs pour encourager les ecrivalns

et les artistes,

Parallelement 3 Toulouse la Commerqante, Toulouse la Savante se developpe.24

Au XVXe slecle, la bourgeoisie, enrichie par le negoce, est en pleine

croissance, tandis que la noblesse s'appauvrit et que son influence

tarit. Manquant d'autorite dans les chateaux, les troubadours trou-

vent alors oreille attentive chez les bourgeois de la ville.

La cgldbration de la fete des fleurs devint pour Toulouse source

d'honneur et de profit. Elle favorisait le commerce en attirant les 32

Strangers. Des Parisiens, comme Pierre Janilhac, y venaient rivaliser en occitan dans le cadre des concours poStiques, Des intellectuels toulousains instituSrent, sur 1’invitation de Jean Ier, roi d'Aragon, des concours identiques 3 Tortosa et Barcelone.^S Les fetes augmen- taient ainsi la riputation intellectuelle et HttSraire dont la ville' avait aime se parer,

2 . Le rituel

Le dSroulement des fetes se faisait en grande splendeur, & en croire les livres de comptes de la ville. Tout ce que la ville comptait d'hommes illustres et d'Strangers de distinction se trouvait prie. Les registres dans lesquels les poesies furent transcrites font generalement silence sur les dSpenses occasionnSes, laissant ces preoccupations ma- terielles aux capitouls de la ville qui s'en accomodaient bon gre mai gre.26 Quoique les concours poetiques fussent hors de portee d'une mas­ se encore illettree, les Jeux avaient un aspect de fete populaire: on jonchait la rue et la cour de l'Hotel de Ville d'herbes odorifiques, on pavoisait la faqade de l'Hotel de Ville, on dressait des berceaux de feuillage et des arcs de triomphe 3 tous les carrefours. Le lendemain

t de la fete, on envoyait un veau gras a chaque convive. Le defile des

Matnteneurs et des Capitouls allant chercher les fleurs 3 l'eglise de la Daurade £tait un spectacle favori des Toulousains. Franqois de Gelis explique qu'ils aimaient voir passer ces hommes graves, relevant les longs plis de leur robe fourree d ’hermine et tenant 3 la main les cele- bres fleurs,^ L'ordre de la delegation etait minutieusement orchestre pour ne spolier personne de l’honneur de la ciremonie, Apres des deli­ 33 berations qui durerent plus de cinq ans, on dScida que les Mainteneurs occuperaient la droite du cortege, position d ?honneur et la gauche en revenant. L ’honneur de porter les fleurs etait aussi trSs dispute.

Franqois de Gdlis raconte 1*anecdote qu'un des Capitouls voulut s'em- parer de la fleur du Souci, sous prdtexte qu’il etait le representant du quartier de la Daurade, Ce geste souleva une tempete de protesta­ tions, et il fut dScide que "dores en avant, les fleurs seraient reques es mains du Recteur de la Daurade par le plus ancien Mainteneur pre­ sent" .

Capitouls et Mainteneurs Staient les maltres de ceremonie. Les

Capitouls etaient les representants officiels de la ville de Toulouse; dans les deliberations du Consistoire du "Gay Saber", on trouve aussi le terme de "Capitoul-baile" ayant la meme connotation. Comme la ville etait tenue responsable des depenses des fetes, les Capitouls tenaient

3 s ’ingerer souvent dans les deliberations du Consistoire, situation que les Mainteneurs supportaient mai, Epris d'art et d ’eloquence, ils n ’ai- maient guere les gestionnaires de fonds. Des conflits eclaterent sur- tout au XVIe siecle, pour des raisons d*influence ou purement financiS- res,

Molinier parle des Mainteneurs d§s les premieres pages des Leys, dans un chapitre intitule "La ordenansa dels.VII. senhors mantenedors del Gay Saber".29 Leur role etait essentiel a la perpetration des con­ cours poetiques. Pio Rajna fait observer que le mot "Mantenedor" signi- fie "champion, defenseur" plus que "mainteneur".30 Les auteurs des

Leys se faisalent les defenseurs d ’une langue et d ’une culture qu'ils 34 voyaient se desintegrer; il n'est pas aberrant de dire qu'lls desiraient la "maintenir” . "Champion” et "mainteneur”, dans ce contexte sont tres proches. Pio Rajna signale que le mot "mantenedor" etait cependant rare en ancien occitan. On en trouve seulement un exemple chez Peire Vidal, et un autre tire d'une homdlie.^l

Les Mainteneurs resteront au nombre de sept au cours des deux siScles qui precedent le Livre Rouge. Dans certaines annees troublees, leur nomhre passa a quinze; cette situation etait irreguliere, cependant,

Les Mainteneurs se recrutaient parmi 1 ’elite eclairee de la ville et des membres eminents de l’Universitd en porterent le titre envie. C ’etait le cas de Jehan de Boysson, Jean de Coras, Michel du Faur, etc. Selon les aleas de la politique, l’Universite ou le parlement avait la majo- rite, mais les Jeux Floraux, en general, s ’insurgeaient contre les ex- ces de tous bords. Le Consistoire reactionnaire de 1571, par exemple, fut equilibre par la reinsertion a leur poste de Mainteneur de ceux qui avaient ete depossedes de leur charge, deux annees auparavant.

Les Actes et deliberations du College de Rhetorique, qui, au

XVIe slecle, introduisent chaque annee les poesies primees, nous eclai- t rent sur les coulisses des Jeux, Ainsi, pour 1*annee 1560, on lit;

Le ler avril, semonce aux Capitouls— Le ler mai, on delibere sur la vacance de Mainteneur ouverte par le d£c§s de Jean de Boysson. Les avis etant partages on decide que la voix de Chancelier comptera pour deux. Apr§s quoi, Franqois de La- garde, conseiller au parlement, est requ. Commencement des examens.— Le Syndic de la ville vient se plaindre de certains ecollers coupables d ’avoir presente aux concours des pieces entachdes d ’heresie. On decide que dans la seance publique du Grand Consistoire, le Chancelier interdira aux concurrents, sous peine de repressions severes, tout ecrit, tout propos 35

contralre 3 la religion, Le Souci est adjugg 5 Antoine du Tincturier,1’Eglantine 3 Jacques de Bonnefoy, la Violette 3 Bernard du Poey (ou de Podius) qui passe MaJtre.— Ballste, Lagrange, Blaisot rendent graces— L'Oraison des Fleurs est prononcSe par Louis Archebel.— Bernard de Poey est requ Ma£- tre et prete serment,— On donne un Oeillet 3 Jean de Garaud, jeune fils du seigneur de Cumyers, tresorier general de Fran­ ce, Presents le ler avril, MM, Michel du Faur, Chancellier; Jean de Coras, Mathieu de Chalvet, Pierre de Papus, Guy du Faur, Mainteneurs; Jean de Coignard, Pierre de Noguerolles, Pierre du CSdre, Pierre de Saint-Aignan, Antoine Noguier, Guillaume de Cayret, Maitres. Presents le ler mai, MM. Michel du Faur, Chancelier; Jean de Coras, Mathieu de Chalvet, Pierre de Papus, Etienne Potier de la Terrasse, Mainteneurs; Jean de Coignard, Pierre de Noguerolles, Pierre du Cedre, Pierre de Saint-Aignan, An­ toine Noguier, Guillaume de Cayret, Maltres. Presents le 5 mai, MM. Michel du Faur, Chancelier; Jean de Coras, Mathieu de Chalvet, Pierre de Papus, Etienne Potier de la Terrasse, Guy du Faur, Charles de Benoit, Mainteneurs; Jean de Coignard, Pierre de Noguerolles, Jean de Cazeneuve, Pierre du Cedre, Pierre de Saint-Aignan, Antoine Noguier, Guil­ laume de Cayret, Samson de Lacroix, Maltres.32

Le premier avril, en effet, Mainteneurs et Maltres se reunissaient chez l'un d'eux, puis se rendaient en grande porape dans un des pieux sanctu- aires de la ville, ordinairement la chapelle du College Saint-Martial.

Le cortege se dirigeait ensuite vers l'Hotel de Ville oil devait avoir

lieu la Semonce, c'est-a-dire la sommation faite aux Capitouls de pre­ parer etfinancer les Jeux. A l'Hotel de Ville, les Capitouls descen- daient en robe pour recevoir leurs hotes, et c ’est au son des haubois et des trompettes d'argent que les deux groupes penetraient 3 l'interieur de l fedifice, selon un protocole tres s t r i c t . 33 Dans la salle du Grand

Consistoire, le Mainteneur le plus age sommait les Capitouls de proce- der 3 la solemnisation des Jeux, dans le delai d'un mois, A partir de

1540, ils ajouterent "Car telle est la volonte de dame Clemence de bon­ ne memoire, et la disposition inscrlte dans son Testament", Les Capi- 36

toula se devaient de rdpondre, M e n qu'il en ait 3ti souvent autrement:

"Nous sommes prets 3 faire notre devoir". Ils passaient ensuite aux

deliberations de coutume, Pour finir,3^ les Mainteneurs etaient recon­ duits en grand protocole,

Quelques jours apr&s, les herauts parcouraient les rues de Tou­

louse et proclamaient les jours ou les juges s'assembleraient pour "ouir,

suivant l’ordonnance accoutumde, tous ceux qui voudront dictier". On

faisait aux poetes "deffence de porter armes 5 ladite assemblee contre

les Edits du Roi; ne faire tumulte, noises ni Insolence, a peine de pri­ son et autres exemplaires", Une proclamation de 1640 atteste du rituel,

certainement tres similaire un si£cle auparavant;

De par la Roi et d'autorite de Messieurs les Capitouls, on faict asavoir 1 tous les escoliers et autres personnes fai- sant profession de suivre les lettres que le ler et le 3e du mois de Mai prochain se fera l'ouverture des Jeux Floraux ins- titues par dame Clemence Isaure, dans le Grand Consistoire de l'HStel de Ville, pour lire tous chants royaux, poemes, stan­ ces, elegies, sonnets, distiques, et autres oeuvres poetiques pour le gain et l'obtention des Fleurs ordonndes par ladite Dame.,. avec defense auxdits escoliers et autres de proclamer aulcuns libels diffamatoires ni aucune oeuvre tendante a l'he- resie et £ scandale public...35

A plusieurs reprises, en effet, des etudiants avaient perturb! le cere­ monial ordonne des Jeux, et les autorites cherchaient £ decourager un tel scandale.3^

En 1560, le ddces de Jehan de Boysson laissa une vacance au sein du Concile des sept. Les Mainteneurs etaient en effet nommes £ vie; ils pouvaient cependant ddmissionner au profit d'un remplaqant. L'humaniste

Jehan de Boysson fut done remplace par le parlementaire Franqois de La- garde,37 dans un jeu de forces qui pencha cette annee-la plus pour la 37

reaction que pour la tolSrance, 156Q est 1 ’annSe des premiers troubles

religieux importants 5 Toulouse, et les Mainteneurs Slirent dans leur

College un catholique fervent, sous la pression des Capitouls et du Par­

lement ,

Le Consistoire, ou College surtout au XVIe siecle, etait presi­ de par un Chancelier, En 1560, Michel du Faur tenait cette fonction et assurait le role Sminent que sa famllle jouait dans l'histoire politique et litteraire de Toulouse, et meme de la France,

Siegeaient aussi au Consistoire les Maitres, c'est-a-dire les poStes, autrefois "bacheliers", dont les podsies avaient ete primees plus de trois fois et qui etaient enfin "passes maitres".

Le premier mai avaient lieu les deliberations secretes en presen­ ce des Maitres, Mainteneurs et de trois Capltouls-baillis. Pour depar- tager les poetes d'dgale valeur, le jury ordonnait aux poetes de compo­ ser seance tenante un podme de courte duree, ordinairement un sonnet ou un simple huitain ou dizain; C ’etait l ,"essai", Le Livre Rouge en garde certaines traces avec les courtes poesies non primees qui sont parfois adjointes. On trouve, par exemple, un sonnet de Pierre Garros pour l'an- nee 1557,' un "Hymne de la nativite de Jesus Christ" de Loys du Pin en

1569,3® En 1570, selon la transcription du greffier, ce serait un chant royal qui departagea plutot les candidats, et le breton Bouyant l'empor- ta, Le sonnet porte en effet la mention de la Violette. Nous devons cependant mettre en doute la bonne transcription du greffier; 1'inverse nous paralt plus plausible.

Avant de passer au banquet, les poetes devaient reciter leur 38

po£me, le beret £ la main, debout devant le Chancelier. Les livres de

comptes de la ville temoignent des depenses encourues pour egayer 1'as­

semble. On employait les services de peintres, decorateurs, danseurs,

traiteurs et ceci £ grands frais, Apres le banquet, un certain nombre

de Mainteneurs se dirigeaient vers l'eglise de la Daurade oil etaient

exposees les fleurs. Pendant ce temps, les membres du College, restes

en sSance, examinaient les poimes de tous les jeunes ecoliers, qu'on

recompensait souvent pour flatter le pere. Ainsi, en 1560, l'Oeillet,

fleur reservee aux enfants, fut accordee £ Jean de Garaud, "jeune fils

du seigneur de Cumyers, trdsorier g£n£ral de France". Le fils du cele-

bre Guy du Faur de Pibrac re 5ut lui aussi un Oeillet, £ l'occasion du-

quel son pere composa £ son tour un quatrain , ^

Ensuite venait la cSrdmonie des remerciements des laureats pri- m£s l'annee precedente, Ils etaient faits de sonnets ou de madrigaux

charges de louanges.^0 On faisatt l ’eloge de Clemence Isaure, bienfai-

trice des Jeux, en latin, avant de proc£der £ la remise de3 recompenses

dont les deliberations font etat suivant la formule;

La Violette, 1*Eglantine et la Soulcie d'Argent, ayant ete placSes par le bedeau devant Monseigneur le Chancelier. il a St£ procSdS incontinent a 1*adjudication d'icelles. ^ r

Les Leys donnent a la recompense de la Violette plus de presti- ge qu'aux autres fleurs, L'Eglantine, le Souci, l'Oeillet et meme la

GirofflSe Staient des "joies accessoires", Toutefois, dans l'ordre des poSmes du Livre Rouge, la Violette est souvent precedee par la recompen­ se du Souci \ Souci, Eglantine, Violette. Ceci montrerait qu'au XVIe

siScle, la Violette avait perdu son prestige, Dans les th£mes et le

style, on ne parvient pas a ddceler de vraie difference entre les re­ 39 compenses, ce qui, impliquerait que les trois £ leurs pirincipales jouisn saient de la meme renommSe,^^ Leg pogtes concouraient pour la gloire et l'espoir de passer Maitre au sein du College, Le Livre Rouge ne mention- ne pas de poesies qui aient obtenu l'Oeillet ou la Girofflee, conside- r§es mineures,

11 existait cependant d'autres recompenses remises en des cir- constances exceptionnelles. Les deliberations de l'annee 1554 attestent que Ronsard, cette annde^lS, fut recompense de 1'Eglantine, sans avoir pour autant participe aux concours, Les membres du College de Rhetori- que saluaient son genie:

Quant & 1 ?Eglantine, on decide de l'offrir 3. Ronsard, apres avoir augmente d ’une certaine somme sa valeur habituelle.^3

XI faut croire, dit Fransois de Geiis, que Pierre Pascal, ami de Ron­ sard et alors passe MaXtre, ne fut pas etranger 3. cette nomination.

En 1586, on revient sur ces deliberations pour convertir la fleur en une Minerve d'Argent.^ Ronsard en aurait ete tres touche:

Estant ledit Ronsard beaucoup honore de ce present, il fist connoistre combien il lui avoir ete agreable par les actions

de grace qu'il en r e n d i t . ^ 5

Les celebrations des fleurs, comme la tradition des concours f 9 poetiques, venaient droit de l ’Antiquite. Ces traditions avaient sur- vScu au moyen age, grace aux activites litteraires des puys, pour con- naXtre un regain de faveur I la Renaissance,

Le trois mai, jour du trlomphe, les candidats devaient offrir leurs fleurs 3 Notre Dame de la Daurade, puis 3 celle de Saint Roch.

Les derniers echos de la fete retentissaient encore trois semaines plus 40

tard, lors de 1 ’Ascension, Alors, les fleurs dtaient remises en grande pompe aux laurSats, On entourait cette c£r§monie d ’un Sclat particulierj on organisait une brillante cavalcade, et les triomphateurs parcouraient

les rues suivis par le bedeau portant les insignes de la victoire.

Francois de GSlis ddcrit la scSne;

Rome, Athfines et quelques villes du midi de 1*Europe o(i la tra­ dition antique s'est particulidrement plus conservee, nous ont donnS l ’exemple de ces manifestations de plein air, faites de mouvement, d ’enthousiasme, de soleil et de bruit.

Ces fetes portaient le nom de Triomphes, Franqois de Gelis poursuit:

La joie y eitait plus ddbordante que le trois mai, la liberte plus grande, la fantaisie plus maltresse.^

Fort de son succSs, le laurdat faisait alors imprimer son po§me en jr joignant quelques pieces de son choix, 11 les faisait souvent pre- ceder d"'actea de reconnaissance" qui en parrainaient le talent. Ces

Triomphes sont parfois des pancartes destinies a l ’affichage ou de min­ ces brochures contenant une douzaine de feuillets.^® Elies portent des tltres symholiques comme "Le vice abattu et la vertu triomphante pour le triomphe de 1'Eglantine" ou "Les progres de la France sur 1’Empire et l’Espagne pour le triomphe de la Violette", Sur la premiere page de ces

Triomphes, gineralement ornde d ’un majestueux frontispice, s’etalait en gros caractSres la pel!sie>couronnde; 1 la suite venaient quelques poemes lagers: rondeaux, sonnets, quatrains; le recueil se terminalt par les compliments des podtes rivaux,

L ’institution de la Gaie Science parallSle celle de l'Universite et en offre bien des ressemblances. L'UniversitS de Toulouse fut en effet institute par le traitd de Paris de 1229, un siecle avant la ere- 41 atlon du Consistoire, Corame l ’Universite, les sept troubadours avaient cherche 3 repandre la science en encourageant 1*excellence. Ils remet- taient des titres de Docteurs -"Don Doctor de Trobar"-,^ Maitres et Ba- cheliers en Gaie Science, Le bedeau tenait le role d ’appariteur. C'est lui qui lanqait le3 convocations et recevait 1'argent des laureats. Le

Chancelier dirigeait les sdances du Collige. XI existait ainsi une gran­ de parents entre ces deux institutions, Quoique l'Universite ait vu par- fois d'un mauvais oeil la delivrance de diplomes similaires aux siens, son role dans la perpetration de la tradition florale est essentiel. L'Uni­ versity fournissait les talents poetiques comme leurs censeurs.

3, Les conditions des concours

Le livre II des Leys d'Amors reglemente les conditions des con­ cours sous la rubrique "Qui e cuy e quo deu joya jutjar".

Les Mainteneurs jurent de juger bien et loyalement en ecartant les sentiments de haine ou de faveur, de consideration ou de crainte; de tenir le jugement secret jusqu'S ce qu'il soit publie; .et d'approuver ce qui aura ete juge 3 la plurality des voix, contre leur avis particu- lier, Ils Jurent de ne corriger aucun ouvrage destine au concours,

» Cependant, pour l'instruction de celui qui a fait l'ouvrage, on peut en faire connaitre les fautes, pourvu qu'on ne les corrige pas. Guilhem

Molinier poursuit dans les Leys:

A persona absen no deu esser jutjada lunha joya per lunh dic- tat, si donx non era rey, o filhs de rey, o dux, o corns.

Dignes non es d'aver joya ni d'haver dignitat de doctor o de bachelier, ni de lunh autre offici del dlt Consistori, contra la voluntat dels,VII, senhors mantenedors o de la major par- tida de lor ...... 42

Aquo meteys dizem d ’auelg qui reproaran o diran mal da la festa de la vtuleta o del jutjamen dels,VII, senhors mantes n e d o r s .

Les femmes sont exclues des concours d'une maniAre assez oblique;

A femna prezen n± absen no jutja hom nl dona deguna de las dltas joyas, s± donx no era de gran honestat e dignitat e de tan gran sciensa e subtilltat que per fargar amb autru no po- guer esser sosplchoza. Mas qui la poyra trobar aytal?^0

Ou pourra-t-on la trouver, demande Molinier avec ironle.

On ne doit, de plus, adjuger aucune "joie" A un homme dont l'ou- vrage a Std fait dans des vues criminelles, moins encore A un homme dif- famd, ou de mauvaise vie, Les juifs, les sarrasins sont exclus des con­ cours ,

Celui qui aura obtenu une "joie" ne pourra obtenir la meme qu'a- prSs trois ansj et pour alors 1*obtenir, il faudra qu'il ait asslste tous les ans A la fete et qu’il y ait recitd quelque ouvrage. Dans cet inter- valle, il pourra obtenir quelque autre "joie".

Molinier aborde le probleme de l'originalite:

Qui dictat vielh en tot o en partlda en ladita festa prezentar per noel scienmen per ganzanhar joya sia privatz per los ditz senhors de la dita festa, coma cel que non es dignes de lunha joya per tant de temps cum ad els sera vist o a la major par- tida de lor, Et entendem dictat vielh fayt per luy meteys, o per autre majormen, si per aquel en tot o en partida ha repor- tada alcuna joya principal o accessoria en la ordinaria e prin­ cipal festa del mes de may, o en autra maniera fora la dita festa, si cum son alcunas joyas extraordinarlas qu'om dona alcunas vetz en alcun temps, per essenhar la prezen Gaya Sciensa. Qui gauzir voldra de joya per son dictat jure que lo dit dictat ha fayt noelmen ses fargar d'autru.51

"Faire oeuvre nouvelle sans le concours d'autrui" est cependant tempere par la remarque que 1'homme n'a rien invente, sinon que ce ne fut prece- demment dcrit dans la Sainte Ecriture ou dans les ecrits des philosophes 43

de l'Antiquite. SI un auteur reproduit ainsi les rdflexions dea Scrir*

valns anciens, il ne lul en sera pas tenu rigueur, Par contre, Molinier

parle de fraude et de aupercherie si le poSte s’inspire des poimes parus

depuis moins de dix ans, Les troubadours de Toulouse reconnaissaient

done l'alldgeance qu'ils devaient aux Anciens, bien avant sa conceptual!"

V sation par du Bellay dans sa Deffence et Illustration de la langue fran-

cojse (1549). MalgrS la dette envers Platon, Aristote, Horace, Virgile

et bien d ’autres ecrivains de 1 *Antiquitd, les poetes devaient "trouver"

des compositions "nouvelles" avec "sciensa et subtilitat". 11 devait

s'etablir un equilibre entre 1'imitation et l'originalite.

4, Clemence Isaure, la Muse des Jeux Floraux

La majeure partie des poemes presentes aux concours etaient de nature religieuse. C ’est par l'art que l ’on parvenait a recevoir la

"joie", cette fdlicite, en guise de recompense. Les Jeux Floraux sont cependant marques par la presence feminine de Clemence Isaure, bienfai"

trice supposee des Jeux, et dont la glorification n'est pas sans rappe- ler celle de la Vierge ou, dans un domaine plus profane, la Laure de

Petrarque et la Beatrice de Dante. De nombreux poemes lui sont adres" sSs. Ainsi, au XVle siecle, dans 1'introduction au chant royal de Pier­ re de Saint-Aignan (Souct, 1549), on peut lire:

Sur l'Spitaphe de Dame Clemence Isaure, trouve (sic) S son sepulchre & la Daurade, qui institua les Jeux Floraux I Tho- lose, de laquelle avons la statue de marbre, ceans, apportes dud.sepulchre.52

Pierre de Garros (sonnet, 1557) se lamente sur le tombeau de Clemence:

Thoulouze avoit dresse ung tombeau que les mains 44

Plus doctes de ce temps et plus industrieuses Avoient faict surmonter les euvres somptieuses Des vieulx Assiriens et des riches Romains,

Et ja d ’Isaure avoit la cendre et les oz salntz A ce marbre vou<§, repliques precieuses53

En 1575 CSoucl), Clemence Isaure obsede encore Francois de Clary; le ton de ce chant royal rappelle celui de Ronsard;

Je chante par mes vers une nymphe excellente Et les rares presentz que luy flrent les cieulx; le scavoir, les vertues d’une vierge je chante, Qui mesprisant d'amour le pouvoir furieux, Ne ressentit jamais sa poignante estincelle, Qui en sa chastete se rendant immortelle N'enveloppa sa vie en ces folles erreurs; Qui voyant les esbatz et les plaisirs trompeurs, Guides d ’un honneur qui 3on ame esguillonne, Se mist a cultiver de ses propres labeurs Le jardin fleurissant sur les bordz de Garonne.

Clemence Y3aure estoit ceste chaste p u c e l l e ^

Le melange d'amour profane et d'amour divin n ’embarrassait pas les poetes, Sous le pretexte d'invocations pieuses se cachaient souvent des declarations galantes. Francois de Gelis cite en traduction le poeme de Bertrand de Roaix (.Vlolette, 1459);

Accable de douleur, je m ’approche de la mort; si vous ne me secourez, 3 mon aimable et gracieuse fleur, la vie me quitte~ ra bientot, Pretez-moi votre appui, faites que je vous serve encore, o ma fleur d'esperance, et desormais, si vous m'etes favorable, je ne cesserai point d'etre votre fidele amant, et je feral une chanson pour vous tous les a n s . 5 5

II s'agit ici d'amour profane et non d*amour sacre. En 1471, Pierre de

Janilhac ne revetit meme plus ses vers d ’intentions religieuses:

Tres douce fleur, au gracieux accueil, Nymphe charmante, la plus belle entre les belles, Gracieux maintien,,,,,. o ma douce demoiselle-^

Pour ces vers, il re$ut la Dame d*Argent "nonobstant qu'il fut franqais

CParisien), parce qu'il dicta en langage de Toulouse", Cette recompen- 45

se Stait une ’’joie11 extraordinaire accord^e a des Spoques diverseg de

l'annee, Le Livre Rouge ne les mentionnera point, Au XVIe siScle, la

tradition de ClSmence Isaure s'inscrit dans ce contexte mi-religieux

mi-profane.

Le Nouveau Larousse lllustrg nous renseigne sur la figure de

Cldmence Isaure;

ISAURE (CISmence), dame toulousaine, qui aurait vecu dans la premiere moitid du XlVe siecle ou au XVe siecle, pretendue fondatrice des Jeux Floraux, Dis le XVIe siecle, son existen­ ce a dte revoquee en doute; mais les arguments decisifs n'ont ete produits qu'au XIXe siecle, d'abord par le Dr Noulet, en 1846, puis par Roschach, en 1895. Voici, selon ce dernier critique, les deformations du roman de la patronne des Jeux Floraux, 1° Dans la periode Clementine, elle s'appelle Cle­ mence tout court, et on assure, sans autres details, qu'elle a c r i i la fete podtique du 3 mai. Mais les cartulaires du Gai Savoir, qui contiennent le recit de la fondation des Jeux en 1323, ne parlent d'aucune donatrice. Le Dr Noulet est persuade que ce nom de Clemence est celui de l ’une des vertus de la Vierge Marie, patronne des poetes toulousains. 2° Periode Isaurlenne. Le plus ancien texte ou figurait le nom d*Isaure dtait jusqu'ici la lettre des capitouls de Tou­ louse d Ronsard (5 fevrier 1557). Mais, comme l'a prouve Roschach, l’epitaphe de la Maison commune, qui contient le nom d*Isaure est anterieure A la lettre des capitouls; elle a dte fabriquee entre 1534, date de l'apparition du livre X ofc l ’on en a puise les elements (Inscriptlones sacrocanctae vetustatls, publiees par Petrus Apianus a Ingolstadt), et S l ’annde 1557, date de 1'installation de la statue de Clemen­ ce Isaure au grand Consistoire. Catel a affirme, des le XVIe si§cle, que cette inscription etait l'oeuvre de l'avocat Marin de Gascons, capitoul en 1557 et qui avait pris, en 1539, une part preponderance d la celebration des Jeux Floraux. Les capitouls, en creant cette fable, auraient voulu sous- traire au controle du Parlement des biens censes legues a la ville par cette pretendue testatrice. Ainsi tombe la legen- de de Clemence Isaure, que l'on a fait longtemps remonter jusqu'3 l'antiquite romaine. Depuis plusieurs siecles (1513), l'Academie des Jeux Floraux fait prononcer son eloge le 3 mai de chaque annee.- Une statue de Clemence Isaure, oeuvre d fAugu3te Preault, figure au jardin du Luxembourg ( P a r i s ) . 57

Ainsi les poldmiques sur 1'existence veritable de Clemence Isaure etaient 46 entretenues par la legs qua 1* ’’illustra toulQusaine’' auralt fait au

College du Gai Savoir afin de perpeituer la tradition podtique de Tour' louse, II n'est pas surprenant que les poites du Livre Rouge utilise- rent abondamment le th&ne de Cldmence Isaure, Elle combinait les tra­ ditions de la PlSiade, le culte de la Vierge, venant droit du moyen age et alimentait le conflit qui opposait le College de Rhetorique aux Ca­ pitouls de la ville, Mainteneurs et poStes revendiquaient les droits et privileges que "la bienfaitrice des Jeux" leur avait reserves.

Mais ce n'est pas seulement dans le Livre Rouge que Clemence

Isaure est mentionnie. Guillaume de Benoit, qui fut conseiller aux

Parlements de Toulouse et de Bordeaux sous Louis XII (1498-1515), est le premier ecrivain qui nous parle d'elle;

Des lois romaines permettaient de donner des fonds a une ville, 5 la charge de eSISbrer annuellement des Jeux. C'est ce que fit cette illustre dame Clemence, tres riche citoyenne de Toulouse, qui, pour inciter la jeunesse S 1'eloquence, legua 6 sa ville natale un important revenu sur lequel on preleve tous les ans trois fleurs d*argent, a savoir: une Eglantine, une Violette et un Souci d o r e , 58

Etienne Dolet, lorsqu'il fut etudiant a Toulouse (1532-1534), publia un eloge de Clemence en latin. Jehan de Boysson, grand ami de Dolet et qui avait emhrasse en meme temps que lui les idees de la Reforme, celebra aussi la prStendue fondatrice des Jeux. Clemence, de plus, encourageait les arts et les lettres comme Marguerite de Navarre le faisait depuis son chateau de NSrac, Les poetes chantaient de la meme maniere la gloire de la soeur du roi: Pierre de Saint-Aignan la celebra en 1547 (Eglantine) comme il cSlebra, dans un style different, Clemence Isaure deux annees plus tard. 47

Sur le nom de la feu59 (sic) Reine de NavaiTe, Aux jugeans,

Ce chant royal j ’ay faict sur amourettes, Sur Zephyrua, sur petiz rameletz, Sur un gay prd, decord de felurettes, Sur trots couleurs et sur clairs ruysseletz, Verd est ce mo±9, les verdz sic: predz sont verdeletz Parquoy l'ay falct en verdure facile, Car en doulx chantz m'ont diet les oiseletz Que 1’argument ne requeroit haut stile.®®

Guy du Faur de Pibrac, celdbre pour ses Quatrains, fait aussi allusion d Cldmence Isaure dans de9 poemes en latin. Un de ses emules,

Jean Voultd, Champenois de naissance mais attire comme tant d ’autres par les ecoles toulousaines, invoqua dans un podme la protectrice de3 poetes meridionaux, , ne A Angers en 1530, et qui fit lui aussi ses etudes de droit d Toulouse, ecrivit (traduction de Franqois de Gelis):

Si les fonds qufIsaure a donnes d votre Republique reqoivent la destination voulue, il y aura plus d ’argent qu'il n ’en faut, non seulement pour attirer les poetes, mais encore pour recompenser magnifiquement les orateurs, les philosophes, les midicins et les professeurs d'arts liberaux.®!

Sans nul doute, Clemence Isaure representait la Muse chere d 1'esprit de la Renaissance. Qu’elle ait vraiment existe ou non n'interesse que les historiens des Jeux Floraux, et cette question en passionna plus d ’un,

C ’est le cas de l'abbe Salvan, Poitevin-Peitavi, Gelis, Roschach, Catel,

f Lagane,etc. Dans une perspective purement litteraire, e'est sa creation mythique qui nous interessei elle est la Muse des arts et des lettres, l'inspiratrice des poetes,

Certaines theories sur 1 ?existence de Clemence Isaure ne manquent pas d ’un certain piquant.Au XVIe siecle, Marie-Anne Salluste, alors

Capitoul, pretendait que Clemence Isaure etait issue de la famille des

Isaure, d ’Isaurie, extraite des rois de Toulouse. Une legende parle du 48 rot Isauret qui, aurait fegne sur Toulouse quelques deux cents an avant

Jesus-Christ, D ’autres font remonter Cldmence Isaure au gdant Isaure, roi des Saraslns de Coimbre, tuS par Guillaume au Court Nez, Dans son

Dlscours contenant l'histoire des Jeux Floraux et de Dame Clemence (1774),

Lagane (prdnom inconnu), hlstorien des Jeux, pense qu'elle est la repli- que d'une Flora latine qui serait & l'origine des Jeux Floraux de Rome.

Par contre, Alexandre du M§ge pense, dans son Hlstoire des institutions religieuses, politiques, ,1 udiclair es^ et littdraires de la ville de Tou­ louse: biographie toulousaine (1844»'1846), que Clemence Isaure aurait este inventee en imitation de la reconnaissance que les Romains temoi- gnaient a la Vestale Teracia, Mais c'est Ernest de Roschach qui, dans

Hypothese sur la statue de Clemence Isaure (1895), propose l’hypothdse la plus plausible quant & son existence et £ son nom, II aurait existe

3. Toulouse une dame de la famille des Ysalguier, des banquiers, et pour sa mort on aurait sculpte une statue portant les araoiries de la famille.

Celles-cl consistaient en une touffe d'iris 3 cinq fleurs, ressemblant aux fleurs du Consistoire, ce qui encouragea le remaniement de la statue

I l'epoque de Guilhem Molinier. La presence d'une telle statue donna encore plus de convictions aux partisans de 1'existence d'une bienfai- trice des Jeux Floraux, Pour la celebrer, la statue fut transportee

3 l'Hotel de Ville, dans la salle du Consistoire. Franqois de Gelis note dans les Actes et deliberations qu'a partir de 1549, sa presence se materialise encore davantage; au lieu de Dame Clemence, elle fut transformee en Clemence Isaure, les poetes cherchant 5 convaincre de son identitS reelle.^3 49

Outre les Leya d 1Apprs qui en aont l’art poetique, noua avons a notre diaposltion les reglatres de poesies dans lesquels furent tran9^ crites les oeuvres prlmees, Les deux premiers manuscripts sont connus aujourd'hui sous le nom de registre de Cornet et registre de Galhac.

Ils portent les noms des greffiers qui en assurerent la transcription manuscripte. Cornet appartenait au clergS sficulier et vgcut au comment cement du XlVe siecle. Le registre couvre irreguli§rement la periode de

1323 & 1344. Cornet y ajouta des poesies de sa creation et nous rensei- gne sur les genres littSraires de l'epoque tels les sirventes, canso, planh, etc, Galhac vecut au XVe siScle et remporta trois fleurs aux

Jeux Floraux. Son registre est parsemS de preceptes didactiques et de chronogrammes rappelant les faits importants de l'annee sous la forme enigmatique qu'affectionnaient les poetes du XlVe et du XVe siecle,

Le registre de Galhac se termine en 1485, Les deux registres sont en occitan.

Pendant les trente annees qui suivirent, les documents font de- faut, mais a partir de 1513, un nouveau manuscript, le Livre Rouge, re- prend la tradition, cette foi9 en franqais, De 1513 a 1539, le manus­ cript net comporte que les deliberations du College de Rhetorique; les podsies ont ete egarees.

5, Les annees de mis€re

lies transcriptions de nombreuses poesies manquent pour diverses raisons, En 1546, le proces-verbal fait defaut. Le greffier avait ce- pendant 1 ?intention de le rediger, comme on le voit par les pages blan­ ches laissees sur les folios 61, 62, 63, 64 et 66 du manuscript. En 50

1563, on dgcide d'annulej; lea Jeux Floraux "en raison des jnaux qui. afr fligent la cit§",^ La somme destinde au banquet sera distribute aux pauvres de la ville, En 1563, le fltau de la peste se joint 3 celui de la guerre civile, Michel du Faur, traitS de suspect, est oblige d ’in- terrompre ses fonctions, ainsi que Potier de la Terrasse. Jean de Coras avait du prendre la fuite,65

En 1568, "on dicide de surseoir 3 la semonce et de ne celebrer les Jeux que si le calme se retablit",^ La suspension des Jeux est pro- clamee & son de trompe par le crieur public.

En 1569, les Jeux eurent lieu mais dans des circonstances tour- m e n t e e s :

Le ler avril, MM, de Benoit, de Cazeneuve, de Lacroix et de Car- donne vont 3 l’Hotel de Ville, faire la Semonce habituelle aux capitouls, mais aussitot la question se pose de savoir, en rai­ son des troubles qui agitent la ville, si l'on celebrera les jeux. Le syndic propose de remplacer d ’abord les Mainteneurs absents en precedent 3 de nouvelles elections. M. de Benoit proteste conformement aux precedents de 1513 et 1535... Le 17 avril, M. de Benoit est introuvable... On s ’ajourne au 18. Le 18 avril, on convient que les nominations seront faites comme d ’habitude... Ces elections qui n'en sont pas moins illegales introduisent MM. Nicolas de Latomi^? comme Chancelier, Guerin d'Alzon,^ Jean-Etienne Duranti,^ Jean de Rochon.^O Jean de Borderia,^ Etienne de Mazade comme Mainteneurs,^

Jean-Baptiste Bellaud reqoit le Souci, mais on lui reproche d'avoir pla- t gie dans une oeuvre anterieure imprimee par Colomiez, le poete Dorat; dans le Livre Rouge, on note (transposition de Franqois de Gelis et Jo­ seph Anglade):

Deffense est faite aux candidats aux fleurs de se livrer dore- navant 3 pareille supercherie, et defense aussi aux imprimeurs de Toulouse de publier des productions de cette sorte, sous peine d'amende et de prison. On ajoute qu'aucun prix ne sera distribue, par la suite, aux concurrents sans que ceux-ci aient temoigne de leur orthodoxie par un poeme en l'honneur de Dieu, 51

de la Vierge et des Saints ,?^

En 1571, certains anciens membres du College de RhStorique con­

testant la nomination de Latomi et veulent le faire remplacer par le fils de M. de Benoit, Le syndic de la ville permet alors aux Mainteneurs de- possedSs de rentrer dans leur charge, cr§ant ainsi un nombre irregulier de Mainteneurs. On vint 3 la decision que Mainteneurs anciens et nou- veaux siegeralent cote 1 cote, Les Jeux furent cependant annules cette annee-11.?^

L ’annSe 1574 fut une des plus troublees pour Toulouse. Les Hu­ guenots battaient la campagne, et des arrestations continuelles avaient lieu. On perquisitionna chez Michel du Faur et plusieur3 membres du parlement, declares suspects.

Le capitaine Bosquet?^ demande s ’il ne serait pas opportun, en raison des troubles qui agitent la ville, en raison des incur­ sions toujours menaqantes des , comme de la misere publique, de suspendre les Jeux... L ’annonce sera faite dans les rues de la ville.?6

Avec la fin du siecle, les interruptions se font plus frequentes. Ainsi en 1580 (transposition de Franqois de Gelis et Joseph Anglade):

Les Capitouls ont ete informes que plusieurs partis ennemis menaqaient la ville et dans ces conditions, il serait impru- , dent de cdlebrer les Jeux.??

Le texte du proces-verbal de la meme annee donne des precisions:

Les dictz cappitoulz avoir receuz divers advertissemenz que les enemiz ont plusieurs intelligences et entreprinses sur ceste ville par le moien de plusieurs habitans d ’icelle qu'ilz sont apres £ descouvrir, lesquelz la doibvent surprendre par trois lieux et endroictz, c'est assavoir par Saint Sernin, Saint Estienne et la maison de ville et pour ce faire on a des advertissemens ordinaires que dans la ville y a deux mil homes pour executer la surprinse desd. lieux... que pourroit estre faicte par le moien desdictz jeuz floraulx de tant que l ’entrle ne pourroit estre reffuzee dans ladicte maison de 52

Vttle,78

Les Jeux Staient done suspects de sympathies proteatantes.

Pour l ’annde 1582, on lit (transposition de GSlis-Anglade) i

Une "echaffourde" survenue recemment entre les etudlants et les soldats du guet a mis tous les esprits en revolution et on demande que les Jeux solent suspendus.79

Dans les Annales de 1582, le chroniqueur Germain de Lafaille expllque:

Un grand nombre d ’escoliers estant attroupez au quartler des estudes, deux Capitouls y accoururent avec la mainforte pour les separer,., 11 y eut deux sodats blessez a mort et un ecolier tue. Le lendemain, les Capitouls allerent au palais donner connaissance au parlement de cet exces... Le parlement se contenta de donner un arret, qui fut publie par la ville, portant deffenses auz ecoliers de s'attrouper, et injonction 1 tous vagabonds et gens sans aveu de vuider la ville.80

Ainsi, la lutte des partis etait vive 1 Toulouse, mais on cralgnait avant tout 1’effervescence des etudlants qui etaient devenus plus dan- gereux que les bandes huguenotes depuls que les passions polltiques les agitaient. D3s 1535, 11s avaient organise des emeutes et des cabales, le jour meme de la fete des Fleurs, insulte les Mainteneurs et menace les Capitouls, Ils s *insurgeaient contre l'ordre que Mainteneurs et

Capitouls representaient.

Les grefflers font aussi part des annees d'abstinence dues £

t des guerres ou des epldemles, mais pendant lesquelles les Jeux eurent lieu tout de meme. En 1555, la "mis£re publique" avait rassemble a Tou­ louse un grand nombre d'indlgents: les frais des banquets furent desti­ nes I les nourrir, En 1563, le quartler de la place Saint-Georges avait brule: on donna de l'argent aux sans-abris. Prudemment, le greffier du

Livre Rouge pref§re souvent parler de "misere publique" que de guerre civile. II est interessant de noter que les poesies, par leur absence 53

certainea annees, rdvSlent lea bouleyeraewenta poll.tiquea et sociaux it qui agitaient la ville de Toulouae, Par leur presence, elles en prdn

sentent aussi le miroir.

Le Livre Rou^e dea Jeux Floraux s ’inscrit done dans une longue

tradition l±tt§raire dont Toulouae Stait le centre, Le rituel des cerer- monies, avec la miae en place du Consistoire composd de Mainteneurs et de Capitouls restait sensiblement semblable & celui qu'il etait du temps des sept troubadours qui 1 ’instituSrent, Certes, la production litte- raire evolua au coura dea deux aidcles qui separent l ’art poetique des

Leys d'Amora et le Livre Rouge; au XVIe sidcle, la diverslte des genres eat limitee au chant royal, S quelques sonnets, un hymne et une oraison.

Le ton sera rarement celui de la gaietS, mais plutot celui du drame.

Nous tenterons ultdrieurement de distinguer la dette des poetes du

Ljyre Rouge envers leurs prdddcesseurs. 54

Notes Chapitre I

* Armand Praviel, Hlstoire anecdotique des Jeux Floraux (Toulouse:

Privat, 1923), p. 21. 2 Note au rapport presente par Adolphe Gatien-Arnoult a l'Academie des Jeux Floraux en 1841, cite par Praviel, p. 32. 3 Praviel, pp. 33-34. 4 Las Leys d'Amors, Manuscrit de l'Academie des Jeux Floraux (Biblio- theque Meridionale, lere serie, 17^20, Toulouse: Privat; Paris: Picard,

1919) ed. Joseph Anglade, I, 8-9. Traduction de Franqois de Gelis dans

Histoire critique des Jeux Floraux depuis leur origine jusqu'a leur trans­ formation en Academie (1323-1694) (Bibliotheque Meridionale, 2e sdrie, 15,

Toulouse: Privat, 1912; Paris: Picard, 1913), p. 14:

"Au temps passe, dans la noble et royale cite de Toulouse, sept vaill^nts erudits et distingues Seigneurs furent tres ambitieux et desireux de connaitre noble, excellente, admirable et vertu- euse dame Science, afin qu'elle leur communiquat le pouvoir de bien dieter, de bien ecrire en langue romane, et par la meme de bien composer des ecrits corrects, pleins de sages conseils et de bons pretextes, pour glorifier notre Seigneur Dieu, sa glo- rieuse MSre et tous les saints du paradis, pour instruire les , ignorants et les incapables, pour corriger les devoyes et les fautifs, pour donner 5 la vie humaine la joie et l'allegresse dont parle le psalmiste, pour chasser la colere et la tristesse, ennemies naturelles du Gai Savoir. Pour lors, ces dits seigneurs, afin de trouver plus aisement cette vertueuse dame Science, mirent a execution un projet qui etait l'objet de leurs desirs les plus chers et de leurs voeux les plus ardents: ils firent circuler A travers les diffSrents pays de langue d'oc une lettre ofl ils priaient tous les fins poetes et troubadours de se pre­ senter a eux A un jour fixe afin qu’ils pussent de visu et auditu apprecier leur savoir, leur subtilite et bon jugement et que, gr^ce A une mutuelle assistance et commune etude, la vertueuse 55

dame Science dessus dite, put enfin etre revelee a tous."

^ Leys I, 9. 6 Leys IV, 16. 7 Leys I, 9. 8 La pcesie du Livre Rouge se revelera etre une poesie de la concilia­ tion et non de la propagande exaltee, politique ou religieuse. Au XVIe si§- cle, protestants et catholiques y contribueront. L'institution des Jeux

Floraux est 3 la charniere entre l'Universite et le Parlement et tentera toujours la solution du compromis. q Ce theme est amplement developpe dans la premiere partie des Leys. 10 Gelis, p. 29.

11 Gelis, p. 30. 12 Gelis, p. 30. 13 Leys I, 11-12. Traduction de Francois de Gelis dans Histoire cri­ tique, pp. 15-17:

"Tous les sept, nous sommes a l'instar des troubadours, nos de- vanciers, les heureux possesseurs d ’un jardin delicieux, ou les poStes viennent presque tous les dimanches reciter leurs ouvrages nouveaux. Dans nos assemblies, on ne tolere rien de malseant; l'un de nous s'essaie 3 bien dire et les autres font les obser­ vations que leur suggerent leur bon sens et jugement. Pour faire honneur au Savoir, ce bien si rare et si precieux, nous faisons connaltre que toute affaire cessante, nous nous reunirons au lieu-dit, si Dieu nous assiste, le premier jour du mois de mai... Et pour vous encourager 3 bien faire, nous decidons de donner au plus capable une Violette d'or fin qui sera l'insigne de son me- rite. Nous ne regarderons 3 la fortune, a la valeur, a la condi­ tion sociale, 3 l'etat de seigneur ou de compagnon, mais au seul talent. Vous entendrez lire et reciter des oeuvres, et si quelque chose vous choque, vous ferez vos observations: nous ne combattrons jamais le droit ni la raison, nous maintiendrons ce qui aura ete decide en toute justice. C ’est par le raisonnement et la discu­ ssion, quand un homme a bien su se defendre et refuter les ar­ guments qu’on lui oppose qu'il prouve qu'il possede la science. Mais celui qui reste 3 court ou en vient a se retracter n'est 56

pas capable de bon jugement. En acceptant les opinions toutes faltes de ses adversaires, 11 se pare de connaissances qu'il n'a point acqulses et se fait moquer de lul. Nous, qui voulons acquerir cette science, nous vous prions et vous requerons de venir au jour dit et de ne arriver 8i bien pourvus de beaux et attrayants discours, que la joie de tous en soit augmentee...Puisse dans cet espoir le dieu d'Amour vous assister! Ces lettres furent donnees au pled d'un laurier, dans le verger dessus dit, a Toulouse, faubourg des Augustines, pr2s du couvent desdites dames, le mardi apres la fete de tous les Saints, l'an de 1'Incarnation du Christ, notre Redempteur,1323."

14 L'histoire de Bernard de Panassac est restee celebre. Natif du

Gers (canton de Masseube), le 3eigneur d'Arrouede etait 2 la fois poete et bandit de grand chemin (Antoine Thomas, "Bernard de Panassac, un des fondateurs des Jeux Floraux," Annales du Midi, 26, 1915, 37-42). Des 1336, il avait ete accuse d'avoir participe a l'assasslnat de Geraud d'Aguin, ballli de Bouloc. Son chateau d'Arrouede servait aussi de refuge & des meurtriers venant de la France entidre. Pour peine, le chateau dut etre rase et tous les blens de Panassac confisques. Bernard, cependant, mourut sans avoir paye ses dettes. Joseph Anglade explique cette curieuse destinee par les moeurs de son temps. "II y a 12 un episode de la lutte de la royau- te et de ses tribunaux reguliers contre la feodalite." (Las Leys IV, 19).

II reste deux poesies de Panassac, l'une adressee a la Vierge, l'autre, une chanson profane.

^ Ils etaient changeurs ou banquiers.

^ marchand.

^ notaire a la cour du viguier.

18 Gelis, p. 24.

19 Las Flors del Gal Saber estler dichas las Leys d'Amors, ed. Adolphe

Gatien-Arnoult (Toulouse: J. B. Paya, 1841-1843). 20 Las Leys d'Amors, Manuscript de l'Academie des Jeux Floraux 57

(Bibliotheque Meridionale, lere serie, 17-20, Toulouse: Priyat; Paris:

Picard, 1919). 21 Paul Zumthor, Histolre litteraire de la France medievale (Paris:

Presses Universitaires de France, 1954), p. 113. 22 Leys I, 110. ' 23 Zumther, p. 116. 24 Gelis, pp. 12-13. 25 Leys, IV, 23. Sur les Jeux Floraux a Saragosse aux alentours de

1400, on peut se referer aux fragments d ?Enrique de Villena dans Gregorio

Mayans y Siscar, Orlgines de la lengua espanola (Madrid: Suarez,1873) ,

pp. 69-82.

26 . . La non-observation de cette clause, jointes a d autres raisons,

a contribue 3 multiplier les conflits entre capitouls et Mainteneurs (Jo­

seph Anglade, Leys IV, 24.) 27 Gelis, p. 115. 28 „ Gelis, p. 115. 29 Leys I, 15. 30 Tra le penombre e le nebbie della "Gaya Sciensa" (Cividale del

friull otticina gratica del fratelli stasni, 1911), p. 185: dans Leys. IV,

23. 31 ’ Leys IV, 23. 32 AD 173-174. 33 Gelis, p. 74. 34 Parfois la semonce devenait une joute oratoire. Hector de la Te- rrasse repondit en 1613: "Nous recevons de bon coeur votre semonce mais 58

pour vous en faire une autre: laquelle n'est pas moins de notre devoir que

de notre vouloir c'est que nous fassions a l ’etrvi a qui plus honorera les

Jeux." (Gelis, p. 85.) 35 Gelis, p. 75. 36 Abbe Adrien SaIvan, Clemence Isaure, bienfaitrlce des Jeux Floraux:

etude hl3torique (Toulouse: Dieulafoy, 1853), p. 23. 37 Franqois de Lagarde (1523-1578), archepretre de Tegra et de Carmain,

fut conseiller au Parlfiment de Toulouse. II dut demissioner de sa charge de

Mainteneur en 1570, ne pouvant cumuler les deux fonctions.

38 . B * * Franqois de Gelis se demande si le poeme de Loys du Pin fut insere

dans l’espoir de montrer l'orthodoxie du poete en des temps troubles. Nous

pensons que le poeme dut le departager d'un autre candidat tout en utilisant

un theme fort apprecie du Consistoire (AD 237). 39 Mon fils, tu as gagne cette petite fleur Dont je vey mon enfance a ton age estrenee, Mais comme elle me fut par mon p§re donnee, J'eusse aussi desire en etre le donneur.

Si le ciel m'a nie et 3 toi ce bonheur, Si ne veux-je passer cette fatale annee Sans voir dedans ta main la fleurette gagnee Pour t’apprendre mon fils 3 louer le Seigneur.

(Gelis, pp. 106-107).

^ On trouve dans les manuscrits de Jehan de Boysson, ami de Clement

1 Marot et membre du College de Rhetorique en 1535, une courte poesie adre-

ssee au poete Albenas de Ntmes, et dans laquelle il fait allusion a la ce-

remonie du remerciement:

Si tu ne peux a tous rendre graces De la fleur grande a cause de 1'absence

Je supplSerai ici par ma presence. 59

En 1598, le remerciement de Jean Galaud est caracteristique du style elo- glaque:

Pulsque l'an revolu en soy-meme est rentre Je viens ores payer, plein d'honneur et de gloire, Les voeux que j'avals falts dans ce temple sacre Lorsqu'une telle fleur couronna ma victoire.

Le poeme sert aussi S encenser les autorites presentes:

Ce noble Dufaur, miroir des beaux esprits Dont l'Europe fidele a pleine cognoissance Qui 3e fait advouer en ces nobles escrits Pour le p£re et le Chef des Muses de la France. '

(Gelis, p. 102).

41 Des 1539, le Souci (Gauch en occitan lors des premieres annees du

Livre Rouge) pas3e en premier. En 1540, la Violette reprend sa souverainete pour la perdre ensuite presque definitivement. En 1541, elle sera meme nominee derniere. 42 Au debut des Jeux Floraux, il existait une difference de genres selon 1'attribution des fleurs: d la meilleure ode (canso) une Violette; d une danse gaie, le Souci; l’Eglantine au meilleur sirventes, pastorale ou bergerie (Philippe-Vincent Poitevin-Peitavi, Memoire. Pour servir a l'histoire des Jeux Floraux, Toulouse: Dalles, 1815), p. 84. 43 A D 129. 44 La meme annee, le College delibdre de faire le meme honneur d Balf t en lui remettant un Apollon d'Argent qui fut transforme en David d'Argent, apres la publication des Psaulmes. 45 Note du biographe Etienne Binet, cite dans AD 129. 46 Gelis, p. 117. 47 Gelis, p. 117. 48 Ces Triomphes furent edites chez des editeurs toulousains comme Pech, Rellier, d'Estey, Colomiez, Boude. Frangois de Gelis cite (Gelis, p. 117) en reference le Recueil de Triomphes des XVIe et XVIIe siecles, bibliotheque de M. Lacroix, Toulouse. La bibliotheque de l'Academie des

Jeux Floraux de Toulouse en possede quelques-uns. 49 Le docteur en Gaie Science a le droit de "determenar," c'est dire de "juger et d'expliquer," tandis que le "bachelier" a seulement le droit de lire. Ces_titres etaient conferes en grande pompe (cf. Joseph Anglade,

Leys IV, 33-34). Dans Gargantua (chapitre XIII "Comment Grangousier con- gneut l'esperit merveilleux de Gargantua a 1'invention de torchecu"), Rabe­ lais fait des allusions assez irrespectueuses aux "docteurs en gaie science.

II a preftrt s'en prendre S eux qu'aux tout aussi pompeux docteurs de la

Sorbonne dont il craignait les foudres(les editions anterieures a 1542 men- tionnent les docteurs en Sorbonne):

0 (dist Grangousier) que tu as bon sens, petit guarsonnet! Ces premiers jours je te feray passer docteur en gaie science, car tu as raison plus que d'aage. Or poursuiz ce propos torchecula- tif, je t'en prie. 50 Leys II, 17-18. Traduction de Poitevin-Peitavi, Memoire..., p. 16:

"On ne doit adjuger aucun prix a personne absente, A moins - qu'elle ne soit constitute en grande dignite, comme par exemple un roi, un fils de roi, un due, un corate, etc... Personne ne peut obtenir une 'joie,1 ni les grades de Docteurs ou de Bacheliers, ni aucun office du Gai Consistoire, contre la volonte des sept Mainteneurs, ou du plus grand nombre d'entre eux. Seront exclus dudit Consistoire ceux qui parleront mai de la fete de la Violette, et des jugements des sept Mainteneurs. On ne doit adjuger ni donner aucune desdites joies, a une femme presente ou absente, si elle n'est en grande honnetett de moeurs, et constitute en grande dignitt; encore faudrait-il qu'elle fut, par son esprit et par ses connaissances, S l'abri du soupcon d'a- voir compost son ouvrage avec l'aide d'autrui. Mais ou pourrait- on trouver une telle femme?"

Leys II, 9. Traduction sommaire de Poitevin-Peitavi, Memoire..., 61 p. 17:

"Celui qui presentera un "dictat" ancien dans 1'intention de ga- gner une "joie" sera exclu de la fete, pour tout le temps que les Mainteneurs jugeront a propos."

52 AD 90.

53 AD 155.

54 AD 271-273.

^ Gelis, p. 48. 56 Gelis, p. 49.

^ Nouveau Larousse Illustre, dir. Claude Auge (Paris: Larousse, ca.

1900), t. 5, p. 334. 58 Gelis, p. 193. 59 Le Livre Rouge ne fut recopie qu'en 1550 pour sa premiere partie, et a cette date, la Reine de Navarre etait bien morte. Elle mourut en 1549.

