LE SYMPOSIUM INTERNATIONAL LE LIVRE. LA ROUMANIE. L’EUROPE. le 20–24 septembre 2010 ⁕ THE INTERNATIONAL SYMPOSIUM THE BOOK. ROMANIA. EUROPA. 20–24 September 2010 Couverture 4 : Avers de la médaille émis par la Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest à l’occasion de la troisième édition de Symposium International. Le Livre. La Roumanie. L’Europe. – 2010. Bibliothèque Métropolitaine BUCAREST

Travaux de SYMPOSIUM INTERNATIONAL LE LIVRE. LA ROUMANIE. L’EUROPE.

Troisième édition – 20 à 24 Septembre 2010

ans après la intronisation de l’érudit roumain Dimitrie Cantemir 300 en Moldavie TOME I

ÉI D Teur BIBLIOTHÈQUE DE BUCAREST BUCAREST – 2011 Comité éditorial : Dr. Florin Rotaru, Directeur général, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest Section 1 : Frédéric Barbier, Directeur de recherche au CNRS (IHMC/ENS Ulm), Directeur d’Études, Histoire et civilisation du livre, École Pratique des Hautes Études, Sorbonne, Rédacteur en chef de Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz) Section 2 : Réjean Savard, bibl. prof, Ph.D – Président de l’ASTED et de l’AIFBD, Professeur de bibliothéconomie, Université de Montréal Chantal Stanescu – Directrice adjointe, Bibliothèque Publique Centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale Section 3A : Prof. Dr. Jan E.M. Houben, Directeur d’Études « Sources et Histoire de la Tradition Sanskrite » École Pratique des Hautes Études, SHP, Sorbonne Dr. Julieta Rotaru, Chercheur III, Centre d’Études Euro-asiatiques et Afro- asiatiques, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest Section 3B : Dr. Rodica Pop, Chercheur II, Centre d’Études Euro-asiatiques et Afro- asiatiques, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest Section 4A : Dr. Stefan Lemny, Bibliothèque Nationale de France, Paris Dr. Ioana Feodorov, Institut d’Études Sud-Est Européennes de l’Académie Roumaine, Bucarest Section 4B : Prof. Dr. Adina Berciu, Université de Bucarest, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest Section 4 C : Académicien Olivier Picard, Université Paris IV, Sorbonne Drd. Adrian George Dumitru, Université de Bucarest – Paris IV Sorbonne, Assistant de recherche, Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest

Rédaction : Dr. Marian Nencescu, Iulia Macarie Secrétariat de rédaction : Cornelia Radu Format électronique du livre et pages couvertures : Anca Ivan ISSN 2068 - 9756 TABLE DES MATIÈRES GÉNÉRALE

FLORIN ROTARU – Allocution ...... XVII

TOME I

La première section – L’HISTOIRE ET LA CIVILISATION DU LIVRE

First section – HISTORY AND BOOK CIVILIZATION

INTRODUCTION : Construction et réception du texte imprimé en Occident, XIVe–XXe siècle : le problème de la langue – FrÉdÉric Barbier ...... 3 Oubli d’une écriture, mort d’une langue – résurrections par l’imprimé ? Le cas du glagolitique et du vegliote, île de Veglia/Krk (XIXe–XXe s.) – DANIEL BARIC ...... 22 L’usage des devises au XVIe siècle en France dans le livre imprimé – MONICA BREAZU ...... 35 La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās avec la cour russe : à propos de l’imprimerie arabe d’Alep – Vera TChentsova ...... 46 Les Milles et Une Nuits en version roumaine : Que reste-t-il à faire ? – CARMEN COCEA ...... 59 About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia at the end of XIXth century (the book we have to know everything about) – MARIA DANILOV ...... 67 Sur le chemin difficile de la modernisation : notes sur la censure dans les Balkans aux XVIIIe–XIXe siècles – NADIA DANOVA ...... 74 VI Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) – Marisa Midori Deaecto ...... 103 Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni in caratteri orientali – ANDREA DE PASQUALE ...... 113 Les langues et le livre : le manuscrit 150 de la Bibliothèque de Valenciennes – MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS ...... 124 A Survey of Arab-Islamic Studies Published at the University of Naples “L’Orientale” – VINCENZA GRASSI ...... 133 Les cultures européennes et l’avenir – MARTIN HAUSER ...... 206 Le commerce international de la Librairie belge au XIXe siècle : l’affaire des réimpressions – JACQUES HELLEMANS ...... 211 Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. Le fond « Gallica » de la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia – DOINA HENDRE BIRO ...... 223 Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est au XVIIIe siècle : quelques questions – SABINE JURATIC ...... 244 La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle – OTTO LANKHORST ...... 261 Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires et les langues dominées. L’exemple du Québec – CATHERINE BERTHO LAVENIR ...... 271 Brancusi : la tentation de l’illustration – DOINA LEMNY ...... 285 Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols : le français comme affaire – MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO ...... 300 Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790) : intégration ou marginalité – CLAIRE MADL ...... 325 Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine (XVIIème–XVIIIème siècles) – OLIMPIA MITRIC ...... 341 Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française – MONOK ISTVÁN ...... 348 Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle – Raphaële Mouren ...... 367 Livres et propriétaires – un binôme symbolique – ou sur le statut du donateur – IOAN MARIA OROS ...... 378 Paradoxes des langues. Des usages du français au premier XIXe siècle roumain – RADU G. PĂUN ...... 396 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III VII

Le livre grec dans les milieux balkaniques à la veille de la Révolution nationale : le témoignage des prospectus et des listes de souscripteurs – Popi Polemi ...... 412 England and the Printing of Texts for Orthodox Christians in Greek and Arabic, 17th–18th Centuries – GEOFFREY ROPER ...... 430 Contributions to the biography of the author of the book Podul Mogoşoaiei – Povestea unei străzi (Mogoşoaia Bridge – The Story of a Street) – VIRGILIU Z. TEODORESCU ...... 444 Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge : l’exemple de la Librairie de Charles V – MARIE-HÉLÈNE TESNIÉRE ...... 457 Des documents, des incunables et des livres traitant des universités médiévales européennes (XIIIe–XVIIIe siècles) – RADU ŞTEFAN VERGATTI ...... 472 Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier in Deutschland? Französische Gesinnungselemente im Lebenswerk Martin Schmeizels – ATTILA VERÓK ...... 481

TOME II

La deuxième section – BIBLIOTHÉCONOMIE ET LES SCIENCES DE L’INFORMATION

The second section – BIBLIOTECONOMY AND INFORMATION SCIENCES

Quand Google défie l’Europe. Nouvelle bataille 2009–2010 – JEAN-NOËL JEANNENEY ...... 9 INTRODUCTION : Francophonies et modernités en bibliothèques à l’ère du Web 2.0 – Réjean Savard, Chantal Stanescu ...... 33 Être bibliothécaire dans un environnement numérique – Jean-Philippe Accart ...... 36 Un système d’information algérien à l’ère du web 2.0 : Cas de la recherche agronomique – Radia BERNAOUI, Mohamed HASSOUN ..... 43 VIII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Outils Web 2.0 dans les bibliothèques – Alina CANTAU...... 55 La médiation numérique, un projet global de bibliothèque. L’exemple des Médiathèques du Pays du Romans – France – LIONEL DUJOL ...... 71 L’édition du Livre arabe des Macchabées dans les Polyglottes de Paris et de Londres et la Bible manuscrite arabe de St. Pétersbourg – Serge A. Frantsouzoff ...... 85 Bibliographical Heritage in Historical High School Libraries – Manuela Carmona García ...... 95 Bibliothèques, web 2.0 et démocratie – Cristina Ion ...... 109 Le catalogage de livres anciens, selon l’ISBD(A) et le ROMARC – Mariana IOVA ...... 115 La Bibliothèque de la Famille de Pasban-Zade à Vidin (30 ans après la mort d’Osman Pazvantoğlu) – STOYANKA KENDEROVA ...... 133 Tendance des bibliothèques : vers des espaces lisibles et socio-écologiques – Ahmed Ksibi ...... 142 Knowledge Management in Medical Libraries in the Web 2.0 Age – Octavia-Luciana Madge ...... 151 Use of University Library Website: A Case Study – Muhammad Ijaz Mairaj, Widad Mustafa El-Hadi ...... 161 Le web social dans les bibliothèques de Montréal : les résultats de l’enquête de 2010 – MARIE D. MARTEL ...... 177 Les défis pour une culture de l’information effective dans l’écosystème mondial de l’information – Eustache Mêgnigbêto ...... 184 L’accueil d’Ionesco à la Bibliothèque Nationale de France – Rodica Paléologue ...... 195 Aron Pumnul: Founder of the Library of the Romanian Grammar School Scholars in Cernăuţi (Chernivtsi) – Ilie Rad ...... 201 Les petites bibliothèques publiques bulgares à l’ère du Web 2.0 – Juliya Savova ...... 215 La concurrence entre documents imprimés et ressources électroniques en France : un débat qui révèle une profonde crise d’identité des bibliothèques françaises – Pascal SIEGEL ...... 224 The Modern Library: Yesterday’s Traditions Are Today’s Foundations – Kristina Virtanen ...... 233 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III IX

TOME III

La troisième section – ÉTUDES EURO- ET AFRO-ASIATIQUES

The third section – EUROASIATIC AND AFROASIATIC STUDIES

Section III A Le Veda-Vedāṅga et l’Avesta entre oralité et écriture Veda-Vedāṅga and Avesta between Orality and Writing

INTRODUCTION : Veda-Vedāṅga and Avesta between orality and writing – JAN E.M. HOUBEN ...... 13 Orality, Textuality and Inter-textuality. Some Observations on the Śaunaka Tradition of the Atharvaveda – SHRIKANT S. BAHULKAR ...... 20 Some Aspects of Oral Tradition as Reflected in the Pāṇinian Grammatical Texts – SHREENAND L. BAPAT ...... 35 Illiteracy as a socio-cultural marker – JOHANNES BRONKHORST ...... 44 From Orality to Writing: Transmission and Interpretation of Pāṇini’s Aṣṭādhyāyī – MADHAV M. DESHPANDE ...... 57 Vyākaraṇa between Vedāṅga and Darśana – FLORINA DOBRE-BRAT ...... 101 “Let Śiva’s favour be alike with scribes and with reciters:” Motifs for copying or not copying the Veda – CEZARY GALEWICZ ...... 113 Vedic ritual as medium in ancient and pre-colonial South Asia: its expansion and survival between orality and writing – JAN E.M. HOUBEN ...... 147 Earliest transmissions of Avestan texts – RAMIYAR PARVEZ KARANJIA ...... 184 Sraoša : de la terminologie indo-iranienne à l’exégèse avestique – JEAN KELLENS ...... 193 X Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

The Text, Commentary and Critical Editions: A Case of the Commentary of Sāyaṇa on the Atharvaveda – AMBARISH VASANT KHARE ...... 200 Orality and authenticity – MADHAVI KOLHATKAR ...... 212 Manuscript Transmission and Discrepancies in Interpretation – NIRMALA KULKARNI ...... 220 Sacred sound becomes sacred scripture: the Veda Mandir in Naśik, Mahārāṣṭra – BORAYIN LARIOS ...... 223 On the descriptive techniques of Prātiśākhya and Aṣṭādhyāyī – ANAND MISHRA ...... 245 Codification of Vedic domestic ritual in Kerala – ASKO PARPOLA ...... 261 Techniques pour la brièveté dans le Sāmavidhānabrāhmaṇa – ANNE-MARIE QUILLET ...... 355 Vedic Education in early mediaeval India according to North Indian Charters – SARAJU RATH ...... 393 Pastoral nomadism, tribalism, and language shift – SHEREEN RATNAGAR ...... 425 Habent sua fata libelli: The Dārilabhāṣya and its manuscripts – JULIETA ROTARU ...... 454 Diplomatica Indica DataBase (DIDB): Introduction – ALEXANDER STOLYAROV ...... 468 Saṃhitā Mantras in the Written and Oral Traditions of the Paippalādins – SHILPA SUMANT ...... 474 Gandhāra and the formation of the Vedic and Zoroastrian canons – MICHAEL WITZEL ...... 490

Section III B Reconfiguration du divin et de la divinité Reconfiguring the Divine and Divinity

INTRODUCTION : Reconfiguring the Divine and Divinity – Rodica Pop ...... 535 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III XI

The Harmony of Faiths and Beliefs in Albania with the Coexistence of the Divine and Divinity – Xhemile Abdiu ...... 538 Reconfiguration of the Divine in the Sanskrit-Old Javanese Śaiva sources from the Indonesian Archipelago – Andrea Acri ...... 546 Facing God: Divine Names and (Celestial) Hierarchies – Madeea Axinciuc ...... 566 The Divine and Oriental Textiles – Christine Bell ...... 577 Contacts of Russian Diplomats with Ecclesiastical and Secular Rulers of Mongolia as a Factor of Bilateral Relations (second half of the 19th century) – Elena Boykova ...... 589 The genealogy of the Chinggisids in Islamic historiography – MIHÁLY DOBROVITS ...... 593 Chinggis Khaan’s Sacrifice in Mongolia and Abroad – Sendenjav Dulam ...... 601 Fr. André Scrima & Rev. P. Augustin Dupré La Tour s.j.: Note concerning the History of in the Middle East (1970–1980) – Daniela Dumbravă ...... 611 Ups and Downs of the Divine: and Revolution in 20th century Mongolia – Marie-Dominique EVEN ...... 627 Reality versus Divinity (On the Creation of the Buddhist Canon) – Alexander Fedotoff ...... 645 On the History of Bektashism in Albania – Albina h. Girfanova ...... 650 General View of the Divinity and the Divine Concepts in Albanian’s Faiths and Belief Systems – Spartak Kadiu ...... 656 The Holy Scriptus in the Mongolian Language: about A.M. Posdneev’s Activity – Irina Kulganek ...... 663 Quelques notes sur les découvertes archéologiques d’époque Xiongnu sur le site de la nécropole de Gol Mod (Mongolie) – Jacques Legrand ...... 673 Rituals of Mongol Games and Worship of the Spirit Masters of Heaven, Earth and Water – Ganbaatar Nandinbilig ...... 682 Drama on Chinggis Khan by B. Lhagvasurung – Maria p. Petrova ...... 691 XII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Mongolian Religious Practices and Shamanism reconfigured by the Mongolian Buddhist Church – Rodica Pop ...... 695 Christian Concepts in Mongolian Translation – Klaus Sagaster ...... 704 Chinese-Manchu “Contrast” in Historiography and Literature – Giovanni Stary ...... 714 Reconstructing Divine and Divinity in Hazret-i Meryem Kitabi – Münevver Tekcan ...... 718 Interpretation of Celestial Phenomena. On a Manchu Manuscript – Hartmut Walravens ...... 736

TOME IV

La quatrième section – LATINITÉ ORIENTALE Cantemir et son époque. Routes et frontières au Sud - Est Européen

The fourth section – ORIENTAL LATINITY Cantemir and his Era. South-East European Roads and Frontiers

Section IV A Cantemir et son époque Cantemir and his Era

INTRODUCTION : Cantemir – nouvelles lectures – Stefan Lemny ...... 13 Cantemir et le scénario moderne de la métaphysique – ŞTEFAN AFLOROAEI ...... 18 The Phanariot prince Nicolae Petru Mavrogheni and prince Dimitrie Cantemir – Lia BRAD Chisacof ...... 42 The History of the Country through Commoners’ Eyes: The Cantemir Princes’ Times According to Book Notes – Elena Chiaburu ...... 56 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III XIII

The Place of Dimitri Kantemiroglu’s Turkish in 18th Century Ottoman Turkish – SÜer Eker ...... 69 Le Panégyrique de 1719 de Dimitrie Cantemir – Andrei Eşanu, Valentina Eşanu ...... 80 Considérations sur la dignité de la princesse Maria Cantemir – Andrei Eşanu, Valentina Eşanu ...... 89 Le Préambule d’Athanase Dabbās à la version arabe du Divan de Dimitrie Cantemir – Ioana Feodorov ...... 101 La musique religieuse dans l’œuvre de Dimitrie Cantemir – Victor Ghilaş ...... 109 Les Cantemir en Russie selon les mémoires d’une prisonnière suédoise : Lovisa von Burghausen – Stefan Lemny, Anna Svenbro ...... 118 Literal translation vs. Free translation. A case study: Cantemir’s translation from Stimuli virtutum, fraena peccatorum – Oana Uţă Bărbulescu ...... 135

Section IV B Les Aroumains : Culture et civilisation The Aromanians: Culture and Civilization

INTRODUCTION : Aromanians: Culture and Civilization – Adina Berciu-DRĂGHICESCU ...... 147 At the borders of the Oriental Latinity. A Neointerpretative Approach on the Lippovan community in Dobruja – RADU BALTASIU, OVIDIANA BULUMAC, GABRIEL SĂPUNARU ...... 149 Aspects in the Religious Life of Romanians from the Balkan Peninsula – the End of the 19th Century – the Beginning of the 20th Century. Archive Documents – Adina Berciu-DRĂGHICESCU ...... 172 Témoignages sur l’Institut roumain de Saranda – Albanie – Tănase Bujduveanu ...... 185 Archives from the Constanţa Heritage Service of the National Archives Relating to the Aromanian Citizens of Albania – Virgil Coman ...... 195 XIV Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

The Albania Macedo-Romanians: Etno-Demographic Identity Issues – Dorin Lozovanu ...... 219 Les livres roumains du monastère Saint Paul du Mont Athos – Florin Marinescu ...... 227 The Social Being of the Aromâni; the Vlahs of the Balkans and their predilection for the Book – JOHN NANDRIŞ ...... 236 V.A. Urechia – a Well Known Personality from the Cultural and National Point of View of Romanians from Balkan Peninsula – Maria Pariza ...... 266 61 Years since the End of the Civil War in Greece (1946–1949) – Apostol Patelakis ...... 275 Media and Social Communication, The Roadside Crucifix as a Mark of Cultural Romanian Identity (Ethno-Folkloric Research in Vojvodina, Serbia) – Gabriela Rusu-Păsărin ...... 291 La position du Ministère des Affaires Etrangères de la Roumanie sur « La question aroumaine » à la veille de la Conférence de Paix de Paris (1945) – Nicolae Şerban Tanaşoca ...... 305 Romanians in Bulgaria. History and Ethnography – Emil ŢÎrcomnicu ...... 323

Section IV C Routes et frontières au Sud-Est Européen – Relations économiques, militaires et culturelles South-East European Roads and Frontieres – Economical, Military, Cultural Connections

INTRODUCTION : Routes et frontières au Sud-Est Européen. Relations économiques, militaires et culturelles. – Olivier Picard ...... 337 Les Phanariotes et l’Aube des Lumières – Jacques Bouchard ...... 339 Les Seleucides et les Balkans : Les Thraces dans l’armée seleucide – Adrian GEORGE Dumitru ...... 349 Mithradates’ Foot Soldiers at the Battle of Chaeronea – Cristian Emilian GhiŢă ...... 377 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III XV

Chrysanthos Notaras the Patriarch of Jerusalem – His Influence on the 18th Century Walachia and Moldavia. Historic and Biographical Considerations – Victor Godeanu ...... 391 The Campaign of Alexander the Great in the Balkans: the Year 335 BC in the Writings of Arrianus and Plutarchus – Tudor Ionescu ...... 413 La Roumanie, la Bulgarie et l’Allemagne au Bas-Danube et en Dobroudja (1916–1918) – Constantin Iordan ...... 427 Macedonian and Thracian relations in northern Greece after the Persian wars with particular reference to the coinage and politics of Alexander I – Elpida Kosmidou ...... 439 La circulation des drachmes de Dyrrachion dans les Balkans : échanges ou conflits militaires ? – Albana Meta ...... 453 When and Where “The Melkite Renaissance” Started? Metropolitan Uwakim of Betlehem, a Forgotten Arab-Christian Scholar of the Late 16th Century – Constantin Panchenko ...... 469 Grecs et thraces : Conflits et intégration des communautés guerrières – Olivier Picard ...... 482 L’or et l’argent des aristocraties thraces, Ve–IIIe s. av. J.-C. Contribution de l’étude des vases à l’histoire de la région – AliÉnor Rufin Solas ...... 491 Les mécanismes de l’intégration de l’Illyrie Méridionale dans l’Empire romain – Saimir Shpuza ...... 514 De la Macédoine vers le Danube. L’avancement de l’armée romaine au Nord de la Macédoine – Marija Stankovska-Tzamali ...... 527 Roman veterans and the city institutions of Philippopolis, Thrace – IVO TOPALILOV ...... 536 Relations militaires des tribus de la région Thraco-Macédonienne avec des armées Perse et Grecques. L’évidence des monnaies – Alexandros R.A. Tzamalis ...... 582 Le Bas Danube – frontière réelle ou symbolique ? – Cornelius Zach ...... 589 Similar and Differing – Mapping the Lower Danube and Dimitrie Cantemir’s Lost Map of Moldavia in His Time – Krista Zach ...... 602

LISTE DES AUTEURS (GÉNÉRALE) ...... 495

Allocution

La IIIe édition annuelle du Symposium Le livre. La Roumanie. L’Europe, enlève toute image de coquetterie historique ou de conjoncture favorable. Per a contrario, et sans le vouloir expressément, le Symposium semble être un état de normalité en pleine crise financière, comme un défi jeté au chaos et à une loi naturelle: l’existence culturelle au centre du capital et de tous ses bouleversements s’en est normalement ressentie. Assurer une évolution normale au Symposium est, dans ce contexte, une obligation professionnelle et morale. Dans un espace particulier, marqué par une géographie historique, qui est le territoire roumain, les clarifications institutionnelles et professionnelles sont de toute nécessité. Par conséquent, le Symposium de Bucarest représente un carrefour d’intérêts scientifiques et professionnels, parallèlement aux efforts de la Bibliothèque métropolitaine pour définir son destin institutionnel. Dans la conjoncture historique de la décentralisation, l’Institut d’Etudes Orientales s’est vu transférer du Ministère de la Culture sous l’autorité de la Mairie de la Ville de Bucarest. La subordination étant atypique, la solution a été d’inclure l’Institut dans la structure de la Bibliotheque Métropolitaine de Bucarest. En fait, une nouvelle institution est apparue, puisque les nouvelles attributions de recherche scientifique s’ajoutaient aux objectifs traditionnels d’une bibliothèque de lecture publique. Effectivement nous sommes en présence d’un statut international nouveau, en Roumanie comme à l’etranger, raison pour laquelle nous sommes à la recherche de nouvelles formes d’expression, dont le Symposium de Bucarest est un exemple. De surcroit, au sein de l’organisation, la Bibliotheque Métropolitaine de Bucarest parcourt déjà une étape de récupération de ses propres origines et de redéfinition du statut dans l’ensemble des bibliothèques de lecture publique de Roumanie. A ses débuts, en 1831, la bibliothèque jouait un double rôle: celui de bibliothèque scolaire et celui de bibliothèque de lecture publique. C’est à present la plus ancienne bibliothèque de Roumanie. Tradition oblige, elle a XVIII Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III assumé la responsabilité de mettre en oeuvre la Bibliothèque numérique de Roumanie, aux cotés de la Bibliothèque de l’Académie, seul conservateur de la mémoire écrite roumaine. En outre, les destins de ces deux institutions se sont croisés dans le passé. Devenir conscients de la responsabilité exigée par le passé historique et assumer la fonction de recherche sont devenus les critères principaux dans la stratégie de développement de notre bibliothèque. Le passé historique nous oblige également aujourd’hui à clarifier sans l’ombre d’un doute le profil francophone de l’ensemble des bibliothèques nationales dans l’absence d’un modèle roumain. En général, la modernité de la Roumanie s’est forgée sur le modèle français, en particulier après la Rèvolution française. Evidemment les bibliothèques n’y ont pas fait exception. Chez les Roumains, la francophonie a une autre connotation par rapport à la définition du géographe Onesime RECLUS (1837-1916). La Roumanie n’a pas eu le statut de colonie. C’est un pays qui a adopté le modèle français de développement institutionnel et législatif durant tout le XIXe siècle. Ce modèle, on le retrouve encore à present. Pour conclure, en Roumanie, l’apprentissage du français n’a pas été une mode mais une nécessité. C’est pour cette raison que la IIIe édition du Symposium de Bucarest est entièrement dédiée à la francophonie, que nous offrons aussi le modèle du système français de bibliothèques par l’intermédiaire de la version roumaine de la revue Bulletin des bibliothèques de France, c’est la raison pour laquelle nous avons sollicité et reçu, en 2001, de la part du président de la Bibliothèque Nationale de France, à l’époque M. Jean Noel Jeanneney, le droit d’adapter aux réalités roumaines les modèles offerts par Gallica et le site BNF, c’est pour cette même raison que nous avons organisé dans notre bibliothèque des stages de formation professionnelle avec ADBS, animés par M. Marc Maisonneuve, que nous réalisons avec la Bibliothèque Publique d’Information un partenariat fondé sur l’évaluation de notre institution par 3 spécialistes français désignés par notre possible partenaire. Parallèlement à ces entreprises, nous sommes confrontés, comme tous les autres, aux défis du présent, ceux de la société du savoir et de la globalisation. Dans ce contexte les réactualisations et les souvenirs deviennent un fait quotidien. La bibliothèque a voulu être, depuis toujours, un symbole de la mémoire et, par conséquent, les bibliothecaires ont été et sont toujours conscients que la mémoire c’est du pouvoir. En vertu de cette évidence, un sylogisme affirme que seule la mort peut détruire la mémoire, alors la bibliothèque voudrait être en plus un instrument de la victoire contre la mort. Et pourtant, malgré tous ces symboles et en dépit du fait que les regards des bibliothécaires sont les miroirs de mondes disparus, présents ou possibles, la profession de bibliothécaire est un métier sans gloire. Les bibliothécaires Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III XIX semblent être punis par la grandeur du temps à se cacher dans la grandeur secrète de la profession. L’existence de la bibliothèque nous permet d’envisager le combat contre les urgences du temps par la conservation des témoignages du passé. Accessibles à quiconque, ces fragments du passé font leur entrée dans le présent par la force d’un retour de mémoire. Ce ne sont pas seulement les utilisateurs qui partagent l’illusion d’une parfaite liberté d’esprit, mais les bibliothécaires eux-mêmes qui disposent de tout un territoire de lecture et de recherche scientifique. A présent, lorsque les rêves du profit sans mesure se substituent aux rêves épiques, la technologie de l’information nous crée l’illusion de l’immortalité par ses promesses d’une voix commune et d’un espace unique disponible à nous tous. La virtualité entraine la permanence du présent. D’un présent soumis à une perpetuelle dynamique issue de la nature véritable du passé, où le présent lui-même prend sa source. Dans cette quête sont aussi entrainées les bibliothèques, mais il reste beaucoup de questions sans réponse. Nous savons suffisamment bien que le temps des prédictions et des héros homériques, héros repris de la culture orale justement par cette civilisation de l’imprimerie, vient de disparaître. En outre, à notre avis, il existe la certitude que les bibliothèques continueront d’être les espaces du travail intellectuel, de la recherche scientifique en particulier. Il y aura un espace commun de l’activité des bibliothèques, un espace qui exigerera des collaborations. Dans cette perspective, nous sommes profondément reconnaissants à tous les participants au Symposium Le livre. La Roumanie. L’Europe et c’est à leur égard que nous tenons à exprimer toute notre gratitude.

Dr. Florin Rotaru, Directeur de la Bibliothèque Métropolitaine Bucarest

TOME I section 1

– L’HISTOIRE ET LA CIVILISATION DU LIVRE –

– HISTORY AND BOOK CIVILIZATION –

IN TRODUCTION

Construction et réception du texte imprimé en Occident, XIVe–XXe siècle : le problème de la langue

FrÉdÉric Barbier*

Prolégomènes

Nous avons commémoré en 2008–2009 le cinquantenaire de la publication ayant marqué la fondation, en France, de ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle histoire du livre », L’Apparition du livre, de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin1. Depuis 1958, la recherche en histoire du livre est passée par un certain nombre de phases historiographiques successives, sur lesquelles il n’y a pas à s’arrêter ici sinon pour souligner le fait qu’une des tendances à long terme a consisté à envisager la manière dans le média (l’objet livre) réagissait avec le contenu textuel pour produire le message en tant que message destiné à être approprié par un certain lecteur. De fait, contrairement à ce qu’assure la théorie classique de la communication, le média n’est en rien transparent : dès 1964, Marshall Mac Luhan avait pressenti qu’il apportait un supplément d’information au message dont il assurait la mise en forme et la transmission2. Non seulement il conditionne bien évidemment la réception du texte, mais il encadre, voire oriente l’écriture elle-même, tandis que les conditions de fonctionnement de la branche d’activité des « industries polygraphiques » ont non seulement * Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (conférence d’« Histoire et civilisation du livre »), directeur de recherche au CNRS. 1 1958–2008 : cinquante ans d’histoire du livre. De L’Apparition du livre (1958) à 2008 : bilan et projets, éd. par / hg. von Frédéric Barbier, István Monok, Budapest, Orzságos Széchényi Könyvtár, 2009, 270 p. (« L’Europe en réseaux / Vernetztes Europa », 5). Frédéric Barbier, « Écrire L’Apparition du livre », postface à Lucien Febvre, Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, 3e éd., Paris, Albin Michel, 1999, p. 535–588. 2 Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, trad. fr., nelle éd., Paris, Seuil, 1977 (« Points »). 4 Frédéric Barbier pour effet de renforcer l’encadrement de celle-ci, mais jouent aussi sur la fixation de catégories très générales comme celles d’« auteur », de « texte », d’« original », d’« édition », de « classique », etc. L’histoire du livre, qui met en œuvre des savoirs et des méthodologies spécifiques, permet de contextualiser un certain nombre de phénomènes et de catégories souvent reçus comme des a priori. Le choix de la langue d’édition intervient à ce niveau, comme le montre éloquemment l’exemple de Sébastien Brant décidant, en 1494, de publier son recueil du Narrenschiff en langue vulgaire, c’est-à-dire en allemand3. La langue nous informe en effet sur un certain nombre de phénomènes de première importance: bornons-nous ici à mentionner les caractéristiques du public et leur évolution, les choix des États en matière culturelle et religieuse, les politiques éditoriales suivies par les libraires, ou encore l’histoire des techniques d’impression – avec le problème des caractères typographiques. Rien de surprenant, en définitive, si les historiens du livre ont entrepris depuis quelques années de préciser les conditions de production et de réception du texte imprimé en Europe aux époques moderne et contemporaine en privilégiant le fonctionnement des différentes langues d’impression les unes par rapport aux autres4. La thèse que je défendrai consistera à montrer que la structure du média encadre et détermine pour partie, à l’époque moderne, la construction et le fonctionnement des langues (notamment les langues vernaculaires) comme langues de la communication livresque. Cette structure encadre aussi les configurations changeantes prises par l’équilibre entre les langues de publication en Europe sous l’Ancien Régime et jusqu’à aujourd’hui, en même temps que les pratiques de lecture qui leur sont liées. Si le Moyen Âge occidental est dominé par l’exclusivité du latin comme langue écrite, la conjoncture change peu à peu, et le changement s’accélère avec les débuts de l’imprimerie: un siècle après la publication des deux volumes de la Bible à 42 lignes par Gutenberg, l’année 1555 marque une étape symbolique, qui voit la sortie du Mithridates, vaste traité consacré par le bibliographe Conrad Gessner aux langues et à leur diversité les unes par rapport aux autres.5 3 Frédéric Barbier, « La Nef des fous au XVe siècle : un projet de recherche », dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (ci-après HCL), 2007, III, p. 341–349. 4 Frédéric Barbier, dir., Les Langues imprimées, dans HCL, 4 (2008), p. 5–279. Des articles complémentaires, sur le cas de la Slovénie à l’époque moderne, sur les « lectures plurilingues » d’un noble de Bohême à l’époque des Lumières et sur l’édition en picard en France autour de 1900 figurent dans la cinquième livraison (2009) de la revue. 5 Conrad Gessner, Mithridate. Mithridates, éd. Bernard Colombar, Manfred Construction et réception du texte imprimé en Occident... 5

La problématique occidentale des langues écrites, puis imprimées, déploie successivement deux grands systèmes. D’abord, c’est le temps du latin comme langue livresque de référence, face auquel s’opère la montée progressive d’un certain nombre de langues vernaculaires. Le second moment est marqué par la présence de plus en plus massive de ces dernières, mais aussi par l’émergence des problèmes posés par leur juxtaposition et par leur concurrence, ainsi que par la diffusion des textes destinés a priori au plus grand nombre. La problématique de la langue est aujourd’hui plus que jamais d’actualité, alors que nous nous trouvons engagés à la fois dans des réorganisations politiques majeures (qui engagent l’identité d’un certain nombre d’États-nations), et dans la « Troisième révolution du livre »6 : la montée en puissance des nouveaux médias et les phénomènes liés à la mondialisation, rendent effet plus sensible la question de la langue, surtout par le biais d’Internet et s’agissant du rapport à l’anglais. Si le rôle des « nouveaux médias » n’est par sans conséquences sur les pratiques de l’écrit en général et sur l’usage de la langue en particulier, il n’y a pas de raison de penser qu’il a pu en être différemment lors des « révolutions » antérieures qui ont affecté les systèmes sociaux de communication : ainsi avec l’invention de la typographie en caractères mobiles, au XVe siècle, puis, sans doute, avec le passage progressif à la librairie de masse, à partir du dernier tiers du XVIIIe et au XIXe siècle.

1 – Latin et langues vernaculaires

Si, en Occident, la langue écrite de référence est, au Moyen Âge, le latin, l’irruption de la typographie en caractères mobiles au milieu du XVe siècle aura notamment pour effet d’introduire à la montée en puissance des langues vernaculaires. Les premiers inventeurs, à commencer par Gutenberg et par son entourage immédiat, travaillent d’abord à reproduire par un procédé mécanique ce qui existait déjà, à savoir des manuscrits le plus souvent en latin et destinés à une clientèle d’abord constituée de clercs, donc quantitativement limitée. Dans un second temps seulement, le glissement se fait, de l’innovation de procédé à l’innovation de produit : la

Peters, Genève, Droz, 2009 (« THR », CDLII). L’édition originale sort chez Christoph Froschauer à Zurich en 1555. 6 Les 3 [trois] révolutions du livre [catalogue de l’exposition du CNAM], Paris, Imprimerie nationale, Musée des arts et métiers, 2002 (Comité scientifique présidé par Frédéric Barbier). Les Trois révolutions du livre: actes du colloque international de Lyon/ Villeurbanne (1998), dir. Frédéric Barbier, Genève, Droz, 2001, notamment Frédéric Barbier, « D’une mutation l’autre : les temps longs de l’histoire du livre », p. 7–18. 6 Frédéric Barbier montée de la concurrence entre officines typographiques pousse dans les décennies 1470–1480 à rechercher de nouveaux marchés, et le recours à la langue vulgaire et aux auteurs contemporains apparaît rapidement comme susceptible de vastes développements7. La langue vulgaire dépasse le latin, en nombre de titres, dans la production française dès les années 1560, tandis que, d’après la bibliographie rétrospective, le phénomène ne sera régulier, pour l’allemand, qu’à partir de la fin du XVIIe siècle (1692). Bien évidemment, il convient de toujours prendre en considération la représentativité des indicateurs : les imprimés circulant dans un certain espace ne recouvrent pas absolument ceux qui y sont produits. Dans certaines régions, la lecture se fera à partir de produits « importés », comme c’est le cas dans une partie de l’Europe et jusqu’en Russie sous l’Ancien Régime, voire dans l’essentiel d’une province française écrasée par les presses parisiennes au XVIIIe siècle. Inversement, ces marchés « secondaires » se révèlent parfois plus propices à l’essor d’une production en langue vernaculaire, comme en Angleterre, mais aussi en Espagne ou en Bohême aux XVe et XVIe siècles. D’une manière générale, la critique des sources montre combien la statistique de la production imprimée et de ses composantes ne constitue, en principe, qu’un indicateur parmi d’autres sur la circulation réelle des textes et sur les processus de transferts en cours (par ex. par le biais des traductions). Le rôle de l’économie devient de plus en plus grand au fur et à mesure que les techniques évoluent et que l’investissement capitalistique se fait plus massif. Deux logiques se croisent, qui combinent leurs effets : 1) D’abord au niveau de la production. Le choix de la langue d’édition sera conditionné par les caractéristiques du marché potentiel eus égards aux investissements nécessaires. Dans la typographie d’Ancien Régime, le facteur le plus lourd concerne les fontes, autrement dit les caractères : il faut dessiner les modèles, puis faires graver les poinçons correspondants, frapper les matrices et effectuer les opérations elles aussi très onéreuses de la fonte elle-même. Or, l’alphabet latin classique n’est pas exactement celui utilisé en Occident et, selon les pays et les langues, il s’y ajoute un certain nombre de lettres spécifiques et de signes diacritiques (par ex. les accents en français) dont la fabrication est source de renchérissement8.

7 Frédéric Barbier, « L’invention de l’imprimerie et l’économie des langues en Europe au XVe siècle », dans HCL, 4 (2008), p. 21–46. 8 Cette problématique dérive de l’idée selon laquelle le texte écrit (ou imprimé) constitue comme la reproduction du discours oralisé, une des difficultés étant de savoir si l’on conserve ou non la trace de l’étymologie, c'est à dire de l’histoire des mots. Construction et réception du texte imprimé en Occident... 7

Cet impératif sera à l’origine de difficultés dès lors que le marché potentiel est trop limité (un cas remarquable est celui de l’albanais9, mais les études conduites sur la chronologie de mise en place et de diffusion des différents alphabets typographiques restent trop rares10 : des réflexions ont été conduites au XIXe siècle en Croatie pour élaborer un alphabet latin spécifiquement croate, « mais les ateliers où s’opérait la fonte des caractères [étaient hors] des frontières de la Croatie et il ne se trouva personne pour dessiner des lettres présentant ce profil particulier »11. Les alphabets autres que le latin, notamment le grec12, l’hébreu et le cyrillique, posent des problèmes spécifiques et s’inscrivent dans des conjonctures particulières. Enfin, bien entendu, le principe gutenbergien de l’analyse typographique est le mieux adapté aux écritures alphabétiques occidentales : l’emploi du média devient très compliqué dès lors qu’il s’agit d’imprimer des langues non alphabétiques comme le chinois. 2) L’impératif économique ne concerne pas seulement la fabrication, mais il se manifeste aussi au niveau de l’écriture elle-même : le phénomène, qui s’observe dès le XVe siècle, devient de plus en plus évident selon que l’on se rapproche de la période contemporaine13. Des libraires- imprimeurs de l’époque des incunables publient en effet des textes dont ils suscitent l’écriture en langue vernaculaire parce qu’ils pensent qu’ils seront susceptibles d’avoir du succès : ainsi de la Danse macabre diffusée par Guy Marchant à partir de 148514. Plus tard, au XVIIIe siècle, certains auteurs allemands se plaignent de la multiplication d’ateliers d’écriture et surtout de traduction qui ont été mis en place par les grands libraires 9 http://histoire-du-livre.blogspot.com/2010/08/reprenons-le-billet-dhier.html. 10 Juliette Guilbaud, « Drôle de caractères… De la codification typographique du hongrois (XVIe–XVIIe siècles) », dans La Codification. Perspectives transdisciplinaires, éd. Gernot Kamecke [et al.], diff. Genève, Droz, 2007, p. 73–85. 11 Trois écritures, trois langues…, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2004 [catalogue d’exposition], p. 77. 12 Jeang Iri oin, Les Débuts de la typographie grecque, Paris, Athènes, Sté Études néo-hellén., 1992; id., « La circulation des fontes grecques en Italie de 1476 à 1525 », dans Le Livre et l’historien [Mélanges Henri-Jean Martin], dir. Frédéric Barbier [et al.], Genève, Droz, 1997, p. 69–74. Raphaële Mouren, « Les débuts de la typographie grecque en Italie », dans Le Livre grec et l’Europe (XVe–XVIIIe siècle), dir. Frédéric Barbier, Revue française d’histoire du livre (ci-après RFHL), n° 98–99, 1998, p. 21–54. 13 L’Écrivain et l’imprimeur, dir. Alain Riffaud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. 14 Cf. notice dans La Capitale des livres. Le monde du livre et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXIe siècle [catalogue d’exposition], dir. Frédéric Barbier, Paris, Paris-Bibliothèques / PUF, 2007. 8 Frédéric Barbier désireux de profiter d’une conjoncture alors en pleine expansion – pratique décrite par le libraire berlinois Friedrich Nicolai dans son roman pour partie autobiographique de Sebaldus Nothanker15. Le phénomène de la production et de la traduction « à la ligne » s’accentue encore avec l’industrialisation. Aujourd’hui enfin, la « troisième révolution du livre » impose un impératif de rentabilité par des taux élevés à court terme, impératif auquel les caractéristiques de la production imprimée ne peuvent que très mal correspondre. Par ailleurs, l’essor des nouveaux médias renouvelle la problématique langue(s) dominante(s)/langues dominées, tandis que l’ensemble du « système livre » est peu à peu complètement restructuré. Certains intellectuels en tirent des conclusions pessimistes, comme c’est souvent le cas lorsqu’ils sont confrontés à une configuration nouvelle du système des médias : Et l’éditeur, à la fois accoucheur et entremetteur, à quel moment a-t-il disparu ? (…) Aujourd’hui [1972], [le] lien [qu’il assurait entre l’auteur et le lecteur] n’existe plus ; en Occident, la civilisation industrialo- commerciale attend de l’écrivain quelque marchandise propre à flatter le goût des masses et à l’Est [sous le régime communiste], des articles de mercerie politique, du tissu idéologique vendu au mètre16. Au total, l’économie des langues de la communication livresque ne peut d’abord se donner à analyser et à comprendre que par rapport à une économie plus générale de la « librairie ».

2 – Les politiques de la langue imprimée

Au-delà même de l’économie, les langues écrites, encore moins imprimées, ne sont jamais égales entre elles. En Occident, les langues anciennes sont d’abord réputées sinon « meilleures », du moins plus riches que les langues modernes, comme le théorise Guillaume Budé dans son Institution du prince17, et la conquête par la langue vernaculaire, en l’occurrence le français, du statut de langue à la fois savante et moderne, ne se fera que peu à peu. L’emploi éventuel de telle ou telle langue pour imprimer un certain livre est d’abord conditionné, sinon pratiquement imposé, par la tradition. 15 Friedrich Nicolai, Das Leben und die Meinungen des Herrn Magister Sebaldus Nothanker, vol. 1[3], Berlin, Stettin, bey Friedrich Nicolai, 1774–1776. 16 Sándor Márai, Mémoires de Hongrie, trad. fr., nelle éd., Paris, Livre de poche, 2008, p. 140. 17 Guillaume Budé, De l’institution du prince…, Imprimé à l’Arrivour, abbaye dudict seigneur, par maistre Nicole, Paris, 1547. Construction et réception du texte imprimé en Occident... 9

Même lorsque nous abandonnons très progressivement l’usage exclusif du latin comme langue de la communication écrite, les textes relevant de la théologie, voire du droit, restent très majoritairement en latin au XVIe et durant une partir du XVIIe siècle, comme le montrera encore l’exemple spectaculaire de l’Augustinus imprimé à Louvain en 164018 – une preuve que l’emploi du latin n’est alors nullement contradictoire avec un large retentissement de l’ouvrage.

Une promotion politique Mais la politique est elle aussi omniprésente dans le domaine de la langue d’édition. En France par exemple, la conquête de la modernité par la langue vernaculaire résulte d’abord d’un choix politique remontant au XIVe siècle, mais qui s’impose aux XVe et XVIe siècles19pour atteindre son couronnement avec la mise en place systématique d’une « administration des lettres » par Louis XIV et ses ministres, dans les dernière décennies du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. En 1676, François Charpentier défend le principe d’employer le français pour rédiger l’inscription du nouvel arc de triomphe du Faubourg Saint-Antoine à Paris, et il publie en 1683 son traité De l’excellence de la langue française (Paris, vve Barbin, 2 vol.). L’année suivante, des inscriptions en français sont substituées à celles en latin figurant sous les tableaux de Le Brun à la voûte de la Galerie des glaces de Versailles. Les Acta eruditorum sont publiés en latin par Leibniz à Leipzig à partir de 1682, mais, deux ans plus tard, c’est en français que Pierre Bayle lance son périodique des Nouvelles de la République des lettres, où il propose informations et commentaires sur les récentes parutions. Il explique : « la langue françoise est désormais le point de communication de toute l’Europe » (ce qui est sans doute en partie vrai, 18 Cornelius Jansenius, Cornelii Iansenii episcopi Iprensis Avgvstinvs. Tomvs primvs. In quo hæreses & mores Pelagij contra naturæ humanæ sanitatem, ægritudinem & medicinam ex S. Augustino recensentur ac refutantur. Cum duplici indice Rerum & S. Scripturæ, Lovanii, typis Iacobi Zegeri, Anno MDCXL [1640] (Collectio Quelleriana). 19 Geoffroy Tory, Champfleury, auquel est contenu l’art & science de la deue & vraye proportion des lettres attiques qu’on dit autrement lettres antiques, & vulgairement lettres romaines proportionnées selon le corps & visage humain, Paris, Geoffroy Tory et Gilles de Gourmont, 1529, 2°. Guillaume Postel, De Originibus, seu de Hebraicae linguae et gentis antiquitate, deque variarum linguarum affinitate liber…, Paris, D. Lescuier, 1538, 4°. Guillaume Postel est sensible à l’articulation entre la langue et le média lorsqu’il s’inquiète de la possibilité d’imprimer en caractères arabes : Linguarum duodecim characteribus differentium alphabetum. Introductio ac legendi modus longè facilimus…, Paris, Pierre Vidoue, pour Denis Lecuyer, 1538. Joachim du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue françoyse…, Paris, Arnoul L’Angelier, 1549. 10 Frédéric Barbier mais aussi en partie excessif). Enfin, la montée du français est théorisée par Charles Perrault en 1688, avec ses Parallèles des Anciens et des Modernes, tandis que le Dictionnaire de l’Académie française commence à paraître en 169620. Cette construction, qui est d’abord d’ordre politique, s’achève autour de 1700 avec le contrôle renforcé sur la « librairie » du royaume.

La langue de la modernité et de la raison La Révolution n’introduit pas ici une rupture, le français restant la langue de la raison et de la modernité, donc de la démocratie. Devant la Convention, l’abbé Grégoire identifie la langue « nationale » à la langue de la liberté et de la modernité que promeut le nouveau cours politique, et l’« anéantissement des patois », ces « jargons » qui représentent l’« idiome féodal », s’impose d’autant plus comme une nécessité à la fois politique et humaine que le système démocratique établit une adéquation entre espace public et choix de la majorité21: Pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le mécanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage. (...) Encourageons tout ce qui peut être avantageux à la patrie; que dès ce moment l’idiome de la liberté soit à l’ordre du jour, et que le zèle des citoyens proscrive à jamais les jargons qui sont les derniers vestiges de la féodalité détruite. (...) Nous ferons une invitation aux citoyens qui ont approfondi la théorie des langues pour concourir à perfectionner la nôtre, une invitation à tous les citoyens pour universaliser son usage. La Nation, entièrement rajeunie par vos soins, triomphera de tous les obstacles et rien ne ralentira le cours d’une révolution qui doit améliorer le sort de l’espèce humaine…22

20 Le Dictionnaire de l’Académie françoise, dédié au Roy…, Paris, veuve de Jean- Bte [II] Coignard, 1694, 2 vol. Cf. Paris capitale des livres, ouvr. cité, n° 81. 21 Abbé Henri Grégoire, Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française; séance du 16 prairial, l’an IIe de la république une et indivisible. Suivi du Décret de la Convention nationale. Imprimés par ordre de la Convention nationale…, [Paris], Imprimerie nationale, [1794], 8 ° (Collectio Quelleriana). 22 Barrère reprendra le thème dans son Rapport au Comité de Salut public sur les idiomes, le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) : « Parmi les idiomes anciens, welches, gascons, celtiques, wisigoths, phocéens ou orientaux, qui forment quelques nuances dans les communications des divers citoyens et des pays formant le territoire de la République, nous avons observé (…) que l’idiome appelé bas-breton, l’idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la Construction et réception du texte imprimé en Occident... 11

Aucune référence n’est faite, on le voit, à la problématique de l’identité, de sorte la domination du français comme langue internationale durant une grande partie de l’Ancien Régime et jusque dans la première moitié du XXe siècle fonctionne d’abord comme résultant d’un choix politique. C’est par le Journal des débats que les Décembristes reçoivent l’information dans leur exil d’Irkoutsk, et c’est par un article de L’Illustration que ce héros d’un roman hongrois apprend le succès du premier vol de Santos Dumont – et il n’y a pas de raison de penser que ces exemples ne soient pas représentatifs, bien au contraire23.

La tension de l’ouverture et du contrôle L’ouverture à un public plus large, par le biais notamment de la lecture en langue vernaculaire, provoque aussi des effets inattendus: tout un chacun, s’il sait lire, pourrait avoir accès à tous les textes disponibles, ce qui peut n’être pas nécessairement souhaitable24. Le concept de distorsion de code permet d’expliciter un certain nombre de ces processus et de leurs conséquences, par exemple à propos du succès inattendu des 95 thèses de Luther à Wittenberg en 1517 (en latin), ou encore de la crise engagée par la diffusion des Placards contre la messe à Paris en 1534 (cette fois en français)25. Dès la décennie 1470, certaines autorités s’efforcent donc de mettre en place des instances de contrôle susceptibles de limiter la transgression, et cette volonté d’encadrement s’accentue avec le déclenchement de la Réforme, puis de la Contre-Réforme. Toute la librairie d’Ancien Régime s’inscrit ainsi dans une double tension, entre d’une part libre circulation et contrôle des imprimés, et d’autre part les différentes instances susceptibles de s’approprier le contrôle (avec notamment la concurrence entre l’Église catholique, qui développe la censure et établit l’Index librorum prohibitorum, et les pouvoirs séculiers). Cette poussée vers le contrôle domination des prêtres, des nobles et des patriciens, empêché la Révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France… » 23 Miklós Bánffy, Vos jours sont comptés, trad. fr. par Jean-Luc Moreau, Paris, Phébus, 2010, p. 524. 24 L es textes sacrés posent ici un problème absolument central. Nombre de langues vulgaires sont d’abord imprimées dans le cadre d’éditions complètes ou partielles de la Bible. De même, la première Bible imprimée en Amérique du Nord est celle de John Eliot à Cambridge (Massachusetts) en 1661–1663, et elle est précisément imprimée en algonquin : Mamusse Wunneetupanatamwe Up-Biblum God…, éd. John Eliot, Cambridge, Samuel Green, Marmaduke Johnson, 1663. Eliot donnera aussi, en 1666, une grammaire indienne. 25 Frédéric Barbier, « Les codes, le texte et le lecteur », dans La Codification, ouvr. cité, p. 43–71. 12 Frédéric Barbier et vers l’encadrement du monde du livre est essentiellement liée avec l’élargissement du public des lecteurs par le biais de l’utilisation de la langue vernaculaire. Un des enjeux majeurs de la Contre-Réforme consiste à montrer que la modernité de la pensée n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre d’un encadrement précis des lectures: à la nouvelle Haute École de Eger (Erlau), en Haute-Hongrie, la Bibliothèque, dont la statistique des langues d’impression témoigne de la modernité, est surmontée en 1778– 1779 d’une fresque grandiose illustrant la séance du Concile de Trente au cours de laquelle est instituée la censure des livres.

3 – La hiérarchie des langues imprimées

L’accession d’une langue au statut de langue imprimée est étroitement corrélée avec sa reconnaissance comme langue de culture, et elle déplace par conséquent la hiérarchie entre les langues. Les langues de l’Antiquité classique sont d’abord réputées plus riches que les langues vernaculaires modernes avant que celles-ci, et d’abord le français, ne soient progressivement mises à niveau. Dans le même temps, l’essor du marché de l’imprimé dans les différentes langues vernaculaires pose dans des termes nouveaux la problématique de la traduction – pour laquelle la mise à disposition de bibliographies rétrospectives très développées donne aujourd’hui des outils de quantification et d’analyse particulièrement puissants. Les résultats des comptages peuvent en être combinés avec des études de cas, ces dernières permettant de préciser la typologie des phénomènes observés.

Les « langues sources » : deux exemples Si Sébastian Brant, professeur de droit à l’université de Bâle, choisit la langue vernaculaire pour publier en 1494 son Narrenschiff, c’est d’abord pour atteindre le plus grand nombre de lecteurs potentiels germanophones, mais aussi pour donner à l’allemand un statut de langue littéraire analogue à celui de l’italien. Trois ans plus tard, l’ouvrage est traduit (et largement adapté) en latin par Jakob Locher, dans une perspective d’où la politique éditoriale n’est pas absente : il s’agit de toucher aussi les lecteurs non germanophones, donc d’élargir la diffusion et de rentabiliser les investissements effectués notamment pour les xylographies. Et lorsque, en 1498, le Narrenschiff est traduit en français, c’est, pour des raisons de commodité, non pas sur la base de l’original, mais bien de sa version latine. Puis lorsque, dans un second temps, une version du texte sort en flamand, il s’agit d’abord d’une opération de librairie montée par le Parisien Guy Marchant en 1500 : la version de référence est cette fois le français – comme ce sera d’ailleurs le Construction et réception du texte imprimé en Occident... 13 cas pour la première traduction en anglais26. Soulignons la précocité de ce schéma non linéaire, qui fait passer de l’allemand au latin, puis du latin au français et du français au flamand et aux autres langues vernaculaires. Le statut du français comme langue source est inscrit dans le long terme, et ne commencera à s’affaiblir de manière significative qu’à partir du XIXe siècle, notamment face à l’allemand et de plus en plus à l’anglais. Pour autant, la prégnance du latin en tant que langue d’écriture et que langue imprimée constitue une constante remarquable27 : encore autour de 1700, à Constantinople puis à Saint-Pétersbourg, Demetrius Cantemir rédige plusieurs ouvrages en latin, dont son Histoire de l’Empire ottoman28. Son fils, Antiochus, essaie de publier ce dernier titre à Saint-Pétersbourg, mais il ne peut y parvenir, et l’ouvrage sortira d’abord dans sa version anglaise à Londres en 1735, avant d’être traduit et publié en français, puis en allemand. Entre le latin, l’anglais et les autres langues modernes, le livre de Cantemir illustre ainsi de manière idéaltypique un moment essentiel de renversement dans la conjoncture des langues d’impression en Europe. Ces glissements mettent en évidence le fait que les traductions ne reproduisent généralement pas le texte original, mais l’adaptent plus ou moins en profondeur en fonction de la version disponible, des connaissances du traducteur et du public visé par le libraire. Leurs effets à long terme peuvent être surprenants : voici le Narrenschiff devenu un objet de collection et figurant comme tel dans les grands catalogues d’amateurs et de bibliophiles français du XVIIIe siècle : le texte, qui sera considéré comme un monument de l’histoire littéraire allemande, est pourtant classé, même dans sa version française, sous la rubrique des « Poètes latins modernes » et non pas sous celle des « Poètes allemands ». Enfin, dans un nombre de cas non négligeable, la volonté de toucher un public élargi passe par l’édition, y compris à l’étranger, dans la langue internationale dominante. Le libraire éditeur joue dès lors le rôle d’initiateur : à compter de 1761, Friedrich Nicolai fait ainsi traduire et publier à Berlin en français un certain nombre de poèmes allemands du zurichois Salomon Gessner29.

26 Sebastian Brant, The Shyppe of fooles, London, Wynkyn de Worde, 6 juillet 1509. Voir : Aurelius Pompen, The English versions of the Ship of fools. A contribution to the history of the early Renaissance in England…, London, Longmans, Green & C°, 1925. 27 On sait par ailleurs que, en Hongrie, le latin restera langue officielle jusqu’en 1844. 28 Stefan Lemny, Les Cantemir : l’aventure européenne d’une famille princière au XVIIIe siècle, Paris, Éditions Complexe, 2009. 29 Salomon Gessner, La Mort d’Abel. Poème en cinq chants, traduit de l’allemand par M[ichel] H[uber], Paris, et se vend à Berlin, chez Frédéric Nicolai, 1761 ; id., Idylles et 14 Frédéric Barbier

Le rôle de la Réforme Le premier ensemble de textes traduits est historiquement constitué par le corpus des livres saints. La traduction de la Bible en langue vernaculaire, français d’oïl, allemand et un certain nombre d’autres langues, constitue un phénomène de masse en partie antérieur à la Réforme, mais que celle-ci amplifie et accélère. Une vingtaine d’éditions en allemand sortent avant la traduction de Luther à Wittenberg en 1522, et un abrégé du Nouveau Testament en français est imprimé par Barthélemy Buyer à Lyon dès 147630. Max Engammare nous donne la mesure précise de l’ampleur du phénomène : J’estime (…) la production de bibles [jusqu’en 1555] à un chiffre compris entre 3800 et 4300 éditions différentes (…) : environ 40 éditions hébraïques, 200 grecques et entre 1500 et 2000 latines (…). On trouve (…) 700 bibles allemandes, 230 anglaises, environ 300 néerlandaises et flamandes ; 540 bibles françaises, 80 italiennes, enfin environ 200 éditions dans d’autres langues. (…) Le tirage moyen variait entre 1000 et 1300 exemplaires31. Mais le développement de la Réforme dans les premières décennies du XVIe siècle, a aussi pour effet de figer, voire de bloquer les positions : le premier Index (1549) soumet à une autorisation explicite toute lecture de la Bible en langue vernaculaire, tandis que le contrôle des lectures par l’Église, systématisé par le Concile de Trente en 1564, peut avoir des conséquences négatives à long terme32. Inversement, l’avance des principautés poèmes champêtres, ibid., 1762 ; id., Daphnis et Le Premier navigateur. Poèmes…, ibid., 1765. Selon la pratique courante à l’époque, l’adresse parisienne est évidemment fausse. 30 La construction d’une science des textes s’appuie d’abord sur l’étude de la Bible, comme le montre l’exemple de la Polyglotte publiée à Alcalá à partir de 1514 : Biblia sacra. Vetus testamentum multiplici lingua nunc primo impressum: Pentateuchus hebraico, greco atque chaldaico idiomate. Secunda, tertia, quarta pars Veteris Testamenti hebraico, grecoque idiomate nunc primum impressa. Adjuncta unicuique sua latina interpretatione. Novum Testamentum grece et latine noviter impressum. Vocabularium hebraicum atque chaldaicum totius Veteris Testamenti cum aliis tractatibus, éd. Francisco Ximenez de Cisneros, [Alcalá], Arnaldus Guillelmus de Brocario [Arnao Guillén de Brocar], 1514–1517, 6 vol. 31 Max Engammare, « Un siècle de publication de la Bible en Europe : la langue des éditions des Textes sacrés (1455–1555) », dans Les Langues imprimées, ouvr. cité, ici p. 50–51. 32 Ces dispositions restent pratiquement en vigueur dans un pays comme l’Italie même après que Benoît XIV soit en partie revenu sur leur principe, ce qui suggère à Mario Infelise l’hypothèse d’un lien relativement étroit entre pratiques plus rigoureuses de Construction et réception du texte imprimé en Occident... 15 allemandes réformées dans le domaine de l’alphabétisation constitue un élément particulièrement favorable à la diffusion de la lecture en langue vernaculaire, y compris à l’étranger : un certain nombre d’intellectuels slovènes et croates a trouvé refuge, au milieu du XVIe siècle, auprès du duc Christoph v. Würtenberg, et ils fondent à Urach une imprimerie spécialisée dans la production destinée à l’exportation en italien, en slovène et en croate (1561), notamment des textes du réformateur Primož Trubar33.

Hiérarchie relative des langues d’impression L’exemple du Narrenschiff nous a montré que, très vite, le latin n’est plus la seule langue source, bien qu’il reste la principale. Le français joue souvent ce rôle, mais, en France même, l’espagnol et surtout l’italien fonctionnent aussi comme des langues de référence jusqu’au XVIIe siècle – la présence de grands libraires italiens établis en France et en Angleterre34, de même que la composition de certaines bibliothèques privées35 en témoigneront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les raisons de cet intérêt sont notamment d’ordre politique, qui expliquent aussi, à la même époque une certaine diffusion de la littérature espagnole en Bohême36. Mais le développement technique et la montée des impératifs capitalistiques ont aussi pour effet de donner un poids de plus en plus grand aux facteurs objectifs et à l’importance du marché potentiel de chaque langue. Ainsi, pour Sándor Márai, le relatif retard qui est celui du marché du livre en Hongrie par rapport à l’Europe occidentale jusqu’au milieu du XIXe siècle vient-il en partie de la spécificité de la langue hongroise, qui a pour effet d’effet d’isoler un marché magyarophone en définitive trop étroit. L a langue hongroise (…) n’était pas encore établie ni cataloguée (…). En scrutant les couches profondes de sa langue – une langue qui semblait contrôle et relatif retard du côté non seulement de la production imprimée, mais surtout de la lecture (l’Italie contemporaine est « un pays qui ne lit pas »). Cf. Libri per tutti. Generi editoriali di larga circolazione tra antico regime et età contemporanea, éd. Lodovica Braida, Mario Infelise, Torino, Utet Libreria, 2010. 33 Quoiqu’imprimés à Urach, les volumes portent parfois l’adresse de Tübingen. Cf. Trois écritures, trois langues…, ouvrage cité, p. 42 et suiv. 34 Jean Claude Molini est né à Livourne en 1724, et ses frères sont libraires à Florence et à Londres. Lui-même vient à Paris vers 1753, où il réussit à s’établir comme libraire en 1766. 35 Ainsi de Crébillon, ancien censeur royal, qui rangeait à part dans sa bibliothèque ses livres en italien. Cf. Notice des principaux articles de la bibliothèque de feu M. Joliot de Crébillon, censeur royal…, Paris, P.F. Gueffier, 1777. 36 Jaroslava Kašparova, « La littérature espagnole et ses lecteurs tchèques de XVIe et XVIIe siècles », dans RFHL (dir. Frédéric Barbier), 2001, n° 112–113, p. 73–104. 16 Frédéric Barbier

parfois accuser un retard de plusieurs siècles –, le poète hongrois ne trouvait pas toujours les mots adéquats pour désigner les phénomènes nouveaux. Au XXe siècle même, les écrivains hongrois lisaient toujours avec l’avide curiosité de celui qui a pour tâche urgente de combler un retard dû à des siècles de solitude et de silence, de remédier à ce manque d’air que constituait la pauvreté relative du vocabulaire…37 À l’inverse, la période contemporaine (depuis la fin du XVIIIe siècle) est caractérisée par la montée en puissance de langues qui viennent concurrencer le français comme langues internationales. Laissons de côté le cas de l’anglais, qui demanderait une étude spécifique, pour nous arrêter à l’allemand, langue vectrice dans une grande partie de l’Europe médiane et septentrionale, et jusqu’en Russie, mais aussi, au XIXe siècle, langue savante dans des pays comme la France et l’Espagne38. On publie d’abord en français et en allemand à Saint-Pétersbourg au XVIIIe siècle, tandis que les progrès de la recherche et de l’érudition allemande expliquent l’influence de la littérature scientifique allemande en France au XIXe siècle39. L’essor du Reich wilhelminien après 1870 s’accompagne d’un développement exceptionnel des exportations de librairie allemande, par exemple vers le monde hispanophone : moins de 900 000 Marks d’exportations en 1890, mais près de 2 millions en 191340. Les exportations sont encore plus dynamiques vers les grands marchés occidentaux représentés entre autres par la France, mais surtout par les Etats-Unis.

4 – Langues imprimées et identité collective

La promotion du vernaculaire comme langue imprimée passe aussi, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, par le biais d’un investissement

37 Sándor Márai, Mémoires de Hongrie, trad. fr., nelle éd., Paris, Livre de poche, 2008, p. 139–140. 38 Frédéric Barbier, L’Empire du livre : le livre imprimé et la construction de l’Allemagne contemporaine (1815–1914), préf. Henri-Jean Martin, Paris, Éditions du Cerf, 1995. 39 Frédéric Barbier, « Pour une anthropologie culturelle des libraires : note sur la librairie savante à Paris au XIXe siècle », dans Une Capitale internationale du livre : Paris, XVIIe–XXe siècle, dir. Jean-Yves Mollier, Genève, Droz, 2009, p. 101–120 (HCL, 2009, V). 40 Bien entendu, il convient aussi de tenir compte de l’importance de l’émigration allemande, notamment outre-mer. Les statistiques viennent d’être reprises par Álvaro Caballos Viro, Editiones alemanas en español (1850–1900), Madrid, Iberoamericana ; Frankfurt-a/Main, Vervuert, 2010. Construction et réception du texte imprimé en Occident... 17 massif en terme d’identité collective, laquelle s’articule de manière privilégiée avec l’affirmation des nouveaux États-nations.

Le modèle allemand Ce sont les professionnels allemands de la librairie qui, les premiers, théorisent alors l’articulation entre la langue, la « librairie » et la nation: la langue est au fondement de la collectivité, il faut donc lui donner les outils nécessaires pour qu’elle puisse exister et se développer en tant que langue de culture permettant l’existence d’une littérature nationale41. Le premier de ces outils réside dans une « librairie » à la fois autonome et aussi efficace que possible. Parmi les publications stratégiques sur lesquelles s’appuie la réalisation de cet objectif figure l’édition d’usuels de travail et de bibliographies : à partir de 1765, Friedrich Nicolai publie le périodique de l’Allgemeine deutsche Bibliothek qui, jusqu’en 1806, donnera des recensions critiques de quelque 80 000 titres allemands42, et ce modèle se développera au XIXe siècle. Si ce schéma est d’origine allemande43, le poids du marché allemand du livre, l’existence de minorités germanophones, le rôle d’instances politiques comme celles de Vienne, le rôle aussi des cursus universitaires effectués en Allemagne par les étudiants étrangers expliquent qu’il se diffuse au XIXe siècle dans les territoires des États des Habsbourg, et au-delà.

Les môles de l’identité La promotion de la langue nationale comme langue de culture livresque s’accompagnera du développement d’une production littéraire propre, laquelle sera notamment d’ordre scientifique et normatif (les études de linguistique, les dictionnaires de la langue ou les dictionnaires plurilingues), informatif (les encyclopédies nationales), littéraire (la littérature nationale et ses collections) ou scolaire (les manuels). Les périodiques en langue vernaculaire constituent un domaine qu’il serait particulièrement important d’envisager de manière à la fois comparative et systématique. Cette

41 Friedrich Christoph Perthes, Der Deutsche Buchhandel als Bedingung des Daseins einer deutschen Literatur, Hamburg, Perthes, 1816. Frédéric Barbier, « Entre Montesquieu et Adam Smith : Leipzig et la société des libraires », dans RFHL, 2001, n° 112–113, p. 149–170. 42 Günther Ost, Friedrich Nicolais Allgemeine deutsche Bibliothek, Berlin, 1927 (« Germanische Studien », 63). 43 Frédéric Barbier, « Habermas et l’éditeur, ou Qu’est-ce que la médiatisation », dans Buchkulturen. Festshcrift für Reinhard Wittmann, éd. Monika Estermann, Ernst Fischer, Ute Schneider, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2005, p. 37–57. 18 Frédéric Barbier promotion passe aussi par l’existence fréquente d’un alphabet spécifique, dont la charge identitaire est particulièrement importante : c’est ce que démontre a contrario une personnalité aussi éminente que l’économiste Michel Chevalier, dans son Rapport publié à la suite de l’Exposition parisienne de 1867. Il y souligne l’avantage qu’il y aurait, d’après lui, à généraliser l’emploi de l’alphabet latin : Pourquoi l’empire de Russie ne ferait-il pas de bonne grâce le sacrifice de ses caractères, qui l’isolent des autres peuples civilisés ? Les Allemands, à plus forte raison ne peuvent attacher un grand prix à conserver, dans leur correspondance, le système d’écriture [le gothique manuscrit] qui leur est particulier. Viendrait-il des objections de la Turquie ? Dans cet empire, il semble qu’on soit décidé à faire un effort suprême pour entrer dans le giron de la civilisation occidentale ; on sent que la question ici est d’être ou de n’être pas. La mesure indiquée (…) ne pourrait qu’aider le gouvernement ottoman à atteindre le but qu’il poursuit (…). À l’égard des Chinois, le changement d’écriture serait radical. Mais aussi, quelle féconde révolution ! Le système d’écriture de la Chine est, par son effroyable complication, une des causes qui contribuent le plus à retarder ce pays. L’écriture des peuples occidentaux, si simple, si aisée à comprendre et à pratiquer, abrègerait de plusieurs années l’éducation des individus dans ce populeux empire, et leur faciliterait l’accès des trésors de la science européenne (…). Avec les orientaux, il est indispensable, plus qu’avec d’autres, de persévérer, parce que chez eux la force d’inertie est excessive…44

44 Michel Chevalier, Rapports du jury international…, Paris, Paul Dupont, 1868, 13 vol., t. I, p. DVIII-DIX (on appréciera au passage certains des commentaires proposés comme des évidences par Michel Chevalier). La question réapparaît à l’occasion de la présentation dans l’exposition des caractères typographiques, mais avec des connotations beaucoup plus marquées par l’identité nationale : « Il est assez fréquent d’entendre dire que le plus beau caractère d’imprimerie est celui dont se servent les Anglais, et que les Allemands, en le leur empruntant plutôt que de prendre le nôtre, portent témoignage en leur faveur. Mais, d’abord, il n’est pas tout à fait exact de dire que les Allemands ne se servent que du caractère anglais (…), et rien, en outre, n’autorise à déclarer que les types de l’Angleterre (…) soient les plus beaux qu’on ait dessinés, gravés et fondus (…). Si on veut absolument trouver quelle est la différence du caractère français aux caractères de l’Angleterre et de l’Allemagne, on finira par voir que nous avons en général les lettres moins larges que les Anglais et moins hautes que les Allemands. Nos lignes, dans les beaux ouvrages, ont un air moins lourd et moins noir. (…). Et pour nos fleurons et nos vignettes, ni l’Allemagne ni l’Angleterre n’approchent de ce que nous savons faire… » (Rapports…, t. II: groupe II, classe 6). Construction et réception du texte imprimé en Occident... 19

Le passage d’un système d’écriture à l’autre constitue un phénomène très rare : l’Allemagne abandonnera effectivement, à terme, la typographie et l’écriture en gothique, tandis que la Turquie nouvelle fondée par Atatürk au lendemain de la catastrophe de la Première Guerre mondiale adoptera en effet un alphabet latin très peu aménagé (1928). Mais nous sommes, avec Michel Chevalier, dans l’ordre d’une utopie du libre-échange des idées et des savoirs, et l’auteur méconnaît le poids symbolique qui peut être celui du système d’écriture et de la « librairie » pour la construction de l’identité collective, en même temps que de tout ce qui peut relever de la problématique des lieux de mémoire. Le statut de la langue et de la littérature « nationales » est renforcé par la mise en place d’un certain nombre d’institutions de légitimation, dont l’un des modèles historiques de référence est donné dès le XVIIe siècle par l’Académie française. Une place à part sera faite aux bibliothèques nationales, en charge de la conservation de la production imprimée « nationale » et, souvent, du travail de la bibliographie courante et rétrospective45. Cette manière de mise en scène de la langue et de ses productions se prolonge dans le domaine de l’urbanisme, avec le bâtiment de la Bibliothèque nationale et son décor, voire, plus rarement avec la construction de musées de la langue46 dans lesquels la place de l’écrit et de l’imprimé est centrale. Mentionnons enfin l’organisation d’événements spécifiques, et notamment d’expositions commémoratives faisant elles aussi une place plus ou moins grande aux livres et à la langue. Pratiquement trente ans après la signature du Compromis fondant la double monarchie (1867), la Hongrie organise à Budapest une exposition grandiose destinée à commémorer le millénaire de la fondation du royaume (1896). Il s’agit, certes, de mettre en scène le développement de la Hongrie contemporaine, mais aussi de l’asseoir dans la continuité d’une tradition historique dans laquelle le livre, la langue et la littérature occupent une position clé47. Le modèle le 45 Les Bibliothèques centrales et la construction des idéentités collectives, dir. Frédéric Barbier, István Monok, Leipzig, Leizpiger Universitätsverlag, 2005 (« Vernetztes Europa », 3). La définition même de la bibliographie nationale reste changeante, en particulier dans le cas où la géographie politique a subi des variations plus ou moins importantes au cours de l’histoire et où elle ne se superpose pas à la géographie linguistique. C’est ainsi que la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest a pour charge de réunir et de conserver les Hungarica, lesquels désignent les livres publiés en hongrois, ou par des auteurs hongrois, ou encore traitant, même très ponctuellement, de la Hongrie historique. 46 Un exemple contemporain est donné par le Musée de la langue à Czéphalom (Hongrie). 47 Az Ezeréves Magyarország ésa millenium kiállitás. Millénaire de la Hongrie 20 Frédéric Barbier plus accompli de ces entreprises de commémoration est cependant donné par le Reich wilhelminien et par la ville de Leipzig, où se concentrent les institutions et les fondations relatives au livre, à la littérature et à la langue allemandes : le Musée allemand du livre et de l’écriture (Deutsches Buch- und Schriftmuseum) est fondé en 1884, la Bibliothèque nationale allemande commence à être construite en 1910 et, en 1914, c’est l’ouverture de la bugra, la plus grande exposition jamais réalisée sur le livre et sur l’histoire du livre. Ces institutions, ces monuments et ces événements spectaculaires constituent autant de lieux de mémoire qui tous ont pour objectif de célébrer la nation moderne, prioritairement appuyée sur sa langue et sur sa littérature, et dont le média privilégié est celui de l’imprimé.

Épilogue

L’articulation (pour ne pas dire l’identification) de la langue et de la nation pose cependant sur le plan historique deux problèmes plus spécifiques. D’abord, la construction de nationalités qui sont d’abord des nationalités culturelles (Kulturnation) et linguistiques s’articule souvent, à la fin de l’Ancien Régime, avec un projet politique plus ou moins libéral : en promouvant la culture et la participation du plus grand nombre, on vise ipso facto à renverser un ordre considéré bientôt comme celui de l’Ancien Régime, et une grande partie de la problématique du XIXe siècle sera engagée par l’articulation ainsi mise en place entre culture et politique. Cette ambiguïté est encore accrue à cause de l’acception spécifique qui est celle du terme de « nation » en français sous la Révolution. Une seconde difficulté, peut-être plus sensible, vient de l’a priori qui fait considérer l’existence de la nation comme un impératif en quelque sorte donné par nature : nous voici trop souvent dans l’ordre d’une tautologie qui veut que la nation existe en principe et que (la métaphore est significative), si d’aventure elle était « endormie », il ne s’agirait que de la « réveiller » (« L’éveil des nationalités »)48. L’historien n’a pas à juger et l’Exposition nationale. The Millenium of Hungary and the National exhibition. Das tausendjährige Ungarn und die Milleniums-Austellung, Budapest, 1896, 2 vol. Frédéric Barbier, « Le livre exposé : le livre et les bibliothèques dans les expositions universelles, 1850–1914 », dans Les Bibliothèques centrales et la construction des identités collectives, ouvr. cité, p. 296–324. 48 Michaël Wögerbauer a proposé comme alternative l’emploi du concept de « vernacularisation » : Michael Wögerbauer, « la vernacularisation comme alternative au concept d’« éveil national » ? L’exemple de la Bohème », dans Les Langues imprimées, ouvr. cité, p. 149–173. Construction et réception du texte imprimé en Occident... 21 de la pertinence de ces considérations, mais l’historien du livre sait que l’organisation de collectivités nationales n’est pas un effet de nature, mais bien un effet de culture qu’elle demande à être contextualisé : l’approche comparatiste montre que le statut, le rôle, les pratiques et les représentations des différentes langues d’impression changent très profondément en fonction des contextes eux-mêmes différents par rapport auxquels ils se définissent. De sorte que la trajectoire des langues d’impression nous informe directement et très puissamment sur les modalités selon lesquelles les processus d’identité collective fonctionnent au cours de l’histoire – et selon lesquelles les réorganisations aujourd’hui en cours pourraient ou non se développer. Oubli d’une écriture, mort d’une langue – résurrections par l’imprimé ? Le cas du glagolitique et du vegliote, île de Veglia/Krk (XIXe–XXe siècles)

DANIEL BARIC

L’histoire des îles de l’Adriatique constitue à certains égards un angle mort de la recherche historique sur l’Europe du Sud-Est. Si les centres urbains ont suscité l’intérêt des historiens, les îles ont plus souvent été étudiées, décrites et présentées par des érudits locaux, qui ont retracé l’histoire de leur village ou bien de leur île d’origine dans son entier, mais à partir de sources locales. Ces patients travaux, pionniers et utiles, fournissent matériau et pistes de recherche pour une histoire qui replace l’île dans un plus vaste contexte, plurilingue et pluriculturel. L’île qui porte le double toponyme de Veglia en italien et Krk en croate n’est pourtant pas un minuscule confetti perdu dans la mer Adriatique, puisqu’il s’agit de la plus grande terre émergée dans ce bassin de la Méditerranée, avec une surface de 405 km2. Après une longue période de déclin démographique entamée à la fin du XIXe siècle, lorsqu’elle compte plus de 22 000 habitants, l’île est aujourd’hui habitée de quelque 17 000 insulaires, sans compter les nombreux estivants. Le reflux démographique est dû aux dommages subis par le phylloxéra et la concurrence des vignobles italiens, alors que la viticulture assurait jusqu’alors à l’île, dont la population était alors largement agricole, de substantiels revenus. La position géographique de l’île en fait un territoire propre à l’examen de tendances à la fois modernisatrices, venues pour certaines du continent, et conservatrices, en ce qu’elles ont contribué à maintenir intactes certains traits, en particulier culturels, qui ont disparu sur la terre ferme. Très proche de la côte en effet, à laquelle est elle est directement reliée depuis 1980 Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 23 par un pont de près de 1500 mètres, ce territoire avait néanmoins conservé par sa position insulaire un relatif isolement. Les conditions sociales et culturelles reflétaient les évolutions économiques et politiques visibles sur la terre ferme, mais son éloignement lui permit de garder plus longtemps des traits anciens dans la vie religieuse et dans les usages linguistiques, qui lui confèrent un caractère de conservatoire du passé, qui fut précisément reconnu pour tel au cours des XIXe et XXe siècles. Située à la jonction entre monde latin et slave, insérée dans le monde habsbourgeois dominé par la cour de Vienne à partir de 1815 jusqu’à la fin de la première Guerre mondiale, l’histoire linguistique de l’île est singulière. D’autant plus que les systèmes d’écriture mis en place à l’époque médiévale, avec l’introduction de l’écriture glagolitique dans un contexte liturgique slave catholique, qui continue à être tolérée par le Vatican, qui favorise pourtant l’usage de l’alphabet latin, lui assurent une pluralité de systèmes graphiques, bien que de plus en plus menacée, jusqu’en plein XIXe siècle. Au gré des changements politiques qui affectent la vie insulaire sur deux siècles, se développent des stratégies de sauvetage de ce qui apparaît progressivement comme un patrimoine écrit à répertorier et publier, alors que les moyens mis à disposition par les développements de l’imprimerie permettent justement de mettre en avant cette production écrite, qui acquière une place particulière selon les contextes politiques et culturels, qui n’est en rien neutre, en dépit du nombre très restreint de lecteurs véritablement en mesure de lire ces livres. Parallèlement se développe un intérêt scientifique pour une langue romane en voie disparition, qui n’est plus parlée que sur cette île à la fin du XIXe siècle. La mobilisation savante est dans ce cas du côté des habitants de langue italienne. Dans les deux cas, produire des imprimés sur ces sujets peut susciter des réactions qui dépassent de loin le cercle des amateurs, car une visée pratique, non dénuée de sens politique, n’est pas absente des efforts des auteurs de livres sur ces sujets, ou du moins de certains de leurs lecteurs.

1. Une écriture comme enjeu politique et culturel pour les Slaves catholiques, le glagolitique

Comme ailleurs sur la côte adriatique de l’empire des Habsbourg, la population de langue italienne est présente avant tout dans les centres urbains, alors que les Slaves du Sud, en l’occurrence les Croates, habitent les zones rurales. Ainsi le chef-lieu de l’île, Veglia, est majoritairement peuplé d’italophones. Ce n’est que durant les toute dernières décennies du XIXe siècle que les Croates occupent progressivement ici, comme Istrie 24 DANIEL BARIC plus au nord et en Dalmatie au sud, des postes dans l’administration et qu’ils commencent à exercer en nombre des professions libérales. A ce titre, le parcours des frères Ivan Josip (1806–1877) et Dinko Vitezić (1824–1904) semble exemplaire. Tous deux issus du village de Vrbnik sur la côte orientale de l’île, ils gravissent les échelons de leurs carrières dans des vois différentes, mais se retrouvent pour la promotion de thèmes que chacun d’eux défend. Ivan Josip Vitezić est formé à Vienne, passe par la capitale administrative de la Dalmatie autrichienne Zara/Zadar, où il est conseiller pour les affaires religieuses auprès du gouverneur, avant d’être nommé à la tête de l’évêché de Krk. Il fait dès lors de l’ouverture d’un lycée où la langue d’enseignement serait le croate son cheval de bataille, à l’heure où l’enseignement se fait en italien, même dans des localités où le croate est la langue maternelle de l’immense majorité des élèves. Il participe au premier concile du Vatican en 1869–1870, où il fréquente un autre délégué croate, l’évêque Josip Juraj Strossmayer, qui développe à ce moment-là en Croatie continentale de nombreuses activités qui ont pour but de rapprocher les Slaves du Sud, c’est-à-dire dans une visée œcuménique également les catholiques et les orthodoxes, notamment en participant à la fondation d’une Académie à Zagreb (Academia scientiarum et artium Slavorum meridionalium), qui commence dès sa fondation en 1866 à éditer des séries d’ouvrages scientifiques. Membres tous deux de la Diète provinciale d’Istrie à laquelle est rattachée leur île natale, les frères Vitezić sont des bibliophiles. Dinko crée en 1898 en souvenir de son frère une bibliothèque d’étude dans leur demeure familiale à Vrbnik, qui est ouverte au public depuis 1910, et fonctionne jusqu’à nos jours. L’évêque Ivan Josip fait rénover certains lieux de culte, en particulier l’église Sainte- Lucie à Jurandvor et il encourage à cette occasion le développement des connaissances sur les inscriptions en glagolitique trouvées dans l’église. Dinko, devenu avocat après avoir fréquenté des écoles de langues italienne et allemande, représentant au Parlement de Vienne entre 1874 et 1881, continue à plaider comme son frère pour l’ouverture d’un lycée en langue croate, qui voit finalement le jour à proximité du chef-lieu de l’île, à titre privé, sur l’îlot de Košljun qui se trouve sous l’autorité des franciscains1. En une vingtaine d’années, de 1890 à 1911, jusqu’à l’ouverture d’un lycée en langue croate à Krk, où ne subsiste plus qu’un dernier lycée de langue italienne sur l’île, le système scolaire bascule complètement d’une prédominance italienne à une prédominance croate, du moins pour ce qui 1 L’un des élèves qui fréquenta l’établissement, Vjekoslav Štefanić (1900– 1975), lui-même originaire de l’île Krk, est devenu un spécialiste de paléographie glagolitique (cf. la bibliographie en fin d’article). Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 25 est du degré élémentaire, comme du reste dans les autres régions du littoral au sud de l’île. Depuis les premières décennies du XIXe siècle, des érudits locaux, ecclésiastiques pour nombre d’entre eux, avaient commencé à prendre de l’intérêt aux inscriptions médiévales en slavon qu’ils trouvaient éparpillées sur toute l’île, notamment sur les linteaux de porte et les pierres tombales et se rendaient compte que les documents manuscrits rédigés en lettres glagolitiques que recelaient les archives paroissiales méritaient assurément d’être étudiées par des historiens. Antun Dragutin Parčić (1832–1902) fut un de ceux qui contribuèrent à ce mouvement de redécouverte et de diffusion des connaissances sur les documents glagolitiques2. Né à Vrbnik lui aussi, dans un milieu où la tradition glagolitique restait bien conservée et où l’on conservait livres et archives en glagolitique, il est allé à l’école dans un monastère franciscain situé sur la côte occidentale de l’île, à Glavotok. Après des études de théologie à Zadar en Dalmatie, c’est dans ce même monastère que quelques décennies plus tard, dans les années 1871–1876, il monte une imprimerie, Serafinska tiskara, l’imprimerie séraphique, qui marque par sa dénomination son ancrage franciscain. L’entreprise relève à ses débuts davantage du bricolage individuel que du projet institutionnel largement soutenu. Il réussit en effet à remettre en état de marche une ancienne machine à imprimer trouvée dans une décharge à Rijeka. Il fabrique par ailleurs lui-même les fontes et tous les ustensiles nécessaires à l’impression de livres, qui sont pour certains d’entre eux, les fruits de sa propre production écrite : poèmes et traductions (le livre I de L’Enfer de Dante), mais aussi livres liturgiques. Or depuis la moitié du XVIIIe siècle, les missels n’étaient plus imprimés en glagolitique. Antun Dragutin Parčić développe donc plus qu’une fascination pour une écriture tombée peu à peu en désuétude, connue et pratiquée par un cercle de plus en plus restreint ; il cherche de fait à replacer les ouvrages en glagolitique dans leur environnement concret et premier, dans l’usage liturgique quotidien. Il avait été question d’aller en ce sens en 1869, à l’occasion du millénaire de la mort de saint Cyrille. On attribue généralement aux disciples des frères Cyrille et Méthode, originaires de Salonique, l’invention de l’alphabet cyrillique dans le but de transcrire les Évangiles en slavon, mais celle du glagolitique est estimée antérieure, et du reste cet alphabet pouvait être désigné au Moyen Age à bon droit comme l’alphabet cyrillique, puisqu’il semble avoir été inventé avant, à partir des lettres grecques cursives, alors que le cyrillique 2 Pour les renseignements donnés ci-après, voir les contributions réunies par DEROSSI, Julije. 2003, Zadarska smotra (Zbornik Dragutin Parčić) [Revue de Zadar (Recueil d’articles sur Dragutin Parčić)], XLII, vol. 3. 26 DANIEL BARIC s’est développée à partir des lettres grecques onciales3. Mais c’est l’élection de Léon XIII en 1878 sur le trône de saint Pierre qui donne à l’entreprise un nouvel élan. Lui qui dans son encyclique de 1880 « Grande munus » proclame Cyrille et Méthode saints de l’ensemble de la Chrétienté, donne son accord pour l’impression de nouveaux livres liturgiques en slavon, mais se pose alors la question de l’alphabet utilisé : latin, cyrillique ou glagolitique ? Parčić se fait l’avocat de la tradition de siècles d’impression en slavon glagolitique4, mais il sait que cet usage n’est que toléré par l’Église depuis le milieu du XVIIIe siècle. Là où une langue est déjà traditionnellement en usage dans la liturgie, elle n’a pas à être supplantée par le latin, mais il ne faut pas, dans l’esprit de cette décision, que cet usage se répande. Or tout autre est le point de vue de diplomates, qui commencent à s’intéresser de près à cette question typographique. La question intéresse en effet la diplomatie autrichienne, si bien que notes et mémoires se succèdent entre chancelleries monténégrine, autrichienne et russe. Le glagolitique satisfait finalement Autrichiens et Russes. L’ambassadeur autrichien auprès du Saint-Siège peut informer le vice-consul d’Autriche au Monténégro que cet imprimé en glagolitique approfondira le fossé entre catholiques et « schismatiques », ceux qui sont habitués à lire du cyrillique ne pouvant pas déchiffrer le glagolitique. Une note adressée à Léon XIII de la part des autorités autrichiennes souligne que la liturgie en slavon imprimée en caractère glagolitiques a toutes les chances de disparaître d’elle-même. Le Monténégro, qui fait partie des régions concernées par cet imprimé pour les catholiques de la côte adriatique, doit en recevoir des exemplaires et les autorités de la principauté ont demandé dans un premier temps une édition en cyrillique, avant que sous l’influence de diplomates russes, qui s’inquiétaient de la possible propagation de la liturgie catholique au- delà des seuls catholiques auprès de la majorité orthodoxe, demandèrent une impression en glagolitique, que bien peu d’orthodoxes pouvaient déchiffrer. En 1886, lors de l’établissement du concordat entre le Vatican et le Monténégro, il avait été en effet établi que l’usage du slavon devait être autorisé dans la liturgie catholique, ce que la Russie avait fait demander, en espérant de la sorte rapprocher les catholiques des orthodoxes. Ce n’est qu’après l’impression des trois premières centaines d’exemplaires en

3 VINOKUR Grigorij Osipovič. 1947, La Langue russe (trad. de Yves Millet, éd. originale Moscou, 1945), Paris : Institut d’études slaves, p. 29-31. 4 Les premières imprimeries dans l’espace croate ont précisément commencé à fonctionner dans la région de l’île de Krk avec des fontes glagolitiques : une imprimerie était installée à Senj, qui se trouve juste en face l’île, de la fin du XVe (1494) au début du XVIe siècle. Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 27 glagolitique que l’on s’est rendu compte cependant que la grande majorité des catholiques monténégrins n’étaient de fait pas même en mesure de comprendre le slavon à l’oral, étant albanais, et non croates. Ce Missel est édité en 1893 par les soins de Parčić d’après des manuscrits du XIVe siècle, dont les aspects russes ont été soigneusement éliminés, à l’Institut Saint-Jérôme (Collegium Hieronymium) de Rome établi pour accueillir les catholiques de Croatie5. C’est donc à Rome, dans les pièces qu’il occupe en tant que chanoine de cet institut auquel il est rattaché depuis 1876, qu’il élabore le missel, mais aussi qu’il crée de toutes pièces une officine où il confectionne, comme il l’avait fait à Glavotok, des fontes de lettres glagolitiques et qu’il fabrique enfin les imprimés. En cela, par son travail de philologue, d’ouvrier du livre et d’imprimeur, il se place dans la tradition des pionniers de la typographie sur le littoral adriatique, qui livrèrent des incunables en glagolitique.

Des rivalités politiques de plus en plus affirmées entre groupements politiques de langue italienne et croate se développent cependant sur l’île, alors que la situation économique est marquée par un effondrement de la production viticole en raison du phylloxéra, qui s’accompagne d’un endettement qui empêche toute modernisation de l’agriculture, qui en dernier ressort entraîne un exode rural massif. Dans ce contexte prend place l’activité de l’évêque Antun Mahnić (1850–1920). D’origine slovène, né à Gorizia, il est devenu évêque de Krk en 1897, où il exerce ses fonctions durant 23 ans. Il connaît les conditions matérielles du développement des terres slaves plus septentrionales et entreprend de créer un réseau de banques de prêt sur le modèle des banques Raiffeisen fondées en Allemagne, de type coopératif, qui permettent de consentir des prêts à des taux inférieurs à ceux pratiqués ordinairement. L’évêque, soutenu notamment par la famille Vitezić qui contribue à la formation du capital, essaye donc de retenir la population sur l’île, qui recule de plusieurs milliers en quelques années, en tentant de maintenir un environnement économique acceptable. Il crée au sein de la maison d’édition de l’évêché dénommée Kurycta6 un magazine bimensuel, L’ami du peuple (Pučki prijatelj), qui paraît à partir 5 Rim’ski Misal’ sloven’skim ezikom presv. G.N. Urbana Papi VIII poveleniem’ izdan’. Missale Romanum slavonico idiomate ex decreto sacrosancti Concilii Tridentini. 1893, Rome : Congr. de Propaganda Fide. 6 Ce nom se réfère au toponyme donné à l’île et à son chef-lieu par la population illyrienne qui occupait l’île antérieurement à l’arrivée des Romains au début de notre ère. Le toponyme croate Krk est l’aboutissement de l’évolution linguistique de ce terme, alors que Veglia, utilisé par les italophones, est le résultat d’une évolution à partir du latin : Veglia < Vikla < vet(u)la (au sens de ancienne) dans civitas vetula. 28 DANIEL BARIC de 1899. Peu de temps après, en 1902, il organise une Académie slavonne (Staroslavenska akademija), qui a pour tâche depuis l’évêché de l’île de Krk se faire avancer les connaissances sur les textes rédigés en caractères glagolitiques. Malgré les oppositions frontales à Vienne, plus mesurées au Vatican, mais présentes au sein même d’une partie de la hiérarchie catholique croate à la recherche d’un dépassement du particularisme croate dans un horizon œcuménique, la création de cet établissement stimule de fait un renouveau dans le champ des études glagolitiques. Le discours prononcé lors de l’installation de cette nouvelle institution par l’évêque est en soi une réponse à ces critiques ; il y souligne que « le slavon est un pont qui doit relier l’Orient à l’Occident ». Un spécialiste d’origine tchèque, le professeur Josip Vajs, commence un travail scientifique qui doit aboutir à l’édition de sources historiques pour la liturgie en slavon. Cette activité se poursuit jusqu’à la Première Guerre mondiale. En avril 1915, l’accord de Londres entre l’Italie et les Alliés ne prévoit pas que Krk revienne à l’Italie, à la différence de Cres, l’île voisine. Mais en décembre 1918, les troupes italiennes débarquent sur l’île. L’évêque Mahnić écrit aux représentants présents à la conférence de Paris pour leur indiquer que cette occupation n’est pas justifiable à ses yeux, eu égard au nombre limité d’habitants de langue italienne présents sur l’île. Il est bientôt déporté en Italie, gardé à l’arrêt dans un couvent franciscain romain, avant d’être relâché. Krk est finalement officiellement administrée par le Royaume des Slaves du Sud à partir du 19 avril 1921. L’imprimerie et la maison d’édition épiscopales Kurykta disparaissent durant cette brève période d’occupation italienne. Quant à l’Académie slavonne, elle ferme définitivement à Krk et se replie à Zagreb, où elle est intégrée à la Faculté de théologie catholique en 1928. Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée de maintenir un institut spécialisé dans l’étude des textes médiévaux en slavon est acquise et en 1952 a lieu une refondation. Cet institut, détaché désormais de la théologie, mais qui continue par la nature même de son objet de recherche à s’occuper principalement de textes à contenu religieux, avance dans ses travaux durant la période de Yougoslavie socialiste. L’édition critique et les études se multiplient. Dans l’historiographie d’inspiration marxiste, l’écriture glagolitique acquiert un prestige particulier, en ce qu’elle est vue comme l’expression d’une résistance à Rome, c’est-à-dire à l’ordre établi, occidental, à la religion. Même s’il s’agit d’éditer et d’étudier des textes liturgiques, le pouvoir communiste peut approuver ces activités scientifiques, car dans une culture d’après-guerre profondément marquée par les épisodes de résistance armée aux fascismes, puis par l’affrontement avec Moscou en tant que représentant d’une interprétation unique de l’orthodoxie marxiste, Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 29 les élans de résistance à l’utilisation du latin au Moyen-Age et son succès, modeste mais indéniable, sont perçus comme les maillons d’une chaîne qui aboutit à l’édification d’une Yougoslavie indépendante. Les statues de l’évêque de Nin Grégoire (Grgur Ninski), figure emblématique de la défense contre Rome de l’écriture glagolitique au Xe siècle, œuvres du sculpteur Ivan Meštrović installées à Split et Varaždin, respectivement en 1929 et 1931, ne sont pour ces raisons pas retirées de l’espace public, une copie supplémentaire de celle de Varaždin est même inaugurée en 1969 à Nin. L’écrivain croate majeur par son influence durant l’après-guerre, Miroslav Krleža (1894–1981), directeur de l’Encyclopédie yougoslave, se place dans cette lignée : cette écriture apparaît comme l’emblème d’une hérésie de bon aloi, car elle défend une identité et en même temps une indépendance politique7.

2. Une langue comme ultime trace de latinité, le vegliote

Dans tout l’empire des Habsbourg se développe tout au long du XIXe siècle un intérêt pour les traces d’une société qui a précédé la modernité industrielle, qui fait son apparition même dans les provinces les plus reculées. Les ethnographes autrichiens découvrent la présence de peuples non assimilés, y compris du point de vue linguistique, aux groupes numériquement plus importants, notamment en Istrie, voisine de l’île de Veglia. Les Valaques dans les villages montagnards d’Istrie attirent par l’authenticité dont leur culture semble être le témoignage et par le démenti qu’ils infligent à l’image d’une homogénéité progressive des espaces de l’empire habsbourgeois. L’étude et la présentation de cette diversité entrent par ailleurs parfaitement dans le projet politique qui guide certaines réalisations culturelles comme le Kronprinzenwerk, cette étude exhaustive de tous les espaces habsbourgeois lancée sous le patronage de l’héritier présomptif Rodolphe, Die österreichisch-ungarische Monarchie in Wort und Bild (1886–1902) : montrer que l’unité de la monarchie est éminemment compatible avec l’hétérogénéité ethnographique et linguistique8. Si les descriptions de peuples aux origines incertaines, à l’instar des Valaques et des Tchitches aux parlers mêlés romano-slaves, semblent 7 Tout à fait caractéristique est à cet égard, par son ton désinvolte à l’égard des historiens occidentaux et son érudition sans faille, l’essai « Illyricum sacrum », publié à Zagreb en 1963 (Kolo, 1, n° 7, 149-187), mais commencé dès 1944. Une traduction allemande est disponible : KRLEŽA, Miroslav. 1996, Illyricum sacrum. Ein Fragment aus dem Spätherbst 1944, trad. Klaus Detlef Olof, Klagenfurt : Wieser. 8 ZI NTZEN, Christiane (éd.) 1999, Die österreichisch-ungarische Monarchie in Wort und Bild. Vienne : Böhlau. 30 DANIEL BARIC combler l’ethnographe, telle n’est pas la vision et l’attente des italophones et des Slaves croatophones, qui savent de plus en plus précisément au cours du XIXe siècle vers quoi ils veulent aller et qui cherchent et voient dans les traces de passé des preuves de leur développement politique et culturel. Pour les érudits locaux comme pour les linguistes venus d’Italie, des bribes de langue latine pouvaient être tenues comme preuves de la continuité géographique et historique de la présence latine, donc italienne, dans telle région, désormais majoritairement peuplée de Slaves, comme cela était le cas de Veglia au XIXe siècle. Alors que les savants croates ont développé un intérêt et un savoir- faire pour retrouver des traces écrites de slavon en graphie glagolitique sur de multiples supports, les italophones ont, sur ce même terrain insulaire, mis au point des techniques d’appréhension de traces d’oralité dans une langue romane sur le point de disparaître, le vegliote ou dalmate. Alors qu’au début du XIXe siècle le parler propre à l’île, différent du dialecte vénitien venu avec une immigration plus récente, était appelé vegliote, le terme évolue progressivement et l’étude publiée en 1906 qui fait toujours autorité l’est sous le titre plus générique Das Dalmatische. Le parler local s’impose dans le paysage de la linguistique romane comme un phénomène incontournable, à travers des publications qui font date, comme un paradigme linguistique plus général, que le nom de la langue reflète à mesure que l’intérêt académique à son égard augmente. D’après les voyageurs, de la Renaissance et du XVIIe siècle, les habitants de l’île parlaient slave, mais un dialecte différent de celui de la terre ferme. De même, les Italiens ne comprenaient pas la langue néolatine de la côte orientale de l’Adriatique : les Toscans n’avaient pas accès au dalmate ragusain au XVIe siècle. Les première études philologiques systématiques ont été menées au XIXe siècle. Matteo Giulio Bartoli (1873– 1943) en est le représentant le plus éminent. Né en Istrie, inscrit à Vienne en études romanes, il enseigne de 1908 à sa mort à l’université de Turin l’histoire comparée des langues classiques et néolatines. Influencé par ses professeurs à l’université, notamment Wilhelm Meyer-Lübke (1861–1936), il développe une méthodologie en dialectologie italienne, qu’il acquiert en étudiant les dialectes sur le terrain. Il a l’occasion de rencontrer un locuteur de cet idiome, Antonio Udina, dont la langue maternelle cependant était le vénitien dialectal. Cette autre langue romane qu’il pouvait parler lui avait été transmise par sa grand-mère. A l’école, il avait appris en outre l’italien et l’allemand, avec une amie le croate et des rudiments de latin à l’église. Udina n’avait plus l’occasion de parler cette langue, puisque les locuteurs natifs, tous très âgés, avaient peu à peu disparu. Bartoli a consigné au Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 31 cours de ses entretiens avec lui des paroles isolées, des phrases complètes, des histoires et sa propre autobiographie. Le linguiste établit une série de concordances entre les langues néolatines dont les traces sont connues et conclut à l’existence d’une langue qui fut parlée sur toute la côte orientale de l’Adriatique, jusque Raguse et au-delà, qu’il appelle le dalmate, même si stricto sensu, l’île de Veglia n’appartient pas à la Dalmatie. C’est au cours de l’été 1897 que Bartoli rencontre et fréquente Udina et qu’il prend en notes ce qu’il entend. L’année suivante, ce précieux dernier locuteur meurt accidentellement. Près de dix ans plus tard paraît en allemand sa monographie qui demeure la plus complète et donne à lire les derniers échos de cette langue. Les textes de Bartoli ont bien été utilisés dans des milieux italiens irrédentistes italiens, puis proches du fascisme. Dans l’après-guerre, lorsque nombre d’italophones ont quitté les côtes de l’Adriatique rattachées à la Yougoslavie de Tito, ces mêmes textes ont pu servir de support à une démonstration visant à établir les preuves irréfutables d’une présence italienne séculaire sur les terres occupées par des Slaves venus a posteriori, conformément à ce qu’il fallait démontrer9. Bartoli cependant ne semble pas avoir voulu prendre la parole au-delà de l’enquête linguistique, pour prouver l’appartenance politique d’un territoire. Il confesse dans la préface qu’il s’était agi pour lui de retrouver les traces les plus anciennes d’italianité en Dalmatie, ce en quoi il rejoint les préoccupations des philologues de Krk à la recherche des plus anciennes traces écrites en slavon glagolitique, mais il se dit aussi épris de « la plus scrupuleuse impartialité », sachant que sur un tel sujet de linguistique dalmate, la publication dans l’une ou l’autre langue suscite un soupçon de partialité, qu’il cherche à prévenir en publiant dans une langue tierce, l’allemand de la capitale impériale, où il publie son ouvrage10. Dans cette publication majeure de 1906, Bartoli met au point une mise en page sur deux colonnes, qui lui permet de proposer la retranscription en regard de sa traduction et ses commentaires. Cette 9 Voir par exemple la conférence prononcée le 11 février 1951 au Sénat italien, à l’occasion de l’inauguration de la collection dalmate Cippico-Bacotich incorporée à la bibliothèque du Sénat, qui se conclut sur « l’empreinte de Rome » laissée à l’intérieur de la péninsule balkanique par le lexique dalmate rural, dont l’adoption par les Croates et les Serbes prouve que le dalmate « avant de céder à la pression des Slaves, n’était pas seulement parlé dans les villes, mais dans l’arrière-pays également ». MAVER, Giovanni. 1966, « Il dalmatico », in : Atti e memorie della Società dalmata di storia patria, vol. V, 35-43. 10 Son étude est éditée en deux volumes, dans la série des « Schriften der Balkankommission, linguistische Abteilung », chez le libraire de l’université de Vienne Alfred Holder. 32 DANIEL BARIC langue non écrite durant des siècles fut donc analysée et publiée au moment même où, à la toute fin du XIXe siècle, le dernier locuteur disparaissait. Un siècle plus tard paraît en 2000 une nouvelle édition, cette fois en italien, traduit depuis l’édition en allemand qui elle-même était le résultat d’une transposition de l’italien dont le texte original n’a pas été retrouvé. Cette publication est financée par la région de Vénétie julienne qui a accueilli nombre de réfugiés de langue italienne provenant de cette région quittée après la victoire des partisans communistes. Cette publication a permis au dalmate d’exister dans des réflexions et des publications de linguistes romanistes tout au long du XXe siècle, qui ont ponctuellement examiné la langue dans sa structure même, ses sonorités, sa syntaxe, telle qu’elle fut éditée par Bartoli, qui s’était fait l’exégète et transcripteur du dernier locuteur. Quelques années après la disparition de Udine commencèrent les premières campagnes ethnographiques autrichiennes auprès des Istro- Roumains voisins, avec des moyens techniques nouveaux : des cylindres pour effectuer des enregistrements sonores. La publication a permis de garder la trace de cette langue, et même si elle n’a pas été reparlée, du moins a-t-elle été intériorisée par des linguistes qui se sont penchés sur ce matériau sonore jusqu’à nos jours, dans cette forme, telle qu’elle fut comprise, transcrite et redonnée par Bartoli. Quant à l’alphabet glagolitique, enjeu cultuel entre Slaves de rites différents, il est devenu au cours des années 1980, et surtout après l’indépendance croate au début des années 1990 l’un des thèmes de l’identité culturelle croate retrouvée, mise en avant par le ministère de la Culture croate. Si l’apprentissage de l’alphabet cyrillique est maintenant supprimé dans les écoles croates, alors qu’il faisait partie intégrante du cursus, il est perçu maintenant comme une inféodation à Belgrade, le glagolitique est mis à l’honneur, parfois même, mais rarement, enseigné à l’école. Ainsi, au-delà de la production imprimée, bientôt digitalisée de sources, mais aussi de cartes postales, de livres, mais aussi de tee-shirts arborant les lettres glagolitiques, créées maintenant par ordinateur (Itech, une entreprise informatique basée à Krk, a fourni au milieu des années 1990 des fontes glagolitiques adaptées aux ordinateurs11), reste à savoir dans quelle mesure les lettres imprimée de cet alphabet sont véritablement lues et non simplement identifiées comme des marques identitaires. Si l’imprimé a sauvé de l’oubli, in extremis, la langue dalmate dans sa version vegliote, il apparaît que les enjeux politiques, confessionnels et 11 Sur la renaissance au cours des années 1990 d’une réflexion sur la typographie en glagolitique, voir l’ouvrage d’un professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Zagreb : PARO, Frane. 1997, Typographia glagolitica, Zagreb : Matica hrvatska. Oubli d’une écriture, mort d’une langue... 33 culturels successifs qui ont marqué l’usage de l’imprimé glagolitique, tout en ne lui étant pas systématiquement défavorables, ne lui ont cependant pas permis de (re)devenir une écriture déchiffrable par le plus grand nombre, même dans le territoire insulaire qui l’a le plus longtemps pratiquée. Elle est de nos jours un patrimoine typographique, objet de mise en valeur muséographique, alors que la source slavonne qu’elle transcrit reste, pour l’immense majorité des habitants de l’île de Krk, lettre morte12.

Bibliographie

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MONICA BREAZU

En 1879 le bibliophile Gustave Mouravit publiait une étude littéraire et bibliographique « Poètes et bibliophiles : les devises des vieux poètes », dans laquelle il donnait une liste alphabétique de 129 devises. J’ai hérité de Sylvie Lecocq et Brigitte Moreau de C.N.R.S. une photocopie de cette liste avec quelques ajouts manuscrits. À mon tour j’ai complété cette liste et assez vite je suis passée d’un fichier manuel à un fichier électronique, avec des données supplémentaires, facilitant l’identification, la localisation et le repérage bibliographique. Tout compte fait, mon fichier recense aujourd’hui plus de 3 000 devises sous la forme d’un catalogue organisé par ordre alphabétique des devises, accompagné de plusieurs index, dont l’index des noms de personnes et un index iconographique. Au cours de ce long travail, j’ai bénéficié du conseil savant, de l’aide constante et de la générosité sans faille de mon collègue, Jean-Marc Chatelain.

Précisions sur les termes utilisés

La devise fonctionne comme une carte de visite, elle exprime le besoin de se présenter, l’envie d’épater, le désir de transmettre un message moral, politique ou religieux. L’antiquité gréco-romaine au goût du jour à la Renaissance, le goût de l’héraldique, la diffusion des livres d’emblèmes nourrissent et inspirent cette envie. On invente, on imite, on copie et on porte sa devise comme un étendard. Le mot « devise » a un sens héraldique, proche du « cri », formule très brève qui accompagne les armes ; et un sens emblématique, l’association d’une image signifiante et d’une sentence. C’est dans ce sens que, comme le disaient des théoriciens de la devise à la Renaissance, « la figure est le corps de la devise, la sentence est l’âme de la devise ». 36 MONICA BREAZU

Dans le contexte emblématique le terme « devise » peut désigner soit l’association d’« image et parole », soit la « parole seule », mais dans les deux cas le terme « devise » renvoie à l’idée d’une marque attachée à une personne singulière. D’où la grande distinction entre emblème et devise : l’emblème exprime par association d’image et de parole une idée générale, tandis que la devise rapporte cette idée générale à une identité particulière (Fig. 1–2).

Fig. 1 Emblème de la Pauvreté1 Fig. 2 Marque typographique de Jean Foucher2 Cette nature d’expression individuelle donne alors à la devise une possible valeur de signature, même si peu soucieux d’une stricte rigueur lexicale, les auteurs du XVIe siècle peuvent parler dans ce cas aussi d’« emblème » (Fig. 3–4). Bref, la situation lexicale est très compliquée : d’un côté les théoriciens établissent des distinctions entre emblème et devise, de l’autre les usages linguistiques sont beaucoup plus souples que les théories. Le corpus que j’ai établi est constitué uniquement de devises rapportées à des personnes, employées comme expressions d’individus, et je les appellerai : « devise figurée » ou « emblème », lorsqu’il s’agira d’une association de parole et d’image, et « devise », lorsqu’il s’agira uniquement d’une sentence purement verbale. 1 Alciat, Livret des Emblemes, Paris, 1536. F. C4v°. 2 Libraire parisien, 1535–1577. e L’usage des devises au XVI siècle en France dans le livre imprimé 37

De fait, c’est sous ces deux formes concurrentes du « mot » et du » mot » accompagné d’une image, que la signature par le moyen des devises s’est répandue dans le livre imprimé, connaissant une grande vogue au XVIe siècle, et particulièrement entre les années 1540 et 1600 (tandis que son déclin est net dès le premier quart du XVIIe siècle). Les auteurs et leur cercles d’amis, les dédicataires, les libraires et les imprimeurs se font concurrence pour adopter la meilleure et la plus astucieuse « présentation de soi », qui doit résumer soit ce qu’on est, soit ce qu’on désire être. Cette « signature » ne doit être ni trop mystérieuse, ni trop claire, elle doit étonner (au besoin par l’utilisation d’autres langues que le français) et, souvent, elle est accompagnée d’une image aussi propre à frapper l’esprit que la devise l’est à s’imprimer dans la mémoire.

Fig. 3 Devise de Gabriello Simeoni Fig. 4 Emblème d’Estienne Du Tronchet (1509–1576)3 (1510 ?–1585 ?)4

3 G. Simeoni, Les Devises ou Emblèmes héroïques et morales. Lyon, G. Rouillé, 1559. V° du titre. 4 E. Du Tronchet, Discours académiques florentins. Paris, L. Breyer, 1576. V° du titre. 38 MONICA BREAZU

Les porteurs

J’ai consigné dans mon inventaire toutes les devises insérées dans les éditions publiées en France, par l’examen des sources directes ou bibliographiques, en visant l’exhaustivité sans toutefois avoir la prétention d’atteindre jamais ce but. Le catalogue que j’ai constitué comprend aussi la description iconographique des images des devises figurées. Dans l’ensemble de mon corpus, 174 devises sont restées non identifiées. Toutes les autres font apparaître une grande diversité dans la condition sociale des leurs porteurs : mais à part les libraires et imprimeurs, il s’agit d’aristocrates (dont les rois eux-mêmes), d’intellectuels (écrivains, professeurs), de juristes, et d’administrateurs, de médecins, voire d’hommes d’église. Quelques cas singuliers séduisent par leur saveur, comme ceux d’un maître boulanger et d’un maître de jeu de paume. Thomas Guiet, maître boulanger à Paris, publie en 1588, année de grands troubles, un petit texte in-8 de 8 feuillets5, à la fin du quel est inséré un dizain sur sa devise « De Peu, et Paix », dans lequel il déclare que « Le Peu, et Paix, me suffit et contente / De tout n’a rien celuy qui n’est content : / Content et Paix m’amènent une rente, / Avec le Peu, qui me rend tout autant, / Que d’avoir Tout : ainsi je me contente ». Jean Forbet l’aîné, maître de jeu de paume, traduit L’utilité qui provient du jeu de la paume au corps et à l’esprit de Galien et dans son édition de 15996, il ajoute à la traduction son propre texte sur le jeu de paume à Paris qu’il signe de la devise : « Bon pied, bon œil » !

En ce qui concerne les langues utilisées, le latin occupe la première place (49 %), suivi de près par le français (42 %). Le reste se partage (dans l’ordre décroissant d’entrées) entre le grec, l’italien, l’hébreu, l’espagnol, l’allemand, le flamand et le portugais. Parader avec des langues d’usage peu commun, présenter la même devise en plusieurs langues, signer un texte avec une devise dans une langue différente sont des pratiques très en vogue à l’époque. Quant aux sources des devises, elles ont un lien direct avec les langues. La Bible est un inépuisable réservoir de versets, de passages à citer, les Psaumes étant celui des livres bibliques qu’on met le plus à contribution. De l’Ancien Testament les devises sont en latin, en grec et en hébreu, et du Nouveau Testament en latin et en français. Ensuite 5 Th. Guiet, Convi de Resjouissance au peuple de Paris sur le retour du Roy de la défaite et route des reistres et de leurs alliez, et de l’heureuse victoire obtenue par Sa Majesté. Paris, J. Du Puys, 1588. 6 Paris, T. Sevestre, 1599. e L’usage des devises au XVI siècle en France dans le livre imprimé 39 les poètes latins Virgile, Horace et Ovide sont les plus appréciés, mais aussi Cicéron et Sénèque, et les devises qu’ils inspirent sont évidemment en latin. L’utilisation de autres langues est fonction de l’origine des personnes, de leur métier, surtout pour les traducteurs et les professeurs, comme, en outre des affinités intellectuelles ou des modes.

Les portraits

Aux gravures représentant des portraits la devise apporte un « supplément d’âme » : aux caractéristiques physiques du personnage, elle ajoute l’expression des traits moraux et spirituels. Dans ce contexte la force de la devise est la plus manifeste, elle représente la quintessence de la représentation de soi.

Fig. 5–6 Portraits de Jacques Grévin et de Jean-Édouard Du Monin

Le portrait du poète et médecin Jacques Grévin (1538–1570) à l’âge de 23 ans7 porte une devise grecque (« Ou rien, ou l’Olympe »), aveu de ses ambitions. Le portrait de Jean-Édouard Du Monin (1559–1586), à l’âge de

7 J. Grévin, Le Théâtre. Paris, G. Barbé et V. Sertenas, 1561. 40 MONICA BREAZU

25 ans8, couronné de lauriers, curieusement sans mention du nom, portent deux devises, une latine tirée de l’Enéide de Virgile (= Chacun fait de son désir farouche un Dieu) et l’autre grecque (= Une âme studieuse est heureuse).

Les marques typographiques

Les marques typographiques ont un statut spécial du fait de leur double vertu : d’un point de vue juridique, elles protègent les libraires et les imprimeurs contre les contrefaçons, et, d’un point de vue social, elles ont un effet de recommandation auprès du public des acheteurs et lecteurs : elles annoncent qu’il s’agit d’un livre sorti des presses de tel ou tel libraire. Thibaud Payen, imprimeur-libraire à Lyon9, au début de son exercice il garde la devise héritée de son prédécesseur Laurent Hyllaire : « Audaces fortuna juvat timidosque repellit » (« La fortune sourit aux audacieux et repousse les timides »)10. Au titre du livre de Jean Ursin, Ethologus, opus de moribus, 1535, elle est placée de part et d’autre de la marque de Payen (Fig. 7). Au dernier feuillet du livre, on retrouve la même marque, mais sans la devise textuelle héritée de Hyllaire, laquelle va disparaître de ses marques aussitôt que son installation sera un fait accompli pour sa clientèle.

Fig. 7 Marque typographique de Thibaud Payen11

8 J.-É. Du Monin, Le Phoenix. Paris, G. Bichon, 1585. 9 De 1529 ? à 1570. 10 Vergilius, Aeneis (10:284). 11 B audrier, Bibliographie lyonnaise, IV (1899), p. 211 (marque n° 7 bis). e L’usage des devises au XVI siècle en France dans le livre imprimé 41

Cette marque de Payen fait allusion à son nom. Le poète Charles Fontaine, édité par Payen, lui adressa un quatrain à ce sujet : « Vends mes vers, possible immortelz / Payen de nom, chrestien de faict : / Et pleust or à Dieu en effect / Que tous les Payens fussent tels ». Et littéralement « tel » il se fait représenter en homme à turban jouant du violon, vêtu d’une peau d’ours, un médaillon en forme de cœur autour du cou ; dans son turban niche une cigogne et le personnage est entouré d’un compas, d’un fraisier portant fleurs et fruits, d’un sablier, d’un escargot. Si son habit et son turban se réfèrent à son nom, le cœur, attribut de la charité et la cigogne, symbole de la piété filiale se réfèrent à sa croyance religieuse, tandis que le violon, le compas et le sablier expriment l’idée de mesure, comme sa devise : « Hâte-toi lentement ». Celle-ci inscrite à la fois en latin « Festina lente » et en grec « Σπεδες βραδως ». Parfois l’image de la marque typographique peut donner lieu à une confusion d’interprétation. La marque du libraire-imprimeur parisien Guillaume Bichon représente une biche (dont le nom rappelle clairement son propre patronyme) fuyant devant un chien avec la devise « nunc fugiens, olim pugnabo » (« Aujourd’hui en fuite, demain au combat »).

Fig. 8–9 Marque typographique de Guillaume Bichon 42 MONICA BREAZU

Cependant cette marque au titre du pamphlet Le théâtre de France12, paru en 158913 a provoqué une interprétation périlleuse14. L’historienne Annie Duprat, spécialiste de l’iconographie politique du XVIe au XVIIIe siècle, se sert de l’image au titre du Théâtre de France, pour justifier ses termes de « Roi chasseur : société en équilibre » et de « Roi gibier : société en crise ». Elle y voit un chien qui court après un cerf (et non une biche), et comme le cerf est le symbole du roi, elle croit pouvoir interpréter le message de la vignette et du texte de la banderole comme « Henri III chassé de sa capitale mais en préparant le siège pour recouvrer son trône ». Mais la réalité est loin d’être celle-là, comme le prouve le fait que le pamphlet en question n’est qu’une des 60 éditions parisiennes de Bichon (sur un total de 115) qui présente la marque à la Biche.

Les signatures

La devise est l’un des modes de signature privilégiés par les auteurs, traducteurs, éditeurs ou préfaciers, qui s’en servent aussi bien que de l’inscription de leur nom soit sous sa forme naturelle, soit sous la forme cryptée de l’anagramme.

Fig. 10–11 Devise de Nicolas de Herberay

12 Attribué à Oudart Raynssant-Deviezmaison. 13 Privilège accordé par le Conseil général de l’Union catholique le 13 juillet 1589. 14 A. Duprat, Le roi, la chasse et le parapluie ou comment l’historien fait parler les images, dans Genèse, 1997, n° 27, p. 119. e L’usage des devises au XVI siècle en France dans le livre imprimé 43

Nicolas de Herberay, le traducteur des huit premiers livres d’Amadis de Gaule, roman de chevalerie espagnol qui rencontre au XVIe un grand succès, a adopté la devise « Acuerdo olvido » (« Je me souviens et j’oublie »). Celle-ci figure dans toutes les éditions de sa traduction au titre et à la fin du texte. Placée au titre du 4e livre dans l’édition parisienne de 154315, elle remplace son nom (Fig. 10). Cinq ans plus tard, en 1548, à l’édition parisienne du 8e livre d’Amadis de Gaule16, surgit son emblème à la fin de l’épître dédicatoire17, et à la fin du livre ! Dans une petite vignette, un serpent en forme de cercle (mordant sa queue) – symbole de l’éternité – enferme la devise accompagnée de deux branches chargées de fruits (Fig. 11). L’apparition de sa devise figurée serait-elle preuve du succès de ses ouvrages en librairie ?

Fig. 12–13 Devises de Hubert Philippe de Villiers

Hubert Philippe de Villiers, traducteur de textes italiens en français, signe en 1555 l’une de ses traductions18 au moyen d’un emblème imprimé sur le feuillet final : une rose entourée de la devise : « Dificultate aut injuria pulchra sepiri » (« Par la difficulté ou par l’attaque protéger la beauté »).

15 Chez Denis Janot. 16 Chez Étienne Groulleau. 17 Adressée au seigneur de Montmorency, grand maître et connétable de France. 18 I. Ringhieri, Cinquante jeus divers d’honnete entretien. Trad. H. Ph. de Villiers. Lyon, C. Pesnot, 1555 et G. Parabosco, Lettres amoureuses. Trad. H. Ph. de Villiers. Lyon, C. Pesnot, 1556. 44 MONICA BREAZU

En 1564 il signe son propre ouvrage Le Limas19 de la devise « Tandem ad astra ferar » (« Je finirai par atteindre les astres »). Dans les deux cas la devise, sans mention du nom de l’auteur, est mise en valeur par une disposition typographique qui l’isole au centre de la page. Il arrive par ailleurs que la même devise soit utilisée par plusieurs personnes. Ce cas est fréquent, et facilement explicable, comme le dit Paul Angier dans un sixain aux lecteurs : « Si ma devise on voit prise d’aucun / Ne m’estimez l’avoir apres luy prise / Sentences sont communes à chascun / Et prendre en peult telle que bonne advise » ! 20 De même, un seul personnage peut avoir usé de plusieurs devises, comme le libraire lyonnais Benoît Rigaud (1555–1597) qui a disposé non moins de vingt-huit devises.

Fig. 14–15 « Spe labor brevis », signature de Jean Demons et de Jean Bouchet Jean Demons signe un sixain en français par une devise grecque, accompagnée de sa version latine « Spe labor brevis » (« par l’espoir la peine est brève »)21, devise connue beaucoup plus pour Jean Bouchet (1476–1559 ?)22, presque toujours doublée de son anagramme « Ha bien touché »23. 19 Paris, N. Du Chemin, 1564. 20 « Angier aux lecteurs touchant sa devise » (f. H6r°) dans A. de Guevara, Mespris de la Court. Paris, G. Du Pré, 1544. 21 J. Demons, La démonstration… pour trouver l’origine des maux de la France et les remèdes d’iceux. Paris, E. Prevosteau, 1594. 22 Sieur d’Hédicourt, conseiller au présidial d’Amiens. 23 Jean Bouchet, Epistres morales et Familières. Poitiers, Jacques Bouchet, 1545. e L’usage des devises au XVI siècle en France dans le livre imprimé 45

La signature par anagramme est très prisée à la Renaissance à une époque où le genre littéraire de l’anagramme est en vogue : des auteurs s’en font une spécialité, des recueils lui sont consacrés. L’anagramme représente un type particulier de devise, où la fonction de signature se trouve comme redoublée dans la mesure où la devise n’est pas seulement associée à un nom : elle est aussi une représentation de ce nom, qui est comme la figure cachée dans le tapis de la sentence. Ainsi je crois avoir dévoilé l’auteur d’un petit recueil in–16 intitulé Bonne réponse à tous propos imprimé à Paris en 154724. Cette première édition bilingue de proverbes et expressions italiens, disposés dans l’ordre alphabétique, chaque entrée étant accompagnée de la traduction française, a connu un vrai succès : dix-sept éditions de 1547 à 1610 en témoignent25. Ce texte a été attribué d’abord à Jean Bellère (1526–1595), imprimeur- libraire à Anvers, et dernièrement à Gilles Corrozet, éditeur probable de la première édition. L’ouvrage comprend un avant-propos sur les langues (à propos du latin, du grec, de l’hébreu, de l’italien et du français) et leur origine. Le texte principal est suivi de deux suppléments, « Briefve addition » et « Autres dicts mouraulx… ». Personne n’a prêté attention au fait que le premier texte, « Bonne response a tous propos », est signé « Chanter en lyesse », qui peut se lire aisément comme l’anagramme de Charles Estienne. Il n’a pas signé de son nom ce texte amusant, mais il a laissé un indice, lui ou son éditeur ! Deux arguments jouent en faveur de l’attribution de ce texte à Charles Estienne (1504–1564) : il a voyagé et séjourné en Italie et parlait l’italien, et par ailleurs les langues et leur histoire étaient l’un de ses sujets de prédilection. Cette vue sommaire d’un si riche ensemble fournit une modeste introduction au sujet très vaste des devises, de leurs formes, de leurs significations, de leurs usages. Les codes socioculturels du temps, les habitudes de vie comme l’imaginaire de porteurs et d’inventeurs de devises se révèlent de manière parfois claire, parfois énigmatique, voire quelques fois incompréhensible. Mais quelle que soit la plus ou moins grande facilité avec laquelle nous parvenons aujourd’hui à les décrypter, toutes ces devises témoignent de la confiance avec laquelle des hommes de la Renaissance ont pu s’en remettre aux pouvoir du langage pour produire la meilleure image sociale d’eux-mêmes.