60 AD 80.

61 Gelis, p. 197.

62 Gelis, pp. 220-221.

63 AD 90. 64 AD 196.

65 AD 196. 66 AD 228.

67 * Nicolas de Latomi appartenait au parti catholique et joua un role actif pendant les Guerres de Religion; il prit la place de Michel du Faur. 68 Guerin d'Alzon etait conseiller au parlement. 69 Jean Estienne Duranti etait avocat general. II demissiona de sa charge de Mainteneur en 1581 et fut massacre en 1589.

70 Jean de Rochon etait juge. 62

^ Jean de Borderia etait conseiller. II fut casse en 1572.

72 AD 229.

73 AD 229-230. 74 Le College resta compose de sept membres anciens: Michel du Faur,

Jean de Coras, Mathieu de Chalvet, Pierre de Papus, Guy du Faur de Pibrac,

Etienne Potier de la Terrasse, Francois de Lagarde; et de six membres nou- veaux: Nicolas de Latomi, Guerin d'Alzon, Etienne Duranti, Jean de Rochon,

Etienne de Mazade et Jean de Borderia.

II a ecrit l'histoire des troubles sous le titre Hugoneorum hereticorum Tolosae conjuratocum profligatio (Toulouse: Colomiez, 1563). 76 AD 268. 77 AD 309. 78 AD 309. 79 AD 318. 80 AD 318.

r CHAPITRE IX

LES CONDITIONS DE LA VIE INTELLECTUELLE A TOULOUSE

AU XVIe SIECLE

63 64

Afin de mieux apprdcier la portde da 1’oeuvre qua represente

le corpus littdraire du Livre Rouge des Jeux Floraux de Toulouse, il nous faut comprendre le complexe tissu social qui en fut l linspirateur.

De nombreux tdmoignages rdv§lent une socidtd en pleine mutation dont les

tensions multiples ne manqusront pas d ’etre refletees dans le Livre

R o u g e .

1. Un discours institutionnalisd dans une "societe de refus"!

La premidre question venant d 1 ’esprit en etudiant le Livre Rou­ ge est l'etrange rapport entre une socidtS qui par tradition etait celle du refus et une forme d'art qui donne toutes les apparences d'un discours officiel institutionalist. C ’est en essayant de percer les causes de cette opposition que nous pourrons conclure sur 1'evolution de la socie­ te toulousaine au XVIe sidcle, la place du poete dans la societe provin- ciale et la fonction attribute A son art.

Societe de refus, la societe languedocienne 1’avait ete des le

XXIIe siecle en se rdvoltant contre les forces centralisatrices du nord de la France et celles reprdsentees par 1'autorite papale, Dans une societe angoissee par des questions metaphysiques, la religion devint r tres tot le catalyseur de la contestation, Les revoltes religieuses cachaient 1'immense protestation d'une elite languedocienne contre les empidtements constants et tenaces du pouvoir royal et catholique sur les limites de la province.^ Le manicheisme fit alors des adeptes. Certains meme pretendaient vouloir secouer le joug de l ’Eglise catholique et don­ ner aux lalques le droit de precher l’Evangile. Qui plus est, cette he- resie avait les faveurs du comte de Toulouse, Raymond VI (1156^1222) qui 65

se fit le protecteur dea hirStiques d'Alhi, Troi.a aigcles plus tard,

les huguenots trouvdrent dans la rSgion de Toulouse un terrain de pre^ dilection, et les Guerres de Religion s*y montrSrent particuli&retnent

cruelles, L ’enquete sur la province de Languedoc par le baron de Four- quevaux, gouverneur de Narbonne en 1572, fournit de prScieux renseigne- ments sur 1’hostilitS existant 3. l'dgard de tout pouvoir centralisateur,3

2. Les forces en place

II serait faux cependant de croire que la revolte, au XVIe siecle, faisalt l'unanimitS. De nouvelles conditions socio-politico-economiques avaient cree des jeux d 1alliances et de tensions qui trouvSrent leur reflet dans les Actes et d6libdrations du College de Rhetorique.

Le pouvoir centralisateur-avait fait des progres considerables.

II etait represents par des personnalitSs respectees, en la personne de magistrats, hauts fonctionnaire3 du Parlement de Toulouse, senechaux et

Capitouls de la ville. Leurs convictions etaient aussi fermes que celles de leurs detracteurs. Ils desiraient avant tout defendre le statu quo politique, social et litteraire. II peut paraltre surprenant de consta- ter une telle politisation de l ’acte litteraire, mais 1'etude de la fonc*- f tion de la poSsie dans le cercle du Consistoire du "Gay Saber" nous

Sclairera 3 ce sujet.

Quolqu'il existat encore une grande sectarisation culturelle,

Toulouse etait au XVIe silcle sous la domination frangaise. L'affaiblis- sement de la feodalite correspond, en effet, 3 la montSe de la bourgeoi­ sie et au raffermissement du pouvoir royal, Toulouse est tres tot cele- bre pour ses foires, Dans son Histolre de la Gascogne,^ Maurice Bordes 66

explique que Toulouae etait un centre d ?approyiaionnement pjriyilegie et

que lea marchanda toulouaaina, en contact dtroit avec lea marchanda gas-

cons, aillonnaient le pays, principalement dans sa partle orientale.

Toulouse jouissait d ’une situation envide, au croisement des routes de

l'Atlantique, de l’Espagne et de la Mdditerranee, Pour les Foreziens du

XYTe siScle, par exemple, a en croire Claude Longeon dans Une Province

francalse a la Renaissance, Lyon n'dtait pas le seul pole d'attraction.^

La route de Toulouse dtait aussi frequentde par des marchands ou des etu- d i a n t s .

La culture du pastel et celle du mais contribudrent en particu-

lier a la prospdritd financiere de la ville. Le livre de Gilles Caster sur Le commerce du pastel et de l’dpicerie a Toulouse^ en atteste. Le pastel permettait, avant 1’indigo, de donner des teintes superbes, des noirs, violets, verts et rouges dont nous trouvons le reflet dans la sen- sibilitd des poetes au monde des couleurs. Cette pro3perite economique avait provoque 1'ascension de quelques families marchandes comme les

Ysalguier ou les Assezat qui entretenaient des relations suivies avec

les banquiers italiens de Lyon.^

Des commerqants de 1'Europe entidre affluaient aux foires de

Toulouse et contribuerent a 1'elargissement de 1'horizon intellectuel de la bourgeoisie toulousalne qui, seule, s ’adonnait aux activites com- me r c i a l e s .

Cet essor de la bourgeoisie allait servir le jeu du pouvoir.

La Royautd multiplia lea offices et les charges, donnant lieu a une ve­ ritable fonctionnarisation de la bourgeoisie. Celle-ci arrachait d l’a- ristocratie ruinde le peu de pouvoir qui lui restait. Bien des nobles 67

vivaient chichement et avftient 3tg fprcgs de vendre leurs bieng S la

nouvelle classe dirigeante, Ils dtaient br±d§s par le Rol et le paries

ment et formaient souvent un proletariat nobiliaire fier mais gueux qui

ne tarda pas 5 rejoindre la RSforme.

L'instauration du parlement de Toulouse, au milieu du XVe siecle

(1443), par Charles VXT, correspond 3 l’essor de la bourgeoisie, qui en

dStient les renes et qui va affermir son pouvoir tout au long du XVIe

siScle, Cet organe administratif controlait non seulement la ville et

la region de Toulouse, mais aussi le Commlnges, la Bigorre, l ’Armagnac, *

le Couserans et le Nebouzan, Jaloux de leur nouvelle importance, les

fonctionnaires, nourris de droit, s ’empressaient de "maintenir" le statu

quo et les autoritSs qui les avaient pourvus de si hautes fonctions.

Xls achetaient souvent aux nobles leurs titres et proprietes, s'arro-

geant ainsi le prestige qui leur manquait. Dans Histoire de Toulouse,

Philippe Wolff explique que la politique royale contribuait S faire de

Toulouse une ville d ’officiers,® Le prestige des hautes fonctions re-

jaillit sur la ville et entraina la montee de 1'esprit de luxe et de

jouissance. La nouvelle societe toulousaine, en profond renouvellement,

dut ainsi se doter d'une parure artistique pour satisfaire son avidite

de prestige. Les Jeux Floraux lui en donnaient 1'occasion revee.

Parmi les membres de ce nouvel ordre social, citons les Gapi'-

touls de la ville en 1534; Jean de Cananea, docteur (le titre est juri-

dique), Benoist, docteur, seigneur de Pachbonieu, Franqois Dechans, pro-

cureur au parlement, Pierre Guillemette, docteur, Jean de Bernuy, riche marchand de Toulouse enrichi par le commerce du pastel et pour qui Jehan 68 * de Boysson, un de sea conten\potaina (c,1501^c,1559), cpmposa le dizain auivant;

Si veulx avoir ung ami qui soir riche, Cherche Nolet, Lancefoc ou Bernuyj ' Et si tu veux ung ami qui soit chiche, Qui son profict aime plus que l'aultruy, Prens ceulx la mesme^

La fortune des de Bernuy Stait telle que, en 1526, Jean de Bernuy paya une grande partie de la ran9on demandSe en Schange de Franqois Ier.

Pour le remercier, le rol vint lui faire l'honneur de sa visite en 1533.

II fut requ avec faste & 1 'hotel de Bernuy, somptueux edifice construit par un eldve de Michel Ange, Nicolas Bachelier. Les noms de Benoist, de

Boysson, Bernuy sont rdcurrents dans les Actes et Deliberations du Col" lege de Rhdtorlque.

L ’evocation de certains personnages qui jouerent un role §mi- nent au sein du College de Rhdtorique de Toulouse nous renseigne sur le climat intellectuel et politique de la ville au XVIe siecle.

Blaise d'Auriol Cc. 1475-1541), par exemple, fut professeur de droit, homme d ’Eglise et plus tard Chancelier de l'Universite de Toulou­ se, Lors de son passage d Toulouse, le roi le consacra chevalier-ds-lois.

f Dans Toulouse in the Renaissance, John C. Dawson raconte qu’il etait la hete noire d'Etienne Dolet et du groupe d ’humanistes qui s’etait consti- tud I Toulouse,^ Une note en marge des Leys d'Amors dit qu'il fut elu

Mainteneur des Jeux Floraux en 1522. Nous le retrouvons dans le Livre

Rouge dds 1513, en tant que maitre, signalant qu'il avait remporte trois fleurs S des concours prdcddents, puis en 1535 comme Mainteneur pour pas­ ser ftn 1539 Vice-Chancelier, sous le nom d'Auriolly, d la nouvelle mode 69 ttalienne. John C, Dawson signale qu*il etait l ’ami de Mellin de Saint-

Gelais.

Blaise d'Auriol jauissait d'une grande reputation dans les cerr- cles politlques et littSraires de Toulouse, Ce prestige 3tait accru par le fait qu'il maltrisait avec art l'iloquence en langue franjaise, a une gpoque oD bon nombre de gens de lettres n'Staient pas encore tres a l'ai- se avec une langue qui leur Stait dtrangSre. Comme production litterai- re, il est responsable de norabreuses editions d'un ouvrage en vers, La

Chasse et le depart d'Amour (1509), oO on l'accuse d'avoir plagie Charles d'Orleans et le Roman de la Rose, II composa aussi Les Joies et douleurs de Notre Dame, partie en vers, partie en prose (1500) et quelques autres ouvrages imprimes che2 Faure & Toulouse. v

Lors de 1'accolade que lul devaient ses collegues a 1'occasion de son titre de chevalier, le groupe des humanistes ne manqua pas de le cou- vrir de leurs sarcasmes. Toutefois, 3 en croire le nombre d'editions de

3es ouvrages, sa poesie etait fort goutee de ses contemporains.

Celui que l'on considSre comme 1'alter ego de Blaise d'Auriol etait Gratien du Pont, seigneur de Drussac,^ Nous le trouvons Mainte-

t neur des Jeux Floraux en 1535, mais 1'absence de transcriptions depuis

1519 nous fait supposer qu'il fut elu au College de Rhetorique bien avant cette date. Francois Bertrand! prend sa place en 1545. Parallelement 3 ses activites littSraires, il Stait aussi lieutenant general de la Sene- chaussee. En 1534, il composa Controverses des sexes masculin et feminin qui lui attira les foudres des femmes de Toulouse. En 1539, comme beau- coup de ses contemporains, il redigea un art poetique intitule Art et 70 science de rhAtorigue mAtrifiAe qui, A part les Leys d'Amors, est le seul manlfeste poAtique des Jeux Floraux, La premiere oeuvre, sous forme de jeux-partis, connut un remarquable succAs avec des rAAditions A Toulouse en 1537, 1538 et A Paris en 1540 et 1541. En 1564, les Controverses devalent encore Jouir d'un certain succAs, A en croire la refutation que

1’oeuvre provoqua dans le lfvre de Franqois La Borie, Anti-Drussac, ou

Llvret contre Drussac.

Etienne Dolet considArait Gratien du Pont et Blaise d'Auriol comme les tetes de la rAaction littAraire et aussi sociale. II n'est pas etonnant que le poAme que Dolet prAsenta en 1534 au College de Rhe- torique n'ait pas ete primA, Ses deux adversaires en etaient juges.

Qui plus est, Dolet s'attaquait a 1 'ignorance grammaticale, aux erreurs de style communes dans 1'oeuvre de ses detracteurs. II etait, de plus, soutenu par les femmes de Toulouse qui trouverent en lui un allie elo­ quent .

Ces deux respectables notables de Toulouse etaient parmi ceux qui considAraient toute transgression aux normes litteraires et philosophi- ques comme une infraction au statu quo social et politique, refletant

f ainsi l'etroite liaison entre litterature et societe a l'epoque de la

Renaissance, Etienne Dolet ne tarda pas a les traiter de "barbares" et d"'ignorants", evoquant la "coalition d'erreurs, de prejuges, routi­ nes et passions s'opposant A l'humanisme",^3 Dolet reprenait 1'opposi­ tion humanisme/"barbarite" chere A Erasme,

L'UniversitA fut le lieu de rencontre de 1 'affrontement de ces deux factions. II est essentiel d'en decrire le climat, car elle joue 71 un role central dans la production littgraire des Jeux floraux de Tou- louse au XVIe siecle, Les Mainteneurs se recrutaient parmi les profes- seurs ou les Chanceliers de 1 'University, tandis que bon nombre d'etu- diants furent les candidats des concours podtiques, Ville parlementaire,

Toulouse s ’enorgueillissait d'une University de renom, surtout pour

1 'enseignement du droit. Les raisons en sont historiques,

L'Universite fut fondee au XTIle siecle sous forme de Studia

Generalia, ^ sur 1'instigation du Pape Innocent III et avec l'aide du roi de France. En effet, & la suite du developpement de la pensee he- retique aux alentours d'Albi, le pape decida de contre-attaquer en es- sayant de dispenser une parole catholique plus orthodoxe. L'Universite de Toulouse fut crdee & cette fin, Le roi de France saisit cette occa­ sion afin d'annexer des territoires convoites. La bataille de Muret de

1213 se termina dans l'eparpillement des troupes du comte de Toulouse et la reddition de ses territoires § la couronne de France. Ainsi, durant les XlVe etXVe siecles, l'Universite de Toulouse devint l'une des places fortes de la pensee scholastique, faisant du droit sa speciality. La papaute, en effet, s 'interessait a 1'enseignement du droit qui touchait autant S des questions morales et religieuses qu'a des questions tempo- relles, Toulouse, au Midi, etait le pendant juridique qu'etait Orleans au Nord, Dans Une province franqalse 5 la Renaissance, Claude Longeon explique l'attrait et le renom de la Faculte de Droit de Toulouse pour

les jeunes Foreziens.^^ gur vingt-deux etudiants foreziens qui suivi- rent les cours d'une Faculte de Droit entre 1500 et 1610, sept etudie- rent & Toulouse, six S Bourges, deux § Poitiers, deux a Valence, un a 72

QrlSang, un A Angers at un en Jtalie. Jean Papon, fromme de lettres fo- rezien, ecrit dans le TroislAme Notalre;

L'Universiti de Toulouse, fameuse, cSlAbre, est de toutes autres de France la mieux nomindei et par le moyen de laquelle on volt bon nombre de conselllers, advocats et autres florir et grener en la vraye et naive jurisprudence, qui aprSs rSdults A l ’exer- cice et pratique du droit pour juger, dSlibSrer, ou plaider, sont trouvds singuliers sur tous autres Parlements: et dont advlent, que le dlt droit y est mieux entendu, prattique et s u y v i .

La Faculte de Droit excellait dans 1*etude du droit romain. Les idees conservatrices de beaucoup de ses enselgnants ne deplaisaient pas A l'e-

U t e intellectuelle et soclale, Les jurisconsultes italiens Franqois

Accurse (1182-1260) et Eartole de Saxoferrato (1313-1352) y avaient re- gne en maltres, et ce n ’est que vers la fin du XVIe siecle que les idees des juristes italiens et fratals de la Renaissance, comme Andre d'Alciat

(1492-1550) et Jacques Cujas (ne A Toulouse en 1552, mort A Bourges en

1590) y penetrArent, le dernier ayant meme ete empeche d'enseigner le droit romain historique A l ’Universite de sa ville natale par le barto- liste et laureat des Jeux Floraux Etienne Forcadel.

A cet enseignement medieval du droit romain s'ajoutait, en matie- re de fol, un respect scrupuleux de l'orthodoxie. Dans son livre sur

Etienne Dolet, Richard Copley Christie fait de l’Universite de Toulouse

"le quartier general de la bigoterie, de la tyrannie ecclesiastique et de la superstition”,I? s'inspirant des celAbres Orationes duae in Tholo- sam d ’Etienne Dolet.

Ceci ne mettait pas l’Universite a l'Scart des turbulences dues

A la confrontation avec les idees nouvelles de l'humanisme et de la Re­ forme, Celles-ci jaillirent dans le domaine des lettres et des sciences. 73

John C. Dawson aoutient que l’hellSniate Guillaume Rudd y enseigna lea

Lettres^-®; le Catalan Raymond de Sebonde, c21t!br£ par Montaigne dans son

Apologie, y fut ausai profesaeur de sciences, un siicle auparavant (ca,

1430). Pour cette raison, nous devons modirer le jugement de Christie.

II existait, certes, au sein de 1'UniversitS, un courant reactionnaire,

mais il rendit lea passions pour les iddes nouvelles encore plus vives,

L'Universite devint petit R petit un des foyers de la libre pensee, et

la repression y fut parfois tr§s dure. Un ferment humaniste etait la­

tent parmi les itudiants. La seule presence des plus grands noms de

l'Spoque en atteste: Michel de L'Hospital, qui devint plus tard Chance-

lier de France, l'imprimeur Etienne Dolet, Etienne Pasquier, parlemen-

taire et auteur des Recherches, Franqois Habert, qui devint le poete of-

ficiel S la cour du roi de France, Robert Garnier, Salluste du Bartas,

de son temps rival de Ronsard, Pierre de Brach, poete et ami de Montai­

gne, etc, Dans le Dictionnalre des Lettres Franqaises (Seizieme siecle),

Joseph Coppin pense meme que Montaigne a fait un sejour a l'Universite

de Toulouse.19 Certains professeurs etaient aussi receptifs aux idees

humantstes, tels Mathieu du Pac, Jean de Coras, Jehan de Boysson, Jean

de Caturce, par exemple, La severlte des represailles envers ces esprits

independants fut exemplaire, Mathieu du Pac et Jean de Coras (dont le nom est mentionnS comme Mainteneur des Jeux Floraux en 1550) durent s'en-

fuir en Italie.20 Jehan de Boysson, Mainteneur en 1535, fut force de renter publiquement ses convictions en presence de l'lnquisiteur et des magistrats de la ville.^ Jean de Caturce fut condamne au bucher en

1532, pour h§r§sie. L'Inqulsition etait toujour3 active & Toulouse, 74

depuis la Croisade dea Alhigeoia, La vigueur dea idgea nouyelles etait ndanmoins telle qu’en cette premiere moitid du XVIe siecle, les autori-

tea de la ville durent concdder & Mathieu du Pac et Jehan de Boysson de reprendre leur enseignement d l ’Universite. Les Oraisons d ’Etienne

Dolet (1533) tdmoignent aussi d ’un regain de libertd. En 1534, cepen- dant, il fut expulse de Toulouse en raison de ses attaques repetees contre les magistrate de la ville. La meme annde, le cardinal de Gram- t mont fit son entrde dans Toulouse en condamnant au bucher un etudiant dissident. Ceci ne ddcourageait pas les etudiants qui continuaient les rixes contre les "nations" composdes d ’dtudiants d'autres bords ou contre les bourgeois de la ville. Dans Pantagruel (Chapitre V), Rabelais evoque

1'atmosphere estudiantlne de Toulouse. En parlant de 1'education du jeune Pantagruel, il ditj

De la vint a Thoulouze, oti apprint fort bien A dancer, et a Jouer de l ’espde S deux mains, comme est 1'usance des escho- liers de ladicte universite; mais il n'y demoura gueres, quand il vit qu'ilz faisoyent brusles leur regens tout vifz comme harans soretz, disant:"Ja Dieu ne plaise que ainsi je meure, car le suis de ma nature assez altere sans me chauffer davan- taige",22

Durant cette epoque, les Jeux Floraux se ressentirent de ces bouleversements. Le Consistoire, cependant, parvint S conserver un heu- reux equilibre entre conservateurs et reformateurs. Les Actes et Deli­ berations de l'annee 1534 en sont l ’exemple: Auriol et du Pont (de Pon­ te) sidgent comme Mainteneurs & cote de de Boysson, et Michel du Faur

(Michel Fabri) qui etaient favorables aux idees de la Reforme, Les

Sancto Pedro (Jean et Arnaud de Saint-Pierre) faisaient partie du Ca~ pitoulat et du Parlement, c ’est-d-dire du parti des conservateurs. La 75 charge de Chancelier fut amgrement disputge, Francois de Gelis resume la situation]

Les Mainteneurs ayant appris que le Mainteneur Pierre du Faur avait dtS dlevd par les Capitouls I la dignitS de Chancelier, en remplacement de Jean de Chavagnac, ddcddd, s ’assemblent, cassent 1 Election comme irriguliSre et recommencent le vote dans toutes les formes, En meme temps, ils remplacent Pierre du Faur par son frdre Michel, Nouveau sujet d 'indignation quand les membres du College apprennent que Pierre Daffis, Capitoul de 1'annSe 1535-1536, a 6t§ designe par ses colldgues comme remplagant dventuel de Pierre du Faur. Cette fois, ils annulent compl&tement 1*Election, et profitent de la circons- tance pour renouveler aux 3euls Capitouls-bailes l'autorisa- tion d ’assister aux jugements des fleurs.^3

Au suspect Michel du Faur, les Capitouls preferaient le regent de la

Faculte de Droit lui-meme, Pierre Daffis (massacre en 1539).

L ’annde la plus tourmentde, pendant laquelle s'affronterent les deux partis, fut bien 1569:

Le syndic propose de remplacer d'abord les Mainteneurs absents en procddant d de nouvelles Elections.^

11 est clair que le remaniement du corps innamovible du Consistoire par autoritd des Capitouls a etd fait dans des buts polltiques, Michel du

Faur, Jean de Coras, Mathieu de Chalvet, Pierre de Papus, Guy du Faur de

Pibrac, Etienne Potier de la Terrasse, Frangois de Lagarde etaient tous suspects ,de sympathies protestantes. Ils furent remplaces par des con­ servateurs de droite ligne, En 1571, la pression devait etre telle que la rdinsertion des Mainteneurs depossedes de leur titre fut Immediate, et on assista I une situation des plus irregulidres, c'est-2-dire a une assemblde composee d la fois de membres anciens et nouveaux, de conser­ vateurs et de reformateurs, La tradition florale etait preservee.

Le prestige de Toulouse ddclina vers 1560, La tension poli- 76

tique tourna souvent & l ’gmeute et fit fuir un certain nombre d ’etu- diants. Papire Masson, dcrivain forizien, ne put alors entrer 3 la Fa­ culte de Droit 3 cause des Smeutes qui agitaient la ville; il choisit de s'inscrire au college de Billom, en Auvergne. Au fort des Guerres de

Religion, l'Universit! se fit encore le refuge des catholiques orthodo- xes et des partisans de la Sainte-Union. Ce conservatisme, double des reactions qu’il suscita, finit par porter prejudice 3 l’Universite. Les

Foreziens, par exemple, se tournSrent vers d ’autres universites, comme

Bourges, oil enseignait l ’illustre jurisconsulte toulousain Cujas.

Au faite de sa gloire, en 1551, un decret royal fit de l'Univer­ site de Toulouse la meilleure universit! du royaume en matiere de juris­ prudence. Elle comptait six cent professeurs et environ dix mille etu- diants. Malgr! le probleme de 1'eloigneraent et des transports, l'Uni­ versite etait frequentee par des jeunes gens venus de 1 'Europe entiere.

La "nation" germanique, par exemple, y etait bien representee et contri- bua 3 repandre les idees de la Reforme. Les autres "nations", italien- ne, espagnole, franqaise -par opposition a la "nation" aquitaine- mar- quSrent elles aussi de leur influence le contexte litteraire du Livre

Rouge, qui devint ainsi le receptacle de toutes ces convergences.

3. Le vent de la Reforme

L ’esprit de la Renaissance s ’etait manifest! tres tot 3 Toulou­ se, La ville jouissait d ’un role politique, commercial et universitaire qui favorisait le brassage d'hommes et d'idees. 11 etait courant en ef- fet de passer d ’une universite 3 l'autre, et les etudiants terminaient 77 souvent leurs eltudes par un sgjour dans une university italfenne, Leg

11 colporteurs, aussi, en faisant du commerce, portaient avec eux les insr> truoents de propagation des idSes nouvelles. On peut dire que 1'esprit de la Renaissance atteignit un ddveloppement remarquable 3 Toulouse entre

153Q et 1540, Le rSgne de Frangeis ler, favorable, par l'intermSdiaire de sa soeur, aux idSes nouvelles, contribua 3 cet essor, Sa visite 3

Toulouse en 1533 donna encore plu9 d ’ardeur aux humanistes.

Tous les historiens de la ville de Toulouse s ’accordent a dire que de 1463 3 1560, Toulouse connut le siecle d'or de son histoire.

L ’annde 1463 fut marquee par un grand incendie qui raVagea une partie de la ville et 1562 fut l ’annde du commencement des Guerres de Religion.

Dans Sociologie de la Littgrature, Robert Escarpit fait la geographie de la repartition de la population littSraire par naissances dans toute la

France.25 n est intSressant de constater que, de 1490 3 1580, la pre­ sence d ’un ferment litteraire falsait de Toulouse un des centres les plus actifs de toute la France, Dans le Midi, il n'y avait que Mont­ pellier et Bordeaux qui Staient des centres intellectuels d ’egale enver- gure,

iJans Histoire de Toulouse, Philippe Wolff note que, a la fin du

XVe siecle, Toulouse fut la quatriSme ville de France pour le developpe- ment de l’imprimerie. aprSs Paris, Strasbourg et L y o n . 26 L e s premiers imprimeurs y furent des Allemands, Au dSbut du XVIe Siecle, des typo- graphes toulousains prlrent le relais comme Jean Grandjean, Jean Baril ou Jacques Colomies, Lyon envoyait souvent du materiel et des libraires.

Etienne Dolet, dont la vocation humaniste l'attirait vers l'imprimerie. 78

vint 3. Toulouse dans ces conditions, Parfois, Lyon ausai imprimait des

oeuvres de Toulouse, Ces ^changes rdpondent aux relations noudes sur le

plan commercial.

La proximiti de la cour de Marguerite de Navarre, 1 NSrac et A

Pau, Stait de plus un ferment intellectuel humaniste que ne manquArent

pas de percevoir les poAtes de Toulouse, Marguerite de Navarre accueil-

lait des novateurs persecutes par la Sorbonne et le Parlement de Paris;

le poSte Cldment Marot, par exemple, aprSs 1'affaire des Placards de

Paris en 1535; l ’humaniste LefSvre d ’Etaples, l'animateur du groupe de

Meaux, qui y mourut en janvier 1536; des disciples de LefSvre, Michel d'Arande et Guillaume Roussel, Calvin, fugitif, passa par Nerac en avril 1534 avant d ’aller s'installer S Bale. Theodore de Beze, Melan- chton trouvSrent aussi refuge A Nerac, La preuve du respect qu'inspi- rait Marguerite de Navarre chez les poetes de Toulouse est donnee par le

chant royal de Pierre de Saint-Aignan qui remporta 1'Eglantine en 1547.

Le roi et la reine de Navarre avaient, de plus, fait un sejour A Tou­

louse en 1535.

L'apparition de la premiere eglise reformee se fit a Toulouse en I 1520, et le mouvement s'accentua dans la region A partir de cette date, malgrd les repressions.2^ Des 1532, le Parlement de Toulouse, dont la juridiction s ’etendait A de nombreuses regions d ’Aquitaine, faisait en-

tamer des procedures contre les heretiques. Deux protestants de Mont- de-Marsan, un ancien pretre et un serrurier, furent condamnes au bucher en 1550, En 1545, le Parlement condamna au feu un habitant de Miradoux, qui mourut finalement en prison; en 1551, un menuisier de Lectoure mour* 79

rut sur un hucher dressS place SaintfGeorges, Les Strangers faisaient

souvent l'objet de surveillance particuliSre, II en Stait de meme pour

l'Sllte intellectuelle, qui Stait aussi gagnSe aux idSes de la Reforme.

En 1551, le Parlement de Toulouse condamna au bannissement perpetuel le raaltre d'hotel du sSnSchal d'Armagnac, Jean de Galard. En 1552, le meme

Parlement enquetait au sujet de ce dernier. L'annee suivante, dans

l'Agenais volsln, le lieutenant gSnSral de la SenSchaussSe etait arrete

et emprisonni, les procureurs du roi 3 Sainte-Foy etaient condamnes a une

amende comme suspects de negligences dans la poursulte des heretiques.

La Reforme gagna aussi de bonne heure certains monasteres et les elements du bas clerge seculier,

Lai diffusion du protestantisme s ’accSlera S partir de 1557, lors- que le roi de Navarre prlt position en faveur de la Reforme. En juin

1560, 3, Nerac, se retrouvSrent Antoine de Bourbon, roi de Navarre, son

frSre le prince de CondS, le marechal de Saint~Andre et beaucoup de me- contents, On chanta les p&aulmes de Marot,on ecouta les preches de

Boisnormand; Theodore de BSze fut regu en triomphe, En 1562, les Capi-

touls menacerent de livrer Toulouse au prince de CondS, qui avait pris les armes pour dSfendre la cause protestante, qui gagnait du terrain dans les grandes villes du Sud~0uest, Monluc fut depeche par Catherine de

MSdicis pour pacifier la ville. Cette meme annee, un College de Jesui-

tes dtait fonde & Toulouse,

Les poStes du Llvre Rouge durent etre confrontes avec les idees nouvelles, Leur jeunesse les faisait pencher vers des tendances au chan~ gement. Un po§te comme Salluste du Bartas etait connu pour ses sympa­ 80

thies huguenotea, Ceci ne l’ejnpecha paa d ’etre prim© aux concours poStiques, meme aprSs que les memhrea du Consistoire avaient declare ne plus vouloir accepter de 3 poSmes entachSs d'hdrdsie. Les Mainteneurs repStSrent leurs conditions en 1560, 1564 et 1569, mais si l’on en croit

le jeu d'gquilibre qui prSvalait parmi les Mainteneurs, leurs exhorta-

tions itaient moins en faveur de l'dglise catholique per se que du retour

3 l'ordre et 3 1 "'harmonie". Les Jeux Floraux ne furent pas toujours le foyer de reaction qu'on a bien voulu laisser entendre.

I Trois brillants reprlsentants de la nouvelle pensee etaient Jean de Pins, Etienne Dolet et Jehan de Boysson, Ils faisaient contrepartle a Blaise d'Auriol et Gratien du Pont. Jean de Pins (1470-1537) est ne et mort 3 Toulouse. Homme d'Eglise, diplomate, il etait aussi ami de Fran­ cois Ier et d'Erasme. II fut parmi les premiers 3 acquerir une bonne connaissance du grec dont il collectionnait les manuscrits. II etait aussi auteur et protecteur des lettres. Sous sa protection, Toulouse de­ vint un centre important de 1*esprit de la Renaissance,

Le plus Sloquent Stait Etienne Dolet (1509-1546) qui etudia a

Toulouse de 1532 3 1534. II revenalt d'un sejour de quatre ans en Ita- lie, ce qui lui confSrait un prestige accru sur ses coll§gues, Copley

Christie, le biographe de Dolet, en fait le martyr de la Renaissance.

Ses activitSs 3 Toulouse dSterminSrent une carriere qui le mena au bu- i cher de la place Maubert, Dans les Orationes duae Tholosam de 1533, il explique les raisons de sa venue 3 Toulouse; suivant le conseil d'amis qui le voyaient promus aux plus hauts honneurs, il decida de se consac- rer au droit civil, Le renom de l'Universite, en matiere de droit civil, 81 lui fit choisir Toulouse, mats il fut vite d^u, surtout au retour d ’un

long sSjour en Xtalie, Les habitants lui aemblaient plus "barbares" que les Scythes et il pensa meme aller poursuivre se9 Etudes de droit plutot

3. Padoue ou 3 Pavie, ofl enseignait le professeur de droit Andre d'Alciat.

Dans sa lettre 3 Guillaume Budd, insdrde dans les Orationes, nous avons le franc tdmoignage d ’un homme pour qui la capitale languedocienne ne correspondait pas 3 se9 ambitions, et Toulouse le lui rendlt bien. A

Toulouse, cependant, il fut trds actif. Son prestige le mit rapidement

3 la tete de la ''nation” de Prance, c'est-S<-dire du nord de la France.

II etait aussi le chef des Cicironiens, trouvant ainsi de grands delices

3 imiter le style de celui qu'il considdrait le maTtre de 1 'Eloquence.

Dolet, il faut s'y attendre, fut souvent en heurts avec les autorites de la ville; il dtait contre la fermeture des "nations", la taxation de l'U- niversitd, contre les repressions, Pierre Pinache, le chef de la "na­ tion" aquitaine 3 cette dpoque, dtait son ennemi farouche. Pinache re- prdsentait aux yeux de Dolet la quintessence d'une tradition perimee.

Pinache n'avait cependant pas la repartie de Dolet.

Ce qui manquait 3 Dolet, ce n'etait pas le ferment reformateur et humaniste, Celui-ci existait 3 Toulouse depuis longtemps. Au con- traire des villes universitaires italiennes, les idees nouvelles ne fai- aaient pas l'unanimitd, Leurs dgfenseurs ne pouvaient les afficher que timidement, sous peine de reprlsailles et un corps litteraire comme les

Jeux Ploraux choisissait, par force, de s'engager par des appels a l'or­ dre et 3 la paix, c'est»-S<-dire au compromis.

Une autre grande figure des Jeux Floraux est Jehan de Boysson, 82

sur lequel noug possedons de nombreux rengeignements grace gu Hype de

son descendant Richard de Boysson, Jehan de BoyssonI urt humaniste tourv

lousain (Parts; Picard, 1913), Nous ignorons cependant les dates aux?'

quelles il remporta l’Eglantine et la Violette, certaines poSsies

n'ayant pas ete transcrites entre 1513 et 1539. Nous savons toutefois

qu’il fut Mainteneur des Jeux Floraux de 1535 3 1560, avec cependant de

nombreuses absences dues 3 des responsabilitds en dehors de Toulouse

(ChambSry), PoSte, erudit, docteur en droit civil et canon, il appar-

tenait 3 l'une des families les plus en vue de la ville, et l ’on pou-

vait compter plus de quinze Capitouls de son nom et plus de trente magistrats ayant fait partie du Parlement de Toulouse. Jehan de Boysson

etait aussi connu pour ses affinitSs humanistes. II fut lie avec d'Al­

ciat, Dolet, le professeur de lettres Jean Voulte, Marot, Rabelais, Mi­

chel de L*Hospital qui etudia 3 Toulouse, Arnaud du Ferrier, Mathieu du

Pac, le poete Jean Poldo d ’Albenas, Jacques du Faur, Jean de Coras,

Jean D'Affis, Jean de Pins et les principaux hommes de lettres de son

temps, II frequenta aussi la cour de Nerac, ou il fit la connaissance de MSlanchton. Ses tendances lutheriennes le firent condamner par le

Parlement de Toulouse en 1534, II passa ses annees d'exil en Italie, ou il affina son gout pour la poesie. Jehan de Boysson prit parti en

faveur de la nomination d ’Etionne Dolet au College de Rhetorique (1532

ou 1535?), et 3 la suite de son echec, il composa une feroce satire

contre les Mainteneurs en place, MalgrS cet echec, Jehan de Boysson marqua de son influence d ’autres nominations au College de Rhetorique,

Avec le r3gne de Franqois Ier, "pere des lettres et restaurateur 83

de toutes lea bonnes sciences", le mgcSnat deylnt une mode,2® Dana

Sociologje de la Literature, Robert Escarp!t remarquej

Le mdcdnat, ou sa forme actuelle de prlx, a eu le mSrite de rendre possible 1 *integration de l'dcrivain I un cycle eco- nomlque oil ±1 n*avatt pas sa place, et done de lui permettre d'extster et de produlre.29

D§s le XVle si§cle, la bourgeoisie Sclairde s'impare du bastion

cultufel ddtenu jusque-l& par 1faristocratie. Qui voulait affirmer sa qualitg sociale se devait de protSger les Scrivains et les poetes en particulier, Lyon, de plus, fournissait l’exemple d'une litterature encouragge par la bourgeoisie, Au XVle siecle, les Jeux Floraux furent maintenus par son effort, les auriolant du prestige accorde S la parole

gcrite et surtout manuscrite.

Une des families les plus eminentes de Toulouse et qui contribua pleinement S, la perpetration des Jeux etait la famille du Faur. Guy du

Faur, sieur de Pibrac, en gtait le membre le plus celSbre (1528-1584).

II gtait avocat gendral au Parlement de Paris et etait bien introduit dans les milieux littSraires parlsiens, comme le salon de Catherine de

Retz, ofi il fit la connaissance de l^glite intellectuelle du temps, Dau- rat, Ronaard, Agrippa d'Aubigng, du Perron. Guy du Faur etait aussi pogte de talent (Quatrains), Les avis sont partages sur sa participation aux Jeux Floraux de Toulouse en tant que poete. XI fut cependant Main-

teneur pendant de longues annges (1558-1573), Le fait qu'il fut chance-

lter de la reine de Navarre le place plus parmi les reformateurs que les conservateurs, Sa ddmission en 1570 fut forcee par les evenements, En

1571, il retrouva sa place,

Son pgre et son oncle avaient aussi joug un role important dans 84

lfhistoire florale, Pierre du Faur CnS vers 15QQ) fut president au

Parlement de Toulouse et chancelier des Jeux de 1535 S 1558, Michel

du Faur de Saint-Jory, son fr&re, lui succdda comme chancelier, Ne en

1512, il fut accusi d'avoir embrassd le protestantisme, En 1569, les

Gapitouls lui enlevSrent le titre de Mainteneur pour le donner au Pre-

sident de Latomi du parti catholique, mais il fut rStabli dans sa charge

en 1571, comme son neveu, A sa mort en 1575, Latomi prit enfin sa place.

La famille du Faur, parmi d ’autres, faisait partie de cette elite

SclaitSe qui s*enorgueillait d ’entretenir les arts et les lettres. Leur

role en faveur de la propagation des lddes humanlstes est essentiel S

l'activitg du CollSge de Rhetorique. Leur influence s'etendit pendant

la majeure partie du XVle sificle, D*autres noms reviennent frequemment

sous la plume des greffiers du Llvre Rouge. C'est aussi le cas de la

famille Potier de la Terrasse, ancienne famille de robe, Pierre Potier

de la Terrasse fut Mainteneur de 1540 £ 1550, Etienne Potier de la Ter­

rasse prit son titre en 1558, et apr§s les interruptions de 1569 S 1571,

assura sa charge jusqu’en 1583, II fut remplacd par Pierre du Faur de

Saint-Jory, II y avait aussi les de Chalvet; Mathieu de Chalvet rempla-

5a Franqpis de Bertrandi en 1556. En 1581, Franqois de Chalvet passa

Maitre. Les traditions des Jeux Floraux appartenaient A certaines fa­ milies dminentes qui se passalent les titres jalousement. Elies cher-

chaient & encourager les arts et les lettres a Toulouse tant que les

Gapitouls se chargeaient de la note finale. 85

4. Les fjetes et les Jeux^

Toulouse ne prSsentait done pas, au seiziime siecle, un can

ract&re uniquement austSre et tourmentd que l ’on peut associer avec les

Guerres de Religion, ou les rudes querelles entre le parti des "Anciens”

et celui des ,tModernes", La seule denomination de Jeux evoque une pe- riode de celebration a laquelle partlcipaient non seulement les poetes,

les Mainteneurs et les Capitouls de la ville, mats aussi tout la popular

tion toulousaine, Dans , J a n Huizinga place toutes les activitis humaines sous le signe du jeu. Le jeu, dit-il, est lie a la culture, en est son essence, sa sublimation ou son residu. II se deve-

loppe parallelement E la vie utile, souvent comme activite compensatrice,

II reflete 1 'image dSformde de la sociitd et est 1 *expression la plus primitive de la vie de 1*esprit. Les Jeux Floraux, au travers du Livre

Rouge, teimoignent du cotS ludique de 1*activite littSraire d la Renais- sance, Les po£tes aimaient & y fiveiller l fesprit. Dans Les Jeux et les 32 Hommes, Roger Caillois explique que nulle part mieux que dans le jeu, l'homme manifeste sa libertS, son ingSniosite, son raffinement, son pou- voir crgateur et normatif, Cette ambivalence entre expression de liber­ ty et contingence 3, des normes se retrouve dans l ’ecriture du Livre Rou- ge. En cela, 1‘appellation de "jeu” donnee aux concours est particulie- rement S propos,

Claude Longeon, en examinant la situation dans le F o r e z , 3 3 signa­ ls que le jeu tenait une part importante dans la vie des hommes du XVle siScle, que ce soient d€s, cartes, quilles, palet, boules, lutte, etc,

Selon Jan Huizinga, cette conception ludique de 1‘existence a pour regie 86 de "traiter la vie en un jeu de perfections figurges’1, ^ qui devint

l ’iddal de la Renaissance, Mais ayant tout, le jeu reprdsentait un besoin ndcessaire d'dvasion contre l’ennui et l’oisivetd, Le recours

S l’dcrituare comme jeu de l’esprit peut aussi s'expliquer par l'aver-

sion des autoritds universitaires pour des activitds trop physiques

chez les dtudiants. Les gtudes Staient rdservdes S la reflexion dans un iddal quasi-monastique, Le jeu de l'dcriture devint done une acti­ vite d'evasion prisee de l'Slite intellectuelle et encouragee par les

autoritds, Les Studiants trouvaient cependant bien des raisons pour canaliser 1'enthousiasme de leur jeunesse. Ils s'adonnaient souvent a des rixes contre les "nations" voisines, envahissaient en force les ma- riages de la population toulousaine ou s'en prenaient a de respectables bourgeois.

A Toulouse, les fetes des saints, de la Vierge, des corporations ou des confreries marquaient le calendrier populaire. Les fetes des

Jeux Floraux etaient 1*occasion de maintes rejouissances. Les archives de l'Hotel de Ville revdlent que les depenses du banquet etaient ruineu- ses pour la municipality, Seuls les Capitouls etaient § s ’en plaindre.

Nulle trace n ’en est faite dans les Actes et Deliberations du College de

Rhgtorique.

Les visites royales Staient aussi des occasions toutes speciales de cdlebrer avec faste, Francois ler vint en visite S Toulouse en juil- let 1533, afin de remercier la ville de Toulouse de sa participation aux frais de la ranqon que avait demandde pour son echange, Le roi vint se recueillir S la cathddrale Saint-Sernin, Son depart precipite est l'objet do bien des conjonctures, Etienne Dolet n ’a pas manque de le

mettre au compte de la deception de l ’hote royal,

Le 2 fdvrier 1565, Catherine de MSdicis et son fils Charles IX

vinrent pacifier la ville par leur presence. Toulouse presents au roi

ce dont la ville dtait la plus fidre: les Jeux Floraux, en la forme

d ’une jeune fille sortant d ’une sphere et representant Clemence Isaure.

A la main, elle tenait trois feuilles d ’or, symbole des Jeux, dont elle

devait faire offrande au jeune rot, Une telle dedicace indique le pres­

tige dans lequel dtaient tenus les Jeux, du moins £ Toulouse. Le roi

et la cour resterent £ Toulouse jusqu’au 19 mars, invites par les Capi­

touls de la ville £ des fetes, danses et mascarades. Les voyages royaux

contrihuaient, sans nul doute, au renforcement du pouvoir royal et con-

solidaient le role de la bourgeoisie en place.

MalgrS les preuves que nous avons de la prosperite de Toulouse

pendant la Renaissance, qui laissait ample espace £ 1'activite ludique,

nous ne devons pas omettre 1 ’apretS de la vie dont temoignent les silen­

ces de certaines annees non inscrites au Livre Rouge. Le spectre de la

famine, la peste, gtaient des reialites avec lesquelles il fallait vivre

f et qui modelSrent les esprits d ’une anxiSte fondamentale devant 1 'exis­

tence. Les documents recueillis par Philippe Wolff dans ses Documents

sur 1’histoire du Languedoc en attestent, Au cours de la disette de

1564, le Parlement de Toulouse dut organiser le combat contre la faim

en surveillant les marchis. La peste, comme la famine, etait le fleau que craignaient souvent les Languedociens; 1515, 1521, 1522, 1527, 1549,

1550, 1555,,, La fragility de la condition humaine sera un des themes 88

princtpaux inscrita dans la Llyra fiouge,

5. La situation linguistique35

Au dibut du XVle sigcle, 11 s'opSra une revolution linguistique

qui n ’Stait pas StrangSre & l'affermissement du pouvoir royal. A partir

de 1513, les poSmes du Livre Rouge durent etre ecrits en franqais. En

1533, Blaise d'Auriol accueillit le roi en franqais. L ’uniflcation du

royaume, la mode, la propagande protestante ont contribue au succ§s du

franqais, Pourtant, Toulouse imprimera de nombreux ouvrages en occitan

jusqu'en 1555, malgrS l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539). Le fran­

qais jouissait, neanmoins, aupr§s des membres du Consistoire d'un pres­

tige inegalS. Philippe Wolff declare:

Le franqais a cessS d'etre une langue etrangere, mais il n'est qu'une langue adoptive.36

Comme en attestait au XIXe siecle la situation linguistique dans les

environs de Toulouse, l'occitan etait pour la plupart la langue premiere

au XVle siecle. Dans les ecoles, le latin gardait toute sa vigueur, sous

une forme modernisee. a l'ecole elementaire, un fait est certain: le pretre ou le recteur lalque n'enseignait pas le franqais. Comment ap- prendre une langue qui "change de vingt ans en vingt ans, sinon en tout, pour le moins en la disposition, en la liaison, en la prolation, et en mots nouveaux qui vont et viennent commi il plaTt S 1 'usage?"37 i a lan­ gue franqaise n'est en effet "circonscrite ny reiglee par formulaires, comme sent les Grecque et Latine",38 Dans les colleges, tous les cours

Staient professis en latin, comme l'attestent les notes de cours des etu- diants. Le franqais restait du domaine des divertissements, en particu- 89

H e r pour lea spectacles que donnaient les dcolters, Sa connaissance en etait done asaez llmitde,

Par contre, ceux qui dcrivaient se piqualent d ’Scrire en franr* gals. De plus en plus, le franqais itait la seule langue ecrite admise; meme les papiers prlvds Staient rSdigds en franqais.

L'Ordonnance de Villers-Cotterets ne fit que sanctionner une tendance qui existait depuls longtemps. Le franqais faisalt des pas de gdant. Nombreux sont les difenseurs de la langue franqaise I cette epo- que. Dans la preface de sa Biblioth£que (Lyon, 1585), Antoine du Verdier declare:

Aucun ne pourra dire que nostre langue pour sa pauvrete ne puisse exprimer toute conception... qu'elle n'abonde en vo­ cables servant & tous les arts.39

Avec du Bellay, de plus en plus d ’intellectuels etaient convaincus des possibilites qu'offrait la langue franqaise pour exprimer toutes les nu­ ances de 1’esprit. L'outll, cependant, devalt s'affiner, comme blen des poemes du Livre Rouge en temoignent. La concision ne sera pas une des caracteristiques de la pensee des poetes de Toulouse, mais il en etait de meme chez les auteurs d ’autres regions de la France qui cherchaient encore ^'explorer une langue qui s ’offrait presque vierge a leur talent.

L'annde 1513 est une date importante dans 1 ’histoire des Jeux

Floraux. Elle marque 1'expansion des valeurs culturelles du nord de la

France sur les provinces du Midi. Ces valeurs s’exportaient avant tout par 1 ’intermediaire du vShicule linguistique quretait la langue franqai­ se, Cette transition linquistique ne manque pas d'avoir des connotations socio-politlco-dconomiques. 90

Parler franqais affermit le sentiment d ’unitg nationale et la

conflance dans le pouvoir royal, L ’annSe 1513 est la consecration du

franqais face & 1 'occitan et au latin, SvSneraent linguistique qui est

parallfile & 1 -ascension de la bourgeoisie, qui avait tout 3 gagner de

l’expansion du pouvoir royal, Claude Longeon corrobore cette theorie.^O

XI note, en effet, que les trois Scrivains foreziens qui ont parle le

plus en faveur du franqais Staient tous trois royalistes militants. Le

franqais devenait la marque de cette nouvelle societe ou les droits de

I 1intelligence gtaient reconnus.

Claude Longeon apporte*cependant une interessante restriction a

l'enthousiasme des poStes & Scrire en franqais)

Car il ne faudrait pas l’y tromper: le Forezien ne defend pas la langue franqaise parce qu’elle ouvre aux plus humbles les trSsors de la science, mais parce qu'elle definit une nouvel­ le caste, celle du bourgeois eclaire.^

Dans bien des cas, il est difficile de deceler la limite entre

le pujriste et le parvenu, Dans un univers ou le patois est la langue

encore universellement employee S la campagne et dans les petites villes,

le franqais deyient la langue de l ’Slite et d ’un monde clos de culture

ou l ’on ne rentre que par l’Universite ou les aleas de la fortune. La

transition au franqais n ’est pas le signe d'une vulgarisation du savoir, mais celui d ’un transfert de la puissance. Le monde des clercs qui par-

lent latin cSde la place au monde de la bourgeoisie administrative qui adopta le franqais pour en faire la marque distinctive de sa caste, Le

contenu et l’Scriture du Livre Rouge atteste cette conception elitiste de la langue et de la littirature, dont 1 ’appreciation gtait reservee a des initiSs,

L ’eicrivain de Toulouse, coupe celui du Forez, n ’est devenu Seri?'

vain que parce qu’il s ’est approprii les caractSres de la culture domi-

nante qui le llent lingulstiquement 5 la "caste" supdrieure. Par cela,

nous pouvons expllquer le manque d ’intdret pour la langue natale.

La contradiction que nous avlons relevde au debut de ce chapitre

concernant 1 ’opposition entre une soclStd traditionnellement de refus et

une forme d ’art apparemment plus en accord avec des valeurs officielles

se lfive en partie, En effet, au XVle siScle, les Jeux Floraux ne sont

pas les organes d ’une propagande inconditionnee que l'on a pu supposer.

Nous avons vu que des humanlstes Sminents y participerent et y firent

naltre 1'esprit de rdforme qui est 1*essence meme de la Renaissance.

II en est de meme pour 1’Universitd. Les deux camps, "Anciens" et "Mo-

dernes", s'affrontSrent avec d ’autant plus de vigueur que leurs convic­

tions dtaient farouches, Le ferment du refus etait toujours present et

ne pouvait loglquement s ’exprimer qu’en s'opposant a un ordre foncidre- ment different,

Utiliser le franqais dtait aussi une forme de refus: refus d'ap-

partenir’I un monde clos de culture en s ’ouvrant sur le re3te de la Fran­

ce, refus de laisser passer la chance de s’elever dans la hierarchie so-

ciale grace a un vdhicule linguistique aui etait 1 ’apanage de la classe

supdrieure.

Au XVle siecle, les Jeux Floraux de Toulouse sont 1 'expression

littdraire de la bourgeoisie toulousaine et de ses facettes complexes.

II nous reste a voir dans quelle mesure le discours que le Livre Rouge propose peut illustrer las yaleura que nous avona dScouvertes, 93

Notes Chapitre II

Philippe Wolff, Documents de 1*histoire du Languedoc (Toulouse:

Privat, 1969), p. 203. 2 Wolff, p. 204. 3 Wolff, p. 203. 4 Maurice Bordes, Histoire de la Gascogne des origines 3 nos jours

(Roanne: Horvath, 1977), pp. 118-119. 5 Claude Longeon, Une Province franqaise a la Renaissance: la vie in- tellectuelle en Forez au XVIe slecle (Saint-Etienne: Centre d'Etudes Fore- ziennes, 1975), p. 131.

** Gilles Caster, Le Commerce du pastel et de l'epicerle 3 Toulouse au

XVIe siScle (Toulouse: Privat, 1962).

^ Philippe Wolff, Histoire de Toulouse (Toulouse: Privat, 1974), p. 232. 8 Wolff, Histoire de Toulouse, pp. 238-242. 9 Cite par John Charles Dawson, Toulouse in the Renaissance (New York:

Columbia University Press, 1923), p. 177. 10 ’ Dawson consacre une part importante de son ouvrage aux annees que

Dolet passa & Toulouse (ch. Ill, pp. 141-187). 11 Dawson fait un portrait du personnage et insiste sur sa confronta­ tion avec Etienne Dolet, pp. 179-185. 12 Cit§ par Dawson, p. 154. 13 Cite par Dawson, p. 157. 14 Lea renseignements suivants se trouvent dans le chapitre XX de

Dawson, ''University and student life at Toulouse in the sixteenth century"

Cpp. 89-140).

^ Longeon, p. 130.

^ Cite par Longeon, p. 131. 17 Richard Copley Christie, Etienne Dolet, the martyr of the Renais­

sance (London: MacMillan and Co., 1880). 18 Cette affirmation n'est pas confirmee dans le Dictionnaire de3

lettres frangaises ni par Jean Plattard, Guillaume Bude ou les origlnes de

l'humanisme franqais (Paris: Les Belles Lettres, 1923). Dans Jehan de

Boysson, un humanlste toulousain (Paris: Picard, 1913) , p. 34, Richard de

Boysson y fait pourtant allusion ainsi que John Dawson dans Toulouse in

the Renaissance (New York: Columbia University Press, 1923), p. 100.

19 Dictionnaire de la litterature frangaise du seizieme siecle, ed.

Monseigneur Georges Grente (Paris: Fayard, 1951), p. 518. 20 Dawson, p. 98. 21 Dawson, p. 153. 22 Rabelais, Oeuvres Completes (Paris: Gamier, 1962), p. 241. On ve-

nait de bruler sur la place Saint-Etienne, en 1532, un professeur de droit,

Jean de Caturce, suspect de lutherianisme. 23 ' AD 19. 24 AD 229. 25 Robert Escarpit, Sociologie de la litterature (Paris: Presses Uni- versitaires de France, 1958), p. 43. 26 Wolff, Histoire de Toulouse, p. 264. 27 Bordes, pp. 128-131. 28 Longeon, pp. 65-76. 29 Escarpit, pp. 48-49. 30 Longeon consacre un chapitre aux jeux et fetes de la Renaissance

(pp. 42-54). Ceci est aussi I'objet du livre que Jean Jacquot a edite (Les

Fetes de la Renaissance, Paris: CNRS, 1956). 31 , Homo ludens: a study of the element in culture, trad, par R. F. C. Hull (London: Routledge, 1949), p. 236. 32 Roger Caillois, Les Jeux et les hommes (Paris: Gallimard, 1968), p. 139. 33 Huizinga, p. 239. 34 Longeon, pp.. 47-54. 35 Longeon s'etend sur la situation linguistique dans le Forez au XVIe siScle qui ne devait pas etre trSs differente de celle de la region de Tou­ louse (pp. 47-54). 36 Wolff, Histoire de Toulouse, p.266. 37 Longeon, p. 97. 38 Longeon, p. 97. 39 La Bibliothique d'Antoine du Verdier contenait le catalogue de

"tous ceux qui ont escrit, ou traduict en francois, et autres dialectes de ce royaume" (Lyon: Honorat, 1585). II y incorpora les poetes des Jeux Flo-

t raux de Toulouse. Cite par Longeon, p. 100. 40 Longeon, p. 101. 41 Longeon, p. 102. CHAPITRE III

LE DISCOURS DE LA GLOIRE

96 97

Toulouse la Romaine oQ dans des jours raeilleurs, J'al cueilli tout enfant la poesie en fleurs. Victor Hugo, les Feullles d'Automne

1. Pourquoi dcrire?

C'est Etienne Pasquier qui, dans ses Recherches sur la France, a parl§ de "la grande flotte de poetes produite par le regne de Henri II".1

La production littdraire des Jeux Floraux de Toulouse au XVIe siecle en est l'exemple le plus flagrant. Le Livre Rouge nous confronte avec une flotille de poetes dont la plupart sont restes dans l'anonymat dans les annales de la litterature du XVIe siScle. Certains portent, par contre, \ des noms celebres comme Salluste du Bartas, Pey de Garros, Robert Gar- nier. II est difficile de faire sortir de 1*ombre de plusieurs siecles d ’autres poetes dont le coup d ’essai des Jeux Floraux ne manque pas d'in-

teret mais reste isole dans une production litteraire quasi inexistante.