24 Par Gilles Corrozet, Arnoul Langelier et Étienne Roffet. 25 Nicole Bingen, La « Bonne Response à tous propos » (1547) et ses lecteurs… dans La lecture littéraire, 7/2003, p. 99. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās avec la cour russe : à propos de l’imprimerie arabe d’Alep1

Vera TChentsova

Les Archives Nationales des Actes Anciens de la Russie à Moscou possèdent une collection extrêmement importante de documents émanant du Bureau des Ambassadeurs (Posolskij Prikaz), l’équivalent du Ministère des Affaires Étrangères de la Russie jusqu’aux reformes de Pierre le Grand. Parmi les fonds du Bureau des Ambassadeurs, classés par pays, les documents du fonds n° 52 – « Relations de la Russie avec la Grèce » – présentent un intérêt tout particulier pour l’histoire de l’Orient Chrétien, et notamment pour les relations des Chrétiens des terres sous domination de la Sublime Porte avec la Russie. Le dépouillement de la documentation a permis de repérer dans ce fonds quelques dossiers inconnus relatifs aux contacts du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās (1686–1694, 1720– 1724)2 avec les autorités russes à l’époque où, entre ses deux patriarcats, son trône fut occupé par le patriarche Cyrille V Ibn al-Za‘īm (1672, 1682– 1720). La partie la plus remarquable de ce corpus contient les originaux grecs des lettres du patriarche et la documentation concernant le séjour à Moscou de deux légats du pontife, le protosyncelle d’Antioche, Léontios

1 Je tiens à exprimer ici ma reconnaissance à Vivien Prigent pour le travail de relecture qu’il a bien voulu effectuer. Je remercie Mgr Giuseppe M. Croce (Rome) d’avoir vérifié le texte de la lettre du patriarche Athanase IV Dabbās conservée aux archives de la Congrégation Propaganda Fide, ainsi que Dmitry A. Morozov (Moscou) et Geoffrey Roper (Cambridge) pour leurs précieuses indications bibliographiques et conseils. 2 Levenq, G. 1930, « Athanase III », in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 4, fasc. 23-24, Paris, 1930, col. 1370 ; Nasrallah, J., 1979, Histoire du mouvement littéraire dans l’Église Melchite du Ve au XXe siècle, t. IV/1 (1516–1724), Louvain, Paris, 1979, p. 132-146, 290-291. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 47 le Chypriote, et l’archimandrite Parthène3. Qu’un Chypriote ait accédé aux fonctions de protosyncelle du patriarche s’explique sans doute en partie par la désignation en 1705 d’Athanase, alors déposé de son trône, à l’archevêché de Chypre par le patriarche de Constantinople Gabriel III (1702–1707). L’arrivée du protosyncelle Léontios en Russie était liée à un urgent besoin de subsides pour mettre sur pied une imprimerie arabe. Celle-ci fut installée à Alep grâce à la générosité du prince valaque Constantin Brâncoveanu (1688–1714), qui subventionnait la presse arabe en Valachie et contribua à fournir tout le matériel nécessaire à l’installation de l’imprimerie en Syrie4. L’imprimerie syrienne profitait en outre des largesses d’un second bienfaiteur, l’hetman des cosaques zaporogues, Ivan Mazepa (1639–1709). Les premiers livres, Psautier, Tetraévangiles et Évangéliaire, furent publiés à Alep en 1706. En 1708, le Tétraévangile et l’Évangéliaire bénéficièrent chacun de ce que l’on considère comme une « seconde édition ». Toutefois, les exemplaires qu’on en connaît ne font qu’associer le tirage de 1706 à quelques pages originales, dont l’une porte la date nouvelle et une deuxième le blason du mécène ayant financé l’ouvrage : l’hetman Mazepa dans le cas du Tétraévangile ; le colonel cosaque Daniel Apostol pour l’Évangéliaire5. Les transformations politiques qui, en 1708, avaient conduit l’hetman dans le camp du roi de Suède Charles XII (1697–1718), opposé aux Russes dans la Grande Guerre du Nord (1700–1721), provoquèrent l’attaque des Zaporogues par les armées russes et la destruction de Batouryn, résidence de l’hetman. La victoire de Pierre le Grand (1682–1725) devant Poltava, le 27 juin 1709, obligea Mazepa à se réfugier en terre valaque. Il y mourut la

3 Rossijskij gosudarstvennyj arhiv drevnih aktov (dorenavant : RGADA), f. 52-2, n° 719 ; f. 52-1, n° 25 (11.02.1707) ; n° 25 (1707) ; n° 12 (16.10.1709) ; n° 13 (06.08.1714). 4 Charon (Korolevsky), C., 1998–2000, History of the Melkite Patriarchates, Fairfax VA, 1998, t. 1, p. 24-25 ; 2000, t. III (1), 2000, p. 68-82; Nasrallah, J., 1949, L’imprimerie au Liban, Beyrouth, 1949, p. 17-25 ; Simonescu, D., 1967, « Impression de livres arabes et karamanlis en Valachie et Moldavie au XVIIIe siècle », Studia et acta orientalia, 5-6, 1967, p. 49-59 ; Feodorov, I., 2009, « The Romanian contribution to Arabic printing ». In : Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel des Pays Roumains, Bucarest, 2009, p. 41-46 ; Eadem, 2010, « Les options doctrinaires du Patriarche Athanase II Dabbās et ses activités aux Pays Roumains ». In : Lucrările Simpozionului internaţional « Cartea. România. Europa ». II. 20–24 septembrie 2009, Bucarest, 2010, p. 87-96. 5 Morozov, D.A., 1992, « Arabskoje Evangelije Daniila Apostola (K istorii pervoj arabskoj tipografii na Vostoke) », Arhiv russkoj istorii, 2, 1992, p. 193-203; Idem, 2007, « Vifleemskij ekzempljar arabskogo Evangelija Daniila Apostola », Arhiv russkoj istorii, 8, 2007, p. 645-651. 48 Vera TChentsova même année. En octobre 1709, donc après la chute du « traître Mazepka », comme l’hetman était désormais appelé dans les écrits russes, et après sa mort, le protosyncelle Léontios quitta Kiev pour Moscou, dans l’espoir d’y trouver un soutien pour la typographie d’Alep, privée de la protection de l’élite cosaque cultivée. Les dates des missives d’Athanase Dabbās, 1706, et de l’ambassadeur russe auprès de la Porte, le comte Pierre Tolstoï, janvier 1707, reçues au Bureau des ambassadeurs à Moscou, permettent d’envisager que le projet du patriarche d’obtenir des subventions pour son imprimerie auprès des Russes soit en fait antérieur au soutien reçu de l’hetman et de son colonel6. En effet, le départ de Léontios en Russie semble avoir été déjà prévu lorsque les premières éditions de la typographie arabe (1706) sortaient des presses et que de nouvelles sommes s’avéraient nécessaires à la poursuite des travaux. Par une lettre datée de décembre 1706, Athanase Dabbās informa le tsar Pierre le Grand de son accession vingt ans auparavant au patriarcat d’Antioche. Se lamentant sur les tribulations subies dans les pays arabes par des Chrétiens souffrant d’une extrême pauvreté, du fait de « l’incertitude des temps », Athanase révéla qu’il avait dû abandonner sa chaire en raison de difficultés et malheurs innombrables. Le trône patriarcal passa à son successeur, Cyril, tandis qu’Athanase se retirait dans l’éparchie de Véroia de Syrie, c’est-à-dire Alep. Dans cette ville, les Chrétiens devaient non seulement faire face à une profonde misère matérielle, mais encore étaient dépourvus des outils indispensables au développement de leur vie spirituelle, les livres ecclésiastiques nécessaires à la prière et à la lecture faisant défaut. Cette pénurie n’était pas propre à Alep, mais concernait l’ensemble de la « Terre arabe », car les anciens manuscrits étaient dorénavant trop abîmés et les scribes habiles calligraphes à même de les reproduire trop rares7. Afin de remédier à cette situation, le patriarche partit six ans plus tôt en Hongrovalachie chez le prince « Jean Constantin Basarabe », c’est-à-dire Constantin Brâncoveanu, qu’il nomme, auquel il exposa le pressant besoin des Chrétiens d’Orient en livres. Le prince, mu par la compassion, finança la publication de deux livres bilingues, en grec et arabe, la Liturgie et le

6 RGADA, f. 52-2, n° 719, fol. 1r ; f. 52-1, n° 12 (16.10.1710), fol. 4r. 7 Cf. les préfaces pour la Liturgie de 1701 et pour le Livre d’heures de 1702, deux éditions réalisées à Snagov et à Bucarest : Bianu, I., HodoŞ, N., 1903, Bibliografia Românească Veche. 1508–1830, t. 1: 1508–1716, Bucarest, 1903, n° 130, p. 427, 430- 431 ; n° 137, p. 443-445 ; Feodorov, I., 2010, « Les options doctrinaires », p. 91. Il faut faire la part, sous la plume du patriarche, de certains topoi : les Chrétiens orthodoxes d’Alep constituaient une communauté importante et même prospère. Cf. : Heyberger, B., 2003, « Alep, capitale chrétienne (XVIIe–XIXe siècles) ». In : Chrétiens du monde arabe. Un archipel en terre d’, Paris, 2003, p. 49-67. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 49

Livre d’heures. Les explications que le patriarche Athanase expose dans cette lettre au tsar reprennent les mêmes idées et thèmes que les préfaces dont sont munis ces deux livres : les manuscrits sont chers et pour cette raison difficilement accessibles pour les Arabes orthodoxes, qui ne peuvent pas se permettre de commander la copie des livres liturgiques. Toujours selon la lettre au tsar, de retour en Syrie, le patriarche distribua gratuitement ces livres aux prêtres et aux laïcs lettrés de la communauté orthodoxe locale. Ayant fondé une imprimerie à Alep, le patriarche fit éditer en 1706 le Psautier en arabe (il s’agit du livre publié par son collaborateur, ‘Abdallāh al-Zāẖir). Les fonds étaient toutefois insuffisants pour la publication des autres livres indispensables à l’Église: Évangile, Apôtre (Épistolier), Euchologe, Paraklètikè, Anthologion, Triode, Pentekostarion, Typikon. La recherche de subsides poussa le patriarche à s’adresser à l’ambassadeur russe pour que ce dernier cautionne l’envoi en Russie du protosyncelle Léontios, afin qu’il tente d’obtenir les aumônes nécessaires à la poursuite de l’œuvre typographique entreprise en faveur des pauvres Arabes chrétiens. La lettre de l’ambassadeur Pierre Tolstoï, qui accompagnait la missive du patriarche Athanase, date du 23 janvier 1707, ce qui permet de placer fin janvier la finalisation du projet de demande au tsar de subventions en faveur de l’imprimerie arabe. Cependant, juste après que le départ en Russie du protosyncelle du patriarche, porteur des deux missives, a été arrangé, le prélat d’Antioche décida d’ajouter à sa correspondance une autre brève note autographe8. Dans celle-ci, il assurait Moscou de sa bienveillance et de sa disponibilité envers l’ambassadeur du tsar présent à Constantinople. Cette petite lettre autographe a été rédigée le 11 février, donc, presque immédiatement après la mort du patriarche Dosithée de Jérusalem, survenue le 7 février, et fut ajoutée à la lettre du 11 février par laquelle l’ambassadeur Tolstoï annonçait aux autorités russes la mort du pontife et l’élection de son neveu Chrysanthe (1707–1731) à sa succession9. Dosithée II Notaras était l’un des protagonistes-clé des relations entre l’Église Orientale et la Russie à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Le patriarche affirme lui-même, dans l’une de ses dernières lettres au tsar, qu’il tient à informer le souverain des nouvelles et à conseiller le gouvernement russe, se déclarant fier de son « rang d’agent de l’État de Sa Majesté, veillé par Dieu »10. À cette époque le prélat se sentait déjà mal 8 RGADA, f. 52-1 n° 25 (11.02.1707), fol. 1r. 9 K apterev, N.F., 2008/1, « Snoshenija ierusalimskogo patriarha Dosifeja s russkim pravitel’stvom (1669–1707 gg.) ». In : Kapterev, N.F., Sobranije sočinenij, t. 1, Moscou, 2008, p. 733-734. 10 RGADA, f. 52-1, n° 1 (1706), fol. 66r. 50 Vera TChentsova et il se plaignait de rhumatismes qui l’empêchaient d’écrire lui-même ses lettres. Mais, durant toute l’année 1706, malgré l’affaiblissement physique et la peur d’une interception de sa correspondance par les autorités ottomanes, les échanges épistolaires entre, d’une part, le patriarche et son neveu Chrysanthe et, de l’autre, les Russes demeurèrent très intenses11. Le rôle dominant dans les relations de l’Église Orientale avec la Russie à cette époque revenait nettement à la chaire de Jérusalem, mais l’approche de la mort du pontife palestinien pouvait remettre cette primauté en cause. Ceci permet de supposer que la lettre du patriarche Athanase Dabbās datée de 1706 a été préparée soit au métoque du Saint-Sépulcre de Constantinople, dans l’entourage du patriarche Dosithée de Jérusalem, soit en accord avec ce milieu, et que le projet de mise sur pied d’une typographie arabe fut, en partie, le fruit des projets communs des deux prélats orientaux. Les premières tentatives pour lancer en Syrie l’impression de livres coïncident avec les efforts réalisés pour organiser l’enseignement des langues grecque et arabe en Palestine en 1706, ambition dont témoigne le sigillion du patriarche œcuménique Gabriel réglementant la répartition des moyens dédiés à cette cause12. Alors que le grand patriarche s’éteignait, l’autre sujet de préoccupation majeure pour les Chrétiens orientaux était la mise en accusation par les autorités ottomanes de leur bienfaiteur, le prince de Valachie Constantin Brâncoveanu, auquel on attribuait des contacts avec les Russes visant à inciter le tsar à la guerre avec la Porte. Ce n’est qu’au printemps de l’année 1707 que le prince put apaiser les dangereuses rumeurs, au prix de coûteuses largesses indispensables à conforter la faveur des élites politiques de Constantinople à son égard13. La rédaction des deux lettres du patriarche Athanase Dabbās, qui précède (pour la première) ou suit (pour la seconde) immédiatement le décès du patriarche de Jérusalem, coïncide dans le temps avec la période de troubles que traversait Constantin Brâncoveanu. Visiblement, l’incertitude quant au sort du prince régnant en Valachie et au destin de la chaire de Jérusalem incita Athanase (et, peut-être, une partie 11 Sur des nombreuses lettres échangées entre Dosithée et l’ambassadeur russe Pierre Tolstoï cf. : Krylova, T.K., 1959, « Russkaja diplomatija na Bosfore v načale XVIII v. (1700–1709 gg.) », Istoričeskije zapiski, 65, Moscou, 1959, p. 258-260 ; Yalamas, D.A., 2004, « Ierusalimskij patriarh Dosifej i Rossija. 1700-1706. Po materialam Rossijskogo gosudarstvennogo arhiva drevnih aktov ». In : Rossija i Hristianskij Vostok, t. 2-3, Moscou, 2004, p. 472-492. 12 hurmuzaki, E. de, 1915, Documente privitoare la Istoria Românilor, t. 14 : Documente Greceşti privitoare la Istoria Românilor, Iorga N. (éd.), pt. 1 (1320–1716), Bucarest, 1915, p. 372–376, n° 414. 13 r K ylova, T.K., 1959, « Russkaja diplomatija na Bosfore », p. 259. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 51 de l’entourage de Dosithée) à tenter d’établir des contacts directs avec la Russie en son nom propre. Il alla jusqu’à proposer de prendre le relais des fonctions d’agent et de conseiller de l’ambassadeur russe qu’avait longtemps exercées le pontife palestinien. La proposition d’Athanase reçut une réponse (datée du 15 août 1707) par l’intermédiaire de Gabriel Golovkine, qui avait succédé en tant que responsable de la politique étrangère russe à un autre correspondant des patriarches orientaux, le chancelier Théodore Golovine14. Dans sa lettre Golovkine remerciait le prélat pour ses efforts, l’informant que son protosyncelle recevrait une lettre du tsar par l’entremise de l’ambassadeur Tolstoï. Mais la bienveillance ainsi démontrée ne se manifesta ultérieurement par aucun renforcement effectif des rapports d’Athanase avec Moscou. Le gouvernement russe préféra ne pas remettre en cause les liens déjà établis : Chrysanthe, l’héritier de Dosithée sur la chaire de Jérusalem, récupéra le rôle dominant de son prédécesseur dans les relations de l’Église Orientale avec la Russie et conserva cette position privilégiée jusqu’au 1711. C’est également Chrysanthe qui fut informé par la lettre du 15 mars 1708 qu’une généreuse subvention lui avait été attribuée par Pierre le Grand15. Cette offrande en faveur de Chrysanthe devait faciliter le financement de ses activités, y compris de son entreprise typographique, alors que le protosyncelle d’Antioche parti en Russie ne put au contraire atteindre Moscou. Léontios s’arrêta en Petite Russie (Ukraïne), où il reçut néanmoins quelques généreuses contributions, et ce n’est qu’en décembre 1709 qu’il se présenta chez le nouvel hetman pour requérir la permission de continuer son voyage16. Léontios se garda toutefois bien de révéler dans la capitale russe qu’il avait bénéficié d’une aide importante d’Ivan Mazepa et de son colonel pour l’impression des Évangiles arabes. Les représentants du patriarcat d’Antioche quittèrent la Russie en avril 1710, ayant reçu quelques aumônes17. Mais les sommes offertes (70 et 20 roubles) ne suffisaient évidemment pas 14 RGADA, f. 52-1, n° 19 (15.08.1707), fol. 1r-5r (en russe avec une traduction grecque). 15 Ibid., n° 1 (1708), fol. 17v K; apterev, N. F., 2008/2, « Snoshenija ierusalimskih patriarhov s russkim pravitel’stvom s poloviny XVI do kontsa XVII stoletija », In : Kapterev, N.F., Sobranije sočinenij, t. 2, Moscou, 2008, p. 258-259. 16 Léontios expliquait son retard par l’ordre, intimé à la délégation du patriarcat d’Antioche par l’hetman Mazepa, de rester à Nijyn pendant qu’il contactait lui-même les autorités moscovites au sujet de leur quête. Il prenait sur lui d’envoyer au Bureau des ambassadeurs la lettre (c’est-à-dire celle datée de 1706) du patriarche. Cf. : RGADA, f. 52-1, n° 12 (16.10.1709), fol. 5r. 17 Ibid., fol. 19r, 24r. 52 Vera TChentsova

à relancer les presses. Cela était d’autant plus vrai que le pontife avait de vastes projets de développement de son entreprise typographique. Dans sa lettre adressée, probablement en 1713, à son compatriote damascène Pietro Damuses, résidant alors à Rome, il demandait que toute l’aide possible soit apportée au « Reverendo Gabrielle Maronita », chargé par le pontife d’acheter des polices de caractères, divers autres instruments et de nombreux livres18. Ce personnage, le maronite Gabriel Fahrāt, collabora en 1705 avec le patriarche pour la révision du texte arabe du « Divan » composé par le prince moldave Dimitrie Cantemir (1693, 1710–1711)19. En 1711 Gabriel partit pour l’Europe, visitant plusieurs villes et pays (Sicile, Malte, Espagne), y compris Rome d’où il rapporta à Alep une vaste collection de livres et manuscrits20. La liste compilée par le patriarche des livres à se procurer à Rome, en vue de leur impression à l’usage des Chrétiens syriens, était très vaste : « Tout ce qu’on peut obtenir des œuvres de St. Jean Chrysostome, de St. Jean Damascène, de St. Athanase le Grand, de St. Épiphane, pour la réfutation des hérésies, tout ce qu’on trouve des Histoires de Philon l’Hébreu [Philon d’Alexandrie] et de George Cédrène, le livre de Théodoret, évêque de Cyr, à propos des moyens de résoudre les difficultés et ambiguïtés de l’Ancien et du Nouveau Testament, les œuvres de Suidas, ainsi que tout ce qu’il y a de pareil à ces livres d’histoire et autres [livres] »21. On tiendra évidemment présent à l’esprit qu’Athanase pouvait encore à cette époque, en 1711–1713, disposer des subsides de son principal soutien financier, le prince Constantin Brâncoveanu. Mais les jours de celui-ci étaient comptés. En 1714, la tentative d’obtenir des fonds pour l’imprimerie en Russie correspondait, comme en 1709, à la disparition d’un généreux mécène de la typographie arabe, suite à l’emprisonnement et à l’exécution par les Ottomans du prince Constantin Brâncoveanu et de ses fils. Le prince

18 Congregazione per l’evangelizzazione dei popoli (De Propaganda Fide). Archivio storico, Scritture Riferite nei Congressi (dorénavant : APF, SC), Greci Melchiti, vol. 1, fol. 139r-139v. Sur l’influence des activités éditoriales romaines sur la chrétienté orientale cf. : Heyberger, B., 1999, « Livres et pratique de la lecture chez les chrétiens (Syrie, Liban), XVIIe–XVIIIe siècles ». In : Livres et lecture dans le monde ottoman. Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, série Histoire, 87-88, 1999, p. 209-223. 19 Feodorov, I., 2006, « Editor’s note ». In : Dimitrie Cantemir. The Salvation of the Wise man and the Ruin of the Sinful World, Cândea V., Feodorov I. (éds.), Bucarest, 2006, p. 58-59 ; Eadem, 2008, « The Arabic version of Dimitrie Cantemir’s Divan: A supplement to the editor’s note », Revue des Études Sud-Est Européennes, 46 (1-4), 2008, p. 195-212. 20 Simonescu, D., 1967, « Impression de livres arabes et karamanlis », p. 55. 21 APF, SC. Greci Melchiti, vol. 1, fol. 139v. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 53 subit le martyre le 15 août 1714 et dix jours avant sa mort le patriarche rédigeait les lettres envoyées à la cour russe, son dernier recours. Au vu de l’ampleur des projets d’Athanase et des vicissitudes des traditionnels champions de l’Orthodoxie, il n’est pas surprenant que le patriarche, à l’occasion d’une deuxième démarche auprès de la cour russe en 1714, se soit plaint à Pierre le Grand, au chancelier G. Golovkine et au prince Dimitry M. Golitzyn (à cette époque gouverneur de Kiev), que la mort ait saisi Léontios sur le chemin d’Alep, empêchant les cadeaux du tsar d’arriver à destination22. Ces lettres, expédiées par l’intermédiaire du hiéromoine Parthène, sollicitaient des fonds en faveur du travail typographique dédié aux « pauvres Arabes chrétiens » et rappelaient que le tsar russe constituait depuis toujours le seul recours du patriarche. Elles reçurent de nouveau l’approbation de l’ambassadeur Tolstoï, en passe de quitter Constantinople pour la Russie. Bien que le texte des missives spécifie que celles-ci furent rédigées à Alep, il est plus probable qu’elles l’aient été dans le métoque du Saint- Sépulcre de la capitale ottomane. Cette conclusion s’appuie sur l’analyse du filigrane du papier qui servit de support à la lettre du patriarche Athanase à Golovine, lequel présente un double motif associant des « armoiries » à « trois chapeaux »23. Ce filigrane se révèle identique à celui visible sur les lettres du patriarche Chrysanthe de Jérusalem rédigées à Constantinople et adressées à Pierre le Grand en 1708 ou à l’ambassadeur russe auprès de la Porte Ottomane, Pierre Shafirov, en 171424. La collaboration des deux patriarches, Athanase d’Antioche et Chrysanthe de Jérusalem, pour la promotion de l’importante entreprise que représentait pour la chrétienté d’Orient l’imprimerie d’Alep transparaît aussi dans l’ajout d’un mandement du patriarche de Jérusalem dans l’édition des Homélies d’Athanase de Jérusalem, réalisée en 1711 à Alep25. Ainsi, il est possible de supposer de nouveau que les contacts d’Athanase Dabbās avec la Russie furent orchestrés depuis le métoque constantinopolitain du Saint-Sépulcre et cette tentative pour obtenir de l’argent à Moscou pourrait avoir été inspirée par l’entourage du patriarche de Jérusalem, Chrysanthe. Mais à cette époque- là même les liens privilégiés avec les Russes, dont ce dernier jouissait jusqu’alors, à la suite de son oncle, commençaient, en effet, à lâcher. 22 RGADA, f. 52-1, n° 13, 1714, fol. 1r-1v (à Pierre le Grand), 6r (à Théodore Golovine), 8r (à Dmitry Golitzine). 23 Ibid., fol. 6r, 7br. 24 Ibid., n° 1 (1708), fol. 25r-25v ; n° 16 (12.10.1714), fol. 1r-3r.D Variante : ianova, T.V., Kostjuhina, L.M., 1988, Filigrani XVII veka. Po rukopisnym istočnikam GIM. Katalog. Moscou, 1988, n° 275 (indiqué par E.V. Ukhanova). 25 Nasrallah, J., 1949, L’imprimerie au Liban, p. 25. 54 Vera TChentsova

Les archives de Moscou ne livrent aucune information quant à l’issue de la mission du hiéromoine Parthène. Il semble que la cour du tsar, bien qu’appréciant les efforts du patriarche, ne se soit pas intéressée, autant que le voïvode Constantin Brâncoveanu ou l’hetman Ivan Mazepa, à la situation de l’Orient Chrétien. Pour ces deux derniers potentats, l’attention portée à la cause de l’Orthodoxie et au renforcement de l’Église Orientale s’explique par l’aggravation de la confrontation avec les Uniates et les Protestants de Transylvanie et de Pologne – Lituanie. La situation en Russie était toute autre. Ayant déjà délaissé le projet, initié sous Dosithée, d’établir une imprimerie grecque à Moscou, les Russes ne voulaient s’engager ni dans des projets de publications massives sur leur territoire de littérature polémique antilatine et antiprotestante en grec, ni dans l’organisation de l’imprimerie arabe en Syrie. La guerre avec Charles XII de Suède, qui dura jusqu’en 1721, et surtout la guerre russo-ottomane de 1710–1711 qui se termina par la défaite totale pour le tsar, qui dut concéder le traité du Pruth, détournaient les Russes de tout intérêt pour la situation religieuse dans l’Orient Chrétien26. Après le traité d’Andrinople conclu en 1713, la Russie abandonna pour quelque temps l’espoir d’élargir ses frontières au sud et d’apporter de l’aide à la cause de l’Orthodoxie.

RGADA, f. 52-2, no 719 (décembre 1706), fol. 1r. Lettre du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Empreinte d’un sceau.

26 Sumner, B.H., 1949, Peter the Great and the Ottoman Empire, Oxford, 1949, p. 26-33, 59-66. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 55

RGADA, f. 52-1, no 25 (1707), fol. 1r. Lettre du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Autographe.

RGADA, f. 52-1, no 25 (1707), fol. 1v. Lettre du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās adressée au tsar Pierre Ier. Empreinte d’un sceau. 56 Vera TChentsova

RGADA, f. 52-1, no 12 (1709), fol. 13r. Signature du protosyncelle d’Antioche, Léontios le Chypriote.

RGADA, f. 52-1, no 13 (1714), fol. 1v : signature du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās sur une lettre adressée au tsar Pierre Ier ; fol. 2r : traduction russe de la lettre. La correspondance du patriarche d’Antioche Athanase IV Dabbās... 57

Bibliographie

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CARMEN COCEA

Le recueil des Mille et Une Nuits (Alf layla wa-layla), le plus célèbre et le plus influent ouvrage de la littérature arabe, un chef-d’oeuvre incontestable de la littérature universelle, représente un gigantesque labyrinthe, toujours ouvert à la recherche : combien de contes y trouve-t-on ? Comment sont-ils venus à jour ? Dans quels milieux et à quelle époque ? Quel texte peut- on utiliser comme référence ? Voilà seulement quelques aspects que les orientalistes essaient d’éclairer.1 Je me propose de répondre dans cette intervention à quelques questions qui puissent intéresser le lecteur et le spécialiste en littératures orientales à la fois: qui a traduit Les Mille et Une Nuits en roumain, quand, où et à partir de quelle langue ? D’autre part, ma démarche s’adresse aussi à l’arabisant roumain d’aujourd’hui qui voudrait traduire intégralement l’original arabe des Mille et Une Nuits d’après une version qui soit acceptée unanimement comme une source valable. Il semble à peu près acquis que le premier noyau des Nuits – appelé Mille contes – était d’origine persane, avec des emprunts indiens, et fut traduit en arabe2 au milieu du VIIIe siècle, en Irak, plus précisément à Bagdad. À ce noyau initial se sont ajoutées une série d’oeuvres au sujet de grands personnages historiques comme le calife Haroun al-Rachid, ou des aventures sur mer, comme celles de Sindbad le Marin. Très vite adapté sous le titre nouveau de Mille et Une Nuits, le prototype des Nuits peut être regroupé, dès son arrivée dans le domaine arabe, avec d’autres recueils de

1 Voir Aboubakr Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire du texte et classification des contes, L’Harmattan, Paris, 2008. 2 Par Ibn al-Muqaffa‘a, cf. ibidem, p. 223. 60 CARMEN COCEA même origine et de même genre, comme Syntipas, Jali’ad et Shimas ou le célèbre Kalila et Dimna. Du XIe au XVIIe siècle – pendant ce qu’on appelle « l’ensemble égyptien » 3 – eut lieu la maturation des Nuits, y étant intégrée, successivement, de la littérature folklorique et savante, arabe et non arabe, surtout des contes merveilleux et de magie. « C’est sans doute en Égypte, aussi, que le recueil vit confirmés son titre définitif, son organisation telle que nous pouvons la connaître aujourd’hui et son contenu total ».4 À partir de 1704, Les Mille et Une Nuits connut un succès considérable et constant dans tout l’espace européen grâce à la traduction française d’Antoine Galland. Peu après, les premières traductions européennes de l’édition de Galland suivirent5 : • 1712, Londres – Arabian Nights Entertainments (1712, 2ème éd.; 1713– 1715, 3ème éd., 6 volumes), sans préciser le nom du traducteur ; • 1712, Leipzig – Talander, Die Tausend und eine Nacht (4 volumes, en allemand) ; • 1722, Venise – Le Novelle Arabe divise in mille ed une notte (12 volumes, en italien), sans préciser le nom du traducteur ; • 1732, Amsterdam – Duizend en één Nacht (12 volumes, en hollandais), sans préciser le nom du traducteur ; • 1745, Copenhague – Tusind og een nat, première traduction danoise, sans préciser le nom du traducteur ; • 1763, Moscou – Filatoff, première traduction russe ; • 1788, Gand – J. B. Rommel, De duyzind en eenen Nagt (12 volumes en flamand) ; • 1794, Frankfurt-an-Oder – première traduction judéo-allemande (8 volumes), sans préciser le nom du traducteur. Les traductions de l’édition de Galland se multiplièrent rapidement : vers la fin du XIXe siècle, des traductions dans toutes les langues européennes étaient disponibles.6 Le XIXe siècle apporte d’une part la célèbre édition arabe de Boulaq (en 1835) et, d’autre part, les premières traductions originales en Occident7 :

3 André Miquel dans la Préface des Mille et Une Nuits, édition présentée, établie et traduite par Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel, Éd. Gallimard, Paris, 1991, p. 9. 4 Ibidem. 5 Rangées ici dans l’ordre chronologique, cf. Nikita Elisséeff, Thèmes et motifs des Mille et Une Nuits, Institut Français de Damas, Beyrouth, 1949, pp. 76-77. 6 Ibidem, p. 77. 7 Telles qu’elles sont enrégistrées par N. Elisséeff, ibidem, p. 76-84. Les Milles et Une Nuits en version roumaine... 61

• Rasmussen, 1824, « la première traduction réellement originale »8 (4 volumes, en danois, d’après la première édition de Calcutta) ; • Hammer, avant 1823, la première traduction originale française (perdue), d’après un manuscrit cairote ; • H. Torrens, 1838, la première traduction originale anglaise, d’après le texte édité par MacNaghten à Calcutta (1 volume) ; • Edward William Lane, 1839–1841, The Thousand and One Nights, Commonly Called in England “The Arabian Nights’ Entertainments”, a New Translation from the Arabic with Copious Notes by Edward William Lane..., 3 vol., d’après les éditions de Boulaq, de Breslau et de Calcutta I ; • John Payne, 1882–1884, « la première traduction complète »9, The Book of the Thousand Nights and One Night: Now First Completely Done into English Prose and Verse from the Original Arabic, 9 vol., d’après les éditions de Boulaq I, de Breslau et de Calcutta I et II ; • Sir Richard Francis Burton, 1885–1888, Plain and Literal Translation of the Arabian Nights’ Entertainments, Now Entitled The Book of the Thousand Nights and a Night, 16 volumes, d’après les éditions de Boulaq I, de Breslau et de Calcutta I et II. Curieux d’anthropologie et d’étude de moeurs, le traducteur y fait une collection de traits dégradants et une sorte de statistique du vice. Sa traduction se distingue par le mélange d’archaïsmes et d’argot, ainsi que par l’accent mis sur la trivialité de certains contes ; • Joseph Charles Mardrus, 1899–1906, Livre des Mille et Une Nuits, traduction littérale et complète du texte arabe par le Dr. J.C. Mardus (16 volumes), d’après l’édition de Boulaq, avec des emprunts à Breslau et Calcutta II ; • M.A. Salie, 1929–1933, Kniga o Tysiatchi i odnoi natchi, 4 tomes, d’après l’édition de Calcutta II. Les multiples modifications de forme et de contenu subies par les récits sont largement expliquées par leur caractère anonyme, ainsi que par leur appartenance à la littérature « moyenne »10, « intermédiaire » entre le populaire et le classique. Du point de vue structurel, les contes sont enchâssés dans un récit- cadre ; c’est cette technique narrative, doublée par l’art de l’interruption,

8 Ibidem, p. 78. 9 Ibidem, p. 80. 10 A. Chraïbi, op. cit., pp. 15-20. 62 CARMEN COCEA qui crée le suspens, les ruptures de l’action et, à la fois, la continuité et l’unité du recueil. En ce qui concerne la thématique, le livre des Mille et Une Nuits est d’une grande richesse : la question de la justice qui pare à l’injustice, la vie et la mort, la puissance, la folie, la naïveté, la spiritualité élevée du mystique qui fait contraste avec le pragmatisme du marchand, la générosité et la sagesse opposées à la cruauté, la croyance sincère et discrète face à l’hypocrisie religieuse etc.11 Quant à la langue des Nuits, on constate que, malgré la présence d’un bon nombre de dialectismes, la majorité des textes est écrite dans une langue simple, mais « parfaitement classique, relevée çà et là par les exercices de la prose rimée et rythmée, et par la poésie aussi (...), qui s’insère parfaitement dans le texte, pour souligner l’atmosphère lyrique, élégiaque ou épique d’un épisode ».12 Un premier critère de classification des récits des Mille et Une Nuits est celui d’ordre quantitatif, qui fait distinguer entre récits brefs, récits longs et récits de taille intermédiaire.13 Si l’on prend en considération le genre littéraire à travers les contes, on en trouve six catégories : les contes merveilleux, les épopées, les romans, les contes d’humour ou de ruse, les historiettes et anecdotes et, enfin, les histoires morales, fables et illustrations de maximes.14 Revenant aux Contes arabes traduits en français par Antoine Galland, au début du XVIIIe siècle, on doit préciser qu’il ne s’agit pas d’un véritable texte oriental, bien qu’ils aient connu un succès immédiat et qu’ils soient devenus la source de la tradition des Mille et Une Nuits en Europe: aux premiers manuscrits authentiques15, Galland a ajouté, dans une étape initiale, des histoires provenant d’autres manuscrits de type similaire et, ensuite, il y a inclus des histoires qui lui avaient été racontées, selon son propre témoignage, par l’un de ses amis arabes.16 D’autre part, face aux versions anglaises du XIXe siècle – E.W. Lane, J. Payne et R.F. Burton – et à la 11 A. Chraïbi, dans l’Introduction aux Mille et Une Nuits en partage, sous la direction d’Aboubakr Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004, pp. 10-11. 12 M A. iquel, op. cit, pp. 13-14. 13 Cf. A. Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 224. 14 M Cf. A. iquel, op. cit., pp. 10-11. 15 « Des manuscrits arabes et turcs, parmi les meilleurs et les plus anciens, conservés aujourd’hui avec un fonds extrêmement riche à Paris, à la BnF » (A. Chraïbi dans l’Introduction aux Mille et Une Nuits en partage, p. 12). 16 Cf. Richard van Leeuwen, Orientalisme, genre et réception des Mille et Une Nuits en Europe, dans Les Mille et Une Nuits en partage, sous la direction d’Aboubakr Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004, p. 129. Les Milles et Une Nuits en version roumaine... 63 version française « érotisée et colorée, due à Joseph Charles Mardrus – (...), l’oeuvre de Galland ne passa plus généralement que pour une adaptation pâle et édulcorée. »17 Mais, malgré tout reproche, le succès de la variante proposée par Antoine Galland semble découler justement du caractère flexible de la traduction et de l’effort créateur adapté aux besoins et aux préférences de son époque, où la conception des « belles infidèles » prévalait en matière de traduction : « le bon traducteur arrange le texte pour qu’il plaise au lecteur (...). Tout ce qui est senti comme cru, laid ou bas est exclu de l’expression et, si possible, du contenu » ; d’autant plus, les Nuits issues de la tradition orale ou de la littérature intermédiaire acquièrent, chez Galland, une homogénéité nouvelle.18 L e début du XVIIIe siècle, qui apportait en France la première traduction des Nuits arabes, a représenté, aux Pays Roumains, un moment d’apogée de la culture orientale, grâce à l’activité d’érudits tels Nicolae Milesco, Dimitrie Cantemir et Ienăchiţă Văcărescu. D’autre part, les livres populaires qui circulaient, à la même époque, sous forme de copies manuscrites constituaient pour le grand public autant de ponts d’accès à l’univers riche et fabuleux de l’Orient : ce fut le cas de Barlaam et Josaphat, de l’Histoire d’Ahikar, de Syntipas et des Mille et Une Nuits.19 Aux dires de Mircea Anghelescu, « Malgré les déformations dues aux différents intermédiaires par lesquels ces livres sont passés (grec, slavon), ils conservent non seulement les sujets orientaux, le bagage spécifique de sagesse et d’expérience des peuples qui les ont conçus, mais aussi quelque chose de l’atmosphère originale, un style qui est le reflet même de l’Orient ».20 Les Mille et Une Nuits sont entrées dans la littérature roumaine par un intermédiaire néo-grec – de Polizois Lambanitziotis – qui, sous le titre nouveau de Halima (nom changé de Shéhérazade), mêle la traduction d’Antoine Galland (1704–1714) avec la version apocryphe de Pétis de la Croix, intitulée Les Mille et Un Jours (1714). En fait, le traducteur grec ne suivit aucun texte français, mais la traduction italienne des deux oeuvres françaises qu’on vient de citer : Novelle persiane divise in mille ed una giornate, tradotte in Francese e dal Francese nel volgare Italiano (Venise, 17 Sylvette Larzul, Les Mille et Une Nuits d’Antoine Galland, dans Les Mille et Une Nuits en partage, sous la direction d’Aboubakr Chraïbi, « Actes Sud », Arles, 2004, p. 251. 18 Ibidem, pp. 254-255. 19 Mircea Anghelescu, Literatura română şi Orientul [La littérature roumaine et l’Orient], Ed. Minerva, Bucarest, 1975, p. 176-177. 20 Ibidem, p. 177. 64 CARMEN COCEA

1720) et Novelle arabe in mille ed una notte, tradotte in Francese e dal Francese nel volgare Italiano (Venise, 1721–1722). La première édition de la version grecque a été publiée en trois volumes, à Venise (1757 : Ier volume, 1762 : IIe et IIIe volumes). Une vingtaine d’années plus tard, en 1783, le moine Raphaël du monastère de Horezu, en Valachie, traduit intégralement en roumain cette version de Halima. Un fragment de cette traduction parut en 1779, dans le manuscrit no. 1067 conservé à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine. Un autre fragment traduit de Halima, encore plus ancien, contient L’Histoire du calife Haroun al-Rashid. Daté 20 décembre 1771, le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Centrale Universitaire de Iasi et il est possible qu’il fut traduit – la forme des noms semble soutenir cette théorie (Jafer, Răşăd) – d’après la première version russe réalisée par Filatoff, parue à Moscou de 1763 à 1771. Cette traduction du moine Raphaël se trouve dans le manuscrit no. 2587 conservé à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine. Le récueil de Halima connut aussitôt un grand succès chez les lecteurs du XVIIIe siècle, dont les préférences pour le genre didactique et moralisateur furent remplacées par l’inclination vers les voyages fantastiques « en des lieux éloignés, inconnus, où le réel se confond avec le fabuleux »21. C’est ainsi qu’à la fin du même siècle circulaient déjà, dans les Principautés Roumaines, plus de quinze copies du manuscrit de Halima. De 1835 à 1838, Gherasim Gorjan publia, d’après la traduction du moine Raphaël de Horezu, le volume Halima sau povestiri mitologhiceşti şi arăbeşti (Halima ou des histoires mitologiques et arabes). À la même période (1836–1840), Ion Barac traduit Halima d’après un intermédiaire allemand et la fit publier à Braşov. La première traduction roumaine complète d’après Le livre de Mille et une Nuits de Joseph Charles Mardrus fut réalisée par Haralambie Grămescu. Elle fut publiée en 16 volumes, de 1978 à 1988, sous le titre Cartea celor o mie şi una de nopţi22, traduction exacte du titre français. Cette version corrobora la traduction russe faite par M.A. Salie (Kniga tîsiaci i odnoi noci, parue à Moscou, en 1959). Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, suivant l’inventaire fait par Ioana Feodorov23, on a publié 32 recueils complets ou partiels des Mille et Une Nuits. Si l’on fait une statistique des parutions individuelles, on note

21 Ibidem, p. 178. 22 Cartea celor o mie şi una de nopţi, édition traduite en roumain par H. Grămescu, Préface par O. Papadima, Ed. Minerva, Bucarest, 1978–1988. 23 Ioana Feodorov, The Arab World in Romanian Culture: 1957–2001, Ed. Biblioteca Bucureştilor, Bucarest, 2001, pp. 116-119. Les Milles et Une Nuits en version roumaine... 65 qu’Ali Baba et les Quarante voleurs jouit de 7 publications, Alladin ou la lampe merveilleuse, 5, et Sindbad le Marin, 4. En ce qui concerne une future traduction roumaine d’après une source arabe qui soit acceptée unanimement comme une source valable24, on a retenu l’exemple de deux projets français contemporains, proposés par des autorités dans le domaine : • D’une part, Les Mille et Une Nuits présentées, établies et traduites par Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel.25 Les trois volumes offrent « l’adaptation la plus étendue et achevée de toutes les adaptations françaises disponibles à ce jour » ; en confrontant les manuscrits26 et toutes les éditions imprimées – dont la plus complète est celle de MacNaghten, éditée de 1839 à 1842 (appelée Calcutta II), les auteurs ont réussi à « combler bien les lacunes et parvenir à un ensemble qu’aucune version arabe prise séparément ne peut proposer ».27 Les auteurs ont décidé de ne pas inclure les fameuses histoires d’Aladin, Ali Baba et Sindbad.28 • D’autre part, plus récemment, Aboubakr Chraïbi, dans son livre Les Mille et Une Nuits. Histoire du texte et classification des contes (L’Harmattan, Paris, 2008), présente la solution à laquelle son équipe de recherche – qui inclut, parmi beaucoup d’autres, André Miquel et Claude Bremond – a abouti. « Le procédé le plus rigoureux et le plus représentatif du corpus » fut suggéré par Claude Bremond : « Associer le contenu des différents manuscrits, en partant des deux textes de référence – à savoir, l’édition évoquée de Muhsin Mahdi (Leyde, 1984) et l’édition de Boulaq (Boulaq, 2 vol., 1835), en les complétant par les divers contes inédits présents dans les divers manuscrits des Mille et Une Nuits recensés jusqu’à ce jour »29 ; en somme, le corpus ainsi constitué comportera 305 contes.30 24 « Il y a une multiplicité de textes, qui posent tous quelques problème : (…) le problème de leur légitimité, de leurs origines, de leur contenu, de leur parenté » (A. Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 68). 25 Éditions Gallimard, Paris, 1991–1996 (I-III). 26 Y compris l’édition du manuscrit d’Antoine Galland, considéré comme le plus ancien, édition publiée, en 1984, par Muhsin Mahdi. 27 Cf. J.E. Bencheikh dans l’Avant-propos des Mille et Une Nuits, édition présentée, établie et traduite par J.E. Bencheikh et A. Miquel, Éditions Gallimard, Paris, 1991, I, pp. 19-21. 28 Sindbad de la mer fut publié séparément en 2001, édition de J.E. Bencheikh et A. Miquel, Éditions Gallimard, Paris. 29 A. Chraïbi, Les Mille et Une Nuits. Histoire..., p. 70. 30 Ibidem, pp. 70-80. 66 CARMEN COCEA

Pour conclure, on peut affirmer que l’arabisant roumain d’aujourd’hui, confronté à la traduction des Mille et Une Nuits, devrait surmonter deux catégories de difficultés : –– premièrement, c’est l’effort de choisir entre plusieurs textes, manuscrits, éditions, traductions composées pendant dix siècles (du IXe au XIXe) ; en ce sens, le procédé mentionné ci-dessus, auquel l’équipe conduite par Aboubakr Chraïbi a abouti, pourrait constituer un repère ; –– ensuite, ce sont les problèmes de traductibilité et d’adaptabilité à la culture roumaine, si l’on considère seulement la variété des récits et leur thématique, leur genre et leur registre d’expression. About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia at the end of XIXth century (the book we have to know everything about)

MARIA DANILOV

Itinerary of old Romanian books kept in foreign collections has to be rebuilt based on solid documentary study. A lot of exemplars of the first books printed in Romanian cultural space became part of public collections in Sankt Petersburg and Moscow through private donations during XIXth century. Prominent personalities of XIXth M. century – P. Pogodin, P. Uspenskij, A.F. Tolstoj, I.P. Karataev, A.B. Lobanova-Rostovski, P.I. Sciukin, Al. Iaţimirski, P. Sârcu and others – made such donations1. Also, they made valorous bibliophilic acquisitions during military and civilian expeditions in Balcanic countries, including Romanian Principalities and Bessarabia. ⁕⁕⁕ Some specifications. The most important collection of old Romanian books is kept in archives of National Library of Russia, in Sankt Petersburg. We notice that old Romanian printings from XIXth century, with precise dating, are considered unique and extremely valuable exemplars by Russian bibliographs. For example, Catalogue of Cyrillic Printings published by National Library of Russia in 1979 includes 66 titles; among them, 45 are attributed to south Slavic population and 21 – to Romanians, which is one third of entire patrimony of old books collection of National Library of Russia in Sankt Petersburg2. These rare books include extremely rare,

1 Выставка церковной старины в музее барона Штиглица. Перечень предметов, Петроград, март-апрель, 1915, 50 с. 2 Издания кириллической печати для южных славян и румын XV–XVII v. (1494–1688). Катало книг (составитель В.И. Лукьянов), Ленинград, 1979, 7. 68 MARIA DANILOV unique books of exceptional scientific interest: Evanghelie (1546), Apostol (1547), Biblia (1688), etc. The oldest book in collection – as attested by Russian bibliographical sources – is Tetraevanghel (1512)3 printed in Târgovişte, considered the third book printed by monk Macarie. The same typographer printed the first printed book in Romanian Principalities – Slavic Liturghier (Liturgical book, missal) (1508) that was printed at the same typography at Dealu monastery, under patronage of Romanian prince Radu cel Mare (1495–1508). One exemplar of Macarie’s Liturghier (1508) was identified in Bessarabia at the end of XIXth century. We don’t know exactly when that exemplar was brought to Bessarabia, but we certainly know that Moscow’s antiquary P.I. Sciukin bought it from priest Teofan Genetzki from Vorniceni village (Chişinău County)4. Al. Iaţimirski, who studied this rare book from I. Sciukin’s collection, considered it “the second exemplar attested de visu” – the first one being considered that discovered by Al. Odobescu in 1861 at the library of Bistriţa Monastery (Walachia)5. The affirmations of Bessarabian researcher considered only Romanian historiography. We have to remind here that in year 1861, Al. Odobescu discovered six exemplars of Macarie’s Liturghier at the Bistriţa Monastery6. Nowadays, only five exemplars are found in Romania: three of them are stored in the Romanian Academy Library. Two of these are from Bistriţa Monastery and are the most complete ones (exemplar no. 1 has 128 p.; no. 2 – 127 p.) The third exemplar is a donation and it belonged to the Bâlgrad church [Alba Iulia] and has only 72 pages (p. 1-47, in handwritten version). Another two exemplars of Macarie’s Liturghier are kept in the Library of Orthodox Metropolitan in Sibiu and National Library in Bucharest7. Our question is justified: where and when did other five exemplars from Bistriţa Monastery, attested de visu by Al. Odobescu in 1861, disappeared? As one century later, in 1961, P.P. Panaitescu only reminds them, without giving any other details8. 3 Издания кириллической печати..., Ленинград, 1979, 101. 4 А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник, в Известий Отделения русскаго языка и словесности Императорской Академии Наук, Санктпетербург, 1896, p. 792. 5 А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…, Санктпетербург, 1896, p. 792 -797. 6 d Al. O obescu, Despre unele manuscrise şi cărţi tipărite, aflate în mănăstirea Bistriţa (districtul Vâlcea în România), în: Revista Română, Bucureşti, 1861, vol. I, p. 819. 7 Mariana Iova, Catalog, CRV, Bucureşti, 2000. 8 P.P. Panaitescu, Introducere la istoria culturii româneşti, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1969. About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia... 69

Our purpose is to explore information about exemplar discovered in Bessarabia (Liturghier, 1508). Bessarabian researches at the end of XIXth century identified priority directions of research that are still insufficiently studied. We know less about the contribution of Bessarabian researchers to the old Romanian book issue. Actually, Bessarabia is not even mentioned in Romanian information flow. Investigations of Al. Iaţimirski and P. Sârcu in Slavic paleography are very important; they are considered to be the founders of Bessarabian Slavistics as an important area of research9. Due to Al. Iaţimirski’s activity in scientific life of Sankt Petersburg (1903–1912), a lot of publications about old Romanian culture appeared.10. Special attention is paid to the epoch of Slavonic in Romanian’s culture. Between years 1910–1913 he undertook documentation trips to Balcanic countries, Serbia, Bulgaria, and Romania. He was appreciated by Science Academy of Russia, in various periodicals of that time. A lot of researchers from Russia benefited of his consultations11. He is “a brilliant expert of old Romanian literature. Savant people from Russia and other countries considered him a precious consultant in the issues of Romanistics and old Slavic literature” 12.

Al. Iaţimirski, Moscow antiquary P.I. Sciukin and Macarie’s Liturghier (1508). Researches of Macarie’s Liturghier (1508) made by Al. Iaţimirski correspond to years of studies at Moscow University (1893–1899). Young researcher took advantage of opportunity to identify and classify the private collection of manuscripts of P.I. Sciukin, looking insistently to bring to light any detail regarding Romanian books13. At the same period, famous Moscow antiquary Piotr Ivanovici Sciukin (1857– 1912) started hard work of classifying and publishing his patrimony: his “Sciukin collection” (Щукинские сборники)14 was very well-known at

9 Ion Ţurcanu, Istoricitatea istoriografiei, Editura Arc, Chişinău, 2004, p. 35. 10 А.И. Яцимирский, Новый труд о старой славянской библиографии, СПб, 1900; Румыно-славянские очерки, СПб, 1903; Сказание вкратце о молдавских господарях, СПб,1901; Из истории славянской письменности, СПб, 1906; Из истории славянской проповеди в Молдавии, СПб. 1906; Язык славянских грамот молдавского происхождения, СПб, 1909. 11 Александрина Матковски, Персоналитэць каре ау сонтрибуит ла сонсолидаря релациилор молдо-русе. ын „Презенце молдовенешть ын публикацииле русe дин анийй 1886–1905”, Едитура Штиинца, Кишинэу, 1976, п. 5-7. 12 Александрина Матковски, Персоналитэць…, p. 53. 13 Ibidem, p. 36. 14 Краткое описание Щукинского музея в Москве, Москва, 1895, с. 713.; Опись старинных вещей П.И. Щукина, (составлена П.И. Щукиным и Е.В. Фёдоровой), 70 MARIA DANILOV those times. Based on collection’s research, Al. Iaţimirski published two monumental works that include description of 488 manuscripts from precious collection of P.I. Sciukin.15 We suppose that is the period when Al. Iaţimirski discovered Macarie’s Liturghier among old books from Sciukin’s collection. It seems that researcher’s interest for old books collections was constant. He mentioned in footnotes: “Catalogue of old printed books from Sciukin’s Collection, to be published later”16. We don’t know other details regarding Sciukin’s collection, but that catalogue was never published. Those who studied the collection later, completed Al. Iaţimirski’s works published in 1896, by classifying entire collection, from 489 to 1 184 manuscripts17. Thus we may conclude that manuscripts were the most valuable part of Sciukin’s collection. Afterward, investigation of old books from Sciukin’s collection (nowadays it is in the patrimony of Historical Museum of Moscow) was out of scientific attention during a century. Scientific information regarding Liturghier (1508) described by Al. Iaţimirski, in 1896, was available only for science people from Sankt Petersburg, no Romanian researcher explored it. Imposing collection of old books of P.I. Sciukin was donated to Historical Museum in 1905. Piotr Ivanovici Sciukin (1857–1912) was a reputed collector of antiques and oriental art. He built a special building to expose his collection, on Malaja Gruzinskja Street, that was opened as a public museum in 1895. But he continued to collect antiques after this year too. We suppose that Macarie’s Liturghier was brought especially from Bessarabia to Moscow to be sold to Sciukin. What is the destiny of this exemplar, bought from priest Teofan Genetzki from Vorniceni village (Chişinău County)?

Москва, 1896, часть I; II часть; Recueil de lettres et documents manuscrits anciens de la collection de Pierre Stschoukine à Moscou, Москва , 1897; Опись старинных славянских и русских рукописей, собранных П.И. Щукиным (составленная А.И. Яцимирским , I выпуск, Москва, 1896; II выпуск, 1897); Сборник старинных бумаг, хранящихся в музее П.И. Щукина [10 частей], Москва, 1896–1902 ; Азбучный и хронологический указатели к шести частям Сборника старинных бумаг, Москва, 1900; Бумаги, относящиеся до Отечественной войны 1812 г., [7 частей], Москва, 1897–1903. 15 А.И. Яцимирский Опись старинных славянских и русских рукописей собрания П. И. Щукина. 2 тт. Москва, Изд. П. И. Щукина, 1896–1897. 369 с., 278 с. 16 А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…, c. 792. 17 Дополнительное описание рукописей собрания Щукина, не включенных в описание Яцимирского (с № 489 по № 1184). [составленная Сперанским]. About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia... 71

As we mentioned above, the collection of old books was gifted to Moscow Historical Museum in 1905. At that time, the institution collected old books, and only in 1912 a special section of manuscripts and old printings [Отдел рукописей и старопечатных книг] will be created, it started the activity in 1914. After a hundred years, this fund had 31 000 pieces. For better organizing, it was decided in 1918 to separate manuscripts from old printed books. This collection is called “Menishih” [Собрание «меньших»] as there were less books of this type – 2023 titles of old books. In 1983 this fund was closed/finished. It included old books from private collections of E.V. Barsov, A.P. Brachşin, A.N. Goliţîn, A.S. Suvorin, S.A. Usov, P.I. Sciukin and others. To mention that this collection includes such bibliophilic rare as: Antologhion, Kracow; 1491, Octoih, Cetina, 1494; Biblia, Prague, 1517; Liturghier, Venice, 1519, etc. We insisted on these details regarding fund of manuscripts and old books, especially on collection of “Menishih” from the patrimony of State Historical Museum in Moscow, because these details are very important as we follow the itinerary of exemplar of Liturghier, that entered Sciukin’s collection. Today that exemplar can be found in patrimony of State Historical Museum in Moscow, fund of old books, collection “Menishih”/ Sciukin. But we found two exemplars of Macarie’s Liturghier in this collection18. Probably, the second one was bought by Sciukin later thus it wasn’t attested by Al. Iaţimirski.

Macarie’s Liturghier from Sciukin’s collection. Issues and interpretations. Historical perspective of Macarie’s Liturghier in Al. Iaţimirski studies is very relevant for knowledge of old Romanian books. Paper published in the journal of Imperial Academy of Sankt Petersburg, în 189619 deals with issues of cultural history in Romanian and Russian areas. Here are some ideas formulated by Al. Iaţimirski: • “Chronologically, Slujebnicul of monk Pahomie, printed in Venice at 1519, is considered the first printed slavonic Liturghier. In his solid work, I. Karataev describes the Slujebnic as the first printed book20. Other papers and bibliographical descriptions do not offer information about any earlier printings”. 18 Государственный Исторический Музей (ГИМ), ОР, Собрание «Mеньших», коллекция П.И. Щукина № 1422, № 1423 [„Пахомия иеромонаха 1508…”]. 19 А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник, в Известий Отделения русскаго языка и словесности Императорской Академии Наук, Санктпетербург, 1896, c. 792-797 20 Кapaтаев И. Описание славяно-русских книг, напечатанных кирилловскими буквами, Т. 1 (1491–1652), СПб., 1883, с. 44-47. 72 MARIA DANILOV

• “One Slujebnic was identified and studied long before. Prominent Romanian archeologist Al. Odobescu, who visited some Romanian monasteries in 1860, discovered that Slujebnic in the library of Bistriţa Monastery in Walachia, in the description of old manuscripts found at monastery and published a Romanian translation of ‘Afterworlds’ of that Liturghier. But no Russian bibliographer was aware of Al. Odobescu’ work.” • “The second exemplar of this rare edition was recently bought by Moscow antiquary P. I. Sciukin, from priest Teofan Genetzki [Vorniceni village, Bessarabia]. Thus we have the opportunity to add some detailed information about this interesting book, which is number ten in the list of the oldest printed books known in bibliographical sources. Description methods are the same as in I. Karataev works”21. Definitely, Al. Iaţimirski get wise of a fact that I. Karataev didn’t knew Al. Odobescu‘s work about Liturghier discovered in the library of Bistriţa Monastery in 186122, although the contribution of Russian bibliographer appeared lately, in 1885. Here we have to reflect about the level of mutual knowledge between Romanians and Russians – then and nowadays – regarding study of old books printed in Slavonic context. From such perspective, the value of Bessarabian exemplar is unique: because the research of Al. Iaţimirski identified it as “the first slavonic printed Liturghier”. Still, we have to mention that Al. Iaţimirski misdated Liturghier by year 1507. Instead, he bring to light certain data proving that “monk Macarie, who worked on printing the first Liturghier, is definitely the same Macarie who printed Octoih at 1510 and Evanghelia in 1512 and, probably, he is responsible for two earlier editions: Osmoglasnik printed in Montenegro at 1493–1494 and Psaltirea appeared in 1495”. Other observations of Al. Iaţimirski relates to the place where books were printed: “none of three known printings of Macarie have inscriptions about place of printing. Evanghelia printed in 1512, without indication of place, is possibly edited in Târgovişte (Walachia), because it was printed under command of voievod Basarab, by monk Macarie […]. Karataev presumes that Evanghelia from 1512 was printed in Târgovişte, former capital of Walachia. If this presumption is correct then it is very probably that Liturghier from 1507 [1508, – s.n. M.D.]”. Also, Al. Iaţimirski considered that Macarie probably became the Metropolitan of Walachia in 1516–1518, 21 А. Яцимирский, Первый печатный славянский Служебник…, c. 792-793. 22 Al. Odobescu, Despre unele manuscrise şi cărţi tipărite, aflate în mănăstirea Bistriţa (jud.Vâlcea în România), în: Revista Română, Bucureşti, 1861, vol. I, p. 819. About Macarie’s Liturghier (1508), discovered in Bessarabia... 73 after Metropolitan Maxim, if the singular sources we have are correct. It was Macarie who was mentioned in “Slovach nakazatel’nych” by Walachian voievod Ioan Neagoe to his son Teodosie, discovered by P.A. Lavrov, in the XVIth century manuscript in popular library in Sofia.23 Al. Iaţimirski made a detailed description of exemplar from Sciukin collection. 123 pages from Liturghier are described; there are 15 copybooks each containing 8 files. Also, he noted each page with frontispiece, initials, number of row on each full page (there are 15 rows), and spaces with no imprints, afterwords, etc. As he announced, the method of description is that of I. Karataev.

Conclusion. The researches of Al. Iaţimirski, in 1896, of Macarie’s Liturghier – exemplar bought from Bessarabia for Russian antiquary P.I. Sciukin – have great contribution to capitalization of historical information about first Romanian printed book in scientific life of Sankt Petersburg, first. Current investigations confirmed that exemplar of Macarie’s Liturghier is part of patrimony of State Historical Museum in Moscow, fund of old books, collection “Menishih”/Sciukin. Thus, old Romanian bibliography regarding “foreign beholders” has to include this exemplar, at State Historical Museum in Moscow, fund of old books, collection “Menishih”/ Sciukin, alongside with that stored in Popular Library in Serbia. The importance of historical data about Bessarabian exemplar of Liturghier is extremely important for both history of culture and for history of old Romanian books, as it is the first published book in Romanian area, so we have to know everything about it. Discovered in Bessarabia, this book acquires another dimension – that of unity and continuity of Romanians from all over the world.

23 А. Яцимирски, Первый печатный..., p. 794. Sur le chemin difficile de la modernisation : notes sur la censure dans les Balkans aux XVIIIe–XIXe siècles

NADIA DANOVA

Cette communication est consacrée au plus sérieux des obstacles rencontrés par les processus de modernisation dans les Balkans. Les points de vue des chercheurs de divers domaines de la science concernant le problème de la modernisation sont différenciés, car dans les dernières décennies du XXe siècle, la théorie de la modernisation acquit des nuances politiques actuelles. La notion de « modernisation » signifie d’une part un processus – au sens de modernisation, et d’autre part, le produit, le résultat, l’objectif, à savoir – la modernité. Dans notre texte, sous la notion de modernisation, nous allons comprendre le processus de transformation quantitative et qualitative de la société, la transition de la société traditionnelle à la société industrielle, l’évolution et le progrès des connaissances, la sécularisation dans toutes les sphères de la vie culturelle et des rapports sociaux, le rationalisme et le progrès des sciences, l’alphabétisation de la population, le progrès technique et l’industrialisation, le développement des communications, des contacts commerciaux et de l’urbanisation, le progrès des relations sociales, des institutions économiques, politiques et culturelles1. Le livre imprimé, qui est l’instrument fondamental de la modernisation,

1 Sur cette question, voir BENDIX, Reinhard. “Tradition and Modernity Reconsidered”, Comparative Studies in Society and History, 9, 3, 1967, pp. 292–346; DASKALOV, Rumen. “Ideas About, and Reactions to Modernization in the Balkans”, East European Quarterly, XXXI, No 2, June 1997, pp. 141–179; LAL, Deepak. “Does Modernization Require Westernization”, Тhe Independent Review, v. V, n. 1, Summer 2000, pp. 5–24; KELLEY, David. “The Party of Modernity”, Navigator, November, 2003, pp. 4–9; NIKOVA, Еkaterina. „Balkanskata istoriia razkazana kato modernizatsiia“ (« L’histoire balkanique racontée comme modernisation »). In: Iubileen sbornik. Izsledvaniia v chest na 80-godishninata na prof. Krastio Manchev. Sofia, 2006, pp. 573–584. Sur le chemin difficile de la modernisation... 75

était le principal véhicule de transmission des idées et des connaissances à travers le temps et l’espace. Son apparition eut un retentissement des plus considérables sur les peuples balkaniques. Le livre imprimé eut des conséquences importantes sur la vie idéologique, politique, religieuse et économique des sociétés balkaniques, provoquant de sérieuses mutations dans la mentalité des hommes de cette région, les préparant aux Temps modernes. De son côté, le livre imprimé fut le résultat de l’action réciproque de facteurs d’ordre culturel, économique et politique. Les différents aspects du phénomène « livre imprimé » ont fait l’objet de nombreuses études de la part des chercheurs des pays balkaniques, qui ont contribué à éclaircir les problèmes liés à la production et à la diffusion de la littérature imprimée2. Les résultats de ces études ont révélé des similitudes dans le développement de l’impression du livre chez les différents peuples balkaniques, permettant de parler de régularités communes, spécifiques de l’Europe du Sud-Est. C’est à l’historien grec, Philippos Iliou, que nous devons d’avoir éclairci la circonstance, à savoir que dans les conditions d’un pouvoir politique et religieux étranger, l’activité culturelle des peuples balkaniques et en particulier celle de l’impression du livre, se trouvaient pour une grande période de temps sous le contrôle absolu du patriarcat de Constantinople, qui jouissait non seulement d’un pouvoir financier et juridique important, mais dans le même temps contrôlait tout le mécanisme économique déterminant l’apparition du livre3. Les recherches comparées dans le domaine de l’impression du livre ont montré que les nouveaux phénomènes dans cette sphère étaient liés à la formation de la structure sociale bourgeoise et qu’indépendamment de certaines différences dans

2 STOIANOV, Мanio. Bukvi i knigi (Lettres et livres), Sofia 1978 ; LEKOV, Docho. Literatura – obshtestvo – kultura (Littérature-société-culture), Sofia 1982 ; GERGOVA, Аni. Knizhninata i balgarite ХІХ – nachaloto na ХХ v. (La littérature et les Bulgares XIX – début du XX s.), Sofia 1991 ; D’un intérêt particulier pour notre thème sont les communications du Simposium international Le livre dans les sociétés préindustrielles, tenu à Athènes en 1981, dont les Actes ont été publiés à Athènes en 1982 ; voir aussi : PAPACOSTEA-DANIELOPOLU, Cornelia, DEMENY, Lidia. Carte şi tipar în societatea românească şi sud-est europeană (Secolele XVII–XIX). Bucureşti, 1985 ; Buch und Verlagen im 18. und 19. Jahrhundert. Beiträge zur Geschichte der Kommunikation im Mittel- und Osteuropa. Hgg. GÖPFER, H.G., Berlin 1977. 3 Pour plus de détails sur cette question, voir ILIOU, Philippos. Prosthikes stin Elliniki vivliografia I. Ta vivliografika kataloipa tou E. Legrand kai tou H. Pernot (1515– 1799)(Compléments à la Bibliographie grecque. Les fonds bibliographiques de E. Legrand et de H. Pernot (1515–1799), Athènes, 1973, p. 36. Nouvelle édition : ILIOU, Philippos. Istories tou elienikou vivliou (Des Histoires du livre grec) (Éd.) MATTHAIOU, Anna, POLEMI, Popi, BOURNAZOS, Stratis, Herakleio 2005, p. 27. 76 NADIA DANOVA leur chronologie, chez tous les peuples balkaniques avaient eu lieu des processus similaires. Le nouveau s’est manifesté dans l’accroissement de l’intérêt pour les livres de contenu séculier, qui commençaient peu à peu à concurrencer les livres liturgiques et la littérature religieuse en général. Sont apparus des livres témoignant de l’accroissement de l’intérêt pour les sciences et en particulier pour les connaissances positives, liées aux exigences des Temps modernes. En liaison avec les besoins pratiques de la bourgeoisie montante, on a vu apparaître chez tous les peuples balkaniques des manuels de commerce, de comptabilité, de correspondance. Les changements intervenus dans la structure de la société balkanique ont fait naître la nécessité de l’apparition de livres destinés à codifier les nouvelles normes de comportement et de morale, de propager l’étiquette bourgeoise. Parallèlement à la littérature moralisante, on a vu augmenter le nombre des livres de caractère divertissant. Dans ces nouveaux livres sont apparus des termes savants ainsi que des termes exprimant les changements qui s’étaient produits dans la mentalité collective, comme, par exemple, « mode », « moderne », « tolérance religieuse », etc. On a vu augmenter aussi le nombre des livres de contenu historique, liés au processus de formation des identités nationales dans cette région de l’Europe. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peuples balkaniques ont commencé à traduire dans leur langue respective les ouvrages des représentants des Lumières anglaises, française, allemandes, italiennes et américaines, tels John Locke, Voltaire, Rousseau, Condillac, Leibniz, Wolf, Franklin, Jefferson, Beccaria, Newton, etc. On a commencé à élaborer des livres inspirés par les idées de ces grands hommes, dont les idées relativess aux problèmes du gouvernement politique, des rapports sociaux, l’Église, l’éducation, la langue, la science et la morale ont servi de modèle lors de l’élaboration des plates-formes idéologiques des représentants des Lumières dans les Balkans. Les recherches ont montré aussi qu’en raison du caractère spécifique de formation de la structure sociale de la bourgeoisie dans les Balkans, la force sociale qui avait joué un rôle principal dans l’organisation de l’impression et de la diffusion du livre au seuil des Temps modernes était notamment la bourgeoisie marchande. Les premiers porteurs des nouvelles idées stimulant les processus de transformation dans les Balkans étaient également liés aux milieux de la bourgeoisie marchande. En conséquence, l’impression du livre s’est développée dans des centres culturels qui se trouvaient dans la plupart des cas dans les pays occidentaux et étaient liés dans une grande mesure à l’activité économique des commerçants balkaniques. Très souvent, ces conditions faisaient naître une certaine distance entre les Sur le chemin difficile de la modernisation... 77 propagateurs des nouvelles idées et leurs compatriotes dans les limites de l’Empire ottoman, circonstance qui créait des obstacles à la production et à la diffusion du livre. La spécificité du processus de formation de la structure bourgeoise des sociétés balkaniques avait déterminé la formation relativement lente d’une intelligentsia séculaire. Aussi, pour une longue période, les personnalités liées à l’édition et à la diffusion du livre, étaient- elles issues des milieux du clergé. Dans les conditions existantes dans les Balkans, ce sont précisément les membres du clergé qui avaient les plus grandes possibilités de recevoir l’éducation et les subsides nécessaires à une activité d’édition. Cette circonstance a joué un rôle dans la formation du climat idéologique dans les Balkans et a eu l’importance d’un facteur entravant la naissance du radicalisme. Le fait qu’une partie importante des hommes cultivés, liés à la création du livre dans les Balkans, se rattachasse à l’institution de l’Église orthodoxe orientale qui durant la période envisagée jouait un rôle conservateur par rapport aux idées des Lumières, a mis son empreinte sur la production littéraire dans la région. La consolidation lente de la bourgeoisie dans les Balkans et l’absence d’institutions culturelles propres, étaient la cause de la large diffusion du système des souscriptions. Ce système qui était pratiqué en Angleterre au XVIIIe siècle, était utilisé pour la première fois dans les Balkans en 1749 et les listes des souscripteurs permettent de faire des observations par rapport aux problèmes de la sociologie du livre, le public de lecteurs, ainsi qu’au niveau des mentalités collectives, etc.4 On pratiquait dans les Balkans des méthodes similaires de réclamer le livre par des annonces, de même que les préfaces des éditions de cette période étaient chargées des mêmes fonctions. Des similitudes ont été constatées aussi dans la réalisation des traductions à partir des langues étrangères, une absence de droits d’auteur, le même rôle important des institutions médiévales des foires et des marchés dans la diffusion du livre, etc. Un problème important lié à la production et à la diffusion du livre pour lequel nous ne disposons pas encore de renseignements suffisants, est l’organisation et le fonctionnement de la censure. Sans connaître le rôle de ce facteur, le tableau de l’impression du livre en Europe du 4 Voir les recherches de notre collègue Philippos Iliou, qui sont fondamentales dans ce domaine : ILIOU, Philippos. « Pour une étude quantitative du public des lecteurs à l’époque des Lumières et de la Révolution ». In : Actes du Ier Congrès des Études Balkaniques et Sud-Est Européennes. Sofia, 1969 ; ILIOU, Philippos. Istories tou ellinikou vivliou, p. 119 ; ILIOU, Philippos. „Vivlia me syntromites. Ι. Ta hronia tou Diafotismou 1749–1821“ (Livres avec des souscripteurs. I. L’époque des Lumières), O Eranistis, Τ. 12, 1975, pp. 101–179, Τ. 16, 1980, 285–195. Nouvelle édition in : ILIOU, Philippos. Istories tou ellinikou vivliou, pp. 123–205. 78 NADIA DANOVA

Sud-Est ne serait pas complet. Malheureusement, les données relatives à cette question sont encore fragmentaires, mais elles méritent d’être exposées car bien qu’incomplètes, elles donnent une certaine idée du climat dans lequel travaillaient les créateurs des valeurs spirituelles dans les Balkans. Les recherches des spécialistes étrangers consacrées à la censure en Europe occidentale, l’empire des Habsbourg, la Pologne et la Russie5, fournissent un point d’appui à la comparaison permettant de faire connaître le mécanisme du fonctionnement de cette institution6. Nos premiers renseignements sont lies à l’espace culturel grec, mais pour une certaine période, ce dernier était partagé par les représentants cultivés des autres peuples balkaniques. S’étant engagée relativement plus tôt dans la sphère des rapports bourgeois, au XVIIIe et les premières décennies du XIXe siècle, la société grecque s’était vue dans le rôle d’intermédiaire entre les réalisations de l’Europe éclairée et les autres peuples balkaniques. Les restrictions imposées sur cette littérature qui répondait aux besoins spirituels des non-Grecs, touchaient en pratique les élites des autres sociétés balkaniques. Les restrictions imposées par l’Église orthodoxe aux livres grecs étaient en vigueur par rapport à la production littéraire des autres peuples balkaniques orthodoxes. En 1700 le prince valaque, Constantin Basarab, demanda l’avis du patriarcat de Constantinople au sujet de la traduction et de l’édition dans une langue accessible de l’Exégèse des quatre Évangiles, de Théophilacte d’Ochrid. La réponse du patriarche Kallinikos et du Saint Synode fut négative, et il y est souligné entre autre : « le peuple inculte ne comprend rien à ces choses-là, elles ne lui font que tourner la tête et s’assombrir, cela ne sert à rien… pour le peuple, il y a une chose, pour les instituteurs – autre chose ; les choses sages sont pour les hommes sages, les choses saintes – pour les hommes saints. Toutes les choses ne conviennent pas à tout le monde… »7 5 F EBVRE, Lucien, MARTIN, Henri-J. L’apparition du livre. Paris 1971, pp. 221– 224, 343–347, 412–455 ; WAGNER, H. „Die Zensur in der Habsburger Monarchie 1750– 1810“. In : Buch und Verlagen, pp. 28–44 ; WOJTOWISZ, H. „Zensurbestimmungen und Zensurpraxis im Polen des ausgehenden 18. und beginnenden 19. Jahrhunderts“. In : Buch und Verlagen, pp. 44–59, GESEMANN, W. „Grundzüge der russischen Zensur im 18. Jahrhundert“. In : Buch und Verlagen, pp. 60–75 ; MAHIELS, Jerome, Privilège, censure et index dans les Pays Bas meridionaux jusqu’au début du XVIIIe siècle. Bruxelles 1997 ; WEIL, Françoise. Livres interdits, livres persécutés, 1720–1770. The Voltaire Foundation, Oxford, 1999 ; BIRN, Raymond. La Censure royale des livres dans la France des Lumières. Odile Jacob, Paris, 2007. 6 Malheureusement l’étude d’Adrian MARINO. Cenzura în România. Cluj, 2000, fut inaccessible pour nous. 7 I LIOU, Philippos. Prosthikes stin elliniki vivliografia, pp. 32–33. Nouvelle édition : ILIOU, Philippos. Istories…, pp. 23–24. Sur le chemin difficile de la modernisation... 79

Des premières décennies du XVIIIe siècle date le cas de Méthodios Anthrakitis, instituteur et homme de lettres hautement cultivé, qui enseignait dans la célèbre, en ce temps, école de Jannina. Comme il est notoire, parmi ses élèves se trouvait aussi le Bulgare Partenii Pavlovitch, de Silistra. Anthrakitis est le premier homme de lettres à avoir appliqué dans les Balkans le système de la souscription. Il imprima un livre de mathématiques dont l’apparition ne dépendait plus des subsides de l’institution ecclésiastique, mais de la volonté d’un certain nombre de personnes de soutenir son entreprise. Antrakitis, qui avait fréquenté les universités occidentales, publia aussi un ouvrage consacré aux différentes religions, où il soumet à une critique violente le clergé, pour son ignorance et sa cupidité. Aussi, s’attira-t-il la colère du patriarcat de Constantinople qui l’anathématisa comme hérétique8. Le « Nomocanon » de Georgios Trapézoundios, qui date de la même période, témoigne des critères exigés par l’Église en ce qui concerne le choix de livres que devait lire le chrétien orthodoxe. Les seules lectures recommandées étaient les livres liturgiques, tous les autres livres étant « étrangers » et « diaboliques ». Trapézoundios en fournit les explications suivantes : « Si tu veux lire des livres historiques, tu as les livres des Rois dans l’Ancien Testament, si tu a le goût de la généalogie, tu as la Genèse, si tu as l’appétit de lire des lois et des ordonnances, tu as la loi orthodoxe de Dieu, notre Seigneur »9. D’ailleurs voici quelques exemples qui révèlent un aspect un peu plus différent de la position de l’Église à l’égard des connaissances. Datant des premières décennies du XVIIIe siècle, le livre de Chrissantos Notaras (1717), patriarche de Jérusalem hautement cultivé, témoigne d’une attitude relativement plus pondérée de l’Église vis-à-vis des différentes visions du monde. L’auteur défend la théorie géocentrique, mais dans le même temps, il présente touts les schémas de Copernic, sur lesquels repose sa théorie héliocentrique. En 1750, le patriarcat de Constantinople stigmatisa officiellement la Franc-maçonnerie et la littérature qui y était liée10. En 1766, Nikiphoros Théotikis, un homme d’Église hautement cultivé,

8 MI HAILARIS, Panagiotis. Aforismos. I prosarmogi mias poinis stis anagkaiotites tis Tourkokratias (Excommunnication. L´adaptation d´une punition aux besoins de l´époque de la domination ottomane). II éd., Athènes, 2004, p. 125, 395–398. 9 PAPASTATHIS, Haralambos. „Nomokanon Georgiou Trapezountiou“ (Nomocanon de Georgios Trapézoundios). Epetiris tou Kentrou Erevnas tou Elinikou Dikaiou tis Akadimias Athinon. Τ. 27–28, 1980, 1981, Athènes, 1985, p. 384. 10 DIMARAS, Konstantinos. Istoria tis neoellenikis logotehnias (Histoire de la littérature néo-hellénique), Athènes, 1975, p. 167 ; DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos (Les Lumières grecques), Athènes, 1980, pp. 65–66, 90. 80 NADIA DANOVA

édita une « Physique » où il soutenait la théorie de Copernic et avançait des points de vue qui le rapprochaient du matérialisme11. En 1768, un autre représentant du clergé orthodoxe d’Orient, Eugénios Vulgaris, élabora un ouvrage sur la tolérance où il introduisit pour la première fois dans la langue grecque le terme de « tolérence religieuse ». Voulgaris est le premier traducteur de Voltaire en grec12. En 1781, le célèbre instituteur et homme de lettre, Jossipos Missiodakas, édita une « Théorie de la géographie » où figuraient les thèses de Newton, de Locke, etc. Dans ce livre sont exposée parallèlement la théorie héliocentrique et la théorie géocentrique, l’auteur évitant avec tact de prendre position sur cette question épineuse13. À peu près à la même époque, on s’adressa à Nikiphoros Théotokis afin qu’il se prononça sur la question de l’authenticité du Feu sacré de Jérusalem. Le représentant du Haut clergé répondit que « ni le feu descend du ciel, ni surgit de la tombe », mais que cela ne devait pas être connu de la majorité des chrétiens car cette idée pourrait les repousser14. Les exemples énumérés représentent une partie des cas permettant de caractériser l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis du problème « quelle sorte de livres lire ». Ils témoignent cependant d’une certaine ambiguïté ainsi que de l’absence d’une prohibition systématique ou préméditée des livres s’écartant plus ou moins de la tradition consacrée. Cette position de l’Église allait changer brusquement après l’éclatement de la Révolution française. Un changement radical s’opéra aussi dans l’attitude de la protectrice des Orthodoxes, Catherine II, vis-à-vis des philosophes des Lumières, avec lesquels l’impératrice se flattait jusqu’à ce moment-là d’entretenir des relations. L’exécution du roi français, Louis XVI, l’hiver de 1793, servit comme un signal de mobilisation aux adversaires des idées des Lumières. L’admirateur susmentionné de Voltaire, Eugénios Vulgaris, qui était de l’entourage de Catherine II, écrivit une série d’ouvrages contre les philosophes français. Nikiphoros Théotokis, qui était également au service à la cour russe, traduisit en 1793 en grec le livre en trois volumes de l’adversaire de Voltaire, José Clémence, sans indiquer le nom de l’auteur, 11 KONDYLIS, Panagiotis. „To provlima tou ylismou stin filosofia tou Ellinikou Diafotismou“ (« le problème du matérialisme dans la philosophie des Lumières grecques »), O Eranistis, Τ. 17, 1981, pp. 214–216. 12 DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, p. 10, 143, 148–151. 13 KI TROMILIDIS, Pashalis. I. Moisiodax. Oi syntetagmenes tis valkanikis skepsis tou XVIII aiona. (I. Moisiodax. Les coordonneées de la penseée balkanique au XVIII siècle), Athènes, 1985, pp. 177–189. 14 KORAIS, Adamandios. „Dialogos peri tou en Ierosolymois agiou fotos » (« Dialogue sur le feu sacrée à Jérusalem“). Ιn : KORAIS, Adamandios. Apanta. Éd. VALETAS, Georgios, T. I, Athènes, pp. 691–693. Sur le chemin difficile de la modernisation... 81 dans le désir évident de s’assimiler à un auteur attaquant aussi violemment Voltaire. En 1793, le patriarcat de Constantinople condamna officiellement « la nouvelle philosophie », c’est-à-dire les idées des Lumières. Il anathématisa l’intellectuel grec, Christoforos Pamplékis, qui contribua beaucoup à la propagation parmi les peuples balkaniques des idées de la Révolution française et avant tout de l’Encyclopédie de Diderot15. En 1794, le patriarcat de Constantinople réagit négativement à l’apparition de la traduction grecque de l’ouvrage de Fontenelle, « De la pluralité des mondes », défendant la théorie de Copernic et la physique de Newton. En 1797, Sergios Makréos, professeur à l’École patriarcale, écrivit un ouvrage volumineux contre Copernic. Dans la quantité énorme de littérature élaborée par des représentants du clergé, liés au Patriarcat de Constantinople, le nom de Voltaire était devenu le symbole de tout ce qui était funeste pour l’orthodoxie et il était confondu avec l’idée de la franc- maçonnerie16. C’est de la première moitié du XVIIIe siècle que datent aussi les réactions contradictoires des institutions musulmane officielles de l’empire Ottoman, liées avec la première tentative d’imprimer des livres en langue ottomano-turque. La fondation et le fonctionnement de la première imprimerie ottomane en 1726–1746, est le produit de la période appelée « Lyale devri » – « L’époque des tulipes » (1718–1730) dans l’histoire de l’empire – période d’ouverture temporaire à la culture européenne, conséquence des nouveaux phénomènes dans le développement politique et social de l’État ottoman17. La conception et la fondation de l’imprimerie par Ibrahim Müteferika, un Hongrois qui s’était converti à l’islam, la légalisation de tout le processus de production de cette imprimerie, étaient le résultat des tendances pro-modernistes des milieux dirigeants qui avaient pris le dessus sur les milieux religieux18. Les contacts de plus en plus nombreux entre les Balkans et l’Europe occidentale à la suite de l’inclusion de la région balkanique dans le marché capitaliste, compliquaient au plus haut point la tâche des institutions religieuses défendant la tradition, de protéger leurs ouailles des influences extérieures. Pour le patriarcat de Constantinople, il devenait de plus en plus 15 DIMARAS, Konstantinos. Neoellenikos Diafotismos, pp. 154–159, 351. 16 Ibid., 90–97, 350–351 ; Sur cette question, voir aussi : CAMARIANO, Ariadna. Spiritul revoluţionar francez şi Voltaire in limba greacă şi română. Bucureşti, 1946, pp. 29–77. 17 SABEV, Orlin. Parvoto osmansko pateshestvie v sveta na pechatnata kniga (1726–1746). Nov pogled (Le premier voyage ottoman dans le monde du livre imprimé. Un nouveau regard), Sofia, 2004, pp. 30–46. 18 Ibid., pp. 137–144. 82 NADIA DANOVA difficile de faire arrêter l’impression de la littérature prohibée dans les grands centres européens, le fruit de l’activité des hommes cultivés concentrés à Paris, Leipzig, Venise et Vienne. Les efforts du clergé orthodoxe d’Orient de consolider la barrière entre les chrétiens des Balkans et l’Europe occidentale, trouvèrent leur expression dans une stratégie délibérée concernant l’organisation des mesures contre l’influence des « impies ». C’est notamment de cette époque que date la première information relative à l’introduction de la pratique de « l’imprimatur », autorisation d’imprimer accordée par l’Église à un ouvrage. En 1798, il existait déjà une commission spécialement constituée dans le but de contrôler la fidélité à l’orthodoxie des livres portés à l’imprimerie. De la même année (1798) date aussi l’ouvrage de Athanassios Parios, un ecclésiastique proche du milieu du Patriarcat, où celui-ci déclarait que les livres des « philosophes », c’est-à dire des porteurs des nouvelles idées, devaient être stigmatisés et brûlés19. Avec l’entrée des sociétés balkaniques dans l’époque des révolutions de libération nationale, le cercle des livres « indésirables » s’étendait. Et si dans la période précédente la lutte du patriarcat de Constantinople était concentrée principalement sur la restriction de la littérature menaçant son monopole sur la vie spirituelle des Orthodoxes, maintenant le Haut clergé s’identifiait au pouvoir politique devant lequel il répondait de la fidélité de ses ouailles. En 1797 fut arrêté l’idéologue de la révolution nationale grecque, Rigas Vélistinlis. Rigas était non seulement initiateur et organisateur d’un soulèvement commun de tous les peuples balkaniques contre la Sublime porte, mais aussi un brillant admirateur des idées des Lumières et de la Révolution françaises. Les documents qu’il avait élaborés, concernant l’organisation future des Balkans libres, représentent une adaptation aux conditions balkaniques de la législation de la France révolutionnaire. En 1798, le patriarcat de Constantinople édita une encyclique qui interdisait la constitution de Rigas, imprégnée par les principes de « Liberté, fraternité et égalité »20. Les milieux liés au patriarcat de Constantinople faisaient paraître une brochure spéciale, intitulée « Sermon paternel ». Par des citations de la Bible, on y démontre que pour l’homme, seule la liberté spirituelle avait de l’importance, et cette liberté était garantie par le pouvoir du sultan. Le pouvoir ottoman était envoyé aux Orthodoxes par Dieu pour les protéger du pape romain. Les principes religieux consacraient et légalisaient le pouvoir du sultan et celui qui se révoltait contre lui, était un impie. La démocratie à laquelle tant d’hommes aspiraient, n’était autre que désordre et ruine. 19 DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, pp. 163–164, 259, 306–307, 450. 20 Ibid., p. 142. Sur le chemin difficile de la modernisation... 83

Ce passage démonstratif à la défense du pouvoir ottoman est interprété par le représentant des Lumières grecques, Adamantios Koraïs, comme une preuve que « l’auteur turcophile soit disant avait peur que la liberté allait renverser la sainte religion chrétienne. Par cela, il montre indéniablement qu’il croit en Mahomet et non en Jésus-Christ ». Koraïs rédigea une brochure spéciale en réponse à la brochure patriarcale, car il redoutait que les étrangers penseront que « nous ne sommes pas seulement des esclaves, mais aussi des amis de l’esclavage, non seulement enchaînés, mais fiers de nos chaînes, et nous embrassons avec un respect servile le fouet dans la main du tyran »21. Or, Koraïs était parmi les plus brillants intellectuels grecs, auteurs de livres « indésirables » pour l’Église. Voici un ouvrage qui va compléter nos idées des critères selon lesquels un livre pouvait se retrouver dans la catégorie des « livres prohibés » dans cette période-là. Il s’agit de l’ouvrage monumental de Nikodimos du Mont Athos, un influant ecclésiastique grec, étroitement lié avec le Patriarcat. En 1800, il édita le livre volumineux, intitulé « Gouvernail », où sont exposées les règles observées par les vrais Orthodoxes. Le chrétien raisonnable ne devait pas lire « les livres destructeurs des impies, car ils nuisent aux faibles (pour ne pas dire les forts) dans la foi ». Nicodème énumère les livres portant préjudice à la foi, qu’on devait brûler et leurs lecteurs punis. Ce sont les ouvrages de « l’athéiste » Voltaire, les récits populaires du type de « Bertholdo », les contes de Halima, c’est-à-dire les contes de Mille et une nuits, ainsi que les romans d’amour, comme « La Bergère des Alpes », les récits de Lucien, etc. Tous ces livres qui divertissaient et faisaient rire, étaient nuisibles à la foi, car le rire rendait l’âme molle et paresseuse faisait oublier aux hommes la peur de la mort et du Jugement dernier22. Les premières décennies du XIXe siècle sont des années où la censure patriarcale prenait des contours plus précises. Stéphanos Doungas et Néophytos Dukas, de célèbres instituteurs et auteurs de nombreux ouvrages, étaient accusés d’éréthisme et leurs livres anathématisés23. Les ouvrages du leader du courant radical des Lumières grecques, Adamantios Koraïs, qui vivait et travaillait à Paris, devinrent l’objet de violentes attaques de la part des milieux liés au Patriarcat. Peu à son nom était devenu pour les milieux conservateurs le symbole d’athéisme. 21 Pour plus de détails sur cette question, voir : DANOVA, Nadia. „Razrivat mezhdu gratskite vazrozhdentsi i Tsarigradskata patriarshiia“ (« La rupture entre les militants des Lumières grecques et le Patriarcat de Constantinople »). In : Izvestia na Balgarskoto istorichesko druzhestvo. T. ХХVІІ, Sofia, 1970, pp. 42–44. 22 NIKODIMOS AGIORITIS. Pidalion (Gouvernail), Leipzig, 1800, pp. 6–7, 31. 23 DIMARAS, Konstantinos. Neoellinikos Diafotismos, pp. 344–345. 84 NADIA DANOVA

Au 1819, il existait déjà un « Index », liste des livres prohibés. Comme le fait souligner le grand spécialiste de la littérature grecque et balkanique, Konstantinos Dimaras, dans les années de préparation de la révolution grecque de 1821–1828, « rient n’était déjà suffisamment orthodoxe pour le Patriarcat »24. Celui-ci créa une imprimerie dans le but de concentrer l’impression des livres à Constantinople sous le contrôle de l’Église. En 1819, le patriarche Grégoire V édita une encyclique où il condamnait les sciences positives, surtout les mathématiques et la littérature scientifique en général, ainsi que les nouvelles théories sur le problème linguistique, celles qui exigeaient une langue littéraire accessible à tous. Dans le même temps, il critiquait violemment la pratique de donner aux enfants des noms de l’antiquité grecque. Il recommandait d’insister sur l’enseignement de la grammaire, la logique et la religion25. Dans son analyse de ce document, Philippos Iliou fait souligner à propos que dans ce cas étaient sans conteste visés Koraïs et ses partisans, qui bientôt seront proclamés comme « le parti de Koraïs »26. En 1820, le Patriarcat diffusa un pandahousa où il annonçait le rétablissement de l’imprimerie patriarcale et fixait les cadres idéologiques de la future activité d’édition. Il y était clairement indiqué que les ouvrages ne devaient pas être « des livres contenant des idées adverses et dont l’édition aurait ternit l’éclat de notre sincère soumission » au pouvoir ottoman, de même que ces livres ne devaient pas « offenser les représentants ecclésiastiques et séculiers de notre peuple », ce que font « malheureusement certains de nos compatriotes vivant en Europe »27. On y exposait aussi des mesures visant d’imposer la censure à des livres qui circulaient à Constantinople. De la même année (1820) datent les lettres de nombreux hommes cultivés, dont l’un est le Bulgare Nicola Piccolo, proche ami et collaborateur de Koraïs, décrivant l’organisation de la censure patriarcale et son fonctionnement. Au printemps de la même année, le Patriarcat édita une instruction à l’intention des librairies, leur défendant de vendre des livres qui n’auraient pas été soumis préalablement au contrôle de l’Église. Le contrôleur suprême de la censure était Ilarion de Crète, le futur métropolite de Tărnovo, considéré comme l’inspirateur et

24 Ibid., p. 165, 450. 25 DIMARAS, Konstantinos. Neoellenikos Diafotismos, pp. 366–368. 26 ILIOU, Philippos. „Tyfloson Kyrie ton laon sou”. Oi proepanastatikes kriseis kai o N.P. Pikkolos” (« “Dieu, aveugle ton people”. Les crises à la veille de la révolution grecque »). Ιn : Neoellenikos Diafotismos, Afieroma ston K.Th. Dimara. Athènes, 1980, pp. 580–626, II éd., Athènes, 1988, p. 46–48 (les pages sont indiquées d’après l’édition de la recherche de Philippos Iliou, de 1988). 27 Ibid., p. 48. Sur le chemin difficile de la modernisation... 85 l’organisateur de l’imprimerie patriarcale et en particulier de la censure28. D’après le témoignage d’un des représentants des Lumières grecques, Konstantinos Koumas, les livres « internes et externes », c’est-à-dire livres imprimés à Constantinople et livres imprimés hors de la ville, étaient soumis au contrôle par Ilarion de Crète en personne. De son côté, Nicola Piccolo écrit le suivant : « Maintenant la Sainte Inquisition est déjà complète. Rien à Constantinople ne peut être imprimé ou vendu s’il n’a pas été inspecté préalablement par Ilarion »29. En 1820, à Constantinople on brûla publiquement la brochure « Réfexions de Kriton » où son auteur revendiquait l’égalité de tous devant la loi, la souveraineté des lois et la restriction des prérogatives du clergé dans les affaires de l’Église30. Le début de l’insurrection grecque de 1821–1828 était accompagné par des gestes de fidélité des la part du Haut clergé orthodoxe, ce qui provoqua la rupture entre le Patriarcat et les Grecs insurgés. La politique générale du Patriarcat donna raison à Koraïs, qui continuait à jouer un grand rôle pour le nouvel État grec en train de se former, de demander que la Grèce libre ne reconnût plus la souveraineté du patriarche de Constantinople. Une des premières mesures des autorités grecques après la reconnaissance de l’indépendance grecque, fut la création en 1833 d’une Église autocéphale et indépendante de Constantinople. La même année, le Patriarcat entreprit de se venger de son adversaire Koraïs en défendant qu’on célébrât une liturgie en sa mémoire, ce qui avait le poids d’un anathème31. Les renseignements suivants relatifs au fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman, se rattachent aux années 1830. En 1836, le patriarche de Constantinople, Grégoire VI créa une Commission ecclésiastique centrale, qui avait pour but de neutraliser l’activité des missionnaires protestants en Europe du Sud-Est. Une partie de la documentation, liée à l’activité de cette commission, s’est conservée jusqu’à nos jours à Athènes, au Musée « Em. Benaki », et elle permet de juger des mesures entreprises contre les « luthéro-calvinistes » ou encore les « anglo-américains », comprenant la confiscation et la destruction par le feu des livres édités avec l’appui des protestants, indépendamment de leur contenu32. Il importe d’attirer l’attention sur l’argumentation complexe utilisée par

28 Ibid., 56–57. 29 Ibid., p. 59. 30 Ibid., 59–60. 31 Pour plus de détails sur cette question, voir : DANOVA, Nadia. „Razrivat“…, pp. 51–53. 32 Mouseion Emm. Mpenaki. Vivliothiki (Musée Emm. Benaki. Bibliothèque). Codex 69. Codex I., 1836. 86 NADIA DANOVA la commission, par laquelle il était ordonné aux métropolites locaux de confisquer et de brûler la littérature liée à l’activité des protestants, car « elle va corrompre notre sainte foi, notre caractère national, notre langue et nos nobles et valeureuses croyances, chères à nos ancêtres »33. Un des résultats de l’entière mobilisation de l’Église orthodoxe d’Orient furent les bûchers dressés dans les cours des églises de nombreuses villes et villages, sur lesquels on brûla les livres prohibés. Nous pouvons juger des autodafés organisés par l’Églises orthodoxe à travers l’empire d’après la correspondance de la Commission ecclésiastique, qui recevait des rapports détaillés qui rendaient compte de ce qui a été fait sur place conformément à ses instructions34. J’ose affirmer que les autodafés organisés par l’Église à l’intention de la littérature liée aux protestants, ont contribué énormément à la création et à la rapide diffusion des mythes, chers à certains représentants du XIXe siècle bulgare, des livres et des manuscrits bulgares brûlés par les Grecs dans le but de l’hellénisation des Bulgares35. Des années 1830 date aussi le premier renseignement relatif à la présence de la sombre institution de la censure dans l’esprit des Bulgares de cette période, liés à l’impression du livre. Nous rencontrons pour la première fois le mot « Censure » dans la « Brève description d’Histoire universelle », éditée en 1836, par Anastas Kipilovski, lettré et instituteur bulgare. Kipilovski fait part que le roi français Charles X avait supprimé la censure et profite de l’occasion pour expliquer à ses compatriotes ce que veut dire le mot « censure » : « Quand quelque part, quelqu’un veut imprimer un livre, on l’examine d’abord afin de voir s’il n’y ait pas des choses qui soient contraires aux règles civiles et ecclésiastiques, ou en général s’il n’est pas contre l’intérêt de ce lieu, et si on le trouve bon, on permet à ce quelqu’un de l’imprimer. Ce tribunal du livre est appelé Censure »36. Kipilovski, qui vivait principalement hors de l’Empire ottoman et avant tout dans les Principautés danubiennes, expose son opinion que les Bulgares devaient imprimer leurs livres dans des pays où il y a une censure, 33 Ibid., f. 8 а. 34 Sur l’activité de cette commission, voir : DANOVA, Nadia. Konstantin Georgiev Fotinov v kulturnoto i ideinopoliticheskoto razvitie na Balkanite prez XIX vek (Konstantin Georgiev Fotinov dans le développement culturel, idéologique et politique des Balkans au XIX siècle). Sofia, 1994, pp. 106–107. 35 TRIFONOV, Iurdan. „Predanieto za izgorena starobalgarska biblioteka v Tărnovo“ (« Le mythe d’une bibliothèque ancienne bulgare brulée à Tarnovo »), Spisanie na Balgarska akademiia na naukite, kn. 14. Klon Istoriko-filologitcheski i filosofsko- obshtestven. Sofia, 1917, pp. 1–42. 36 KI PILOVSKI, Anastas. Kratkoe natchertanie na vseobshtata istoriia (Précis de l’Histoire générale), Budim, 1836, p. 160. Sur le chemin difficile de la modernisation... 87 afin que le gouvernement ottoman ne regardât pas avec méfiance à leur livre37. Il est évident que ce lettré bulgare pense à l’union entre tous les partisans des principes du légitimisme sur la base duquel les livres devaient être censurés. D’ailleurs, chaque Bulgare de cette période-là, s’occupant d’activité littéraire, savait par quel contrôle devaient passer les livres en Russie avant d’être imprimé, puisqu’il pouvait lire dans les livres bulgares parus à Odessa, que ces derniers étaient imprimés avec l’approbation des employés à la Censure, K. Zelenetski et B. Pahman38. Or, c’était une censure réalisée d’après les principes de la Russie de Nicolas Ier, formulés clairement par S.S. Ouvarov, qui était à la tête en 1833–1849 du ministère de l’Éducation nationale. C’est précisément Ouvarov qui formula en 1832 la doctrine d’État « Théorie de la nationalité officielle », qu’il formula par les mots « orthodoxie, autocratie, nationalité », qui s’opposaient à la devise révolutionnaire de « Liberté, fraternité et égalité »39. C’est dans les archives de l’instituteur bulgare à Karlovo, Raino Popovitch que nous découvrons un document qui jette de la lumière sur certains détails du fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman. Une annonce s’est conservée, imprimée le 11 avril 1842 à Constantinople, qui nous apprend que les livres déclarés le 3 avril 1842 par un autre instituteur bulgare Ivan Dimitrievič, sont déjà « en vente libre et sans obstacles ». L’annonce se termine par la phrase : « à cause de quoi il est diffusé et la présente est scellée par la Commission ecclésiastique de la censure »40. L’autorisation citée, c’est-à-dire l’imprimatur, figure sur une série d’annonce pour des éditions bulgares au XIXe siècle. L’autorisation de la censure de la Commission ecclésiastique figure aussi sur le livre 37 S NEGAROV, Ivan. Prinos kam biografiiata na Raino Popovitch (Contribution à la biographie de Raino Popovitch). Sofia, 1959, p. 206. 38 Sur ces édition, voir : STOIANOV, Manio. Balgarska vazrozhdenska knizhnina (Littérature bulgare de l’ époque de la Régenération nationale). Т. І, С., 1953, с. 5, 25, 58. 39 DOSTAL, M.Iu. „Ob elementah Romantizma v ruskom slavianovedenii vtoroi treti XIX v. (Po materialam periodiki)“ /« Sur les éléments du Romantisme dans les études slaves du deuxième tiers du XIX s. (D’après les matériaux dans la presse) ». Slavianovedenie i balkanistika v otetchestvennoi i zarubezhnoi istoriografii. Moscou, 1990, pp. 16–17 ; VALITSKII, Andrei. „V krugu konservativnoi utopii“ (« Dans le cercle de l’utopie conservative »). Slavianofilstvo i zapadnichestvo: konservatiovnaia i liberalnaia utopiia v rabotah Andzheia Valitskogo. (Éd.) GALITSEVA, R.A.P. 1, Moscou, 1991, p. 24 sq. Je tiens à remercie ma collègue, Keta Mirčeva, qui a aimablement mis à ma disposition ces ouvrages. 40 Archives scientifiques de l’Académie bulgare des sciences, f.4 К, No 55. L’annonce est écrite en grec. Publiée dans : Obiavleniia za balgarski vazrozhdenski izdaniia (Annonces des éditions bulgares au XIX siècle). (Éds.) DANOVA, Nadia, DRAGOLOVA, Lidiia, LACHEV, Mitko, RADKOVA, Rumiana. Sofia. 1999, pp. 69–70. 88 NADIA DANOVA

Instruction orthodoxe, du moine bulgare Ilarion Makariopolski, édité en 1844 et imprimé à l’Imprimerie patriarcale de Constantinople41. Quelques années plus tard, en 1859, Ilarion figure parmi les membres de la Commission patriarcale de la censure42. Ne pas respecter la censure patriarcale avait pour conséquence la confiscation de l’édition qui n’avait pas reçu une autorisation spéciale. Nous observons des cas analogues en liaison avec la traduction du Nouveau Testament, éditée en 1840 par le moine bulgare Néophyte du Rila. À l’occasion de cette édition, le patriarche de Constantinople, Anthymos IV, envoya au monastère du Rila et aux métropolites dans les éparchies bulgares, un décret où il ordonne la confiscation de l’édition de Néophyte et son envoi à Constantinople43. Anthymos IV adressa la même ordonnance au chef de l’Église de la Principauté serbe, le métropolite Pierre, qui devait lui aussi prendre en considération les critères du chef spirituel de tous les Orthodoxes, au sujet des livres qu’on devait lire. La même mesure concernait aussi l’autobiographie, diffusée parmi les Serbes et les Bulgares, du remarquable représentant des Lumières serbes, Dositei Obradovitch, qui était entré dans un conflit violent avec l’Église44. Il convient de citer encore un exemple, révélant le mécanisme de la censure exercée par l’Empire ottoman. Il devient évident, des lettres du directeur de l’École de théologie dans l’île de Halki, Konstantinos Tipaldos, que le patriarche Anthymos VI avait ordonné que les livres édités dans l’Empire ottoman fussent contrôlés par les instituteurs slaves qui enseignaient dans cette école. Or, on sait que dans l’école en question enseignaient les lettrés bulgares, Néophyte du Rila et Ivan Dimitrievitch45. Les livres ne devaient contenir rien qui fût « contre la religion et la politique »46, autrement dit le pouvoir ecclésiastique était autorisée 41 S TOIANOVICH, Ilarion. Pravoslavnoe ouchenie (Enseignement orthodoxe). Istanbul, 1844. 42 Tsarigradski vestnik (Journal d’Istanbul), Х, № 447, le 5 septembre 1859. 43 RADKOVA, Rumiana. Neofit Rilski i novobalgarskata kultuta (Neofit Rilski et la nouvelle culture bulgare). Sofia, 1975, pp. 106–107. 44 D ELIKANIS, Kallinikos. Patriarhika eggrafa (Documents du Patriarcat de Constantinople). T. III, Istanbul, 1905, pp. 757–759. 45 ROUMBOS, Dimitrios. Balgarski prepodavateli i utchenitsi v Bogoslovskoto utchiliste na o. Halki 1844–1903 (Instituteurs et élèves bulgares à l’école théologique de Halki 1844–1903). Veliko Tărnovo, 2007. 46 M ETALLINOS, Georgios, METALLINOU, Varvara. Arheion tis Theologikes sholis tis Megalis tou Hristou ekklisias hieras Theologikis Sholis Halkis. Sholarhia Konstantinou Typaldou-Iakovatou, 1844–1864 (Archives de la sainte École théologique de la Grande Église du Christ à Halki. Les années sous la direction de Konstantinos Typaldos-Iakovatou, 1844–1865), Τ. I, Athènes, 1985, p. 239. Sur le chemin difficile de la modernisation... 89 d’exercer la censure par rapport non seulement à des questions concernant la religion, mais aussi par rapport aux idées politiques des auteurs. Nos idées sur le fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman deviennent plus complètes après avoir pris connaissance des tribulations des rédacteurs des premières éditions périodiques bulgares, « Liuboslovie » de Konstantin Fotinov, et « Bălgarski orel » de Ivan Bogorov. L’histoire du « Liuboslovie » (1842, 1844–1846) témoigne des difficultés que devait surmonter celui qui voulait obtenir l’autorisation du pouvoir ottoman d’éditer un journal ou une revue. Cette autorisation lui était accordée après de nombreuses requêtes, intercessions de personnalité en vue, etc. Comme on sait, en 1842 à Smyrne, était imprimé l’exemplaire d’essai du « Liuboslovie ». Quelque mois plus tard, après l’apparition de cette annonce imprimée, à Smyrne courut le bruit que le Patriarcat avait interdit la revue47. Après l’intervention de certains Bulgares influents à Constantinople, la revue continue à paraître régulièrement à Smyrne à partir du début de 1844. Dès le premier numéro, Fotinov s’adresse à ses lecteurs leur annonçant les conditions de publication des articles et les avertissant : « Si quelqu’un a quelque chose à dire, qui soit conforme à la langue bulgare et à la morale et ne soit pas opposé aux chefs et aux autorités au pouvoir, qu’il soit aimable de me l’envoyer »48. Un peu plus tard, les conditions de publication des articles dans la revue deviennent plus détaillés : « Chaque article doit être signé. Celui où il y a quelque désaccord, c’est-à-dire s’oppose aux autorités civiles ou ecclésiastiques, ou bien vise personnellement quelqu’un ; il nous est désagréable dans cette revue. Nous sommes obligés de ne présenter que des articles bons et louables, alors que les autres, les blâmables, les anonymes, ils montrent eux-mêmes qu’ils ne sont pas bons »49. Au début de la parution régulière de la revue en 1844, Rali Mavridi, son représentant pour Constantinople, fait part à Fotinov qu’il n’avait pas pu affranchir de la poste les exemplaires de « Liuboslovie » imprimés à Smyrne, car ceux-ci devaient être examinés d’abord par un Turc, envoyé par Ahmed pacha, un fonctionnaire haut placé, et aussi par un diacre envoyé par le Patriarcat. Ce n’est qu’après avoir établi que la revue « n’offensait personne », qu’elle « ne contenait rien d’outragent ni par rapport au pouvoir, ni par rapport à la religion »50, la revue pouvait être diffusée à travers l’Empire.

47 DANOVA, Nadia. Konstantin Georgiev Fotinov, p. 230. 48 Liuboslovie, I, p. 16. 49 Ibid., ІІ, p. 32. 50 Arhiv na Konstantin Georgiev Fotinov. T. 1. Gratska korespondentsiia (Les archives de Konstantin Georgiev Fotinov. T. 1. Correspondance grecque). (Éd.) DANOVA, 90 NADIA DANOVA

La correspondance de Fotinov nous révèle aussi une étape suivante de la censure des livres. L’évêque de Vraca, Agapii, informe Fotinov qu’ « il existe chez nous un ordre intérieur et extérieur interdisant de recevoir des livres qui ne soient pas examinés par la Commission ecclésiastique de Constantinople »51. La revue se trouvait encore sous le contrôle du Patriarcat l’année suivante (1845), lorsque Rali Mavridi n’arrive pas à affranchir de la douane les exemplaires de « Liuboslovie » avant que quelqu’un, envoyé par le Patriarcat, « ne les examine et ne dise de quelle sorte de livres il s’agissait »52. C’est toujours en 1845 que Rali Mavridi fait savoir à Fotinov que hadji Iordan (c’est-à-dire le lettré bulgare Ivan Seliminski), lui a dit « qu’il avait quelques ouvrages, composés à partir de livres en d’autres langues, grec, italien, français. Tous ces livres étaient traduits en grecs et il voulait maintenant qu’ils fussent traduits en bulgares. Ces ouvrages parlaient contre les évêques et s’il y trouvait moyen de les traduire, de lui les envoyer pour les publier, mais sans qu’ils fussent examinés par la censure, et une fois publiés de cette manière – distribués gratuitement parmi nos compatriotes »53. Nous ne connaissons pas la réponse de Fotinov, mais il avait rejeté probablement cette offre, car il avait déployé le maximum d’efforts pour garantir l’existence d’une édition périodique légale. Malgré tous ses efforts en vue de proposer une revue éducative qui n’irritât pas les autorités, Fotinov n’arrivait pas à éviter les attaques de ses adversaires idéologiques. Sa tentative de considérer les différentes religions comme équivalentes et sa tolérance religieuse étaient interprétés par certains orthodoxes fanatiques comme protestantisme. Ses adversaires s’efforçaient de convaincre les lecteurs bulgares que celui qui lisait le « Liuboslovie » deviendrait franc-maçon et que Dieu ôterait la prospérité de sa maison54. Fotinov s’est attiré la critique de quelques hommes influents, tel Vassil Aprilov, un riche négociant bulgare séjournant à Odessa55, et de l’historien russe d’Odessa, Murzakevitch, qui ne pouvaient pas accepter son projet Nadia. Sofia, 2004, pp. 280–282, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne, Constantinople, le 31 mai 1844. 51 Ibid., pp. 47–51, Lettre de l’évêque de Vraca, Agapii, à K. Fotinov à Smyrne, Vraca, 1845. 52 Ibid., pp. 309–313, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne, Constantinople, le 24 janvier 1845. 53 Ibid., pp. 326–328, Lettre de Rali Mavridi à Konstantin Fotinov à Smyrne, Constantinople, le 14 août 1845. 54 Liuboslovie, І, p. 125. 55 Archives de Konstantin Georgiev Fotinov, pp. 537–539. Sur le chemin difficile de la modernisation... 91 de modernisation qui suit les modèles occidentaux56. De son côté, cela signifiait que le « Liuboslovie » se voyait privé de souscripteurs à Odessa où étaient concentrés alors de nombreux et riches négociants bulgares. Le rôle de la censure apparaît aussi dans l’histoire de « Mirozrenie » (1850–1851), une revue que le Bulgare Ivan Dobrovski faisait paraître à Vienne. Dobrovski était arrivé à Vienne l’été de 1849 où il avait commencé à éditer sa revue, avec l’appui des représentants de l’intelligentsia des Slovènes, Thèques, Slovaques, Serbes et Croates57. Ayant vécu l’ébranlement révolutionnaire de 1848, le pouvoir impérial était prêt à favoriser les Slaves qui l’avaient aidé et sans doute Dobrovski en avait profité de ce climat. Sa revue renferme de nombreux articles témoignant de sa loyauté au pouvoir autrichien et ottoman. En 1848, le poste de censeur des éditions slaves à Vienne était occupé par le célèbre slavisant Pavel Safarik58, avec lequel Dobrovski entretenait des relations étroites. C’est probablement à ce fait que nous devons la présence dans la bibliothèque de ce savant de certains exemplaires uniques de la littérature bulgare imprimée parmi lesquels est l’annonce de Dobrovski pour le « Mirozrenie »59. Les données dont nous disposons relatives à la diffusion de « Mirozrenie » dans les limites de l’Empire ottoman ne nous donnent pas raison de penser que cette revue ait rencontré quelques difficultés de la part de la censure. Nous disposons cependant de la lettre d’un des commanditaires de « Mirozrenie » pour Odessa, Chrisro Mutev, écrite le 30 octobre 1851, dans laquelle il est dit, entre autre : « Dobrovitch m’a envoyé de Vienne son journal “Mirozrenie”, mais la censure ne le fait pas passer avant qu’il ne soit approuvé de Peterbourg »60. Nous n’avons pas d’information pour savoir ce qui est arrivé ensuite, mais si on se demandait de quoi Dobrovski pourrait-il « se rendre coupable », il n’est

56 MINKOVA, Liliana. „Odeskiiat istorik Nikolai Nikiforovitch Mourzakevitch i Balgarskoto Vazrazhdane (Vtora tchast)“/« l’historien odessite Nikolai Nikiforovitch Mourzakevitch et la Régéneration bulgare (Deuxième partie) ». Istoritcheski pregled, 2003, № 3–4, pp. 119–148. 57 Sur la période viénnoise de Dobrovski, voir : DANOVA, Nadia. Ivan Dobrovski v perspektivata na balgarskiia XIX vek (Ivan Dobrovski dans le perspective du XIX siècle de l’histoire bulgare). Sofia, 2008, pp. 160–190. 58 PAVLOV, Ivan. Zapiski po slovashka literatura (Esquisses sur la littérature slovaque). Sofia, 1995, p. 233. 59 DANOVA, Nadia. „Otnovo za Pavel Safarik i balgarite“ (« De nouveau sur Pavel Safarik et les Bulgares »), Retoriki na pametta. Iubileen sbornik v tchest na 60-godishninata na profesor Ivan Pavlov. Sofia, 2005, pp. 323–334. 60 Iz arhivata na Naiden Gerov (À travers les archives de Naiden Gerov). (Éd.) PANCHEV, Todor, II Partie, Sofia, 1914, pp. 77–78. 92 NADIA DANOVA pas exclu que sa revue pourrait irriter la censure russe de Nicolas Ier par ses éloges du réformateur Pierre Ier, considéré comme un « antéchrist » par les slavophiles réactionnaires61. Nous savons aussi avec certitude que « Mirozrenie » n’etait pas bien accueilli en Russie par certains Bulgares, liés à la politique officielle russe, comme Nikolai Palaouzov. La revue de Dobrovski était critiquée pour l’orthographe simplifiée qui, de l’avis de Palaouzov, éloignait les Bulgares des autres Slaves et était « une imitation impardonnable des peuples occidentaux »62. Les changements intervenus dans l’Empire ottoman après la guerre de Crimée, impliquaient aussi la réorganisation du système législatif ottoman conformément aux tentatives de modernisation de l’empire par le Tanzimat. La législation ottomane prévoyait plusieurs modalités ayant trait à l’édition du livre63. D’un intérêt particulier pour notre recherche sont les actes gouvernementaux publiés en 1857, réglementant l’édition du livre dans l’empire. Le règlement concernant les imprimeries du 2 février 1857 statuait que celui qui désirait ouvrir une imprimerie devait présenter une requête qui allait être examinée par le Conseil de l’instruction publique et le Ministère de la police. La requête était présentée ensuite dans un rapport officiel au Grand Vizir qui donnait l’autorisation. Le règlement ordonnait aussi que ceux qui voulaient faire imprimer des livres étaient tenus d’en informer d’abord l’Administrateur général qui renvoyait leur requête au Conseil suprême de l’instruction. Après l’avoir examiné, cette instance la transmettait dans un rapport officiel au Grand Vizir, mais, comme il pouvait arriver, ce dernier « ne donnait pas l’autorisation et le solliciteur ne pouvait imprimer même pas une lettre ». Afin de pouvoir être imprimés, les livrent ne devaient contenir aucune « chose offensant » l’État et le gouvernement64, autrement dit, nous voyons fixée dans un acte gouvernemental une condition qui réitère celle formulée dans le « Liuboslovie » de Fotinov. La loi sur la presse, publiée le 19 décembre 1864, décrétait que nul journal ou édition périodique, dans quelque langue que soit, « de contenu 61 Sur cet esprit dominant la slavophilie officielle en Russie, voir : STEFANOV, Pavel. „Tsar Petar Veliki kato antihrist v ruskoto obstestveno saznanie“ (« Pierre le Grand en tant qu’antichrist dans l’esprit publique en Russie »), Istorichesko badaste, 2003, № 1–2, pp. 71–78. 62 Sur cette question, voir des détails chez : DANOVA, Nadia. Ivan Dobrovski, pp. 464–466. 63 Voir sur cette question : DUMONT, Paul. « La période des Tansimats 1839– 1878 ». Histoire de l’Empire ottoman, sous la dir. de MANTRAN , Robert. Paris, 1989, p. 476 sq. 64 Palna sabranie na darzhavnite zakoni (Recueil complet des lois de l’ État). (Éd.) ARNAOUDOV, Hristo, T. ІV, Sofia, 1886, pp. 162–163. Sur le chemin difficile de la modernisation... 93 politique ou civique », « n’est pas admis à être composé et publié sans l’autorisation spéciale du gouvernement du sultan ». Les éditions ayant reçu la permission ne devaient pas être dirigées contre la sécurité et la paix intérieure de l’empire. Elles ne devaient pas contenir des propos outrageux contre l’État, le sultan, les religions dans l’empire, les bonnes mœurs, les alliés de la Haute Porte et leurs ambassadeurs. Le système des mesures punitives respectives, variant d’amandes à la prison, était élaboré très en détail. On prévoyait des circonstances liées à l’impression des différents journaux, et en particulier les mesures garantissant la responsabilité des rédacteurs et des propriétaires des éditions respectives, comme par exemple, la déposition de chaque numéro de l’édition, avec la signature, ou bien le cachet « autorisée » obligatoire, apposée sur chaque feuille65. Les années suivantes fut élaboré par des dispositions complémentaires le système de censure des livres imprimés hors de l’empire, qui prévoyait aussi la confiscation des éditions désapprouvées66. La presse périodique bulgare tenait les Bulgares au courant des décisions des autorités ottomanes en ce qui concerne la liberté de l’expression et les mesures restrictives prévues par les lois sur la presse de 1857, 1858, 1864, 1872 et 187467. Dans les éditions bulgares de Constantinople commençaient à apparaître des mentions au sens que celles-ci avaient obtenu l’approbation de « la censure royale »68. Parmi les Bulgares ayant rempli des fonctions de censeurs pour les éditions bulgares, figurent Nikola Mihailovski, Nikola Genovitch et Dragan Tsankov, tous des personnalités ayant reçu une bonne éducation pour leur temps. En rapport avec ce problème qui mérite des recherches approfondies dans les archives bulgares et ottomanes, je me contenterais seulement à souligner que l’introduction des lois sur la presse ottomanes était devenue l’occasion pour la presse périodique bulgare de faire publier de nombreux et importants articles sur les problèmes de la liberté de l’expression. Une place particulière y occupent les articles de Liuben Karavelov, proclamant l’entière liberté de l’expression en tant que garantie du développement de l’individu et de la société69. Les données ayant trait au fonctionnement de la censure dans l’Empire ottoman fournissent un matériau de réflexion concernant rôle 65 Ibid., p. 167. 66 Ibid., 173–176. 67 Tsarigradski vestnik, VІІ, 319, p. 1, le 9 mars 1857 ; VІІІ, 370, p. 1, le 16 mars 1858 ; La Tourtsiia, І, 21, 23, 12 et 19 décembre 1864 ; Pravo, ІV, 37, p. 146, 8 novembre 1869, et bien d’autres. 68 STOIANOV, Manio. Balgarska vazrozhdenska knizhnina, Т. І, p. 25. 69 Nezavisimost, ІV, 33, le 1er juin 1874, Narodnost, І, 16, le 28 janvier et le 3 février 1868. 94 NADIA DANOVA de l’autocensure que s’étaient imposée les lettrés de cette période, dans le désir que leurs livres voient le jour à tout prix. Elles expliquent en partie l’absence d’un radicalisme saillant dans la production imprimée de la plupart des lettrés. Elles font mieux comprendre les cas d’une circonspection ostensible, comme par exemple, le cas où Vassil Aprilov, qui vivait en Russie, conseillait Ivan Bogorov, l’éditeur du journal « Bălgarski orel » (L’Aigle bulgare), de renoncer de ce titre et d’adopter le plus inoffensif « L’Abeille bulgare ». Aprilov continue avec ses conseils de la manière suivante : « Il est mieux que le rédacteur évite des expressions comme “pouvoir civile et libre”, “les faits et gestes de nos braves et de nos rois”, “la gloire de notre patrie”, etc. De même qu’il évite sagement la description de tels sujets que les malintentionnés pourraient les considérer comme mauvais »70. Bien entendu, on devrait prendre en considération aussi les cas d’une censure particulière, imposée par les éditeurs des ouvrages de certains auteurs « qui aiment les conflits », poussés par des « considérations nationales ». Le résultat de cette censure non-officielle est la parution d’éditions « édentées » des ouvrages de penseurs radicaux, comme Adamantios Koraïs71 et Néophyte Bozveli72, en raison de la critique violente contre les hautes couches sociales de leurs propres sociétés que ces ouvrages contenaient. Le fonctionnement des différents mécanismes censoriaux s’avérait effectif à cause aussi des ressources financières limitées des éditeurs bulgares de livres et de journaux. Il y a quelques années, j’ai essayé de calculer, autant que possible, les dépenses de production du « Mirozrenie » et du « liuboslovie », de même que d’établir la totalité des noms des souscripteurs qui nous sont connus. Le résultat était que je n’ai pas pu obtenir un nombre garantissant le rétablissement de la somme d’argent investie qui eût garanti l’entretien de ces éditions73. Autrement dit, il était indispensable que quelqu’un investisse une grande somme d’argent et 70 Liuboslovie, ІІ, 21, p. 140. 71 ILIOU, Philippos. „Ideologikes chriseis tou Koraismou ston eikosto aiona“ (« Utilisations idéologiques du Koraisme au XXe siècle »). In : Diimero Korai. Athènes, 1984, pp. 143–207. 72 A RNAOUDOV, Mihail. Nepoznatiiat Bozveli (L’inconnu Bozveli). Sofia, 1942, pp. 5–6, 27, 50, 128, 136. 73 DANOVA, Nadia. „«Ah, prokliati pari!!!»“ Ili zhizneopisanieto na « Mirozrenie » v tsifri (« “ Ah maudit argent !!! ” Ou la biographie de la revue “Mirozrenie” en chiffres »). In : Pari, dumi, pamet. Sofia, 2004, pp. 28–41; Idem. „Nisto niama bez pari“ (« Il n’y a rien sans argent »). In : Profesionalizam i traditsii. 110 godini organizirano zhurnalistichesko dvizhenie v Balgariia. Sofia, 2006, pp. 17–31. Sur le chemin difficile de la modernisation... 95 prenne le risque de cette édition pour que celle-ci ait pu être réalisée. Pour « Liuboslovie », la personne qui a aidé financièrement la revue, était Rali Mavridi, négociant de Constantinople, pour « Mirozrenie » – le négociant viennois Anton Tsankov. Dès le moment où les sponsors eussent retiré leur soutien, les deux revues avaient cessé de sortir. Ivan Bogorov avait commencé à éditer son « Bălgarski orel » avec l’argent qu’il avait gagné de l’édition de sa grammaire, de ses appointements d’instituteur et avec le soutien de commerçants bulgares à Bucarest. Il réussit à faire sortir seulement trois numéros de son journal car ses sponsors perdirent de l’argent dans un incendie74. Nous ne pourrions absolument pas parler, dans les trois cas cités, de quelque bénéfice de l’éditeur, ou autrement dit, nous ne pourrions pas considérer l’activité des premiers journalistes bulgares comme ayant été un travail lucratif. En 1849, dans son annonce pour l’édition de « Proverbes », Vuk Karadzhitch écrit le suivant : « Chez nous, il n’a pas un vrai commerce du livre »75, ce qui est valable aussi, dans une grande mesure, en ce qui concerne aussi les conditions bulgares. Comme l’ont constaté les historiens du livre dans l’aire européenne, l’impression du livre avait commencé à fonctionner dès son apparition comme une industrie régie par les mêmes lois réglementant les autres sortes de productions, alors que le livre était un article produit par les hommes avant tout pour pourvoir à leur subsistance. Le marché du livre, lui-même, était régit par les mêmes règles que les autres types de marchés76. En faisant la synthèse de ses observations sur le développement de l’impression du livre à l’échelle mondiale, l’historien du livre, Robert Darnton, arrive à la conclusion qu’en raison des différences dans les conditions, les lieux et les époques, « il serait vain de s’attendre que la biographie d’un livre confirmât un seul et même modèle. Mais dans son ensemble, le livre imprimé passe par le même cycle vital. Il pourrait être décrit comme une chaîne de communication, qui part de l’auteur vers l’éditeur (si le libraire n’assume pas ce rôle), l’imprimeur, le transporteur, le libraire et le lecteur »77. Les sources documentaires relatives au XIXe 74 B OGOROV, Ivan. I se zapochna s „Balgarski orel“ (Et on a commencé par « Balgarski orel »). Sofia, 1983, p. 385. 75 Obiavleniia, izbor oglasa na knige i listove, 1791–1871 (Annonces, choi des annonces dans des vivres et sur feuilles, 1791–1871). (Éd.) DOBRASHINOVITCH, Golub. Belgrade, 1974, p. 150 (75). 76 F EBVRE, Lucien, MARTIN, Henri-Jean. L’apparition du livre. Paris, 1971, p. 165. 77 DARNTON, Robert. „Kakvo e istoriiata na knigite?“ (« Qu’est ce que l’histoire des livres ? »). In : Istoriia na knigata. Knigata v istoriiata. (Éd.) GERGOVA, Ani, DASKALOVA, Krasimira. Sofia, 2001, p. 44. L’ouvrage cité est la traduction d’une 96 NADIA DANOVA siècle bulgare, ne nous permettent pas de documenter les divers maillons de cette chaîne. Cependant, les données qui nous sont connues, nous autorisent à affirmer qu’en raison des conditions sociales et politiques, les éditeurs bulgares pouvaient difficilement s’émanciper du patronage d’un sponsor concret pour réussir à prolonger la vie de l’édition comme un article portant des gains. L’opinion sur le rôle de la suscription comme facteur fondamental pour la réalisation des éditions bulgares au XIXe siècle, est dans une grande mesure un mythe dont le but est de cultiver le sentiment de solidarité civique, indiquant des exemples inexistants d’une telle solidarité dans des temps passés. En pratique, Aleksandăr Ekzarh, l’éditeur de l’édition périodique bulgare de longue vie, le « Tsarigradski vestnik », était subventionné par l’ambassade russe à Constantinople et par le Patriarcat78, ce qui reflétait bien entendu sur la ligne politique suivi par le journal. Les données témoignent de différences par rapport aux frais d’impression dans les différents centres auxquels recouraient les Bulgares dans cette période, en faisant ressortir que l’impression du livre à Constantinople revenait moins chère79, mais elle se réalisait sous le contrôle d’une triple censure, exercée de la part de la Haute Porte, du patriarcat de Constantinople et de la Commission ecclésiastique. Autrement dit, les possibilités de manifestations de radicalismes et de libre-pensée de la part des Bulgares imprimant à Constantinople, étaient réduites au minimum. L’Assemblée constitutive, convoquée en 1879 à Tărnovo en vue de l’élaboration de la constitution bulgare, soumit à un débat animé les textes sur la liberté d’expression80. Les discussions montrèrent que les députés bulgares avaient la conscience de l’importance de ce problème et dans le même temps, on comprenait le besoin de rappels catégoriques comme celui de Petko Karavelov que « la Censure était un des plus importants facteurs qui ont provoqué la Révolution française »81. Dans le texte définitif de la constitution de Tărnovo, les articles 79, 80 et 81 du chapitre VIII partie du remarquable livre du chercheur américain DARNTON, Robert. The Kiss of Lamourette. London, 1990, pp. 107–135. 78 Iz archivata na Naiden Gerov, p. 348 ; BORCHOUKOV, Georgi. Istoriia na balgarskata zhournalistika 1844–1877, 1878–1885 (Histoire du journalisme bulgare 1844–1877, 1878–1885). Sofia, 1976, p. 76. 79 DANOVA, Nadia. „Prokliati pari…“ 80 Protocolite na Balgarskoto Outchreditelno sabranie (Les procès-verbaux de l’Assembée nationale bulgare constitutive). Plovdiv, Sofia, Rusčuk, 1879, 246–250 ; TANKOVA, Vasilka. Svobodata na pechata v Kniazhestvo Balgariia i Iztotchna Roumeiia 1878–1885 (La liberté de la presse dans la Principauté bulgare et en Roumélie orientale 1879–1885). Plovdiv, 1994, 17–26. 81 Protocolite..., p. 249. Sur le chemin difficile de la modernisation... 97

« De la liberté des opinions » énoncent que « La presse est libre. Aucune censure n’est admise, de même qu’aucune garantie n’est exigée des auteurs, des éditeurs et des imprimeurs. Quand l’auteur est connu et vit dans la Principauté, l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur ne seront pas poursuivis. L’Écriture sainte, les livres liturgiques et les ouvrages de contenu dogmatique, destinés à l’usage des églises orthodoxes, de même que les manuels d’Histoire sainte, destinés à l’usage des écoles des Orthodoxes, sont soumis d’abord à l’approbation du Saint Synode. Les crimes contre les affaires de la presse sont jugés conformément à la loi, dans les ordonnances judiciaires générales. »82 Les années qui ont suivi dans le développement du jeune État bulgare ont montré que les garanties de la liberté de la presse n’étaient pas dans la constitution, mais dans la société même. Les renseignements fragmentaires relatifs à la censure dans les jeunes États balkaniques nouvellement fondés au XIXe siècle, auxquels nous avons eu accès, témoignent que les régimes établis dans ces pays ne garantissaient pas la liberté de l’expression et de la presse. Ces régimes ont imposé une séries de restrictions dont les critères, en général assez évasifs, créaient des conditions permettant de sanctionner de manière arbitraire des manifestations qu’on ne devait pas à première vue punir. Un cas caractéristique sous ce rapport est l’interdiction du prince valaque Georgi Bibescu de diffuser dans la principauté la Géographie de Konstantin Fotinov, éditée à Smyrne en 1843. Une des explications plausibles de cette interdiction est la participation des Bulgares en 1841 aux soulèvements de Braila. L’autre explication qui est plus vraisemblable, est le contenu même de la Géographie de Fotinov, qui est entièrement pénétrée de l’esprit des Lumières. Elle contient une illustration représentant des élections aux États-unis dont la forme de gouvernement est indiquée comme très bonne. La meilleure forme de gouvernement en Europe y est indiquée la monarchie parlementaire, en soulignant que « Les peuples les plus libres en Europe, sont les Français et les Anglais, et aussi les Hellènes »83. Fotinov s’était vu obligé à écrire au prince valaque des requêtes, où il expliquait que son livre était innocent et ne contenait rien que ce soit de politique, de religieux, de théologique ou touchant l’Église. Il est évident que Fotinov énumère les conditions auxquelles devait répondre une édition pour qu’elle soit diffusée sans obstacles dans la Principauté84. Les renseignements relatifs aux lois sur la presse en Roumanie après la guerre de Crimée nous autorisent à affirmer

82 Ibid., p. 367. 83 F OTINOV, Konstantin. Obstoe zemleopisanie (Géographie générale). Izmir, 1843, p. 200–201. 84 Arhiv na Konstantin Georgiev Fotinov, pp. 267–272, 770–773. 98 NADIA DANOVA que ces lois étaient entièrement liées à l’esprit des régimes politiques après l’union des principautés. Or, tout au long du siècle, on voit se dessiner clairement la tendance exprimée par les politiques à l’esprit libéral, qui plaidaient pour l’entière liberté de l’expression et de la conscience85. En Grèce, après l’éclatement de l’insurrection de 1821, les pouvoirs révolutionnaires entreprirent l’élaboration de la constitution de l’État libre. Dans la constitution de 1822, le chapitre deux « Des droits civiques des Grecs », contient l’article 8, qui prévoie : « les Grecs ont le droit de faire connaître et d’exprimer par la presse leurs convictions, mais sous conditions de : 1. Ne pas parler contre la religion chrétienne. 2. Ne pas entrer en contradiction avec les principes de l’éthique. 3. Éviter les offenses personnelles ». La Troisième assemblée nationale convoquée à Trézène en 1827, élabora une nouvelle constitution où il était souligné que « les Grecs avaient le droit, sans enquête préalable, d’écrire et de publier par la presse ou par d’autre moyen leurs observations et leurs opinions, en respectant les conditions suivantes… ». Les conditions posées sont les mêmes que celles indiquées dans la constitution de 182286. Le régime établi en Grèce après l’établissement du royaume grec, est resté dans l’histoire par le nom de « bavarocratie » en raison du pouvoir illimité de la régence des Bavarois, arrivée dans le pays avec le roi mineur, Othon. Déçus dans leurs espoirs, les démocrates grecs ont commencé une lutte contre l’absolutisme, une de leur principale revendication étant la liberté de l’expression et de la presse. Au regard de notre thème, d’un intérêt particulier est l’annonce imprimée, parue en 1839, informant que le livre « Des lois sur la liberté de la presse » était prêt à l’impression. Dans l’annonce, on n’indique pas le lieu de l’édition, ni la date, l’éditeur se cachant derrières les initiales X.A. Le livre n’a pas été publié87. Après le coup d’État de 1843 en Grèce, Othon fut obligé de signer la nouvelle constitution de 1844. L’article 10 de cette constitution stipule que « Toute personne peut publier verbalement, par écrit et au moyen de la presse ses observations en se conformant aux lois en vigueur dans le pays. La presse est libre et la censure n’est pas admise. Les rédacteurs responsables, les éditeurs et les imprimeurs de journaux ne sont pas tenus de verser au préalablement aucune somme comme garantie. Les éditeurs 85 Istoria Romîniei, Bucureşti, IV, 1964, p. 262–264. 86 SV OLOS, Alexandros. Ta ellinika syntagmata 1822–1952 (Les constitutions grecques 1822–1952). Athènes, 1972, p. 80, 96. 87 L’annonce pour cette édition est publiée dans un livre consacré à Benjamin Franklin et à Adamantios Koraïs : Vioi tou V. Fragklinou kai tou A. Korai kai i epistimi tou kalou Rihardou (Les vies de B. Franklin et de A. Korais et la science du bon Richard). Ermoupolis, 1839. Sur le chemin difficile de la modernisation... 99 de journaux doivent être des citoyens grecs ». L’article 14 garantit le secret de la correspondance. Très tôt après la signature de la constitution, Othon l’enfreignit. Particulièrement drastiques étaient les mesures contre la liberté de la presse. En 1862, les citoyens et l’armée s’insurgèrent et Othon fut contraint de quitter le pays. Une nouvelle constitution fut élaborée dont l’article 14 garantissait la liberté de l’expression et de la presse. La censure est interdite expressément, seule est admise la confiscation de journal contenant des offenses contre la religion et le roi88. Après de nombreux amendements et additions, cette constitution est resté en vigueur jusqu’au début du XXe siècle. Au regard du thème qui nous intéresse, il convient de prendre en considération aussi certains exemples témoignant des sanctions appliquées en Grèce contre des manifestations « indésirables ». À ce titre, particulièrement caractéristique est le cas du représentant des Lumières grecques, Théophilos Kaïris, qui en 1835 refusa la croix d’or donnée par le roi Othon pour ses mérites dans le domaine de l’éducation, car il n’acceptait pas les méthodes de gouvernement en Grèce89. Dans son enseignement, le libre-penseur Kaïris osait de critiquer le gouvernement autoritaire d’Othon. Quelques années plus tard, en 1839, il fut accusé d’hérésie et sa célèbre école dans l’île d’Andros fut fermée. Kaïris lui-même fut excommunié de l’Église (1852) et jeté en prison. L’Église surveillait avec vigilance la vie intellectuelle dans le pays. Sous ses sanctions sont tombés des écrivains libres-penseurs, comme Andréas Laskaratos et Émanuel Rhoïdis, qui étaient aussi excommuniés par l’Église, le premier en 1856, le deuxième en 186690. Chez ces auteurs, les remarques critiques par rapport au clergé91 sont accompagnées par une attitude critique à l’égard du climat spirituel qui régnait en Grèce. Rhoïdis se permettait à ironiser le fanatisme des nationalistes, caractérisant la doctrine nationale grecque, la Megali idea, comme un désastre pour la société grecque, en disant : « Chaque pays a sa plaie : l’Angleterre – la brume, l’Égypte – l’ophtalmie, la Suisse – les explorateurs, la Grèce, elle, a sa Megali idea »92. 88 SVOLOS, Alexandros. Ta ellinika…, p. 112. 89 Pour plus de détails sur cette question, voir : PASHALIS, Dimitrios. Theofilos Kairis. Athènes, 1928, pp. 56–57. 90 MIHAILARIS, Panagiotis. Aforismos, pp. 323–324. 91 OKTAPODA-LU, Efstratia. « l’anticléricalisme dans la prose grecque du XIXe siècle ». In : Le sentiment religieux dans la littérature néogrecque. (Éd.) Astérios Argyriou. XVIe Colloque international des néo-hellénistes des universités francophones. Strasbourg, 27–29 mai 1999, Publications Langues O’, p. 193–207. 92 DA NOVA, Nadia. Natsionalniiat vapros v gratskite politicheski programi prez 100 NADIA DANOVA

Quant à la Serbie, nos données se rapportant à la censure au XIXe siècle, sont encore plus insuffisantes. En 1832, la chancellerie princière de la Serbie formula 8 règles relatives à la censure des livres. Il y est notifié qu’aucun livre ne pouvait être imprimé en Serbie s’il contenait des injures contre Dieu, contre la religion chrétienne, contre le gouvernement serbe et les ministres, contre les gouvernements étrangers et leurs fonctionnaires, ainsi que des formules portant atteinte à la morale et le prestige de quelque personne. On interdisait l’impression de livres utilisant l’orthographe de Vuk Stefanov Karadzhitch93. Sur les restrictions de la liberté d’expression en Serbie, nous disposons aussi des souvenirs de Ivan Dobrovski, arrivé en juin 1839 à Belgrade. En ce temps, le prince Milosh Obrenovitch fut destitué par les défenseurs de la constitution de 1838 et son fils aîné, Milan, monta sur le trône de la principauté94. Dobrovski arriva dans la capitale serbe après avoir fait des études dans l’île de Andros, auprès du représentant des Lumières grecques, Théophilos Kaïris. Dobrovski, comme ses condisciples bulgares de l’île de Andros, pensait que Belgrade aurait pu être une ville propice à la fondation d’un établissement scolaire bulgare. Cependant, le climat régnant en Serbie l’a vite fait renoncer à ses projets : « Ce Milosh avait laissé derrière soi une telle tyrannie et terreur que les gens en tremblaient et personne n’osait rien dire contre le gouvernement »95. Craignant que ses lettres ne fussent ouvertes, Dobrovski n’écrivit rien sur la situation politique en Serbie, à ses condisciples qui se trouvaient à ce moment-là à Athènes. Plus tard, ceux-ci comprirent le silence de Dobrovski, car ils s’étaient plus ou moins déjà heurtés à la nécessité d’autocensure. Dobrovski conclut dans ses souvenirs : « c’est pour cela qu’on dit que parfois le silence parle mieux que la parole »96. XIX vek (Le problème national dans les programmes politiques grecques durant le ХІХ siècle). Sofia, 1980, p. 263. 93 Arhivska grazha o Vuku Karadzhitchu, 1813–1864 (Des matériaux d’archives pour Vouk Karadzhitch). Belgrade, 1970, p. 215. 94 DZ HOROVITCH, Vl. Istoria Srba (Histoire des Serbes), III. Belgrade, 1989, p. 80 ; DIMITROV, Strachimir, Krastio MANTCHEV. Istoriia na balkanskite narodi (Histoire des peuples balkaniques). Sofia, 1971, p. 228. 95 Nautchen arhiv na Balgarskata akademiia na naukite (Archives scientifiques de l’Académie bulgare des sciences), f. 11 К, d. 1, 305, f. 19 ; CHICHMANOV, Ivan. „Ivan Dobrovski (Po litchni spomeni i saobsteniia)“/« Ivan Dobrovski. (D’après des mémoires et communications personnelles) ». In : CHICHMANOV, Ivan. Izbrani satchineniia. T.І. (Éd.) DIMOV, Georgi. Sofia, 1965, p. 318. 96 Ibidem. Sur le chemin difficile de la modernisation... 101

Bien qu’ils représentent pour la plupart des cas des témoignages fragmentaires ou indirects, les exemples que nous venons d’exposer ci-dessus permettent dans une certaine mesure de juger des critères et des méthodes de censure employés dans les Balkans. Les données avancées montrent l’étendue du registre d’indications sur la base desquels un livre pouvait se retrouver dans la catégorie des livres « indésirables » ou « interdits ». En pratique, dans tous les cas cités, on défendait le principe de la légitimité et le statu quo, indépendamment s’il soit question de l’État ottoman ou des sociétés qui s’en étaient détachées. Les restrictions censoriales représentent une cause complémentaire conditionnant la géographie de l’impression du livre dans les Balkans, géographie qui montre que l’impression des livres ayant contribué à la modernisation des sociétés balkaniques était réalisée principalement dans les centres occidentaux. Ce sont aussi les centres des activités économiques et culturelles de la bourgeoisie marchande balkanique. Cette géographie de l’impression du livre gênait énormément la communication entre l’intelligentsia, porteuse des idées de modernisation, et la société. L’insuffisance de la force économique de la bourgeoisie, le retard pris dans la formation d’une intelligentsia séculaire et la forte présence de représentants du clergé parmi les personnalités liées à l’impression du livre, tout cela vouait les auteurs de livres à la faiblesse, à la crainte et à l’indécision de s’opposer aux limitations censoriales. La formation au XIXe siècle des États nationaux balkaniques, n’a pas contribué de manière essentielle à la création de conditions favorisant la liberté de l’expression et de la presse, car chaque société balkanique devait parcourir son propre chemin de mûrissement menant à la société des citoyens. Les donnés avancées concernant les restrictions imposées à l’impression et à la diffusion du livre dans les Balkans aux XVIIIe et XIXe siècles, n’épuisent pas cette importante thématique qui demande un long travail avec des documents d’archives. Ces données marquent les principaux moments dans le fonctionnement des mécanismes entravant la production et la diffusion du livre dans les Balkans. Bien que très fragmentaires, elles montrent qu’uniquement dans le cas où nous tenons compte des facteurs qui ont joué un rôle entravant pour la production et la diffusion du livre, nous pourrions être sûrs que nous ayons un regard adéquat sur le complexe de conditions de la création du livre dans les Balkans. La censure exercée par la Haute Porte et les gouvernements des États balkaniques déjà indépendants, par le Patriarcat de Constantinople et la Commission ecclésiastique, nous oblige à être plus circonspects dans l’analyse de l’idéologie des représentants de cette époque uniquement à partir de leurs textes imprimés au cas où nous ne disposons pas de documents d’archives les concernant. 102 NADIA DANOVA

L’histoire de l’impression du livre dans les Balkans témoigne de nombre de cas où nous disposons de publications d’annonces informant de livres prêts à être imprimés, mais qui en réalité n’arrivaient pas à être publiés97. Derrières ces exemples de projets d’édition non réalisés, à part le manque de ressources financières et d’intérêt de la part de la société, des difficultés d’ordre personnel ou autre, de même que les distances géographiques98, il convient d’indiquer aussi les pratiques censoriales existantes. Ou, en nous rappelant les propos de Ivan Dobrovski, essayons d’écouter attentivement le silence des hommes de ce temps-là, car « le silence parle d’avantage que la parole ».