Les poetes les plus celebres seraient certainement perdus pour la poste- rite si leur production s ’dtait arretee au chant royal des Jeux Floraux.

Cela nous conduit S nous demander ce que les poetes des Jeux Floraux at- tendaient des recompenses pour lesquelles ils rivalisaient, comment ils percevaient le message poetique, en bref, quel etait le rapport sujet

Snonciateur et auditoire. Nous eluciderons ulterieurement le rapport texte/societd.

Pour repondre S la question "pourquoi ecrire?", nous analyserons le statut de la fonction artistique dans la societe toulousaine de la 98

Renaissance, Ensuita, nous tenterons de ddceler en quoi les textes

Studies sent 3 la fois le mirotr et 1 ‘exorcisation de leur temps,

L ’examen des fonctions culturelle, sociale et thdologique de

l*acte littdraire, et en particulier podtique, devrait cerner le pror*

bleme des prdtentions 3 l^dcriture ou 3 la sanction de l'dcriture. En

effet, nous devons tenir compte des podtes, mais aussi de ceux qui de-

ciderent par vote de primer leurs podmes et marqudrent ainsi de leur

gout littdraire toute la production qui nous est restee.

A Toulouse, comme ailleurs en France, il dtait rare de vivre de

sa plume, Bien que Toulouse fut une ville d ’art, jouissant d'une cer-

taine richesse, le mdcdnat bourgeois ne se manifestait que comme sanc­

tion d fencouragement aupres des laurdats primds au cours des Jeux Flo­

raux. Si l’on en croit les rivalitds et les connivences dont les pro­ motions au sein du College de Rhdtorique dtaient la cause, nous pouvons

etre sur du prestige dont jouissaient les lettres 3 Toulouse. Nous

avons vu que la puissance dans les grandes families toulousaines ne

pouvait etre totale que si elle s falliait au prestige acquis par les

frdquentations du Colldge de Rhdtorique, Rappelons, par exemple, les

» efforts que fit Michel du Faur,^ dechu de son titre de Mainteneur en

1569, en raison de ses faveurs pour la cause huguenote, Afin de rega- gner son titre et celui de ses amis qui avaient subi le meme sort que

lui, il plaida sa cause auprds de son neveu, Guy du Faur de Pibrac, in­

time de Catherine de Mddicis, membre actif du College de Rhdtorique de

Toulouse et de l’Acaddmie du Palais, qui s’empressa de le rehabiliter au sein du Consistolre, 99

Le 4 octobre 1572, Toulouse connut les affres de la Saint-Barthe- letny, Jean de Coras,^ arretd cinq semaines auparavant, fut massacre dans la prison avec deux cents autres coreligionnairesj la prison dtait, iro- niquement, sous le controle de Jeanr'Etienne Duranti qui prendra sa place au College de Rhdtorique, XI n ’en ddmissionnera que par vanite, car nommd premier president du Parlement en septembre 1581 en remplacement de son beau-pdre Jean d ’Affts, il refusa d ’etre le subordonne de Latomi, alors chancelier du College de Rhdtorique, Le titre ne se perd pas pour autant, II le transmet 3 son fils puis 3 son gendre, Simon de Garaud.

Notons aussi que le Llvre Rouge n ’est pas avare de details con- cernant les querelles entre Capitouls et Mainteneurs. Les Capitouls se piquaient de connatssance podtiques, et les Mainteneurs etaient parti- culidrement jaloux de leurs prdrogatives en matiere de gout ou en ce qui cpncernait les nominations.

La gloire dans laquelle etaient tenus les Mainteneurs en place n ’avai't d ’dgale que le prestige dont dtait dotee l ’ecriture, le sine qua non de la connaissance. " »

Podtes et Mainteneurs etaient conscients de la riche tradition a laquelle ils appartenaient, Comme au moyen age, le principe d ’autorite dtait inhdrent au ddveloppement de la culture, Aussi, le contexte lit­ tdraire des Jeux offrait-il aux podtes la garantie de se placer dans une tradition littdraire respectde. Ils soumettaient leur oeuvre 3 l’auto- ritl qui devait l^approuyer et lui donner son cachet de verite. Cette approbation garantissait au laurdat la gloire au travers de l ’art, En dtudiant 1 ’environnement littdraire at social du Forez au XVIe sidcle,

Claude Longeon rappelle que l*homme de lettres de l’dpoque n ’avait ni le courage ni le "cuider" d ’affronter seul le public,^ Souvent, les po§te3 demandaient S des hommes de lettres plus cdldbres de se porter garants de leurs oeuvres sous forme de sonnets ou de courtes pieces d ’e- loges que le podte insdrait au ddbut du Triomphe, A Toulouse, le Col­ lege de Rhdtorique offrait chaque annde ces garanties aux poetes.

Dans Soclologle de la llttdrature, Robert Escarpit analyse la fonction du jury des oeuvres littdraires en ces termesj

Le role du connaisseur est,,, de percevoir les circonstances qui entourent la crdation littdraire, de comprendre ses in­ tentions, d'analyser ses moyens, II n ’y a pas pour lui de vieillissement ou de mort de 1'oeuvre puisqu'il lui est pos­ sible & tout moment de reconstruire par 1 'esprit le systeme de rdfdrences qui rend I 1 *oeuvre son relief esthetique. C'est une attitude historlque. Le consommateur au contraire vit dans le present... II goute ce qui lui est offert et decide si cela lui plait ou non.^

Selon Escarpit, done, le choix du jury poetique des Jeux Floraux dtait motivd plus par l ’esprit que par le coeur.

Les fonctions culturelles et theologiques de la poesie etaient inextricablement liees. En effet, le role que les Mainteneurs et les

Capitouls jouaient dans les ceremonies, le ceremonial tres precis au- quel chacun se soumettait, enveloppait l'acte littdraire d'une pompe qui le sacralisait.

Les enluminures qui marquent les premieres pages du Livre Rouge transforment le mot dcrit en vdritable symbole, dont le contenu se re- fdre A Dieu, Le Christ en croix ayant la Vierge S sa droite et Saint-

Jean 3 sa gauche est le sujet de la premiere page du Livre Rouge. 101

On peut se demander ppurquoi, aloirs que 1 * imprtmetie dtait

inventde depuis plus de cinquante ana C1454), le Livre Rouge a dte fi<~

delement transcrit tout au long du sidcle par la main d'un greffier, Le mot dcrit, et de plus, dcrit 3 la main, dtait entoure d ’une certaine mystique que l'imprimerie enlevait en partie. C ’est pour cette raison

que longtemps aprds que l^imprimerie fut inventde, des textes imprimes

persistaient 5 vouloir ressembler 3 des manuscrits,

Le corpus du Livre Rouge est dddid 3 Dieu et 3 la Vierge. Poe­

tes, Maftres et Mainteneurs dtaient les grands pretres du culte sacre

de l'dcriture qui, encore dans la tradition mddievale, prdtendaient of-

ficier au nom de Dieu, Le quatrain de P.D.S.A.T. (Pierre de Saint-Ai-

gnan, toulousain) en tdmoigne:

A DIEU Les Saints esprits qui luysent dans ce livre Sent dternels par ton nom, o Seigneur, Doncq icy-bas par toy auront honneur Et apres mort hault les fera r e v i v r e . 6

Deux lectures s’imposent, Une premidre lecture peut ne voir dans ce

livre que la glorification de l’esprit divin ("Saints esprits"), Une

seconde lecture peut donner au mot "livre" une place de choix. "Livre",

en effetj est mis en parallele avec le mot "Seigneur", autre mot-clef.

L'dcriture devient ainsi le moyen d'acceder au divin. II n’est peut-

etre pas si dtrange de constater la similarite phonetique entre les mots

"esprits" et "escripts". Dans cette perspective, l'ecriture, exercice

de l*esprit, est porteuse de gloire ("honneur"), verite ("luysent") et

immortalitd ("eternels" et "les feras revivre"),

Certains podmes sont de vrais manifestes litteraires, traitant 102 directement de la fonction pggtique, 11a rejoignent pap bien des points la vision aristocratique que les podtes de la PISiade se fain

saient de leur art.

Le chant royal composd par Pierre du Cedre (Souci, 1541) s'in­

titule "De 1 ’excellence de la poisie" et ditj

Tout vray poete a celeste influence

Un sonnet de Samson de Lacroix (Violette, 1554) rappelle que la poesie est le genre privildgid pour chanter Dieu, "ses chantz secretz et choses non-pareilles", La podsie est, done, le moyen de percer les mysteres divins, Le chant royal de Barthelemy Ballste (Eglantine, 1559) est en­

core plus explicite:

Une nouvelle ardeur m'enflembre (sic) la poictrin^, D'une fureur nouvelle or je suys agite; Je me sens tout rempli d'une flame divine D'un desir d ’entoner une divinite, C'est toy, divin Prynien, toi pere de la lire, C'est toy de qui la chaine ores ores (sic) m'attire. Par tes soeurs attire d'un doux attirement, Pour ce peuple attire par mon chant doucement A gouster la douceur de vos chansons prophetes Et d'un vers plus divin chanter divinement La divine fureur qui ravit les poetes.^ ( w . 1- 11)

Empli de cette fureur divine, le poete se fait, par son chant, * prophete et s'elSve au-dessus de la simple condition d'homme. Dans ce

texte, nous trouvons les notions essentielles diffusees par les philoso- phes italiens du Quatrocento tel Marsile Ficin dont la philosophie se repandlt en France dans la premiere moitie du XVIe siScle et est ma- nifeste en particulier chez Pontus du Thyard (Solitaire Premier).

Le theme des "fureurs" est a la base de la theorie de la connaissance n§o-platonicienne, Marsile Ficin enumere les quatre degres suivant les- 103 quels l'ame s ’eleye jus.qu^a la connaisaance, XI y ft d^ahord la natur* re, "puissance animale qui consiste en 1'office de nourriture et de ge^ nSration", puis 1 ’opinion qui proc&de par images dSsordonndes, ensuite la raison intellectuelle qui condense la multitude des connalssances, et enfin l'entendement angSlique, le plus proche de Is nature divine, qui contient la multitude des iddes, Dans La creation podtique au XVIe si.Scle, Henri Weber explique que les quatre fureurs permettaient de re- conquSrir 1 'unitd brisde par le lien entre la matiere et le divin.®

La fureur podtique doit ilever l'ame 5 la connaissance en lui faisant dScouvrlr un monde d'ordre et d'harmonie, Dans Poesie et tradition blhlique au XVIe sificle, Michel Jeanneret developpe le meme th§me en disant que, pour les philosophes italiens, la poesie etait consideree de provenance divine, et son utilisation trahit le desir de remonter aux sources du sacrS. La poSsie invite l'individu S retrouver le sou- venir de ses origines spirituelles en exprimant des verites religieuses fondamentales,^ Salluste du Bartas, qui participa aux Jeux Floraux de

1565, ddveloppe cette notion;

La liaison des vers fut jadis inventee, Seulement pour traiter les mysteres sacres ' Avec plus de respect; et de long-temps apres Par les carmes ne fut autre chose chantee-^-®

Le po§te est convaincu d'acceder par son art 1 des realites d'un ordre supSrieur. Dans Solitaire Premier. Pontus du Thyard declare;

(.L'ame) est esveillee du sommeil et dormir corporel a l'intel- lectuel veiller, et revoquSe des tenebres d'ignorance 5 la lu- miere de veritS, de la mort 5 la vie, d'un profond et stupide oubly & un resouvenir des choses celestes et divines; enfin elle se sent esmeue, esguillonde, et incitSe d'exprimer en vers les choses qu'elle prevoit et contemple. Aussi n'entreprenne temeralrement chacun de heurter aux portes de Poesie: car en 104

vain a ’en approche, et fait ses verg mlgerablament froids celuy auquel leg Muses ne font gjrace de leur fureur et au^ quel le Dieu ne se monstre propice et favorable,H

Pierre du C3dre (Souci, 1541) rappelle l'Slitisme de cette forme d ’artj

Mortel engin h/a pas la capacitd De Poesie exaltaer 1 'excellence-^ ( w , lr<2)

L ’idSe que la podsie est le langage approprie a toute revelation religieuse foumit 3 la pensee syncretiste de la Renaissance 1* occasion de se dSveloper. Les frontiSres s'estompent entre la fureur neo- plato- nique et la vison prophetique de l'Ancien Testament. Les temoignages de

1*AntiquitS profane et ceux du monde hdbreu primitif convergent pour

Stablir l'identitd originelle de la poesie et de la theologie. La pre­ miere strophe de la strophe de Pierre du Cedre en est l'exemple;

Et a'il le cuyde en grand temeritd, Declarera 3 tous son insollance, Car nous lisons aux souverains autheurs Que les Hebreux en furent zelateurs; Les Grecs l'ont eu en admiration Et les Latins en veneration-^ ( w . 3 - 8 )

Dans le corps du po3me, il cite "Moise, chef de tous les legislateurs",

Job qui "feit en vers sa consollation", David qui "en feist semblable- ment”, Orphie, Museus, le disciple d'Orphee, Lynus, Platon, Homere, qui

"eut reputation/ de faire vers de grand instruction", Virgile, Ovide,

Lucrece, etc,

L'Svocation des prophStes de la tradition hSbralque, comme Moise et Da­ vid, Stait tr§s rdpandue. Thomas Sibillet en fait mention dans son Art poetique francoysj

Le Poete de vraye merque, ne chante ses vers et carmes autre- ment que excitd de la vigueu^ de son esprit, et inspire de 105

quelque divine afflation, jPourtant appelloit Platpn leg Poetes enfans des dieux; le pere Ennius les nommait salnz, et tous les savans les ont toujours appelds divins,., Moise premier divin prestre, premier conducteur du divin peuple, et premier divin Poete, apres avoir triomphd du danger de la mer rouge, et de la cruelle malice de l ’Egyption Pharaon, chanta-t-il grace et louange 3 Dieu autrement qu’en vers poe- tiquement mesurez? Depuls luy, David chanta-t-il les Psaul- mes autrement qu’en mesure versifide?^

L*expression lyrique en hdbreu dtait le rdceptacle du sacre. C'est par-

ce qu'ils correspcmdaient d la conception ndo-platonicienne de la crea­

tion artistique que les Psaulmes ont attird 1'attention du milieu litte-

raire de Toulouse, La podsie de David est empreinte de ce souffle cos- raique que nos podtes tendent d atteindre. Elle illustre la maniere

selqm laquelle le divin s ’incarne dans les choses et concilie la sages-

se antique et le message biblique, David et Orphde interviennent en mddiateurs entre Dieu et les hommes, theorle qui n'est pas etrangere d la vision neo-platoniclenne de la genese des arts. Les vertus du langa- ge sont revelees d quelques inities qui les ont transmises. Ces maTtres vdndrables tiennent leur inspiration de la divinite; ainsi, message sa­ cre et message podtique se trouvent etroitement lies. L'image d'Orphee comme celle de David est centrale d l'humanisme de la Renaissance: "le mot est chargd d'un vaste pouvoir civilisateur et dans son emploi pod­ tique, manifeste la souverainetd de 1 ?esprit sur la matiere".^ Michel

Jeanneret rdsume 1'importance de la fonction theologique du podte:

Interprdte par un don spdcial d'iddes voilees au commun des mortels, il communique par ses vers les elements d'une scien­ ce inflnie et, pdndtrd de la vision du Bien et du Beau, s'ef- force d ’en transraettre les bribes. A la maniere du podte- prophdte de l’Antiquitd, il a charge d'dtablir les bases d'un ordre moral et esthdtlque nouveau. Aussi, ddpositaire de hau- tes vdritds religieuses et ldgislateur d'un monde meilleur 106

s’arroge-t^il dans la sociStS un role exceptionnel et revendi- que-'t-il un traitement spdcial,1-®

Alnsi , la supdrioriti intellectuelle du podte assure le bien-fondS de

ses ambitions soclales,

Devenlr laurSat du concours du 3 mai garantlssait une gloire

immediate et assurait la realisation de bien des ambitions. Les poetes

se recrutaient en gdndralT parmi les Jeunes "escoliers" de l'Universite

de Toulouse, qui formaient encore une classe instable au sein de la so­

ciety toulousalne. Ecrire en fra^ais, qui plus est, et avec eloquence,

jouissait d'un prestige considerable, En demandant la sanction du Col­

lege de Rhetorique, le podte recherchait la gloire litteraire et peut-

etre aussi, au-delS de cela, 1 'assurance d'une position dans la hierar-

chie administrative de la ville. Ecrire, en tant que passe-temps ou

comme thdrapeutique, ne doit pas etre totalement ecarte, mais le desir de gloire et d'honneur etait inherent & la competition elle-meme. Dans

Les Bacchantes, Jean-Antoine du Baif est d'une grande sincerite:

En quel recoin cache m'en iray-je inventer Un sujet bien choisi que je puisse chanter, Pour en avoir honneur d'eternelle d u r e e ? 1-^

Claude Longeon commente;

f Par les lettres, le bourgeois veut acceder & cette aristocra- tie de 1'intelligence qui, un jour, donnera 1 la puissance economique qu'il dStient ses lettres de noblesse. Le noble, tout en soulignant qu'il ne doit pas son rang A son activite littdraire, espdre en secret qu'elle l'aldera a conserver sa suprdmatie sociale. Dans les deux cas, la litterature est mddiatrice d'une aristocratie nouvelle.1-®

2, Quelques podtea1-^

Les podtes de Toulouse venaient de tous les coins de France.

Jehan Rus, primd en 1542 (Violette), etait de Bordeaux; Antoine Blegier (Eglantine, 1552) etait de Carpentras; Frangois Moeam (Eglantine, 1553)

dtait Breton; Jehan de Barot, baron de Taye Peilhot (Souci, 1554) etait

Limousin; Guillaume de Lagrange (Violette, 1556) dtait Sarladois; Bar-

thdlemy Balliste (Souci, 1556) dtait de Narbonne; Jean de Figon (Eglan­

tine, 1558) dtait de Montelimar; Denis Bouthillier (Eglantine, 1562)

dtait Angoumois; Etienne de Gasteuil (Eglantine, 1565) etait Sainton- geais; Pierre de Brach (Eglantine, 1567) dtait Bordelais; Yves Bouyant

(pas de mention, 1570) dtait Breton; Pierre Le Loyer (Eglantine, 1572) dtait Angevin, Les origines diverses des candidats sont expliquees par l'attrait exercd par la "fameuse" Facultd de Droit de Toulouse. Cer­

tains podtes affichaient meme aussi leur titre de licencie ou de docteur en droit, C ’est le cas de Jean de Cardonne ou de Yves Bouyant. Par leurs dtudes, tous appartenaient d l'dlite intellectuelle de Gascogne ou du Languedoc.

La famtlle Terlon est bien representee dans les activites des

Jeux, Elle prdsenta deux de ses membres aux concours. Claude Terlon remporta le Souci en 1540 avec un "Chant royal de la passion de Nostre

Seigneur Jdsus Christ", Son fils Gabriel obtint le Souci en 1556. Un

t autre fils, Claude, jouissait d'une egale notoriete quoique ses oeuvres ne fussent jamais primdes aux Jeux Floraux. Peres et fils etaient nour- ris d ’humanisme au travers de l’dtude des auteurs classiques. Apres

1540, Terlon pdre ne reparaftra plus au College de Rhdtorique, la muse de l'dlequence l*ayant directement conduit d la carriere d'avocat, puis en 1555, d la fonction de Capltoul, Avec Guy du Faur, il fut envoye aux

Etats Gdndraux d'Orldans en 1559, La carriere de Claude Terlon est exem- 108

plaire en ce qu'elle temoigne d'une ascension sociale fulgurante a laquel­

le le succds des Jeux Floraux de 1540 donna un remarquable coup d'envoi.

Gabriel de Terlon embrassera aussi la carriere judiciaire aprSs 20 son succ&s au concours de 1556, Sa renommde devalt etre grande, car,

en 1591, on lui accorda la place de Mainteneur laissde vacante par de

Benoist, Cependant, nous ne pouvons conclure que l'essai dans les let-

tres fut entrepris dans un seul but de promotion sociale. Les Terlon

dtaient une famille bien Stabile & Toulouse, et la litterature ne fai-

sait qu'aureoler leur prestige, De plus, Gabriel Terlon composa de nom- breuses oeuvres dont on n*a conservS qu'un seul ouvrage en vers intitule

Chant de vertus. Comme son pere et frdre, c1etait un poete fervent. II

fut un des membres les plus actlfs du College de Rhetorique au XVIe sie-

cle.

Pierre Pascal(1522-1565) ^ est responsable de trois poemes pri­ mes (Violette, 1543} Eglantine, 1545; Souci, 1547) qui lui valurent en

1547 lfc titre de "Maltre-Ss-Jeux", A l ’age de vingt ans, il presents

son premier podme "Que l'homme rend S jamais bien heureux". Encourage par ce succds, deux ans plus tard, il presents "Le centre rond du hault ciel Empiree" pour finalement passer Maltre avec "La fleur passant toute • oeuvre de nature", Comme les de Terlon, Pierre Pascal avait ete eduque dans 1'amour de l'dtude, Son Imagination et son intelligence avalent ete affindes 3 la lecture des auteurs classiques qui nourrirent l'humanisme, quoique nous devions faire de sdrieuses reserves sur sa qualite, son oeuvre littdraire est impressionante en volume. Pris au milieu d'intri­ gues, il fit don de sa bibliothdque & Michel Durban de Mauleon (Mainte- 109

neur de 1550 £ 1557), qui remporta la Violette la meme annde que lui

C1547), mala dont le poSme ne fut pas transcrit par le greffier dans le

Livre Rouge. XI lui signale une comidie, des odes, dea SlSgies et des

Spigrammes. II refuse cependant de laisser 3. la postSritS les oeuvres

les plus licencleuses, Ceci corrobore notre thSorie 3elon laquelle le

poSte dcrivait avant tout pour un public dont il attendait gloire et

h o n n e u r .^2

Etienne Forcadel (157-1573)23 etait aussi tout_jeune quand il

fut attird par les lauriers littSraires, De Beziers, il vint £ Toulouse

suivre des etudes de droit. II obtint la Violette en 1544 avec "Le Dieu vivant, seul parfaict en essence" & l'age de vingt deux ou vingt trois

ans. II devint par la suite docteur en droit, ce qui lui valut une chatre de professeur & 1'UniversitS de Toulouse. Son activite litte-

raire ne s'arreta pas pourtant S des oeuvres de jeunesse. Forcadel

(Jorcatulus) composa un certain nombre de poesies franqaises ou latines de genres tr§s varies. Un recueil intitule Chant des Seraines, paru en

1558 et reimprimd en 1561 et 1579, contient des chants sacres et profa­ nes, des-elegies, des Spigrammes, des idylles, des epitaphes et quel- ques traductions. En latin, il publia Epigrammata (Lyon, 1554, Stepha- nl Forcatuli jurisconsult! epigrammata) qui comprenait des madrigaux, des dSdicaces, des portraits et des Sloges, comme celul de Claude Ter­ lon, son confrere des Jeux Floraux. Son gout pour le droit se retrouve dans les nombreux traitds qu'il gcrivit, L'histoire attira aussi son attention avec Montmorency Gaulols et Polonia Felix. Forcadel avalt toutes les qualitis d'un homme illustre 3 Toulouse. Les avis etaient 110 cependant partagds sur ses; competences, Certains le traltaient de "sotM et d ’"incapable" QPaptre Masson, par exemple, dans Elogla Varia). Monier de Limoges, Frangois Habert, Aymar de Vabres, qu± fut son colldgue au

College de Rhdtorique, en firent l'dloge, Un sonnet de Gdrard Marla Im- bert ne le cite paa en termes trds flatteura;

Forcatel, que la muae et la jurisprudence Font fleurir tout ainsl qu’un arbre plantureux Helas! Que nous aerlons, que nous serions heureux, Si n ’estoit en ce temps la maligne influence . ^

XI est certain cependant que, mddiocre ou pas, une partie de 1 ’oeuvre de

Forcadel dtait apprdcide du public, compte tenu des nombreuses editions auxquelles elles donndrent lieu,

Pierre de Saint-Algnan^S obtint 1*Eglantine la meme annee ou

Pierre Pascal obtint le Souci et Michel de Mauleon la Violette (1547).

Deux autres pod9ies furent aussi primdes en 1549 (Souci) et en 1551

(Violette), Pierre de Saint-Aignan est connu pour son podme dedie 3 la reine de Navarre (intitule par une erreur du greffier "Sur le nom de la feu reine de Navarre"), ainsi que pour la celdbre epitaphe 3 Clemence tsaure, II passa Maltre en 1551 avec le chant royal "La nef flottant pour le salut du monde", 3 l ’age de vingt trois ans. Fort de cette gloi­ re littdraire, il obtint une charge officielle 3 l'Hotel de Ville de

Toulouse, En 1577, on le nomma historiographe officiel de la ville pour son travail sur les Annales, dont les manuscrits furent en partie de- truits pendant la Rdvolution, Entretemps, il afficha un orgueil visible

3 poursuivre une carridre podtique, gdndralement dans la veine elogieuse,

3 l*adresse des Capitouls ou du President du Parlement Villeroy.

Pierre Le Loyer (1550^1634) remporta l’Eglantine en 1572 pour I l l

"Al§ qui fut du Ciel par le Tonnant chassSe (sic)n , Angevin, il etait

l'ami de Ronaard et un dmule de du Bellay, C ’est certainement chez lui

que nous remarquerona le plus 1 ’influence de la PlSiade, Son poAme se

termlne par une note en grec qui atte9te de son Erudition d'humaniste,

Pierre Le Loyer dtait aussi magistrat et vint A Toulouse faire ses etu-

des de droit.

Jean de Chabanel (ct1560-c,1620), laureat de 1'Eglantine en

1575, etait un tout Jeune homme quand il devint recteur de la Daurade.

II est parmi les rare9 candidats qui n ’aient pas poursuivi d'Atudes de

droit. Cependant, un doctorat en theologie le preparait tout autant A

la maitrise de l'art de l’dloquence, Outre quelques ouvrages sur 1*his­

toire de Notre Dame de la Daurade, il est aussi l’auteur d'un traite sur

Les Sources de l'eldgance franqatse, ou du droit et naif usage des prin-

pipales parties du parler frangais (1612) qui jette quelques lumieres

sur les critSres d'elegance stylistique dans une assemblee litteraire de

province.

Pierre Dampmartin, laureat de la Violette en 1567, passa ensuite au service de Jeanne d ’Albret, reine de Navarre. II devint procureur

ggnSral du due d'Alenqon, conseiller du roi et plus tard, en 1585, gou- verneur de Montpellier. Son oeuvre defend ardemment la cause royale.

II dedia A Henri IV Les vies de cinquante personnes illustres. De la

connai9sance et merveilles du monde et de 1 ’homme, qui fut reimprime en

1592 aous le titre Du bonheur de la cour et vraie felicite de 1'homme.

Le Dictionnaire dea Lettres Franqalses (Seizieme Siecle) men-

tionne aussi Jean Pornier. NS A Montauban en 1530, on s'etonne qu'il remporta l1Eglantine en 1541, Son oeuvre est extremement variee. Elle 112

comprend une chronique aur sa ville natale C1562) , une traduction f r a n r .

9aise de l*histoire de la guerre des AlMgeoia (Toulouse, 1562) , des

Chansons Lyriques (Toulouse, 1555), L'Uranie contenant l'horoscope de

Henri II en dlx huit sonnets plus 1 'Uranomachie (Paris, 1555) et meme deux cent un Eplgrammes grotlques (Toulouse, 1557).

Antoine Nogueri (Noguier) est mort aux alentours de 1570. II remporta le Souci en 1550, la Violette en 1553, et 1*Eglantine en 1547.

II passa Maitre en 1553. II publia aussi une Eridographle en rimes

(Toulouse, 1552) et une Histoire toulousaine jusqu'A l'annee 1323

(Toulouse, 1559).

Jehan Samxon de Lacroix (dates de nalssance et de mort incon- nues) etait "licencie en lois". AprSs avoir remporte la Violette en

1554, 1'Eglantine en 1556 et le Souci en 1558, il se consacra A faire des traductions. II fut aussi lieutenant du bailli de Tourraine.

Frangois Blaisot ne remporta qu'une fleur aux concours de Tou­ louse (Violette, 1559), La meme annee, il publia une traduction de Lu- clen (Toulouse, 1559). II etait originaire de Mussy-L'Eveque.

Bernard de Poey de Luc apparalt aussi sous le nom latin de Ber­ nard de Podius (Eglantine, 1551; Souci, 1553). En 1560, il remporta la

Violette et passa Maitre, Colletet le mentionne dans sa Vie des poetes gascons. II est aussi responsable de poesies ronsardisantes, Les Odes du Gave, fleuve du Bearn et du fleuve de Garonne (Toulouse, 1551).

Pierre de Brach (c, 1548r.l605) jouissait d'une certaine reputa­ tion sous Henri IV. Son oeuvre est abondante, Elle contient les Amours, des hymnes, des odes (1576). Ses Imitations (1584) sont dSdiees A la 113 reine de Navarre, 11 ^ejnporta lfEglantine en 1567,

On ne peut pas ne pas etre frappd par l’abondance de la produc­ tion de 1’ensemble des po&tes du Livre Rouge. La majeure partie d ’entre eux ne ae sont pas arretHs au coup d ’essai des Jeux Floraux, Encoura- gSs par leur succSs, ils publi£rent des traductions, des ouvrages litte- raires ou Juridiques, Meme si, comme le critique Reinhold Dezeimeris le remarquait en 1858 dana le cas de Pierre de Brach, ° on pense que

1’ensemble de ces pofites ne sont pas de force 5 soutenir une rehabili­ tation complete, on doit appricier l’enthousiasme createur, la recher­ che insatiable des jeux de 1 ’esprit,

Beaucoup d'entre eux sont tombds dans l’oubli, mais aux yeux de leurs jeunea contemporains, la frdquentation de tels noms que Pierre de Brach,

Pierre Le Loyer, Pierre Dampmartin, Pierre de Pascal valait le sSjour a

T o u l o u s e ,

Les Jeux Floraux de Toulouse peuvent s ’enorgueillir d*avoir au reconnaltre le talent prdcoce d*auteurs comme Pey de Garros, Salluste du

Bartas et Robert Garnier. Les chants royaux qu’ils presenterent aux concoura faisaient partie de leur toute premiSre oeuvre, Les Jeux Flo­ raux leur fournirent le tremplin qui lanqa leur reputation, Ces trois po£tes auraient pu se sentlr brides par les contraintes du chant royal des Jeux, mais ce ne fut le cas, car ils continuerent 4 en utiliser la forme, Seul Pey de Garros ne se sentira pas a l'aise dans la peau de

Pierre Garros, comme les Jeux le stipulaient. La meilleure partie de son oeuvre est, en effet. en occitan,27

Henri Chardon fut le premier 9 s’interesser aux premieres publi­ 114 cations de Robert Garnier dans son livre Robert Gamier, sa vie, ses podsies inddites QParfs: Le Mans, 1905), 11 ddclare:

On voyait au nombre des laurdats des Jeux Floraux: Claude de Terlon, Guy du Faur de Fibrac, le cdldbre auteur des Quatrains, Etienne Forcadel, le rival de Cujas, Jean de Rangouse, Jean Cognard, comme lui membre du Parlement de Toulouse. Aussi disait-on que le Parlement avai.t envahi l'Academie. Comment Garnier ne seraitr.il pas devenu poete 3ur un pareil terrain, et n'aurait-il pas dtd tentd par l'espoir d'etre leur emule?28

La recompense de la Violette en 1564 fit du Jeune Garnier un heros poe- tique de la ville. Lors de lfentrde de Charles IX d Toulouse en 1565, ce fut la responsabilitd de Garnier de composer quelques sonnets en son honneur. L ’annde suivante, il fut primd de 1'Eglantine avec un chant plein d'horreur mais chargd d'espoir "La mer n'est pas toujours bouil- lonante en oraige", Garnier serait passd Maltre si les troubles de la

Ville ne l'avaient pas fait partir pour Paris. Le succSs qu'il rempor­ ta lui servit de passeport pour la publication de poesies qui lui te- naient plus d coeur. II en fit une gerbe sous le titre Plaintes amou- reuses de Robert Garnier, manceau, contenant Elegies, Sonnets, Epitres,

Chansons. Plus deux eglogues, la premiere apprestee pour reciter devant le Roy et la seconde recitge devant la Majeste du Roy en la ville de

Tholose (Toulouse: Colomiez, 1565). C'est le titre donne par le Lyon­ nais Antoine du Verdier dans sa Bibllotheque Francaise. Ce dernier, en effet, avait demande A Barthelemy Balliste, laureat des Jeux Floraux en

1556, 1559 et 1562, de lui faire part des podtes primes aux Jeux. C'est ainsi qu'il aurait connu les poesies de Jeunesse de Garnier . ^ Robert

Garnier s'exe^a b dliminer le souvenir de cette plaquette, moins parce qu'elle contenait ses premiers essais aux Jeux Floraux que parce qu'elle 115

compromettait certainea dames«

Robert Garnier garda un bon souvenir de son sdjour A Toulouse,

II le dlt lui*-meme;

Je lalssal ma liesse au jaloux Hymende Et trlste abandonnay ce rivage c h e r i . 3 0

Toulouse conserva son souvenir et fit meme imprimer ses tragedies.31

Garnier en rapportait aussi des amitiis pulssantes comme celle de Guy

du Faur de Pibrac qui avalt ddjA protSgS ses debuts A Toulouse. Le poe­

te lui dddia Marc-Antoine en ces termes:

A qui doysr-je plus justement presenter de mes poemes qu'A vous, Monseigneur, qui les avez le premier de tous favorisez, leur donnant hardlesse de sortir en public. Que Marc-Antoine ait l'honneur de vous etre agreable... et mes autres ouvrages se hasteront de voir le jour, pour marcher en toute hardlesse sur le theatre francoys, que vous m'avez jadis fait aimer au bord de votre Garonne.32

Henri Charrion remarque une analogie frappante entre la nature d*esprit de ces deux magistratst'poAtes du XVIe siAcle.

Ses liens avec Toulouse dtaient si etroits que Garnier dedia sa premiere

tragddie Porcle A un autre Toulousain de renom qui marqua les Jeux Flo­ raux; Etienne Potier de la Terrasse (Malnteneur de 1 5 5 8 A 1 5 8 3 ). 33

Gamier ne s'emancipera totalement de ses liens avec Toulouse que bien f plus tard. Un tel attachement montre bien que la ville n*etait plus le centre de "barbarite" qu1Etienne Dolet avait connu. Le vent de la re­ forme et de l'humanisme y avait fait naitre un nouveau ferment litterai- re dont les membres, dans l'adversite, etaient encore plus lies.

En 1 565, un des candidats malheureux de l'annee precedente rem­ porta la Violette; Salluste du Bartas (1544-1590), 11 etait ne A Mont- fort, pres d'Auch et, aprSs des etudes au College de Guyenne A Bordeaux, 116

tl alia "faire son d^oit" d Toulouse, comme la plupart de ses condign ciples, On salt peu de chases sur ses anndes passdes d Toulouse, ou meme aur sa vie en gdndral. De nature, Sallugte du Bartas dtait assez dlscret. On salt cependant qu'il fut l’ami Intlme de Pierre de Brach

(Eglantine, 1567), qui luinmeme dtait trds lid d Montaigne et corres- pondait avec Juste Lipse,-^ Salluste du Bartas ne s'engagea que tard dans les Guerres de Religion et 11 manifests 3ouvent une profonde aver­ sion pour les luttes fratricides dont 11 dtait le tdmoin. C'est cer-

tainement d cause de cette moddration qu'il trouva sa place en 1565 aux

Jeux Floraux de Toulouse od 11 obtint la Violette. A cette epoque, 11 etait plus engagd dans le parti d'Apollon que celui de Mars. Pierre de

Brach, quelques anndes plus tard, lui rappella la vrale mission du poete:

Car, pour suivre Apollon, 11 faut quitter les armes.35

Pey de Garros apparait dans le Livre Rouge sous le nom francise de Pierre Garros, quelques annees avant d'etre totalement engage dans la renaissance littdraire occitane. II etait ne entre 1525 et 1530,a

Lectoure, d'une famllle de petite noblesse. II vint lui aussi poursuivre des dtudes de droit d Toulouse et frdquenta, comme Henri Chardon aime d 36 le dire,, les Muses et Thdmis comme cela etait habituel d Toulouse.

II remporta la Violette en 1557. II obtint aussi son titre de docteur en droit, qui lui valut de hautes fonctions d la cour de Navarre. II mou- rut en 1581, sans avoir eu plus d'honneurs aux Jeux Floraux de Toulouse.

Notre but n'est pas de dresser un catalogue des quelques soixan<- te quatorze poetes des Jeux Floraux qui sont inscrits dans le Livre Rou<- ge. On peut cependant trouver parmi les plus celebres d'entre eux (ceux 117

par exemple qui aont mentionnes dans le Djctjonnaire de9 Lettres Franr*

gaises) certains ddnominateurs communs, Ils dtaient tous de grande jeu^

nesse et avaient un profand enthousiasme pour l'dcriture, Par elle, ils

espdraient pouvoir s*affirmer socialement. Les Jeux Floraux leur en

donnaient la chance, Meme s fil eat difficile de tracer la vie de la majoritd dea podtes du Llvre Rouge, il eat certain que beaucoup acce- d&rent & de hautea fonctiona au sein de la socidte toulousaine ou meme

franqaise, Ils ne cessdrent pas d ’dcrire aprds les encouragements des

concours, ce qui montre un certain intdret pour les lettres et le rayon- nement qui les entourait.

Franqois de Gdlis propose un intdressant commentaire sur les poetes de Toulouse au XVTe sidclej

Jeunes, pleins d fardeur, d ’enthousiasme, de confiance en eux- memes, ils veulent dchapper au joug de la vieille scholasti- que et retremper la science aux sources vives que les explo- rateurs, les physiciens, les astronomes ont recemment decou- vertes en parcourant l ’univers ou en etudiant les lois.^

A la lumidre des textes, nous tenterons de voir dans- quelle me-

sure noua pouvona parler avec Salvat du Gabre, Franqois de Clary, Gabri­

el Terlon et Franqois de Chalvet de cette "pleiade toulousaine" qui fait

1 ?enthousiasme de Franqois de Gelis.

Nous devons aussi rejeter la pretendue modestie litteraire que

certains, comme Jehan de Boysson, affichaient. La seule mise en compe­

tition de leurs oeuvres prouve une pretention a la gloire certaine.

Je suis marry que Lampignan vous ait Faict un grand cas de chose qui n ’est rien, De mes escritz, lesquels sont peu de faire, Et meriter ne sauraient aucun b i e n . 3 8

L ’dcriture etait chargde de connotations culturelles, sociales et theo- 118 loglques

* CAPITOULS CHANCELIERS MAITRES MAINTENEURS ire e Solages de Pierre d'Aurival ireL Brun Le Pierre Boix Pierre enr d Galhac de Bernard L'Hopital de Berenguier Bernard de Puybusque de Bernard Germain de la Roque la de Germain Pierre Adam Pierre Ruppe de Gaston Auriolli Blaise ea d Caaga Per d Faur du Pierre Chavaignac de Jehan Formigal Jehan 1513 TABLEAU RECAPITULATIF DES NOMINATIONS AU COLLEGE DE RHETORIQUEi(1513-1583) DE COLLEGE AU NOMINATIONS DES RECAPITULATIF TABLEAU

Mirs Mitnus Luet, Capltouls) Laureats, Mainteneurs, (Maitres,

Seguier Augier Madron Augier Jehan de la Recepte la de Jehan David Germier 59 1535 1519

uili Bas d'Auriol) (Blaise Auriolli ihl ar (u Faur) (du Fabri Michel Malefosse e osne (Jehan) Boysonne de Ponte) (de Pont du Villeneuve de (Jean Pedro Sancto de e a Roaysse la de Coignardi Scorbano de de (Arnaud Pedro Sancto Saint<-Pierre) Saint-Pierre)

119 FLEURS CAPITOULS MAITRES MAINTENEURS Colgnardl (erreur du Charles Benoit de Cepet Pierre Potier de la Terrasse la de Potier Pierre Cepet de Benoit Charles du (erreur Colgnardl ourle Per Trassebot Pierre Noguerolles Vieillevigne Galhac de Pierre ilte Voet: end Corrier de Jean Violette: Violette: Pauc ac (oc) Guh Tro (Claude) Terlon Gauch: (Souci): Gauch derci remplace Almeny remplace derci le greffier Gabriel Co- Gabriel greffier le Pierre trassebot Eglantine; Jean Rus Jean Eglantine; Pertuiz du Hector trassebot Pierre rfirmlr) rmlc e rn (epaeBas d’Auriol) d Blaise (remplace Brun) Le (remplace greffiertmaltre) 1539

1540 Violette; Mercadier de Besse de Mercadier Violette; E g lantine; Jean Fournier Jean lantine; g E Souci; Pierre du Cedre du Pierre Souci; 1541

120 1542 1543

Jehan de Boysson

Pierre du Cedre

Souci: Jean de Saint- Souci: Taste Souci; Mercadier de Besse Hilaire Eglantine: Mejany Eglantine: Frangois Revergeat Eglantine: Jean Corrier Violette: Pierre Pascal Violette: Etienne Forcadel Violette: Jean Rus

1545 1546 1547

Francois Bertrandi (rem­ place Gratien du Pont) omis par le greffier

Souci: Aymar de Vabre Eglantine: Pierre Pascal Souci; Pierre Pascal Violette: Pierre Chomyer Eglantine; Pierre de Saintr Aignan fLEURS L I T R E S MAINTENEURS Violette: Jehan Flavin Souci; Antoine Noguier Antoine Souci; Flavin Jehan Violette: gatn: ngn oue Voet; ahe d Cavt gatn; end Flavin de Jean Rangouse de Eglantine; Jean Violette: Chalvet de Salnt^Algnan Mathleu de Violette; Pierre Souci; Noguier Antglne Reyergeat Eglantine: Frangois Souci; / 1548 Labroc Revergeat Francois ire Pascal Pierre 591550 1549

Michel Durban de Mauleon de Durban Michel Jean de Coras (remplace Potier (remplace Coras de Jean rfir Brad Codercl Bernard greffier; e a Terrasse) la de

122 FLEURS CASPITOULS MAITRES ilte Per d Saint- de Pierre Violette; gatn; enr Podius Bernard Eglantine; oc; Terraube Souci; 511552 1551 Aignan

ire e an-inn arc d Labroue) (de Labroc Saint-Aignan de Pierre ilte Gilued Cayret de Guillaume Violette; gatn; non Blegier Antoine Eglantine; oc; en Carles Jean Souci;

Antoine Noguier Antoine e a Chapelle la de Violette; Antoine Noguier Antoine Violette; Eglantine: Frangois Moeam Frangois Eglantine: Souci; Bernard de Poey de Bernard Souci; 1553

123 FLEURS MAINTENEURS Violette: Samxon de La~ de Samxon Violette: oc; ea d Barot de Jehan Souci; 1554 croix

Violette; Jean Corbier Jean Violette; gatn: ulam d Cayret de Guillaume Eglantine: Souci; du Buis (seule poSsie (seule Buis du Souci; rme ncie et annSe^ cette inscrite primee IS) 551556 1555

ahe d Cayt (remplace Chalyet de Mathieu ilte Gilue e Lagran*' de Guillaume Lacroix de Violette; Samxon Eglantine; Souci; Barthelemy Balliste Barthelemy Souci; Frangols de Bertrand!) de Frangols ge

FLEURS CHANCELIERS MAITRES MAINTENEURS Pierre de Papus (remplace Guy du Faur de Pibrac de Faur du Guy (remplace Papus de Pierre ilte Per Garros Pierre Violette: Eglantine: Louis de Bonnes Eglantine: Jean de Figon de Jean Eglantine: Bonnes de Louis Eglantine: Souci: Guillaume de Cayret Souci: Samxon de Lacroix de Samxon Souci: Cayret de Guillaume Souci: Durban de Mauleon) Etienne Potier de la Terrasse la de Potier Etienne Mauleon) de Durban 57 1558 1557 o Voet; end Cardonne de Jean Violette; foy Michel du Faur du Michel rmlc end Saint de Jean (remplace Pierre)

Samxon de Lacroix de Samxon ilte Fagi Blalsot Frangois Balliste Violette; BarthSlemy Eglantine: Soucij Guillaume de Lagrange de Guillaume Soucij 1559

125 1560 1561 1562

Francois de Lagarde (rem- place de Boysson)

*

Guillaume de Cayret

Souci; Antoine du Tinctun Souci; Jean de Cardonne Souci; BarthSlemy Balliste rter Eglantine; Guillaume de La*- Eglantine; Denis Bouthllller Eglantine: Jacques de Bon- grance Yiolette; Jehan Laurens nefoy Violette; Jean de Rleux Violette: Bernard de Poey

1563 1564 1565

Noguerolles de Lacroix

Souci; Le Mercier Souci; Rodolphe Gay Eglantine; Jean de Cardonne Eglantine; Etienne Gasteull Violette; Robert Garnier Violette; Guillaume Salluste 126 du Bartas FLEURS MAITRES ilte Dardene Violette: gatn: oet Garnier Robert Eglantine: oc: are TerIon Gabriel Souci: 1566

end Cardonne de Jean Violettej Pierre Dampmartin Pierre Violettej gatn: ire e Brach de Pierre Eglantine: oc: ulam Bernard Guillaume Souci: 57 1568 1567

ex annulSs Jeux 127 FLEURS CAFJTQULS CHANCEL!ERS LITRES HAINTENEURS en eRco Ja d Valliech de Jean Rochon de Jean urnd’lo Faci d aad (demission Lagarde de Faur) Francois du Guy de Mazade de Etienne Borderia de Jean Duranti Etienne Jean ’Alzon d Guerin Latomi Violette: Lois du Pin du Lois Violette: rfir Per Coderci Pierre greffier: Bouyant Maderes Yves Souci; Violette: Ter- de Gabriel Eglantine: Jean-Baptiste Souci: 5917 1571 1570 1569 elu Elnie Eine Palot Etienne Eglantine; Bellaud o • Ion

Aldibert de Valliech de Aldibert Barthdlemy Balliste Barthdlemy

ex annulgs Jeux 128 FLEURS CHANCELIERS MAINTENEURS Michel du Faur du Michel nin aneer ri- en eot e ee (remplace Cepet de Benoit Jean rein- Mainteneurs anciens Violette: Rodolphe Gay Eglantine: Salvat du Gabre du Salvat Eglantine: Gay Rodolphe Violette: gatn: ireL oe Voet: ulam Bernard Guillaume Violette: Loyer Le Pierre Eglantine: oc: ten ao Sui Faci d Chalvet de Francois Souci: Palot Etienne Souci: ers u d Faur) du Guy tegres 1572 531574 1573

Jeux annules Jeux FLEURS CAPITQULS CHANCELIERS MAITRES MAINTENEURS Latomi (remplace Michel (remplace Latomi Lagarde) de (remplace Costa de Chapuls de Francois gatn: ea e h- Elnie Rdlh Gy gatn; en-are d*Urdes Jean^-Gabriel Eglantine; Gay Rodolphe Brie Eglantine; Jehan Violette: Cha-- de Jehan Eglantine: Souci: Francois de Clary Souci; Antoine Cavalier Souci; Jehan Brie Jehan Souci; Cavalier Antoine Souci; Clary de Francois Souci: u Faur) du 1575 ae Voet; avt uGbe ilte Fagi d Chalvet de Frangois Violette; Gabre du Salvat Violette; banel

axn eLcox e a Calmontie la de Lacroix de Samxon 1576 oope Gay Rodolphe

1577 130 FLEURS CAJPXTQULS MAITRES MAINTENEURS FLEURS aqe Dfi (remplace Daffis Jacques Violette: Jacques de Puy- de Jacques Violette: Brie de Jean de Frangois Violette: rnos e Chalvet de Frangois io e aad (remplace Garaud de Simon Sevestre Jehan Eglantine: gatn: rnos de Francois Rivasson Eglantine: de Jean Souci: Rudelle de Souci: Jean de Puymisson de Jean Souci: Duranti) Papus) de Pierre 1581 1578 misson Chalvet Clary

ilte Ja e Rivasson de Jean Violette; ex annulds Jeux ’Urdes d Gabriel Souci: gatn: e Brie de Eglantine: 1582 1579

ire uFu d Saintr-Jory de Faur du Pierre ex suspendus Jeux ilte ? incomplete ? Violette; Eglantine; Jacques de Puymisr- de Jacques Eglantine; oc; ayt u Gabre du Salyat Souci; rmlc oir e la de Potier (remplace Terrasse) 1583 son

132

Notes Chapitre III

Cite par Richard de Boysson, Jehan de Boysson: un humaniste tou- lousain (Paris: Picard, 1913), p. 29. 2 Frangois de Gelis, "Les Jeux Floraux pendant la Renaissance et les

Guerres de Religion. Quelques renseignements inedits sur Jean-Etienne Du- ranti," Memoires de l'Academie des sciences de Toulouse, 6 (1918): 159. 3 Jean de Coras etait un celebre professeur calviniste. II fut Main- teneur des Jeux Floraux de 1550 a 1572. 4 Claude Longeon, Une Province francaise a la Renaissance: la vie in- tellectuelle en Forez au XVIe siecle (Saint-Etienne: Centre d'Etudes Fore- ziennes, 1975), p. 86.

^ Robert Escarpit, Sociologie de la litterature (Paris: Presses Uni- versitaires de France, 1958), p. 115. 6 AD xxiii. 7 AD 168." 8 Henri Weber, La Creation poetique au XVIe siecle de Maurice Sceve a

Agrippa d'Aubigne (Paris: Nizet, 1956), pp.34-36. 9 Michel Jeanneret, Poesie et tradition biblique (Paris: Corti, 1969), p. 309. 10 Guillaume Salluste du Bartas, L'Uranie in The Works of Guillaume

Salluste du Bartas, ed. Urban Holmes, John Lyons, Robert Linker (Chapel

Hill: University of North Carolina Press, 1938), II, 178-179. 133

‘L1 Pontus de Thyard, Oeuyres. Solitaire premier, ed. Silvio F. Bari- don (Geneve: Droz; Lille: Giard, 1950), p. 22. 12 AD 40. 13 AD 40. 14 Thomas Sebillet, Art poetique francoys, ed. Felix Gaiffe (Paris:

Hachette, 1910), pp. 9-11. 15 Jeanneret, p. 316. 16 Jeanneret, p. 310. 17 CitS par Jeanneret, p. 311. 18 Longeon, p. 93. 19 Les recherches de Franqois de Gelis offrent de nombreux renseigne­ ments sur les poetes les plus importants: "Quelques poetes des Jeux Flo- aux aux XVIe et XVIIe siecles," Memoires de l'Academie des sciences de Tou­ louse, 1 (1923): 61-91; "Les poeteB humanistes des Jeux Floraux," Memoires de l'Academie des sciences de Toulouse, 7 (1919) : 45-68. Guillaume Colletet mentionne aussi quelques poetes des Jeux Floraux dans La Vie des poetes gascons (Jacques Philippe Tamizey de Larroque, ed., Paris, 1886; rpt. Geneve:

Slatkine, 1970) . Ce dernier consacre un chapitre entier a Bernard de Poey

(Bernard Podius dans le Livre Rouge, ou meme du Poy),pp. 29-46. Colletet n'a pour lui aucun egard lorsqu'il declare:

II nasquit en la ville du Luc en Bearn soubs le regne de Francois premier. Et en disant cela je ne croy pas que ny le temps ny le lieu de naissance que je designe soient capables d'abord de per­ suader mon lecteur que je lui parle d'un poete fort elegant et fort poly. Comme nostre langue n'estoit presque alors qu'en son berceau, on n'en pouvoit pas attendre de si rares productions et apres tout on peut croire que le voysinage des monts Pyrenees n'inspire pas ce doux air des montagnes de la Grece et qu'en cela le vaste flueve du Gave ne vaut pas le petit ruisseau de la fontaine de Castalie. (p. 32) 134 20 Gelis, "Quelques poetes...," p. 61. 21 Gelis, "Quelques poetes...," p. 69. 22 Pierre Paschal etait une figure importante a son epoque. II fut historiographe d'Henri II. On trouve des references S son nom dans de nom- breuses oeuvres. L'humaniste normand Turnebe le bafoua dans une epitre sa- tirique que du Bellay traduisit en vers frangais (Nouvelles manieres de faire son profit des lettres.) Ronsard lui decocha aussi un virulent pam- 4 phlet en latin (Dictionnaire des Lettres Frangaises, Seizieme Siecle, p. 555.) II est aussi cite plusieurs fois dans Discours des Miseres de ce temps de Ronsard (1562) et les Gaietez d'Olivier de Magny (1554) lui sont dediees. Olivier de Magny, natif de , ecrivit aussi dans les Souplrs:

Paschal, je voy icy les courtisans Remains Ne faire tous les jours que masques et bombances (sonnet CXLVII, ed. Blanch, t. 2, p. 112, cite par Charbonnier, Felix, La PoSsie frangaise et les Guerres de Religion, 1920; rpt. Geneve: Slatkine, 1970, p.112.) 23 Gelis, "Quelques poetes...," p. 75 et Frangoise Joukovski, 6d.,

Oeuvres poetiques de Forcadel (Geneve: Droz, 1977), pp. 7-81. 24 Le Dictionnaire des Lettres Frangaises, Seizieme Siecle (p. 329) porte sa date de naissance a 1534, ce qui est difficile a croire, compte tenu du fait qu'il composa le chant royal prime aux Jeux Floraux en 1544.

La date de sa mort est aussi incertaine. Alexandre Ciaronesco (Bibliogra- phie de la litterature franqaise du XVIe siecle, Paris: Klincksieck, 1959, p. 322) mentionne la date de 1579 au lieu de 1573. 25 Gelis, "Quelques poetes...," p. 79. 26 Reinhold Dezeimeris adressa une lettre a l'Academie des Jeux Flo­ raux faisant part de la reedition des oeuvres de Pierre de Brach. Cette lettre sert de preface aux Oeuvres Poetiques de Pierre de Brach, §d. Rein- 135

hold Dezeimeris (1861-1862; rpt. Geneye: Slatkine, 1969.) II dit (xiii-xv):

Ce Pierre de Brach, qui fut un des amis de Montaigne, habita Tou­ louse dans sa jeunesse. II y connut, pendant qu'il faisait son droit, Du Bartas et divers autres personnes celebres...Ses poSsies furent louees par Juste Lipse, par Daurat, par Turnebe, par Balf, par Pasquier; et plus tard, Guillaume Colletet, un des membres de l'Academie Frangaise naissante, "pr£ferait quasi De Brach a tous les poetes de la meme epoque."

Dezeimeris modere cependant son jugement:

Ces vieux vers, sans doute, ont besoin de beaucoup d'indulgence de la part du lecteur; ils ont besoin que l'on se souvdenne que Malherbe n'avait pas encore paru lorsqu’ils furent ecrits. 27 Pey de Garros est celebre pour ses Poesias gasconas (1567) contenues

dans Les Eglogues, suivies du chant nuptial ed. Andre Berry (Toulouse: Pri-

vat, 1953). 28 Henri Chardon, Robert Garnier, sa vie, ses poesies inedites (Paris:

Champion, 1905),p. 17. 29 Chardon, p. 39. 30 Chardon, p. 42. 31 Judith fut cotmnencee a Toulouse en 1565. 32 Henri Chardon, Robert G a m i e r , p. 43. 33 Etienne Potier de la Terrasse, Mainteneur des Jeux Floraux de

1558 a 1583, etait aussi secretaire du roi et maitre des requetes a son

hotel. 34 Georges Pellissier, La vie et les oeuvres de du Bartas (Paris:

Hachette, 1883), p. 8. 35 Pellissier, p. 9. 36 Henri Chardon, Robert G a m i e r , p. 16. 37 Frangois de Gelis, "Les poetes humanistes des Jeux Floraux," p. 45. 136

Cite par Richard de Boysson, Jehan de Boysson, p. 227. 4

' CHAPITRE IV

LA "LEGENDE" D ’UNE EPOQUE

137 138

De mil et mil excez tout le monde estoit plain, La terre en mil party estoit ensanglantee, De l'inhumanite de ce murdre inhumain II n'y avoit maison qui peust etre exemptee; Les peres ja grisons voyoient devant leurs yeulx Leurs enfens egorges d'ung poignard furieux, Car les monstres villains ne paissoient leur couraige Que des seulles horreurs d'un continu carnaige. Robert Garnier (Eglantine, 1566)

1. Une oeuvre collective

Le corpus du Livre Rouge est une oeuvre collective, meme si chaque poete y a fait entendre s a voix propre. En effet, les seules poesies qui nous soient restees sont celles qui ont su plaire au gout du jury des concours poetiques, Mainteneurs et Capitouls de la ville de Toulouse. C'est ainsi une oeuvre de "conformite", dans le but de remporter les fleurs convoitees. Dans son essai Sociologie de la litterature, Robert Escarpit examine le comportement des jurys de concours litteraires et per^oit en eux une attitude de connaisseur plus que de consommateur, quoique les deux notions soient tres proches l'une de 1'autre.^ Le choix du jury litteraire est done plus determine par l'esprit que par le coeur. De la meme maniere, Mainteneurs et Capitouls etaient fascines par les plaisirs de la forme et les jeux de l'esprit.