97 Voir : Objavleniia za vazrozhdenski izdaniia..., passim. Sur un phénomène analogue dans l’édition du livre grecque, voir : Dia tou genous ton fotismon. Aggelies proepanastatikon entypon 1734–1821. Apo ta kataloipa touo Philippou Iliou (Pour éclairer la nation. Annonces des livres avant la Révolution grecque, 1734–1821, du fonds bibliographique Philippos Iliou). (Éd.) POLEMI, Popi. Athènes, 2008. 98 FRAGKISKOS, Emmanouil. „Anekplirota ekdotika shedia 1811–1821. Oi martyries tou proepanastatikou typou“ (« Des projets éditoriales non réalisés 1811–1821. Les témoignages de la presse périodique d’avant la Révolution grecque »). O Eranistis, XXII–XXIII, Τ. 25. Mnimi Philippou Iliou. Athènes, 2005, pp. 173–199. Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848)

Marisa Midori Deaecto

Introduction

Pendant plus de deux siècles les républicains de lettres latino-américains ont vécu sous le signe de la « palingénésie des Lumières »1. En traduisant ce phénomène au cas brésilien, on pourrait dire, selon un intellectuel de l’époque, que les aspirations des jeunes étudiants de Droit du XIXème siècle, ainsi que leurs goûts littéraires, étaient notamment français. Les études sur la présence française chez les républicains des lettres brésiliens ont fait écho à partir des recherches sur la période de crise du système colonial portugais, à la fin du XVIIIème siècle. Il s’agissait de comprendre les racines intellectuelles des mouvements d’émancipation, lesquels se sont éclatés un peu partout dans le territoire brésilien pendant plus de vingt ans, jusqu’à l’Indépendance, en 1822. Comme a bien écrit Eduardo Frieiro dans son essai sur la librairie d’un prête illustré du XVIIIème siècle : Était-il un homme d’habitudes françaises ? On pourrait l’admettre. Les idées françaises ont contaminé quelques brésiliens cultivés. Ils étaient, bien entendu, d’une minorité. Par contre, on peut admettre, comme on le fait aujourd’hui, que les idées françaises ont influencé la pensé des séditieux de Minas Gerais, auxquelles il faut ajouter d’autres raisons soi d’ordre économique, soi psychologique, telle la peur du contrôle de l’État, le sentiment nativiste et l’hostilité vis-à-vis aux portugais2.

1 RAMA, Angel, A cidade das letras. São Paulo: Brasiliense, 1984, p. 33. 2 F RIEIRO, Eduardo, (2a ed.) O diabo na livraria do cônego. Belo Horizonte: Itatiaia, 1981, p. 51. 104 Marisa Midori Deaecto

Il est devenu, d’ailleurs, nécessaire de se demander sur quels biais les livres – surtout les titres interdits – arrivaient à la colonie. En plus, quels ont été les hardis pour manipuler la censure. Et, enfin, dans quelle mesure des certaines lectures se sont conversées en projets de nature séditieuse3. En peu de mots, il s’agit de se demander dans quelle mesure la Révolution de 1789 reste un paradigme pour les générations ultérieures, ce que l’on fait d’après l’histoire de la circulation des livres4.

Les pionniers du commerce de la librairie

L’histoire du livre brésilien débute au fait à partir de 1808, plus précisément après le décret signé par le Régent d. João, le 13 mai, qui a donné origine à la Presse Royale. Même si le gouvernement maintenait le monopole sur l’impression de tous les documents officiels, ne laissant pas de répondre aux demandes externes, il n’a pas trop tardé pour que les nouveaux typographes-libraires s’installent à la Cour et dans d’autres villes du Brésil. Après 1822, l’année de l’Indépendance du Brésil, le nombre d’établissements libraires s’est considérablement répandu, ce qui rend indéniable l’intervention auspicieuse du roi d. Pedro I. C’était sous les honneurs et bons offices du roi qu’a débarqué à la Cour, en 1824, le typographe-libraire Pierre Seignot-Plancher. Bonapartiste, il se trouvait persécuté par la censure d’une France restaurée par les Bourbons. À la Cour, il a fondé le journal O Spectador Brazileiro et, peu de temps plus tard, en 1827, le Jornal do Commercio. Il a commercialisé des éditions de contenu politique imprimées à Paris, parmi celles-ci, les écrits de Benjamin Constant. Il a innové dans l’usage de la lithographie, ayant comme illustrateur et lithographe Hercules de Florence, pareillement bonapartiste et émigré qui, dès 1825, intégra la « mission scientifique et artistique Langsdorff ». La famille Seignot-Plancher est retournée en France à la suite de la crise du Premier Règne, en 18325. D’autres Français ont gagné de la réputation dans le marché libraire en ce moment-là : Villeneuve, Mongerot, Bompard,

3 M OTA, Carlos Guilherme, Ideia de revolução no Brasil (1789–1901). Estudo das formas de pensamento. São Paulo: Ática, 1996, p. 117. 4 V ENTURI, Franco, “Cronologia e geografia do Iluminismo”. In: Utopia e reforma no Iluminismo. Tradução de Modesto Florenzano. São Paulo: Edusc, 2003, pp. 217-246. 5 M OREL, Marco, “As revoluções nas prateleiras da rua do Ouvidor”. As transformações dos espaços públicos. Imprensa, atores políticos e sociabilidades na cidade imperial (1820–1840). São Paulo: Hucitec, 2005, pp. 23-60. Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) 105

Mongie, Ogier, Bossange, Aillaud, Firmin-Didot... et Baptiste-Louis Garnier le propriétaire de la filial Garnier-Frères au Brésil qui a joué d’un rôle très important dans le domaine de l’édition de la littérature brésilienne. Baptiste-Louis Garnier est né en 1823, à Contentin, en Normandie. Il était le plus jeune de quatre frères qui ont tenté leur sort dans la Paris prometteuse de Louis Philippe. Auguste est né en 1812. Il s’est installé dans la « Ville Lumière » en 1828, ayant rendu services par commission à la librairie Saint-Jorre, dans le boulevard Montmartre. De ce coin populaire de Paris, il déménagerait en 1833, dans une galerie chic du Palais Royal. Pierre, le plus âgé, né en 1807 et Hippolyte, né en 1815, ont rejoint le frère peu d’années plus tard. Hippolyte a suivi le frère dans les affaires de la librairie au Palais Royal, alors que Pierre maintenait une petite boutique à une adresse proche, dans la Galerie des Princes. Baptiste-Louis s’est uni à ses frères pendant quelques années jusqu`à ce qu’il parte à Rio de Janeiro, en 1844, à bord de la galère Stanislas, qui est entré en port le 24 juin de la même année. Suivant les traces d’autres libraires qui ont traversé l’océan à la recherche de nouveaux marchés, Baptiste-Louis n’a pas eu d’autre motivation dès son arrivée à la Cour brésilienne. Il s’agissait, en effet, d’élargir les circuits du livre et, en spécial, ceux destinés à un genre lucratif, mais fortement persécuté par la police française, à savoir, la littérature à contenu érotique. Ayant comme base la lecture de rapports policiers, Jean-Yves Mollier a réussi à reconstituer un chapitre de l’histoire du livre jusqu’alors peu exploité, dont les personnages et faits se croisent avec la trajectoire du libraire-éditeur installé au Brésil. Les frères Garnier sont aussi devenus affaire de police en raison des éditions imprimés de contenu politique, avec un bas coût de production et fort tirage. L’exemple superlatif d’impressions de ce genre est le titre La vérité dévoilée aux ouvriers, aux paysans et aux soldats, avec un tirage de 500 à 600 000 exemplaires, en 1849. Livres de ce genre, relatifs aux événements de 1870 et 1871, à savoir, la guerre franco-prussienne et la Commune de Paris ont été également exposés dans les catalogues de la maison Garnier, à Rio de Janeiro, et aussi par ses représentants dans d’autres villes brésiliennes, ce qui rapprochait les lecteurs brésiliens des éditions les plus récentes et des grands thèmes en évidence publiés à Paris. La figure du libraire-éditeur, du bon larron Garnier, comme il était connu entre les habitués de la librairie, n’a pas tardé à s’identifier avec une pléiade d’auteurs nationaux qu’il a édité. Les énumérer serait une des tâches les plus difficiles, ou même impossibles, vu les limites du présent article. Mais on citera quelques auteurs de fiction, les plus connus, qui donnent bien 106 Marisa Midori Deaecto la dimension de l’importance du libraire au Brésil : Gonçalves Magalhães, Araújo Porto Alegre, Joaquim Manuel de Macedo, José de Alencar, Aluísio de Azevedo, Olavo Bilac, Júlia Lopes de Almeida, Machado de Assis... A côté des auteurs les plus expressifs des lettres brésiliennes qui appartenaient son catalogue, on remarque la présence massive des lettres françaises dans touts les domaines de la connaissance. Ce qui nous invite à quelques réflexions concernant les circuits de la circulation des livres français et ses multiples formes d’appropriation parmi les gens de lettres dans une conjoncture bien marquée chez les deux pays : 1848.

Les échos de 1848

Le développement de la librairie française et l’expansion de sa littérature un peu partout, au moins, comme dit Franco Venturi, dans cette « géographie touchée par les Lumières »6, ont concurrencé son expansion envers l’Amérique et toute l’Europe. C’est ce qui démontre Frédéric Barbier dans son étude sur le commerce international de la librairie française7. Rappelons-nous, par exemple, que l’édition de L’Ancien Régime et la Révolution a été revendiquée par les lecteurs germaniques en version originale. Pour cela, la maison d’édition Brockhaus a recommandé, en 1856, l’envoie des clichés produits par l’éditeur Calmann-Lévy8. En outre, on remarque que la coexistence entre les Français et les Brésiliens s’est intensifiée au cours du XIXe siècle, ce qui a promût des liens encore plus forts concernant les aspects de la vie matérielle et spirituelle. Sans ignorer les questions de la vie matérielle, lesquels jouent, en somme, le monde des biens et des modes de vie qui constituent les relations quotidiennes, cette enquête porte sur le champ des idées politiques et ses rapports avec la librairie. Enfin, on parle d’actions qui se sont fixées sous la forme d’idées et d’idées qui deviennent, dans certaines conjonctures, des projets révolutionnaires. On travaille sur l’hypothèse selon laquelle les idées françaises, ou en des

6 V ENTURI, Franco, Utopia e reforma no Iluminismo..., op. cit., p. 222. Selon Frédéric Barbier, le réseau du livre français dans l’espace européen et américain ne laisse pas doute de son importance économique, certes, mais aussi socio-culturelle. BARBIER, Frédéric, « Commerce international de la librairie française », Revue d’histoire moderne et contemporaine, Paris, 1981, t. XXVIII. 7 BA RBIER, Frédéric, « le commerce international de la librairie française au XIXe. s. (1815–1913). » Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1981, tome XXVIII, pp. 94-117. 8 M OLLIER, Jean-Yves, L’argent et les lettres. Histoire du capitalisme d’édition (1880–1920). Paris : Fayard, 1988, p. 94. Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) 107 termes les plus précis, le libéralisme né de la Révolution acquiert au Brésil des formes multiples, soit en soulignant quelques esquisses de projets libéraux, soit en suscitant des attitudes fort antirévolutionnaires. C’est ce qu’on voit à propos de la réception des livres, et même des nouvelles de France à l’époque du « printemps des peuples ». L’analyse de la correspondance du poète romantique Alvares de Azevedo (1831–1852) peut nous aider à éclairer cette question. Il s’est toujours présenté comme un lecteur obstiné de Byron (1788–1824) et de Goethe (1749–1832), et pourtant, il a écrit ses premiers vers en français. Le jeune poète touché par les mœurs et l’humour de cette première génération romantique, avait l’habitude de s’acheter des éditions françaises et toute sorte d’articles de luxe – ou, au moins, ceux qui étaient considérés comme tels à cette époque-là – importés par les commerçants de Rio de Janeiro.

Le jeune poète Alvares de Azevedo (1831–1852).

On parle, effectivement, d’une personnalité rare. Poète, dramaturge et nouvelliste atypique, concluent les critiques9. Habitant à São Paulo, où il faisait ses études de Droit, rien pouvait se présenter de plus décourageant à son regard cosmopolite qu’un village avec ses 20 000 habitants, dans les années 1840. Mais nulle part aurait pu être mieux servi à son inspiration 9 PRADO, Décio de Almeida, História concisa do teatro brasileiro. São Paulo: Edusp, 2003, p. 51. 108 Marisa Midori Deaecto de jeune poète. Le manque de toutes sortes de confort matériel, parfois les plus petites traces de civilité, remontait dans ces écrits. Cette agitation s’exprime dans les moindres lignes de sa correspondance avec ses parents, en particulier, dans les lettres adressées à sa mère. On y trouve la demande routinière, répétitive et, parfois, impatiente des choses qui défiaient même les conditions du système de la Poste de l’époque. Soit parce qu’il lui manquait des ressources pour les acheter, soit parce que le marché local ne répondait pas positivement à ses exigences. Parmi les pantalons, les bretelles, les lunettes pour la lumière, une douzaine de paires d’épaulettes, un gilet, une livre de fleur d’indigo, des gants, des vestes, d’un daguerréotype, il commanda de la musique et des livres. Les livres imprègnent les journées dédiées aux études et aux heures de plaisir. En tout cas, et malgré ses plaintes, il semble être bien informé des « nouvelles » de Paris, lesquelles lui sont révélées par les journaux de la Court qui y arrivent à chaque semaine. Dans une lettre adressée à sa mère, au 7 juin, bien probablement dans l’année 1848, écrit le poète : (En post-scriptum franchi dans le texte) Je n’ai pas encore reçu – jusqu’au présent – à l’arrivée du courrier – les demandes – J’espère anxieux par les Girondins, une vieille promesse que vous m’aviez faite et vous ne m’avez pas encore envoyé, celui qui pourrait bien être un cadeau10. Il fait, évidemment, référence à l’œuvre de Lamartine (1790–1869), L’Histoire des Girondins, dont la première édition est sortie en huit volumes, in-octavo, à partir de 1847, sans doute un témoignage de sa connaissance du mouvement de la librairie en France. Un an plus tard, précisément au 7 juillet 1849, il renforce sa demande, ce qui démontre non seulement son envie, mais la façon dont cet étudiant, situé dans un village distant et pauvre, attend les nouvelles de France et les éditions concernant l’histoire politique française : Quant à moi – écrit-il – je veux faire deux demandes – un exemplaire de la Démocratie en France de Guizot – et Raphaël de Lamartine, celui qui vient d’être annoncé dans les journaux à 200 rs. et l’autre à 800 rs.11. La traduction de Démocratie en France pour le portugais a été publiée la même année 1849, grâce au travail d’un admirateur de Guizot (1787–1874), un Brésilien qui a vécu à Paris. Il s’est malheureusement

10 Cartas de Álvares de Azevedo. Comentários de Vicente de Azevedo. São Paulo: Academia Paulista de Letras, 1976, p. 82. 11 Idem, Ibidem, p. 114. Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) 109 maintenu incognito. Toutefois, le volume a été préfacé par José Correia Lucio, dont le discours ne fait pas doute sur le but politique et immédiat de cette édition. Écrit-il dans la Préface : Aux Brésiliens Les dernières nouvelles des événements désastreux de Pernambuco n’ont fait que m’affliger et exciter mon patriotisme [...] La vulgarisation de ce livre sera un puissant remède pour lutter contre les passions nuisibles qui se conjurent pour attaquer la société dans ce qu’elle a de plus inviolable et de plus sacré [...]12. Ainsi, constate l’auteur : Que la pureté de l’intention et l’importance de la raison n’ose s’excuser de l’efficace de l’action13.

Le frontispice de l’édition brésilienne de Démocratie en France, 1849.

La traduction a été approuvée par M. Guizot, dont la lettre est reproduite en fac-simile à guise de présentation du volume. Le but politique de tel projet s’exprime également par la plume de l’historien français :

12 G UIZOT, F., A democracia na França. Tradução em portuguez por ***. Paris: Typ. de E. Thurnot et Cie., 1849. 13 Idem, Ibidem, p. VIII. L’auteur parle de la sédition éclatée au Recife, en 1848. 110 Marisa Midori Deaecto

Je ne fais pas d’objection, Monsieur, à votre noble intention de faire traduire mon dernier livre sur la Démocratie en France. Bien au contraire, Monsieur, j’ai l’honneur de pouvoir servir, hors de mon pays, à la cause de la vérité et de l’ordre sociale. Je vous prie la gentillesse de m’envoyer d’un exemplaire lorsqu’il vient d’être publié [...]. Guizot. Bomptou, le 21 janvier 1849.

Détail du manuscrit de M. Guizot fac-similé.

Malgré l’importance de cette édition, Alvares de Azevedo ne nous laisse pas le moindre registre concernant sa connaissance. Quoi qu’il en soit, dans l’étiquette du libraire qui a pris en charge l’édition et la diffusion de ce volume, le portugais Serafim José Alves, on voit l’annonce de la vente de Démocratie en France en version traduite avec d’autres œuvres de Guizot en version originale, lesquelles sont présentées dans des termes suivants : La Librairie Serafim José Alves. Elle dispose toujours dans son stock des grandes quantités de ce livre [la Démocratie en France] et la plupart des œuvres de l’auteur. On offert des avantageux des remises sur les achats en espèce. Typographie. Reliure. Rua Sete de Setembro, 8314.

14 Ex-libris de l’édition citée. Éditions et idées de révolution au Brésil (1830–1848) 111

Notre poète a probablement reçu les livres demandés. C’est ce que l’on constate en lisant la correspondance de 14 octobre 1849 : Si de temps en temps j’abandonne sur le bureau mon volume de Droit des Gents – le Reddée et l’Ortolan – mes préférés – ce n’est pas pour la lecture des romans – ce ne serait-ce que parce que l’étude de ma langue me prend les heures de travail... Je vous avoue que mes romans sont un peu fade aux yeux d’Antoine, de Raphaël [dont la demande d’un volume a été faite avec celle de l’exemplaire de Guizot] et Consuelo15. P ar la même occasion, l’auteur signale la réception du Droit des valeurs mobilières, ce qui témoigne de son intérêt pour les matières d’étude. D’ailleurs, Alvares de Azevedo montre la pleine conscience de la difficulté d’accès et du budget que certaines exigences bibliographiques représentent pour sa famille. Au dernier envoi identifié dans ses correspondances, écrit-il : J’estime l’envoie de mes livres de Droit Civil – je vous en remercie vivement, car je reconnais le travail de les faire venir du Portugal – même en reconnaissance que l’achat de ces livres au Portugal a résulté en une épargne significative16. L’intérêt de l’auteur sur les œuvres politiques ne nous étonne pas, il s’est même permis des discours enflammés au moment de la fondation de la Société académique de philosophie. Ce fut un moment de colère, ici et ailleurs, et des réactions conservatrices curieusement entraînées par l’exemple de la Révolution française, comme l’indique la préface à l’œuvre de Guizot17. Aussi, pas de surprise devant son attention sur les œuvres de Lamartine18. Certes, Álvares de Azevedo s’est avéré un amoureux de la littérature française et du livre19. Et Lamartine était l’un de ces personnages unanimes, qui a fait renaître de sa plume « les hommes de la Révolution », comme l’affirme Alexis de Tocqueville (1805–1859) dans ses Souvenirs de la Révolution de 1848. 15 Cartas de Álvares de Azevedo, op. cit., p. 142. 16 Idem, Ibidem, p. 131. 17 La présence des « auteurs de la Révolution » est fort notable chez le républicain de lettre José da Costa Carvalho (1796–1860), fondeur du premier jornal de la ville de São Paulo, O Farol Paulistano (1827). cf. Marisa Midori Deaecto, “Os primórdios da imprensa paulista: Costa Carvalho e o Farol Paulistano (1827–1831)”. Revista de História Regional, v. 12, 2008, p. 29-50. 18 Vingt ans plus tard, les œuvres de Lamartine étaient annoncées dans le Catalogue de la Librairie Garraux, à São Paulo. 19 B ROCA, Brito, “O que liam os românticos”. Revista do livro, 1959, ano IV, pp. 163-172. 112 Marisa Midori Deaecto

Pour des raisons encore à être élaborées dans les études d’histoire politique, on peut seulement affirmer que ces livres, ces mêmes volumes qui ont mis en évidence dans « toutes les mémoires les hommes de la première révolution », ils ont traversé l’océan avec un grand succès, en contrariant les intempéries de l’édition française dans les années avant la vague révolutionnaire de 1848, celles qui ont conduit de nombreuses entreprises à la faillite20. Et si l’exemple français attirait plus d’attention plutôt par la force de ses discours que de ses actions, ce qui a conduit Alvares de Azevedo a affirmé à son père « [...] qu’il n’y avait dans ses théories rien de “révulsif” ».21 On a dans ces correspondances un témoignage précieux sur le répertoire qui a suscité l’intérêt des jeunes dans l’Académie de Droit de São Paulo, voire, de ces formateurs d’opinion d’un avenir proche (très proche). Il faut ajouter que les révolutions de 1848 ont conformé dans le milieu politique brésilien, du moins dans certains cercles de lecteurs, une sorte d’interrègne socialiste. La lecture de la correspondance d’Álvares de Azevedo sert d’indice des lectures partagées dans se milieu d’étudiants et enseignants. Même les références au socialisme français (utopique) et les tentatives d’imiter les idéaux des réformateurs d’outre-mer, ont trouvé au Brésil un sol fertile pour des nouvelles réalisations, ou au moins pour des nouvelles formulations idéologiques. Article traduit par Maria Vianna.

Texte lu et commenté par M. Jacques Hellemans à qui je tiens à remercier.

20 MOLLIER, Jean-Yves, L’argent et les lettres..., op. cit., pp. 104-105. 21 Cartas de Álvares de Azevedo, op. cit., p. 164. Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni in caratteri orientali

ANDREA DE PASQUALE

Tra le più peculiari e rappresentative produzioni del celebre tipografo Giambattista Bodoni (1740–1813) spiccano diverse edizioni poliglotte in cui, accanto a testi negli alfabeti latino e greco, si affiancano altri in caratteri “esotici” o orientali, vera e propria passione del Bodoni coltivata fin dai primordi della sua attività tipografica1. Egli infatti, partito appena diciottenne per Roma dalla nativa Saluzzo in cerca di un impiego (1758), aveva svolto il suo apprendistato alla Stamperia de Propaganda fide, specializzata nella stampa di libri in varie lingue e alfabeti destinati all’uso dei missionari. Ivi, grazie alla stima ottenuta dall’abate Costantino Ruggieri, direttore, dal settembre dello stesso 1758, della Stamperia e segretario del cardinale Giuseppe Spinelli, prefetto della stessa dal 1754, aveva imparato a comporre in lingue orientali dopo averne appreso i rudimenti2. Restano a riprova di ciò tre frontespizi stampati in rosso e nero, con tutta probabilità prove di lavoro, sottoscritti dal Bodoni e di cui uno con data 1762, incorniciati in un riquadro di fregi a fiorellini, rosette e stelline, 1 Su questo tema: S. Samek Ludovici, I «Manuali Tipografici» di G.B. Bodoni (1964), in Conoscere Bodoni, a cura di S. Ajani e L.C. Maletto, Collegno: Altieri, 1990, pp. 112-115; G. Tamani, Bodoni e i caratteri esotici, “Bollettino del Museo Bodoniano di Parma”, 6 (1992), pp. 86-111. 2 [V. Passerini], Memorie aneddote per servire un giorno alla vita del signor Giovanbattista Bodoni tipografo di Sua Maestà Cattolica e direttore del Parmense Tipografeo, Parma: Carmignani, 1804, pp. 9-15; G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni tipografo italiano e catalogo cronologico delle sue edizioni, Parma: dalla Stamperia Ducale, 1816, vol. I, pp. 4-8. Inoltre: [A. Ciavarella], G.B. Bodoni e la Propaganda Fide, Parma: Museo Bodoniano-Biblioteca Palatina, 1959 (2a ed. 1989); L. Farinelli, Giambattista Bodoni: l’esperienza romana, in Bodoni. L’invenzione della semplicità, Parma: Guanda, 1990, pp. 67-82. 114 ANDREA DE PASQUALE e recanti caratteri incisi su matrici di legno, con la tecnica della xilografia, nella quale il Bodoni aveva iniziato fin da bambino ad esercitarsi nella bottega paterna3. Tali frontespizi sono pertinenti al primo e al secondo volume di un Pontificale copto arabo, stampato in due volumi tra il 1761 e il 1762, e ad un Rituale copto-arabo del 1763, con la sottoscrizione, nelle copie definitive, della Stamperia de Propaganda. Inoltre il Bodoni intervenne sicuramente anche nella realizzazione dell’Alphabetum Tibetanum del padre Agostino Antonio Giorgi, docente di Sacra Scrittura alla Sapienza, uscito in due edizioni, entrambe stampate dalla Congregazione de Propaganda, la prima, anonima, con data 1759, la seconda invece del 1762. L’interesse per gli alfabeti non occidentali proseguì e si potenziò ancora quando Bodoni giunse nel 1768 a Parma, chiamato dal duca don Ferdinando, su consiglio del padre Paolo Maria Paciaudi, direttore della Biblioteca Parmense, suo amico e conterraneo (entrambi erano infatti piemontesi), per dirigere la neonata Stamperia Reale. Nell’anno successivo infatti si inaugurava l’amicizia e la collaborazione con l’abate Gian Bernardo De Rossi (1742–1831), anch’egli piemontese, studioso di Sacra Scrittura, profondo conoscitore di lingue orientali e bibliofilo raffinato, il quale era stato chiamato nel 1769 dal Paciaudi a ricoprire la cattedra di Lingue e letterature orientali all’Università da poco riformata4. L’inizio del sodalizio è rappresentato dall’operetta In nuptiis Augustorum principum Ferdinandi Borbonii et Amaliae Austriacae poema Anatolico-polyglottum Heb., Syr., Arab., Syro-Estr., Samar., Chald., Rabb. redatta dal De Rossi su commissione della Corte e su suggerimento del Paciaudi per il tramite del comune amico, l’abate Francesco Berta, direttore della Biblioteca dell’Università di Torino, in occasione delle nozze dei

3 C. Revelli, Note in margine ad un centenario minore: la prima attività di Giambattista Bodoni, “Epoche: cahiers di storia e costume del Piemonte”, I, novembre- dicembre 1962, pp. 121-125; S. Samek Ludovici, Giovan Battista Bodoni e la Propaganda Fide, “Accademie e biblioteche d’Italia”, XXXIII/3 (1965), pp. 141-157. Dei primi due si conservano due esemplari, rispettivamente tra le carte bodoniane conservate al Museo Bodoniano di Parma e nella raccolta Mortara della Biblioteca Braidense di Milano; del terzo invece è sopravvissuto solo un esemplare milanese. Sugli studi di caratteri orientali e su Bodoni xilografo cfr. A. De Pasquale, La fucina dei caratteri di Giambattista Bodoni, Parma: MUP, 2010, pp. 45-46, 104-107. 4 Sul De Rossi e sulla sua biblioteca acquista dalla Biblioteca Parmense (ora Palatina) nel 1816 cfr. A. De Pasquale, I fondi ebraici e orientali della Biblioteca Palatina di Parma, in Exoticis linguis. Libri ebraici e orientali della Biblioteca Palatina di Parma, Parma: Mup, 2009, pp. 9-52. Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni... 115 duchi don Ferdinando e Maria Amalia d’Asburgo e della nomina del De Rossi stesso a docente5. Si tratta di un fascicolo di appena 18 pagine, compreso il frontespizio, inquadrato in una cornice con piccoli fregi e rosette, con dedica a Ferdinando di Borbone da parte del Bodoni; esso contiene iscrizioni in ebraico, siriaco, arabo, siroestranghelo, samaritico, caldaico, rabbinico che recano, nella pagina pari, la rispettiva versione. Il Bodoni si trovò però di fronte ad un progetto editoriale già deciso, avendo chiesto il Paciaudi di fare riferimento all’edizione dei Carmina orientalia del vescovo di Torino Francesco Luserna Roero di Rorà, stampate nella capitale del Piemonte nel 1768; inoltre i testi in alfabeti non occidentali (tranne gli ebraici, di cui il Bodoni disponeva i caratteri) erano stati già incisi a xilografia a Torino e spediti a Parma dal De Rossi. Il marchio bodoniano risulta però evidente sia dal frontespizio che si discosta dall’archetipo proposto e si avvicina piuttosto alle esperienze romane alla Propaganda, sia dall’impaginazione di tutta l’opera, le cui carte sono racchiuse in cornici, contraddistinta da un raffinato ordine e dalla simmetria tra il testo in lingua orientale e la versione latina. Il primo esempio di utilizzo di caratteri esotici di propria fabbricazione risale al 1774. In quell’anno il Bodoni, ormai collaudata l’attività della fonderia dei caratteri già dal 1771, in occasione del battesimo di Ludovico, primogenito del duca regnante, dava sfoggio della sua abilità con un’altra opera frutto della collaborazione con l’orientalista De Rossi. Si tratta del Pel solenne battesimo di S.A.R. Ludovico Principe primogenito di Parma tenuto al sacro fonte da Sua Maestà Cristianissima e dalla Reale Principessa delle Asturie. Iscrizioni esotiche a caratteri novellamente incisi e fusi6. Il volume è composto da 50 pagine con contorno e numerate al centro, comprende una breve premessa del Bodoni di sole tre carte e quindi venti iscrizioni “esotiche” realizzate in differenti caratteri ricavati da codici posseduti dalla Biblioteca Parmense, tranne quello fenicio tratto da una dissertazione di Francesco Perez Bayer stampata a Madrid da J. Ibarra nel 1772 e intitolata La conjuracion de Catilina y la guerra de Jugurta. De alfabeto y lengua de los Fenices y de sus Colonias. 5 H.C. Brooks, Compendiosa bibliografia di edizioni bodoniane, Firenze: Tip. Barbera, 1927 (d’ora innanzi Brooks), nr. 1415 a); D. Moschini, Genesi dell’«In nuptiis» per Ferdinando I Borbone e Maria Amalia, “Bollettino del Museo Bodoniano di Parma”, 7 (1993), pp. 337-352; A. De Pasquale, Gli esordi della Stamperia Reale, in Il Ducato in scena. Parma 1769: feste, libri, politica, mostra a cura di A. De Pasquale e G. Godi, Parma, Biblioteca Palatina, 25 settembre–28 novembre 2009, Parma: Grafiche Step, 2009, spec. p. 60. 6 Brooks nr. 50. 116 ANDREA DE PASQUALE

Le iscrizioni sono in lingue delle più varie nature, vive e morte, utilizzate sia in Oriente che in Occidente, contraddistinte dal fatto di essere scritte in caratteri non latini, e precisamente in ebraico, ellenistico, rabbinico, siriaco (maronita), caldeo (siriaco nestoriano), palmireno (dialetto aramico del I sec. d.C.), turco, ebraico con punti, copto o egizio, siroestranghelo, samaritano, arabico, fenicio, persiano, greco (lettere maiuscole), tedesco (caratteri gotici), egizio (lettere maiuscole), armeno, etrusco, punico (o cartaginese). Nella prefazione il Bodoni illustrava le sue intenzioni: “A questa non lieve fatica mi ha incoraggiato il desiderio di rendere la R. Stamperia per questa parte distinta, e forse unica in Europa. Molte Città vanno pur celebrate per la signorilità delle stampe in lingue diverse, fra le quali puossi annoverare Oxford, Leida, Vienna, Amburgo, Heidelberg, Amsterdam, Francfort sul Meno, Lipsia, Utrecht, Upsal, e specialmente Alcalà, Anversa, Parigi, e Londra, donde ci sono pervenute le quattro più famose poliglotte. La nostra Italia, feconda madre d’ogni bell’arte, ha veduto ancor nello scorso secolo due dotti cardinali, Federigo Borromeo, e il beato Gregorio Barbarigo ergere con immenso dispendio, uno in Milano, e l’altro in Padova, due scieltissime stamperie di caratteri forestieri, particolarmente orientali. Né queste però, né le altre tutte pur insigni, e ben fornite, ch’elleno fossero, sono da paragonarsi con quella della sagra congregazione della Propaganda in Roma, a cui niuno potrà mai contendere la copia di tanti esotici bellissimi caratteri, quali avuti dall’antica Vaticana, dalla Medicèa, dalla Savariana [i libri arabi stampati a Roma da F. Savary de Brèves e dal collaboratore S. Paolino tra il 1608 e il 1614, ndr], e quali recentemente incisi, e gettati per saggio suggerimento di chi a quella con tanta commendazione presiede. Pure di tante celebri tipografiche officine niuna ve ne ha, la quale abbia potuto, o possa al presente vantarsi di averne una serie compiuta. Da questa quasi comune mancanza addiviene, che quante volte si ha a stampare alcuna cosa in lingue esotiche, si supplisce con tavole intagliate in legno; il che oltre al presentare all’occhio una sensibile deformità, circoscrive l’uso di questi fittizj caratteri ad assai poche cose. Sarà dunque pregio della sola stamperia di Parma lo avere tutti i caratteri convenevoli per mettere in luce, occorrendo, la più copiosa, ed estesa poliglotta, che siasi fin ad or veduta. Questo saggio istesso può esserne una conveniente pruova, se non anzi una dimostrazione”. Il Bodoni dichiarava inoltre di volersi impegnare in futuro nel disegno di altri caratteri, quali il babilonico, l’epirotico, lo slavo, l’illirico, l’etiopico, il ruteno, il malabarico, il bracmano, e la promessa veniva mantenuta con la celeberrima opera intitolata Epithalamia exoticis linguis reddita Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni... 117 stampata dalla Stamperia Reale nel 1775 in occasione del matrimonio di Carlo Emanuele Ferdinando IV di Savoia, figlio del re di Sardegna, e Maria Adelaide Clotilde di Borbone, sorella del re di Francia, frutto nuovamente della collaborazione con l’abate De Rossi7. Si compone di una carta di frontespizio, di 5 carte di dediche, con iscrizioni in latino di Paolo Maria Paciaudi offerte da Bodoni a Vittorio Amedeo III di Savoia, re di Sardegna, alla moglie Maria Antonia Ferdinanda di Spagna, e agli sposi, di 5 pagine numerate in caratteri romani con prefazione del Bodoni, di 44 pagine numerate VII-XLI con una dissertazione del De Rossi che illustra anche lo sviluppo degli studi delle lingue orientali e i progressi della tipografia in tali lingue, di 77 carte numerate in caratteri arabi con iscrizioni, dedicate, le prime 24, da altrettante città del Piemonte e territori annessi (Urbium subalpinarum inscriptiones exoticae) agli sposi. Le città e le lingue sono le seguenti: 1. Alba: siriaco; 2. Alessandria: ebraico; 3. Acqui: caldaico; 4. Asti: arabico; 5. Aosta: copto; 6. Torino: etiopico; 7. Bobbio: turco; 8. Biella: fenicio; 9. Casale: palmireno; 10. Tortona: samaritano; 11. Ivrea: ellenistico; 12. Fossano: etrusco; 13. Mondovì: giudeo-teutonico [ossia jiddisch]; 14. Nizza: persiano; 15. Novara: rabbinico; 16. Pinerolo: siroestranghelo; 17. Saluzzo: armeno; 18. Susa: tedesco; 19. Vercelli: gotico; 20. Vigevano: russo; 21. Chieri: tibetano; 22. Cherasco: illirico; 23. Cuneo: bracmannico [ossia caratteri devanagari, scrittura del sanscrito]; 24. Savigliano: slavonico [o serviano di S. Cirillo, in cirillico]. L’ultima iscrizione, dedicata dalla Beata Margherita di Savoia, è in georgiano. Le 25 iscrizioni esotiche recano un’incisione in rame che richiamava le glorie della città, realizzata dai migliori artisti di Parma (Benigno Bossi, Evangelista Ferrari, Domenico Muzzi disegnarono i 139 rami, Giovanni Volpato, Domenico Cagnoni, Louis Sommerau, Giovanni Francesco Ravenet, F. Marcorus, Patrini li incisero), e redatte dal De Rossi in onore degli sposi. Segue poi la relativa spiegazione delle incisioni (Emblematum quibus Urbes repraesentatae explicatio), con riferimenti alla storia e all’arte e alla geografia, redatta dal barone Giuseppe Vernazza, da Giuseppe Maria Boccardo e dal conte Benvenuto Robbio di San Raffaele. Inoltre ad ogni epitalamio è abbinata la versione latina in carattere maiuscoli tondi,

7 Brooks nr. 70. Cfr. anche G. Gasperoni, Di Giovanbattista Bodoni: il Saggio poliglotto del 1775 e i collaboratori subalpini, “Accademie e Biblioteche d’Italia”, XVII/3 (1943), pp. 142-150. La Biblioteca Palatina di Parma conserva diverse copie dell’edizione anche in emissioni diverse e una prova di stampa senza i rami. 118 ANDREA DE PASQUALE compilata dal padre Paciaudi, e decorata da medaglia rappresentante un principe sabaudo. Si succedono poi due carte non numerate e 26 pagine in caratteri romani con un poemetto, in caratteri greci, intitolato Mnemosyne, la dea greca della memoria che sostava sulle rive del fiume Parma presso il Ponte della Rocchetta dove si trovava l’officina bodoniana, dovuto al conte Castone della Torre Rezzonico, segretario dell’Accademia Parmense di Belle Arti e amico del Bodoni. Nella premessa del Bodoni “Giambattista Bodoni a’ benevoli”, il tipografo ancora una volta dichiara il suo interesse per la stampa in alfabeti non latini: “profittando io de’ lumi del nostro secolo, e dell’ammirabile ritrovato della stampa mi sono affaticato ad incidere con tutta l’eleganza e la precisione delle forme, i caratteri delle più strane lingue non solo che fioriscono a’ nostri giorni nell’Asia, nell’Affrica, e nell’Europa, ma quelli eziandio che dalla ruggine di tanti secoli ormai consunti perirono colle favelle e coll’impero degli antichissimi popoli”. La stessa cosa era stata dichiarata, con autocelebrazione, nella prefazione in cui il Bodoni dice che “innumeros pene exoticos characteres mea manu descriptos, excisos, fusos, perpolitos apparavi”. Al 1782 si data invece l’Essai de caractères Russes gravés et fondus par Jean Baptiste Bodoni, su 22 carte stampate solo sul recto8, offerto ai principi di Russia, Paolo, figlio di Caterina II, e consorte che, con il nome di “Conti del Nord”, giunsero, con un gran seguito, nel 1782 a Parma dove vollero visitare la stamperia bodoniana. Dopo la carta di titolo, in caratteri maiuscoli cancellereschi e la sottoscrizione in minuscoli cancellereschi, seguono otto carte con una “leggenda” russa sempre diversa in caratteri cirillici minuscoli decrescenti, quindi altre otto carte con alfabeti russi maiuscoli, uno per ogni carta, tranne l’ultima che ne ha tre, in senso decrescente. Le carte sono racchiuse in contorni di due tipi di riquadri. Il testo è bilingue, russo e latino. In calce reca la Gratulatio, in russo e latino, con l’elogio dei principi, cui segue il colophon che dichiara la paternità dei caratteri russo e latino del Bodoni. Il capolavoro della produzione bodoniana in caratteri orientali è rappresentato dall’Oratio Dominica in CLV linguas versa et exoticis characteribus plerumque expressa, la preghiera del “Padre nostro” in 155 lingue, stampata a Parma, typis Bodonianis, nel 1806 (il colophon ricorda che venne finito di stampare il 15 dicembre 1806, ma una versione, evidentemente non definitiva, era già stata presentata a Parigi nel maggio di quell’anno all’Esposizione Nazionale dei prodotti dell’industria 8 Brooks nr. 204. Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni... 119 dell’Impero), su 165 carte tutte con doppio contorno sopra cui si trova un cartiglio con la numerazione in caratteri romani9. L’opera, dedicata ad Eugenio Beauharnais, viceré d’Italia, e alla consorte Augusta Amalia, contiene una prefazione trilingue in latino, francese e italiano, in tre caratteri diversi, due tondi di fattura distinta e il corsivo. La dedica venne addirittura redatta dal conte de Mejan, segretario agli Ordini, ministro della corte vicereale, residente a Milano. Alle traduzioni contribuirono Petitot de Boispréaux e Moreau de St.-Mery figlio, oltre a Giuseppe De Lama, amico e futuro biografo del Bodoni. Nella premessa Bodoni dichiarava i suoi principi ispiratori, legati ad intenti evangelizzatori dei popoli: “Se nei secoli della superstizione l’antichità ha creduto suo debito consacrare altari a Giove Panonfeo cui tutti gli uomini porgevamo le loro suppliche, oggidì, nel secolo dei lumi, non dobbiamo eternare per mezzo delle arti quelle formule venerate che la religione ha consecrato presso tanti popoli al culto del vero Iddio onnipossente ed immortale? Bodoni, fermamente persuaso di questa verità, ha scelto tra le più sante quella che meglio meritava questa preferenza, sia per la sua sublime semplicità, sia per la divina origine da cui emana, sia infine pel numero e la purezza dei voti ch’esprime. Egli l’ha pubblicata in quasi tutti le lingue che si conoscono, con i caratteri proprii di ciascuna di esse, e ch’egli stesso ha incisi, per metter le nazioni in istato di poter porgere all’Eterno un omaggio che gli possa piacere”. Il testo è redatto in 215 caratteri in 155 lingue. Questo è il piano dell’opera, secondo le indicazioni del biografo De Lama10: “[…] la prima delle quattro parti in cui sta divisa l’opera contiene 51 versioni per le lingue asiatiche, la seconda 72 per le europee; la terza 12 per le africane; e 20 la quarta per le americane. E quantunque in totale risultino sole 155 versioni in altrettante lingue diverse, non pertanto il Pater si trova stampato 215 volte con altrettanti diversi caratteri, e cioè 68 per le lingue asiatiche; 114 per le europee; 13 per le africane e 20 per le americane. I caratteri esotici o propri a ciascuna di dette lingue sono 107, vale a dire 43 gli asiatici; 58 gli europei (tra i quali vi ha 34 caratteri greci) e 6 gli africani. Gli altri 108

9 Brooks nr. 1003. Sulla partecipazione dell’opera all’esposizione parigina cfr. G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 96. Dell’edizione la Biblioteca Palatina di Parma possiede diversi esemplari, anche con varianti, e alcune pagine di bozze: cfr. A. De Pasquale, in Il progetto tipografico del libro: Bodoni e i Tallone, a cura di A. De Pasquale, E. Tallone, Parma, Museo Bodoniano, 2009, p. 12. La Biblioteca Braidense di Milano invece possiede la bozza dell’intero volume: Mostra antologica di G.B. Bodoni, a cura di S. Samek Ludovici, Milano: Biblioteca Nazionale Braidense, 1972, p. 61, n. 65. 10 G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 89. 120 ANDREA DE PASQUALE caratteri sono comuni o romani, corsivi e tondi, ma talmente variati che le forme e le dimensioni non appariscono mai le stesse”. L’Oratio diventa quindi il manifesto della produzione bodoniana in caratteri orientali (come anche del greco, che egli considerava tra gli alfabeti “esotici”). Nella prima parte, comprendente le traduzioni in lingue asiatiche, gli alfabeti sono 43: quadrata ebraica in sette serie, samaritana in due, siriaca nestoriana in due, ebraica corsiva in tre, siriaca serto in tre, siriaca estranghelo in tre, araba in due, fenicia in due, araba persiana in due, tartara di Crimea in una, palmirena in due, malese in tre, giavanese in una, hindustani in due, brammanica in due, grantha (samscrudonice) in una, mancese in una, cinese in tre, tibetana in una, georgiana in una, armena in due. I caratteri utilizzati sono tutti stati disegnati e fusi dal Bodoni; solo per il cinese il Bodoni, vista probabilmente, la difficoltà di riprodurre gli ideogrammi, incise i caratteri in legno. Altre versioni del “Padre Nostro” in altre lingue (quali il malese, canarese, gujarati, marathi, mongolo, tunguso, bengalese, ecc.) sono invece riprodotte in versione traslitterata in caratteri latini, per difficoltà di ritrovare testi in tali caratteri. Nella seconda parte, relativa alle lingue d’Europa, i caratteri esotici sono 51: 34 per il greco, due per l’etrusco, due per il tedesco (gotico), uno per il turco, otto per il russo, uno per il gotico d’Ulfila, uno per l’jiddisch (judaeo-teutonice), uno per il cirillo (slavonice) e uno per il glagolitico dalmata (illyrice). Nella terza parte, comprendente le lingue d’Africa, i caratteri esotici sono sette: uno per la scrittura araba maghrebina (stylo in Barbaria vulgari), uno per il punico (ex columna Melitensi), due per il copto (Thebaica dialecto, Memphitica dialecto), uno per l’etiopico e uno per l’amarico. Altre lingue africane sono rappresentate in versioni traslitterate. Anche le lingue americane, che occupano la quarta parte dell’opera (Groenlandice, Canadice, Illinice, Virginice, ecc.), sono in versioni traslitterate in caratteri latini. L’opera nasce in aperta competizione con l’edizione dell’Oratio Dominica in 150 lingue pubblicata nel 1805 da Jean Joseph Marcel, direttore dell’Imprimerie Nationale di Parigi, di cui una copia era stata donata al Papa Pio VII in occasione dell’incoronazione di Napoleone, e da lui mostrata a Bodoni durante il suo passaggio a Parma nel maggio di quell’anno, sollecitandolo a comporre una nuova edizione “coi nitidi e più copiosi suoi tipi”11. Si trattò di un’impresa immane, realizzata in appena un anno, anzi ben meno, se consideriamo che il testo era completo

11 G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, p. 88. Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni... 121 già nell’ottobre 1805, dilungandosi poi nella redazione della premessa, aggiornata con i riferimenti ai successi napoleonici con i prussiani avventi il 14 ottobre 1805, a cui il Bodoni dedicò una febbrile attività. Bodoni nella prefazione faca osservare le differenze tra la sua edizione e le altre che la hanno preceduta: “nelle quattro edizioni fin qui eseguite dell’Oratio […] i caratteri esotici in esse adoperati sono per la più parte incisi in rame, e ciò per evitare la spesa enorme, e il tempo, che si richiedono a incidere gli opportuni punzoni, e batter quindi le corrispondenti matrici; laddove in questa mia son tutti mobili, e gettati separatamente”. In più, nell’edizione del Marcel, erano stati adoperati i caratteri greci incisi da Garamond per Francesco I ed imitati i caratteri arabi di Stefano Paulino, oltre ad avere un numero ben più esiguo di alfabeti, mancando i caldaici, i siriaci, i fenici, i palmireni, i bracmanici, i malabarici, i tibetani, i georgiani, gli etruschi, gli illirici, gli ebreo-teutonici, il gotico d’Ulfila e il punico. Particolarmente interessanti sono le fonti utilizzate che il Bodoni aggiungeva ad ogni alfabeto: le pubblicazioni della stamperia De propaganda per diversi caratteri, l’Oratio Dominica del Chamberlayne per numerosi caratteri, le opere di Benjamin Schultze per tre scritture indiane, l’Evangelium Sanctum stampato a Roma dalla Tipografia Medicea nel 1590- 1591 per i caratteri arabi, le opere dell’abate Tomaso Valperga di Caluso per i caratteri palmireni, l’alfabeto di Andrea Giorgio per il copto, il Novum Testamentum stampato nel 1660 ad Oxford per il turco, una non specifica Sylloge Londinense per l’ebraico e il malese, il Novum Testamentum stampato ad Amsterdam nel 1770 per il malese, monete antiche per il fenicio, gli Opuscola del Bayer per la seconda serie del fenico, manoscritti di missionari per i caratteri arabi, cinesi e mancesi. La numerosità delle lingue utilizzate e la dovizia delle fonti consultate attestano sia la preparazione del Bodoni nel campo delle lingue esotiche, sia, soprattutto, la necessità del ricorso a linguisti e orientalisti competenti. Mentre non è nota la partecipazione del De Rossi all’impresa, risulta invece documentata la collaborazione con il cardinale Giuseppe Mezzofanti, professore di lingue orientali a Bologna12. Quest’ultimo si era indirizzato al Bodoni, con lettera del 18 luglio 1805, per far stampare una poesia greca di Clotilde Tambroni e una parafrasi da lui redatta di un verso latino in dieci lingue orientali, entrambe mostrate a Napoleone di passaggio a Bologna nel mese precedente. Bodoni, accondiscendendo alla stampa, inizia così un rapporto 12 A. Boselli, Giuseppe Mezzofanti e il “Pater” poliglotto del Bodoni, “L’Archiginnasio”, XI (1916), pp. 115-123; Id., Giuseppe Mezzofanti e Giambattista Bodoni, “La bibliofilia”, XXVI (1924), pp. 127-134. 122 ANDREA DE PASQUALE epistolare con il Mezzofanti atto a perfezionare il testo dell’Oratio: a lui inviava le prove di stampa e il cardinale provvedeva alle correzioni, invitandolo ad interpellare pure l’abate De Rossi. Nella risposta alla lettera del Bodoni del 20 agosto a cui egli accluse ulteriori prove di stampa, apprendiamo le modalità di correzione del Mezzofanti: “Nell’aramaico, siccome ancora nelle lingue malabariche non l’ho potuto servire, perché non ho esemplari da confrontare, e non sono molto esperto da supplirvi colle mie cognizioni. Nel copto tebano vedrò di correggerlo come suol dirsi a memoria, perché nemmeno di esso ho esemplare. Mi nasce un dubbio che la multiplicità dei segni che indicano gli errori possa far confusione, ed amerei vedere qualche saggio delle cose che avevano più correzioni, per conoscerne l’esito. Troverà che nel giorgiano non ho seguito la lezione del Maggi palermitano, perché è piena di errori la sua gramatica, e par che non avesse grande orecchio perché confonde i suoi affini”. Dopo un Saggio di majuscole latine greche, e russe e prove di caratteri minuscoli in tondo e corsivo del 1788, una coeva raccolta di prove di caratteri cirillici, un primo tentativo di realizzare un saggio composto da “ben cento paginette de’ suoi caratteri esotici, ciascuna rinchiusa da un quadretto di fregi mobili” che vennero rubate al Bodoni nel giugno 179513, l’insieme dei caratteri esotici si ritrova poi nel Manuale tipografico, già progettato per tanti anni dal Bodoni, ma mai portato a termine, concluso ed edito dalla vedova Margherita nel 1818 con la collaborazione del proto Luigi Orsi14. Nel secondo volume, nella prima parte che comprende la Serie di caratteri greci ed altri esotici, si ritrovano gli “altri esotici”: ebraico (7), ebreo-tedesco, rabbinico (3), caldaico (2), siriaco (3), siro-estranghelo (3), samaritano (2), arabo (2), turco, tartaro, tartaro manchoù, persiano (2), etiopico, copto e sue maiuscole (2), armeno e sue maiuscole (2), etrusco (2), fenicio (2), punico, palmireno (2), serviano di S. Cirillo e sue maiuscole, illirico di S. Girolamo e sue maiuscole, gotico d’Ulfila, georgiano, tibetano (2), bracmanico, malabarico. Nella sezione Caratteri tedeschi; e russi tondi e corsivi, e loro maiuscole compaiono invece: tedesco e sue maiuscole (2), russo tondo minuscolo (21), russo corsivo minuscolo i numeri 2, 11, 12, 13 Brooks nr. 1413. Il Museo Bodoniano conserva un Carattere arabico intagliato da Giambattista Bodoni, direttore della R. Tipografia Parmense e un Carattere malabarico intagliato da Giambattista Bodoni direttore della R. Tip. Parmense, entrambi composti da un’unica carta stampata solo sul recto. Sul furto cfr. G. De Lama, Vita del cavaliere Giambattista Bodoni, cit., vol. I, pp. 50-51. 14 Brooks nr. 1216. Sui saggi di caratteri orientali e sul manuale, di cui il Museo Bodoniano possiede diverse prove realizzate da Bodoni, cfr. A. De Pasquale, La fucina dei caratteri, cit., pp. 113-119. Exoticis linguis: le edizioni di Giambattista Bodoni... 123

14-21, corrispondenti a quelli tondi; russo maiuscole tonde (25), maiuscole corsive i numeri 12-25 corrispondenti a quelli tonde. Le pubblicazioni in caratteri esotici hanno per Bodoni significati e fini diversi. Da una parte vogliono costituire dei campionari dei caratteri che egli produceva e vendeva nella sua fonderia, vero e proprio manifesto della sua maestria nel disegno calligrafico e nell’incisione dei punzoni, anche se quasi nulle furono le commissioni15, come anche l’utilizzo degli stessi che si limitò al carattere ebraico e siriaco, per le pubblicazioni del De Rossi (Specimen ineditae et hexaplaris Bibliorum versioni Syro-estranghelae del 1771) o dell’abate Tomaso Valperga di Caluso, amico e corrispondente del De Rossi stesso (Dydimi Taurinensis Literaturae Copticae rudimentum, 1783)16. Dall’altra esse vogliono configurarsi come edizioni improntate alla ricerca del “bello”, ma anche del curioso, atte a suscitare non solo l’interesse di orientalisti e studiosi di lingue orientali, del resto molto scarsi, ma soprattutto le passioni di un pubblico colto ed aristocratico, disposto a pagare cifre importanti per accaparrarsi dei testi illeggibili, ma da mostrare come mirabili esempi di esotismo e di raffinata e perfetta tecnica tipografica.

15 Sulla fonderia dei caratteri bodoniani cfr. A. De Pasquale, La fucina dei caratteri, cit. 16 Brooks nr. 171 e 225. Les langues et le livre : le manuscrit 150 de la Bibliothèque de Valenciennes

MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS

La Cantilène de sainte Eulalie, et le Ludwigslied ou Chant de Louis au folio 141 v° du manuscrit 150 de Valenciennes © Bibliothèque de Valenciennes

Envisager les rapports entre les langues et les médias, tel est le vaste champ de recherche ouvert depuis peu par Frédéric Barbier1. Or dès que l’on s’intéresse à l’essor des langues vernaculaires européennes, deux courts textes français et allemand datés de l’époque carolingienne attirent l’attention au sein d’un même livre. On a pu parler de « miracle linguistique » dans la juxtaposition longtemps incomprise de ces deux

1 BA RBIER, Frédéric, « [Les Langues imprimées] Avant-propos », Histoire et civilisation du livre, IV (2008), p. 9-20. Les langues et le livre : le manuscrit 150... 125 textes au sein du manuscrit latin 150 de la Bibliothèque de Valenciennes2. Il s’agit de deux poèmes, longs de quelques dizaines de vers, écrits, l’un en très ancien français, la Cantilène ou Séquence de sainte Eulalie, l’autre en vieil haut allemand, le Ludwigslied ou Chant de Louis. Leur composition et leur mise en écrit ont pu être datées avec certitude des années 880 et elles ont pu être localisées dans un scriptorium situé sur la rive gauche du Rhin moyen : Mayence pour la composition du Ludwigslied, Echternach, Prüm, Liège ou Lobbes pour la mise en écrit, Saint-Amand pour la conservation finale, toutes ces abbayes se situant au cœur ou en bordure du royaume de Lothaire, la Lotharingie3. Entre le Rhin et l’Escaut, au centre de gravité de l’histoire européenne, se trouvaient confrontés les mondes latinophone et germanophone. Les Mérovingiens, occupés à conquérir leur romanité culturelle et juridique, ne se sont pas préoccupés du germanique, langue inscrite dans l’oralité pure et diffractée en nombreux dialectes. Par contre les Carolingiens, désormais maîtres de leur héritage latin, romain et chrétien, et davantage implantés dans l’Est germanique, ont mis en place l’outillage grammatical qui favorisait l’accès d’une langue « sauvage », selon l’expression de l’érudit Ottfrid de Wissembourg au IXe siècle, au statut de langue écrite et littéraire : Éginhard raconte que Charlemagne lui-même aurait fait mettre par écrit d’anciens poèmes épiques et qu’il aurait tenté de rédiger une grammaire de la langue francique 4. Dans les territoires latinophones, le latin parlé depuis des siècles par l’ensemble de la population avait évolué au point qu’il ne ressemblait plus que d’assez loin à la langue écrite traditionnelle. Le latin restait employé oralement par les hommes d’Église, les clercs et les élites, mais la volonté des Carolingiens de restaurer un latin classique, jugé plus digne, tendit à le figer. Les dictionnaires fleurirent dans les bibliothèques carolingiennes pour rendre plus explicites certains termes mal compris des moines : la Bibliothèque de Valenciennes possède un exemple de ces « Claves Scripturarum »5. La langue romane, qui pouvait dès lors passer pour une

2 BA LIBAR, Renée, Eulalie et Ludwig : le manuscrit 150 de la Bibliothèque de Valenciennes : colinguisme et prémices littéraires de l’Europe (Cortil-Wodon : E.M.E., 2005), p. 17, 39. 3 SC HNEIDER, Jens, Auf der Suche nach dem verlorenen Reich : Lotharingien im 9. und 10. Jahrhundert (Cologne, Weimar, Vienne : Böhlau Verlag, 2010). 4 Cf. BANNIARD, Michel (dir.), Langages et peuples d’Europe. Cristallisation des identités romanes et germaniques (VIIe–XIe siècles) (Toulouse : Université de Toulouse Le Mirail, 2002). 5 Ms 100. DION, Marie-Pierre, « Le Scriptorium et la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Amand au IXe siècle », in : La Cantilène de sainte Eulalie [actes du colloque 126 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS version abâtardie du latin et ne bénéficiait pas, comme le francique, du statut de langue de la famille impériale, n’engendra apparemment pas d’œuvre littéraire avant la fin du IXe siècle6. Dans les deux territoires, des textes romans ou germaniques servaient à édifier les populations, conformément aux recommandations du synode de Tours en faveur de l’emploi des langues vulgaires dans la prédication. Ces textes romans ont rarement eu droit d’entrée dans les livres 7. Le sermon en langue romane sur Jonas, conservé à la Bibliothèque de Valenciennes (ms 521), est une exception : ce document autographe, rédigé en partie en notes tachygraphiques, est un brouillon qui a servi à renforcer une reliure et a été conservé par hasard. Seuls les lettrés, maîtrisant l’écrit, avaient les moyens de conserver trace des langues naturelles. Qu’est-ce qui pouvait les pousser à se risquer hors de la tradition latine, socialement valorisante, et ce, dans une région où la présence franque était ancienne et prégnante ? Telle est l’une des questions que pose le manuscrit 150 de la Bibliothèque de Valenciennes. Pourquoi y trouve-t-on côte à côte des textes en latin, en français et en allemand qui n’ont semble-t-il aucun lien entre eux ? Après l’examen du manuscrit, sera retracée l’histoire de son étude qui s’est longtemps focalisée sur les langues en perdant de vue l’ensemble du livre. L’interprétation unitaire qui prévaut aujourd’hui, fait du manuscrit un parfait représentant non du multilinguisme (le multilinguisme juxtapose ou mêle les langues) mais du colinguisme carolingien (le colinguisme définit et réunit les langues, selon l’inventrice du concept, la linguiste Renée Balibar8). Sous sa modeste couverture de peau non apprêtée (« liber pilosus »), et malgré sa petite taille (237 x 150 mm), le manuscrit 150 est d’une importance fondamentale pour l’histoire des littératures européennes. Au folio 141 v°, la Cantilène de sainte Eulalie, datée de peu après 882, est le plus ancien texte littéraire en langue romane qui soit parvenu jusqu’à nous. La Cantilène ou Séquence de sainte Eulalie est un hymne religieux. Elle raconte comment, au cours de la persécution de 304, une jeune fille de treize ans appartenant à une riche famille de Mérida refusa de renier sa foi. C’était aller au-devant du martyre qu’Eulalie subit avec un courage exemplaire. organisé par la Bibliothèque de Valenciennes, à Valenciennes, le 21 mars 1989] (Lille : ACCES, 1990), p. 35-52. 6 B UHRER-THIERRY, Geneviève, MERIAUX, Charles, La France avant la France, 481-888 (Paris : Belin, 2010), p. 508-509. 7 Cf. RUBY, Christine, « Les premiers témoins écrits du français », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 61-72. 8 BA LIBAR, Renée, L’Institution du français : essai sur le colinguisme des Carolingiens à la République (Paris : Presses Universitaires de France, 1985). Les langues et le livre : le manuscrit 150... 127

Bâti sur une émouvante progression dramatique, le poème s’achève par une image empruntée au poète Prudence (au moment où Eulalie expira, on vit une colombe blanche sortir de la bouche de celle-ci et s’élever vers le ciel) et sur une prière (l’auditoire est invité à prier Eulalie d’intercéder pour lui auprès du Christ). Aux côtés de la Cantilène de sainte Eulalie, transcrit par la même main pleine d’aisance, figure le Ludwigslied, intitulé « rithmus teutonicus » dans le manuscrit. Il s’agit d’un des premiers « monuments » littéraires de la langue allemande. C’est un panégyrique chanté, célébrant la victoire du roi carolingien Louis III sur les Normands à Saucourt-en-Vimeu, près d’Abbeville, le 3 août 881. Il s’adresse à un public informé car les circonstances de la bataille sont peu développées. Le jeune roi carolingien victorieux, abondamment loué, est présenté comme l’instrument de la volonté divine. On a souligné que ces deux textes destinés à devenir célèbres n’avaient paradoxalement pas eu les honneurs d’un livre, c’est-à-dire d’un support matériel spécialement conçu pour eux. Transcrits à la fin d’un manuscrit latin antérieur (début du IXe siècle) – un recueil de sermons de Grégoire de Naziance traduits du grec en latin, dont les derniers feuillets étaient restés blancs par hasard –, ils sont le fruit d’une copie a posteriori. L’étude codicologique et paléographique du manuscrit montre cependant que les ajouts de textes au manuscrit ont été fait avec réflexion et avec un soin particulier. Le livre a été dérelié puis relié à nouveau de manière à ce que ses 141 feuillets soient suivis de 2 nouveaux feuillets. A la suite du texte de Grégoire de Naziance, les cinq textes qui sont tous des textes poétiques ou « rithmi » ont été copiés en quatre étapes successives par quatre mains différentes9. Dans un premier temps, en face de l’explicit du texte de Grégoire, on a copié un poème célébrant sainte Eulalie en latin. Le culte de celle-ci, alors attesté dans le Nord et notamment à Saint-Amand, connut peut-être un regain de ferveur suite à la découverte et à la translation de reliques de la jeune martyre à Barcelone en 878. Le poète, musicien et amateur de figures de style recherchées, fait – dans plus d’un tiers des vers – référence au chant, à la voix, à l’instrument de musique et il ne réserve que quatre distiques à la sainte espagnole. Il célèbre conjointement la fonction des chantres, la toute puissance de Dieu et l’harmonie du monde. Une autre main a ajouté à la suite la séquence latine Dominus caeli rex. 9 SIMERAY, Françoise, « La Découverte de la Cantilène de sainte Eulalie », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 53. Voir aussi : BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, Les Séquences de sainte Eulalie (Genève : Droz, 2004), p. 45-60. 128 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS

Sur fond tragique de guerres (les invasions ou « cohortes d’impies » sont évoquées aux vers 29-30), vingt distiques décrivent les perturbations causées par les hommes dans un monde où l’harmonie voulue par Dieu équilibre les quatre éléments, idée développée par Boèce dans la Consolation de Philosophie10. Une troisième main a tourné la page et transcrit au verso exact de la séquence latine, la séquence romane en l’honneur de sainte Eulalie puis, à la suite et sur plusieurs pages, le Ludwigslied. Les deux séquences latine et romane ne sont pas des traductions l’une de l’autre, même si elles évoquent toutes deux Eulalie à travers une source commune, le poète Prudence. Quant au titre du Ludwigslied (« Rithmus Teutonicus de piae memoriae Hludvico rege »), il permet de dater la transcription des textes roman et francique après le 5 août 882, date de la mort du roi Louis III. Une dernière main a copié une dernière séquence latine, Vis fidei tanta est. Ce texte précieux et énigmatique est construit comme une lettre de vœux et il a pour sujet l’amour fraternel en symbiose avec la foi, avec référence à l’évangile de Matthieu. Le poète formule des vœux à l’adresse de son lecteur et espère quant à lui être épargné par le « tourbillon d’un funeste naufrage »11. S’agit-il d’un envoi accompagnant le don du livre à l’abbaye de Saint-Amand dans une période profondément troublée ?12 Les études concernant le manuscrit 150 ont longtemps ignoré ces questions, se focalisant seulement sur l’émergence de deux langues et littératures nationales. Au cours des diverses péripéties de l’histoire de la bibliothèque de l’abbaye amandinoise, le manuscrit tomba dans l’oubli13. Le savant bénédictin Dom Mabillon, de passage à Saint-Amand en 1672, vit cependant son attention attirée par les moines sur le texte du Rithmus teutonicus qu’il recopia. Il voulut par la suite effectuer des vérifications mais les moines ne purent retrouver le manuscrit, une partie de la bibliothèque s’étant effondrée suite à un tremblement de terre. Le texte fut édité par un ami de Mabillon, l’historien strasbourgeois Johannes Schilter en 1696, puis par Mabillon lui-même en 1709 dans les Annales Ordinis Sti Benedicti. Honoré

10 BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit., p. 189. 11 Ibid., p. 195. 12 On suppose que suite aux assauts normands qui détruisirent plusieurs fois l’abbaye, en 881 et 883, les moines eurent à reconstituer leur bibliothèque. PLATELLE, Henri, « L’Abbaye de Saint-Amand au IXe siècle », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 18-34. 13 SIMERAY, Françoise, « La Découverte de la Cantilène de sainte Eulalie », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 53-60. Les langues et le livre : le manuscrit 150... 129 comme premier monument de la langue allemande, comme « chant des ancêtres » par Herder (1778), le poème reçut des frères Grimm, en 1819, en plein romantisme allemand, le titre de Ludwigslied qu’il portera désormais. Il fallut attendre 1837 pour que le célèbre poète politique et philologue germanique, Hoffman von Fallersleben (l’auteur de Deutschland über alles), insatisfait des transcriptions et traductions dont il disposait, partît à la recherche du Rithmus Teutonicus que l’on croyait perdu, et « découvrît » le manuscrit à la Bibliothèque municipale de Valenciennes – ville la plus proche de l’abbaye de Saint-Amand – où il avait été déposé en 1791, dans le cadre des confiscations révolutionnaires. Hoffman von Fallersleben découvrit alors le texte en langue romane célébrant Eulalie. Aussitôt recopiée et publiée à Gand en 1837, la Cantilène de sainte Eulalie n’a pour sa part pas eu la renommée d’un chant national, mais elle a longtemps figuré en tête des chrestomathies et autres manuels de littérature médiévale française. La difficulté de compréhension de son texte, son caractère religieux marqué limitent aujourd’hui encore son rayonnement. Les péripéties de la découverte et de l’édition des deux poèmes ont entraîné un fait paradoxal. Le texte allemand et le texte français ont été édités, étudiés et traduits séparément. Leur proximité à la fois spatiale et scripturale au sein du recueil est passée quasi inaperçue. Lorsqu’elle était remarquée, c’était en vue d’exalter l’avenir de deux langues promises chacune à un destin exceptionnel. L’idéologie nationaliste des langues a ainsi conduit pendant plus de deux siècles à considérer les deux textes comme étrangers l’un à l’autre14. En 1989, un colloque organisé par la Bibliothèque de Valenciennes réunissait pour la première fois des spécialistes autour du manuscrit et des différents poèmes. Le but était de faire le point des connaissances, les spécialistes ayant multiplié les exégèses érudites sans se mettre d’accord sur le sens des vers, et d’avancer sur la question de savoir par qui, pour qui, pourquoi et où les textes avaient été écrits et copiés. Les deux textes roman et francique sont alors apparus comme partageant leurs formes, mais aussi leurs publics et leurs sujets liés à l’actualité du temps. Centre de culture dont on n’a pas fini de mesurer le rayonnement intellectuel, littéraire et artistique aux temps carolingiens et postcarolingiens, l'abbaye de Saint- Amand était une abbaye royale, un centre d’accueil hébergeant les riches élites (dans la Porta) et les voyageurs pauvres (dans l’Hospitale pauperum). On a alors émis l’hypothèse selon laquelle les textes auraient pu être récités

14 BA LIBAR, Renée, Le Colinguisme (Paris : Presses Universitaires de France, 1993), p. 85-87. 130 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS ou lus au cours des offices ou des repas, pour l’édification des hôtes laïcs de l’abbaye15. Dans la foulée de ce colloque, au lieu d’examiner la couleur des encres ou de décortiquer la langue des deux célèbres textes comme le faisaient jusqu’alors les philologues, l’historienne des origines de la littérature Renée Balibar a rapproché les deux poèmes des autres poèmes du livre et du corps du manuscrit. Le manuscrit 150 se compose de la traduction latine de huit discours de Grégoire de Naziance. Or Grégoire de Naziance, évêque en Asie mineure au IVe siècle, contemporain de saint Augustin, a été le théologien de l’Esprit-Saint. Dans l’un des discours du manuscrit valenciennois, Grégoire enseigne que la malédiction de Babel – la division des langues – se transfigure en bénédiction par le miracle de la Pentecôte. S’appuyant tant sur la patristique que sur la disposition savamment enchevêtrée des textes, Renée Balibar rattache ainsi les séquences en l’honneur d’Eulalie à la prédication de Grégoire16. Eulalie – de eu- (« bien ») et lalein (« tenir un langage ») – est « celle qui parle bien » : elle apporte l’Evangelium (la « Bonne nouvelle »). La démonstration restée inachevée n’a pas convaincu toute la critique mais il convient de noter que l’édition la plus récente consacrée au manuscrit, celle d’Annette Brasseur et Roger Berger (Droz 2005), rassemble désormais les traductions de l’ensemble des poèmes latins, français et allemand, pointant ainsi l’unité du recueil17. L’unité du livre est d’abord religieuse. Le multilinguisme ou division des langues est une réalité pour les moines de Lotharingie (à noter qu’il s’agit moins de frontière linguistique et identitaire que d’une mosaïque de parlers, d’une interpénétration linguistique) : la transcription de textes de langues diverses mais de même inspiration chrétienne pourrait donc illustrer la pensée de Grégoire sur le « don des langues » ou l’exigence chrétienne de traduction. Renée Balibar écrit joliment que les moines recherchaient la « clé des langues, c’est-à-dire le pouvoir d’inscrire les langages sous les signes de grammaire de manière que les nouvelles langues écrites contrastent à la fois entre elles et avec la langue latine, et de manière que leur recréation en écriture contraste avec l’impureté de leur discordance »18. La fin de la communication verbale courante en latin se situant vers 750- 800 pour la France du Nord, les moines ont en 880 conscience suffisante de

15 PLATELLE, Henri, loc. cit. FAUGERE, Annie, « Le « Rithmus teutonicus » et la Cantilène de sainte Eulalie », in : La Cantilène de sainte Eulalie, op. cit., p. 97-100. 16 BALIBAR, Renée, Eulalie et Ludwig, op. cit. 17 BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit. 18 BA LIBAR, Renée, « Eulalie et Ludwig : le génie littéraire », Le Gré des langues, 3 (1992), p. 187. Les langues et le livre : le manuscrit 150... 131 ce qui deviendra le français. Leur connaissance profonde de la grammaire latine et leur maîtrise des difficultés de notation, soulignées par tous les spécialistes, aboutissent à un rendu fidèle de la langue romane avec une aisance d’expression et un système graphique cohérent 19. En transcrivant les deux séquences latine et romane en l’honneur d’Eulalie et d’autres textes d’actualité, ils illustrent à leur façon un livre destiné à l’étude du « parler en langues » selon l’expression de saint Paul reprise par Grégoire de Naziance. La rigueur d’écriture est indissociable de la poésie « sonore » qui réunit les textes au sein du livre Tous les poèmes du manuscrit 150 sont des rithmi destinés au chant, dans le cadre de la liturgie ou de la transmission hagiographique20. Pour être entendus les clercs doivent s’exprimer de la manière la plus claire et persuasive possible. La voix n’est pas un simple outil de transmission mais un vecteur d’émotion et un moyen d’affirmation de la foi, comme le développe la séquence latine en l’honneur d’Eulalie. La Cantilène de sainte Eulalie en est une parfaite illustration : épousant le discours chrétien, elle rappelle l’humilité et les souffrances du Christ, vérité première du Christianisme, et derrière sa simplicité apparente, laisse transparaître une musicalité et une harmonie unissant immédiatement les hommes « en Esprit ». Dans le prolongement de l’idée d’union en Esprit, le livre témoigne d’une aspiration à l’unité. Dans les cinq poèmes sont largement évoqués le désordre du monde (Dominus caeli rex, Vis Fidei tanta est), les invasions normandes (Dominus caeli rex, Rithmus teutonicus), la perte d’unité du royaume (Rithmus teutonicus). Il faut y lire une aspiration profonde des moines à la « loi de la paix en un concert harmonieux » (Dominus caeli rex), en une période particulièrement troublée. Le Rithmus teutonicus a, selon Jens Schneider, été écrit pour appuyer la promotion du jeune et valeureux roi Louis III auprès de l’entourage germanophone de l’empereur Charles le Gros. L’adoption du jeune roi par l’empereur, suggérée par Hincmar dans une lettre à Charles, pouvait apparaître comme le meilleur moyen de lutter contre les Normands qui menaçaient la Francie orientale, et de rétablir l’unité de l’Empire carolingien21. La Cantilène de sainte Eulalie oppose

19 BERGER, Roger, BRASSEUR, Annette, op. cit., p. 161-162. 20 RUBY, Christine, art. cité, p. 66. Sur le lien indissociable entre poésie et voix, cf. ZUMTHOR, Paul, La Lettre et la voix. De la littérature médiévale (Paris : Seuil, 1987). La musique était un art cultivé avec un soin particulier à l’abbaye de Saint-Amand. Cf. DION, Marie-Pierre, GOUDESENNE, Jean-François, De musica : Hucbald et l’héritage musical carolingien (Valenciennes : Bibliothèque municipale, 2003). 21 SC HNEIDER, Jens, ibidem. L’abbé de Saint-Amand, Gauzlin, de la famille des 132 MARIE-PIERRE DION-TURKOVICS les « pagiens » aux chrétiens : l’envol de la colombe est simultanément symbolique du souffle victorieux de la jeune fille et de l’Esprit-Saint. Jens Schneider a aussi montré que le Ludwigslied n’était pas porteur de distinction identitaire germanique mais opposait les Francs, confortés par un chant religieux, aux Vikings païens22. Dans l’histoire occidentale des médias, le moment où la langue de communication écrite, le latin, se distingue des langues vernaculaires orales est une première grande rupture. Lentement à partir du IXe siècle, ces langues pénètrent dans le livre : c’est un autre « moment particulièrement émouvant de notre histoire intellectuelle, [que] celui où émergent d’un fonds d’oralité changeant et insaisissable par nature les premier témoins écrits de ce qui va devenir [une] langue, [une] littérature »23. Cette mise en écrit est faite en symbiose avec des textes latins qui disposaient d’un solide réseau scriptorial. Elle apparaît dans le manuscrit 150 de Valenciennes comme un exercice savant lié à la prédication, réalisé non dans un but de différenciation mais dans un idéal de communion et d’unité, d’où peut-être la réussite littéraire des textes.

Rorgonides, petit-fils de Charlemagne par sa mère, et archichancelier du roi Louis III du vivant de celui-ci, favorisa par la suite le rapprochement des grands de Francie occidentale avec Charles le Gros. 22 D SCHneI ER, Jens, Auf der Suche nach dem verlorenen Reich, op. cit., p. 347 et sv. 23 RUBY, Christine, loc. cit., p. 61. A Survey of Arab-Islamic Studies Published at the University of Naples “L’Orientale”

VINCENZA GRASSI

The present study aims at offering a bibliographical survey concerning the Annali and Studi Magrebini, two “Orientalist” journals edited by the “Orientale”, one of the four universities of Naples. This survey will deal with Arab studies of the Islamic period, while studies in other linguistic contexts have been taken into account only when strictly linked to the development of Islamic thought and culture. It was deemed opportune to focus the attention on the post-seventies period because in these years a new generation of scholars began their scientific activity and today they represent the Italian contribution to the progress of Arab-Islamic studies. Although the present survey is a mere bibliographical study, it links up with a long tradition of Italian bibliographical publications concerning Oriental studies in a broader sense. It was in 1825, and exactly in the issues 38, 39, and 40 of the Milanese journal “Biblioteca Italiana ossia Giornale di letteratura, scienze ed arti compilato da una società di letterati”, that a survey of the publications issued in Europe between 1816 and 1820 was edited by Giuseppe de Hammer. In 1842 the progress of the teaching of Oriental languages in Italy was presented by Francesco Predari, and in 1876 an extension and update of this last work, titled Matériaux pour l’histoire des études orientales en Italie, was compiled by the well-known Italian orientalist Angelo de Gubernatis, on the occasion of the third International Congress of the Orientalists held in St Petersburg. A bibliography on Oriental studies in Italy from 1861 to 1911 was published in the fifth volume of the Rivista di Studi Orientali by the scholars of the Oriental Section of the University of Rome. While the first issue came to light in 1913, the second one, dealing with the Far East, appeared only in 1927. 134 VINCENZA GRASSI

It is against this background that the birth of the Annali of the Regio Istituto Orientale is to be set. A first attempt to create a periodical of the Institute took place in 1894, but the journal called L’Oriente lasted only two years. In 1904, a further attempt was made with the Memorie, which did not survive its first issue. The failure of these enterprises was attributed, in an anonymous preface to the first volume of the Annali, dated 1928–1929, to the indifference and lack of farsightedness of the political establishment who did not seem to be interested, at the time, in the political and practical implications of the studies about “overseas countries”. However, this criticism does not seem to be soundly grounded, as Italian colonial politics was already started in the 1880s, and in 1913 the Institute had been acquired by the newly established Ministry for the Colonies, with the intent to make it an instrument of colonial purposes1. Nevertheless, in 1923 the Institute was again under the administration of the Ministry of Education and in August 1925 it acquired the status of university. The unsuccessful attempts of its first reviews were, perhaps, a product of the history of the “Orientale” itself, which has never been easy. Notwithstanding the strong hostilities of the Papal Court and Propaganda Fide, who did not approve the establishment of a missionary school escaping their control, the institution was born in the first half of 18th century as the Collegio dei Cinesi2, a College for Chinese (and “Eastern Indian”) students, who would eventually become priests of the Roman Catholic Church. Its founder was Father Matteo Ripa (Eboli 1682 – Naples 1746), a secular priest who instituted the Congregation of the Holy Family of Jesus Christ, attached to the College, which later on was opened to young Christians coming from the lands of the Ottoman Empire. The congregation also hosted a boarding school where Chinese language, ecclesiastical

1 See the law dated 19 June 1913 concerning the re-ordering of the Istituto Orientale di Napoli, published in the Gazzetta Ufficiale dated 15 July 1913, no. 164. In the first three decades of 1900, the Fascist attitude towards the Arab World was aimed at the control of the Mediterranean Sea. The support to the Arab nationalism in the Mashriq should be understood in an anti-British perspective. Different was the case of Italian colonial policy in Africa. In those days the role Italy played in Middle Eastern affairs was highly esteemed at international level, especially when, in 1929, Grandi, a fervid supporter of the coming Second Italo-Abyssinian War, succeeded Mussolini at the Ministry of Foreign Affairs. As for the Italian orientalists’ position, it was very diverse, ranging from Nallino’s interest in religious and cultural issues to Guidi’s commitment to the regime. 2 A brief history of the Orientale is to be found in a bilingual Italian-English edition published by Michele FATICA, Sedi e Palazzi dell’Università degli Studi di Napoli “L’Orientale”, Naples, Università degli Studi di Napoli “L’Orientale”, 2005, who also devoted much effort to edit Ripa’s writings. A Survey of Arab-Islamic Studies... 135 subjects and humanities were taught to the children of wealthy families, among whom is to be remembered St Alfonso Maria de’ Liguori. With the creation of the Italian unitary state, the Institute links with the religious congregation were definitively cut and in 1888 the Reale Collegio Asiatico3, formerly the “Collegio dei Cinesi”, became the Regio Istituto Orientale of Naples and, thus, part of the state-controlled educational system4. The ensuing autonomy of the Institution was accompanied, as evidenced by the accounting records, by malpractices in the administration of its conspicuous patrimonial holdings. The financial recovery, witnessed at the turn of the century, laid the foundation for a revival of the academic life too, which, due to the negative effects of the First World War, was short-lived. In the 1920s a new interest for colonial studies, promoted by Fascism, led to a re-structuring of the Institute. In 1925 it became a School of Higher Education and, among the activities of the new institution, the Royal Commissary5, Senator Alberto Geremicca, envisaged the creation of a biannual journal, under his own editorship. This journal was to be devoted to linguistic and colonial studies produced by the academicians, distinguished students of the Orientale. This activism was inspired by the political climate of those years, when the regime was planning a further Italian colonial expansion in Africa. In 1940 a new series of the journal was started with a volume in honour of Luigi Bonelli, a specialist in Turkish studies, whose legacy was taken over by his pupil Alessio Bombaci. It contained papers by Italian colleagues together with contributions by eminent international scholars. Starting from 1956, the Annali was divided into five sections: Orientale (Oriental), Slava (Slavish), Germanica (Germanic), Romanza (Romance), and Linguistica (Linguistic). However, only the Oriental section has kept a link with the historical series of the Annali, resuming and taking up the numbering of this latter. The Department of Asian Studies also started 3 The previous boarding school was transformed into the Reale Collegio Asiatico in 1868, where students had the possibility of learning other modern Oriental languages: Mongolian and Russian since 1868, Arabic since 1872, modern Greek, Persian, Urdu and Hindi since 1878. Also at this early stage the Collegio appeared to be a resource for Italian diplomatic relationship with the Chinese Empire and to create spheres of cultural influence in the Eastern lands. 4 See Law n. 5873, published in the Gazzetta Ufficiale, dated 27 December 1888. The transformation followed to conflicts between the congregation and the Italian government for the administration of the patrimony of the Collegio, ended with its acquisition by the Italian State. 5 The setting up of royal commissaries was created by the fascist government to manage directly the Institute administration. 136 VINCENZA GRASSI to publish two series of monographic studies linked to the Annali, which go under the titles of Series Minor (72 volumes) and Series Maior (13 volumes), respectively since 1974 and 1979. As for Studi Maġrebini, in 1966 a Center for North African Studies was founded in Naples within the “Orientale”. The main output of its activity was the publication of a journal titled Studi Maġrebini. In the first number, dated 1966, the aims and principles which gave life to it were clearly stated, that is “to set an International cooperation without frontiers, fostering a growing participation of North African scholars”, in order to strengthen the links of friendship and understanding between Italy and the Maghreb. Issues would take the form either of miscellaneous or monographic works. The main interests were to be on topics ranging from archeology to philology, philosophy, and political history, within a unified perspective that framed the Maghreb from its earliest origins to the present day. However, the journal kept a primary concern for the importance of Islam, which was considered the basis of today’s civilization of the Maghreb. Nevertheless, as results from the scrutiny of the volumes, the range of topics was soon extended to all the fields of Arab-Islamic studies, including Berber and African languages and literatures, North African literature in French, the protection of art and cultural heritage, and so on. Owing to a re-structuring of the “Orientale” in the early 70’s, the School of Islamic Studies was created in 1974 by the will of the jurist and islamologist Roberto Rubinacci and the Turkish studies scholar Alessio Bombaci, and Studi Maġrebini has been linked to the destiny of the School ever since. Also, the Department of African and Arab Studies published a monograph series that, after a first volume by Giovanni Oman, edited in 1973, has appeared since 1984. From 1983 to 1995, Giovanni Oman was editor in chief of Studi Maġrebini. After volume 24 (1992), the publication of the journal was interrupted, and its publication was resumed only in 2002 with volume 25 (1993–1997), as a Festschrift in honor of Giovanni Oman. Two years later, the last number of the old series appeared, this time dedicated to Clelia Sarnelli Cerqua, professor of History of Islam from the early age to the Abbasid period. Both of them held the charge of Dean of the School of Islamic Studies, which in the last years has been transformed into a Faculty. The new series edited since 2003 by Agostino Cilardo, present Dean of the Faculty of Arab-Islamic and Mediterranean Studies, continues with the methodological and scientific approach followed in the past, but at the same time the journal wants to be a forum for a discussion of the contemporary development of the Mediterranean basin from a legal, economical, political A Survey of Arab-Islamic Studies... 137 and social point of view, promoting the dialogue and interaction among peoples, languages and cultures of the area. In this perspective, the presence of Muslim communities in Western countries has also become a topic of interest. Italian scholars who contribute to the journal feel particularly engaged by the perspective of deepening these basic aims, given the role which Italy has continuously been playing as a bridge between the two shores of the Mediterranean Sea. Volumes 2 and 3, dated respectively 2004 and 2005, are a miscellaneous work in honor of Luigi Serra, professor of the Berber Language. The last issues, 6 (2008) and 7 (2009), contain the Proceedings of the 8th Afro-Asiatic Congress, held at the Orientale, which were edited by Sergio Baldi. The latest issue, dated 2010, contains the papers delivered during a one-day study meeting organized at the Orientale on the occasion of the 70th commemoration of the Italian orientalist Carlo Alfonso Nallino, founder of the Istituto per l’Oriente, in Rome. From the perusal of the articles published in both journals, a first difference stands out. In fact, whilst Arab-Islamic studies represent the bulk of the studies published in Studi Maġrebini, they constitute a small part in the Annali, when compared to those concerning Ancient Near, Middle and Far Eastern cultures. This is due to the fact that most of the scholars publishing in the Annali undertook archeological field works which have allowed the “Orientale” to work in concert with the Istituto per il Medio ed Estremo Oriente, now named ISIAO, after its fusion with the Institute for African Studies, both in Rome. Moreover, the same is true for areas outside the Muslim-Arab heartlands. Unlike the Annali, Studi Magrebini published articles of the scholars of the Department of Arabic and Islamic studies, most of whom also took part in the activity of the Istituto per l’Oriente C.A. Nallino in Rome. Also this last institution edited a journal, Oriente Moderno, which is mainly focused on contemporary issues. In the present survey the studies of both journals have been recorded according to their topics. The first scrutinized area of research deals with Art, Archeology and Architecture. The scholars gathered basically around the late Umberto Scerrato, who was charged with teaching the History of Islamic Art, first at the “Orientale” and later at the University of Rome. His interest in Iran and Afghanistan, as well as the Islamic influence on Italian arts and architecture, gave a definite drive to the studies that were to follow. He was one of the leaders, together with Italian archeologists and architects such as Eugenio Galdieri, mainly living in Rome, of the activities promoted by the IsMEO and the National Oriental Museum in Rome. It is to be underlined that most of these activities had already started in the late 50’s, with excavation campaigns in the Swat area in Pakistan, at Ghazni 138 VINCENZA GRASSI in Afghanistan, and in the Iranian Sistan, according to the will of the then President of the Institute: Giuseppe Tucci. The reports of the missions were published in two series: Reports and Memories of the Centro Studi e Scavi Archeologici in Asia (since 1962) and Restorations, but today they appear for the most part in East & West. Other important archeological activities took place in Yemen, with leading scholars De Maigret, for the Preislamic period, and Scerrato and the urbanist Paolo Cuneo for the Islamic one, and in Isfahan area (Scerrato – Galdieri). The continuity with Scerrato’s interests can be traced in the works of Giovanna Vassallo Ventrone, and, above all, in those of Maria Vittoria Fontana, who developed themes related to Persian iconography, illumination in Islamic manuscripts, and the influence of Islamic art in Italy, especially in the field of ceramics. The youngest member of this group, Roberta Giunta, mainly concerned with epigraphy and numismatics, is exploiting and updating the materials collected since the 60’s by the IsMEO archeological missions, both in Afghanistan and in Yemen. Among the contributors, a group of experts in Islamic Art operating abroad, especially in London and in the University of Ca’ Foscari in Venice, also appears in the list. Studies concerned with the have been carried out on the spot by Paolo Costa, of the IsMEO group, whose main themes are the continuity of Arab craftsmanship, in both technical and aesthetic terms, from Late Antiquity into the Islamic period; the relationship between the natural and the built environment; and the dependence of architecture and settlement patterns on the exploitation of natural resources, especially water. Another remarkable scholar working in the field of Islamic art and architecture is Vincenzo Strika, who taught for many years the History of Islamic Art, whose ecclectic personality drove him to exploit different fields, such as Omayyad architecture, and more recently Iraqi architecture, together with Jābir Khalīl, as a product of an Italian – Iraqi joint survey. Political issues of Islamic contemporary history and, being a poet himself, Classical and Modern Arabic literature, with regard to either poetry or fiction, appears among his interests, too. Strika and Giovanni Oman taught for some years at the Ca’ Foscari in Venice, and this explains the tight links of collaboration existing with the specialists of Arab and Islamic studies of that university, most of whom were also members of the “Istituto per l’Oriente” in Rome. Giovanni Oman, one of Laura Veccia Vaglieri’s pupils, was born in and belonged to the large colony of Italians living there before the advent of Nasser. He took his degree with a dissertation on linguistic loan words, a field of study which he enlarged starting his listing of Arabic A Survey of Arab-Islamic Studies... 139 words, especially related to seafaring and fish names (ichthyonymy), and the echoes of this research can be detected in the publications going in the present survey under the heading “Linguistics and Dialectology”, even when it has been applied to other linguistic areas, such as the Berber language, by Luigi Serra, and African languages by Sergio Baldi. In Oman’s footsteps, I carried out a study on the Sudanese-Arabic words related to sailing in internal waters in Khartum and Jebel Awliya. Another of Oman’s projects was the creation of lexicons which represent basic Arabic for everyday use and for specific purposes. In this respect, Chiauzzi’s list of the names of Libyan ceremonial cloths constitutes a further extension of the same idea. The Istituto per l’Oriente “C.A. Nallino” launched a research project aiming at the constitution of a glossary on Islamic Law, directed by Francesco Castro. Cilardo’s list of Arabic words pertaining to hereditary law belongs to the series of studies prepared at that time. Another field of studies developed by Giovanni Oman was anthroponymy. He approached it in a completely unusual way, as he scrutinized contemporary lists of names present in the telephone directories of different areas of the Arab-speaking world. This approach allowed the exact vocalization of the name which was listed in transliteration, in this way ambiguous readings were removed. The same can be found in Laino’s study on the occurrence of personal names in Tunisia, extracted from a dissertation held at the Institute. Another of his research projects was a linguistic bibliography dealing with Arab studies, which was edited, as concerns Tunisia, by Maria Giovanna Stasolla. A large amount of Oman’s studies was devoted to the fields of epigraphy and numismatics; this last interest was perhaps due to his close friendship with the numismatist Paul Balog, a Hungarian doctor who spent, like himself, most of his life in Cairo and Rome. Balog’s studies were focused principally on Fatimid and Ayyubid Egypt, as well as Arab and imitative-Arab coinages in Sicily. In the early 70’ some contributions dealing with glass jettons, a topic much discussed, with implications on the historical reconstruction of Medieval Sicilian economy, appeared in the Annali. Both journals preserve traces of Oman’s extensive works about the Islamic tombstones from the necropolis of the Island of Dahlak Kebir, in the Red Sea. His concern with epigraphy in the sultanate of Oman has been later continued by Eros Baldissera, who also published some material evidence collected by Costa. Oman also envisaged the re-edition of Amari’s work on Islamic inscriptions in Sicily, neither in the sense of a mere re-presentation of the 140 VINCENZA GRASSI

Sicilian scholar’s text, as it happened in 1971 with a preface by Francesco Gabrieli, who ignored the different readings proposed in RCEA6, nor as an incomplete list of remains, analyzed from the stylistic point of view, as it occurred in the volume edited by Gabrieli and Scerrato in 1979, titled Gli Arabi in Italia. An update of Amari’s work has been carried out by the present writer within a doctorate dissertation on Arabic funerary and building inscriptions in Italy. The bulk of the work has appeared in single articles on both journals and the results of the unpublished work have been used in the Thesaurus d’épigraphie islamique on DVD, by Ludvik Kalus and Frédérique Soudan. As to Arabic literature, it is worth mentioning the project of the critical edition, translation and commentary of the geographic work by Idrisi, i.e., the Nuzhat al-muštāq, which was written for the king of Sicily Roger II. The first call for the development of such a project was made by Giorgio Levi della Vida and Francesco Gabrieli at the Congresso Internazionale di Studi Ruggeriani held in February 1954 in Palermo, as they expected a funding contribution by the Sicilian Region that never came. The project was resumed in the 60’ by the scholars of the IsMEO in Rome, those of the “Istituto Orientale” and of the Oriental section of the University of Palermo, who involved international scholars for the study of the different foreign countries described in the Nuzhat. This was the last collective participation of the professors at the “Orientale”, which summed up the old tradition of editing manuscripts long practiced in Naples. These editions concerned not only Arabic texts, but also Persian and Turkish ones, which have not been taken into account here, although they are part of Islamic studies. Islamic Spain, investigated from a historical point of view by Clelia Sarnelli Cerqua, was also the area of reference for some studies on Arab-Andalusian poetry by Bruna Soravia and Alfonso Ali, while North African literature was examined mostly by Giuseppina Igonetti. As for the Mashreq, Syrian Contemporary Literature has received much attention by Eros Baldissera and recently by Paola Viviani. The Nobel Prize Naguib Mahfuz received special attention, as Bartolomeo Pirone and Clelia Sarnelli translated his Trilogy into Italian. Oral literary tradition in Egypt has been one of the subjects examined by Giovanni Canova, while religious literature is Roberto Tottoli’s area of study. The history of Islam and Islamic thought is the most consistent area of research. In this respect, it is worth mentioning the edition of some of Al- Kindi’s epistles by Laura Veccia Vaglieri and Father Giuseppe Celentano, 6 Répertoire Chronologique d’Épigraphie Arabe, 18 vols., Le Caire, I.F.A.O., 1931–1991. A Survey of Arab-Islamic Studies... 141 who was also concerned with manuscripts dealing with Islamic sciences. He initiated his pupil, Ornella Marra, into this field. Given the period of time considered in this study, all the activities of edition of manuscripts owned by the “Orientale” carried out, especially by Rubinacci for Ibāḍī texts, Sarnelli and Celentano, have not been taken into account. The connections between Greek and Islamic thought have been analyzed by Carmela Baffioni, who was at first mainly concerned with atomism, commenting and translating Arabic philosophical texts for the first time in a Western language. Later she has begun to be interested in the Kalām, i.e., Islamic rational theology and heresiography, with respect to the Brethren of Purity, a group of Arab philosophers living in Basra in the 10th or 11th century, deeply influenced by the Pythagorean theory of numbers and the Aristotelian presentation of the terrestrial world and the theory of knowledge. She tried to refine the debate about their doctrinal affiliation. Also one of her pupils, Antonella Straface, devoted herself at first to the Mu‘tazilite School and the epistles of the Ihwān al-Ṣafā’, but is presently becoming more and more concerned with Ismailite groups and the study of a Qarmatian source of uncertain authorship and origin called Kitāb shajarat al-yaqīn, ascribable to the 9th or 10th century A.D. The interest in this domain favored the presence in the journals of some articles by former students of the Institute that have been working at the Ismaili Centre in London. With regard to Islamic Law, the legacy left by the studies carried out by Roberto Rubinacci has been taken over by Agostino Cilardo, concerned with inheritance law, and Ersilia Francesca, who was interested at first in the studies on the Ibāḍī movement, but presently is concerned with studies in Islamic economy and gender studies. A shift on modern and contemporary topics is traceable only in the list of studies in history and politics appearing in both journals, but, as a matter of fact, it is part of a more general change of interest by the new generation of scholars, which perhaps will be shown in the near future. 142 VINCENZA GRASSI

Bibliography7

Art, Architecture, Archeology

BERNARDELLI, Gualtiero-PARRINELLO, Antonino E., “Note su alcune località archeologiche del Yemen”, AION 31, n.s. 21 (1971), pp. 111-118 + 17 pls. Mostly concerned with megalithic remains, the authors gives a description of the archaeological sites of Ḥuṣūn al-Ashrāf, Jebel Harus (sic!) and Ḥirrān; as for the last site, an Arabic inscription on a cistern is presented. BERNARDINI, Michele, “Kemalattin Bey e la prima architettura nazionalista turca”, AION 50/2 (1990), pp. 113-142 + 24 pls. A survey on Turkish architecture from the decline of the architects working for the Ottoman court in the 19th century, such as the Balyans and the Fossati brothers, to the birth of the National Neoclassical architecture with Kemalattin Bey, defender of the conservation of Ottoman monuments and experimentalist in secular architecture. Kemalattin’s influence on later architectural activity is also evaluated. BRENTJES, Burchard, “Reused Potsherds as Decorative Elements in Chorasmian Architecture of the Thirteenth Century A.D.”, AION 57/1-2 (1997), pp. 291-532. Fourteen pieces of glazed and painted fragments of ceramic gathered by Sergey Chmelnizkiy into the so-called Tomb of Sultan Takesh at Kunya- Urgench are part of his private collection in Berlin. They were originally fixed in the crevices to form coloured bands of decoration above the niches on the tower (mausoleum) attributed to Sultan Takesh. Some fragments show a decoration of Saljūq tradition, but, in all cases, it is the silica ware produced in Chorasmia in the 13th century. CHMELNIZKIJ, Sergej G., “Zur Klassifikation der frühmittelalterlichen Burgen in Mittelasien” , AION 45/1 (1985), pp. 25-47. A study concerned with the culture of the town in Central Asia prior to the Islamic period. The author classifies different types of medieval fortress, hinting also to typologies developed later. IDEM, “Peshtak und Mihrab. Zur Frage der Herkunft der Portalformen in der zentralasiatischen Architektur”, AION 47/1 (1987), pp. 39-56 + 4 pls.

7 The work was based on the perusal of Annali from 1970 to 1997 and Studi Maġrebini from 1970 to 2010. A useful reference work was DE MARCO, Giuseppe, Contributo alla storia delle pubblicazioni periodiche dell’I.U.O. cento anni dopo (1894– 1994). Indici a Annali «Sez. Orientale», Annuario, L’Oriente, Memorie, Napoli 1996. A Survey of Arab-Islamic Studies... 143

Between 14th and 16th centuries the monumental portal (peshtak) became the main feature in Central Asian architecture, so that it will be preserved as an architectural theme. The author focuses on the question of its beginning and following developments under the influences of Turkish decorative arts. COSTA, Paolo, “Islamic shrines on the Šaṭṭ al-Nīl”, in AION 31, n.s. 21/2 (1971), pp. 199-214 + 19 pls. The paper deals with a survey carried out in the winter of 1966 in Iraq in the area of an ancient canal running from Euphrates, near Babylon, to the Tigris near Na’umaniyya. Along this waterway, restored by the Umayyad governor al-Ḥajjāj, grew up a number of towns and villages linked to the caravan route running from Diyala region to Kufa, Kerbela and Mecca. The survey revealed the rest of three shrines still extant: Umm al-Awlād, Abū Ḥatab e Imām Najmī. IDEM, “Antiquities from Ẓafar (Yemen)”, AION 33, n.s. 23/2 (1973), pp. 185-206; II-ibid. 36, n.s. 26/4 (1976), pp. 445-456. During a survey carried out in summer 1972 in the area of Ẓafar, the ancient Himiarite capital, located 15 km SE of Yarim, the antiquities of the villages of Ẓafar, Bayt al-Ashwal, Ḥaddah Ghuleis and Mankath were recorded. A list of 110 architectural elements mostly fragments were listed according to the decoration occurring on them. In part II, 176 stone fragments are listed. IDEM, “La Moschea Grande di Ṣan‘ā’”, AION 34, n.s. 24/4 (1974), pp. 487-506. The author deals with the data collected during the restoration works of the outside walls of the Great Mosque in Ṣan‘ā’, Yemen, carried out in 1973. During the works, the original wooden ceiling of the mosque came to light, besides a number of Arabic manuscripts, located between such ceiling and the roof of the western gallery, as portrayed in pl. XXX, b. The Preislamic architectural and epigraphic remains re-used in the building, mainly inserted in the qiblī wall, have been pointed out by C. Rathjens and most of them published by G. Garbini. The following fragments bear Arabic inscriptions: No. 44, piece of column with a line of illegible Kufic inscription. No. 52, B: block with a Kufic inscription mostly chiseled off; D: Arabic inscription; I: block with an Arabic inscription in fragmentary state; L: block bearing an Arabic inscription; M: block bearing an Arabic inscription in Floriated Kufic almost illegible; O: Arabic inscription. CRESTI, Federico, “Note sullo sviluppo urbano di Algeri dalle origini al periodo turco”, SM 12 (1980), pp. 103-125. The author reviews the town planning development of Algiers from its early origins up to the 16th century. 144 VINCENZA GRASSI

IDEM, “Fonti iconografiche e letterarie per una storia urbana di Algeri nel XVI secolo”, SM 15 (1983), pp. 43-73. A study of the literary and iconographical sources dealing with the architectural and city planning history of Algiers from the beginning of the Turkish rule in the 16th century until it gains the role of capital city of the Central Maghreb. IDEM, “Algeri nel XVII secolo. Documenti iconografici e fonti letterarie. I. 1600-1634”, SM 16 (1984), pp. 55-90, “Algeri nel XVII secolo. Documenti iconografici e fonti letterarie. II. 1635-1700”, ibid. 17 (1985), pp. 3-56 + 8 pls. The author extends his research on literary and iconographical sources dealing with the city of Algiers to the 17th century. IDEM, “La popolazione di Algeri e la sua evoluzione nell’età ottomana: status quæstionis”, SM n.s. 2 (2004), pp. 89-130. Through a new examination of the documentary sources referring to the demographic development of Algiers during the Ottoman period (16th– 19th c.), the author tries to define the exact amount of population living in the city and its variations during the whole period. However, some periods still remain obscure for lack of sufficient documentation. CRESTI, Federico- AMADEO, Gianfranco, “Un village du Sahara algérien: Beni Abbès. Etude sur les formes et l’évolution de l’habitat traditionnel en milieu saharien”, SM 20 (1988), pp. 157-194 + 8 pls. The article is the outcome of a research carried out on the spot in 1978-’79 within a project of cooperation between Italy and Algeria and specifically with the Centre de Recherches en Architecture et Urbanisme (C.R.A.U.) of the University of Algiers. The study analyzes the ancient and modern areas of the site of Beni-Abbès (30°08’ N 2°11’ W) in the Algerian Sahara and in particular the ksar and its main buildings: the medersa, the zaouia and some midhas, referring to the building techniques and the transformations affecting the buildings. DAYTON, John E.-BOWLES, John, “Abu Qasim of Kashan, and the Problem of Persian Glazing”, AION 37, n.s. 27/2 (1977), pp. 143-152. The study is concerned with kāshī – the glazed tiles of Kashan (Kāshān), Iran – and the problem of when and from where the apparent tin and lead glazes of the 14th century Persia were derived. For this purpose, the discussion is focused on a treatise dated 1301 A.D. containing a number of words for glaze ingredients written by Abū Qāsim, a member of a family of potters from Kashan. DAYTON, John E.- BOWLES, John-SHEPPERD, Christine, “«Egyptian Blue» or «kyanos» and the problem of cobalt”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp. 319-351. A Survey of Arab-Islamic Studies... 145

The paper discusses the artificial pigment, frit or massive blue substance

known as “Egyptian Blue” (CuCaSi4O10) and how cobalt come to be used to make blue glass, frit, and blue pigments, and concludes that its blue coloring properties must have been discovered as a by-product of silver smelting. DEL FRANCIA, Loretta, “Note in margine ad un catalogo di tessuti copti del Brooklyn Museum”, AION 35, n.s. 25/1 (1975), pp. 111-126. The author reviews Deborah Thompson, Coptic Textiles in the Brooklyn Museum, New York, The Brooklyn Museum, 1971. Wilbour Monograph-II; XXIII-101 pp., 7 figs, 27 ill., 15 col. pls., 1 map. Although acknowledging the praiseworthy work of cataloguing the vast mass of Coptic Textiles and the exactitude of the catalogue files, Del Francia criticizes the inaccuracy of the historical outline and the Syrian origin of specimen no. 10, that she attribute to Egyptian manufacture on the basis of a clavus preserved at the Castello Sforzesco in Milan. As for fragment no. 23, she corrects the interpretation of the iconography discussing the portrayal of the cross- legged ruler and of the chariot with swerving horses. ESIN, Emel, “The Genesis of the Turkish Mosque and Madrasa Complex”, AION 32, n.s. 22/2 (1972), pp. 151-185. The article illustrates the peculiar features of Turkish religious architecture in the light of Central Asian tradition. The author stresses that the Central Asian mosque-madrasa and ḥaram remained faithful to the archetype of dedicated fortified enclosures having an honorific dome. When the fortified enclosure took its Islamic character the sacred towers were turned into minarets, the decoration developed further and domes, in the Timurid period, were ovoid or bulby and placed high over tall drums. Another sacred enclosure was developed in stone architecture in Bulgar on the Volga and in Ottoman Turkey. IDEM, “Tuġril and Ḳara-ḳuş”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 189-211. The author deals with prey-birds and in particular the crested goshawk and an eagle, associated with the Greco-Roman Jovian bird, in literary and material sources. FONTANA, Maria Vittoria, “Un manoscritto safavide dello Shāh Nāma conservato nella Biblioteca Nazionale di Napoli”, AION 40, n.s. 30/1 (1980), pp. 39-48 + 9 pls. Within a larger project concerning the collection of Islamic miniature paintings, the author comments the state of conservation of the miniature paintings occurring in a Safavid manuscript of the Shāh Nāma in the National Library in Naples (inv. no. III G 68), referring to the list compiled by Giuseppe and Francesco Gabrieli, “Manoscritti persiani del poema di Firdusi in Italia”, Accademie e Biblioteche d’Italia, 9/3-4 (1935). The manuscript was reported for the fist time in 1874 by V. Fornari. 146 VINCENZA GRASSI

EADEM, “Fusaioli in osso della «Masğid-i Ğum‘a» di Iṣfahān”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp. 269-276 + 1 pl. Among the archeological remains excavated by IsMEO team in the Friday Mosque of Iṣfahān in the Seventies, fifteen bone disks came to light and were identified as whorls. They were used in ancient spinning to improve the steadiness of rotation of the spindle by adding momentum. Their dimension was determined by the strengths of the yarn desired and the fibers used. The author catalogues them. EADEM, “Una rappresentazione «shī‘ita» di Medīna”, AION 40, n.s. 30/4 (1980), pp. 619-625. On a pillar of the southern colonnade of the Friday mosque of Iṣfahān, dated not later than 14th century, is incised and painted in red the facade of a mosque that the author supposes to be an iranized version of the mosque of Medina, dating post-Safavid period. EADEM, “Di alcune mattonelle maiolicate rinvenute nel Palazzo Carafa in Napoli”, AION 43/2 (1983), pp. 321-332 + 2 pls.; “Nota su alcune mattonelle di palazzo Carafa”, ibid. 45/3 (1985), pp. 514-515. The article analyzes some faience tiles found in the 15th century Palazzo Carafa in Naples which are paralleled with similar tiles preserved in the section of North African arts in the Musée des Arts Africains et Océaniens of Paris. Although many Spanish azulejos were imported by the Aragonese kings in Naples in the 15th century, the tiles are a 19th century Neapolitan artifact, imitating 16th century Neapolitan prototypes, which were also exported in North Africa. In the note the author demonstrates the origin of the tiles from a 18th century medium-size Neapolitan business, in the lights of the evidence found at the Museo Artistico Industriale in Naples, and identifies it with Giustiniani factory. EADEM, “L’iconografia dell’Ahl al-Bayt: Immagini di arte persiana dal XII al XX secolo”, Supplemento n. 78 agli Annali vol. 54 (1994)/1, pp. 1-86 + 30 pls. The paper analyzes the development of Shī‘ī iconography up to the 20th century through the representations of the prophet’s family in painting and applied arts, a subject which is to be found only recently in popular arts. EADEM, “The influence of Islamic art in Italy”, AION 55/ 3 (1995), pp. 296-319. The article, dealing with the long debated influence of Islam on the Italian Medieval and Renaissance arts, is the English translation of a study published by the author in the Catalogue of the Exhibition Eredità dell’Islam. Arte islamica in Italia (Venezia, Palazzo Ducale 30 ottobre 1993 – 30 aprile 1994), edited by G. Curatola, Venezia 1993 at pp. 456-476. A Survey of Arab-Islamic Studies... 147

EADEM, “L’eredità islamica del coronamento con merli di Palazzo Corigliano e di alcuni edifici napoletani fra Rinascimento e Barocco”, SM 26 (1998–2002), pp. 83-96. The author analyzes the original battlemented crowning of Corigliano Palace as witnessed by iconographical and documentary evidences. A feature very common in Late Renaissance Naples that Fontana ascribes to an influence from Islamic lands. GALDIERI, Eugenio, “Samsara, passato e futuro: la variante yemenita di un’antica tipologia commerciale”, AION 47/3 (1987), pp. 243-267. The author studies the Yamani samsara, a type of commercial building intended for either warehousing or temporary accommodation for traders. The specimens analyzed are located at Sūq al-milḥ, Ṣan‘ā’. IDEM, “«Ahl al-kibla wa ‘l-jama‘a». Note di architettura sull’orientamento delle moschee”, SM 25 (1993–1997), pp. 205-243. Starting from the definition of the Islamic community as the People of the direction (which should be faced when praying) and the community, Galdieri considers the problems correlated to the right or wrong orientation of the premises where Muslims pray, whatever they may be, and the visual and building results that the chosen orientation has on the structures. GENITO, Bruno, “Su un piatto d’argento di tradizione sasanide in una collezione privata americana”, AION 38, n.s. 28/2 (1978), pp. 155-168. The author examines the style and the iconography of a silver plate bearing a hunting scene (a horseman hunting wild boars) of Sasanian tradition and attributes it to Islamic Iran. GRUBE, Ernst J., “New Islamic Studies in Memory of Kurt Erdman”, AION 32, n.s. 22/4 (1972), pp. 521-534. The author reviews Forschungen zur Kunst Asien. In Memoriam Kurt Erdmann, 9. September 1901 – 30. September 1964, hrsg. O. Aslanapa- R. Naumann, Istanbul 1969, pp. 323, the second volume of a series dedicated to the memory of great scholars in the field of Islamic art who were connected with the Department of Islamic art of the University of Istanbul. IDEM, “Persian Painting in the Fourteenth Century: A Research Report”, Supplemento n. 17 agli Annali, vol. 38 (1978)/4, pp. 1-57 + 101 pls. The author is concerned with the formative period of Persian painting in which all the principal elements which form the basis of all later Islamic painting were developed. The paper is part of a general project aiming at indentifying the principal styles of painting, their development interdependence and final fusion into a specific ‘classical’ style, which is the starting point for later generations of painters. 148 VINCENZA GRASSI

HANSMAN, John F., “Dating Evidence for the Earliest Islamic Lustre Pottery”, AION 42/1 (1982), pp. 141-147. The author discusses the dating of luster glazed wares found in Sāmarrā, especially in a storeroom near the serdāb (water basin) of the Abbasid palace complex called Jawsaq al-Khāqānī. They are decorated with ruby, brown and dark yellow lustre applied over a white glaze. He refutes the dating to the early 9th century proposed by Herzfeld, Sarre and Kühnel on the basis of the attested occupation of the city in the 10th century and the possible use of the storeroom as a repository for the lustre tile long after the caliphs returned to Baghdad. The Sīrāf findings studied by Whitehouse emphasized the necessity of adequate archeological evidence especially surface material to provide a local dating range for the luster and other Early Islamic glaze wares recovered on the spot. JUNG, Michael, “I graffiti rupestri del Ğabal ‘Asāl, del Wādī ‘Uš e del Ḥuṣn al- Diyāb nello Yemen del Nord”, AION 50 (1990), pp. 41-59 + 15 pls. Dealing with rock engravings in Jabal ‘Asāl, Northern Yemen, the author signals the presence of Islamic inscriptions. IDEM, “La decorazione architettonica dell’Arabia del Sud alla luce delle scoperte recenti. Progetto di ricerca”, AION 52/4 (1992), pp. 473-477. A research project in the frame of the South Arabian architecture, dealing with the compilation of a catalogue where architectural structural elements can be classified according to either shape or decoration. LEE, Jonathan, “The Ziyārat of Khwāja Zanbūr, and Its Associated Shāh Jahān Mosque or Shrine in Kabul”, AION 45/2 (1985), pp. 193-197 + 14 pls. Among the 17th century tombstones in the graveyard within Kabul city, listed in Khalīl’s Mazārāt-I Kābul (1339), stands an important tomb that is the ziyārat of Khwāja Zanbūr. This shrine is surrounded by a modern graveyard in which are scattered fragments once part of a Mughal mosque probably dated to the period of Shāh Juhān (1628–57 A.D.). The author describes the remains. MANISCALCO, Fabio, “La tutela del patrimonio culturale materiale dell’Algeria”, SM n.s. 1 (2003), pp. 167-195. The article aims at emphasizing the general problems connected with the protection of Algerian cultural heritage. Maniscalco describes the activities of safeguard with reference to the law no. 98-04 on the protection of cultural heritage and the main Algerian institutions charged with such task. IDEM, “La situazione del patrimonio culturale della Palestina ed il progetto pilota “Uno Scudo Blu per la Palestina”, SM n.s. 2 (2004), pp. 237-250. While describing the pilot project “A Blue Shield for Palestine”, the author points out the problems concerning with the protection and conservation of Palestinian cultural heritage. A Survey of Arab-Islamic Studies... 149

IDEM, “Il Code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels. Tutela del patrimonio culturale della Tunisia”, SM n.s. 2 (2004), pp. 251-268. The author surveys the set of laws passed in Tunisia for the protection of the archeological, artistic and historical heritage. IDEM, “Il saccheggio archeologico e la tutela del patrimonio culturale materiale in Nigeria”, SM 3 (2005), pp. 65-84. The article aims at emphasizing the problems about the protection of movable heritage in Nigeria, focusing on the activities of looters and traffickers of archeological items and envisaging possible strategies to fight them. MARRA, Ornella, “Di due astrolabi ispano-moreschi conservati nel Museo di Capodimonte”, AION 44/2 (1984), pp. 271-306. Two astrolabes dated 13th–4th century from the Borgia Collection preserved in the Capodimonte Museum in Naples catalogued with nos. 4994 and 4991. The technical data of the specimens occur in the catalogue of the exhibition of Islamic Art at Capodimonte Museum in 1966 by U. Scerrrato (nos. 39-40). MARIANI, Luca, “Tecniche costruttive nelle moschee lignee dello Swat”, AION 46/1 (1986), pp. 63-75. The study, based on IsMEO activities in Swāt, Pakistan, focuses on the wooden mosques and the building techniques adopted not only in consideration of the functions that the building performs and the behavior of the building materials such as wood, but also of the climatic and environmental characteristics of the place which hosts the mosques. MARZOLPH, Ulrich, “Mirzā ‘Ali-Qoli Xu’i Master of Persian Lithograph Illustration”, AION 57/1-2 (1997), pp. 183-202 + 15 pls. Persian paintings are mostly not signed or signatures may be erased, faked or added later in an attempt to authenticate another artist’s work, this explains the scarse literarure discussing the production of specific Persian artists. The author tries to cover another neglected field in Western research: Persian lithograph illustration. The article is a contribution aiming at identifying the production of one of the most prolific illustrator and pioneer among artists of the Qājār period, within a larger then-in progress research dealing with a comprehensive assessment of narrative illustration in Qājār lithograph books. MESSIER, Ronald A., “The Transformation of Sijilmāsa”, SM n.s. 4 (2006), pp. 247-257. Sijilmasa was a major “port” on the northern edge of the Sahara Desert where the organization of caravans going to Timbuktu and other cities of 150 VINCENZA GRASSI

West Africa to trade for gold took place. Medieval Arabic chronicles and accounts depict it as a mythical city where “gold is found like plants”. The author reconstructs the real city from its archeological relics and points out the transformation it underwent under Almoravid rule. SAJJADI, S. Mansur S.-WRIGHT, Henry T., “Archaeological Survey in the Area, Province of Kerman, Iran”, AION 50 (1990)/1, pp. 1-40 + 2 pls. The surveyed area has been important during two major periods: the first one between 4000 B.C. and 2500 B.C., and the second one between 200 A.D. and 1000 A.D. Ceramics from different sites are catalogued. As for the Islamic period, excavations in the Qobeirā area documented the existence of sites belonging to six major periods: Early Islamic, Sāmānid, Seljūq, Īl Khānid-Tīmūrid, Safāvid, and recent. SALVIATI, Filippo, “Sugli archi intrecciati ed altri elementi architettonici di origine ‘saraceno’-normanna in alcune chiese toscane di età romanica”, AION 51/3 (1991), pp. 255-262. Among the much debated issues concerning the presumed influence of Islamic arts on Medieval West, stands out the origin of the interlacing arches as it appears simultaneously on the buildings in North Africa, Spain, Southern Italy and Sicily and England in the 10th and 11th centuries. The author points out the presence of this decoration in some Romanesque churches in Tuscany which have not been listed in C. Ewert, Spanische- Islamische-Systeme sich Kreuzender Bogen, Madrid 1980. SANNINO, Lidia, “Un monumento moghul da recuperare: il recinto funerario di Ruqaya Sultan Begam nel Bagh-e Babur a Kabul”, AION 45/1 (1985), pp. 49-73. The restoration works of the mosque of Bagh-e Babur (Bābur’s garden) in Kabul were entrusted to IsMEO and carried out by the architect C. Bono. The mosque was built by Shāh Jahān, fifth ruler of Mughal dynasty, in 1644 in memory of Bābur, the founder of the family, who was buried in the garden not far away from the mosque. The study aims at tracing the history of the tomb of the founder by means of the biographies of the Mughal kings and the account of visitors in order to have useful suggestions for a future reconstruction of the funerary monument. SCERRATO, Umberto, “Oggetti metallici di età islamica in Afghanistan. III: Staffe ghaznavidi”, AION 31, n.s. 21/4 (1971), pp. 455-466. The author analyzes the eventual prototypes of two groups of stirrups (rikāb) attributed to the Ghaznavid period, the first ascribed to the end of 10th and beginning of the 11th century. IDEM, “Su un problematico vaso ad alette nel museo di Mazār-i Sharīf (Afghanistan)”, AION 31, n.s. 21/4 (1971), pp. 543-547. A Survey of Arab-Islamic Studies... 151

The paper discusses a globular Bronze vase with short, wide, tapered neck of uncertain dating and location which the author recognizes as a western mortar imported in Afghanistan through the commercial exchanges performed along the steppe land routes. IDEM, “Un tipo di spruzzaprofumi in bronzo di epoca selgiuchide”, AION 32, n.s. 22/1 (1972), pp. 25-33. The author interprets the function of a Saljūk bronze preserved in the Staatliche Museen in Berlin signed ‘Abd al-Razzāq al-Nīshābūrī as a perfume sprinkler. The same type of object is also imitated in pottery. The flask might be made in Khorassanian workshops that were active between the 12th and the 13th century A.D. and its typology may be linked with glass bottles produced in Iran between the 9th and 12th century and used as toiletries. IDEM, “Oggetti metallici di età islamica in Afghanistan. IV: Su un tipo di amuleto del XII secolo”, AION 32, n.s. 22/3 (1972), pp. 287-310. The article deals with bronze talismans, having the croissant shape, which are popular in Ghazni and Kabul bazaars, dated 12th century. They usually have a zoomorphic decoration or an abridgement of the Arabic invocation “al-mulk li’llāh”, the word al-mulk appears twice on a specimen in the British Museum, London. These talismans were intended as horse decoration as it is witnessed in the paintings of Palatine Chapel in Palermo or Gentile da Fabriano’s Adorazione dei Magi. The presence in the Museum of New Dehli of a specimen having the form of a bird with open wings, coupled with the customary eulogy, corroborates an ornithomorphic interpretation of the objects. The presence of a drop-shaped decoration induced the author to interpret it as the fusion of the ancient representations of the life tree with the winged disc and the solar bird of Avestic tradition. These objects testify the appropriation of ancient symbols in Islamic iconography and their consecration through the use of the Islamic eulogy. IDEM, “Due tombe ad incinerazione nel Museo di Kandahar”, AION 40, n.s. 30/4 (1980), pp. 627-650 + 8 pls. Two unusual Islamic cremation tombs ascribed to 12th–13th century in Afghanistan. SCHINASI, May, “La photographie en Afghanistan. Réflections autour d’une collection ”, AION 56/2 (1996), pp. 194-214 + 4 pls. The paper surveys the photography having Afghan subjects from its early beginning in the 19th century and presents the Schinasi Collection portraying pre-1979 Afghanistan according to the system adopted for the Phototheca Afghanica. 152 VINCENZA GRASSI

STRIKA, Vincenzo, “Nota a «Le premier humanisme byzantin» di P. Lemerle”, AION 33, n.s. 23/1 (1973), pp. 114-125. The article criticizes Lemerle’s stand about the non-involvement of Islamic culture in the Greek and Hellenistic Renaissance of Byzantine culture in the 9th–10th century. IDEM, “Intorno all’ipotesi «ommiade» dei castelli di Federico II”, AION 33, n.s. 23/4 (1973), pp. 594-602. Among the castles built for the Swabian king Frederick II, Castel Ursino and Castel Maniace deserve a separate consideration as they are different from any other Sicilian building. Their origin has generally been linked both with the Burgundian architecture and the Syrian Umayyad castles. Through a close analysis of the building features of Umayyad castles, the author discards the theory of their presumed origin and hints a possible North African origin, having a further model in the ribāṭ at Susa. IDEM, “Intorno ad un «miḥrāb» di Mossul”, AION 35, n.s. 25/2 (1975), pp. 201-214. On the basis of a specimen coming from the Great Mosque al-Jawījātī in Mossul, preserved in the Museum of Baghdad, the author supports his interpretation of the psychological meaning of the miḥrāb as a door/bāb, criticizing the simple function of pointing out the qibla, as asserted by Creswell and Monneret de Villard, or of audience place intended for the caliph or governor, according to Sauvaget’s interpretation. IDEM, Studi saudiani, AION 35, n.s. 25/4 (1975), pp. 555-585. The author takes into account the mosques at Jedda and the legislation concerning heritage conservation and archeological activity passed in in the Seventies. IDEM, “Notizie sull’organizzazione dei waqf in ‘Irāq”, AION 37, n.s. 27/3 (1977), pp. 339-356. The author traces the history of the Islamic institution of waqf up to the current legislation. IDEM, “Momenti laici della civiltà islamica: pittura e miniatura”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 175-188. The author tackles the problem of human representation in the arts of Islam in the light of the works by Monneret de Villard and Grabar. He interprets the revival of painting and sculpture as a consequence of the disintegration of Abbasid Empire and the introduction of secular values by the mercantile middle-classes. IDEM, “Alcune considerazioni sulla moschea a «cupolette»”, AION 38, n.s. 28/1 (1978), pp. 103-108. In his Architettura musulmana della Libia, Castelfranco 1973, Gaspare A Survey of Arab-Islamic Studies... 153

Messana pointed out a typology of Libyan masjid which is characterized by a covering structure formed by small domes. Strika evidences that this typology is not a local one, as it also spread in the Iraqi-Iranian area, although it is mainly documented in North Africa. IDEM, “La «cattedra» di S. Pietro a Venezia: note sulla simbologia astrale nell’arte islamica”, Supplemento n. 15 agli Annali vol. 38 (1978)/2, pp.1-89 + xxiv pls. The article deals with a tombstone embedded in an Episcopal chair preserved in the church of S. Pietro in Castello in Venice. It was traditionally identified with St Peter’s Chair in Anthyoche. Through a stylistic analysis of the decoration and the inscription, Strika attributes it to the Saljūq period. IDEM, “The turbah of Zamurrud Khātūn in Baghdād: Some aspects of the funerary ideology in Islamic art”, AION 38, n.s. 28/3 (1978), pp. 283-296. The author studies Zamurrud Khātūn mausoleum, better known as the turba of Sitta Zubayda, in Baghdad, Iraq. A building characterized by an octagonal base and a conoidal imbricated shape: a Near Easter typology- locally called makhruṭiyyat al-shakl or turab al-burjiyya al-muqarnaṣa- whose origins go back to the ancient Mesopotamian civilizations, through the Late Antique and Medieval Christian architecture, to which the Islamic art added the stalactites. IDEM, “L’ideologia umayyade tra stato e tribù”, SM 26 (1998-2002), pp. 225-245. Arab tribes, intolerant of central authority, played an important role in the development of early Islam which the author analyzes in detail. The legitimation of Umayyad rule and their concept of mulk as expressed in their religious and secular architecture is illustrated. STRIKA, Vincenzo- KHALĪL, Jābir, “The Islamic Architecture of Baghdād: The Result of a Joint Italian-Iraqi Survey”, Supplemento n. 52 agli Annali, vol. 47 (1987)/4, pp. 1-79 + 19 figg. and 22 pls. Resulting from an Italian-Iraki joint survey of the Islamic monuments of Baghdad, the study aims at cataloguing the unpublished monuments still extant in good conditions in the mid-Seventies.The works started in the western part of the city, i.e. al-Karkh, and was extended to al-Ruṣāfa, the eastern Baghdad. Religious and secular buildings are listed as well as tombs and shrines. TAMARI, Shmuel, “The Nabī Yūnus Masjid in Ḥalḥūl (Judea): An Investigation in the Prophet Yonah Cult in Islam”, AION 44/3 (1984), pp. 373-397. A pioneering preliminary presentation of the historio-architectural lay- out of the Yonah cult in Judea. The building of the Yūnus mosque was to outline the sovereignty of Islam in a sensitive region for Christianity. 154 VINCENZA GRASSI

IDEM, “Qal‘at al-Ṭīna in Sinai: An Historical-architectural Analysis”, Supplemento n. 16 agli Annali, vol. 38 (1978)/3, pp.1-78 + 15 pls. The author studies Qal‘at al-Ṭīna in Sinai, Egypt, elucidating its structural and functional history on the basis of an archaeological survey and the relevant literary documentation. The architectural design and composition show its uniqueness in the context of military architecture, being very similar to the Dome of the Rock, consequently the author suggests that the Mamlūk complex might have had a specific meaning that we cannot grasp today. TONGHINI, Cristina, “Gli Arabi ad Amantea: elementi di documentazione materiale”. With articles by A. Airoli, M. Bayani, E. Donato, S. Heidemann, G. Vannini, AION 57/1-2 (1997), pp. 203-230. The paper presents the preliminary results of a project set up by both the University of Florence and the University of Calabria concerning the 9th century Islamic emirate of Amantea (Calabria) and the presence of Muslim settlers in that area beyond the period of the Muslim rule. As evidenced by the bibliography, Tonghini seems to ignore all the articles published mostly in AION and SM by Grassi since 1985 dealing with Arabic inscriptions in Italy, but not her results. In fact, the topic was fully developed in Grassi’s PhD thesis discussed in 1993 and whose copies are lodged since then in the Public National Libraries of Rome and Florence, as it was underlined in the entry Ṣiḳilliyya. 4. Epigraphy of the Encyclopédie de l’Islam, vol. IX, Leiden (new English edition) 1997, pp. 613-614, (new French edition), 1998, pp. 590-591. A reference work that a careful scholar should not have missed especially because AION 57 (1997) was actually published in 1999. Given the fact that the material presented – an Islamic tombstone excavated during the restoration works of the Palazzo delle Clarisse, a contemporary oral witness of a possible presence of glass tokens in the area near the castle and a 13th century-billion coin from Bāmyān issued by ‘Alā’ al- Dīn Muḥammad ibn Takish – is sporadic and not sufficient evidence to demonstrate any effect of the “Islamic presence” neither at Amantea nor in Calabria, the study contains mistakes concerning the dating of epigraphical finds such as the use of engraving technique, the styles of writing, Q. CXII as a chronological marker, the lack of an adequate meditation about the presence of Muslim skilled workers in Southern Italy and the re-use of building material, besides misprints which should deserve a detailed review. WHITEHOUSE, David, “The barrow cemetery at Kandahar”, AION 36, n.s. 26/4 (1976), pp. 473-488. A study carried out by the British Institute of Afghan Studies in the spring of 1974 on an unrecognized barrow cemetery outside the wall of Old A Survey of Arab-Islamic Studies... 155

Kandahar, Afghanistan. According to Fussman the presence of mounds, walls and graves could be interpreted as an extra mural suburb preceding a Muslim cemetery. The excavation of two mounds proved instead that it is an Islamic cemetery dated 12th century or later. IDEM, “Islamic glazed pottery in Iraq and the Persian Gulf: the ninth and tenth centuries”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 45-61. Whitehouse corrects the chronology of Islamic pottery fixed by Friederick Sarre and gives a preliminary account of the finds excavated at Sirāf on the Persian Gulf between 1966 and 1973. He concludes that finds from Samarra do not necessarily belong to the period of caliphal occupation (836-883 A.D.), as finds from Sirāf indicate that new wares (white glazed pottery, splashed wares, luster ware) were introduced at least in three stages and perhaps only white glazed vessels painted in blue date exclusively from the ninth century. IDEM, “An Early Mosque at Carthage?”, AION 43/1 (1983), pp. 161-165. The author presumes that the so-called Basilica of St Cyprian at Chartage, discovered by Delattre in 1915-20, might be a mosque. ZARINS, Juris, “Arab Southern Red Sea Ports and the Early Chinese Porcelain trade as reflected principally from Aththar, 217-108, Saudi Arabia”, AION 49/3 (1989), pp. 231-269. The southwestern corner of Saudi Arabia hosts the major port of Aththar together with several minor coastal centres which are extensively described by Arabic sources. The author analyzes the large and profitable trade with China undertaken by the Abbasids affecting large and minor ports, such as Aththar, and their hinterlands and addresses the problem of chronology of the ceramic material coming from the excavation work conducted in the area.

Epigraphy, Paleography and Numismatics

BALDISSERA, Eros, “Studio preliminare sul cimitero degli Imàm e le sue iscrizioni (Nizwà – Sultanato di Omàn)”, SM 25 (1993–1997), pp. 59-68 + 2 pls. A preliminary study on two tombstones in the burial ground of Imams at Nizwà, Oman, dated respectively 1707 and 1769. BALOG, Paul, “An Umayyad dirhem struck in 79 H. at Anbīr in Juzjān, Khurasān”, in AION 30, n.s. 20/4 (1970), pp. 555-558. The study deals with a dirhem of Balog’s collection and discusses the geographical location of the mint name «‘nbīr» with reference to previous bibliography on Umayyad coins collections. 156 VINCENZA GRASSI

IDEM, “Fāṭimid and post-Fāṭimid Glass Jetons from Sicily”, SM 7 (1975), pp. 125-148 + I-III pls. The author prosecutes his study on the glass jettons, whose bibliography was published in the Annali of the Istituto Italiano di Numismatica, nos. 18-19 (1971–72) and 20 (1973), with the analysis of ninety-one glass jettons and fragments of jettons found in Sicily, most of them belonging to the Fatimid period and a very small part ascribed to the Hohenstaufen and Swabian dynasties. Islamic coinage in Sicily is paralleled with that coming from Egypt in the discussion. Also in this occasion, Balog affirms that in the late years of al-‘Azīz reign and the early years of al-Ḥākim’s Fatimid glass jettons changed their function from coin-weights or ṣanhağāt to fiduciary currency replacing copper coins. IDEM, “Yet More on the Coinage of Sulaimān Mīrzā of Badakhshān and his Contemporaries”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 244-249. The author presents seven small-size gold issues submitted to the National Museum of Oriental Art in Rome, Italy. Three of them belong to the Mughal emperor Humāyūn, one bears the name of Sulaymān Mīrzā, the ruler of Badakhshān, and other three were struck in the name of his grandson, Muḥammad Shāh Rukh b. Ibrāhīm. IDEM, “Dated Aghlabid lead and copper seals from Sicily”, SM 11 (1979), pp. 125-132 The author illustrates eight lead seals dated to the reign of the Aghlabid emirs Aḥmad b. Muḥamad I (242–249 H) and Muḥammad II b. Aḥmad (250–261 H) and a copper seal dated to the reign of Ziyādat Allāh III (290– 296 H), all of them coming from Sicily. BALOG, Paul, OMAN, Giovanni, “Copper Coins of Khusra Shāh, Lord of Rūdbār”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 424-429. The authors edit seven copper coins dated 361 H. of the Sallārid Khusra Shāh preserved in Sicily. D’ANGELO, Franco, “La monetazione di Muḥammad ibn ‘Abbād emiro ribelle a Federico II di Sicilia”, SM 7 (1975), pp. 149-153 + 1 pl. The author discusses a silver coin from Sicily, which was not identified in the previous numismatic literature, and attributes it to the rebel emir Muḥammad ibn ‘Abbād, who resisted Frederick II’s assaults on the Rock of Entella until 1219–20 A.D. Twelve specimens are listed and five of them are reproduced in a plate. GIUFFRIDA, Antonino, ROCCO, Benedetto, “Una bilingue arabo-sicula”, AION 34, n.s. 24/1 (1974), pp. 109-122. A 15th century-bilingual document preserved in the Archives of Palermo dealing with the Sicilian Jewish community. A Jewish citizen claims the A Survey of Arab-Islamic Studies... 157

refund of a debt to be paid in installments. The text in Arabic language written in Hebrew characters documents the late use of Arabic language by the Jewish community. EIDEM, “Documenti giudeo-arabi nel sec. XV a Palermo”, SM 8 (1976), pp. 53-110. Giuffrida studies the files of the Court of first instance, preserved in the State Archives of Palermo, containing documents pertaining to Sicilian Jews. The documents were drafted by a notary appointed by the Jewish community and present explanatory notes in Hebrew. Rocco’s contribution consists in editing fifty-eight Western Arabic documents in Hebrew characters written by Sicilian Jews between 1407 and 1492. Here, when the writer does not know the Arabic term, he uses the arabized form of a Sicilian term; this Jewish Arabic from Sicily presents astonishing convergences with contemporary Maltese. Document no. 5 dated 20 April 1418 is the bilingual document published in AION 34 (1974). GRASSI, Vincenza, “Un’iscrizione funeraria araba presso i Civici Musei di Storia ed Arte di Trieste”, SM 17 (1985), pp. 1-2 + 4 pls. An unpublished Islamic inscription dated 1115 A.D. preserved in the lapidary garden of the Civic Museum at Trieste. The part of the text left un-deciphered has been presented in the Ph.D. thesis titled Materiali per un corpus delle iscrizioni arabe edili e funerarie in Italia, 2 vols., Napoli 1993. The tombstone might come from Syria or the Jazīra area. EADEM, “Una «coppa magica» proveniente dall’Egitto”, SM 19 (1987), pp. 65-89 + 7 pls. An Arabic magic bowl in Giovanni Oman Collection which had been bought in Cairo by Paul Balog. The author presents the use of the ṭāsat in Islamic popular medicine and deciphers the texts inscribed on it, giving their Italian translation. EADEM, “Materiali per lo studio della presenza araba nella regione italiana. I. L’epigrafia araba nelle isole maltesi”, SM 21 (1989), pp. 9-92 + 35 pls. The study focuses on the literary and material sources witnessing Arab settlement on Maltese islands. A critical edition of twenty Islamic tombstones, partly in fragmentary state, preserved in the Museum of the Roman Villa at Rabat, supplemented with the publication of the archeological field-notes by T. Zammit, who directed the archeological excavations at Rabat in the first half of 1920s. For the first time in the literature, the author hypothesizes that the Maymūna stone could be imported from North Africa. EADEM, “Iscrizioni arabe del III secolo dell’Egira a Palermo”, AION 52/1 (1992), pp. 35-60. The study, part of a broader catalogue of Arabic inscriptions in Italy, deals 158 VINCENZA GRASSI

with seven Islamic tombstones preserved at Palazzo Abatellis in Palermo that the author identifies as imported stuff coming from Lower Egypt and dates 3rd century of Hegira. EADEM, “Le iscrizioni normanne in caratteri arabi in Sicilia”, SM 24 (1992), pp. 29-38 + 8 pls. Arabic inscriptions in Sicily have always been considered as part of a whole bulk. Grassi pointed out that only few specimens are connected with the Arab settlement on the island, for most of them belong to the following periods. For the first time, among the Arab inscriptions of the Norman period she distinguishes those made for the Norman court as a separate set having its own features. EADEM, “Monete auree della Sicilia araba nel Museo Nazionale Archeologico di Napoli”, SM 26 (1998–2002), pp. 97-116 + 3 pls. Out of twenty-two golden coins from Islamic Sicily preserved in the National Archeological Museum in Naples, Grassi illustrates eleven quarters of dīnārs, one in the name of the Aghlabid ruler Ibrāhīm II and the other ones in the name of the Fatimid rulers. EADEM, “The Turkish Cemetery at Marsa on Malta Island. Historical background, topography and tombstones features”, SM n.s. 2 (2004), pp. 177-193. The article deals with the history of a burial ground at Marsa, funded by the Ottoman Empire, on the basis of notarial acts and articles published by the local press. The funerary texts and the tombstones features are analyzed in order to reconstruct the social classes to which the dead people belonged and the reasons of their staying on the island. The study is to be set in the frame of the research on the space for Islamic burial grounds. LUSINI, Gianfrancesco, “Christians and Moslem in the Eastern Tigrāy up to the XIV C.”, in SM 25 (1993–1997), pp. 245-252. The Arabic tombstones found at Qwiḥā in the Endartā region, clarify some phases of early Islamic settlements in the Eastern Tigrāy coinciding with critical moments in the history of the Christian Axumite state. The author presumes that the presence of the two Arab families coming from Dāḥlak Sultanate, as attested by the inscriptions, does not imply the existence of a long term settlement, but refer to two subsequent presences of Muslim people in the area. OMAN, Giovanni, “La necropoli islamica di Dahlak Kebir (Mar Rosso)”, AION 33, n.s. 23/4 (1973), pp. 561-569; ibid. 34, n.s. 24/2 (1974), pp. 209-215. The articles are part of a broader study on the necropolis of Dahlak Kebir island, Red Sea, published in a three-volume work by the Department of African and Arab Studies of the Orientale. The first study illustrates three tombstones coming from Dahlak Kebir preserved in Asmara: the first dated A Survey of Arab-Islamic Studies... 159

10 Rajab 341; the second, dated 1 Muḥarram 550, was re-used and bears a new inscription on the back dated 7 Ṣafar 586 and the third one bearing the date 27 Dhū’l-qa‘da 606. An undated fragment of the upper part contains the basmala and Q. CXII. The second article deals with four Arabic tombstones photographed by Giuseppe Puglisi, writer on African and seafaring issues, during his staying on Dahlak Kebir island: 1. Tombstone of Fāṭimah bint Muḥammad al- Khayyāṭ, dated 10 Muḥarram 437 A.H.; 2. Tombstone of Watah b. … b. Muslim al –Qaysī, dateless; 3. Tombstone of Umm Sha‘lan mawlat Aḥmad b. Sa‘d dateless; 4. Tombstone bearing Q. II, 285-286. IDEM, “Postille a «Notizie su una iscrizione con caratteri arabi a Ravello»”, AION 38, n.s. 28/4 (1978), pp. 501-502. The author corrects the reading of a 16th century foundation inscription found in Ravello (AION 19/2 (1969), pp. 266-268) and indicates Nesuh-aga Vučjaković as founder of the mosque at Liubuški, in western Erzegovina, on the basis of the research carried out by Muhamed A. Mujić. IDEM, “Materiali per lo studio della presenza araba nella regione italiana. Introduzione”, SM 21 (1989), pp. 1-7. The author introduces Grassi’s study on the Maltese Islamic tombstones (pp. 9-92), illustrating the project of creating a corpus of the Arab-Islamic inscriptions in Italy. The Maltese islands have been taken into account as they were ecclesiastically and politically dependent on Sicily in the Middle Ages. A list of the Arabic inscriptions recorded in the R.C.E.A. and those published after 1964 closes the paper. NOJA NOSEDA, Sergio, “Uno dei cosiddetti “corani di ‘Uṯmān”: quello della moschea Ḥusayn al Cairo”, SM n.s. 4 (2006), pp. 259-270 inclusive of 5 pls. The author focuses on a Kuranic manuscript preserved in al-Ḥusayn mosque in Cairo, considered one of the so-called ‘Uthmān’s Qur’ans, the most famous one is presently in Tashkent, Uzbekistan. He explains why the early Kuranic manuscripts adopted the horizontal format for Kufic script. PIACENTINI, Valeria Fiorani, “Berdjuk 706 Hg./1306 A.D. Considerazioni storiche su un iscrizione con cronogramma nell’Armenia Iranica (Azerbaigian)”, AION 40, n.s. 30/3 (1980), pp. 395-419 + 13 pls. Starting from an Arabic-Persian bilingual inscription inscribed in an alabaster plaque walled in the entrance door of the mosque at Berdjuk in the Gudā Valley, Azerbaijan, the author reconstructs the military function of the site. SPINELLI, Anna, “Il sigillo di Tamerlano”, AION 56/ 1 (1996), pp. 119-130. The paper prosecutes Bernardini’s study on Tamerlane’s seal (a small pyramid made up of three circles) in the light of a 15th century Spanish manuscript, edited by Francisco López Estrada in 1943. 160 VINCENZA GRASSI

STASOLLA, Maria Giovanna, “L’iscrizione araba della chiesa di San Sisto in Pisa”, SM 12 (1980), pp. 99-102. A 4th/10th century tombstone of an Aghlabid emir preserved in the Church of S. Sisto in Pisa commented with historiographical notes. TAMARI, Shmuel, “L’iscrizione di ‘Aqabat al-‘Urqūb nel Sinai e Na‘ūm Shuqeir”, AION 35, n.s. 25/2 (1975), pp. 274-276. Following to his article published in the Rendiconti of the Accademia Nazionale dei Lincei, 3rd ser., XXVI (1971), pp. 173-189, the author emends the reading of a commemorative inscription written by the Mamluk sultan Qānṣūh al-Ğawrī (1500–1516) at ‘Aqabat al-‘Urqūb in Sinai, in the light of a previous reading by Na‘ūm Šuqayr in his Ta’rīkh Sīnā’ (History of Sinai), Cairo 1916, where the location appears under the name of Darb al-Ḥağğ al-Miṣrī. Šuqayr’s work also deals with the inscriptions of Qal‘at al-Jundī – discovered by Šuqayr and republished later by G. Wiet in 1922 – and of the Mamluk Khān at al-‘Aqaba, republished in 1952 by H. W. Glidden. VIOLA, Natalia, “Les décors des corans ‘soudanais’ ”, SM n.s. 5 (2007), pp. 211- 223. A preliminary attempt of analysis of the meaning and functions of ormaments contained in about forty West African Qurʾāns of the Archinard Collection.

Ethnography – Anthropology

BALDI, Sergio, “Le rôle de la «femme libre» dans la société haoussa”, SM 26 (1998-2002), pp. 39-43. Hausa traditional society is strongly islamized and hierarchically structured. However, there are some pre-Islamic survivals in the organization of the society which call for a matrilinear origin. One of these ones is the karuwa institution: a temporary period of prostitution which allows women to escape from forced marriages and take back their freedom. CHARNAY, Jean-Paul, “La croisade comme contre-mythe, vision d’infidèle”, SM n.s. 4 (2006), pp. 197-218. Crusades have given rise to a legal organization and to the birth of a myth. Moslems and crusaders were in turn infidels for the other part and crusades were repelled with counter-crusades, so that they became legends opposing infidels to infidels. The heat of reversed myths of crusades and counter- crusades continues to rage from the mutual denunciations of filmmakers such as Eisenstein and Chahine to present curses as regards Palestine. CHIAUZZI, Gioia, “Alcune cantilene relative a cerimonie e ricorrenze libiche”, SM 4 (1971), pp. 77-111. A Survey of Arab-Islamic Studies... 161

Arabic texts and translations of some singsongs used by Lybian peasants for rain ritual or during religious feasts such as ‘Āšūrā and Milūd that resume Preislamic agrarian cults. EADEM, “Materiali per lo studio dell’abbigliamento in Libia”, SM 6 (1974), pp. 73-128 + XVI tavv. A lexical and ethnographical study on Libyan traditional cloths carried out mainly in the areas of Tripolitan and Fezzān areas in the summer 1974. The text is supplemented by photos and an index of Arabic terms both in Arabic characters and in transliteration. EADEM, “Indicazioni metodologiche per l’ordinamento dei personaggi mascherati nel Maghreb. III: Fonti bibliografiche (1845–1976). Parte 1. Classificazione e cenni analitici”, SM 23 (1991), pp. 51-118. The author analyzes about eighty literary sources dealing with masked characters in Morocco, Algeria, Tunisia and Lybia, linked to rituals generally condemned by Islam. EADEM, “Stato moderno e culture locali. Palme in parata. Sahara 1974”, SM n.s. 5 (2007), pp. 69-83. The paper deals with the results of a field work in Fezzan (Brak and Sebha), Libyan Sahara, in 1974 related to two rituals both stressing the importance of date-palm: the former concerns the archaic substrata and the calendars of oasis farmers, and the latter the official discourse on the modernity and the calendar introduced by the Revolution. DI TOLLA, Anna Maria – KH. ACHIT-HENNI, “Pratiche Religiose e Racconti Popolari di Chlef (Ech-Chélif – Algeria)”, SM n.s. 2 (2004), pp. 131-176. Up to the end of the 19th century, popular religious practices in Algeria were not in contrast with the official Islamic religious practices widespread both in rural and urban societies. A survey carried out by the authors in 2001 in Chlef shows that the beliefs concerning saints still represent a key factor to understand the relations between men and the supernatural. The popular religious practices have a syncretic approach which allows the union of orthodox beliefs, magic performances and intermediary worship common to other Arabic and Berber-speaking communities living in other North African countries. FERRARO, Felicetta, “Sviluppi recenti degli studi di antropologia in Iran”, AION 45/1 (1985), pp. 75-85. The author lists the studies, institutions and publications dealing with the field of Iranian anthopology. IBRĀHĪM, Ḥamāda, “Les chansons de la mer (al-nihām) au Kuwait”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 351-357. 162 VINCENZA GRASSI

Kwait was once dependent enterely on the sea for its prosperity either through trade or pearl diving expeditions. The authors studies the sea songs an important aspect of Kuwait’s folkloric music tradition. SCAMARDELLA, Maria Michela, “L’arte culinaria araba fra passato e presente”, SM 24 (1992), pp. 69-99. The author surveys the ancient and modern literary production on Arab cuisine, illustrating the ingredients and preparation of the dishes. She also focuses on the traditional dishes connected with Islamic festivities and personal occasions (birth, naming of the newborns, circumcision, marriage, etc.). TOURNEUX, Henry, “L’enseignement coranique dans une petite ville du Nord- Cameroun (Maroua)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 209-218. In Maroua, Qur’anic schools are privately run and having been taking in ever more students in the last fifty years. Most of the teachers know almost nothing of spoken Arabic, even if they can read it. The teaching is therefore done in Fulfulde (Fulani), the most widely spoken language in the area. Although hardly productive, these schools play a key role in socializing and shaping the personality of Muslim children. YACINE, Tassadit, “Créativité et marginalité. Le statut de la musique dans le monde rural (l’exemple de la société kabyle)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 219- 243. The paper analyses the conditions that allow music, and in particular singing, to be created. If music needs an instrument external to man’s body, that is not true for singing. In most cultures music is tightly bound to mythology and the origin of cosmos. In Kabyle society, singing gives the knowledge of the social and psychological structures on which ancient societies are based. EADEM, “Mutamenti sociali e condizione delle donne. Gli effetti della politica nei “campi di raggruppamento” delle donne cabile”, SM n.s. 4 (2006), pp. 271-282. The author analyzes the women’s contribution to the war of Algerian National independence on the basis of sociological sources. The focus is particular on the effects of the policy of grouping camps on Kabyle women and their behavior.

General (Orientalists, Oriental Studies and Institutions, Indexes)

ANONYMOUS AUTHORSHIP “Giovanni Oman. Bibliografia”, SM 25 (1993-1997), pp. 1-22. Some biographical notes and the complete bibliography of Giovanni Oman, A Survey of Arab-Islamic Studies... 163

professor of Arabic Language and Literature and Islamic Epigraphy at the Orientale and Dean of the Scuola di Studi Islamici from 1984 to 1990, in occasion of his 70th birthday. “Indici volumi 1 (1966)-XV (1983)”, SM 15 (1983), pp. 225-229. Indexes of Studi Magrebini vols. 1-15. “Studi Maghrebini: Indice dei Volumi (1966–1997)”, SM n.s. 1 (2003), pp. 261- 271. Indexes of Studi Magrebini vols. 1-25. “Notizie Orientalistiche: 1. La «Società degli Orientalisti» italiani”, AION 52/4 (1992), pp. 479-485. The articles of the statute of the Italian “Società degli Orientalisti”, an association that was born to foster African and Asiatic studies, approved at the meeting held in Rome on 24 June and 20 September 1993. BAFFIONI, Carmela, “Clelia Sarnelli Cerqua”, SM 26 (1998–2002), pp. V-X. Bio-bibliografical notes concerning Clelia Sarnelli Cerqua, Italian scholar in History of Islamic classical period at the Orientale. CHIAUZZI, Gioia, “Ester Panetta (1895–1983)”, SM 16 (1984), pp. 179-186. Chiauzzi traces the personal memory of her tutor, Ester Panetta, an Italian scholar in Lybian dialectology and ethnography. A bibliography closes the notes. CILARDO, Agostino (ed. by), “Giornata di studio: Carlo Alfonso Nallino (1872– 1938). Memoria di un maestro e prospettive degli studi arabo-islamici (20 novembre 2008)”, SM 8 (2010), pp.185. Volume devoted to the early-20th century Italian orientalist C.A. Nallino. It contains the following articles: SORAVIA, Bruna, “Carlo Alfonso Nallino (1872–1938). Lineamenti di una biografia intellettuale”, pp. 9-23; LO JACONO, Claudio, “Carlo Alfonso Nallino e l’Istituto per l’Oriente”, pp. 24-33; BAFFIONI, Carmela, “Il filone filosofico degli studi del Nallino. Contenuti e prospettive”, pp. 35-51; CAMPANINI, Massimo, “Nallino, il fascismo e le colonie”, pp. 53- 62; CANOVA, Giovanni, Nallino e la lingua araba”, pp. 63-68; CARUSI, Paola, “La storia della scienza e i suoi problemi”, pp. 69-78; CILARDO, Agostino, “Il contributo di Carlo Alfonso Nallino agli studi di diritto islamico”, pp. 79-94; CONTINI, Riccardo, “Nallino indagatore dei dialetti arabi”, pp. 95-116; DE ANGELO, Carlo, “Diritto islamico vs. diritto dei Paesi islamici. La ricerca italiana in materia di diritto musulmano all’alba del III millennio”, pp. 117-124; GRASSI, Vincenza, “Carlo Alfonso Nallino curatore e continuatore degli studi amariani”, pp. 125-132; KAUFHOLD, Hubert, “Carlo Alfonso Nallinos Arbeiten zum Recht der orientalischen Christen”, pp. 133-147; LACERENZA, Giancarlo, “Nallino sugli ebrei e 164 VINCENZA GRASSI

l’ebraismo nell’Arabia preislamica”, pp. 149-159; LO JACONO, Claudio, “Carlo Alfonso Nallino e il suo contributo alla storia”, pp. 161-165; PIRONE, Bartolomeo, “Il senso della letteratura araba in C. A. Nallino”, pp. 167-172; SAGARIA ROSSI, Valentina, “Nallino codicologo”, pp. 173- 185. D’ERME, Giovanni M., BERNARDINI, Michele, “Ricordo di Filippo Bertotti”, AION 53/4 (1993), pp. 492-496. [Bertotti’s obituary] GABRIELI, Francesco, “Ricordo di Alessio Bombaci; followed by Gallotta, Aldo, Bibliografia degli Scritti di Alessio Bombaci”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 1-3. [Bombaci’s obituary] IDEM, Francesco, “In memoria di Gustave von Grunebaum”, AION 42/1 (1982), pp. 167-168. [von Grunebaum’s obituary] IDEM, “Vittorio Rugarli e Italo Pizzi (dalla preistoria della iranistica italiana)”, AION 44/1 (1984), pp. 173-175. Biographies of 19th century Italian scholars in Iranian studies. IGONETTI, Giuseppina, “Ricordo di Roberto Rubinacci”, SM 22 (1990), pp. 1-7. Obituary of the jurist and Islamist Roberto Rubinacci (1915–1992). A list of publications closes the biographical notes. LACERENZA, Giancarlo, “Il viaggio a Petra di Giammarino Arconati Visconti (1865)”, Supplemento n. 88, vol. 56/3, 1996, pp. 49 + VIII pls. The book deals with the travel of the Lombard marquis Giammartino Arconati Visconti to Petra in 1865 and gives facsimiles of the graffiti and inscriptions drawn in his note-book. OMAN, Giovanni, “Ricordo di Paul Balog (1900–1982)”, SM 15 (1983), pp. 209- 220. The author recollects his friend Paul Balog and lists his publications. NOJA NOSEDA, Sergio, “G. Arri, un precursore negli studi maghrebini”, SM 23 (1991), pp. 45-49. Some notes on Giannantonio Arri, a 19th century Italian orientalist. STASOLLA, Maria Giovanna, “Centri di studio e documentazione in Tunisia”, SM 12 (1980), pp. 261-269. The study consists in a list and description of the academic, cultural and scientific institutions present in Tunis. STRIKA, Vincenzo, “Il viaggio di C.A. Nallino in Arabia Sa‘ūdiana nel 1938”, SM 25 (1993–1997), pp. 321-334. Carlo Alfonso Nallino’s travel to Saudi Arabia and his program of research a year before his death in the frame of Italian colonial politics. A Survey of Arab-Islamic Studies... 165

VERARDI, Giovanni, “On Edward W. Said’s Aida”, AION 56/4 1996, pp. 524- 535. Said’s Culture and Imperialism published in 1993 devotes a lenghty analysis to Verdi’s Aida. The author comments Said’s writing in the light of the literature concerning the opera.

History, Economy and Politics

ABRAHAMOWICZ, Zygmunt, “Qaġalġa~qaġalqa~qaġïlġa~qalġa etc. A Mongol Title in Turkic Khanate”, AION 46/3 (1986), pp. 419-431. The author deals with a title of the Khāns of Crimea, whose origin and meaning has been long debated. ANCIAUX, R., “La composante islamique dans la formation politique de l’Algérie”, SM 22 (1990), pp. 137-148. The author studies the conflictual relationship between religion and politics in 20th century-Algeria. ARDIZZONE, Piero, “Il Regno di Sardegna e le Reggenze barbaresche: dalla difensiva all’offensiva”, SM n.s. 2 (2004), pp. 1-68. Since it had only a little outlet on Nice coastline, The Duchy of Savoy nourished the ambitions to sail freely around the Mediterranean Sea. These desires grew after the annexation of Sardinia and the acquisition of the Republic of Genoa. As the Saracen pirates’ attacks intensified, it was necessary to strengthen the political and military fronts before gaining the support from Great Britain. The author focuses on the events concerning the Sardinian Kingdom and Algiers, Tunis and Tripoli in the first half of 19th century. ARRIBAS PALAU, Mariano, “Sobre seis malteses apresados en 1779 por una fragata marroquí y liberados posteriormente”. Followed by an “Appendice documental”, SM 6 (1974), pp. 129 -196. The study takes Father Ramón Lourido Díaz’s article, published in SM 4 (1971), as a starting point to reconstruct the story of a Ragusan ship, which was chartered in Genoa by six Maltese merchants sailing to Canarian islands, and caught by a Moroccan frigate in September 1779. In the Appendix, a large section of Arabic documents with their Spanish translation are enclosed. IDEM, “Algunos datos sobre el Primer Consul del reino de Cerdeña en Marruecos”, SM 7 (1975), pp. 155-160. The articles studies the beginning of friendly relationships between Cerdeña and Morocco on the initiative of the Sultan Sayyidī Muḥammad b. ‘Abd Allāh. In 1778 the Sultan declared that all the Moroccan ports were open 166 VINCENZA GRASSI

to many countries, including Cerdeña. A document written by Esteban D’Audibert Caille, where he offers himself to act as an intermediary between the King of Cerdeña and the Sultan of Morocco, is attached as an appendix. IDEM, “La participacíon de Fernando IV de Nápoles en las gestiones para el rescate de musulmanes cautivos en Malta”, SM 12 (1980), pp. 201-232. The paper illustrates the intervention of the King of Naples Ferdinand IV and the mediation of the Spanish King Carlos III between the Moroccan Sultan Sayyidī Muḥammad b.‘Abd Allāh (1757–90) and the Grand Master of of the Order of St John’s Knights for the liberation of Muslim prisoners secluded on Malta island. BALDICK, Julian, “The Iranian Origin of the futuwwa”, AION 50/4 (1990), pp. 345-361. The aim of the article is to demonstrate the Iranian origin of the futuwwa (“young-manliness”, when it refers to an ideal), that is the opposite of muruwwa (manliness). The term is also used to cover a type of organization whose New Persian equivalent is juwānmardī or jawānmardī. BALDRY, John, “Imām Yaḥyā and Yamanī Uprising of 1911”, AION 42/3 (1982), pp. 425-459. Dealing with the period of Yamani history going from the election of Imām Yaḥyà in 1904 up to the uprising directed against Turkish misrule and the imposition of the Civil Law in 1911, the author stresses the significance of the Treaty of Da‘ān in 1911. It lies in the fact that the Imām Yaḥyà had taken a successful step towards the autonomy and independence of Yaman and the authority of his family on it. BARBATO, Antonio, “Conquista e presenza arabo-islamica a Malta”, AION 50/3 (1990), pp. 233-247. An overall survey about the Arabic sources and material evidences witnessing Arab-Islamic past of the Maltese islands. BELDICEANU-STEINHERR, Irène, BERINDEI, Mihnea, VEINSTEIN, Gilles, “La Crimée ottomane et l’institution du «timār»”, AION 39, n.s. 29/4, 1980, pp. 523-562 + 14 pls. A study of documents preserved in the Archives of the Presidency of the Council in Istanbul, labelled as Maliyeden müdevver no. 17893 dealing with the attribution of the timār (concession of income taxes in a given geographical area) in the Ottoman provinces of Kefe (Crimea), Rum, Kayseri and Trebizond. BEYENE, Yaqob, “Conseguenze della carne in scatola. Politica coloniale e religione in un episodio delle relazioni italo-etiopiche nel XX secolo”, SM n.s. 4 (2006), pp. 141-156. A Survey of Arab-Islamic Studies... 167

The paper deals with the history of the Ascari army and the religious discussions and taboos concerning both Christians and Muslims from Ethiopia and Eritrea. In particular, the author is concerned with the solutions adopted by Italian government to overcome the problems arising from the theological doctrine of sost malakkat (the three divinities) and the prohibition of eating the canned meat distributed by Italian Army in Libya for the Ethiopian and Eritrean ascaris. BISTEGHI, Ugo, LO VECCHIO, Guido, “La modellizzazione dei sistemi storico- politici: Il caso esemplare dell’Islam”, AION 53/3 (1993), pp. 255-265. The authors use the approach of R. Thom’s “Catastrophe Theory” to analyze historical and sociological events in the Islamic settings and consider the reasons for the meager results coming from the attempt to build models for studying social and political changes. EIDEM, “The Islamic Revolution in Iran. Some Consideration on History as Complex System”, AION 56/1 (1996), pp. 63-78. The study discusses the theory of complexity and applies it to recent history of Iran taking into consideration the phenomenon of modernization, the fall of the Pahlavi monarchy and the emergence of Fundamentalism. BOMBACI, Alessio, “The Army of the Saljuqs of Rūm”, AION 38, n.s. 28/4 (1978), pp. 343-369. The author surveys the organization of the army of the Saljūq of Rūm and in particular its composition, an aspect which is strictly connected with political and social life. The main source is the history written in Persian towards 1282 by Ibn Bībī, edited in the mid-Fifties, which covers the period from the 12th c. to 1282. BOUNFOUR, Abdellah, “Quelques réflexions sur les débuts du Mouvement culturel amazigh marocain”, SM n.s. 4 (2006), pp. 157-169. In Morocco, some attempts to reconstruct the history of the Berber cultural movement (MCB) were made on the basis of purely chronological criteria; differently this study puts the data into their ideological, cultural and political context. It calls for a post-independence foundation for the MCB, in direct opposition to the Arab-Islamic concept of nationalism. BOVER FONTS, Immaculada, “L’iqlīm di Corleone: studio del territorio e della sua popolazione durante l’epoca musulmana”, AION 56/2 (1996), pp. 255-265. The paper is based mainly on the jarā’id published by Cusa and their scrutiny by Adaligisa De Simone combined with the Arabic sources contained in Amari’s studies, but it also takes into account the result of the recent archeological excavations carried out in Sicily as well as Henri Bersc’s studies. The author locates the toponyms referred to the iqlīm of 168 VINCENZA GRASSI

Corleone pointing out the relevant aspects of the territories, the economy and the presence of monuments. CALABRESE, Maria Caterina, “Materiali per un lessico dell’ideologia politica di Mu‘ammar al-Qaddāfī”, SM 14 (1982), pp. 229-248. The author lists the key-words used in Mu‘ammar al-Qaddāfī’s Green Book in order to clarify his political thought and socio-economic theories. An Italian-Arabic glossary of political terms, also in Arabic transcription is given at the end. CANCIANI, Domenico, “Giugurta in cerca d’identità. Intellettuali e popolo nella rinascita berbera in Algeria”, SM n.s. 4 (2006), pp. 171-180. Spurred by the events of the spring 2001, the author detects in the uprisings of the kabyle movement for the acknowledgement of the Berber cultural and linguistic identity a more general urge of Algerian population for democracy and a condemnation of terrorism as well as a military force- controlled state. Canciani hopes in the intervention of EU to foster a democratic development of Algerian policy. CHIAUZZI, Gioia, “The Dawn of a New Era «The Conference on Turkish-Arab Relations: Past, Present, Future» – Ankara, Hacettepe University – June 18-22, 1979”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp. 309-312. An account of «The Conference on Turkish-Arab Relations: Past, Present, Future» held from 18 to 22 June 1979 at the Hacettepe University in Ankara, Turkey. EADEM, “La spedizione di Napoli contro Tripoli d’Occidente secondo il cronista tripolino Ḥasan al-Faqīh Ḥasan. Traduzione e osservazioni linguistiche”, SM 15 (1983), pp. 75-154; ibid. 16 (1984), pp. 91-178; ibid. 17 (1985), pp. 57-96, “Parte II. Indice italiano delle voci considerate nelle schede lessicali”, ibid. 18 (1986), pp. 69-90. Having translated the Arabic chronicle into Italian, the author analyzes from the linguistic point of view the Libyan Arabic terms used by the historian Ḥasan al-Faqīh Ḥasan in his description of an expedition against Tripoli leaving from Naples. CONTU, Giuseppe, “La conoscenza del mondo arabo moderno e contemporaneo attraverso gli studi storici di ‘Ayn Shams: 1976–77”, AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 333-344. The authors surveys the trends in historical studies in Egypt in the mid- Seventies on the basis of the activity carried out in the Seminar of High Studies in Modern History in the University of ‘Ayn Shams in Cairo. IDEM, “Un recente convegno sulla storia dell’Egitto ad ‘Ayn Shams (Il Cairo 4 – 6 aprile 1988)”, AION 48/4 (1988), pp. 339-348. A Survey of Arab-Islamic Studies... 169

Methodology in historiographical studies as debated at the 1988 congress on the history of Egypt at the University of ‘Ayn Shams in Cairo. DÉJEUX, Jean, “La Kahina: de l’histoire à la fiction littéraire”, SM 15 (1983), pp. 1-42. The author points out the writers’ use of the mythical character of Kāhina in French and Algerian novels as a mean of political and ideological persuasion. DOTOLI, Giovanni, “Éloge de la Méditerranée”, SM n.s. 4 (2006), pp. 219-233. The paper concerns the nature of the Mediterranean as a historical, cultural, social and economic entity and assesses the validity and limits of its use as a cultural concept. Being a zone of interaction and conflict, the area is to be set into a regional rather than national framework, suggesting new perspectives regarding the model of development to be adopted. EBIED, Rifaat Y., YOUNG M.J.L., “A List of Ottoman Governors of Aleppo, A.H. 1002–1168”, AION 34, n.s. 24/1 (1974), pp. 103-108. The authors supplements Zambaur’s list of governors of Aleppo, covering the period from the Muslim conquest to the eve of the Ottoman conquest, with 124 Ottoman governors of Aleppo appearing in fols. 65v-66v of Leeds Arabic ms no. 147. FASANA, Enrico, “Riforma sociale e conversione nella comunità musulmana del subcontinente indiano”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 359-396. The author focuses on the period from 1875 up to 1947 to study so far the Islamic reformist movements promoted the reformation of Indian society as to affect the caste system. FRONZONI, Vasco, “Trattato di pace, commercio e navigazione tra la Sublime Porta ed il Regno delle Due Sicilie (Costantinopoli, 7 aprile 1740)”, SM n.s. 5 (2007), pp. 141-149. The article deals with the treaty signed by the Bourbon king of the Two Sicilies Charles III and the Ottoman Sultan Maḥmūd I in 1740, which is very important for the history of Maritime Law as it represents the basis for the Declaration on Sea Law of Paris (1856) and the Maritime Code of Ottoman commerce (1863) in force up to 1929. FUCCARO, Nelida, “A 17th century travel account on the Yazidis: implication for a socio-religious history”, AION 53/3 (1993), pp. 241-253. The paper deals with a brief description of a small Syrian Kurdish community of Yazidis written by Michele Febvre in the middle of 1670s representing the oldest known account on this religious sect whose members are scattered in a wide area of Turkish, Iraqi and Persian Kurdistan. GABRIELI, Francesco, “Considerazioni sul califfato omayyade”, AION 34, n.s. 24/4 (1974), pp. 507-512. 170 VINCENZA GRASSI

Starting from Wellhausen’s and Lammens’ studies on the Umayyad caliphate and its fall, the author revises critically the literature on the subject and points out the new sources which allow its updating. GALLOTTA, Aldo, “Le Ġazavat di Ḫayreddīn Barbarossa”, SM 3 (1970), pp. 79-140. The life of the famous corsair and admiral Ḫayreddīn in Seyyid Murād’s work, belonging to the genre of Ottoman Historiography called ġazavāt- nāme, that is gihād deeds, current from XIV–XV centuries. The text is followed by its Italian translation. IDEM, “Diplomi turchi dell’Archivio di Stato di Firenze”, SM 11 (1979), pp. 167-202 + XII pls. Thirteen letters in Osmanli belonging to the Medici Granducal Archives in Florence dealing with the relationships between Algiers and the Granduchy of Tuscany in the 17th century are presented with their translation and facsimiles. IDEM, “Il «Ġazavāt-i Ḫayreddīn Paša» di Seyyed Murād”, SM 13 (1981) (Monography). Edition of the Turkish prose text dealing with the life of Barbarossa pirate. GALLOTTA, Aldo, BOVA, G., “Documenti dell’Archivio di Stato di Venezia concernenti il principe ottomano Ğem”, SM 12 (1980), pp. 175-199. Six unpublished documents in the State Archives of Venice belonging to the 16th century parchment registry, known as Liber Graecus, five of which are copies written in Greek, dating from 28.8.1482 to 21.1.1494, and one in Venetian dialect dated 1482. An original document has been listed in the Collection of Turkish documents. The documents, dealing with Prince Jem’s vicissitudes, have been written by the sultan Bāyazīd II and addressed to the Venetian Doges Giovanni Mocenigo and Agostino Barbarico and to the provisioner in Cyprus, Andrea Gritti. GORI, Alessandro, “Alcune considerazioni e precisazioni preliminari sull’origine e sulla natura delle presenze islamiche non autoctone nelle comunità musulmane d’Etiopia”, AION 55/4 (1995), pp. 406-436. The author analyzes the different patterns of islamization in Ethiopia. GOZALBES CRAVIOTO, Enrique, “Los judíos en Mauritania Tingitana”, SM 11 (1979), pp. 133-166. After surveying the historiographic studies dealing with the presence of Jewish communities in Morocco since Antiquity, the author points out several mistakes and studies the arrival of Jews in Mauritania Tingitania. As to Medieval times the migration southwards was due to the Arab conquest of the northern African coast, but there is no continuity in the Jewish settlements. A Survey of Arab-Islamic Studies... 171

IB RAHIMI, Ahmed Taleb, “Le Maghreb et l’Europe”, SM 19 (1987), pp. 139-155. Within the historical paradigm theorized by Braudel, the author stresses the tight cultural links existing between the Maghreb and Spain and points out the different role played by the two countries in the present socio-politic scene mainly in regard to the European Economic Community. JEHEL, Georges, “Gênes et le Maghreb au Moyen-Age”, SM 22 (1990), pp. 59- 86. Genoa played an important role in the history of the relations between Christian and Muslim states in the Western Mediterranean basin from the end of the 10th century up to the end of the Middle Ages. The author focuses on economical and socio-cultural relations between the Italian city and the Maghreb. LOURIDO DIAZ, Ramón, “La república de Ragusa y los ‘alawíes de Marruecos en el siglo XVIII”, SM 4 (1971), pp. 113-124. The study deals with the first historical links between Ragusa, nowadays Dubrovnik, and the Alawi Empire (Morocco) in the 18th century. A letter from the General Archive of Simancas addressed to the king of Spain Carlos III, bearing the date 28 January 1780, is enclosed. MAGAROTTO, Luigi, “Il sogno di Aluda”, AION 45/1 (1985), pp. 87-96. The article deals with the Georgian poet Važa and his poem on the Georgian hero Aluda Ketelauri, written in 1888. The poem starts from a dramatic event that is a Muslim raid in Xevsuri territory. MARAZZI, Ugo, “Alcuni problemi relativi alla diffusione del manicheismo presso i Turchi nei secoli VIII–IX”, AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 239-252. As a consequence of persecution of Manichaeism in Iran, the new faith spread in Central Asia and some communities were active in western Turkestan in the first decades of 8th century. Sogdian merchants acted as propagandists of the religion so far as China. The author investigates some problems linked to the diffusion of Manichaeism among Turks. MEOUAK, Mohamed, “Les documents en arabe dialectal de l’Archivo General de Simancas. Une source inestimable pour l’histoire du Maghreb central aux XVIe et XVIIe siècles”, SM n.s. 5 (2007), pp. 161-175. The author traces the history of the Central Maghreb during the 16th and 17th centuries on the basis of the data contained into account documents in Arabic dialect preserved in the General Archives of Simancas, in Spain. Due to his adoption of a modern historiographic approach, the results are evaluated at different levels, so that they can offer materials concerning anthroponomy, toponymy and socio-linguistics. PELLITTERI, Antonino, “Il riformismo musulmano in Siria (1870–1920)”, Supplemento n. 49 agli Annali vol. 46 (1986)/4, pp. 1-87. 172 VINCENZA GRASSI

Islamic Reformism (iṣlāḥiyya) came into existence by the end of the 19th century and prosecuted up to the 20th century as a response to the challenge of Western impact on the Islamic world. The author focuses on the history of the movement in the Great Syria. The author analyzes some aspects of the movement such as Islam and politics, the role of science, the idea of homeland, the theoretical aspects of the social problems, Islam and Arabism and reports bio-bibliographical notes on the main representatives of the Syrian movement. FIORANI PIACENTINI, Valeria, “Vie carovaniere e processi di popolamento del Khorāsān orientale: il Kuhestān «Regione dei Monti» (Iran orientale)”; Appendix I: TORRE, Paola, “Evidenze ceramiche «bianco e blu» a Qā’en”; Appendix II: “Documentazione fotografica e planimetrica”, AION 39, n.s. 29/4 (1979), pp. 563-601, 602-605. The data, collected by the author during the 1978 scientific mission organized by the Orientale, are referred to commercial routes and the peopling processes in Kuhestān (the Mountain Region of Eastern Khorāsān), Iran. The study in the first appendix illustrates three white and blue glazed pottery bowls of local origin imitating Chinese production. The second appendix consists of 21 plates with photos and planimetry. El-QADERY, Mustapha, “Maux des mots en français colonial”, SM n.s. 4 (2006), pp. 235-246. Starting from some considerations about how North Africa was transformed into an Arab-Islamic area and if this was the result of a historical process or the colonial constructions of paradigms which do not represent the present and past reality of North Africa, the author tries to demonstrate the last hypothesis showing in which way social sciences have been working up to present times. SALEH, Abdelhamid, “Les relations entre les Mamluks et les Bédouins d’Egypte”, AION 40, n.s. 30/3 (1980), pp. 365-393. The paper surveys the difficult relations between the Mamluk sultans and the tribes in Egypt. IDEM, “Les migrations bédouines en Egypte au Moyen Age”, AION 41/1 (1981), pp. 1-33. The author lists the tribes arrived in Egypt according to their origin and the place of settlement (Upper and Lower Egypt) up to the Mamluk period. SARAÇGIL, Ayşe, “La lingua turca tra riforma e rivoluzione, I”, AION 50/3 (1990), pp. 249-278, part II, ibid., 51/2 (1991), pp. 139-158. Turkish language as factor of National and cultural identity from the Tanzimāt period undertaken by the Ottoman Empire in 19th century up to the Ataturk Revolution. A Survey of Arab-Islamic Studies... 173

ŠARAFUTDINOVA, Rukija Š., “Le lettere in arabo dall’archivio di Pietro della Valle conservate nell’Istituto di Orientalistica di Pietroburgo”, AION 57/1 (1997), pp. 1-47. The paper concerns six letters from Pietro della Valle (1586–1652)’s Archive, belonging to the collection of the historian N.P. Lihačev and presently preserved at the Oriental Institute of St Petersburg (coll. A 224-229). SARNELLI CERQUA, Clelia, “Al-Ḥağarī in Andalusia”, SM 3 (1970), pp. 161- 203 + 5 pls. The study deals with the first chapter of Kitāb Nāṣir al-dīn by a Moroccan- Spanish writer, ash-Šihāb Aḥmad Al-Ḥağarī, dealing with the Spanish period of his youth and some apocryphal Arabic writings found in Granada in 1588 and 1595. A facsimile of the manuscript is enclosed in the plates and its Italian translation is in the appendix. SCHINASI, May, “Italie-Afghanistan 1921–1941”, ibid. 47/2 (1987), pp. 131- 151 + 1 photo portraying the Afghan legation of 1923 and the Italian experts; “II. De l’affaire Piperno à l’évacuation de 1929. Le journal de De Gado [Première Partie]”, AION 47/2 (1987), pp. 131-151; [Deuxième Partie], ibid. 50/3 (1990), pp. 279-293; “III. Les Afghans en Italie. Le voyage d’Amānullāh. L’exil”, ibid. 52/2 (1992), pp. 113-135 + 4 pls.; “IV. Les années 30: Contribution italienne, témoignage barnabite”, ibid. 53/2 (1993), pp. 149-191 + 4 pls. The relations between Italy and Afghanistan following to the acknowledgement of Afghan independence from the Italian side. In the appendix the agreements between the two countries. II-III. The Afghan legation in Rome in the 20s and the travel in Italy of king Amānullāh and his retinue in 1928 and the main events within the diplomatic relations between Italy and Afghanistan in the mid-Twentieth century. IV. The author outlines the economical, political and commercial relations between the two countries basing on archive and describes the activities of the Barnabites in Kabul focusing on Father Egidio Caspani. EADEM, “Femmes afghans. Instruction et activités publiques pendant le règne amāniya (1919–1929), AION 55 (1995), pp. 446-486 + 2 pls. The journal of Kabul, Amān-e afghān, devoted in January 1921 an article to the opening of a school for girls; this event offers the opportunity to underline the hidden role of women in Afghan society. SERRA, Luigi, “In margine ad un testo orale berbero avente a titolo: «La storia della gente di Sigilmāssa»”, SM 6 (1974), pp. 57-71. A brief Berber text dictated by Sidi Mulay ‘Abd al-Raḥmān, shaykh of Mezgīda qṣar, in 1972 dealing with the history of Sigilmāssa and a Black King identified as Aissa ibn Mazyad el-Aswad (8th century A.D.). 174 VINCENZA GRASSI

SPALLINO, Patrizia, Al-Masā’īl aṣ-Ṣiqilliyya, AION 56/1 (1996), pp. 52-62. The study aims at reconstructing the interest of the European scholarship for an Arabic manuscript preserved in the Bodleian Library (Hunt. 534), which was discovered by the Sicilian history scholar Michele Amari in the mid-19th century. The text, titled Al-masā’īl al-Ṣiqilliyyah (Sicilian matters), dealt with philosophical issues and was in the epistolary form between the Sufi Ibn Sabʿīn and an unknown king of Sicily that was identified with Frederick II Hohenstaufen by Amari, who also dated the text 1237–1242 A.D. STASOLLA, Maria Giovanna, “Arabi e Sardegna nella storiografia araba del Medioevo”, SM 14 (1982), pp. 163-202. Italian translation of the Arabic sources dealing with the in Sardinia and the author’s comment on them. STRIKA, Vincenzo, “Istruzione ed ideologia islamica nell’Arabia Saudiana”, AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 437-456. Moving from Nallino’s studies on Saudi Arabia, the author investigates the changings occurring in the Saudi Arabian Higher Education system in the 70s. IDEM, “Lo Shaṭṭ Al-‘Arab: Origini remote e recenti della controversia tra Iran e ‘Irāq”, Supplemento n. 36, vol. 43/3, 1983, pp.1-151. The author studies the Iran – Iraq conflict in the light of the complex ethnical and religious composition of Iraq and the background historical events: Sunnis versus Shī‘is, the Kurdish problem, the territorial problem concerning Ottoman Empire-Iran border (as the 1639 Treaty did not mention the Shaṭṭ el-‘Arab) and the arising political disputes up to 1975. IDEM, “I rischi del Dopo-Golfo”, AION 51/4 (1991), pp. 417-435. The Middle East conflicts extant after the Gulf War and the solutions for peace. IDEM, “L’Azerbaigian dopo la I Guerra mondiale. Alcune considerazioni sulle fonti italiane”, AION 51/1 (1991), pp. 65-81. The papers deals with the events which took place in Transcaucasia from the fall of the tsarist regime in February 1917 to the advent of the Soviet rule in 1922, and in particular in the Russian most important oil town, Baku, and the Italian interests in its neighbouring lands. VERCELLIN, Giorgio, “Crime de silence et crime de tapage: Panorama des lectures sur L’Afghanistan contemporain”, Supplemento n. 44 agli Annali vol. 45 (1985)/3, pp. 1-68. The author offers a rich bibliography on issues concerning present Afghanistan on which there is the mass media blackout such as the economic relations between URSS and Afghanistan, the role of the Afghani refugees A Survey of Arab-Islamic Studies... 175

in Pakistani and Arab Gulf economies, the problem of the place of origin of the military aids, the attitude of the USA and UE towards the refugees, the women condition, the drug-crop economy in the areas controlled by resisters. IDEM, “Un «sarbedār» del 981/1573 a Tabriz”, AION 30, n.s. 20/1970, pp. 413-415. Focusing on 16th century Iran, the article demonstrates that the term sarbedār is to be associated with pahlawān, that is a person who devotes himself to death. VITALONE, Mario, “Le comunità zoroastriane d’Iran dopo la Rivoluzione”, AION 45/2 (1985), pp. 177-192. This article focuses on Zoroastrian community in Iran starting from the end of the 19th century up to the cultural and social organization operating in present Iran. VITELLI, Assunta, “I documenti turchi dell’Archivio di Stato di Modena”, AION 54/3 (1994), pp. 317-348. The author analyzes some Turkish documents in the Archives of Modena supplying evidence on the relations between the Dukes of Este and Suleiman the Magnificent in the second half of the 16th century. The transcription of the document and their translation into Italian are preceded by a palaeographical and historiographical analysis. ZAMMIT CIANTAR, Joe, “Malta in 1677: An Anonymous Account”, SM 22 (1990), pp. 87-108 + 4 pls. The author introduces a report about Malta commissioned in 1524 by the Grand Master and Council of the Order of St John, when, after their deafeat in Rhodes, they were offered the islands together with the North African fort of Tripoli.

Islām and Islamic Philosophy

ARFÉ, Pasquale, “La teoria dell’intelletto in Averroè tra esegesi del Corano ed escatologia islamica”, SM n.s. 5 (2007), pp. 1-46. The historical-philosophical analysis of Faṣl al-maqāl (about 1179), Tahāfut al-tahāfut (about 1180) and the Commentarium magnum in Aristotelis de anima librum III (about 1190), shows that Averroes gradually moved from the agreement between faith and reason to a successive phase of unconscious contrast with the Kuranic dogmas, according to which punishment and reward depend on the responsibility of each individual. His doctrinal position on the unicity of intellect for all human beings seems to look for a solution in a way resembling the contrasted theory of “double truth”. 176 VINCENZA GRASSI

AUTUORI, Adele, “Antecedenti greci e arabi del Kitāb al-firāsa di Fakhr al-Dīn al-Rāzī”, AION 43/1 (1983), pp. 43-60. The paper studies the Greek and Arabic texts on physiognomy dating earlier than al-Rāzī’s Book on Physiognomy (12th c.). EADEM, “Testo latino e testo arabo della fisiognomica di Muḥammad ibn Zakarīyā’ al-Rāzī”, AION 44/1 (1984), pp. 29-40. The Kitāb fī’l-Ṭibb is one of the best Islamic medical works by al-Rāzī, who followed Hippocratic teaching. Consequently, it is not surprising that in the second volume of his work he describes the principles of physiognomy according to which the somatic types indicate the nature of men, an essential requisite to make a diagnosis. Autuori compares the Latin translation of the work by Gerardo da Cremona (1114–1187) and the Arabic manuscript edited in Aleppo in 1929 by Muḥammad Raghīb al-Tabbākh. BAFFIONI, Carmela, “Valore ‘filosofico’ dell’atomismo del Kalām”, AION 40, n.s. 30/2 (1980), pp. 243-264. The philosophical insight of Muslim theologians with regard to their option in favour of atomism. EADEM, “La tradizione araba del IV libro dei ‘Metereologica’ di Aristotele”, Supplemento n. 23 agli Annali vol. 40 (1980)/2, pp. 1-104. Arab atomism and its relations with Greek sources was one of the first topics addressed by Carmela Baffioni. Here she translates and comments upon the so-called “first chemical book of Antiquity” in Yaḥyā ibn Biṭrīq’s version, comparing it with the Arab Olympiodorus and Avicenna. EADEM, “Alcuni spunti per la storia del ‘tragelafo’ arabo”, AION 41/3 (1981), pp. 482-500. Dealing with al-Fārābī’s commentary on Aristotle’s De interpretatione, Baffioni deepens the “tragelaphos” questions. EADEM, “Gneosologia e mistica nell’interpretazione avicenniana dell’intelletto agente”, AION 41/4 (1981), pp. 597-622. The author describes Avicenna’s religious – and even mystical – representation of the “active intellect” introduced in Aristotle’s De anima, Book III. EADEM, “L’atomismo arabo e gli atti catanesi di «Democrito e l’atomismo antico»”, AION 42/3 (1982), pp. 471-490. A reconsideration of Greek atomism in the light of the Arabic tradition. EADEM, “Ancora su al-Fārābī interprete di Aristotele”, AION 44/3 (1984), pp. 491-516. The article focuses on Fritz W. Zimmermann’s translation of al-Fārābī’s commentary on the De Interpretatione. EADEM, “Platone, Aristotele e il pitagorismo kindiano”, AION 45/1 (1985), pp. 135-144. A Survey of Arab-Islamic Studies... 177

The study deals with al-Kindī’s treatise on “Why the ancients related the five geometrical solids to elements”, a text inspired by Plato’s Timaeus where the Pythagorean musical theory is also echoed. EADEM, “Al-Fārābī interprete di Aristotele. A proposito di una recente recensione”, AION 46/3 (1986), pp. 501-508. Baffioni answers Jean Jolivet’s review. EADEM, “An essay on terminological research in philosophy: the “Friends of God” in the ‘Rasā’il Iḫwān al-Ṣafā’”, SM 25 (1993–1997), pp. 23-43. A list of technical terms referring to the Brethren of Purity as Gnostic authors of the Encyclopaedia. EADEM, “Gli Iḫwān al-Ṣafā’ e la filosofia del Kalām”, AION 54/4 (1994), pp. 464-487. One of the first studies devoted by Carmela Baffioni to the “Brethren of Purity”, who became her main research field. Here she presents a survey of the “religious” texts of the Encyclopaedia, in order to fix some points on the debated question of the doctrinal commitment of these authors. EADEM, “Ermetismo “profetico” e “magico” in una fonte araba del Liber de Quattuor Confectionibus”, SM 26 (1998–2002), pp. 21-43. The Epistle on Magic is the Arabic source of this fragment. The author compares the Arabic and the Latin texts. EADEM, “Antecedenti “orientali” per la legittimazione del taʾwīl dei filosofi in Averroè?”, SM n.s. 4 (2006), pp. 131-139. The Epistle no. 40 of the Brethren of Purity presents an interpretation of Q. III, 7 very similar to that discussed by Averroes in his Faṣl al-maqāl. This implies, according to Baffioni, that the Brethren’s philosophy might be widespread in al-Andalus and Averroes could be acquainted with it. BAFFIONI, Carmela, NASTI DE VINCENTIIS, M., “Il Cap. 9 del De Interpretatione di Aristotele nel commentario di al-Fārābī”, Supplemento n. 29, agli Annali vol. 41(1981)/4, pp. 1-70 with an appendix: GALANTI, Emanuela, “Necessità e onnitemporalità in alcuni testi aristotelici”, pp. 71-77. The ninth chapter of Aristotle’s De interpretatione, dealing with the contingent futures represents a topic much debated among scholars. The authors focuses on al-Fārābī’s commentary whose view is completely contrary to the traditional interpretation of Aristotelian logic. The appendix deals with the Aristotelian theory of necessary propositions as all-time truth. BAUSANI, Alessandro, “Modernismo e «eresie» nell’Islam contemporaneo. Sviluppi recenti e tendenze modernistiche nelle regioni asiatiche”. Atti del Convegno organizzato dalla Società italiana di Storia delle Religioni e dall’Istituto Universitario Orientale di Napoli (7 – 8 aprile 1973), Supplemento n. 2 agli Annali vol. 35 (1975)/1, pp. 9-23. 178 VINCENZA GRASSI

The author focuses on the application of the term “Modernism” in contemporary Islamic thought up to the Fifties. BELLANI, Roberto, “Lo stato islamico: postulati fondamentali di Abū l-A‘lā l-Mawdūdī”, AION 42/4 (1982), pp. 593-603. The ideology of the Pakistani islamist Abū l-A‘lā l-Mawdūdī (1903, Aurangabad, India – 1979 Pakistan). BEYENE, Jacob, “Cristianesimo e Islam in Etiopia”, SM 25 (1993–97), pp. 81-97. A overview on the relationship between Christians and Muslims since the advent of Islam in Ethiopia. BUDELLI, Rosanna, “La condizione della donna nella dottrina ḥambalita. Gli Aḥkām al-nisā’ di Abū al-Farāğ Ibn al-Ğawzī (m. 597/1200)”, AION 56/3 (1996), pp. 334-353. Leader of the Ḥambali School of Muslim jurisprudence, Jawzī was a faqīh and traditionist, author of this collection of traditions related to women having the aim of pointing out the right behavior of Muslim women. With the advent of Islam, women conquered some rights such as the administration of the personal patrimony, the right to come into an inheritance and education. The argumentation used by the author shows Ḥambali yearning for putting into practice the ethic ideals of the Islamic Law. CALASSO, Giovanna, “Note su waswasa ‘sussurrare’ nel Corano e nei ḥadīt”, AION 33, n.s. 23/2 (1973), pp. 233-246. The word waswasa has a negative connotation both in meaning, since it consists of untruthful words instilling uncertainty, and in the form, because it is an indistinctive sound acting as a spell on men’s heart, that is the faculty allowing mankind to understand God’s signs. In this sense, it is a proof for mankind. Also the nafs/ instinct acts as an open door through which the devil reaches men, but this door could be blocked up by knowledge. In the ḥadīths the effects of the waswasa on man’s behavior, in his capacity as member of the Islamic community, is considered. CARUSO, Antonella, “Note di cosmologia islamica nel commento coranico di Fakhr al-Dīn al-Rāzī”, AION 47/1 (1987), pp. 15-37. The author comments al-Rāzī’s Tafṣīr al-kabīr dealing with Q. II, 22, a passage which clarifies the mufassir’s position in respect of the problem of the shape of the Earth. CELENTANO, Giuseppe, “Il trattatello di Ḥunain Ibn Isḥāq sulla profilassi e terapia dei denti (Qaul fī ḥifẓ al-asnān wa’stiṣlāḥihā)”, AION 35, n.s. 25/1 (1975), pp. 45-80. Text and translation of a treatise on teeth prophylaxis and cure by Ḥunayn Ibn Isḥāq al-‘Ibāḍī (192–260 H./808–873 A.D.), an author of medical works also translator of such works from Greek to Arabic and Syriac languages. A Survey of Arab-Islamic Studies... 179

The treatise is present in the Ẓāhiriyya Library in Damascus (ms. no. 4516) and P. Sbath reported a manuscript in Aleppo. It is not mentioned in Brockelmann’s GAL. IDEM, “Due scritti medici di Al-Kindī”, Supplemento n. 18 agli Annali vol. 39 (1979)/1, pp. 1-75 + 12 pls. Two unpublished texts by al-Kindī (d. 256/879) included in the ms. Ayasofya 4832 on Islamic medicine: the Kitāb al-bāh (Book on copulation) and the Risālah fī’l-luthġa (The Epistle on lisping). IDEM, “L’epistola di al-Kindī sulla sfera armillare”, Supplemento n. 33 agli Annali, vol. 42 (1982)/4, pp. 1-60 + 4 pls. The author proposes the text and the Italian translation of the Risāla fī dhāt al-ḥalaq by al-Kindī, one of the oldest Arabic text dealing with the astrolabe with rings, an astronomical instrument described also in Ptolemy’s Almagesto (V Book, I chapter). CHIAUZZI, Gioia, “La Trinità Colonialista (Al-Ṯālūṯ al-isti‘mārī): l’agenda islamica per l’anno solare 1367 [2000 d.C.] dalla morte del Profeta. – I”, SM 25 (1993–1997), pp. 165-203. The author comments the Islamic notebook of the year 1367/2000 A.D. edited by the Daʿwa in Tripoli as official organ of the Libyan Jamāhīriyya. The listed bibliography does not take into account an article on the Libyan Islamic notebook published by V. Grassi in Oriente Moderno, Anno III, N. 7-12 (Luglio–Dicembre 1984), pp. 215-219. CICERO, Francesca, “La struttura gerarchica della da‘wa ismailita nella Rāḥat al-‘aql di Ḥamīd al-Dīn al-Kirmānī”, SM n.s. 5 (2007), pp. 87-108. The Comfort of Reason is one of the most important texts produced for Ismā‘īlī propaganda. Aimed at explaining the whole reality, it was built up as a city with seven ramparts, each of them yielding to a pathway, using the mīzān al-diyāna (the balance of religion) method. The paper describes the ten-ranked hierarchy of the da‘wa at the times of al-Kirmānī contained in the ramparts V and VI, devoted to minerals and plants. CITRO, Maria, “L’avvento dell’Islam nella tradizione malese”, AION 54/4 (1994), pp. 497-518. The author surveys the literature concerning the theory of the Islamization of the Malay-Indonesian Archipelago. CONTU, Giuseppe, “Gli aspetti positivi e i limiti del laicismo di Salamah Mūsà”, Supplemento n. 24 agli Annali vol. 40 (1980)/3, pp. 1-123. The author investigates the cultural milieu in which the Islamic reformist Salamah Mūsà grew up and analyzes some political and social subjects which better clarify his thought. CORTESE, Delia, “Imāmat and Qiyāmat in the Ḥaft Bāb-e Bābā Sayyid-nā”, AION 46/3 (1986), pp. 403-417. 180 VINCENZA GRASSI

The anonymous work titled Ḥaft Bāb-i Bābā Sayyid-nā (ca. 1200) is one of the very few extant texts belonging to the Nizari Ismaili tradition of the pre-Mongol period. The treatise contains a detailed description of the so- called “proclamation of the Qiyāmat”, an event that took place in Alamut in 1164, which inaugurated the introduction of profound changes in the doctrines and practices of the Nizari Ismailis. The paper discusses the re- configuration of the roles of the imām and the qā’im as reflected in the text, within the context of broader Ismaili cosmological and escatological doctrines. COSLOVI, Franco, “Osservazioni sul ruolo di «Šāh Walīullāh Dihlawī» e «Šāh ‘Abd al-‘Azīz» nella «Naqšbandiyya» indiana”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 73-84. Between 1707 and 1858, India goes through a critical period during which the ṭarīqah Naqšbandiyya plays an important role in the cultural life of the country thanks to Shāh Walīullāh Dihlawī (1703–1762) and his son Shāh ‘Abd al-‘Azīz. The author throws new light on Shāh Walīullāh’s personality and thought, a central figure of the Indian Islamic modernist movement which stimulated national awareness. DEGEN, Rainer, “Ein weitere Handschrift von Ḥunain Ibn Isḥāqs Schrift über die Zahnheilkunde. (Qaul fī ḥifẓ al-asnān wa-l-lita wa- stiṣlāḥihā)”, AION 36, n.s. 26/2 (1976), pp. 236-243. A manuscript on teeth prophylaxis and cure by Ḥunayn Ibn Isḥāq al-‘Ibāḍī. The topic was investigated a year earlier by Celentano. IDEM, “Zum Diabetestraktat des ‘Abd al-Laṭīf al-Baġdādī”, AION 37, n.s. 27/4 (1977), pp. 455-462. The author focuses on a small Arab medical treatise on diabetes by Muwaffaq al-Dīn ‘Abd al-Laṭīf ibn Yūsuf al-Baġdādī (557/1162-629/1231) and analyzes the sources of his quotations. DE STEFANI, Claudio, “Note testuali ai libri I-IV delle Anatomicae Administrationes di Galeno”, AION 57/1-2 (1997), pp. 282-290. Some critical notes on the thirty-two passages of Galen’s Anatomicae Administrationes (Books I-IV) regarding the original Greek text and its Arabic translation by Ḥubaysh (9th c.) FRANCESCA, Ersilia, “L’elemosina rituale secondo gli Ibāḍiti”, SM 19 (1987), pp. 1-64. The author analyzes the section concerned with the zakāh of the Kitāb al- waḍʿ fī’l-furū‘ by al-Jannāwunī (first half of 6th/12th c.) and gives the Italian translation. ĞĀMĪ, Nuruddīn ‘Abdurraḥmān, “La perla magnifica (ad-Durrat al-Fāḫirah)”, translation, introduction and notes by Martino Mario Moreno, edited by A Survey of Arab-Islamic Studies... 181

Alberto Ventura. Supplemento n. 27 agli Annali vol. 41(1981)/2, pp. III-IV, 1-59. Al-Durrat al-Fākhira is a treatise on the doctrine of waḥdat al-wujūd (the unit of creation) or Sufi monism as exposed by the Spanish mystic thinker Ibn ‘Arabi. Alberto Ventura found in the library of the University of Rome an Italian translation of the work made by Martino Mario Moreno in the mid-40s and presents an annotated edition of the typescript. GAROFALO, Ivan, “Addendum all’edizione delle «Anatomicae Administrationes» di Galeno: il codice arabo 4914 della Danishgāh di Teheran”, AION 42/2 (1989), pp. 149-153. Notes about the Arabic translation of the Anatomicae Administrationes by Galeno published by the author in 1986, in the light of the Arabic manuscript no. 4914 in the Danishgāh Library in Teheran, Iran (fols. 345v-439v). GORI, Alessandro, “Esegesi testuale e polemica religiosa in Etiopia: il Versetto della luce nell’Anqäşä Amin e nella Silloge di Šäh Zäkkarəyas”, AION 53/4 1993, pp. 353-374. In Ethiopia, Christianity and Islam produced very little apologetic literature, with few exceptions such as the 16th century-work Anqäşä Amin (The Door of the faith), written by a Yamani convert, which was published in 1969 by E.J. van Donzel and the ms. EMML 1148 of the vision of Šäh Zäkkarəyas, a work originally written in Arabic by a Muslim learned man from Ethiopia who converted to Christian faith. The author focuses on the controversy over the Qur’anic verse of Light. LO JACONO, Claudio, “On the Prohibition of Fermented Drinks in Islam”, SM 26 (1998–2002), pp. 133-145. After listing different types of fermented drinks in use in pre-Islamic times and describing the practice of maysir, the author interprets the prohibition of alcoholic drinks in an anti-Christian perspective, rooted in the association of wine with the dogma of transubstantiation, and as part of a broader refusal of all practices performed in pagan Arabia. MAIELLO, Amedeo, “Mo’min and the Mujāhidīn Movement”, AION 45/4 (1985), pp. 641-659. Taking his cue from certain poems that Mo’min wrote around the figure of Sayyid Aḥmad Shahīd, Maiello traces the influence of the Mujāhidīn Movement, in the intellectual life of Dehli in the first half of the 19th century. IDEM, “Sir Sayyid Ahmad Khan and the Christian Challenge”, AION 36, n.s. 26/1 (1976), pp. 85-102. The paper traces the efforts of Sir Sayyid Aḥmad Khān to protect Islamic Holy texts from the attacks of missionaries and orientalists such as Muir during the second half of the 19th century. 182 VINCENZA GRASSI

IDEM, “The Social Ideas of Sir Sayyid Aḥmad Khān”, AION 37, n.s. 27/1 (1977), pp. 37-53. The study focuses on the work of Sir Sayyid Aḥmad Khān in introducing a modernist interpretation of Islam as basis of new social practices, in the second half of the 19th century. NOJA, Sergio, “Il «Kitāb al-Kāfī» dei Samaritani – IV”, AION 30, n.s. 20/2 (1970), pp. 167-207; V, Ibid., fasc. 4 (1970), pp. 447-481. Samaritans are a small minority settled in Nablus at the feet of Mount Jerizim, in the last phase they used Arabic for literary purposes. The author examines Yūsuf ibn Salāmah al-‘Askarī’s juridical text, dated early 11th century, in which many biblical quotations, sometimes in Aramaic, appear. This is the fourth part of the study published in the same journal, nos. 18 and 19. IDEM, “Les chevaux ailés de ‘Āišah- Dieu soit satisfait avec elle- et les banāt”, AION 43/1 (1983), pp. 33-42. The author concentrates on some ḥadīths referred to ‘Ā’isha in which occur the images of winged horses or sphinxes and “banāt”. The interpretation of this word as “dolls” or “feminine statuettes” called God’s daughters is discussed. ORAZGOZEL, Machaeva, “Il Tarvīḥ al-arvāḥ di Tāj ad-Dīn Aḥmedī. Un trattato in versi di medicina ottomana nel Fondo Marsigli della Biblioteca Universitaria di Bologna”, AION 55 (1995), pp. 96-108 + 1 pl. Luigi Ferdinando Marsigli (1658–1730) a famous Bolognese polygraph left a rich collection of Oriental manuscripts to the Library of the University of Bologna. The author illustrates an Ottoman medical treatise in verse by Tāj al-Dīn Aḥmedī: ms 3583 dated 1412–1414 A.D. in shikaste handwriting, which is the oldest Turkish manuscript ever studied. As we know from the colophon, the acephalous manuscript was copied at Qawāq, a village of Iranian Azerbaijān. PELLITTERI, Antonino, “Riforma dell’Islam e rinascita araba nel pensiero e nell’opera di Muḥammad Kurd ‘Alī (1876–1953)”, AION 44/2 (1984), pp. 219-257. Bio-bibliographical notes on Muḥammad Kurd ‘Alī, one of the main Syrian thinkers of the Nahḍa period (19th–20th c.). Great emphasis has been placed on his political thought concerning Nationalism and Panarabism. SAMIR, Khalil, “Le Commentaire de Ṭabarī sur Coran 2/62 et la question du salut des non-musulmane”, AION 40, n.s. 30/4 (1980), pp. 555-617. The paper, focusing on the verse 62 of the Sura of the Cow, discusses the Commentary of the Qur’an by Ṭabarī (Jāmi‘ al-bayān fī ta’wīl al-Qur’ān) on it. This verse is particularly important because points out the relation between Islam and the other revealed religions. A Survey of Arab-Islamic Studies... 183

SCARCIA AMORETTI, Biancamaria, “Un passo dei Mağālis al-mu’minīn sullo sciismo di Kāšān agli inizi del secolo XVI”, AION 30, n.s. 20/2 (1970), pp. 263-268. The author deals with an excerpt of the Majālis al-mu’minīn to illustrate the role of mediation performed uninterruptedly by the Shafi‘ī school in favour of the ruling class towards the Twelvers in Iran. The transition from Sunni to Shī‘i Islam in Iran at the beginning of Safavid dynasty is connected with the adoption of a madhhab for the administration of everyday legal actions. The choice of the method of the istiṣḥāb in law practice allowed the transition without jerks of the population from to the Safavid Shī‘a. EADEM, “Sur le fanatisme dans l’Islam primitif”, AION 34, n.s. 24/1 (1974), pp. 90-102. The author focuses on the definition of extremism in the first two centuries of the Hijrah as a starting point to understand the reasons of the failure of the dialogue between East and West in the Middle Ages, which gives way to a new phase based on the economical and political control on the Islamic World having as starting point the battle of Lepanto (1571). EADEM, “ Ricognizioni islamiche 1973 nell’Iran meridionale”, AION 35, n.s. 25/3 (1975), pp. 347-357. The article is a prosecution of the research published in AION 1970 investigating the role played by the Shafi‘ī School toward the Twelvers Shī‘is in Pre-Safavid Iran. In the Lāristān the Sunni and Ğa‘farī Schools are balanced except for Khonj. A survey of its archeological remains allows ascertaining the importance of the Sufi ṭarīqas in the village. A second part of the article deals with Eṣṭahbānāt, a village in Fārs rich in water springs and develops the issue of the islamization of the myth about water and the search for eternal life. SCATTOLIN, Giuseppe, “The realization of ‘Self’ (anā) in Islamic Mysticism: ‘Umar ibn al-Fāriḍ (576/1181–632/1235)”, AION 56/1 (1996), pp. 14-32. After having clarified the centrality of tawḥīd in Sufi speculation and its realization by the “Perfect Man”, a universal religious archetype expressed in different ways and models in many religions and cultures in pre- Islamic times, the author points out how this Middle Eastern religious and philosophical heritage entered into Islam through the Shī‘i movement and the development of the idea of al-insān al-kāmil in the Sufism. Having stated these preliminary remarks, Scattolin tries to unravel which kind of mystical union is the one described in ‘Umar ibn al-Fāriḍ’s ode called Naẓm al-Sulūk (The Order of the Way), better known as al-Tā’iyyat al-kubrà. The mystical experience is articulated in the poem according three stages 184 VINCENZA GRASSI

following one another in a movement expressing the poet’s journey in the discovery of the true identity of his own self. SERRA, Luigi, “Gli uomini piu venerati dai Berberi ibāḍiti di Zuāra (Tripolitania)”, SM 4 (1971), pp. 65-75. The author speaks about Ibadi Berbers living in Zuwara, Libya, underscoring the special features Islam acquired in Africa especially in relation to the cult of saints. A list of holy people whose burials are destinations for pilgrims is given. STRAFACE, Antonella, “Testimonianze pitagoriche alla luce di una filosofia profetica: la numerologia pitagorica degli Iḫwān al-Ṣafā’”, AION 47/3 (1987), pp. 225-241. The recovery of Pythagoreanism in the land of Islam is in some ways linked to the role philosophy took in a religious theory developed mainly by the Shī‘a. According to it, the role of falsafa was the purification of man’s soul, in conformity with the teaching of Pythagorean-Socratic philosophers and unlike what professed by Aristotelians. Another advantage offered by Pythagoreanism was that, besides ensuring the soteriological end, could justify the emanationist theory of Neoplatonic memory on cosmological level. This suited better than any other solutions, God’s absolute transcendence. Ikhwān al-Ṣafā’ adopted Pythagorean numerology, according to which all numbers derived from number one, to develop the cosmological process of the emanation of all beings from God. The study is based on the analysis of some excerpts of Ikhwān al-Ṣafā’’s Epistles XXXII and XXXIII dealing with the “intelligible principles”. EADEM, “Il concetto di estremismo nell’eresiografia islamica”, AION 56/4 (1996), pp. 471-487. Assuming that Islam envisages difference in opinion, the study considers whether and when the connotation of ghulūw (extremism) could be applied. Such judgment is one of the most delicate points in Islamic religious thought in consideration of the dogmatic and political implications it entails. The major heresiographical works referred to groups labeled as extremist, dating 3rd-4th A.H century, have been analyzed. EADEM, “La taqiyya nell’Islam: valenze e connotazioni”, SM 26 (1998- 2002), pp. 211-223. It is generally presumed that the taqiyya – dissimulation of religious beliefs in dangerous circumstances which may also involve the duty of keeping the doctrine secret – is the exclusive prerogative of Shiite groups. Straface demonstrates that, as its practice is provided for in the Holy Qur’an, it concerned also other Muslim religious branches, including Sunnis. She monitors the effective practice of taqiyya by the different religious groups, emphasizing the possible differences in meaning that it took among them. A Survey of Arab-Islamic Studies... 185

TARDIEU, Michel, “Al-Ḥikma wa-l-‘ilm dans une citation de Mani chez al- Birūnī”, AION 41/3 (1981), pp. 477-481. Al-Birūnī quotes a fragment of the Shābuhragān by Mani in his al-Āthār al-bāqiya. According Sachau (1878) the quoting contains the expression al- ḥikma wa al-a‘māl (the wisdom and the works), which Tardieu corrects in al-ḥikma wa al-‘ilm (the wisdom and the knowledge). The author explains the reason for its amendment, the meaning of the formula and its sources. TOTTOLI, Roberto, “Il bastone di Mosè mutato in serpente nell’esegesi e nelle tradizioni islamiche”, AION 51/3 (1991), pp. 225-243; Part II ibid. 51/4 (1991), pp. 383-394. The rod of Moses is a topic extensively dealt with in the Qur’an and Islamic traditions; the author focuses on an episode according to which it was transformed in a snake. This topic was echoed also in Arabic folk-tales and magic. IDEM, “A proposito di un recente studio su Adamo nell’Islam”, AION 55/4 (1995), pp. 437-445. Adam occupies a more relevant place in Islamic religious literature than in the Jewish-Christian traditions. The author analyzes a monograph by Cornelia Schöck titled Adam in Islam, Berlin 1993. VECCIA VAGLIERI, Laura, CELENTANO, Giuseppe, “Trois Épȋtres d’al- Kindī: (Textes et traductions)”, AION 34, n.s. 24/4 (1974), pp. 523-562 + 19 pls. Edition of three manuscripts, which are included in the miscellaneous volume no. 48, present in the library of Paul Sbath (d. 1945), a Syrian priest from Aleppo, then passed to the Vatican Library. The study proved they are some of al-Kindī’s epistles. VENTURA, Alberto, “Natura e funzioni dei pensieri secondo l’esoterismo islamico”, AION 46/3 (1986), pp. 391-402. The Sufi practice of dhikr is considered useless without meditation (ta’ammul) and concentration (murāqaba). The author focuses on the teaching which concerns thoughts (khawāṭir), as the knowledge of the motions of the mind (ḥarakāt) allows the ability to reach stillness (sukūn) so that the mind can focus on one point. ZILIO-GRANDI, Ida, “‘Abd al-Raḥmān al-Ta‘ālibī, patrono di Algeri e la sua visione del Profeta”, SM 21 (1989), pp. 125-142. The study focuses on the patron saint of Algiers, ‘Abd al-Raḥmān al-Ta‘ālibī (786–875/1384–1470), a learned man, follower of Māliki School, who was also a prolific author of works dealing with Islamic sciences. The tradition attributes to him the experience of a vision articulated in four nights during which he slept in the mosque of Abū Sufyān at the end of rabī‘ al-awwal 871/1466. The fourth night the saint man has the actual ruʾya al-nabī who 186 VINCENZA GRASSI

entrusts al-Ta‘ālibī with a message for the Islamic community. The text of the vision is reported in the Italian translation. EADEM, “Il libro di Giobbe nella Guida dei perplessi di Maimonide: cinque teorie sulla sofferenza del giusto”, SM 25 (1993–1997), pp. 413-424. Within the Maimonidean studies, the author deals with the Dalālat al- ḥā’irīn (the Guide for perplexed people) and, in particular, with a long passage referring to Job and his suffering, in which Mūsà ibn Maymūn expounds five theories on the suffering of the righteous man. ZONTA, Mauro, “Fonti greche e orientali dell’economia di Bar-Hebraeus nell’opera La crema della scienza”, Supplemento n. 70 agli Annali vol. 52 (1992)/1, pp. 1-135. The only Syriac work dealing with economy interpreted as “science of home management” is the encyclopedic work titled Ḥewāt Ḥekmtā (the Cream of Science) by the bishop Abū’l Faraj Ġrīġūriyūs Ibn al-‘Ibrī, known in the West with the name of Bar-Hebraeus (1225–6/1286). The paper examines the structures, the genre and above all the sources of this work underlining the use of works and doctrines of Greek and Islamic origins which Bar- Hebraeus took in order to enrich Syriac culture with philosophical and scientific literature. IDEM, “Linee del pensiero islamico nella storia della filosofia ebraica medievale”, AION 57/1 (1997), pp. 101-144; Part II ibid. 57/3-4 (1997), pp. 450-483. The history of Jewish thought has been considered up to present time within its own philosophical and religious milieu without the necessary thorough analysis of the contributions from other environments and especially from the twin Islamic philosophy. The author tries to make up for this lack, investigating the presence and development of different trends in medieval Islamic philosophy within the Jewish thought and their mutual interweaving: al-Kindī’s and the Brethren of Purity’s Neo-Platonism, the Aristotelianism of Avicenna and Averroes as well as al-Ġazālī’s and his followers’ philosophy. He also points out that on one hand the medieval Jewish thought can be better understood in the light of Islamic precedents and on the other hand it is essential to study the medieval Hebrew philosophical literature, flourished in the 13th-15th centuries, for those who are interested in Islamic philosophical doctrines, as most of Arabic sources are lost or unavailable.

Law

CILARDO, Agostino, “Ricerche sul lessico arabo. Terminologia giuridica: termini relativi al diritto successorio in Egitto”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 7-44. A Survey of Arab-Islamic Studies... 187

The article lists the terms related to Islamic inheritance jurisprudence that the author has found in the primary sources of all the madhhabs (Schools of law) and in the laws in force in the Islamic countries. IDEM, “Un antico documento di diritto musulmano”, AION 42/1 (1982), pp. 103-126. The study deals with one of the five treatises on the Islamic law of Inheritance, titled Risālat al-Farā’iḍ, included in the Arabic Codex n. 1960 i.e. al-Majmu‘a in the Oriental Public Library at Bankipore. This manuscript has been incorrectly attributed to Abū Ḥanīfah, but the author dates it second century of the Hejira, a period in which rigorist doctrines were not the exclusive feature of Shī‘ī jurisprudence. IDEM, “Studies on the Islamic Law of Inheritance”, Supplemento n. 63 agli Annali vol. 50 (1990)/2, pp. 1-63. The volume includes three studies. The first one at p. 1-32 deals with the position of the grandfather when he is in concurrence with german – or consanguine brothers, one of the most controversial cases in Islamic Law of Inheritance. The author takes in account the sources in the Sunnī, Ẓāhirī, Ibāḍī and Shī‘ī schools to outline the origin of the different doctrines and justify their stand. The second article, p. 33-41, is the text of the lecture read at the 14th Congress of the UEAI in Budapest (1988): the Islamic law of Inheritance has combined the ancient pre-Islamic agnatic system with the Koranic rules. In this respect it is interesting to compare the position of agnate relatives with legitimate or forced heirs as the Qur’an formulates a superimposed theory according to which some shares of the inheritance are allocated to certain categories of relatives against the exclusive right of males to inherit. The last article, p. 43-57, focuses on the position of the slave as being a property of his master he cannot possess anything and consequently he cannot bequeath. Differently from pre-Islamic times, the master can inherit from his mawlà (freedman) in quality of agnate relative. The historical development of this doctrine has been analyzed according to Sunnī and non-Sunnī schools of Islamic Law. KRÜGER, Hilmar, “An Introduction to Commercial Law in the States of the Arab Peninsula”, SM n.s. 1 (2003), pp. 137-165. Islamic Law does not commonly affect commercial codes which have been promulgated by the majority of the states of the Arabian Peninsula, with the exception of Saudi Arabia. The Gulf States generally follow internationally accepted commercial and banking practices and law courts tend to protect local traders, especially commercial agents and distributors. SCARCIA AMORETTI, Biancamaria, “Some observations on the evolution of the concept of private property in the Muslim world: methodological notes”, AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 429-436. 188 VINCENZA GRASSI

The study aims at drawing up a theoretical summary of the definitions for the concept of private property, seen in a Marxist phenomenological perspective.

Linguistics, Arabic Language and Dialectology

BALDI, Sergio, “A First Ethnolinguistic Comparison of Arabic Loanwords Common to Hausa and Swahili”, Supplemento n. 57 agli Annali vol. 48 (1988)/4, pp. 1-83. The paper is the first attempt to study ethnolinguistically the common Arabic loanwords in two African languages: Hausa and Swahili. The single loanwords have been arranged according to the Arabic root order. IDEM, “Some Additional Remarks on Arabic Loan Words in Hausa”, AION 51/1 (1991), pp. 82-96. The paper is intended to add some remarks to J. H. Greenberg’s article on Arabic loan-words in Hausa (1947), analyzing some standpoints not fully estimated by that scholar. IDEM, “On Arabic loans in Kanuri”, SM 25 (1993–1997), pp. 45-57. The paper deals with Kanuri an African language that the author supposes to be the intermediary link for the loaning of Arabic words into Hausa language. In the first part of the article Baldi shows that Arabic loanwords in Kanuri present the loss of consonants or vowels, while in the second one he lists 149 Arabic loanwords found in Kanuri dictionaries. IDEM, “On Arabic Loans in Fulfulde”, AION 56/3 (1996), pp. 388-406. The Fulani adopted Islam at an unknown date probably as a result of their contact with Mali Empire. The author lists some Arabic loans that are not recorded in dictionaries or partly recorded. IDEM, “On Arabic Loans in Wolof: Addenda”, SM n.s. 1 (2003), pp. 1-22. A phonetic study of Arabic Loans in Wolof, a West African language spoken in Senegal, Gambia and Mauritania. IDEM, “Arabic Loans in Bidiya”, SM n.s. 2 (2004), pp. 71-87. The Bidiya is a Chadic language of the Eastern branch, Northern sub- group. It is heavily influenced by Arabic as most of its speakers travel to the Soudan where the 50% of the Bidiya population live and, moreover, the use of Arabic is considered a status symbol. The author examines 208 Arabic loans and supposes the way they entered in Bidiya language. IDEM, “Les emprunts berbères, surtout d’origine arabe, dans les langues de l’Afrique Occidentale”, SM 3 (2005), pp. 103-118. After considering the complex linguistic situation in West Africa, the author demonstrates that many Arabic loans have been diffused through Berber, A Survey of Arab-Islamic Studies... 189

which had borrowed them in a previous phase. The origin of some words considered Arabic loans is clarified. BAUSI, Alessandro, “Some short remarks on the Canon Tables in Ethiopic manuscripts”, SM 26 (1998–2002), pp. 45-67. The author discusses the iconography of the Canon Tables of the Ethiopian Gospels, and in particular that of Abbā Garimā, as source of information on the roots of the Late Antique Aksumite civilization. The article includes some Arabic loanwords in Ethiopian Semitic. BURRINI, Gabrieli, “Profilo storico degli studi sul camito-semitico”, AION 38, n.s. 28/2 (1978), part 1, pp. 113-153, ib. 39, n.s. 29/3 (1979), part 2, pp. 351-384. An historical outline on the 19th century linguistic studies on the Hamitic and Semitic languages. BUSI, Giulio, “Materiali per una storia della filologia e dell’esegesi ebraica. Abū’l-Walīd Marwān ibn Ğanāḥ”, AION 46/2 (1986), pp. 167-195. The Jew grammarian Abū’l-Walīd Marwān ibn Janāḥ was born in Cordoba or Lucena at the end of 10th c. and died in Zaragoza in the middle of 11th century. His works represent the best output of Spanish school flourished in Spain, that is why Busi analyzes his masterpiece, Kitāb al-tanqīḥ (the Book of detailed research [about language]) to trace the history of the Hebrew and Hebrew-Arabic philology and exegesis in medieval Spain. CANOVA, Giovanni, “L’origine del nome Ifriqīya: analisi delle fonti arabe”, SM n.s. 4 (2006), pp. 181-195. From the survey of Arabic sources comes out that the majority of Arab- Berber learned men ascribe the name Ifriqīya to a mythical Yamani conqueror of North Africa named Ifrīqīs. His heroic exploits have been transmitted in the Akhbār by ‘Abīd b. Sharya and the well known Qaṣīda ḥimyariyya, but there is no evidence that proves them. It may well be the case that the hero was named after the place name Ifriqīya. CIFOLETTI, Guido, “Il dialetto arabo parlato dalla «Zìngana» del Giancarli”, AION 34, n.s. 24/3 (1974), pp. 457-464. The study supplements G.P. Pellegrini’s works dealing with “Zingana” comedy by Gigio Armenio Giancarli, a 16th century-writer and painter from Rovigo, Veneto. The main character, the zingana that is a gipsy, speaks in a mispronounced Venetian dialect, which intermingles with some cues in Eastern Arabic that are promptly translated. IDEM, “La terminologia della pesca a el-Ghardaqa (Egitto)”, AION 42/4 (1982), pp. 561-591 + 8 pls. The author collects the Arabic terms connected with fishing in el-Ghardaqah on the Red Sea coast, Egypt, on the basis of the questionnaire worked out by Giovanni Oman. 190 VINCENZA GRASSI

EBIED, Rifaat Y., YOUNG M.J.L., “A Collection of Arabic Proverbs from Mosul”, AION 36, n.s. 26/3 (1976), pp. 317-350. The authors edited a list of Arabic proverbs – listed under the heading Amthāl al-ʿArab (fols. 218a-224b) – contained in ms. Syriac no. 7, which was completed in the city of Mosul in 1303/1889. The manuscript was part of the collection of Sir E. A. Wallis Budge and is preserved in the library of the Department of Semitic Studies in the University of Leeds. The proverbs are in Middle-Arabic with occasional features of colloquial language typical of Christian writers. GRASSI, Vincenza, “Inchiesta sulla terminologia marinaresca in uso nelle acque del Nilo in (Khartum e Gebel Aulia)”, Part I, AION 55/3 (1995), pp. 269-295; Part II, ibid. 56/1 (1996), pp. 33-51. The article, dealing with Sudanese Arabic inland navigation words, follows Giovanni Oman’s questionnaire (1971) based on the Linguistic Atlas of the Mediterranean Sea (ALM). The enquiry has been carried out in the area located below the sixth cataract, and exactly at and Jebel Awliyā’, a village located on the White Nile 47 km away from the capital city. Each entry is given in Italian, French and English with the ALM corresponding number. Sudan Arabic is given in Arabic characters and in transcription; concordance or divergence of each Arabic term with those given in Hillelson’s and ʿAwn al-Sharīf Qāsim’s dictionaries have been pointed out. Part II consists in the two indexes in the European languages and in Arabic. GUARDI, Jolanda, “Pour un usage non sexiste de la langue arabe”, SM 6 (2008), pp. 111-124. Basing on the methodological frame outlined by Luce IRIGARAY in her studies about sex and language, the author analyzes the use of feminine in Arabic and its perception by both Arab scholars in the classical period and Western ones, the results underscore that the feminine mark is chosen for reasons that lie outside the linguistic system. HAYWARD, Richard J., “The Stative Conjugation in ‘Afar”, AION 38, n.s. 28/1 (1978), 1-39. The author examines the stative conjugation in a language spoken in north- eastern Africa, on the basis of material collected during a field-trip to Assaita in Wollo Province in the spring 1972. LAINO, Gabriella, “Antroponimia araba in Tunisia”, SM 17 (1985), pp. 103-173, ibid. 18 (1986), pp. 91-138. A study on personal names based on the perusal of the Annuaire Officiel des Abonnés au Téléphone 1982 of Tunis and the surroundings (Zone 01). The author couples each name with the frequency rate and the percentage on the total name. An annotated bibliography follows at the end. A Survey of Arab-Islamic Studies... 191

LENTIN, Jérôme, “Des ‘labiovélaires’ en arabe?”, SM 6 (2008), pp. 161-181. The possible existence of labiovelars in Hamito-Semitic languages has long been discussed, as to Arabic, phonetic realization of (post-) palatal consonants, with a labial appendix, have been documented for some dialects such as Moroccan, but the problem did not arouse great interest among scholars. A systematic examination of Arabic lexicons reveals alternations between (post-) palatals and labials. The paper discusses such alternations as a first step to demonstrate the existence of labiovelar series in Semitic and Hamito-Semitic languages. MANFREDI, Stefano, “Counter-assertive focus in Kordofanian Baggara Arabic”, SM 6 (2008), pp. 183-194. The study, based mainly on a corpus of spontaneous recordings gathered among the Baggara nomads of Southern (), in the Sudan, describes the syntactic and the prosodic correlates of counter- assertive focus in this Central Sudanese dialect. MANGION, Giovanni, “A Bibliography of Maltese (1974–1984)”, SM 21 (1989), pp. 143-179. An annotated bibliography of Maltese, a dialect of Arabic language. OMAN, Giovanni, “Personal Names in the Regional Areas of the Sultanate of Oman: Materials for the Study of Arabic Anthroponymy”, AION 42/4 (1982), pp. 527-564. A third study on the personal names in Oman, following the 1980 article published in Oriente Moderno 60 and the 1981 paper in Cahiers d’onomastique arabe edited by CNRS, Paris. 17 regional areas have been examined, having as reference work the Telephone Directory of the Sultanate. IDEM, “Les noms propres arabes en Mauritanie”, SM 15 (1983), pp. 181- 207. A study on Arabic personal names based on the telephone directory dated 1981, having as result 430 Arabic names out of 1284. IDEM, “Materiali per lo studio dell’Ittionimia araba. Gli ittionimi nel «Libro di Ruggero» (XII sec.)”, SM 24 (1992), pp. 1-28. The author lists the Arabic fish names occurring in Idrīsī’s Nuzhat and identifies them, when possible. PENNACCHIETTI, Fabrizio A., “La classe degli aggettivi denotative nelle lingue semitiche e nelle lingue berbere”, AION 30, n.s. 20/3 (1970), pp. 285-294. The study analyzes the formation of denotative adjectives through the suffixes –īy, āy and –ān and the Arabic ones having aqtalu scheme. As for Berber language two parallel and complementary ways of expressing qualifying adjectives are discussed. 192 VINCENZA GRASSI

IDEM, “Appunti per una storia comparata dei sistemi preposizionali semitici”, AION 34, n.s. 24/2 (1974), pp. 161-208. The author traces a comparative history of Semitic preposition system on the basis of the studies carried out by Viggo Brøndal, Silvio Ceccato and Domenico Parisi. SERRA, Luigi, “Sopravvivenze lessicali arabe e berbere in un’area dell’Italia meridionale: la Basilicata”, Supplemento n. 37, vol. 43/4, 1983, pp. 1-63. Starting from the studies by G.B. Pellegrini e G. Rohlfs, Serra lists some Arabic and Berber loan words in Lucan dialect, pointing out the villages where they have been collected. STASOLLA, Maria Giovanna, “Bibliografia linguistica tunisina”, SM 7 (1975), pp. 55-93; ibid. 9 (1977), pp. 27-193; ibid. 10 (1978), pp. 73-273. A survey of Tunisian writings dealing with linguistic studies in the journals: Revue Tunisienne, Revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes e Cahiers de Tunisie. From their starting year, 1894, up to 1974. The study is part of the project for a linguistic bibliography of Arab-speaking countries and integrates the research on Basic Arabic Lexicon both promoted by Giovanni Oman. In the second part, the author introduces the research and lists the journals, proceedings of congresses and meetings, collective works, commemorative papers, acronyms and abbreviations together with a bibliographical index. In the third part, she gives an index of key-words and place names. TAINE-CHEIKH, Catherine, “À propos de l’expression de l’état en zénaga. Apophonie et sous-catégorisation verbale en berbère et en arabe”, SM 7 (2009), pp. 95-109. Until now in Zenaga Berber the formal distinction between a static and a dynamic form appeared limited to the cases in which an adjective was found. The author points out that state verbs (qualitative) characterized by a constant vocalism a-i/u there are three semantic sub-classes, as in literary Arabic. This offers a comparative perspective for the study of vocalic alternations and confirms the existence of a state vs. middle voice opposition in Berber as in Arabic. THAYER, J. Linda, “A Comparative-Historical Phonology of the Chari Languages (Nilo-Saharan Languages of Central Africa)”, Supplemento n. 9 agli ANNALI, vol. 36 (1976), pp. 1-153. The study investigates a group of languages spoken in the southern third of the Republic of , the northern edge of the Central African Republic and the southwestern area of the Sudan. Mostly Arab peoples are to be found immediately to the north and east of the Chari population, so that the language is in contact to the north with Chadic Arabic (or “Turku”) and Sudanese Arabic. A Survey of Arab-Islamic Studies... 193

TOSCO, Mauro, “Osservazioni sui sintagmi genitivali analitici e l’ordine di frase in arabo dialettale”, AION 44/3 (1984), pp. 407-440. A feature peculiar to modern Arabic dialects is “analytic genitive”, which acts through a genitive exponent placed before the modifier. The analytic genitive is paralleled in the structure of language with the synthetic iḍāfa construction, typical of Classical Arabic, and in some cases substitutes it. The author surveys the use of the analytical constructions in Arabic dialects proposing a hypothesis concerning their derivation and effect in the word order of the core sentence, as the jumlat fi‘liyya of Classical Arabic is transformed in jumlat ismiyya in the dialects. VALLARO, Michele, “Un mağhūl impersonale arabo con duplice accusativo?”, AION 44/2 (1984), pp. 207-217. The author discusses the disappearance of a lectio in the Sāmarrā’ī’s edition (f. 125 r, II. 12-13) of chapter 52 of the Kitāb az-zahra by Ibn Dāwūd al- Iṣfahānī (255/868-297/909), devoted to Umayyah ibn Abī ‘ṣ-Ṣalt’s praises in honor of the prophet Muhammad, paralleling it with the manuscript preserved in Turin. VALLARO, Michele, “Fra linguistica e glottodidattica: la traduzione della terminologia grammaticale araba. A proposito del mubtada’”, SM 25 (1993–1997), pp. 385- 402. The noun phrase and the role of mubtada’ in Arabic grammatical theory. ZACCAGNINI, Carlo, “Il fonema ẓ in arabo classico”, AION 33, n.s. 23/4 (1973), pp. 531-550. The author gives a definition of the phoneme, making a comparison between the roots in which /ẓ / occurs and those containing /ḍ/, in order to postulate the lack of autonomy of the phoneme /ẓ / in Classical Arabic.

Literature

ALI BEN MOHAMED, Alfonso, “Muḥammad al-‘Īd, poeta nazionale algerino”, SM 15 (1983), pp. 155-169. Muḥammad al-‘Īd (1904–1979), one of the best known exponents of the early 20th century Algerian reformist movement and secretary of the Association of Islamic Ulema in Algeria, in 1966 was awarded by the Union of Algerian Writers for his nationalist poems. The author gives the Italian translation of some excerpts of his poetical production. IDEM, “Nazhūn bint al-Qilā‘ī”, SM 18 (1986), pp. 61-68. A brief profile of a 12th century Andalusian poetess. IDEM, “Una precisazione riguardo ad Abū’l-Qāsim Ibn al-Barrāq, poeta andaluso”, SM 20 (1988), pp. 153-156. 194 VINCENZA GRASSI

The author corrects Garulo’s assumption that Abū ʿAbd Allāh Muḥammad ibn ‘Alī al-Hamdhānī (sic for Abū’l-Qāsim Muḥammad ibn ‘Alī al- Hamdānī) and Ibn al-Barrāq (1135–1200) were two distinct Andalusian poets [see Dīwān de las poetisas de al-Andalus, Madrid 1986, pp. 39-40], demonstrating that Ibn al-Barrāq was one of the kunyas with which the poet was known. AVINO, Maria, “La letteratura “orientale” europea vista dagli arabi”, SM 26 (1998–2002), pp. 3-19. In the 1920s and 1930s Arabic press, especially journals such as al-Muqtaṭaf and al-Mashriq, dedicated a series of articles to European writers and travelers concerned with the description of Oriental lifestyle and customs. Avino reports the Arab writers’ most significant judgments on Western image of the Orient. BALDISSERA, Eros, “Poesia dialettale nel siriano ‘Īsà Ayyūb”, AION 36, n.s. 26/4 (1976), pp. 457-472. Transliteration of the Syrian Arabic texts and the translation of some poems written in ‘āmmiyya from ‘Īsà Ayyūb’s collections Ôf (Oh!) and Leyš el- ġazal (Why love poetry?). IDEM, “Fu’ād aš-Šāyeb e la nascita del racconto siriano moderno”, AION 44/3 (1984), pp. 451-482. In 1944 Fu’ād al-Shāyeb, a Syrian writer born in 1911, publishes his collection of short stories titled Ta’rīkh jurkh. It is characterized by the unity of action and a style of Arabic language perfectly coherent and responding to the substance of the subject matter it deals with. This work marks the birth of a new literary genre: the modern Syrian short story. The Italian translation of four stories closes the study. BETTINI, Lidia, “Ricerca di una grammatica metrica nella poesia tunisina contemporanea”, SM 8 (1976), pp. 111-135. The article builds on the study about Arabic prosody by G. Weil (1958) and the controversy arose on the existence of ictus as fundamental element of the indivisible core (watid magmū‘) distinguishing the essential role of every foot. G. Bochas demonstrates its existence in a different way from what Weil does and applies the generative system (prosody grammar) of the classical versification to Western Arabic modern poetry, noting its substantial coincidence. The study consists in the application of Bochas’s prosody grammar to poetry samples as a demonstration of the coincidence between Western and Easter Arabic poetry. Bettini hopes that the application of this method could lead to assess the share of fidelity to the rules of poetry and the individual freedom in the production of each poet. EADEM, “Su un aspetto della “questione della lingua” in Egitto”, SM 25 (1993–1997), pp. 69-79. A Survey of Arab-Islamic Studies... 195

The problem of the modernization of Arabic language originated in the 19th century as one of the issues debated by the Egyptian reformist movement and developed up to present time. The study focuses on the simplification of the language. Given that the i‘rāb constitutes the main obstacle in learning how the Arabic language works, scholars have realized that its predominance was a device to which grammarians resorted in order to be the sole arbiters of what was to be accepted or not. The existence of Qur’anic readings is a proof supporting this argument which has been developed by Bettini. BIVONA, Rosalia, “Nina Bouraoui, uno spazio evolutivo della letteratura algerina di espressione francese”, SM 23 (1991), pp. 119-148. The article deals with a contemporary Algerian women writer in French language, who rejects the labeling of “Algerian” writer to be a writer tout court. EADEM, “Città algerine e voci sororali. Un’analisi spazio-vocale di Oran, langue morte di Assia Djebar”, SM 25 (1993–1997), pp. 99-126. The urban space as manifestation of a language in Assia Djebar’s Oran, langue morte (1997). EADEM, “Marcel Bénabou e le istanze golose dell’epopea familiare”, SM n.s. 1 (2003), pp. 23-46. The article concerns a French writer and historiographer born in Morocco, Marcel Bénabou, and his Jacob, Menahem et Mimoun, une épopée familial (1995). Dealing with Jews in Morocco and Jewish food laws, the writer emphasizes the role of food as a mean for understanding cultures, their rites and imagery, as well as the relationship between men and God through fasting and banqueting. BONEBAKKER, Seeger Adrianus, “Materials for the History of Arabic Rhetoric. From the Ḥilyat al-Muḥāḍara of Ḥātimī (mss. 2934 and 590 of the Qarawiyyīn Mosque in Fez)”, Supplemento n. 4 agli Annali vol. 35 (1975)/3, pp. I-XI, 1-104. The article is a sequel to a previous paper published in Uitgaven van het Nederlands Historisch-Archaeologisch Institut te Istanbul, 25 (1968) entitled “Notes on the Kitāb Naḍrat al-Ighrīḍ by Muẓaffar al-Ḥusaynī”, dealing with a seventh century work which borrowed some passage from the Ḥilyat. Mss 2934 and 590 of the Qarawiyyīn Mosque in Fez are scrutinized in order to collect the passages of the Ḥilyat dealing with early Arabic rhetoric (starting from the second-century philologists to Qudāma (d. after 320) and his contemporaries). IDEM, “A Fatimid Manual for Secretaries”, AION 37, n.s. 27/3 (1977), pp. 295-337. Qalqashandī (m. 821/1418) in both the Ṣubḥ al-A‘shā and the Ḍaw’ al- Ṣubḥ frequently quotes the Kitāb mawādd al-bayān by Abū’-Ḥasan ‘Alī b. 196 VINCENZA GRASSI

Khalaf b. ‘Alī b. ‘Abd al-Wahhāb. Here Bonebakker deals with the section on rhetoric survived in the ms. Fatih 4128 in Istanbul, which is incomplete. The contents of the manuscript were published previously by Abdel Hamid Saleh in Arabica 20/2, pp. 192-200. IDEM, “Ibn al-Muʿtazz and the Badīʿ: An Introduction”, AION 41/4 (1981), pp. 561-595. The article deals with the early history of Arabic rhetoric and in particular Ibn al-Mu‘tazz’s motivations for writing his Kitāb al-Badī‘. IDEM, “Sariqa and Formula: Three chapters from al- Ḥātimī’s Ḥilyat al- Muḥāḍara”, AION 46/3 (1986), pp. 367-389. The article is a contribution to the study of formulas in ancient Arabic poetry connected to the problem of authorship, based on the section on the sariqa from the Ḥilyat al-Muḥāḍara by Abū ‘Alī Muḥammad b. al-Ḥasan al- Ḥātimī (d. 388/998). BORRUSO, Andrea, “Su una antologia di poeti arabi siciliani medievali”, AION 48/1 (1988), pp. 63-70. The author finds faults with the poetical anthology on Arab poets from Sicily published by Francesca Maria Corrao titled Poeti arabi di Sicilia, Milano 1987, where the scholar submitted her translations to Italian poets in order to preserve the lyrical and rhythmical qualities of the poems. Borruso objects that the free rendering of the texts by Italian poets caused a straying from the original meaning of the verses. BRANCA, Paolo, “L’attualità della lezione di Ṭāhā Ḥusayn”, SM 25 (1993–1997), pp. 127-134. The author reports a passage referring to Abraham and Ishmael contained in the 1926 edition of Fī’l-adab al-jāhīlī which is omitted in the second edition. BUDELLI, Rosanna, “Lapsus calami (Taṣḥīfāt) e giochi linguistici nell’umorismo arabo medievale”, SM 25 (1993–1997), pp. 135-149. Misspellings and puns in Medieval Arabic literature. CANOVA, Giovanni, “«Muḥammad, l’ebreo e la gazzella». Canto di un maddāḥ egiziano”, AION 41/2 (1981), pp. 195-211. The author reports a popular religious song recorded in 1978 in Qenā, Upper Egypt, during a celebration of the circumcision. It refers one of the prophet Muḥammad’s miracles. IDEM, “«La capra e il ġūl». Una favola dell’Alto Egitto”, SM 25 (1993– 1997), pp. 151-164. An Egyptian fairy tale titled The goat and the ġūl, collected in Qenā. It represents the narrative type AaTh123. CASSARINO, Mirella, “Sinestesie e visioni oniriche nei racconti d’una scrittrice tunisina contemporanea”, SM 22 (1990), pp. 125-136. A Survey of Arab-Islamic Studies... 197

The article focuses on an avant-garde Tunisian woman writer belonging to the Seventies generation: ‘Arūsiyya al-Nālūtī (b. Jerba, 1950) and her collection of short stories titled Al-Bu‘d al-khāmis (The Fifth Dimension). CILARDO, Agostino, “Relazione del viaggio in Sicilia di Muḥammad ‘Abduh”, in SM 19 (1987), pp. 91-138. A pioneering work dealing with one of the most important travel reports in contemporary era: Muḥammad ‘Abduh’s travel to Sicily. CIRILLO, Paola, “Evliyâ Çelebî in Egitto: il viaggio da Rosetta al Cairo”, AION 53/1 (1993), pp. 1-34. Çelebī’s Seyaḥātnāme (The Travels’ Book), written in the second half of 17th century, is considered the most important prose work in Ottoman literature. It is the relation of the writer’s travels in the lands of the Ottoman Empire and can be considered a source for geographical, historical, archaeological, topographical data as well as for the institutions and lifestyle of the Ottoman Empire at that time. The author focuses on the excerpt (pp. 716-730) dealing with the travel from Rashīd to Cairo described in chapter 66. CORRAO, Francesca M., “La poesia di Maḥmūd Darwīš, la nostalgia della bellezza”, SM 26 (1998–2002), pp. 69-82. Although poetry for Darwīsh is closely linked to political commitment, in recent years his production has developed the theme of beauty which the poet recognizes in every aspects of life even when they are the most tragic ones and to which he attributes the power of evoking hope in the future. DI MEGLIO, Rita, “Lirica di un ambasciatore: Aḥmed ‘Abd el-Ğabbār”, AION 30, n.s. 20/4 (1970), pp. 511-526. The study consists in the biography of Aḥmed ‘Abd el-Jabbār, ambassador of Saudi Arabia in Italy in the mid-sixties, educated in Lebanon, and in the publication of his love poetry with an Italian translation. DUBLER, César E., “Al-Andalus en la Geografía de al-Idrīsī”, SM 20 (1988), pp. 113-151. The author gives a Spanish translation of the excerpts dealing with Spain and Portugal (first section of the fourth and fifth climates) published in volumes V (1975) and VII (1977) of the Opus geographicum, the critical edition of Idrisi’s Nuzhat edited by the Orientale. GANDJEÏ, Tourkhan, “The «Laṭāfat-nāma» di Khujandī”, AION 30, n.s. 20/3 (1970), pp. 345-368. Edition of a Turkish poem of the late 14th century or early 15th century with manuscript copies in Kabul, Istanbul and London. The Kabul manuscript is in Arabic but it has been transliterated from a copy in Uighur characters. The author establishes the text from the collection of the three manuscripts. 198 VINCENZA GRASSI

GHERSETTI, Antonella, “Il qāḍī al-Tanūḫī e il Kitāb al-farağ ba‘d al-šidda”, AION 51/1 (1991), pp. 33-51. Ghersetti analyses al-Tanūḫī’s Kitāb al-farağ ba‘d al-šidda (The Relief after the Misfortune), an Abbasid religious, edification work characterized by a rationalistic approach due to the adhesion to the Mutazila School. The author describes the criteria followed by the Arab writer to select the material from previous works, to enrich it with personal experiences and written and oral sources and finally arrange the whole according to the issues discussed. GIGNOUX, Philippe, “Les quatres regions administrative de l’Iran sasanide et la symbolique des nombres trios et quatre”, AION 44/4 (1984), pp. 555-572. In Sasanian Iran the Arabic and Persian literary sources document the division of the empire in four parts, the author demonstrates that such division belongs probably to a literary tradition referring to a mythological concept of space which interferes with effective geographical boundaries. GRASSI, Vincenza, “La Libia nel Nuzhat al-Muštāq fī Iḫtirāq al-Afāq di al- Idrīsī”, SM 22 (1990), pp. 37-57; “Commento alla traduzione”, ibid. 23 (1991), pp. 1-22. After a brief introduction on the history of Libya, the author translates into Italian excerpts of the second and third sections of the second climate as well as the second and third sections of the third climate of Idrīsī’s Nuzhat, dealing with itineraries through Libya. The second part consists in a commentary on Libyan place names present in the translation published in SM 22 (1990). IBRĀHĪM, Ḥamāda, “Le language du théâtre au Koweit”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 63-71. The author lists the linguistic borrowings and expressions of popular wisdoms present in the titles of pieces performed in Kuwaiti theaters. A list of important people belonging to the dramatic milieu follows. IDEM, “L’influence égyptienne sur le théâtre koweitien ”, AION 39, n.s. 29/2, (1979), pp. 225-237. The author stresses the cultural influence that Egypt exerted on Kuwait since the Nahḍa and especially the role that the Egyptian comedian Najīb al-Riḥānī played on the birth of Kuwaiti theatre. On this assumption, he outlines a survey of the contemporary trends. IGONETTI, Giuseppina, “Le citazioni del testo geografico di al-Idrīsī nel «Taqwīm al-buldān» di Abū’l-Fidā’”, SM 8 (1976), pp. 39-52. Following Chr. Romel (1802)’s assumption of the existence of a second geographical work by Idrīsī titled Fī’l mamālik wa’l masālīk, quoted by Abū’l-Fidā’ in his Taqwīm al-buldān, the author stresses that the excerpts A Survey of Arab-Islamic Studies... 199 attributed to Idrīsī are absent in his Nuzhat, so she gives reasons for that. The existence of Fī’l mamālik wa’l masālīk had been previously pointed out by Giovanni Oman in his study published in Folia Orientalia XII (1970), pp. 187-193. EADEM, “ ‘Abd al-Ḥamīd ibn Haddūqa: una voce nuova dell'Algeria”, SM 9 (1977), pp. 195 –209. A brief bibliography and biography of ‘Abd al-Ḥamīd ibn Haddūqa, an Algerian writer born in 1925, activist in the nationalist movement forced to immigrate to France for political reasons. Afterwards he moved to Tunis, where he started his career as journalist and writer. From 1962 he was back to Algeria. His production is very varied and includes prose, drama and poetry. At the end the author presents the Italian translation of the tale Al- Insān (The man). EADEM, “Zuhūr Wannīsī: prima scrittrice araba d’Algeria”, SM 12 (1980), pp. 247-260. After outlining the role of Arab women writers since they broke out on the literary scene, Igonetti focuses on Algerian production and particularly on Zouhour Wannīsī’s short story titled ‘Alà shāṭi’al-akhar (On The Other Bank), taken from the collection, published in 1974, having the same title. EADEM, “Un racconto di Marzāq Baqtāsh: «E l’azzurro, sempre...»”, SM 15 (1983), pp. 171-181. The Italian translation of the short story titled Wa’l-zurqa dā’iman, from the collection with the same title, by the Algerian writer Marzāq Baqtāsh (b. Alger 1945). EADEM, “Ahmed Taleb Ibrahimi: patriota e letterato algerino”, SM 17 (1985), pp. 97-102. Following to a meeting in Rome between the then Algerian Ministry of National Education and the Italian orientalists, the author offers Aḥmed Ṭāleb Ibrāhīmī’s biography, who was also a member of F.N.L., remembering his efforts in the struggles for the liberation of Algeria from French colonial power and his literary engagement for promoting the decolonization of Algerian culture. EADEM, “Religione e modernità nella letteratura algerina contemporanea”, SM 22 (1990), pp. 109-136. An outline of Algerian contemporary literary production, highlighting its specific features. EADEM, “L’autre dans l’œuvre poétique et romanesque de Hédi Bouraoui”, SM 24 (1992), pp. 101-124. The otherness in the literary production of Hédi Bouraoui, a contemporary Maghribi writer and poet who spent his life in France, the USA and Canada. 200 VINCENZA GRASSI

EADEM, “Funzioni feline nell’opera di Rachid Boudjedra”, SM 25 (1993– 1997), pp. 229-243. The cat and his presence-absence, as a character, in the works of Rachid Boudjedra. EADEM, “Versi infranti sulla riva sud del Mediterraneo”, SM 26 (1998– 2002), pp. 117-133. The Mediterranean Sea in the North African poetry as topos around which reality and imagination mingle and as a symbol for the meeting of East and West. EADEM, “Slim e Dilem: La matita nella piaga”, SM n.s. 1 (2003), pp. 47- 136. Igonetti studies the works of Slim and Dilem, two satirical cartoonists who “twist the pencil in the wound” to contribute to the emergence of a democratic culture and society in Algeria. LUSINI, Gianfrancesco, “Per il testo del Zēnā Eskender («Storia di Alessandro»). Il ms. Cerulli Et. 216 e lo stemma codicum”, SM 26 (1998–2002), pp. 146- 158. Lusini describes a manuscript of the History of Alexander preserved in the Vatican Library in Rome and reconstructs the scheme of derivation of the different manuscripts from a common text. This Ethiopic version of the Alexander Romance was based on a lost Arab-Islamic version of the text. KOCH, Yoel, “‘Izz al-Dīn ibn Shaddād and his Biography of Baybars”, AION 43/2 (1983), pp. 249-287. The article focuses on a little known chronicle about Baybars’ period completed after 677 H. The author, ‘Izz al-Dīn ibn Shaddād, was born in Aleppo in 613/1217. His chronicle is the bare description of events arranged in chronological order without the insertion of his interpretation. KISSLING, H.J., “Der Abschnitt «Anatolien» in Idrîsî’s Erdbeschreibung”, SM 12 (1980), pp. 127- 173. German translation and commentary of Idrīsī’s description of the fifth climate, dealing with Anatolian routes. MAKBOUL, Fathi, “Ricordo dell’amico ‘Īsà al-Nā‘ūrī poeta, scrittore ed italianista”, SM 26 (1998–2002), pp. 159-165. Maqbūl recollects the main events of the life and works of the Jordan poet ‘Īsà al-Nā‘ūrī (1918-1985), who devoted himself also to the study of Italian literature. The Italian translation of two poems, Anā (I) and Salām (Peace), closes the article. MARRA, Ornella, “Il concetto di scienza in Nağīb Maḥfūẓ”, SM 26 (1998–2002), pp. 169-174. The study investigates Maḥfūẓ’s belief in the prominent role of science for the progress of mankind and improvement of the living conditions. A Survey of Arab-Islamic Studies... 201

MONÉS, Hussain, “Description of Egypt by Idrīsī”, SM 16 (1984), pp. 1-54. English translation of the excerpts of Idrīsī’s Nuzhat dealing with Egypt (4th and 5th sections of the second climate, 4th section of the third climate). MONÉS, Hussain, “Commentary on the chapters on Egypt of Nuzhat al-mushtāq by al-Sharīf al-Idrīsī”, SM 18 (1986), pp. 13-60, following in SM 20 (1988), pp. 45-112. A commentary on the place names present in the translation published in SM 16 (1984). The second part consists of the place names occurring in the fifth section of the second climate. MONTANARO, Marina, “Fī ritā ḥanğarah: l’ultima raccolta poetica di Ḫālid Ğābir al-Ma‘ālī”, AION 51/4 (1991), pp. 359-381. The scholar studies Fī ritā ḥanğara (Lamentation for the vocal cords), a collection of poems of a contemporary Iraqi poet living since 1980 as a political refugee in Germany, where he founded and has been running the publishing house Manshūrāt al-Jamāl. For this collection of poems he won the Rolf Dieter Brinkmann scholarship, so Montanaro offers the Arabic text of some of these poems coupled with the Italian translation. OMAN, Giovanni, “Osservazioni sulle notizie biografiche comunemente diffuse sullo scrittore arabo al-Šarīf al-Idrīsī (VI–XII sec.)”, AION 30, n.s. 20/2 (1970), pp. 209-238. The author surveys the biographical data concerning Idrīsī that generally are uncritically accepted by the scholars, as follows: name, place and date of birth, place and date of death, the dates deduced from the Nuzhat, the foreword in the Roger’s Book, al-Ṣafadī as source for biographical data, Leo Africanus as source, autobiographical expressions present in the Nuzhat, travels, and works. Lastly conclusions are drawn on the data examined. IDEM, “Notizie bibliografiche sul geografo arabo al-Idrīsī (XII secolo) e sulle sue opere”, SM 22 (1990), pp. 9-36. An annotated bibliography concerning the biographical data and the geographical works with reference to the different countries examined. PAGNINI, Anna, “The Kitāb daf‘ al-hamm by Elia Archbishop of Nisibis, A Transparent style for a transparent thought”, SM 26 (1998–2002), pp. 175- 210. The author focuses on an 11th century sapiential text by the Iraqi Nestorian Archbishop Elias dealing with virtues and vices. The Book to drive away worries was addressed to the vizier Abū’l-Qāsim al-Ḥusayn Ibn ‘Alī al- Maġribī (981–1027) on his own demand. PELLAT, Charles, “La France dans la géographie d’al-Idrīsī”, SM 10 (1978), pp. 33-72. 202 VINCENZA GRASSI

The French translation of the first and second sections of the fifth and sixth climates with an index of the place names. PERCO, Daniela, “Note sulla narrativa di tradizione orale in Egitto”, SM 14 (1982), pp. 203-228. Results of a search carried out in the years 1978–1980 in the governorship of Qēna, Egypt, as part of a broader project for the collection of popular traditions of Upper Egypt, during which 200 documents consisting in fairy tales and narrations have been collected. It is a joint project of D. Perco and G. Canova. PETRICH, Morena, “L’antre-des-langues: entre corps et voix. Della francografia nell’opera di Assia Djebar”, SM n.s. 1 (2003), pp. 197-208. The practice of francophony in Assia Jabar’s works brings with it not only linguistic and cultural implications, but existential aspects too, involving the whole body of the writer. Every movement is originated by words, voices or their absence, their changing forms. The echoes (cries, whispers, sighs) arise from a cave, an eminently reflection antrum, situated in a thin, deep boundary line, a no man’s land, ready to receive each wandering woman. If the ditch – grave but above all a canal – does not allow the clear fluency of languages and bodies the issues will result hard and tragic. EADEM, “Ti salverò (rubandoti) con gli occhi. Morte e salvezza: la storia raccontata con gli occhi nelle opere di Maïssa Bey”, SM n.s. 5 (2007), pp. 177-179. The function of sight in the works of the Algerian writer in French, Maïssa Bey (b. 1950), and especially in her Entendex-vous dans les montagnes..., representing her interpretation of life. PIRONE, Bartolomeo, “Fedeltà e passionalità nella Trilogia di Nağīb Maḥfūẓ”, SM 26 (1998–2002), pp. 189-210. The author focuses on the wild emotional life of the characters in Maḥfūẓ’s Trilogy in comparison with the figure of Amīna, pious believer and faithful wife and mother. REBUFFAT, René, “Routes d’Égypte de la Libye intérieure”, SM 3 (1970), pp. 1-20 + 1 pl. The study analyzes the ancient and modern sources dealing with the route from Tripoli and Egypt toward Africa via Fezzān. RUBINACCI, Roberto, “La data della geografia di al-Idrīsī”, SM 3 (1970), pp. 73-77. The study discusses Pardo’s assumption that the Nuzhat was finished before King Roger II’s death based on the omitted mention of the town of Sploleto destroyed in July 1154, few months after the king’s death. The author demonstrates that the writing of the work started from the date that A Survey of Arab-Islamic Studies... 203

is generally considerate its completion and that the king’s death followed five or six weeks after it. IDEM, “More on the town of Bākhwān in Idrīsī’s Geography”, SM 9 (1977), pp. 17-25. The study rejects Pelliot’s identification of Bākhawān with Aq-su and Minorski’s connection with Bārmān and hypnotizes a misspelling for the toponym Toghuzghuz khāqān. IDEM, “Il codice leningradense della Geografia di al-Idrīsī”, AION 33, n.s. 23/4 (1973), pp. 551-560 + 4 pls. The article supplements the Eliminatio codicum e recensio della introduzione al “Libro di Ruggero” published by Rubinacci in SM, 1966, pp. 1-40, with the Arabic codex n.s. 176 in the National Library of Saint Petersburg, containing the section from the fourth to the seventh climate of Idrīsī’s Nuzhat. Plates III-IV show facsimiles of geographical maps. SORAVIA, Bruna, “Aspetti della letteratura arabo-andalusa nel regno di Badajoz all’epoca dei mulūk al-ṭawā’if”, SM 21 (1989), pp. 93-123. Soravia focuses on the literary production flourished in the 11th century at the court of the Afṭasids of Badajoz, a dynasty of the Andalusian Reyes de taifas. STRIKA, Vincenzo, “I madīḥ di Ğarīr per Hishām ibn ‘Abd al-Malik”, AION 40, n.s. 30/4 (1970), pp. 483-510. Biographical notes concerning Jarīr, the famous Umayyad panegyrist born in 33 H. in Yamāma, and four of his poems with Arabic text and Italian translation. IDEM, “Ideologia e madīḥ politico in Arabia Saudiana”, AION 39, n.s. 29/1 (1979), pp. 107-118. The author focuses on the encomiastic poetry supporting Wahhābī ideology in Saudi Arabia. IDEM, “Ḥasab ash-Shaykh Ğa‘far e il nuovo “internazionalismo” iracheno”, AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 191-223. Iraq played an important role in the development of poetry with the new school represented mainly by Nāzik al-Malā’ikah, Badr Shākir al-Sayyāb and ‘Abd al-Wahhāb al-Bayyātī. Ḥasab al-Shaykh Ja‘far, born in an Iraqi village near al-‘Imārah in 1942, is a young vanguard Iraqi poet, whose production in free verse is experimental and, although it echoes western contemporary poetry, it can be judged as a true national product. The author offers the Italian translation of twelve poems. IDEM, “Due raccolte di Muḥammad Khuḍayr”, AION 40, n.s. 30/1, pp. 139-145. An avant-garde Iraqi writer, born in 1940, influenced by existentialism. 204 VINCENZA GRASSI

IDEM, “Dhū’n-Nūn Ayyūb: un ‘classico’ arabo contemporaneo”, Supplemento n. 22 agli Annali vol. 40 (1980)/1, pp.1-95. The life and works of one of the most important Iraqi writer, born in the first decade of 20th century. The Italian translation of five short stories follows. IDEM, “Note bio-bibliografiche sulla narrativa irachena”, AION 40, n.s. 30/4, (1980), pp. 709-716. Bio-bibliographic data concerning a group of Iraqi novelists born in the first half of the 20th century. IDEM, “Il I volume dell’autobiografia di Dhū’n-Nūn Ayyūb”, AION 41, n.s. 31/3 (1981), pp. 501-511. Following to the monographic volume published as Supplemento n. 22/1 of AION 40, 1980, the author focuses on the first volume of Dhū’n-Nūn Ayyūb’s autobiography, published in 1980, which concerns the period from his birth to 1918. At-TILBANI, as-Sayyd (sic!) Abdallāh, “La poesia araba di al-Malik al-Kāmil al-Ḫalīl ibn Aḥmad al-Ayyūbī”, AION 30, n.s. 20/3 (1970), pp. 295-344. Persian and Turkish poetical works by the Ayyubid king al-Khalīl ibn Aḥmad (born in 1402), who reigned from 1432–33 to 1452. IDEM, “Il poeta umayyade Miskīn al-Darīmī”, AION 39, n.s. 29/2 (1979), pp. 179-189. The study focuses on an early Umayyad warrior poet, Rabī‘a ibn ‘Āmir (635-707-8), known with the laqab “miskīn”, and presents the extant Arabic texts of his production. TOTTOLI, Roberto, “Dell’aspetto fisico dei profeti in alcuni ritratti presso la corte bizantina secondo una tradizione musulmana”, SM 25 (1993–1997), pp. 375-383. The physical description of prophets is a subject extensively dealt with in Arab-Islamic literature; here the author reports the account concerning a diplomatic mission sent by the caliph Abū Bakr to the Byzantine Emperor Heraclius, who shows the Muslims some pictures of prophets, including Muḥammad. VALLARO, Michele, “Il manoscritto Or. 68 della Biblioteca Reale di Torino: l’unico testo completo del Kitāb az-zahrah di Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī”, AION 36, n.s. 26/1 (1976), pp. 69-84. The author presents the manuscript preserved in Turin, reconstructing his relation with the Cairine copy edited by Nykl. It is an early work of the faqīh and man of letters Muḥammad Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī (255/868-297- 909) from Baghdad, son and successor of Islamic Ẓāhirī School. It consists of a collection of poems dealing with the so-called ‘udhrī love. A Survey of Arab-Islamic Studies... 205

IBIDEM (edited by), “Ibn Dāwūd, Kitāb al-Zahrah, parte II (capitoli LI- LV)”, Supplemento n. 45 agli Annali (1985)/4, pp. 1-86. The article is a sequel of the translation of Kitāb al-Zahrah by Abū Bakr Muḥammad Ibn Dā’ūd al-Iṣfahānī al-Ẓāhirī preserved fully in ms. Or. 68 in the Biblioteca Reale in Turin and partially in ms. 1345 in Iraqi Museum of Baghdad and it is aimed at emending Sāmarrā’i edition. VIVIANI, Paola, “Faraḥ Anṭūn e l’America”, SM 26 (1998–2002), pp. 269 -291. Faraḥ Anṭūn (1874–1922), one of the outstanding personalities of the Nahḍa, was the founder of the Arab journal al-Jāmi‘a al-‘Uthmaniyya (The Ottoman League). Viviani deals with the ‘American period’ of such journal. WHITAKER, Ian, “The present state of studies of al-Birūnī: A survey and bibliography”, AION 43, n.s. 33/4 (1983), pp. 591-619. The author summarizes the state of knowledge about al-Birūnī, both as a person and as a scientist and philosopher, reporting an updated bibliography. ZECCHINELLI, Cecilia, “Nuovi sviluppi della letteratura egiziana contemporanea: il movimento poetico in ‘āmmiyya”, SM 12 (1980), pp. 233-246. The study deals with the Egyptian dialect poetry movement born at the beginning of the Sixties and the composition of mawwāls and zajals. Les cultures européennes et l’avenir

MARTIN HAUSER

C’est pour un guide « Doing Business with Romania », élaboré à cause de ses aspects interculturels par le Département UNESCO, Université de Bucarest, que j’ai dû m’exprimer entre autres sur ce qui fait la différence entre deux grandes villes européennes, soit Francfort (D) et Bucarest (RO) : Elles se ressemblent, pourrait-on croire, à notre époque de large globalisation. Cependant, comme chacun le sait, l’arrière-plan culturel et historique de ces deux villes et fort différent ! Devant utiliser des formules courtes et schématiques, j’ai inséré au guide les caractéristiques que voici : Francfort veut dire une forte tradition protestante pour laquelle travail et argent sont quasiment une religion. Bucarest est marquée par la tradition orthodoxe – et encore turco-orientale – qui fait intervenir dans l’espace et dans le temps, aussi publics, des éléments marqués par la religion et les traditions culturelles anciennes. Malgré la large globalisation qui se déploie de nos jours, il nous semble plus difficile de voire un ensemble fortement culturel dans tout cela. Pourtant, Bruxelles en tant que centre de l’UE a tout intérêt à croire à une certaine cohésion, voir une unité culturelle européenne. L’on pourrait aussi mentionner Denis de Rougemont, précurseur humaniste de l’UE, qui voyait en l’Europe d’abord une unité culturelle. Regardons encore d’un peu plus près comment se présente la situation culturelle européenne, d’abord plus à l’Est et ensuite à l’Ouest.