Dans La Revolution de langage poetique,^ Julia Kristeva analyse le phenomene des salons litteraires, certes a une periode plus tardive que celle qui fait l'objet de notre etude; ses commentaires, toutefois, peuvent s'appliquer au phenomene litteraire de Toulouse. Comme le

College de Rhetorique de Toulouse, les salons sont une "micro-societe", un groupe interne et parfois transversal a travers les classes, dans 139

lequel se constitue un pouvoir parallele au pouvoir de l'Etat, ou

plutot dans lequel se repr&sente le support Indispensable aux projec­

tions des fantasmes soclaux. Selon elle, 1'unite sociale eclatee nSces-

site la reconstitution dans le corps social de mini-Etats: ce sont des

supports auxquels les sujets peuvent s'identifier en y projetant leurs

desirs et leurs manques. Julia KristSva volt dans ces salons upe

structuration m§ta-familiale, souvent centree autour d'une presence

feminine, generalement sans enfant, amle et protectrice d'artistes et

d'hommes de lettres. L'analogie avec le College de Rhetorique de Tou­

louse est frappante. Dans une socletS en plein bouleversement, la

solide institution du "Gai Savoir" a tous les traits d'une mini-societe

avec des valeurs et des rites particullers, Elle ne va pas s'opposer a

l'Etat evanescent mais plutot en etre un de ses plus fideles supports.

La figure etheree de Clemence Isaure est, de plus, facilement assimi­ lable a l'idee de femme-dSsir, protectrice idSale des arts et des let­

tres. Le College de Rhetorique au XVIe siecle resta cependant une societe d'hommes. Quoique les femmes en aient exprime le desir, leurs oeuvres ne furent retenues. La cellule meta-familiale du College de

Rhetorique etait centrSe autour d'une seule femme id€allsee, en compa- ralson de laquelle les autres ne pouvaient rivaliser. Le principe d'autoritg du concours aglt aussi comme une ceremonie d'initiation pour gagner acceptance au sein d'une socleti etroitement soudee. Le

College, sous les ordres de la figure patriarchale du chancelier, en- couragealt souvent meme les enfants a participer avec de courts poemes.

Dans le cas du College de Rhetorique, la stricte mise en scene

("structuration", dans le vocabulaire kristSvien) du ceremonial et des 140

formes litteraires mises en competition revele l 1impression d'impuis-

sance et de derobade face a une suite d'evenements dont on avalt perdu

le controle, et en consequence une quete effrenee a la recherche de

l’ordre et de l’harmonie, cet "accord" qui est le leitmotiv du Livre

Rouge. Pour ces raisons, cette poesie nous paralt etre un precieux

temoignage de la mentalite et des moeurs du XVIe siecle, dans une vllle

de province. v

Dans La Poesie franqaise et les Guerres de Religion, Felix

Charbonnier n ’hesite pas a dire que la poesie religieuse et militante du XVIe siecle est la "legende" ou les "chatlments" de ce siecle.3

La reference a Victor Hugo s ’impose. Le jeune poete fut prime en 1820

et requ maitre en 1821. Dans Feuilles d ’Automne. il fait allusion &

ces oeuvres de jeunesse:

Toulouse la Romaine ou dans des Jours meilleurs, J ’ai cueilli tout enfant la poesie en fleurs.^

Apres avoir acquis ses "lettres de maitrise", il ecrivit aux Mainteneurs;

Aussi belle qu’5 sa naissance, Votre Muse se rlt des ans et des douleurs Le temps semble, en passant, respecter son enfance.^

Victor Hugo apprecia le souffle pantheiste religieux qui traverse la poesie des Jeux, Les poesies du Livre Rouge, tout en revelant les dgsordres et les contradictions de leurs temps, cherchent a embrasser une vision cosmique du monde, Le statut de la po§sle au XVIe siecle

faisait de la poesie le vehicule prlvilegie pour donner au drame toute

son ampleur. C ’est encore la poesie que Victor Hugo choislt, dans les

Chatlments, pour decrire "1’epopee humalne, apre, Immense, ecroulee"^ et tenter de resoudre le probleme de l ’homme. 2. Dieu

Le Livre Rouge s^inscrft dans la vaste littgrature religieuse de la Renaissance, en prolongeraent d ’une tradition mSdiivale oti le divin gtait li§ 5 toute activity artistique et culturelle. A la Renaissance, cependant. les preoccupations religieuses prendront un ton plus militant, plus politique, surtout vers la fin du siicle. i Tous les po£mes du Livre Rouge Svoquent une presence divine, dans un curieux melange d ’allusions palennes venues droit de 1’AntiquitS, et de references chrdtiennes et bibliques. Les po&mes exaltent la puissance de Dieu en insistant sur la prdcaritg de la nature humaine. Le Dieu au- quel les podtes font allusion n'est pas plus le Dieu des catholiques que celui des protestants, mals plutot une force de cohesion neutre qui en appelait a la conciliation et a 1’"accord" dans un monde chaotique. Dans

Devotional Poetry in France, Terence.C,Cave explique que les deux credos ne se trouvaient pas trds dloignds l'un de 1'autre dans leur transcrip-

7 ^ tion podtique. Au contraire, les memes caracteristiques se retrouvaient souvent chez bien des podtes de confessions deffSrentes, prouvant ainsi que 1*artiste de talent, ou qui aspirait au talent, cherchait a ddpasser l’iddologie par son art. L'ideologie devenalt un moyen non un but.

Paganisme et christianisme s’entrem§lent. Dieu est Apollon, Phoe­ bus, Jupiter, Neptune, Promethde, Deucalion, Acrisius, Demorgon, etc.

Toute la tradition culturelle et litteraire participe a 1 ’evocation de l'etre supreme, desacralisant la figure divine et dotant en retour les figures mythiques de la tradition culturelle d ’une nouvelle spiritualite.

Cette transposition materialiste n'a pas etd repoussee par l'eglise ca- tholique. Au contraire, elle evoquait avec d'autant plus de vigueur la 142

presence divine dans le monde. Elle slliaft religion et culture presque

inextricablement, Une telle poSsie dgfendait d-autant plus un ordre de

stability qu’elle Stait renforcSe de connotations mythiques tirees d'un

heritage commun, La croyance en Dieu, et en particulier dans un Dieu

neutre, chef de l'Eglise des chrgtiens, est 1'assurance du malntlen du

statu quo politique, social et religieux, C ’est pour cette raison que,

des 1560, lorsque les pogsies se firent plus militantes, les membres du

College en prirent ombrage. Ils demanderent expressement que les con­

currents fassent preuve de leur orthodoxie par un poeme en l'honneur de

la Vierge et des saints. Ils durent rgpgter leurs conditions en 1569.

Le Dieu qui transparait au travers des poemes se fait tour a

tour dSbonnaire, protecteur, r§dempteur, menaqant et vengeur, a la fois

sous 1'influence de l’optimisme jesuite ou des paradigmes de l'Ancien

Testament. On aimerait detecter une Evolution dans la perception de la

figure divine, allant comme on peut le constater dans 1 ’Evolution du

theatre de l'gpoque, d ’une image pleine de bonte a celle d'un Dieu cour- rouce 6t vengeur. II est difficile de distinguer une telle Evolution dans le Livre Rouge. Au contralre, le thgme de la vengeance de Dieu et

de la crainte qu’il inspire apparalt des 1548 (Jean de Flavin, Violette,

1548); Dieu dont le nom fault craindre et reverer® ' (v.3)

En 1552, Dieu est encore Jehova (Jova), courrouce par les hommes;

Prince, qui veult la haulteur entamer Du Tout-Puissant, et son ire clamer^- ( w . 56-57, Guillaume de Cayret, Violette, 1552)

En 1553 (Pranjois Moeam, Eglantine), Dieu est un soleil qui menace les hommes pour leur audace; 143

Le Soleil est Dieu qui la folle audsce De nous, pecheurs, par sa rigueur menace. ^0 ( w . 56-57)

En 1572, annee terrible dans l’histoire de Toulouse, Dieu se fait,

comme on s'y attend, encore plus vengeur. "Le grand Tonant", Jupiter,

tente de chasser sa fille Ate de l ’Olympe ou elle a seme la discorde

(Pierre Le Loyer, Eglantine). La Violette de cette annee reprend le meme theme mais sur un ton encore plus pathetique:

Apres que Dieu, autheur de ce mondain ouvraige, Contre nous lustement a courroux incit§, 3_!1 Par un orage d'eaux eust venge son oultraige (w.1-3, Rodolphe Gay)

En 1581, on trouve:

Apres que l'Eternel eut dardS ses vengeances Sur le funeste chef des peuples incenses Et qu'il eust abatu les fleres insolences Des flotz qui se monstroient contre l'homme offensSs ^ (w.1-4, Jacques de Puymisson, Violette)

Parallelement, les exemples de la bonte divine abondent. En

1543, le poete connu sous le nom de Mejany (Eglantine) remercie Dieu en ces termes:

Venez vous tost, afin qu'on sollempnise Par tout pays, par toute terre et ville, La paix que Dieu nous a du Ciel transmise. ^ ( w , 8»-10)

En 1541 et 1558, les poetes celebrent les bienfaits divins sur un monde autrement "transi". Jehan Fornier (Eglantine, 1541) s’eerie:

0 Croix, heureuse et bienheureuse Croix, Sur tous les biens faicts a nature humaine, Croix qui tira jadis le Roy des Roys De ses haulx cieux et celeste domaine (vv.1-4)

En 1558, Samxon de Lacroix (Souci) celebre le message de paix dont Dieu 144 se fait le porteur:

Cest ouvrler excellent pensoit en son. couraige De se rendre a jamais par se falctz admirable; Essaiant d'assopir le discord et la rage Qui regnoit au chaos lordement detestable, II voulloit tout renger en ordre pardurable, Loger le feu plus hault que l'air qui entretient Notre vye en souflent et les oyseaulx soubstient. ^ ( w . 1 - 7 )

t Pendant les Guerres de Religion, en 1576, 1577, 1578, certains pofctes cherchent en Dieu la redemption et le rSconfort moral:

Cette source d'eau claire est Dieu, le Createur: Par sa course j'entends le sainct Consolateur. ( w . 56-57, Francois de Clary, Violette)

Face a la tragedie nationale, Dieu sera ou reconfort ou juste censeur. Le Dieu de l'Anclen Testament denonqait la folie des hommes; outre les atrocites des Guerres de Religion, les occasions Staient par allleurs nombreuses pour falre allusion £ la vanite de la condition humaine. C'est la dichotomie de 1 ’image humaine qui fait se combiner sous la plume des poetes, les Images d'un Dieu bon et celles d'un Dieu v e n g e u r .

3. L'homme et ses angoisses

Le theme de la faiblesse humaine et de l’entiere dependance de l'homme face a la volonte divine traverse toute 1'oeuvre du Livre

Rouge. Nombreux sont les poemes evoquant la misere de la condition humaine et, avec les Guerres de Religion, ce theme prendra une dimen­ sion encore plus dramatique. A la perspective philosophique se joindra un cote profondSment humain.

Le premier po£me date de 1539 (Pierre Trassebot, Gauch), 145

L'ecriture du texte et celle de la signature se rapprochent, ce qui mene a croire que c'est Pierre Trassebot lui-meme qui a transcrit son

/ poeme dans le Livre Rouge. Le poete donne au theme de la mis£re hu­ maine toute son ampleur. Ceci est du en partie au leitmotiv du refrain

qui martele inlassablenient "Que la vye des humains est perpetuellement

guerre en ce monde". Le poete gerait devant les violences de la .guerre;

devant elle, il se trouve sans defense, sans "cop nul d'espee, picque

ou lance" et il ne peut "patir" les atrocitgs presentes. Si ce n'est pas la guerre, "l'hommeau" est assailli par d'autres calamites, toutes aussi cruelles: la maladie, la faim et tous les aleas climatiques qui rendent la vie encore plus fragile?

Or, supposons que charte plus ne soit, Et que chacun remplist tres bien sa pance, Le corps humain, ce nonobstant, reqoit D'autres griefs maux: pour la grasse despense Hal nous assault sans qu'3 mort l'on pense; Le froid, le chaud nous vient embrasser, Pluyes et ventz ne cessent de poulser, Foudre, tempeste, esclairs, gresle, tonnerre. Ceci pens§, l'on peut bien prononcer Que vye humaine a icy toujours guerre. ( w . 21-30)

En 1543, Taste (prenom inconnu), qui remporta le Souci, evoque aussi les malheurs du siecle. Dans 1'envoi, il s'eerie:

Prince, le siecle en peche deploure. Fut noyre nuict et temps intemperS ( w . 56-57)

L'abandon du monde est total; la terre est bannie, "defiguree", sans fleurs ni fruits:

Morte sembloit la vye mal duysante En ce dur temps d'horreur containing; Rien n'etait veu que bruyne et tourmente, Merveilles est que tout n'a ruyni! 146

Atlas trembla et cassa l ’harmonie Du monde rond, veu la beaute ternye Du ciel tant painct, tant poll, tant dore. Mille douleurs eut l'humain esplori Et comme oysive a la mort accusee, Puys que malheur eut alnsl esgare Le poinct du jour et la douce rousSe. 12 ( w . 12-22)

Meme lorsque le ton est a la joie, comme dans le chant royal de Mejany

(Eglantine, 1543), le bonheur id§al ne peut etre evoque que par le negatif, c'est-a-dlre 1'absence de maux. Mejany se rejouit de la paix, car:

Plus ne seront tant de gens soucieux Quand la trompette ou le cor a mort sonne Plus ne seront sans logls soubs les cieulx L'este, l'hiver, quand vente, gresle ou tonne; Plus ne mourront piteusement en presse, Princes, barons, et autres grand noblesse, Des deux costes, § cinq cent et a mille. 20 ( w . 22-28)

Outre les aleas des circonstances, les poetes s'en prennent aussi & la misere de la condition humaine. Le poeme de Pierre Trassebot (Gauch,

1539) se complait dans le morbide, mais ne manque pas de sincSrite:

Et que pis est, ce monde nous de£oit, La chair stimulle et la concupiscence, Puis la vermine entour on appercoit Qui nous poursuit depuls nostre naissance, Mousches, cyrons de nous mordre ont puissance, Puses et poulx nos corps viennent blesser, Soulcys, travaux ne nous veullent laisser Jusques a tant que le corps l'on soubsterre. 21 ( w . 31-38)

On crolrait entendre Villon.

Les guerres ne font que quintessencier la misere de 1'existence depuis la chute de l'homme. Barthelemy Balliste (Souci, 1556) denonce

Ce globe rond d'avarice et de guerre 22 (v. 9) 147

Ce topos se retrouve indlfferemment dans la poesie catholique ou protes- tante. Le theme est souvent rattache au destin historique des tribus

1 d'Israel. Meme l'optimisme jisulte ne manquait pas de voir en l ’homme

1'element le plus faible de la creation et le corrupteur de la nature.

L'inspiration vient des Psaulmes, en particulier de ceux de David, de

Job, ou de celui sur la maladie et la mort des lamentations de Jeremie.

Les poetes de Toulouse etaient nourris de la lecture des.Psaulmes.

Dans Devotional Poetry in France, Terence C. Cave parle d*obsession d'images d ’ordure et de pourriture:

The sinner is obsessed with the smell of decay, the rotting of the body alive or dead; the words ordure and pourriture occur again and again. ^3

Le sentiment de decheance physique ne manque pas d'evoquer l'angoisse d ’une decheance spirituelle et morale. Dans le Psaulme de Job, traduit par Philippe Desportes (1604), on note:

Pourquoy m'as tu tire du fond de la matrice, Moy qui ne suis qu’ordure et que fange et que vice? Mort nay je fusse mort, jamais oeil ne m ’eust veu Chetif comme je suis.... Car si tost que je vins naistre L'on m'eust du ventre au tombeau Porte comme en un berceau. ^4

Le theme de la vanlt§ de la condition humaine et de 1'imminence de la mort etait un theme favori de la poesie religieuse de l'epoque. On le retrouve dans les Entretiens spirituels d'Antoine Favre (1601):

Si Dieu faict chair, s'appelle ver de terre, Voudrois tu bien prendre un titre pareil? Dy que tu n'es que poudre, ains le cercueil Ou le grand Rien tous ses tltres en terre. 5

Dans The Waning of the Middle Ages: a study of the forms of life, thought and art in France and the in the XlVth and XVth 148

centuries, Johan Huizinga insiste sur 1’importance du thfeme de la mort

dans la pensee medievale:

No other epoch ha9 laid so much stress as the expiring Middle Ages on the thought of death. 26

La sensibilite de l'epoque demande 1'expression concrete du perissable,

et c'est aux alentours de 1400 qu'elle va s'Staler dans les arts visuels » aussi bien que dans la poSsie. Huizinga expllque cette excessive

expressivite:

A thought which so strongly attaches to the earthly side of death can hardly be called pious. It would rather seem a kind of spasmodic reaction against an excessive sensuality. 27

Ce thSme va se perpgtuer au XVIe siecle, Du Bellay dans les Antiquit§s,

Ronsard dans l'Hymne a la mort, Francis Perrin dans Poemes Chretiens, ont tous evoque la misere de 1'existence humaine qu'lls identifiaient dans la tradition chretienne avec la notion de peche. Les poetes du

Livre Rouge s'inscrivent dans cette meme tradition; ils sont parvenus, toutefois, a depasser le cliche et a donner a ce theme un nouvel accent de sincerite.

Une des angoisses les plus dechirantes est celle du vide, cet

"abisme du monde", que l'on retrouve dans la recurrence de la metaphore de la nuit obscure. Ainsi, en 1545, la poesie d'Aymar de Vabre (Souci) sur le theme de "L'air remplissant tout le vuyde du monde" en est un exemple frappant. Ce vide est le point de non-signifiance de la nature humaine, la totale annihilation du monde environnant, la "vye devye" dont parle Taste dans son poeme de 1543 (Souci). Avec les Guerres de

Religion, le theme du neant s'amplifie. En 1567, Pierre de Brach 149

(Eglantine) decrit l'homme "englouty au sein de la baleyne":

Volant que les humain6 enflammes de fureur Servoient meschantement le peche plein d'horreur Qui d'un meurtrier lien dans l'enfer les enlasse, Pour les tirer de la et leur ouvrir les yeux Qui peuvent amonter au ciel la gent humaine Envoya de la haut en ces terrestres lieux OO Le prophete englouty au sein de la baleyne. ( w . 16-22)

4 L'allegorie est explicitee dans l'envoi du chant royal:

La baleyne est la mort qui tout home terrace Les nauchers effroiez, les hommes vicieux ^9 ( w , 56-57)

En 1569, Gabriel de TerIon (Eglantine) Svoque l'homme pris au milieu de la tempete et dans le trou noir de l'abime, comme l'humanite entiere, il s'en remet a Dieu: 30 Ore on veoid le courrous de l'onde floflottante (sic) Ore en ses tourbilions l'oraige blanchissant, Du tonerre en soulphre la boule petillante, Et des ventz mariniers le gozier mugissant < ( w . 34-37)

Le sentiment du vide, de 1'abandon a Dieu, a une dimension profondement humaine. L'homme est cependant pris au piege du vide d'un cote et du chaos de 1'autre, et son existence precaire nait de ce frele equilibre.

Le theme du chaos est un des leitmotivs du Livre Rouge. II evoque tout d'abord le chaos originel dans lequel Dieu a su mettre forme. Ce theme a evolue pour suggerer le chaos contemporain. Pierre

Chomyer, entre autres poetes, (Violette, 1545), commence son poeme par:

Un vieulx cahos, sans formee apparance

En 1547 (Souci), Pierre Paschal parle du "chaos, le gros monceau immon- de"(v.3). L'adjectif "immonde" s'oppose semantiquement a "monde" et a la vie qu'il represente. Le chaos est 1'essence meme des forces mali- 150 gnes qui animent l'univers: le p§ch§, la guerre et toutes les autres calamites qui assurent la misere humaine, En 1552 (Eglantine), Antoine

Blegier ecrit:

Quand l’univers en sa forme premiere Assis etait, et tout mal amasse, N'estant pour lors qu'une rude matiere, Mais tout assez lourdement compasse, Ce grand Cahos se voyant inutille, Si mal ploy, si lourd, si laid, si vile. ^ ( w . 1 - 6 )

Au contraire du vide qui angoisse par la non-existence de toute forme, toute couleur et toute vie, le chaos multiplie les formes en les em- brouillant. Ce theme est celui du livre de Claude-Gilbert Dubois,

Mythe et Langage au XVIe siecle (Bordeaux: Ducros, 1970). L ’homme du moyen age et de la Renaissance percevait la multiplicity comme la chute d'un etat edinique, harmonieux et ordonne. La multiplicity des langues de la tour de Babel en est un exemple. Michel Foucault ytudie ce phe- nomene dans Les Mots et les Choses :

Sous sa forme premi£re, quand 11 fut donne aux hommes par Dieu lui-meme, le langage ytait un signe des choses absolu- ment certain et transparent parce qu’il leur ressemblait. Les noms etaient deposes sur ce qu'ils designaient, comme la force est ecrlte dans le corps du lion, la royauty dans le regard de l'aigle, comme 1 'influence des planetes est marquee sur le front des hommes: par la forme de la similitude. Cette transparence fut dytrulte a Babel pour la punition des hommes, Les langues ne furent syparees les unes des autres et ne de- vinrent incompatibles que dans la mesure ou fut effacye d ’a- bord cette ressemblance aux choses qui avalt ete la premiere raison d'etre du langage. ^

La dispersion est un acte demonlaque, et les peintures de jyrome Bosch avec leurs formes torturees trahissent cette angoisse.

Dans La Creation poetique au XVIe siecle en France, Henri Weber indique que le theme du chaos, present deja dans les Odes de Ronsard, vient 151

droit de l'Antlqulte, II se trouve chez Ovlde et Virglle et est enrl-

chi de details empruntes & Pindare et Homere . ^ Chez Claudien, on note

aussi I 1idee de la paix ordonnatrice du chaos primitif, La clSmence,

en dissolvant le chaos acquiert le prestige d'une dlvlnite-mere. Cette

allusion est particulifcrement intSressante pour l'histoire des Jeux

Floraux en raison de 1 ’association avec Clemence Isaure, Chez Claudien,

ainsi, on note:

Principio magni custos Clementia mundi Quae Jovis incoluit zonam, quae temperat aethram Frigoris et flammae mediam, quae maxima natu Coelicolum, nam prima Chaos Clementia solvit, Congeriem miserata rudem, vultuque sereno Discussis tenebris, in lucem saicula fudit.

Ce sentiment du chaos general peut etre associe a l'idee d'un monde

degrade, tel que Goldmann nous le decrit. Les circonstances sont res-

ponsables d'une telle degradation. Les poetes des Jeux Floraux au XVIe

siecle recherchaient 1'approbation esthetique mais aussi ideologique de

leurs censeurs, les "mainteneurs" de la tradition. Avec eux, ils deplo-

raient le cours que prenaient les §venements, les forces de dispersion

qui semaient le desordre dans la societe. Les "valeurs authentiques",

pour reprendre la terminologie de Lucien Goldmann, sont done celles qui

defendent l'ordre, la paix, la vertii, la "clemence" et l'harmonie. Ces valeurs sont celles d'un ordre bourgeois qui prospere dans le statu quo

et grace a de strictes fondements moraux.

A. Les valeurs authentiques

Les poetes aspirent a cet "accord entretenant le ciel, la terre

et l'onde" qui s ’opposera au neant philosophique et moral, Lois du 152

Pin (Violette, 1569) evoque l'harmonie idAale en ces termes:

Cest'armonie a faict disjoinctz de quelqu'espace Se contourner les cieulx qui de leur tour puissant Frappant le vuide autour de ceste terre basse Vont par accordz divers ung doulx son produlsant. ( w . 12-15)

L'harmonie philosophique a une resonance musicale. Cet "accord” est la

force vitale du monde, celle qui anime les "pierres, plantes et boys":

D ’elle tous les flambeaux du ciel divinement Pierres, plantes et boys ont leur nourissement D'ou vient qu'il n'y a rien dans cette masse ronde Que le doux son n ’attire et que n'aille charmant L'accord entretenant la terre, le ciel et l'onde. ( w . 18-22)

Dans le meme poeme de Lois du Pin, il y a communion entre tous les Ali­ ments de la nature, et l'homme y participe joyeusement, sous la tutelle de Pan; en parlant de la nature, il dit:

Elle, non seulement, nos trlstesses efface, Nous aide a decevoir le travail gemissant Nous anime et flechit, enfle nos cueurs d'audace, Enchante nos espritz d'ung doulx someil glissant 39 ( w . 34-37)

Bernard de Poey (Violette, 1560) trahlt 1'importance de Pan; en envoi, le poete dit:

Demorgon est Dieu, de Pan seul gouverneur ^ (v.56)

Les dates de ces poAmes leur donnent une connotation tragique; ils as- pirent a un ordre edenique, simple et transparent dans un univers boule- verse. I La contradiction entre l'harmonie parfaite de l'equilibre na- turel et la dissonance de 1’univers social et politique fait dire a

Jean de Flavin en 1548 (Violette): 153

Le monde rond discordant en accordz Tost periroit par infiniz dlscordz. ( w . 33-34)

Les poetes ont le sentiment d'un monde fragment^ dont la belle harmonie originelle a e t i compromise:

Atlas trembla et cessa l'harmonye Du monde rond ^ (w, 16-17, Mejany, Souci, 1543)

Une lutte entre la paix et la discorde se joue a chaque instant pour maintenir l'equilibre precaire de la vie,

L'harmonie parfaite est souvent reprisentSe en des termes presque mathe-

matiques,^3 Jacques de Puymisson (Souci, 1578) choisit pour refrain

"Le centre qui maintient la forme de ce monde":

Ce centre tout parfaict est celui qui compasse Ce qu'on voit parmy nous de plus rare et plus beau, Et qui sans etre grand en grandeur outrepasse De l'Olympe fameus le superbe coupeau.^ ( w . 12-15)

Jean Sevestre compose son poeme autour de "L'unite divisant et unissant tout nombre: (Eglantine, 1578), Jean de Brie (Souci, 1579) choisit pour theme "Les trois poinctz rapportes en la ligne ecliptique". L'animisme qui traverse ces poemes est cependant plus po§tique que scientifique.

II en ressort une idee maltresse que Guillaume Bernard utilise dans son refrain: "La matlere aspirant a la forme perfaicte" (Violette, 1573).

Cet ordre immuable du monde ne saurait etre reproduit qu'avec peine dans la vie sociale. Salvat du Gabre dit en 1583 (Souci):

Quel miracle de voir sous une forme une Le beau centre sans forme ou toute forme tend, Et qu'ung fini quadrangle ayt en soi soutenue La mesme infinite que le monde comprend!^-* ( w . 23-26) 15 A

Dieu est celui qui donne forme au monde, il est le pivot de toute la

creation. Johan Huizinga explique dans The Waning of the Middle Ages:

Towards the end of the Middle Ages two factors dominate re­ ligious life: the extreme saturation of the religious atmos­ phere, and a marked tendency of thought to embody itself In i m a g e s .^

Source de vie, la Nature est aussi conservatrice de cet ordre immuable

qui en fait la grandeur. Le dynamlsme de la vie est ramene a un ordre

fixe de dimension cosmique:

La bruyoit en un coing une source d'eau clere D'ou les fleuves du monde ont pris commencement, Bordee tout autour d ’une verte lisiere Que les fleurs mouschetaient de leur bigarrement, Que la course des ans n ’avalt pas envieillie, Que le chaut de l'este n ’avoit jamais tarie, Qui n'avoit de l’hyver redoute la froydeur. ^ ( w . 23-29, Frangois de Clary, Violette, 1578)

La poesie du Livre Rouge, comme celle de nombreux poetes du XVIe siecle, allie philosophie et science dans un syncretisme qui plaisait a la Re­ naissance. Dans la meme veine, Jacques Peletier du Mans publia en 1555

L 1Amour des Amours, poesie scientifique et aboutissement des themes platoniciens en faveur chez les Lyonnais.

Les valeurs d'ordre et d'harmonie sont exprimees par l'inter- mediaire des themes neo-platoniciens qui traversent 1*oeuvre entiere du

Livre Rouge.

Les poetes des Jeux Floraux prirent connaissance des themes pla­ toniciens au travers de compilateurs tels que Macrobe, Pline et Apul§e et du philosophe Marslle Ficin. Le monde qu'ils expliquent est encore celui de Ptolemee. II est fait de plusieurs spheres ordonnees et en- trainees dans leur course par un pivot central, une divinitS qui prend 155

le non d ’Eternel, Paix, Harmonie, Nature, etc, Dans la poesie du Livre

Rouge, elle aura pour nom les dieux de la mythologle grecque ou latine,

Dans le poeme de Dubuys (Souci, 1555), le refrain choisi evoque

le theme du miroir platonicien: "L'autre clartS nous rendant la premie­ re". Le theme des spheres concentriques Slevant l’homme de la matiere au divin est exprime par Pierre Paschal en ces termes: 4

Le Ciel plus hault a si grand alliance Avec ce centre enclos divinement Dedans son rond que par luy 1 ’autre on pense, Et l ’un sans 1’autre on ne void nullement. 48 (w. 12-15, Eglantine, 1545)

L'Schelle des valeurs platoniciennne est assimilee aux idees chretiennes.

Dieu est descendu des plus hauts lleux Jusqu’aux plus bas:

II maria les corps des eteries lieus Aux plus bas debales, si que le plre au mleux En meue melangeant le haut au bas recree 49 (vv.7-9, Guillaume de Cayret, Souci, 1557)

La recherche aussi de "la pure et simple forme exempte de matiere",

selon le refrain de Guillaume de Lagrange (Souci, 1559), montre l ’ideal d'abstraction auxquels les po&tes aspiralent,

Dans le contexte neo-platonicien, l’homme n'est plus l'amas de pourriture que de nombreux poemes laissent entendre. Quelques-uns

exaltent l'homme et, meme si ces poemes sont rares dans le Livre Rouge,

ils offrent une dimension nouvelle qui s'accorde avec les theories neo- platoniciennes, Jean de Cardonne (Souci, 1561) s’§crie:

Les hommes sont divins et ressemblent aux dieux (v.46)

Pierre Dampmartin (Violette, 1567) contraste la petitesse et la gran­ deur de l'homme et en fait un "roseau pensant", avant Pascal: 156

Le petit corps humain au monde spatleux J'esgale de subject 1’esprit ingenieux A l'ame qui regit ceste machine ronde, Nommant l’homme 5 servir son Dieu devotieux Le Temple faconng sur le patron du monde. ( w . 56-60)

En cherchant a donner un ordre conceptuel au chaos, les poetes du

Livre Rouge restaient tres attaches aux id€es neo-platoniciennes. Leur

desir de spiritualite et d ’abstraction les appelait aussi 2 mSpriser le

corps, la matiere. Pourtant, certains se sont complus dans le "macabre"

et se sont totalement separes des idees neo-platoniciennes pour epouser

celles d ’Aristote. Le Livre Rouge combine les deux traditions avec un

syncretisme particulier 2 la Renaissance.

La quete de l'harmonie et de 1’ordre au niveau philosophique

trouve des resonances dans le domaine moral.

Bien des po&mes sont 1'expression d'une haute conception de la

morale interieure et de la vertu. Ceci n ’est pas etonnant dans une

conception n§o-platonicienne des connalssances ou la morale et la vertu

ne se sSparent pas de 1'effort intellectuel et philosophique. Dans

cette perspective, le vice et l'erreur sont inseparables, ils resultent

tous deux d'un abandon au corps qui empeche l'glevation de l'ame vers

Dieu. La morale est necessaire pour eloigner l'homme des plalsirs mondains. L'aspiration a la vertu est le rejet philosophique des con-

tingences du corps, sujet a la vennlne et a la pourriture. La vertu

est aussi une source incomparable d 1ordre et de paix.

Le poeme de Franqois Revergeat (Souci, 1548) a pour refrain

"Honneur me suit, la ou vertu me guyde". En 1549, Pierre de Saint- 157

Aignan (Souci) choisit pour refrain "La vertu seulle apres mort donne vye". En 1548, Francois Revergeat oppose 1'inconstance de 1*existence physique, sujette au changement et a la decrepitude, a la satisfaction

absolue de la vertu:

Vertu est une absolue nature Ung sens parfait, ung meur entendement, Une celeste et douce nourriture, ' Propre a lfesprit, de l'ame mouvement.52 ( w . 12-15)

Un dynamisme souleve l'homme dans un §lan mystique neo-platonicien. La vertu est le moyen donne a l'homme d'aspirer 5 Dieu et de lui ressembler.

Francois Revergeat poursuit:

Elle est a soy partout si fort semblable Quelle faict l'homme etre a Dieu ressemblable, Et le conduit en habitation Du Ciel plus hault, ou prend reffection Du bien sans fin, en Dieu qui la preside. 0 heureux lors, qui dit sans fiction: Honneur me suit, 15 ou vertu me g u i d e . 53 ( w . 16-22)

Le rapprochement avec le dualisme cathare s'impose. Malgre 1'In­ quisition, le mouvement cathare etait parvenu a se maintenir au cours des siecles. Le mysticisme qui le caracterisait trouva dans la vision neo-platonicienne du monde de la Renaissance un terrain propice a sa survie. Dans La Philosophic du catharisme: le dualisme radical au Xllle

siecle, Ren€ Nelli explique que le catharisme faisalt de l'homme un etre disloque, un ange d§chu, vivant 5 la fois dans le ciel, sur la terre et en enfer.-1^ Aucune doctrine, poursuit Reni Nelli, n'a pousse aussi loin la destruction metaphysique de l'homme. L'homme ne coincide ni avec son corps fait d'une matiere satanique etrangere, ni avec son esprit que est reste au ciel et dont cette meme matiere le separe. L'homme est une ame desorientee et oublieuse de sa destination, Pour etre sauvSe, l'ame doit etre prise par Dieu "comme une essence angelique a recrSer dans

toute sa purete". Mais pour profond que soit l'abime ou l'homme est

tombe, il a la determination de vouloir s'en liberer par la vertu. Cette

loi etnane du fait que Dieu est Un, ramenant tous les etres a 1 'unite.

La mort, 1'incarnation dans la matifere, a ete voulue par le diable. i Mais l'homme a le pouvoir d'etre grand, car il peut coopSrer a 1'oeuvre de la creation au fur et a mesure que Dieu libere du Mal. Le dualisme cathare nalt de cette double presence du diable et de Dieu dans le monde, forces independantes l'une de 1'autre. Pour les cathares occi-

tans, le mal avait vicie, des l'origlne, la creation divine. L'homme

etalt le champ de bataille des deux poles opposes, le Bien et le Mal, l'Etre et le Neant.

Le dualisme cathare est aussi le resultat d'une longue medita­ tion sur le neant et la corruption. La peur du vide ontologique expri- mee par les poetes du Livre Rouge rappelle le concept du "nihil" augus- tinien pourvu d'une sorte de contenu existentiel. L'etre est reduit au neant par le peche et la corruption. Dans son Traite cathare (ca.1220)55

Bartholome de Carcassonne resume le concept du n€ant:

Jean dit dans l'Evangile: sans Lui a ete fait le nihil (le Rien ou Moins-Etre). Si dans tous les mauvais esprits, les hommes mechants et toutes les choses qui tombent en ce monde sous le sens de la vue sont neant, parce qu'ils sont sans charite, c'est qu'ils ont ete faits sans Dieu. Dieu ne les a point faits, parce que le nihil a etS fait sans L u i . 56

Les mauvais esprits et les mauvais hommes retourneront au n&ant. Le catharisme occitan faisait aussi colncider le plan ontologique et moral.

Les cathares aspiraient a un degre de liberation et de purification 159 pour pouvoir se vouer a la vie de 1*esprit et a 1'abstinence. Les vertus et les mortifications qu’ils s'imposaient tendaient toutes a les affranchir du Mal, du demon de leur propre corps. Le corps Itait la luxure, la haine, la peur. Ils devaient ainsi s'abstenir pour parvenir a l'etat de "parfait”, vertu metaphysique par excellence car elle con- ditionne toutes les autres et meme valnc la mort. L*accession aut Bien est done une victoire remportee par une tension constante de la vertu dont les merites sont chantes dans le Livre Rouge ("La toyson d ’or, tant fascheuse a conquerre", Jean de Saint-Hilaire, Souci, 1542).

L'impression de "flotter entre ciel et terre" et la certitude que l ’homme n ’est totalement maltre ni de son corps ni de son ame peut expliquer l ’emotivite excessive des hommes de la fin du moyen age."*^

Cette sensibilite tres aigue s’exprime dans le contexte hyperbolique des

Jeux Floraux au XVIe siecle.-

Malgre une orthodoxie de rigueur au College de Rhltorique de

Toulouse, les themes cathares etalent parvenus a s'lnfiltrer par l ’in- termediaire des idees de la Reforme. Des poetes comme Salluste du

Bartas et Fey de Garros, meme s'ils ne se sont engages que tr&s tard dans la cause protestante, ont ete tres tot favorables aux idees de la

Reforme. Ils avaient remporte les concours, car ils exprimaient la conciliation et non une virulence mllitante. Les idles cathares avaient perdu de leur militantisme; elles se trouvaient mllangles au neo-plato- nisme et au christianisme ambiants.

La quete de la vertu et le repli sur soi sont le reflet d'une inquietude face aux troubles du moment. Par la rigueur de la vie morale, l'homme pourra vaincre la corruption des moeurs de l'epoque. 160

En temps trouble, de trouble variable Elle est paisible et ferme et immuable Et moderant d ’esprit l ’e s m o t i o n . 58 ( w . 27-29, Francois de Revergeat, Souci, 1548)

II y a parallelisme entre l’harmonie de l ’ame et celles des differences classes de la societi. Les theories platoniciennes servent meme le principe de subordination des classes inferieures aux classes superieu-

I res. Dans un chapitre de son livre intitule "The hierarchic conception of society", Johan Huizinga note:

Medieval political speculation is imbued to the marrow with the idea of a structure of society based upon distinct o r d e r s .5S

Les poetes des Jeux Floraux itaient conscients d'appartenir a un ordre social nouvellement acquis et ils comptalent le defendre avec vigueur.

Le neo-platonisme leur en donnait lndlrectement 1 ’occasion. Le penseur politique Jean Bodin precise dans La Methode de l ’Hlstoire (1566, tra- duit par Pierre Mesnard) que l ’harmonie ainsi realisie resulte de l'e- quilibre des forces contraires;

Car, si nous nous en rapportons & la nature, principe de toutes choses, nous constatons que notre univers, la plus belle oeuvre qui solt sortie des mains du Tout-Puissant, se compose de parties fort lnegales, voire d'ilements tout & fait contraires. 11 n'en subslste pas moins, grace aux mou- vements antagonistes des cercles cilestes, si bien que la suppression de ce disaccord apparent detruirait l’harmonie profonde et causerait la mort de 1'univers. La ripublique ideale, si elle imite la nature comme il se doit, n ’en agir« ra pas autrement, et en equilibrant les gouvernants et les sujets, les maltres et les serviteurs, les riches et les pauvres, les justes et les mechants, les faibles et les forts, elle saura realiser une assiette inebranlable, grace a 1’as­ sociation bien riglie de ces forces antagonistes.6Q

Ronsard et les auteurs de la Plelade defendront aussi cet equillbre conservateur, car ils etaient lies S la vie de cour et a la monarchie

/ 161

des Valois. A Toulouse, les mainteneurs se falsaient les champions du

statu quo. Pour cette raison, on ne trouve pas dans les poemes les

idees de bouleversement social impllcitement contenu dans la RSforme.

Dans le contexte du Livre Rouge, on note done que 1'ideologie religi-

euse et philosophique se double d'une forte ideologie sociale et poli­

tique, 1

5. Ideologie politique et religieuse

Les poemes du Livre Rouge commencent £ peu pres avec le regne

de Frangois Ier (1515), ils se terminent en 1583, six ans avant la fin

du regne du dernier des Valois, Henri III (1589).

Les chants royaux qui forment la majorite des poemes du Livre

Rouge sont, comme leur nom l ’indique, dedies a la gloire d ’un prince,

selon la tradition des puys ou les presidents, souvent des nobles,

etaient appeles "prince", Dans le cas des Jeux Floraux de Toulouse,

les princes de la fete etaient les Malnteneurs qui sanctionnaient de

leur approbation les poStes, C'est dans les envois, aussi appel£s

"allegories", que le poete faisalt sa d&dicace, II y avait une certaine ambiguity entre la notion de prince terrestre et de prince celeste, et

les poetes aimaient jouer sur cette ambigulte. Claude Terlon, par ex- emple, termine son poeme (Souci, 1540) en ces termes:

Prince, j'entendz Jesus Christ notre maistre Dour Apollo ^1 ( w . 56-57)

La meme annee, Jean Rus s’eerie;

Prince, mon cueur Jesus pour l ’arbre croit 162

E t pour la fleur sa parolle concoipt.^2 ( w , 56-57, recompense non mentionnee)

La dedicace de cette forme de poesie I une personne royale tSmoigne de son caractere elitlste. Jusqu’en 1547, les poetes chanteront la gloire de Francois Ier, "pere des sciences et des lettres". Les poemes sont des chants de paix, des appels S l’unite nationale contre la menace i etrang&re. Le patriotisme qu’ils pronent encense la figure du roi.

Apres avoir lamente la guerre dans la poesie qui remporta le Souci en

1539, le ton du Livre Rouge devient un chant de liesse. Hector du Per- tuiz (Violette, 1539) utilise un th£me qui se fera de plus en plus rare au cours du siecle:

Nobles Francoys, ne solez endormis, Soiez joyeulx, menez chere jollle, Tous ceulx aussi qu’estes leurs vrays amys, Fuyez chagrin, chassez melancolye, Toute doulleur soit en vous abolye, Tout deplaisir, tout propos doulloureux, Car vous avez France, pays heureux, Qu’a de present de Dieu puissant la grace Qui luy malntient en estat glorieux Roy tres chrestien qui paix aux sciens pourchasse. 63 ( w . 1 - 1 0 )

Le poeme continue en vantant les bienfaits du roi;

Mortalite a sa force affoiblye, Fertillte de biens nous a promls Celuy jamais qui ses servants n ’oublye.^ ( w . 12-14)

Dans 1 ’envoi, Hector du Pertuiz s ’adresse directement au ’’Prince Fran­ coys", jouant sur l ’homologie entre le nom du monarque et son apparte- nance & la nation fran^alse,

Les chants royaux chantent l ’unite nationale, contre "l’Espa- gnol" mais aussi contre les Turcs, dont la menace hantait encore beau- 163

coup les esprits. Jean Rus (recompense non mentionnSe, 1540) s ’§crie;

Pour ce grand Turc, le diable et sa sequelle, Qui fist mourir ...... L'arbre passant toute oeuvre naturelle.65 ( w . 58-60)

Les exaltations de la figure royale deviendront de plus en plus rares

car 1 ’autoritS se ddgradera lentement, Des chants d ’unite apparaltront

dans tout le corpus du Livre Rouge, mais ils seront plus path§tlques,

ils insisteront plus sur la description du chaos que sur la paix re-

trouvee.

En 1566 (Eglantine), Robert Garnler £voque, sous forme d ’alle-

gorie,les Guerres de Religion qui font rage. Dieu est Jupiter, tandis

que le roi, dans la sc£ne cosmlque, est

L ’Hercule qui dompta les monstres de son age^ (refrain)

L ’allegorie est explicite, Hercule fut envoye par Dieu afln de mettre

de 1*ordre sur terre:

Par les monstres, j ’entendz les hommes factleux Qui sur ce bord gaulois flrent tant de domaige; L'aige de cet Hercule est ce ciecle odieux, Et nostre roy vainqueur dont la jeunesse saige A desja surpasse l'honneur de ses ayeulz, L'Hercule qui dompta les forces de son aige.®? ( w . 56-61)

Le jeune roi auqu'el Robert Garnier fait allusion est Charles IX, En

1562, Barthelemy Balllste (Violette) choisit pour refrain "Le Roy qui

tout remect soubz son obeyssance", II est le reprisentant sur terre de

la figure divine, mais le poeme est plus l’appel a I’espoir que la des­

cription d ’un etat de fait, Le jeune roi faisait face a la guerre ci­ vile et les "monstres" rongeaient le pays. Barthelemy Balllste s feeriej 164

Le rebelle est le Diable a la mort nous poussant Et du Prince la loy, l'evangile anoncant L'enfer aux reprouvez et aux bons l'aliance Du Pere Souverain, et le Dieu tout puyssant Le Roy qui tout remect sous son obeissance,^® ( w . 56-60)

Le "Prince" des Jeux Floraux est done le garant de 1'ordre eternel,

celui qui sauve du chaos general:

t Hymerie est desir, la font science Cypris beaut£, Thrasie la vaillance, Vertu Dyane, Euclie je declaire La renommee; et Henry, roy de France, L 1autre soleil qui nuict et jour eclaire.^9 ( w . 56-60, Antoine Noguier, Violette, 1553)

Les allusions aux tensions religieuses se font plus pressantes

vers la fin du siecle et donnent parfois lieu a des descriptions morbi-

des (Barthelemy Balllste, Violette, 1562; Robert Garnier, Eglantine,

1566; Jehan Baptiste Bellaud, Souci, 1569; Jehan de Chabanel, Eglantine,

1575; Francois de Chalvet, Violette, 1577; Jacques de Puymisson, Violet—

te, 1581; Jacques de Puymisson, Eglantine, 1583). Le pathetique n ’y a

d'Sgal que l'ampleur de la vision cosmique, Les allusions & "l’here-

sie" sont constantes dans les poSmes,

L ’Eglise, catholique, quoique le terme ne soit jamais mentionng directe-

ment, va trouver des symboles evocateurs dans le registre mythologique *

et biblique. En 1569, par exemple, elle devient "un navire agite" sur

' une mer demontee. Le patron en est Jesus Christ. Gabriel de TerIon

(Eglantine) s ’Scrie:

Messieurs, par le patron Jhesuchrlst je confesse, Par la nasse l ’eglise, et ores qu'on la presse Par mil divisions vuides de pieti, Touteffois le saulveur de nostre humanite.^^ ( w . 56-59) 165

En 1562, Denys Bouthillier (Eglantine) choisit pour refrain ”L'edifice inortel de la divine essence". La metaphore a un but id£ologique. L ’e- difice mortel de divine essence est l ’Eglise dont Dieu s’est fait l'ar- chitecte. L*annee 1562 est une annee terrible dans l’histoire de Tou­ louse et de la France. Les "quelques empeschemens" dont fait mention le Livre Rouge sont l'incendie de la ville et la prise d ’assaut de l’Hotel de Ville. C’est aussi 1’annee du massacre de Vassy. Les poe­ sies seront des rappels a 1’ordre, § l’unite derriere la figure du roi et au sein de l’Eglise, seules "valeurs authentiques". Les themes choisis cette annee-la en attestenta "L’edifice mortel de la divine essence" (Denys Bouthillier, Eglantine), "Le Roy qui tout remect soubz son obeyssance" (Barthelemy Balllste, Violette).

L ’evocation de Dieu comme le maqon et l’architecte de 1 ’edifice rappelle la construction en cours de ces cathedrales qui asplraient elles aussi a "la divine essence".

La le sage masson d ’une oeuvre slnguliere Dispose toute chose £ son estat avoit. La quelque liaison de 1’Industrie humaine L ’une partie a 1'autre estroitement n'enchaine, Mais un secret acord, qui d'un consentement Plus que chau ni sablon attache seurement L'un a 1'autre quartier et lui donne asseurance Que le maistre de 1'oeuvre avance uniquement L* edifice mortel de la divine essence. (w. 14-22, Denys Bouthillier, Eglantine, 1562)

L ’institution de l'Eglise, comme sa construction, existe en dehors du

Temps auquel les hommes sont soumis. Denys Bouthillier poursuit;

Le souverain masson de sa main emperlere A son oeuvre attantif, sans cesse bastissoit Non sur un fondement qui soubz la faux murtriere Du Temps fut affermi, mais de soi prenoit Son pouvoir ( w . 23-27) 166

f Les allusions a la Vierge portent de plus directes ref§rences a

I'Eglise catholique. En 1581, Francois de Chalvet (Eglantine) parle du

"vase christallin" dans lequel s'est parfaite 1’oeuvre de Dieu. II choisit pour refrain "L'oeuvre qui se parfaict dans le vase alchlmique",

En 1578, Francis Clary (Violette) evoque I'Eglise comme la perpetra- trice de la grace divine. A l'dpoque de la mode de la poesie alchimls- te, la Vierge catalyse 1'esprit divin en homme;

Cette source d'eau clere est Dieu le Createur; Par sa course j'enten le sainct Consolateur; La fontaine sera la Vierge qui fut pleine De la grace du Ciel 73 ( w . 56-59)

Jean-Gabrlel d ’Urdes (Eglantine, 1577) decrit la Vierge dans les memes termes;

la Vierge benigne Qui dans soy le conceust d'un divin souflement. 74 ( w . 58-59)

Les poemes sont presentes sous forme d'allegories qui, comme des r€bus, sont expliquees a la fin. Salvat du Gabre (Violette, 1576) d§clare en guise de resolution;

J'entens par le pervers Lucifer invieulx, Par la pomme le fruict £ tous pernicieulx, Et l'arbre verdoyant est la Vierge Marie; Le corps de Jesus Christ celeste et precieulx La contreponnne ornant le sainct arbre de v i e . 75 ( w . 56-60)

Les poetes temoignent d'une fertile imagination pour transcrire meta­ phor iquement le phSnomene de l'enfantement. Le corps est rarement evo- qu§, a part dans le poeme de Rodolphe Gay (Eglantine, 1576) ou l'image est encore pleine de pudeur: 167

et la Vierge honoree Qui dans ses vierges flanes porta nostre Seigneur.^ ( w . 58-59)

Dans le poeme d ’Antoine Cavalier (Soucl, 1576), l'lmage de la mere est etrangement remplacee par celle du tonnerre, mais il se peut qu’il s’a- gisse d ’une faute de ponctuatlon de la part du greffier Coderci: si l ’on remplace le point du second vers par une virgule, on r§tablirait un sens plus plausible au texte, Nous trouvons dans le texte de Francois de Ge- lis et Joseph Anglade (Actes et deliberations):

Par le monstre j ’entendz Sathan desenchaine Et par le filz Jhesus, S la crolx condamne. Le tonerre je prends pour la Vierge sa mere ?7 ( w . 56-57) au lieu de:

Par le monstre j ’entendz Sathan desenchaine Et par le filz Jhe9u, € la croix condamne, Le tonerre, je prends pour la Vierge sa mere

La ponctuatlon est tres irreguliere dans le Livre Rouge. Lorsqu'elle existe, il faut tenir en consideration la marge d'erreur due au travail du greffier. Par endrolts, le texte, meme dans son vocabulaire, est sujet aux erreurs d ’interpritation du greffier. Frangois de Gelis et

Joseph Anglade ont pris la responsabilite de donner aux poemes une ponc- tuation qui rende leur lecture plus facile au lecteur moderne. Nous devons done mettre en perspective les interpretations qui sont trop sujettes a la marque de la ponctuatlon.

D'autres poemes evoquent la Vierge en tant que lune, "estoille au firmament" qui guide les marins, aurore d ’ou jaillit la lumiSre, pure

Pyrrha, chaste Danae. Les apotres de la Sainte Triniti sont utilises dans le meme contexte, souvent avec un gout particulier pour les nombres 168 qui leur sont attribuEs;

Le zodiaque est la foy ou la ronde Les doutze appostres font; en leur aspect immonde Le quartil et quintil et sextil vraiement Sont les dieux des payens: les trois poinctz proprement La saincte Trlnite; et ceste ligne oblique Est 1'essence de Dieu qui joinct heureusement Les trois poincts rapportes en la ligne ecliptique.78 ( w . 56-62, Jean de Brie, Eglantine, 1579) l Les affres de la guerre civile sont rapporties a maintes reprises dans le Livre Rouge. En 1583, Jacques de Puymisson (Eglantine) perqoit que, dans le monde ordonne du n§o-platonlsme, les "esprits magiques" sont porteurs de di9corde, Un monde de clartg et d'harmonie s ’oppose a un monde demoniaque;

Les ombres et la mort, sources de leur nalssance, Les font trahaistre, haineux, plelns d ’immondicit§, Tantot sous le poison d ’une vieilhe sourciere, Tantot sous les effroiz d ’ung ombreux cimitiere, Tantot parmi les flotz, soubz les ailes du vent, Et tantost soubz l’horreur de quelque enchantement, On voict de ces demons les courses fantastiques Quy gros de cruault§, forcent dlversement Les cercles agites par les espritz magicques.^^ ( w , 36-44)

En 1581, Jacques de Puymisson (Violette) fait une premiere allusion directe S Gen§ve dont l ’her§sie et l’esprit de dispersion l ’associe 3

Babel. Dans la conscience des hommes du XVIe siecle, le vice s ’alliait

5 l’erreur, II s'eerie:

Bref on voit dans ce lieu les justes recompenses De ceulx qui sont par trop dans le vice enfonc€s; On y veoid les tourments et les impatiences, Les crainctes, les ydeurs, les murdres, les exces.®^ (w.34<-37)

L'explication de l ’allegorie est explicitej

Babel sera Geneve et l’onde punissante Les meschans est l ’Enfer ou l ’heresie habite. ( w . 57-58) 169

En 1575, Jehan de Chabanel (Eglantine) donne & sa poSsie un ton mlll-

tant. Sur le theme "Le lablrinthe obscur perdant ceulx qu'il enserre",

11 compose un pofeme ou le labyrinthe represente 1 ’hSredle:

Le monstre pour le diable est pris semblablement, Qui ne cesse jamais de nous falre la guerrej Et l'aveugle here9le est dicte proprement Le lablrinthe obscur perdant ceulx qu’il enserre. ( w . 57-60)

Mais le militantisme n ’est pas particulier a la po§sie du Llvre Rouge.

On y trouve plutot le ton de la meditation et de la lamentation. Ainsi

Robert Garnier (Eglantine, 1566) denonce les exces auxquels les hommes se livrent:

De mil et mil exces tout le monde estoit plein La terre en mil party estoit ensanglantee, De 1’inhumanity de ce murdre inhumain II n'y avoit maison qui peust etre exemptee; Les peres ja grIsons voyoient devant leurs yeulx Leurs enfans egorges d ’un poignard furieux, Car se monstres villains ne palssoeint leur couraige Que des seules horreurs d ’un contlnu carnaige,®^ ( w . 11-18)

Salluste du Bartas (Violette, 1565) aura aussi une position concilia- trice, mais il n'en dSplore pas moins 1 ’aveuglement des hommes qui obelssent plus a leurs passions qu'S. la raison:

Les hommes aveugles qui durant le voiaige De ceste frelle vie elisent le servaige Des sales voluptgs, sont en fin perissans, Mais ceux qui captlvant l’appetit de leur sens Recoivent la raison pour leur seure conduicte, Sont toujours bienheureux 84 ( w . 56-61)

La position de la conciliation sera finalement celle qui l'emportera.

Elle sera 1 ’oeuvre d ’un Meridional, 170

6. Conclusion

Dans ces temps troubles, le th£me du chaos du monde trouvait une

nouvelle dimension, Le monde ordonnS du platonisme offrait par ailleurs

un ideal philosophique et moral qui avait des resonances politiques,

religieuses et sociales.

Malgre quelques poesies ouvertement militantes, le ton de 1*ensemble du

corpus du Livre Rouge n'est pas virulent, surtout en comparaison des

textes que Felix Charbonnier etudie dans La Poesle franqaise et les

85 Guerres de Religion. Les poetes, au contralre, lamentent la misere

de l'homme, le chaos, le pSche, le vice, l'erreur. L'homme est pris dans un Tout idealement ordonne, qu’il a bouleverse par sa faute.

Les poetes en appellent alors au retour a la stabilite,‘ sM a conciliation

et § 1*unite, avec comme garants de cet ordre Dieu et le roi. Ici, nous reconnaissons les "valeurs authentiques" dont parlent Lucien Goldmann et

Rene Girard, Quant £ Marx, il voyait dans la bourgeoisie une classe

"productrice de clotures". Certains m§canismes du blocage impose itaient la recherche de 1’ordre etatique, la suspension des contradic­

tions et l’humanisme chrStien sous forme de fraternite universelle.

11 n'est pas etrange de trouver sous la plume des poStes des references au "clos parfaict" ou Dieu garde ses brebis (Jean de Corrier, Violette,

1540):

pensant que la closture Les deust garder de toute forfaicture. ^ ( w . 4 - 5 )

Le monde ideal est un monde fait de cercles ("Le cercle pur et simple en uniforme essence", Jean de Rivasson, Violette, 1579; "Le centre qui main- 171

tient la forme de ce monde", Jacques de Puymisson, Souci, 1578) "La

mati§re aspirant fi la forme perfaicte", Guillaume Bernard, Violette,

1573).

Voyant un pouvoir central, qu’ils avaient tout interet a de-

fendre, s'affaiblir de jour en Jour, les Mainteneurs entreprirent con-

sciemment ou inconscienmment d ’en sauvegarder 1'idSologie. Aucune

contradiction n'etait possible dans un Tout securisant. L'intrus en

etait le diable. Les poemes ainsl exprlment 1’illusion d ’une unite

possible, Les po§tes et ceux qui les sanctionnaient cherchaient a se

raccrocher a des valeurs fixes qui avaient fait leurs preuves dans les

siecles prec§dants. C'en etait fait de la vieille organisation poli-

tico-religieuse du moyen age; les Stats modernes allalent se trouver en presence de plusieurs eglises rivales qui pretendaient vivre dans les memes frontieres et §vangeliser le meme peuple, chacune d'elle ayant des dogmes et un culte a part. Un abime etait creuse entre les deux partis, et la suppression de l ’heresie par voie de la violence etait devenue chose impossible.

Au monde stable du moyen age, le XVIe siecle apportait de nouvelles valeurs, des conflits de mentalites et de dogmes; il donnait I 1aspect, dejS moderne, d'un monde fracture. Les poemes du Livre Rouge temoignent de la conscience individuelle et aussi collective d'un monde qui gchappe et que les poltes tentent de retenir. Cette dimension de l'oeuvre jette une lumiere nouvelle sur le XVXe siecle qui, comme Donald Stone Jr le remarque dans France in the Sixteenth Century, ne peut etre entierement synonyme du mot Renaissance.®^' Le XVIe Siecle apparait comme l'arriere- 172 plan d'un veritable conflit de civilisation dans lequel le corpus lit-

teraire du Livre Rouge est profondSment engagS,

i 173

Notes Chapitre IV

1 Ce point a ate developpe dans le chapitre III, "Le discours de la

gloire", p. 100. 2 Julia Kristeva, La Revolution du langage poetique (Paris: Seuil,

1974), pp. 375-385. 3 Felix Charbonnier, La Poesie franqaise et les Guerres de Religion

(1920; rpt. Geneve: Slatkine, 1970), p. 162.

^ Henri Chardon, Garnier, sa vie, ses poesies inedites (Paris:

Champion, 1905), p. 42. Chardon fait ici reference a la participation de

Victor Hugo aux Jeux Floraux.

Chardon, p. 42. 6 Charbonnier, p. 45. 7 Terence C. Cave, Devotional Poetry in France (Cambridge University

Press, 1969), p. 22. 8 AD 87. 9 AD 115. 10 AD 126.

11 AD 257.

12 AD 315. 13 AD 58. 14 AD 42.

15 AD 157. 174

16 AD 301. 17 AD 27. 18 AD 55. 19 AD 54. 20 AD 58. , 21 AD 28. 22 AD 145. 23 Cave, p. 99. 24 Cave, p. 100. 25 Cave, p. 147. 26 Johan Huizinga, The Waning of the Middle Ages: a study of the forms

of life, thought and art In France and the Netherlands in the XlVth and

XVth centuries (1924; London: Arnold, 1970), p. 124. 27 Huizinga, p. 126.

28 AD 224.

29 A D 225. 30 Le redoublement de syllabes est un trait stylistique que 1 on re-

trouve chez Rovert Garnier.

31 AD 234. 32 AD 74. 33 AD 116. 34 Michel Foucault, Les Mots et les choses (Paris: Gallimard, 1966), p. 51. 35 Henri Weber, La Creation poetique au XVIe sifecle en France de

Maurice Sceve a Agrippa d'Aubigne (Paris: Nizet, 1966), p. 481.

38 Weber, p. 481. 175

37 AD 235. 38 AD 235. 39 AD 236. 40 AD 180. 41 AD 88. 42 AD 54. 43 Les poemes du Livre Rouge attestent de 1 enthousiasme pour les ma- i thematiques qui viennent de faire l'objet d*importantes d£couvertes. Jacques

Peletier redigea des traites d'Arithmetique et d'Algebre. Maurice ScSve entreprit d'ecrire Microcosine ou il combine le recit de la creation a une encyclopedie des connaissances humaines. Les poetes de la Pleiade s'exer- cerent aussi dans la poesie scientifique; c'est le cas de Balf, Belleau et de Ronsard dans ses Hymnes. 44 AD 295.

45 AD 321. 46 Huizinga, p. 136. 47 AD 300. 48 AD 72.

49 AD 148.

51 AD 223. 52 AD 84. 53 AD 84. 54 Rene Nelli, La Philosophie du catharisme: le dualisme radical au

X H I e siecle (Paris: Payot, 1975), pp. 126-135. 55 Cite par Nelli, p. 34'. 176 56 Cite par Nelli, p. 34. 57 cf. chapitre IV 58 AD 84. 59 Huizinga, p. 47. 60 Cite par Weber, p. 57. 61 AD 36. 62 AD 38. 63 AD 29. 64 AD 29. 65 AD 38. 66 AD 216. 67 AD 218. 68 AD 191-192 69 AD 128. 70 AD 234. 71 AD 92. 72 AD 92. 73 AD 301. 74 AD 291. 75 AD 285. 76 AD 283.

77 AD 281. 78 AD 307. 79 AD 324. 80 AD 316. 81 AD 317. 177 82 AD 275. 83 AD 216. 84 AD 212. 85 Charbonnier, pp. 243-296. 86 AD 32. 87 Donald Stone Jr., France in the Sixteenth Century: a Medieval

Society Transformed (Englewood Cliffs: Prentice Hall, 1969), p. 1. CHAPITRE V

LE JEU DE LA FORME

178 179

1, Le chant royal dans la tradition littcipalpe -

Le corpus du Livre Rouge se compose de plus de cent chants royaux,

neuf ballades, trois sonnets, une oralson et un hymne, De loin, le chant

royal est ainsi le genre privileglS du College de RhStorique de Toulouse t

au XVIe siecle et meme 5 la fin du siecle, il reste encore tres en faveur * malgre toutes les detractions,

Peu d'Studes existent sur ce genre, considire ggn£ralement comme

ennuyeux. Helen Louise Cohen lui consacre quelques pages 5 la fin de

son livre sur The Balladedans Le Po6te et le prince, Daniel Poirion

l'associe aussi & la ballade, afin d ’en expllquer la structure.2 Avant

d'entreprendre une etude des structures profondes des poemes, il est n§-

cessaire d ’analyser les structures de surface, a savoir les caract£ris-

tiques intrinseques au chant royal et & la ballade.

Ces deux genres naquirent dans les puys pour ensuite se repandre

a la Cour. Tous deux, tels qu’on les remarque dans le Llvre Rouge, sont

des poemes § refrain. La difference entre la ballade et le chant royal

tient plutSt & la longueur de poeme. Le chant royal est une ballade am- plifiSe de cinq strophes au lieu de trois et terminSe par un envoi. II arrive cependant de rencontrer des ballades se terminant aussi par des envois (ou "redditions d ’allegorle"), & la maniere du chant royal. Les ballades que l ’on trouve dans le Livre Rouge , telles celle d'Hector du

Pertuiz (Violette, 1539), Jehan Fornier (Eglantine, 1541), Jehan Laurens^

(Souci, 1562), Guillaume Bernard (Souci, 1567), Jean de Rivasson (Violet­

te, 1579), Samxon de Lacroix (recompense non mentionnee, 1554) se termi- 180 nent toutes par des envois, ce qui trahi.t dgj& une certaine confusion des genres, S-eule la ballade de 1549 CPierre de 5aint-Aignan, Souci) en est l'exception, Ceci montre que, tr£s tot, les deux genres de la ballade et du chant royal furent trgs proches. ,

Le chant royal tire son nom du fait qu'3 l'origine, il etait lu ou composg en l'honneur d'un personnage royal, Helen Cohen cite’un pas­ sage du Liber Costumarum (1498) en Anglo-Normand oC 1'association avec la figure royale est essentielle;

E parce que la feste roiale du pui est maintenue etablie prin- cipaument pur en chaunsoune reale... par quei il est ici purru en droit de celes chauncons qe chascun prince nouel le jour qil portera la coronne et gouernera la feste du puy... Kar nul chantour par droit ne doit chauncoun reale chaunter ne prof- frir a la feste du puy desques a taunt qil veit la chauncoun coronnee dreinement en l'an prochainement passe devaunt honou- re a son droit en la maniere auaundite.^

Au XVIe siScle, le chant royal avait perdu son caractere purement royal depuis longtemps dejS, mais le ton demandait 5 etre noble et plein d'emphase, En 1500, L'tnfortuni explique, dans son Instructlf de seconde rhgtorique;

Item il est diet chant royal, pource que de toutes especes de rithme e'est la plus royalle, noble ou magistralle: et ou l'en couche les plus graves substances. Parquoy e'est volontiers l'espece pratiquee en puy la, ou en pleine audience, comme en chant de bataille l'en juge, le meilleur est le plus digne d'avolr le prix apres que l'en a bien batu de l'une part et d'aultre.5

Alnsi le chant royal etait-il l'objet de concours dans les puys mSdii- vaux, tradition menant en ligne directe S celle des Jeux Floraux de Tou­ louse, Dans son Art Rhgtorique, Molinet cite, par exemple, un chant royal avec refrain primi & Amiens en 1470, En 1548, Sibillet fait allu­ sion dans son Art poitlque au chant royal comme genre pogtique: 181

Car le chant royal n'est autre chose qu'une balade surmontant la halade comme en nomhre de coupletz et en gravitS de matiere. Aussi s'appelle chant royal de nom plus grave ou a cause de sa grandeur et majeste qu’il n'appartient estre chant§ que devant les roys, ou parce que veritablement la fin du chant royal n'est d'autres que de chanter les louanges, preeminences et dignities des roys tant lmmortelz que mortelz.^

Les poetes des Jeux Floraux conserveront le ton grave propre au genre,

et les circonstances s'y preteront. Pour chanter la liesse, surtout au debut du siecle, les pofetes pr§fSreront la ballade et le sonnet. Cepen- dant, dans la confusion des genres, le chant royal prendra aussi parfois le rythme et le tour plus allSgre de la ballade ou meme du sonnet.

Quant h la structure, I 1Art de dlctier d'Eustache Deschamps de

1392 en expllque la riglde armature;

Item en ladtctet ballade a envoy. Et ne les sololt en point faire anciennement fors es chancons royaux, qui estoient de cinq couples chacune couple de x, y ou z vers; et de tant se puelent bien faire, et non pas de plus, par droicte regie. Et doivent les envoys d'lcelles chancons, qui se commencent par Princes, estre de clnz vers entez par eux aux rimes de la chanson sans rebrlche, et les y autres suyans les premiers deux, concluans en substance 1'effect de ladlcte chancon et servens a la rebriche.?

L'Infortune illustre la theorie de cette maniere:

Du champ royal la compilation Est en ce dit rethorlcalement Si est aussi la postillation Et en tout dit parell egalement Qui cinq coupletz a d'une forme unique Bien pareille semblable et politique Terminaison selon ce que commence La premiere couple sans difference Avec aussi prince de leur figure Ou a moitle de coupletz; alnsl en ce Le champ royal est de noble falcture,®

Plus de trois siecles durant, il y eut profusion de traits de rhe- tprique qui elaborerent sur les regies poetiques inh§rentes S la ballade 182

et au chant royal, Helen Cohen en fait mention dan? son livre sur la ballade?®

Eustache Deschamps; L'Art de dietier, 1392,

Jacques Legrand; Des Rimes, anterieur S 1405.

Anonyme; Les Regies de seconde rhgtorique, 1432.

Baudet Herenc; Le Doctrinal de seconde rhgtorique. 1432.

Anonyme; Trait6 de I 1art de rhetorique, 1433-1466.

Jean Molinet: L'Art de rhgtorique, 1493.

L'Infortune: L'Instructif de seconde rhetorique, ca. 1500.

Anonyme: TraitS de rhetorique, 14907-1500?

Pierre Fabri; Le Grant et vray art de pleine rhetorique, 1521.

Anonyme: L'Art et Science de rhgtorique vulgaire, 1524-1525.

Gratlen du Pont; Art et Science de rhgtorique m6trifi6e, 1539.

Thomas Sebillet; Art poStique francoys. 1548.

Joachim du Bellay: Deffence et Illustration de la langue fran- coyse, 1549.

Barthelemy Aneau: Le Quintll Horatian, 1550.

Guillaume des Autelz: Replique aux furieuses defenses de Louis Meigret, 1550.

Jacques Peletier du Mans: Art poetique, 1555.

Etienne Pasquier: Recherches de la France, 1560.

Franqois de Pierre Delaudun Daigaliers: L'Art poetique, 1598.

Jean Vauquelin de la Fresnaye; L'Art poetique francoys, 1605,

Le Sleur de Deimier: L'Acad§mie de l'art poetique, 1610.

Louys du Gardin: Les Premieres adresses du chemln de Parnasse, 1620. i 183

Francis Colletet; L'Escole des Muses, 1652,

Nicolas BoileaurDespreauxj L 1 Art po6tique. 1673,

D'autres traites cependant ignorent volontairement un genre pour lequel

ils n*avaient point d ’ggards, C ’est le cas de:

Antoine Fouquelln: La Rh§torique francoyse, 1555. I Pierre de Courcellesj La Rhgtorique, 1557.

Pierre de Ronsard: Abrggg de l ’art poitique francoys. 1565.

Claude Fauchet: Recuell de l’origine de la langue et poesie francoyse, 1581.

Nicolas Rapin; Vers mesurgs, 1610,

Jules de la Mesnardi&re: La Poetique, 1640.

Guillaume Colletet: L ’Art poetique, 1658.

Les chants royaux et les Jeux Floraux de Toulouse en ggngral, eurent un detracteur celgbre en la personne de Joachim du Bellay dans sa Deffense et Illustration de la langue francoyse. .Pour lul, le chant royal appar-

tenalt 5 une tradition petlmee car moyenageuse et il le tralte d ,Mepis-

series”. II dit;

Ly donques et rely premierement (0, Poete futur), feuillete de main nocturne et journelle les exemplaires Grecz et Latins: Puis me laisse toutes ces vleilles poesies francoyses aux Jeux Floraux de Toulouse et au Puy de Rouan: comme rondeaux, balla­ des, vyrelaiz, chantz royaulx, chansons et autres telles epis- series, qui corrumpent le goust de nostre langue et ne servent si non a porter temoingnage de nostre ignorance.10

Ce jugement severe ne manqua pas de soulever de nombreuses protestations d'ecrivains dotes d ’une moins grande renommge que du Bellay, ce qui donna

5 son jugement une valeur presque canonique, Parmi les energlques repli- ques des contemporains de du Bellay, on note celle de Barthglemy Aneau, 184 dans le Quintil Horatian{

Trop desdatgneuse est ceste exhortation de lalsser les vieilles poesies aux (Jeux) floraux de Thelose et au Puitz de Rouan. Par laquelle trop luperbe dehortatlon sont indignement et trop arrogamment deprlsees aux tres nobles choses. Dont l'une est 1'institution ancienne en deux tres bonnes villes de France de l'honneur attribue aux mieux faisans, pour l'entretien etemel de la poesie francoyse, jouxte le proverbe: l'honneur nourrit les ars, Tel que jadis fut en Grece es Olympiques, et(a Rome es jeux publiques, L'autre est 1'excellence et noblesse de nos poemes les plus beaux et les plus artiflcielz, comme ron­ deaux, balades, chans royaux, virelais, lesquelz tu nommes, par terrible translation, espicerie corrumpant le gout.: qui toutefois en toute perfection d'art et d'enventlon excedent les beaux sonnets et odes (que tu nommes ainsi), desquels plus amplement cy apres je parleray. Et en cest endroit, tu ne cognois, ou ne veux cognoistre, que ces nobles poemes sont propres et peculiers a la langue francoyse, et de la sienne et propre antique envention. Sinon que par adventure on les vousist rapporter a d'aucunes formes hebraiques et grec- ques es Prophetes et en Isocrat, et quelques latines en Cice- ron es oraisons et en Virgile es vers intercalaires. Ce que mesmes les noms de ces poemes donnent a entendre. Car rondeau est poriode, balade est nom grec, chant royal est carme heroi- que, par princlpale eenominatlon, vlrelay est lyrique ou lai- que, e'est a dire populaire. Ce que ne pensant pas tu les re- jettes, mesmement les virelays, et a la fin ordonnes les vers lyriques qui sont tout un et une mesme chose. Mais ce que te fals les desprlser, a mon advls que e'est la difficult^ d'iceux poemes, qui ne sortent jamais de povre esprit, et d'autant sont plus beaux que de difficile facture, selon le proverbe grec, choses dlffidles sont belles. Tout ainsi comme en grec et latln les vers exametres, chemlnans a deux pides seulement, sont plus nobles et plus beaux que les trochaiques ou lambiques ou comlques, qui recoivent plusieurs pledz indifferemment et plus a l'alse. Pour ce ne blasme pont ce que tant est louable, et ne defendz aux autres ce que tu desperes pouvolr parfaire. Et ne dy point que telz poemes ne servent slnon a porter tesmoi- gnage de nostre ignorance. Car au contraire, par excellence de vers et ligatures, nombreuses multiplications de cadences unissonantes, et argute rentree, refrains et reprinses avec la majeste de la chose traistee, et epilogues des envoys, tesmoi- la magnificence et richesse de nostre langue, et la noblesse et feliclte des esprits francoys, en cela excedans toutes les posies vulgaires, Mais pour le difficile artifice et elabouree beaute d'iceulx anciens poemes, tu les veux estre laissez.H 185

Avec autant de justesse, Guillaume des Autelz se fait, dans Rgpli^ que aux furleuses defenses de Louis Mej^ret (1550), le dgfenaeur des anr, ciens genres poeitiquesi

Au reste, encores, ne tiens je si peu de conte de noz anciens Francoys, que je mesprise tant de leurs propres inventions que ceux qui les appellent episseries, qui ne servent d ’autre cho^ se que de porter temoignage de notre Ignorance. Pourquoy est plus a mespriser l'elaboree balade francoyse que la supersti*' tieuse sextine itallenne? Ou y trouvez-vous si grande Inepr* tie? Est-ce en la palynodie? mais elle nous est commune avect* ques les Grecs et les Latins, Est«ce en la difficult?? Mais tant plus en elle est louable, pourveu qu'elle n ’en apparoisse ny moins ornee ni plus contralnte, Estrce en l'abus de ceulx qui ecrivent mal? mais nous pourrlons ainsi universellement condamner tout la p o e s i e , 1 2

Certes, Toulouse fleurissait au XVIe siecle grace au commerce du pastel et des Spices; il nous faudra done savoit si les gouts HttSraires des bourgeois de la ville etalent vraiment ceux d n,epiciers” ,

Par son contenu, le chant royal sert surtout de toile de fond & un contexte religieux, souvent prenant sous cette forme le nom de servent tois, Dans les cas des chants royaux du Llvre Rouge, leur contenu sera essentiellement religieux ou grave de nature, Par son ampleur, le chant royal est le genre de predilection pour les Sloges funSbres, les sermons, priSres et autres themes religieux, "Le theme religieux, dit Daniel Poi^ rion dans Le Poete et le prince, reste done normalement assoclS S cette f o r m e " , ^

La dignitS grave et compassee de cet ample chant plaira aux bour^. geois de Toulouse, car il correspond I l ’idee qu’lls se font de la little rature, "La noble faicture pour autre digne forme herolque ou d*oralson de bonne convenance" remplissait toutes les conditions necessalres pour fleurir dans une ville ou le gout de 1*eloquence etait traditionnelle*. ment enracini,

2. Les proportions du chant royal du Livre Rouge

L'ensemble des po£mes du Livre Rouge se caract§rise par "la star. bilit§ des schemes constructlfs". ^ Comme les troubadours de la* chanson courtoise du moyen age, les poetes des Jeux Floraux au XVIe sl&cle ont recours de preference & un type strophlque IsomStrlque unlssonant ou les vers sont d ’ggale longueur et contrlbuent ainsi £ la symgtrie des pror. portions et 3 l'harmonie soutenue de 1’ensemble, Les chants royaux se composent de onzains ou de dizains, terminis par des envois de cinq, six ou sept vars. L'auteur de L ’Art et Science de rhgtorique vulgaire

(1524-1525) recommande;

Se le refrain a onze slllabes, les coupletz de la ballade sont de dix llgnes; mais 11 faut que la derreniere slllabe de la ligne dudit refrain soit en ryme masculine et parfaictej des quelles dix lignes les quatres premieres se croysent, la v6 pareille a la iiije, la vle ,vije et lxe de parellle terminal tion differante a celle de la croysure, et la vilje et xe egalr* les en ryme et consonnance distinctes de toutes les autres.

Se le refrain a onze slllabes, dont la derreniere est feminine et imparfaicte, les coupletz auront onze lignes.^

Sur le plan purement formel, on assiste des 1556 £ une brusque remise en question de la cadence du vers avec 1 ’Introduction de l ’alexan- drin qui va remplacer le d&casyllabe tout en en gardant les posslbilltfss,

A partlr de cette date, la plupart des poemes ont pour base le vers de douze pieds, £ part un retour au decasyllabe dans un poeme de Jean de Car^ donne (Violette, 1558), Cette petite revolution esthStlque avait St§ prS~ cedee deux annees auparavant par 1 ’introduction du sonnet, suivant l ’ini^ 187 tiative des auteurs de la Plelade dont la renonm&e etait £ son apogee dans les annges du milieu du sl£cle, Le succ&s du dgcasyllabe peut s’exr pliquer par la solennitg de son rythme qui rgpondait bien aux exigences du style tragique propre au grand chant courtols et dans lequel les poet* tes de Toulouse trouvgrent leur Inspiration, L ’alexandrin lul succeda, car son ampleur, tout en apportant un air de nouveautg, gpousait*bien le rythme necessaire au grand chant royal,

Compte tenu du fait que la po£ste florale de Toulouse est stylist tiquement tr£s proche de celle des troubadours du moyen age, l'gtude de

Daniel Polrlon, Le Polte et le prince; I*!volution du lyrisme courtois de

Guillaume de Machaut £ Charles d ’Origans, est essentlelle, Daniel Pol*' rlon explique pourquoi les po£tes se sont arretes au nombre de cinq stro^ phes, Les cinq strophes de dix, onze ou douze pieds permettent £ un moun vement tres large de se deployer, Daniel Polrlon gvoque aussi le pres~ tlge du nombre impair;

Entre la double ballade qui comporte encore six strophes et la ballade £ quatre strophes, qu'on rencontre de temps en temps, la chanson de conq strophes, chere aux trouv£res du X H I e sl£cr* le, pouvait prgsenter un equllibre sedulsant £ une gpoque oft le pentagone sert de base aux motifs archit^ecturaux, Les cinq etapes du poime permettalent une harmonieuse comblnalson de l ’glan lyrlque, gloge ou prlgre par exemple, et de la dgmarche logique, La dernllre strophe ramgne sans trop de contralnte £ la conclusion pratique de la meditation,^

Le po£me de Rodolphe Gay (Violette, 1572) offre un exemple de

1 ’architecture de ce pentagone dont on ne peut s ’gtonner qu’ll alt aussi attire un homme de theatre tel que Robert Garnler (primd en 1564 et 1566),

La premiSre strophe est une strophe d 'Introduction ou le poite dgcrlt un gtat de faits, selon un gplsode de l ’Ancien Testament; aprgs le dgluge, 188

Dieu mpntpe § npuyeau aux hommes sa grande magnanimite en envoy ant Molse,

Apres que Dieu, autheur de ce mondain ouvralge, Centre nous justement a courroux incitS, Par ung oraige d'eaux eust vengg son oultraige, Non fort long temps apres, sa divine bontg Entre tous les mortelz de la terre habitable, Eslisant Israel pour son troupeau aymable, Ung Moyse il choisist pour toujours l ’avoyer,1^ (w,l-7) i La seconde strophe est la presentation du drame, Un jour, l ’harmonie ter-

restre est perturbge par "le vice immunde" des hommesj

Mais ung jour tous de ce bien heureux aige Que Moise, suivant de Dieu la volontg, Sur ung mont voisinant le celeste nuaige Laissant son peuple bas, tout seul estoit montg, On veist en peu de jours, ce vulgaire muable, Irritant du grand Dieu la grandeur admirable, Du sentier de la loy felement s'esgarerj Ils oserent, ingratz, autres dleux adorer, (w,12r-19)

La troisi&ne strophe est le moment ou le drame se soue, Molse va haran-

guer la foule du haut de la montagne et la faire se repentir, Le dis-

cours au style direct contribue d'autant plus a donner un style thSatral

S la sc£ne;

"Quoi! dict-il, peuple ingrat, es-tu si peu feable Au Dieu qui t’a estS si souvent secourable? N ’est-ce pas ce grand Dieu qui t’ha sceu dellvrer Des mains de Pharaon, qui t’ha faict engouffrer Avec son exercite, au creux ventre de l ’onde? Ja il tient en sa main pour ton chefz effondrer Le feu ouvrant le sein des abismes du monde,^ (w. 27-32)

La tension monte dans la quatriSme strophe, Le poSte se heurte aux mena­

ces des hiretlques qu'il previent des consequences de leur acte}

"Nous verrons tost le ciel contre elle (la foule des hgretiques) s ’irriter Et du sein orageux d ’une nue qui gronde Sur leur teste eslanci, brillant piroulter 189

Le feu ouyrant le sein des abismes du nondetn20 ( w , 41^44)

La resolution du drame se fait en catharsis, comme le prophete l'avalt

predit, sous les foudres de Dieu; "Le feu ouvrant le sein des abismes

du m o n d e " .

L ’effet dramatique que nous pouvons relever, dans le po&me de Rodolphe

Gay, comme dans d'autres chants royaux, est "un lnt€ressant effort pour

rendre la vie fi un genre qui est en train de se figer dans des attitudes 91 conventionnelles". Ce sont les meilleurs poemes qui tenteront de l*en

sortir.

Le mouvement propre au chant royal et & la ballade est done un

enchalnement loglque et lindaire auquel 1*inspiration du polte doit se

soumettre. Les liaisons entre les differentes strophes forment une arr> mature autour de laquelle se cristalllse le reste du poeme, C'est pour

cette raison que les poetes ont l ’habitude de commencer la strophe par

des mots tels que "Et davantaige", "Oultre", "Et si", "Veu que" (Pierre

du Cedre, Souci, 1541),

Les chants royaux prennent aussi souvent le ton gplque de la parabole ou de la fable. La cadence temporelle en attestej "Apr&s que

Dieu,,,", "Mais ung jour,,,", "On veist en peu de jours", "Toujour, tour- jour avoit pour sa dextre emparer", "alors que retournant de son heur* reux voiaige", "5 peine avoit fini ce prophete langalge",

Dans le meme pogoe de Rodolphe Gay, la premiere et la dernigre strophe soutiennent une action concentree sur les trois strophes centra^ les, Le tout est soultgng par un envoi qui donne sa pleine signification au chant, let, on lit; 190

Par Israel, j'entendz l'eaglise perdurable qui tient pour Jesuschrist le guide favorable} Le poeuple qui s'asa d'Israel separer Nous figure cellui qui se veult retirer Du troupeau des Chrestiens, lequel sur Dieu se fondej Son ire qui viendra ses mutins abismer, Le feu ouvrant le sein des abismes du m o n d e , 22 (vv, 56*^62)

L'envoi du chant royal du Livre Rouge commence, en geniral, par "J'en*'

tendz", comme les chants royaux du moyen age commenqalent par "pour ce

conclus" et dggagealent la leqon aprSs le divelopement, Daniel Polrion voit dans cet effet une ampleur tragique qui rejoint le rythme de la con»> plainte.

3. Le refrain

Chaque strophe est cadenc&e par un vers qui revient au onzi&ne ou au douzleme vers et qui sert ainsi de refrain, Quolque 1'existence du refrain sout nee d'un principe esthStique, ce jeu poltique peut aussi etre rapproche des formules stereotypees dont la repetition assez format liste faisait les delices des puys du moyen age, Dans le Llvre Rouge, il est aise de constater comment la pensee dialectique s'est moulSe sur l'ar^ mature que Daniel Poirion appelle h juste titre "rayonnante", En effet, le refrain aglt comme un leitmotiv, ramenant le lecteur ou l*auditeur & un point central, comme le coeur d'une rosace poitique, 11 n'est pas si etrange que les figures de rhetorique italent aussi appelges "fleurs de rhetorique", Les Jeux Floraux de Toulouse portalent bien leur nom, Dst' niel Poirion, cependant, minimise 1'importance d'un "encerclement" pure^ ment melodlque, tel qu'on peut le voir dans le vlrelal, Dans la ballade et le chant royal, il distingue plutot une intellectuallsatlon progressl- 191 ye du refrain, D3s l ’gpoque de Guillaume de Machaut, le refrain est der. venu plus une curiosltg artistique qu’un processus vivant, L ’lntgret du refrain musical s'est obscurci 3 mesure que la ballade se dgtachalt des pratiques du lyrisme vocal, Les Arts de rhgtorique insistaient sur le montage intellectuel necessaire pour assembler les diffgrentes parties de la strophe en assurant une convergence et une harmonle par rappoi*t au refrain, Jacques Legrand conseille dans Des Rimes;

Et finalement on doit fere un refrain, lequel doit estre apparr. tenant et declairg par les vers devant dltz, Et semblablement on doit toujours apres proceder, en tendant toujours 3 une fin} C ’est assavoir 3 prouver et demonstrer son refrain, et & parler pertinamment 3 luy, autrement la ballade n'est pas bien compo^ see.23

Ces exercices de 1 ’intellect plaisaient aux jeunes etudlants de Toulouse,

Leurs poisies sont 1 ’oeuvre de purs jeux de 1'esprit,

La valeur du pd&me tient 3 la decantation du langage, 3 l ’gpur> ration de l ’idge que sa structure logique impose 3 l ’gcrivain,24

Franjois de Gells cite en traduction une "citation rimee" de 1498 dans laquelle il est clair que les refrains gtalent fixes 3 l’avance par les membres du Conslstolre;

Ainsi done veuillez vous souvenir de faire compositions nouveln les et bien divisges, de trois couplets seulement, de neuf vers chacun, Distinguez vous par votre bon gout entre tous les conr* currents, car votre savoir vous attlrera grand honneur, Surtout n ’oubliez pas de terminer par le refrain suivant; "Au Coeur me frappe la Poire d ’Angoisse (sic)",25

Mais a l'gpoque du Llvre Rouge, la forme que prennent certains refrains nous porte 3 croire que c ’gtalent les thgmes plus que les formes fixes des refrains qui gtaient mis en competition, On trouve, par exemple, "Que l'homme rend 3 jamais bien heureux" (Violette, 1543), "Seulle, sans plus 192 du venin preservee" (Violette, 1540), A notre avis, lea po£tes rivan

i > lisent sur les themes de la guerre, la paix, la grandeur de Dieu, la gran ce divine, le salut par la vertu, etc, 11 eat cependant intireasant de noter que certains refrains, d ’une meme annde ou d'annees cons6cutives,

* comportent des similaritSs syntaxiques et lexicales, ce qui laisserait h.

< penser que le th&me etait l’objet d ’un §noncS pr§cis que les po&tes se plaisaient S reprendre, sans en etre toutefois forces, On remarque, en effet, en 1540:

L'arbre floury au celeste domaine, suivi par;

L ’arbre passant toute oeuvre naturelle,

En 1542:

La toyson d ’or tant fascheuse a conquerre,

La goutte d ’or des hautx cieulx provenue.

En 1545;

L ’air remplissant tout le vuyde du m.onde,

L'air qui nous donne et conserve la vye,

En 1549, le rapprochement n'est pas le fait du seul hasard;

La vertu seulle apres mort donne vye,

La verte olyve en ce monde nonnorSe,

En 1556;

La nef rompant 1 ’effort des vagues perilleuses

La nef toutiour maistresae de l ’ourage

Des correspondances apparaissent d ’une ann§e Ji 1’autre, dSnotant l ’exi&n tence d ’une ecriture particulilre au Livre Rouge et que les nouveaux laur> 193

reats s ’inggnient & imiter, En 1544, le polte Franfois Rev&rgeat re-

prend le th&tne des "gouttes d*or" introduit par Jean de Carrier en 1542;

"La pluye d'or des haulx cieulx descendue",

En 1550, Bernard de Poey remet £ l ’honneur le concept du "Tout” ahaolu

symbolisant la presence divine; on a d§j£ trouvl ce th&me dans les pofimes

precedants: »

1557 Du feu qui tout neurrit comme tout il engendre

1558 Le vent donnant £ tout vye par son haleine

1559 Du ciel qui tout prodult d ’eternelle sentence

1560 Le tout de tous produict, seul parfaict des parfaicts,

Le pronom relatif qui fait aussi partie du registre lexical des refrains,

11 se retrouve dans dix^neuf refrains, avec parfois des variations en

"dont"ou "ce que",

1562 Le Roy qui tout remect soubz son obeissance

1564 L ’eschelle qui conjoint la terre avec les cieulx

1566 L ’aigneau qui du dragon a la force domptee

La proposition relative introduite en ces termes a un effet qualiflcatlf

sur le nom qui la precede, agissant ainai comme le couple "substantif/ad-

jectif" qui est & la base de l’Scriture des Jeux Floraux au XVIe si£cle,

L ’utilisation du pronom qui donnait cependant plus de libertS £ un dSair

de precision et d 'argumentation ni d'un esprit de jurtste. La majoritS

des refrains sont aussi introduits par le pronom difini emphatique qui

aide £ soullgner avec emphase le reste de la strophe,

Les refrains Svoquent aussi 1 ’esprit dans lequel furent composes

ces po£mes, A partir de 1564, les r§f§rences £ la tourmente s« feront 194

plus pressantes. Dieu ne sera plus force de vie mais plutot vengeur des

forces demoniaques:

1564 La mer n ’est pas toujours bouillonante en oralge

1566 L'aigneau qui du dragon a la force domptee

L ’Hercule qui dompta les forces de son aige.

1572 Ate qui fut du ciel par le Tonant chassee.

Le feu ouvrant le sein des abismes du monde.

1573 Le serpent aui sans fin soy mesme renouvelle.

1575 Le labirinthe obscur perdant ceux qu'il enserre.

1576 Le monstre foudroye par de filz du Tonerre.

Une liste des divers refrains, qui agissent comme des titres aux poemes, peut eclairer sur les themes et leur mise en forme:

1539 Que vye humaine a icy tousjours guerre.

Roy tres chrestien qui paix aux sciens pourchasse.

1540 Seulle, sans plus de venin preservee.

L'arbre foury au celeste domalne.

L'arbre passant toute oeuvre naturelle.

1541 Laurier sans fuellle et sans loz bon poete.

Que de la Croix deppend 1'humaine vye.

Cognition de la chose divine.

1542 La toyson d ’or tant fascheuse a conquerre.

La goutte d'or des haulx cieulx provenue.

Le clair soleil nourissant tout le monde.

1543 Le poinct du jour et la doulce rosee.

Que l'homme rend a jamais bienheureux.

La paix que Dieu nous a du Ciel transmise. 195

1544 De l'art divin la sourgeante fontalne,

La pluye d ’or des haulx cieulx descendue,

Le Dieu vivant, seul parfalt en essence,

1545 L ’alr rempllssant tout le vuyde du monde,

Le centre rond du hault Ciel EmplrSe,

L ’air qui nous donne et conserve la vye,

1547 La fleur passant toute oeuvre de nature,

Et chacun I 1a pour son oell deslr§e,

1548 Honneur me suit, la ou vertu me guyde,

Ung tout en troys d'une mesmes essence,

1549 La vertu seulle apres mort donne vye,

La verte olyve en ce monde honnorfie,

Le seul Phoenix se tuant pour renatstre,

1550 L ’aulbe annunceant du solell la venue,

Le poinct parfalct dont deppend tout le monde,

Le tout seul tout & tous dormant la vye,

1551 La nef flottant pour le salut du monde,

L'arbre charge de fleurs frulcts et ramages,

Pour recompense aura vye eternelle,

1552 Le seul sainct nom declalrant son essence,

La ronde sphere a son centre fondie,

Deucalion qui restaura le monde,

1553 Le petit monde restant encore I nalstre,

La belle lune 3 la nulct reluysante,

L'aultre solell qui nulct et jour esclalre, 196

1554 L ’algneau promis aux pasteurs de Judee.

Les deux liqueurs arrosans tout le monde.

1555 L ’aultre clarte nous rendant la premiere.

1556 La nef rompant 1 ’effort des vagues perilleuses.

La nef toutiour malstresse de l'ourage.

Le feu meurtrier des enfans de la terre.

1557 La fleur suyvant le cours de la torche eteree.

Le ruisseau abreuvant tout le rond de la terre.

Du feu qui tout nourrist comme tout 11 engendre.

1558 Le vent dormant & tout vye par son haleine.

L*esprit unyversel, infuz en ce bas monde.

Le chef estuy des treshors de nature.

1559 La pure et simple forme exempte de matiere.

La divine fureur qui ravit les poetes.

Du ciel qui tout produit d'eternelle semence.

1560 Les formes qui sans forme ont forme la machine.

Du grand Dieu marinler la demeure eternelle,

Le tout de tous produlct, seul parfaict des parfalcts.

1561 La resplendeur montrant la clarti qui 1 ’engendre,

L'astre qui plus reluyt au zodlaque oblique,

Les flammes annonqans une plus grande flamme.

1562 Le Roy qui tout remect soubz son obeissance,

L ’edifice immortel de la divine essence,

C ’est contre le destln une feble deffence,

1564 L ’eschelle qui conjoinct la terre avec les cleux,

La lune du solell empruntant la lumlere. 197

La mer n'est pas toujours boulllonante en oralge,

1565 L'humeur coulant du d e l sur les flancz de la terre,

La Pandore chassant les tenebres du monde.

La volx plongeant les naux dans le seln d ’Amphltrlte,

1566 L ’algneau qui du dragon a la force domptge,

L ’Hercule qui dompta les forces de son alge,

L'eau qui faict verdoyer les temples des poetes,

1567 Le Temple fagonnS sur le patron du monde,

Le prophete englouty au seln de la baleyne.

La clarte flamboyant dans la lampe eternelle,

1569 Le Tabernacle salnct guide par la nu£e,

Le patron qui condulct sa nasse par 1*oralge,

L ’accord entretenant le del, la terre et l ’onde,

1570 Les vents dont le souffler aglte la marine,

Le solell qui la lune orna de sa lumlere,

L ’estollle marlniere aux navlgans proplce,

1572 L'ame qui falct mouvoir la grand voulte du monde.

Ate qui fut du d e l par le Tonant chassee,

Le feu ouvrant le sein des ablsmes du monde,

1573 Le serpent qui sans fin soy mesme renouyelle,

La matiere aspirant 3 la forme parfaicte,

L ’ame vlvlflant ce que le ciel enserre,

1575 Le jardin fleurissant sur les bordz de Garonne.

Le labirinthe obscur perdant ceux qu’il enserre,

Le titan enleve dessus la nue adante. 198

1576 Le monstre foudroye par le filz du tonerre.

L'e&glantier flamboyant sur la terre sacr€e.

La contrepomme ornant le salnct arbre de vye.

1577 L'estoile par l ’escler du soleil redor€e.

La verge qui fleurit sans aulcune racine.

Les destriers conduisant l'eternelle lumiere.

1578 Le centre qui maintient la forme de ce monde.

L'uhite divisant et unissant tout nombre.

Le desgout etemel qui coule en la fontaine.

1579 Le bois adoucissant les fontaines ameres.

Les trois poincts rapportes en la ligne ecliptique.

Le cercle pur et simple en uniforme essence.

1581 L'obscurite voilant la divine lumiere.

L'oeuvre qui se parfaict dans le vase alchlmlque.

Le bitume engendre dessoubs l'onde asphaltique.

1583 Le centre du quadrangle ou le rond se figure.

Les cercles agites par les espritz magiques.

L ’obelisque dresse dans le centre du monde.

Pour resumer 1'importance du refrain dans le chant royal, tel qu'on le volt dans le Livre Rouge, il faut citer Daniel Poirlon:

Dans la forme a refrain, le retour a l'idie centrale soumet le jalllissement lyrique, 1 ’explosion de la pensge £ un mouvement pour ainsi dire concentrique.26 199

4. L*envoi

Outre le refrain, 1’envoi est un element caracteristique du chant royal. L'Art et Science de rhetorique vulgaire (1524-1525) en prescrit la forme et le contenu:

II est a noter que tout envoy, qui se commance par Prince, a les mesmes refrains des coupletz; mais il ne contient que cinq lignes tout au plus es coupletz de dix et onze syllabeq, et prend ses terminaisons et rymes sur les cinq derrenieres lignes des ditz coupletz; et se ilz n'ont que huyt ou neuf lignes, les rymes de 1'envoy 6e feront sur les quatres derrenieres lignes d ’iceulx coupletz.27

Les poetes des Jeux Floraux feront preuve toutefois de plus de liberte.

Le vocatif "Princes" en donne le ton et la portee. A Toulouse, meme en 1*absence de personnage royal, les Mainteneurs etaient pourvus par les poetes d'un prestige quasi royal et ceux-ci attendaient de leurs censeurs la reconnaissance de leurs oeuvres. Dans La Technique pofetique des trouvSres, Roger Dragonetti explique que 1’envoi est un prolongement de la "tornada" occitane:

II s'agit de clore la lettre en s'adressant directement au cor- respondant ou au public, bref de rattacher le mouvement imagi- naire de la poesie a la vie authentique.28

Certains envois, comme celui de Pierre Trassebot (Gauch-Souci, 1539), res­ tent une conclusion moralisante, quelque peu proverbiale et dont la for- mule etait connue a I"1 ensemble d ’une tradition. Pierre Trassebot declare:

Bref, s'on veult tout notter et compasser, On ne scaurait par ce monde passer Sans guerre avoir; qui veult le contre il erre, Car, dist Job, en se voyant deschasser, Que vye humaine a icy toujours guerre.29 ( w . 51-54)

Souvent, 1'envoi est adresse au "Prince Francoys" (Franqois ler), selon la meme tradition que dans les puys medlevaux: 200

Prince Francoys, en guerre audacieux En temps de paix a tous tant gracieux, Puisque par toy vraye paix nous embrasse, Toujours aura ce renom precieux: Roy tres chrestien qui paix aux siens pourchasse.30 ( w . 51-55, Hector du Pertuiz, Violette, 1539) ou:

Prince Cesar, faictz d'Espagne et Cecille Conjonction avec Gaule fertile.31 ( w . 55-56, Mejany, Eglantine, 1543)

La majorite des autres envois du Livre Rouge sont adresses a un prince mythique, fictif et tres abstrait dans lequel les Mainteneurs aiment se retrouver:

Prince, je prendz comme faict l'Escriture, Pour le troupeau toute humaine nature.32 (Jean de Corrier, Violette, 1540)

Prince, j'entendz Jesus Christ nostre maistre, Pour Apollo ...... 33 (Claude TerIon, Gauch, 1540)

Prince, mon cueur Jesus pour l’arbre croit, Et pour la fleur sa parolle concoipt.34 (Jean Rus, recompense non mentionnee, 1540)

Prince, je prendz la toyson de parage Felicitg, et Medee la sage Pour la vertu qui nous mene au vray b u t . 35 (Jean de Saint-Hilaire, Souci, 1542)

Prince, j'entendz la Vierge glorieuse Pour Danae, chastet§ precieuse (premier envoi de Jean de Corrier, Eglantine, 1542)

Prince, je prendz pour la tour sumptueuse Le corps humain ^ (deuxieme envoi)

P r i n c e ...... sur la chaleur je fonde Le sainct espritt 37 (Jean Rus, Violette, 1542)

Prince, cest air a chacun denotoit38 (Aymar de Vabre, Souci, 1545) 201

Prince, mon chant Dieu le Pere concoipt Pour Jupiter ...... ^9 (Pierre Paschal, Souci, 1547)

Prince, mon chant denote le bon zele De D i e u ...... 40 (Helie de Boyresse, Eglantine, 1549)

On remarque que, pour s'adresser aux Mainteneurs, les poites utllisent

des termes de logique argumentative ou l ’on recommit le vocabulalre ju»*

ridique: "conqoit", "dinote”, etc. Ils proposent S leurs juges la solu«

tion d ’un rebus, comme le jugement final d'un proces, et autant le reste

du poeme est riche en circonvolutions de pensee, autant 1’envoi doit etre

un modele de clarte et de concision qui va droit au but, Le poete doit

flatter son auditeur en lui donnant la satisfaction de la resolution

d'une enigme difficile. II y a un recul entre I1envoi et le contenu du

poeme; Daniel Poirion expllque;

C'est la sagesse plus pratique, la circonstance que l’on re*» joint enfin et qui aide I situer en definitive les ldees absr* traites, developpees dans le poime,,, L ’envoi marque le rac~ cord avec la realiti concrete et objective, apres le ditour par les ldees, la reflexion et 1'emotion caractirlsant le lyr* risme. II revient au public riel, a la cour, aux princes et le mot retrouve sa signification politique,,, Ce retour au riel limite, on le comprend, la longueur du voyage dans le do« maine ideal. A la diffirance de la complainte, dont le vaga~ bondage mental n'a pas de terme imposi, 1 ’auteur du chant royal, comme de la ballade, reste attachi a la vie concrite par un lien subconscient qui devient tangible quand on a recours au refrain, et qui trlomphe en tous cas par l’envoi, ramenant la pensie sur terre.

Parfois, les poetes pousseront le jeu jusqu’a proposer deux lnterprita^

tions sous forme de deux envois, C ’est le cas du poime de Jean de Cor~

rier (Eglantine, 1542). ,

Cependant, le jeu tombe dans un pidantisme ennuyeux, Les envois devlenn nent, dans certains poemes, des "redditions d ’allegorie", des ’’expositions 202 d ’allSgories" et mSme des "allegorhermenies" (Jean de Cardonne, Souci,

1561).

5. La rime

Les rimes du Llvre Rouge frappent par leur regularite. A titre d ’exemple, nous choisirons trois modeles de rimes, l'un au debut, les 4 deux autres 3 la fin et au milieu de la p€riode que nous €tudions. Voici le poeme de Jean Corrier (Violette, 1540):

le strophe ueux faire ture ement vg«

2e strophe eux fere (faire) ment »»««•#»»*

3e strophe ----- taire ------

4e strophe teux traire ure ement -- -

5e strophe eux ere (ayre) —-

envoi ture ment

Le poete cherche a maintenir des harmonies rSgulieres tout au long du poeme, et meme si la rime est plus riche dans certaines strophes, le mo- dele en reste similaire, L ’envoi, quant a lui, reprend la rime des cinq, six ou sept derniers vers de la strophe.

Le poeme en dizains de Robert Gamier (Violette, 1564) se compose selon le meme schema:

le strophe re erre yeux (ieulx) alge

2e strophe — >—

3© strophe

4c strophe

5e strophe

envoi tieux 203

La symetrie est syst£matique, revenant meme d ’une maniere obsessionnelle

suivant un schema traditionnel et particulierement repandu dans la chan­

son courtolse: ababccdded pour les dizains et ababccddede pour les on-

zains. Les rimes enchalnees sont suivies de rimes doublees pour termi­ ner par une rime embrassSe. Ainsi, la strophe jouit d ’une grande diver­ sity de sonorites qui contrastent avec le caractere strict de l'encadre- ment strophique.

L'avant-dernier poeme du Livre Rouge - le dernier etant reste

inacheve par negligence du greffier - , compose par Jacques de Puymisson, est un modele de ce schema:

le strophe ence lte lere ment (mant) iques

2e strophe ance (ence) te miere ment ——

3e strophe ance (antce) --- iere ment (mant)

4e strophe ence (ance) ite ---- ent ——

5e strophe ance te ement

envoi ant (ent)

Le melange de liberte et de contralnte fait dire a Daniel Polrlon:

Le chant royal est une formule de compromis entre la liberte des longs poemes comme la complainte, ou le poete suit tran- quillement son id£e, et la discipline strlcte des petlts pofemes comme le rondeau, qui permettent un raplde tour d ’horizon, Mais, c'est la ballade qui a trouve la juste mesure avec ses proportions moins ambitieuses et sa formule d 'enchalnement as- sez souple.^2

La recurrence d'effets sonores et la tension qui existe entre controle et liberty donnent au chant certains attributs de la danse que nous allons d§velopper dans 1'etude du rythme.

Le leitmotiv est une des caracteristlques du chant royal; dans le 204

Llvre Rouge, il se presente au niveau du refrain, a la fin de chaque strophe, mais aussi au niveau de la rime dont certaines reviennent d'une maniere frappante dans 1’ensemble du corpus. Voici celles qui sont les plus fr§quemment employees:

-ence (ance) et leurs derives: -encer, -ancer, -ante, -ente,

-dant, -issant, -rend, -iance,

-endre (63 combinaisons).

-onde (-unde) utilise dans 25 combinaisons.

-ment se retrouve dans 36 combinaisons.

-ieulx, -eux, -ueux, -euse, -tieux, dans 42 combinaisons.

-iere, -ier, dans 19 combinaisons.

-erre dans 10 combinaisons.

-asse (-ace), -esse (-ece) dans 15 combinaisons.

-te, tee, dans 18 combinaisons.

-able dans 9 combinaisons.

-tion dans 2 combinaisons.

On trouve aussi des series en -eur, -ure, -il, -ine, -ique, -elle, mais avec moins de frequence que les autres rimes precedemment mentlonnSes.

La rime en -ance est de loin la plus caracterlstlque du chant royal du Livre Rouge. Dans La Technique poetlque des trouveres; contri­ bution a la rhgtorique m&diSvale, Roger Dragonetti releve que cette rime etait deja repandue aux Xlle et X H I e siecles, pour s'accroitre au XVIe siecle, ce dont les poemes du Livre Rouge attestent.^3 n suivlt ensuite une courbe descendante jusqu’a notre epoque, Les mots en -ance appar- tiennent au vocabulaire lltteraire et se pretalent particulierement 5 la 205

formation de substantifs abstraits, mais la resonance poetique du suf-

I fixe etait aussi toute designSe pour des rimes en chute douce dont l ’eu-

phonie charmait l’orellle des prosateurs et des poStes. Dans son petit

glossaire symboliste (les mots en -ance connaitront un regain de faveur

a l’epoque du symbolisme), Paul Adam note que la finale en -ance attenue

le sens precis des mots, le rend plus vague et le nuance de recul. La

desinence en -ance a meme fait l'objet d'un livre par Alexis Frangois

intitule Une "pedale" de la langue et du style. Essai hlstorlque sulvi

du repertoire des mots contemporains finissant par -ance. avec un appen- dice des mots finissant par -ence et -escence (Geneve: Droz/Lille: Glard,

1950)^. L'auteur cite le cardinal Bembo (Le prose della Volgar Lingua,

1525) qui montre la predilection des poetes et des prosateurs §l§gants anterieurs a Dante pour ces termes d'origine provengale et qui se ren- contraient trSs frSquemment dans le vocabulaire elegant toulousain.

dottanza et pezanza et benisanza et malenanza, allegranza et dir* lettanza et piacenza et valenza et fallenza, et moltre altre voci di questa maniera^

L'ironie fait jour dans le ton de Bembo, trahlssant d§jS chez certains poetes une certaine affectation stylistique, Les rimes derivatives, S sonorite nasale (an/en) sont aussi frSquentes et participent a ce meme schema. De plus, les formes adverbiales en -ment termlnent, d ’une m a n u ­ re assez facile, certains vers des trente-slx poemes, Leur nombre, cepen- dant, eclaire le critique sur 1'importance accordee a la 4nanl£re” , S la forme des poemes d ’ou peut jaillir l ’harmonle,

Les nasales -onde/-unde revlennent aussi souvent et contribuent & donner une impression d ’ampleur que les poetes associent giniralement avec 206 des termes tels que "profonde", "onde", ’’monde". La desinence -ance, quant a elle, evoque plutot "essence", "immense", "vengeance’^, dont le caractere abstrait est immediat.

Les aonorites en -able, gen€ralement 2 la fin des adjectifs, en

-te a la fin des norns et des partlcipes passes, en -tion a la fin des noms concourent a donner un caractere abstrait aux poemes par l ’ampleur des concepts qu'ils recoupent.

Presque aussi repandues sont les aonorites en -eux dont le vocab­ le rond et fermS peut s'allonger en fin de vers et epouser 1’impression d'ampleur que le poete cherche a transmettre. L'effet sonore de l ’ensem- ble de ces sonorites ressemble a un point d ’orgue final.

On constate que les desinences precedemment citees figurent rare- ment 2 l'interieur du vers. Comme Roger Dragonetti le remarque dans le cas de la poesie des trouveres, il s'agit surtout d'un vocabulaire spe­ cialise, exclusivement reservS a des effets de rimes.

II existe aussi toute une categorie de rimes, ggneralement en

-oit (oict, oist), -er (ier) ou -te (tee), formees a base de figures ver- bales. Dans le vocabulaire des trouveres, elles etaient tres fr&quentes,

Dans le recueil du Livre Rouge, il existe une vingtaine de combinaisons en desinences verbales qui reinvent d ’une technique tree simple et que le caractere stereotype du vocabulaire favorisait considerablement.

La recurrence systematlque de certains schemes de rimes met en question le probleme de la creation esthetique a Toulouse au XVIe siecle,

Comme dans la tradition medievale, on voit qu’il s ’agit moins de creer que de faire agir une memolre verbale. Roger Dragonetti expllque en se 207

referant au poete:

II se peut qu'une rime chante en lui, appelle le mot et ce mot eveille un cliche qui en appelle d'autres; tout un milieu har- monique s'ebranle et s'organise . ^

II poursuit:

Tous les moyens d'expression relevent de la tradition, chaque element formel peut exercer son pouvoir d'attraction sur tous les autres et assumer une fonction d'Svell.^?

Cet appel sonore, cette "fonction d'eveil", apparalt clairement dans le

poeme d'Antoine Noguier (Violette, 1553) ou la rime, cependant, reste la- borieuse:

Isaure d'eau a gouttelettes lancS Dessus les fleurs croissans, avec sillance, Et la voyant si reluysante et claire, Plonge son chef, voyre son excellence, L'autre solell qui nuict et jour esclaire.^® ( w . 7-11)

"Claire" appelle "esclaire", "lance"/"sillance" et "excellence" selon les

schemes bien connus au moyen age et ou l'audlteur n'attendait pas la sur­ prise, mais, au contraire, la reconnaissance de certains motifs lltt&ralr* res et stylistiques. II avait 1'impression d'appartenir a la tradition

litteraire que les Mainteneurs avaient tache de "maintenir" et de defendre,

Dans beaucoup d'autres poemes, la rime n'est pas aussi pesante,

L'audlteur 1'attend a la fin de chaque sequence reguliere de vers, et elle

cadence la strophe d'une maniere systematique, sans toutefols, dans le cas des meilleurs poemes, froler le monotone, comme il ressort de l'exemple suivant:

Par les monstres j'entendz les hommes factleux, Qui sur ce bord gaulols firent tant de domaige; L'aige de cet Hercule est ce siecle odieux, Et nostre roy vainqueur dont la jeunesse salge A deja surpasse l'honneur de ses ayeulz, 208

L'Hercule qui dorapta les monstres de son aige.^9 ( w . 56-61, Robert Garnier, Eglantine, 1566)

La plupart des chants sont un melange de rimes masculines et feminines.

La regie des systemes d'alternances, recommandee par les Grands Rhetori- queurs, est encore suivie fidelement. Les poetes de Toulouse timoignent beaucoup d'interet pour la rime riche. Les rimes simples, c'est-a-dire

4 celles ou, seule, la derniere voyelle tonique ainsi que les elements qui suivent sont homophoniques, sont relativement rares. Au contraire, les poetes font preuve d'une grande habilete pour que la derniere syllabe homophonique soit precedee d'une consonne repetee dans la rime suivante.