L’Est

Imaginons être quelque part au centre du continent européen et pensons à la situation culturelle de l’Europe orientale en général et spécialement de la Roumanie, à travers l’histoire. Bien que nous devions en aucun cas L es cultures européennes et l’avenir 207 sous-estimer le choc et la rupture créés par la période communiste et malgré les importantes influences culturelles venant des peuples slaves et turco-bulgares, entre autres, il est possible d’affirmer, surtout pour le cas de la Roumanie, une étonnante continuité culturelle venant de la période gréco-romaine, se liant au judéo-christianisme et se prolongeant jusqu’à nos jours. Cela est vibrant, absolument impressionnant ! Cela signifie : nos racines présentes jusque chez nous, jusqu’ici, en Roumanie. Dans ce sens, en effet, les casus toujours utilisés dans la déclinaison de la langue roumaine ne sont qu’un petit symbole très émouvant pour cette situation. Enfin, voici deux textes écrits par des spécialistes de la période byzantine et post- byzantine soulignant, à leur manière, ce que nous venons d’affirmer : Pour mieux mesurer le rôle joué par Byzance, il faut, sans se limiter à son Moyen Âge ni à ses derniers temps, considérer d’un seul coup d’œil toute l’étendue de son histoire et reconnaître d’abord l’apport considérable dont elle a enrichi, au cours de ses premiers siècles, l’ensemble du monde chrétien, Occident et Orient cette fois confondus. La prise en compte de la longue durée permet seule de rendre justice à la puissance d’une civilisation qui, tout en se renouvelant et en déployant, même dans les circonstances historiques les plus difficiles, une étonnante fécondité, a su rester fidèle à sa propre histoire et à ses valeurs, et doit à cette continuité sa physionomie si typée. (Bernard Flusin, La civilisation byzantine, P.U.F. « Que sais-je ? », 2006, pp. 123-124) Non seulement Byzance, c’est-à-dire ce qui en formait non pas seulement les dehors, mais aussi l’essence, se conserva jusqu’à une époque que nous chercherons à définir, mais elle continua cette action millénaire, que j’indiquai déjà dans une conférence à Barcelone, par laquelle cette chose politique et culturelle sans cesse en marche s’assimilait naturellement, et en ayant l’air de ne pas changer, tout ce qui entrait dans son cercle d’action, si étendu. Ainsi après la transformation, sous beaucoup de rapports seulement apparente, de 1453 elle s’annexera des formes de civilisation venant du monde gothique de Transylvanie et de Pologne par la Moldavie roumaine et tout ce que, par différentes voies, lui enverra l’Occident à l’époque de la Renaissance. Beaucoup de choses nouvelles paraîtront ainsi à la surface, mais au fond il n’y aura, quand même, que l’immuable pérennité byzantine. (Nicolae Iorga, Byzance après Byzance. Continuation de l’« histoire de la vie byzantine », Bucarest, 1935, p. 6) 208 MARTIN HAUSER

L’Ouest

Depuis le centre de l’Europe, regardons maintenant sa partie occidentale, respectivement l’évolution de celle-ci. Bien qu’on puisse apprécier que des régions de l’Europe occidentale proches de la Méditerranée aient connu une évolution culturelle pas totalement différente de celle de Byzance et de son empire, nous devons constater que, généralement parlant, l’évolution de l’Ouest diffère fortement de celle de l’Est. L’évolution occidentale est notamment marquée par des bouleversements et changements profonds. J’en mentionne ici seulement deux période clé pour soutenir et esquisser ma pensée : En Europe occidentale, la donne culturelle, marquée par la culture antique – surtout romaine – et le christianisme, est fondamentalement changée par les migrations des peuples barbares, notamment celles entre le Ve et VIIe siècle ! Les conséquences ethnologiques, linguistiques, culturelles, politiques et aussi religieuses sont très lourdes. Les régions rhénanes, du Haut Danube ainsi que des actuelles Suisse et France orientale sont particulièrement touchées : par exemples, certaines régions changent de langue totalement ou, au moins, sensiblement ; le latin disparaît peu à peu. Une exception, cependant, est représentée par l’Eglise et les Cours régalés où les élites, clercs et laïques, se servent encore longtemps du latin et d’une certaine culture antique, se distinguant ainsi du peuple. La « Renaissance carolingienne » illustre aussi cette situation. Ecoutons ici le médiéviste Jacques Le Goff concernant ce premier grand bouleversement et changement : L’Occident médiéval est né sur les ruines du monde romain. Il y a trouvé appui et handicap à la fois. Rome a été sa nourriture et sa paralysie. … Si l’on peut déceler dans la crise du monde romain au IIIe siècle le début du bouleversement d’où naîtra l’Occident médiéval, il est légitime de considérer les invasions barbares du Ve siècle comme l’événement qui précipite les transformations, leur donne une allure catastrophique et en modifie profondément l’aspect. (Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident Médiéval, Flammarion, 1997, pp. 11, 13) LE PARTAGE DE L’EUROPE DE l’OUEST : UNE IMMIGRATION VIOLENTE MAIS REUSSIE Chose curieuse, en ce passage de l’Antiquité au Moyen-Âge, aux IVe–Ve siècles, l’histoire qui rapproche les Européens, en faisant tous des chrétiens réunis dans la chrétienté, les divise aussi. Des peuples L es cultures européennes et l’avenir 209

nouveaux s’installent et créent des États nouveaux qui séparent les uns des autres les peuples auparavant réunis dans l’Empire romain. ENVAHISSEURS OU VOYAGEURS ? Cette immigration de peuples venus de l’Europe nordique et de l’Europe centrale a été appelée par les Français les “grandes invasions” et par les Allemands les “grandes déplacements de peuples”. Vous voyez que les Européens n’ont pas toujours la même opinion sur leur histoire. En effet, la plupart de ces peuples appartenaient à une même famille ethnique, les Germains, ancêtres des Allemands, comme les Gaulois sont les ancêtres des Français. Et l’on a généralement traité ces nouveaux venus de “barbares”, parce qu’ils étaient d’un niveau de civilisation considéré comme inférieur : ils n’utilisaient pas l’écrit, leur civilisation était orale. D’autre part, leur installation dans l’Empire romain ne fut pas pacifique. Ce fut une conquête militaire avec des combats sanglants. Les Barbares les gagnaient habituellement, parce qu’ils étaient de bons métallurgistes et qu’ils étaient mieux armés. En particulier, leur épée, longue, à double tranchant, et bien forgée, fut très efficace. (Jacques Le Goff, L’Europe racontée aux jeunes, Seuil, 1996, pp. 45-46) Or, la situation culturelle ainsi créée n’est rien d’autre qu’une bombe à retardement qui explosera bien un jour : surtout dans les régions où des dialectes allemands, très différents du latin, sont introduits et parlés par le peuple, sans pourtant représenter la culture officielle de la classe dirigeante, une situation oppressive, voire une grande tension est bien créée. L’allemand, sous la forme de différents dialectes, reste pendant longtemps surtout langue orale. Les tentatives, au IXe et Xe siècles, de créer des documents de langue allemande reste sans grand succès. Il faut attendre le XIIe siècle jusqu’à ce qu’une véritable littérature allemande puisse voir le jour ; mais elle servira surtout la noblesse. Comme exemple, nous pouvons mentionner ici la poésie créée par le troubadour Walther von der Vogelweide, ce personnage fort attachant, né entre 1160 et 1170. Cependant, le véritable bouleversement et changement est la traduction de la Bible en langue – enfin ! – du peuple en 1534 par Martin Luther, ainsi que son impression et, par là, rapide diffusion ! La réformateur de Wittenberg est ainsi surtout à l’origine de la révolution culturelle de l’Europe occidentale. Rapidement, et cela grâce à l’imprimerie disponible depuis le 15e siècle, il met à disposition de princes et de bourgeoisies, devenus politiquement importants, la Parole de Dieu et des textes théologiques. Ainsi, la gestion de la religion, voire de l’Église, passe au pouvoir civil ; Luther parlera de « Notbischof ». Luther prévoit également que dorénavant 210 MARTIN HAUSER l’essentiel de la vie religieuse se passera dans et pour la société. Et, Luther est, dans tout cela, suivi par d’autres réformateurs. Ce bouleversement et changement énorme marque, sans doute, le début de la « Neuzeit ». Regardant vers passé, l’on peut aussi supposer que sans l’apport culturel des Barbares, un apport longtemps opprimé, cette explosion et révolution du XVIe siècle n’aurait pas eu lieu. Nous connaissons probablement les analyses et pronostics – corrects selon nous – faits par Max Weber concernant les sociétés protestantes ou marquées par le protestantisme. Si nous prenons aujourd’hui l’état actuel de ces sociétés nous constatons que la « Neuzeit » fut le déclic pour un changement total. Franco Volpi, dans son Il nichilismo, le formule ainsi : Sono svanite la forza vincolante delle norme morali e la possibilità che esse trovino disponi­bilità ad essere accettate e applicate… I riferimenti tradizionali – i miti, gli dèi, le trascendenze, i valori – sono stati erosi dal disincanto del mondo. La razionalizzazione­ scientifico-tecnica ha prodotto l’indecidibilità delle scelte ultime sul piano della sola ragione. Il risultato è il politeismo dei valori e l’isostenia delle decisioni, la stessa stupidità delle prescrizioni e la stessa inu­tilità delle proibizioni. Nel mondo governato dalla scienza e dalla tec­nica l’efficacia degli imperativi morali sembra pari a quella di freni di bicicletta montati su un jumbo jet (Beck, 1988 : 194). Sotto la calotta d’acciaio del nichilismo non v’è più virtù o morale possibile. (Franco Volpi, Il nichilismo, Laerza, Bari, 1999, p. 115) Deux questions urgentes sont ainsi posées : celle de l’interaction des cultures européennes, entre l’Est et l’Ouest, et celle de leur évolution, étant donné les bouleversements qui animent l’Occident. Le commerce international de la Librairie belge au xixe siècle : l’affaire des réimpressions

JACQUES HELLEMANS

Introduction

Comme l’a mentionné Otto Lankhorst au cours de notre précédent atelier1, la Hollande constitue la plaque tournante de la diffusion du livre français du xviie au milieu du xviiie siècle. La Belgique reprend le flambeau au siècle suivant. L’activité principale de la librairie belge durant la première moitié du xixe siècle – en fait dès qu’elle échappa à l’autorité impériale – fut caractérisée par la réimpression des œuvres littéraires françaises, livres et recueils périodiques. L’édition bruxelloise représente au xixe siècle près de 80 % de la production livresque belge, ce qui fit dire à Stendhal, dans une lettre qu’il adressa à Sainte-Beuve le 21 décembre 1834 : « Rome et moi nous ne connaissons la littérature française que par l’édition de Bruxelles. »2 Comment expliquer l’importance de Bruxelles et de la Belgique dans le commerce international de la librairie française au xixe siècle ? L’étonnante vitalité de cette branche de l’industrie trouve son origine dans le phénomène éditorial qualifié par les uns de « contrefaçon » et par les autres de « réimpression ». Il me paraît indispensable de préciser autant que faire se peut le contexte de la contrefaçon belge, et de souligner qu’en l’absence de toute entente internationale en matière de protection des œuvres de l’esprit, cette entreprise n’a pu que prospérer. En outre, la modicité des prix pratiqués ne pouvait que contribuer à son essor. Au- 1 Otto LANKHORST, La francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle. « le livre, la Roumanie, l’Europe. » 3e Symposium international. Bucarest (Roumanie). Section 1. « L’Histoire et la civilisation du livre », 20 septembre 2010. 2 S TENDHAL, Correspondance. II : 1821–1834. Préface par V. Del Litto, édition établie et annotée par Henri Martineau et V. Del Litto, Paris, Gallimard, 1967, Bibliothèque de la Pléiade, p. 762. 212 JACQUES HELLEMANS delà de leurs évidentes ambitions commerciales, les maisons d’édition qui pratiquaient la contrefaçon ont largement contribué à la diffusion de la littérature française. Durant toute la première moitié du xixe siècle, ce fut même principalement grâce aux éditions belges que le monde.

« Contrefaçon » ou « réimpression » ?

De fait, la Belgique ayant été détachée de la France en 1814 et réunie à la Hollande, la législation française y devenait lettre morte. Sans convention bilatérale, le voleur était donc protégé par ses propres privilèges. Dès lors, la réimpression devint une pratique légale puisque reconnue officiellement, d’abord par un arrêté du prince souverain des Pays-Bas en date du 23 septembre 1814, ensuite par la loi du 25 janvier 1817. L’arrêté du 23 septembre 1814 supprimait la totalité des lois et règlements émanés du gouvernement français sur l’imprimerie et la librairie3 et instituait un droit de propriété ne protégeant que les seuls auteurs ou éditeurs habitant le Royaume. Cet acte du pouvoir souverain reconnaissait le principe général, que ce qui appartient à toutes les nations n’appartient à personne en particulier et rangeait dans cette classe tout ouvrage relatif à l’enseignement, tels que les livres d’école, les auteurs classiques, les ouvrages de sciences ou de littérature étrangère4, – française en l’occurrence. Ainsi donc, dès 1815, l’imprimerie belge allait recouvrer son ancienne splendeur et connaître une prospérité croissante. La littérature française, étant très féconde et recherchée dans toute l’Europe, les imprimeurs bruxellois n’avaient qu’à piller tout ce qui se publiait à Paris pour s’enrichir, d’où l’expression imagée de Balzac : « Il est plus tôt contrefait qu’il n’est fait »5. Si les Français et non des moindres, Honoré de Balzac et Jules Janin, pour ne citer que ceux-là, ont vu dans les éditions belges de vulgaires « contrefaçons » et s’ils ont assimilé les imprimeurs belges à des faussaires, il en allait autrement pour ces derniers qui retenaient plutôt le terme de « réimpressions ». Les imprimeurs belges affichaient, en effet, ouvertement leur larcin puisqu’ils ne cherchaient nullement à imiter le format, le papier ou le type de caractère de l’édition originale. Ils parlent dès lors plutôt de 3 « De l’imprimerie et de quelqu’autre chose », dans Themis Belgique (Bruxelles : P.J. Demat), 1826, tome 7, p. 23. 4 « De l’imprimerie et de quelqu’autre chose », dans Themis Belgique (Bruxelles : P.J. Demat), 1826, tome 7, p. 24-25. 5 Honoré de BALZAC, « Lettre adressée aux écrivains français du xixe siècle », dans Revue de Paris (Bruxelles : H. Dumont), novembre 1834, tome 11, p. 67. e Le commerce international de la Librairie belge au xix siècle... 213

« réimpression ». De plus, en mettant le livre à portée de toutes les bourses, la réimpression favorisait l’échange des idées entre les peuples, opinion déjà défendue en 1770 par de Felice, imprimeur d’Yverdon6. Privés de leurs redevances, les auteurs et éditeurs français qualifient la production de livres en Belgique de « contrefaçon » et portent un jugement extrêmement sévère sur cette pratique. Cette description peu flatteuse du peuple belge par le critique littéraire Jules Janin en 1834 en témoigne : Ce peuple à l’affût de toutes les nouveautés parisiennes qu’il imprime à vil prix sur du papier de sucre, avec des fautes sans nombres, ce peuple, qui est la ruine matérielle de notre littérature. 7 S’il arrive que les deux éditions paraissent parfois la même année, l’originalité de l’imprimerie belge tenait dans le format compact de ses productions : les éditions belges étaient réduites en format et dégagées des sophistications parisiennes. Les libraires bruxellois peuvent ainsi offrir des rabais de 50, de 60, voire 70 % par rapport aux prix français : des livres de poche avant la lettre ! Les différences de format expliquent souvent la différence de prix entre les deux éditions et donc l’intérêt du public pour ce type de publication à la portée de toutes les bourses. Afin de contrer la réimpression, les éditeurs parisiens trouvent parfois la parade par le biais de co-éditions, voire l’exportation par des canaux ou réseaux de diffusion plus appropriés, comme le firent notamment Bossange, Ladvocat ou encore Treuttel et Würtz. La contrefaçon est sans conteste une pratique éditoriale généralisée au e xix siècle. En l’absence d’une législation internationale du droit d’auteur, les ouvrages sont aussi réimprimés en dehors de la seule Belgique. Les éditeurs français, eux-mêmes, sont « contrefacteurs ». À Paris, Aillaud, Baudry et Galignani, pour ne citer qu’eux, reproduisent les livres anglais, italiens et allemands. Quant aux États-Unis, ils deviennent un important marché pour les contrefaçons de livres d’auteurs anglais. À New York et à Philadelphie, on réalise des réimpressions d’ouvrages français.

L’Âge d’or de la contrefaçon

Dégageons quelques lignes de force quant à l’évolution historique de la contrefaçon belge. D’abord, les circonstances favorables à l’éclosion de 6 Albert LABARRE, « Histoire du livre », 3e édition, Paris, Presses Universitaires de France, 1977, Que sais-je ?, 620, p. 102. 7 Jules JANIN, « Le journaliste franco-belge : simple histoire de critique littéraire », dans Revue de Paris (Bruxelles, Louis Hauman), nouvelle série, 1ère année, tome septième, 1835, p. 58. 214 JACQUES HELLEMANS l’industrie de la réimpression. En 1814, le Royaume des Pays-Bas instaurait la liberté de la presse et du journal. La profession d’imprimeur n’y était pas réglementée comme en France. Pour éditer, il suffisait de se procurer une presse et de pouvoir payer la patente. En France, par contre, les Bourbons restaurés continuaient à soumettre la presse à une censure rigoureuse. C’est ainsi qu’un grand nombre de livres français condamnés par la censure se virent réimprimés en Belgique. Les imprimeurs belges y voyaient un intérêt commercial et se montrent par-là même les dignes continuateurs des imprimeurs d’Amsterdam, de Bouillon et de Liège. Les libéraux français avaient lieu d’être satisfaits. C’était un moyen d’échapper à la censure, de continuer leur propagande, de voir leurs écrits publiés dans leur intégralité et, de surcroît, proposés à un prix avantageux. C’est de la sorte qu’Eugène Robin caractérise la première phase de la contrefaçon : Comme il [le roi Guillaume] tenait à sa réputation de roi le plus constitutionnel de l’Europe, nous croyons qu’en contribuant de la sorte à l’établissement de la contrefaçon dans ses États, il avait moins en vue d’aider à la spoliation de la littérature française que d’offrir aux idées libérales la publicité qui leur était disputée par les Bourbons restaurés. C’est grâce à son active protection que les ouvrages interdits en France pouvaient revenir y défier les poursuites des tribunaux. Sous son règne, l’index de la police parisienne fut presque le catalogue de la contrefaçon bruxelloise.8 De nombreux imprimeurs et libraires français, Hippolyte Ode, Hippolyte Tarlier ou encore Jean-Paul Meline, italien de naissance, vinrent s’établir à Bruxelles, ville qui devint bien vite le repaire des proscrits de la Restauration. De 1814 à 1820, les progrès de l’imprimerie belge furent sans importance réelle. Ensuite, selon la Revue britannique, de 1820 à 1828, l’imprimerie belge ne contrefit les livres français que pour sa propre consommation et celle de la Hollande. Ses exportations étaient insignifiantes ; le plus grand désordre régnait dans tous ses mouvements ; une concurrence inintelligente dévorait tous ses bénéfices ; l’impression était défectueuse, le papier détestable, et les faillites sans nombre venaient encore augmenter au dehors la méfiance et la défaveur qu’inspireront toujours des entreprises entachées d’immoralité.9 8 Eugène ROBIN, « De la contrefaçon belge. Sa situation réelle. La librairie française », dans Revue des deux mondes augmentée d’article choisis dans les meilleurs revues et recueils périodiques (Bruxelles, Société typographique belge), janvier 1844, p. 19. 9 « De la situation actuelle de la librairie et particulièrement de la contrefaçon de la librairie française dans le Nord de l’Europe », dans Revue britannique, ou choix d’articles e Le commerce international de la Librairie belge au xix siècle... 215

Comprenant que, tant que la vente des contrefaçons restait limitée au marché intérieur, les profits en seraient restreints, Guillaume Ier – au grand déplaisir de Louis XVIII – encouragea, comme branche du commerce et de l’industrie, ce pactole qu’était la contrefaçon et favorisa ainsi l’imprimerie. Il alla même jusqu’à distribuer des primes aux libraires-éditeurs exportateurs. Des comptoirs de la librairie furent établis à Londres et à Leipzig. La voie de l’exportation était ouverte10. Analysons maintenant les bases de l’essor de la contrefaçon. Durant les premières années qui suivirent la révolution de 1830, la contrefaçon marqua un temps d’arrêt. À en croire le Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en Belgique, présenté par le Comité de la Société des Gens de lettres aux ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique, La Hollande opposait un blocus hermétique à toutes les productions de provenance belge ; et l’Allemagne cherchait à se garantir, au moyen de ses douanes, de la contagion des idées françaises. Malgré ces entraves, malgré les agitations politiques qui tourmentaient l’Europe, malgré la formation [en 1828] à Bruxelles d’un comptoir des libraires réunis de Paris, vendant leurs livres au rabais pour battre en brèche la contrefaçon, l’exportation des éditeurs belges prit, de 1830 à 1835, une marche ascendante. Les frères Hauman se mirent à explorer les divers États de l’Europe et cherchèrent partout des débouchés ; Wahlen envoya des agents jusqu’en Suède et en Norvège, tandis que Meline, mettant à profit son origine et ses relations, faisait accepter ses produits dans la plupart des États d’Italie.11 De 1830 à 1845, le commerce des livres n’allait cesser de se développer; mais ce fut surtout le marché étranger, c’est-à-dire l’exportation, qui prit de plus en plus d’importance, ce qu’Hetzel mit en exergue dans sa Note sur la contrefaçon, de son abolition et de ses conséquences : traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne (Bruxelles, Méline, Cans et Cie), mars 1840, tome 1, p. 239. 10 « De la situation actuelle de la librairie et particulièrement de la contrefaçon de la librairie française dans le Nord de l’Europe », dans Revue britannique, ou choix d’articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne (Bruxelles, Méline, Cans et Cie), mars 1840, tome 1, p. 240. 11 « Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en Belgique, présenté [en 1841] à MM. les Ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique par le Comité de la Société des Gens de Lettres », dans Bulletin du Bibliophile et du bibliothécaire, Paris, septembre 1925, p. 452-462 & octobre 1925, p. 456. 216 JACQUES HELLEMANS

Le bon marché de leur fabrication, les ventes à bas prix et à longs termes, la vente par dépôts, dans les pays où cette vente est la seule en usage, l’étude approfondie des formats appropriés aux goûts et aux besoins de l’étranger, la hardiesse, la témérité même de certaines de leurs entreprises, voilà quelles avaient été les causes du succès des contrefacteurs. 12 Les torts causés par la contrefaçon au commerce intérieur de la librairie française furent minimes quoi qu’aient bien pu dire les premiers éditeurs français de l’époque. En effet, sous l’œil vigilant des inspecteurs- vérificateurs de la Librairie établis aux postes frontières, les ballots de livres provenant de Belgique étaient passés au peigne fin. Rares étaient les contrefaçons qui pouvaient s’écouler sur le territoire français. L’année 1836 marque une ère nouvelle dans l’existence des imprimeries qui passèrent aux mains de sociétés en commandite, patronnées notamment par la Banque de Belgique, et qui comptaient au nombre de ses actionnaires différentes personnalités de la vie publique. Ces sociétés purent, en centralisant la production de plusieurs presses, exploiter le champ de la contrefaçon, aussi bien des livres que des périodiques, à une plus grande échelle. Et toujours selon ce Mémoire : « Avant la formation des grandes sociétés, la plupart des maisons de librairie belge se trouvaient dans une position difficile, encombrées de marchandises et tiraillées de toutes parts : Wahlen, malgré l’intervention généreuse du roi Guillaume, était obéré ; Tarlier avait été obligé de liquider ; Meline dont la fabrication avait été très rapide, se trouvait dans la situation pénible d’un marchand engorgé, qui ne peut réaliser ; les Frères Hauman, qui avait travaillé avec leurs propres capitaux, étaient loin d’en retirer les utilités ordinaires. La mise en société de ces fonds de librairie, leur mobilisation par l’émission des actions relevèrent toutes ces entreprises en souffrance, et leur fournirent les moyens de convertir en écus leurs ballots de papier.13 Le 18 octobre 1836, à la demande de la Société des Gens de lettres, le ministre de l’Instruction publique, Guizot, avait institué une commission chargée de :

12 Jules HETZEL, « notes sur la contrefaçon, de son abolition et de ses conséquences », Bruxelles, Labroue, 1854, p. 5. 13 « Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en Belgique, présenté [en 1841] à MM. les Ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique par le Comité de la Société des Gens de Lettres », dans Bulletin du Bibliophile et du bibliothécaire, Paris, septembre 1925, p. 452-462 & octobre 1925, p. 462. e Le commerce international de la Librairie belge au xix siècle... 217

rechercher tous les moyens propres à prévenir les inconvénients de la contrefaçon des livres français à l’étranger, soit par des mesures législatives, soit à l’aide de négociations avec les puissances littéraires. Dans son rapport remis le 15 janvier 1837, la commission établissait le fait que la contrefaçon belge ne pouvait être atteinte directement et qu’il n’existait pas de réelle contrepartie – la contrefaçon n’étant pas aussi développée en France – à proposer à la librairie belge en échange d’un arrêt de ses activités. La commission suggéra néanmoins d’élever des obstacles aux exportations de la librairie belge par des accords avec les pays étrangers. Les éditeurs parisiens se décidèrent bientôt à imiter leurs contrefacteurs. Ils imprimèrent des livres au même prix qu’eux. La meilleure parade était de se battre à armes égales. Le premier à adopter des formats plus compacts et des prix plus adaptés sera Gervais Charpentier qui en fait même un argument publicitaire : « À meilleur marché que les contrefaçons belges. » Les éditeurs français reprochaient surtout aux contrefacteurs belges l’étendue de leurs relations avec l’étranger. Ne nous y trompons pas. La contrefaçon belge n’a jamais empêché l’augmentation du commerce français même au plus fort de la concurrence. Elle lui a même ouvert des marchés, là où, par son apathie commerciale, la librairie française n’osait même pas s’aventurer. Il ne faut non plus pas oublier que si la Belgique vendait plus d’exemplaires, elle le faisait à un prix nettement moindre que la France. Les deux librairies ont en fait opéré parallèlement : elles se sont seulement adressées à deux classes distinctes d’acheteurs. La belge s’adressait aux personnes désirant ou ne pouvant lire qu’à bon marché. La française intéressait plutôt les riches qui, par goût ou par ton, voulaient les livres français édités à Paris. Loin de ravir la clientèle ordinaire de la librairie française, la contrefaçon belge l’a aidée à grossir puisqu’elle a fait naître le goût de la littérature française partout où elle avait installé des comptoirs. Si les éditeurs parisiens désiraient réellement s’offrir de plus grands débouchés et battre en brèche la contrefaçon, ils n’avaient qu’à suivre la voie toute tracée par nos contrefacteurs. Les imprimeurs belges parvenaient parfois à devancer les originales françaises. Ils reproduisaient en volume les textes des feuilletons de La Presse, du Siècle, du Constitutionnel ou de La Revue de Paris. Le succès des « préfaçons » dépendait souvent de la nouveauté du livre et l’habilité du contrefacteur consistait à gagner de vitesse les concurrents. Sans aucun doute, ces procédés indisposèrent les éditeurs français, ainsi que certains auteurs. Parmi les plus dépités, se profilaient Jules Janin, mais surtout 218 JACQUES HELLEMANS

Honoré de Balzac qui multiplia les injures à l’égard du peuple belge par la voie de la presse. Les contrefacteurs reproduisaient avec effronterie ses piquantes diatribes. Ainsi, voici ce que l’on pouvait lire dans la réimpression belge de la Revue parisienne de Balzac : Oui, messieurs, sachez-le bien, le tiers de la France se fournit de contrefaçons faites à l’étranger. L’étranger le plus odieusement, le plus ignoble voleur, est notre voisin, notre soi-disant ami, le peuple pour qui nous avons donné ces jours-ci notre sang, nos trésors, à qui nous cédons nos hommes de talent et de courage, et qui, pour nous remercier, a un avoir dans le compte de nos suicides, car ces vols faits loin de nous, se changent ici en assassinats. Quand le pauvre libraire français vend à grand peine un de vos livres à un millier de misérables cabinets littéraires, qui tuent notre littérature, le Belge lui vend deux milliers au rabais à la riche aristocratie européenne.14 Comme je l’ai fait remarquer plus haut, les plaintes n’émanaient que de certains écrivains, mais non des moindres… Chateaubriand et Balzac, reprochaient aux contrefacteurs belges de mêler leurs noms à d’autres plus obscurs, mais surtout de leur voler la meilleure part de leurs revenus : Sans la contrefaçon, qui cause encore bien plus de tort au commerce du pays qu’aux gens de lettres, je serais probablement riche15… devait s’écrier Balzac. D’autres auteurs, ainsi Théophile Gautier et Arsène Houssaye étaient par contre ravis de cette pratique qui leur apportait succès et notoriété. Ils trouvaient même injurieux de ne pas être contrefaits. Aux auteurs peu connus, la contrefaçon n’infligeait aucun dommage réel. Elle leur procurait, au contraire, une renommée inespérée. À ce propos, voici ce qu’on pouvait lire dans L’Étoile belge du 21 octobre 1851 : Nous tenons pour incontestable que la réimpression a été très utile aux auteurs dont elle a propagé les œuvres ; que sans elle, la réputation de beaucoup d’écrivains dont les livres sont lus dans les deux mondes, aurait eu beaucoup plus de peine à s’établir, et que celle de bien d’autres serait restée claquemurée dans la circonscription de quelques cabinets de lecture. Nous en concluons que les écrivains français, loin de maudire nos imprimeurs, leur devraient des remerciements.16

14 e Honoré de BALZAC, « Lettre adressée aux écrivains français du xix siècle », dans Revue de Paris (Bruxelles, H. Dumont), novembre 1834, tome 11, p. 68. 15 Honoré de BALZAC, « Aux abonnés de la Revue parisienne », dans Revue parisienne (Paris, à la Revue Parisienne), 25 septembre 1840, p. 394. 16 « La contrefaçon », dans L’Étoile belge, 21 octobre 1851. e Le commerce international de la Librairie belge au xix siècle... 219

Après avoir atteint son apogée en 1845, la librairie belge connaît de graves difficultés. Sa ruine est surtout le fait de la féroce concurrence que les maisons belges se livrent entre elles. Trois, quatre ou même cinq éditions d’un même roman peuvent paraître simultanément, poussant l’opération sous le seuil de la rentabilité financière. Un diplomate français en poste à Bruxelles dressait, en date du 6 février 1841, un portrait peu réjouissant de la librairie belge : À leur création, les sociétés avaient paru vouloir s’entendre pour ne faire qu’une seule et unique fabrication, mais la rivalité, bientôt de la partie, l’accord cessa presque aussitôt et depuis deux ans elles se font une guerre acharnée. C’est ainsi qu’on voit souvent pour certains ouvrages, par exemple un poème de Victor Hugo ou un roman de Paul de Kock, trois éditions du même livre, faites par les sociétés et quatre ou cinq autres faites par d’autres libraires.17 L a librairie belge eut également à souffrir de la concurrence française. Les sociétés et librairies catholiques d’abord. Celles-ci réimprimaient surtout les ouvrages classiques, les livres d’éducation et de piété. Elles durent s’incliner devant les maisons françaises de province (Tours, Limoges, Besançon,...) qui pratiquaient pour ce genre d’ouvrages des prix encore meilleur marché. Les éditeurs parisiens se décidèrent ensuite à imiter leurs pirates. Ils imprimèrent des livres au même prix qu’eux. Ces impressions supérieures quant à la qualité de la correction, de l’impression et du papier, expulsèrent bien évidemment les contrefaçons belges. À la fin du règne de la contrefaçon, certains éditeurs français envoyèrent à l’étranger des romans à si bas prix que les contrefacteurs ne s’avisèrent même pas de reproduire. La chute de la contrefaçon belge fut aussi accompagnée d’un profond changement de l’opinion publique belge à l’égard de la contrefaçon. Les Belges trouvaient cette pratique malhonnête malgré qu’elle fût protégée par la loi. On lui reprochait surtout de nuire à l’éclosion d’une littérature nationale. Les éditeurs belges préféraient réaliser des affaires, c’est-à-dire réimprimer des ouvrages qu’ils étaient assurés de vendre, plutôt que d’offrir une rémunération à des auteurs belges encore sans renom et sans notoriété. La Revue de Bruxelles lança même l’assertion suivante : La contrefaçon est, sans contredit, un obstacle presque absolu au développement littéraire en Belgique. Les lois protectrices de l’industrie sont partout aujourd’hui ce qui intéresse le plus les gouvernements ; toujours elles passent les premières et sont à juste titre attentivement discutées. Personne n’a encore songé à protéger les œuvres de

17 France. Ministère des Relations extérieures, Archives, mémoires et documents. Fonds Belgique, 1841–1847, p. 8. 220 JACQUES HELLEMANS

l’intelligence, et comme tout, dans ce siècle, se résume en une question d’argent, les productions littéraires n’ont, comme toutes les autres qu’un succès où le prix de revient entre pour une très grande part. Or les productions littéraires françaises se trouvant par la réimpression exemptes, en Belgique, de tout droit d’auteur, seront toujours une cause de ruine pour l’écrivain belge qui songerait à vivre de sa plume.18 La réimpression a fini par être discréditée : on la jugeait malhonnête, immorale. Et pourtant le gouvernement belge a tardé à l’abolir... Pourquoi ? La raison était surtout d’ordre politique. Elle opposa longtemps libéraux et catholiques. On comprend aisément la position délicate du gouvernement belge face à l’opinion divisée : il n’osait toucher à la contrefaçon de peur de remettre en question l’équilibre précaire de la politique intérieure. S’il abolissait la contrefaçon, les libéraux risquaient d’y voir une atteinte à la liberté de la presse, et par extension une atteinte à la Constitution. Et pourtant, l’industrie de la contrefaçon étant en souffrance et en partie ruinée par la concurrence qu’elle se faisait elle-même, toutes les entreprises étaient moribondes. Un diplomate français, chargé d’entamer les négociations en vue de la répression de la contrefaçon littéraire, rapporta des propos qu’il avait eus le 4 mars 1851, avec Firmin Rogier, alors ministre de l’Intérieur, qui ne font que corroborer cette thèse : Il ne m’a pas caché que la contrefaçon pratiquée en Belgique était à ses yeux du moins aussi peu honorable, du point de vue international que peu profitable aujourd’hui à ceux qui se livrent à cette industrie. Il n’y a là, m’a-t-il dit, ni honneur, ni profit. Nous sommes forcés ajouta-t-il de convenir que l’industrie de la contrefaçon étant aujourd’hui d’un mince intérêt pour la Belgique, nous ne pouvons avoir la prétention d’exiger grand prix pour son abolition mais je vous le répète, l’opinion du pays s’attend à ce qu’en consommant ce sacrifice plus apparent que réel, nos négociations tirent de cet abandon tout le parti possible.19 Les typographes se sentaient, de plus, livrés à la France par leur propre gouvernement. Le 29 novembre 1851, la légation de la République française en Belgique adressa le rapport suivant à Turgot, ministre des Affaires étrangères :

18 « Aux abonnés de la revue de Bruxelles », dans Nouvelle Revue de Bruxelles (Bruxelles, J.B. De Mortier), 1845, p. 689. 19 France. Ministère des Relations extérieures, Archives, correspondance commerciale, Bruxelles, tome 10 bis, 1835–1851, p. 191. e Le commerce international de la Librairie belge au xix siècle... 221

Une nouvelle réunion de typographes s’est tenue afin de rendre compte des démarches faites auprès des ministres. On s’est engagé à persévérer et à ne rien négliger pour le triomphe de la cause du bon droit. Le président de la réunion est un M. Henne, ancien libraire, actuellement employé dans la Maison Meline et Cans. Des deux représentants qui ont apporté à ces démarches un concours actif, l’un M. Cans est associé, l’autre M. Orts est l’avocat de cette maison. La Société Meline et Cans ne paraîtrait pas être dans une situation très prospère. Ses magasins seraient encombrés d’ouvrages réimprimés rachetés de ces anciens concurrents. Les manifestations qui ont lieu doivent être considérées comme entièrement dues à l’action de la Maison Meline et Cans, et elles auraient été excitées moins dans le but de soutenir la contrefaçon, dans la volonté de la maintenir, que dans le désir et l’espérance de grandir les difficultés et les obstacles pour en arriver soit à des mesures qui garantiraient l’écoulement des ouvrages en magasin, soit à l’obtention d’une indemnité. Toutefois à ces démarches des typographes je crois qu’il en sera incessamment opposé une [celle des Gens de Lettres] qui en sera jusqu’à un certain point la contrepartie et le contrepoids.20

La Convention littéraire franco-belge

La Convention littéraire et artistique fut enfin signée à Paris le 22 août 1852 par les plénipotentiaires des deux États. Elle ne fut cependant promulguée que le 12 avril 1854 et mise en vigueur un mois plus tard. Cette lenteur est pour le moins étrange. Le gouvernement belge ne voulait d’ailleurs pas divulguer les stipulations de la convention avant l’ouverture de la session parlementaire devant avoir lieu dans les premiers jours de novembre. Selon La Tribune, elle devait entrer en vigueur le 1er janvier 1853, après échange de ratification le 10 décembre précédent21. Le climat de tension qui régnait alors entre les deux pays en est-il pour quelque chose ? N’oublions pas qu’il était dans les intentions de Napoléon III d’étendre ses frontières jusqu’au Rhin, tout comme il voulait éliminer la contrefaçon en Belgique qui abritait alors de nombreux réfugiés politiques. Ne voulait-il pas, par la même occasion, étouffer dans l’œuf les critique acerbes d’hommes de la trempe de Victor Hugo ?

20 France. Ministère des Relations extérieures, Archives, Correspondance commerciale, Bruxelles, 1850–1851, p. 411. 21 « Convention littéraire et artistique », dans La Tribune, journal de Liège et de la Province, 25 août 1852. 222 JACQUES HELLEMANS

La déclaration du 12 avril 1854, relative à la convention littéraire et artistique du 22 août 1852, permit aux éditeurs belges de réimprimer les ouvrages français en accord avec leurs auteurs, tout en interdisant leur vente sur le marché français. C’est ainsi qu’on pouvait lire sur les volumes de la Collection Hetzel : Édition autorisée pour la Belgique et l’étranger, interdite pour la France. Avis important : beaucoup des ouvrages publiés dans la collection Hetzel sont plus complets que les ouvrages publiés en France. Ils sont imprimés sur les manuscrits originaux en Belgique et n’ont point à subir les retranchements qu’exige souvent la législation Française. La Convention littéraire et artistique pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d’esprit et d’art entre en vigueur le 12 mai 1854. Signée par les plénipotentiaires de la France et de la Belgique, elle met un terme officiel à l’industrie de la contrefaçon. En application avec l’article 13 de la convention, il fut procédé à l’estampillage des ouvrages contrefaits existant dans les magasins au moment de la convention. Ce cachet frappé sur la page titre permettait aux libraires de continuer la vente des livres parus et aux imprimeurs d’achever les publications en cours. Si la contrefaçon est désormais interdite en Belgique, les imprimeurs allemands, en cheville avec la librairie belge prennent le relais, ce qui explique une nouvelle convention, cette fois-ci avec l’État de Saxe en 1856, de manière à frapper ce nouveau foyer de piraterie littéraire. Comme en Belgique, on procède à un estampillage. La plupart de ces livres estampillés furent déversés sur les marchés tiers, d’où leur présence en nombre dans les collections québécoises, notamment. Au terme de cette communication, il convient de se poser la question de savoir si la contrefaçon fut une chance ou une malchance pour l’édition belge. En effet, si l’imprimerie sortait de cette époque parfaitement équipée, la contrefaçon des œuvres françaises avait introduit dans le public le culte du livre parisien avec, pour corollaire, une désaffection pour les auteurs belges du genre noble que représente la littérature. Ceux-ci durent et se doivent encore aujourd’hui de rechercher le succès à Paris. En un mot, Paris produit ; Bruxelles reproduit, excepté dans des domaines non consacrés comme, il y a peu de temps encore, la bande dessinée. Bruxelles fut par contre un relais exceptionnel de la production française vers l’étranger. Malgré le caractère quelque peu malhonnête de leur entreprise, nous ne pouvons cacher notre admiration pour la débrouillardise de ces imprimeurs bruxellois, de fieffés commerçants que l’on pourrait qualifier de « Chinois du xixe siècle ». Les Batthyány et les livres français de leurs bibliothèques. Le fond « Gallica » de la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia

DOINA HENDRE BIRO

Au XVIIIe siècle, les Batthyány étaient parfaitement intégrés dans l’aristocratie autrichienne sachant s’adapter à tous les changements du moment. Outre les conclusions concernant le rôle et leur position dans la Maison d’Autriche et dans le Royaume de Hongrie, comme en Transylvanie, il nous reste à souligner l’importance européenne de cette famille pour l’histoire du livre. Nous voulons aussi démontrer l’intérêt pour la culture et le mécénat que les Batthyány manifestèrent à toutes générations confondues, si n’était que par les bibliothèques personnelles fondées par Balthasar III, Adam I, Charles, Joseph, Théodore et Ignace entre le XVIe–XVIIIe siècles et dont les livres enrichissent de nos jours les grandes bibliothèques de plusieurs pays. Par le brossage du portrait de l’évêque Ignace Batthyány, de savant par excellence, dans les sens du XVIIIe siècle et par la présentation de ses projets historiques et culturels, dont le plus importante fut l’Institutum Batthyaniani, nous arrivons à traiter notamment le contenu de sa très riche bibliothèque d’Alba Iulia, y compris les livres français parmi ses « mirabilia ».

1. Les Batthyány et la passion pour les livres. Sur la fondation de leurs bibliothèques au XVIe–XVIIe siècles

Le premier membre de la famille fondateur d’une importante bibliothèque fut Balthasar. Il détenait parmi ses livres les plus précieux, un daté de 1498, conservé actuellement dans la Bibliothèque Nationale Szécsenyi, de Budapest, et intitulé depuis Batthyány-misszàle. 224 DOINA HENDRE BIRO

Il fut suivi par son neveu Balthasar III Batthyány, véritable humaniste, avec des études poursuivies à Padoue et à Paris. Là il avait même vécu plusieurs mois à la Cour de François Ier, en tant que secrétaire du Duc de Guise.1 Pour cette fonction il était rémunéré avec la somme de 30 francs, sans inclure les frais de son hébergement occasionnelle à la Cour, car il préférait loger plutôt chez l’éditeur flamand Wechel. On suppose qu’il y rencontrait Jean Aubry, l’humaniste français, celui qui visitait Vienne en tant que librarius aulicus, libraire accrédité à la Cour. Toute une correspondance avec l’éditeur Jean Aubray confirme le projet de Balthasar d’élargir sa bibliothèque, immédiatement après son retour à Németujvár. Celui s’effectua en plusieurs étapes, par les envois de livres de l’éditeur à qui il faisait totale confiance. Leur correspondance atteste l’envoi de 153 livres qui se faisait dans des tonneaux protégeant les livres pendant le voyage. Cependant le contenu de chaque envoi était différent, car il contenait des oeuvres politiques, historiques, de l’histoire de l’Église, de droit, d’alchimie, mais aussi comme les écrits de Machiavel, de Bodin et même, l’œuvre complète de Rabelais.2 En même temps, il adressait des demandes à bien d’autres marchands, à qui il envoyait des lettres à Paris, Francfort, Augsbourg, Linz, Prague et Vienne. L’homme de formation humaniste et le collectionneur des livres rares fut à égale mesure un passionné de la botanique et d’alchimie. Il fit même installer un laboratoire d’alchimie et une serre dans laquelle il cultivait des tulipes et des marguerites, grâce à un autre très bon ami, le botaniste hollandais Carolus Clusius qui passait des séjours à Németujvár.3 En 1584, Clusius rédigea une liste bilingue, en latin et hongrois, des plantes typiques qu’il avait trouvées en Transdanubie, tout en mentionnant les effets bénéfiques de certaines d’entre elles. Son œuvre intitulée Stirpium nomenclator Pannonicus fut éditée en 1583 à Németujvár, dans l’imprimerie de Balthasar. Dans sa préface, Charles de l’Écluse soulignait les mérites d’István/Etienne Beythe, enseignant et pasteur calviniste à la

1 Voir la lettre présentée dans le premier chapitre. MOL, Budapest. 2 L’ouvrage le plus important envoyé par Aubry et payé par Balthasar avec la somme de 103 florins, fut la Biblia magna regia, en huit volumes, édités par Christophoro Plantini entre 1571–1572. 3 Clusius Carolus/Charles d’Écluse (1526–1609) étudia les Lettres, la jurisprudence et la médicine et voyagea en Europe, pour achever sa vie comme professeur de Botanique à l’Université de Lyon. A la demande de Maximillien II, il aménagea les jardins impériaux de Vienne en 1583. Auteur des ouvrages Historiam variorum aliquod stirpium atque plantarum per Pannoniam, Austriam et vicinas quasdam provincias observatarum. Libros IV, Christophoro Plantini edit. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 225

Cour de Németujvár (que Balthasar tint avec son épouse Dora Zriny), qui l’avait aidé à mettre les noms des plantes en hongrois. On verra par la suite, que beaucoup de ses livres achetés par Balthasar dans les grandes villes, comme Paris, Linz, Prague, Frankfurt, Augsbourg, se retrouvèrent plus tard dans la bibliothèque de son fils, enrichie par les livres apportés en dot par son épouse, Eva Poppel Lobkovits. Eva, fit tout le possible, d’augmenter le nombre des livres, mais aussi d’instruire ses enfants et surtout Adam, qui se passionna à son tour du mirage de la lecture. Ainsi se fait-il qu’Adam se préoccupa à son tour de la qualité de ses collections livresques, d’autant plus qu’après sa conversion au catholicisme, ses lectures durent changer. La bibliothèque récemment étudiée par András/André Koltai fut léguée par Adam Batthyány, le premier comte de la famille, à l’abbaye franciscaine de Güssing, fondée par lui- même, endroit où elle se trouve toujours.4 Désormais, la bibliothèque de Balthasar III finit dans le même couvent de Nemetujvar en 1661 comme don avec d’autres collections livresques provenant de l’extérieur. L’inventaire effectué au XVIIe siècle consignait 330 ouvrages issues de plus anciennes collections de Batthyány, dont 183 exemplaires portaient déjà l’ex-libris du nouveau possesseur : Conventus Németujváriensis. Cependant, sur 72 autres livres, la marque du possesseur avait été effacée. Sur 650 livres qui comportent des ex-libris, 9 ouvrages furent offerts par Charles d’Écluse à Balthasar Batthyány, conformément à la marque de possesseur. D’après la réévaluation de 1935, de la bibliothèque, les spécialistes ont pu établir avec certitude que le nombre de volumes existants en 1661 s’élevait à 1735 unités compactes, soit de 3 000 colligés.

2. Et les bibliothèques au XVIIIe siècle ?

Tout au long du XVIIIe siècle, les magnats gardèrent un goût vif pour les choses de l’esprit. Ils accumulaient les livres, en tant que richesse matérielle et spirituelle à la fois. Mais tous ces livres furent à la portée des femmes et des enfants des Batthyány et contribuèrent au changement de leur mentalité. Mais les livres, comme les demeures, étaient légués en permanence. Le premier né en tant qu’héritier, et le deuxième, qui dans

4 K OLTAI, András, Batthyány Adám és konyvtára/Adam Batthyány et sa bibliothèque, Budapest – Szeged, 2002. Pour la bibliothèque de Balthasar, voir le livre de Dora Bobory, Batthyány Boldizsár és humanista kore. Erudicio, természettudomány és mécenatura egy XVI ik Századi Magyar four életében/Balthasar Batthyány et son cercle d’humanistes. Érudition, sciences naturelles et mécénat dans la vie d’un noble hongrois au XVIe siècle, dans Századok/Les siècles, 2005, nr. 4, p. 923-944. 226 DOINA HENDRE BIRO la plupart des cas était consacrés à la carrière ecclésiastique, gardaient le contact permanent avec les livres. Ils possédaient des bibliothèques enrichies parfois par les dotes de leurs mères telles, Eva Poppel-Lobkovitz ou Eléonore Strattmann. Les Batthyány, conscients de la valeur des livres, furent les fondateurs de neuf bibliothèques aménagées bien avant le Batthyaneum. Une d’elle fut celle fondée par le Palatin Louis Ernest Batthyány. Dans les inventaires effectués le 6 juin 1752, par le percepteur Johannes Hackel, nous avons trouvé des listes contenant des livres très rares, certains en français, dont : L’Atlas de Saint Sanson, l’ Histoire du Concile de Trente, et le Traité de la Religion Chrétienne. A la place du livre de Bonfini, intitulé Rerum hungaricarum il y avait la mention qu’il était toujours prêté à Cristophe Erdödy. Nous avons compris le rôle du livre dans la vie d’un magnat en se rapportant à la grandeur de sa bibliothèque5 d’autant plus, qu’elle faisait partie du patrimoine mobile du Majorat du futur Palatin.6 Suivant les démarches de légataire, Louis Ernest termina cinq mois avant sa mort, le 30 mai 1765, les inventaires qui accompagnaient son testament : sur vingt pages, il présentait les meubles, les objets décoratifs et les livres,7 qui revinrent avec les biens immobiles du majorat à son fils Adam Vince. Cependant les livres, tout comme les terres, furent gérés par son deuxième fils, Joseph, alors archevêque de Kalocsa. C’est lui qui veilla à ce que les livres de la famille restent à Körmend. Dans le Testament du prince maréchal Charles Batthyány, le frère du Palatin, uniquement les manuscrits burgondes inscrits dans les listes de sa bibliothèque étaient évalués à 24 000 florins. Rien de surprenant si on se rappelle le fait qu’il fut apparenté avec les Wallenstein et que lui-même avait vécu au Pays-Bas et notamment à Lunéville, en tant que remplaçant de gouverneur en deux reprises.8 On pourrait avancer l’idée qu’au XVIIIe siècle la branche princière des Batthyány-Strattmann, formée du Palatin et du Maréchal, les Batthyány possédaient deux bibliothèques qui ont évolué séparément, jusqu’en 1765, respectivement, en 1772. Après leur décès, les livres de deux frères furent réunis, à peu d’exception. Que parallèlement au moins deux des fils du palatin fondèrent leurs propres bibliothèques : le primat Joseph, avec les moyens de l’Église et

5 MOL. P. 1317, Fasc. 30B, f. 32, inventaires de Johannes Hackel. 6 MOL. P. 1317, Fasc. 22, voir documents Majorat. 7 MOL, P. 1317, Fasc. 9, f. 1620. 8 M OL. P. 1317, Fasc. 14, f. 146-155, Acta testamentum principis Caroli a Batthyan tangentia. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 227

Théodore par des moyens personnels. Quant à Adam Vince, il fut l’héritier de droit de la grande bibliothèque familiale, réunie à Körmend. Par rapport au contenu on voit qu’au XVIIIe siècle les collections des bibliothèques des Batthyány reflétaient les professions de chacun, fait qui favorisa la constitution des bibliothèques spécialisées, autres que la religion. Citons la bibliothèque technique et scientifique de Théodore Batthyány, restitué par István/Etienne Monok,9 et celle du prince Charles Batthyány, axée sur la littérature militaire et la géographie,10 qui toutes les deux, suscitent toujours un grand intérêt. Dans sa qualité de gérant « moral » de la fortune familiale, Joseph Batthyány fit très attention aux livres. Ainsi déjà en 1772, l’année de la mort de son oncle Charles Batthyány, il fut préoccupé par l’aménagement de l’espace destiné à abriter ses livres.11 Il trouva que le meilleur endroit pour les conserver était le château de Körmend, avec les archives, sous la surveillance des fonctionnaires ici présents en permanence. Il eut aussi l’idée d’y apporter de Rohonc les livres inscrits dans le Majorat, qui avaient appartenu à son père, et de Transmanndorff, ceux qui avaient appartenu à son oncle Charles. 12 Mária Dobri a analysé récemment les listes d’inventaires de Körmend, comme celles effectuées en 1884, mettant en évidence le fait qu’au XIXe siècle la superficie de la bibliothèque avait été agrandie et le nombre de livres avait augmenté, par de nouvelles acquisitions et dons. Qu’au premier étage du château de Körmend se trouvaient 3 177 tomes classés en quatorze domaines d’après une annotation établie en chiffres romains, de I à XIV. Sur ces listes, elle a trouvé une note sur le retour à Körmend de 64 livres qui avaient été temporairement entreposés dans la résidence permanente de la famille, à Rohonc. Le conservateur avance l’hypothèse que ces livres auraient pu appartenir à la bibliothèque d’Adam I Batthyány, conformément à une notice trouvée dans les inventaires, selon laquelle : « certains bouquins français, rangés dans des coffres en bois… dans la première salle il y a seize livres anciens, dans l’oratoire encore 1623 ».13 Les inventaires suivants furent effectués en 1915, par une commission coordonnée par le baron Kálmán Miske, qui par la même occasion répertoria 9 M ONOK, István, Batthyány Todor muszaki konyvtára/La bibliothèque technique de Théodore Batthyány, en ligne. 10 ÖTVÖS, Péter, Egy fouri könyvtár 1772-böl/La bibliothèque d’un magnat en 1772, dans Magyar konyvszemle/Revue hongroise du livre, 1987, 1, p. 9-13. 11 K OPPANY, Tibor, La reconstruction du château de Körmend au milieu du XVIIe siècle, dans Les siècles des Batthyány, Körmend, 2005, p. 57. 12 MOL, P. 1313, cs. 138, p. 74-75. 13 DOBRI, Mária, op.cit., p. 326. 228 DOINA HENDRE BIRO les meubles et les objets d’art. Il avait déjà évalué plusieurs biens culturels et artistiques à l’occasion de l’ouverture d’une première exposition en 1912 à Körmend. Les inventaires mentionnent que la bibliothèque était placée dans la partie ouest du Ier étage du château et que les livres se chiffraient à 3 429 volumes et qu’ils avaient une valeur de 5 000 couronnes. Donc, 252 livres de plus par rapport aux derniers inventaires. Enfin, un troisième inventaire effectué en 1932 identique au deuxième, avec en plus un photo de la bibliothèque annexée. Arrivé à ce point, nous avons tenté de reconstituer le fond des livres inscrits dans le Majorat de Louis Ernest Batthyány, à partir de 1870, année de la mort sans héritier direct, de son petit-fils, le prince Philippe. Car à ce moment la transmission de l’héritage se fit vers Gustave (1803–1883), le petit-fils de Théodore, le troisième fils du palatin. Celui comme son frère Casimir/Kázmér, avaient vécu exclusivement en Italie, finit par déménager définitivement en Angleterre. Dans ces conditions, il accepta la suggestion de son frère, qui l’aidait dans ses affaires, de faire don de ses livres à la Société Hongroise de Sciences. Ce fut ainsi un moment très important, relevant de la générosité et la responsabilité des Batthyány. Gustave accepta de léguer non seulement la bibliothèque du Majorat, inscrite dans son Testament, mais aussi sa propre bibliothèque de Kisbér composée de 2 660 volumes, dont quelques uns, qui avaient appartenu à Joseph Batthyány. Son geste fut suivit par celui de son frère Casimir qui légua à la même société scientifique la bibliothèque personnelle du prince Philippe, dont il avait hérité à titre personnel et qu’il avait gardée jusqu’alors à Rohonc. A préciser que de nos jours, leurs livres se trouvent dans le même endroit.14 Certains inexactitudes et des pertes, par rapport aux inventaires effectués en 1872, apparurent à l’occasion du passage de l’héritage de prince Gustave à son fils Odön Batthyány (1826–1914), malgré le fait que les livres étaient gardés en permanence à Körmend. Car il n’y avait plus ni les 732 titres, qui avaient appartenu à la bibliothèque de Charles Batthyány, de Vienne, ni de nombreux titres, provenant de Transmanndorff et de Ludbreg, qui avaient appartenu aussi à la branche princière des Batthyány.15 Revenant à l’étude de Maria Dobri, qui refait la circulation des livres de la bibliothèque de Körmend, après 1945, elle cite l’inventaire effectué par János/Jean Kapossy le 2 octobre 1945, comme étant presque identique

14 DIVÀLD, Kornél, A Magyar Tudományos Akadémia palotája és gyűteményei/Les collections du palais et de l’Académie Hongroise des Sciences, dans Magyarázó kalauz/ Guide des collections, Budapest : MTA (Magyar Tudományos Akadémia), 1917, p. 94. 15 MOL, P. 1320, cs. 7, p. 110-114. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 229 avec celui de 1932. Toutefois, nous apprenons que les Russes qui avaient transformé le château en quartier général et vandalisé les archives, avaient dressé un mur et isolé ainsi la Bibliothèque du reste de château. Que la moitié des livres ont été transportés en camion à Budapest, aux Archives Nationales, avec les archives familiales, ensuite à la Bibliothèque Szécseny où ils furent répertoriés. Cependant, l’autre moitié resta sur place encore un certain temps. En fin compte, sur les 3 429 volumes inscrits dans les inventaires de 1915 et de 1932, on retrouve de nos jours à la Bibliothèque Nationale Szécseny, 1 646 titres, dont la plupart en plusieurs volumes. On sait aussi que la bibliothèque militaire de Charles Batthyány se trouve depuis dans le Musée des Arts Décoratifs de Budapest/Iparmuvészeti Muzeum. Malheureusement, 800 titres se sont perdus au cours des déplacements successifs. Toutefois, nous avons pu confronter nos résultats avec les ceux d’András Koltai et des certains conservateurs de Hongrie, pour conclure que très peu de livres proviennent de la bibliothèque d’Adam I Batthyány, mais que la plupart proviennent de celle de Charles, reconnaissables d’après les ex- libris avec le texte « Ex bibliotheca celsissimi principis Caroli Battyani ».16 Sur le totale, seulement 160 des titres en français et hongrois sont de XIXe, les autres étant bien plus anciens. Les trois incunables identifiés par Péter Ötvös, parmi les livres provenant de Vienne, sont introuvables : deux éditions rares de Biblia sacra, 1475 et 1478, et un Nouveau Testament, 1476. Sur les 50 livres de XVIe siècle, 15 y sont toujours, pendant que sur les 230 de XVIIe siècle, il restent seulement 200. L’historien du livre Ötvös, qui a étudié les livres provenant de Payersbach, une des trois bibliothèques de Charles Batthyány, qui se trouvent maintenant dans le Musée d’Art Décoratif de Budapest, signala l’existence de quelques livres de grande valeur, tels, Aureus Augustunius, Opera omnia, Basileae, 1543, Calepinus, Dictionarium octo linguarum, Basel, 1584, Biblia sacra sex linguarum, Norimbergae, 1599, un parchemin enluminé de XVIe siècle, intitulé Les présentes heures sont à l’usage de Rome, Paris, chez G. Hardouyn. Ces livres avait été trouvé parmi des livres de stratégie militaire, fortifications, architecture, voyage. En fait, des titres qui se trouvent aussi

16 CSÁNKI, Eva, Az Iparmuvészeti muzeumban orzott Batthyány konyvtár kotéseitöl/ Sur la réliure des livres de la Bibliothèque Batthyány conservés dans le Musée d’Arts Décoratifs, dans Les siècles des Batthyány, op.cit., pp. 331-334. Voir l’ex libris, dans les annexes générales. 230 DOINA HENDRE BIRO dans la Bibliothèque Batthyaneum à Alba Iulia démontrant ainsi à cette époque la circulation et l’intérêt pour de tels livres.17 Désormais, beaucoup des livres qui avaient fait partie des bibliothèques fondées par les Batthyány, peuvent se trouver actuellement en vente sur certains sites. On trouve ainsi des informations sur le Codices heidelbergensis Battiani, dans la bibliothèque de l’Université de Heidelberg, sur un Catalogue of Rare Veterinary Books dans la Bibliothèque de l’Université de Michigan, et même sur le Codex Rohonc. Tous ces livres portent une trace indéniable, signe qu’on ne peut pas effacer son passé, l’ex-libris avec la devise mentionnée, « Bibliotheca celsissimi principis Caroli Battyani » ...

3. Les bibliothèques des hauts dignitaires ecclésiastiques au XVIIIe siècle

Pendant la partie pacifique du XVIIIe siècle, parallèlement avec la reconstruction des villes détruites pendant les guerres avec les Turques, de somptueux bâtiments ecclésiastiques furent érigés, symbolisant la force du renouveau catholique ainsi que la reprise du pouvoir par l’Église romaine. Les bibliothèques de style classique ou baroque devenaient une partie intégrante et indispensable des palais et des résidences épiscopaux. Ces bibliothèques avaient un rôle principalement représentatif et les livres devaient avant tout impressionner et attirer l’attention sur des sources livresques inestimables qui passaient souvent inaperçues. Cette fois, la collection épiscopale de livres portait le caractère encyclopédique dans le sens où elle contenait des ouvrages de tous les domaines scientifiques et philosophiques. Toutefois, la prédominance des oeuvres théologiques, philosophiques, historiographiques et historiques était nette, tout comme en résulte de grand nombre des catalogues : d’écrits de la littérature classique antique et les livres rares d’une grande valeur s’y retrouvaient aussi en priorité. Cependant on trouvait aussi de plus en plus d’ouvrages consacrés aux sciences naturelles. Vers la fin du XVIIIe siècle, des ouvrages des représentants des Lumières, français et européens, venaient enrichir les précieuses collections, à coté même des livres de littérature étrangère contemporaine qui commençait à intéresser les lecteurs. C’est alors qu’apparurent et de plus en plus de livres dans d’autres langues nationales. On notera par ailleurs que les fondateurs de telles bibliothèques furent Joseph et Ignace Batthyány, à coté d’autres hauts dignitaires de l’Église, qui possédaient des bibliothèques des plus illustres de cette époque comme

17 ÖTVÖS, Péter. Idem, op.cit., p. 5. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 231

György/Georges Klimó (1770–1777), évêque de Pécs, le comte Kàroly/ Charles Esterházy (1725–1799), évêque d’Eger, et Adam Patachich (1717–1784), évêque d’Oradea/Nagyvàrad, puis archevêque de Kalocsa. Deux d’entre eux, les évêques Eszterházy et Klimó, avaient l’intention de fonder en même temps des universités. Ils voulaient que les bibliothèques soient un support ouvert pour la recherche scientifique. Désormais, dans le cas des archevêques et de l’évêque de Transylvanie, leurs bibliothèques desservaient déjà les étudiants et les professeurs des hautes écoles de théologie. Avec la création de la bibliothèque « publique », non pas ouverte au public mais appartenant à l’État, apparut plus particulièrement la fonction du bibliothécaire officiel : bibliothécaire impérial et royal, conformément au décret du 20 octobre 1780. Du point de vue institutionnel, les bibliothèques furent placées sous la tutelle de la Commission à l’enseignement, ce qui signifiait en plus une correspondance administrative permanente avec les autorités viennoises.18 On pourrait conclure qu’on assistait au XVIIIe siècle à une mutation dans l’organisation du savoir, d’abord par l’intérêt, ensuite par la constitution de catalogues scientifiques et de catalogues universels de chaque bibliothèque, d’après un classement unitaire.

4. Les bibliothèques de Joseph Batthyány à Kalocsa, ensuite à Presbourg

L’intérêt pour les livres de Joseph Batthyány commença en 1752, durant la période où il était chanoine à Esztergom, mais déjà collectionneur de livres rares, de manuscrits et d’incunables. L’aménagement de la bibliothèque de l’Archevêché de Kalocsa, la fameuse « Bibliotheca venerabilis Capituli Colocensis », est dû à son activité, depuis le temps qu’il était lui-même archevêque, sans éluder toutefois le rôle des chanoines qui l’ont soutenu et aidé. Si l’acquisition de la bibliothèque de Kalocsa lui doit beaucoup, il fut encore plus actif dans la constitution de la bibliothèque primatiale d’Esztergom : il acheta et fit traiter par Jakab Ferdinand Muller la bibliothèque de Mathias Bell, en 1769.19 Comme archevêque d’Esztérgom il continua son projet et on verra comment après la construction du Palais primatial à Presbourg, Joseph Batthyány y installa prioritairement les livres avec les manuscrits rares, 18 MADL, Claire, Trois bibliothécaires des Lumières et leur participation à la constitution des bibliothèques « bohêmes », dans Histoire des bibliothèques, Lyon : Enssib, 2003, p. 14. 19 Szelestei, Nagy Lászlo, Bél Mathyás kéziratos hagyatékának katalogusa/Le catalogue des manuscrits de Mathyás Bél, Budapest, 1984. 232 DOINA HENDRE BIRO sous la haute surveillance de deux chanoines, Joseph Calovino et d’Elek Jordánszky. Les mêmes qui cataloguèrent tous les livres, jusqu’en 1820, année où la bibliothèque fut transférée à Esztergom.20 Le Primat aida aussi à l’ouverture d’une bibliothèque scientifique publique à Presbourg.21 En 1789, l’historien Práy avait consigné dans son écrit Mindenes gyutemény/Mélange des collections les indications suivantes : que la bibliothèque contenait, grâce au Primat, tous les livres qui avaient un lien quelconque avec le Royaume de Hongrie et même des dernières apparitions éditoriales. Que les livres anciens, y tenaient une place importante, surtout les manuscrits médiévaux. Ses livres étaient tellement importants et représentatifs, qu’en réalité, cette bibliothèque aurait pu constituer la base d’une bibliothèque nationale. Toutefois, Batthyány surveilla de près, en tant que chef de l’Église, la réorganisation de la bibliothèque de Kalocsa qui s’appuyait sur la bibliothèque du nouvel archevêque, Adam Patachich, nommé en 1776, car il avait transporté d’Oradea/Nagyvárad plus de 7 825 unités. Le même qui participa directement au travail d’organisation et d’acquisition des nouveaux livres par l’intermédiaire de divers libraires d’Italie, de Vienne ou de Bavière, afin de l’enrichir en permanence. A souligner aussi le rôle d’István/Etienne Katona, historien et bibliothécaire à Kalocsa. Ainsi, grâce à ce travail commun, en 1784, la bibliothèque comptait 19 000 livres, tandis qu’après la mort de Patachich, par l’implication directe de Laszlo/Ladislas Kolonics, les chiffres augmentèrent d’avantage.22 Etienne Monok, comme d’autres historiens du livre, affirme que les collections des prélats catholiques pourraient amplement être considérées comme étant à la base non seulement des bibliothèques historiques mais aussi de celles de valeur nationale. D’autant plus que toutes les collections des prélats furent tout d’abord considérées comme privées, mais à partir de 1601, ils durent les léguer à l’épiscopat ou à l’archevêché. Ce fut le cas des bibliothèques ecclésiastiques de Trnovo/Nagyszombat, d’Esztergom, de Kalocsa, d’Eger, de Pécs et non dernièrement de la Batthyaneum, d’Alba Iulia.23

20 B EKE, Margit, Az Esztergomi Foszékesegyházi Konyvtár Batthyány gyuteményének katalogusa/Catallogue de la collection Batthyány de la Bibliothèque primatiale d’Esztergom, Budapest, OSZK (Bibliothèque nationale Szécsenyi), 1991. 21 Kelecsény, Gábor, Multunk neves könyvgyutöi/Collectionneur renommés d’antan, Budapest, 1988. 22 Aujourd’hui elle comte environ 42 000 livres. www.asztrik.hu 23 M ONOK, István/Etienne, Qui peut-on appeler bibliothécaires du XVIe au XVIIIe siècle en Hongrie ? Budapest et Szeged, 2006, p. 8 ; SzarvAsi, Margit, Magánkonyvtárak a 18. Században/Bibliothèques privées au XVIIIe siècle, Budapest, 1939. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 233

Un argument supplémentaire réside dans le fait qu’une bonne partie des livres appartenant à Joseph Batthyány arriva dans la Bibliothèque de l’Académie Hongroise, par Gustave Batthyány, l’héritier du titre de prince à la fin du XIXe siècle. Désormais les manuscrits sur parchemins se sont constitués dans un fonds à part, à la Bibliothèque primatiale d’Esztergom.24

5. La Bibliothèque Batthyaneum, œuvre de l’évêque Ignace Batthyány

La formation de théologien et d’historien d’Ignace Batthyány (1741–1798) se conjugue avec son goût pour les livres et les textes rares, ainsi qu’avec son attention particulière pour les travaux d’érudition. Sa bibliothèque est à l’image de l’homme et prélat ouvert qu’il fut. Déjà son premier catalogue de livres reflète ses goûts et son intérêt pour certains domaines de la recherche. Le comte évêque fonda un Institut et aménagea dans son cadre un Observatoire astronomique, une Bibliothèque, une Imprimerie desservie par quelques moulins à papier. Comme endroit il choisit la ville d’Alba Iulia, siège du grand diocèse de Transylvanie. Avant sa mort, il légua les biens de sa fondation à l’Église catholique et à la Province de Transylvanie, fait qui détermina la famille d’intenter après sa mort un long procès. Le déroulement du procès généra la fermeture temporaire de la bibliothèque revendiquée par ses frères et l’exécution en 1802, d’un inventaire des biens mobiliers de l’institut Batthyaniani, sans que le fonctionnement de l’Observatoire astronomique soit pour autant suspendu.25 Les acquisitions de nouveaux livres n’étaient pas interdites non plus si on tient compte des deux donations effectuées par le successeur d’Ignace, l’évêque Jóseph Mártonffi, et par le Lycée diocésain de Cluj.26 A partir de 1815, le travail de classement des livres et celui de rédaction des nouveaux catalogues effectué par le directeur Andreas Cseresnyé commencèrent à être rémunéré conformément à la volonté du légataire.27

24 B EKE, Margit, Esztergomi érsekek/Les archevêques d’Esztergom, op.cit., p. 353. 25 Mártonfi, Antonius, Observationes astronomicae, 1799, Ms. XII 11 ; Continuatio observationum astronomicarum factarum in observatorio Albensis Anni 1799, 1800, 1801, Ms. IX 177 ; Miscellanea astronomica speculae Albae Carolinensis, A.-Carolina, 1800– 1851, Ms. VIII 66. 26 Consignatio Librorum ab excellentiss. Dno. Josepho Martonfi Episcopo Transilvaniae nuper defuncto Bibliothecae Episcopali dispositioni testamentali legatorum, c. 1815, 35 file, 413 titres, Ms. XI 437 ; Compte-rendu du Chapitre d’Alba Iulia, de 6 mars 1818, document no. 8718. 27 boite XXXVII, documents no. 203, Rationes Instituti astronomici : 1815, 1816, 1817, et 227, Rationes de Preceptis et erogatis fundi Astronomici 1a Augusti 1817. 234 DOINA HENDRE BIRO

A noter que ces catalogues restent toujours les meilleurs instruments de travail du bibliothécaire et du chercheur.28 Toutefois elles furent complétées par les ouvrages de Robert Szentivány, pour les manuscrits29, et de Petrus Kulcsár, pour les incunables30. Toutes les démarches scientifiques ultérieures ne sont que des recherches parallèles approfondies, dans le but d’éclaircir le circuit ou l’aspect littéraire ou esthétique des manuscrits, des incunables et des livres et accomplies par d’intéressantes études publiées. Ou encore, des simples dérivations et spéculations sur les premiers résultats obtenus, qui réduisent le rôle des prédécesseurs par les quelques fautes ou omissions qu’ils avaient fait, inévitables d’ailleurs, il y a presque deux siècles.

6. Et ses « mirabilia » ou les merveilles

L’ancienne église des Trinitaires, dans laquelle se trouve la Bibliothèque, porte en majuscules dans son fronton le nom de la déesse de l’Astronomie, Uraniae, semblant donner un autre nom au bâtiment.31 Monument d’architecture baroque, placé dans la partie Nord-Ouest de la fortification, l’Église trinitaire fut construite dès 1719, avec l’accord de Charles VI, en parallèle avec les travaux de reconstruction de la fortification d’Alba Iulia. Tout comme les abbayes et les Églises des Trinitaires de Vienne, de Presbourg et de Belgrade, qui ont non seulement la même planimétrie et répertoire décoratif mais aussi la clarté des formes et la sobriété des façades.32

28 Cseresnyiés, Andreas, Catalogus primarum editionum, I-II, Ms XI 486, Idem : Conscriptio bibliothecae Instituti Batthyaniani facta Anno 1824, I-II, 259, 250 f. ; Index Juristarum, Philosopharum, Philologorum et Editionum Primaevarum ab inventa typographia saec. XIX, 199f ; Catalogus primarum editionum, Incunabula, saec. XIX, 338 f. 29 Szentivány, Robertus, Catalogus concinnus librorum manuscriptorum Bibliothecae Batthyanyanae, Editio quarta, retractata, adaucta illuminata, Szeged, 1958. 30 Kulcsár, Péter, Catalogus incunabulorum bibliothecae Batthyanyanae/Le catalogue des incunables de la Bibliothèque Batthyaneum, Szeged, 1965. 31 URANIAE C(omes) IG.(Natius) DE BATTHYAN EP.(piscopus) TRANS(silvaniae) POSUIT, 1794. 32 ŞERBAN, Ioan, Despre arhitectura fostei biserici trinitariene (azi Biblioteca Batthyaneum) din Alba Iulia/Sur l’architecture de l’ancienne Église Trinitaire (aujourd’hui Bibliothèque Batthyaneum) d’Alba Iulia, dans Apulum, XIII, 1975, pp. 373- 385 ; ŞERBAN, Ioan, Edificiul Batthyaneum la sfârşitul secolului al XVIII-lea. Addenda la un studiu privind arhitectura fostei biserici trinitariene/L’édifice Batthyaneum à la fin du XVIIIe siècle. Addenda d’une étude concernent l’architecture de l’ancienne Église Trinitaire, dans Apulum, XVII, 1979, pp. 477-487. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 235

Dans la Aula Magna, grande salle placée au deuxième étage du bâtiment, aménagée à cette destination, on a l’impression de pénétrer dans un véritable temple du savoir, à cause des arcs et des voûtes, des portails qui permettent le passage et des colonnes, suggérées par l’ameublement, le tout, veillé par la déesse Minerve, qui porte dans son bouclier le blason de l’évêque Batthyány. Les parties sont nettement délimitées, nef, cœur, autel central, tandis qu’une galerie surmontée valorise en hauteur l’espace intérieur et les murs complètement couverts des livres.33 La Bibliothèque a à la base un noyau de valeurs bibliophiles détenues par Ignace Batthyány en partant des achats effectués lors de son séjour d’études à Rome. Ensuite par les acquisitions faites pendant les 15 années qu’il avait passées à Eger en tant que prélat, collections appartenant en partie à des ordres religieux, destitués en Bohême, en Slovaquie et en Autriche. La valeur de sa bibliothèque a considérablement augmenté en 1782 par l’achat de la collection de l’archevêque de Vienne, le Cardinal Christophoro Migazzi. On sait qu’il fut aidé du chanoine Imre Dániel, et qu’il suivit les meilleurs conseils de Michael Johann Denis, l’évaluateur des livres qui le conseilla d’acheter aussi l’ensemble, les riches manuscrits.34Seule cette acquisition apporta plus de huit mille volumes en provenance d’Europe Centrale et Occidentale, y compris des incunables et des manuscrits, dont un carolingien de très grande valeur. L’Aula Magna abrite depuis le début les livres qui constituent le fond initial de la bibliothèque, complété au fil des années à 30 000, par les legs des évêques catholiques de Transylvanie, devenus traditionnels, comme celui de l’évêque Mihály/Michel Fogarassy, décédé en 1882, qui légua 4 500 unités 35 et celui de János/JeanTemesvári, décédé en 1936, qui légua lui 2 000 livres.36 33 MÂ RZA, Iacob, Un tezaur al culturii europene in Biblioteca Batthyaneum din Alba Iulia/Un trésor de la culture européenne dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Secolul XX, no. 272-273-274 (8, 9, 10), 1983. 34 Lettre d’Ignác Batthyány à Imre Dániel du 26 octobre 1780, B.B.A.I. ; Idem du 27 juin 1781, B.B.A.I ; Idem du 4 septembre 1781, B.B.A.I ; Idem du 30 novembre 1781 ; B.B.A.I ; idem du 23 janvier 1782, B.B.A.I. ; Lettre d’Ignáce Batthyány à Imre Dàniel du 27 avril 1782, B.B.A.I. ; Voir expressément, JÁkó, Zsigmond, A Batthyaneum könyvtár tőrténetéböl. I.A Migazzi gyűtemény megszerzése/L’Histoire de la Bibliothèque Batthyaneum. L’achat de la collection Migazzi, dans Könyvtári szemle, XIII, 3, 1969, 125-129, et MÂRZA, Eva, MÂRZA, Iacob, Bibliotheca Migazziana Viennensis, sugestii pentru o reconstituire/Des sugestions pour une reconstitution, ms. 35 Donatio Benevolis ep. Fogarasy Michaelis (1878–1882), Ms. XI 368, 128 f. ; Ms. XI 367, 136 f., şi Ms. XI 62, 45 f. 36 MÂ RZA, Iacob, La Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, dans Transylvanian Review, Tome IV, no. 2, 1993, pp. 48-56. 236 DOINA HENDRE BIRO

La Bibliothèque Batthyaneum, appartenant à la Bibliothèque Nationale de Roumanie, compte aujourd’hui environ 71 500 unités, dont 1670/1778 chartes et manuscrits sur parchemin. Parlant en pourcentages, environ 300 sont des manuscrits médiévaux occidentaux représentant 80 % du total des manuscrits conservés en Roumanie, tandis que les incunables constituent 70 % du même total.37 Il y a 7 950 livres imprimés entre le XVIe et le XVIIe siècle, et plus de 16 000/16 100, au XVIIIe siècle. La langue prédominante dans la rédaction des manuscrits et imprimés est le latin, en proportion de 75 %, langue qui a conféré l’unité de la culture européenne, toutefois on trouve aussi des écrites d’environ trente autres langues et dialectes. Quant aux domaines traités, ils sont représentés parfois par des vrais ouvrages encyclopédiques classés tous dans un ordre chronologique. Parmi les unités répertoriées, plus de 17 000 ont un rapport direct avec l’Histoire, y compris avec celle de la Transylvanie, enrichissant les sources de recherches historiques. A celles-ci s’ajoutent les approximatifs 9 500 périodiques et plus de 46 000 documents d’archives. Les codex, véritables « mirabilia », couvrent une longue période du IXe au XVIIIe siècle, et désormais 273 d’entre eux sont écrits avant 1526. Mais ce qui donne encore plus de valeur et de beauté à plus de quarante manuscrits ce sont les riches ornements dont ils sont illuminés. Concernant le contenu, la plupart sont des manuscrits religieux, amplement représentés : les bibles, les études d’exégèses bibliques, les homélies, les sermons, les missels, ainsi que les études théologiques, dogmatiques, morales ou pastorales, de toutes les religions confondues. Toutes aussi importantes sont les collections d’histoire de l’Église, suivies par celles du droit canon et du droit civil. Citons quelques manuscrits remarquables, soit par la renommée de leur auteur, soit par la beauté de leurs caractères ou leur particulière ancienneté38 : Codex aureus intitulé Evangelium scriptum cum auro pictum habens tabulas eburneaes, ou Das Lorscher Evangeliar. I. Theil,

37 607 c’est le chiffre avancé par Iacob Mârza, dans les années 1990, mais il a été modifié à seulement 571 incunables par Madame Ileana Darja, dans son récente étude, Tentatia lui Homo europaeus : episcopul romano-catolic Batthyány Ignàc (1741–1798)/ La tentation de l’Homo europaeus : l’évêque Ignace Batthyány, la différence qui aurait pu apparaître après une réévaluation, par échanges des exemplaires doubles, ou par dons. 38 Kósza, Zsuzsana/Susanne, Bibliothèques en Transylvanie, ouvrage de Maîtrise à INALCO, Paris, 2000/2001, sur les bibliothèques hongroises de Transylvanie, en somme celles fondées par les nobles hongrois, tels, Ignace et Joseph Batthyány et le comte Teleky, dans laquelle elle fait une impressionnante description. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 237

Mss. II Ib, v. 1 ; Evangelium secundum S. Lucam, Xe s/Fragmentum libri evangeliorum continens evangelium Lucae/mss. I. 161, v. 2/image 1 ; Lectionarium, saec. XI, Mss. II 128, v. 4 ; Breviarium, saec. XI–XII, Mss. III. 75, v. 5 ; Evangeliarum, saec. XII, Mss. II. 108, v. 6. Parmi les manuscrits qui pourraient avoir un rapport direct à la France, soit comme lieu d’exécution soit de décoration, il faut absolument mentionner39 : Caius Sallustius Crispus, Liber de bello Jugurthino, Xe siècle, mss. III 79, v. 3 ; Psalterium Davidicum cum calendario, XIIIe siècle40, Mss. III. 34, v. 12 ; Biblia sacra, XIIIe siècle, Mss. III. 121, v. 20 ; Horae cannonicae (diurnae) Latinae et Gallice, XVe siècle, appelé aussi Codes Burgundus, Mss. III. 87, v. 54 ; Missale Strigoniese, 1377, avec la reliure de XVIIIe siècle, Mss. II. 134, v. 67 ; Psalterium Davidicum, Saec XV, Mss. III. 127, v. 125, in octavo. Si nous avons cité les quelques manuscrits surtout pour leur esthétique, il y en a d’autre tout aussi importants, que nous rappellons pour le contenu, tel, Petrus Lombardus episcopus Parisiensis. Sententiarum, libri IV, XIIIe siècle. La Bibliothèque conserve aussi 571 incunables, livres apparus en Europe, jusqu’en 1500, issues de 223 maisons d’édition, qui ont déroule leur activité dans 38 villes. Dont, des ateliers de Venise, Nüremberg, Strasbourg, Cologne, Ulm, Bâle, Augsbourg et Milan, entre autres, et sont représentés par la production des imprimeurs les plus connus, tels, Antonius Köberger, Erhardus Radtolt, Antonius Saorg, Nicolaus Jenson, Alde Manuce, Johannes Zaines et autres. La valeur de cette collection est conférée par l’ancienneté et par la rareté des exemplaires, à part le nombre important détenu. La collection compte une trentaine d’éditions princeps et un grand nombre d’éditions rares. Désormais, les incunables français on été publié en 1975 par Dima-Drăgan dans le 1er numéro du Bulletin du bibliophile, pp. 1-27. Néanmoins, l’incunable le plus ancien de la Bibliothèque Batthyaneum porte le titre de Summa de casibus conscientiae d’Astesanus de Ast et fut imprimé en 1466 à Strasbourg par Johannes Mentelin. A partir du XVIe siècle, on assiste en Europe à une importante circulation des livres français, du à l’augmentation des presses typographiques et à la Réforme et, implicitement, à une hausse quantitative des ouvrages transmis

39 Pour la sélection des ouvrages cité, nous avons employé le livre : Biblioteca Batthyaneum din Alba Iulia, Biblioteca Centrală de Stat, Bucureşti, 1957, pp. 13-45. 40 MÂ RZA, Iacob, BICA, Lucia, Cristina, Psaltirea lui David cu calendar/Le Psautier de David comportant un calendrier, Meridiane, Bucureşti, 1977. VARJU, Elemér, A gyulafehérvàri Batthyány konyvtàr, Budapest, 1899, pp. 101-271. 238 DOINA HENDRE BIRO par les éditeurs et les libraires français, ce qui fait augmenter l’intérêt pour les contenus mais aussi pour la langue française. Une de maison d’édition française la plus représentée dans la Bibliothèque Batthyaneum, parmi les plus de 140 répertoriées, est celle des Etienne ayant comme marque l’olivier. La famille d’imprimeurs, des libraires et d’érudits humanistes célèbres, spécialisés dans la publication de textes anciens, latins et grecs, rédacteurs de préfaces, linguistes et spécialistes dans la grammaire française, ils se retrouvent tous par leurs œuvres, en commençant avec Henri I et Robert I, en finissant avec François, Charles et Antoine. Impossible de poursuivre cette énumération, sans faire une mention exceptionnelle sur l’existence d’une centaine d’éditeurs et des libraires lyonnais, richement représentés par leurs ouvrages. Leur étude se poursuit et un catalogue est envisageable en collaboration avec Madame Bianca Biro. Cependant quant aux domaines de recherche, les livres français imprimés de XVIe– XVIIe siècles, de la Batthyaneum, couvrent en prépondérance le domaine de la religion. Doit-on présenter, même brièvement, la très riche collection des Bibles, formée de 660 exemplaires, dans plus de 30 langues de la terre et dans une variété infini de modes d’impression, de reliure et, dans certains cas, d’illustration. Elles comprennent des nombreux in-folio issus des presses les plus célèbres, dont les Etienne, par les tomes énormes en volume et en poids, reliés de bois et cuire et comportant des chaînes. (Voir dans les annexes, une liste de 33 Bibles qui font l’objet de notre fond Gallica). Après la théologie, les sciences, sont assez bien représentés, comme la médecine ou d’autres sciences, telles, la géographie, l’astronomie, la chimie, la physique et les sciences naturelles, bien que moins nombreux, qui couvrent les domaines d’intérêts différents41. Grâce au professeur Constantin Bart, le fonds médical fut amplement recherché et publié. Il signala les 49 manuscrits et les 37 incunables ayant une liaison directe avec

41 MÂ RZA, Iacob, Un tezaur al culturii europene în Biblioteca Batthyaneum din Alba Iulia/Un trésor de la culture européenne dans la Bibliothèque Batthyaneum d’Alba Iulia, Secolul XX, nr. 272-273-274 (8, 9, 10), 1983. J. Macurek, Prameny kdejinám ceskoslovenskum, dans Vestnik královské ceske spolecnosti nauk, I, 1924, pp. 36-94 ; voir aussi PALL Francisc, Documents inédits du XIVe et XVe siècles concernant la Bohème (de la Bibliothèque Batthyaneum, Roumanie), Folia diplomatica I, Brno, 1971, pp. 253-255, et BART, Constantin, Une bibliothèque documentaire d’Alba Iulia : Batthyaneum, dans Acta Musei Apulensis, 1968. Note : Bianca Biro, latiniste, spécialiste de la période Patristique, vit actuelement à Lyon. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 239 la médicine, ainsi qu’environ 2 000 titres, comme les écrits de plus de 10 auteurs appartenant à la Faculté de Médicine de Montpellier, tels, Arnaud de Villeneuve et Raymond Lulle, certains en éditions princeps, ou très rares. Citons de cette catégorie, De planetarium in fluxu in corpus humanum de Mesmer, dont un deuxième exemplaire se conserve de nos jours à Vienne. Toutefois, sans vouloir citer toutes les domaines d’intérêt de la Batthyaneum, ajoutons un seul mot sur l’histoire qui est représentée par des livres importants, rares, ayant une circulation restreinte dans les grandes bibliothèques, comme par exemple, Antiquitatum variarum autores, quorum catalogum sequens continet pagella, Apud Seb. Gryphium, Lugdunum, 1522. Y s’ajoutent pour le XVIIe et XVIIIe siècles, les plans, les cartes, les traités de fortifications du maréchal Vauban, comme tous les ouvrages de stratégie militaire de Montecucoli, d’Eugène de Savoie et d’autre maréchaux, sont à la base de la place forte même de la ville d’Alba Iulia. Tous ces informations vont non seulement dans le sens des changements historiques qui ont eu lieu dans l’Europe Centrale et de l’Est, mais aussi dans celui des mutations qui ont eu lieu dans le plan du mental Il nous a semblé nécessaire de mettre en évidence l’ouverture culturelle des provinces appartenant à la Maison d’Autriche en général et l’image du monde du livre de Transylvanie en particulier. Le recensement et le catalogage des livres français de la Bibliothèque Batthyaneum se veut le plus complet possible, par la présentation des catégories thématiques et des centres typographiques, assez bien représentées. Désormais les plus de 5 000 unités bibliographiques existant, nous ont permis d’entamer un vaste et généreux projet qui se déroulent déjà depuis deux ans : celui de mettre en évidence le fond Gallica par une bibliographie que nous espérons éditer et publier, dans le but de créer une nouvelle base de donnés pour les chercheurs, donc d’inscrire ainsi ces valeurs dans le circuit international. Le tout devienne possible, grâce à cette merveilleuse Bibliothèque et à son fondateur, Ignace Batthyány. On pourrait croire dans la vocation de bâtisseurs des Batthyány, car tel fut leur but, de bâtir sur tous les plans : créer des architectures réelles, par les monuments, les châteaux, les palais, les forteresses et les églises ; créer en même temps des architectures spirituelles par les bibliothèques et les fondations culturelles et par les livres écrits. Dans les deux cas, il s’agit de tout autant de signes du pouvoir, qui rendent depuis leur force et leur pérennité. Voilà les hommes du XVIIIe siècle, fondateurs des bibliothèques, des rêves renfermés dans les livres, des véritables homo europaeus, comme 240 DOINA HENDRE BIRO les nommait Victor Neumann. Arrivés à la fin de cette brève présentation, il nous reste la citation d’Umberto Eco, repris par Iacob Mârza, selon lequel une telle richesse nous amène à penser que les bibliothèques sont des témoignages de l’universalité et encore que « le Paradis pourrait être imaginé comme une bibliothèque ».42

Charles Batthyány.

42 MÂRZA, Iacob, op. cit., p. 274. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 241

La Bibliothèque Batthyaneum - L’Aula Magna.

Ignace Batthyány. 242 DOINA HENDRE BIRO

Joseph Batthyány. Les Batthyàny et les livres français de leurs bibliothèques. 243

Louis Batthyány. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est au XVIIIe siècle : quelques questions

SABINE JURATIC

S’il est généralement admis que la seconde moitié du XVIIIe siècle coïncide en Europe avec une intensification de la circulation des livres français, intensification qui participe étroitement à l’hégémonie de cette langue, dans quelle mesure et par quels canaux l’Est et le Sud-Est européens ont-ils pu être atteints par le phénomène ? Cette question, qui pose le problème plus général de l’articulation des usages linguistiques avec les pratiques de la librairie, a été abordée le plus souvent jusqu’à présent du point de vue de la réception, à travers le repérage des livres présents dans les bibliothèques privées, des titres offerts en vente par les catalogues de libraires ou des représentations de pièces du répertoire théâtral français. Cette optique fructueuse a permis de mettre en évidence en Europe centrale et orientale des régions et des catégories de populations particulièrement ouvertes aux œuvres et à la langue françaises1. L’étude qui suit inverse la perspective en déplaçant le point d’observation sur les conditions d’exportation des publications à partir de Paris, principal centre de l’édition française à cette époque. Les mécanismes en jeu dans

1 Voir à cet égard, les publications anciennes sur l’influence française dans telle ou telle région par exemple : DEMETRESCU, Alexandre, L’influence de la langue et de la littérature françaises en Roumanie. Dissertation présentée à la Faculté des lettres de l’Académie de Lausanne, Lausanne : Imprimerie Corbaz & Comp., 1888, ou DEANOVIC, Mirko, Anciens contacts entre la France et Raguse, Zagreb : Institut français de Zagreb, 1950. Certaines recherches menées plus récemment ont adopté une perspective davantage orientée vers l’histoire du livre, ainsi par exemple, GRANASZTOI, Olga, « La librairie viennoise et l’approvisionnement de la Hongrie en livres français dans le dernier tiers du XVIIIe siècle », in: FRIMMEL, J., WÖGERBAUER, M. (Hrsg.), Kommunikation und Information im 18. Jahrhundert. Das Beispiel der Habsburger Monarchie, Wiesbaden : Harrassowitz Verlag, 2009, p. 163-172. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 245 ces circulations soulèvent en effet de nombreuses interrogations relatives à l’organisation du commerce européen du livre dans son ensemble et à la mise en place de courants d’échanges livresques ou culturels privilégiés entre certaines aires géographiques. Ces questions, pour lesquelles l’existence de sources appropriées, notamment de comptabilités ou de correspondances de libraires, fait malheureusement trop souvent défaut, seront examinées ici à la lumière des pratiques générales de la librairie au XVIIIe siècle2, et éclairées de façon plus précise, à travers les expériences de quelques grands éditeurs parisiens pour lesquels on dispose de renseignements un peu plus étoffés : Antoine Claude Briasson, l’un des quatre associés à la publication de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Nicolas Bonaventure Duchesne, principal éditeur de nouveautés littéraires et de théâtre dans la capitale française, et Nicolas Desaint, héritier en 1764 d’une des premières maisons d’édition de la place de Paris3. Les informations dont on dispose sur les pratiques commerciales de ces trois libraires permettent en effet de poser quelques jalons en vue de reconstituer les conditions de circulation des livres entre la France et les autres pays d’Europe, de préciser le cadre de ces échanges et les médiations qu’ils requièrent. Après avoir brièvement rappelé les obstacles qui s’opposent à l’établissement de contacts directs entre les libraires français et les régions de l’Est et du Sud-Est européen, on s’efforcera donc de présenter

2 Pratiques qu’a notamment permis de reconstituer de façon assez précise l’enquête menée à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS-ENS, Paris) sur les libraires et imprimeurs en France au XVIIIe siècle. Voir BARBIER, Frédéric, Lumières du Nord. Imprimeurs, libraires et « gens du livre » dans le Nord au XVIIIe siècle (1701– 1789), Genève : Droz, 2002 et BARBIER, Frédéric, JURATIC, Sabine et MELLERIO, Annick, Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris, 1701–1789 (A-C), Genève : Droz, 2007. 3 De Briasson ont été conservées un ensemble de lettres adressés au secrétaire de l’Académie des sciences de Berlin, Pierre Henri Samuel Formey (FONTIUS, Martin, GEISSLER, Rolf et HÄSELER, Jens (ed.) Correspondance passive de Formey. 1, Lettres adressées à Jean-Henri-Samuel Formey : 1739–1770/Antoine-Claude Briasson et Nicolas- Charles-Joseph Trublet, Paris : Champion ; Genève : Slatkine, 1996). Le décès brutal de Duchesne en 1765 est l’occasion de dresser un inventaire détaillé des dettes actives et passives d’une librairie alors en pleine ascension : « Etat de ce qui est du à la succession de M. Duchesne par les marchands des provinces du royaume et des païs étrangers », Archives nationales, Minutier central des notaires (ci après AN, MC), et/LXIV/388, 9 juillet 1765. Enfin une série de registres comptables tenus par Nicolas Desaint, puis par sa veuve, donne la possibilité de reconstituer le réseau des clients de cette maison entre 1765 et 1783 et, même, certaines années, de connaître au jour le jour le détail des commandes de livres qui ont été expédiées en France et à l’étranger (Bibliothèque historique de la ville de Paris [ci après BHVP], ms. NA 490). 246 SABINE JURATIC quelques-uns des caractères de l’exportation de livres depuis Paris, de repérer les circuits et les intermédiaires impliqués dans le commerce des imprimés francophones et d’avancer, en guise de conclusion provisoire, quelques considérations sur la nature des textes mis en circulation.

Un territoire difficile à atteindre

Un premier constat s’impose d’emblée : les libraires de France, et particulièrement ceux de Paris, s’ils ont quelques liens avec les pays du Nord- Est de l’Europe, n’entretiennent aucune relation commerciale directe avec les régions du Sud-Est. Pas plus les annuaires professionnels répertoriant les principaux libraires européens, imprimés à Paris à la fin de l’Ancien Régime4, que les relevés de débiteurs consignés dans les déclarations de faillites de professionnels du livre au XVIIIe siècle ne signalent en effet de correspondants dans ces régions. Il en est de même pour les deux maisons d’édition pour lesquelles nous disposons de sources plus précises sur la clientèle : le relevé de dettes actives de Duchesne en 1765 ou les registres comptables de Nicolas Desaint, pour la période 1765–1774, ne mentionnent pas non plus le moindre client dans cette zone géographique. Une telle situation s’explique d’abord par les caractères de la région, peu alphabétisée et surtout morcelée politiquement entre domination ottomane, monarchie des Habsbourg et influence vénitienne, et marquée par une grande diversité linguistique et confessionnelle. Une première ligne de fracture isole ainsi les régions orientales de confession orthodoxe sous domination ottomane, peu perméables aux imprimés en français puisque le livre y relève essentiellement du registre religieux, qu’il est placé sous l’autorité de l’église et concerne presque exclusivement la liturgie5. Dans les régions, généralement catholiques, du Nord Ouest et de la façade maritime occidentale, dépendant des Habsbourg ou de l’aire d’influence de Venise, le livre francophone est davantage susceptible de pénétrer, comme on peut le constater à Raguse6. La distance constitue toutefois aussi à l’évidence un autre frein à la circulation de livres provenant de France et ce d’autant plus que l’étroitesse du marché local et la concurrence des presses viennoises et 4 PERRIN, Antoine, Almanach de la librairie, Paris, Vve Duchesne, 1781. Cet almanach a servi de base à l’établissement de la carte publiée dans CHARTIER, Roger et MARTIN, Henri-Jean, Histoire de l’édition française, t. II., Le livre triomphant, Paris : Fayard, 1990 (2e édition), p. 396 . 5 PIPPIDI, Andrei, « Pouvoir de l’imprimé, imprimé pour le pouvoir », in : PAUN, R.G. (éd.), Imprimé et pouvoir, France, Russie, principautés roumaines (XVIe–XIXe siècles), Bucarest : Institutul cultural roman, 2008, p. 29-45. 6 DEANOVIC, M., op. cit. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 247 vénitiennes compromettent les velléités d’implantation commerciale dans la région pour des libraires établis à l’Ouest de l’Europe. Pas plus que les libraires français, la Société typographique de Neuchâtel, fondée en 1769 et pourtant connue pour son intense activité de diffuseur, n’échappe à cette contrainte, puisqu’elle ne compte apparemment aucun correspondant dans la région à la fin du siècle7. Aux limites résultant de la situation géographique et politique des espaces sud-européens, s’ajoutent cependant d’autres facteurs, plus propres au régime de l’édition française. Trois traits influent particulièrement sur la diffusion des titres produits en France, le faible poids occupé par les publications en latin, le repli de la librairie sur le marché intérieur, la fermeture des métiers du livre aux étrangers. L’expansion de la langue française au détriment du latin dans les textes imprimés, précoce en France puisque le latin est concurrencé dès la fin du XVIe siècle et qu’en 1764 les impressions dans cette langue représentent moins de 5 % de la production du royaume8 conditionne en premier lieu le commerce des libraires. En position de force sur le marché du livre francophone, ceux-ci peuvent en effet se trouver en décalage avec la situation qui prévaut au même moment dans d’autres pays européens où l’usage du latin, plus répandu, freine la circulation des publications françaises au point même, parfois, d’imposer la traduction d’ouvrages du français en latin pour élargir leur audience, comme ce fut le cas pour les Lettres provinciales de Pascal, traduites en 1664 par les soins de Pierre Nicole9. Un autre facteur structurant du commerce réside dans la politique du livre instaurée à la fin du XVIIe siècle par la monarchie française, politique qui a généralisé la censure préalable à toutes les publications et favorisé l’attribution des permissions et privilèges d’édition aux seuls libraires parisiens. Elle a en effet eu pour conséquence de renforcer la concentration des activités d’édition à Paris, ville où exercent en permanence au XVIIIe siècle plus d’une centaine de professionnels, libraires, imprimeurs et 7 Selon les premières cartes établies par l’équipe dirigée par Simon Burrows à l’université de Leeds, à partir des archives comptables de la Société typographique, et présentées sur le site : http://chop.leeds.ac.uk/stn/. 8 WA QUET, Françoise, Le latin ou l’empire d’un signe, XVIe–XXe siècles, Paris : Albin Michel, 1998, p. 102-106 ; CHARTIER, R. et MARTIN, H.-J., Histoire de l’édition française, op. cit., p. 121-124. 9 Ludovici Montaltii Litterae provinciales de morali et politica Jesuitarum disciplina, a Wilhelmo Wendrockio [P. Nicole],... e gallica in latinam linguam translatae..., Helmaestadii : typis J. Mülleri, 1664, in-4°. Voir GUILBAUD, Juliette, « Le statut de la langue latine dans les éditions jansénistes au temps de Port-Royal », in : BAUSTERT, R. (dir.), Le jansénisme et l’Europe, Tübingen : Narr Verlag (Biblio 17, 188), 2010, p. 269-280. 248 SABINE JURATIC marchands de livres au détail. Bénéficiaires d’une sorte de « rente de situation » du fait de la domination d’un marché intérieur en expansion grâce aux progrès de l’alphabétisation, les éditeurs de Paris ont probablement une moindre nécessité que leurs confrères d’autres villes, de France, comme Lyon, ou de l’étranger, de rechercher au-delà des frontières des débouchés pour leurs éditions. Il faut rappeler enfin que, dans le même temps, le contrôle exercé sur les professionnels qui favorise la transmission familiale et la fermeture du métier aux nouveaux venus aboutit à l’exclusion presque totale des étrangers des communautés de libraires des grandes villes françaises. À Paris par exemple, au cours du siècle qui précède la Révolution française, si l’on excepte quelques ressortissants d’Avignon, à peine une demi- douzaine de libraires d’origine étrangère ont été reçus maîtres libraires ou imprimeurs10 et cette situation contraste fortement avec celle que l’on observe à la même époque dans d’autres pays européens beaucoup plus accueillants, notamment les Provinces-Unies ou l’Angleterre. La conjonction de ces différents facteurs explique que les échanges des libraires parisiens avec l’étranger n’aient concerné qu’une fraction réduite de leur activité et que cette part ait même peut-être eu tendance à diminuer encore au cours du XVIIIe siècle. À la fin du siècle précédent, l’inventaire établi après le décès du libraire Daniel Horthemels en 1691 mentionnait en effet cent quarante-trois lettres à des confrères hollandais11. Trois ans plus tard, lorsque le libraire Jean Boudot, acculé à la faillite par les difficultés liées à la guerre de la Ligue d’Augsbourg, est obligé de conclure un arrangement avec ses créanciers, il leur présente un état détaillé de ses débiteurs, dans lequel apparaissent les noms de quarante libraires étrangers dont les dettes représentent plus du tiers du montant total de ses actifs12. Parmi ses correspondants on remarque toutefois plusieurs

10 Parmi lesquels Gian Claudio Molini, originaire de Livourne, reçu maître en 1765 à Paris, où il exerce en étroite collaboration avec trois de ses frères installés à Londres et à Florence ; son activité illustre l’étendue des débouchés internationaux dont s’est en partie privée la librairie de la capitale française par le choix d’une attitude protectionniste et de repli sur elle-même. Voir GRECO, Luigi, « Un libraire italien à Paris, Gian Claudio Molini (1724–1812) », Mélanges de la bibliothèque de la Sorbonne, 1990, t. 10, p. 103-121. 11 AX N, MC : LIX, 397 (11 décembre 1691). Je remercie Otto Lankhorst de m’avoir aimablement communiqué cette information. 12 « Estat en detail des effets que Madame Martin et moi avons a retirer des pays étrangers dont il m’apartient 3/8 mes », inclus dans son « Estat des effets actifs et dettes passives de moy Jean Boudot libraire à Paris» annexé à l’acte d’attermoiement conclu entre Marie Thérèse Martin, épouse et procuratrice de Boudot, et les créanciers de son mari (AN, MC : et/XLIX/402, 24 février 1694). Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 249 huguenots français réfugiés à la suite de la Révocation de l’édit de Nantes et la situation observée en cette fin de siècle est donc en partie conjoncturelle, comme le confirment les données disponibles pour la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1765, les créances avec l’étranger ne compte en effet que pour environ 20 % des « bonnes dettes » de Duchesne et les envois hors du royaume ne concernent que 37 % des expéditions de Desaint la même année13. Le poids des échanges entre Paris et les pays étrangers est donc limité à cette époque, toujours moindre que celui des débouchés sur le marché intérieur, et il est sans commune mesure avec ce qu’il représente au même moment dans d’autres grandes places de librairie, comme Amsterdam et les villes des Provinces-Unies, mais aussi comme Liège, Genève ou Neuchâtel, cités presque entièrement vouées au commerce d’exportation et qui concurrencent sérieusement les éditeurs parisiens dans le domaine des éditions en langue française. Distances, obstacles matériels et concurrences commerciales représentaient de réels handicaps pour les libraires français qui tentaient de prendre position sur les marchés d’Europe centrale et orientale. L’existence largement attestée d’ouvrages francophones dans les collections publiques ou privées de ces régions apporte pourtant la preuve que ceux-ci circulaient, soit par l’intermédiaire des réseaux commerciaux du livre et de leurs relais traditionnels, soit par des canaux qui ne relevaient pas tous du monde de la librairie stricto sensu car, on distinguait, dans la pratique, différents niveaux d’implication des acteurs de ces échanges.

Des circulations hiérarchisées

Les sources parisiennes disponibles apportent quelques indications sur le commerce international et sur les principaux interlocuteurs des libraires, et permettent ainsi de déterminer des flux dominants ou secondaires. Elles font aussi émerger certaines spécificités liées aux orientations privilégiées par chacun de nos trois libraires de référence au XVIIIe siècle : l’édition scientifique pour Briasson, les nouveautés littéraires ou philosophiques pour Duchesne, une production plus traditionnelle faisant large place à l’histoire, au droit et à la religion chez Desaint. Un retour à la fin du siècle précédent permettra de mieux situer dans une évolution chronologique les particularités des relations commerciales établies par ces trois professionnels actifs après 1750. Les comptes rendus en 1694 par Jean Boudot révèlent en effet que les quarante débiteurs étrangers du libraire sont concentrés au Nord de l’Europe : la moitié dans

13 BHVP ms. NA 490 (1). 250 SABINE JURATIC des villes des Provinces-Unies (neuf à Amsterdam et onze autres répartis entre La Haye, Leyde, Utrecht et Rotterdam), huit dans les Iles britanniques (sept à Londres et un à Dublin), six dans des villes d’« Allemagne » (Francfort, Nuremberg, Leipsig, mais aussi Genève, Bâle et Strasbourg), cinq en Flandre (Bruxelles, Anvers et Louvain). Au Sud, n’apparaît qu’un seul client – un religieux – dans la ville de Parme. Le montant des créances les plus élevées de Boudot se répartit presque également entre Provinces- Unies et Allemagne, en raison du montant dû par le correspondant de Francfort, Schönwetter, redevable de 4 500 l., une créance élevée qu’il faut mettre probablement en relation avec la célèbre foire du livre de la ville allemande14. L’état des débiteurs de Boudot met donc en valeur le maintien de l’influence de ce rendez-vous ancien des libraires européens, mais il est, plus encore, révélateur du rôle de premier plan que tiennent les Provinces- Unies, et secondairement l’ensemble des pays du refuge huguenot, dans les échanges de librairie en ces temps encore très proches de la Révocation. En 1765, le classement par ordre d’importance des correspondants de Duchesne et Desaint15 (voir tableau 1 en annexe) livre une leçon différente, car si Amsterdam conserve une place en tête de liste, elle est désormais devancée de peu par Londres. Un autre changement significatif, et qui intéresse directement notre sujet, concerne le troisième rang occupé par Vienne avec des envois d’une valeur supérieure à 10 000 l. presque exclusivement adressés à un seul client : Johann Thomas von Trattner, célèbre libraire privilégié et anobli par l’impératrice Marie Thérèse16. Le classement met aussi en évidence la place conquise par certaines villes du Sud : l’enclave papale d’Avignon, qui bénéficie d’un régime d’édition privilégié au sein même du royaume de France, et plusieurs cités des péninsules italiennes et ibérique, Lisbonne et Turin surtout, mais aussi Madrid, Parme, Naples, toutes villes dans lesquelles bon nombre de libraires sont d’origine française, souvent issus des réseaux de colporteurs du Dauphiné17. La distribution géographique des correspondants étrangers 14 AN, MC : et/XLIX/402, « Estat des effets actifs et dettes passives… », ms. cité. 15 37 pour Desaint et 12 pour Duchesne, mais certains débiteurs apparaissent dans les deux états. 16 Sur ce personnage, voir la notice qui lui est consacrée dans : FRANK, Peter R. und FRIMMEL, Johannes, Buchwesen in Wien, Buchwesen in Wien 1750–1850. Kommentiertes Verzeichnis der Buchdrucker, Buchhändler und Verleger, Wiesbaden, Harrassowitz, 2008. 17 Sur ces marchands voir FONTAINE, Laurence, « Les vendeurs de livre : réseaux de libraires et colporteurs dans l’Europe du Sud (XVIIe–XIXe siècles) », in CAVACIOCCHI, S. (éd.) Produzione e commercio della carta e del libro, sec. XIII–XVIII, Prato, Istituto Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 251 de la veuve de Nicolas Desaint en 1774, est proche de celle des destinataires de 1765, et, comme son défunt mari, la veuve continue à fournir Trattner à Vienne, auquel sont adressés en 1774 des envois pour un montant de plus de 5 000 l. Si l’on restreint maintenant le champ d’observation aux seuls débiteurs de Duchesne (tableau 2), on constate que le réseau commercial de ce spécialiste des nouveautés littéraires est plus limité, puisqu’il ne fait pas apparaître de correspondants à Londres ni à Vienne et qu’il reste surtout ancré dans l’espace plus proche des Pays-Bas et des Provinces-Unies au Nord, de Nuremberg, Genève et Lausanne à l’Est. La nature des textes vendus a donc une incidence sur la configuration et l’étendue de leur diffusion, car, comme le souligne Briasson en 1754, tous les secteurs de l’édition ne sont pas également menacés par la concurrence et la contrefaçon, ce qui l’a conduit à se limiter, dans le commerce étranger, aux seuls livres de sciences : « J’en débite beaucoup moins, mais je suis souvent seul » écrit-il à Formey18. Ces logiques économiques se combinent en outre avec les modes spécifiques d’organisation en usage dans le commerce dans la librairie, notamment le principe de l’échange feuille à feuille, qui suppose une compatibilité linguistique entre publications. Les différents facteurs en jeu contribuent donc à structurer de façon complexe des réseaux commerciaux hiérarchisés dans lesquels coexistent différents modes de relation entre libraires. La variété des situations enregistrée dans les journaux comptables de Desaint donne une illustration de cet état de choses.

Intermédiaires et relais

Les registres de compte du libraire parisien font en effet apparaître différents types d’interlocuteurs dans son commerce vers l’étranger. Trattner incarne ainsi un premier archétype, celui du grand libraire importateur, dont Nourse en Angleterre et Balfour en Ecosse ou Bertrand à Lisbonne sont, à la même époque, d’autres représentants. Ces marchands en relation directe avec Desaint concentrent leurs achats en quelques commandes et se chargent vraisemblablement de redistribuer les livres achetés à Paris à d’autres libraires dans leur pays, ou, dans le cas de Trattner, dans les

Internazionale di Storia Economica F. Datini, Serie II, 23, Firenze, Le Monnier, 1992, p. 631-676. 18 Lettre à P.H. S. Formey du 2 janvier 1754, voir JURATIC, S. « Publier les sciences au 18e siècle : la libraire parisienne et la diffusion des savoirs scientifiques », Dix-huitième siècle, n° 40, 2008, p. 301. 252 SABINE JURATIC succursales qu’il établit progressivement un peu partout, notamment à Prague en 1764 et à Zagreb en 177619. En 1765, le Viennois donne d’ailleurs l’ordre à Desaint d’expédier directement, par l’intermédiaire des frères Franck à Strasbourg, une balle « par la voie de Nuremberg à sa maison de Prague »20. Les libraires des Provinces-Unies et des Pays-Bas entretiennent eux aussi avec la maison parisienne des liens étroits, mais leurs relations sont plus fréquentes et plus régulières, et concernent souvent des envois moins volumineux. Enfin, d’autres libraires étrangers, par exemple Guibert et Orgeat à Turin, qui commandent des ouvrages en nombre, ne les font pas envoyer directement par Desaint, mais passent par l’entremise d’autres professionnels parisiens, dont certains se positionnent ouvertement comme des spécialistes du commerce international. L’un d’entre eux, le libraire Guillyn, signalait par exemple, dans un catalogue imprimé en 1754, qu’il faisait venir des livres de l’étranger, qu’il tenait un magasin de livres français à Francfort et qu’il vendait à Paris des livres achetés à la foire de cette ville21. À l’intérieur même du royaume un certain nombre de localités font manifestement office de villes relais pour le commerce international des Desaint. Ce sont surtout les ports, Marseille et Toulon pour les échanges méditerranéens, La Rochelle et Bordeaux, plus souvent mentionnés que Rouen, sur la façade atlantique, tandis qu’à l’intérieur Lyon est une étape vers l’Italie et Strasbourg la porte d’entrée vers les territoires germaniques et autrichiens. Dans tous ces espaces, les circulations commerciales sont favorisées par certains réseaux francophones préexistants, particulièrement celui des marchands huguenots dans le nord de l’Europe, et celui des colporteurs et marchands d’origine dauphinoise dans le sud. À la fin du XVIIIe siècle, l’implantation de libraires français gagne cependant de nouveaux horizons. En Russie, à Saint-Pétersbourg, le commerce est monopolisé par des marchands strasbourgeois22, tandis qu’à Moscou, l’épouse d’un libraire parisien, Marie Claudine Germain femme de Benoît Rozet, venue dans le pays comme gouvernante, se charge de vendre des livres à une clientèle choisie23. Des libraires français s’installent

19 FRANK, P. R. und FRIMMEL, J., Buchwesen in Wien, op. cit. 20 BHVP Ms. NA 490 (1), f° 161. 21 Catalogues de libraires, 1473–1810, Bibliothèque nationale de France, 2006. 22 RJÉOUTSKI, Vladislav, « Librairie française en émigration : cas de la Russie (dernier tiers du XVIIIe – première moitié du XIXe siècles) », in : BARBIER, F. et VARRY, D. (éd.), La prosopographie des hommes du livres, actes du colloque organisé les 22-23 avril 2005 à l’ENSSIB, Lyon : Bibliothèque numérique de l’ENSSIB : http:// www.enssib.fr/notice-1459, 2005. 23 S OMOV, Vladmir, « la librairie française en Russie au XVIIIe siècle », in : Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 253 aussi en Pologne à l’image de Pierre Dufour, fils d’un limonadier devenu libraire en 1761 grâce à son mariage avec la fille d’un maître parisien, et qui, après avoir exercé dans la capitale française jusqu’en 1773, prend un établissement à Varsovie en 1775. Dans la même ville exercent aussi à cette époque des membres de la famille Gay de Strasbourg, famille que l’on retrouve à Moscou et à Vienne et finalement à Paris à l’époque de la Révolution24. Grâce à ces nouveaux acteurs, des relations commerciales inédites se nouent entre l’Europe centrale et la France et ces liens contribuent à renforcer les positions de Vienne et de Strasbourg comme centres actifs du commerce des éditions francophones vers des régions dans lesquelles les libraires hollandais détenaient jusqu’alors un certain monopole. À quelques rares exceptions près, notamment celle de Guillyn précédemment évoqué, les libraires français ont en effet cessé depuis longtemps au XVIIIe siècle de fréquenter les foires allemandes du livre et aucun Parisien ne semble participer à celle de Leipzig25. Pourtant, les catalogues de cette foire mentionnent de nombreux livres français provenant de Paris, en particulier des titres publiés chez les Desaint. Ceci s’explique en partie par le fait que les Français étaient représentés dans la capitale de la Saxe, par des libraires hollandais, notamment Arkstée et Merkus qui disposaient depuis 1736 d’une succursale à Leipzig26. Les Desaint font régulièrement parvenir des envois à leur librairie d’Amsterdam (quatorze au cours de la seule année 1765), sans que l’on puisse déterminer si une partie de ces livres pouvait être ensuite acheminée vers Leipzig. Lorsqu’ils sont privés des contacts commerciaux directs que procurent les foires, les libraires font connaître leurs publications par le truchement de catalogues et de périodiques. D’imposants catalogues de livres en français circulent alors en Europe, par exemple, en 1776, celui des frères Faure de Parme qui, pour 126 p. consacrées aux livres italiens, en comporte 324 pour les livres français27. À Paris, le libraire Despilly a créé en 1762 le Catalogue BARBIER, F. (éd.), Est-Ouest : Transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe (XVIIe–XXe siècles), Leipzig : Leipziger Universitätsverlag, 2005, p. 89-107. 24 GRANASZTOI, O., art. cit. 25 BA RBIER, F., « Das französische Buchhandel und Leipzig zwischen 1700 und. ca. 1830 », in : ESPAGNE, M. und MIDDELL, M. (Hrsg), Von der Elbe bis an die Seine, Kulturtransfer zwischen Sachsen und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert, Leipzig : Leipziguniversitätsverlag, 1993, p. 257-275. 26 SAADA, Anne, « Das französische Buch in den Messkatalogen », in : ZWAHR, H., TOPSTEDT, T. und BENTELE G. (Hg.), Leipzigs Messen, 1497–1997, vol. I., p. 271- 285. 27 Catalogue des livres françois, italiens etc. qui se trouvent chez les frères Faure, Parma, 1776 (Bibliotheca Palatina Parma, FF. X. 3229), cité avec plusieurs autres 254 SABINE JURATIC hebdomadaire de la librairie, un périodique destiné à recenser chaque semaine les publications nouvelles parues en France et dans les pays étrangers. Un autre groupe d’intermédiaires apparaît de façon éparse dans les registres des Desaint, il rassemble un petit nombre de clients qui, quoiqu’extérieurs au monde de la librairie, servent aussi de relais entre la maison parisienne et son lectorat étranger. Les registres comptables mentionnent en effet, les noms de plusieurs ecclésiastiques et de quelques savants, acheteurs à titre individuel ou au nom de l’institution à laquelle ils appartiennent. Les membres des ordres religieux font d’ailleurs partie de la clientèle très convoitée auprès de laquelle Briasson cherche à s’introduire par l’intermédiaire de Formey il y a beaucoup de bonnes abbayes en Silésie et en Pologne où je ne puis pénétrer, il y a des amateurs aussi dans ces pays et en Bohême, des universités, des savants et des riches à livres ; ce sont eux qui sont favorables aux souscriptions et je vous serai très obligé si vous voulez bien y faire passer mes avis28 Grâce à son correspondant, le libraire parisien est aussi en relation suivie avec l’Académie des sciences de Prusse et il entretient aussi, depuis 1747, des liens étroits avec l’Académie des sciences de Saint Pétersbourg, dont il est le correspondant et le fournisseur attitré pour les livres français29. Une dernière catégorie d’agents de la diffusion du livre francophone est constituée des individus que leurs fonctions, ou les circonstances, placent, de façon temporaire ou plus durable, en position d’intermédiaires. Parmi eux, les diplomates jouent un rôle de premier plan. Le comte de Choiseul est par exemple le promoteur de l’établissement d’une imprimerie à l’ambassade de France à Constantinople, atelier où l’on imprime en arabe, français, latin et italien30. Mais le phénomène touche aussi des membres du personnel diplomatique de moins haut rang, par exemple le chargé d’affaires français à Dubrovnik, Lemaire. En 1763, il est dénoncé à Versailles par le gouvernement de Raguse pour avoir prêté des livres aux sujets scandaleux comme La Pucelle d’Orléans de Voltaire et L’Esprit des catalogues de livres français, par TAVONI, Maria Gioia, « I cataloghi di Giuseppe Remondini (1778–1785) e la circolazione del libro in lingua francese nella seconda metà del Settecento », in : INFELISE, M. e MARINI, P., L’editoria del’700 e i Remondini, Bassano del Grappa : Ghedina & Tassoti editori, 1992, p. 261-288. 28 Correspondance passive de Formey, op. cit., p. 48-49. 29 SOMOV, V., « La librairie française en Russie … », art. cit. 30 BARBIER, F., Le rêve grec de Monsieur de Choiseul, Paris : A. Colin, 2010. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 255

Lois de Montesquieu31. À Paris, Petr Petrovitch Doubrovski, employé de l’ambassade russe durant quinze ans, de 1777 à juin 179232, se charge de l’achat de livres pour des collectionneurs de la plus haute aristocratie de son pays. Enfin, l’attraction qu’exerce Paris au XVIIIe siècle sur les voyageurs étrangers fait d’eux des intermédiaires privilégiés pour la transmission des publications françaises. Le médecin grec Adamantios Koraïs ou le savant jésuite originaire de Dubrovnik, Rudzer Bochkovitch, qui se fixent l’un et l’autre durablement à cette époque dans la capitale française, en sont deux exemples parmi bien d’autres33. Si, en définitive, de nombreux canaux étaient donc susceptibles de favoriser la diffusion d’ouvrages en langue française, y compris dans l’Est et le Sud-Est de l’Europe, il resterait à déterminer quels textes étaient ainsi rendus accessibles et quelles étaient les populations auxquelles ils étaient destinés.

Livres, textes, publics

L’étude – évidemment centrale – de la nature des textes français disponibles dans ces régions et de leur diffusion dans la société demeure encore à faire pour l’essentiel. On se contentera ici de quelques observations, fondées d’une part sur les enseignements livrés par les envois de livres des Desaint au libraire Trattner à Vienne34, et, d’autre part, sur l’analyse très suggestive développée par Maria Gioia Tavoni à partir des catalogues d’assortiment de livres français du libraire vénitien Giuseppe Remondini35, Comme éditeurs, les Desaint de Paris publient des livres appartenant à des domaines variés, à l’exclusion des nouveautés littéraires ou philosophiques, peu représentées dans leur fonds. Ils ont par exemple à

31 DEANOVIC, M., op. cit., p. 31. 32 S OMOV, V., « Les aristocrates russes acheteurs de livres en France pendant la Révolution », in: BOUGE-GRANDON, D., ed., Le livre voyageur, Paris : Klincksieck, 2000, p. 227-249. 33 A. Koraïs (1748–1833), originaire de Smyrne, se fixe à Paris après des études de médecine à Montpellier voir KITROMILIDES, Paschalis M., Adamantios Korais and the European Enlightenment, Oxford : Voltaire fondation, 2010 (SVEC 2010:10). R. Boskovitch après deux séjours temporaires en 1759-1760 à Paris et un de dix ans de 1773 à 1782 au cours duquel il obtient la nationalité française se rend en Italie pour faire éditer ses œuvres complètes chez Remondini. C’est chez cet éditeur vénitien que sont publiés sa Theoria philosophicae rationalis (1763) et son Giornale di viaggio di Costantinopoli in Polonia (1784) dont une traduction française était déjà parue à Lausanne en 1772 (Tavoni, M.G., op. cit, p. 262.) 34 BA RBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris zur Zeit der Aufklärung », in : FRIMMEL, J. und WÖGERBAUER, M., (Hrsg.), op. cit., p. 31-44. 35 TAVONI, M.G. , « I cataloghi di Giuseppe Remondini (1778–1785) », art. cit. 256 SABINE JURATIC leur actif, outre la publication des œuvres de théologiens et professeurs jansénistes, l’édition des Œuvres du jurisconsulte Denisart, de l’Astronomie de Jérôme de La Lande, ou du Cours d’architecture de Blondel, ainsi que celle des volumes de la Description des Arts et métiers de l’Académie royale des sciences. On retrouve certains de ces titres dans les ballots adressés à Trattner à Vienne, mais ils y côtoient de nombreux ouvrages publiés par d’autres libraires36. Ainsi un envoi du 29 janvier 1768, rassemble, à côté de plusieurs éditions appartenant au fonds Desaint comme l’Explication du livre de la Genèse de l’abbé Duguet, l’Histoire de France de Velly, ou l’Art du perruquier paru en 1767, et des publications relevant de registres aussi divers que la médecine (Avis au peuple sur sa santé de Tissot), la littérature (les Malheurs de l’amour de Mme de Tencin ou La Bergère des Alpes), les sciences morales (Causes de la dépopulation de l’abbé Jaubert) ou la philosophie (Pensées philosophiques de Hume). L’activité de distributeur des Desaint est donc loin de se cantonner aux seuls livres de leur fonds et le journal de leurs expéditions enregistre, à travers les commandes de Trattner, des intérêts plus ouverts que le champ d’activité en apparence traditionnel de cette maison d’édition parisienne. Le libraire vénitien Giuseppe Remondini est, quant à lui, l’un des personnages clé d’une ville qui est elle-même un centre stratégique pour l’édition et le commerce du livre en Europe du Sud-Est37. Quoi qu’il n’apparaisse pas parmi les clients de Duchesne ou de Desaint, – ce qui constitue en soi une indication sur les limites du rayonnement de la librairie parisienne –, il est leur contemporain et il est très impliqué dans le commerce du livre français. On connaît de lui au moins deux catalogues spécifiquement consacrés aux ouvrages en langue française, datés de 1778 et 1785 et comportant respectivement 327 et 682 titres. M. G. Tavoni en a donné une analyse très fine, de laquelle trois aspects semblent particulièrement à retenir. Il apparaît en premier lieu que la distribution par grandes catégories bibliographiques des titres proposés par Remondini se différencie assez nettement de la répartition thématique de la production imprimée en France à la même époque. Les catalogues du libraire vénitien ménagent en effet une part importante aux ouvrages religieux qui représentent 28 % (94 titres) en 1778, proportion qui tend à se réduire mais est encore de 20 % (136 titres) en 1785. Ils font apparaître une augmentation sensible des titres d’histoire et géographie – 13 à 22 % (41 à 151 titres) – alors que les 36 BA RBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris », art. cit. 37 I NFELISE, Mario, L’editoria venziana nel Settecento, Milan, Franco Angeli, 1989, p. 262-274. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 257 belles-lettres et surtout les sciences et arts voient leur proportion diminuer, suivant une évolution inverse de celle qu’on observe en France38. Cette particularité s’éclaire en partie lorsque l’on s’intéresse aux lieux d’édition dont la répartition est, elle aussi, riche d’enseignements. En effet, en 1778, 44 % des titres portent l’adresse de Paris, 18 % celle de Lyon et 9 % celle d’Amsterdam. La Haye (4 %) et Venise (2 %) suivent, tandis qu’un grand nombre de villes italiennes et étrangères se partagent le quart restant des titres. En 1785, les adresses parisiennes déclarées ne concernent plus que 30 % des titres, Amsterdam (17 %) devance désormais Lyon (10 %) et La Haye (7 %), tandis que Londres (3 %) et Lausanne (2 %) accèdent au groupe des lieux les plus fréquemment cités et que près d’un tiers des publications portent l’adresse d’autres villes d’Italie, des Pays Bas autrichiens, de Suisse ou des pays germaniques. Même s’il est vraisemblable qu’une partie de ces indications de lieux reflète l’usage courant à cette époque des fausses adresses d’édition, ces données témoignent d’un affaiblissement – au moins symbolique – de la présence française dans l’édition francophone et d’une dissémination des lieux de production en Europe, dissémination qui contribue à son tour à la démultiplication des circulations des titres en français. Un troisième aspect mis en lumière par l’étude de Maria Gioia Tavoni est l’évolution des formats des ouvrages proposés en vente par Remondini. Entre 1778 et 1785, l’augmentation significative des in-folio atteste de l’importance des pratiques bibliophiliques dans le commerce international et de la vogue que rencontrent les grandes séries richement illustrées destinées à une clientèle fortunée publiées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, parmi les ouvrages envoyés par la veuve Desaint à Vienne en 1774 figure l’un des fleurons de son catalogue, un exemplaire en grand papier de la luxueuse édition en quatre volumes des Fables de La Fontaine illustrée par Oudry39. Au total l’offre de livres français proposée par Remondini couvre donc un large éventail de textes, mais aussi d’objets, depuis les livrets de dévotion encore très présents en 1778, jusqu’aux ouvrages les plus prestigieux en faveur auprès des riches collectionneurs. Cette diversité suggère que différents publics étaient visés par le libraire. Confronter de façon plus précise les titres qu’il propose en vente à ceux que les Desaint

38 La littérature qui occupait le tiers du premier catalogue vénitien, ne représente plus qu’un peu plus du quart, 27 % (184 titres), en 1785 ; les sciences et arts passent de 17 à 14 % (de 55 à 95 titres). 39 BA RBIER, F., « Buchhandlungsbeziehungen zwischen Wien und Paris », art. cit. 258 SABINE JURATIC envoient chez leurs principaux correspondants étrangers pourrait constituer une étape pour éclaircir les relations complexes entre réseaux du livre et diffusion des textes en français. En guise de conclusion provisoire, on observera que la question initialement soulevée – dans quelle mesure la francophonie est-elle diffusée en Europe du Sud-Est par le biais du livre imprimé ? – s’est vite révélée insoluble depuis Paris, mais que la démarche n’a pas été totalement infructueuse. Elle a eu pour premier mérite de rappeler le fait que l’étude de la diffusion du livre exige de prendre en considération un réseau organisé de relais commerciaux et que, dans cette aire géographique particulière, l’approche ne peut se faire à partir des seules sources professionnelles. Dans ces territoires, les initiatives et les financements institutionnels et privés sont fondamentaux dans la circulation des livres comme dans leur fabrication40 et les individus placés en position d’intermédiaires culturels, à l’instar de la haute aristocratie hongroise ou tchèque41, jouent un rôle primordial. Par ailleurs, si, comme a pu le souligner Mario Infelise42, la circulation des livres à l’époque moderne est souvent de dimension européenne, l’étude de la diffusion des ouvrages en langue française montre que, dans ce négoce international, les positions sont hiérarchisées et induisent des pratiques commerciales et des cheminements complexes. De l’analyse esquissée ici, on retiendra surtout, le rôle de redistribution assurée par Venise et par Vienne, la faible interactivité entre les systèmes de librairie allemande et française et le maintien du rôle de relais des Provinces-Unies, en dépit d’un certain affaiblissement de leur position et de l’intervention croissante des Pays-Bas méridionaux sous tutelle autrichienne. L’angle du commerce et des flux qui a été privilégié est cependant loin d’épuiser le questionnaire sur la diffusion de la francophonie et il reste nécessaire de mieux prendre en compte les types de textes, leurs usages différenciés et les caractères formels des livres qui les véhiculent. Une voie possible pour prolonger les investigations pourrait consister à comparer 40 Voir BLINDA, Virginia, « Typographies privées dans les principautés roumaines – première moitié du XIXe siècle », in : Impact de l’imprimerie et rayonnement intellectuel des Pays Roumains, Bucarest, Institut des études Sud-Est européennes, 2009, p. 73-82. 41 G RANASZTOI, O., « la librairie viennoise et l’approvisionnement de la Hongrie », art. cit. ; MADL, Claire, « L’aristocrate client, complice et concurrent des libraires. Quelques traits de l’approvisionnement des bibliothèques nobiliaires de Bohême dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », in : FRIMMEL, J., WÖGERBAUER, M. (Hrsg.), op. cit., p. 173-187. 42 I NFELISE, Mario, L’editoria veneziana nel Settecento, Milano, Franco Angeli, 1989, p. 217. Francophonie et commerce du livre en Europe de l’Est et du Sud-Est 259 de ces trois points de vue, pour une période donnée, les catalogues de quelques grands libraires importateurs et diffuseurs d’ouvrages en langue française dans différents pays. Dans ce vaste magasin européen de livres, il serait peut-être possible de discerner quels étaient les imprimés qui circulaient effectivement dans chaque région. Une image plus contrastée et moins idéalisée de la francophonie des Lumières – ou peut-être serait-il d’ailleurs plus juste de dire des francophonies – pourrait émerger de cette confrontation.

Tableau 1

Villes d’implantation des clients étrangers des libraires parisiens Desaint et Duchesne par montant décroissant des créances en 1765

Nombre de Rang Ville Montant des créances correspondants 1 Londres 2 14937 2 Amsterdam 6 14764 3 Vienne 2 11565 4 Avignon 4 7217 5 Lisbonne 4 6444 6 Turin 3 4472 7 Edimbourg 1 4074 8 Leyde 1 2987 9 Bruxelles 3 2398 10 Mastrick 1 1493 11 Madrid 1 1010 12 Naples 1 1002

(Sources : BHVP ms. NA 490 [1] ; AN, MC : LXIV/388, 9.7.1765) 260 SABINE JURATIC

Tableau 2

Ville d’implantation des débiteurs étrangers du libraire Duchesne, éditeur de théâtre et de nouveautés littéraires, en 1765

Nombre de Rang Ville Montant des créances correspondants 1 Amsterdam 2 2484 2 Turin 2 686 3 Bruxelles 2 585 4 Mastrick 1 423 5 Nuremberg 1 394 6 Lisbonne 1 294 7 Genève 1 107 8 Lausanne 1 49

(Source : AN, MC : LXIV/388, 9.7.1765) La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle

OTTO LANKHORST

Le président de notre section, notre cher professeur Frédéric Barbier, est un grand amateur du chemin de fer et des trains. Pour cette raison je me permets comme introduction un souvenir d’enfance. J’ai grandi à Deventer aux Pays-Bas, ville du moyen âge, ville de Hanse, ville important pour l’impression d’un grand nombre des incunables. Comme enfant je voyageais avec ma famille en train. Pour aller à Amsterdam nous prîmes parfois le train international en provenance de Berlin. Dans ce train j’étais chaque fois fasciné par le petit panneau au dessous de la fenêtre avec le texte : « E pericoloso sporgersi – Nicht hinauslehnen – Ne pas se pencher au dehors – Do not lean out of the window ». Ce fut ma première confrontation avec d’autres langues, en tous cas avec le français et l’italien. Ce souvenir est surgi en moi, en préparant ma communication d’aujourd’hui sur la francophonie dans la librairie hollandaise au 17e et 18e siècle. Je me demandais comment au 17e siècle un enfant hollandais aurait été confronté avec d’autres langues. En tous cas pas par des indications dans des trains. Au 17e et 18e siècle le transport publique entre les villes hollandais était organisé par des barques (‘trekschuiten’). Le réseau des canaux et des voies d’eau offrait un système de transport unique en Europe. Tous les voyageurs étrangers s’accordent à reconnaître la régularité et la commodité de ces barques publiques, qui, dans chaque grande ville, partaient ponctuellement d’heure en heure. Un enfant grandissant en Hollande au 17e siècle a été sans doute confronté avec d’autres langues en entendant parler ces autres langues à vive voix, dans la rue, dans des boutiques et sur des marchés. Au 17e siècle la Hollande était un pays beaucoup plus international que les Pays-Bas 262 OTTO LANKHORST pendant les années cinquante du 20e siècle quand moi je prenais ce train international entre Deventer et Amsterdam. La société néerlandaise au 17e siècle était ouverte aux étrangers – il est difficile à comparer, mais peut-être elle était plus ouvert qu’à l’heure actuelle – et ces étrangers ont considérablement contribué au haut degré de notre Siècle d’Or et au miracle hollandais. Le premier flot des immigrés consistait des réfugiés venant des Pays-Bas du Sud à la fin du 16e siècle. Cette partie des Pays-Bas, autour des villes d’Anvers, de Malines et de Bruxelles, dépendait du roi d’Espagne. A cause d’une politique religieuse rigoureusement appliquée par les Espagnols et ne permettant aucun écart de doctrine, nombreuses personnes ont quitté leurs villes pour aller au nord et s’installer en Hollande. On estime le volume total de cette première immigration partant des Pays-Bas méridionaux à 150 000 personnes. Ce premier refuge des immigrations flamandes et wallonnes a apporté pour les Pays-Bas un changement de l’orientation culturelle de la société. On est même allé à postuler que les immigrés du Sud auraient apporté vers le Nord un style de vie plus fin et des goûts de luxe qui auraient puissamment stimulé une économie déjà en expansion et imposé à la société hollandaise un modèle de comportement qui mêlait les bonnes manières et l’étiquette française à une certaine austérité doctrinale d’origine réformée Parmi ces immigrants réfugiés des Pays-Bas méridionaux il y avait de nombreux typographes, imprimeurs, libraires. La censure sévère dans les provinces du Sud leur rendait la vie professionnelle souvent trop dangereux. L’arrivée de ces nombreux immigrants réfugiés joua un rôle important dans le développement de la librairie hollandaise. Anvers, qui au seizième siècle, avait pris la relève de Venise dans le monde du livre, perdit peu à peu cette place dès le début du dix-septième siècle. La province de Hollande et particulièrement les villes de Leyde et d’Amsterdam lui succèdent. Les réfugiés des Pays-Bas du Sud ouvrent le chemin à d’autres immigrants, séduits par le climat libéral de la République. Parmi eux sont des juifs venant de l’Europe Centrale, des sociniens, et autour de 1685 nombreux huguenots, obligés de quitter leur pays, la France, après la Révocation de l’Édit de Nantes. L’abbé Raynal écrit plus tard dans l’Histoire philosophique et politique des Établissements & du Commerce des Européens dans les deux Indes : C’est aux dépens de l’Europe entière, que la Hollande a sans cesse augmenté le nombre de ses sujets. La liberté de conscience dont on y e e La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17 et 18 siècle 263

jouit, & la douceur des loix, y ont attiré tous les hommes qu’opprimoient en cent endroits l’intolérance & la dureté du gouvernement.1 Les réfugiés s’installaient surtout dans les villes en Hollande. La République des Sept Provinces consiste – le nom le dit bien – de sept provinces. La province d’Hollande était la plus riche et par conséquence la plus importante. La République était un pays décentralisé. Il manque un vrai centre comparable avec Paris ou Londres. Bien sûr, Amsterdam était le centre économique et La Haye le centre diplomatique (encore toujours). D’autres villes jouaient cependant aussi un rôle important : Dordrecht (la plus ancienne ville d’Hollande, où à l’origine les États Généraux se réunissaient), Rotterdam (important centre commercial), Middelburg (le centre économique manqué), Haarlem (la ville de Laurens Janszoon Coster, considérée par les Hollandais comme l’inventeur de l’imprimerie). Et hors de la province d’Hollande : Utrecht (traditionnellement le centre religieux du pays, le siège de l’evêque), les villes de Hanse : Deventer, Zwolle, Zutphen, Kampen (ces villes avaient perdu leur gloire médiévale), Groningen et Leeuwarden dans le nord du pays et tout au nord : la ville universitaire de Franeker ou des centaines d’étudiants de Transylvanie ont fait leurs études. Un de mes collègues néerlandais, Ferenc Postma, a trouvé beaucoup des livres, emportés par eux lors de leur retour, dans des anciens bibliothèques de leurs collèges à Sibiu, Alba-Iulia, Aiud, Tirgu Mures et Cluj-Napoca.2 Tous et toutes parmi vous qui ont le plaisir de consulter régulièrement des livres anciens, reconnaissent sans doute les noms de ces villes comme lieux d’édition sur des pages du titre, parce que les libraires s’étaient dispersés dans toutes ces villes. La Hollande était ouvert aux étrangers. Cette ouverture règnait aussi dans le domaine de la librairie. Les différents métiers étaient en principe protégés par les corporations ; les étrangers pouvaient y entrer sur certaines conditions. Le monde de la librairie était comme tout le pays organisé d’une manière décentralisée. Chaque ville avait sa propre corporation des libraires. Avant d’avoir leur propre corporation les libraires avaient fait partie de la communauté des peintres (la corporation de Saint Lucas),

1 [ RAYNAL, Guillaume Thomas François], Histoire philosophique et politique des Établissements & du Commerce des Européens dans les deux Indes (La Haye : P. Gosse Fils, 1774), tome premier, pp. 316-317. 2 POSTMA, Ferenc, “Op zoek naar Franeker academisch drukwerk. Impressies van een drietal studiereizen naar Roemenië (1991–1993), Jaarboek van het Nederlands Genootschap van Bibliofielen, 1 (1993), 27-47 ; Idem, “Op zoek naar Franeker academisch drukwerk. Enkele impressies van een vierde studiereis naar Roemenië (1994)”, in : Idem, 2 (1994), 125-147. 264 OTTO LANKHORST notamment à cause des activités des relieurs, qui étaient cru d’utiliser parfois des brosses. Le moment que les libraires et imprimeurs se sont associés dans une propre communauté diffère pour chaque ville. La communauté de libraires la plus ancienne est celui de Middelburg : 1590. Ensuite, les libraires d’Utrecht s’organisaient en 1599, de Haarlem en 1616, de Leyde en 1651, d’Amsterdam en 1662, de Rotterdam en 1669 et ceux de La Haye seulement en 1702. La corporation des libraires à Amsterdam comptait en 1688 186 membres ; en 1740 un peu plus de 200 ; en 1785, 326. Chaque corporation avait son propre règlement ou ordonnance (en néerlandais : ‘ordonnantie’ ou ‘keur’). Je cite quelques articles du règlement d’Amsterdam : –– chaque élève doit subir un temps d’apprentissage de quatre ans ; il doit avoir l’âge d’au moins doux ans ; –– après la mort d’un membre de la communauté sa veuve ou son fils/fille peut continuer l’entreprise sans avoir suivi la formation comme élève pendant quatre ans ; –– des juifs et des catholiques peuvent être membre sans difficulté ; –– chacun qui a été élève pendant quatre ans (à Amsterdam ou ailleurs) peut s’inscrire dans la communauté. Une dispensation pour les années d’apprentissage est possible. Il y a une dispensation générale pour les réfugiés huguenots ; –– le taxe d’admission était quatre et demi florins pour les fils des citoyens ; sept et demi florins pour d’autres personnes. En comparaison avec d’autres villes c’était bon marché. A La Haye le taxe était 12 florins pour le fils d’un membre de la communauté, 18 pour le fils d’un citoyen, 21 pour un habitant de la province d’Hollande, 25 pour un habitant de la République et 30 pour un étranger. Donc, un libraire venant d’ailleurs pouvait entrer dans la corporation sur condition qu’il payait une somme d’entrée plus grande qu’un libraire originaire de la République. L’immigré, le plus important pour le développement de l’imprimerie dans la République des Provinces-Unies a été, sans aucun doute, Louis Elzevier. Lui, venant d’Anvers, et ses descendants sont devenu des phares pour la librairie internationale des Pays-Bas au 17e siècle. Écoutons Adrien Baillet dans son Jugement des imprimeurs d’Hollande : Il n’y a point de boutique [donc, il s’agit des Elzeviers] d’òu il soit sorti de plus beaux livres ny en plus grand nombre. Il faut avoüer qu’ils ont esté au dessous des Estiennes tant pour l’erudition que pour les editions Grecques & Hebraïques : mais ils ne leur ont cedé ny dans le choix des e e La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17 et 18 siècle 265

bons livres, ny dans l’intelligence de la Librairie : & ils ont eu mesme le dessus pour l’agrément & la delicatesse des petits caracteres. Ainsi ce n’est point sans raison qu’on les considere encore comme la Perle des Imprimeurs, non seulement d’Hollande, mais encore de toute l’Europe.3 Un autre libraire réfugie était Willem Silvius ; en Anvers imprimeur du roi d’Espagne ; à Leyde imprimeur des Etats d’Hollande et de la toute jeune Université de Leyde. Dans les années avant et après 1685, la Révocation de l’Edict de Nantes, un nouveau flot des huguenots, des protestants français, fuient leur pays pour s’installer en Angleterre, au Brandenbourg, les pays scandinaves, la Suisse et en grand nombre dans la République des Sept Provinces. Ces masses importantes, – centaines de milliers – accueillies dans toute l’Europe protestante et ses colonies, allaient former à long terme une sorte d’internationale huguenote de la francophonie, fournissant non seulement les cadres intellectuel du français hors de France, mais aussi les maîtres et gouvernantes nécessaires à sa dissémination quotidienne parmi les élites et les bourgeois étrangères. Parmi les huguenots s’installant en Hollande, il y a des libraires qui ont eu une entreprise en France : Henri Desbordes venant de Saumur, les frères Huguetan venant de Lyon, Pierre Brunel venant de Montpellier. D’autres commencent en Hollande une carrière comme libraire. A Amsterdam, une centaine des libraires sont membre de l’Église Wallone, l’église francophone. Quatre-vingt sont des vrais réfugiés venant de la France. Bien sûr, chaque libraire avait son personnel : typographes, correcteurs, traducteurs, élèves. Dans l’entreprise des frères Huguetans (12 presses et 6 presses pour des tailles-douces) il y avait au total 55 ouvriers. Parmi ces ouvriers travaillant dans les imprimeries il y avait également beaucoup des huguenots. Cette grande présence des français au monde de la librairie hollandaise n’est pas par hasard. Les libraires hollandais imprimaient des livres – bien sûr tout d’abord en néerlandais –, mais ensuite dans beaucoup d’autres langues. Les chiffres fournies par notre bibliographie nationale pour la période de l’Ancien Régime, le STCN, Short-Title Catalogue Netherlands (une base de données à consulter par Internet4) montre bien que le lingua franca utilisé dans la production livresque des libraires hollandais était le latin pendant toute la période de l’Ancien Régime. Cette prédominance du latin est surtout due aux nombreux publications académiques, plutôt

3 BAILlet, Adrien, Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs, tome II-1 (Paris : A. Dezallier, 1685) « Jugement des principaux imprimeurs », p. 81. 4 Voir : www.stcn.nl 266 OTTO LANKHORST

éphémères : les disputationes et dissertationes, produites en milliers aux universités de chaque province de la République des Sept Provinces : de Leyde, d’Utrecht, de Franeker, de Groningen, de Harderwijk. Le vrai lingua franca des libraires hollandais, en tout cas à partir des années 1660–1670 est le français. Des libraires hollandais publient en français des livres philosophiques (les plus connus parmi eux sont sans doute Descartes et Pierre Bayle), des livres religieux (notamment des livres des huguenots et des jansénistes), des livres d’histoire et tout la gamme des livres littéraires (romans, pièces de théâtre, poésie), souvent en forme des contrefaçons des publications faites en France. Il faut dire que les libraires français de leur côté étaient responsable des nombreuses contrefaçons faites en Hollande.5 Ensuite, les libraires hollandais avaient une grand rôle dans la production des fameux gazettes de Hollande (Gazette d’Amsterdam, Gazette de Leyde, Gazette de la Haye) et des journaux littéraires (Nouvelles de la Républiques des Lettres, Histoire des ouvrages des savants et tant d’autres). Ces gazettes et journaux avaient une grande importance pour la distribution des nouvelles politiques et littéraires pendant l’Ancien Régime. Le français comme lingua franca parmi des libraires en Europe se montre égelement dans les nombreuses lettres qui étaient échangées entre eux. Pierre Gosse, un des grands libraires de La Haye, appelait la correspondance même « l’âme du commerce ».6 Malheureusement, il nous reste très peu des ces lettres. Les libraires d’Hollande rédigent, à partir de la deuxième moitié du 17e siècle, leurs catalogues, catalogues de libraires et catalogues de ventes – une autre source si importante en histoire du livre – presque toujours en français. Il est évident que les libraires françaises et leur personnel francophone (compositeurs, correcteurs), réfugiés en Hollande, ont beaucoup facilité et soutenu toute cette production des livres et périodiques en langue française. Il figure aussi des beaux exemples des libraires d’origine hollandais qui ont construit un fonds important en langue française. Je vous présente notamment le libraire rotterodamois Reinier Leers qui pouvait faire appel à Pierre Bayle qui avait cherché comme huguenot exil à Rotterdam en 1682. Leers assure une protection et soutien financier à Bayle et il lui est 5 Cf. LANKHORST, Otto S., « Stratégies des libraires hollandais pour protéger leurs éditions françaises de la concurrence », in : Le siècle des Lumières, vol. 2 : Censure et statut de l’imprimé en France et en Russie au Siècle des Lumières, tome 1 (Moscou 2008), pp. 367-378. 6 Cf. LANKHORST, Otto S., « “La correspondance est l’âme du commerce” : les échanges épistolaires entre les libraires hollandais et la Russie au XVIIIe siècle », dans : G. Dulac (éd.), La Culture française et les archives russes. Une image de l'Europe au XVIIIe siècle (Ferney-Voltaire : Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2004), pp. 15-25. e e La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17 et 18 siècle 267 indispensable dans les contacts avec la France pour fournir des livres dont Bayle a besoin et pour l’envoi de lettres et de paquets. Bayle de son côté, a été pour Leers d’une très grande importance pour la qualité de son fonds, par ses propres chef-d’œuvres et comme intermédiaire aux ouvrages d’autres huguenots venus de France. Bayle était un lecteur attentif de manuscrits. Outre des livres en français et latin, les libraires hollandais publiaient en anglais, allemand, grec, hébreu, espagnol, italien et il ne faut pas oublier que Pierre le Grand donnait ordre à l’impression des livres en langue slave lors de son séjour à Amsterdam en 1697. Toute cette production livresque en français et d’autres langues était destiné au marché international. La Hollande servait pendant le 17e et 18e siècle comme pays d’entrepôt et de transfert, pays au carrefour des routes de transport, entre la Grande-Bretagne et les pays allemands, entre la France et les pays scandinaves. Les libraires pouvaient se servir d’un réseau de communication très étendu et bien organisé avec des collègues- libraires en toute l’Europe. Un exemple de ce réseau de libraires tissé à travers toute l’Europe est une simple annonce dans la Gazette d’Amsterdam de Pieter de Hondt, fameux libraire de La Haye. De Hondt faisait savoir dans la Gazette du 24 avril 1750 qu’il allait vendre aux enchères la collection du comte de Wassenaar Obdam. Le catalogue de la vente venait d’être publié et les intéressés pouvaient le trouver : à Londres, Edimbourg, Paris, Vienne, Hambourg, Francfort, Leipzig, Dresden, Berlin, Zürich, Berne, Bâle, Lausanne, Genève, Hanover, Copenhague, Wolfenbuttel, Breslau, Gotha, Gottingue, Manheim, Munich, Bayreuth, Augsbourg, Nuremberg, Ratisbonne, Wetzlar, Mayence, Lisbonne, Rome, Florence, Venise, Milan, Turin, Parme, Gênes, et dans les autres principales villes de l’Europe chez les Libraires.7 Les livres français imprimés en Hollande ne servaient pas uniquement à l’envoi aux collègues et clients à l’étranger. Il y avait aussi une vente importante à l’intérieur du pays. Comme déjà dit, le nombre des francophones, huguenots et d’autres, était grand aux Pays-Bas. Ils fréquentait les boutiques des libraires. En plus, une partie considérable des autochtones des Pays-Bas maîtrisaient plus ou moins la langue française. La langue française a été pour les néerlandais toujours la langue des diplomates ; elle se développait au cours du 17e siècle aussi comme langue des savants et des lettrés, et des commerçants. Le français était enseigné entre autre aux écoles français, destinées à ceux qui se préparaient au commerce. Par 7 Gazette d’Amsterdam, 1750, no. 32 (24 avril). 268 OTTO LANKHORST l’immigration des huguenots il ne manquait pas des professeurs français, prêts à enseigner dans les écoles et au sein des familles comme gouverneurs et gouvernantes. Il est bien de se souvenir que le niveau d’alphabétisation était élevé en Hollande dès le 17e siècle, en raison de l’important réseau scolaire et préprofessionel. Je cite le voyageur italien Guicciardini qui écrit en 1567 : « la plupart des gens ont quelque commencement de Grammaire, & presque tous, voire iusques aux villageois sçavent lire & escrire ».8 P eut- être il a un peu exageré, mais les chiffres tirés des archives prouvent qu’à Amsterdam le pourcentage des hommes qui parviennent à signer monte de 57 % en 1630 jusqu’à 85 % en 1780 ; pour les femmes ces chiffres vont de 32 % en 1630 jusqu’à 64 % en 1780. Petit détail : l’analphabétisme est plus élevé parmi les catholiques que parmi les calvinistes et les luthériens.9 Dans un tel climat intellectuel, favorable à la langue française, les immigrés et les voyageurs francophones pouvaient se bien débrouiller dans les villes d’Hollande sans parler néerlandais. Écoutons Pierre Bayle dans une lettre à son frère Joseph, écrite en 1684, deux ans après son arrivée à Rotterdam : La langue francoise est si connuë en ce pais ci que les livres francois y ont plus de debit qu’aulcune autre. Il n’y a guere de gens de lettres qui n’entendent un livre francois, quoi qu’ils ne puissent pas parler tous francois.10 Bayle a tant des amis et des connaissances francophone qu’il oublie parfois d’être à l’étranger.11 Un siècle plus tard, le voyageur Louis-Charles Desjobert souligne en 1778 : « les Hollandais ont l’habitude de bien parler plusieurs langues à la fois, plus qu’aucune autre nation d’Europe ; le français et l’anglais surtout sont familiers (…). Il faut convenir qu’il y en a qui prononcent le français d’une manière très barbare, mais, enfin, ils entendent et se font

8 . GUICCIARDINI, Lodovico, Description de tout le Païs-Bas (Anvers : Guillaume Silvius, 1567), p. 34 : « la plupart des gens ont quelque commencement de Grammaire, & presque tous, voire iusques aux villageois sçavent lire & escrire ». 9 LANKHORST, Otto S., « Bilan sur l’histoire de la lecture en Hollande pendant l’Ancien Régime », dans : Histoire de la lecture, un bilan des recherches. Actes du colloque des 29 et 30 janvier 1993 Paris. Ed. par Roger Chartier (Paris : IMEC Éditions, 1995), pp. 125-139. 10 BAYLE, Pierre, Correspondance, tome 4 (Oxford : Voltaire Foundation, 2005), p. 86. 11 Cf. BOTS, Hans, “Pierre Bayle en de Rotterdamse Illustre School”, dans : Rotterdams jaarboekje, 8e série, 10(1982), p. 187. e e La Francophonie dans la librairie hollandaise au 17 et 18 siècle 269 entendre ».12 Cette critique sur la manière barbare à prononcer et à écrire le français, l’écrivain néerlandais Justus van Effen l’a du encaisser par Denis- François Camusat au début du 18e siècle : vous écrivez passablement pour un étranger, mais le goût du terroir ne se perd jamais à vos transpositions forcées, à vos constructions louches, à vos termes impropres et bas, nous reconnaîtrons toujours que notre langue ne vous est pas naturelle.13 Dans la deuxième moitié du 18e siècle, la francophonie dans la librairie hollandaise réduit considérablement. Cela est un élément du déclin général de la librairie internationale en Hollande. Ce déclin définitif a déjà commencé vers 1730–1740 et s’intensifie dans les décennies suivantes. Les causes du déclin sont d’ordre divers : politique, économique et culturel. Du point de vue politique, les autorités changent d’attitude quant à la censure. En France, la censure des livres devient moins sévère après 1750 ; en Hollande les autorités religieuses et politiques tentent au contraire de juguler le climat libéral. Economiquement, la librairie hollandaise se heurte maintenant à une concurrence de plus en plus forte, et pas uniquement en France. Bouillon, Neuchâtel, Kehl, Liège, Maastricht, Dresden exigent leur place dans l’édition de livres français. Cette concurrence est difficile à parer, surtout à cause du coût élevé de la main d’oeuvre dans la République des Provinces- Unies. En 1769, le libraire haguenois Pierre Gosse jr. déclare dans une lettre à son confrère parisien Panckouke que les libraires hollandais sont devenus « les colporteurs des libraires étrangers ». Ils publient de moins en moins de livres pour le marché international. On lit sous la plume du libraire Gosse : « la Librairie d’Hollande est maitrisé aujourd’hui par la Librairie étrangère, et sur tout par celle de Paris, au point que des qu’un libraire d’Hollande entreprend le moindre ouvrage, il est d’abord contrefait à Paris et ailleurs ».14 Mais les changements culturels à l’intérieur de la Hollande sont aussi pour beaucoup dans le déclin de l’édition des livres français. Comme déjà dit,

12 Cf. VAN STRIEN-CHARDONNEAU, Madeleine, Le voyage de Hollande : récits de voyageurs français dans les Provinces-Unies, 1748–1795 (Oxford, Voltaire Foundation, 1994), p. 265. 13 F RIJHOFF, Willem, “Verfransing? Franse taal en Nederlandse cultuur tot in de revolutietijd”, dans : Bijdragen en mededelingen betreffende de geschiedenis der Nederlanden, 104(1989), p. 600. 14 Lettre P. GOSSE jr. à Ch.-J. PANCKOUCKE, 5 mai 1769, dans : Bibliothèque Publique et Universitaire, Genève, Ms Suppl. 148, f. 48. 270 OTTO LANKHORST la production des livres français en Hollande n’avait jamais été uniquement destinée à l’étranger. Il existait également au sein de la République des Provinces-Unies elle-même, un large public pour les livres, périodiques et gazettes en langue française. Mais au cours de la deuxième moitié du dix-huitième siècle, le français commence à perdre son importance pour les lecteurs hollandais. La production en langue néerlandaise augmente et des voix d’un courant nationaliste se lèvent contre une ‘verfransing’ (franciscation).

A l’heure actuelle nous sommes aux Pays-Bas, comme dans beaucoup d’autres pays, plutôt victime d’une autre domination, celle de l’anglais. Un enfant d’aujourd’hui qui grandit dans une des villes d’Hollande est bien confronté avec beaucoup des nationalités différentes. La ville de Rotterdam y compte même 173. Comme langue étrangère ce même enfant est surtout confronté avec l’anglais : à la télévision, dans la musique pop, dans les jeux pour ordinateur – et sur des panneaux dans les trains où les indications sont en néerlandais et en anglais. En tous cas, se pencher au dehors, sporgersi di finestra, lean out the window, oder hinauslehnen, n’est plus possible, parce qu’il est désormais complètement impossible à ouvrir les fenêtres dans les trains climatisés d’aujourd’hui. Nouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires et les langues dominées. L’exemple du Québec

CATHERINE BERTHO LAVENIR

Introduction

Quel rôle peut-on assigner au medium, entendu ici au sens du support de l’écriture, dans le processus qui donne aux langues vernaculaires le statut de langue littéraire ? Dans le Québec contemporain les langues autochtones sont en train de se transformer en vecteur de la création littéraire. Le processus mobilise les institutions liées à la culture de l’écrit (universités, maisons d’édition) et s’appuie sur des formes textuelles classiques : roman, nouvelles, autobiographies, récits. On peut considérer que les communautés autochtones du Québec suivent ce faisant un chemin à la fois original et commun à de nombreuses communautés dominées. Au XIXe et au XXe siècle, en effet, en Europe, de nombreux groupes ethniques et linguistiques ont été confrontés à la nécessité d’appuyer leur revendication identitaire en obtenant la reconnaissance de leur langue comme langue littéraire. Ce processus de maîtrise de l’écrit passe en général par deux étapes : en premier lieu la fixation de la langue puis la diffusion d’œuvres par l’intermédiaire de l’imprimé. On peut se demander ce que l’apparition du web modifie dans ces processus d’affirmation identitaire, auparavant appuyés sur l’écrit. Internet offre en effet des possibilités d’intervention dans l’espace public jusqu’ici inédites. Il est possible de tenir un blog littéraire, de créer un site pédagogique pour favoriser la diffusion de la langue, de construire une sociabilité en s’appuyant sur les réseaux sociaux. Autant de modalités nouvelles d’affirmation de la langue dans l’espace public. Ces modalités nouvelles s’articulent cependant sur des formes de diffusion de la langue 272 CATHERINE BERTHO LAVENIR plus anciennes qu’elles ne supplantent pas entièrement : la rédaction d’œuvres littéraires, la création de collections éditoriales, la reconnaissances d’écrivains comme auteurs, par exemple. Pour disposer d’un cadre de saisie global, on comparera ce que l’on peut observer aujourd’hui de l’usage d’internet dans la reconnaissance des langues autochtones au Québec avec les schémas traditionnels d’affirmation des langues vernaculaires tels que les ont décrits les historiens pour l’Europe du XIXe siècle. Pour comprendre par quelles procédures pratiques fondées sur Internet les communautés au Québec donnent à leur langue un statut littéraire, on s’intéressera particulièrement à un blog littéraire particulièrement connu : celui de Naomi Fontaine, jeune auteure innue.

La trajectoire des langues dominées : constantes

Si l’on considère dans une perspective médiologue le processus de défense et illustration d’une langue comme mode d’affirmation dans l’espace public d’une communauté, on voit comment un modèle centré sur l’imprimé s’est mis en place au sein des espaces nationaux européens au XIXe siècle au moment où l’affirmation des Etats-Nations, organisés sur une communauté de langue et de références historiques, a coïncidé avec l’effacement des civilisations paysannes traditionnelles1. L’affirmation des langues nationales a obligé les acteurs sociaux à réinventer un statut pour des langues devenues dominées. Cette réinvention s’est faite au XIXe siècle à travers l’usage de technologies précises : l’imprimé, le livre, le journal, et dans une moindre mesure, au XXe siècle, les procédés d’enregistrement du son, utilisés en particulier par les ethno musicologues et ethnologues. Le processus a été analysé par les historiens de la culture. Leurs travaux permettent de reconnaître des constantes au delà de la diversité des situations et des contextes. La première remarque est que cette affirmation d’une langue vernaculaire comme langue littéraire se fait dans un contexte de domination. En premier lieu, ces langues passent d’un contexte culturel qui était celui de la tradition (usage vernaculaire) au statut de langue savante, susceptible de donner naissance à une littérature, à un moment où leur situation est fragilisée comme langues véhiculaires. La pression économique, scolaire, renforcées parfois par des décisions législatives, conduisent les communautés à adopter la langue dominante dans l’espace politique et économique auquel elles appartiennent. En conséquence, la conscience de cette fragilité incite

1 Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales. Europe XVIIIe–XXe siècle, Seuil, 1999, 302 p. N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 273 un certain nombre d’écrivains, hommes de lettres, intermédiaires culturels, à adopter une position militante. L’écriture sera alors un acte d’affirmation, une contribution à la stratégie de sauvetage de la langue. Par ailleurs, la défense d’une langue minoritaire est fréquemment associée à l’affirmation des communautés correspondantes dans l’espace public. Cette affirmation prend des formes très différentes selon le contexte politique, le moment et le lieu. Une constante est sans doute la concurrence pour le contrôle de l’école et des programmes scolaires. Les intermédiaires culturels jouent aussi un rôle essentiel dans l’affirmation de la langue. Une figure traditionnelle dans l’Europe du XIXe siècle est celle de l’écrivain qui cherche à obtenir ou obtient une reconnaissance dans l’espace culturel national avec des œuvres évoquant la langue d’origine. Mais une typologie précise permet de repérer d’autres figures : celles de l’enseignant, fondateur d’une école, créateur d’une méthode d’enseignement de la langue ; le rédacteur de dictionnaire et de grammaire qui permet de fixer la langue ; le pédagogue qui crée une méthode d’enseignement, des institutions pérennes ; dans le monde du livre l’éditeur qui crée une maison d’édition spécialisée, prend des risques. La langue s’appuie aussi sur d’autres formes de diffusion : la chanson par exemple, dans ses formes savantes ou populaires. Les formes de la langue sont importantes. Les auteurs sont partagés entre deux nécessités. Celle de demeurer fidèles à leur origine ce qui renvoie à la question de l’authenticité, et celle de trouver un public. La première question est donc celle du choix de la langue dans laquelle sera rédigée l’œuvre. Si il s’agit de la langue que défend l’auteur la question se posera de la variante adoptée : formes populaires, formes dialectales, localisées, propres à une communauté, archaïque ou récente ? Ces choix peuvent diviser profondément les petits groupes militants pour une langue, entraîner le rejet d’un auteur, sa disqualification comme représentant « véritable » de sa communauté. Pour s’insérer dans une culture plus large et trouver un public, certains auteurs publient une traduction dans la langue dominante2 ou même écrivent directement dans la langue dominante. Ils doivent alors développer des stratégies pour évoquer les sonorités et les tournures de leur langue maternelle. Les défenseurs des langues vernaculaires optent par ailleurs pour des genres qui ne sont pas forcément les genres dominant dans la littérature de leur époque. Par exemple dans les années 1850 la poésie est un grand genre qui donne du prestige à une langue orale. Les grandes épopées lyriques 2 Frederic MISTRAL, Mirèio: pouèmo prouvençau de Frederi Mistral ; emé la traducioun literalo en regard, Paris, Charpentier, Avignon, Roumanille, 1861, VIII-511 p. 274 CATHERINE BERTHO LAVENIR occupent un statut intermédiaire : elles sont au cœur des travaux de collecte de type ethnographique et donnent alors à la langue un cachet d’ancienneté (Kalevala3, Barzaz Breiz4) ; cela peut pousser des poètes à adopter cette forme pourtant désuète (Mistral, Le Poème du Rhône). Le roman est un genre qui assure éventuellement un accès au grand public mais aussi l’intégration dans la communauté des auteurs. Il faut faire ici un sort particulier à la place de l’université dans le dispositif. Les recherches ethnographiques et anthropologiques collectent traditionnellement les textes de la littérature orale, aux premiers rangs desquels les contes mais aussi les récits légendaires, proverbes, chants. Leur édition demande une pratique savante particulière mais il existe toute une gamme de collections dans lesquelles les contes par exemple peuvent prendre place, des plus savantes aux plus populaires, y compris les ouvrages destinés aux enfants. Des produits de la collecte ethnographique par ailleurs ne prendront jamais une forme écrite. Ils sont recueillis sous forme orale (enregistrés) et conservés dans des bibliothèques spécialisées. Des films, servent aussi de base à des études phonologiques, à l’enregistrement de récits et de paroles associés à des actions particulières : religieuses, de pêche, de chasse, de cuisine, de soin des enfants. Par ailleurs la transmission savante de la langue s’appuie sur une sociabilité spécifique. On se souviendra des Félibriges : la société amicale de joutes poétiques créée sur un modèle ancien par Frédéric Mistral a pendant plus de cent ans transmis et conservé une forme littéraire et savante du Provençal à travers des réunions, concours impliquant le rencontre concrète des poètes. Lectures publiques, cours universitaires, réunions d’association, société savantes, cercles d’influence autour d’une personne prestigieuse sont des formes de sociabilité qu’il ne faut pas ignorer. Écrire dans une langue minoritaire c’est aussi pour un individu l’occasion d’évoluer dans le champ académique ou culturel d’accéder au statut d’expert, ou à celui d’auteur. Cela l’amène à réfléchir sur leur appartenance à la communauté. Accéder au statut d’auteur implique en général une appartenance à deux entités sociales, parfois antagonistes : la communauté d’origine et celle dans laquelle les écrits ont être publiés et diffusés. Enfin, des institutions se créent qui ont pour fonction de servir de milieu

3 K. COLLAN, Kalevala. Efter andra original-upplagan ofversatt af K. Collan, Helsingfors, Th. Sederholm, 1864–1868, 2 vol. in-8°. 4 T héodore Hersart DE LA VILLEMARQUE, Barzaz Breiz. Chants populaires de la Bretagne recueillis, traduits et annotés par le vicomte Hersart de La Villemarqué, édition définitive, Paris, Charpentier, 1839, 2 vol. In 8. N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 275 de propagation pour la langue : bibliothèques, départements spécialisées, musées, maisons de la culture sont autant de mediums qui conservent et transmettent les œuvres, des données collectées, qui assurent la production et la reproduction du savoir sur la langue et sa pratique. Ces remarques nous invitent donc à considérer le processus d’affirmation d’une langue vernaculaire à travers des interrogations sur la forme des textes en premier lieu, la forme de la langue ou les genres privilégiés. Par ailleurs la personne des écrivains demande à être examinée : comment devient-on auteur ? Comment les individus engagés dans cette transformation culturelle et personnelle négocient-ils l’évolution de leur statut. En quoi ce travail sur soi est-il présent dans leurs œuvres ? Y a-t-il une dimension de genre ? Ceci renvoie au contenu des textes mais aussi à la négociation de frontières nouvelles entre les genres : du conte au récit, de la nouvelle au roman, de la poésie à la chanson. Enfin vient la question des institutions : quels sont les instituts, universités, maisons d’édition, centres communautaires qui portent ces textes, les diffusent, assurent leur sauvegarde dans le temps ? A chacune de ces étapes, le web occupe aujourd’hui une place spécifique.

La présence écrite autochtone dans le Québec contemporain

L’affirmation des langues autochtones comme langues littéraires dans le Québec contemporain a été étudié, pour le domaine amérindien, par Maurizio Gatti, auteur de Être écrivain amérindien au Québec5. Selon un processus connu des historiens de la culture, son ouvrage sur la littérature amérindienne a joué un rôle décisif dans la reconnaissance de cette dernière, en contribuant à conforter les écrivains dans leur statut d’auteur, à constituer un corpus de textes, à donner à ces textes un statut d’œuvres et enfin à leur offrir des possibilités de diffusion et de conservation via les institutions académiques. Les maisons d’édition spécialisées, parfois très petites ou d’une courte durée de vie jouent un rôle complémentaire en mettant en circulation dans l’espace public des objets qui ont le statut de livres et qui seront lus, diffusés et conservés comme tels. Maurizio Gatti analyse par ailleurs les dimensions esthétiques des œuvres qu’il recense dont il souligne la parenté avec les œuvres majeures de la littérature autochtone des Etats-Unis. Il identifie des thèmes dominants, comme par exemple celui de la déréliction de la réserve, lieu où la vie collective et individuelle se délite et s’éteint, forçant l’écrivain à s’en

5 Maurizio GATTI, Etre écrivain amérindien au Québec. Indianité et création littéraire, Cahiers du Québec, Collection littéraire, 2006, 215 p. ; Coll. Littératures autochtones, Mémoires d’encrier, 2010, 282 p. 276 CATHERINE BERTHO LAVENIR

éloigner alors même qu’il cherche à écrire sur et pour sa communauté. Deux autres thèmes majeurs de cette littérature sont la célébration de la nature et la revendication politique. Maurizio Gatti relève qu’il y a là comme une assignation à certains objets, qui sont ceux qui sont attendus de la part de l’écrivain autochtone, assignation dont ce dernier a du mal à se dégager6. Maurizio Gatti montre aussi comment sont mises en jeu les questions de la langue, de l’identité individuelle, de l’engagement, de la sociabilité.

Le blog littéraire de Naomi Fontaine

Qu’est-ce que cela devient sur le net ? Comment le web se positionne- t-il dans ce jeu entre mediums, formes littéraires, institutions et auteurs ? En premier on notera que le web.1 partage avec le monde de l’édition traditionnel le fat d’être principalement un univers de l’écrit. L’affirmation d’une identité, le traitement de la langue, la défense de la communauté s’y diront d’une façon en partie semblable à celle du monde du livre. D’autres dimensions en revanche se développent : un nouveau rapport à l’oral, une organisation plus libre de la sociabilité. En revanche, les auteurs vont y courir le risque de perdre en légitimité ce qu’ils gagnent en visibilité. Si l’on considère les blogs et sites des auteurs autochtones de langue innue, on constate qu’ils s’articulent à l’économie de l’imprimé qui les précède. En effet, une innovation technique entraîne rarement une rupture totale; la nouvelle technologie trouve place aux côtés de l’ancienne. Le blog littéraire de Naomi Fontaine, « Innushkuess- Fille Innu »7, illustre bien la façon dont l’écriture numérique s’articule sur l’édition imprimée. L’affirmation de cette jeune femme innue comme auteure bénéficie de sa présence sur le web et débouche sur une publication dans les formes classiques de l’édition. L’auteure de ce blog, Naomi F. est issue de la communauté innue de Uashat. La publication en 2011 de son premier livre imprimé témoigne du fait que son entrée dans la vie littéraire s’est faite en suivant un chemin qu’ont parcouru avant elle d’autres auteurs représentants d’une communauté et d’une langue, en s’appuyant sur des intermédiaires relativement traditionnels que sont l’université, l’édition, la presse, la critique littéraire spécialisée. Étudiante à l’université Laval à Québec se destinant à l’enseignement, Naomi Fontaine a, au cours de sa formation universitaire, suivi l’atelier d’écriture de l’écrivain français 6 On fera un parallèle avec les thèmes choisis par les écrivains en langue provençale dans la France du XIXe siècle : célébration de la nature, description d’un monde paysan idéalisé, sous-texte politique sont des points communs aux auteurs du Félibrige et il leur est difficile d’y échapper. 7 http://innutime.blogspot.com/ N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 277

François Bon8. Ce dernier, séduit par ses courts textes, l’a encouragée. Par ailleurs, l’écrivain québécois Jean Desy l’a aidée à structurer son texte et à trouver un éditeur, la petite maison d’édition québécoise Mémoire d’encrier, qui publie son premier livre Kuessipan9, en 2011. Ce dernier reçoit un accueil favorable dans les journaux de référence de Montréal : « Encensé par Louis Hamelin dans Le Devoir et par Chantal Guy dans La Presse, Kuessipan a obtenu une couverture de presse à faire pâlir d’envie bien des écrivains québécois » écrit Julie Bouchard10. En fait Louis Hamelin, dans sa critique, définit les conditions d’entrée de la jeune écrivaine dans l’écriture savante. Soulignant qu’il ne s’agit pas là d’un roman à proprement parler mais de courts textes, il signale la maladresse de certains passages et conclut qu’elle doit prendre modèle sur d’autres écrivains autochtones afin d’acquérir un style, la renvoyant curieusement à un modèle préétabli qui serait celui de l’écrivaine autochtone : « Car elle est devant une oeuvre. On lui souhaite de lire bien vite Tomson Highway, Thomas King et, pourquoi pas, Louise Erdrich. En attendant, «pas de passé trop lourd qui fait suffoquer ce qui vit ». … Lorsque Naomi Fontaine aura appris les ficelles de l’art de la fiction, attention.11 » Chantal Guy dans La Presse, titre plus populaire, s’intéresse pour sa part à la position d’intermédiaire culturel de l’auteure en soulignant les formes de son engagement : « C’est à son peuple que Naomi Fontaine destine son livre, plein de respect et de dignité, sans pour autant masquer les difficiles réalités de la réserve.12 » Voilà pour la forme imprimée. Qu’apporte le blog tenu par la jeune écrivaine à ce processus de légitimation ? François bon dans une page de son propre blog (Le Tiers Livre) intitulée « naomi Fontaine/iame unepessish13 » revient sur le parcours de celle qui a été son élève. Il souligne à la fois l’importance dans son parcours des médiations institutionnelles traditionnelles et la suprématie symbolique de l’écrit – la publication initiale du texte de Naomi Fontaine a eu lieu sur publie.net. 8 Julie BOUCHARD, « Un premier roman réussi », Au fil des évènements, Université Laval, juin 2011. 9 Naomi FONTAINE, Kuessipan : à Toi, Mémoire d’encrier, Montréal, 2011, 111 p. 10 Julie BOUCHARD, op. cit., juin 2011. 11 Louis HAMELIN, « Naomi Fontaine ou le regard neuf », Le Devoir, 23 avril 2011. 12 Chantal GUY, « Naomi Fontaine : bons baisers de la réserve » La Presse, 13 mai 2011. 13 http://tierslivre.net/spip/spip.php?article2581 278 CATHERINE BERTHO LAVENIR

Cependant le blog en tant que tel joue un rôle à la fois dans l’affirmation de l’auteure et dans le développement de formes d’écriture qui lui sont propres. Il permet, par exemple, à son auteure d’affirmer sa présence dans le champ littéraire en occupant une place visible dans le champ intellectuel : ainsi il nous a été signalé par le documentaliste du centre de recherche sur l’histoire culturelle de l’université de Montréal, le CRILQ. Par ailleurs, nourri de courts textes à l’écriture très soignée, ce blog peut apparaître comme une sorte de banc d’essai. Cependant il est aussi le support autonome d’un travail d’écriture aux formes sans doute plus multiples que le livre. On y trouve en effet des courts textes littéraires construits autour d’une situation ou d’une émotion, mais aussi des textes plus engagés, des réflexions sur le devenir des communautés. Il y a donc là sur un même support des textes qui se trouvaient auparavant distribués entre le livre et la presse. Les écrivains du XIXe siècle par exemple publiaient des articles dans lesquels ils prenaient des positions esthétiques ou politiques qui n’avaient pas leur place dans le livre. Ou bien ils publiaient dans la presse des articles ou de courts textes destinés à être ensuite rassemblés en volumes. Le blog joue ici ce rôle de banc d’essai. Ces textes témoignent de la recherche d’une esthétique autonome et d’une forte conscience de soi. On repère dans les thèmes des figures analogues à ceux repérés par Maurizio Gatti dans Être écrivain amérindien au Québec : la déréliction de la réserve, la célébration de la nature, la revendication politique ; le désir, aussi, de la part de l’auteure, de n’être pas assignée à certains thèmes Le blog contribue par ailleurs à la construction du personnage de l’auteur dans la mesure où l’économie même de ces petits sites prévoit des espaces où l’auteur se présente. Dans le cas général, c’est à la critique de donner à un écrivain un statut d’auteur et de cristalliser la notion d’œuvre. C’est ensuite aux médias de faire connaître sa personnalité. La forme du blog modifie un peu cette procédure. C’est d’une certaine façon l’auteur lui-même qui assure la fonction critique en présentant en même temps son œuvre et sa personne. A cet égard on peut risquer une analyse sémantique des pages du blog, au même titre que l’on analyse une quatrième de couverture, ou un entretien dans une publication imprimée. Des détails de la présentation du blog « Innushkuess- Fille Innu », illustrent d’une façon propre à ce média des aspects classiques de la situation de passeur qu’assurent les écrivains dans une langue dominée. On y repère par exemple l’incertitude sur les frontières de la personnalité par exemple : en quoi l’écrivain est-il unique et dans quelle mesure veut-il/doit/il peut/il ou elle, représenter sa communauté ? Dans le blog de Naomi Fontaine, à la N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 279 place où est normalement prévue la photographie de l’auteure (du blog), se trouve un paysage. Il s’agit d’un bord de fleuve – ou d’un bord de mer. Au premier plan un rideau d’arbres. L’horizon est au tiers inférieur de l’image. Un soleil orange se reflète dans l’eau. Le ciel est entièrement rouge et noir. Les arbres au premier plan sont légèrement flous. Le choix de la couleur rouge, un paysage nocturne, dramatique sont des choix esthétiques et symboliques. L’espace vierge du grand nord se substitue ici à la figure de l’auteure, comme ci cette dernière s’effaçait devant un lieu, un territoire, dont elle n’était que le porte parole, ou comme si elle n’avait pas d’identité propre en dehors de ce territoire. La présentation de l’auteure se coule par ailleurs dans la grille formelle prévue par la société qui offre l’espace du site internet (Google). Naomi Fontaine joue à un jeu de cache-cache avec le lecteur sur son identité : elle ne donne que son prénom, Naomi, mais précise qu’elle est de sexe féminin. Significatif est le fait qu’elle accepte dans la rubrique « pays territoire » la classification proposée par la machine : ici « Québec ». Par ailleurs un petit drapeau bleu-blanc-rouge ( !) signale à l’internaute la langue du blog – apparemment la machine n’a pas prévu qu’un blog puisse se réclamer de plusieurs aires linguistiques. Le choix de la langue ici assumé (français et par moments seulement innu) représente le dilemme traditionnel des écrivains d’une langue dominée : écrire dans sa langue – mais n’être compris que de sa communauté ou écrire dans la langue dominante, en lui donnant une couleur originale. La sociabilité littéraire, on l’a vu, fait aussi partie des vecteurs d’affirmation d’une langue dominée. Sur le web, les réseaux sociaux sont disponibles pour cette fonction. Le blog « Innushkuess- Fille Innu », en utilise avec parcimonie les possibilités. Le système des renvois à d’autres blogs associés construit un embryon de réseau de sociabilité. Sa teneur est plutôt littéraire – renvoi sur d’autres blogs d’écrivains ou militante – renvoi sur des blogs d’associations innu. « Blogs dont je suis membre » renvoie à « la mangeuse d’allumette14 », sur lequel de courts textes, intimistes, et sans doute rédigés dans le nord du Québec, ont été postés en 2010. Elle y a laissé de courts messages appréciatifs. L’autre s’appelle « Le persifleur ». Très soigné, il est d’une tonalité critique et académique. Son auteur habite probablement Montréal ou les environs… Il s’agit de liens fragiles, distendus pour le premier, qui n’ont rien de commun avec l’efficacité d’un engagement académique et communautaire. Les autres traces de la présence de Naomi Fontaine sur le web témoignent du fait que 14 http://belangergabriel.blogspot.com/2010/06/le-petit-trou-justin-est-le-nom- de_16.html 280 CATHERINE BERTHO LAVENIR le réseau conforte des actions qui ont lieu en dehors de l’espace du web en leur assurant une certaine publicité et en assurant leur conservation dans le temps. Ainsi une recherche à partir du nom de l’auteure conduit-elle à une video disponible sur You tube qui donne à voir Naomi Fontaine lisant en public l’un de ses textes dans un cadre semi-académique15. Internet, par ailleurs, donne une visibilité plus grande au processus classique de construction d’un auteur par la critique. Les articles critiques cités plus haut sont disponibles sur le blog, ainsi que le récit fait par l’écrivain François Bon de sa rencontre avec Naomi Fontaine, publié sur son propre blog, « Le Tiers livre16 ».

Jean Sioui, l’écriture et les institutions

D’autres écrivains autochtones utilisent internet comme véhicule d’affirmation personnelle et identitaire et centre d’un réseau de sociabilité tout en réservant une place privilégiée à l’écrit imprimé dans leur œuvre. C’est par exemple le cas de Jean Sioui. Ce dernier appartient à une génération antérieur à celle de Naomi Fontaine. Il est né en 1948 à Wendake, « réserve » située près de la ville de Québec, où vit une communauté de Hurons entretenant depuis des siècles des rapports très étroits avec la ville voisine. Informaticien de profession, Jean Sioui17 qui obtenu des certificats en études autochtones et en création littéraire à l’Université Laval a en quittant sa profession, choisi l’écriture. Il affiche clairement l’idée que son écriture est au service d’une reconquête identitaire individuelle et collective et écrit sur le site internet officiel de la nation huronne18 : Wendat du clan de l’Ours, je suis né à Wendake en 1948. La peau retient la lumière qui garde trace du passé. La littérature est depuis toujours, la personnification privilégiée de l’homme pour véhiculer les idées et les

15 http://www.youtube.com/watch?v=6LmShv7ut8I 16 http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2581 17 Sa biographie précise : « Il est co-fondateur du Cercle d’écriture de Wendake, animateur d’ateliers de poésie au CDFM (Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre huron-wendat), formateur au Banff Center pour le Conseil des Arts du Canada dans le cadre du programme Écrivains autochtones en début de carrière, consultant et rédacteur du manuel de formation pour intervenants en milieu autochtone au Conseil de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Ses textes ont été récemment publiés dans la revue Ici-é-là de la Maison de la poésie de Saint-Quentin en Yvelines (France) et dans la revue Ellipse à Frédéricton (Nouveau-Brunswick). » 18 http://www.wendake.ca/wendake_service.php?service=10&page=65 N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 281

sentiments d’un peuple, d’une époque, d’une civilisation. Rouges sont mes origines… Ses publications s’inscrivent dans des genres différents : conte, poésie19, livres pour la jeunesse20. Le pas de l’Indien, publié en 1997 et réédité en 2005 est un recueil de pensées, de souvenirs assemblés en une suite de courts textes. Ces livres sont disponibles dans la boutique de la réserve de Wendake, à forte fréquentation touristique, dans un contexte qui est explicitement lié à la défense de l’identité d’une communauté. Mais Jean Sioui est aussi lu et publié hors du cercle immédiat de la communauté : ses poésies ont été lues en France et au Nouveau-Brunswick par exemple. Par ailleurs il est aussi inséré dans les différentes institutions qui donnent visibilité et légitimité à la littérature autochtone : il dirige une collection littéraire pour la jeunesse, anime un cercle d’écriture, des ateliers de poésie, œuvre dans le cadre d’un programme fédéral destiné à soutenir les écrivains autochtones en début de carrière et participe à des programmes pour la formation des intervenants en milieu autochtone. Le web sert ici d’appoint dans la construction d’une personnalité littéraire. D’une part il donne une visibilité aux ouvrages imprimés. C’est en suivant une piste littéraire qu’on retrouve la trace sur le net, de son recueil Le pas de l’Indien. Ce livre fait en mai 2011 l’objet d’une critique amateur favorable21 sur le blog littéraire d’une visiteuse qui l’a achetée dans la réserve22 ; ailleurs on trouve trace d’une lecture et de la traduction en croate de l’un de ses poèmes23. Par ailleurs, les divers sites institutionnels de la nation huronne renvoient à lui, de même que les sites liés aux grandes manifestations culturelles autochtones. Mais le web ne semble pas être pour Jean Sioui autre chose qu’un vecteur de diffusion de ses œuvres et le support d’un réseau de relations axées sur le renforcement symbolique des communautés autochtones.

19 Jean SIOUI, Poèmes rouges, 2004. 20 Jean SIOUI, Hannenorak, 2004. 21 http://www.babelio.com/livres/Sioui-Le-pas-de-lindien--Pensees-Wendates/ 264875 22 Ibid. « Ce court recueil que j’ai acheté dans une caserne indienne au Canada est un vrai régal. Il témoigne de toute le sagesse et la philosophie présente chez le peuple huron. La caserne dans laquelle j’ai acheté cet ouvrage est aujourd’hui devenue un lieu touristique mais avant tout un lieu de mémoire. Le peuple huron avait une pensée pure et ce livre en témoigne. On y retrouve des textes inédits, des récits traditionnels et des réflexions sur la nature et sur le monde. » 23 http://thomasdretart.over-blog.com/article-tomislav-dretar-huronski-pjesnik-iz- quebeca---jean-sioui-54983865.html 282 CATHERINE BERTHO LAVENIR

Aux frontières de l’oralité : les sites des communautés

Si l’on considère le travail fait par les communautés dans le domaine de l’apprentissage de la langue, on retrouve des éléments appartenant traditionnellement à la culture de l’écrit : la mise en place de dictionnaires, de manuels de lecture, l’édition ou la vent d’ouvrages dans la langue vernaculaire (ouvrage de fiction ou utilitaires), ainsi que des programmes de collecte auprès d’anciens de poèmes, contes, récits légendaires ou récits de vie. Ces opérations demandaient traditionnellement le détour par l’écrit pour fixer et conserver les récits. Cependant on précocement fait appel à des systèmes d’enregistrement de la parole. Le recours à internet tend à court-circuiter d’une certaine façon l’écrit en rendant à l’oralité une primauté qu’elle avait perdue. On a déjà vu chez les auteurs cités ci-dessus qu’Internet offrait la possibilité d’entendre leurs œuvres lues en public. Dans la nébuleuse des sites associés à des centres culturels autochtones, la voix des conteurs comme celle des professeurs est enregistrée, conservée et transmise sans la médiation de l’écrit. L’Institut éducatif et culturel montagnais24 se donne comme première fonction l’apprentissage de la langue, la rédaction de manuels d’apprentissage imprimés mais son site s’ouvre sur une série d’ouvrages dont certains se situent aux frontières de la poésie et de la fiction. L’Institut focalise son attention sur des éléments liés à la fixation d’une forme écrite de la langue et offre en ligne des lexiques. Par ailleurs l’Institut entreprend un travail de collecte et d’édition de récits auprès des anciens25 qui semble prendre la forme classique d’enregistrements et de transcriptions. On notera ici un programme de création de cassettes qui indique que pour l’accession à la langue le détour par l’écrit n’est pas indispensable. On peut rapprocher ce programme de celui d’une autre communauté du nord dépendant de Terre Neuve avec le soutien de l’université du Labrador26. Ce projet est dédié à la connaissance et au développement de la langue innue. Ce qui nous intéressera ici est la forte place prise par l’oralité dans le projet. Par exemple, sous la rubrique « Mythe et récits traditionnels » on peut accéder d’une part à des transcriptions de récits (PDF) mais aussi pour certains d’entre eux à de petites capsules permettant d’écouter directement le conteur dans sa langue. L’écrit et l’oral sont ici présentés ensemble, chacun avec une légitimité égale, proposant une nouvelle forme d’intermédialité.

24 http://www.icem.ca/icem/langue.asp?titre=20 25 « Constitution d’une collection d’œuvres écrites par des aînés innus. Édition de livres destinés aux enfants. Participation financière à la publication d’ouvrages divers. » 26 http://www.innu-aimun.ca/modules.php?name=cura&lang=french N ouvelles technologies et question de la langue : les blogs littéraires... 283

On notera par ailleurs que la traduction de ces textes (en français ou en anglais) est ici délibérément absente. Par ailleurs la liste des ressources du centre de recherche associé compte « Des archives de livres, cassettes et enregistrements numérique reliées à plusieurs langues autochtones, y compris les langues algonquiennes (innu-aimun, cri, mi’kmaq et pied-noir) ainsi que l’inuktitut et le mohawk.27 »

Au delà de l’écrit : les jeunes autochtones et le mélange des genres

Le fait que les formes associant librement l’oral, l’écrit, l’image la video sont aisées à créer maintenir et diffuser sur internet change semble-t-il beaucoup plus profondément le rapport à la création des jeunes autochtones présents dans les formations universitaires et actifs dans les associations culturelles des grandes villes. La musique s’associe alors selon des formes nouvelles à la poésie, au récit, au texte revendicatif. Ces derniers ne sont pas seulement oralisés, ils sont mis en musique et diffusés comme tels. L’écrit occupe alors une place seconde dans ce secteur de la création. Ainsi le site « Jeunes autochtones » faisait-il preuve en 2010 d’une créativité débridée en utilisant tout naturellement le net (adresse de courriel) pour demander des informations sur des groupes ou des sites, en français et en langue innue. Leur inscription dans le cybersespace se traduisait par la diffusion de liens vers une nébuleuse de sites : tels que « Terres en vue », Echo nations, CKIA FM 88 3 (indiquant le glissement vers la radio comme support), ou Wapikoni mobile… Un autre site internet indique plutôt la façon dont l’écrit de création peut s’affirmer dans un champ artistique autre que la littérature. Le Cercle des premières nations de l’UQAM programme ainsi en 2009 « paroles et pratiques artistiques autochtones au Québec aujourd’hui ». Ici il n’est pas question d’édition et d’impression mais de création collective au nombre desquelles des lectures de textes et de poésies mais aussi de la chanson, de vidéo, du cinéma... le programme affirme : En contestant l’héritage d’une histoire faussée par le discours colonial, ils puisent dans les sources de leur culture et l’actualisent. L’oralité des passeurs de récits, de mythes et de légendes, les rythmes sacrés et les rituels, par exemple, qui sont des pratiques symboliques ayant survécu depuis l’époque d’avant la colonisation, investissent les interventions artistiques contemporaines. C’est donc à travers une territorialité imaginaire que les artistes travaillent la mémoire persistante des blessures de la colonisation et participent à un renouvellement créateur des cultures autochtones. 27 Ibid. 284 CATHERINE BERTHO LAVENIR

La langue, dans cette perspective n’a plus un rapport privilégié avec l’écrit. La création mobilise la langue par le truchement du cinéma ou de la vidéo, de la musique ou même de la danse. Le web.2 en permet l’archivage et la diffusion à moindre coût. Et l’université, en associant recherche, enseignement et création assure la solidité et la légitimité de l’inscription des œuvres dans le champ culturel. Il s’agit là d’un modèle nouveau de promotion d’une culture et d’une langue qui contourne l’écrit et la tradition imprimée, sans les menacer directement, mais sans non plus laisser à l’imprimé la place exclusive qui était la sienne dans l’affirmation culturelle de la langue. Brancusi : la tentation de l’illustration

DOINA LEMNY

C. Brancusi, Autoportrait, sans date Paris, Musée National d’Art Moderne1

Brancusi est connu d’abord comme l’un des fondateurs de la sculpture moderne, dont la création, profondément novatrice semble ne pas avoir laissé de place aux autres activités artistiques qu’il a cependant pratiquées avec talent et passion. Qu’il s’agit de la musique pour laquelle il avait un don inné et qu’il pratiquait avec la plus grande légèreté et joie, de la photo dont il se passionna après avoir bénéficié des conseils techniques de son ami Man Ray ou du dessin, Brancusi prenait autant de plaisir à réaliser des œuvres sur des supports différents, avec des méthodes différentes. Il laisse l’impression d’être en permanente quête de nouveauté, d’un moyen orignal d’expression.

1 Les illustrations proviennent du fonds documentaire de la Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris. 286 DOINA LEMNY

Le dessin est pour lui un exercice qui lui permet de rêver et d’inscrire à côté des notes écrites des impressions, des pensées, des images que son appareil photo ne peut pas surprendre malgré ses nombreux essais de superposition de pellicules, de recadrage, ou de développement forcé. Le nombre restreint de dessins indépendants et des dessins d’archives confirment ce constat que Brancusi ne pensait pas à une technique particulière pour l’œuvre graphique, mais au contraire, il profitait de la singularité du dessin de laisser toutes les libertés possibles, sans aucune contrainte. Il lui permet l’expression immédiate et spontanée et lui sert parfois de rappel d’une de ses sculptures, d’étude d’un mouvement qu’il avait déjà surpris en pierre. Car Brancusi ne fait pas de dessin préparatoire aux sculptures, elles sortent de son dialogue avec le matériau dur. Il dessine comme il écrit, avec des hésitations, des retouches, des reprises sur un support qu’il ne choisit pas à l’avance : des bouts de papiers ou des feuilles qu’il retrouve dans son atelier sur lesquelles il lui arrive d’écrire des notes, des comptines, des lettres. Le dessin l’a toujours accompagné et est entré en dialogue avec sa sculpture, car souvent il en est un écho visible : aussi épuré et simplifié, il rend pertinente sa démarche dans la sculpture. Malgré cet apparent désintérêt du sculpteur pour l’œuvre graphique, il ne pense pas moins à illustrer des textes littéraires ou à faire publier quelques uns de ses dessins. Ces admirateurs et amis l’incitent à publier ses dessins. La sculptrice Irina Codreanu (qui a été aussi son élève) prend l’initiative et propose dès 1925 aux rédacteurs Ernest Walsh et Ethel Moorhead de This Quarter d’illustrer son premier numéro du printemps 1925 avec quarante photos des œuvres du sculpteur et cinq dessins choisis par elle. [fig. 1, 2] À cette époque, Brancusi était très connu aux Etats-Unis : sa participation à l’exposition d’art international de l’Armory Show, où sa sculpture Mlle Pogany ainsi que Nu descendant un escalier de Duchamp et des peintures de Matisse ont fait sensation, les mettant sur le devant de la scène artistique internationale. Une première exposition personnelle suivra en mars 1914 à la galerie Photo Secession d’Alfred Stieglitz et une deuxième, en octobre – novembre 1916, organisée par Marius de Zayas à la Modern Gallery de New York. Lorsque en 1926, Joseph Brummer lui propose d’organiser une exposition personnelle dans sa propre galerie new-yorkaise, Brancusi accepte sans réticences et compte sur l’expérience et surtout sur l’amitié de Duchamp qui en sera l’organisateur. Ce sera encore une fois pour l’artiste roumain l’occasion de rencontrer le public américain qui commençait à acheter des œuvres de lui. Pour lui cette exposition devient le symbole de sa maturité d’artiste, lorsqu’il devient une célébrité et lorsque les personnalités artistiques et littéraires les plus en vue veulent le rencontrer. Il s’y rend en Brancusi : la tentation de l’illustration 287 janvier – mars pour préparer sa troisième exposition personnelle, qui aura lieu aux Wildenstein Galleries (du 18 février au 3 mars). Le 27 février le Penguin Club organise son bal annuel « Fireman’s Ball » dont Brancusi est l’invité d’honneur. Il y retrouve Alfred Stieglitz et Beatrice Wood qui lui présente le couple de collectionneurs américains Louise et Walter Arensberg et l’architecte William Lescaze, avec qui il envisage l’installation d’une Colonne sans fin à New York. A cette occasion, il découvre aussi des cafés littéraires et artistiques tels que celui tenu par une compatriote Romany Mary (Romany Mary’s Tavern) qui est connue par ses activités divinatoires et qui le fait rencontrer des éditeurs et d’autres artistes de la bohème new yorkaise. L’éditeur Boni & Liveright avait inscrit dans son programme éditorial un ouvrage intitulé All in your coffe. Lorsqu’il l’apprit, Brancusi se montra très intéressé, peut-être en raison de son habitude de préparer le café turc dans des récipients traditionnels et d’en conserver le marc pour s’amuser à y lire l’avenir. L’auteur et sa collaboratrice, Romany Mary, ainsi que l’éditeur lui proposèrent d’exécuter des dessins qui, avec les cinquante photographies déjà réalisées, pourraient mieux illustrer le texte. Enthousiaste, l’artiste le lit attentivement et regarde avec beaucoup d’intérêt les photos des tasses soigneusement commentés par les auteurs. [fig. 3]. Malgré l’intérêt de l’ouvrage et malgré les insistances répétées des auteurs et éditeurs, Brancusi répondra qu’il ne trouva pas la place des dessins qu’il aurait conçus. Sa réponse et claire et définitive : « Le livre m’intéresse mais je trouve pas le sens de ma collaboration, car il est complet tel qu’il est. [Je] Renvoie manuscrit ; [je] regret[te] sincèrement Brancusi. » L’analyse d’un dossier confidentiel de la Dation 2001 conservé dans le Fonds Brancusi à la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou, m’a donné l’occasion d’identifier un personnage mystérieux de la vie de l’artiste et de découvrir un projet de livre illustré qu’il n’a plus réalisé. Ce dossier contient toute la correspondance amoureuse du sculpteur avec Marthe Lebherz, connue et évoquée par les amis de l’atelier que par son prénom, Marthe. Les nombreuses lettres de Marthe et de Brancusi conservées à l’atelier ne précisent pas par qui ni quand ils ont été présentés, mais on apprend à la lecture de ce volumineux dossier que Marthe est la fille d’un médecin suisse, venue à Paris pour prendre des cours de danse. Grâce à sa sœur Juliette, proche de Joella, la sœur de la poétesse américaine Mina Loy, elle fréquente les milieux artistiques et littéraires cosmopolites de la capitale. Au début 1926, en prévision de ses voyages aux Etats-Unis et de ses contacts avec les collectionneurs américains, de plus en plus fréquents, l’artiste prend des leçons d’anglais avec une certaine Miss Kelly. Mais il 288 DOINA LEMNY abandonne très vite et décide d’engager plutôt une secrétaire. Il trouve en Marthe une jeune fille sérieuse, capable de ranger sa correspondance et ses affaires. Elle est subjuguée par l’aura du sculpteur, dont la notoriété est croissante. L’ambiance de l’atelier ne manque pas de présences féminines, mais Brancusi tombe sous le charme de Marthe, de sa jeunesse et de sa simplicité ; bientôt, il est fou amoureux de cette jeune fille modeste, qu’il surnomme dans l’intimité « Tonton ». Leur passion grandit pendant son séjour à New York, qu’il vit comme une douloureuse séparation je cite d’une lettre du 22 septembre 1926 : « Je t’ecriv un mot, cher Tonton du pays des contes des fées. C’est si beau et imprevu qu’on ne peu pas s’imaginer sans le voire […] et cependant je suis comme un roc en exil… ». Ils s’écrivent tous les jours des lettres d’amour qui sont de la part de Brancusi toutes illustrées du même motif du Baiser. [fig. 4, 5] Toutes les lettres de Brancusi comportent en effet un dessin représentant Le Baiser, sous forme de frise, de vignette ou de composition. (Ce motif deviendra sa deuxième signature, sa marque d’amoureux. Il l’utilisera également dans sa correspondance avec la dernière femme qu’il a aimé, Vera Moore, après 1931 et qui lui a donné un fils qu’il n’a jamais reconnu.) Cette liaison secrète, camouflée en relation de travail, sans doute à cause de la famille de Marthe, est donc née dans le cadre de l’atelier, où l’artiste a conservé l’ensemble de ces lettres, qu’il a classées et numérotées chronologiquement, car il compte les publier sous la forme d’un roman d’amour, comme il lui écrit le 31 novembre 1926 : « J’ai fait des tes lettres une livre O ! grand livre il a 57 page déjà – je le tien fermé a clef dans ma valise… » . On est étonné de voir cet homme mûr, détaché « des choses de la vie », s’enflammer comme un adolescent : s’inspirant des contes populaires, il imagine un crocodile aux pouvoirs surnaturels qui amènera Marthe auprès de lui… [fig. 6] Il découpe d’un journal deux images colorées représentant un crocodile et un lézard et les colle sur le papier à en-tête de l’hôtel où il est hébergé à New York, entre des frises du Baiser positionnées sur la page de sa lettre selon la logique de l’histoire qu’il imagine. Le côté ludique de cet assemblage témoigne de son application pour composer et maquetter seul ce livre. Dans le même élan, il invoque la protection des « Muses » : « Jouissons avec candeure et moderation de toute la plainitude de notre beaunheure et prions les muse qu’elles nous protege et qu’elle favorise mon retour le plus tôt » (lettre du 17 octobre 1926). Les signatures codées, « Ton ton » et « Tan tan », qui accentuent l’atmosphère de secret, rythment cette ode à l’amour dans laquelle Brancusi appelle Marthe « la blonde Iseult ». Il glisse dans les enveloppes des bandeaux décorés du même motif du Baiser, qu’il a repris et retravaillé pendant quarante ans. [fig. 7] Brancusi : la tentation de l’illustration 289

Ce motif lui donne l’occasion de se diriger vers « la chose vraie » par la simplification des silhouettes, comme il l’exprime dans l’autobiographie « dictée » à l’un de ses amis plus jeune, Marcel Mihalovici. Ce dessin, ainsi que les inscriptions « Tonton à Tantan / Tantan à Tonton ; de Paris à New York ; de New York à Paris » deviennent des leit-motifs de ce livre qu’il prépare en hommage à cet amour sublimé. Non sans humour, il fait des commentaires sur les rapports des deux amoureux déguisés en « patron grincheux » et en « secrétaire impeccable » qui est cette Iseult la blonde de nos temps. [fig. 8] Déclinant sous diverses formes ce motif, il ennoblit son illustration en choisissant un papier cartonné doré, sur lequel le travail est plus appliqué, comme s’il le préparait pour une reliure. Il choisit le même papier doré pour des manchettes qu’il décore des deux côtés de la frise du Baiser et dans lesquelles les lettres sont glissées. Aurait-il eu l’intention de les utiliser d’une manière particulière dans ce projet de livre ? Nu ne le sait. Ce qu’on observe c’est que les frises sont finement dessinées à l’encre noire sans hésitation, comme une calligraphie déjà étudiée. Il semble que par souci de varier l’illustration, il lui arrive d’utiliser comme support l’intérieur des enveloppes qui est déjà décoré par une impression de fabrique. Dans une lettre du 10 décembre 1926, il lui annonce une bonne nouvelle : « J’ai fait enstaler dans ma cabine une table pour ecrir l’Histoire d’amour de Tonton et Tantan […] En revanche, chere cherie je ne vien pas avec les maine tout a fait vides car les muses m’onts favorisé a faire une belle couverture pour ton livre des lettres de Tantan et peut être voudrié tu metre avec aussi les lettres de Tonton il sera si beau cet livre et si vrais – mon livre que je gard pretiosement a deja 92 pages et j’esper que le tien ne sera pas plus petit. » Il a d’ailleurs réuni les lettres de Marthe et les a numérotées en vue de la pagination du livre. L’on peut supposer que cette double feuille [fig. 9, 10] aurait pu être envisagée comme couverture, car c’est l’unique endroit où il introduit le motif de la Colonne : le couple du Baiser se trouve au centre d’une composition à l’allure monumentale, où les profils angulaires des deux Colonnes sans fin soutiennent les frises du Baiser. Au recto à gauche – ce qui serait la quatrième de couverture – Le Baiser est encadré de quatre petites stèles du même motif. Une fois ouverte, la double page révèle au verso quatre couples du Baiser, qui couvrent deux à deux la surface du papier de leur graphisme à l’extrême simplicité : quelques ondulations pou les cheveux, deux petits cercles pour les yeux et la bouche, placés sr la ligne médiane séparant les personnages, et, de part et d’autre de cette ligne, un trait et une petite courbe pour les jambes repliées. 290 DOINA LEMNY

Ce beau projet de livre illustré ne sera jamais réalisé parce que la flamme de cet amour intense s’éteigna vers 1928 à cause probablement de l’éloignement des deux amoureux : Marthe a dû rentrer à Genève et attendre l’accord de principe de ses parents pour le mariage avec Brancusi. En 1929, deux jeunes éditrices américaines, Harry et Polly « Caress » Crosby publient un volume de textes extraits de Finnegans Wake2, intitulé Tales Told of Shem and Shaun, pour lequel elles demandent un portrait de l’écrivain, destiné à figurer au début de l’ouvrage, à Picasso. Celui-ci ayant refusé, au motif qu’il ne fait pas de « portraits sur commande », Pound leur suggère de s’adresser à Brancusi. Il est très étonnant de la part de ce dernier d’avoir accepté ce genre de demande. On ne sait précisément ce qui l’a décidé : le refus de Picasso, la personnalité de l’écrivain, l’intervention de Pound, ou d’autres amis anglais ou américains ? Nul doute que Brancusi ait été au fait des publications de Joyce, mais quant à le lire ? Dans l’inventaire de sa bibliothèque, on ne trouve nulle trace d’un ouvrage de lui, ce qui ne prouve pas de manière certaine qu’il méconnaissait son oeuvre ; il pouvait aussi en avoir parcouru au moins quelques extraits dans des revues littéraires. Six portraits de Joyce ont été réalisés (trois de profil et trois de face)3. [fig. 11] Les traits y ont été simplifiés, la ressemblance est indéniable, mais ils ne sont pas représentatifs du personnage : Brancusi n’est pas parvenu à exprimer ce que Joyce transmet dans sa littérature. C’est en tout cas ce que pense Mlle Crosby, qui souhaite de la part du sculpteur un portrait « plus abstrait ». Il dessine alors une spirale, accompagnée de trois lignes verticales asymétriques et de deux inscriptions mystérieuses à droite du dessin, en haut et en bas, et appose sa signature en bas à gauche. [fig. 12] Claude Jacquet, auteur d’un essai sur « les portraits de Joyce par Brancusi4 », affirme que l’écrivain aurait commenté son portrait en ces termes : « Le dessin qu’il a fait de moi attirera certains acheteurs. Mais j’aurais aimé qu’il puisse, ou veuille être aussi explicite que j’essaie de l’être quand les gens me demandent : « Et qu’est-ce que c’est que ce truc- là, mon vieux ?». Il rapporte également l’exclamation du père de Joyce découvrant le portrait dans un exemplaire du livre : « Jim a plus changé que je ne l’aurais pensé5 ». 2 Œuvre écrite entre 1909 et 1939 par James Joyce. 3 Trois se trouvent au Musée National d’Art Moderne, un autre, qui fut donné par Joyce à Sylvia Beach (actuellement “The Poetry Collection of the Lockwood Memorial Library”, State University of New York, Buffalo), un cinquième, à l’encre, est un profil droit et appartient à Alexina Duchamp ; le sixième, dans une collection privée. 4 Brancusi : 25 dessins, MNAM, 10 décembre 1975 – 8 février 1976 (dépliant). 5 Aussi lettre de Joyce à Mlle Weaver du 17 janvier 1932, cf. Sidney Geist, Brancusi : la tentation de l’illustration 291

Plusieurs interprétations ont été données à propos de la spirale et des verticales. Dans une communication présentée au Ve Colloque international « James Joyce » du 16 au 20 juin 1975 à paris Sidney Geist voit dans ce dessin abstrait des signes renvoyant au portrait figuratif, une sorte de stylisation des portraits précédents : la plus longue verticale correspondrait au nez, une autre à la bouche ou aux contours du visage, et la spirale aux lunette. Ne peut-on admettre l’hypothèse que Brancusi se soit simplement amusé à laisser sa plume esquisser une spirale, sans qu’elle renvoie nécessairement à la « philosophie de Giambattista Vico » ou à une interprétation philosophique de Finnegans Wake ? Ou qu’il ait récupéré un motif en vogue : dans les années vingt, la spirale semble être devenue l’emblème du modernisme. En 1925, la couverture de The Little Review, par exemple, avait pour illustration un roto-relief de Duchamp. Avant même cette date, Picabia avait créé ses « Machines », constituées de cercles et de spirales. Comme on ne sait pas si le sculpteur avait lu quelque chose de l’écrivain à l’époque, on peut imaginer que Joyce, aussi peu bavard que son ami Ezra Pound, lui apparaissait comme une figure énigmatique et complexe, de même nature qu’une abstraction géométrique. Pour épaissir le mystère, il aurait inscrit des signes indéchiffrables, qui ne sont peut-être même pas un code. D’ailleurs, son dessin est intitulé Symbole de Joyce, et non pas Portrait de James Joyce, comme les six esquisses précédentes.

« Brancusi/Joyce », texte présenté au Ve Colloque international « James Joyce » du 16 au 20 juin 1975. 292 DOINA LEMNY

Fig. 1 Fig. 2

Fig. 3 Brancusi : la tentation de l’illustration 293

Fig. 4 294 DOINA LEMNY

Fig. 5 Brancusi : la tentation de l’illustration 295

Fig. 6 296 DOINA LEMNY

Fig. 7 Brancusi : la tentation de l’illustration 297

Fig. 8

Fig. 9 298 DOINA LEMNY

Fig. 10

Fig. 11 Brancusi : la tentation de l’illustration 299

Fig. 12 Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols : le français comme affaire

MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

La investigación presentada al Congreso debe considerarse como los primeros resultados de un trabajo en curso sobre el problema de uso del francés en España a lo largo del siglo xviii, con una particular atención al periodo considerado de plena Ilustración. El profesor Frédéric Barbier había puesto de manifiesto la importancia de este campo como una vía nueva de aproximación a la historia del escrito y de la imprenta en el siglo xviii, en un seminario celebrado en París, el año anterior : « Langues, livres, lecteurs : le Français et les Lumières » [IHMC (CNRS-ENS). 11/12 2009]. Me ofrecí entonces, a iniciar este acercamiento en los impresos españoles dieciochescos. El análisis es el resultado de una primera encuesta sobre unos cien libros impresos en lengua francesa, con pie de imprenta español, impresos durante el periódo de 1701–1808, y cuya materia no tuviese un vínculo directo con el uso del francés como vehículo de la cultura ilustrada. El francés debía haber sido elegido como lengua que servía para otro tipo de usos y que estaba destinada a cubrir otras necesidades comunicativas si no ajenas, al menos no directamente vinculadas con la presencia del francés como lengua de homologación cultural. Para trabajar, construí una base de datos y a partir de una parametrización de los resultados, estudié los problemas de circulación de estos impresos en el espacio nacional, prestando una particular atención al movimiento de estos impresos en el ámbito de la corte. Los datos me sirvieron también para establecer las posibles lógicas de la producción ; este estudio lo hice estableciendo cortes cronológicos coincidentes con cada uno de los reinados (Felipe V, 1701–1724 ; Fernando VI, 1746–1759 ; Carlos III, Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 301

1760–1789 ; Carlos IV, 1789–1808) porque cada uno de estos periodos señalan de manera evidente la evolución de estos dos aspectos – circulación y producción – a medida que las reformas administrativas, económicas, las aplicadas a la organización del Ejército y las dirigidas a desarrollar las políticas artísticas y culturales van alcanzando su consolidación. Los actores y agentes, la utilización de falsos pies de imprenta, ensanchan el marco nacional español y obligan a considerar la estrecha relación de las políticas europeas en las que todo lo relativo al impreso y al escrito está inmerso y a considerar que los problemas de la imprenta y del comercio librero surgidos en este estudio obedecían también a las mismas leyes que inflingían problemas en la industria del libro internacional. Para establecer una base más sólida de análisis, diversifiqué la naturaleza de las fuentes de información de las que quería obtener datos : catálogos colectivos de bibliotecas, bibliografías especializadas, solicitudes para obtener permisos de impresión de libros en francés presentadas al Consejo de Castilla que se encuentran en la sección de Consejos del Archivo Histórico Nacional, localización de ejemplares en la Real Biblioteca de Madrid para el estudio de las marcas de propiedad y de lectura que me permitiesen estudiar la circulación y el uso concreto, y, por último los anuncios de venta de los libros que se publicaron en La Gazeta de Madrid. Esta última fuente de información, que refleja de forma parcial las novedades editoriales que se producían preferentemente en la imprenta madrileña, es la que había servido de base de análisis a los estudios sobre la edición de las traducciones de textos franceses en España durante el siglo xviii. La reducción a una fuente de información tan parcial había dado una imagen parcial y bastante distorsionada del panorama de la recepción de la literatura francesa en español ya que los anuncios estaban pagados y redactados por los propios impresores y libreros y, por lo tanto lo que se publicitaba no reflejaba más que un porcentaje relativo de lo que se producía1. Si se exceptúan los instrumentos de aculturación dieciochesca indiscutibles : lingüísitocos [diccionarios, gramáticas, vocabularios] ideológicos – l’Encyclopédie y todos los derivados que origina – el campo de trabajo resultante es reducido y este hecho es ya el primer dato que debemos manejar para abordar el tema de investigación: el francés como lengua de salida y de llegada tuvo una escasa presencia en la imprenta nacional y lo extendido de su uso en la sociedad española, atestiguado en las colecciones bibliográficas, se resolvió a través del mercado de importación. A pesar de que el tamaño del punto de partida no es alentador, el

1 Par exemple : Pageaux, Daniel-Henri. Aragón Fernández, Aurora. 302 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO análisis de los resultados en una base de datos diseñada a la medida de esta investigación, permite establecer los rasgos de un perfil complejo y configura esta propuesta como una vía de investigación sobre la que es necesario seguir avanzando porque los resultados aportan nuevos aspectos en la fisionomía de la cultura escrita de la España de las Luces. Los resultados de estos primeros resultados se manifiestan significativos para el estudio del fenómeno de los usos de la imprenta y del comercio librero dieciochesco españoles. Quizá, para contextualizar el campo de estudio en el que se encuadran los resultados de este análisis, puede servir tener como referencia unos datos relativos a la difusión de traducciones francesas en un momento político crucial para el mercado del libro en los dos países. La comparación del número de ediciones de traducciones de textos franceses en España durante el periodo de la Revolución francesa es, sin duda, un dato indispensable para trazar el mapa de un decenio marcado por el cordón sanitario con el que el gobierno español trató de contener la propaganda y la propagación de las ideas políticas antimonárquicas. A pesar de la parcialidad de la fuente – el estudio está realizado sobre los anuncios de La Gaceta de Madrid – el reparto de los trescientos diecinueve títulos que aparecen entre 1790 y 1799, es evidente el perfil de diente de sierra que muestra la curva de unas publicaciones que se limitan a obras antiguas en el mercado, sin excesivo interés intelectual y principalmente de carácter religioso2. A pesar de la limitación con que se planteó la recogida de datos, los datos cuantitativos y de contenido relativos a la publicación de traducciones, un sector bibliográfico más potente que el de la edición en lengua original, y de la evidencia de que los textos revolucionarios circulaban en francés y clandestinamente, el perfil que trazan los datos de la producción en francés a lo largo del siglo es diferente. 1790 41 1791 28 1792 27 1793 37 1794 29 1795 23 1796 39 1797 33 1798 35 1799 29

2 Aragón Fernández, M. Aurora. Traducciones de obras francesas en La Gaceta de Madrid en la década revolucionaria (1790–1799). Oviedo, Universidad de Oviedo, 1992. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 303

TENSIONS FÉCONDES POUR L’ÉDITION EN FRANÇAIS

Diapo

1. Nationalisme/Modernisation : Espagne – puissance secondaire de l’Europe 2. Politique internationale : Guerre de Succession.– Pactes de Famille (Mahon, Minorque).– Le cordon sanitaire 3. Nationalisation de l’industrie du livre 4. Société composite : armée et ordres religieuses 5. Développements économiques 6. Les libraires français 7. Les fausses adresses

Fausses Adresses

L’apparition de villes espagnoles dans les fausses adresses, tellement utilisées au dix-huitième siècle par, est un fait différentiel et significatif dans une pratique habituelle d’éditeurs, imprimeurs et auteurs du XVIIIème. Au long du parcours chronologique, on trouve des textes en français sous faux lieu espagnol ; par des raisons politiques ou commerciales et fiscales l’utilisation de l’Espagne est plus fréquente qu’aux siècles précédents. Madrid, Pampelune, Cadix, Minorque, apparaissent dessinant un tableau particulier des raisons qui on put diriger le choix de chaque une d’elles dans un moment précis. Un contenu de l’ouvrage pas conforme aux bonnes mœurs et qui aurait condamné auteur et imprimeur ne se trouve pas entre les causes principales. On verra l’exception au règne de Charles III. Ce sont des raisons politiques ou religieuses ou des raisons commerciales ou fiscales qui semblent avoir empêché l’imprimeur d’apposer son nom sur la page de garde et choisir comme adresse une ville espagnole. Une autre raison, pendant le règne de Charles IV pourrait aussi être invoquée : le snobisme qui conférait à un ouvrage édité sous fausse adresse un certain exotisme ou un clin d’œil moqueur et pouvait donc constituer un argument de vente. 304 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Périodisation par règne.

Répartition de la production par lieu. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 305

Madrid (lieu d’impréssion) par règne.

Fausse adresse/Règne. 306 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Philippe V

Politique internationale : Fausses et véritables adresses

• La Guerre de Succession • La bulle Unigenitus

Pierre Marteau imprimant à Madrid en 1709 (dans les catalogues on trouve aussi une édition de 1704) est une curieuse fausse adresse qui trouve son explication dans la Grande Alliance et la Guerre de Succession de l’Espagne. Les matériels typographiques et le fait que les réclames apparaissent à la dernière page de chaque feuillet le situent, malgré les attributions de Weller aux presses hollandaises, en France. La Guerre d’Espagne est un moment doré de la production de la branche germanique de la fausse adresse qui se présente comme l’imprimeur de l’Europe moderne combattant le pouvoir hégémonique français. L’archiduc Charles réclamait la couronne d’Espagne, et l’Europe, inquiétée par la puissance de Louis XIV, forma, pour soutenir les droits de ce prétendant, une grande ligue dans laquelle entrèrent l’Autriche, l’Angleterre, la Hollande, la Prusse et le Portugal. La guerre qui s’engagea alors est connue sous le nom de guerre de la Succession d’Espagne. La provenance de l’exemplaire de la Real Biblioteca est un remarquable trait de collectionnisme, car le livre a appartenu à l’Infante don Antonio, le frère du roi Charles IV qui forma une collection singulière hors des marges habituelles de formation de bibliothèque de cours. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 307 308 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Courtilz de Sandras. Trois lettres sur la succession d’Espagne : La première adressee a Mylord ****. La seconde a un ministre d’État espagnol. La troisième a un gentilhomme anglois, membre des Communes. Le tout traduit de l’anglois & du portugais. A Londres, chez Phileutere, a l’enseigne de la Vérité́. M. DCCI, [1701] Les imprimés de la Guerre de Succession qui semblent venir de la bibliothèque privés de Philippe V sont ceux de ceux qui soutiennent sa cause. Après l’avènement de son compétiteur au trône impérial (sous le nom de Charles VI), la paix d’Utrecht, signée en 1713, reconnut Philippe V, mais toutefois en le forçant à renoncer à ses droits sur la couronne de France et à céder à l’Angleterre Gibraltar et Minorque ; au duc de Savoie, la Sicile ; à l’Autriche, le royaume de Naples, le Milanais, la Sardaigne et les Pays-Bas.

Une politique extérieure mouvementée (1715–1746)

• La reconquête de l’Italie • Les rivalités avec la Grande-Bretagne • Les Pactes de famille Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 309

Les propositions de Quesnel : Un conflit politique et universitaire

La Constitution Unigenitus du Pape Clément XI, 1713, déferle la polémique entre La Sorbonne et l’Université de Salamanque. Accusée de ne pas accepter la condamnation des propositions de Quesnel, Salamanque édite en 1716 les Lettres en deux issues, latin et français, pour répondre au bruit répandu par les jansénistes. Universidad de Salamanca. Lettres de l’université de Salamanque, sur le bruit répandu par tout avec la plus grande malignité : scąvoir, que cette université avoit rejetté la constitution Unigenitus de notre très-saint père Clément XI qui gouverne aujourd’hui le vaisseau de l’église catholique avec autant de fermeté que de prudence ; dans lesquelles lettres on montre à tout l’univers que c’est l’effet de la plus noire, de la plus envenimée, & de la plus impudente calomnie. Salamanque : impr. A.E. Garcia, 1716.**** pp. 1-16 et 19-26 ; 4to. Les plans gigantesques d’Alberoni, qui rêvait la restauration de la domination universelle de l’Espagne et voulait enlever la régence de France au duc d’Orléans pour la donner à Philippe V, auraient pu engager ce prince dans une guerre contre la France et l’Angleterre, mais il la prévint en sacrifiant son ambitieux ministre (1720) : Réponse au manifeste publié par le duc d’Orléans pour justifier sa conduite…, Madrid, 1710

Les problèmes d’Angleterre

Le règne de Philippe V est également marqué par la rivalité maritime avec la Grande-Bretagne. L’Espagne se bat contre les avantages acquis par les Anglais au traité d’Utrecht, et le règne de Philippe V est émaillé d’incidents maritimes, comme en 1739–1748, lors de la guerre de l’oreille de Jenkins. Au cours du règne, l’Espagne redevient une grande puissance maritime. La marine tient la Méditerranée occidentale, bien que les Anglais occupent toujours Gibraltar et Minorque. La guerre de l’oreille de Jenkins (appelée par les Espagnols Guerra del Asiento) dura de 1739 à 1748, eut lieu principalement dans les Caraïbes et vit s’affronter les flottes et troupes coloniales du Royaume de Grande- Bretagne et de l’Espagne. A partir de 1742 débuta la Guerre de Succession d’Autriche, avec laquelle la guerre de « l’oreille de Jenkins » se confondit. Cette guerre peu connue vit mobiliser des forces immenses pour l’époque, se solda par des pertes humaines et matérielles énormes, fut un désastre pour la Grande-Bretagne, et n’aboutit qu’au retour au statu quo ante bellum. Le siège de Cartagena de Indias fut d’une importance extrême car Carthagène était avec Veracruz et La Havane l’un des trois grands ports d’où étaient 310 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO exportés les métaux précieux vers l’Espagne. La Grande-Bretagne décida de frapper un grand coup en mars 1741, en prenant la ville et en faisant un port britannique. Des moyens techniques et humains énormes furent mis en œuvre à partir de La Jamaïque : Le journal de ce qui s’est passe a la prise des forts de Bocachicha…, Madrid, 1741, eut aussi une édition en espagnol.

Campagne d’Italie :

Victoire de l’Armee commandée par le comte de Gages a Camposanto. Madrid, 1743 Douteuse, par contre, est l’édition de l’Oraison funèbre de monseigneur Visdelou prononcé par Norbert de Bar. On ne retrouve plus à Cadix cet Antoine Pereira qui figure à l’adresse de 1742. On trouve une édition sans adresse, de la même année, attribuée aux presses d’Avignon qui présente les mêmes caractéristiques et qui pourrait indiquer que l’adresse de Cadix est, peut être, une fausse adresse espagnole. Mais c’est vrai que cette oraison funèbre joue en ce moment là un rôle important dans la querelle des rites chinois. Visdelou, un des six mathématiciens du roi, fut le seul à s’opposer à l’utilisation et appuya leur prohibition. L’auteur, un capucin aussi en conflit avec l’ordre des jésuites sur le sujet des rites, passa trois ans à Pondichéry (Inde) à la même maison ou Visdelou fut exilé. Bar Le Duc, Norbert de (O.F.M.Cap.). Oraison funèbre de monseigneur de Visdelou iesuîte euêque de Claudiopolis ... prononcée ... avec des notes ... par le R.P. Norbert de Bar le Duc Capucin ... A Cadix : chez Antoine Pereira ..., 1742. [11], 201, XVI p. ; 8º

FERDINAND VI Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 311

Politique internationale :

Minorque-Avignon : Les tensions politiques, les liens universitaires

L’été de 1755, le conflit d’intérêts entre France et l’Angleterre à propos des possessions nord américaines déclenche une guerre ou la France joue, au niveau de la propagande politique, le rôle de victime d’une agression britannique. La France procure placer dans les presse européennes documents, pamphlets, qui renforce cette approche. L’Observatoir hollandois, une série de 46 pamphlets publiés entre septembre 1755 et février 1759, fut la pièce centrale de cette campagne de propagande qui cherchait la sympathie ou la neutralité diplomatique des pays. Maintenir les Pays Bas hors du band anti-français devint une priorité et sous la traditionnelle forme de lettres envoyées de Paris par un hollandais à un ami, l’Observateur était une source périodique de propagande. Les publicistes tentèrent de capturer l’intérêt de lecteurs politiquement influents3.

1756–1763

Deux imprimés de la même année, 1757, montrent la complexité de la situation. L’essai politique sur les avantages que la France peut tirer de la conquête de Minorque nous introduit dans les stratégies du gouvernement français pour disposer d’une plateforme de propagande et acculturisation dans l’ile. Joseph Payen quitte Avignon et s’installe à Mahon dans les premières années de la domination française. Sous invitation du gouverneur de l’île, Antoine de Causan. La petite imprimerie locale de Juan Frabregues y Sora, ouverte en 1750, était trop modeste pour produire des livres. En 1757, Joseph Payen serait déjà installé à Minorque. Les éditions localisées montrent deux aspects auxquels il fallait servir : la propagande politique qui justifié la conquête et la présence dans l’île et la nouvelle sociabilité d’une ville. L’Essai politique sur les avantages que la France peut retirer de la Conquête de l’isle Minorque, dédié au prince Louis de Wirtemberg d’Ignace Hugary de la Marche Courmont, écrit en 1756, sort des presses minorquines en 1757 à Mahon et un petit nombre d’exemplaires à Citadella. En 1761 il imprime une comédie de Philippe Néricault Destouches et son nom et son adresse figurent à la page de titre, Carrer del Pont Castell.

3 John Shovlin. “Selling American Empire on the Eve of the Seven Years War: The French Propaganda Campaign of 1755–1756”. Past & Present, v. 206, n-1, pp. 121-149. 312 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Les relations des insulaires avec Avignon se remontent à la domination anglaise. Le prestige des études juridiques de l’Université d’Avignon, un centre international de formation en Droit s’ajoutait à la préférence britannique pour un siège qui, étant un état papal, n’était ni l’Espagne ni la France. Les rapports universitaires Minorque-Avignon sont fondamentaux pour expliquer l’activité de l’imprimerie et du commerce libraires dans ces décennies4. Par contre, le Preservatif contre l’anglomanie de Fougeret de Monbron, 1757, qui porte l’adresse Minorque (Année Littéraire 1760, II) est une fausse adresse. Cette œuvre popularise un terme de grande fortune qui renferme l’interaction politique, sociale, culturelle et littéraire entre les pays. Les circonstances politiques rendent tout à fait croyable la fausse adresse : mais les matériels typographiques et le papier d’Auvergne ne laissent pas de doute sur son origine français.

4 Maria Paredes i Baulida. Antoni Febrer i Cardona: un humanista il·lustrat a Menorca (1761–1841). L’Abadia de Montserrat, 1996, pp. 49-50. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 313

L’autre fausse adresse, Les lettres sur le voyage en Espagne de Coste d’Arnobat est un imprimé parisien sur un sujet de grand parcours : les philies et les phobies hispano-françaises. 314 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Une stratégie de vente : Le Marquis de San Gil

Une œuvre un trois volumes. Sur la base d’un ouvrage classique pour la matière, le traité de Wiquecfort, auquel on ajoute les Empresas políticas de Saavedra, et les additions d’Amelot de la Housaye et d’Ablancourt pour aboutir à former le plus accompli des ministres. Au troisième volume, un texte de Bruzen de la Martinière. On a conservé le français au troisième volume parce que les traductions sont toujours des pertes de sens. Trois index, une table de matières Juan-Carlos Bazán, Fajardo y Villalobos, Regente de la audiencia de Sevilla, Embajador en Venecia, Turín y Génova, Gobernador Consejo de Hacienda Miscelánea política, hecha por su nieto. La Haya, Antonio Van Dole, 1753 Oeuvres politiques. Madrid, Gabriel Ramírez, 17535. Une édition pensait pour servir deux marchés lecteurs différents et doubler le profit. Les réflexions du Marquis de Saint-Gil, Gouverneur du Conseil Royal des Finances (mort en 1703) et ses observations sur l’exercice du pouvoir et ses différents acteurs (souverains, ministres, sujets, ambassadeurs, ministres d’État, courtisans, généraux) en français intéressait un marché lecteur européen (Pays Bas, France, Angleterre) auquel un premier volume avec des textes espagnols, dépassés en ce moment pour le marche lecteur européen. Le volume contient, à la fin, un mémoire du petit-fils de l’auteur qui était ambassadeur du roi d’Espagne aux Etats-Généraux des Provinces Unies des Pays Bas, avec une lettre du monarque espagnol. Cette traduction française est de la plus grande rareté, et ne fut probablement tirée qu’à un petit nombre d’exemplaires. À Madrid, avec les permissions ordinaires, chez D. Gabriel Ramirez, 1753. Cette deuxième édition, répète la stratégie commerciale de la précédente, faite à Madrid para la Veuve Péralta en 1750. Elle réutilise les préliminaires légaux et ajoute, uniquement, une nouvelle licence du Conseil (14 mai 1753) et une liste d’errata.

5 La demande pour obtenir le droit d’imprimer : Expediente de licencia de impresión AHN Consejos, 50646. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 315 316 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO charles iii

Complexité des problèmes Politique internationale : Les jésuites

1767–1770 Suite des pièces concernant le banissement des jésuites. À Madrid et se trouve à Paris chez Antoine Boudet Antoine-Chrétien Boudet, Libraire-imprimeur lyonnais (1715–1787) apprentissage chez Jean-Baptiste III coignard, second mari de sa mère. Reçu libraire 16 février 1734. Imprimeur ordinaire du roi (1750), imprimeur du Châtelet. Associé 1734–1740 à son beau-père, dont il rachète une partie du fonds. Voyages au Portugal et en Espagne. En 1757 séjourne à Madrid pour tenter d’obtenir un dérogation en faveur de son édition espagnole du Dictionnaire de Moreri (1753, il avait racheté le privilège aux Tournes) touchée par la nouvelle réglementation qui interdit de faire entrer dans le pays des ouvrages étrangers. En mars 1761, il est à Lisbonne et en février 1763 à Cadix d’ou il adresse une lettre à M. de bombarde sur « l’imprimerie et librairie d’Espagne et de Portugal ». Il met l’accent sur la dépendance de ces deux pays vis-à-vis de la libraire étrangère, mais déplore la fiable part tenue dans leur approvisionnement par les libraires français et encore plus par ceux de Paris, car c’est Lyon qui monopolise ce marché. Selon lui, les français y sont surtout concurrencés par les libraires d’Anvers pour les livres de théologie et de droit et par ceux de Venise, de Suisse et d’Avignon pour les autres ouvrages. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 317

Tandems libraires :

1. Les reseaux de Cadix

Les éditions de Cadix ont en commun la présence des libraires français établis dans cette ville. Elles sont un exemple accompli des traits qui caractérisent leur activité – la bibliographie de François López sur la matière est obligatoire- jouant toujours dans les marges et tirant le bénéfice que laissaient des œuvres que, par des raisons diverses, restaient anonymes et pouvaient circuler dans les marché nationale et internationale facilement. Jean Ravet vend à Cadix Les réflexions politiques sur les finances et le commerce, imprimé par Van Dole à La Haye en 1760. Lui et Claude Bertrand Bellier sont les deux libraires français plus importants, avec des solides relations européennes. Le consul suédois, Gahn, se servait d’eux pour en acheter les livres que Celestino Mutis devait utiliser pour son travail lorsque les libraires de Madrid et son agent Scheidenburg (prêtre de la Légation suédoise à Madrid) n’y pouvaient pas y réussir. Cette nouvelle édition de l’oeuvre de Charles Dutot, parait encore, anonyme. Dutot avait arrangé l’apparition de la première à La Haye, avec les protestants Vaillant et Prévost, et sa distribution avec Rolin fils en 1738. La seconde édition, toujours à La Haye en 1740 sortait des presses de Van Dole. Le Journal de Trevoux, Le Journal des Sçavans, s’en firent écho. Voltaire faisait le commentaire au Le Pour et Contre. Les relations de Dutot avec Cadix furent étroites : à Saint-Malo la communauté de commerçants, marchands, banquiers, propriétaires de navires entretenait des liens avec celle de Cadiz ou la puissante banque de Magon Frères et Le Fer était fondamentale pour leur entreprises. S’en chargé de commercialiser cette œuvre en langue originelle à cette ville portuaire, semble une décision sensée, justifiée à tous les égards6. Les frères Hermil, établis aussi à Cadix, étaient les agents de la Société Typographique de Neuchâtel. Pour la période des années 80 leur activité 6 François R. Velde. The Life and Times of Nicolas Dutot. Federal Reserve Bank of Chicago. March 4, 2009. Guyot-Desfontaines (1738, 12:241-264,13:49-72) reviewed it in two letters dated March 13 and April 19 (and approvingly remarked on the native pride of his fellow Norman). The Journal de Trévoux announced reviewed it at length and with much praise (May 1738, p. 895-932; June 1738, p. 1029). Voltaire published his commentary in Le Pour et Contre (15:296-317). The Journal des Sçavans summarized the book in its August 1738 issue (471-481). José Antonio Amaya. “El aporte del diplomático sueco Hans Jacob Gahn (1748–1800) a la formación de la biblioteca de historia natural de José Celestino Mutis (1732–1808)”. Revista No 10, Enero-Junio 1995, pp. 39-72. 318 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO dans la diffusion de la littérature éclairée interdite et les auteurs de haut risque est fondamentale. Ils sont présents au grand livre des Cramers. Le siège de Gibraltar dans cette mémoire anonyme de 1783, sous la responsabilité de l’auteur des Batteries flottantes, était une défense d’un échec que, quelques années plus tard, Michaud d’Arçon expliquerait au Conseil de guerre privé sur l’événement de Gibraltar. C’est un plaidoirie contre la guerre ancienne qui soutient les mêmes principes de l’ingénieur éclairé et qui lui été attribué. La même année, Les Hermil éditent l’Histoire du siège de Gibraltar, fait pendant l’été de 1782, sous les ordres du capitaine général duc de Crillon ... Par un officier de l’Armée françoise.

2. Les classiques espagnols

Le libraire Jean Pierre Costard édite en 1776 les œuvres de Cervantes, publiées à Madrid. Les nouvelles espagnoles, un titre fait pour un public français sont illustrées avec des gravures en taille douce d’un artiste français. Activités professionnelles 1769–vers 1776. Débute comme auteur en publiant quelques opuscules. Apprentissage comme libraire chez Jean Thomas II Costard Hérissant 4 octobre 1768. Reçu 21 janvier 1769. Commerce orienté vers les Provinces-Unies, l’Allemagne, les Pays-Bas autrichiennes, Suède, Russie, Suisse, Italie. En 1770 il est un des premiers éditeurs de Paris pour les nouveautés de littérature, histoire et sciences. Il édite plus de 84 tires entre 1769–1776 et fait travailler parallèlement plusieurs imprimeurs : en 1769, Lottin l’aîné, Couturier Valleyre fils, Grange et Simon. Le 13 août, son fonds de librairie est valué à 453 886 livres.7

Fausses adresses : La fiction satirique devient plus piquante La fatalité ou le voyageur espagnol. Madrid (i.e. Paris), les associes, 1778

Fleuriot 1786

Voyage de Figaro en Espagne (Saint-Malo, 1784). Bien que n’ayant jamais mis les pieds en Espagne, Fleuriot y dresse, de manière piquante, un tableau noir de l’Espagne et des espagnols, critiquant leur gouvernement,

7 i Barb er, Frédéric, Sabine Juaratic, Annick Mellerio. Dictionnaire des imprimeurs, libraires, et gens du livre à Paris 1701–1789. Genève, Droz, 2007, pp. 534-540. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 319 leur religion et leurs mœurs. Ce récit fit un tel scandale que le roi Charles III s’en plaignit au gouvernement français et menaça d’interdire l’entrée de son royaume à tous les Français. L’ouvrage fut alors condamné à être brûlé par arrêt du Parlement de Paris du 26 février 1786, après un long et virulent réquisitoire de l’avocat général Séguier. Cette condamnation spectaculaire valut à l’auteur l’engouement du public : l’ouvrage connut six éditions, et fut traduit en anglais, en allemand, en danois et en italien.

Duchesne : Démocrite à Pampelune

Aussi une fausse adresse espagnole peut servir pour critiquer la France : L’Âne promeneur ou Critès promené par son âne ; chef d’œuvre pour servir d’Apologie au Goût, aux Mœurs, à l’Esprit, et aux Découvertes du siècle. Première édition, Revue, corrigée, et précédée d’une Préface à la Mosaïque, dans le plus nouveau goût. A Pampelune, chez Démocrite, Imprimeur-Libraire de son Allégresse Sérénissime Falot Momus, au Grelot de la Folie. Et se trouve à Paris, Vve Duchesne, Hardouin et Gatey, Voland, Royez, 1786. 1 vol. in-8°. 1 portrait gravé au burin dans le texte. L’Âne promeneur, ou Critès promené par son Âne est une édition très rare aujourd’hui. Il s’agit d’un pamphlet très satirique, principalement dirigé contre Beaumarchais et le Mariage de Figaro, et qui comporte une foule d’allusions et de traits contre les personnages et les modes de l’époque. Ce livre sera à nouveau imprimé en 1788, sous le titre Le Rabelais moderne.8

Le Roux 1786

Le Dictionnaire de Le Roux est saisi par les autorités en 1736, en 1750 et en 1789 […] Le Dictionnaire est une nouvelle édition du Dictionnaire des proverbes publié en 1710 par G. Backer mais avec des addition qui annonçaient le goût de l’auteur pour les obscénités. Le Roux, suite d’un pamphlet contre le père La Chaize, fut oblige à se réfugier a Bruxelles au service de M. Elizabeth d’Autriche, ou il mourut en 1735. L’édition de 1786 puise son matériel dans d’autres sources qui ne seront pas utilisées par la lexicographie successive et qui n’ont rien à voir avec les « proverbes » dont il est ici question. Il est toutefois intéressant de signaler que le lexicographe de 1786 ajoute un certain nombre de proverbes espagnols – avec la traduction en français – tirés du dictionnaire d’Antoine Oudin et de proverbes en ancien français tirés d’un cahier manuscrit d’Etienne Barbazan. La paternité de l’édition de 1786 peut être attribuée à

8 B abier I, 178 ; Cioranescu, 31448 ; Quérard III, 411. 320 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

François Lacombe, un collaborateur de La Curne de Sainte-Palaye.9 Cette compilation est la plus complète d’un texte que l’abbé Goujet caractérisait comme ouvrage scandaleux et don ton ne saurait tirer aucun fruit.

Une société composite

L’armée du roi d’Espagne présente un caractère cosmopolite ; les unités étaient constituées d’après leur langue usuelle. L’armée du souverain espagnol comptait des soldats de quatre « nationalités » différentes : des Espagnols, des Italiens, des Wallons, des Allemands. Les régiments wallons étaient formés de soldats recrutés dans les régions de langue française comprises dans les Pays-Bas – savoir : l’Artois, le Hainaut, le comté de Namur, les quartiers wallons du Brabant, d’Outre-Meuse, du Luxembourg, à Lille, Douai et Orchies, Tournai et le Tournaisis. Les Gardes wallonnes au service du roi d’Espagne, créées en 1702 sur le modèle des gardes françaises et qui devaient subsister jusqu’en 1822. La langue française y restait usuelle et le faible niveau d’intégration linguistique exigeait toujours imprimer dans leur langue des documents importants, mais élémentaires comme les indults généraux, les pardons, ou les instruments de piété et prière comme le catéchisme pour les gardes wallonnes.

9 Barsi, 2003. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 321

Les développements économiques :

• Olavide et Les Alpujarras • Les suscriptions des projets économiques et industrielles • La banque de San Carlos

Ses trois facteurs de développement international obligent à imprimer en français pour animer les inversions de capital étranger, les déplacements de colons pour repeupler les Alpujarras et porter à terme les idées de Pablo Olavide, un des hommes des Lumières espagnoles plus proche aux philosophes. Aussi, faut-il tenir en compte la littérature en français imprimé en Espagne déferlée par la question de Masson de Morviliers Que doit on à l’Espagne. Réponse de Denina a l’Académie de Berlin le jour de l’anniversaire du Roi. Imprimerie Royale, 1776.

CHARLES IV

Les libraires et imprimeurs :

C’est le cas du libraire Philippe Denné qui entretient une librairie à Madrid avec un fleurissant commerce d’importation. Son catalogue s’imprime en français à Madrid. Deux sections spéciales du catalogue : Livres stéréotypes imprimé par Didot l’aine et ’Art militaire, montrent, plus que la pénétration de la langue et de la culture française dans la société espagnole, le fait incontournable de l’occupation napoléonienne. 322 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Catalogue des livres de M. Denné le jeune, libraire de S.M.C. le Roi d’Espagne. Madrid : de l’imprimerie de l’Armée, rue de las Carretas nº 31, [1808 ?] Aux archives du palais royal de Madrid, se trouve la demande de Denné, en 1827, à Ferdinand VII d’un poste de Libraire du roi. Il appui sa demande dans son intégrité professionnelle – qu’il qualifie « activité mercantile » – et qu’il remonte à 1823 malgré que son parcours en Espagne soit beaucoup plus long et son travail d’importation et vente se remonte aux temps de son père, Charles IV.10

Affirmation nationale

Confirmation de Madrid comme puissance industrielle du livre et présence des grands ateliers espagnols. Benito Cano, qui pour éditer Le voyage du jeune Anacharsis en 1796, traduit son nom à l’adresse déclare au Prospectus en espagnol les deux raisons pour éditer à présent le livre de Barthélemy en français : servir les intérêts de personnes cultivées et, plus importante encore, le désir d’impulser l’industrie nationale. Pour atteindre la qualité typographique et littéraire des meilleures éditions parisiennes, il n’a pas épargné aucun effort ni dépense. Aussi, l’imprimeur Sancha édite le Testament de Kang-Hy, empereur de Chine. Son nom ne figure pas à la page de titre : rien que Madrid et 1799 mais les matériels typographiques et la gravure de Jose Rico, un artiste qui travaille pour son atelier (La flora Peruviana) et avec Ibarra, le rendent reconnaissable comme édition sortie de ses presses. Aussi, un Chant funèbre pour le duc d’Alba, les Fables du Marquis de Fulvi et Le catéchisme historique de Fleury. Le Télémaque, de l’Imprimerie Royale, le texte de Fénelon, un des plus imprimés en Espagne et le catéchisme de Fleury auront d’autres éditions dans le cours de ces années à Madrid.

Société composite

• L’Armée • Les ordres religieux La société espagnole est évidement une société composite de nationalités diverses. L’Armée et les ordres religieux se montrent comme 10 AGP PERSONAL, CAJA 2616 EXP. 4. Contraintes des gens du livre et du marché lecteur espagnols... 323 deux des pôles ou la concentration d’étrangers exige et justifie les imprimés en français. Les exemples sont nombreux. L’Alphabet français espagnol a l’usage de M.M. les militaires français. Vitoria : Fermin Larumbe, Imprimeur-Libraire, 1807, porte à la fin un petit vocabulaire galant pour aider à une intégration charmante des jeunes militaires entre la société de ce qui fut le point fort de l’Espagne occupée, Vitoria.

Politique internationale

• La révolution française • Le cordon sanitaire Les Prières durant la Sainte Messe, pour la Confession et la Communion, avec des pratiques de dévotion pour tous le jours de la semaine et l’oraison du saint dont on porte le nom. À Madrid : [s.n.], 1791 est un possible exemple des imprimés fait en Espagne au service de la France monarchique, tenant compte les circonstances révolutionnaires. 324 MARIA-LUISA LOPEZ-VIDRIERO

Cependant, la fausse adresse madrilène de l’Imprimerie d’Infantino est un des multiples cas de propagande monarchique française. Les Adresses au roi d’un réfugié politique à Madrid, victime de la Révolution, se multiplient à partir de 1790. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790) : intégration ou marginalité

CLAIRE MADL

Cette recherche a été effectuée dans le cadre d’un projet financé par l’Agence pour la recherche de l’Académie des sciences de la République tchèque – GAAV IAA801010903. À la fin du XVIIIe siècle, le livre français occupe en Europe centrale, une place inégalée quoique minoritaire. Alors que cet espace connaît une ouverture maximale aux importations, certains libraires estiment opportun de se spécialiser dans l’acquisition, la vente, voire l’impression de livres français. L’on connaît bien la place occupée dans la monarchie des Habsbourg par l’affaire Trattner qui essaima dans de nombreuses provinces1. À Prague, certains libraires proposent chaque année 13 à 36 % de livres français parmi leurs nouveautés2. Le français étant particulièrement employé par l’aristocratie, ce sont les libraires des villes de cour qui se distinguent dans ce domaine. Les données statistiques tirées des catalogues de nouveautés permettent une estimation de la part absolue et relative de livres français chez ces libraires. Nous prenons ici comme exemples deux entreprises, l’une dont la maison mère est à Dresde, mais qui est très présente sur le marché de Prague où elle possède une succursale, la maison Walther, l’autre installé à Prague, Wolfgang Gerle. 1 ursula Giese, „Johann Thomas Edler von Trattner. Seine Bedeutung als Buchdrucker, Buchhändler und Herausgeber“, in : Archiv für Geschichte des Buchwesens, 3 (1961), p. 1013-1454. 2 Claire Madl, « Les importations de livres français en Bohême à la fin du XVIIIe siècle », in : Frédéric Barbier (dir.) Est-Ouest : transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2005, p. 61-75. 326 CLAIRE MADL

Walther 1775 Gerle 1775 Gerle 1786 Walther 1797 Allemand 339 51 % 619 76 % 650 72 % 555 78 % Français 240 36 % 104 13 % 221 24 % 108 15 % Latin 79 12 % 86 10,5 % 36 4 % 9 1 % Anglais 7 1 % 8 1 % 0 0 27 4 % Italien 6 1 % 0 0 0 0 10 1 % Total 671 100 % 817 100 % 907 100 % 709 100 %

Tableau 1. Répartition selon la langue de l’offre en nouveautés de deux libraires spécialisés en livres français3

La plupart des libraires, en revanche, en particulier à partir des années 1790, ne proposent quasiment pas de livres français et leurs affaires n’en sont pas moins florissantes. En ce qui concerne la réception des livres en français, nous disposons de certaines informations sur les bibliothèques constituées au XVIIIe siècle. La part du français augmente chez les bourgeois de la Ville de Prague tout au long du siècle. Néanmoins, les moyennes décennales réalisées à partir des inventaires après décès ne comptent jamais plus de 8 % de livres français et leur présence a tendance à s’estomper à la fin du siècle4. Chez la noblesse, il semble y avoir autant de cas que de collections. Si à partir du milieu du XVIIIe siècle, le français est souvent la seconde langue des bibliothèques, avant le latin et après l’allemand, la proportion de livres français ne semble néanmoins que rarement dépasser un tiers du fonds5.