Ainsi, on peut trouver, au hasard des poemes:

Du tout en tout nature depravee Feubla (sic) de gens ce monde espatieux Gens enfantes par la terre grevee De soubstenlr faiz tant pernicieulx Qui veu leur corps ou masses a mieulx dire De maincte chair on eust Juge suffire Pour desmembrer des rochers le plus dur, Ou pour porter en sa mesme rondeur Le faiz d'Atlas qui tout borne et enserre Ne redoubtans en fouldroiant ardeur Le feu meurtrier des enfans de la terre. (w. 11-21, Barthelemy Balliste, Souci, 1556)

Seules les rimes en -ire et -erre sont simples. Les autres (<-wyee, -dur) sont riches et se combinent en raison d'un contexte lexical tres proche,

Le vocabulaire du XVIe siecle est riche de verbes en -ire, participe pas­ ses en -ves et noms en -eur. Ainsi, les rimes donnent une impression de richesse consonnantique, mais cette richesse est souvent illusoire, car elle est a base d'un vocabulaire abstrait et souvent st£r£otyp£. Ce pro- cede d'illusion faisait parti du jeu poitique auquel s'exergaient les poe­ tes de Toulouse. 6. Les series modulantes

Plus que l'ecriture, la lecture a haute voix, telle que devaient

la pratiquer les poltes toulousains devant le jury des concours poetiques, met en valeur le jeu de la melodie et des modulations rythmiques et sono- res. La combinaison des timbres n'est pas laissee au hasard; une sensi-

4 bilite musicale en soutient 1’invention. Les poetes cherchent le ph&no- mene de contraste et les jeux de correspondances, comme ceux de deux ou plusieurs voyelles sltuees a des degres divers de l'echelle des sons.

Afin de mettre en lumiere les series modulantes contrastees, le po&me de

Pierre Trassebot (Gauch, 1539) offre des exemples caracteristiques:

Au temps que Mars en guerre se poussolt Et que souldartz faisolent grande insollence^l ( w . 1 - 2 )

Les sonorites forment un chasse-croise qui d'abord encadre les deux vers puis se resserre en son milieu de part et d'autre de la cesure. "Temps" repond a "insolence", en modulante voilSe en -ant. "Mars" et "guerre" trouvent correspondances dans le r_ de "guerre", tandis que "poussoit" ri- sonne dans le "ou" de "souldartz" et le -oient de "faisoient". Le poete parvient done par un jeu adroit d'&quilibre de sons & une harmonie stylis- tique d'un certain talent, Les deux vers suivants seront modules sur les sonoritis o/ou/oi sulvant un chasse-croise similalre:

Maint pauvre hommeau ploroit et gemissoit Qui ne pouvoit patir leur viollence, ( w . 3 - A )

"Pauvre", "hommeau", "ploroit" appelle "pouvoit" et "viollence", "Plo- roit" et "gemissoit" rSpondent a "pouvoit". "Ploroit", de plus, placg au milieu de vers, regroupe les sonorites o/oi contrastantes fermies et ou~ verte9.

Dans le vers "Et sans cop nul d'espee, picque ou lance" (v.5), les modulantes voilees en -ance contrastent avec les modulantes clalres en £/u/i/e et mettent en valeur la precision vocalique qui soutient le sens de la strophe. Plus loin, on trouve:

L'un se mettoit a crier ou taiicer, L ’autre de peur qu'on le vint offencer Alloit de cueur pour la paix requerre. (w. 6-8)

Le mot-clef du poeme est bien "paix" et il contraste avec le leitmotiv du refrain: "Que vye humaine a icy tousjours guerre", "Paix" n'est mention- ne qu’une seule fois dans la strophe, mais son absence est contrebalanc&e par l'abondance des consonnantes en jo. On n'en compte pas moins de dlx dans une strophe qui se caracterise par sa forme particuli&rement carrSe

(decasyllabes en dizains). La consonnante 2. n’est pas laissge au seul jeu du hasard. La strophe de Pierre Trassebot se termine par;

Sans touteffois aucunement penser Que vye humaine a icy tousjours guerre. ( w . 9-10)

Ces vers sont lnteressants, car certains sons sont soutenus par la voix pour ensuite se confondre avec les^memes sonorites dans d'autres formes lexlcales. Ce chasse-croise donne un effet d ’orgue ou la muslque est aus** si dotie d ’un el&nent de duree, "Touteffois" r§pond S "tousjours" tan^ dis que "aucunement" appelle "humaine", "vye"/"lcy", et le rapprochement

"que"/"guerre" n'est pas improbable.

La seconde strophe s'organise d'une maniere similalre autour du contraste o/oi/ou/in/an. II s'aglt lei d'un timbre dominant in e et a, qui se module sur diverses variables, Le jeu des modulantes algues est /

211

brise par des modulantes voilees:

Faicte la paix, mainct povre se pensoit Que guerre plus ne luy feisse nuysance, Ce neanmoins, depuis il apercoit Mainete une guerre, ennuy et desplaisance. Car plusieurs maux, s'en viennent en presence, Mesme Et vient par faim leur vif tainct effacer Voyre sans fin les combat et aterre. Qui vont criant se sentans trop vexer , Que vye humaine a icy tousjours guerre. (w. 10-20)

En general, les strophes conservent le meme ordre de succession de rimes

ainsi que les memes timbres; elles sont, comme les Leys d'Amors le recom- mande, unissonantes. On peut done remarquer un souci de raffinement cer­

tain dans 1'arrangement des elements musicaux du texte, contrastant avec

l'economie des moyens. Pour les poetes toulousains, la poesie Stait une

espece de musique a laquelle tout concourrait; le vers et la relation des

rimes et des sons, qui doivent participer 2 1 ’elaboration d'un syst&me

strophique harmonique, y participent.

7. Les Leys d*Amors

La dette envers les Leys d'Amors, qui devancerent les po&tes du

Livre Rouge de pres de deux siecles, est evidente. Bien que les Leys

fussent composes en occitan par le chancelier du Consistoire Guilhem Moli- nier et que ce dernier considerait le frangals comme une langue "estranh", au meme titre que 1'anglais et l'allemand, les regies pogtiques qu'elles

decrivent en maints details vont trouver encore bonne oreille chez les poetes du XVIe slecle a Toulouse, Tandis que le premier livre s ’attache a dScrlre les qualitgs de la rhetorique, le deuxieme livre va etre plus precis en ce qui concerne les regies essentielles a la rime, au vers, au 212 nombre de strophes, etc. On trouve d'abord une definition de la rime:

Rims es certz nombres de sillabas, Si d'autre bordonet l'acabas, Am divers oz am plazen so Engals de sillabas o no, Am compas de certa sciensa

Pauzat et am bala c a z e n s a . 5 2 (w. 1-6)

Molinler va ensuite proposer des possibility de rimes "caudatz",* "conti- nuatz", "encadenatz". Cette derni&re nous intSresse, car elle apparalt souvent dans le Livre Rouge.

Encadenatz: es can le prlmiers bordos am lo tiers, e.l segons am lo quart s ’acordo en la fi ses bioc per esta maniera: ...... mandatz/res/atz/es^^

On note aussi des rimes "crozatz":

Crosatz: es can le primiers bordos am lo quart e 1 segons ab lo ters s'acordo en la fi ses bioc.

Pour les "multiplicatlus", il dit: "es can en lo mieg d’u o de motz versetz principals es fayta acordansa.55

Cette derniere rime evoque les series modulantes que nous avons remarqu€es.

Les rimes "crozatz" ou "encadenatz", du genre abab ou abba sont aussi tr2s frequentes. On trouve parfois des rimes "derivatlus";

es can le motz finals del bordo se pren e.s dlshen d'un autre mot final per creyshemen.56

Molinler cite alors des dirlvSs comme "port/porta", "barat/barata" qui rappellent les dgrlvSs nominaux et verbaux du Livre Rouge. II suggere que "pregans" s'allle a "prega", "cantans" 2 "canta", etc, Les dSslnen*' ces en -ans/ens/ons sont aussi souhaitables et Molinler en corrlge la pro*' nonclation.

Quant aux successions de rimes a l'lnterleur des strophes, c'est 213

la "cobla crotzcaudada" qui semble l'emporter sur les autres dans le Livre

Rouge. Elle est du genre abbaccdd.

Les exemples que les Leys citent sont faits de strophes de hult

vers, composes de huit pieds. II est a noter que, dans les Leys, la for­

me reguliere "carr&e" est deja recommandee. Molinier ne s'attarde pas

cependant sur les vers de dlx ou de douze pieds. Le schema des strophes

peut se rep§ter en double ("cobbla dobbla"), triple ou plus. Dans le cas

du chant royal du Livre Rouge, le sch&na sera reproduit cinq fois avec

l ’appendlce de 1'envoi. Les strophes y sont unlssonantes:

es dicha en respleg de las autras cobias d ’u meteys dlctat, per so quar totas son d ’u semblan amb aqueta en compas de bordos e d'acordansa.57

Les Leys passent ensulte en revue les qualites de chaque strophe; strophe metaphorlque, ornementatlve, finale, etc, Ils recommandent la place de la

cesure ’'suspensive” apres le quatrl&me pled dans le vers de dlx syllabes

et apres le sixleme dans l ’alexandrln: "bordos de X, sillabas vol pauza

CO en la quarta, ...... de XII en la seyzena",

Le second livre des Leys conclut en dormant une definition du chant ("can-

so") ;

Chansos es dictatz que d ’amors Princlpalmen o de lauzors Tracta, reeltan motz placens Am alcus bels essenhamens Per dar a totz bona doctrina Qu'estlers del tot non appar fina,5y (II, w . 1-6)

Les poetes du Livre Rouge, tout en composant en langue fra^aise, n ’en ont pas oubllS pour autant les enselgnements des Leys. 214

8. Le rythine

Le manuscrit du Livre Rouge, tel qu’il se trouve a la Blbliothe-

que des Jeux Floraux de Toulouse, est depourvu de slgnes de ponctuation.

Dans leur transcription de 1933, Frangois de Gelis et Joseph Anglade ont

cru bon de rStablir la ponctuation afin de faciliter la lecture du lee*'

teur moderne. L'absence de ponctuation r§vele cependant la recherche

d'une musique naturelle du langage, opposee a la musique artiflclelle de

la ponctuation. Dans son Art de dictler, Eustache Deschamps en vante les

qualltes:

L'autre musique est appellee naturele pour ce qu'elle ne puet estre aprinse a nul, se son propre couraige naturelement ne s'i applique, et est une musique de bouche en proferant parod­ ies metrifiees, aucune foiz en laiz, autrefoiz en balades, autrefoiz en rondeaux cengles et doubles, et en chancons bala- dees, qui sont ainsi appellees pour ce que le refrain d ’une balade sert toujours par matlere de rubriche & la fin de chas-r cun couple d'lcelle, et la chancon balladee de trols vers doubles a tousjours, par differences des ballades, son refrain et rubriche au commencement, que aucuns appellent du temps pre- sent virelays.^®

Le rythme des poemes du Livre Rouge est, en majeure partie, un ry thine hS- rolque qu'epouse la cadence reguliSre du dgcasyllabe ou de l'alexandrln,

Les poetes reprennent le ton des Psaulmes et chaque po&me a la demarche lineaire de la fable ou de la parabole, Ainsi, on trouve au dgbut du Li­ vre R o u g e :

Jadls nasqult ung arbre devers Grece Beau par sus tous qu’on ayt oncq parler. Petit naquit mays soudaln tant se dresse Qu'en peu de temps 11 parut hault en l'alr; Ses verds rameaux tout autour il espend Sy proprement, qu’ung plus qu’autre ne pend, Ne monte aussi®^- (w,l-7, Jehan Rus, recompense non mentlonnde, 1540) 215

La lecture est scandee par des accents rythmiques dont le caractere melo- dique est accusg. Les Leys d'Amors avaient en effet prescrit que "accens es regulars melodia", et les poetes de Toulouse avaient tres tot gtg en- traines a apprecler des poesies fortement rythmdes. Les vers de Jean Rus sont caractgristiques. Le rythme du chant est calqug sur la danse avec une alternance de tempos oil le pled doit se lever ou se poser. ,Ce ry- thme est aussi propre au vers latin, avec sa succession rgguliere de lambes ou de trochges. Les trols premiers vers font altemer les sonori­ tes longues et breves, auxquelles le chant donne plus ou moins d'ampleur.

La fin des trois vers est semblable: le rythme se coupe pour mettre 1'ac­ cent plutot sur la derniere syllabe, apres une succession de deux breves.

Les trois vers sulvants commencent par une sonoritg breve et se terminent sur une rime forte dans un rythme tres rgguller, Ce rythme d ’intensite donne un accent oratoire en raison de sa nature gnergetlque. Son carac­ tere musical, allig aux series modulantes de la rime que nous avons pr§- cedemment gtudiges, donne a la strophe une intonation analoque & celle de la psalmodie gregorienne,

Un rythme mgtrique, "carrg", caractgrise la strophe dgcasyllablque du chant royal, mais, dans les meilleurs poemes, la monotonie est rompue par les variations de longueur que prgsentent les syllabes, Roger Dragon netti definit le rythme comme suit:

Le rythme est 1'alternance pirlodlque de plusleurs phSnomSmes, retour pgtiodique de coupes et de pieds dont la mesure est r§rv glge d'un cotg par les variations de 1 ’effort artuculatoire et les limites de 1'expiration et de 1'autre par les besolns d ’ex^ pression et les exigences de la p e n s g e , 6 2

Le decasyllabe est par nature un vers dit eplque. Dans le poeme de Jean

Rus, le ton epique est accentug par les inversions C ’nasquit un arbre"), 216 les emphases dues fi la place des adjectlfs en dfibut de vers ("Beau par sus tous...", "Petit nasquit.. . , les pauses consclemment amena- gees qui preparent ce qui va suivre ("...Tant se dresse/ Que’n peu de temps/ II parut hault en l ’alr").

Une etude critique des poemes du Livre Rouge doit reconnaitre que la qualite des poemes est irrfiguliere et que, meme dans les meilleurs poemes, le plus beau cotole le plus mediocre, Ainsi, dans le poeme de

Jean Rus, les vers 1-4 sont partlculifirement reussls, La voix est por- tee d'une maniere logiquement cadencee jusqu’fi la fin de la sequence; le rythme soutient agrfiablement les "exigences de la pensfie", Par contre, les vers qui suivent sont maladroits, Le poete joue sur les effets de cessure ("Si proprement/.. .Ne monte aussi/"), mais la valeur pofitlque des adverbes en -ment et "aussi" est quasi nulle, ce qui disproportionne

1’effet de son contenu. Le repos suspensif qui doit accentuer une syl- labe plus que les autres S un endroit lmposfi du vers ne repond pas fi un developpement loglque de la phrase et, au contraire, l ’encombre plutot.

La banalitfi de la rime "espend"/"pend" contribue de plus fi la maladresse de la strophe.

Dans le reste du poeme, le pofite fait preuve de plus de talent, II Svite la position de l’adverbe de maniere en -ment fi la cfisure, place de choix dans le vers, II s ’efforce plutot d'y placer un mot porteur de plus d'em** p h a s e :

...... Et l'odeur qu'il rendoit Par tous costfis doucement l ’air fendott. Son pied, sa fleur, sa fueille estoit si belle Qu’on vlnt a dire: appeler on le doibt L ’arbre passant toute oeuvre naturelle,^^ ( w . 7 - 1 1 ) 217

Daniel Poirion explique ce qui fait la valeur d'un poeme de cette perio- de:

L ’int§ret veritable de la criatlon lyrlque semble etre, en de­ finitive, de combiner le mouvement objectif, dSfini par la structure de la strophe, avec le mouvement subjectlf de la pen- see et de la p h r a s e . 64

Le ton epique n'est pas dipourvu d ’un certain lyrisme. Dans le

Livre Rouge, 11 existe un certain nombre de chants royaux, ballades et sonnets qui surprennent en raison de leur ton d ’exaltation et d ’exhorta- tion qui contraste avec le style parabolique et plus modire des poisles qui les entourent,

En 1539, par exemple, on note une grande difference entre le chant royal de Pierre Trassebot (Gauch), intltulS "Que vye humalne a icy tousjours guerre", et la ballade nui suit, introdulte par ’’Nobles Fran** coys, ne soiez endormis" (Hector du Pertulz, Violette). Ce sont les bal­ lades qui, au debut du Livre Rouge, monopollsent le ton de 1’alligresse.

(Jehan de Fornier, Eglantine, 1541; Hector du Pertulz, Violette, 1539),

A partlr de 1543, toutefois, le chant royal va s ’enhardlr S chanter la paix reconqulse ("La palx que Dleu nous a du Clle transmlse”, Mejany,

Eglantine, 1543). En 1554, le sonnet de Samxon de Lacroix fera une ent­ ree remarquee dans le Livre Rouge, et sa concision est la forme prlvllfi- giee de l'allegresse;

Chantez, mes vers, entonnez ung tel son Que vous puissiez plaire aux doctes oreilles, Et toy, mon luth, fredonne les merveilles De l'Eternel, en ta doulce c h a n s o n . 65 (w,l-4, Violette, 1554)

Vers la fin des annSes 1560, le lyrlsme n ’est plus celul de la joie nation nale et du plalsir d ’icrlre, mais 11 prend un tour plus personnel, c o m e 218 si les poetes cherchaient le repos dans un repli int§rieur, La premie­ re allusion 5 "Je" se trouve en 1566, dans le poeme de Gabriel TerIon intitule "L'aigneau qui du dragon a la force dompt&e" (Soucl).

La ballade de Jehan Fornier de 15A1 (Eglantine) a le ton de 1’ex­ hortation. Le poeme est un chant S la glolre de la Croix et le mot ’'Croix*' est au coeur du poeme avec un effet de repetition qui marque l ’ujrgence de la priere:

0 Croix, heureuse et bienheureuse Croix, Sur tous les blens falcts a nature humaine, Croix qui tira jadis le Roy des Roys De ses haulx Cieulx et celeste d o m a i n e , 6 6 ( w . 1-A)

Le po&me de Mejany (Eglantine, 15A3) est un chant d'allegresse;

Haulsez vos chantz, Francoys, jeunes et vieulx, Haulsez vos chantz, chacun I qui myeulx, myeulx, Haulsez vos chantz, toute triste personne; Sus d ’icy dueil, sus ennuy, sus tristesse, Venez plalslr, venez, joye, venez llesse,®? ( w . 1-5)

Le ton de sincirit§, allie 6 une utilisation menagee des effets de ripfin tition et d'emphase, font de ce chant royal l’un des plus rSussls du Lin vre Rouge. Les deux derni&res strophes exprlment la r§volte devant les ravages de Mars, dleu palen de la guerre. Le Dieu chrgtlen est, par conn tre, celul de la palx et de la bonte (le moment est encore & 1*optimise me en 15A3) et c’est vers lul que se dirlge les prifcres du po6te; ,

0 dieu quantz maulx, quantz de gens langoureux, A faict en l'une et en 1'autre couronne Ce traistre Mars cruel et dangereux Tant qu'a r e g n S . ’ 6 8 ( w . 3An37)

Le lyrisme jaillit du path§tique, et ce sont ces pofemes qui paraissent leg plus reussis au lecteur moderne qui cherche dans la pofisie plus ce qui 219

touche que ce qui convainc. ;

Mais le rythme de 1 ’exhortation ou de l’alligresse n ’est pas ca^

racteristlque de 1’ensemble des polmes du Livre Rou^e, Heme dans les

heures les plus nolres, la majoriti des poemes ne feront appel & la paix

que sur le ton de la modiratlon, de la loglque, plus que sur celui de la

predication. La remise a Dieu est l ’aboutissement d ’une demarche logl«

que £ laquelle la parabole donne vie, Le rythme soutient ce processus

de pens£e, par exemple dans le po£me suivant de Mercadier de Besse de

1541 (Violette):

Prometheus de prudence pourveu, Voyant la terre en sa forme decente Et par dessus les anlmaux a veu Qu'il y fallolt chose plus excellente; Lors, tout soudain de la terre amassa, Et ung imaige et forme en compassa, Sy colntement et par telle mesure Q'uelle sembloit des dleux la portralcturej Tant qu'11s ont diet eulx mesmesj elle est digne A qui donnons sur toute creature Cognition de la chose divine,^9 , ( w . 1 - 1 1 )

Le chant royal de Jean de Saint"Hllalre (Soucl, 1542) utilise le procede d ’enchainement rhgtorique qui lie les strophes d ’une mani£re lor» gique en reprenant le theme central de la strophe prScSdante;

Et la dedans ung beau temple Mars eut, Hault, riche, grand plus qu’aultre de la terre Dedans lequel close et gardee fut La toyson d'or, tant fascheuse £ conquerre,

Cette toyson estolt tant estimSe,,,?® ( w , 8 « 1 2 )

Jean de Saint-Hllalre fait aussl ample usage du discours direct, d ’une manl£re symStrlque dans les strophes trois ou quatre (w.5^6), effet qui donne un tour plus present au drame qui se joue, tout en gardant le ton 220

du plaidoyer:

Mals quand Medie a veu ce beau visage Du preux Jason: "Ha, ce serolt dommalge Que tant beau corps, dist-elle, ainsi mourust! Las! myeulx vouldroit que mon art secoureust Pour le saulver et le prys y acquerre, Veu que sans mort gaigner ne peult La toyson d'or, tant fascheuse a conquerre.71 ( w . 27-33) * Malgre une premiere strophe rSvelant des dons de narrateurs et de

poSte, Jean de Corrier (Eglantine, 1542) va, d£s la seconde strophe, s ’em-

bourber dans des phrases slnueuses faussement savantes et empreintes d'un

ton 16gal. Le rythme s'y fait lourd, bien molns alerte et original que

dans la premiere strophe. On peut comparer par exemple:

Accrislus fut un grand roy de Grece, Hault et puissant, sur tout autre honore, Soigneux, hardy, plain de rlchesse, Par ces haulx faictz de tout loz decore, De luy provlent semence fructueuse, C'est Danae, belle et solacleuse Que tant cherlt^2 ( w . 1-7)

et la deuxieme strophe;

Aussi pour vray a sa force joyeuse, A son regard estolt tant amoureuse Et ne fut oncq la belle compos£e Que pour servie £ ce dieu d'espous&e; Parquoy il l ’a des l'heure retenue Pour celle ou fut puis apres exposee La goutte d'or des haulx cleulx provenue. ( w . 16-22)

Des mots comme "aussi", "pour vray", "oncq", "parquoy", "pour celle",

"puis apres" allourdlssent la phrase et 1’utilisation de ces mots £ des endroits-cl§s ne fait qu’accentuer ce phenomene; "vray", "oncq" se trour* vent placds malencontreusement a la cisure, L ’absence de pronom donne, de plus, un tour viellll £ la strophe, Le podte fait cependant preuve de 221 plus de talent dans le reste du chant royal. Jean de Corrier prend l ’au- diteur ou le lecteur a parti. Avec un clin d'oeil, il lui demande com­ ment Jupiter a bien pu seduire la fllle d ’Accrlslus;

Ce Jupiter tenolt son oeil sans cesse Sur Dana§, de son d e l azur€ Et n'eust est£ sa grandeur, sa haultesse, Se feust des cleulx pour elle separe. Que feist-il done? ( w . 23-27)

Dans la quatrieme strophe, Jean de Corrier demande a son audltolre "Com­ ment?" Dans la cinquieme "Quoy? Qu’a-t-11 faict?" En melant l’auditoi- re a l ’histoire, il rend la scene plus presente. Cet effet de style n ’est pas etranger aux procedes de rhetorique employes dans le vocabulalre jurl- dique et grace auxquels l'avocat essale de falre comprendre pour faire pardonner. Ce procSde rhetorique est aussi proche du ton eplque des chan** sons de geste: le narrateur savait y minager le suspense tout en repre- nant son souffle.

9. La premiere generation de poetes (1539-1555)

Afin d'evaluer la production des Jeux Floraux au XVle siecle, nous avons jug£ bon de presenter une variete de pofemes qui sont assez repr§r» sentatlfs de la gamme de talent qui se presentalent aux concours pofitl- ques. On peut clalrement dlstlnguer deux genSratlons,

Le poeme de Jean Rus qui lui valut d ’etre primi une seconde fols

(Violette, 1542) comporte de tr§s beaux passages dont malheureueement, la qualite n ’est pas soutenue. Le poSte trouve des accents lyrlques dans les effets de rgpStltion et de correspondences savamment mSnagSs, Les pre* miers vers sont 1 ’expression d'un talent afflrmS. 222

Sur le milieu de la ronde machine Et au plus rond du hault ciel azur€, On void reluyre ung feu grand et insigne Enrougy d'or et de rouge d o r e . ^ 3 ( w . 1 - 4 )

Dans un chassl-croisi de talent, le poeme joue avec les SlSments de la

phrase. On trouve "rond" sous la forme de nom et d'adjectlf, dans un pa-

rallelisme rigoureux, et notamment apres une preposition de lieu*. Le vers

4 est l ’un des plus reussls du Livre Rouge: "Enrougy d ’or et de rouge

dore", Les correspondances aglssent sur deux plans: le rouge de l ’or et

le dore du rouge. Le poete ne soutlent pas cependant ce niveau de talent

poetique. Des le vers 5, on trouve des references a une rhetorique lour«

de et empesee. Jean Rus essaie de cadencer le vers avec un rythme bi-

naire et ternaire qui lui donne un tour trop academiquei

Lequel a tous si fort admirable Sy fort propice et sy fort secourable, Que la plus part par tout le monde crolt Que luy seulet adorer on devroit. ( w . 5 - 8 )

On sent une dette envers Clceron, mais ce qui est concevable dans un dig”

cours rhetorique l'est moins en poesie, surtout si les elements du rythme

blnaire ou ternaire sont des propositions argumentatlves introduites par

la confonction "que", si ce sont des adjectlfs terminis en ~able ou si le

polte joue sur des homonymies du genre "part/par". La seconde strophe ne

s ’Sieve pas au dessus de cette mSdiocritS, et la recurrence des formes binaires en porte toute la responsabllitS, Le poSte cherche fi vanter les

fastes du "clair soleil nourrissant tout le monde", et les superlatifs,

sous sa plume, prendront le rythme de la rSpStltionj

De sa beaute, plus que beaute divine; 223

De son pourtraict plus que bien mesure Tout ce qu'est beau a pris son origine, Tout ce qu'est beau a painct et coulourg. Brief celle forme est seule incomprenable, Brief celle forme est seule Incomparable, Sy que ca bas, toute beaut6 qu'on void, Sy que ca bas, quelque beaute que solt, Ne seroit rlen qu'une laydeur lmmunde S'y comparer avec elle on voulolt Le clair solleil nourissant tout le monde. ( w . 12-22)

Le poete cree des parallelismes phonetiques et syntaxlques; "BeautS" appelle "pourtraict", "prins"/"painct", " incompr enable"/" Incomparable” ,

"qu'on void"/"que solt", Des formes lexlcales telles que "sy que ca bas" ou "brief" lorsqu'elles sont repdt€es contribuent a la lourdeur de la strophe.

Etienne Forcadel (1520-1576) est une figure d’une certalne impor­ tance sur la scene littSralre du XVIe siecle, Le chant royal qu’ll pr&^ senta aux Jeux Floraux et qui obtlnt la Violette en 1544 est celul d'un jeune homme de 24 ans. II commence d'une maniere frappante par "Demo- gorgon, le grand pere des dieux", et son refrain en est "Le Dieu vivant, seul parfaict en essence". Natlf de Beziers, Etienne Forcadel Stalt ve- nu a Toulouse faire des etudes de droit, et 11 fit des Itudes brillantes » qui flrent de lui le rival de Cujas, Parallelement 5 son gout pour la poSsle, Forcadel publla de nombreux ouvrages de jurisprudence qui lui donnerent un certain renom. Son Election au College de Rhitorlque en

1544 lui permit de nouer des liens d'amitli avec quelques Toulousalns 11^ lustres. Le po6me qu’il prisenta fut ensuite recueilli dans le Chant des

Seralnes en 1548 sous une forme legerement modiflSe ("Demogorgon, plus antique des dieux"),^ 224

Forcadel se faisalt de la pogsie une haute conception et 11 en critiquait les detracteurs qui "n’ont esgard que si elle delecte par fables, profite par sentances, et ayde a pollr la langue frequentee et requise es courts du Prince souverain et des illustres presidents".75

Selon lui >et 11 exprima cette id§e dans Epistola ad calomnlatores- les poetes sont aussi des pretres et des philosophes. II se fait alnsi le precurseur de la Plelade,

Dans son chant royal, Forcadel evoque une version paienne de la creation du monde. Demogorgon, "le grand pere des dieux", sort de I 1a*' bime et forme le ciel. II commande aux hommes d ’etre reconnaissant au

"Dieu vivant seul parfalct en essence", C ’est ensuite au soleil "Es- clairant l'air par flarame lumyneuse" a vanter la glolre du "dieu vivant",

Puis Jupiter, "du throsne radieux", va se lamenter sur les desastres de la terre:

"0 dueil, o sort, o nouveaulte plteuse, 0 terre, o ciel, o puissance confuseJ Fouldre, descend sur 1 ’inobelssantl Adore fus, ores suis languissant; Le cueur me fend, par algre desplaisance, Quand desormais des Cleulx n ’est jouyssant Le Dieu vivant seul parfalct en essence",76 ( w . 27-33)

Dans la quatrieme strophe, Forcadel dgcrit la venue au monde du Sauveuri

L'air fut serain, cler et dellcieux, Ou apparut ung enfant pur et munde, Doulx, chrespelu, tant beau, tant gracieux Que beaut§ mesme 5 luy serolt seconde, ( w , 34-37)

Cet enfant apportera la bonne parole et ramenera sur terre ”1 ’esprit sacrS, colombelle feconde" (5e strophe), Dans 1*envoi, Etienne Forcadel encour^ rage ses lecteurs a adorer "Le Dieu vivant seul parfalct en essence” , 225

Le poeme est done clairement divise en deux parties: avant et apres la venue du Sauveur. Une troisleme et courte partie constitue la morale du chant royal. La poesle de Forcadel est celle d ’un esprit ou- vert, et le Dieu auquel il se rgfere est une entitS non-partlsane et abstraite.

II est lnteressant de voir quels sont les changements qui ont £t§ apportes au texte lors de son Insertion dans le Chant des Seraines de

1548, dedi§ au due de Montpensier. L ’armature du texte est restee la meme; Forcadel, cependant, entreprend de priciser certains vers et de re~ toucher de nombreuses expressions. "Souvent", ainsi devient "neuf fois"

(v.5), "son chef royal" devient "son blanc chef" (v.6), Le vocabulaire de 1’edition de 1548 est plus concret, comme si le poete cherchait a corn riger le caractere trop abstralt de son premier jet, "A qui la mer, la terre florissant" devient "A qui tout frulct de la terre croissant" (v,8).

La "clarte blonde" du solell devient "sa face blonde" (v,12), "son chef precieulx" devient "ses rayons precieulx" (v,14), "un tel esprit" devient

"un blanc pigeon" (v.41), Le poete va reprendre la seconde moitig de la deuxidme strophe en entler, et le resultat en sera bien mellleur, On lit;

Version du Livre Rouge (1544)

Esclairant l ’air par flamme lumyneuse Les elements, les siecles compassant; Non souveraln, mals seul tout nourissant, En lequel gist la mundalne plaisance, Pour ce, me tiens, tant suys resplendissant Le Dieu vivant, seul parfalct en essence, (w,17n22) 226

Version du Chant des Seraines (1548)

Esclairant l ’air chassant la nulct ombreuse, Qui marque l ’an, les jours, tout nourissant. Sans moy verriez tout astre pallissant, Et rougir doit qui me fait resistance, Vu qu'il est clair que Je suis entre cent Le Dieu vivant, seul parfaict en essence, ( w . 17-23) i La strophe y gagne en clarte, II est aussi £ noter que l ’orthographe se

fait en l'espace de quatre ans plus moderne ("suys"/"suis"; "parfaict”/

"parfait"). Forcadel iprouve le besoin de preciser la description,

d ’"epuiser le sujet en dSflnissant formes et couleurs",Toutes ces adr>

ditions correspondent £ une certaine methode de crfiation littSrairej

"l'oeuvre n ’est pas le fruit de 1’inspiration, mals un bibelot que l ’ar-

tisan polit avec soin, un patient travail d ’ajustage", Le style de la

version de 1544 y gagne en elSgance, Forcadel l’a dSbarrassSe de mala"

dresses etonnantes, et la version de 1548 s'impose sur celle de 1544 pro- posee aux Jeux Floraux, II en aurait et£ de meme si certains pogtes

avaient retouche leurs poemes quelques annSes apres leur composition,

L'interet de ces variantes reside dans une constante recherche d ’une pricision expressive et d ’une elegante simplicitg. Par endroits, le vera restera maladroit ("Et rougir doit qui me fait resistance", v,2Q), mais

on sent que le poete est £ la recherche de la justesse du mot, dont 11 partageait le gout avec Ronsard et Malherbe,

Le poete n'a pas eprouve le deslr de corriger de nombreux passages du chant royal; en reprenant son po£me dans un autre recuell, Forcadel a meme montre que ce dernier lui etalt cher, Le poeme compte de beaux vera, dans un style eplque narratif qui caractgrlse les polmes de la premt£re 227

generation du Livre Rouge, On trouve des vers tels que:

Demogorgon, le grand pere des dieux, Sortit du creux de l'abisme du monde, Ceint d'un dragon luysant et furieux, Pris es treshors de la terre profunde. ( w . 1 - 4 )

La contribution qu'Etienne Forcadel a faite au Livre Rouge ne

s'inscrit pas en marge de son oeuvre. Le poeite a compost de nombreux

chants royaux dont la facture est tr6s similaire de celui compose pour

les Jeux Floraux. Forcadel n'a pas sacrifiS son talent pour satisfaire

a l’gcriture des Jeux. Au contraire, il y a trouvS la possibility d ’y exercer son art.

Les chants royaux de Jehan Rus et d'Etienne Forcadel soijt carac-

teristiques d'un bon nombre de po£mes de la premiere generation de poEites du Livre Rouge (1539*-1555), Les po£mes sont par endroits de grand talent, mais la mediocrite de certaines sequences amoindrit leur effet, Le6 poi~

tes eux-memes, avec quelques annees de recul, ont entrepris de corrlger les maladresses de jeunesse. Le poeme de Jean de Rleux (Violette, 1561) a ete corrige par un critique posterieur, sur le manuscrit meme du Livre

Rouge, avec une dSdicace finale: "Meliora reponet". Le lecteur a sour* vent 1'impression que le talent des poetes s'essouffle vite et que ces derniers s'en remettent souvent trop vite a la facility, Dans cette premiere ggnyratlon, les meilleurs poemes restent les plus lyrlques, tels ceux de Jehan Fomier, Mejany ou Hector du Pertuys, Ils expriment un enthousiasme qui est certalnement caractgristlque de la Renaissance, mais qui va s'effacer lentement pour etre remplacy par des lamentations. 228

10. La deuxidme gdnlration (1556-1583)

L ’introduction de l’alexandrin en 1556 par Samxon de Lacroix

("La nef rompant 1’effort des vagues perilleuses", Eglantine) va donner

aux Jeux Floraux un second souffle, Dans la seconde generation, la pro­

duction est d'aussi inegale qualite, mais l’alexandrin offre plus de pos­

sibility au talent du po&te, Son ampleur ne le cantonne pas dans le

domaine epique, consne c ’est le cas avec le dizain dans les poemes de la premiere ggniratlon. Le ton passe fi celui de la meditation, d ’un plan parabolique a un plan cosmlque:

Quant le roy souveraln eust pour la delivrance De ses hommes, captif soubz le joug de tristesse, Par 1 ’effort de son bras, rompu la violance De 1'horrible tyran, de sa main donteresse Les tyrant affranchls a sa grace et haultesse Quant encores il eust, par l ’heijr de sa victoire, Rappourte la despoullle, ornement de sa glolre, La despouille captive et butin glorieux Prins sur ses enemys, bravement furieux, Tentant de faire encor conquestes glorieuses, Feit gecter au dangler des ventz impetueux La nef rompant 1*effort des vagues perilleuses. (w. 1-12)

Le poeme de Samxon de Lacroix est caractirlstique de 1 ’aspect tourmentS que prend la phrase au fur et a mesure que le slecle s’avance, Le rythme n ’est suspendu qu’a la fin de la strophe, effet qui met en valeur le re­ frain du chant, car c’est lui qui en cadence le rythme. Frangois de Ge- lis a reconnu la diffSrente dimension donnle aux poemes, car, d6s cette date, la ponctuation du Livre Rouge est plus parsemee et en gSnSral faite de plus de vlrgules que de points, Le po6me commence par une s§rie de propositions de temps ("Quant le roy souveraln,,,"/"Quant encores il 229

eust,,,”), Dana la premiere proposition, le yephe et le participe passd

sont dissocids, separds par une sdrie de complements et d ’appositions

(’’Pour la delivrance de ses hommes/captif soub2 le joug de trlstesse,/

Par 1’effort de son bras"), Le vers chemine par paliers successifs et

repetitions C ’La despouille, ornement de sa glolre/La despouille capti^

ve et butln glorieux"), Chaque proposition de temps est suivie d ’un

verbe au participe prdsent, qui donne plus d ’emphase S, la phrase O ’Les

tirant affranchis,,,/tentant de faire,,,"), Ce n ’est qu’S l’avantrdert'

nier vers que la phrase parvient fi 1’action principale ("Felt gecter,,,’’),

Le talent de Samxon de Lacroix soutient une bonne quality podtique tout

au long du poeme. Le poete salt allier le rythme nouveau de l ’alexandrin

aux exigences de la pensee et de la phrase,

La meme annde (Violette, 1556), Guillaume de Lagrange sera prlv- md pour un poeme dont les circonvolutions syntaxiques encombrent la lecrv

* ture plus qu’elles ne la soutiennent, La seconde strophe du chant est de

comprehension difficile, surtout dans un contexte qui se veut d ’Interpre­

tation lineaire, Le poete dvoque ici "La nef toutiour maistresse de l ’oue

r a i g e " :

Elle gallope en la plaine ecumente Par ung mouvolr de rames sans changer, Pour les abbors de la bruyant tourmente Le salnct project de son long volager Du gouvernail la charge n ’est donnde A Palinure alns une nimphe nde Au plus beau ciel l ’est mleulx regissant Qui ce qui est de ses clairs yeulx absents Prevoit et crolct en son divin couralge Guectant, ainsi qu’S sa charge est decent La nef toutiour maistresse de l ’oraige,®® (w, 12-22) L'hypothese d'une interpretation jaillit apres plusieurs lectures. Dans

la tounnente, ce o'est pas a Palinure (le pilote du vaisseau d'Enle, qui

s'est endormi au gouvernail et est tombl a la mer) que l'on doit s'en

remettre, mais a Dieu. La strophe, cependant, est obscure, car le rythme

naturel de la phrase ne porte pas de sens lmmldiat, comme il est le cas

dans les autres strophes et dans d'autres poemes. L'hypothese du jeu est

done ici a ecarter. On peut cependant remarquer que, aux environs de la

moitie du siecle, les poetes veulent donner une autre dimension a leur

oeuvre. Ce sera moins une oeuvre d'action essentiellement epique qu'une

oeuvre qui tente a concilier action, meditation et description. Guillau­

me de Lagrange, par exemple, est tente par la description ("en la plaine

ecumente/...la bruyant tounnente/...au plus beau ciel/ses clairs yeux..."), mais le decasyllabe herolque ne lui en donne pas les moyens poltiques.

Tant que le dlcasyllabe a voulu se cantonner dans' le domaine de l'lpople

fondee sur 1'action, les poemes malgrl certaines faiblesses, ont su sou-

tenir un niveau poetique que le lecteur moderne salt retrouver, II est

evident que les poetes se sont lasses des restrictions offertes par le

decasyllabe. Trois ans plus tard, Guillaume de Lagrange propose un autre poeme, en alexandrin cette fois-ci, et il sera de loin plus rlussi que

celui present! en 1556. La phrase s'enchevetre dans des meandres, mats

l'effet est a propos. Le poete cherche a y transcrire la longue et trans-

cendante quete vers Dieu:

Par dela ce grand rond qui la terre envyronne, De tous solides corps, estant le plus parfaict, Celluy qui le regit qui l'aime et lui donne La vertu du mouvoir avec le temps le falct Tlent ung lieu ou sans lien les divines idles Sont eternellement encloses et gardles 231

Et ou une clarte qui ne peult nullement Souffrlr d'estre l'objet de l'humain sentiment Toutjour demeurera eternelle lumlere, Avecq laquelle doibt vivre lmmortellement La pure et simple forme exempte de matiere.81 ( w . 1-11)

Les propositions s'emboitent les unes dans les autres, introdultes par des pronoms relatlfs qui se succedent In paralleles et qui donnent un effet de tiroirs. Le caractere confus du debut a pour effet de rendre la chute, partle de la strophe la plus importante, encore plus "simple et pure". Elle arrive comme une catharsis, a la fin du long souffle soute- nu depios le debut de la strophe. Le meme effet est retenu par Frangois

Blaisot (Violette, 1559). Le refrain est retarde par des reculs succes- sifs pour donner pleine force au vers final:

Si tost ne fust ouvert ce tout qui tout embrasse Ny de ses premiers ars sur le separement Si tost la terre aussi d'une substance grasse N'eut enfantg ses fruits universellement, Si tost dedans son ciel la lampe journaliere N'atella ses chevaux pour suyvre sa carriere, Et plus tost on ne vit ce premier croissant Et 1'une et 1'autre corne aux cieulx aparoissant Plus tost aussi la mer n'eust sa circonference, Que soudain dans ce Tout fut un vieillard naissant Du ciel qui tout produict d'eternelle semence.®® (w. 12-22)

La participation de Pey de Garros (Pierre Garros) aux Jeux Floraux de Toulouse en 1557 temolgne des grands pas que faisalt la langue fran- gaise et du prestige dans lequel elle etait tenue. Pourtant, par la sui~ te, la plus grande partie de 1'oeuvre de Pey de Garros sera en occitan, et cette composition en frangais n'aura ete qu'un rnoyen de se falre connaitre dans les milieux intellectuels de Toulouse.®®

La premiere strophe du chant royal est maladroitej on la sent 232 pleine d'emphase, et 1'auteur epouse les aspects les plus rSbarbatifs de la po£sie florale. Le premier vers repete deux termes qui signifient la meme chose: "La terre print sa place et residance".84 Les repetitions pour accentuer le grandiose de la scene ne sont pas convaincantes:

Au plus loing des haulz cieulx, la vagabonde mer A l'entour de la terre esleut la demeurance, Et l'air jusqu'au plus hault se voulut sublimer • Mais 1'element le plus noble et legier davantaige Le lieu des cieulx pour son partaige ( w . 2 - 6 )

Le poete veut donner un ton emphatlque a la scene, mais les superlatifs, en raison du cote deja absolu des adjectifs, n'ajoutent rien de positlf

2 la scene; au contraire, ils l'encombrent. Dans la seconde partie de la strophe, le poete utilise avec emphase un procede de la prose classique tres frequent chez S§neque, "l'adunatum", c'est-a-dire une negation par* ticulierement energique. En voici un exemple"

Je ne dis pas ce feu que l'art et le savoir Du larron Promethee aux homes feist avoir Ce feust devorateur, aui tout reduict en cendre, Mais j 'entendz pour mon chant descripre le pouvolr Du feu qui tout nourrist comme tout il engendre, ( w . 7 - 1 1 )

Le rythme de la periode lui donne un tour plus oratolre que lyrlque. Dans la seconde strophe, le poete vante les merites du soleil d'ou jaillit tou- te vie sur terre. La strophe commence par un effet de contraste entre le

"feu domestique" et le feu "qui nourrist comme tout il engendre". La troisieme strophe evoque le combat de la vie et de la mort; la vie est re

II est diffus partout, produlct toute sememce, Tout purge, ne pouvant Immundice endurer, 233

Sa chaleur faict par tout sentir sa vehemence, Se faict jusque au parfont des enfers honorer. ( w . 23-26)

Le poete repete avec emphase le mot "Tout" que l'on retrouve si souvent dans la poesie florale au XVIe siecle. Son emploi a differents endroits du vers donne au rythme un mouvement fluide. L'alternance des sonorites en ou/u/uy accentue cette impression de mouvement. La description de l'adversite donne a Pierre de Garros (c’est le nom qu’il prend pour si­ gner le poeme des Jeux Floraux) ses plus beaux vers:

C'est d'elle qui d'amour enflame le couraige, Qui chasse le soucy, la craincte et desespoir, Nous apreste aux combatz et nous arme d'espoir. ( w . 28-30)

La quatrieme strophe ddqoit par les effets d ’enjambements qui, au lieu de mettre en valeur la chute de la phrase, en ddvoile les ,faiblesses:

La lueur de ce feu mest tout en evidence, Elle esclaire la nuict et d ’un coup fait vouler Nostre oeil ( w . 34-36)

Le rythme est lent et empese, et on y sent 1'influence de la prose plus que de la podsie:

Sans la clartd ne peult bien ou mal aparolr, C'est elle qui nous faict les sciences aprendre Recelies par les Yeulx; brief, c'est le vray mlroir Du feu qui tout nourrist comme tout il engendre. ( w . 41-44)

L'utilisation de la paraphrase, le "brief" au milieu du vers, qui cherche une pensde plus concise mais a un effet plus oratoire que podtique, attes- tent de la maladresse de ces vers. Dans la cinquieme strophe, le podte revele la nature divine du feu "qui tout eclalre", En alldgorie, il rer* commande aux hommes de ne pas se fourvoyer et de suivre la lumlere sacrde. 234

Cet envoi traduit bien le ton du poeme ou les sinuosites de la phrase et

du rythme alourdissent la lecture:

Prince, Dieu le pere est le feu qui attirer Nous veult par sa chaleur; son filz et declairer Se faict, par sa lueur 1'esprit sainct qui descendre Vient sur nous; tous deux joinctz ne peuvent s'esgarer Du feu qui tout nourrist comme tout il engendre. ( w . 56-61) « Ce sonnet de Pey de Garros n'est pas parmi les meilleurs du Livre Rouge.

II y a, certes, de beaux vers, mais ils ne sont que trop rares. Au con-

traire, on sent que le poete n ’est pas aussi a l'aise avec le franqais qu'il ne fut par la suite avec 1'occitan. Son vers se veut abstralt et eleve, mais on a l'impression que ce style n'est pas dans la veine du

talent du poete. En occitan, Pey de Garros paralt plus concret, et c'est la ou le porte son temperament. Son style sent bon les senteurs du terroir et contraste, par son manque d 'expressivite, avec le style affectS qu'il arbore dans le Livre Rouge.

Comme beaucoup d'autres poetes du Livre Rouge, Robert Gamier

(1545-1590) avait a peine vingt ans lorsqu'il remporta la Violette aux concours de 1564. Comme Forcadel et beaucoup de jeunes gens de leur age, il partageait ses gouts entre 1'etude du droit et 1'apprentissage de la poSsle.

Le chant royal transcrit dans le Livre Rouge pour 1'annSe 1564 est done le premier poeme connu de Robert Gamier qui obtint un certain succSs. II fut sulvi en 1566 par un autre chant royal qui remporta la recompense ultime, 1'Eglantine, Le poeme de 1564 est un poeme d^spolr a une epoque particulierement noire de l'hlstolre de Toulouse, Son re*. 235

frain en est "La mer n'est pas toujours bouillonante en oraige". La pre­

miere strophe decrit une "mer francoyse ores plaine de raige" s'etandant

des Indes jusqu'a 1'Atlas. Dans la seconde strophe, le poSte explique les

raisons de cette tounnente: au lieu de "butiner le joyeau precieux", deux

vents ont entrepris de detruire les navires, malgre 1'opposition des dieux.

La troisieme strophe va decrire la rage des vents sur les navires, et ce

n'est que parce que "la mer n'est pas toujours bouillonante en oraige"

que les bateaux peuvent aborder au rivage. Dans la quatrieme strophe,

Gamier entreprend de peindre le sort des navires: certains ont 6t€ por-

tes jusqu'en Espagne, d'autres jusqu'en Angleterre. La cinquieme strophe mene les navires au salut grace a 1'intervention de Venus qui disperse

les nuages et fait apparaitre le soleil. L'envoi est done un appel &

l'espoir:

Messieurs, toujours l'auster n'est pestilentieux, Le peuple on ne voit pas toujours sedltieux, Toujours l'hiver cuysant ne monstre son vilayge, Toujours Mars irrite n'exerce son carnaige, Toujours Dieu ne punist le monde vltieux La mer n'est pas toujours bouillonante en o r a i g e , ( w . 5 1 - 5 6 )

Dans ces vers de jeunesse, on sent d€ja le ton soutenu, l'gnergle, la for­ ce un peu apre qui sont les dominantes de Robert-Gamier, La gravltS de

Sineque s'y rencontre plus souvent que la grace de Pitrarque ou d'Horace,

Ceci fait dire a Marie-Madeleine Mouflard dans son Stude sur 1'oeuvre de

Robert Gamier (Robert Gamier) :

Des les Jeux Floraux de 1564, Garnier a trouvS son accent per­ sonnel, et les annies de 1'experience ne les modlfleront qu'fi peine: on y retrouve l'echo de ses devanciers prSfSris, des tours accomodis aux rythme de sa pens€e et une expression tra- gique etroitement liee a la conception des scenes et des per- s o n n a g e s . 236

Comme dans les trois quarts de son oeuvre, Gamier utilise l’alexandrin a rime plate dont l'harmonie n'est pas tres diffSrente de celle que nous avons remarquee dans le reste du Livre Rouge. On note beaucoup de sono- rites en on/en/in/ain qui donnent un ton sourd au poeme, par exemple:

"Coensement (sic) dans le sein de Neptune il enserre" (v.4). Les strophes sont unissonantes en re/erre/yeux/aige dont les sons sourds scandent le p o e m e .

La nettetS des consonnes met en valeur la matit§ des voyelles, et Gamier en maltrise les effets. On trouve:

Qui d'un souffle contraire ont dress§ telle guerre (v.12)

Un aspre tourbillon de sa bouche deserre. (v.22)

Gamier renforce la valeur des consonnes par des effets d'alliteration:

"Aquilon d ’une part au combat prepare".(v.30). Les voyelles se r§pondent par echo. On lit:

Mais les pouvres nauchiers pour avoir endure (v.41)

Et la tempeste encore ennubiloit leurs yeux (v.45)

Ces correspondances sont des rimes interieures qui trahissent souvent une emotion violente. La combinaison de l'echo et de 1'alliteration rend le vers 22 encore plus frappant. Dans le style de Garnier, on trouve aussi les figures habituelles de la prose classique, en particulier celle de

Seneque. Le refrain et 1'envoi rappellent les sentences latines qui ser- vent a conclure un raisonnement ou un expose. Gamier joue aussi des antitheses: opposition de l'orage avec le calme du salut, petitesse des vaisseaux et puissance des vents. Les enumerations se trouvent aussi chez Seneque; ce sont des procedes d'exposition: 237

Despuys le bor Indoys d'ou le soleil dore Ses cheveux jaulnissant esparpille sur terre, Jusques qu pled d'Atlas, ou son char demeure Coensement (sic) dans le sein de Neptune il enserre. Et depuys la Tartare au sejour eunuyeux Jusqu'au More noircy de la torche des cieulx ( w . 1-6)

Les enumerations et les parallelismes prennent la valeur de litanies, com­ me par exemple dans les quatre derniers vers de 1’envoi: ,

Toujours l'iver cuysant ne monstre son visaige Toujours Mars irrite n'exerce son carnaige, Toujours Dieu ne punyst le monde vitieux La mer n'est pas toujours bouillonante en oraige. ( w . 57-60)

Les procedes de style de SSneque sont assez facilement repSrables et il n'est pas improbable que le jeune homme qu'etait Gamier 5 l'epoque cher- chait a mettre en pratique ses lectures universitaires.

Ce qui frappe le lecteur le plus, c'est la majeste du style ora- toire que Ronsard qualifle de "parler haut", Belleau en loue "les vers

87 hautains et braves" ainsi que les "sentences graves". La majest§ du style de Garnier a pu s'exprimer velontiers dans l'alexandrin, De vers s'adaptait bien a 1 '"abundantia styli" sur lesquels les admirateurs de

Ciceron fondaient la valeur d'un poeme. La longue pgriode de la phrase soutient l'ampleur et le souffle du rythme. Garnier est proche du style ciceronien dont les ramifications sont faites de propositions parallfeles:

Qu'au lieu de butiner le joyeau precleux Et d'accroistre le bien de ses ayeuz, Au lieu de contanter son avare couraige ( w . 15-17)

Le poete evite les fautes que l'on peut trouver chez beaucoup d'autres auteurs du Livre Rouge. II ne repete pas deux mots diff§rents indiquant la meme idee, et ses adjectifs ou adverbes ne sont pas placSs dans le 238 seul but de remplir le vers et de satisfaire une rime mSdlocre, Le sty** le oratoire de Garnier, meme dans ce premier, essai, montre des qualitfis de force, d'Elegance et de concision. Ceci fait dire & MarierMadelelne

Mouflard:

Meme dans les textes les plus insigniflants, comme dans le chant royal de 1564, la pgrlode de Garnier donne une impress sion de puissance, a la fois par la nettete de l'attaque et la longue duree de la phrase.®®

Le style de Garnier evoque dgjS un effort de direction d ’un style plus classique. C'est a la fin de chaque strophe que le poeme montre ses faiblesses. En effet, pour satisfaire au genre requis par le College de

Rh§torique, et au gout de l'epoque, le ton devait etre sentencieux, Ain*' si, £ la fin de chaque strophe, Garnier essaie-t-il de ramener l ’idee du debut a la sentence finale, et le passage se fait parfois d ’une manlere maladrolte:

Si bien que les valsseaulx de ce choc furieux Se volant les costes rompus en mil lleux, Tels assaultz ne pouvolent soustenir davantalge Ils n'eussent peu jamais aborder le rivalge, Ne feust quelque destin, ou que pour dire mieulx, La mer n'est pas toujours bouillonante en oraige. ( w . 25-30)

Les contemporalns de Garnier apprScialent fort les belles formules a retenir, et le refrain de son poeme en etalt une, Le style de Garnier va s'adapter aux situations; en 1564, le style oratoire et sentencieux que l'on remarque repond a l'angolsse du poete; en 1566, le style lyrique gvoque plutot le d§sespoir, L'evolution est le reflet poignant de son epoque,

Le poeme de 1566 est un des plus beaux du Livre Rouge, Cette beau^ te jaillit du profond lyrisme qui le soutlent. 239

Dans la premiere strophe, Robert Garnier peint la creation du monde par Jupiter contre lequel vont s'attaquer "les monstres de son

aige". La seconde strophe est la plus remarquable de toutes:

De mil et mil exces tout le monde e^toit plain, La terre en mil party estoit ensanglantee, De l'inhumanite de ce murdre inhumain II n'y avoit maison qui peust estre exemptee; Les peres ja grisons voyoient devant leurs yeulx , Leurs enfans egorges d'ung poignard furieux, Car ces monstres villains ne paissoient leur couraige Que des seulles horreurs d ’un continu carnaige.®^ ( w . 11-18)

Mais le desespoir ne saurait etre long, comme c'est le cas dans beaucoup de poemes du Livre Rouge. Dieu apporte toujours l'espoir:

Quant pour nostre secours nous eusmes, soucieulx, L'Hercule qui dompta les monstres de son aige. ( w . 9-10)

La troisieme strophe peint le combat farouche entre Hercule et les mons­ tres, et l 1 on reconnalt le style puissant et majestueux de Gamier dans la force des alliterations et des enumerations:

Cest Hercule envoye par le Dieu souveraln Occist d'un bras nerveux la beste eriment§e Le taureau, le lyon, le cerfz au pied d'airain, Gerion, Diomede et le luiteur Anthee. ( w . 21-24)

Garnier expllque ensuite que nous devons nous en remettre a Dieu qui, com­ me Hercule, va "dompter les monstres de son aige". Habilement, le poete r§vele le sens de son chant: Hercule est le roi auquel on doit obSlssance

- Gamier §tait un monarchiste convaincu - et sous la tutelle de qui l'or- dre divin sera r§tabll:

Par les monstres j'entendz les hommes factieux Qui sur ce bord gaulois firent tant de domaige; L'aige de cest Hercule est ce siecle odieux, Et nostre roy vainqueur dont la jeunesse saige 240

A desja surpasse l'honneur de ses ayeulz L'Hercule qui dompta les monstres de son aige. ( w . 51-56)

Le style lyrique est proche du style oratoire, tout en etant plut tou- chant. II est fait de parallelismes (v.11-13), de repetitions effecti­ ves (v.ll), d ’accumulations de mots (v,23). Le style lyrique de Robert

Garnier possede du souffle, de la clart§, du rythme. On reconnalt aussi le dramaturge par son gout pour le visuel (les poignards, les enfants

£gorges), ce qui donne un tour epique au poeme. Certes, les deux oeuvres en presence sont des oeuvres de jeunesse, mais elles sont pleines de pro­ messes .

II est assez ironique de noter qu'alors que le College de Rhgto- rique de la Gaie Science tente de purger les Jeux Floraux d ’attaqueB con- tre le catholicisme, un homme tel que Guillaume Salluste du Bartas a £te prime en 1565 (Violette), annSe ou les tensions religieuses faisaient en­ core rage. La raison peut en etre la grande jeunesse de du Bartas; il avait a peine vingt et un ans, De plus, comme nous l’avons remarque, les

Jeux Floraux se voulaient les Jeux de la moderation plus que de la propa- gande; meme si du Bartas devint un calviniste ardent et z§l€, dans la plus grande partie des Semaines, il a su montrer qu’il n ’etait pas sec- taire.®^ Le chant royal de 1565, dont le refrain est "La voix plongeant dans le sein d ’Amphltrite" s'inscrit dans cet etat d ’esprit.