3 l’on ne peut déduire de ces seules données la part du livre français dans l’ensemble de l’assortiment de ces libraires car certains (parmi lesquels Gerle) ne publient pas de catalogues de livres français aussi souvent que de livres allemands. Sources ici analysées : Catalogus deutsch- und lateinischer Bücher, welche… in jetzigen Lichtmess-Markt, 1775…, Prag, Walther, 1775 ; Catalogue de livres françois, italiens et anglois, pour la foire de la purification de la S. Vierge, 1775, Prague, Walther, 1775 ; IV. Verzeichniss neuer deutsch- und lateinischer Büchern, Prag, Gerle, 1775 ; Catalogue des livres françois qui se trouvent chez Wolfgang Gerle, Prague [1775ca] ; Verzeichniss neuer deutsch- und lateinischer Bücher, Prag, Gerle, 1786 ; Catalogue de livres françois nouveaux, Prague, Gerle, 1786. Pour localiser les exemplaires de ces catalogues, nous nous permettons de renvoyer à : Claire MADL, Booksellers’ Catalogues in Czech Libraries. A First Inventory: http://www.cefres.cz/histoire.php#cm, publ. en fév. 2010. 4 Jiří Pokorný, „Die Lektüre von Prager Burgern im 18. Jahrhundert (1700–1784)“, in : Hannes Stekl, Peter Urbanitsch (dir.) Bürgertum in der Habsburgermonarchie, Wien/Köln, Böhlau Verl., 1990, p. 149-161. 5 Bernhard Fabian (dir.), Handbuch deutscher historischer Buchbestände in Europa. Tschechische Republik, Bd. 2. Tschechische Republik Schlossbibliotheken unter Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 327

En Bohême, comme dans la plupart des pays de la monarchie des Habsbourg, la diffusion du français prend de l’ampleur dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est à partir de 1750 que l’on imprime en français à Vienne et le commerce du livre français prend un véritable essor dans ces pays vers cette date6. Ce phénomène bénéficie de plusieurs facteurs qui ne sont pas directement liés à ce que l’on considère comme le « rayonnement de la pensée française des Lumières ». Tout d’abord, la diffusion du livre français bénéficie du fait que c’est le groupe social le plus privilégié aussi bien du point de vue économique que culturel, l’aristocratie, qui emploie la langue française. Avec les ordres religieux, les nobles sont des clients recherchés des libraires, même si la clientèle de ces derniers s’élargit à d’autres groupes sociaux. Le français se diffuse ensuite presqu’exclusivement auprès des populations qui sont le plus liées à la noblesse, comme par exemple chez les bourgeois en fonction dans les offices royaux7. La deuxième moitié ou plus précisément le dernier tiers du XVIIIe siècle est d’autre part la période où le commerce de librairie en général connaît un plein essor8. La monarchie des Habsbourg est perçue comme un lieu d’opportunités. À Prague, à partir des années 1750–1760, s’installent tantôt des marchands libraires qui, jusque là, ne venaient que pour les foires, tantôt de nouvelles entreprises originaires le plus souvent de l’Allemagne catholique. Une des premières filiales ouvertes à la fin des années 1750 par le libraire viennois Trattner se situe à Prague et son premier catalogue portant l’adresse de Prague date des années 17609. Pour étudier les mouvements commerciaux et les modes de diffusion des livres français, l’outil conceptuel du réseau semble particulièrement adapté. der Verwaltung des Nationalmuseum, Hildesheim, Olms-Weidman, 1997 et disponible en ligne : http://134.76.163.162/fabian?Home 6 Cf. Vera Oravetz, Les impressions françaises de Vienne, Szeged, 1930 (Etudes françaises de l’Université de Szeged). Cf. les contributions rassemblées dans : Frédéric Barbier (dir.) Est-Ouest, op. cit. 7 J. Pokorný, „Die Lektüre von Prager Burgern...“, op. cit. 8 norbert Bachleitner, Franz M. Eybl, Ernst Fischer, Geschichte des Buchhandels in Österreich, Wiesbaden, Harrassowitz, 2000 (Geschichte des Buchhandels 6), p. 112 et suiv. ; Zdeněk Šimeček, Geschichte des Buchhandels in Tschechien und in der Slowakei, Wiesbaden, Harrassowitz, 2002, (Geschichte des Buchhandels 7) p. 25- 42 et 61-86. Plus précisément : Michael Wögerbauer, „Die Genese der Ordnung für die Buchhändler In den Kaiserl. Königl. Erblanden’ von 1772”, Brücken. Neue Folge 12, Emil Skála zu Ehren, 2005, p. 135-162. 9 Catalogus universalis librorum omnigenae facultatis = Allgemeines Verzeichniss der Bücher... Wien u. Prag, Johann Thomas Trattner, 1765. 328 CLAIRE MADL

Utilisé le plus souvent en sociologie pour remettre en question certaines catégories déjà tracées, il permet de saisir des formations complexes de relations particulières10. Or, en effet, à l’époque qui nous intéresse, les flux de livres se laissent difficilement synthétiser. L’approvisionnement est nettement diversifié quant à ses intermédiaires. Les ordres religieux et les aristocrates disposent de divers moyens pour acquérir des livres. Ils bénéficient de liens personnels ou institutionnels étendus, effectuent de nombreux voyages dans le cadre de leurs fonctions ; ils entretiennent des agents dont la mission principale est de fournir de l’information et aussi des imprimés. Il s’agit-là de relations éminemment « particulières » et difficiles à saisir – ces flux représentent en outre un manque à gagner pour les libraires locaux. En outre, la géographie commerciale des pays de la monarchie des Habsbourg n’est pas nettement organisée ni hiérarchisée à partir de Vienne. Le cas de la Bohême est éclairant en la matière. Les liens avec la librairie d’Empire, c’est-à-dire avec l’Allemagne catholique, sont étroits et anciens. C’est de Bamberg qu’a pénétré la technique de l’imprimerie en Bohême, ce sont les libraires de Nuremberg qui font le voyage pour la foire de Prague et comme nous l’avons dit, c’est de cette Allemagne du sud que viennent les libraires qui s’installent vers 1750. Néanmoins, les liens sont aussi très anciens et étroits avec la Saxe. La frontière qui sépare désormais la Bohême de la Lusace, perdue par les Habsbourg pendant la Guerre de trente ans, ne ralentit pas les relations des libraires ou des collectionneurs avec Leipzig qui devient à la même époque le lieu central des échanges des libraires allemands. C’est à Leipzig que les éditeurs pragois essaient de vendre la production dont l’intérêt dépasse le cadre régional11. C’est en Saxe que certains auteurs de Bohême désirent se faire éditer et imprimer12. Le grand libraire de la cour de Saxe, à Dresde, Walther, imprime régulièrement, dès 1769, des catalogues à 10 Cf. Maurizio Gribaudi, « Échelle, pertinence, configuration », in : Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles : la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1996, p 113-139. 11 reinhard Wittmann, „Die frühen Buchhändlerzeitschriften als Spiegel des literarischen Lebens“, Archiv für Geschichte des Buchwesens 13, 1973, col. 814 et suiv. ; id., „Der deutsche Buchmarkt in Osteuropa im 18. Jahrhundert“, in : (id.) Lektüre im 18. und 19. Jahrhundert: Beiträge zum literarischen Leben 1750–1880, Tübingen, 1982, p. 93-110. 12 Claire Madl, « Réseaux savants, réseaux de livres en Bohême autour de 1800 », in : Frédéric Barbier, István Monok (dir.) Contribution à l’histoire intellectuelle de l’Europe : réseaux du livre, réseaux des lecteurs, Budapest, Országos Széchényi Könyvtár / Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2008, p. 165-189. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 329 l’intention des foires pragoises afin d’établir un lien permanent avec ses clients de Prague où il ouvre une succursale – le catalogue de 1769 est d’ailleurs un catalogue de livres français. Les catalogues des libraires de Leipzig, comme Gleditsch ou Heinsius, ainsi que les catalogues des foires, se trouvent dans les bibliothèques de Bohême qui ont conservé ce type de documents. Leipzig est de fait une source d’approvisionnement efficace et facile d’accès. Troisième « centre » de la production et du commerce du livre, Vienne est une capitale en plein essor pour ce qui est de la librairie13. Elle s’impose rapidement comme capitale au sein du marché du livre allemand. La problématique du réseau est enfin appropriée à l’étude du commerce du livre français à la fin de l’Ancien Régime parce que, à l’opposé du commerce du livre allemand, il s’agit d’un ensemble de flux qui ne sont pas structurés autour d’un centre. Il ne dispose pas de relais hiérarchisés facilement repérables. Les livres imprimés à Paris sont minoritaires sur le marché, comme nous allons le voir, et ne représenteraient même que la moitié des livres français imprimés en Europe au XVIIIe siècle14. Ainsi ce commerce fonctionne-t-il sans doute plutôt selon un réseau aux flux variables, aux nœuds en permanent rééquilibrage et mettant en jeu des acteurs dont les rôles ne sont pas encore strictement différenciés. Le cas de la Bohême à la fin du XVIIIe siècle permet d’observer un espace ouvert, éminemment récepteur, qui oscille entre intégration et marginalité envers le grand marché des produits culturels européens – ici le livre français. Nous aborderons la question à travers l’étude de l’activité d’un éditeur et marchand libraire installé à Prague à partir de 1770, qui fit de l’importation de livres français sa spécialité et dont nous possédons un fragment de la correspondance et un certain nombre de catalogues.

Un libraire au cœur d’un réseau d’information européen

Éditeur des érudits Originaire de Francfort, semble-t-il, Wolfgang Gerle obtient les droits de bourgeoisie pour la Vieille ville de Prague en 177015. Dès son premier 13 Cf. N. Bachleitner, F.M. Eybl, E. Fischer, Geschichte des Buchhandels…, op. cit. 14 Avant-propos aux chapitres sur le livre français hors de France Roger Chartier, Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l'édition française. 2, Le livre triomphant 1660– 1830, Paris, Fayar/Promodis, 1990 (1e éd. 1984), p. 302. 15 Josef Volf, Geschichte des Buchdrucks in Böhmen und Mähren bis 1848, Weimar, Straubing&Müller, 1928 ; id. Dějiny veřejných půjčoven knih v Čechách do roku 1848 [Histoire des bibliothèques publiques de prêt en Bohême jusqu’en 1848], Prague 330 CLAIRE MADL catalogue, daté lui aussi de 177016, Gerle s’applique à se construire la réputation d’un libraire aux riches connexions avec l’étranger. Il annonce reprendre l’assortiment d’un libraire originaire de Nuremberg, installé à Prague en 1745 : Johann Friedrich Rüdiger17. Cela faisait néanmoins vingt ans que Rüdiger avait cessé toute activité18. Le programme éditorial de Gerle montre qu’il s’est rapidement lié aux érudits de Prague et c’est lui qui fait imprimer les travaux aujourd’hui considérés comme les témoins les plus significatifs de l’activité scientifique et intellectuelle du pays. Il publie par exemple les auteurs qui fondent la société savante de Bohême. Ses activités maçonniques ainsi que l’ouverture d’un cercle nommé le « learned Club » le font passer pour un éditeur « éclairé » à qui l’on doit une part essentielle de ce que nous appellerions la « bibliothèque des Lumières en Bohême ». Dans son premier catalogue, Gerle annonce son intention de se fournir régulièrement en nouveautés à la foire de Leipzig. Il se propose de constituer ainsi progressivement « un fonds complet et choisi » (vollständig und ausgesucht) et de commander à la demande ce qui pourrait manquer au lecteur. Le tout aussi rapidement que possible et toujours au prix de l’éditeur19. Il souligne la qualité de son réseau d’approvisionnement appuyé par une correspondance fournie. Or nous disposons d’un fragment de cette correspondance commerciale conservé aux archives de la Société typographique de Neuchâtel (S.T.N.)20. Elle permet de reconstituer les 1931 (Spisy Knihovny Hlavního Města Prahy, 12), p. 7. Pour une analyse critique récente des données biographiques concernant Wolfgang Gerle : Michael Wögerbauer, Die Ausdifferenzierung des Sozialsystems Literatur in Prag von 1760 bis 1820. Thèse de doctorat, Université de Vienne, 2006, p. 286-287. 16 Verzeichniss deutsch- und lateinischer Bücher, welche um beygesetzte billige Preisse zu haben sind bey Wolfgang Gerle, Buchhändlern zu Prag in der Altsädter Jesuiter-Gassen beym goldenen Stroh, 1770. 17 pravoslav Kneidl, “Pražský knihkupec Johann Friedrich Rüdiger a jeho nabídka knih v roce 1748” [Le libraire pragois J.F. Rüdiger et son catalogue de 1748], Knihy a dějiny, 1-2, 1995, p. 1-8. Comparer avec David L. Paisey, Deutsche Buchdrucker, Buchhändler und Verleger 1701–1750, Wiesbaden, Harrassowitz, 1788, qui indique que Johann Rüdiger était actif à Nuremberg de 1710 à 1743. 18 D’après le répertoire des imprimeurs de Karel Chyba, Slovník knihtiskařů v Československu od nejstarších dob do roku 1860 paru progressivement dans : Příloha Sborníku Památku národního pismnictví Strahovská knihovna 1-14/15 de 1968 à 1979 et accompagné d'un inventaire chronologique des libraires, éditeurs, imprimeurs et relieurs. Désormais disponible en ligne : http://www.clavmon.cz/chyyba/ 19 Verzeichniss deutsch- und lateinischer Bücher…, Prag, Gerle, 1770, op. cit., Introduction non paginée. 20 Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, fonds de la S.T.N. (ainsi Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 331 pratiques et les réseaux du libraire pragois. En effet, en une vingtaine de lettres, de 1777 à 1789, Gerle dévoile son réseau, ses projets, ses soucis et les goûts de sa clientèle.

Un libraire bien informé

Au fil de ses commandes, notre libraire apparaît tout d’abord en professionnel bien informé. En effet, dans ses lettres, Gerle se révèle en possession d’informations très précises concernant les éditions, les prix, les commissionnaires, les intermédiaires financiers et enfin les itinéraires pour l’acheminement des livres. Il figure à ce titre au cœur du grand marché commun du livre de l’Europe des Lumières. C’est d’ailleurs la S.T.N. qui a contacté Gerle la première, comme elle l’avait fait avec de nombreux libraires d’Allemagne, tôt après son apparition21. Peut-être Gerle a-t-il reçu sa circulaire de juillet 1777 annonçant la publication de l’Encyclopédie in- 422 ? Dès cette date en effet, Gerle a gagné une position qui dépasse le cadre de la Bohême et de la monarchie des Habsbourg ; il figure par exemple dans l’Almanach de la librairie édité à Paris23. S’il joint la S.T.N. en 1777, c’est avec une demande précise : il souhaite acquérir son édition de l’Encyclopédie. Gerle nous apprend qu’il avait cherché à l’obtenir du libraire Plomteux de Liège ; celui-ci l’avait renvoyé à Joseph Duplain de Lyon – l’un des associés dans cette édition de l’Encyclopédie24. Gerle préfère néanmoins s’adresser à la S.T.N. Dans notéB : PU Neuchâtel STN). Nous disposons de 18 lettres de Gerle à la STN (outre au moins cinq de perdues), de 19 copies de lettres de la STN à Gerle (outre au moins 11 de perdues) et de 13 consignations d’envois de livres. Il est ainsi possible, de façon malheureusement lacunaire, de nous faire une idée des relations de Gerle avec la librairie francophone de 1777 à 1789. Cette correspondance est mentionnée par, entre autres : Éric Berthoud, « Un commerce de librairie entre Neuchâtel et Prague de 1777 à 1789 », Musée neuchâtelois, 1969, p. 134-139 ; et aussi Jeffrey Freedman : The Process of Cultural Exchange. Publishing between France and Germany (1769–1789), Mémoire, Université de Princeton, 1991, p. 235 et suiv. 21 BPU Neuchâtel STN, MS 1226, lettre de Trattner à la STN, le 15 février 1772 (f°3) et ibid. MS 1229, lettre de Walther à la STN du 23 mars 1772 f°54. 22 robert Darnton, The Business of Enlightenment. A Publishing History of the Encyclopédie, Cambridge, Belknap Press/Harvard University Press, 1979 (1e éd. française Perrin 1982) édition utilisée : Paris, Seuil (point Histoire) 1992. 23 Almanach du libraire : contenant les noms des ministres et des magistrats qui sont à la tête de la librairie (Antoine Perrin éd.), Paris, Moutard, 1777–1784 (Une édition parut en 1777 à Paris, chez la Veuve Duchesne sous le titre : Almanach de l’auteur et du libraire.) 24 r. Darnton (1992) op. cit., p. 86 et suiv. 332 CLAIRE MADL sa commande, il joint à l’Encyclopédie deux titres, un édité par la Société25 puis un livre d’assortiment. Il s’agit d’une traduction de Shakespeare en français, datant de 1778. Or Gerle est justement en train d’éditer Richard II que l’on joue à Prague cette saison-là. C’est pour ainsi dire un auteur d’actualité pour ses clients qui se trouvent ainsi en phase avec le regain d’intérêt pour Shakespeare propre à leur époque. Cette précision des commandes de Gerle est un trait qui se maintient sur toute la période. Il spécifie parfois le format et l’édition qu’il recherche, comme pour cette Histoire romaine, « 16 vol. in-12, de 1782 : Si c’est l’éd. 1782 ; sans quoi pas.26 » L’on sait qu’au XVIIIe siècle se repérer dans les multiples éditions des ouvrages est une aptitude qui demande une grande vigilance. Or, en général, Gerle connaît avec précision les livres qui sont publiés par la Société ou par elle revendus. Il critique les initiatives des Neuchâtelois. lorsqu’ils lui envoient des ouvrages de son propre gré. S’il souhaite être « informé » des ouvrages mis sous presse, il refuse catégoriquement de les recevoir d’office : Je vous prie aujourd’huy une fois pour toutes de ne jamais m’envoyer de nouvelles éditions ou Reimpressions de Livres deja connus ou imprimés ailleurs à moins que je ne vous les demande expressement. & puis de me donner toujours seulement 3 à 6 exemplaires de vos [articles] nouveaux, en attendant, que je les demande moi-même. Et comme je vois à l’ordinaire d’avance par vos catalogues les articles que vous mettez sous presse, Vous n’auriez qu’à prendre note de ce que je vous demande de chacun, & ne point m’envoyer de ceux dont je ne vous ai rien demandé, parce que ce sera la marque qu’ils ne me conviennent point27. Il faut attendre 1785 et le relâchement effectif de la censure pour que Wolfgang Gerle ose des commandes plus ouvertes. Disposant de sources d’information variées, notre libraire pragois est capable en outre de mettre la S.T.N. en concurrence avec d’autres fournisseurs. Il y commande seulement ce qu’il ne trouve pas ailleurs ou bien ce qu’il y trouve à meilleur marché. Il indique ouvertement les prix pratiqués par les autres libraires et connaît les tarifs des éditeurs qui fournissent la Société pour son commerce de gros. Il négocie donc les prix finaux et marchande fermement, catalogues en main, ainsi le 7 juin 1780 : 25 Élémens d’histoire générale de Millot, 1775. 26 BPU Neuchâtel, STN Ms 1156 Gerle, Prague le 9 avril 1783. Il s’agit d’une des rééditions de l’Histoire romaine de Charles Rollin continuée par Jean-Baptiste Louis Crevier, rééditée en 1782 à Paris par les frères Estienne et en contrefaçon à Liège par Bassompierre, en 16 volumes in-12. 27 BPU Neuchâtel, STN Ms 1156, Gerle, Prague, le 20 juil. 1782, f° 134. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 333

Pour ce qui regarde les nouveaux Exemplaires que je vous avois demandé[s] de votre Encyclopédie, je dois Vous avouer franchement, que l’on m’en a offert & que je les ai demandé[s] depuis peu d’autre part à 240# & un an de credit28. Lorsqu’il est pris en défaut, il accuse la S.T.N. de l’avoir mal informé et cherche à lui faire supporter les frais. Dans ses relations avec les Neuchâtelois, Gerle fait preuve, en outre, d’une grande habitude des pratiques de la librairie allemande à laquelle il apparaît totalement intégré. Ainsi, l’année de crédit ou les facilités offertes par le commerce de condition29, souvent pratiquées en Allemagne, sont des avantages dont il a du mal à se défaire lorsqu’il traite avec l’entreprise suisse. La S.T.N. cède parfois, notamment sur les délais de paiement, témoignant ainsi de sa confiance envers l’entreprise Gerle. De son officine pragoise, rue des Jésuites, Gerle embrasse donc une bonne partie de l’offre européenne. Il parvient à se maintenir au courant des contrefaçons éditées aussi bien aux Pays-Bas qu’en Suisse et possède une vision à la fois précise et large des tarifs et des pratiques commerciales de ses confrères grossistes.

Des contraintes pesantes Éloignement Le premier facteur de marginalité de Gerle est l’éloignement géographique de Prague par rapport à ses fournisseurs et le caractère « inédit » des routes empruntées par les ballots de livres qui lui sont destinés. Cet éloignement est ressenti de façon d’autant plus aiguë que Gerle se considère comme appartenant entièrement aux réseaux d’information de cette Europe francophone. Comme ses lecteurs, il ne peut supporter aucun retard ni accepter de payer en sus des frais de port trop importants. Il est sans doute inutile d’insister sur ce facteur qui emplit sa correspondance, comme elle emplit celle de nombreux contemporains. Ce n’est que l’onze de ce mois-ci [de mars], que j’ai enfin reçu l’envoy que vous avez eu la bonté de me faire en Date du 9 [décem]bre de l’année passée et je ne sais à qui m’en prendre de ce retardement inconcevable car il paroit que la Balle a été arrêté[e] et resté[e] en chemin plus longtems

28 BPU Neuchâtel, STN MS 1156 Gerle, Prague, le 7 juin 1780, f° 123. 29 Konditionsbuchhandel. Ce système permettait à un libraire de prendre un certain nombre d’ouvrages, à la date convenue, il réglait ceux qu’il avait vendus et renvoyait les invendus. 334 CLAIRE MADL

qu’il ne falloit d’un expediteur à l’autre (…) Vous voyez donc la lenteur incroyable de ces Expéditions de vos contrées30. Aux yeux de Gerle, c’est Neuchâtel qui est proprement excentrée. Il s’écoule en principe deux à trois mois entre l’envoi de la commande et la réception des ballots. Mais si la S.T.N. n’a pas les ouvrages en stock ou si elle attend les envois d’autres fournisseurs, il arrive que Gerle attendent six mois ses livres. À l’éloignement physique s’ajoute l’appartenance à un système monétaire différent. Les frais de change, les cours pratiqués par les banquiers, sont un sujet permanent de négociation de la part de Gerle.

Une clientèle réduite

Au détour de certaines lettres, le libraire de Prague nous révèle l’étroitesse de sa clientèle. Tandis qu’il vient de commander cinq exemplaires de l’Encyclopédie in-4°, éclate la guerre de succession de Bavière (1778–1779) qui semble provoquer le départ de certains de ses souscripteurs : Je n’ai pu répondre plutôt à votre dernière lettre & vous demander les Volumes sortis de l’Encyclopedie, ne voyant pas de sureté à pouvoir ramasser les fonds quoique petit[s], pour Vous en faire le payement ; ayant d’ailleurs perdu par cette même guerre deux de mes souscriptions militaires qui, pour avoir été transplantés, se sont dedit[s] de leur engagement, je me trouve dans un nouvel embar[r]as, à moins que Vous ne veuillez ou puissiez me decharger de ces deux Exemplaires & les placer ailleurs31. Gerle n’avait donc commandé un ouvrage aussi considérable qu’en étant sûr de le placer. Le désistement de deux acheteurs pose problème. Nous gagnons ainsi l’impression que Gerle connaît tous ses clients par leur nom. Par prudence, il ne commande jamais que un à trois exemplaires d’un même ouvrage dans une même commande. Ses « espoirs » de pouvoir commander « un ou deux exemplaires nouveaux » sont toujours incertains et modestes. Peu nombreux, ces clients ont aussi des moyens réduits. En juin 1780, Gerle découvre que l’édition de l’Encyclopédie de la S.T.N. a sept volumes de plus que celle de Pellet qu’il avait prise pour base pour attirer les souscriptions de ses clients, n’ayant reçu aucun prospectus de

30 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 25 mars 1780, f° 121. La commande avait été envoyée le 20 novembre 1779. 31 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 20 janvier 1779, f° 115. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 335 la part de la S.T.N. Il refuse de payer les volumes supplémentaires car ses clients le menacent de lui ramener tout ce qu’ils ont déjà et d’exiger un remboursement. Les prix sont de fait son unique souci et l’objet principal de ses négociations. Pour écouler son assortiment, Gerle oscille entre deux clientèles : celle de la noblesse « qui entend le français » mais ne souhaite pas d’ouvrages sérieux et celle des érudits antithétique à la première. Quant à la Description des Arts et metiers, dont je Vous prie pour un Exemplaire, afin de pouvoir mieux le faire connoitre, je suis faché, de ne pouvoir pas Vous en prome[t]tre grand debit dans ce pays ici, parce que les grands Seigneurs, qui entendent le françois ne se soucient guerres [sic] de ces sortes d’ouvrages, & ceux qui en pour[r]oient faire leur profit n’entendent pas la langue, ou bien en ont deja la traduction allemande32. Or les ouvrages sérieux forment la plus large part de l’assortiment de Gerle et en ce sens, il gagne bien sa réputation de libraire éclairé. Il caractérise en effet ses besoins par ces mots : « quelque bon ouvrage latin de médecine, d’histoire ou de sciences solides. » 33 Il semble ainsi concentrer son attention sur un lectorat, de son propre aveu, particulièrement réduit. Néanmoins, Gerle achète de façon répétitive des ouvrages licites, connus et disposant d’un large lectorat (Louis Sébastien Mercier, des ouvrages didactiques comme le manuel de géographie de Büsching en français, les voyages de Cook). Ce n’est qu’après 1785 que l’on trouve mention, dans les papiers de la S.T.N., d’envois de livres « philosophiques » (prohibés) pour Gerle.

Un régime de censure contraignant

Les contraintes du régime de censure maintenu jusqu’au début des années 1780 s’exercent de plusieurs façons différentes. Non seulement le contenu des ouvrages peut être contrôlé à tout moment et doit être soumis à l’approbation du bureau de censure avant d’être mis en vente, mais cette procédure retarde la livraison effective des livres. La censure est une des raisons pour laquelle de nombreux collectionneurs, parmi lesquels en tout premier lieu les aristocrates, évitent les libraires locaux, préférant se fournir à la source, sachant que les envois qui leur sont destinés ne seront pas contrôlés, leur nom les sosustrayant de facto aux interdictions.

32 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 7 mars 1778, f° 113. 33 BPU Neuchâtel, STN MS 1156 Gerle, Prague, le 7 juin 1780, f° 123v. 336 CLAIRE MADL

Une concurrence ardue

Au fil des lettres de Wolfgang Gerle, se lit la pression de la concurrence et la nécessité d’obtenir les livres le plus rapidement possible. Gerle mentionne explicitement deux de ses concurrents : il s’agit des « libraires de Vienne et de Dresde »34. Face aux deux « géants » Trattner et Walther, tout deux installés à Prague, et qui éditent eux-mêmes des contrefaçons de livres français, Gerle dispose d’une marge de manœuvre réduite car son offre et sa clientèle sont en tout identiques à celles de ses concurrents. Sa correspondance directe avec l’étranger fait partie de la stratégie qu’il met en place afin de les affronter en offrant aux lecteurs pragois un lien plus direct avec les éditeurs.

La pratique du réseau comme palliatif

Dispersion En suivant le détail des informations livrées par Gerle, nous pouvons reconstituer son réseau d’approvisionnement en livres français. Dès sa première commande, il prévient que ses sources d’approvisionnement favorites sont Paris et les Pays-Bas : Car je dois vous prevenir que ce n’est que la moderation des prix qui pourra m’encourager à des affaires plus importantes, parce que sans cela, je trouve mieux mon Compte de m’assortir de Paris & des Pays Bas35. Parmi les libraires qui fournissent des livres français sur le marché de Prague, Gerle est en effet un des rares chez qui les adresses parisiennes constituent une bonne part de son offre en livres français (40 % en 1775 puis 32 % en 1786). Quant aux Pays-Bas, Gerle a sans doute en tête l’affaire de Plomteux à Liège chez qui il avait tout d’abord cherché à obtenir l’Encylopédie. Plomteux reste un contact privilégié et meilleur marché que la S.T.N. ; ainsi en novembre 1779 : Je ne m’attendois pas que vous me mettriez en compte 10s de port par volume et comme Mr Plomteux de Liege vient de m’offrir encore les volumes de la même ou d’une nouvelle Edition de l’Encyclopédie in-4° à 7L 10s sans aucun port…36 Néanmoins, Gerle a bien dû trouver son compte chez les libraires suisses, puisqu’à la baisse du nombre d’éditions françaises dans ses catalogues, que 34 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 12. janvier 1782, f° 132. 35 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 26 novembre 1777, f° 111. 36 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 20 novembre 1779, f°119. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 337 nous avons constatée ci-dessus, correspond une hausse de la fréquence des adresses suisses (les Suisses fournissent en outre des impressions venues d’ailleurs). Les réseaux suisses de Gerle sont en effet impressionnants. À Neuchâtel, Gerle ne traite pas seulement avec la Société typographique. Il passe de temps en temps des commandes à l’éditeur Fauche (1780, 1782, 1783). Gerle s’adresse aussi à Yverdon et passe régulièrement commande à Felice (1779, 1781, 1783). Il est en lien avec Genève, où il s’approvisionne chez Nouffer & Bassompierre qui lui procurent en 1781 l’Histoire philosophique des deux Indes de Raynal dès avant qu’il ne les commande à la S.T.N. À Genève encore, Boin, d’Ivernois & Cie lui fournissent les œuvres posthumes de Rousseau avant la S.T.N. (1782). Il commande aussi à Chirol et Barthelemny de Genève (1779), mais ceux-ci le servent mal et semblent même l’avoir « entièrement oublié » en 1783. Il obtient de plus de Cramer un dictionnaire en 1777. Gerle commande enfin à la Société typographique de Berne dont les tarifs sont souvent jugés meilleur marché que ceux de la S.T.N., fait qu’il ne manque jamais de porter à la connaissance des Neuchâtelois.

Multiplication des intermédiaires Gerle dispose ensuite de contacts – souvent les mêmes que la S.T.N. – pour assurer l’envoi de ses ballots. En 1777, lors de sa première commande, qui est modeste, il se fait envoyer les livres de la S.T.N. chez Serini à Bâle, avec lequel il est déjà en relation. À Bâle, Gerle est en contact avec les banquiers Faesch, Stikelberguer & Christ qui lui servent de relais avant qu’il ne préfère le commissionnaire de la S.T.N., Preiswerck. On trouve enfin la mention des maisons utilisées par la S.T.N., comme Pfister de Schaffhouse et Kindervatter à Ulm. À Nuremberg en revanche, c’est Gerle qui propose un contact parmi les patriciens de la ville : Hörmann de Goutemberg (1779) qui ne figure pas parmi les commissionnaires de la S.T.N. Gerle utilise en outre certains de ces contacts viennois pour faire transiter des livres. Ainsi, en 1787 et 1788, le représentant de la S.T.N., Durand l’aîné, passe commande de deux exemplaires du Dictionnaire des grands hommes à envoyer au libraire Stahl de Vienne, pour Gerle37. Un peu plus tard38, c’est à Hartmann à Vienne toujours, qu’il fait adresser les livres

37 BPU Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de lettre du 8 sept. 1787, p. 239 et le 19 janvier 1788, p. 367. 38 BPU Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de la lettre du 13 décembre 1788, p. 641. 338 CLAIRE MADL philosophiques pour Gerle, sans qu’il soit très clair en quoi le passage par Vienne facilitait le trafic des livres interdits. Cette multiplicité des correspondants recouvre, sans lui correspondre exactement, la diversité de l’offre de Gerle. Elle semble surprenante au vu du nombre relativement restreint d’articles qu’elle concerne. Même utilisée comme un argument de vente, cette correspondance semble fastidieuse à Gerle qui se dit dans « l’embarras d’une multitude d’affaires ». En contrepoint, le modèle des circuits du livre allemand de l’Allemagne – que quelqu’un comme Gerle pratique aussi – avec leur rythme établi, leur lieu de rencontre unique et leurs intermédiaires permanents, semble d’une efficacité redoutable. Signe de cet excessif éparpillement, durant les dix années de ses relations commerciales avec la S.T.N., Gerle a fait plusieurs tentatives pour rationnaliser son approvisionnement.

Tentatives de regroupement

Entre la nécessité de constituer des ballots suffisamment importants pour réduire les coûts de port et celle d’obtenir les livres au plus vite pour ne pas manquer de vente, un équilibre devait être atteint à chaque envoi. Il se traduit dans la pratique par le regroupement des envois. Lorsque Gerle entame sa correspondance avec la S.T.N., c’est vers Serini de Bâle qu’il dirige les livres où, peut-être, le ballot a été complété et élargi. Bâle pourrait paraître a priori le lieu idéal de jonction entre les libraires allemands et les libraires suisses francophones. Mais cette voie est vite abandonnée. Par la suite, les commandes à la S.T.N. prenant de l’importance, c’est cette dernière qui sert de point de regroupement pour Gerle. Elle est chargée d’attendre les envois venant de Genève, d’Yverdon, de Berne ou de chez Fauche à Neuchâtel même, pour envoyer ses propres livres. Ce système amène une foule de petits problèmes, de retards et peut- être la S.T.N. ne voit-elle pas d’un très bon œil ces arrivages de la part de collègues que Gerle présente en permanence comme des concurrents. Outre ces regroupements de marchandises, Gerle est très tenté par la proposition de la S.T.N. de lui servir de grossiste, au moins pour tous les livres qu’il fait venir de Suisse : Si vous voulez, que je m’addresse de preference à Vous, pour les articles mêmes de vos confreres en Suisse : Proposition que j’accepte d’autant plus volontiers, si vous voulez me fournir & aux même prix, ce que je trouve chez les autres, parce que j’épargne par là beaucoup d’ecriture, de frais & de retard39.

39 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague, le 14 novembre 1781, f° 131. Les réseaux francophones du libraire pragois Gerle (1770–1790)... 339

Gerle profite effectivement de l’assortiment de la S.T.N. qui joue pour lui le rôle de grossiste. Néanmoins, cette pratique se heurte à l’incapacité apparente de la S.T.N. à entretenir son stock de façon régulière. Ainsi, il arrive que les ouvrages annoncés par son catalogue ne soient pas en stock lorsque les commandes de Gerle parviennent à Neuchâtel. Gerle ne découvre qu’à la réception des ballots ou des avis d’envoi que certains ouvrages manquent. Ces délais lui semblent intolérables et il s’en plaint amèrement. En décembre 1788, il va jusqu’à soupçonner la S.T.N. de servir de préférence d’autres libraires à ses dépens.40 La S.T.N. en outre semble ne pas pratiquer régulièrement les prix des éditeurs. Or Gerle les connaît et n’accepte pas de régler les frais de port supplémentaires que la S.T.N. chercherait à répercuter sur sa note41 – il obtient d’ailleurs gain de cause. Ainsi, la S.T.N. a bien des difficultés à jouer le rôle de grossiste et ne sera jamais le diffuseur exclusif des livres suisses auprès du libraire pragois. Gerle, en retour, conçut le projet de servir de grossiste à la S.T.N.42 sur la foire de Leipzig. Il sonde en 1780 la Société à ce sujet et propose de prendre 100 à 200 exemplaires des ouvrages nouveaux avec l’exclusivité pour la foire de Leipzig qui, en effet, est aussi un lieu de diffusion du livre français43. Gerle avoue vouloir par ce moyen alimenter « [son] commerce d’échange » avec les libraires allemands. La précarité de sa position sur le marché du livre allemand se lit dans ce projet : petit éditeur de province à l’offre réduite, il ne peut proposer pour le troc autant d’ouvrages qu’il le souhaiterait afin d’augmenter le volume de son offre sans débourser de trop rares liquidités. Mais l’affaire ne se conclut pas car la S.T.N. a des diffuseurs qui lui prennent, dit-elle, de bien plus grandes quantités d’articles sans exiger l’exclusivité. Ces tentatives de concentration des échanges demeurent ponctuelles et inachevées. Elles se heurtent à d’autres logiques, en particulier celle de la 40 C’est ce qui ressort de la réponse de la STN à Gerle dont la lettre est perdue : BPU Neuchâtel, STN MS 1112, STN à Gerle, copie de la lettre du 20 décembre 1788, p. 643. 41 BPU Neuchâtel, STN MS 1108, STN à Gerle, copies de la lettre du 20 mars 1780, p. 598. 42 BPU Neuchâtel, STN MS 1156, Gerle, Prague le 25 mars 1780, f° 122. 43 Frédéric Barbier, „Der französische Buchhandel und Leipzig zwischen 1700 und ca. 1830”, in : Michel Espagne, Matthias Middel (dir.), Von der Elbe bis an die Seine. Kulturtransfer zwischen Sachsen und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert, Leipzig, Universitätsverlag, 1993, p. 257-275. Mark Lehmstedt, „Die Herausbildung des Kommissionsbuchhandels in Deutschland im 18. Jahrhundert”, in : Frédéric Barbier, Sabine Juratic (dir.), L’Europe et le livre: réseaux et pratiques du négoce de librairie XVIe–XIXe siècles. Paris, Klincksieck, 1996, p. 451-483. 340 CLAIRE MADL concurrence que se livrent les éditeurs en vendant de multiples contrefaçons d’un même ouvrage.

Conclusion

La dissémination des sources d’approvisionnement en livres français ici constatée a de lourdes conséquences pour un commerce de la taille de celui de Gerle. Elle est tout d’abord financièrement lourde et notre libraire est toujours à la recherche d’un report de paiement. Il est particulièrement exposé aux revers de la conjoncture, qu’elle touche un de ses multiples fournisseurs ou un de ses trop rares clients. Dès 1785, son affaire est durement atteinte par de nouveaux concurrents locaux qui profitent des opportunités ouvertes par la libéralisation du métier de libraire44. Les révolutions française, liégeoise et brabançonne auront encore des conséquences catastrophiques pour ses échanges. Finalement, en 1791, son fonds doit être vendu aux enchères et sa boutique est fermée. Gerle avait sans doute trop misé sur ce grand marché du livre français qui lui semblait mériter un soin si particulier qu’il ne se fournissait pas seulement chez les revendeurs de Leipzig. Il n’était cependant pas financièrement de taille à concurrencer les gros libraires à la clientèle large. Dans les années 1790, les libraires de Prague qui s’installent semblent avoir de tout autres stratégies et c’est désormais un autre modèle de libraires qui vient concurrencer celui du libraire éclairé : ils ne s’adressent plus seulement aux élites mais au plus grand nombre.

44 Michael Wögerbauer, „‘Folglich ich keines Weges einem meiner Mit- Kollegen nachtheilig bin‘: die Deregulierung des habsburgischen Buchhandels unter Joseph II. am Beispiel des Prager Buchdruckers J.N.F. von Schönfeld“, Internazionales Archiv für Sozialgeschichte der deutschen Literatur, 33/2, 2009, p. 46-72. Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine (XVIIème–XVIIIème siècles)

OLIMPIA MITRIC

Comme on le sait, la Moldavie a été la plus réceptive des trois provinces roumaines à la culture française. Dans cette province-ci, les contacts avec le mouvement d’idées européenes sont plus puissants, soit par la filière polonaise et russe, soit par celle grecque de Vienne. La lutte d’affirmation nationale1 a mené à l’augmentation de la conscience politique de la société moldave et à une participation plus accentuée à la vie politique. Le goût pour la lecture évolue, aussi, pendant que la mentalité commence se transformer ; on sollicite les œuvres dans lesquelles apparaissent les idées sociales politiques, la géographie et l’histoire universelle ou les conquêtes de la technique. Ce qui est spécifique pour les Lumières en Moldavie est le fait que celles-ci se sont imposées dans la culture roumaine, surtout, par traductions et moins par des œuvres originales2. De cette manière, les transformations sur le plan culturel sont exprimées, aussi, dans les œuvres traduites dues à ce mouvement d’orientation française. On ne connaît pas aujourd’hui avec précision quelle a été la première œuvre française traduite chez nous, car la plus grande partie nous est arrivée

1 Le long du XVIIIème siècle, la Moldavie et la Valachie sont restées sous la suzeraineté de la Porte ottomane, qui a nommé des princes régnants phanariotes, dans les deux principautés, déjà depuis le début du siècle. Leur situation s’est aggravée, aussi, à cause des opérations militaires des trois empires – ottoman, habsbourgeois et tsariste – déployées, pour la plupart, sur des territoires roumains. Le gouvernement habsbourgeois, du désir de comprendre de nouvelles contrées, avec l’accord de la Porte ottomane, en 1775, a occupé le nord de la Bucovine, le territoire qui portera ultérieurement le nom de Bucovine. 2 Al. Duţu, Coordonate ale culturii româneşti în secolul XVIII, Bucureşti : Ed. Minerva, 1968, p. 229. 342 OLIMPIA MITRIC dans des copies manuscrites (ou des éditions plus tardives), des copies, qui, souvent, mentionnent seulement le nom du copiste et la date de l’exécution de la copie, sans englober, aussi, des données sur l’original. Les plus anciennes copies en roumain des œuvres traduites du français qui se trouvent dans les bibliothèques de Roumanie datent de la fin du XVIIIème siècle, plus exactement après l’année 1770. Si on fait référence à la présence de ces traductions en Bucovine, on peut affirmer les choses suivantes : en 1939, l’historien Ion I. Nistor faisait connue la présence, au monastère Putna, de la traduction de Voltaire : Istoria craiului Sfeziei Carol al XII-lea/Histoire de Charles XII roi de Suède3. Aujourd’hui, dans la bibliothèque de ce monastère, on garde, en deux volumes, la traduction de la littérature française, réalisée par Constantin Andrieş, assez récemment identifiée par N.A. Ursu, du roman de Jean-François Marmontel Les Incas ou la destruction de l’empire du Pérou, paru à Paris en 17774 .

3 Ion. I. Nistor, O traducere din Voltaire în Arhiva mănăstirii Putna, en « Junimea literară », 1939, nr. 1-12, p. 1-5. 4 N.A. Ursu, O traducere românească necunoscută din Marmontel, în biblioteca mănăstirii Putna, en « Cronica », 1992, no. 24 (1298), p. 7. Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine... 343

C’est une traduction unique, pas seulement pour nous, les Roumains, mais aussi pour d’autres pays du sud-est européen, selon l’opinion du chercheur de Iassy. Pendant cette période, on remarque aussi l’activité prolifique de copiste du diacre Isaia de l’Évêché de Rădăuţi. Pendant deux années 1779–1780, il a copié Theatron politicon, tome I-II, par Ambrosius Marlianus, Zăbava fandasiei/Degli scherzi geniali, par Francesco Loredano, Întâmplările lui Telemah/Les aventures de Télémaque, par Fénélon, l’ouvrage du comte suédois Johan Thuresson Oxenstiern, en deux tomes, Cugetări de multe feluri/Pensées sur divers sujets. Il est à remarquer que toutes les oeuvres copiées par Isaia font partie de la littérature philosophique – moralisatrice, de grandes dimensions, certaines d’entre elles en deux volumes. Isaia était un moine d’un important centre monastique, un copiste spécialisé, qui copiait à commande les œuvres demandées5. Dans la même période, le long des années 1789–1796, au monastère Slatina, dans la zone Fălticeni, dans l’espace adjacent à la Bucovine, l’archimandrite Gherasim, l’hégoumène du monastère, s’est fait remarqué comme traducteur de la langue française. Après avoir traduit vers 1770, les premiers neuf livres de Întâmplările lui Telemac/Les aventures de Télémaque, et en 1787, Taina francmasonilor/Le secret des francmaçons, l’ouvrage de Gabriel Pérau, il a continué à traduire de Voltaire (Istoria craiului Sfeziei, Carol al XII-lea/Histoire de Charles XII roi de Suède), le roman picaresque de Lesage, Alain Réné (Bacalaureatul din Salamanca/ Le Bachelier de Salamanque) sous le titre de Viaţa domnului Heruvim de la Ronda, ainsi que Istoria Americei/L’histoire de l’Amerique, en deux volumes, selon l’ouvrage d’André Guillaume Constant d’Orville, Histoire des différents peuples du monde, en 6 volumes6. En ces conditions, les livres français ne peuvent pas manquer de nos collections ; ils sont de véritables raretés bibliographiques et, pour la première fois, ils constituent le sujet d’une communication scientifique. Ils sont gardés dans les Collections spéciales et les Fonds documentaires de quelques bibliothèques de Suceava : la Bibliothèque de la Bucovine « I.G. Sbiera », la Bibliothèque de l’Université « Ştefan cel Mare », la Bibliothèque du Monastère « Sf. Ioan cel Nou de la Suceava (Saint Jean le Nouveau de Suceava) », la Bibliothèque du Musée Départemental d’Histoire de Suceava.

5 Adriana Mitu, Din vechile cărţi de înţelepciune la români. Cugetările lui Oxenstiern (sec. XVIII), Bucureşti : Ed. Atos, 1996, p. 76. 6 N.A. Ursu, Cine este Gherasim, traducătorul lui Voltaire la 1792?, en « Cronica », XXI, Iaşi, 1986, no. 1, p. 6. 344 OLIMPIA MITRIC

Ils sont imprimés dans des ateliers typographiques de Paris, Londres, Genève, Regensburg, Basel, Berlin, et représentent des domaines variés, de l’histoire, la politique, la théologie, la littérature, le théâtre et jusqu’à l’architecture et la diplomatie. Le plus ancien exemplaire, Le tableau de L’Europe, est imprimé à Paris, en 1651, et il se trouve dans la Bibliothèque du Monastère « Saint Jean le Nouveau de Suceava ».

Les pages avec le nom de celui qui a écrit la dédicace /Puget de Laserrei/ et avec la description de la Valachie et de la Moldavie sont intéressantes pour nous. En général, les livres, soit ils proviennent des bibliothèques des intellectuels, soit ils sont achetés des boutiques des antiquaires. Par exemple, les livres des collections de la Bibliothèque de la Bucovine « I.G. Sbiera » proviennent, par transfert, de la Bibliothèque du Musée de Fălticeni (ou de Suceava, comme elle a été nommée autrefois) ; ils ont été donnés à cette institution, comme on observe selon le tampon ex-libris, en bas, par Artur Gorovei (folkloriste, ethnographe, membre correspondant de l’Académie Roumaine). Les autres livres proviennent de la bibliothèque encyclopédique, renommée jadis, comptant environ 1 000 volumes Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine... 345

(L’Inventaire de la bibliothèque, de 100 p., date de l’année 1889) de la famille Stino de Fălticeni, les bases de laquelle ont été mises par George Stino, professeur de français, passionné de la musique et de la peinture. Les livres des Fonds du Musée Départemental d’Histoire sont gardés dans : le Fond « Diverse donaţii (Diverses donations) » (le volume M. Belidor, Architecture hydraulique…, Paris, 1737, étant donné par les familles Hermannsdorf de Suceava et Stancovici de Arad), le Fond « Leca Morariu » (ancien professeur à l’Université de Tchernovtsy) ; comme on peut apercevoir, avec la signature autographe du professeur, le volume Tableau des guerres de Frédéric le Grand…, Berlin, 1786, possède encore l’ex-libris autographe : « Prince Georges Cantacuzino » (on croit qu’il s’agit de l’architecte roumain et professeur universitaire à Bucarest : George M. Cantacuzino – 1899/1960) et le Fond « Petru Comarnescu » (le grand critique d’art et essayiste roumain) ; sur un des livres (La Religion chretienne…, Paris, 1754), on a l’ex-libris autographe de Petru Comarnescu. Les autres lui ont été offerts probablement par des amis ou des collaborateurs, comme : D.D. Panaitescu (essayiste, traducteur et éditeur), Ioan Dimitrie Suciu (historien littéraire) ; d’autres volumes de Voltaire (Œuvres complètes) portent la dédicace « Lui Petru Comarnescu, cu simpatie, G.C. (À Petru Comarnescu, avec sympathie, G.C.) » ou, plus simplement, « À Petru Comarnescu, G.C. ». À remarquer, la reliure originale, en peau sur carton, de ces volumes. Pour ceux qui s’y intéressent, nous avons organisé la liste des valeurs bibliophiles dans la langue française, sur catégories de détenteurs.

La liste des valeurs bibliophiles dans la langue française, sur catégories de détenteurs :

Le Monastère « Saint Jean le Nouveau de Suceava» : 1. Le tableau de L’Europe… Dedié à Monseigneur le Mareschal de Ville-Roy. Seconde édition augmenté. À Paris, chez I. Baptiste Loyson au Palais, en la Salle Dauphine, à la Croix d’Or. 1651.

La Bibliothèque de la Bucovine « I.G. Sbiera » de Suceava : 1. La Théorie et la pratique du jardinage… et un Traité d’hydraulique convenable aux jardins. Par M. *** de l’Académie Royale des Sciences de Montpellier. Quatrième Édition revûe… À Paris, chez Pierre-Jean Mariette… 1747. 2. MONTESQUIEU (Charles de Secondat, baron de), De L’esprit des Loix… Nouvelle édition… Tome premier. À Genève, chez Barrillot & Fils, 1751. 346 OLIMPIA MITRIC

3. Essai général de tactique précédé d’un discours… avec le Plan‚ d’un ouvrage intitulé : La France politique et militaire. Tome premier. À Londres, chez les Libraires associés, 1772. 4. Le Cabinet des Fées ou Collection choisie des contes des fées et autres contes merveilleux. Tome quinzième. À Genève, chez Barde, Manget & Compagnie Imprimeurs-Libraires, 1786. 5. REGNARD (Jean-François), Œuvres… Avec des avertissements et des remarques sur chaque pièce. Par M. G. *** Nouvelle édition. Tome second. À Paris, de L’imprimerie de monsieur, 1790.

L’Université « Etienne le Grand » Suceava : 1. VOLTAIRE. Ouvrages dramatiques précédés et suivis de toutes les pièces qui leur sont relatifs. Tome premier, f. l., f. e., 1775. 2. Essai sur la tradition théâtrale suivi de notices pour servir a l’histoire des théâtres lues à la troisième classe de l’Institut. Par Cailhava de l’Institut. Paris, Charles Pougens, imprimeur- libraire…, 1798.

Le Musée Départemental d’Histoire de Suceava : 1. BELIDOR M. Architecture hydraulique… Première partie, Tome premier… À Paris… chez Charles-Antoine Jombert, Libraire de l’Artillerie & du Génie à l’Image Notre Dame, 1737. 2. Lettre d’un ministre de Pologne a un seigneur de L’empire sur les affaires présentés de la Hongrie. À Ratisbone, chez Erasme Kinkius, 1711. 3. La Religion chrétienne démontrée par la conversio et l’apostolat de Saint Paul… À Paris, chez N. Tilliard, Libraire…, 1754. 4. Madame RICCOBONI. Lettres de My-lord Rivers à sir Charles Cardigan entremêlées d’une partie de ses correspondances à Londres pendant son séjour en France. … Première partie … Seconde partie … À Paris. Chez Humblot, Libraire…, 1777. 5. Fabliaux ou contes du XIIe et du XIIIe siècle. Fables et Roman du XIIIe, traduits ou extraits d’après plusieurs manuscrits du tems… Tome cinquième. À Paris, chez Eugene Onfray, Libraire…, 1781. 6. Tableau des guerres de Frédéric le Grand… Avec une explication précise de chaque bataille. Traduit de l’Allemand de Louis Müller, lieutenant du genie… par M. Le Professeur de Laveaux, 1786. Imprimé à Berlin aux dépens de l’Auteur chez J.F. Unger et se vend à Potsdam chez l’Auteur. Valeurs bibliophiles dans la langue française présentes en Bucovine... 347

7. VOLTAIRE. Œuvres complètes. À Basle. De l’Imprimerie de Jean-Jacques Tourneisen avec des caractères de G. Haas. Tome trente-deuxième : Histoire de Charles XII, 1792. Tome quarante-deuxième : Dictionnaire philosophique, 1786. Tome quarante-troisième : Dictionnaire philosophique, 1786. Tome cinquante-deuxième : Lettres du prince royal de Prusse et de M. de Voltaire, 1788. Tome cinquante-cinquième : Lettres de l’impératrice de Russie et de M. de Voltaire, 1788. Tome cinquante-sixième : Recueil des Lettres de M. de Voltaire. 1715–1737. Corresp. Générale. Tome I. A., 1788. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française

MONOK ISTVÁN

Le portrait qu’Ötvös Péter a peint sur Balthasar Batthyány met en relief – en accord avec les résultats de la recherche précédente – que les expériences françaises de jeunesse (1559–1561) de ce grand-seigneur furent déterminantes de plusieurs points de vue. Sa longue visite à la cour royale1 a non seulement transformé ses goûts et sa culture, mais l’a rendu protestant engagé. Ötvös a même risqué l’affirmation que les origines de son crypto-calvinisme étaient à chercher en France.2 Puisqu’à l’avis de tous les spécialistes le goût français est un phénomène très rare dans la Hongrie du 16e siècle3, nous nous sommes proposé d’examiner si la reconstruction de sa bibliothèque atteste l’orientation francophile et francophone de Balthasar Batthyány.

1 Vö. ECKHARDT Sándor, « Batthyány Boldizsár a francia udvarnál [BB à la cour royale française] » Magyarságtudomány, 9 (1943) : 36–44. 2 Bibliotheken in Güssing im 16. und 17. Jahrhundert. Hrsg. von István MONOK, Péter ÖTVÖS. Band II : István MONOK, Péter ÖTVÖS et Edina ZVARA : Balthasar Batthyány und seine Bibliothek. Eisenstadt : Burgenländische Landesbibliothek, 2004 (Burgenländische Forschungen. Sonderband XXVI.) (dans la suite : MONOK–ÖTVÖS– ZVARA 2004) 8. 3 IVANYI Béla : « Batthyány Boldizsár a könyvbarát. [BB bibliophile] » In : A magyar könyvkultúra múltjából. Iványi Béla cikkei és anyaggyűjtése. Sajtó alá rend. és a függeléket összeáll. HERNER János et MONOK István. Szeged : JATE, 1983 (Adattár XVI–XVIII. századi szellemi mozgalmaink történetéhez. 11.) (dans la suite : ADATTÁR 11.) 389–410 ; pour l’histoire de la cour des Batthyány et la bibliographie portant sur Balthasar, voir : MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. 236–243. Plus tard : MONOK, István, « Die kulturvermittelnde Rolle des Batthyány-Hofes an der Wende vom 16. zum 17. Jahrhundert ». In : Deutsche Sprache und Kultur, Literatur und Presse in Westungarn/ Burgenland. Hrsg. von Wynfrid KRIEGLEDER, Andrea SEIDLER. Bremen : Edition Lumière, 2004. 75–90. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 349

Dans l’histoire de la réception en Hongrie des idées françaises le 16e siècle ne figure pas parmi les plus importants.4 On sait certes que les intellectuels huguenots réfugiés à la fin du siècle à l’université de Heidelberg, ainsi que les réformés vivant dans les centres aujourd’hui franco-helvétiques avaient des rapport parfois très étroits avec certains cercles hongrois. Balthasar Batthyány, mort en 1590, ne pouvait bénéficier de l’influence salutaire de ce « fourneau de Heidelberg » (qui déterminait de manière incontestable le développement intellectuel de son fils). Si l’on considère l’âge moderne dans sa totalité, on verra qu’en outre des grands centres de commerce du livre, les territoires vallons (appartenant à la monarchie espagnole), Genève, ainsi que les émigrés huguenots établis après la Saint-Barthélémy soit dans les principautés allemands, soit dans la septentrionale des Pays-Bas ont également joué un rôle important dans

4 Vö. MONOK István, « Francia szerzők a magyar nemesség olvasmányaiban 1526–1671 [Auteurs français lus par la noblesse hongroise, 1526–1671] » Csongrád megyei Könyvtáros, 37(1994) : 49–60.; MONOK István : « A francia könyv jelenléte a magyarországi olvasmányanyagban a 16–18. században [La présence du livre français dans le corpus des lectures hongroises, 16e–18e siècles] » In : Tanulmányok Szakály Ferenc emlékére. Szerk. : FODOR Pál, PALFFY Géza et TOTH István György. Budapest : MTA TTI, 2002 (Gazdaság- és társadalomtörténeti kötetek. 2.) 279–290. 350 MONOK ISTVÁN la transmission de la culture et du goût français. Dans notre étude, nous examinerons la présence des gallica territoriaux, linguistiques, auctoriaux et thématiques dans la collection du château de Németújvár (aujourd’hui Güssing in Burgenland, Austriche), c’est-à-dire nous nous efforcerons de recenser toutes les publications parues en France, en langue française, sur un sujet français ou composé par un auteur français. De tous le livres parus en Alsace nous ne nous intéresserons qu’à ceux écrits en français, par un auteur français ou sur un sujet français.5 Outre les livres et les factures conservés, le réseau des connaissances personnelles de Balthasar mérite également notre attention6. Sa correspondance et la liste de ses invités prouvent qu’il avait utilisé la langue française non seulement pour la lecture, mais aussi pour la conversation. L’invité le plus illustre ayant séjourné au château de Németújvár fut Charles de l’Ecluse de Leiden, lequel, par ses publications et par ses contacts personnels avait joué un rôle très important dans la formation des intellectuels hongrois. 7

5 Pour la récapitulation du corpus de la bibliothèque et une revue des études, voir : MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Dans ce volume Dóra BOBORY a publié les lettres de Balthasar Batthyány portant sur ses livres. Voir aussi : TABERNIGG, Theodor OFM, Standort Katalog der Bibliothek in Güssing. Güssing, 1972. Manuskript; MAGYAR, Arnold, 340 Jahre Franziskaner in Güssing (1638–1978). Graz : Selbstverlag des Franziskanerklosters, 1980. 236–269; PUMM, Liesbeth, Die Klosterbibliothek Güssing. Ein Zeitzeuge der Reformation und Gegenreformation im burgenländischen Raum. Diplomarbeit an der Univ. Wien. 1992. Manuskript. 6 BA RLAY Ö. Szabolcs, « Boldizsár Batthyány und sein Humanisten-Kreis » Magyar Könyvszemle, 95(1979) 231–251.; BARLAY Ö. Szabolcs, « Elias Corvinus és magyar barátai [EC et ses amis hongrois] » Magyar Könyvszemle, 93(1977) 345–353.; BOBORY Dóra, « Batthyány Boldizsár és humanista köre. Erudíció, természettudomány és mecenatúra egy 16. századi főúr életében [BB et son cercle humaniste. Erudition, sciences naturelles et mécénat dans la vie d’un grand-seigneur du 16e siècle] » Századok, 139(2005) 923–944. Voir aussi : MONOK István, « Württenbergi exulánsok Batthyány Ferenc udvarában [Exulants de Wittenberg dans la cour de Ferenc Batthyány] » Magyar Könyvszemle, 119(2003) 205–211.; MONOK István, « Die Bibliothek des Johann Jacob Knaus. Die Reste einer württenbergischen protestantischen Bibliothek in Güssing ». In : Jahrbuch des Ungarischen Kulturinstitutes in Stuttgart. Hrsg. von Gyula KURUCZ. Stuttgart : Ungarisches Kulturinstitut, 2003. 138–146.; MONOK István, « exulanten aus Bayern, Oberpfalz und Pfalz am Batthyány-Hof an der Wende des 16. und 17. Jahrhunderts » Ungarn Jahrbuch 2004. München : Ungarisches Institut, 2005. 225–234. 7 Une synthèse, avec bibliographie : Führer durch die Clusius-Gedächtnisstätten in Güssing. Bearb. von Stephan AUMÜLLER. Mit zwei Beiträgen von Otto GUGLIA. Eisenstadt : Burgenländisches Landesmuseum, 1973; Festschrift anlässlich der 400jährigen Wiederkehr der wissenschaftlichen Tätigkeit von Carolus Clusius (Charles Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 351

Balthasar Batthyány a séjourné à Paris à partir de l’automne de 1559. Il y a passé un peu plus d’un an. Il va donc de soi que notre premier réflexe de chercheur a été de déterminer en quelle mesure les livres édités à Paris dans ces années (ou quelques années auparavant) figurent dans sa collection. Il convient aussi d’examiner les notes manuscrites et les documents d’archives pour déterminer la date exacte de leur acquisition. Ayant effectué les analyses qui s’imposaient, nous avons constaté n’avoir trouvé aucun livre dont on pourrait affirmer avec certitude que Boldizsàr l’ait emporté personnellement de Paris à Németújvár. Il y a un seul volume qui nous incite à soupconner que Balthasar ait dû connaître personnellement André Wechel, éditeur huguenot parisien.8 La publication en question renferme deux ouvrages par Franciscus Duaraenus : l’un traite de l’Église en général, tandis que l’autre expose la nécessité absolue de l’indépendance de l’église gallicane à l’égard du pape. Le volume vit le jour en 1557.9 Dans les deux premiers tiers du 16e siècle le domaine de l’édition critique de qualité des auteurs antiques et de l’édition des auteurs humanistes récents fut dominé par la concurrence des éditeurs bâlois et parisiens. Parmi les 670 livres subsistant (ou connus) dans la collection de Balthasar Batthyány, on trouve plusieurs ouvrages appartent à ce groupe thématique particulier. Or, 80 % environ de ces publications est bâloise (Amerbach, Frobenius, Oporinus et surtout Petrus Perna) ou vénétienne. Les publications françaises et les ouvrages d’auteurs français sont néanmoins importants. On sait de quatre ouvrages que Carolus Clusius avait donnés à Balthasar : le Térence (1555), publié à Zürich et commenté par les lyonnais Petrus Menenius et Marc-Antoine Muret, avait été acheté par Clusius en 1559, à Anvers : quant au manuel de langue latine préparée par Thomas Linacer, et publié à Paris en 1550, Clusius l’obtint en 156110 ; le manuel de l'Escluse) im pannonischen Raum. Eisenstadt : Burgenländische Landesbibliothek, 1973 (Burgenländische Forschungen. Sonderheft V.) 8 EVANS, Robert, The Wechel Presses. Humanism and Calvinism in Central Europe 1572–1627. Oxford : University Press, 1975 (Past and Present. Supplement, 2.) ; récemment : MONOK István, « A Batthyány-család németújvári udvara és könyves műveltsége [La cour de Németújvár et la culture livresque de la famille Batthyány] ». In : Kék vér, fekete tinta. Arisztokrata könyvgyűjtemények 1500–1700. [Sang bleu – encre noir : collections de grand-seigneur]. Szerk. : MONOK István. Budapest : OSZK, 2005, 87–104. 9 Afin de ne pas surcharger de notes notre étude, nous ne citons les éditions en question qu’en renvoyant aux numéros sous lesquels ils figurent en MONOK–ÖTVÖS– ZVARA 2004. L’ouvrage de Duaraenus y est Nr. 405. 10 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 480. 352 MONOK ISTVÁN de rhétorique de Hadrianus Cardinalis, édité également à Paris (1534)11, ainsi que les Quintiliens parus à Paris en 1542 (publiés par Robert Estienne et Simon Colines) furent achetés par lui en 1562 à Paris.12 Il les fit relier ensemble avant d’en faire cadeau au seigneur de Németújvár. En 1584–1585 Erhardt Widmar, libraire de Graz, vendit à Balthasar deux commentaires de Cicéron (ceux de Paolo Manutio et de Simon Du Bois, ainsi que de Hubert Susanneau), dans une édition francfortoise (1580, André Wechel) et strasbourgeoise (1576, Josias Rihel).13 Balthasar acheta également la grammatique grecque de Nicolaus Clenardus commentée par René Guillon (Cologne, 1560)14, ainsi qu’un Plaute parisien, édité par Jean Macé en 1576 et préparé à l’édition par Juste Lipse.15 On peut légitimement supposer que Balthasar a choisi cette édition à cause de l’éditeur et non pas sur la base du lieu de l’édition. Réfugié huguenot en Allemagne, André Wechel fonda son atelier à Francfort. Lui-même, ses gendres (Jean Aubry, Jean Marne), ainsi que ses descendants entretenaient des relations très étroites avec la famille des Batthyány.16 Jean Aubry, chargé de l’acquisition des livres, correspondait régulièrement avec le grand-seigneur. C’est lui qui envoya en 1586 et en 1587 à Németújvár une édition lyonnaise de 1584 du dictionnaire de Calepinus17, l’édition de Denys Halicarnasse préparée en 1555 à Lyon par Sebastian Gryphius18, un ouvrage par Végèce annoté par Guillaume Budé (De re militari, Cologne, 1580)19, ainsi que la chrestomathie grecque de Marc-Antoine Muret, avec notes et commentaires (Paris, 1586).20 Il convient de mentionner un autre ouvrage relevant de la philologie classique : Batthyány connaissait l’édition de Berosus Babilonicus par Geoffroy Tory (Paris, 1511)21, mais cet ouvrage traitant de l’histoire de

11 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 435. 12 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 557. 13 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 89, 95. 14 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 101. 15 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 118. 16 Voir note 8 et aussi V. ECSEDY Judit, A könyvnyomtatás Magyarországon a kézisajtó korában 1473–1800 [L’imprimerie en Hongrie au temps de la presse manuelle, 1473–1800]. Budapest : Balassi Kiadó, 1999, 105–109. (Wechel sur Jean Sigismond) ; voir aussi : RMNy 1308 (Hanau, 1624, David Aubry) Le père de David Aubry, Jean, fut gendre d’André Wechel. 17 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 124. 18 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 125, 136. 19 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 132. 20 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 149. 21 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 385. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 353

Babylone subsista dans un recueil factice composé de textes provenant des deux premières décennies du 16e siècle, surtout d’auteurs antiques. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, on peut soupçonner que le recueil appartenait à la maison conventuelle des Augustins de Németújvár (ce n’est donc pas la francophilie de Balthasar qui est à l’origine de son acquisition). A l’édition lyonnaise (1539) de Salluste par Sébastien Gryphius, l’ancien possesseur du livre – un certain M.S. – relia une édition leipzickoise datée de la même année.22 Ce n’est qu’à cause la nationalité française de son éditeur – l’huguenot réfugié – que nous devons mentionner l’édition génévoise d’Hérodote, préparée par Valla23. L’avant-dernier des ouvrages appartenant à ce groupe thématique est l’étude archéologique de François Pollet, intitulée Historia Fori Romani (Douai, 1572).24 Signalons enfin l’ouvrage archéologique et historique de Guillaume Du Choul au sujet de la religion greco-romaine et de l’éducation militaire – ce livre en français fut acheté par Batthyány chez Aubry dans les années 1580.25 On peut constater qu’aucune trace de francophilie ne se manifeste pas dans le choix que Balthasar fait entre les diverses éditions disponibles des textes antiques, ni d’ailleurs dans l’acquisition des ouvrages des personnages les plus illustres de l’humanisme et de la philologie classique français. Les éditions bâloises et vénétiennes surpassent en nombre les livres français. Les publications parisiennes ou lyonnaises (que nous avons rapidement présentées) arrivèrent à Németújvár soit par voie de donation, soit sélectionnés sur des critères autre que la francophilie. On ne doit néanmoins pas dissimuler l’importance du fait qu’il connaissait les auteurs, ouvrages et éditeurs en question et que par conséquent il pouvait avoir une vue assez large sur l’histoire et la culture françaises. En dehors de cela, la présence des deux ouvrages archéologiques français signale que dans le domaine de l’étude historique de l’Antiquité, il était très attentif (peut être influencé par Aubry) aux auteurs français. Les ouvrages de médecine constituent un groupe à part dans la bibliothèque de Németújvár. Une partie prépondérante de ces ouvrages a un rapport avec la France, on y trouve même des éditions françaises que la recherche considère aujourd’hui comme raretés. Le plus ancien de ses ouvrages dut arriver à Németújvár avant même la naissance de Balthasar – le livre en question provient de la maison conventuelle des Augustins, déjá évoquée. Le Speculum medicinae, paru en 1504 à Lyon,

22 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 571. 23 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 441. 24 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 555. 25 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 208. 354 MONOK ISTVÁN chez François Fradin, est l’oeuvre d’Arnaldus de Villanova. Il fait partie d’un recueil factice dont l’autre composante est un incunable vénétien, intitulé De conservatione sanitatis. Au début du receuil, on peut lire une prescription médicale manuscrite, composée en langue hongroise et provenant du début du 16e siècle.26 En 1577, Balthasar acheta un recueil très intéressant à Jean Aubry. Il s’agit du débat entre Jacques Aubert, Joseph Du Chesne (Quercetanus) et Jean-Antoine Fenot au sujet de l’utilité de certains minéraux et métaux dans le traitement curatif des plaies et des maladies les plus diverses. Les trois composantes du receuil factice virent le jour en 1575, soit à Lyon, soit à Bâle.27 Joseph Du Chesne fut un auteur très connu en Hongrie : plusieurs de ses ouvrages subsistent dans nos collections, par contre, les oeuvres de ses adversaires n’arrivèrent dans le bassin des Carpates que très rarement. La thématique du receuil composé de textes grecs, hébreux, arabes et romains, édité par le parisien Guillaume Guillard en 1559 et envoyé à Balthasar en 1571 (De transfiguratione metallorum, et occulta, summaque antiquorum philosophorum medicina)28 n’est pas éloignée de celle du précédent. Erhardt Widmar, libraire de Graz, envoya en 1585 à Németújvár le recueil composé d’ouvrages pharmacologiques (traitant surtout de la question du dosage des médicaments) parmi lesquels figurent des traités de médicins arabes et italiens, ainsi que de Guillaume Rondelet et Pierre de Gorris. Cette édition rarissime vit le jour chez Jean Mareschall, à Lyon, en 1584.29 C’est également à Lyon, chez Barthélemy Honorat que parut en 1587 le livre de Gabriel de Minut, intitulé De morbo Gallico : cet ouvrage (et cette édition)30 furent assez fréquents dans la Hongrie de l’époque en question. Les ouvrages de Theophraste Paracelse, ainsi que les textes de ses partisans et de ses adversaires furent extrêmement populaires à l’époque en question. André Wechel leur a consacré plusieurs éditions dont plusieurs se retrouvent dans la collection du grand-seigneur, accompagnées de celles dont l’achat avait été conseillé à Balthasar par le libraire.31 Wechel et ses gendres avaient peut-être des raisons autres que simplement mercantiles de former le goût de Batthyány. Par exemple en 1588, Jean Aubry lui envoya un livre de paléontologie exposant les fossiles retrouvés en France dans 26 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 332. 27 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 48. 28 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 12. 29 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 91. 30 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 148. Boldizsár l’acheta à Jean Aubry en 1588. 31 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 531, 589. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 355 le deuxième tiers du 16e siècle (il s’agit notamment de l’ouvrage de Jean Chassanion).32 De la présence des ouvrages relevant de la science de la vie – dont la plupart peuvent être qualifiés de gallica d’un point de vue strictement bibliothécaire – on ne peut point inférer un intérêt particulier de Batthyány pour les éditions françaises. Dans les collections des grands-seigneurs – et celle de Németújvár ne fait pas exception – les ouvrages consacrés à tels sujets ne représentent qu’une partie infime. On peut supposer que Balthasar faisait confiance entière à Wechel et à Aubry pour leur acquisition, or les deux libraires lui proposaient sans doute des ouvrages français. L’intérêt historique est quasi naturel chez un homme d’Etat actif dans la vie publique de son pays. La plupart des livres conservés dans les collections de la noblesse petite et moyenne hongroise33 et de l’aristocratie34 sont à sujet historique. On y retrouve les chroniques hongroises ainsi que les histoires des Etats voisins et des Turcs. Les ouvrages relevant de la philosophie de l’histoire et de la théorie politique sont plus rares dans les inventaires du livre contemporains.35 Si l’on examine ces collections d’un point de vue linguistique, on constate la dominance des livres latins et allemands et la présence de quelques ouvrages italiens et hongrois. Les ouvrages historiques écrits en français sont donc très rares dans les collections nobiliaires du 16e siècle. Parmi les nombreux livres consacrés à l’histoire européenne contemporaine qui figurent dans la collection de Balthasar, plusieurs sont écrits en langue française ou par d’auteurs français ou édités en territoires

32 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 144. 33 MONOK István, « A 16. századi köznemesség műveltségéről [Sur la culture de la noblesse petite et moyenne au 16e siècle] ». In : Nádasdy Tamás (1498–1562). Tudományos emlékülés : 1998. szeptember 10–11. Szerk. : SÖPTEI István. Sárvár : Nádasdy Ferenc Múzeum, 1999. 105–115. 34 MONOK István, « A magyarországi főnemesség könyvgyűjtési szokásai a XVI–XVII. században [Les collections de l’aristocratie hongroise au 16e–17e siècles] » CaféBábel, 14(1994) Nr. 4. 59–68. ; Kék vér, fekete tinta. Arisztokrata könyvgyűjtemények 1500–1700 [Sang bleu – encre noir : collections de grand-seigneur]. Szerk. : MONOK István. Budapest : OSZK, 2005. 35 Vö. KLANICZAY Tibor, « Korszerű politikai gondolkodás és nemzetközi látókör Zrínyi műveiben [Actualité et horizon international dans l’oeuvre et la pensée politique de Zrínyi] ». In : Irodalom és ideológia a 16–17. században. Szerk. : VARJAS Béla. Budapest : Akadémiai Kiadó, 1987 (Memoria saeculorum Hungariae. 5.) 337–400. ; ÖTVÖS Péter, « Pázmány Miklós gróf könyvei [Les livres du comte Miklós Pázmány] ». In : Klaniczay- emlékkönyv. Tanulmányok Klaniczay Tibor emlékezetére. Szerk. : JANKOVICS József. Budapest : Balassi Kiadó, 1994. 344–364. 356 MONOK ISTVÁN francophones. Le grand-seigneur hongrois nourrissait un intérêt particulier pour l’histoire des guerres de religion. Le Milanais Gieronimo Benzoni publia son livre sur le nouveau monde, sur les découvertes récentes et l’expédition française en Floride en italien. L’ouvrage fut traduit en latin par Urbano Calveto. Balthasar acheta l’édition génévoise (1578, Eustache Vignon) de cette traduction latine.36 En 1575 Elias Corvinus informa Batthyány que son libraire praguois lui avait envoyé un ouvrage cosmographique français en deux tomes qu’il allait immédiatement transférer à Németújvár. Les deux premiers volumes renferment la traduction de Sebastian Münster et l’adaptation et les suppléments préparés par François de Belleforest (édition de Michel Sonnius à Paris), quant aux deux autres, il s’agit de La cosmographie universelle d’André Thevet, édité à Paris par Pierre Huillier.37 Cette acquisition atteste que Balthasar Batthyány lisait volontiers en français, puisque ces deux ouvrages auraient été accessibles en langue latine également. Dans les collections aristocratiques en Hongrie on trouve assez fréquemment des ouvrages renfermant le portrait ainsi que la rapide présentation biographique des personnages illustres contemporains. C’est en 1585 qu’Erhardt Widmar envoya à Balthasar l’oeuvre de Tobias Fendt (éditées avec les gravures de Jost Amman) intitulée Monumenta Illustrium per Italiam, Galliam, Germaniam, Hispanias, totum denique Terrarum Orbem eruditione praecipue, et doctrina Virorum, figuris artificiosissimis expressa.38 Dans ce livre figurent plusieurs personnages français. Réfléchir sur les moyens de chasser les Turcs de l’espace européen fut une activité quotidienne pour Balthasar Batthyány. Ses charges publiques l’y ont obligé, mais en tant que grand-seigneur, il était personnellement intéressé par la libération des territoires appartenant à sa famille. Il est donc normal que l’histoire de l’Empire Turc et des guerres menées contre lui était un sujet récurrent dans ses lectures. Puisque c’est seulement à la fin du 16e et au début du 17e siècle que les projets antiturcs de la couronne française se multiplient et prennent une forme de nature à éveiller l’intérêt des Hongrois, il n’est pas étonnant que notre grand-seigneur ait lu surtout des publications allemandes et italiennes sur la question.39 On lui connaît néanmoins deux livres français écrits sur la question : en 1573, il acheta 36 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 343. 37 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 656, 657. 38 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 117. Frankfurt am Main, 1585, Sigmund Feyerabend. 39 K LANICZAY Tibor fait une présentation rapide dans son étude cité dans la note 35, voir aussi l’article de ÖTVÖS Péter cité dans la note 35. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 357

à Jean Aubry un livre récent, consacré à la présentation des guerres de la Méditerrannée, écrit par Pietro Bizaro, traduit en français par François de Belleforest et publié à Paris, par Nicolas Chesneau.40 Le même Belleforest a traduit de l’italien l’ouvrage de Matteo Bandello exposant en trois volumes des événements politiques contemporains (liés seulement en partie aux Turcs (Anvers, 1567–1569, Jean Waesberghe). Ce livre fut vendu à Balthasar par Jean Aubry, libraire que nous avons déjá plusieurs fois évoqué.41 On peut donc affirmer que, en ce qui concerne l’histoire contemporaine, la francophilie de Batthyány ne se manifeste qu’accessoirement : puisqu’il lisait en français plus volontiers et plus facilement qu’en italien ou en allemand, il s’est procuré les oeuvres de synthèse en français (à condition, bien sûr, de trouver des traductions convenables). Par contre, la présence de livres relevant du domaine de l’histoire française prouve que pour ce grand-seigneur il ne s’agissait pas seulement d’un exercice dans une langue qu’il maîtrisait bien, mais d’un véritable intérêt pour tout ce qui se passait en France.

Batthyány lisait les grands classiques de l’histoire française – Philippe de Commines, Jean Froissart et Claude de Seyssel – dans une excellente édition (Andreas Wechelius, Francfort sur le Main, 1578) de la traduction latine par Johannes Sleidanus. Il l’avait acheté à Erhardt Hiller, libraire 40 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 32. 41 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 210. 358 MONOK ISTVÁN viennois, au début des années 1580.42 La synthèse, très répandue au 16e siècle, de (Gallica, Francica) a subsisté dans l’édition anversoise (1580) de Christophe Plantin, avec des notes manuscrites de Balthasar. Le livre fut relié à Németújvár : il s’agissait sans doute d’une acquisition récente, arrivée en feuilles.43 L’analyse contemporaine par Jean de Serres de la situation religieuse et ecclésiastique en France (Commentariorum de statu religionis reipublicae in regno Galliae) se retrouve en plusieurs éditions et au sein de quelques receuils factices intéressants dans la collection de Németújvár. Le livre étudie les événements qui s’étaient déroulés sous les règnes de Henri II, François II et Charles IX. C’est en 1571 que Jean Aubry envoya la première partie de l’ouvrage à Batthyány (Genève, 1570, Jean Crespin).44 La seconde partie (Genève, 1571, Jean Crespin) n’arriva que beaucoup plus tard, en 1577.45 Or, l’ouvrage parut entretemps à Leiden (dans l’atelier de Johannes Jucundus, 1571–75), en XII livres et quatre parties. Balthasar s’acheta tous les tomes46, voire, il fit venir séparément la dernière partie, à laquelle il fit relier trois textes polémiques de grand intérêt.47 Dans le premier, Henri II. Estienne narre « l’histoire vraie » de Catherine de Médicis, tandis que dans les deux autres un certain Matagonis de Matagonibus (pseudo-nom, sans doute) réfute les accusations que deux jésuites italiens (Antonio Matharelli et Papirio Massoni) portent contre les huguenots (pour les trois textes : Genève, 1575, Eustache Vignon). On retrouve dans la collection de Batthyány un autre ouvrage conçu dans un esprit violemment anti- jésuite : le texte, dont la paternité est aujourd’hui établie avec certitude, vit le jour à Genève, dans l’atelier de François Perrin (1567). Le colophone : « Luce Nouvelle, par Brifand Chassediables ».48 Derrière le pseudo-nom (Frangidelphe Escorsche-Messes) de l’auteur de ce pamphlet intitulé

42 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 174. 43 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 425. Pour la reliure, l’atelier de Johannes Manlius se servit des codex médiévaux augustiens. Voir BORSA Gedeon, « Johannes Manlius könyvkötői tevékenysége [JM relieur] » Az Országos Széchényi Könyvtár Évkönyve 1970–1971. Budapest : OSZK, 1972, 301–321 ; le même article In : BORSA Gedeon, Könyvtörténeti írások III. Az OSZK Évkönyveiben megjelent tanulmányok. Budapest : OSZK, 2000, 99–113; SZENDREI Janka : A magyar középkor hangjegyes forrásai [Les sources mélographiques du Moyen-Age hongrois]. Budapest : MTA Zenetudományi Intézet, 1981. F 531 44 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 16. 45 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 68. 46 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 582, 583. 47 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 581. 48 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 636. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 359

La Mappe-Monde Papistique, les catalogues allemands soupçonnent Théodore de Bèze. Ceci est sans doute faux : en 1966, les érudits génévois ont déjá identifié l’auteur véritable (Jean-Baptiste Trento).49 En 1998, l’édition critique du texte a même vu le jour.50 Quant à la synthèse de l’histoire française d’entre 1513 et 1568, préparée par les frères Du Bellay (Martin et Guillaume), Balthasar l’a reçu en 1572 de Sigfried Rybisch, conseiller à la chambre royale de Presbourg.51 La nouvelle du massacre de la Saint-Barthélémy est rapidement arrivée à Németújvár : déjá en 1573, Jean Aubry envoya plusieurs imprimés (en latin et en français) consacrés à ce sujet. Énumérons la correspondance entre Guy Dufaur de Pibrac et Stanislaus Elvidius (Paris, 1573, Frédéric Morel)52, le petit traité narrant les faits par François Hotman avec les lettres explicatives du roi de France (s. l. 1573),53 la réponse de Wolfgang Prisbach aux affirmations de la propagande française officielle (Heidelberg, 1573, Michel Schirat)54 et enfin l’anthologie éditée par Petrus Perna à Bâle, dans laquelle les contemporains les plus illustres avaient protesté contre les événements tragiques.55 Les deux dernières publication virent le jour avec un fausse-adress. Le rôle que les jésuites avaient joué dans les massacres de la Saint-Barthélémy fit l’objet de critiques très amères à la fin du 16e siècle. L’epître que Paulus Albutius composa contre eux fut imprimé par Gotthard Vilarmus à Paris, en 1573. Aubry envoya cette même année l’épître en question à Balthasar.56 La rapidité avec laquelle Balthasar Batthyány s’informa des événements français se manifeste aussi dans le fait qu’en 1573 il avait déjá reçu d’Aubry l’édition latine de la correspondance entre Pierre Carpentier et François Du Port57 (au sujet du massacre des huguenots), sans attendre donc la traduction française sortie des presses un an plus tard.58 Dans la suite, il s’efforcait d’être à jour quant 49 C HAIX, Paul, DUFOUR, Alain et MOECKLI, Gustave, Les livres imprimés à Genève de 1550 à 1600. Genève : Droz, 1966 (réed. 1998) (Travaux d’Humanisme et Renaissance) 65–67. 50 TRENTO, Jean-Baptiste, ESKRICH, Pierre, La Mappe-Monde Papistique (1566). Edition critique par Frank LESTRINGANT et Alessandra PREDA. Genève : Droz, 1998 (Travaux d’Humanisme et Renaissance). 51 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 404. 52 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 18. 53 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 19. 54 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 21. 55 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 22. 56 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 55. 57 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 20. 58 Response de François Portus Candiot, aux lettres diffamatoires de Pierre Carpentier,... pour l’innocence des fidèles serviteurs de Dieu... massacrez le 24 jour 360 MONOK ISTVÁN aux événements récents et il faut également souligner qu’il nourrissait un intérêt particulier à l’égard du Saint-Barthélémy. Au début des années 1580, il acheta à Hiller la traduction allemande de l’ouvrage Nicole Gilles (cette traduction fut préparée par Nicolas Falckner et elle parut à Bâle, en 1572). On peut supposer que l’original français n’était plus disponible.59 Aubry lui envoya l’ouvrage (le qualifierons-nous de texte théorique ?) de Jean Berger consacré au contexte politique européen des guerres de religion en France (Discours modernes et facecieux des faicts advenus en divers pays pendant les guerres Civiles en France. Lyon, 1572, Pierre Michel).60 L’événement politique marquant de l’année 1573 fut sans doute l’élection du roi de Pologne : il n’est donc point surprenant que Balthasar avait plusieurs livres traitant de ces sujet. C’est par le transport de 1573 qu’Aubry envoya à Batthyány le discours – assorti des commentaires de Jean Monluc – que Henri avait prononcé en français le 10 avril 1573 devant les Etats polonais.61 Il disposait aussi d’un livre écrit par Innocent Gentillet relatant tout ce qui s’est passé avec le roi Henri en l’année 1574.62 Malheureusement il ne subsiste aucune facture envoyée à Batthyány provenant des années 1574–76, or, il est peu probable que le grand-seigneur aurait tout simplement perdu son intérêt pour l’histoire française. Sur la facture de 1577, établie par Jean Aubry, on trouve la trace de plusieurs ouvrages historiques français. La plupart sont consacrées à la guerre de religion et au règne éphémère de Henri III en Pologne (il s’agit des ouvrages de François de l’Isle, François Rasle, Louis Regnier de la Planche, Louis Villebois et de Jean Bodin).63 Balthasar disposait également d’un pamphlet composé par Andreas Dudith (et publié sous le pseudo-nom Georgius Ebouff) traitant de l’année 1576 de la guerre en France. Le livre a paru avec fausse-adresse (Carthurii, 1577, Amadaeus Menalca).64 Dans la suite, le recul historique a permis aux auteurs d’écrire non seulement de pamphlets politiques, mais aussi des analyses perspicaces d’aoust 1572, appellez factieux par ce plaidereau, traduite nouvellement de latin en françois. Sine loco, 1574, sine typographo. 59 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 211. 60 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 237. 61 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 31. 62 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 390. Genf, 1574, Jean Lertout. 63 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 35, 43, 44, 69. 64 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 69. Coll. 2. Strasbourg, 1577, Bernard Jobin ? – VD 16 E 194; Vö. : COSTIL, Pierre, André Dudith humaniste hongrois 1533–1589. Paris : Les Belles Lettres, 1935. 435. ; András Dudith’s Library. A partial reconstruction. Compiled and with an introduction by József JANKOVICS and István MONOK. Szeged : Scriptum, 1993. p. 60. Nr. 92. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 361 sur les événements récents. C’est à Paris, en 1584 que parut la synthèse tres répandue (et toujours augmentée par son auteur) de Henri Lancelot Voisin de Lapopelinière sur les événements d’après 1560. Le livre fut vendu à Balthasar par Jean Aubry.65 L’anthologie historique en langue latine de Théophile de Banos, intitulée De postremis motibus Galliae se retrouvait en deux exemplaires dans la collection de Németújvár. L’un de ses exemplaires fut sans doute un cadeau de Johannes Zebenitz, qui pouvait être fier de la dédicace que le recteur de l’Académie de Strasbourg, Melchior Junius lui avait adressée.66 Énumérons enfin deux livres rarissimes présents dans la collection de Balthasar Batthyány. L’un est le Discours sur la mort de la Royne de Nauarr.67 Ce recueil de poèmes vit le jour en 1572, à l’occasion de la mort de la reine, survenue le 9 juin 1572. Le livre fut envoyé à Batthyány par Aubry. L’autre, intitulé Figure du meurtre de L’Amiral68 est peut-être identique au petit livre paru en 1570 à Francfort sur le Main, exposant l’assassinat du capitaine B. Corbelly (qui n’est donc pas un amiral) et de son serviteur. Le crime avait eu lieu en 1569, près de Sainct Martin d’Estraulx, dans le Bourbonnais.69 On peut donc dire que la francophilie de Balthasar Batthyány se manifeste surtout dans la composition de contenu et dans la composition linguistique des ouvrages historiques présents dans sa bibliothèque. Ce domaine est complété par la philosophie de l’histoire, ainsi que par l’histoire du droit. On peut risquer l’affirmation générale que la noblesse hongroise du 16e siècle ne lisait pratiquement pas d’ouvrages théoriques. Balthasar Batthyány s’élève donc au-dessus de ses contemporains de ce point de vue aussi. Dans le domaine de la philosophie de l’histoire, il lisait, surtout en latin, des auteurs italiens et allemands. Par contre, ils disposait de l’Histoire de Florence de Machiavel dans la traduction française d’Yves Brinon (Paris, 1577, Jean Borel).70 Aubry lui envoya ce livre en 1588. Quant au traité anti-machiavélien d’Innocent Gentillet (Discours sur les moyens de bien gouuerner)71, il l’avait depuis 1577. Ce livre parut en 1576 (et aussi en 1577) à Genève. Balthasar acheta également le livre fondamental de

65 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 235. 66 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 339, 340. Frankfurt am Main, 1586, Johann Wechel. 67 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 198. 68 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 201. 69 Le Meurtre du seigneur Corbinelly. Francfort, 1570, in 4. 70 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 141. 71 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 47. 362 MONOK ISTVÁN

Jean Bodin, intitulé Les six livres de la republique.72 Parmi les acquisitions de 1588, on trouve un Discours de la Gloire, difficile à identifier avec précision73. Les débats du dernier tiers du 16e siècle au sujet des vertus requises au Prince, du bon gouvernement, des droits et des obligations des sujets a trouvé un grand écho en Hongrie également. Les ouvrages majeurs du débat (ceux d’Antonio Guevara et de Juste Lipse) ont paru après la mort de Balthasar et leur présence dans la bibliothèque de Németújvár n’est pas documentée (sinon dans la bibliothèque privée de la famille). D’entre les ouvrages relevant de la philosophie de l’histoire et traitant de l’histoire romaine, Batthyány possédait celui de Jean Le Preux, intitulé De magistratibus Reipublicae Romanae74 ; parmi les ouvrages théoriques publiés en France notons la présence dans sa collection des écrits – relevant de la philosophie morale et de la théorie du droit – de l’italien Francesco Patrizi (De Institutione Reipublicae; De regno et regis institutione).75 Les ouvrages traitant cette problématique dans ses rapports politico- théologiques ne sont pas absents non plus dans la bibliothèque de Balthasar. Il ne put se procurer l’ouvrage très débattu de Théodore de Bèze, De iure Magistratuum in subditos ; et officio subditorum erga Magistratus, qu’en traduction latine. Il fit relier ce texte avec l’ouvrage publié sous le nom de Philippe de Mornay, avec des indications fausses concernant la date et le lieu (Edinburgi, 1579), intitulé Vindiciae, contra Tyrannos : sive de Principis in Populum, Populique in Principem, legitima potestate.76 Gargantua et Pantagruel se range indiscutablement parmi les oeuvres de belles-lettres, mais Balthasar l’avait très certainement lu comme une critique de la société française contemporaine. Une édition allemande de l’oeuvre lui a été envoyée par Elias Corvinus en 1575, mais il s’est également procuré, via Jean Aubry, une édition française, en 1577.77 Pour continuer avec la littérature française, ajoutons qu’il possédait aussi, en allemand et en français, un roman Amadis. La version allemande lui avait été envoyée par Elias Corvinus en 157278, tandis que l’édition

72 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 80. 73 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 139. 74 M – OnoK ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 476. Lausanne, 1578, Franciscus Le Preux. 75 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 533, 534. Parisiis, Egidius Gorbinus, 1575, 1576. 76 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 346. Lyon, 1576, Jean Mareschall. 77 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 65. Montluel, 1573, Charles Pesnot. 78 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 647. Francfurt am Main, 1570–1572, Johann Schmidt. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 363 française n’est arrivée à Németújvár que beaucoup plus tard, dans les années 80, grâce à l’intervention d’Erhard Hiller.79 Déjà le fait d’avoir lu Rabelais et l’Amadis est assez intéressant, puisqu’on ne connaît personne d’autre en Hongrie à cette époque qui l’ait fait. Si l’on y ajoute que, ne s’étant pas contenté de la version allemande des deux textes, il s’est également procuré les originaux français, ceci montre très clairement le caractère francophile de sa pensée et de sa culture. Lire ces ouvrages (très liés à leurs contextes linguistiques) en français lui donnait très certainement plus de plaisir que la consultation des traductions allemandes. Notons que l’histoire romanesque composé par Nicolas de Herberay sur le fils de l’empereur de Constantinople, le Chevalier des Cignes ne se trouvait dans sa bibliothèque qu’en version française.80 Le traité composé par Gabriel de Minut est un ouvrage à la fois rhétorique, littéraire, mais surtout philosophique. L’auteur illustre du texte intitulé De la Beauté, discours divers pris sur deux fort belles façons de parler81 s’efforce de prouver, prenant son point de départ dans les vertus d’une dame vivant aux environs de Toulouse, que la beauté et la bonté naturelles sont des vertus pratiquement indissociables. Soulignons d’ailleurs que la présence de la littérature philosophique française est très faible dans la collection de Balthasar Batthyány : la philosophie est surtout représentée par les ouvrages des auteurs antiques et par des textes relevant de la philosophie morale ou de la philosophie de l’histoire. Son intérêt dans ce dernier domaine dut l’amener à acheter chez Aubry (en 1588) l’ouvrage de Nicolaus Contarenus, De Perfectione Rerum.82 Les ouvrages juridiques français s’attachaient avec des liens très étroits au droit coutumier, par conséquent ils ne furent diffusés et lus à l’extérieur de la France que lorsqu’ils posaient – à l’occasion de tel ou tel événement scandaleux – des questions relevant de la philosophie morale. Batthyány possédait tels livres dont l’acquisition n’était possible qu’á l’intermédiaire de se excellents rapports avec l’atelier Wechel. C’est par cette voie qu’arriva à Németújvár la description d’un litige matrimonial toulousain (par Jean de Corras)83, ainsi que quatre autres ouvrages édités à Lyon (relevant de la philosophie de droit : diverses interprétations des Digestes et procès français ou napolitains).84

79 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 177. Antwerpen, 1561, Jan Waesberge. 80 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 238. Paris, 1573, Jean Ruelle. 81 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 147. Lyon, 1587, Barthélemy Honorat. 82 M ONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 150. Lugduni, 1587, Franciscus Feuraeus. 83 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 386. 84 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 610, 638 (recueil factice). 364 MONOK ISTVÁN

Les ouvrages théologiques de la collection de Németújvár étaient de fraîche date : Batthyány les acquit presqu’immédiatement après leurs publications. Un certain nombre des livres théologiques provient de la maison des Augustiniens déjá évoquée, mais certainement pas la majorité des livres. Notons la présence dans la bibliothèque de Batthyány les éditions incunables des commentaires de Guilielmus Parisiensis au Nouveau Testament85, ainsi que l’édition des Psaumes et du Cantique des Cantiques sortie de l’atelier de Jean Cambray (Lyon, 1517). Cette édition fut préparée par Jacques Perez et Josse Bade. On peut regarder la présence de ces ouvrages comme l’illustration de l’intérêt humaniste de Balthasar, puisqu’il s’agit des monuments marquants de la philologie biblique humaniste du début du 16e siècle.86 Dans le portrait déjá évoqué que Péter Ötvös a peint de Balthasar Batthyány87, l’historien hongrois se demande à quel moment le fils du grand- seigneur luthérien connut les doctrines théologiques helvétiques. Quant à moi, je suis convaincu que l’attention que Balthasar accorde à la pensée génévoise ne se comprend que si l’on prend en compte sa francophilie. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de clore notre étude par la présentation rapide des ouvrages liés à la pensée théologique suisse ou huguenote. Précisons d’emblée que malgré sa connaissance très approfondie de la langue française, Balthasar se procura les livres théologiques presque toujours en latin (même dans les cas ou l’original avait été écrit en français). Il ne possédait qu’un seul livre théologique suisse en français, et un autre en allemand (il est vrai que parmi ses livre luthériens on trouve plusieurs composés en allemand). L’autre phénomène digne d’attention est la présence dans la collection de Németújvár de 20 ouvrages différents composés par Théodore de Bèze (un véritable auteur de prédilection de Batthyány), tandis qu’on n’y trouve que deux petits ouvrages de Jean Calvin : l’édition allemande de son opuscule sur la Cène88 et un autre volume de petite taille. Dans ce dernier on trouve un traité sur l’immortalité de l’âme et des écrits polémiques contre les anabaptistes et des pseudo-nicodémites, ainsi que les avis de Martin Bucer et de Philipp Melanchthon sur les sujets en question.89 Ce volume fut envoyé à Batthyány par Elias Corvinus, en 1572. Parmi les auteurs helvétiques, c’est Benedictus Aretius qui mérite notre attention,

85 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 433, 434. 86 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 538. 87 Voir note 2. 88 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 195. 89 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 645. Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française 365 parce qu’il figure avec 12 volumes dans la collection. Le grand-seigneur a visiblement apprécié les ouvrages de Casparus Olivetanus également. La plupart des ouvrages huguenots et helvétiques ont vu le jour soit à Genève, soit à Lausanne, mais les éditions heidelbergoises, francfortoises et anversoises ne sont pas absentes non plus. Balthasar possédait au total 11 traités helvétiques sur la foi chrétienne (de fidei christiana) et sur l’éthique chrétienne (de ethica christiana) : il s’agit des ouvrages de Bèze, Benedictus Aretius, Lambertus Danaeus, Pierre Boquin et enfin Jean-François Salvart.90 Il convient d’accorder une attention particulière à l’ouvrage intitulé De religione christiana de Petrus Ramus, dans l’édition francfortoise d’André Wechel. Ce volume renferme aussi la biographie de Ramus par Theophilus Banosius. Wechel y fit relier en supplément (c’est un receuil factice éditorial) l’Expositio symboli apostolici de Casparus Olivetanus.91 L a critique et le commentaire bibliques helvétiques sont représentés par 16 volumes, dont 12 composés par Benedictus Aretius, 3 par Bèze et un seul par Casparus Olivetanus.92 Quoique les éditions humanistes bâloises et vénétiennes ainsi que les interprétations luthériennes se retrouvent en plus grand nombre dans la collection de Németújvár, je suis convaincu que les publications helvétiques exerçaient une très grande influence sur la formation intellectuelle de Batthyány et aussi de son milieu (je pense surtout aux professeurs de l’école protestante, par exemple à István Beythe). Nous avons trouvé 6 livres conçus dans un esprit helvétique concernant l’église (de ecclesia) et l’alliance entre Dieu et les fidèles (de foedere) parmi les livres de Balthasar. Il s’agit des ouvrages de Johannes Palmerius, Philippe Du Plessis-Mornay, Urbanus Rhegius, Franciscus Duaraenus, Andreas Gorrotius et enfin Caspar Olivetan.93 Les deux ouvrages étudiant la Cène (de coena) sont celui de Petrus Martyr Vermigli en français94 et un autre par Jean Calvin en allemand.95 Quant au problème des sacrements (de sacramentis), Batthyány l’étudiait dans l’ouvrage archiconnu composé par Théodore de Bèze96. Ce fut également Bèze dont Balthasar acheta les traités sur les hérétiques (de haereticis) et sur le mariage (de matrimonio).97 90 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 51, 52, 60, 62, 197, 347, 348, 572. 91 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 559. 92 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 322–328, 347, 60, 110, 349, 525. 93 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 258, 274, 276, 296, 405, 426. 94 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 29. 95 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 195. 96 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 62. 97 MONOK–ÖTVÖS–ZVARA 2004. Nr. 207, 217. 366 MONOK ISTVÁN

Après ce rapide parcours des ouvrages et des éditions de la collection Batthyány qu’on peut qualifier de gallica, nous pouvons affirmer que Balthasar Batthyány est bel et bien un homme de culture française. Non que la plupart de ses livres soient écrits en langue française, mais parce qu’il nourrissait un intérêt très particulier à l’égard de l’histoire française, des guerres de religions et au sujet des persécutions religieuses. Grâce à ses compétences linguistiques, il pouvait également aborder les belles- lettres françaises. A part Venise, Bâle, Wittenberg, Francfort et Strasbourg, Paris et Lyon et Genève sont les villes d’ou sortaient la plupart des éditions figurant dans sa bibliothèque. André Wechel et son gendre, Jean Aubry n’ont pas ménagé leurs efforts pour maintenir la francophilie du grand- seigneur. Quoiqu’il en soit, on ne connaît aucune autre bibliothèque à tel point « francisée » du 16e–17e siècle – la suivante sera celle de Pál Esterházy et de François Rákóczi… Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle

Raphaële Mouren

Au seizième siècle, les imprimeurs-libraires mettent en place des stratégies commerciales et éditoriales. Il serait hasardeux de ramener l’ensemble de leur activité à des motifs commerciaux ou financiers ; nous voyons pourtant que ceux-ci sont très présents. Le temps n’est plus, en général, aux flamboyantes et ruineuses entreprises de la fin du XVe siècle, même si de généreux donateurs continuent à soutenir les projets qui demandent d’importants moyens financiers. Au nombre des stratégies des imprimeurs, celle du choix des langues utilisées demande à être étudié avec attention. Généralement, les imprimeurs se spécialisent dans une ou plusieurs langues, avec des exceptions qu’il convient d’étudier : le lecteur d’aujourd’hui peut parfois être surpris de la présence de plusieurs langues vernaculaires dans certains catalogues. Nous nous attacherons particulièrement aux parties du livre où se fait le plus sentir l’intervention de l’imprimeur libraire : la page de titre, les pièces liminaires. L’éditeur s’adapte-t-il à la langue du texte qu’il imprime ou fait imprimer, par exemple à l’adresse bibliographique (nom de la ville et nom de l’imprimeur-libraire) ? Dans quel cas l’imprimeur modifie-t-il la langue de son nom ? Nous étudierons quelques cas, en laissant de côté cependant les questions religieuses qui ont fait choisir le vernaculaire aux dépens du latin.

Pietro Perna

Un des facteurs de l’utilisation de langues vernaculaires est bien entendu la maîtrise de celles-ci. Nous pouvons en voir un premier exemple en étudiant le cas de Pietro Perna. Cet imprimeur toscan, originaire de 368 Raphaële Mouren la région de Lucques, part à Bâle pour des raisons religieuses et y ouvre une imprimerie en 1549–15501. Il publie d’abord des livres en latin et en italien, commençant par l’œuvre de Bernardino Ochino, ce qui ne pouvait laisser aucun doute sur ses choix religieux2. Il publie son premier livre en allemand dix ans plus tard, en 1560, la traduction des œuvres de son compatriote Paolo Giovio : XLV Buecher. Ein warhafftige beschreybung aller nammhafftigen Geschichten, bey Peter Perna durch verlegng Heinrich Petri, 15603. Désormais, il imprime, tout seul ou avec d’autres éditeurs (en particulier Johannes Oporinus) dans les trois langues, italien, latin et allemand, ainsi que des textes en grec ancien, toujours accompagnés d’une traduction latine. Pietro Perna, devenu réformé, avait des liens avec la France. Il a en particulier préparé l’édition des évangiles traduits en toscan par le florentin Massimo Teofilo, sortie à Lyon en 1551. Cette édition contient une « apologia » écrite par l’auteur mais aussi une préface « il libraro al pio lettore », qu’il faudrait étudier pour voir si elle peut être attribuée à Perna4.

1 Sur Pietro Perna voir Perini, Leandro, La vita e i tempi di Pietro Perna (Roma : Ed. di storia e letteratura, 2002), qui a établi aussi le catalogue de ses éditions. 2 Les deux premiers ouvrages signalés par Leandro Perini sont en effet : Prediche di Bernardino Ochino di Siena. Novellamente ristampate e con grande diligentia rivedute et corrette, [Basilea : P. – Perna-M. Isingrinius, 1549c.], 8° (Perini 1). La seconda parte delle prediche, di Mess. Bernardino Ochino Senese, accuratamente castigate. Con la sua Tavola in fine [Basilea : P. Perna – M. Isingrinius, 1549c.], 8° (Perini 2). 3 Pauli Jouii xlv B#[ue]cher Ein warhafftige beschreybung aller nãmhafftigen Geschichten so sich ... von dem tausent vierhundert vier vnd neüntzigesten Jar/ biß zů diser zeyt ... zůgetragen ... Zů erst von dem Hochwürdigen Herrẽ Paulo Jouio ... in Latein ... zůsamen gebracht ... verteütschet vñ in Truck gefertiget/ durch Heinrych Pantaleon der Natürlichen Philosophey in der ... hohen Schůl zů Basel Ordinarium (bey Peter Perna durch verlegng Heinrich Petri, 1560), 3 vol., 2° (VD16 G 2074, Perini 42). 4 Il nuovo ed eterno testamento di Giesu Christo. Nuovamente da l’original fonte greca, con ogni diligenza in Toscano tradotto (in Lione, 1551), 16° (Edit16 CNCE 5953). Emilie Droz pensait que le Nouveau Testament avait été imprimé par Philibert Rollet ; Edoardo Barbieri, dans son étude, conclut que l’imprimeur en est Jean Frellon. Un second livre de Teofilo est imprimé la même année à Lyon, toujours sans nom d’imprimeur : Le semenze e l’intelligenza del Nouvo Testamento, per Massimo Theofilo Fiorentino composte e adunate… (in Lione, 1551), 16° (Edit16 CNCE 46334). Voir Perini, Leandro, op. cit. p. 82-87, BARBIERI, Edoardo, Le bibbie italiane del Quattrocento e del Cinquecento : storia e bibliografia ragionata delle edizioni in lingua italiana dal 1471 al 1600, vol. 1 (Milano : Editrice bibliografica, 1992), n. 60 et p. 327-329 ; DEL COL (A.), « Il Nuovo Testamento tradotto da Massimo Teofilo e altre opere stampate a Lione nel 1551 », in Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle 369

Il imprime un livre en français, en 1565 : Les ruzes de Satan, A Basle, De l’imprimerie de Pierre Perne, 4° (Perini n° 96). La langue allemande est de plus en plus présente dans son catalogue à partir de 1562, seul ou en collaboration : « bey Samuel Apirario, in kosten und verlegung es Ehrsammen Peter Perna ». Toutefois, il semble bien que de toutes les dédicaces et préfaces signées de Perna qui sont imprimées dans ses livres, une seule soit en allemand, et qui plus est elle est très tardive. Elle se trouve sur une traduction de Paracelse et est datée du 1er septembre 1577 : … schreiben von der Frantzosen in IX buecher verfasset : Inn Welchen… der Ursprung, Zeichen…5. C’est la seule dédicace allemande signée de Perna qui soit signalée, sur un ensemble de cinquante livres environ publiés en allemand (éditions et rééditions comprises). Les autres livres qu’il publie dans cette langue portent la plupart du temps des dédicaces signées de l’auteur6. L’apparition des langues est liée à celle de nouveaux textes : un imprimeur comme Perna commence sa carrière en imprimant en latin et en italien. D’autres langues apparaissent ensuite dans son catalogue, l’une de manière exceptionnelle, le français, l’autre certainement par choix et par nécessité. Il faut relever aussi que l’apparence des livres de Perna connaît une grande diversité, suivant la langue dans laquelle ils sont imprimés. Cette diversité prolonge celle que l’on connaissait au temps du livre manuscrit pour les écritures, et l’amplifie même sur la page de titre. Non seulement son adresse bibliographique apparaît dans la même langue que

Critica storica, 15 (1978), p. 642-675. DROZ, Eugénie (éd.), Chemins de l’hérésie : textes et documents, vol. 2 (Genève : Statkine, 1971), p. 241-243. Voir aussi la bibliographie proposée par Trovato, Paolo, L’ordine dei tipografi : lettori, stampatori, correttori tra Quattro e Cinquecento (Roma : Bulzoni, 1998), p. 153. 5 Theophrasti Paracelsi von Hohenheim des fürtrefflichsten Doctors der Medicin schreiben von den Frantzosen in IX B#[ue]cher verfasset: Jnn welchen nicht allein der Vrsprung Zeichen sampt anderer Artzten bisher begangne jrthummen erkant sondern auch die rechte wahre Cur tractirt wirt. Jetzt erstmals von einem Liebhaber der Artzney an tag geben. Theophrasti Paracelsi von Hohenheim des fürtrefflichsten Doctors der Medicin schreiben von den Frantzosen in IX Buecher verfasset: Jnn welchen nicht allein der Vrsprung Zeichen sampt anderer Artzten bisher begangne jrthummen erkant sondern auch die rechte wahre Cur tractirt wirt. Jetzt erstmals von einem Liebhaber der Artzney an tag geben (Getruckt zu Basel bey Peter Perna. 1577) (VD16 P 470, Perini 303) : épître de Perna au lecteur datée de Bâle, 1er septembre 1577. 6 Signalons que l’épître de la Frantzösische Historii allerlaii Religion und Wälthändlen, so sich under Konig Henrico II, Francisco II unnd Carolo IX… zugetragen, de 1574, adressée « An den Christlihen und der Warheit liebeden Leser », est anonyme (Perini n° 228). 370 Raphaële Mouren le texte principal, mais le type de caractères utilisés, l’organisation de la page de titre diffèrent selon la langue du livre.

Sébastien Gryphe

Les choix de Pietro Perna ne sont pas ceux de tous ses confrères. On peut le constater en étudiant un autre exemple, celui de l’imprimeur lyonnais Sébastien Gryphe. Gryphe, dont le nom d’origine était Greiff, était né à Reutligen en Würtemberg en 1493. Il parlait donc certainement allemand. On peut alors se demander s’il a choisi d’utiliser cette langue dans sa production lyonnaise, qui s’étale de 1524 à sa mort en 1556. Par ailleurs, il existe des liens commerciaux forts entre Lyon et Bâle, et les imprimeurs lyonnais sont présents à la foire de Francfort : on peut donc imaginer que le choix de l’allemand pourrait être une option commerciale plausible, quoiqu’un peu risquée puisqu’il s’agirait de parier sur la vente du tirage exclusivement à l’étranger. On comprend aussi qu’il faudrait des auteurs, des correcteurs, des collaborateurs lisant l’allemand pour préparer les livres. Il n’est donc pas étonnant que, malgré sa probable maîtrise de la langue, Sébastien Gryphe n’ait rien publié en allemand. En 1524, Sébastien Gryphe commence sa carrière en se spécialisant dans les livres de droit, qui sont donc naturellement en latin ; il y ajoute plus tard une importate production de textes antiques. Il faut attendre dix ans pour voir apparaître dans sa production le premier livre en langue vernaculaire : en 1533, il publie les Opere toscane de Luigi Alamanni7. L’ouvrage est préparé par Jean de Tournes, qui n’est pas encore libraire à son compte, et dédicacé par Alamanni à François Ier. Il est intéressant de noter que la page de titre est écrite en deux langues : le titre et la mention de privilège sont en italien, mais l’adresse bibliographique est la même que sur les autres livres de Gryphe, en latin. Opere toscane di Luigi Alamanni al christianissimo re Francesco primo, Sebast. Gryphius excudebat Lugd. 1531. La marque typographique utilisée ici par Gryphe est accompagnée de deux devises, en deux langues, latin et italien. Il ne s’agit pas du gryphon habituel, mais de la salamandre couronnée (symbole du roi François Ier à qui l’ouvrage est dédié), surmontée de : « Nutrisco. Estinguo » ; au dessous, avant l’adresse bibliographique : « sovr’ogni uso mortal m’è dato albergo ». Cet ouvrage reste une exception dans le catalogue Gryphe :

7 Opere toscane di Luigi Alamanni al Chistianissimo [sic] re Francesco primo (Sebast. Gryphius excudebat Lugd. 1533. Con privilegi). Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle 371 non pas seulement pour l’usage d’une marque typographique qui ne représente pas le griffon caractéristique de cet imprimeur, mais aussi parce que ce dernier, dans les années qui suivent, continue à imprimer de très nombreux livres en latin. En 1539 apparaît le premier livre en français de son répertoire : Chant natal, contenant sept noelz, ung chant pastoural, et un chant royal… Lugduni, apud Seb. Gryphium. La page de titre est à nouveau bilingue, le titre français étant accompagné d’une adresse bibliographique latine. L’ouvrage est enrichi d’une dédicace de Barthelemy Aneau à ses disciples. La même année sortent deux autres petits livres en français, de 63 et 52 pages, souvent reliés ensemble : La police de l’aumosne de Lyon, Imprimé chez Seb. Gryphius, 1539 avec privilège pour deux ans.

De la cure, et nourrissement des pauvres sermon du benoist sainct Gregoire Nazanzene, imprimé à Lyon, chez Sébastien Gryphe. On constate une évolution de l’adresse bibliographique pendant l’année 1539 : pour la première fois Lyon se substitue à Lugduni, et la page de titre n’est écrite qu’en une seule langue, celle du texte ; en revanche, la forme sous laquelle apparaît le nom de l’imprimeur-libraire fluctue entre le latin (Seb. Gryphius) et le français (Sébastien Gryphe). L’année suivante sort la traduction française des psaumes de l’Arétin : pour la seconde fois, le titre est entièrement en français. Sept psaumes de la pénitence de David, par Pierre Aretin, traduit de l’Italien en langue Francoise, d’un vrai zele, À Lyon chez Seb. Gryphius, 1540. La production de Sébastien Gryphe reste massivement en latin : en effet, en 1540, il publie en tout soixante livres, tous en latin sauf un ! La proportion reste sensiblement la même dans les années suivantes : un livre en français en 1541, deux en 1542 (la traduction française de la Genèse de l’Aretin et des Stratagèmes de Rabelais). Toutefois, il n’a toujours pas fixé, à cette date, une adresse bibliographique spécifique pour les livres en vernaculaire : en 1541 en effet, L’histoire de Leander et de Hero, mis de latin en françois par Clement Marot, est publiée « Lugduni, apud Seb. Gryphium ». Il ne faut pourtant pas étudier seulement du point de vue statistique les choix éditoriaux de Sébastien Gryphe. S’il n’édite que des livres latins 372 Raphaële Mouren entre 1543 et 1549, il recommence à publier en langue vernaculaire en 1550 : non plus en français, ni même en italien – ce qui se comprendrait, car, à Lyon, il est en contact avec la communauté italienne, et a déjà publié dans cette langue – mais dans une nouvelle langue : l’espagnol. Il publie cette année là en espagnol : Exemplo de la paciencia de Job, en Leon, en la casa de Sebastian Grypho (60 f.).

El psalterio de David traduzido en lengua castellana conforme à la verdad hebraica, en Leon, en casa de Sebastian Grypho (178 f.).

Los proverbios de Salomon declarados en lengua castellana conforme à la verdad hebraica, en Leon, en casa de Sebastian Grypho (99 f.).

Libro de Iesus hiio de Syrach, qu’est llamado, el Ecclesiastico, traduzido de Griego en lengua Castellana, en Leon, en casa de Sebastian Grypho, ano de MDL (109 f.). Ces livres ont déjà été étudiés, il s’agit ici simplement de mettre en lumière l’évolution des choix linguistiques de Sébastien Gryphe. Il apparaît qu’il n’a pas de politique dans ce domaine, et s’adapte aux circonstances. Ces quatre livres espagnols sont les derniers imprimés en langue vernaculaire par Gryphe, qui meurt en septembre 1556. A une production essentiellement latine, Gryphe ajoute donc quelques publications en vernaculaire : français, italien, espagnol. Le choix de ces langues s’explique par les liens de Lyon avec l’Italie et la France : il y a en effet à Lyon une importante présence italienne pendant les années d’activité de Gryphe, et par ailleurs, les imprimeurs-libraires lyonnais fournissent la péninsule ibérique en livres. Certaines familles, comme les Portonariis et les Giunti, sont installées dans les trois pays. Le choix de ces langues par Gryphe n’est donc pas exotique, mais lié aux marchés auxquels il a accès.

Jean de Tournes

Un autre exemple particulièrement intéressant est celui de l’imprimeur lyonnais Jean de Tournes. Il a déjà été bien étudié, y compris pour ce qui concerne les langues utilisées dans ses éditions8, et son cas est plus

8 On s’appuie ici sur Jourde, Michel, « Jean de Tournes et les langues », présentation proposée le 18 décembre 2007 à l’École normale supérieure Lettres et Sciences humaines dans le cadre du projet Les écrits de Jean de Tournes, à paraître. Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle 373 exceptionnel que représentatif. Après avoir travaillé dans l’atelier de Sébastien Gryphe, où il a été chargé en particulier de préparer les Opere toscane d’Alamanni, Jean de Tournes ouvre sa propre imprimerie. Mais, à la différence de Gryphe, éditeur prioritairement de livres latins, Tournes est plutôt considéré comme un spécialiste de l’édition de textes en langue vernaculaire, en français essentiellement, en particulier la poésie, mais aussi des récits de voyage, comme André Thevet qu’il édite en 15569. En réalité, sa production est loin d’être uniquement en français. Quelques chiffres : en 1545, il édite dix-sept livres, tous en vernaculaire ; mais en 1550 sortent douze livres en latin sur un ensemble de dix-neuf, y compris des traductions du grec (le Platon traduit par Marcile Ficin), Cicéron, Lactance et des livres de médecine. En 1555, sur trente-deux livres on trouve douze livres latins, et en 1560, neuf des vingt-et-un livres publiés sont en latin. Ce qui est exceptionnel dans ce cas, c’est que de Tournes publie dans plusieurs langues modernes. Bien sûr, nous sommes à Lyon : on imagine aisément qu’il publie en italien, tant la communauté italienne de Lyon est active dans le domaine de l’impression. Publier en espagnol, on l’a vu, n’est pas si original pour les imprimeurs lyonnais qui fournissent la péninsule ibérique. Jean de Tournes en effet, outre le latin, le français et le grec, imprime en italien et en espagnol. Son projet le plus extraordinaire, du point de vue du choix des langues, de l’illustration, mais aussi de la réflexion sur les publics et les marchés, est un véritable programme d’édition, celui de l’édition des Quadrins historiques de la Bible. En effet, ce livre est publié dans sept langues différentes, et l’entreprise dure près de dix ans. Il s’agit tout d’abord d’une bible illustrée. Cette particularité peut être une explication à la publication en plusieurs langues : les bois gravés, en effet, coûtent très cher, et cela permet sans doute de mieux les rentabiliser. Ce projet permet en outre à Jean de Tournes de se placer sur le marché européen du livre, en concurrence directe, par exemple, avec les allemands. Pour cela, il s’adjoint les services d’un des meilleurs graveurs du moment, Bernard Salomon, qui est mis en concurrence avec Holbein. Les versions française, espagnole, italienne et anglaise se présentent comme suit : Quadrins historiques de la Bible, À Lyon par Ian de Tournes, 1553.

Quadernos ystoricos de la Biblia, En Leon de Francia, en casa de Juan de Tournes, 1553.

9 Cosmographie de Levant, par F. André Theuet d’Angoulesme, revue & augmentée de plusieurs figures (À Lion : Par Ian de Tournes et Hvil. Gazeav, 1556). 374 Raphaële Mouren

Figure del nuovo testamento, illustrate da versi vulgari italiani, in Lione per Gio. Di Tournes, 1559.

The True and lyvely historyke purtreatures of the vvoll Bible, At Lyons, by Jean of Tournes, 155310. Jean de Tournes n’a pas mené à bien un réel projet polyglotte, qui consisterait à proposer plusieurs langues dans un seul livre. Mais les langues sont présentes de plusieurs façons dans sa production. Non seulement, comme beaucoup, il publie des livres bilingues, en particulier des textes grecs accompagnés de leur traduction (Esope par exemple), mais il publie aussi les emblèmes d’Alciat en latin puis en français. Plus original, Jean de Tournes imprime les œuvres de Sebastiano Serlio en donnant un volume en italien et un volume en français. L’étude précise des publications, et surtout, leur étude globale, en évitant le piège de séparer, par exemple, les livres français des livres italiens, met en valeur les influences, comme par exemple dans le cas des œuvres de Pernette du Guillet, poèmes français publiés la même année que Pétrarque, qui sont fortement marqués par l’influence italienne11. Quels sont les publics d’un livre illustré, proposé dans plusieurs langues vernaculaires ?12 En premier lieu, certainement, les croyants souhaitant se former, lire et connaître la bible de façon amusante ; ensuite, les amateurs de livres illustrés, à qui l’on s’adresse en faisant appel à un grand illustrateur. Un autre public est peut-être celui des amateurs d’art, et surtout des artistes. En effet, Jean de Tournes fait appel aux meilleurs : il travaille non seulement avec Bernard Salomon, mais aussi avec les frères Guillaume et Claude Paradin, Charles Fontaine… Chaque version des Quatrains de la Bible est précédée d’une préface, dans la même langue que le texte, signée de Tournes. La question se pose 10 Pour la description des livres de Jean de Tournes voir CARTIER, Alfred, Bibliographie des éditions des de Tournes, imprimeurs lyonnais, mise en ordre avec introduction et des appendices par Marius Audin et une notice biographique par E. Vial, 2 vol. (Lyon : impr. Audin ; Paris : Éditions des Bibliothèques nationales, 1937). 11 voir Rajchenbach, Elise, « “Tu le pourras clerement icy veoir” : Les Rymes de Pernette Du Guillet, publication vertueuse ou stratégie éditoriale », in Clément Michèle, Incardona, Janine (eds.), L’émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance, 1520–1560 (Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008), p. 123-164. 12 On s’appuie ici sur les recherches présentées par Agnès Rees et Elsa Kammerer sur les publics de Jean de Tournes dans la journée d’études organisée par Michel Jourde, Les écrits de Jean de Tournes imprimeur et libraire, Lyon, 1542–1564, Cerphi, ENS-LSh, 23 mai 2008. Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle 375 alors des langues que maîtrisait l’imprimeur-libraire. Peut-être a t’il appris lui-même l’italien, après avoir travaillé pour éditer le livre d’Alamanni. Mais peut-on penser qu’il a écrit lui-même les préfaces qu’il signe dans les quatrains, non seulement en français et en italien, mais aussi en anglais et en espagnol ? C’est peu probable, d’autant plus qu’il arrivait fréquemment qu’une préface signée par l’imprimeur-libraire soit l’œuvre de quelqu’un d’autre13. Dans chacun de ces livres, il traduit son nom dans la langue du livre : il est Jean de Tournes en français, Giovan di Tournes et Giovanni de Tornes en italien, Juan de Tournes en espagnol… Dès la page de titre s’affiche clairement la langue utilisée dans l’ouvrage.

Livres italiens en France

L’étude de l’ensemble des livres imprimés en France en italien apporte des informations complémentaires. Sébastien Gryphe, lorsqu’il édite Luigi Alamanni en 1538, mélange l’italien et le latin sur sa page de titre. Mais les autres éditions françaises en italien des œuvres d’Alamanni portent généralement une adresse bibliographique italianisée : c’est le cas quatre ans plus tard, en 1542, lorsque Robert Estienne réédite le livre à Paris (colophon), ainsi qu’à Lyon, en 1548, en 1587…14 Il semble donc qu’en 1538 la pratique de l’usage d’une même langue pour le titre et l’adresse n’est pas encore fixée, alors qu’elle l’est quelques années plus tard. Mais sans doute pouvons-nous avancer, pour expliquer l’évolution des titres de Gryphe, quelques explications : en 1540, Sébastien Gryphe est en contact avec la communauté florentine de Lyon, en particulier avec les Dei, qui servent d’intermédiaire entre lui-même et l’humaniste Piero Vettori, ainsi qu’avec Lucantonio Ridolfi, commerçant mais aussi poète15.

13 L’ouvrage collectif en cours de préparation sous la direction de Michel Jourde étudie précisément cette question. 14 La coltiuatione (In Parigi : stampato da Ruberto Stephano, 1548) (EDIT16 n° CNCE 604) ; Gl’epigrammi con alcuni epitafi del s. Luigi Alamanni et alcune compositioni del s. Batista suo f. (In Parigi : appresso Marco Orry, 1587) (EDIT16 n° CNCE 610) ; Gyrone il cortese di Luigi Alamanni (Stampato in Parigi : da Rinaldo Calderio & Claudio suo figliuolo, 1548) (EDIT16 n° CNCE 605). 15 Voir Mouren, Raphaële, « Sébastien Gryphe et Piero Vettori : de la querelle des Lettres familières aux agronomes latins », in Mouren, Raphaële (ed.), Quid novi ? Sébastien Gryphe à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, actes du colloque des 23–25 novembre 2006 (Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2008), p. 287-339, 491- 498 ; Cooper, Richard, « Le cercle de Lucantonio Ridolfi », in Clément Michèle, Incardona, Janine (eds.), L’émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance, 376 Raphaële Mouren

Toujours à Lyon, Guillaume Rouillé, entre 1540 et 1575, italianise son adresse sur ses éditions d’André Alciat et de Dante ; Mathieu Bonhomme fait de même, ainsi que Jean de Tournes, pour son édition de Dante de 1547 ou les Quadrins historiques de la bible16. À Paris, dès 1535 Simon de Colines italianise son nom : Rime toscane d’Amoro per madama Charlotta d’Hisca, Parigi : per Simone Colineo, 1535. Nous venons de voir que Robert Estienne fait de même en 1542 ; mais en 1547, Gilles Corrozet, lui, imprimant la Deiphira, laisse son nom en français : La Deiphira, Paris : en la boutique de Gilles Corrozet, 1547. Toutefois, pour approfondir ces recherches sur l’usage des langues vernaculaires étrangères en France, il faudra étudier particulièrement, je pense, la deuxième quart du seizième siècle. Peut-on observer une évolution chronologique qui irait vers une utilisation de plus en plus large de l’italien ? On voit qu’en 1585 Jérôme Marnef, publiant à Paris l’Arioste, laisse son nom comme à l’habitude, en français, il est vrai dans une édition bilingue latin-français : exactement comme on le fait depuis l’invention de l’imprimerie pour les éditions bilingues de textes grecs17. Chevillot fait de même pour un texte italien, presque en même temps et toujours à Paris, en 158718. En 1588, la traduction italienne des psaumes porte : « À Paris chez Iamet Mettayet imprimeur du roy »19. Voilà donc une autre période, la fin des années 1580, où à nouveau, les pratiques semblent hésiter : nous 1520–1560 (Saint-Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008), p. 29-50 (spéc. p. 43-44). 16 Dante con nuove, et utili ispositioni, Aggiuntovi di più una tavola di tutti i vocaboli più degni d’osservatione, che a i luoghi loro sono dichiarati (in Lione : appresso Guglielmo Rouillio, 1552) (réédition 1575 avec une page de titre stricement identique). Il Dante, con argomenti, & dechiaratione de molti luoghi, nouamente reuisto, & stampato (in Lione : per Giovan di Tournes, 1547). 17 Comedie des Supposez de m. Louys Arioste, italien & francois. Pour l’vtilite de ceux qui desirent scauoir la langue italienne (À Paris : pour Hierosme de Marnef, & la vefue de Guillume Cauellat, demourant au mont sainct Hilaaire, 1585). Voir aussi L’histoire d’Aurelio et Isabelle en italien et francoys : en laquelle est dispute qui baille plus d’occasion d’aymer, l’homme a la femme, ou la femme a l’homme. Plus la Deiphire de m. Leon Baptiste (À Lyon : par Guillaume Rouille, 1555). 18 [A sinari, Federico], La Gismonda, tragedia del signor Torquato Tasso nuovamente composta et posta in luce (À Paris : chez P. Chevillot, 1587). 19 I Salmi di Dauid tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : chez Iamet Mettayer imprimeur du roy, 1588. Choix de langue et stratégies éditoriales au milieu du seizième siècle 377 voyons déjà la même alternance italien/français pour deux édition des mêmes textes, les psaumes italianisés, en 1571 et 1573, alors qu’en 1583 une autre édition porte uniquement des indications en italien20. Bien entendu, nous pourrions citer d’autres exemples, sans pouvoir toujours en tirer des conclusions, soit parce qu’elles concernent une autre période, soit parce qu’elles concernent un imprimeur ayant plusieurs pratiques dans le domaine. Nous aurions aussi à relever des cas intermédiaires, dans lesquels seul le nom de la ville, ou seul le nom de l’imprimeur-libraire, est italianisé : nous en trouvons des cas même chez des imprimeurs comme Guillaume Rouillé, qui imprime de très nombreux livres en italien mais qui, de manière exceptionnelle, choisit d’indiquer son adresse en français pour l’édition d’un livre italien. Quoiqu’il en soit, il est manifeste que nous ne sommes certainement pas devant une pratique homogène d’usage des langues vernaculaires sur les pages de titres par les imprimeurs français du XVIe siècle. Cette enquête préliminaire montre aussi que les usages n’évoluent pas d’une manière linéaire, que chaque imprimeur peut choisir des solutions différentes, et que chacun d’entre eux mène sa propre réflexion sur le sujet à plusieurs dizaines d’années différentes.