La premiere strophe evoque les mille dangers auxquels dolt falre face le navire:

Le nocher basane qui de l ’onde asuree, A force d ’avirons fend le doz ecumeuz, Ung seul moment de temps n'a la vie assuree^ 241

Car oultre la fureur des aquilons emeuz Contre le dard murdrier du foudroiant oraige, Oultre le traistre abord d ’un sablonneux rlvalge, Oultre les mile rochers, mil goufres tournoians Et mil ecueils calchSs soubz les flotz abolans,^^ ( w . 1-8)

Kurt Relchenberger a consacrS une etude tres dgtaillSe 6 l’art de du Bar^

tas, dans son livre Du Bartas und seln Schopfungsepos, Ses dScouyejctes

i sont tres proches des notres dans le contexte plus large de la poStique des Jeux Floraux au XVIe sl£cle, 11 dlt par exemplej

Die Sepmalne 1st ein komlsches Gedtcht von groasen Ausmassen, Aus der Abslcht heraus, Gott 1m Bllde seiner Werke zu erken« nen, werden die Telle des Unlversuma In lhrer Fiille ausge- breitet.92

Dans son poeme, du Bartas marque 1 ’opposition des forces en presence, insistant sur les prepositions qui evoquent le choc ("centre", "a force de", "oultre"), Les rdpgtltions ("mil") crSent aussi un effet oratoire emphatique, Le poSte joue sur 1’effet du contraste, Le premier vers of- fre un spectacle quasl-llylllque, L ’onde est azuree, et rien ne semble voulolr perturber ce palslble tableau, Mais, d§s le second vers, les fortes sonorltgs en i: ("fi force d ’avlrons"), la slfflante O'fend") attes- tent d ’un conflit; "asurSe" va rimer lrontquement avec "assurfie", Le trolsiSme vers oppose les sonorltls breves ("ung seul") avec la longue impression de duree ("moment de temps"), Les vers 5-7 Jouent avec les consonnes en r_ d ’une manlSre frappante, Les sons en ana ("tournoians",

"aboians") allongent la durie, Forme et fond se renforcent mutuellement et font de cette premiere strophe du chant royal un passage trfcs rfiussl.

La reprise en gcho apparalt comme 1 ’Equivalent verbal du mouvement qui anime 1’image, Kurt Relchenberger parle de "Dynamlk der Sprache",93 242

II analyse le style de la Semaine en ces termes, qui peuvent aussi etre

appliques au poeme du Livre Rouge:

Die Ausgestaltung des Absatzes mit asyndetischen Reihen, Paral- lelkonstruktionen und konzeptisch verbramten Aussagen entspricht

eher dem Zeitgeschmack als dem unsrigen.^4

Dans la seconde strophe, le poete decrit le charme auquel les "fil-

les d ’Achelois" vont soumettre les navigateurs. Un des effets de cette i strophe est la reprise de termes semblables a la cesure:

Car es lieux plus frequents de l ’humide contree Les filles d'Achelois, cest Aquelols fameuz ( w . 12-13)

La troisieme strophe imite les attraits de ces belles sirenes. La phrase

devient une longue periode dont les m§andres parviennent enfin au refrain

("La voix plongeant les naux dans le sein d'Amphitrite"), Cette voix est

aussi celle du poete. Du Bartas va ensuite opposer le charme feint des

sirenes au gouffre dans lequel elles ont attire les marine; les consonnes

en t et £ er r tres expressives contrastent avec les melodies en en/on/

ieux; "De leurs traistres appas et chantz melodieux" (v.35). On regret-

te cependant dans cette strophe un vers tel que; "Voissi soubdain l’as-

sault des gros flots floflottants" (v,41),

Dans la cinquieme strophe, Salluste du Bartas compare les marlns qui ont

resiste au charme des sirenes aux hommes qui ont fait de la vertu leur

guide mais qui n'ont pas succombe au sein d ’Amphitrite, Dans 1 ’allSgorte,

Salluste du Bartas explique que les hommes, de meme, he doivent pas suc«

comber aux "sales voluptis" de cette "fresle vie" et il leur demande de maltriser "l’appetit de leurs sens" et de se conduire avec raison|

Les hommes aveugles qui durant le volalge De ceste fresle vie elisent le servalge 243

Des sales voluptes, sont enfln pressants, Mals ceulx qui captlvans l ’appetit de leurs sens Recoivent la raison pour leur seure condulcte Sont toujours bien heureux, justement halssans La voix plongeant les naux dans le sein d ’Amphitrite. ( w . 56-62)

Le poeme de Salluste du Bartas est un poeme d ’espolr qui en appel- le a la raison et a la moderation. Les recherches formelles du poete

i donnent un certain relief a des passages volontiers surcharges de details descriptifs, alourdis d*incidents et de developpements sinueux et touffus.

Ces effets surprennent. La tache n ’en etait pas facile dans un genre con- nu pour ses regies fixes.

Conclusion

Nous devons a present nous demander si la production litteralre du Livre Rouge est aussi monotone et ennuyeuse que la post£rit§ a bien voulu le pretendre. Elle a souffert, certes, des comparalsons que l ’on a pu lui opposer. A une epoque de revolution esthetlque a laquelle les auteurs de la Pleiade donnaient vie, les poetes de Toulouse perpStuaient les traditions poetiques des troubadours du moyen age, Le jugement seve­ re de Joachim du Bellay ne manqua pas d'antagoniser les critiques des generations suivantes, qui ne penserent pas remettre en question le juge*' ment esthStlque du porte-parole de la Pleiade, Comment expliquer, done, que des auteurs tels que Pey de Garros, Salluste du Bartas, Etienne Porr. cadel, Robert Garnier et meme Ronsard (dont la poesle n ’a pas €t€ transr. crite par le greffier) se soient interesses aux Jeux Floraux de Toulouse en y presentant leurs oeuvres? Dans le cas de Robert Garnier, il prSsen^ ta deux poemes, avec une annee d ’6cart, Le fait que 1*ensemble de ces 244

poernes a ete transcrit a la main par les grefflers temoigne aussi de la

ferveur qui anlmalt les poetes, les Malnteneurs et le public en general.

Certes, le genre du chant royal Stait un genre fixe, mais 11 n'en

est-il pas de meme du sonnet? Dans certaines limites, le genre n ’a pas

ete insensible a Involution du gout poetique. Nous avons vu qu'a par-

tie de 1556, l ’alexandrin remplaqa le decasyllabe herolque, et des son­ nets sont meme primes a partir de 1554. La tradition toulousaine a et€ dans une certaine mesure permeable aux idees nouvelles et ne les a pas rejetees en masse.

Le chant royal correspondait parfaitement a la dimension que le

College de Rhetorique en attendait. II existe un accord fondamental entre

le genre, le style et la societe qui 1 ’encourage. Les poemes sont l'ex*' pression de la gloire divine et royale, adresses a des personnages qui la respectaient. Le chant royal en etait 1’expression parfaite.

La monotonie des sujets et leur caractere moralisant ont contri- bu 6 5 discrediter la forme entiere. Les critiques ont cependant omis de voir qu’au-dela du signifie, les poetes ont eu la possibilite d 1exprimer leur art et leur liberte suivant leur talent. Le signlflg est devenu seulement un pretexte aux tribulations du signifiant. Dans 1’article

"Une Poesie formelle en France au moyen age", Robert Guiette explique que la chanson courtoise, dont s ’est inspiree le chant royal de Toulouse, est avant tout une criation rhetorique:

De tous les elements donnis, ils s ’appliquent a faire, I cons^ truire un "objet", une rdalite nouvelle... Le jeu qui les sol** licite est celui de la composition: mise en place des elements connus, elaboration d ’un systeme verbal diflnitif, d'un texte a chanter, d ’un texte chante,95 245

C ’est ce que Paul Zumthor exprime en ces termes:

Le texte, comme texte, se fait sa propre fete.96

Le texte est jeu dans la mesure ou le poete dolt combiner sa pensee avec

les exigences du texte. La maniere dont le poete fait lentement derouler sa phrase pour la mener a un refrain fixe, la maniere dont il conduit le lecteur a 1 ’interpretation logique du rebus de 1 ’envoi, les corresponden­ ces des series modulantes sont associ&s a un jeu poitique dont les regies ont echappe au lecteur des generations suivantes. Nous ne devons pas oublier que les competitions poetiques etaient avant tout des "jeux”, dans le pur sens du terme, aux regies desquelles les poetes devaient se pller tout en exprimant leur talent. Comme dans toute activity ludique, il y a melange de liberte et de contrainte. Le jeu de rimes et de rythme les refrains sont des composantes musicales qui agrementent la lecture.

La forme "carree" des harmonies regulieres est contrebalancee par le mou- vement concentrique du chant qui ramene systematiquement le lecteur I un point central de la rosace poetique. Les series modulantes forment un jeu d'orgue avec des points plus soutenus que les autres, rappelant ainsl le chant gregorien. Afin d'en apprecier la subtility, il faut que la sen­ sibility des auditeurs ou des lecteurs soit aiguisee au jeu des figures, du rythme et du chant. Roger Dragonetti explique cette sensibility;

Elle releve d'une catSgorie d'auditeurs: elle ne peut exlster comme fait poitlque que lorsqu'elle s ’adresse a une sensibili­ ty capable de ressentir a travers les moindres nuances de la forme, la charge allusive du c h a n t . 97

La relation des timbres, les figures d'enchainement des rimes diflnissent la configuration hanmonique de la strophe et du chant dont la melodie des rimes doit etre parfaite, 246

Nous ne devrions tout de meme pas donner 1'impression que la pro­ duction du Livre Rouge ne comporte pas de faiblesses. De nombreux poemes

sont franchement ennuyeux, et leurs auteurs ne mSritent que l'oubli.

Mais rares sont toutefois les poemes qui soient totalement mauvais. Au contraire, on decouvre au dStour de la rime des sequences qui resonnent de beaux accents poetiques. Au d§but du Livre Rouge, on sent que les poe­

tes eprouvent de 1 'enthousiasme a manler le dScasyllabe. Leur pensie est plus epique que descriptive ou meditative. On remarque, cependant, que les poetes vont se lasser des limitations presentees par le style herolque, et c'est a ce moment-la que l’alexandrin apparait comme un se­ cond souffle dans le Livre Rouge. C'est dans cette deuxieme generation que des po&tes tels Pey de Garros, Robert Garnier et Salluste du Bartas vont s'inscrire. Leurs oeuvres donnent aux annees 1560 un prestige ine- gale dans la production du Livre Rouge. Les poetes abandonnent le style lineaire parabolique pour tenter d'explorer les possibilites de la phra­ se. Ce phenomene coincide etrangement avec la renaissance occltane de la meme §poque. Le temps n'est plus 3 1'action, mais 3 1'introspection, dans un repli interieur (utilisation du jeu) et avec la volont§ de d§cri- re les outrages du temps. L ’alexandrin y partlcipe plelnement. Nous de^ vons cependant aller au-dela d ’une simple description des composantes de l’ecriture florale. II reste & etudier la relation entre la defense achar- nee d'un genre dit fixe, a 1 ’Interieur duquel le baroque fleurlt, et

"les conditionnements circonstanciels" qui l ’ont fait naltre. 247

Notes Chapitre V .

^ Helen Louise Cohen, The Ballade (New York University Press, 1915), pp. 252-258. 2 Daniel Poirion. Le Poete et le prince. Evolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut a Charles d'Orleans (Paris: Presses Universitaires de France, 1965), pp. 369-374. 3 Un peintre toulousain du nom de Jean-Paul Laurens a peint une scene de recompenses des Jeux Floraux (cf. chapitre II). II pourralt s'agir de la meme personne. 4 Cohen, pp. 352-353. 5 Dans son livre sur la ballade, Helen Louise Cohen passe en revue tous les arts poetiques qui mentionnent la ballade et le chant royal. Nous faisons allusion a cet ouvrage dans les references qui suivent. L'InfortunS,

Instructif de seconde rhetorique, est cite par Cohen a la p. 353. 6 Sebillet, Art Poetique, §d. Felix Gaiffe (Paris: Hachette, 1910), p. 37.

Eustache Deschamps, L'Art de dictier, dans Cohen, pp. 355-356. 8 L*Infortune, Instructif, dans Cohen, p. 357. 9 Avant de relever les textes decrivant les caractiristiques du chant royal et de la ballade, Helen Louise Cohen, pp. 155-159, en fait une liste exhaustive. Cette liste nous a paru utile afin de montrer 1'attention que ce genre recevait encore de la part des theoriciens de la littSrature. 248

^ Joachim du Bellay, La Deffence et illustration de la langue fran-~ ■ ' coyse, £d. Henri Chamard (Paris: Didier, 1948), pp. 107-109. 11 Barthelemy Aneau, Le Quintil Horatian, dans Cohen, pp. 198-201. 12 Guillaume des Autelz, Repllques aux furieuses defenses de Louis

Meigret, dans Cohen, p. 201. 13 Poirion, p. 364. 14 Roger Dragonetti, La Technique poetique des trouveres dans la chan- * son courtoise. Contribution a l'Stude de la rhetorique mgdievale (Bruges:

/ de Tempel, 1960), p. 388. Dans ce chapitre, nous avons tentS d ’appliquer le systgme de Roger Dragonetti a la poesie florale du XVIe siecle.

^ Anonyme, L'Art et Science de rhetorique vulgaire, dan6 Cohen, pp. 188-189. 16 Poirion, p. 370.

17 AD 257. lfi AD 258.

19 AD 258. 20 AD 258.

2^ Poirion, p. 371.

22 AD 259.

23 Jacques Legrand, Des Rimes, dans Cohen, p. 165. 24 Poirion, p. 380. 25 G§lls, Histoire critique,p. 153.

2^ Poirion, p. 372.

27 Cohen, p. 189. 28 Dragonetti, p. 354.

29 AD 28-29. 249

30 AD 30. 31 AD 60. 32 AD 34. 33 AD 36.

34 O C O C

AD •

35 <3- 0 0 AD

36 AD 50.

37 AD 52. 38 AD 71. 39 AD 79. 40 A D 94. 41 Poirion, p. 374. 42 Poirion, p. 374. 43 Dragonetti, p. 406. 44 Lesi Leys consacrent

ons" (II, 45-46). 45 CitS par Dragonetti, p. 406. 46 Dragonetti, p. 415. _ 47 Dragonetti, p. 416. 48 AD 127.

A D 217.

50 AD 145. 51 AD 27-29. Dans les citations en rimes qui suivent, il s'agit du meme poeme. 52 Las Leys d 1Amors, ed. Joseph Anglade (Bibliotheque Meridionale,

Toulouse: Privat, 1919, lere serie, t. XVIII), p. 98. 250 53 Leys II. 101. 54 Leys 11. 101. 55 Leys II. 101. 56 Leys II. 112. 57 Leys II. 137. 58 Leys' II. 69. 59 Leys II. 177. k 60 Deschamps, L'Art de dictier, dans Cohen, p. 160. 61 AD 37. 62 Dragonetti, p. 499. 63 AD 37. 64 Poirion, p. 380. 65 AD 130. 66 AD 42. 67 AD 58. 68 AD 59. 69 AD 44. 70 AD 46-47. 71 AD 47. 72 AD 48-50. Les citations qui suivent font allusion au poeme de Jean de Corrier. 73 AD 50-52. II en est de meme pour le poeme de Jean Rus. 74 Fran^oise Joukovsky, Oeuvres poetiques de Forcadel (Geneve: Droz,

1977), p. 218. 75 Joukovsky, pp. 41-42.

76 AD 66- 68. 251

^ Joukovsky, p. 218. 78 Joukovsky, p. 45. 79 AD 140. 80 AD 143. 81 AD 166. 82 AD 170. 1 r • 83 Collogue sur Pey de Garros et son temps (Annales de l’Institut d*E- i

tudes Occltanes, 4e serie, no 3, 1978)

84 AD 153-155. 85 AD 203-204. 86 Marie-Madeleine Mouflard, Robert Garnier. L*Oeuvre (La Roche-sur-

Yon: Imprimerie Centrale de l'Ouest, 1963), p. 429. 87 Mouflard, p. 441. 88 Mouflard, p. 443. 89 AD 216-218. 90 Georges Pellissier, La Vie et 1'oeuvre de Du Bartas (Paris: Ha-

chette, 1883), p. 47. 91 AD 210-212. 92 Kurt Reichenberger, Du Bartas und sein Schopfungepos (Munchen:

Max Hueber Verlag, 1962), p. 54. 93 Les recherches de Kurt Reichenberger sur le style de du Bartas

peuvent s'appliquer aux pontes de sa generation qui ont particip§ aux

Jeux Floraux de Toulouse. Les titres de chapitres rappellent le sujet de

notre etude: "Epos und hoher Stil", "Die Welt des Paradoxen", "Bild und

Metaphor", Dynamik der Spache" (pp. 106-118) et "Die TrSger der epischen

H an d l u n g " . 252

Q A Reichenberger, p. 46. 95 Robert Guiette, "Une poesle formelle en France au moyen Sge,"

Questions de Litterature, dans Romanics Gandensia, 8 (1960), p . 13. 96 Paul Zumthor, Le Masque et la lumlere (Paris: Seuil, 1978), p. 280. 97 Dragonetti, p. 545.

V t

CHAPITRE VI

RHETORIQUE ET THEATRALITE

253 254

1. Rhetorique et poEsie au XVIe siecle

L'acte littEraire o'est pas uniquement conditionnE par les cir-

Constances, mais il en reflete a sa maniere les multiples facettes. La rhetorique est de l'essence meme de l’ecrlture des Jeux Floraux au XVIe siecle. Comme le souligne Robert Escarpit dans le colloque sur "LittE- t rature et sociEtE" deja mentionne,^ le concept de litterature date a pei­ ne du XVIIIe siecle; il avait EtS precede par ceux de poesie et d*Elo­ quence qui furent pendant longtemps les seules formes de litterature existantes. Poesie et rhetorique n ’Etaient guere en contradiction, du moins dans 1'esprit de la Renaissance, epoque ou les arts poEtiques etaient surtout des "arts rhEtoriques" et ou la poesie Etait une "se- conde rhEtorlque" ou une "rhEtorique mEtrlfiEe".

Le culte de la rhEtorlque n'est nullement en contradiction avec la mission d'une poesie soucieuse de dEpasser le niveau confus de 1* emotion organique. Comme ’’’'rateur, le poete cher- che a maltriser le charme de la parole.^

Afin de definir le phenomene de "rhEtorlque", nous avons choisi la defi­ nition de Jean Dubois dans Rhetorique GEnErale:

La rhEtorlque est un ensemble d ’Ecarts susceptibles d*autocor­ rection, c'est-a-dire modifiant le niveau normal de redondance de la langue, en transgressant les regies, ou en en inventant de nouvelles. L'Ecart crEe par un auteur est pergu par le lecteur grace a la prEsence d'un invariant. L'ensemble de ces opEratlons, tant celles qui se d&roulent chez le produc- teur que celles qui ont leur siege chez le consommateur, pro- duit un effet esthetique spEciflque que l ’on peut appeler Ethos et qui est le vErltable objet de la communication es- thEtlque.3

Le but de la rhEtorlque est aussi de persuader 1'esprit et de toucher le coeur. Ce but, allle au fait qu'il cree des "Ecarts de diffErence" avec un langage commun fait de la rhEtorlque une institution soclale. A l'oc- 255

casion du meme colloque consacre aux problemes de methodologie en socio-

logie de la litterature,^ Roland Barthes rappelle que la rhetorique est

nee, dans la Grece antique, des proces de propri&te qui ont suivi les

exactions des tyrans dans la Sicile du Ve siecle. Dans la societe bour-

geoise, l'art de parler selon certaines regies est a la fois un signe du

pouvoir social et un instrument de ce pouvoir. La classe qui couronnait

les etudes d'un jeune bourgeois etait bien appelee classe de rhetorique.

Le message litteraire doit done etre analyse selon ce qu'il dit mais aussi la maniere dont il le dit. Dans ses Essals de linguistique

Renerale,^ Roman Jakobson distingue six facteurs dans tout message: un

emetteur, un destinataire, un contexte ou referent, un contact, un code

et le message lui-meme. Tout discours mele la plupart de ces fonctions, mais il regoit une certaine dominance selon le type de discours auquel

il appartient, La litterature met 1’accent sur le code et le message.

Dans le cas du Livre Rouge de Toulouse, le destinataire joue aussi un role important; les po&mes sont adresses aux princes de la fete, membres

du jury qui en sanctionnent la valeur poetique. Dans cette perspective,

le message litteraire apparalt dans une autre lumiere. II faut ainsi decrire le code rhetorique Inherent au discours des Jeux Floraux de Tou»-

louse.au XVIe siecle et le mettre en rapport avec la soci§t§ et l'his-

toire qui l'a produit et l ’a consommS,

2. La theatralisation du discours

Les poetes des Jeux Floraux du XVIe siecle etalent nourris de rhetorique. La rhStorique, en effet, §talt un element essentiel de l’e- ducation £ Toulouse au XVIe siecle. Pendant neuf ans, et meme parfois 256 quinze, l'etudiant etudiait la grammaire, la rhetorique et la dialecti- que (le trivium), selon un systeme d'enseignement qui ne variait guere du curriculum medieval. Les matieres du quadrivium etaient facultati- i ves pour le futur grammairien, rhetoricien ou dialecticien. Cette in- sistance sur l'art de la parole et de l'Scriture ne sera denoncee que par Montaigne dans "De 1*institution des enfans": ,

On nous tient quatre ou cinq ans a entendre les mots et les coudre en classe: encore autant a en proportlonner un grand corps, estendu en quatre ou cinq parties; et autres cinq, pour le moins a les scavoir brefvement mesler et entrelasser de quelque subtil f a q o n . ^

Si l'on en croit Henri de Mesmes, qui etudia 2 Toulouse de 1545 a 1550 et qui nota ses impressions dans des Memoires,^ 1'enseignement a Toulou­ se restait tres archalque. Paul Porteau, dans Montaigne et la vie peda- O gogique de son temps, et Paul Benetrix, dans Les Origines du CollSge d *Auch,^ concourent a dire la meme chose. Des r£formes avaient §te pro- posees, mais le prestige de la rhetorique, dans une ville c61ebre pour sa faculte de droit, en etait sorti intact. En 1521, dans son Grand et

Vray art de seconde rhetorique, Pierre Fabri declare que le poete doit suivre les memes regies que l'orateur.^^ Meme du Bellay, dans sa Def- fense et illustration de la langue francoyse (1549) reconnalt que l'art de la poesie est tres proche de la discipline rhetorique. 11 exhorte le poete a s'exercer a l'art de la rhetorique:

Suppose done que celuy qui se veut exercer en la Poesie fran- qoise, solt autrement blen verse et entendu par toutes les parties de Rhetorique. et plus loin:

Et tout ainsy que le futur orateur profite en la lecon du poete pour enrichir son style, et faire son champ autrement sterile, 257

fertil, de la lecon des Historiens et Orateurs francois.1^

Pour illustrer la pratique de la poesie, du Bellay se refere a Cic€ron

ou Quintilien, "entre tous les meilleurs auteurs de rhetorique":

Mais quant a l'eloquutlon... par laquelle principalement un orateur est juge excellent, et un genre de dire meilleur que 1 'autre: comme celle dont est apellee la mesme eloquence: et dont la vertu gist aux motz propres, usitez, et non aliennes du commun usaige de parler, aux metaphores, alegories,- sans lesquels tout oraison et poeme sont nudz, manques et d e b i l e s . ^

Plus loin, du Bellay se fait encore plus explicite:

Les vertuz de l'un sont pour la plus grand part communes a 1 'autre.1*

Dans son Art poetique de 1555, Jacques Peletier du Mans marque le meme respect pour Ciceron et Quintillien. Selon lui, il y a une interdepen­ dence entre la poesie et la rhetorique, a la seule difference que le poe­ te a une plus grande liberte d'aborder un plus grand nombre de sujets et de s’adresser 5 un audiktoire plus Sieve: f,

Qu'y a-t-il au monde plus beau que l'ordre...? En tous ouvra- ges qu'il y a-t-il que l'ouvrler se puisse dumant approprier, si ce n'est la forme? II n'y a rien en l'oreson qui soet de l'orateur, si ce n'est qu'on appelle la collocation. Car les moz, ni meme les sentences ne sont plus du sien. Les mots sont du peuple,^

La rhetorique est a la fois l'art de convaincre et celui d'Smouvoir, ce que Ronsard resume dans la Franciade en parlant de poSsie:

Tu seras industrieux a esmouvoir les passions et affections de l'ame, car c'est la mellleure partie de ton metier.^

Dans son Art poStique francoys (1548), Thomas Seblllet oppose l'art de la rhetorique a la nature;

Et ne dolt on trouver estrange si je donne en l'art poetique les premieres parties & celle. (Lfinvention) laquele les Rhetoriciens ont aussy nombr§e premiere part de tout leur art. Car la Rhetorique est autant blen espandue par tout le poeme, 258

comme par toute l'oraison.-^

Les exhortations de la part des theoriclens a mettre en pratique les re­

gies de la rhetorique traversent tous les arts poetiques du XVIe siecle.

Les poetes du XVIe siecle ne s'excuseront jamais d'avoir recours

a la rhetorique. Au contralre, ils sentaient que leur art aurait tout a

gagner de 1 ’etude et de la pratique d ’une langue aux pouvoirs multiples

et que I 1on pouvalt manler dans toutes les nuances.

L'influence de la rhetorique dans la poetique de la Renaissance

a, par contre, ete souvent deploree. Beaucoup d'etudes ont fait egaler

la rhetorique avec une versification mecanlque, un exces de froideur et

un manque de slncerite;^-® W.F. Patterson dans Three Centuries of French

Poetic theories (1328-1630), Henri Weber dans La Creation poitique au

XVIe siecle en France, Henri Chamard dans Histoire de la PlSiade, et sur-

tout Graham- Castor dans P.leiade Poetics. Ce dernier, par exemple, re-

grette 1'influence d'echelles de valeurs non-po§tiques ou bien le fait

que "le poeme devienne un sermon en vers dans lequel la succulente moel-

le de la morale est cachee sous l'§corce de l'ornement poetique".^

De recents travaux ont cependant tentS de revaloriser le role

de la rhStorlque dans la poes*le de la Renaissance: Richard Griffith's

"The influence of formulary rhetoric upon French Renaissance tragedy",^0

Robert Griffin's The coronation of the poet: Joachim du Bellay*s debt 21 to the trlvium. Le Groupe MU a qui on devait deja La Rhetorique gene-

rale, propose aujourd'hui Rhetorique de la pogsle-lecture lin6aire, lec­

ture tabulaire dans une perspective beaucoup plus theorique. Le consen­

sus est d'essayer de definir le rapport entre la poSsie et la rhetorique 259 22 afin de parler d ’une "poesie d ’une certalne rhgtorique".

C'est la technique du langage qui transforme le lyrisme primitif

(la musique naturelle) en une poesie plus subtile fondie sur le pouvoir des mots. Les jeux de langage sont de I 1essence meme de la creation du poeme. Sur le plan distrlbutlonnel, la rhetorique opere dans le langage

t littSraire des effets de catalyse qui rendent la litterature encore plus apparente. Le message litteraire doit done etre defini comme un ecart d'association des signes oti les figures de rhetorique sont des "espaces de difference" entre la norme et la transgression de cette norme, le tout visant a produire un effet que le Groupe MU definit comme "etat affectif susclte chez le r§cepteur par un message particulier et dont la qualite specifique varie en fonctlon d ’un certain nombre de parametres"

Ce sont ces parametres que nous tenterons de demontrer.

On peut done definlr la rhetorique comme la science qui permet de maitrlser toutes les ressources du langage afin de mieux les utiliser.

II s'opere un processus de theatralisation du dlscours, sorte de mise en scene qui cherche £ produire tous les effets. Cette mise en scene se pose en parallele au ceremonial dont §taient l ’objet les Jelix Floraux .de

Toulouse, £ une epoque ou la vie at le theatre avalent tendance, depuis le moyen age, a se confondre. Les Jeux avaient un caractere festif. Ca- pitouls et Malnteneurs se rendaient en procession minutieusement orches- tr§e £ Notre**Dame de la Daurade. Dans 1 ’ Introduction des Fetes de la

Renaissance, Jean Jacquot expllque quej

Le pouvoir monarchique se donne en spectacle a la cite; la cit§ se donne en spectacle au souverain, et £ elle»-®eme, car elle 260

prend conscience de son unite, de son harmonie, dans la diver­ sity des respom?abilit§s, des rangs, des professions.^

A Toulouse, le jeu du pouvoir etait represents par les notables en place qui aimaient a se donner en spectacle et en appreciaient le prestige.

Les ecarts qui etaient le fondement meme du "Jeu" de Is fete se retrou- vent dans la transgression du discours, cette "thSatralite" dont parlent

t

Lucie Brind'Amour et surtout Paul Z u m t h o r . ^ S

La theatralisation du dlscours se presente sous la forme hyper- bollque des figures, au niveau des mots comme au niveau des images et de la pensee. Le texte est magnlflS et les slgnlfiants rh§torlques en sont les connotateurs. Le corpus litteraire du Livre Rouge atteste du "grand jeu de la p o e s i e " . ^6 Le temperament des poetes des Jeux Floraux les jet- te dans l'extreme du visuel, qui contraste etrangement avec la modera­ tion du message final. Leur imagination se meut avec aisance au coeur de l’gtendu, du grand, du theatral, De plus, la strlcte dlchotomie entre les forces adverses cree une tension dramatique a 1 'interieur du dlscours qui va trouver sa catharsis dans Dieu et dans le roi. Le gout des poetes et de leurs censeurs en appelle a la mise en sc&ne et au thiatre.

Pour Daniel Poirion, 1’hyperbole est un moyen de "faire depasser la midiocrite du rSel pour rejoindre la purete et la perfection de 1’idS- al", parce que "I1hyperbole projette sur l'§venement slnguller, l'lndi- vidu particulier, la lumiere de 1’infini et de l’§ternite " ^ C'est aussi une des caracteristlques de la fete: rupture avec la vie quotldlen- ne et liberation du temps et de l'espace, Dans Rabelais and his world,

Mikhail Bakhtin fait 1'opposition entre la fete offlcielle et la fete 261

populaire. II est clair que si les Jeux Floraux devenaient aussi fete

populaire, ils avaient surtout toutes les caracteristiques de la fete of-

ficielle. Ils s'adressaient a ceux qui aimaient a gouter les "Jeux" de

1 ’esprit, surtout parmi un cercle d ’inities jouissant d ’un niveau de

culture et de langue eleve. La definition que donne Bakhtin des fetes

officielles nous gclaire sur la nature des Jeux de Toulouse:

The official feast asserted all that was stable, unchanging, perennial: the existing hierarchy, the existing religious, political, and moral values, norms and prohibitions. It was the triumph of truth already established, the predominant truth that was put forward as eternal and undisputable. This is why the tone of the official feast was monolithically se­ rious and why the element of laughter was alien to it.^®

La fete de Toulouse etait 1’aspiration au depassement du reel, et son style grave en temoigne, mais dans le cadre trfes precis prescrit par les forces sociales en place. Au contraire de la fete purement populai­ re, les Jeux n ’Staient pas une liberation temporaire de la verite con- sacree et de l ’ordre etabll, mais plutot leur consecration et sublimation.

La rhetorique de la fete offlcielle s’exprime avant tout par un style grave et noble, Parmi les trois modes d 'ornementation du discours contenus dans la celgbre roue de Vlrglle, le simple, le tempgrS et le sublime, le sublime correspondalt aux themes les plus dignes, comme .ceux du salut universel et de la vertu, Le poete devalt regler ses paroles sur le degrd et la nature de son inspiration. Les poetes des Jeux Flo­ raux insistent sur 1 ’"accord" qui sur le plan poitique, Svoque les no­ tions de convenance et de vraisemblance. La convenance, dit Roger Dra­ gonetti dans La Technique poetique des trouveres dans la chanson cour- toise, est exprimde dans la mesure ou le poete est touche par le sens de 262 la rhetorique dont 11 use. C’est ici que se distinguent les vrais poe­

tes des versificateurs. Les poetes de Toulouse aspireront a cette notion de convenance,

De la rhetorique antique, le tnoyen age refoit en matiere de style une thgorie de la convenance dont 1 ’application au dis­ cours a pour but de crier un accord intime entre argument, diction et quallti des auditeurs,^9 ,

La diction dolt etre conforme § la nature et a la condition sociale du parleur mais aussi § celle de son public. II dolt exister un "accord" entre le poete et son audltolre, accord d'autant plus fort que le poete etait prime par son public, Cette notion corrobore notre hypothese de la relation entre rhetorique et sociiti. Le modus gravis du Livre Rouge se caracterise par des tentatives 6 la splendeur du vers, 5 l'ilevation de la construction et a 1'excellence du vocabulaire. II reste encore tres proche de l'esthetique midievale diveloppie par Dragonetti.

La periphrase est de 1 ’essence meme de l'art des poetes toulou- sains, Dans La Litterature de l'age baroque, Jean Rousset explique que pour les ecrivains de l'ipoque, la perfection du bien-dire consistait a ne pas nommer les choses par leur nom mais a les diguiser sous le masque des mots.30 En cela, les poetes toulousains sont caractiristiques. Ces piriphrases se riferent generalement aux elements de la criation, comme pour en accentuer la majeste; le solell est "la flamme bruslante", le

"clair luysant", "la lampe du monde", "la grande torche des cieulx",

"le feu qui tout nourrit comme tout il engendre"; ses rayons sont des

"traitz d'or", L ’eau salvatrice sera un "just divin de liqueurs consa- cres"j le tonnerre est "le feu grandant" ou le "haut tonnant" qui s'as- 263 socie aussi a 1'image divine. Le ciel est "les etheres lieulx"; la guerre "le feu meurtrier des enfans de la terre", la mer "l'onde azuree".

La terre est qualifiee de "globe rond", "machine ronde", "la grande ron- deur". La nuit est "le voile obscur", "le voile noirclssant" ou "le noir ombrage". L'aube, par contre, est "le beau clair blanchissant".

Les periphrases deviennent metaphores lorsqu'elles sont la matieje meme du poeme et que 1'image est filee tout au long du poeme. C ’est le cas 1 dans la majorite des chants royaux, dans lequel le jeu poetique consis- tait a devoiler dans 1 ’envoi le theme de la metaphore?

Prince, l'eglise est la nef adoree, Croix est le mat, l’escriture sacree , L'ancre, la rame oeuvres, le vent nuysant Est heresie, et l1isle tant plaisant Est paradis, la gouvernance saige N'est que la foy seurement conduisant La nef toutiour (sic) maistresse de l'oraige. Cosi noia me gioia.31 ( w . 56-62, Guillaume de Lagrange, Vlolette, 1556)

Les periphrases, comme les metaphores, s’organisent autour de themes obsedants: lumiere/obscurite, immensite/petitesse, mouvant/stable.

On a souvent vu en elles des traits stylistiques ou des cliches rhetori- ques. Dans son article sur "La Periphrase dans la poesie du XVIe siecle: essai de rehabilitation",^ Yvonne Bellenger tente de prouver le con- traire. Du Bellay, dans Deffence et Illustration de la langue francoyse en prSconise meme les effets;

Je t'averty user souvent de la figure Antonomasle... cette fi­ gure a fort bonne grace principalement aux descriptions comme: Depuis ceux qui volent premiers rougir Aurore, jusque la ou Thetis recoit en ses ondes les filz d ’hyperion pour Depuis l'Orient jusqu'a 1 'Occident.33

Pour du Bellay, la periphrase est au coeur de la poesie. Proust corro- hore cette notion; 264

J'y pouvais discerner que les charmes de chacune (les marines du peintre Elstir) consistait en une sorte de metaphore des choses representees, analogue a celle qu’en po§sle on nomme metaphore, et que si Dieu le p£re avait cree les choses en les nommant, c'est en leur otant leur nom, ou en leur en donnant un autre, qu'Elstir les recreerait.

Dans Structure du langage poetique, Jean Cohen associe la metaphore a

"ce qui constitue la caractSristlque fondamentale du langage p o e t i q u e " . ^5

T.S. Eliot pense que La Divine Comgdie est une "vaste metaphore" La

poesie serait done une metaphore constante et g§neralisee et opposerait

sa logique £ celle du lyllogisme de la prose, Elle opere un effet de

destanciation qui modifle les proportions. L'amplification n'est pas

seulement rhetorique ou ornementale, elle correspond a une vision de

l'homme et de l'univers ou la poesie cherche a redScouvrir une verite

cach§e, les "chantz secretz et choses non pareilles" dont Samxon de La­

croix parle dans son sonnet (v,6 , Violette, 1554), Ronsard declare:

On doit feindre et cacher les fables proprement, Et a blen degulser la verite des choses D'un fabuleux manteau dont elles sont encloses . ^

Au XVIe siecle, la periphrase etait pleine de vie, et la sensibi-

lite des poetes etait entrainee aux plaisirs de la comparaison. La p§ri- phrase participait au "grand jeu poetique" et a la vision esthetique du m o n d e ,

Mais plutot que de vouloir reveler, les metaphores cherchent sou*<

fent £ degulser et participent ainsi £ la structure en enigme du chant

royal. Dans L'Imagination poetique de du Bartas, Bruno Braurot explique;

La periphrase, en effet, deguise icl plus qu'elle ne revele. Elle donne surtout £ deviner, alliant au gout des rapproche­ ments inginieux un lSger penchant pour la mystification,

Les chants royaux sont des sortes d'enlgmes dans lesquelles les poetes se 265

complaisent et aimem: 5 faire durer le.suspense jusqu’S 1 'envoi de la

fin. Les exces de recherche dans de tels exercices constituent un des

traits les plus frappants d ’un art qui cherche a capter l'attention sur

l'inattendu de ses trouvailles.

La matlere sera le pere, proprement; Son esprit par le feu se monstre clairement; * Le vase christalin de la Vierge s'expllque Et je prens pour son fllz, notre vray sauvement, L'oeuvre qui se parfaict dans le vase alchimique .^ (w. 56-60, Franqois de Chalvet, Eglantine, 1581)

3. L'Imagination poetique

Le theatre du conflit entre l ’homme et son destin est S l'Schel-

le universelle. La nature impressionne par le caractSre grandiose et

merveilleux du site et la rhetorique des Images accentue ce phenomene.

Dans le chant royal de Jean de Corrier (Violette, 1540), la terre est

un "val somptueux" ou le "grand pasteur" a parque ses brebis dans un

"pare fructueux". Le serpent "monstrueux" va y faire ses ravages. Le

poete parvient a creer un monde bi-dimensionnel, a la maniSre des dlf-

ferants panneaux d ’un retable ou le merveilleux cotoie le monstrueux.

Au monde de la perfection ideale, 1’hyperbole contrastante oppose 1 ’"in­

fect", le hideux, en la presence du serpent diabolique. Le merveilleux

natt de la succession des themes qui s ’engendrent en series opposltives,

Ce systSme pourrait etre defini, a la suite d'Alglrdas-Julien Grelmas

40 dans Semantique structurale, comme une opposition binaire du type

euphorie/disphorie. Dieu et le roi sont les termes mediants, les inter­ mediates indispensables. Les oppositions thematiques pourralent etre

schgmatisies de la sorte; 266

Euphorie Disphorle

(V: Violette; S: Souci; E: Eglantine)

(V. 1539) grace de Dieu violence France glorieuse guerre fertilite le corps (le froid, le mortality affaiblie chaud, la maladie, la mort) honneur victoire

(V. 1540; S. 1540; recompense pas mention- (V. 1540) nee 1540) redemption peche

(S. 1541) (E. 1541) excellence de la poesie monde transl mortels soucys

(V. 1541) grace de Dieu misere humaine

(S., E. 1542) vertu

(V. 1542) beaute, chaleur

(S. 1543) harmonie nuit, defiguration

(V. 1543) ordre naturel de la nature

(E. 1543) paix et gloire guerre

(V. 1544) accord discorde couleur clarte

(S. 1545) mouvement vide

(E. 1545) hatmonie, cercle (V. 1545) vie chaos (S. 1547) N (E. 1547) amour, chretiente ignorance

(S. 1548) vertu pourriture, le "muableM

(E. 1548) forme, mouvement chaos ‘

(V. 1548) accord discorde

(S. 1549) vertu ignorance

(E. 1549) vie mort printemps hiver paradis detresse du monde mort (V. 1549)

(V. 1550) joie, connaissance Ignorance, nuit

(E. 1550) accord discorde

(S. 1550) ordre, paix, accord chaos, pSche union, mouvement

CV. 1551) salut

(E, 1551) unite

(S. 1551) vertu, vie eternelle, honneur

(V. 1552) forme chaos (E, 1552)

(S. 1552) accord discorde 268

(E. 1553) obscurity, malice, p§che

(V. 1553) beaut§, science, renommee, roi

(S. 1554) perfection de la forme pourriture, vanite du corps redemption I (S. 1555) clarte chaos

(E. 1556) delivrance tyrannie, violence

(S. 1556) terreur, erreur

(S. 1557) harmonie vice

(E. 1557) douceur tyrannie

CV. 1557) espoir, chaleur soucl, crainte, desespoir, mort

(S. 1558, V. 1573) forme parfalte discorde, chaos, corps, ame, eternite mort, temps

(S. 1560, V. 1560, S. 1561) chaos

(V. 1561, E. 1564) clarte nuit

CV. 1562) obdissance, roi discorde

(S. 1562) mort, richesse, destin

(S. 1564) ciel terre

(S. 1565) amour ma ladle 269

(E. 1565) connalssance ignorance

(V. 1565) raison voluptS

(S. 1566) douceur de vivre guerre

(E. 1566) roi inhuman!te

(V. 1567) exaltation de l'homme petitesse de la condition humaine

(E. 1567) redemption vice, mort

(V. 1569) accord, harmonie guerre

(S. 1570) roi cupiditS

i (S. 1572) unit§

(E. 1572) orgueil

(S. 1573) temps, mort

(E. 1575, S. 1576, V. 1577) vSrite monstruosite, hSrSsie

(V, 1576) vie vice

(5, 1578) forme parfalte chaos, pSchS, pourriture

(E, 1578) unitS chaos

(S. 1579) redemption piche 270

(E., V. 1579) unit I multipllciti

(S. 1581) connaissance ignorance

(V. 1581) orthodoxie hSrSsie

Les paradigmes oppositionnels dont parle Lucie Brind'Amour dans ."Rh§to- rique et th§atralitet gtude de quatre entries royales" peuvent etre re­ sumes ainsi:

Euphorie Disphorie guerre paix discorde harmonie ignorance connaissance volupte raison vice vervtu froid chaud nuit clart§ corps esprit mal bien negatif (a hannir) positlf (fi obtenlr)

"nihil” (philosophique et esthdtique) etre

la "forme" (creation artis* tlque)

L ’antithSse se presente done comme la tension de deux poles adjectifs, substantlfs ou verbes; c’§tait une figure rhStorique appreclee des troubadours et connue sous le nom de "contrarium", Les deux elements 271

creent un effet contrapuntique que reflate une conception philosophique

du monde, ainsl qu'une division consciemment et lSgalement perque de ce

qul fait le Bien et le Mai, 11 ne faut pas outlier que bon nombre des

etudiants-laurSats aux Jeux Floraux de Toulouse au XVle siScle etaient

aspirants jurlstes, On reconnalt aussi le dualisme cathare qui, meme

trois si&cles aprSs son Spanouissement, avait lalssS des traces *dans

la mentalltS meridlonale,

Outre que 1 ’antlthSse hyperbollque participe au modus gravis

propre au chant royal et & ses thSmes, elle cr§e un effet relevant du

theatre; elle solemnise le discours & la maniSre des cSrSmonies d'in-

tronisatlon des candidate 5 qui plus est, mysteres et farces du moyen age

comportaient eux aussi cette claire division entre les "mansions” du

Bien et du Mai,

Le pouvoir qualiflcatif des adjectlfs et des adverbes est essen-

tiel a la tournure hyperbolique, Dans le chant royal de Jean de Cor-

rier (Violette, 1540)f comme dans la plupart des poemes, les adjectlfs

se trouvent places en fin de vers et ainsi en accusent toute la signifi­

cation. Dans la description bucolique d ’un pre ou le pasteur est Dieu

et le troupeau la race humalne, nous retrouvons la dialectlque Bien/Mal,

Le Bien est represents par le cot§ "somptueux","fructueux", "savoureux",

theme associe a la riche quallte de la vie que les hommes de la Renais­

sance commenqalent fi savourer, Le Mai, au contraire, est evoqui avec

les adjectlfs "douloureux", "dangereux". La dialectlque a des bases

qualitatives, et ce sont les adjectlfs et les adverbes qui en sont les

connotateurs j 272

Le grand pasteur de ce val sumptueux Pour aux brebis qu'll avoit satisffalre, Les melst ung jour dans un pare fructueux,

Bientost apres, au pastis savoureux, Ou le troupeau oncques n ’eust sceu meffaire, Ung vieulx serpent, lubricque et dangereux Deux en blessa de venin pestlffere.^ (w.1-3, 12-15)

Claude Terlon (Souci, 1540) perjoit la dlchotomle de l’univer6 selon une

opposition adjective tres marqu€e; on trouve:

pernlcieux delicleux furlbonde blonde vlcieux champestre fallacieux souveraine senestre merveilleux ingenleux harmonieux sollacleux

En cette moiti§ de XVle slecle, le po§te, bien que conscient de la pre­ sence du Hal a confiance dans l ’avenir soutenu par la foi en Dieu et en

le roi; le refrain du chant royal de Claude Terlon est bien "L'arbre flory au celeste domalne” , Les adjectlfs et les adverbes utilises & cette epoque en trahissent le sentiment d ’harmonie trouve dans l ’univers et depassent en nombre ceux qui en d€noncent le pech§.

Le choix des adjectlfs en "-eux" donne au merveilleux hyperboli- que un degri eleve d'abstraction. Le raffinement tient au depassement du concret en ne faisant que l'effleurer. La realite devient le trem- plin pour un monde superlatif entralne vers le merveilleux. Dans le chant royal de Claude Terlon (Gauch, 1540), le poete campe un decor champetre ou l’ldylllsme sent cependant 1’artifice. Dieu est cr§ateur comme le poete envers son oeuvre: 273

Apres, 11 fist undoyej: A la ronde Par artifice et sens ingenleux Ung cler ruisseau qui menoit par son onde Ung doux murmure et bruit harmonieulx.^2 ( w . 21-24)

Terlon cherche S exprimer l'harmonie de l'ordre naturel, et les images qui se pretent & son imagination gardent un caractere abstrait. Le lau- * rier est un "arbre delicieux", le soleil "vehement", le ruisseau "cler" et son bruit "doux et harmonleulx". Les appels aux sens ne se font, com- me dans le poeme de Jean Corrier, que dans un registre hyperbolique assez limite. Les images sont riches, toutefois, en connotations symboliques.

Le "hault cypres" est un "plllier merveilleux" qui relie le divln et le terrestre, Les pontes manient avec une grande alsance 1*expression hy­ perbolique. Le beau a un caractSre superlatlf et absolu que la poesie cherche A transcrlre afln d ’Svoquer cette "forme parfalte" qui est aussi

I’objet de sa propre quete. Certes, l'art pour l'art Stait partlculie- rement Stranger §. cette forme de poesie, mais les contenus thematique- et formel s’unissent etroitement, Le chant royal de Jean Rus (recompen­ se non mentlonnie, 1540) est aussi en exemple de cette volontS de depas- sement du purement concret et d'amplification des qualites du reel en n'en observant que leur essence la plus abstraite:

De ce bel arbre ung legler vent sans cesse Palsoit fleurs d'or sur ung chacun voller; Fleurs qui sembloient le lis, fleur de noblesse, Fleur qui se falct aymer, cralndre et coler,^ ( w . 21-24)

La poSsie des Jeux Floraux est une poesie religieuse; elle aspire a une force transcendante abstraite que l'homme ne peut concevoir que par l'in- termedialre d'une rhetorique hyperbolique et elle-meme volontairement 274

abstraite.

II y a cependant interpgngtration des mondes divins et terres^

tres, dans un contexte propre au merveilleux, Dans le pogme de Jehan

Fornier (Eglantine, 1541), le monde n'est perqu que dans une perspective

divine ("haulx cieulx", "celeste domaine"), et le role de l'homme sera

d'aspirer a ces hautes spheres. C'est aussi ce qu'exprime le chant

royal de Jean de Saint-Hlla.ire (Souci, 1542) avec son refrain; "La toy-

son d'or tant fascheuse § conquerre", Le sujet mythologique de la toi-

son d'or se prete bien au merveilleux; de plus, celle-ci est gardge dans

un temple "hault, riche et grand", et les rochers qui la protigent "pe- netrent jusque aux cieulx", Le poete, en antithese, gvoque les horribles monstres sous forme de dragons rappelant ainsi le merveilleux de la poe-

sie et des romans courtois medievaux;

Celle toyson estoit tant estlmee, Qu'il n'estoit rlen se cher et precieulx, Tant qu'elle avoit pour la garde une armee De gens cruels, fiers et malicieux, Puis sept thoreaux, de fureur et de rage, Portant le feu de leur corps davantaige Un grand dragon lequel Hydra conceust Qui toujours veille et qui jamis ne veult Clorre ses yeux, de peur qu'on la vlnt querre Dedans ce lieu, sans qu'il s'en aperceust, La toyson d'or, tant fascheuse S conquerre , ^ ( w . 11-20)

Cette fusion entre le concret et l'abstrait, le rgel et le merveilleux, l'humain et le divin, reflete une conception univoque de la vie, un syn- crgtisme philosophlque qui pallierait au manque d'unitg sociale et poli­

tique ambiant.

Le second poeme de Jehan Rus (Violette, 1542) donne un autre 275

exemple de la dimension grandiose de la scene du Livre Rouge, Le ciel,

la terre, l'air, l'onde, le "clair soleil" forment un dScor a la mesure'

du divin, traci a grands traits contrastants plutot qu'5 coups de tou­

ches subtiles:

Sa grand clarte de coulleur christaline Rend le hault d e l tant propre et decore, Puys l'air, la tner et la terre illumine, * Brief elle rend tout le monde honor§, Tant que sans elle 11 n ’est rien honorable, Tant que sans rien il n'est rien delectable, Tant que sans elle rien beau on ne verroit, Tant que rien beau sans elle on ne pourroit, Au ciel, en l'air, en la terre ou en l'unde; Brief rien ne feust quand nature n'aurolt Le clair soleil nourissant tout le monde.^5 ( w . 31-40)

Au travers des couleurs ("coulleur christallne", "clair soleil"), les

poetes cherchent a retrouver 1'essence meme des choses plutot que leur

fidele description. Lorsqu'ils colorent en noir, "azure" ou rouge, c'est

pour Svoquer 1'aspect symbollque et moral des choses et non leur pur phy­

sique, Ainsi, dans le chant royal de Taste (Souci, 1543), les couleurs

ne sont qu'un tremplin & une reallte mSraphysique superieure;

L'air doulx et pur voyant la felonnye L'obscure nuict, et la terre bannye De sa verdeur ne fut plus azur€^ Ce monde bas estoit desflgure, Nulle coulleur desormays fut prisee; Tout estoit noyr ( w . 5 - 9 )

Les epithetes indiquant la couleur restent en grande partie conventlon-

nelles. On rencontre, par exemple, "Daphnes, sa mye blonde", "noires

umbres", Les seules demi-teintes sont celles signifiant un passage, une metamorphose, tels "slmes verdoyantes", "la lune embrunissant", "le so­

leil jaulnissant", "la tresse blanchissante", "une coleur noircissante". 276

Les poetes se complaisent dans l'imprecis et le mouvant, Ces vers de

Jean Cardonne (Eglantine, 1564) suggerent des visions passageres:

Ore en la terre, et ore en l'orque pallssant, Ore blanche, ore palle et ore rougissant^ ( w , 51-52)

Chez Gabriel Terlon (Souci, 1566), on trouve:

Le soleil n ’esblanloit (sic) sa charrette bruslante Pour cerner tout en rond ce globe brunissant Et l'auror: attelloit sa coche blanchlssante Pour rauder tout autour du pole pallssant. ( w . 1-4)

Les adjectlfs termines en "-ant” evoquent une metamorphose. Par contre, le Livre Rouge contient un grand nombre d*adjectlfs termin6s en "-es" ou

"-i". Ils indiquent aussi un §tat recemment acquis, un passage force:

"la fleur coloree", "la pree color§e", "la haulteur azuree", "le soleil dore", "le dorS enrougy", etc.

Mals les poetes sont moins interesses par les couleurs que par la qualiti de lumiere qu’elles transmettent ,^ Nombreux sont les poetes

\ mentionnant des effets de lumierej on trouve comme refrains: "La res- plendeur montrant la clarte qui l'engendre" (Jean de Cardonne, Souci,

1561), "L’astre qui plus reluyt au zodiaque oblique" (Guillaume de La­ grange, Eglantine, 1561), "Les flammes annoncans une plus grande flam- me" (Jean de Rieux, Violette, 1561), "La lune du soleil empruntant la lumiere" (Jean de Cardonne, Eglantine, 1564), "Le Pandore chassant les tenebres du monde" (Estlenne Gasteuil, Eglantine, 1565), "Le labyrinthe obscur perdant ceulx qu’il enserre" (Jehan de Chabanel, Eglantine, 1575) etc. Presque indifferentes aux couleurs, les poetes attachent & la lumi-

§re une puissance mythique, Les effets de couleurs dont ceux qui ten- 277 dent § exclure la couleur, par soit une trop forte intensfti ou l!appro-

che de la penomhre. Le Livre Rouge est chargg d * oppositions obscuritg/

lumiere qui partlcipent S 1 ?effet hyperbolique euphorie/dlsphorle que nous avons precSdemment mentlonni, Le poeme de Jean de Cardonne en at-

teste:

Le monde charpente etoit obscur encore Et encore la nulct ombrageolt l’univers, Lors que ce beau soleil qui le monde decore Repandit la clartg de ses raisons divers.^0 (w,l-4, Eglantine, 1564)

A "l’aulbe annunceant du soleil la venue" (Jean de Rangouze, Violette,

1550) s'oppose l'aveuglement des hommes dans les t6n&bres:

Les hommes aveugles qui durant le voiage De ceste fresle vie elisent le servaige Des sales voluptes^ ( w . 56-58, Salluste du Bartas, Violette, 1565)

Le symbole de la lampe a une valeur capitalej la ballade de Guillaume

Bernard (Souci, 1567) en explique la portee dans 1’envoi:

Par la lampe j ’entendz Dieu ou tout bien abonde; Par la clartg son fils, Jesus’Christ pur et munde. Par la terre, je prends l ’homme qui vint a choir En pechg tenebreux, abominable et noir; Par l'aurore Marie, estant mere et pucelle, De laquelle print chair au terrestre manoir La clarte flamboyant dans la lampe eternelle. ( w . 34-40)

La lumiere est dotee de toutes les nuances pour enfin se faire eblouis- sante;

Des feus etincelans la reluysante face, Qui seule enluminoit d ’un rayon arreste, De ce monde univers la sombre obscurite, Car avant de driller (sic) de sa lueur p r e m i e r e 5 3

(w.6-9, Etienne Palot, Eglantine, 1570) 278

La flamme est aussi associee a la fureur divine qui anime le poete:

Une nouvelle ardeur ln,emflembe la poictrine, D ’une fureur nouvelle ou je suys aglt€; Je me sens tout rempll d'une flame divine. (w.1-3, Barthglemy Baliste, Eglantine, 1559)

L ’opposition lune/soleil est frequente, mals sous la plume de Jehati

Cardonne (Eglantine, 1564), elle est l’objet d ’un remarquable chasse- crolse:

L ’astre que 1'elephant au poinct du jour adore Enlumlne le jour de ses raions premiers; La lune que le solr le marinler honore Enlumlne la nuict de ses raions derniers.55 ( w . 12-15)

L'evocation des sons et des bruits a quelque chose de theatral. Les bruits sont ceux qui font sursauter. Le po§me de Mejany (son prinom n ’est pas mentionne) est caracterlstique:

Haulsez vos chantz si hault que tout resonne^ (v.2, Eglantine, 1543) ou:

Quand la trompette ou le cor a mort sonne, Plus ne seront sans logls soubz les cieulx L ’este, l’hiver, quand vente, gresle ou tonne , ^ ( w . 22-24, idem)

La gamme des sons brutaux est varide; on trouve:

Zephlre va frappant d'un bruict tempestueux^S (v,32, Samxon de Lacroix, Eglantine, 1556) et plus loin, se ref§rant au vent;

CQ 11 tonne, il espouvanteJ? (v.42)

Sous la plume de Guillaume de Lagrange (Violette, 1556), on lit:

0, vous mutins en tempeste aboiant^® (v.46) 279

Aux "gosiers mugissants" s’oppesent deg gpithiteg qui, & l'opposi de la gamme, restent conventionnelles: "L'eau murmurante", des "voix doulcet** tes", un "bruict melodieux", un "doux murmure", un "doulx bruict joii'- eulx et delectable", des "sons harmonieux", des "chantz melodieulx", etc.

Les references olfactives sont rares et aussi conventionnelles. t

Elies evoquent par exemple une "lnfecte pourrlture", une "odeur incon- cevable", une "odeur delectable". Parfois, elles se font plus precises en associant l fodeur du soufre 3 l'horreur du tableau: des "sanglotz puantz", des effluves "jetant soufre puant"; les poStes parlent aussi de "tonerre en soufre". 11s tentent de milanger les sensations: le bruit se melange aux odeurs et & la sensation de douleur,

Les sensations sont peu variies et se rattachent generalement au froid et a la chaleur. Le frold est H i au sentiment d'angoisse et d'abandon. La chaleur peut etre soit la flamme divine "qui nourrist tout le monde" soit celle qui laisse ce meme monde "foible et affaibly".

Par les deux, le monde est souvent "transy" ou "defigure".

Le fer, apres de ses mettaux le pire Jusque I present occupa leur empire, Intempere S froldure et challeur; Comblant de maux, de peyne et de doulleur Le globe rond, d ’avarice et de guerre Et parmy l'air nageoit tant de malheur Le feu meurtrier des enfans de la terre, (w.5-11, Barthelemy Balliste, Souci, 1556)

Pran5ois Moeam (Eglantine, 1553) evoque 1'insensiblliti des astres:

C'O Les ung font parfoys chauld et froid prendre0* (v.12)

Pierre Paschal decrit la bonte de Dieu en termes de chaud et frold: 280

Et l’este chauld ne lui feist secheresse^ r\ ^ De l’hyver froid ne sentit onq l ’opresse ( w . 51^52)

Antoine du Tincturier (Souci, 1560) joue avec les antitheses, En par- lant de 1*oeuvre de Dieu, il dlt:

Le tenant asseurd d ’une ferme asseurance Le guyde d'ung compas § la juste cadence Lul moderant le sec avec 1 ’humyditS Et le chault boulllonant par froide quallltg,^ ( w , 16-19)

Le poeme de Francois de Chalvet (Violette, 1549) decrit un endroit idyl- lique ou le prlntemps est a'lli§ £ 1 ’absence de frold:

La le prlntemps toujours florist sans cesse, Le froid yver les habitans ne blesse, ( w , 5 - 6 )

Avec Robert Garnier, les sensations seront moins conventionnelles; elles sont ll§es £ la douleur d ’une maniere tres expressive. Les sc&nes d'hor- reur se succedent:

De mil et mil exces tout le monde estoit pleln, La terre en myl party estoit ensanglantSe, De l'inhumanite de ce murdre lnhumain 11 n ’y avalt maison que peust etre excemptee.66 (w. 11-14, Eglantine, 1566)

Les mots "horreur", "fureur", "cruaute" reviennent fr§quemment: "cruelz vivanz", "bestes cruelles", "epouvantable horreur", "horrible fureur",

"enflamSs de fureur", "horribles en grosseur", etc.

Les poetes du Llvre Rouge recherchent l ’expresslf. En insistent sur la lumi£re plutot que les couleurs, leur art se rapproche du travail du sculpteur, L ’effet jallllt des contrastes. La lumlSre capte le mou­ vement, le changeant. 11 en est de meme pour les effets plastiques ex- prlmant reliefs, volumes, corps en mouvements ou immobiles: 281

Ung wont cornu en Phpcie est plantd, Qui jusqu'au (sic) cieulx ces deux cymes advance, Tant que, quand tout fut de l'eau surmontg®?

(w.1^3, Mercadler de Besse, Souci, 1544)

La description du chaos est aussi prStexte £ 1 'expression du relief:

Avant le ciel, la terre et la claire ende, Avant que rien eut son commencement, Et que Chaos, le gros monceau immonde, ‘ Feust separe en chacun element,®® (w,lr4, Pierre Paschal, Souci, 1547)

Le poete parvient 5 contraster le n§ant, th§me obs§dant du Livre Rouge, de la forme qui en surglt,

L'image recurrente de 1'arbre se dressant au milieu du chaos donne un relief hyperrealiste, proche de 1'expression de Bosch:

Sa droicte tige, en beaute souveraine, Trois branches eut d'une proportion L'une des troys qui grand verdure ameyne Aux autres deux faict decoration. 9 ( w , 23^26, Bernard Podlus, Eglantine, 1551)

Les po&tes aiment S delimiter les frontilres de 1'action divine:

Quand ce qui est enclos dessoubz la voute inslgne Du del, qui va bomant le monde spacieux, Eust receu sa premiere et parfaicte origine Par cellui qui remplist tous ces terrestres l i e u x . 7 0 (vv,l"4, Rodolphe Gay, Souci, 1565)

Vers la fin du XVle slecle, les poetes parlent meme en termes ggom§tri«- ques; on trouve comme refrain: "Le cercle pur en unlforme essence" (Jean de Rivasson, Violette, 1579), "Les trois poinctz rapportes en ligne ecliptique"(Jean de Brie, Eglantine, 1579), "Le centre qui maintient la forme de ce monde" (Jacques de Puymisson, Souci, 1578), etc,

En effet, un des termes obsSdants chez les poltes de Toulouse est la. recherche de la. forme parfalte, au-'delS du "chaos difforme et 282 contrefaict", Anthoine le Tincturler choisit le theme de la forme par- faite comme refrain (Souci, 1560): "Les formes qui sans forme ont forme la machine". Anthoine Bligier (Eglantine, 1552) dAcrit ce chaos diffor­ me:

Ce grand Chaos se voyant inutille, Sy mal poly, sy lourd, sy laid, sy vile.^ ( w . 5 - 6 ) *

II faut que Dieu y mette "forme et facon":

Et pour orner en plus haulte planiere Forme et facon, 1 ’oeuvre ja commencee ( w , 23-24, idem)

Le relief met en valeur sa negation, le vide:

Et du creuz de ces montz, dont il vente sans cesse?3 (v.17, Samxon de Lacroix, Eglantine, 1556)

Guillaume Salluste le presente comme le "ventre creux d ’un goufre"^

(v.42). C'est aussi "le sein d ’Amphitrite" ou "le creux de la baleyne".

Rodolphe Gay (Violette, 1572) fait du neant le theme de son refrain:

"Le feu ouvrant le sein des ablsmes du monde",

Cet univers se distingue par le mouvement incessant dont il est agite, Plus qu’a un tableau flg€ d ’un univers essentiellement statique, la lecture des poemes fait penser A la projection de dlfferentes scenes d ’un filmi tout y bouge, tout s'y transforme sous les yeux du lecteur.

L ’oeuvre est commandee par une vision essentiellement dynamique, offrant le spectacle d ’un monde dont 1’essence meme est le mouvement. Ceci n ’est point du § la seule fantaisle des poetes: cette vision d'un univers en mouvement correspond A une conviction profonde, fondSe sur toute une ml- taphysique de 1’Instability et de la transformation et dont le principe 283 essentiel est la conception dynamique d'un Dieu perpgtuellement agis« sant, Jehan Fornier rappelle "Que la crois deppend l'humaine vye"

(Eglantine, 1541); Mercadier de Besse (Violette, 1541) donne S PromS- thee le pouvoir divin de creerj

Prometheus de prudence pourveu, Voyant la terre en sa forme decente Et par dessus les animaux a veu * Qu'il y fallloit choae plus excellente; Lors tout soudaln de la terre amassa, Et ung image et forme en compassa, Si cointement et par telle mesure Qu'elle sembloit des dleux la pourtraicture,^ ( w , l - 7 )

C'est Dieu qui a sorti le monde du chaos initial, qui a donne forme a

1'informe:

Le Naturant qui de soi a essence, Cercle sans fin et sans commencement, Delibera pour monstrer sa puissance Creer soubz luy fut la rondeur a p e r c e u e ^ (w,l-5, Pierre Paschal, Eglantine, 1545)

Toute la creation est animee d'un souffle divin. Dieu trouve son image dans les moindres elements de la creation:

Car dans ce tout on void une ame esmeue, Qui se mouvant tout 1'univers remue.?? ( w , 27-28, Pierre Paschal, Eglantine, 1545)

Les poemes irradient une energie vltale que le poeme de Pierre Chomyer

(Violette, 1545) en partlculier resume dans son refrain "L'air qui nous donne et conserve la vye". Cette force vltale est, bien sur, Dieu:

Par quoy voyant que sans air tout fauldroit Et que de l'air tout a prins energie, ( w . 52-53)

Tous les Aliments sont mis a contribution pour chanter la gloire du cre- ateur et l'hymne 5 la vie. La terre, l'eau, le ciel, le feu reviennent 284 avec de faibles variantes pour glorifier 1’esprit divin qui les ani- me. Lois du Pin (Violette, 1569) cholsit comme refrain "L’accord entre- tenant le ciel, la terre et l ’onde", On trouve aussi chez Pierre Pas­ chal;

Avant le ciel, la terre et la claire onde, Avant que rien eut son commencement^

(w.1-2, Souci, 1547) chez Guillaume Dubuys®®, on lit:

Quand 1 ’embrouillS cahos on desmella, Et que le feu se separa de l'onde, Voire la terre & l ’air ne rebella.®*- (w.1-3, Souci, 1555)

Les arbres, les fruits, les fleurs sont autant de tdmolgnage de la pre­ sence divine;

La fleur, le frulct dlvinement crolssoit Et pour le fruict la fleur ne f lalstrissoit.82 (w, 49-50, Pierre Paschal, Souci, 1547)

Certains elements sont porteurs de symboles, comme 1'olivier en particu- lier. Hdlie Boyresse (Eglantine, 1549) compose son chant royal autour du theme "La verte olive en co monde honor§e", II fait de 1 ’olivier un arbre divin;

Olive belle, entre tous frulctz louable, Ainsi que 1’arbre est doulx et gracleulx Ainsi vous est la doulceur convenable, La grace aussi qui provient des haultx cieulx.®-* ( w . 23-26)

L'arbre sera en general charge de connotation divine, d ’intermediaire entre le monde divin et le monde terrestre. Le poeme de Bernard de Poey

"L’arbre charge de fleurs, fruict et ramage" (Eglantine, 1551) devient un hymne a la fertilite; 285

La terce branche eut, pour chose certaine, De si bon fruict multiplication, Que l'on ne scait, en ce mortel domaine, Verger qu'en ayt telle munition, Qui ne pourra de si doulx fruict repaistre, Dieu ne vcudra en ce monde permettre Qu'il ayt faim, soif, ou bien mendicitS, * ( w . 57-60)

Les poetes essaient de falre transparaltre dans leurs poemes la forml- # dable force vitale qui a participS 5 la creation du monde et qui perpl- tue son mouvement. Les descriptions importent peu aux poetes, ce qui importe, c'est le momentum qui chante la vie en Dieu,

Les riferences au contlnuel mouvement du monde traversent tout le Livre Rouge, On lit par exemple:

Dans ce cyrcuit et leger mouvement Des cieulx voultez®^ (w,l-2, Aymar de Vabre, Souci, 1545)

Car dans ce tout on void une ame esmeue, Qui se mouvant tout 1'univers remue.®® ( w , 27-28, Pierre Paschal, Eglantine, 1545)

Ce mouvement le corps quint illumyne, Ce mouvement de ses rayons fulmyne

Ce mouvement donnant toute influence®? ( w . 27-28, 31, Antoine Noguier, Eglantine, 1548)

Les deux premieres strophes du poeme d'Antoine Noguier commencent par

"Mouvement", insistant ainsi sur la force creatrice qu'est Dieu. Les substantifs qui reviennent constamment dans les poemes sont "commotion",

"confusion", "vehemence" et 11s temoignent de l'energle mise en action,

Le dynamisme qui regit 1'univers s'avere etre 1'effet direct des inter­ ventions divines qui assure sa continuite.

Dans L'Imagination poStique chez du Bartas, Bruno Braurot ajoute un Element important & cette vision dynamique du monde: 286

Cette constante agitation correspond, d ’autre part, au concept meme d ’un univers cree dans le temps; mg du ngant, celui-ci est desting & retourner au ngant, et chaque instant le rap*' proche de sa fin dans un ecoulement continu, plus ou moins perceptible, mais qui ne cesse de dissoudre inexorablement l1univers des choses pirissables.®®

Les pogtes sont consclents du contraste enrre l'immortalitg de 1'uni­ vers et la mortalitg des choses terrestres: I

L'Eternitg, infinie mesure, N'ayant milieu, fin ne commencement, Faict 1*Univers; 1 'Univers se mesure Du temps qui cause altere changement; Le changement est de telle puissance Qu'il faict perlr et etre toute essence, Sy que le monde 6 perpetuitg En se muant, monstre immortalitg. Mortel pourtant est ce grand corps immonde Et le faict vivre en continuitg Le poinct parfaict dont deppend tout le m o n d e . ® * (w.1-11, Jehan de Flavin,, Eglantine, 1550)

Dans 1'allegoric de son chant royal, Francois Blaisot explique la refe­ rence au temps humaln et divin:

Ce vieillard nay du ciel, c ’est l'an nous produisant; Ses filles, les salsons, l'une 5 1'autre contraire, Les troys filz sont troys mois, des saisons l'age entiere, Les trente et trente enfens sont nulctz et jours luysants Donnans chacun d'iceulx & douze heures naissance, Les heures aux momens leur race deduisants Du ciel qui tout produict d'eternelle semence.^O ( w . 56-62, Violette, 1559)

Frangois de Chalvet (Souci) reprend en 1573 la meme allegorle:

Ces quatre filles sont: le prlntemps amoreux, L'este boulhant de chault et l'automne vineux, L ’hiver qui nous transit de sa froideur cruelle, Et l'an qui les engendre aveq le cours des Cieulx Le serpent qui sans fin soy mesmes renouvelle,*1 ( w . 56-60)

Les pogtes toulousains savent trouver des termes pathgtiques pour evo- quer la misgre de la condition humaine. Jehan Laurens (Souci, 1562) 287

exprime le thSme de la vanltas vanjtaturn en ces termesj

On a beau abastir sur les flancz d ’ung riyaige Ung superbe palais elev§ richement

Cela n'empeche point de mourir quelquefoisi C ’est contre le destin une foyble d e f e n c e , 92 (w, 12-13, 21-22)

La chair evoque pour eux le pourrissable: ,

il composa l ’ymaige De l ’homme lourd et gros en sa chair pourrissable Pour le rendre seigneur du monde petrissable.93 ( w , 36-38, Samxon de Lacroix, Souci. 1558)

Pour peindre les effets du temps, Pierre Trassebot (Souci, 1539) trouve

les qualificatifs de l ’horreur;

Puis la vermlne entour l ’on apercoit Qui nous poursuyt depuls nostre naissance, Mousches, cyrons de nous mor.dre ont puyssance.94 ( w . 33-35)

Ainsi, la vision de 1’univers entralne dans une suite de metamorphoses se rattache 5 la conception arlstotglicienne d ’une nature indestructible et eternelle, mais assujettie S de constantes transformations, Malgre la permanence de la mati&re, on sent la manifeste obsession d ’un univers perpetuellement changeant et ’’mouvant",

Tant fut le Ciel aux humains favorable, Qu’il prononca que par vye immortelle Vaincroit les ans et cours du temps muable^ (w.1-3, Samxon de Lacroix, Violette, 1554)

Dans "Poetique de la metamorphose § la Renaissance", Guy Demerson parle d ’un cosmos vivant et d ’une symbolique de la metamorphose.96 II cite

Yvonne Bellengerj

La poetique religieuse baroque represente par ses tours sty- llstlques les metamorphoses de la creation victorieuse du Chaos mais soumise au "branle" du devenir et vouee 5 la des- 288

truction.97

Les images du fluctuant et du mouvant crient une vision apocalyptique

dans laquelle la seule vSritg est Dieu, Le mouvement tend I la trans­

figuration:

Ce mouvement le corps quint illumyne Ce mouvement de ses rayons fulmyne L’obscur infect du cahos procure, * Du rude faiz depuis transfigurS,*® (w,25-28, Antoine Noguier, Eglantine, 1548)

Les poetes toulousains reprennent 1 ’idSe de Lucrece, chere a Ronsard qui

1 ’exprime dans "Centre les buscherons de la foret de Gastlnes": "La ma-

tlere demeure mais la forme se perd",

Cette vision du monde s ’accorde avec une sensibility moins attentive 3

l ’etre qu’au devenir, au permanent qu’S l’§phim§re.

L ’emploi frequent du participe present qui impllque une action

qui dure est un des traits les plus frappants de la langue du Llvre Rou­

ge, 11 traduit la progression et le sentiment obsedant de la mobility

de 1 ’univers que la fin du XVle slScle porte § son paroxysme, Parfois meme, le participe pr§sent est precede du verbe allerj cette forme pe-

riphrastlque, tris frequente en ancien fran$ais, survit dans la langue

du XVle slide, Ce phenomene strictement linguistique peut etre li§ a

la conception mitaphysique en vogue £ l’epoque,^ Un exemple de l ’em­ ploi du participe present se trouve dans cette strophe du chant

royal de Samxon de Lacroix;

Si tost que de ce faict Aeolle eust congnolssance, Son estomac bruslant la coulere lui presse, Et ne peult faire tant que sa fureur ne tance Des mariniers voguans la grande hardiesse; Et du creuz de ses montz, dont 11 vente sans cesse, Lasche la bride aux ventz pour sortir en coulere, 289

Qui de leurs soufflement vont troublant le repaire De ce dieu commandant aux flotz audacieux, Fraire du grand Jupin, seul monarche descieulx, Et sifflant devenir font les eaux escueuses Pour abismer au fondz du gouffre obllvieux La nef rompant 1’effort des vagues perilleuses.100 (w, 13-14, Eglantine, 1556)

Pas moins de six fois, le po£te va trouver le besoin d'employer le par-

t ticipe present. Adjectlfs, verbes et noms contribuent a donner la sen­ sation de mouvement; tout tourne, tournole, glisse, ondule. Chez d'au- tres poetes, on peut aussi remarquerj

L ’on veoid que par ces polnctz la sphere tournoyante Ou les destriers flambans d ’un front audacieux Font torner le soleil et la route glissante.101 ( w , 34-36, Jean de Brie, Eglantine, 1579)

Eux cheminans ainsi d ’une course rebelle Parmy les longz destours du vague flrmamentl02 (w. 34-35, Fran£ois de Chalvet, Violette, 1577)

Lorsque je fuz ravi soubz la freche courtine De l'aurore allongeant sa lueuse cresplne

Dessoubz le cerrcle pers (sic) du firmament gllssarft!03 (w.5-7, Jean de Brie, Souci, 1577)

Les cheveux serpentins, augure du discord^*^ (v.14, Antoine Cavalier, Souci, 1576)

Jehan de Chabanel (Eglantine, 1575) s'inspire de 1'image de l'architecte pour deerire "Le labirinthe obscur perdant ceulx qu’il enserre":

Dedalle estant saisi d'une fureur nouvelle, Et d'un malin daimon qui tousiours l'agittoit, Ayant prlns son compas, sa sye, sa truelle, Et brefz toutz les outilz desquelz 11 se servoit, A faire un cercle en rond de pierres il comance. Dedans lequele un autre et un autre 11 agence.-*-04 ( w . 1 - 6 )

Toutes les images partlcipent a 1 ’evocation d'un tourblllon general qui entraine l ’epopge. 290

Mais c'est evidemment dans la peinture des phinom&nes aquatiques que se deploie avec la plus grande libertS une imagination eprise de mouvement. Des quatre Sliments dont se compose 1 ’univers, c’est l’eau qui assume le role preponderant, Le monde est souvent compare 3 une mer sur laquelle les marins sont soumis aux alias du destin:

Les navlguans ont une, deux ou troys * Voyles au matz, en croix,guyde certaine Pour eviter perilz et desarroys, Desquelz la mer en divers lieux est plaine.^^ (w, 21-24, Jean Pornier, Eglantine, 1541)

Afin de conquirir la vertu ("La toyson d ’or tant fascheuse a conquerre"), les hommes doivent traverser maints orages pour parvenir 3 l ’lle de Col- chos j

L'ile Colchos, jadis tant renommie Que son hault bruit s'espendoit en tous lieux, Fut de la mer tout autour enfermee Et de rochers penetrans jusque aux cieulx, Pour empescher la voye du rivaige Et dangereux rendre le passage, A celle fin qu’entree n ’y pareust.-*-^ (w.1-7, Jean de Saint-Hilaire, Souci, 1542)

Le voyage des marins est represente comme une longue course allant du mouvant et de l’ephemere au solide de l’etre, Dieu est le pllote du ba­ teau dans le poeme de Pierre de Saint-Algnan (Violette, 1551):

Lorsque le vent doucement obtempere, A la faveur des admlrables cieulx, Le bon pilot § naviguer prospere, Faict voile en mer, au comble de son mieulx, Les volagers, conduictz au large espace, Mirent la mer, mirent ce qu’elle embrasse, Et son proffund qui horreur leur faisoit, Mais le serein du beau temps leur plaisolt, Et le scavoir du pllotte sur l ’onde, Qui meurement du thimon conduysoit La nef flottant pour le salut du monde. (w . 1 - 1 1 ) 291

Le choix de la mer comme mestaphore s’explique par le cote infi- ni et mouvant qu’elle repr§sente, "L’onde seraine" peut se mStamorpho- ser en "assaulx montueux" ou en ’’mer cruelle et furibonde", La mer, joignant la violence fi la fluiditi, figure dans le Llvre Rouge comme la matigre mouvante par excellence, L ’ocSan est Svoqug de preference dans le fracas de ses tempetes, dans le flux et reflux perpStuellement chan- geant et emportS par une force vltale. Le paysage marln apparalt dans ses incessants remous comme 1 ’Incarnation des bouleversements qui tour- mentent 1'univers. La mitaphore de l ’ocgan.: sugggre la munificence du

CrSateur ou l'lnsondable profondeur des mystgres divins; elle surgit aussi immanquablement S 1’imagination de po&te comme la representation la plus naturelle de la notion d ’illimitS, Elle deflnit avant tout un mode de vision origlnel et coherent qui relie l ,immensit§ et le mouve­ ment; elle t§moigne d'une imagination toujours attlrSe vers 1’expression du dynamisme, dans un univers ofc Dieu tout-puissant confere gquilibre et stability.

La mdtaphore de l ’eau est encore presente dans d ’autres Images.

En 1554 (.Souci), Jean de Barot cholsit pour refrain "Les deux liqueurs arrosant tout le monde" pour traduire la vertu et le "pouvoir sainct".

L ’eau est ici salvatrice. Elle assouvit la soif et "donne aux animaux pasture", Elle symbolise aussi la vgrite:

0 source vive, argentine, eau coulante D'oG se desgorge leur fontaine lante, Vive la source et son auctorite, Vive le temps, vive la verite; Vlvent ceux-la, soubz la machine ronde, Qui vont cherchant la pure verlti, Les deux liqueurs arrosans tout le monde, ( w . 56-60) 292

Mercadier de Besse (Souci, 1544) fait jaillir de Hoeuvre de Dieu une

"sourgeante fontaine", II choisit pour thSme "De l’art divin la sour- geante fontaine” ,

On ne peut parler de 1 ’element aquatique sans se rSfirer au livre de

Gaston Bachelard L'Eau et les reves; essal sur 1*imagination de la ma- tiere (Paris: Corti, 1942), Selon lul *

L ’eau est vraiment l'gl&nent transltolre. II est la metamor­ phose ontologlque essentielle entre le feu et la terre. L'etre vou£ 2 l’eau est un etre de vertige. II meurt a cha- que minute, sans cesse quelque chose de sa substance s'ecrou- le. La mort quotidienne n'est pas la mort exubSrante du feu qui perce le ciel de ses fl&ches; la mort quotidienne est la mort de l ’eau. L ’eau coule toujours, l'eau tombe toujours, elle flnit toujours en sa mort horlzontale. Dans d'innombra- exemples nous verrons que pour 1'imagination materlallsante, la mort de l'eau est plus songeuse que la mort de la terre: la peine de l ’eau est lnfinie.H^

La fascination pour l ’eau exprlm§e par les poetes des Jeux Floraux est done un autre exemple de leur obsession de l’gphemere et de la mort.

Dans un chapltre consacri & "l’eau violente",m Gaston Bachelard note que les coleres de la mer correspondent aux coleres des hommes (e'est le cas dans le po&me de Victor Hugo "Les travailleurs de la mer") ou meme a la colSre universelle (ce serait le cas des poemes du Livre Rou­ g e ) ;

L'eau est un des premiers schemes de la colere universelle. Aussi pas d'epopee sans une scene de tempete. M.J. Rouch en fait la remarque et il etudie - en mgtSorologiste - la tempe­ te decrlte par Ronsard dans La Franciade. La grandeur humaine a besoin de se mesurer 2 la grandeur d'un monde.^^

Les poetes des Jeux Floraux expriment 1'idSe que face 2 l’hostlllte des forces de la nature, la grandeur de l ’homme n'est possible que par l’in- termSdiaire de la grace de Dieu. 293

6, La scgne mythologique

Mais le merveilleux ne se trouve pas seulement dans une vision hyperbolique et mouvante des ph3nom£nes de la nature. "Le merveilleux, selon Littrd,^^^ est 1 ’Intervention d ’etres surnaturel9, comme dieux, anges, dgmons, gSnies et fges dans les pogmes et autres ouvrages d'ima-

4 gination", Dans la majoriti des pogmes des Jeux Floraux au XVIe siecle, les dleux des traditions greco-romalnes et hgbralques cotolent les fi­ gures de la tradition blblique chrgtienne. ' Le merveilleux nous installe dans un monde surnaturel d'ou se dggage le mythe cosmique, Cette nou- velle dimension relSve de la mise en sc£ne au niveau du dlscours et des i m a g e s .

Les dieux du paganlsme avaient survecu au moyen age sous la for­ me de Turcs ou de chevaliers, Les auteurs de la Renaissance vont cepen- dant leur rendre leur mythe et leur hlstolre, trouvant dans la mytholo- gle des rgponses I des preoccupations esthgtiques, morales et polltiques.

Dans Mythes et mythologies dans la littgrature franqaise, Pierre Albouy classe les mythes, H la suite du De natura deorum de Cicgron, en trois categories1) Ils transposent les faits historiques, et les dieux sont des grands hommes que la reconnaissance et 1'admiration ont eleves au rang d'immortels; c ’est le systgme d'Evhgmere; 2) Les mythes reprg- sentent les luttes et combinaisons des glements de la nature; les dieux sont des symboles cosmlques; c ’est la theorie stolcienne; 3) Ils symbo- lisent des idees morales et philosophlques sous forme d'allggorles; cet- te representation se retrouve chez les neo-platoniclens. 294

Dans le Livre Rouge, on trouye des transpositions mythiques ap- partenant aux trols categories mentionn&es par Pierre Albouy, Elies ont en elles, cependant, comme dSnominateur conotun, le th&me du confllt entre le pole du Bien et celui du Mai, Le roi, sous sa forme mythique, fait face aux Mores, aux Espagnols ou aux ennemls de la fol (1), Dieu est aux prises avec Satan (2), la vertu est un incessant com b a t ' (3).

Sur le plan metaphysique, le confllt peut s ’exprlmer par l ’Stemelle dichotomie entre la vie et la mort. Ce sont les envois ("reddltlons d ’allesgorie") qui apportent la clS aux mythes dont 1 ’expression fait le corps du chant royal, Leur syntaxe en est simple et dlrecte, ggndrale- ment contenant les verbes etre ou .1 ’entendz pour marquer 1 ’equation,

Le chant de Noguier (Violette, 1553) se termine par:

Hymerie est desir, la font science Cyprls beautS, Thrasie la vaillance, Vertu Dyane, Euclie je declaire La renommee; et Henry, roy de France, L ’autre soleil qui nuict et jour esclaire, ( w . 56-60)

La veine patrlotique est frappante; le roi de France est un autre Phoe­ bus, Le chant royal de Robert Garnler (Violette, 1566) utilise le c§le- bre mythe d’Hercule pour chanter la gloire du jeune roi Charles IX:

Par les monstres j ’entendz les hommes factieux Qui sur ce bord gaulols firent tant de doomages; L ’alge de cest Hercule est ce siecle odieux, Et nostre roy vainqueur dont la jeunesse saige A desja surpass§ l ’honneur de ses ayeulz, L ’Hercule qui dompta les forces de son aige, ( w , 51-56)

L'allusion 1 ’’gaulois1’ et 5 "Hercule" n ’est pas sans evoquer "L’Hercule gaulols", maltre de 1’eloquence, Sous la figure du roi, c ’est l ’ordre et l ’honneur que Robert Garnier encense, mais aussi, par ce biais, il 295

fait la gloire de l ’idiome national,

Le chant royal de BarthSlemy Balllste (Souci, 1556) met en scer« ne, sous une forme melant les traditions populaltes, bibliques et grec-

ques, Jupiter/Christ et les "grans gians", Les po&tes se jouent du me­

lange curleux de ces traditions, Au contraire, elles se donnent mutu- ellement support et gagnent en expressivite;

Les grans geans qui au ciel voulloient nuyre, Sont ceulx qu'on void centre notre Dieu bruyre; Et les hautz montz du monde la terreur, Humains adviz qu'a la foy en horreur. Jupin est Christ, qui le fouldre deserre, Et sa justice, extlrpant leur erreur, , Le feu meurtrler des enfans de la terre. ( w . 56-62)

Le refrain d ’Antoine Cavalier (Souci, 1576) mele les memes elements dans un syncretisme particulier £ la Renaissance; "Le monstre foudroye par les filz du tonerre", le tonnerre ou le "Tonnant" gtant Jupiter, ou meme Jesus;

Par le monstre j'entendz Sathan desenchaini Et par le filz Jhesus, £ la croix condamne, Le tonerre, je prens pour la Vierge sa mere, Qui a pour tout jamais dans l ’enfer enchaine Le monstre foudroye par le filz du tonerre. ( w . 56-60)

Les images du Mai font preuve d'une grande varl£t§. En 1552, Jean Car­ les (Souci) s ’inspire d'Ovlde pour evoquer la legende de Lycaon et de

Deucalion:

Ce Lycaon, le grand serpent estolt, Qui des humains en qui tout consistoit, Put le malheur; la Vierge pure et munde Semble Pyrrha; son filz representoit Deucalion qui restaura le monde, ( w . 56-60)

Les po£tes parviennent £ r§allser la synthese parfaite, 1'"accord", entre 296

la mythologie paienne pleine d ’erudition et la foi chritienne, Les trans­ positions s ’imposent;

Phaeton est Adam, qui la finesse Creut du serpent, dont romplt la simplesse Le loy divine, et s ’est lors parjur®. Phoebus est Dieu. et son filz honnorS Est le sollell-^* ( w , 56-60, Jean de Rangouse, Violette, 1550)

« Ou blen dans une union encore plus inextricablej

Ceste grand nue S Dieu le pere applique Et ce serpent S 1 ’esprit plutonicque; Ce vent nous faict 1 ’Esprit Salnct percevolr, Et Danaes faict Marie apparoir: Andromeda la nature esperdue, -*-20 ( w . 56-60, Frangois Revergeat, Eglantine, 1544)

La synthase entre les dlfferantes traditions fera dire & Ronsard dans

Hymne 3 la mort}

Ha, pour Dieu! te souvienne Que ton ame n ’est pas paienne, mais chritienne.^-^l ( w . 191-192)

La Reforme tentera de condamner ce melange h§teroclite et sacrilege, mais ce fut peine perdue, si l’on en croit la vivacit§ de cette tradi­ tion chez des poltes comme Pey de Garros ou Salluste du Bartas, qui ne cachaient pas leurs sympathies & la cause protestante.

La variete des figures mythologlques n ’a vraiment de limite que dans la tradition mythologique elle-meme, Les dieux qui se trouvent le plus souvent sous la plume des poetes toulousalns sont gSneralement as- sociSs a la gloire et & la puissance: Apollon, Jupiter, Phoebus, Phenlx,

Phaeton, Pluton, Mercure, Hercule, etc. A l ’oppos§e, 11 y a Phlton,

Mars et tous les monstres de la Creation, qui referent § des legendes populalres, L'abondance des references mythologlques donne un aspect hermetique aux poSmes, mais les noms propres ont la proprlete Strange de 297

participer au merveilleux, Le merveilleux nait du mystgre, de l ’incon-

nu que ces noms evoquent, Jean de Saint-Hilaire commence son poeme par:

L'isle Colchos, jadls tant renomm£e!22 Cv.l, Souci, 1542)

Jean de Saint-Hilaire nous enferme aussitot dans le monde fabuleux des

legendes, Etienne Forcadel (Violette, 1544) joue du nom magique de DE-

i mogorgon pour Introdulre son poEme et le falre sortir du silence com-

me le dieu est sorti lui-meme "du creux de l'abisme du monde",

4. Conclusion

Mouvement, energie d ’une part, expresslvlte de 1*autre: deux

elements que I'on retrouve constamment sous la plume des poetes de Tou­

louse et qui rattachent le corpus du Livre Rouge £ un etat d*esprit ba­

roque, La mise en sc&ne du discours, par son caractere hyperbolique,

la recherche du spectacle £ l ’Echelle cosmique, la coloration epique,

1’utilisation des metaphores de metamorphoses, la violence de 1*Evoca­

tion obsedante du chaos particlpent au baroque, Le baroque, en effet,

vit d ’exaspgrations, de tourments et de heurts, du confllt nEgatif/posi-

tif tel qu’il se presente dans le Livre Rouge. Les criteres d'"emphasis

and exaggeration" et de "mutability" repris dans Studies in the Baroque

from Montaigne to Rotrou de Imbrie Buffum se ramenent en dernier lieu

aux notions de mouvement et d ’expressivite qu’lls ne font que dEvelop- per.^3

Les motifs qui contrihuent £ 1’effet theatral sont autant de pro-

cedes de la rhitorlque de l’etonnement qu’est la rhStorlque baroque. Les poetes donnent un relief tout particuller aux episodes destines a provo- 298

quer l’gtonnement et l’admlration, Ils utilfsent les ressources du lan- gage g cet effet, Dans 1’article "Mots et merveilles", Gerard Genette analyse Essals des mervellles de nature et des plus nobles artifices d ’Etienne Binet qui, bien que postSrieur au Livre Rouge, presente la

meme glorification des oeuvres du Cr§ateur,124 La realite, cependant, est ici ramenge S des procgdgs de rhgtorique; la justification

taphores etonnantes:

L'experience vous montrera que c ’est ici une riche carriere toute pleine d'or et de dlamants, d'ou vous pouvez pulser ce qui rendra vos propres tons confits au sucre de miiie dou­ ceurs, qui feront couler vos paroles au fond du coeur des auditeurs.125

Dans son sonnet, Samxon de Lacroix (Violette, 1554) voulalt chanter les

"chantz secretz et choses non-pareilles" pour faire crier a la mervell-

le de la Creation, Mais la rgalitg et l ’ornement du discours tendent 3 se confondre dans ces "chansons de miel". Pour mener a Dieu et au roi,

les pogtes de Toulouse savent jouer d ’une rhgtorique de la surprise et de 1 ’emotion,

C ’est chez les pogtes de la deuxigme ggngratlon (1554-1583) que le baroque connaxtra sa pleine eclosion. Le pogme de Robert Garnier de

1566 (Eglantine) en est l ’exemple le plus caractgrlstique:

De mil et mil exces le monde estolt pleln, La terre en myl party estoit ensanglantee, De 1 ’Inhumanltg de ce murdre inhumain XI n ’y avolt maison qui peustb etre exemptge; Les peres ja grlsons voyoient devant leurs yeulx Leurs enfans egorggs d'ung poignard furieux, Car ses monstres villains ne paissoient leur couralge 2 9 9

.X 2 6 Que des sculles horreurs d'un continu carnaige, . ( w . 11-18)

Mais il nous est difficile de parler de nette distinction entre les poe­ tries de la premiere et de la deuxieme generation, comme nous l ’avons de- montre en ce qui concerne le style (decasyllabe epique, alexandrin medi-

tatif). Si le baroque s ’Spanouit pleinement vers les annees 1560, un etat d'esprit baroque l’avait prScede et peut etre perqu dans le Livre

Rouge des 1539, La periode du baroque litteraire est generalement re- servee 5 la fin du XVIe sificle et l'on associe Salluste du Bartas et

Agrippa d'Aubigne 5 ce mouvement, Le corpus du Livre Rouge nous ensei- gne que ce mouvement avait des racines plus profondes dans le siecle et meme dans la tradition litteraire, Les poStes du Livre Rouge ont emprun-

te aux traditions ovidiennes et neo-platoniciennes ce qui correspondait a une sensibilite fascinee par l'eternel combat entre la vie et la mort,

Des 1540 (Claude Terlon, Gauch), on litj

Quand Appolo vint delivrer le monde, Du grand Pithon, serpent pernicieux, II transmua D^p^nes, sa mye blonde, En un laurier-“ ( w , 1-4)

En 1542 (Souci), Jean de Saint-Hilaire parle d'

une armee De gens cruels, fiers et malicieux, Puys sept thoreaulx, de fureur et de rajje, Portant le feu de leur corps davantage-*''’ ( w . 14-17)

Le baroque a fleuri pendant les Guerres de Religion, mais nous savons q u ’S Toulouse les tensions religieuses existaient bien avant la fin du sigcle; 1'Inquisition avait fait ses ravages des le X H I e siecle. Nous 300 proposons l ’hypoth&se que 1 ’imagination poetique des poStes des Jeux

Floraux au XVIe si&cle s ’est modelSe sur un syst£me de pensee profon>- dement imprigne du combat entre Dieu et le Vilain,

I 301

Notes Chapltre VI

"Litterature et societS," Litterature et societe, Collogue,

Instltut de Soclologle de l'TJniversite Libre de Bruxelles et l’Ecole Pra­

tique des Hautes Etudes de Paris, 21-23 mat 1964. Bruxelles: Editions de

l’Institut de Sociologie de l'Universite Libre de Bruxelles, 1967. 2 Daniel Poirion, Le Poete et le prince (Paris: Presses Universitaires

de France, 1965), p. 457. 3 Jean Dubois, Rhetorique generale (Paris: Larousse, 1970), p. 45. 4 Roland Barthes, Litterature et Societe, p. 31. 5 Roman Jakobson, Essais de linguistique generale, trad, par Nicolas

9 Ruwet (Paris: Editions de Minuit, 1963), p. 31. 6 Michel de Montaigne, Essais, ed. Alexandre Micha (Paris: Garnier,

1969), p. 216.

Henri de Mesmes, Memoires inedits, ed. Edouard Fremy (Paris: n.p.,

1886), p. 138. 8 Paul Porteau, Montaigne et la vie pedagogique de son temps (Paris:

Droz, 1935). 9 Paul Benetrix, Un College de province pendant la Renaissance. Les

Origines du College d'Auch, 1540-1590 (Paris: Champion, 1908). 10 Pierre Fabri, Grand et vray art de pleine rhetorique, in Francis L.

Lawrence, "The rhetorical tradition in French Renaissance poetics," Revue

Beige de Philologie et d'Histoire, 51(1973): 508. 302 XI Joachim du Bellay, La Deffence et illustration de la langue fran- c o y s e , 6d. Henri Chamard (Paris: Fontemoing, 1904), p. 22. 12 Du Bellay, p. 30. 13 Du Bellay, pp. 34-36.

14 Du Bellay, p. 85. 15 Jacques Peletier du Mans, Art poetique, in Francis L. Lawrence,

"The Garment of style," Revue des Langues Vivantes, 41(1975): 340. 16 Pierre de Ronsard, Oeuvres completes, ed. Paul Laumonier, 16

(Paris: Didier, 1950-1952), p. 342.

Thomas Sebillet, Art poetique francoys, ed. Felix Gaiffe (Paris:

Hachette, 1910), p. 54. 18 Francis L. Lawrence, "The Rhetorical tradition in French Renais­ sance poetics," Revue Beige de Philologle et d'Histoire, 51(1973): 508. 19 Grahame Castor, Pleiade Poetics, in Francis L. Lawrence, The

Rhetorical tradition," p. 511. 20 Richard Griffith, "The influence of formulary rhetoric upon French

Renaissance tragedy," Modern Language Review, 59(1969): 201-208. 21 Robert Griffin, The Coronation of the Poet: Joachim du Bellay*s

Debt to the Trivium (Berkeley and Los Angeles: University of California

Pr^ss, 1969). 22 Paul Delbouille, "Rhetorique de la poSsie ou poesie d'une certaine rhetorique?" Cahiers d*Analyse Textuelle, 19(1977): 128-152. 23 Delbouille, p. 128. 24 Jean Jacquot, ed. Les Fetes de la Renaissance (Paris: CNRS, 1966), p. 11.

2 5 Paul Zumthor, Le Masque et la-lumiere (Paris: Seull, 1978) et 303

Lucie Brind’Amour, ’’Rhgtorique et theatralite: etude de quatre entrees

xoyales,” Studi Mediolatini e 7olgari, 24(1976): 73-133.

26 Andrg Balche, La Naissance du baroque frangais, sgrie A, t. 31

(Toulouse: Universltg de Toulouse-le-Mirail, 1976), p. 314. 27 Poirion, p. 466. 28 Mikhail Bakhtin, Rabelais and his world, trad, par Helene Yswolsky

(Cambridge, Mass.: M.I.T., 1969), p. 9. 29 Roger Dragonetti, La Technique pogtique des trouveres dans la

chanson courtoise. Contribution a 1'etude de la rhetorique mgdievale

(Bruges: de Tempel, 1960), pp. 137-138. 30 Jean Rousset, La Littgrature de l’age baroque: Circg et le paon

(Paris: Corti, 1954), p. 187. 31 AD 144. 32 Yvonne Bellenger, "La pgriphrase dans la pogsie du XVIe siecle:

essai de rghabilitation," Oeuvres et Critiques, 1(1976): 133-141. 33 Du Bellay, pp. 285-286. 34 Marcel Proust, A 1’ombre des jeunes fllles en fleurs, I, p. 885. 35 Jean Cohen, Structure du langage poetique (Paris: Flammarion,

1966), p. 227. 36 Citg par Bellenger, p. 133. 37 Pierre de Ronsard, Oeuvres completes, XII, "Hymne de l'automne,"

P'. 50. 38 Bruno Braunrot, L*Imagination pogtique de du Bartas (International

Scholarly Book Service: North Carolina Studies, Chapel Hill, 135(1973), p. 136. 39 AD 315. 304

Algirdas-Julien Greirjas, Semantique strueturale: recherche de ae-

thode (Paris: Larousse, 1966), pp. 69-119. 41 AD 32. 42 AD 35. 43 AD 37. 44 AD 47. 45 AD 51- 46 AD 53-54. 47 AD 202. 48 AD 214. 49 Marie-Madeleine Mouflard, Robert Gamier. L*Oeuvre (La Roche-sur-

Yon, Imprimerie Centrale de L ’Ouest, 1963), pp. 357-405. 50 AD 200. 51 AD 212. 52 AD 227. 53 AD 244. 54 AD 168. 55 AD 201. 56 AD 58. 57 58. 58 AD 141. 59 AD 141. 60 AD 144.

61 AD 144-145. 62 AD 124.

63 AD 79. 305

64 A D 175. 65 M 94. 66 AD 216. 67 AD 61-62 68 m 77. 69 AD 109, 70 AD 206. 71 AD 116. 72 116. 73 AD 140. 74 M 211.

75 AD 44. 76 AD 72. 77 AD 72. 78 AD 75. 79 AD 77. 80 Nous croyons qu'il s'agit de Guillaume Dubuys qu'Olivier de Magny cite dans vers: S'esbayt-on, Dubuis, si notre viel Cahours N ’a garde que si peu de sa vieille excellence? (Charbonnier, p. 12). 81 AD 136.

83 AD 93. 84 AD 110. 85 AD 69. 86 AD 72. 87 AD 86. 306 88 Braunrot, p. 94. 89 AD 100.

90 AD 172.

91 AD 263.

92 AD 194. 93 AD 359. 94 AD 28. 95 AD 131.

96 Guy, Demerson, "Poetique de la metamorphose a la Renaissance,"

Revue de Litterature Comparee, 51(1977): 152-157. 97 Bellenger, p. 135. 98 AD 86.

99 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue frangaise des orlglnes a 1900, II (Paris: Armand Colin, 1909), pp. 337-338. 100 AD 140.

101 AD 306.

102 AD 292. 103 AD 287. 104 AD 280. 105 AD 273.

106 AD 43. 107 AD 46. 108 AD 106. 109 AD 134. 110 Gaston Bachelard, L'Eau et les Rtves (Paris: Corti, 1942). Ill Bachelard, pp. 213-249. 307 112 Bachelard, p. 239.

Emile Littre, Dictlonnaire de la langue franC&ise du seiziime

siecle (Paris: Hachette, Gallimard), t. 5, p. 149, article sur le "mer­

veilleux." 114 Pierre Albouy, Hythes et Mythologies (Paris: Colin, 1969), p. 13. 115 AD 128. 116 AD 218. 117 AD 146. 118 AD 281. 119 AD 120. 120 AD 100. 121 Pierre de Ronsard, Oeuvres Completes, §d. Paul Laumonier (Paris:

Didier, 1950-1952), 16, p. 363.

122 A D 46. 123 Studies in the Baroque from Montaigne to Rotrou, ed. Imbrie

Buffum (New Haven: Yale University Press, 1957), p. 53. 124 GSrard Genette,Figures (Paris: Seuil, 1966), ch. 46, p. 173. 125 Genette, p. 173. 126 A D 216. 127 AD 34. 128 AD 47.

v CONCLUSION

Au terme de notre etude, nous devons nous demander si le corpus littg- raire des Jeux Floraux au XVIe siecle vaut une totale reappreciation.

Franqois de Gelis parlait de periode dgcadente dans la litterature meridio- nale. Joachim du Bellay rejetait la forme du chant royal qu'il categorisait de meprisables "episseries." Les Jeux Floraux ont souvent ete perqus comrne l'organe de propagande d'un regime reactionnaire qui prevalait a Toulouse pendant le XVIe siecle.

Nous devons reconnaltre le mal-fonde de la premiere allegation. Certes, les lettres meridionales n 1etaient plus aussi florissantes qu’elles l'avaient ete aux Xlle et X H I e siecles, mais l'utilisation du franqais avait donne une nouvelle vigueur pleine de promesses aux lettres toulousaines. De plus, le respect dans lequel etaient tenus les Jeux Floraux dans la ville de

Toulouse temoigne de la vivacite d'une tradition qui n*avait rien de d§ca- dent. Toutefois, il est vrai que, malgrS leurs efforts de vouloir faire acte neuf, leurs themes et leur esthetique etaient encore tres proches d'une poetique depuis longtemps depassSe.

Que dire de 1'allegation de du Bellay? Les Toulousains eclaires qui sanctionnaient les decisions du Consistoire etaient bel et bien des "epi- ciers." Ils avaient fait leur fortune dans le commerce du pastel, et la dette envers les riches couleurs traverse tout le Livre Rouge. II ne fau- drait pas pour autant leur enlever toute pretention a la culture, et le 309 mepris de Joachim du Bellay est le reflet d'un concept tres aristocratique de la culture. II nous semble int^ressant d'ayoir pu Etudier une oeuyre qui est la perception que la bourgeoisie provinclale filtrait de la culture ambiante. Nous savions jusqu'a present quels Etaient les gouts du public de cour. L'Etude du Livre Rouge nous a rEvelE ceux de la bourgeoisie EclairEe du XVIe siecle, dans une ville provinciale mEridionale. Nous sommes done en presence du resultat de l 1assimilation d'une culture sensiblement Etrangere

("estranh"). Nous devons done donner raison 3 du Bellay: ces poEsies sont des "Episseries", mais seulement-dans le sens ou elles representent les gouts littEraires des "epissiers" de Toulouse.

Les Jeux Floraux au XVIe siecle sont 1'expression d ’une societe avide de prestige et qui avait compris que la parure artistique dont elle aimait a se doter y participait largement.

C'est au milieu du XVIe siecle (1538-1555) que les hotels d'Assezat et de Bernuy furent construits, et leur esthetique n'est pas si lointaine de - l'esthetique du Livre Rouge. On y voit des fenetres a l'antique, c'est dire ornees de pilastres, de colonnettes et de figures de dieux en mEdaillon.

Sur les montants et les linteaux des portes et des cheminees, il y a tout un repertoire manieriste qui tire les effets les plus vigoureux de 1'asso­ ciation des figures mythologiques et des encadrements gEomEtriques.^ II n'est done pas etonnant que l'Hotel d'Assezat, au coeur de Toulouse, soit devenu le sanctuaire de Clemence Isaure.

Les Jeux Floraux au XVIe siecle sont aussi le reflet d'un siecle tout 2 pSnetre de christianisme et "souleve d'un immense appetit de divin."

Chaque poeme est en effet un appel a Dieu. C'est au XVIe siecle que de 310

nombreuses ggiises gothiques furent construites dans le Midi, ou le style

gothique rignait souverainement. Mais, dans toutes ces oeuvres, les artistes

firent preuye de conservatisme. Ils reprirent par exemple la formule de la » 3 nef unique que la ville de Toulouse avait trouvee. L ’H3tel de Bemuy est

le maintien d’un style passe de mode dans les chateaux de la Loire. II en

est de mane pour l'H3tel d’Assezat qui se voulait une replique du chateau * de Fontainebleau.

En matiere de litterature, 11 y avait aussi un decalage entre la mode

paTisienne et celle de Toulouse, mais les pretentions A l'art et a la cul­

ture des Toulousains en etaient tout aussi sinceres. En imitant, ils ont su

toutefois trouver un style propre et original qui correspondait a leur tem­

perament. Ainsi en avaient fait les poetes de Paris avec la tradition cla-

ssique. Cette m&ne tradition n ’avait pas seulement filtree par Paris. Les

artistes lombards avaient 1'occasion de venir a Toulouse, et les contacts

etaient frequents avec l’ltalie en raison de la proximite et des echanges universitaires. L ’architecte Bachelier avait etS elSve de Michel Ange,

Etienne Dolet avait passe quatre ans en Italie avant de venir etudier le

droit a Toulouse. Toulouse n ’etait pas une ville espagnole, mais plutot une ville dans laquelle s ’exprlmait comme en Espagne l'art italien. Les inces-

santes allusions mythologiques, les references a Ovide et Platon sont

1'expression de la redScouverte de l'Antiquite par l'intermediaire directe

de 1'Italie autant que par Paris.

Nous avons tente de montrer comment la production litteraire du Livre

Rouge est un fait sociologique. II s'est opere dans l'esprit du jury du

Consistoire une classification de valeurs de la production litteraire, qui est la "cr'Ste de la vague" d'une para-litterature qu'il est dommage de ne plus possSder. Ainsi, les poetes s'adressaient a -un public particulier avec

lequel il y avait communication esthetique. Les poemes s’inscrivent dans le contexte de la demande et de 1'offre, et l’ecriture devient une valeur d'e- change. Pierre Pascal le rappelle amerement (Souci, 1543):

Le siecle d'or ja maincte annee Avoit change son rare et pretieulac Avec 1'argent ( w . 1-3)

Ce theme rejoint les notions de symbole/signe, valeur d'usage/valeur d'echange.

Les poemes sont 1’expression du theme obsedant de la recherche de 1 ’unitS, de l'Un ou du Tout, sous la forme de Dieu, qui prend aussi la forme alle- gorique lorsqu'il cherche a trouver un lien entre les mondes terrestre et divin. L'ecriture florale, de plus, n'est pas une §criture de masse. Elle s'adressait a une elite, et les poemes furent soigneusement transcrits de la main d'un greffier, avec la veneration accordee a la parole ecrite. A ce monde du symbole s'oppose celui du signe, plus fragmente et avec lequel . les podtes doivent se mesurer dans une langue qui leur est encore etrangere.

L'ecriture du Livre Rouge exprime le conflit entre symbole et signe tel qu'il est sous-jacent a la litterature du XVIe siScle et comme le persoit

Claude-Gilbert Dubois dans Mythe et langage au XVIe siecle (1977).

Nous avons constate deux generations de poetes. Celle de 1539 a 1553 est emportee vers 1'action. Son ton est plus Spique et enthousiaste. Nous avons choisi pour demarcation 1'apparition de l'alexandrin en 1556 et, 5 partir de cette date, le ton plein d'optimisme particulier a la Renaissance va s'effacer lentement pour etre remplace par le ton m§ditatif des lamen- 312

tations. Tres t3t, les themes de la petitesse humaine et. du chaos univer-

sel vont prendre des dimensions obsessionnelles. Au-dela de cette descrip­

tion des faits, les aspirations profondes des poetes sont celles des "valeurs

authentiques" de l,,,accord", I'ordre et l'harmonie. Dans Histoire litte­

raire du sentiment religieux en France depuis la fin des Guerres de Religion

jusqu'a nos jours (1929), l'abbe Henri BrSmond note: *

L'humaniste, frondeur a ses heures, est au fond un ami de I'ordre, un conservateur.

Par contre, les poetes des Jeux Floraux sont fascines par la decheance hu­ maine, la pourriture, le "nihil", et ces themes appartiennent plus au moyen

3ge qu'a la Renaissance. L'abbe Bremond continue en parlant de l'homme de

la Renaissance:

Ne lui parlez pas de son neant, du neant de l'homme; il crierait au sacrilege.. .Ce qu'il demande avant t'out aux modeles antiques, c'est de le rendre plus homme.

En ce qui concerne les themes, comme en matiere d'esthetique, les poetes

des Jeux Floraux reprennent des concepts chers au moyen age. Malgre 1'ob­

session du "nihil", les poemes ne tomberont jamais dans le tragique, car ils

expriment toujours un appel a l'espoir en Dieu qui surgit, deus ex machina,

a la fin du poeme, comme dans le cas du theatre du XVIIe siecle. De plus,

l'homme peut s'elever par la vertu jusqu'a Dieu et lui ressembler.

Si le ton change, l'ecriture, cependant, est facilement identifiable

au cours des cinquante annees que couvrent le Livre Rouge. Nous sommes en

presence d'un corpus coherent qui surprend par la distance entre une forme

rigide, des valeurs qui sont celles de I'ordre et, d'un autre c3t£, les tri­ bulations maniSristes de l'§criture qui sont 1'expression des "Svinements

cfcrconstanciels" qui en forment le contexte. Le texte apparalt ainsi comme 313

tenai'Qa entire ordre et dessordre, dans la veine euphorie/disphorie que nous ayotts prealableroent §tudi§e. Les Jeux Floraux au XVIe siecle sont impregnSs

d ’un esprit baroque, fait de heurts et de tensions, qui correspondait a une

sensibilite miridionale et a sa perception des troubles civils. Le baroque s'est epanoui pleinement en fin de siecle, mais il avait trouve dans l’esthe-

tique manieriste qui 1 ’avait precede un ferment propice a son eclosion. i

La troisieme allegation que nous aimerions dissiper est celle qui fait des Jeux Floraux au XVIe siecle un centre de la reaction. Certes, la re­ pression de l’eveil humaniste a ete terrible a Toulouse, mais le Consistoire des Jeux Floraux n ’en a pas ete 1’instrument. II y avait au sein de cette institution de prestigieux humanistes qui encouragerent les idees nouvelles.

Le credo qu’ils defendirent est celui de l'harmonie, le "clos parfaict", et cette notion est etrangere aux idees de propagande partisane.

Les Jeux Floraux au XVIe siecle meritent notre attention, quoique elle doive parfois etre melee d'indulgence. Ils furent le tremplin de nom- breux poetes dont les noms ne sont pas restes dans l'oubli. Le jury des concours a su reconnaltre dans ces jeunes esprits l'embryon du talent litte­ raire. II s'agit par exemple de Robert Garnier, Salluste du Bartas,

Forcadel, Pey de Garros, Pierre Dampmartin, Pierre de Brach, Guillaume

Dubuys, etc. A ce titre, les Jeux Floraux jouerent un role de ferment litt§- raire important, mais non pas novateur. Les poemes du Livre Rouge forment un genre litteraire parallele a la Pleiade mais rarement concommitent avec elle. Ils menent directement de la poetique des trouveres S celle de l'age baroque.

II n ’y a pas de genies aux Jeux Floraux de Toulouse au XVIe siScle, 314 a part Robert Garnier, Sallnste du Bartas ou Pey de Garros dont le talent ne faisait que d'eclore. Ils ont toutefois le merite d'avoir su nous pre­ senter la "Legende" d'une epoque troubl£e, 1*expression du grave confllt de civilisation qui se jouait. Ils tentaient de "maintenir" un ordre qui fuyait a jamais. Les poetes resteront des "minores", mais leur etude ne doit pas etre negligeable, car, sans eux le genie n'existerait pas. 315

Notes de la conclusion

1 Philippe Wolff, Histoire de Toulouse (Toulouse: Privat, 1965), p. 262. 2 Andre Balche, La Naissance du baroque frangais. Poesle et image de la

Plelade a Jean de la CeppSde, serie A, t. 31 (University de Toulouse-le-

Mirail, 1976), p. 197.

3 Wolff, p. 2A9.

A AD 1AA.

** Abbe Henri BrSmond, Histoire litteraire du sentiment religieux depuis

la fin des Guerres de Religion jusqu’5 nos jours (Paris: Bloud et Gay, 1929), p. A.

Bremond, p. 7. BTBLIOGRAPHXE

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