20 I Salmi di Dauid, tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : par Iean Charron, demeurant en la rue des Carmes à l'image S. Iean, 1571 ; I Salmi di Dauid tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, À Paris : chez Pierre l’Huilier, 1573 ; I Salmi di Dauid, tradotti dalla lingua hebrea nella italiana. Diuisi in cinque parti. Di nuouo ricorretti & emendati, [Parigi] : per commandamento de la Reina madre del Re, 1583. Livres et propriétaires – un binôme symbolique – ou sur le statut du donateur

IOAN MARIA OROS

Par sa valeur d’« héritage éternel » et par sa fonction latreutique (de culte/d’adoration) dans la communauté, le livre se situe, au fond, par-dessus des toutes évaluations économiques, ainsi que nous avons y confirmé quand, sous malédiction, le prêtre Petru Diruţan de Românaşi, à propos d’un exemplaire de Cazanii de Râmnic (1781), note : « être damné qui sauront apprécier dans le prix de l’argent [...]. L’année 1804, le 4 mars » ; étant placé de telle sorte sous l’incidence de ce tabou de l’explicitation d’économie des échanges symboliques, c’est-à-dire de « l’économie de l’offre », comme l’appelle le sociologue français Pierre Bourdieu: « le type de transaction qui est établi entre l’Église et les chrétiens »1, où le don (l’aumône/la charité) n’a pas de prix. Á partir de ce postulat énoncé (consciemment ou non, reste à voir) par le père Petru, en termes d’une rhétorique imprécatoire, sur la casuistique des notes de main du vieux livre roumain de Pays de Silvania, nous voulons développer ci-dessous quelques considérations sur le statut du donateur en cadre de la relation livre – propriétaire, un binôme symbolique, finalement, si on se réfère strictement à la donation de livres reflétées dans ces notes, c’est-à-dire celle dont le donataire2 est l’Église. Nous soulignons le fait que, dans les conditions de la globalisation économique et de l’échec du système économique communiste, sur les traces d’un Emile Durkheim, Marcel Mauss, Max Weber et d’autres, les théoriciens redécouvrent l’économie du don, qui ils essayent de conscientiser

1 BOURDIEU, Pierre, Raţiuni practice. O teorie a acţiunii (Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1999) : 131 sqq. 2 B ERTHOUD, Gerald, L’univers du don. Reconnaissance d’autrui, estime de soi et gratitude, http://www.contrepointphilosophique.ch/, 20.06.2008. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 379 au niveau macro social, dans ce sens se profilant des nombreuses lignes directrices/écoles sociologiques ou économiques, le plus célèbre étant le groupement français autour de la publication interdisciplinaire Revue du Mauss (M.A.U.S.S. – acronyme pour le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales). Et dans la littérature roumaine de spécialité, dans les dernières années, ont imposé certains ouvrages qui abordent la théorie du don, en particulier, dans la littérature ethnologique et anthropologique ; nous nous référons à des travaux signés par Ofelia Văduva (Magia darului)3, mais surtout, l’ouvrage du Barbu Ştefănescu, Sociabilitate rurală, violenţă şi ritual. Cartea în practicile oblative de răscumpărare a păcii comunitare, Transilvania, sec. XVII–XIX4, particulièrement précieux pour l’analyse, pour la première fois, de la dimension cathartique du « don-livre » d’après les notes marginales5, l’auteur utilisant pour cela certaines notes qui se trouvent sur le livre ancien roumain de Pays de Silvania. Dans le même ordre des idées, Doru Radosav traite la question de la participation à l’acte de donation des livres sur les niveaux parentales6 et d’autres niveaux d’agrégation des individus dans une communauté, détectables dans la rhétorique de nuncupation (ou testamentaire). La casuistique des notes de main existantes sur le livre ancien roumain de Pays de Silvania permet une autre approche du « don-livre », l’une plutôt de perspective de la sociologie de Pierre Bourdieu7, conforme à qui dans

3 VĂDUVA, Ofelia, Magia darului (La magie du don), (Bucureşti : Editura Enciclopedică, 1997) : 21-140. 4 ŞTEFĂNESCU, Barbu, Sociabilitate rurală, violenţă şi ritual. Cartea în practicile oblative de răscumpărare a păcii comunitare, Transilvania, sec. XVII–XIX (Sociabilité rurale, violence et rituel. Le livre dans les pratiques oblatives de rachat de la paix communautaire, Transylvanie, XVIIe et XIXe siècles), (Oradea : Editura Universităţii din Oradea, 2004) : 321-548. 5 Cf. ŞTEFĂNESCU, Barbu, Lumea rurală din vestul României între medieval şi modern (Le monde rural d’ouest de la Roumanie entre médiéval et modern), 2-e édition (Oradea : Editura Universităţii din Oradea, 2006) : 199-272. 6 RADOSAV, Doru, Carte şi societate în nord-vestul Transilvaniei (sec. XVII–XIX) (Livre et société dans le nord-ouest de la Transylvanie, XVIIe et XIXe siècles), (Oradea : Fundaţia Culturală « Cele Trei Crişuri », 1995) : 164-187. 7 B OURDIEU, Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement (Paris : Les Éditions de Minuit, 1979) : 7-461 ; idem, Economia bunurilor simbolice (L’économie des biens symboliques), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1986) : 31-153 ; idem, Meditaţii pascaliene (Méditations pascaliennes), (Bucureşti : Editura Meridiane, 2001) : 144-279 ; idem, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps (Paris : Les Éditions de Minuit, 1989) : 7-81 ; idem, Raţiuni practice. O teorie a acţiunii (Raisons pratiques. Sur 380 IOAN MARIA OROS l’économie des biens symboliques fonctionne ce tabou de l’explicitation, mentionné précédemment et de l’épistémologie historique de Paul Ricœur8, où le concept de don est appliqué à la question du pardon ; visions théoriques que nous allons essayer de nous appuyer, ci-dessous, concernant à clarifier le status et le rôle du donateur dans le rapport livre-société de point de vue de la propriété. L’investigation des notes manuscrites du don comme paratextes olographes, autant au niveau rhétorique (la formularistique), que leur dimension rituelle (symbolique), révèle que « la foire du livre » , comme la séquence cérémonielle de la vie du livre, situé entre « la fête de l’écriture » et la « fête de la lecture », implique l’existence de deux types de tracés du livre : l’un économique (la part judiciaire) et un autre en plan symbolique (la part rituelle), des tracés sur lesquels nous pouvons représenter par le schéma suivant (Figure 1) :

la théorie de l’action), (Bucureşti : Editura Meridiane, 1999) : 110-161 ; idem, Simţul practic (Le sens pratique), (Iaşi : Editura Institutului European, 2001) : 37-233. 8 RICOEUR, Paul, Memoria, istoria, uitarea (La mémoire, l’histoire, l’oubli), (Timişoara : Editura Amarcord, 2001) : 165-612. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 381

La foire du livre (Târgul cărţii)

I. L’échange économique II. L’échange symbolique (Schimbul economic) (Schimbul simbolic)

conclure du marché

(bătutul palmei) L’acheteur /= =/ donateur

le contrat d’acheté-vende (donation) offrir la tournée (dreptatea cărţii/zapisul) (aldămaşul)

les argents le livre le don le contre-don (banii) (cartea) (darul) (contra-darul)

l’église l’absolution (biserica) (iertarea divină) la bonne marchandage le donner l’obituaire (târguirea) (dăruirea) (pomenirea)

l’investiture symbolique la lecture liturgique (aşezarea simbolică) (lectura liturgică)

Figure 1. La phénoménologie de la « foire du livre ». 382 IOAN MARIA OROS

Il doit souligner le fait que la note de main est – par excellence – un marquer de la propriété, étant l’expression écrite de cela, en particulier dans le cas de ceux notes olographes que, dans une certaine forme, expresse ou implicite, consigne la « foire du livre » . [Ici, non intéresse pas les livres privés, ni l’ex-libris privé !] Le statut du donateur en tant que propriétaire symbolique du livre. Même si l’identité sociale du donneur de livre est le plus difficile à surprendre, un possible portrait de lui, inclusif l’ensemble des relations qui se coagulent autour du « marchandage du livre »9, nous pouvons reconstruire en utilisant la mention suivante, écrite vers l’an 181710, sur les files de l’exemplaire de Unimăt de la Bible de Blaj (1795), note particulièrement riche de point de vue d’ornementation rhétorique, qui, pour la démonstration, vers faciliter la poursuite de la démarche analytique sur le texte, nous la reproduisons intégralement : Ce livre, la Bible appelée, a acheté par le bon croyant et avec de la permission de son épouse, qui portant le bon renom et chrétien orné avec de bonnes faites, sur nome Chiş Alexa et sa femme, Péterfi Sofie, qui sont des personnes stériles, mais bons chrétiens, honnêtes peureux du Dieu et après mon exhortation, c’est-à-dire du prêtre Ioan Popdan, ils ont pris pitié d’ouvrir le trésor de l’amour de leurs cœurs à prêter le Dieu, comme disent les Ecritures, que celui qui fait l’aumône donne de prêt au Dieu et que qui lira et écoutera les lecteurs se combleront de l’amour de Dieu auditeurs, mais les calomniateurs et les parleurs mal de ceux ci-dessus à envoyer don de Haute leurs et bienveillance, aussi de qui que médisent de nous à parler de bon d’après l’ordre du Seigneur, qu’ainsi Juda eut rudoyé à cette femme-là qui est allé au Christ de verser le saint Chrême sur ses pieds, d’il a le dit au Christ pourquoi-t-il fit ce dommage d’ont renversé le saint Chrême qui aurait été mieux s’il est vendu et donné aux pauvres11. Que l’ayant-il l’amour d’argent, toujours ainsi vers ce croyant pourrait dire pour qu’il dégoûte, pourtant il n’y a pensé pas, mais il a été soumis avec le cœur et avec l’amour il a payé 70 florins celui qui ont amené le livre et pour que lui soit l’aumône infinie et du pardon des péchés.

9 Voir supra Fig. 1 La phénoménologie de la « foire du livre » . 10 Ici, nous comptons sur le fait que, dans l’année 1817, un Evangile (Blaj, 1776), propriété de l’église de Giorocuta, non loin de là, le même prêtre enregistrai les catastrophes causées par la faim au cours de ces années. 11 Dans l’édition du Blaj (1795) de la Bible, qui fait l’objet d’un don, ici, cette histoire il y a narrée, sous diverses formes, à tous les quatre évangélistes : Mathieu, chap. 26, 7-13 ; Marque, chap. 14, 3-9 ; Luc, chap. 7, 37-50 et Jean, chap. 12, 1-8. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 383

Ce livre sacré, avant les honnêtes curateurs : Carabă Grigorie, Racolţă Filimon, Supuran Irimie, Baran Gheorghe et Borhidi Simon, a été donné dans le village, au soin de la sainte église de Unimăt, ainsi que l’aucun âme de l’homme, ni lui-même le donateur n’avoir pas vers lui aucun attouchement.12 Comme il ressort, même du début de la narration13 de la note de main il est précisé, en plus d’accord au niveau conjugal (« avec de la permission de son épouse ») concernant l’achat du livre, aussi bien le rapport du donateur avec l’église, en insistant sur sa moralité (« bon croyant » , « chrétien orné avec de bonnes faits ») que celui avec la communauté à laquelle il appartient, c’est-à-dire provenant d’une famille honorable, avec bonne réputation en lui (« portant le bon renom ») ; situation éclipsé, toutefois par le fait que, ce couple, nommé Chiş Alexa et Péterfi Sofie, est sous la malédiction du « ventre stérile » (Dan Horea Mazilu), c’est-à-dire, ces gens « sont personnes stériles », qui, en perspective des mentalités de la communauté, on leur limite la possibilité « d’accéder à l’accomplissement des rôles sociaux »14 en raison du manque d’enfants non ayant obtenu le statut de « couple adulte » nécessaire15. La qualité de « bons chrétiens, honnêtes peureux du Dieu » compense seulement partiellement ce handicap, mais il est invité à écouter sans condition l’exhortation du prêtre Ioan Popdan, accompagnés de ses exemples bibliques très persuasifs afin de convaincre les deux de faire don d’un livre à l’église de Unimăt, pour doter avec celui le trésor symbolique de la communauté, mais aussi en espérant que, par l’offrande apportée (« prêt au Dieu ») et en augmentant continu leur dévouement (« que lui soit l’aumône infinie et du pardon des péchés »), ceux-ci peuvent recevoir la bénédiction divine et même annuler les effets de la malédiction laquelle il se trouve16. 12 BĂRNUŢIU, Elena, Carte românească veche în colecţii sătmărene (Ancien livre roumain dans les collections du district Satu Mare), (Satu Mare : Editura Muzeului Sătmărean, 1998) : 234. 13 Ici, avec la signification d’une partie de la formularistique des actes de la chancellerie médiévale. 14 ŞTEFĂNESCU, Barbu, op. cit. : 437. 15 Ibidem. 16 Ibidem, p. 438. Le cas n’il y a pas singulier, enrégistré dans la littérature. Ainsi, dans les notes olographes recueillies par le prêtre I. Bârlea, Sebastian Stanca nous fait connu que : « Dascălul Nicolai din Ţara Muntenească scrie în Dragomireşti o Evanghelie românească pe seama lui Popa Samuilă Gârbo, “sterp de copii” » (STANCA, Sebastian, Colportajul vechilor cărţi bisericeşti/Le colportage des anciens livres religieux). Revista Teologică, XXXII, 11-12 (1942) : 494. 384 IOAN MARIA OROS

De cette note de main, si fructueusement exploités de point de vu de l’anthropologie historique par Barbu Ştefănescu, attire l’attention un autre syntagme, à savoir : « celui qui a amené » le livre, le colporteur, anonyme ici, qui, « le donateur » Chiş Alexa « ont été soumis avec le cœur et avec l’amour il a payé 70 florins », une quantité assez importante (même en temps de famine et de l’inflation étant !), mais payés avec désintérêt, comme la montre, tels que la valeur du livre donné et du contre don attendu. L’attribution elle-même de la qualité de « donateur » envoie sémantiquement au fait que, dans le monde rural, jusqu’à tout récemment, l’institution du don fonctionna avec tous ses prérogatives ; sur le « don-livre », en présence de témoins de premier plan de la paroisse, étant informée la communauté entière (« a été donné dans le village »). J’ai essayé d’expliquer jusqu’ici, en quelque sorte, le statut social du donateur, par la grille des repères moraux et sociaux utilisés par le prêtre dans le recrutement celui de masse communautaire qui constitue une certaine paroisse. Malgré le handicap du couple mentionné, le surnomme « jupân » que le prêtre parle de la femme du donneur avec les mots « jupâneasa domniei sale » indique explicitement une place élevée dans la hiérarchie sociale sous rapport économique, avec un statut de personnes aisées dont l’accumulation de bons ne se divise pas, le manque d’enfants doublement le temps de travail dans la famille et, par conséquent, accroît des ressources économiques, qui l’excédent serait utilisé pour l’échange, dans le but d’une donation. Une fois que, d’une posture d’acheteur, le propriétaire devient donateur et le livre est investi rituel sous la sanction (l’interdiction), comme dans ce cas : « ainsi qu’aucune âme de l’homme, ni lui-même le donateur n’avoir pas vers lui aucun attouchement », dans le rapport livre – propriété fait le passage du stade juridique au stade symbolique ; le donateur devient seulement un propriétaire symbolique du livre, avec toute la communauté. Y compris, en termes de l’acte de la lecture, le rapport livre – propriétaire est l’un symbolique ; en général, dans ce livre lisent seulement les officiants de la messe et les donateurs étrangers de la communauté respective sont beaucoup moins physiquement liés du livre donnée. Si le lien physique avec le livre est l’une spécifique de la propriété privée, son manque suppose seulement un lien symbolique et l’investissement par l’institution du don est l’une créatrice du capital symbolique. Typologies sociales : possesseurs et donateurs des livres. Comme je l’ai souligné ailleurs17, dans les conditions qu’une évidence nominale

17 Voir OROS, Ioan Maria, Dimensiuni ale culturii moderne în Ţara Silvaniei Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 385 des élites rurales (prêtres, enseignants et employés) non sera pas réalisée qu’à partir des premiers schématismes d’église (grecque catholique) après de 1820 à 1830 ou avec l’introduction de ces « protocoale de visitaţiune » (protocoles de visite) dans les écoles de confession grecque catholique d’après 187018, les notes de main, couchées sur les vieux livres sont des sources irremplaçables pour la reconstruction de séquences prosopographiques de l’histoire locale. En comparaison avec les annexes présentées dans le document mentionné ci-dessus (voir la note 18), qui, en général, comprenant la note olographe entière ou des fragments significatifs de celles ; ici, pour la construction de l’annexe relativement à l’objet19, nous avons opéré une sélection par l’extraction de contexte des notes de main, rien que les noms de personnes, accompagnées d’appositions (la profession, les dignités, le surnomme ou le titre de noblesse, etc.). Ainsi, le tableau contient la structure suivante : « Book ID » (c’est-à-dire, le numéro de série de la note de main de laquelle proviennent l’extrait de la base de données), « les scripteurs » (sous cette dénomination sont « découpés » les auteurs des notes de main), « les donateurs » (ceux qui font l’aumône de ce livre à l’église), « les témoins » (les noms des personnes impliquées dans « foire du livre », en cette qualité de témoin), « les colporteurs » et « des identités sociales », après qu’ils suivent les dates d’identification du livre qui eut fait la note de main (le titre, le lieu de l’impression, l’année, la provenance), la date de la rédaction de la note de main et le numéro de ligne courant/position. Notez que l’annexe contient seulement les notes de main de donation, datées précisément (au moins l’année de la rédaction de la note de main). Par sa structure même, dès le début est configurée une première stratification sociale des agents participants « foire du livre », inscrits à ce titre et dont le groupement nous avons spécifié ci-dessus. Parmi ces catégories, ceux qui contiennent les scripteurs, les donateurs, les témoins et (secolele XVII–XIX). Cărţi şi proprietari (Dimensions de la culture moderne en Pays de Silvania, XVIIe et XIXe siècles. Livres et propriétaires), (Cluj-Napoca : Editura Mega, Zalău : Editura Porolissum, 2010) : 103. 18 Voir, dans ce sens, OROS, Ioan, Un document şcolar de la 1874 – „Protocolul de visitaţiune a Şcolii confesionale greco-catolice din Şeredeiu, jud. Sălaj“ (Un document scolaire de 1874 – « Protocole de visite de l’École confessionnelle uniate de Şeredeiu, le district Sălaj »). Acta Mvsei Porolissum, IX (1985) : 667-671 ; idem, Un document şcolar de la 1874 – „Protocolul visitaţiunei Şcoalei confesionale greco-catolice de Crasna“, judeţul Sălaj (Un document scolaire de 1874 – « Protocole de visite de l’École confessionelle uniate de Crasna, le district Sălaj »). Acta Mvsei Porolissum, XII (1988) : 763-767. 19 Voir l’ annexe no 1. 386 IOAN MARIA OROS colporteurs ont clairement défini le rôle joué dans le contexte de la « foire du livre », alors que la catégorie appelée (peut-être improprement) « identités sociales » ont intégré d’autres personnes mentionnées dans les notes des autres contextes de la structure de notes de main, mais, en grande partie, sans fonction ou un rôle directement (mais les titulaires ou les bénéficiaires des livres). Parmi les plus de 620 entrées, en comptant les personnes des cinq catégories mentionnées les données préliminaires, nous avons obtenu les suivantes dates préliminaires : scripteurs – 356, 191 donateurs (y compris le donateur collectif), témoins – 57 (y compris le témoin collectif), colporteurs ou libraires – 48 et soi-disant « identités sociales » – 125, au tout plus de 770 agents sociaux. C’est dans les circonstances où il existe en plus un tableau de données retirées à partir des notes de main, non datées précisément20, avec plus de 150 « cassettes » composées de personnes provenant des cinq catégories sociales ci-dessus. Cette sélection opérée sur le corpus des notes de main, écrites sur l’ancien livre de Pays de Silvania, qui visent les « champs » mentionnés, surprend un tableau de la stratigraphie socioculturelle qui comprend, enfin, ceux qui avec « préoccupations dont le livre et la lecture ont une place prédominante »21, plus une partie des donateurs de livres, qui est difficile à apprécier le niveau de l’alphabétisation. La création et le maintien des identités sociales en fonction du rapport livre – société peut- être expliqué plus profondément en termes de sociologie des pratiques culturelles22 et d’histoire culturelle de point de vue social23, c’est, en définitive, de point de vue de la sociologie de Pierre Bourdieu appliquée à l’information historique donnée de corpus des notes de main écrites sur le vieux livre roumain de Pays de Silvania. Comme la montre Philippe Coulangeon, l’auteur d’une Sociologie des pratiques culturelles, selon la théorie de Pierre Bourdieu, qui exploite la dimension symbolique des rapports sociaux, caractéristique pour les sociétés modernes est le fait que, aux rituels de la vie sociale, à côté de la propriété et de la consommation des biens matériels participent en plus « les préférences esthétiques et pratiques culturelles »24. 20 Voir l’annexe no 37 à OROS, Ioan Maria, op. cit. : 458-467. 21 RADOSAV, Doru, op. cit. : 97. 22 C OULANGEON, Philippe, Sociologie des pratiques culturelles (Paris : Éditions La Découverte, 2005) : 3-11; 35-56. 23 « la lecture : une pratique culturelle. Débat entre Pierre Bourdieu et Roger Chartier ». CHARTIER, Roger (sous la direction de), Pratiques de la lecture (Paris : Éditions Rivages, 2003) : 277-306. 24 COULANGEON, Philippe, op. cit. : 5. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 387

Comme le résume le même auteur, les pratiques culturelles constituent « l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui engagent des dispositions esthétiques et participent à la définition des styles de vie »25, comme est considéré la lecture, la plus légitime de point de vue culturel. Les pratiques culturelles sont considérées comme des « marqueurs symboliques de l’identité sociale » – faite parfaitement observable même dans le champ social historique reflètent des notes de main, dans les relations sociales établies entre les individus par rapport avec la représentation au niveau de la mentalité rurale de paysan en Pays de Silvania aux siècles XVIIIe et XIXe.26 Comme remarque l’écrivain et l’essayiste espagnol Alberto Manguel : « la seule possession d’un livre implique une situation sociale et une certaine richesse intellectuelle »27. À partir de ce postulat, on comprend comment, selon le niveau d’appropriation et de « consommation » des biens symboliques (c’est-à-dire, le livre, par lecture), quelle que soit le type de lecture, il crée les inégalités et hiérarchies sociales, des identités sociales distinctes28, qui, comme nous l’avons noté tout d’abord, dans le contexte de la géographie de la circulation de l’ ancien livre roumain dans le Pays de Silvania et sa structure thématique, peut-être délimités leur horizon culturel et leur objet de la lecture. L’appréciation du livre. Les attitudes individuelles et collectives. De l’importance des notes de main existantes sur l’ancien livre roumain comme source documentaire pour l’histoire économique et sociale a été écrit non pas une fois29, pertinentes à cet égard, étant inclusive l’essai de les structurer selon ce critère de valeur, dans quelques corpus d’entre 25 Ibidem : 3-4. 26 Ici, l’analyse peut être approfondie dans le cadre de la création des tableaux progressives des données des annexes de notre travaux (voir le note 21), mais qui, après nous, pourrait faire l’objet d’autre œuvre. 27 MANGUEL, Alberto, Une histoire de la lecture (Montréal : Lernéac, 1998) : 253 ; apud ROBERT, Mario, Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670– 1764. Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 1 (2002) : 3-27. 28 Principe surpris admirable de dicton roumain : « Ai carte, ai parte » . Voir également Ph. Coulangeon, Classes sociales, pratiques culturelles et styles de vie : Le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète ?, en Sociologie et sociétés, XXXVI, 1/2004, volume 36, numéro 1, Printemps 2004 [« Goûts, pratiques culturelles et inégalités sociales : branchés et exclus »]. http://www.erudit.org/revue/socsoc/2004/v36/ n1, 20.04.2007. 29 ADAM CHIPER, Marieta, Valoarea vechilor însemnări româneşti ca izvor pentru istoria economică şi socială (La valeur de vieilles notes de main roumaines en tant que source pour l’histoire économique et social). Revista istorică, VI, 3-4 (1995) : 279-294. 388 IOAN MARIA OROS eux imprimés chez nous30, en vue de faciliter leurs examen. Un segment particulier de la recherche des notes de main de ce type, il est évidemment ce consacré au prix et l’appréciation du livre, dans le contexte du rapport livre-société, au niveau paroissial, à l’église et à la famille31. De la casuistique même des notes de main, au niveau sémantique sont détectés deux sens du terme « appréciation » : d’abord, ici avec un sens qui s’inscrit dans une « axiologie symbolique », visant plutôt l’attitude morale de respect au livre, parfois conduit jusqu’à fétiche et, d’autre part, nous avons l’attitude « économique » concernant la valeur d’un objet, c’est le livre, dans notre cas, exprimées en monnaie et, par conséquent, répercutées dans un prix, selon l’endroit où il peut être apprécié et vendu/acheté comme une marchandise (produit). Recherche jusqu’à présent, mentionné ci-dessus, a montré que l’analyse économique des prix d’achat/vente de vieux livres roumains, y compris ceux de Pays de Silvania, analyse déroulée comparativement à la situation de la période donnée autour de la Transylvanie et même dans les autres provinces roumaines, concernant la circulation de l’argent et les pratiques de paiement (argent, nourriture, animaux, cire, etc.) permet la quantification plus précise des solidarités sociales et religieux, ainsi étant possible une estimation plus appropriée de l’effort humain (personnel ou collective) impliqués dans l’acte de donation en général32.

30 Par exemple, CORFUS, Ilie, Însemnări de demult (Notes des temps anciens), (Iaşi : Junimea, 1975) : 112-114 ; BASARAB, Maria, Cuvinte mărturisitoare. Însemnări de pe cărţi româneşti vechi din judeţul Hunedoara (Les mots qui témoignent. Des notes qui se trouvent dans les vieux livres roumains gardés dans le département de Hunedoara), (Deva : Editura Acta Mvsei Devensis, 2001) : 39-93. 31 POPTĂMAŞ, Dimitrie, Preţul de achiziţie al „Cărţii româneşti de învăţătură“ – pe baza unor însemnări din secolul al XVIII-lea (Le prix d’acquisition de la « Livre roumain d’enseignement » – conformément aux notes de main de XVIIIe siècle). Valori bibliofile din patrimoniul cultural naţional, II (1983) : 363-368 ; MUREŞIANU, I.B. Cartea veche bisericească din Banat (Timişoara : Editura Mitropoliei Banatului, 1985) : 64-68 ; DUDAŞ, Florian, Vechi cărţi româneşti călătoare (Anciens livres roumains voyageurs), (Bucureşti : Editura Sport-Turism, 1987) : 39-68 ; TURC, Corina, Cartea şi preţuirea ei. Atitudini individuale şi colective în Transilvania în secolul al XVII-lea (Le livre et son appréciation. Attitudes individuelles et collectives dans la Transylvanie du XVIIe siècle). Marisia, XXIII–XXIV (1994) : 203- 212 ; CHIABURU, Elena, Carte şi tipar în Ţara Moldovei până la 1829 (Livre et imprimerie en Moldavie jusqu’en 1829), (Iaşi : Editura Universităţii « Alexandru Ioan Cuza », 2005) : 88-110. Combien vaut un livre vieux a écrit et Eugen PAVEL, dans son ouvrage Între filologie şi bibliologie (Entre philologie et bibliologie), (Cluj-Napoca : Editura « Biblioteca Apostrof », 2007) : 65-83. 32 Voir, en particulier : DUDAŞ, Florian, op. cit. : 66-68 ; BASARAB, Maria, op. cit. : 39-37. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 389

Étant donné l’existence de la même circulation monétaire que le reste de Transylvanie, en cas du Pays de Silvania, l’évolution des prix pour l’achat de livres anciens33, enregistrés à travers l’intervalle 1648–1869, il n’existe pas aucune différence significative, les différences étant dues uniquement au hasard sur le marché, aux fluctuations monétaires et au colportage. Pour cette raison, nous n’insisterons pas sur ces questions, mais nous nous tournons notre attention sur les dimensions du problème moins traitées, les aspects concernant la valeur éthique d’investissement de l’argent dans l’acte de donation, pour cette utilisant la casuistique des notes de main sur l’ancien livre roumain des terres de Sălaj. Se référant aux caractéristiques économiques des biens culturels, Pierre Bourdieu soutient que : Dans une économie qui se défini comme refusant de reconnaître la vérité « objective » des pratiques « économiques », c’est à dire la loi de « l’intérêt pur » et « du calcul égoïste », le capital « économique » lui-même ne peut agir que s’il parvient à se faire reconnaître au prix d’une reconversion propre à rendre méconnaissable, le véritable principe de son efficacité : le capital symbolique est ce capital dénié, reconnu comme légitime, c’est à dire méconnu comme capital (la reconnaissance au sens de gratitude suscitée par les bienfaits pouvant être un des fondements de cette reconnaissance) qui constitue sans doute, avec le capital religieux, la seule forme possible de l’accumulation lorsque le capital économique n’est reconnu.34 À ce titre, dans une « économie des biens symboliques » , la « peine » est au travail ce que le don est au commerce35. La variété des expressions du texte des notes de main qui définissent l’attribut « désintéressé » de la « peine » d’une économie d’offre (par rapport à « travail » intéressé) est possible d’observer sur les livres en circulation dans le Pays de Silvania, dans les exemples suivants : « am dorit de la inimă, cu osârdie mare, de am dat dintru dreaptă averea mea de am cumpărat această sfântă carte, pe nume Psaltire, drept 6 florinţi, din Ţara Moldovei » [« J’ai désiré cordialement, avec grand ardeur, et j’ai donné de ma bonne richesse d’ai acheté ce saint livre, appelé la Psautier, comme paiement, 6 florins, du pays de la Moldavie »] (Psaltire slavonă, sec. XVI–XVII, Câmpia SJ)36 ; « Şi o au luat-o în treisprezece florinţi şi 33 Voir l’annexe no 28 à OROS, Ioan Maria, op. cit. : 311-321. 34 B OURDIEU, Pierre, Simţul practic (Le sens pratique), (Iaşi : Editura Institutului European, 2001) : 191. 35 Ibidem : 190. 36 Ms. 28 Bibliothèque de l’Academie Roumaine, Cluj-Napoca. 390 IOAN MARIA OROS s-au dat munca lor ca să le ierte Hs păcatele lor [...]. Iar cine şi-a dat munca cea dreaptă, Hs să le dăruiască odihnă sufletelor sale în veci de veci, cu adevăr. Luna avgust, 23 zile, leat 1648 » [« et l’a pris avec treize florins et ont donné leur travail pour que Hristos leurs pardonner les péchés [...]. Et qui s’est donné leur travail le juste, Hristos leurs donner le repos à ses âmes pour l’étérnité, avec la vérité. Le mois August, 23 jours, l’année 1648 » ] (Varlaam, Carte românească de învăţătură, Iaşi, 1643, Baica SJ)37 « ; [...] Evanghelie care am cumpărat pă sudore me, io Sava Grigorie nemeş de la Rohia, să rămâie pă sama băsericii, unde oi muri io [...]. Anno Domnului 1725 » [« l’Évangile qui j’ai acheté sur ma peine, je, Sava Grigorie, nobliau de Rohia, afin de confier à l’église où je mourrai [...]. Anno Domino1725 »] (Evanghelie, Bucureşti, 1723, Corund)38. Comme il s’est avéré, à côté du dévoilement du caractère désintéressé de « le bon travail » comme « peine » , une autre façon de communiquer l’investissement moral dans le don est celle relative à la nature du paiement, de façon juste d’obtenir l’équivalent en argent et de la valeur éthique de la transaction effectuée : « pre bani buni şi drepţi » [« de l’argent bon et juste prix »] (1782 – Cazanii, Râmnic, 1781, Chichişa)39; « cu plată dreaptă preţ de 16 florinţi » [« avec le paiement bon, prix de 16 florins »] (1808 – Evanghelie, Bucureşti, 1742, Lazuri SJ)40 ; « drept 18 florinţi pe bani buni şi drepţi » [« juste 18 florins, sur l’argent bon et juste » (1782 ?) – Euhologhion, Blaj, 1784, Bodia), (1782 ?) – Euhologhion, Blaj 1784, Bodia)41, parce que l’achat est effectué « à la gloire de Dieu et le pardon des péchés » (Evanghelie, Blaj 1817, Silvaş)42. Parmi les 620 notes holographes écrites sur les vieux livres roumains de Pays de Silvania, jusqu’à 1876, cca 40 % la majorité enregistrent, d’une manière ou d’une autre, le prix d’achat (voir l’annexe 28). Le traitement informatique des données des notes olographes entrées dans la base de données permet de commander l’ordre des prix selon le type de livre, période, l’officine d’impression ou la dernière localité de provenance ; ainsi, d’après ce dernier paramètre on peut-être reconstruire et estimer la capital symbolique d’une paroisse, le trésor du livre d’une communauté,

37 Bibliothèque Centrale Universitaire « E. Todoran» Timişoara, no d’inv. 107. 38 BĂRNUŢIU, Elena, op. cit. : 32. 39 CÂ NDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (III) (Le livre ancien roumain en département Sălaj, III). Acta Mvsei Porolissensis, VII (1983) : 560. 40 CÂ NDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (IV) (Le livre ancien roumain en département Sălaj, IV). Acta Mvsei Porolissensis, IX (1985) : 598. 41 CÂ NDA, Ana, Cartea veche românească în judeţul Sălaj (II) (Le livre ancien roumain en département Sălaj, II). Acta Mvsei Porolissensis, VI (1982) : 386. 42 BĂRNUȚIU, Elena, op. cit. : 298. Livres et propriétaires – un binôme symbolique... 391 qui, avec les autres ornements religieux (vêtements, objets de culte), forme le dot rituelle de la communauté respective. À cette fin, pour comparaison, à partir des informations fournies par l’annexe. 11, concernant la dynamique de la croissance des collections des bibliothèques paroissiales (1776 à 1876)43, nous avons sélectionné les deux dernières localités, de Sudurău et Zalnoc, car ils fournissent des données sur le trésor public des livres, tant la première visite canonique (juin 1776), et de la fin de la période étudiée de nous, à la fois l’enregistrement, au fil du temps, atteint un maximum de 15 livres dans le domaine de la lecture liturgique. Nous notons que, en plus de localités mentionnées, il y en a quelques autres qui sont dotées avec des 10–12 principaux livres de service et de culte44, mais, sauf l’une (Stremţ), nous avons précisé des prix plus de deux à trois eux45. Et c’est la preuve du fonctionnement de celle « vérité du prix » présent dans l’économie des biens symboliques, qui parle le sociologue français Pierre Bourdieu. D’autant plus, dans notre calcul on a dû s’appeler comparativement aux prix de même livres achetés au même moment, en particulier dans le nord-ouest la Transylvanie46. En outre, si nous n’avons pas enregistré le prix réel de l’achat/vente pour les livres des deux villes, et pour quelques-uns des livres n’a pas suivi, sans aucuns frais, dans la fixation d’un environnement de prix, aussi sincère que j’ai gardé de l’effet de colportage le plus petit et de la fréquence maxime des prix « comparatifs » sélectionnés, le plus possible, dans les zones les plus proches de Sudurău et Zalnoc. Un autre obstacle à évaluer le niveau de précision à sa valeur comptable de la trésorerie paroisse est la différence entre les prix de l’impression et colportage ou de l’« église » – pour les appeler ainsi – dans leur évolution,

43 OROS, Ioan Maria, op. cit. : 198-203. 44 Voir OROS, Ioan, Protocoale şi contracte de lectură liturgică în Ţara Silvaniei (sec. XVII–XIX) (Protocoles et contrats de la lecture liturgique dans le Pays de Silvania, XVIIe et XIXe siècles). Caiete Silvane, 4, 51(2009) : 17. 45 Voir l’annexe No 28 à OROS, Ioan Maria, Dimensiuni ale culturii moderne în Ţara Silvaniei (secolele XVII–XIX). Cărţi şi proprietari (Dimensions de la culture moderne en Pays de Silvania, XVIIe et XIXe siècles. Livres et propriétaires), (Cluj-Napoca : Editura Mega, Zalău: Editura Porolissum, 2010) : 320-331. 46 Voir l’annexe no 44a, à OROS, Ioan Maria, Idem : 468-470. La table a été élaborée sur la base des travaux consacrés au mouvement de l’ancien livre roumaine de la Transylvanie du Nord et de l’Ouest et du Banat, avec des prix trouvés pour des livres dans les éditions semblables à celles possédés par l’une des deux paroisses prises comme exemple. 392 IOAN MARIA OROS car il semble que, après la casuistique des notes olographes, il y avait, ultérieure, une revente de l’ouvrage et, du même façon, des années, des lancers « formels » de vente, occasion de renouveler le contrat, mais en même temps, et une source importante de « l’autofinancement » de cette église, questions « matérialiste » d’un phénomène pratiquement « économique » et qui, finalement, n’appartient pas à la dimension de cérémonie de la « foire du livre ». Ainsi, en tenant compte de tous ces conditionnements du calcul, précisés ci-dessus, il en résulte que la valeur totale du trésor du livre de la paroisse de Sudurău, par exemple, à partir d’environ 42 à 86 florins, qui se trouve dans la visitation canonique de 1776, dans 1857, s’élève à quelque part entre 145–220 florins. Si dans la conscription de 1760–1762, le village Sudurău figure avec un prêtre orthodoxe, suivi de 60 familles orthodoxes, une église orthodoxe et trois « domus parochiale », après le recensement de 1857, même localité avait déjà une population de 562 habitants, depuis de la confession uniate 293, 226 réformés, 28 catholique romaine et juive 18. Dans le prochain recensement de 1880, avaient une population de 549 habitants dont : par la confession, 261 grecs catholiques, 244 réformés et 18 catholiques et 26 juives ; par nationalité : 248 roumains, 285 hongrois et 16 avec « langue maternelle inconnue ». Selon le schématisme de Gherla (1867), la paroisse grecque-catholique d’ici, avait l’église en pierre, maison de paroisse de bois, pas une « maison » d’école, avec un « chantre d’église et maître d’école » à 24 élèves. Le recensement de 1880 c’est qui indique que, en tout, la population il y avait 220 alphabétisés. Malheureusement, toutes ces sources ne fournissent pas l’information économique et sociale partagée sur les confessions, pour pouvoir approfondir l’analyse sur l’effort matériel communautaire en retroussant son trésor de livre liturgique, comme l’effet de la relation livre – propriété dans un régime symbolique.

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L’idée que la langue française a joué un rôle de premier ordre dans ce qu’on appelle la « modernisation » de la culture et de la société roumaine est devenue depuis longtemps un topos historiographique, dont le contenu n’est plus jamais sérieusement questionné, tant il tient à l’évidence. Cela n’a pas été toujours le cas, toutefois, et certainement pas pour tout le monde. Ce n’est que notre regard d’aujourd’hui, forcément rétrospectif et fort redevable aux conséquences des processus historiques du XIXe siècle, qui le voit ainsi, car pour les acteurs mêmes de la « modernisation » les choses apparaissaient parfois dans une autre lumière. C’est bien le cas qui nous occupe ici et dont le retentissement a été bien considérable à son époque, alors que peu de livres d’histoire se donnent encore la peine de lui consacrer quelque attention que ce soit. Par une lettre du 16 août 1847, le consul français à Iaşi, Duclos informait son ministre Guizot : Jusqu’à présent, dit-il, l’instruction publique était nulle dans ce pays. Il y avait bien à Iassy un établissement semblable à nos collèges de France, où l’on devait enseigner, en outre, les hautes sciences et qu’on décorait du nom pompeux d’Académie. Mais il n’existait que la charpente de l’édifice, c’est-à-dire des administrateurs, des professeurs, salariés à grands frais. Point d’élèves, parce qu’on avait oublié la base, ou création d’écoles préparatoires pour former des sujets capables de suivre les cours de cet enseignement.1 1 Documente privitoare la istoria românilor. Vol. 18. Corespondenţă diplomatică şi rapoarte consulare franceze (1847–1851) (Documents concernant l’histoire des Roumains. Vol. 18. Correspondance diplomatique et rapports consulaires français, 1847– 1851). Documents recueillis par Eudoxiu de Hurmuzaki et publiés par Nerva Hodoş, Bucarest, 1916 (cité désormais Hurmuzaki 18), p. 25. Paradoxes des langues. Des usages du français... 397

Le prince Mihail Sturdza avait identifié le problème et réagi en conséquence, mais, le gouvernement n’étant pas en mesure de satisfaire avec ses propres ressources à la reconstruction de l’édifice, a proposé à un français, chef d’institution, de transformer son pensionnat en collège national, et lui en a abandonné la direction, presque sans contrôle. La langue française est l’instrument par lequel toutes les connaissances sont communiquées aux élèves. De la marche ascendante des études naîtra la nécessité de créer des facultés pour lesquelles on fera venir des professeurs de France. C’est ainsi que la Moldavie se met, chaque jour davantage, sous l’action intellectuelle et civilisatrice de notre nation.2 Le français en question s’appelait Malgouverné et avait été « chef d’études au collège de Lunéville », quelqu’un de « très capable, le seul capable ici de faire réussir le nouveau plan d’éducation ». Le choix du prince, n’était pas fait au hasard : Malgouverné venait d’une institution que Sturdza connaissait fort bien pour y avoir fait lui-même ses études, vu que la petite ville lorraine était suffisamment loin de Paris pour qu’elle garde une rigueur des mœurs à même de plaire à sa famille de magnats et surtout à ses protecteurs russes. Le choix ne fut manifestement pas apprécié par tout le monde en Moldavie et Duclos s’en fait témoin : « il (Malgouverné) a contre lui tous ceux qui profitaient des anciens abus. Ils ne négligent aucun moyen de le renverser. Pourra-t-il leur résister longtemps ? »3. La question n’était pas rhétorique. Guizot l’apprit lui-même d’une lettre que le nouveau consul Guéroult lui adressait, le 14 février 1848. L’enseignement secondaire – écrit le consul – destiné ici, comme en France, aux enfants des familles aisées, a subi en Moldavie l’épreuve de plusieurs systèmes. On avait d’abord essayé de lui donner, pour base, la langue nationale, mais l’imperfection de cet idiome et le défaut de livres élémentaires (c’est nous qui soulignons) a bientôt fait sentir la nécessité d’entrer dans une autre voie. Depuis 1846 (sic !), la langue française est devenue la langue de l’enseignement ; des professeurs français ont été appelés et on s’est efforcé d’organiser les études à peu près sur le même pied qu’en France, sauf l’étude de l’allemand, qui occupe ici une place considérable. Des résultats décisifs ont donné gain de cause à ce système, mais bientôt des difficultés d’un autre genre se sont fait sentir. Il s’est manifesté parmi les professeurs de l’établissement une certaine

2 Ibidem, p. 26. 3 Ibidem. 398 RADU G. PĂUN

divergence de vues et d’opinions sur la direction à donner aux études, sans que le gouvernement pût s’entourer de lumières suffisantes pour prononcer entre eux en connaissance de cause.4 C’est chez le consul de France que le gouvernement à cherché ces lumières, une bonne occasion pour Guéroult d’assurer le pouvoir moldave de sa complète disponibilité, car, écrit-il ensuite : ce qu’il avait de mieux à faire état de venir de Paris une personne d’une expérience et d’une aptitude prouvée par une suffisante pratique de l’enseignement, qui pût prendre en main la direction de l’Académie moldave ; absorber, par une compétence et des titres notoires, les rivalités qui ont pu se produire, prêter au gouvernement du Prince le secours de ses lumières, se mettre en qualité de recteur ou de proviseur, à la tête de l’établissement et l’organiser sur des bases fortes et sérieuses.5 L’affaire n’était pas simple, car il fallait obtenir l’accord de la Russie, puissance protectrice des Principautés. Au grand – et naïf – étonnement de Guéroult, qui fit d’ailleurs l’intermédiaire, le consul de Russie, « loin d’y apporter obstacle, proposa d’écrire à ce sujet au chargé d’affaires de S M l’Empereur à Paris ». Ce qui fut tout de suite fait, en sorte que la légation russe de Paris se chargea d’engager « au nom du gouvernement moldave » (Nota bene !) un fonctionnaire de l’Université de France. Le prince, quant à lui, sollicita le consul pour qu’il intervienne auprès de Guizot « pour faciliter les recherches du chargé d’affaires de Russie et pour lui désigner, au besoin, la personne qui lui paraîtrait offrir la réunion de qualités désirables pour un succès d’une mission aussi honorable que délicate ». Les avantages en étaient sur mesure, et le consul lui-même en fut séduit : Pour moi, Monsieur le Ministre, en concourant au développement d’une pensée bienfaisante, en rattachant directement à l’action de la France le progrès de la civilisation toute française qui se développe ici spontanément, en promettant à cette œuvre utile le bienveillant appui du gouvernement du Roi, j’ai cru entrer dans ses intentions et j’ose espérer que Votre Excellence ne me désavouera pas.6

4 Ibidem, p. 48. 5 Hurmuzaki 18, pp. 48-49. 6 L’offre n’était pas à négliger, car le prince s’engageait de faire à la personne « une position tout à fait honorable » qui comptait, parmi d’autres avantages, « un traitement de dix mille francs, avec une pension de retraite », en lui accordant, bien sûr, « la haute main sur toutes les questions relatives à l’enseignement et la faculté de traiter directement avec Paradoxes des langues. Des usages du français... 399

Presque en même temps, le prince de Valachie, Gheorghe Bibescu, possédant lui-même un doctorat en droit à Paris, avait institué « à Bucarest un Lycée, dont l’organisation et le plan d’études sont calqués, aussi exactement que possible, sur le modèle de nos collèges Royaux », comme l’écrivait le consul de Nion à Guizot, le 9 octobre 1847. Là aussi, le succès de l’entreprise dépendait – et largement – du choix des personnes, et le prince s’était consacré depuis des mois à chercher en France « un personnage universitaire qui possédât et qui voulut consacrer à la direction du nouveau lycée valaque, les talents et l’aptitude spéciale qu’exige une semblable mission »7. La première cible en fut Perrot, professeur d’histoire au Collège Louis le Grand, tandis que deux autres, Varaigues et Huvard, devaient venir du Collège Rollin.8 Le prince demandait à cette fin le support de Guizot et du Ministère français de l’Instruction, tout en sachant que la plupart des intéressés potentiels étaient bloqués par « la crainte de perdre, en acceptant ces offres, la position et les droits qu’ils ont acquis dans l’Université de France »9. L’affaire des collèges français se déroulait dans un contexte fort tendu. Le 1er mars 1847, Panayotis Codrika informait Guizot : « Plusieurs journaux ont annoncé que le gouvernement moldave a proposé à l’Assemblée générale une loi qui déclare déchu de ses droits civils et politiques tout sujet moldave qui fera son éducation en France ». Pourtant, « aucune proposition de ce genre n’a encore été portée à l’Assemblée », alors que celle-ci était en train de délibérer sur l’organisation d’un système d’instruction publique dont quelques dispositions, notamment l’ouverture des cours d’un degré supérieur, pour lesquels on ferait venir des professeurs de l’étranger, jointes à l’offre faite par le gouvernement russe, de plusieurs places gratuites dans l’école de cadets en faveur des jeunes moldaves, sont regardées comme le commencement d’exécution d’un plan, ayant réellement pour but de détourner les familles aisées d’envoyer leurs enfants compléter leur éducation dans nos écoles.10 Ce bruit répondait à une réalité bien précise, vu qu’en janvier 1847 la Russie avait effectivement proposé « que les jeunes gens natifs des Principautés soient admis à suivre les cours de droit professés à la faculté lui-même de toutes les affaires du service », Ibidem, p. 49. 7 Ibidem, p. 35. 8 Vasile A. URECHIA, Istoria şcoalelor de la 1800–1864 (Histoire des écoles de 1800 à 1864), II, Bucarest, 1893, pp. 332-333 ; Nicolae IORGA, Istoria învăţământului românesc (Histoire de l’enseignement en Roumanie), Bucarest, 1928, p. 267-268. 9 Hurmuzaki 18, p. 35. 10 Ibidem, p. 5. 400 RADU G. PĂUN

Impériale de St. Pétersbourg », « pourvu qu’ils soient nobles, porteurs de certificats de bonne conduite » et « en état d’acquitter les frais d’étude, qui seront entièrement à leur charge »11. La réaction à Iaşi a été plutôt modérée, assurait le consul, le gouvernement se bornant « à insérer cette notification dans le journal officiel, en y joignant quelques expressions de reconnaissance pour le nouveau bienfait de la Cour protectrice ». Mais le prince Sturdza a su pourtant saisir l’occasion pour inviter le Conseil de l’Instruction publique à désigner les pays où conviendrait le mieux d’envoyer les jeunes gens élevés aux frais de l’État. Le prince Sturdza avait indiqué d’avance l’Autriche, la Prusse et la Russie et son choix a été sanctionné, non toutefois sans quelque hésitations.12 Dans ces conditions, le consul croyait comprendre « le but réel de ces mesures », à savoir une « manifestation indirecte mais significative » de la part de la Russie du déplaisir avec lequel cette puissance envisage le penchant qui entraîne la jeunesse Moldo-Valaque vers la langue, la littérature et les idées françaises. C’est un avertissement comminatoire, ajoute-t-il, pour les familles qui osent encore, après tant d’insinuations officieuses, confier à notre Université l’éducation de leurs enfants. C’est le présage de l’essai d’une interdiction plus formelle, qui s’exercerait en fermant l’accès des emplois publics aux fils des boyards élevés dans nos écoles, sous prétexte qu’ils ne peuvent en rapporter que des tendances contraires au maintien de l’ordre dans les Principautés.13 Des mesures s’imposaient, et vite, pour « contrebalancer des efforts évidemment destinés à détruire un des rares moyens d’influence que nous possédions dans ces contrées ».14 L’affaire était pourtant bien délicate et tout « retentissement » devait être soigneusement évité. Et il a été évité complètement, comme le prouve la suite donnée par le gouvernement du Roi à l’affaire de la Société des étudiants roumains à Paris, dans laquelle les autorités françaises ont répondu favorablement aux demandes que les deux princes leur avaient

11 Événement communiqué à Guizot par le consul de Nion, le 25 janvier 1847, Ibidem, pp. 3-4. 12 Ibidem, p. 4. 13 Ibidem. 14 « quelques marques de protection et d’intérêt accordées aux jeunes Moldo- Valaques qui fréquentent nos collèges et nos facultés seraient pour eux et surtout pour leurs familles un encouragement utile, sinon nécessaire », croyait le consul, Ibidem, p. 4. Paradoxes des langues. Des usages du français... 401 adressées à travers les consuls respectifs, et, malgré les efforts de Lamartine, la Société n’a jamais obtenu un certificat officiel de fonctionnement.15 On craignait, bien sûr, des buts politiques cachés derrière et surtout l’effet qu’ils auraient pu avoir, non pas à Paris, « où l’action d’un Gouvernement vigilant et fort suffira pour réprimer tout écart dangereux », mais dans les deux Principautés, ce qui aurait servi à la Russie le prétexte d’interdire formellement aux étudiants roumains d’aller à Paris, de mettre hors la loi toute manifestation et association culturelle, et, en général, d’intensifier la pression qu’elle exerçait sur le gouvernement, en ajoutant « un anneau de plus à une chaîne déjà si lourde »16. L’affaire des boursiers avait toujours posé problème, surtout dans le contexte des années 1830–1840, marquées par un engouement visible de la jeunesse roumaine pour la France et un afflux important d’étudiants désireux d’étudier à Paris, où, comme le remarquait le gouvernement valaque, il y a avait les meilleures écoles et les meilleurs professeurs, des bibliothèques

15 Sur l’histoire de cette société, voir surtout Vasile MACIU, « un centre révolutionnaire : la Société des étudiants roumains de Paris (1845–1848) », dans son recueil, Mouvements nationaux et sociaux roumains au XIXe siècle, Bucarest, 1971, p. 41- 70 (Ière publication dans Nouvelles Études d’Histoire, III, 1965) ; Cornelia BODEA, Lupta românilor pentru unitate naţională 1834–1849 (Le combat des Roumains pour l’unité nationale, 1834–1849), Bucarest, 1967, p. 78-94. 16 Le consul de Nion reproduit ici les mots du prince Gheorghe Bibescu lui-même : « Qu’arrivera-t-il alors ? Une mesure préméditée de longue main dans les conseils de la Russie, l’injonction formelle d’interdire à la jeunesse Moldo-Valaque la fréquentation des écoles françaises, pèsera sur notre faiblesse de tout son poids d’une expérience déjà consommée. La résistance – ajoute le prince – nous deviendra de plus en plus difficile, sinon impossible, et les travaux de l’association, ainsi que les sacrifices des associés de bonne foi aboutiront en fin de compte à un résultat diamétralement contraire au but qu’ils se proposent aujourd’hui », lettre à Guizot, le 16 septembre 1847, Hurmuzaki 18, pp. 31-32. Le prince craignait – et à juste titre – que des « clubs politiques » puissent voir le jour à Bucarest et provoquer des désordres ou même des conspirations comme il était déjà advenu auparavant, cf. Dan BERINDEI, « Préludes de la révolution roumaine de 1848. Les sociétés sécrètes », Revue Roumaine d’Histoire, XVII, 4, 1978, pp. 427-445 ; IDEM, « Revoluţionarii de la 1848 şi mişcarea democratică şi socialistă din Europa » (Les révolutionnaires de 1848 et le mouvement démocratique et socialiste européen), Revista de Istorie, 28, 9, 1975, pp. 1387-1399 ; BODEA, Lupta românilor, passim. Le tout puissant ministre du tzar, Nesselrode, avait d’ailleurs averti Bibescu le lendemain de son élection de surveiller « les tendances libérales et subversives de cette jeunesse Valaque élevée dans les Pays étrangers », rapport de Billecocq à Guizot, le 25 février 1843, Hurmuzaki 18, p. 937. Ce fut précisément dans le même sens que le prince présentait les choses à Kisseleff, en août 1847, cf. Prince G. Bibesco, Roumanie 1829–1859. Le règne de Georges Bibesco, I, Paris, 1893, pp. 310-314. 402 RADU G. PĂUN et des musées de renommée qui donnaient le ton partout en Europe.17 En revanche, la capitale de la France était aussi riche en tentations qui menaçaient le caractère des jeunes laissés s’y débrouiller « sans guide ni boussole ». Les pères fondateurs de l’enseignement national avaient exprimée, eux- aussi, cette crainte, en saisissant la concurrence que les hautes écoles de France faisaient à l’enseignement autochtone à peine naissant, d’un côté, et l’attitude que les jeunes juste rentrés de Paris manifestaient à l’égard de la génération de leurs parents18. Ils avertissaient donc les jeunes de se tenir à l’écart de la contagion avec les idées qui « dès nos jours menacent les âmes et le système politique »19. Le prince Mihail Sturdza en avait donné son propre exemple, en envoyant ses fils, accompagné du sobre précepteur Lincourt et du jeune Mihail Kogălniceanu, à Lunéville, chez son ancien maître, l’abbé Lhommé, et ensuite, craignant l’« anarchie » qui, selon lui et surtout selon ses protecteurs russes, menaçait la France, à Berlin. Pour sa part, le gouvernement valaque avait nommé à Paris un « correspondant » possédant « une instruction solide et un caractère honnête », qui devait surveiller de près « tous les pas des jeunes qui sont envoyés là pour études », et aussi « acheter des livres et du matériel didactique pour les élèves et trouver des professeurs capables pour les proposer en Valachie »20. Ce rapide survol des événements met en évidence deux tendances apparemment contradictoires : d’un côté, un intérêt et une attraction, réels, des jeunes valaques et moldaves pour faire leurs études en France et pour 17 URECHIA, Istoria şcoalelor, II, pp. 236-237. 18 IORGA, Istoria învăţământului, pp. 232-236 et suiv. 19 L’auteur de cet avertissement, Petrache Poenaru avait fait lui même des études à Paris, Ibidem, pp. 234 ; 270-271. 20 URECHIA, Istoria şcoalelor, II, pp. 236-237. Le personnage en question était Nicolas S. Piccolos (1792–1865), ancien professeur à l’Académie grecque de Bucarest et aux écoles supérieures de Chios et Corfou et diplômé en médicine en Italie. Piccolos avait aussi fonctionné comme médecin du général Kisseleff et chef de la censure entre 1837– 1840, cf. E.G. PROTOPSALTIS, « ho Nikolaos Piccolos kai to ergon tou » (Nicolas Piccolos et son œuvre) », Athinā, 68, 1965, p. 80-115. Piccolos a aussi agi au nom du gouvernement moldave, cf. Nicolae ISAR, « N. Piccolo – correspondant à Paris de la Curatelle des écoles publiques de Moldavie (1840–1844) », Revue des Études Sud-Est Européennes, XII, 2, 1974, pp. 235-244, et les études réunies dans le volume Dr. Nicolas S. Piccolos : études et documents inédits publiés à l’occasion du centenaire de sa mort (1865–1965)(en bulgare), Sofia, 1968. Le prince accepta la proposition et partagea le souci manifesté par l’Épitropie « pour conseiller les jeunes gens », mais aussi pour tenir au courant le pays avec les grandes découvertes qui se font chaque jour à Paris, sans oublier de rappeler que les Moldaves, eux, l’avaient déjà fait, ce dont témoigne la qualité de la bibliothèque de leur école et du cabinet des arts et métiers, URECHIA, Istoria şcoalelor, II, p. 238. Paradoxes des langues. Des usages du français... 403 la langue française en général, d’un autre côté, une réserve considérable des deux gouvernements respectifs, et surtout de la Russie protectrice, par rapport à ce phénomène, réserve qui était d’ailleurs partagée par une certaine partie, qu’on qualifie d’habitude comme conservatrice, de l’élite politique locale. A ces deux tendances en conflit, s’ajoutent les tentatives des mêmes acteurs (les deux gouvernements, épaulés par la Russie) d’imposer la langue française comme langue de l’enseignement supérieur dans les Principautés, tentatives qui devaient répondre à une situation immédiate – l’intérêt pour la culture française – mais dont la dimension politique était aussi évidente, à savoir de former les jeunes moldaves en langue française, certes, mais chez eux. Face à tout cela, l’attitude des autorités françaises s’est avérée bien oscillante, rendant compte de la position que la monarchie de juillet avait adoptée dans la « Question orientale »21. L’affaire venait en fait de loin. Le système d’enseignement publique que Duclos appréciait comme « nul » avait été organisé sur des bases nouvelles et en langue nationale en 1834, par les Règlements dits « Organiques », élaborés et promulgués sous la directe tutelle de la Russie, Cour protectrice, et avec la participation de la classe politique locale22. Ce fut

21 Preuve en est la lettre du consul de France à Bucarest, Billecocq (connu pour ses sympathies pro-russes) par laquelle il proposait à Guizot de prendre des mesures fermes contre certains étudiants roumains en France qui, apprécia-t-il, « sont loin de protéger les droits de nos nationaux », surtout par le fait qu’ils avaient l’habitude de contracter des dettes sans jamais les payer, ce qui d’ailleurs compliquait la vie du consul lui-même, vu qu’il était chargé d’obtenir réparation de la part du gouvernement local. Profondément contrarié, Billecocq y livre un portrait saisissant de ce « sujets de la Porte ottomane » (appréciation légalement fausse), ces « rayas » qui « s’habillent à la manière des occidentaux, ils en usurpent parfois les titres nobiliaires, en outrent toujours les manières et l’élégance et quand, de retour en leur pays, il s’agit de faire honneur à leurs engagements, ils se retranchent derrière l’esprit des capitulations ». La solution ne pouvait être qu’une, à son sens, à savoir : « de ne leur délivrer leurs passe-ports que par la voie de journaux, ils ont annoncé l’intention de revenir dans leur pays ; c’est ainsi que dans plusieurs capitales de l’Europe, et notamment à Pétersbourg, on agit à l’égard de tous les étrangers ». Un bel exemple à suivre…, cf. Documente privitoare la istoria românilor. Vol. 17. Corespondenţă diplomatică şi rapoarte consulare franceze (1825–1846) (Documents concernant l’histoire des Roumains. Vol. 17. Correspondance diplomatique et rapports consulaires français, 1825–1846). Documents recueillis par Eudoxiu de Hurmuzaki et publiés par Nerva Hodoş, Bucarest, 1913, pp. 1061-1062 (lettre du 19 juillet 1845). 22 Sur l’élaboration et la mise en vigueur du Règlement voir Ioan C. FILITTI, Principatele Române de la 1828 la 1834 : Ocupaţia rusească şi Regulamentul Organic, Bucarest, 1934 (version française : Les Principautés roumaines sous l’occupation russe, 1828–1834). Le Règlement organique (étude de droit public et d’histoire diplomatique), thèse de doctorat, Paris, 1904. 404 RADU G. PĂUN ce même acte qui permit la réorganisation des institutions d’enseignement supérieur qui devaient remplacer les anciennes Académies grecques des deux capitales : le Collège Sf. Sava à Bucarest et l’Académie qui allait s’appeler « Mihăileană », selon le nom du prince Mihail Sturdza, à Iaşi. Les responsables de ce grand projet furent trouvés dans les personnes de Petrache Poenaru (1799–1875), en Valachie, et Gheorghe Asachi (1788– 1869), en Moldavie, tous les deux de la génération des boursiers à l’étranger des premières décennies du XIXe siècle23. Poenaru avait fait ses études à Paris, tandis qu’Asachi s’est illustré comme un fervent admirateur de la culture italienne qu’il avait connue lors de ses séjours d’études à Rome (1806–1812). Ils partageaient ce devoir et toutes les responsabilités qui en découlaient – et il y en avait légion – avec plusieurs institutions, dont la plupart des membres étaient nommés par le gouvernement, ce qui voulait dire, surtout dans le cas moldave, par le prince en personne24. L’enjeu restait considérable et l’entreprise fort délicate dans des pays se trouvant sous la double tutelle politique de la Porte ottomane et de la 23 Des informations générales sur ces deux personnages sont à trouver dans Dicţionarul literaturii române de la origini până la 1900 (Dictionnaire de la littérature roumaine des origines à 1900), Bucarest, 1979, pp. 55-60, respectivement pp. 684-685 (avec une bibliographie pratiquement exhaustive mais qui s’arrête au niveau des années 1977–1978). Voir aussi George POTRA, Petrache Poenaru ctitor al învăţământului în ţara noastră, 1799–1875 (Petrache Poenaru, fondateur de l’enseignement de notre pays, 1799–1875), Bucarest, 1963 ; Eugen LOVINESCU, Gheorghe Asachi. Viaţa şi opera lui (Gheorghe Asachi. Sa vie et son œuvre), Bucarest, 1921 ; N.C. ENESCU, Gheorghe Asachi – organizatorul şcolilor naţionale din Moldova (Gheorghe Asachi – l’organisateur des écoles nationales en Moldavie), Bucarest, 1962 ; Marin AIFTINCĂI, Alexandru HUSAR (coord.), Gheorghe Asachi. Studii (Gheorghe Asachi. Recueil d’articles), Bucarest, 1992. 24 Sur l’organisation de l’enseignement en Valachie et en Moldavie, voir surtout IORGA, Istoria învăţământului, p. 240 et suiv. ; Gheorghe PÎRNUŢĂ, Istoria învaţământului şi gândirea pedagogică din Ţara Românească (sec. XVI–XIX) (L’histoire de l’enseignement et la pensée pédagogique en Valachie, XVIe–XIXe siècles), Bucarest, 1971 ; Istoria învăţământului din România. Vol. II (1821–1918) (L’histoire de l’enseignement en Roumanie. Vol. II. 1821–1918), Bucarest, 1993. Sur le Collège St. Sava, voir Nicolae ISAR, Şcoala naţională de la Sf. Sava şi spiritul epocii (1818–1859) (L’École nationale de Sf. Sava et l’esprit de l’époque, 1818–1859), Bucarest, 1994. Pour une image d’ensemble de l’organisation de l’enseignement en Moldavie, voir Gabriel BĂDĂRĂU, « Organizarea şi conţinutul învăţământului public în Moldova între anii 1832–1848 » (L’organisation et le contenu de l’enseignement public en Moldavie entre 1832 et 1848), Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie « A.D. Xenopol » Iaşi, XVII, 1980, pp. 345- 361 ; XVIII, 1981, pp. 211-231 ; XIX, 1982, pp. 375-393 ; IDEM, Academia Mihăileană (1835–1848). Menirea patriotică a unei instituţii de învăţământ (L’Académie Mihăileană (1835–1848). La mission patriotique d’une institution d’enseignement), Iaşi, 1987. Paradoxes des langues. Des usages du français... 405

Russie, qui fit constamment ressentie sa présence à travers l’action parfois brutale des consuls25. D’un autre côté, le système politique institué par les Règlements entravait au développement d’un enseignement public au sens moderne du terme. Il était bien évident, et théoriquement accepté par tout le monde, que l’enseignement public devait préparer et produire les cadres de l’administration, elle-même en pleine expansion après 1834. En pratique pourtant, l’accès aux fonctions publiques n’était possible que pour les détenteurs des titres de noblesse, et réciproquement, ces titres mêmes pouvaient être obtenus grâce à l’instruction et, bien sûr, aux services rendus à l’État, ce qui constituait en fait une des contradictions structurantes du système et laissait une large marge de manœuvre au chef de l’État. En Moldavie, Mihail Sturdza n’était pas l’homme à ne pas en profiter. En 1835 déjà, il accorda le rectorat de « son » Académie à un français, Maisonabe, qui détenait en outre les chaires de littérature française et de droit privé et public universel, et tenait ses cours respectifs en français, car la matière, argumentait l’Épitropie des Écoles sous l’inspiration du prince, était encore nouvelle en Europe et toute la bibliographie était en français26. Ce fut sur ces bases que deux anciens professeurs français ayant déjà fonctionné en Valachie arrivèrent en Moldavie et, sous la haute protection du prince, proposèrent un projet qui devait généraliser le français à tout le cursus de l’Académie27. Cette décision suscita les protestations d’Asachi et de certains autres partisans de la langue roumaine et entama une polémique qui devait durer quelques 13 ans. Si on regarde les arguments mobilisés dans cette polémique on saisit les points centraux qui structurent l’entière affaire, mais on se rend 25 Sur le contexte politique et l’influence des consuls, surtout russes, voir Ioan C. FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, 1834–1848 (Les règnes des Principautés Roumaines sous le Règlement organique), Bucarest, 1915 ; Radu R.N. FLORESCU, The struggle against Russia in the Romanian Principalities, 1821–1854, Munich, 1962 ; Apostol STAN, Protectoratul Rusiei asupra Principatelor Române 1774–1856. Între dominaţie absolută şi anexiune (Le protectorat de la Russie sur les Principautés Roumaines, 1774–1856. Entre domination absolue et annexion), Bucarest, 1999 ; et notre article « Les épreuves de la triple majesté. Discours et pratiques du pouvoir au premier XIXe siècle roumain ». Dans : Tassos ANASTASSIADIS, Nathalie CLAYER, Kostantinos KOSTIS (éds.), Society and Politics in Southeastern Europe during the 19th century (Actes du colloque international, Corfou, les 2–3 octobre, 2009), Athènes, Alpha Bank Historical Archives, 2011 (sous presse). 26 URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 379. 27 Ibidem, p. 247. Le consulat russe ne goûta pas le projet et arrivera finalement à écarter Maisonabe. La réaction des parents (surtout de grands boyards), s’avère intéressante, car la plupart s’empressèrent de retirer leurs enfants de l’école « roumaine », IORGA, Istoria învăţământului, p. 248. 406 RADU G. PĂUN

également compte dans quelle mesure les consuls français entraient dans et s’assumaient le discours du pouvoir en place. L’un des sujets de dispute en fut effectivement le caractère de la langue roumaine et ses « aptitudes » comme langue d’enseignement. Les Règlements organiques avaient précisé que le roumain parlé par la plupart des gens qui entraient aux écoles était « erroné et manquait des règles stables et cohérentes » ; il fallait donc développer un effort constant d’instruction pour épurer la langue, l’améliorer et le fonder sur « ses bases naturelles » qui doivent être d’abord trouvées, et ensuite codifiées. Les néologismes devaient être éliminés, surtout ceux – et là le souvenir de l’époque dite « phanariote » est saisissant – qui provenaient du grec, vu à cette époque comme un facteur ayant gravement entravé au développement « naturel » de la langue roumaine28. Par contre, des néologismes « nouveaux » pouvaient être tirés des langues « bien structurés » et surtout du français, « qui s’approche du latin, la mère naturelle du roumain »29. Deux ans plus tard (1836), Sturdza reprit l’idée centrale des Règlements, à savoir que la langue roumaine ne possédait pas encore les richesses des langues cultivées, ni dans des œuvres originales ni dans des traductions de bonne qualité, mais proposa une solution radicalement différente : selon lui, il fallait faire appel au français, qui est répandu partout et possède le plus grand nombre d’œuvres originales, ainsi que des traductions de haute qualité des autres langues, ce qui facilitaient la traduction en roumain par l’entremise du français30. Le niveau de compétence des professeurs autochtones était aussi interrogé (ou, pour mieux dire, mis en question), le prince ne cachant aucun moment sa préférence pour des enseignants étrangers. Ce sont des arguments que Sturdza n’a cessé d’invoquer dans les disputes qui l’opposèrent aux défenseurs de l’enseignement supérieur en roumain en 1843, 1845 et surtout en 1847–1848. Il faut bien dire que le manque d’une littérature roumaine digne de ce nom était une évidence en 1836 et que la situation ne changea pas fondamentalement au cours des années suivantes31. Lié à cela, le manque 28 Vlad GEORGESCU, Istoria ideilor politice româneşti (1369–1878) (Histoire des idées politiques roumaines), Munich, 1987, p. 237. Les plaintes sans cesse répétées des professeurs de grec – et de russe d’ailleurs – qui manquaient toujours d’élèves en disent long sur cet aspect, cf. URECHIA, Istoria şcoalelor, II, Bucarest, 1893, pp. 113 et 161 ; FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, p. 599. 29 FILITTI, Principatele Române, pp. 355, 358. 30 URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 326, adresse du 2 novembre 1836. 31 Pour l’histoire de la littérature roumaine à cette époque, on se rapportera au livre essentiel de Paul CORNEA, Originile romantismului românesc. Spiritul public, mişcarea Paradoxes des langues. Des usages du français... 407 de livres et surtout de livres didactiques était aussi une réalité, alors que les institutions responsables s’efforçaient constamment d’améliorer la situation32. Quant au livre scolaire, la situation s’avérait tout aussi précaire, alors que les bonnes initiatives n’en manquaient pas. En 1837, par exemple, l’Épitropie des Ecoles prevoyait l’obligation des boursiers de l’État ayant absolvi leurs études de traduire et publier un livre dont le titre devait être décidé par le Comité académique ; les professeurs de l’Académie furent également incités dans cette direction33. En 1846, la décision a été prise, toujours comme réponse aux pressions du gouvernement, d’instituer une typographie des écoles pour imprimer des livres scolaires à des prix décents, afin que tous les élèves puissent se les permettre34. Le problème des professeurs bien formés en roumain était également accru. Aux doutes et critiques que le prince Sturdza exprima à plusieurs reprises à ce sujet, le comité académique et Asachi lui-même répondirent en mettant sur la table les diplômes obtenus en Russie et en Autriche et les livres que le corps enseignant de l’Académie avait publiés, ainsi que les bons résultats des examens de fin d’année.35 La polémique ne pouvait pourtant pas s’arrêter là, car l’enjeu en était beaucoup plus important que l’orgueil professionnel des enseignants ou celui – encore plus grand – du prince régnant. On le comprend bien en lisant la proposition faite en 1845 par les partisans du français, le prince en tête : au lieu d’envoyer des jeunes à l’étranger pour les former comme professeurs, mieux valait, considéraient-ils, de solliciter à certains gouvernements étrangers (surtout ceux de France et de Prusse) d’envoyer en Moldavie des bons professeurs pour former les jeunes moldaves « sous les yeux du gouvernement »36. C’était donc toujours la ideilor şi literatura între 1780–1840 (Les origines du Romantisme roumain. L’esprit public, le mouvement des idées et la littérature entre 1780 et 1840), Bucarest, 1972. 32 Au niveau général, pendant la décennie 1831–1840 on compte 620 livres imprimés en roumain, par rapport aux 473 titres publiés durant la décennie précédente. L’intervalle 1841–1850 vit cette production augmenter et toucher à presque 800 titres, cf. Mircea TOMESCU, Istoria cărţii româneşti de la începuturi până la 1918 (L’histoire du livre roumain des origines à 1918), Bucarest, 1968. 33 URECHIA, Istoria şcoalelor, I, p. 362. En mai 1837, un premier projet d’envergure a été initié par la même institution, à savoir la traduction de L’abrégé du dictionnaire de l’Académie française, par Petrache Poenaru, Simion Marcovici, I. Popp, G. Ioanide et Florian Aaron, Ibidem, p. 390 et suiv. 34 Ibidem, II, p. 283. 35 Ibidem, pp. 327-328. 36 Ibidem, II, p. 282. Une tradition existait déjà : au XVIIIe siècle on rencontre nombre de professeurs particuliers aux Cours princières et nobiliaires de Bucarest et de Iaşi. L’intérêt en devint encore plus grand après 1821. Ce fut la recommandation auprès du prince ou des puissants du jour qui y jouait le rôle décisif, comme le montre une lettre 408 RADU G. PĂUN politique qui dictait le cours des choses et la question de la langue y était clairement subordonnée. Le cours que la polémique concernant le statut de la langue roumaine dans l’enseignement supérieur devait prendre dans les années 1840 en témoigne. Paradoxe de l’histoire, le défenseur principal de la langue roumaine en fut Gheorghe Asachi lui-même, lui qui était connu par ailleurs comme un conservateur et surtout comme un fidèle du régime institué par les Règlements organiques d’inspiration russe. Rien d’étonnant donc qu’il fasse des Règlements (chapitre IX, § 357) la base juridique de son argumentation, y ajoutant l’autorité de l’histoire sainte : Dieu avait donné l’Écriture au peuple élu, mais ensuite le Sauveur a envoyé les Apôtres pour la répandre à chaque peuple dans sa langue. Aucune raison donc que les Roumains y fassent exception37. Aux arguments purement académiques, voire idéologiques, affirmant le caractère inséparable de la nation et de la langue nationale en tant que véhicule qui structure la nation elle-même, Asachi ajouta pourtant des arguments d’ordre pratique. L’un d’eux visait la pratique de la langue, à l’école, certes, par une fréquentation constante des sciences littéraires et des traductions, afin de contribuer à l’enrichissement du roumain. Là, il se fondait sur l’expérience des écoles pour les Roumains existantes en Autriche, et surtout en Bucovine, région d’où il provenait lui-même. L’autre aspect est bien différent et déplace la discussion sur le terrain du pouvoir et de la responsabilité que celui-ci devait assumer (et dont il se vantait tant, d’ailleurs) de former des gens capables à servir l’État. L’enseignement supérieur, donc, devait absolument se tenir en roumain, « non seulement pour faciliter l’instruction des jeunes dans la langue et culture nationales, mais aussi parce que toutes les affaires publiques se font dans cette langue, qui est – note importante – également la langue de l’Église »38. L’exemple de l’Occident latin venait y de Mihail Kogălniceanu à son père (personnage assez proche du prince Sturdza), auquel il demandait d’intervenir auprès du prince pour qu’il invite en Moldavie un jeune Français « très savant » qu’il connaissait lui-même et lui offrir un poste de professeur à l’Académie ou bien dans la maison de quelque boyard. Plus tard, le même Kogălniceanu allait recommander lui-même deux professeurs d’agronomie à Sturdza, cf. Nicolae IORGA, « Voyageurs orientaux en France », Revue Historique du Sud-Est Européen, IV, 7-9, 1927, p. 171. 37 Nous faisons référence ici à la réponse que le Comité académique donna à l’adresse du prince du 2 novembre 1836, texte signé par tous les membres du Comité, mais clairement inspiré par Asachi (le 29 novembre 1836), URECHIA, Istoria şcoalelor, I, pp. 327-331. 38 Ibidem, pp. 323-4, 328. Paradoxes des langues. Des usages du français... 409 ajouter foi : ce fut, déclare Asachi, parce que l’Occident avait renoncé au latin de bonne heure que les langues occidentales étaient devenues mieux structurées et plus riches, car elles ont été pratiquées non seulement en littérature, mais aussi en justice et en administration, et cela depuis des siècles. Or, c’est exactement pour cette même raison que le roumain se trouvait en décalage : parce qu’il n’avait pas été utilisé dans les affaires publiques, d’abord à cause du slavon et ensuite – et surtout – du grec. Ce fut le Règlement, continue Asachi, qui est venu résoudre ce problème, et il l’avait fait « dans l’intérêt de la nation »39. Or – paradoxe des paradoxes – ce fut précisément le prince, pilier du système, qui vient soutenir le contraire par son arrêté du 18 avril 1847, en affirmant formellement que le système en place ne répondait pas aux besoins de la société, car il était en gros une œuvre d’imitation et donc inadéquate à l’état du pays et aux besoins sociaux de la nation. L’exemple de la Grèce, amené en discussion par les partisans du roumain ne tenait pas debout, car le grec était une langue riche et cultivée depuis longtemps, tandis que le roumain ne se trouvait qu’au début de ce processus40. Bon connaisseur du système auquel il appartenait corps et âme, Asachi avait vite saisi l’enjeu de l’affaire, et il le déclara (presque) ouvertement dans son « exposé sur l’état des écoles depuis leur création en 1828 et jusqu’en 1843 et propositions pour améliorer leur état » (Expoziţie de starea şcoalelor de la a lor înfiinţare 1828–1843 şi socotinţa despre a lor îmbunătăţire) qu’il soumit au prince et à l’Assemblée générale du pays en mars 1845. Sans pouvoir toucher à la politique russe dans les Principautés, et au prince d’autant moins, il s’attaqua, et durement, à la jalousie avec laquelle « certaines personnes », trop attachées à leurs privilèges et trop préoccupées à en tirer des bénéfices, s’opposaient à l’institution d’un système d’enseignement public ouvert à tout le monde. C’est en cela, ajoute-t-il, que résident les graves problèmes auxquels l’enseignement moldave se confrontait et c’est là la cause de tous les maux41. Il n’était pas loin de la vérité : deux ans auparavant, le projet de réorganisation de l’enseignement initié par le consul prussien Neugebauer devait bloquer l’accès aux études supérieures des ceux qui ne provenaient pas des milieux aisés42. L’idée fut reprise par l’Assemblée

39 Ibidem, p. 331. 40 Ibidem, p. 320 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului, pp. 262-263. 41 URECHIA, Istoria şcoalelor, II, p. 282. 42 Projet revu d’une manière fort critique par Asachi lui-même et qui resta finalement sans lendemain, cf. Ibidem, pp. 249-252 ; 361 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului, pp. 256 et suiv. Le texte disait : même si la langue roumaine a été acceptée comme 410 RADU G. PĂUN générale, formée des boyards et dominée par les factions des magnats, seulement deux ans plus tard : les offices/fonctions publiques ne peuvent être confiés qu’à des personnes qui possèdent une certaine fortune, alors que le reste des citoyens doivent s’adonner au négoce, aux artisanats et métiers et à l’agriculture, car il est impossible et contre la nature qu’on accorde la même instruction à tous ; ce serait comme si on donnait la même nourriture à des espèces complètement différentes43. L’arrêté princier du 18 avril 1847 qui devait entériner la réforme de l’enseignement s’exprimait dans les mêmes termes44. Tel était en fait le but de la politique menée par Sturdza, avec le large concours et à l’inspiration de la Russie, et partiellement de la France, dont les représentants en Moldavie et en Valachie ne comprenaient pas la stratégie du prince et se laissaient flattés par l’idée que « l’action intellectuelle et civilisatrice » de la nation française n’allait que s’accroître, au bénéfice de la politique française dans la région45. En fait, le français avait fourni à Sturdza un instrument potentiellement efficace voué à conserver un système politique qu’il contrôlait d’ailleurs presque complètement. Le premier objectif de cette politique était de limiter l’accès aux hautes fonctions publiques au niveau de l’aristocratie ou, mieux dit, d’une oligarchie de privilèges, dont la dynamique était strictement contrôlée par le prince lui-même. Cela devait aussi fournir une consolation aux familles de magnats langue fondamentale de l’enseignement dans l’Académie, l’expérience a prouvé que pour faciliter la tâche des élèves (spre a înlesni elevilor mijloace de îndeletnicire) il est absolument nécessaire d’enseigner chaque jour le français ou l’allemand en sorte que chaque étudiant parvienne à les maîtriser parfaitement. Lors des débats que le projet à suscité dans l’Assemblée générale, la version Asachi, qui soutenait l’enseignement en roumain et donc neutralisait le potentiel politique du projet, ne l’a emporté qu’à deux voix près, car la plupart des grands boyards présents ont plaidé en faveur du français, FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, p. 607. 43 L’Assemblée a exprimé sa position par un arrêté rendu public sous forme de brochure : « projet pour la réorganisation de l’enseignement », URECHIA, Istoria şcoalelor, II, p. 283 et suiv. ; IORGA, Istoria învăţământului, p. 260. 44 La question de la réforme de l’enseignement, une des priorités du gouvernement, a été rouverte par le prince Sturdza le 11 février 1847, lorsqu’il soumettait à l’Assemblée générale un projet de loi qui n’était en fait qu’une version mise à jour du projet de Neugebauer. A la sollicitation expresse du prince, le texte ne devait pas être débattu, mais mis en pratique à titre provisoire et « expérimental », ce qui fut légalisé par l’arrêté du 18 avril 1847. Ce faisant, Sturdza évitait une nouvelle dispute et un éventuel nouvel échec, FILITTI, Domniile române sub Regulamentul organic, p. 613. 45 Malgouverné lui-même en étaient l’une des voix : en 1849, il cru bon de justifier sa position dans l’article « Collèges ou évolution de l’instruction publique en Moldavie », publié dans la revue didactique L’Enseignement, Ibidem, p. 614. Paradoxes des langues. Des usages du français... 411 qui se voyaient fortement concurrencées par une vraie masse d’hommes nouveaux. Consolation purement théorique, toutefois, vu que le prince n’a jamais hésité d’accorder ou même de vendre des rangs et des titres à droite et à gauche et de promouvoir à sa guise des « créatures » contre les représentants des familles de souche. Tout dévoué qu’il fût à la cause, pour laquelle il risqua d’ailleurs sa position, Asachi restait lui-même trop séduit par le mythe du bon souverain pour qu’il comprenne entièrement l’enjeu de cette politique, et lorsqu’il s’attaqua aux grands boyards, il ne fit, en fait, que de fournir au prince des nouveaux arguments dans son combat contre l’opposition. Le deuxième but en était de limiter drastiquement et même de décourager l’afflux d’étudiants vers la France, « lieu de perdition de l’âme », non pas par des mesures de main forte, qui risquaient de produire des effets contraires, mais par la constitution d’un milieu francophone d’enseignement sur place, ce qui était bien plus facile à contrôler. Le français devenait, dans ce cas, exactement l’opposé de ce qu’on le croit si souvent : à savoir, la poudre brillante avec laquelle on s’efforçait de dorer la cage46.

46 La jeunesse roumaine se trouvant en France a vivement réagi à ces mesures, cf. BODEA, Lupta românilor, pp. 91-94. Le livre grec dans les milieux balkaniques à la veille de la Révolution nationale : le témoignage des prospectus et des listes de souscripteurs

Popi Polemi

En Grèce, l’histoire du livre, comparée à d’autres branches historiques, a eu un heureux destin1. Grâce aux pionniers, dont le premier fut le Français Émile Legrand (1841–1903), suivi de Démétrios Ghinis et Valerios Mexas, d’Athanassios Hatzidimos et Georgios Ladas, la bibliographie retrospective nationale, depuis l’apparition de l’imprimerie jusqu’à 1863, a fait partie des acquis de la communauté scientifique, et elle a également bénéficié du riche apport de Constantin Dimaras et de son cercle, qui ont insisté sur l’importance des manuels bibliographiques comme instruments d’auto-connaissance nationale. Cela n’est pas peu, si l’on songe que les ouvrages fondamentaux d’infrastructure ont été réalisés soit en dehors des frontières grecques, soit, principalement, par des particuliers, et non par les opérateurs officiels habituels dans d’autres pays, par exemple la Bibliothèque nationale. Héritier de cette tradition, Philippe Iliou (1931–2004) a conçu l’histoire du livre comme histoire globale, dans le sillage de Lucien Febvre et de son maître, Robert Mandrou. Ayant grandi en des temps difficiles, dans la

1 Voir DROULIA, Loukia, « I istoria tou ellinikou vivliou : Proseggiseis kai sygchrones katefthinseis tis ellinikis erevnas » (L’histoire du livre grec : Approches et orientations contemporaines de la recherche grecque). In : The Printed Greek Book. 15th– 19th century. Acts of the International Congress, Delphi, 16–20 May 2001, Athènes 2004, p. 49-56, ainsi que le volume de titre analogue, du même auteur, qui illustre au mieux le dynamisme en la matière : I istoria tou ellinikou vivliou : Proseggiseis kai sygchrones katefthinseis tis erevnas. Vivliografia ton ellinikon ergasion (1965–2000) (L’histoire du livre grec : Approches et orientations contemporaines de la recherche. Bibliographie des travaux grecs (1965–2000), Athènes 2001. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 413 tourmente de la guerre civile grecque, ce qui lui barra l’accès aux universités de son pays, il entreprit d’allier la vision critique marxiste de l’histoire avec les conquêtes de la nouvelle histoire, telle qu’elle était cultivée en France essentiellement. Il est donc compréhensible, dans ce cadre, qu’il se soit penché sur « la participation différenciée des divers groupes sociaux aux mouvements des idées et de la culture » ; compréhensible, son intérêt pour la création de séries au troisième niveau, pour rappeler Pierre Chaunu ; compréhensible, aussi, le fait qu’il se soit occupé des tirages et du monde des souscripteurs, ce qui lui a valu son seul titre universitaire, à la VIe section de l’École Pratique des Hautes Études, en 1965, avec son étude intitulée La lecture en Grèce à l’époque des Lumières et de la révolution (1749–1832). Étude des souscriptions aux éditions en langue grecque. La première présentation publique de ses conclusions devait avoir lieu à Sofia, en 19662. Dès lors, le parcours de Philippe Iliou suivit des sentiers divers, et à elle seule, la liste des titres de ses ouvrages3 témoigne, à tout le moins, de l’ampleur des sujets qui l’ont préoccupé, dont l’histoire du livre n’est qu’une partie seulement, mais une partie qui a animé et enrichi ce champ de recherche, en Grèce et ailleurs. Demeuré jusqu’à la fin en dehors des institutions, il créa en 1986 l’Atelier Bibliologique, organisme informel alors intégré aux Archives littéraires et historiques helléniques (ELIA), pour encadrer ses nombreux projets bibliologiques. J’ai eu le bonheur de travailler avec lui dès cette époque. Nous avons œuvré ensemble, notamment, à la constitution de la bibliographie grecque du XIXe siècle et à la création de la base de données des souscripteurs des livres grecs à partir de la première liste connue, en 1749, jusqu’en 1922. Cette base, il l’a traitée, littéralement, jusqu’au dernier moment, et elle est arrivée au nombre impressionnant de 930 000 entrées, qui correspondent à environ 2 600 listes de souscripteurs. Il ne fait aucun doute que cette base est une infrastructure indispensable à l’approche historique du public lettré hellénophone, avec ses répartitions dans l’espace géographique et social, sur un horizon chronologique de deux siècles environ, et qu’elle offre de nombreux éléments utiles aux recherches biographiques, onomasiologiques et autres. Peut-être aurez-vous remarqué le terme « bibliologie » , que Philippe

2 I LIOU, Philippos, « Pour une étude quantitative du public des lecteurs à l’époque des Lumières et de la Révolution ». In : Actes du Ier Congrès des Études Balkaniques et Sud-Est Européennes, Sofia 1969, p. 475-480. 3 M[ATTHAIOU], A[nna] et P[OLEMI], P[opi], « [Philippos Iliou] Ergografia 1953–2004 » (Liste des œuvres 1953–1994), Archiotaxio, 6 (2004) : p. 11-33. 414 Popi Polemi

Iliou insistait à employer. Il traduit l’histoire du livre, qu’il a lui-même servie avec dévouement : son souci de comprendre le livre comme véhicule d’idées et comme marchandise, comme moyen de reproduction des systèmes idéologiques et comme moyen de rupture des équilibres et de renouvellement de la vie intellectuelle, au croisement de la création et de la perception ; son souci de mettre en évidence les inerties et les longues durées de pratiques et de comportements, mais aussi les ruptures et les bouleversements, ainsi que son désir de passer de l’histoire du livre et de la lecture à l’histoire des mentalités collectives et à l’histoire sociale de la culture. Tout cela est illustré dans le volumineux ouvrage dans lequel nous avons rassemblé toutes ses études bibliologiques et que nous avons publié après sa disparition, avec Anna Matthaiou et Stratis Bournazos4. Le fait que pour lui, la bibliographie n’était absolument pas un but en soi apparaît principalement dans le premier volume monumental de la Bibliographie hellénique du XIXe siècle qu’il a publié en 1998 et qui couvre les années 1801 à 18185. Par les notices analytiques de tous les imprimés de cette période, par le dépouillement des prospectus et des critiques de livres dans la presse contemporaine et par l’incorporation de toute information pertinente (prix, tirage, titres des originaux des livres traduits, etc.), il procure à son utilisateur un cadre global pour l’étude de la production et de la perception du livre, constituant ainsi un outil particulièrement efficace pour l’histoire sociale de la culture grecque. Préserver et mettre en valeur, du mieux possible, la richesse laissée en héritage était le pari évident, la réponse au défi de la mort. La première priorité a été de publier la bibliographie signaletique des livres grecs des années 1864–1900, terra incognita et revendication ancienne de la recherche historique et littéraire, publication qui fut accomplie en 20066 (le nombre de notices s’élève à 32 156, pour donner un ordre de grandeur). 4 I LIOU, Philippos, Istories tou ellinikou vivliou (Des Histoires du livre grec), dir. : MATTHAIOU, Anna, POLEMI, Popi, BOURNAZOS, Stratis, Herakleio, Éditions Universitaires de Crète, 2005. Voir aussi les contributions de Triantafyllos Sklavenitis et de Marilisa Mitsou dans le numéro spécial de la revue Historica consacré à Philippos Iliou (t. 21/41, 2004, p. 289-294 et 295-301). 5 I LIOU, Philippos, Elliniki Vivliografia tou 19ou aiona. Vivlia-Fylladia (Bibliographie hellénique du XIXe siècle. Livres-Brochures), vol. 1 (1801–1818), Athènes, Archives littéraires et historiques helléniques, 1997 [=1998]. 6 I LIOU, Philippos et POLEMI, Popi, Elliniki Vivliografia 1864–1900. Synoptiki anagrafi (Bibliographie hellénique 1864–1900. Notices signalétiques), 3 volumes, avec un volume introductif (prologue-index) de Popi Polemi, Athènes, Atelier bibliologique – Archives littéraires et historiques helléniques, 2006. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 415

La même année, l’Atelier bibliologique, rebaptisé Atelier bibliologique « Philippos Iliou » , a trouvé un toit d’accueil au musée Benaki. Là, sous ma responsabilité et avec la coopération d’Anastassia Milonopoulou et d’Eirini Rizaki, nous avons commencé par compléter et améliorer la base électronique de la bibliographie grecque du XIXe siècle. C’est ainsi que depuis le printemps 2008, on peut désormais consulter sur le site web du musée Benaki (www.benaki.gr/bibliology) le catalogue électronique qui, de ce fait, est aussi un catalogue collectif des imprimés grecs du XIXe siècle. Il contient toutes les brochures et tous les livres imprimés en grec – sauf les placards d’une ou deux feuilles et les cartes – ou, autrement dit, tous les imprimés autonomes imprimés en grec qui s’adressent à des lecteurs hellénophones. Les 45 500 notices – jusqu’à présent – sont accompagnées de l’indication des sources bibliographiques et de l’ensemble des bibliothèques grecques ou étrangères dans lesquelles ont été repérés des exemplaires de chaque imprimé (on parle ici de centaines de milliers d’exemplaires dans des centaines de bibliothèques), mais aussi de l’adresse électronique des exemplaires numérisés disponibles sur Internet, qui ne cessent de se multiplier, permettant l’accès direct aux imprimés eux- mêmes. L’utilisateur peut choisir soit la recherche libre dans l’ensemble des informations enregistrées, soit la recherche combinée, à partir de champs choisis (titre, auteur-traducteur-éditeur littéraire, lieu d’édition, date de publication, imprimeur-éditeur-libraire, source bibliographique, sujets-institutions). Elle est encadrée, entre autres, d’un index des auteurs- traducteurs-éditeurs littéraires, où la communauté des lettrés hellénophones ou connaissant le grec et s’étant adonnés à l’écriture au cours de l’ensemble du XIXe siècle est présentée pour la première fois de manière centralisée. À côté de cela, la base électronique des souscripteurs, que nous avons également améliorée et que nous continuons à travailler, sera bientôt, nous l’espérons, accessible sur Internet. Et en tout état de cause, la mise à jour constante de ces deux ensembles documentaires est l’un des objectifs de l’Atelier bibliologique « Philippos Iliou », qui ambitionne de devenir une cellule de recherche sur la culture grecque du XIXe siècle. Parallèlement, nous n’avons pas oublié le support imprimé. Ce qui est logique et normal pour des historiens du livre qui connaissent ses limites mais aussi les possibilités particulières qu’il offre à la communication et à la pensée et, enfin, à la compréhension des réalités sociales qu’il reflète : compréhension censée être l’objectif ultime de toute approche historique. Nous en sommes donc à la phase finale – celle de la rédaction des index – du deuxième volume de la Bibliographie hellénique du XIXe siècle, qui couvre en fait les années de la Guerre d’Indépendance (1819–1832). Il a suivi le 416 Popi Polemi modèle du premier volume, et les notices laissées à demi inachevées par Philippe Iliou ont été complétées autant que possible. La documentation qu’il a léguée a aussi généré le volume des prospectus qui a été publié en 20087 et qui va maintenant nous donner l’occasion de dresser un panorama du livre grec au seuil de la Révolution nationale. J’ai considéré pourtant opportun, devant un public européen de spécialistes qui, en raison du barrage de la langue, a difficilement accès aux acquis d’un paradigme particulier, de faire la brève introduction rétrospective qui précède. *** Venons-en donc aux prospectus. Je rappelle qu’il y a une dizaine d’années, Nadja Danova, Lidija Dragolova, Mitko Lachev et Roumjana Radkova avaient présenté les prospectus des livres bulgares jusqu’à 18738. Le volume dont j’ai assumé la responsabilité éditoriale, avec la coopération d’Anna Matthaiou et d’Eirini Rizaki, contient 337 textes qui ont pu être localisés, sous-ensemble seulement des prospectus ayant réellement circulé entre 1734 et 1821, année où éclate la Guerre d’Indépendance grecque et où le paysage, pour la culture livresque, et pas seulement, change radicalement. Il est à noter que nous avons l’intention de veiller à ce qu’il y ait une suite, au moins par la publication des prospectus des années de la Guerre d’Indépendance et du règne du roi Othon jusqu’en 1863, puisque la masse de matériel des décennies suivantes, qui se calcule en milliers, fait douter de la possibilité d’une publication intégrale. Il s’agit d’annonces en vue, principalement, de réunir des souscripteurs pour des publications autonomes, ainsi que de nouvelles concernant leur distribution ; d’annonces aussi concernant la circulation de journaux et de revues, en vue, à nouveau, de trouver des souscripteurs ou de renouveler les souscriptions et la distribution, ainsi que de communications concernant les quelques libraires vendant des imprimés grecs. On parle ici de livres et de revues en langue grecque, à quelques rares exceptions près d’imprimés traitant de sujets grecs dans des langues européennes, ou d’éditions de textes classiques de la littérature 7 Dia tou genous ton fotismon. Aggelies proepanastatikon entypon 1734–1821. Apo ta kataloipa tou Philippou Iliou (Pour éclairer la nation. Annonces des livres avant la Révolution grecque, 1734–1821, du fonds bibliographique Philippos Iliou), dir. : POLEMI, Popi, avec la coopération de MATTHAIOU, Anna et RIZAKI, Eirini, Athènes, Atelier Bibliologique « Philippos Iliou » – Musée Benaki, 2008. 8 Obiavleniia za balgarski vazrozhdenski izdaniia (Annonces des éditions bulgares au XIXe siècle). Dir. : DANOVA, Nadia, DRAGOLOVA, Lidiia, LACHEV, Mitko, RADKOVA, Rumiana, Sofia 1999. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 417 ancienne et médiévo-byzantine visant aussi les lecteurs grecs, ainsi que de quelques publications en italien provenant des îles Ioniennes. Tous les textes sont nés de l’intention d’individus ou de collectivités soucieux de soutenir l’édition et la circulation d’imprimés modernes s’adressant à des populations hellénophones ou connaissant le grec. Car, en tout état de cause, les prospectus, dans leur quasi-totalité, concernent l’imprimé savant et moderne, l’imprimé des Lumières, instrument d’émancipation et de liberté. Et cela, naturellement, n’a rien à voir avec l’utilisation sélective des sources, que de toute façon nous avons essayé d’utiliser aussi exhaustivement que possible, mais avec le fait que le livre traditionnel, religieux ou profane, a ses propres réseaux de diffusion et d’autres voies établies et éprouvées de promotion. Tous les textes émanent de l’un des collaborateurs des éditions projetées ou réalisées : auteur, traducteur ou éditeur, qui s’identifient également au noyau dur de l’intelligentsia des Lumières grecques : le monde de Rigas et le cercle de Coray, mais aussi ceux qui suivirent des parcours plus solitaires ou divergents : Lambanitziotis, Kommitas, Stageiritis, Pyrros, Lesvios, Kodrikas, Rousiadis, Perdikaris, Gouzelis, Phoivapollon, Philippidis, avec des divergences idéologiques latentes mais non pas imperceptibles. Enfin, tous les textes ont une fonction publicitaire, inhérente à l’imprimé, bien culturel, véhicule d’idées mais aussi marchandise. Cette fonction publicitaire se matérialise en combinaison avec tous les éléments paratextuels de l’imprimé : page de titre, préfaces et postfaces, présentations de livres et critiques de livres dans la presse, etc. De ce point de vue, ce corpus devra être examiné en commun avec tout ce contexte. Bien que, pour la plupart des prospectus, nous puissions imaginer qu’ils circulèrent de manière autonome, comme placards ou brochures de quelques pages, pour des raisons évidentes, très peu se sont conservés sous cette forme et la plupart des textes sont édités à partir de leur réimpression dans des journaux et des revues d’avant la Guerre d’Indépendance. La structure du corpus est divisée en parts quasi égales : environ un tiers des textes concernent la presse grecque elle-même, qui apparaît de manière dynamique sur le devant de la scène au cours de la dernière décennie du XVIIIe siècle et acquiert un rôle essentiel dans la présentation et la promotion de tous les imprimés grecs. Pour le reste, la présence de projets éditoriaux achevés et de projets inachevés est à peu près équivalente : 113 textes concernent des éditions ou séries qui circulèrent effectivement, contre 114 se référant à des projets non réalisés. Les responsables de ces projets avortés, c’est-à-dire des ouvrages qui n’arrivèrent pas jusqu’à l’imprimerie ou qui restèrent à mi-parcours, sont parfois les auteurs ou 418 Popi Polemi les traducteurs eux-mêmes, qui ne sont pas allés jusqu’au bout de leur travail, parfois les souscripteurs peu empressés, souvent découragés par les confrontations idéologiques très vives de la communauté des lettrés ou, enfin, la conjoncture défavorable, dont le point culminant fut la Guerre d’Indépendance qui, en toute logique, entraîna aussi ce genre de pertes collatérales. D’ailleurs, le délai qui sépare le prospectus de l’édition dans un assez grand nombre de cas témoigne des difficultés même pour ceux qui allèrent finalement jusqu’au bout : par exemple, les péripéties du dictionnaire d’Anthime Gazis débutèrent en 1800 et ne s’achevèrent que seize ans plus tard. L’écrasante majorité des prospectus (plus des deux tiers), comme aussi, d’ailleurs, des livres et des publications périodiques annoncés, a pour lieu d’origine, c’est-à-dire d’édition, Vienne, ville que Coray avait à juste titre qualifiée d’« atelier de la littérature moderne des Grecs » . Coray lui- même se demandera comment traduire en grec le mot français prospectus, hésitera entre προθεωρία (pré-théorie) et προαγγελία (pré-annonce), mais choisira finalement, pour sa Bibliothèque hellénique, le terme προκήρυξη. Les prospectus d’éditions autonomes s’identifient en fait avec la pratique de la souscription, qui chez nous connaît ses débuts en 1749 (la traduction de l’Histoire de Rollin est le deuxième livre grec à avoir circulé par souscription et le premier pour lequel nous disposons d’un prospectus imprimé), se poursuit pendant tout le XIXe siècle pour disparaître peu à peu au tournant du XXe, où les maisons d’édition modernes se consolident. Il s’agit d’une pratique bien installée en Occident9. La préinscription de souscripteurs et par conséquent les prospectus avaient fait leur première apparition en Angleterre dès la deuxième décennie du XVIIe siècle, pour gagner l’espace éditorial allemand et hollandais dans la seconde moitié du siècle et s’imposer au XVIIIe siècle, époque à laquelle ils conquièrent aussi

9 Voir, à titre indicatif, CLAPP, Sarah L.C., « the beginnings of subscription publication in the seventeenth century », Modern Philology, t. 29/2 (1931), p. 199-224 ; KORSHIN, Paul J., « types of Eighteenth-Century Literary Patronage », Eighteenth- Century Studies, t. 7/4 (1974), p. 453-473 ; KIRSOP, Wallace, « les mécanismes éditoriaux » , In: MARTIN, Henri-Jean et CHARTIER, Roger (dir.), Histoire de l’édition française, vol. II, Paris 1984, p. 31-33 ; idem, « Patronage across frontiers: subscription publishing in French in enlightenment Europe », In: BELL, Bill, BENETT, Philip, BEVAN, Jonquil (dir.), Across Boundaries. The Book in Culture and Commerce, Oak Knoll Press, 2000, p. 57-72 ; LOCKWOOD, Thomas, « Subcription-hunters and their prey », Studies in the Literary Imagination, t. 34, 2001, p. 122-135. Plus spécialement sur les prospectus, FEATHER, John P., Book Prospectuses before 1801 in the John Johnson Collection. A Catalogue with microfiches, Oxford, Bodleian Library, 1976 ; idem, English Book Prospectuses. An illustrated History, Minneapolis 1984. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 419 la France : l’exemple le plus célèbre d’édition ayant circulé de cette manière est l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751–1772). Quoi qu’il en soit, cette forme de bienfaisance éditoriale, de mécénat collectif, marque partout l’ascension des classes moyennes, le détachement de l’auteur par rapport au patronage et la démocratisation de la lecture et de la culture en général. Dans l’Orient ottoman et dans les colonies grecques en Europe, la pénurie ou l’inexistence de réseaux autonomes de circulation de livres grecs au cours des années qui nous occupent ici, ajoutées à la dispersion géographique du public potentiel et à sa distance par rapport aux centres de production du livre, principalement Venise pour le livre religieux traditionnel et Vienne pour le livre savant et moderne, font de la pratique de la souscription une solution idéale pour ce dernier. Enfants, donc, de la nécessité, les prospectus à une seule feuille ou à quelques pages, qui sont souvent imprimés avec les mêmes caractères typographiques et sur le même papier que l’édition projetée, circulent tous azimuts et par tous les moyens possibles, ou bien sont reproduits, comme nous l’avons vu, dans la presse. Ainsi cherche-t-on à susciter l’intérêt et la curiosité des récepteurs-lecteurs, afin que, ou bien, le plus souvent, ils promettent par écrit d’acheter le livre quand il sera édité, ou bien ils payent à l’avance la totalité ou une partie de son prix. Ainsi contrôle-t-on la réceptivité du public, on évite les entreprises hasardeuses, on estime de manière plus réaliste le nombre d’exemplaires qu’il convient d’imprimer et, naturellement, on s’assure autant que possible l’argent nécessaire à la publication. Les noms des souscripteurs (ils sont cités comme απποντιάτοι ou ασοτζιάτοι avant que le terme de συνδρομητές ne soit consacré) seront rassemblés dans chaque ville par les responsables mentionnés ou commissaires de la souscription. C’est également eux qui réuniront l’argent en cas de paiement à l’avance et d’habitude, le moment venu, ils sont aussi chargés de la diffusion des imprimés. Par ailleurs, les souscripteurs jouissent de certains privilèges : quoi qu’il arrive, ils payeront leur exemplaire à un prix inférieur par rapport aux autres acheteurs, ou ils acquerront un exemplaire dans un papier meilleur ou avec une meilleure reliure, ou ils recevront un exemplaire en cadeau s’ils s’inscrivent d’avance pour dix exemplaires (parfois vingt). Cette dernière possibilité, outre le mécénat, peut naturellement dissimuler aussi une intention commerciale. Contrepartie honorifique, la liste de leurs noms est d’habitude publiée dans les livres édités, consacrant de cette manière leur statut symbolique. 420 Popi Polemi

Ce procédé du prospectus-souscription, commun et inventorié en Occident et en Orient, concerne principalement les livres. L’image est différente pour ce qui est de la presse. Par les prospectus correspondants, on cherche toujours à soutenir financièrement l’édition, mais la souscription, semestrielle ou annuelle, impose des rappels successifs pour son renouvellement. La circulation dépend davantage de la poste, plutôt que des responsables locaux et, malheureusement pour les historiens, ici les listes de souscripteurs font défaut. La liste des titres des ouvrages annoncés par prospectus, comme je l’ai déjà suggéré, est tout à fait caractéristique et reflète le schéma des Lumières grecques et de sa culture livresque tel que nous le connaissons depuis les travaux de Constantin Dimaras et que Philippe Iliou l’a ensuite enrichi et diversifié. Que ce soit en vue d’une utilisation à des fins d’enseignement ou pour les besoins d’une vulgarisation de haut niveau, les nouvelles curiosités et les nouveaux besoins donnent le ton : histoire et géographie, ancienne et moderne, grecque et mondiale, philosophie et sciences – physique, chimie, mathématiques, médecine –, connaissance de l’Antiquité dans tous les domaines, de la mythologie et de l’archéologie, des éditions et des traductions des classiques anciens jusqu’à la reconstruction littéraire du monde ancien (les quatre tentatives de traduction du Voyage du jeune Anacharsis de l’abbé Barthélemy sont indicatives à cet égard), aux dictionnaires de la langue grecque et aux questions linguistiques, mais aussi les manuels et dictionnaires de langues européennes, les manuels de commerce et de marine, les manuels de bienséance, la littérature originale ou traduite. Et là où la religion domine, il s’agit principalement des pères de l’Église classiques. En tout cas, un tiers des titres finalement publiés et la moitié des projets inachevés sont des traductions, dans leur majorité depuis le français, accessoirement depuis l’allemand. Cet afflux de traductions, on essaie d’ailleurs de le rationaliser : on annonce donc son intention de réaliser une traduction, afin d’éviter le double emploi inutile et d’économiser les forces. On cherche à coordonner ainsi les énergies dans toutes les activités de ce genre : le cas des œuvres complètes de Jean Chrysostome est caractéristique, où les cercles savants de Jassi et de Constantinople se regroupent pour mener à terme ce projet de longue haleine, où Jassi recule (contraint et forcé) au profit de la Ville reine et où, finalement, l’ouvrage n’aboutit pas. Il convient de noter que même à l’aune européenne, les œuvres complètes de Jean Chrysostome étaient une charge extrêmement lourde. L’édition d’Henry Savile (Eton, 1610–1612) fut imprimée à frais d’auteur au collège, parce que les éditeurs commerciaux la refusèrent, et l’édition parisienne de Dom Bernard de Le livre grec dans les milieux balkaniques... 421

Montfaucon (1718–1738) figure parmi les premières qui circulèrent en France grâce au procédé de la souscription10. Pour ce qui est des journaux et de la presse périodique, le plus emblématique étant le Journal des frères Poulios et le Mercure Savant, ils prônent l’information rapide et correcte en une époque de changements cosmohistoriques. Des changements marqués par la Révolution française et par les guerres napoléoniennes et pour lesquels il existe une pleine conscience. Les frères Poulios écrivent en 1797, quelques mois avant d’être contraints au silence : « Quiconque a la moindre étincelle de bon sens ne saurait rester insensible devant des choses que nous prendrions pour des mythes et des rêves si elles ne s’étaient pas produites à notre époque et sous nos yeux » (p. 6). Ce « récit historique quotidien », quand il concerne les affaires nationales, on a aussi conscience qu’il sera utile aux générations futures, ou, selon les termes du Corfiote Stylianos Dorias Prosalentis (1811) : « il sera signe des efforts d’une nation qui fait tout pour secouer le joug de l’ignorance et de la superstition sous lequel elle a courbé la nuque » (p. 119). *** C’est à dessein que j’ai omis jusqu’à maintenant le titre du volume, Pour éclairer la nation (γένος), afin de commencer par là l’itinéraire dans l’arrière-pays idéologique des prospectus. Leur style succinct de programme, puisque publicitaire, avec tous les artifices rhétoriques chaque fois mobilisés pour faire passer, derrière les intentions déclarées, l’enjeu majeur, font que les prospectus se prêtent assez facilement à un inventaire des questions idéologiques cruciales. Et c’est là, surtout, que réside leur importance pour une histoire qui dépasse le livre et débouche sur la société qui produit les imprimés et les consomme. Effectivement, les changements dans les conceptions, les mentalités et les comportements sont manifestes, avec leurs déplacements minimes mais significatifs au fil du temps : utilité publique et raison, mais aussi divertissement et plaisir, bibliophilie (l’attention portée au papier et à la reliure est indicative) et nouveau bon goût, élan vers les Lumières et encyclopédisme, élan envers l’Occident et cosmopolitisme, bonheur et morale nouvelle, profane, larmes de tristesse et de joie et nouvelle sentimentalité. Tout cela reflète bien entendu l’ascension de nouveaux groupes sociaux : la connaissance de soi et la confiance en soi croissantes de la 10 Voir FEATHER, John P., English Book Prospectures, p. 26 ; KIRSOP, Wallace, « Patronage across frontiers… » , p. 59, 70. 422 Popi Polemi communauté des lettrés qui instrumentalisent les revendications des temps nouveaux et, enfin, l’autodétermination et la cristallisation de l’idéologie nationale. Je signale la fréquence de la référence au genos [nation/ethnie] et à ses dérivés : φιλογενείς, φιλογένεια, ομογενείς (ami du genos, du meme genos), etc., qui eut pour effet immédiat de faire disparaître du répertoire les numéros précis des pages au profit de l’indication passim, plus commode. Cependant, les déterminants très significatifs furent maintenus : genos malheureux, rapide, fameux, curieux, ami des sciences, ami de la beauté, ami des Muses, ami des arts, etc. Mais peu à peu, le genos glisse vers l’ethnos [la nation] et la patrida [la patrie] (commune au départ, pour se différencier du lieu de naissance). Et en dehors de ce terme, Hellada sert de plus en plus souvent à désigner les réalités contemporaines, les Hellènes prennent le pas sur les Grecs et les Romeliotes pour désigner les habitants actuels de cet espace géographiquement imprécis, et de temps en temps la notion de Πανελλήνιο, panhellène, s’avère également utile. L’origine, les glorieux ancêtres, et la langue, la corde de l’organisme moral d’une nation politiquement constituée (Kodrikas, 1816), évoluent en éléments constitutifs de la nouvelle conscience, la conscience nationale. Le genos-ethnos est hellène, mais la langue grecque, clairement valorisée, ne révèle qu’indirectement son contenu géographique et social réel. En tout cas il n’exclut pas d’intégrer en son sein des groupes qui parlent une autre langue, en premier lieu les Aroumains Venons-en aux Lumières. Il n’y a pas ici de problème d’interprétation. Ce sont indubitablement les Lumières de l’Europe éduquée, civilisée, sage, qui est la mesure de toute chose, suscite l’admiration mais aussi l’émulation, agit en juge, bien disposé ou non. Nous retrouvons ici le topos de Moisiodakas : l’Europe prospère, et nous, nous nous trouvons en manque. Par conséquent, l’imitation s’impose. La Grèce, mère-patrie commune, nue et malheureuse, « attend de ses véritables fils, égarés dans les climats nordiques, redressement et Lumières ». Les jeunes omogeneis (issus de la même nation) sont appelés à s’approprier les Lumières en fréquentant les académies occidentales et à les canaliser par les moyens de transfert les plus appropriés, traductions et compilations par exemple, publiées en livres ou dans la presse, ainsi que par les chaires d’enseignement dans les écoles, qui doivent partout être renforcées et multipliées. Certes, on voit peu à peu reculer le dogme exposé railleusement par Coray, selon lequel : « de même que celui qui va à Jérusalem devient hadji, de même, inversement, quiconque séjourne en Europe devient athée » (1812) ; mais on recourt sans cesse au schéma qui atténue les craintes sous-jacentes Le livre grec dans les milieux balkaniques... 423 face à l’Europe catholique ou révolutionnaire : il ne s’agit pas de Lumières étrangères, mais d’un retour des Muses dans leur patrie, il ne s’agit pas d’un emprunt, mais d’un paiement en retour, avec intérêts, d’un capital dû, en paiement de droits d’instruction dus. « D’autres nations reconquièrent par les armes ce qui leur a été enlevé ; que l’Europe nous accorde le droit paisible de reconquérir par la presse notre héritage ancestral » (p. 223). Ainsi les Lumières rejoignent-elles l’amour des ancêtres, si bien que la conscience nationale naissante les assimile sans trop de remous. Il est évident que l’heure est venue. Dans le Journal des frères Poulios (juillet 1797), on peut lire notamment : « Le genos/nation des Hellènes, si amie des connaissances (je veux dire tous ceux qui connaissent la langue grecque ancienne et la langue courante), n’espère rien d’autre qu’une brise délicate, un petit aiguillon pour se propulser à nouveau au sommet de l’Hélicon » (p. 55-56). La conscience du changement est claire, qui se constate « dès le début du milieu du siècle passé (le XVIIIe) ». Pour le Mercure Savant de 1816, le merveilleux changement est une réalité. « Ce sont des larmes de joie que doit verser en vérité le philosophe qui observe l’état présent des Hellènes, quand il voit notre genos/nation depuis le début de ce remarquable siècle, que nous pourrions à juste titre appeler âge d’or de la Grèce, se précipiter en courant vers sa philosophie et sa culture » (p. 225). Et le « cri ardent en faveur des droits des nations » (p. 404-405 : D. Schinas, Iris, 1819) montre la voie de la liberté, la voie de la révolution. Ainsi se dessine un paysage idéologique qui porte inscrit en lui, non pas la fatalité, mais la probabilité d’un changement révolutionnaire. De plus en plus présente à l’horizon des attentes, la révolution viendra effectivement et renverse le monde qui l’a générée. En août 1821, le journal Trompette hellène, depuis Kalamata, donne le signal de l’aube d’un monde nouveau, différent. Désormais « publiée » en Grèce et chargée de mettre « en connexion » « toutes les parties » du pays insurgé (p. 505), elle annonce le futur dans lequel le ton sera donné, qu’on le veuille ou non, moins par les milieux balkaniques que par les habitants de la Grèce, et les prospectus et les livres en langue grecque suivront désormais une orbite différente. Et bien que les choses n’aient été ni simples, ni univoques, rien d’étonnant à ce que la succession Lumières – Guerre d’Indépendance – révolution continue à nous convaincre, soumis comme nous le sommes au schéma évolutif (lui aussi, produit des Lumières) éducation => progrès – changement. Schéma annoncé et instrumentalisé par les intellectuels des Lumières grecques, qui s’absorbe dans le projet national, se ménage des supports solides dans les consciences et acquiert une dynamique nouvelle. 424 Popi Polemi

*** Dans le panthéon des prospectus, j’ai laissé exprès sans le commenter le monde des responsables de la souscription, pour le rattacher en conclusion avec le monde des souscripteurs du livre grec tel que l’a mis en évidence Philippe Iliou et tel qu’il se repère dans la très riche base de données qu’il nous a léguée. Le rôle des responsables de la souscription, qui suppléent celui des libraires dans plus de 70 villes, est crucial et suggestif des limites de la probable absorption. Presque 500 personnes ou collectivités composent un réseau dense de relations qui soutient la circulation de l’imprimé. Les responsables sont des clercs, mais aussi et surtout des laïcs, qui trahissent une présence très importante des commerçants, à côté des travailleurs de l’esprit. Pour ce qui est de la géographie, elle recoupe naturellement les statistiques de Philippe Iliou concernant l’ensemble des listes de souscripteurs de la même période et fait apparaître les trois circuits fondamentaux de consommation des imprimés des Lumières grecques : premièrement Constantinople (61 mentions), les principautés Danubiennes et leurs élites balkaniques hellénisées (Bucarest, 58 mentions ; Jassi, 56 ; Brasov, 12 ; Zemun 10) ; deuxièmement les colonies des Grecs et des Aroumains (hellénisés) en Orient et en Occident, notamment dans les pays d’Europe centrale (Vienne, 56 mentions ; Odessa, 42 ; Trieste, 40 ; Livourne, 25 ; Moscou, 21 ; Venise et Pest, 19 ; Paris, 14 ; Marseille, 13 et Taganrog, 10) ; et, enfin, le noyau dur du Nord-est de la mer Égée (Smyrne, Chios, Kydonies) et les enclaves relativement importantes des îles de la mer Ionienne et de certaines villes d’Épire et de Macédoine (Ioannina, Thessalonique, Serrès). Tout cela à côté d’une absence totale des régions qui constitueront un peu plus tard le royaume grec. Je rappelle que Philippe Iliou, présentant la géographie des souscripteurs à partir des 85 listes connues des vingt premières années du XIXe siècle (1801–1821)11, signale que Constantinople (3 011 souscripteurs), Bucarest (2 466), Vienne (2 229) et Jassi (1 645) absorbent au cours de cette période 46,3 % des imprimés, tandis que les autres centres qui apparaissent confirment la géographie des responsables que nous venons de voir. Il convient de noter qu’il signale aussi lui-même que 45% des souscripteurs vivent dans les principautés Danubiennes et dans des colonies de l’étranger, que la moitié des souscripteurs (49,5 %) habitent dans des régions de l’Empire ottoman, et que seulement 6,3 % vivent dans des endroits qui constitueront après 1821 l’État grec libre. Ce dernier pourcentage est d’ailleurs presque exclusivement dû aux trois livres religieux de Nicodème

11 ILIOU, Philippos, Istories tou ellinikou vivliou, p. 87-94. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 425 l’Athonite, de 1819, qui appartiennent au domaine du livre traditionnel, doté de sa propre géographie. Au cours de la décennie suivante (1822–1832), comme on pouvait s’y attendre, la carte change radicalement. Les régions de l’État nouvellement constitué deviennent le grand centre de demande et de consommation du livre grec (36,5 % des souscripteurs). Parallèlement, les conditions et le cadre des nouvelles réalités, qui se renforceront au cours des décennies suivantes, commencent à s’élaborer : restructuration des réseaux des colonies de l’étranger, avec un recul des villes d’Europe centrale ; apparition de nouveaux grands centres, notamment en Angleterre et en Égypte, parallèlement au renforcement des centres plus anciens en Russie méridionale ; et, surtout, présence pléthorique de souscripteurs dans les régions balkaniques de l’Empire ottoman et d’Asie mineure12. *** Le critère sur la base duquel la bibliographie grecque du XIXe siècle s’est constituée – et, par extension, la base des souscripteurs – est, fondamentalement, la langue. Nous l’avons déjà dit : elle comporte les imprimés en langue grecque dont les destinataires sont les populations hellénophones ou connaissant le grec (avec pour seule exception les karamanlidika). Cependant, comme on le sait, la langue grecque, avant l’ère des nationalismes, servait dans les Balkans les besoins de communication avec « l’ici et l’au-delà » de nombreuses populations (Albanais, Valaques, Bulgares, Roumains, Moldaves, etc.) qui ne se restreignent point à ceux qui, conventionnellement, pourraient être considérés comme ayant le grec pour langue maternelle. Cette langue sert de véhicule au commerçant balkanique orthodoxe. Étant donné d’ailleurs le processus d’hellénisation des élites bourgeoises balkaniques, indice d’ascension sociale, les livres écrits dans cette langue véhiculaire avaient un public dont les contours restent vagues. L’historiographie grecque dominante, romantique et herdérienne, nationaliste en d’autres termes, a envisagé avec des sentiments mitigés cette question du processus d’hellénisation, car dans son propre univers idéologique, c’est une lame à double tranchant : d’une part, c’est la preuve de la force éternelle de la culture grecque, capable d’assimiler les peuples voisins, mais d’autre part, si on l’étudie dans les détails, cela confirme le phantasme d’infériorité numérique face aux ressortissants des autres races, beaucoup plus nombreux. La raison pour laquelle j’évoque ces éléments plus ou moins connus, du moins de ceux qui sont familiers de l’histoire balkanique des derniers siècles, 12 Ibid., p. 277. 426 Popi Polemi est que la géographie, à l’instar de l’historiographie, n’est évidemment pas innocente. Se référant à une période où toute représentation de l’espace est liée à l’irrédentisme, la carte des souscripteurs des livres grecs risque d’être perçue comme une autre carte de « l’hellénisme majeur » 13, à côté des cartes des écoles grecques de l’époque de la montée des nationalismes balkaniques. Cartes dont nous connaissons fort bien désormais l’inspiration et la fonction propagandistes. En soi, cette propagation de la pratique de la souscription dans l’espace géographique et social obéit aux règles de la vulgarisation des modèles qui régissent en général les phénomènes culturels. Cependant, ce rayonnement de la préinscription et du prépaiement en vue de l’édition de livres génère à son tour des problèmes d’un autre ordre, et la distance chronologique considérable qui sépare le milieu du XVIIIe siècle, où le phénomène démarre, de la limite conventionnelle de 1922, avec tous les bouleversements et les remaniements survenus entre temps dans l’espace balkanique, exclut par définition toute possibilité d’envisager le matériel de manière unique et simpliste. Les approches du type de Manjo Stoyanov concernant les souscripteurs bulgares des livres grecs sont incontestablement utiles, mais ne peuvent résoudre le problème puisque le décompte des noms slaves n’est pas suffisant en soi, étant donné, entre autres, l’hellénisation des noms et les méandres complexes que suit la prise de conscience nationale des intellectuels balkaniques14. Quand l’heure approcha, les écoles grecques et les livres grecs accentuèrent ce processus au lieu de l’entraver, comme nous l’ont bien montré à maintes reprises, entre autres, Ariadna Camariano-Cioran et Cornelia Papacostea Danielopoulou pour l’époque phanariote en Roumanie15, ou Aphrodita 13 J’ai déjà évoqué des problèmes analogues au cours de la présentation du volume précité de Philippos Iliou, Istories tou ellinikou vivliou (POLEMI, Popi, « To stoichima ton sindromiton » [Le défi des souscripteurs], In : LOUKOS, Christos, Koinonikoi agones kai diafotismos. Meletes afieromenes ston Philippo Iliou [Luttes sociales et Lumières. Études en hommage à Philippos Iliou], Herakleio, Éditions Universitaires de Crète, 2007, p. 109-114). 14 Voir STOYANOV, Manio, « Les “syndromites” bulgares de livres grecs au cours de la première moitié du XIXe siècle », Byzantinische-neugriechische Jahrbücher, vol. 19 (1966), p. 373-406 (en corrélation avec le compte rendu de C. Papacostea-Danielopoulou, Revue des Études Sud-Est Européennes, t. 6/4 (1968), p. 697-699) ; idem, Livres Grecs en Bulgarie, Sofia 1978. 15 Voir surtout CAMARIANO-CIORAN, Ariadna, Les Académies princières de Bucarest et de Jassy et leurs professeurs, Thessalonique, Institute for Balkan Studies, 1974 ; PAPACOSTEA-DANIELOPOULOU, Cornelia, « les lectures grecques dans les Principautés Roumaines après 1821 (1821–1866) », Balkan Studies, t. 11 (1970), p. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 427

Alexieva16 et surtout Nadja Danova pour les intellectuels bulgares qu’elle a étudiés17, ou comme nous le rappelle l’exemple du Macédonien Grégorios Stavridis-Parlitsef18. Il existe des témoignages dispersés du chemin parcouru par Philippe Iliou lui-même en ces matières, et plus particulièrement pour ce qui est de la « dimension balkanique » de l’imprimé grec. En effet, le lecteur intrigué constatera que, parti des pays grecs indifférenciés, de la société grecque moderne, du mouvement intellectuel grec moderne et du public lecteur grec tout d’abord (en 1969), il passe, trente ans plus tard, à des constatations nettement plus nuancées : « Ce que nous pourrions appeler conventionnellement et avec de nombreuses réserves le “public de lecteurs grec” est en réalité un mélange de Grecs et d’hellénophones ou de personnes connaissant le grec dans l’Empire ottoman, dont les différents ensembles sont difficiles à différencier en des temps où les consciences nationales ne se sont pas encore élaborées ou n’ont pas pris forme ». Dans le même texte de 1998, les « Prolégomènes » à la Bibliographie hellénique du XIXe siècle, qui constitue aussi la formulation la plus mûre de Philippe Iliou de ce point de vue, les choses semblent plus claires : « public lecteur grec et connaissant le grec, avec les restrictions et les élargissements que ces termes nous obligent à prendre sans cesse en compte : les dimensions balkaniques dans l’utilisation de la culture en langue grecque (moderne) et de la production correspondante ». Plus concrètement, aux populations hellénophones et populations connaissant le grec, principaux destinataires des imprimés en langue grecque, « vient s’ajouter, surtout dans les premières décennies du XIXe siècle, mais aussi au début du XXe, une partie du public lecteur lettré balkanique non grec, pour lequel la culture 157-168 ; eadem, Intelectuali români din Principate şi cultura greacă, Bucureşti 1979 ; eadem, Literatura în limba greacă din Principatele Române (1774–1830), Bucureşti 1982 ; eadem, Convergences culturelles gréco-roumaines (1774–1859), Thessalonique, Institute for Balkan Studies, 1998. 16 A LEXIEVA, Aphrodita, Les œuvres en prose traduites du grec à l’époque du réveil national bulgare, Thessalonique, Institute for Balkan Studies, 1993. 17 DA NOVA, Nadia, Konstantin Georgiev Fotinov v kulturnoto i ideinopoliticheskoto razvitie na Balkanite prez XIX vek. (Konstantin Georgiev Fotinov dans le développement culturel, idéologique et politique des Balkans au XIXe siècle), Sofia 1994 ; ibid. (dir.), Arhiv na Konstantin Georgiev Fotinov, t. 1, Gratska korespondentsiia (Les archives de Konstantin Georgiev Fotinov, v. 1, Correspondance grecque), Sofia 2004 ; eadem, Ivan Dobrovski v perspektivata na balgarskiia XIX vek (Ivan Dobrovski dans la perspective du XIXe siècle de l’histoire bulgare), Sofia 2008. 18 PARLITSEF, Grigor (Grigorios Stavridis), Aftoviografia (Autobiographie), dir. : SOULIOTIS M., Tr. : ANREOU A. P., Athènes 2000. 428 Popi Polemi grecque (moderne) et la connaissance de la langue grecque sont un élément constitutif de son éducation ». Pour ce qui est des destinataires des livres en karamanli, qui ont eux aussi leur part dans le corpus des souscripteurs, il les définit, dans le même texte de 1998, comme « les habitants turcophones orthodoxes de l’Asie mineure, descendants, semble-t-il, de populations turques tôt christianisées qui, au cours du XIXe siècle, sous la double influence de l’Église orthodoxe et du développement orienté des écoles grecques, commencent à incorporer dans la tradition de leur foi orthodoxe des éléments de conscience nationale ». Si j’insiste sur les détails qui suggèrent les directions dans lesquelles il aurait eu tendance à aller, c’est pour souligner la prudence requise pour des époques et des lieux où les cristallisations nationales acquièrent un contenu social plus clair et où la connaissance du grec devient un enjeu politique. Pour ne pas rester sur une première fausse impression, la carte, ou plutôt les cartes auxquelles l’étude aboutira, puisque le développement chronologique impose le pluriel, exigeront des lectures combinées. Ainsi est-il possible qu’apparaissent le contenu social et donc historique des répartitions géographiques, le poids spécifique de chacun point : à savoir dans quelle mesure son existence est chaque fois due à une rupture ou une inertie, à la nécessité ou l’opportunité, à la demande ou la propagande. Je suppose que l’un des verrous de sécurité qui s’offrent, puisque l’inventaire nominal des souscripteurs permet des approches analogues, consiste dans les études particulières situées dans l’espace et dans le temps, qui montreront, sous la croûte de culture grecque, les conflits réels et la dynamique des groupes sociaux. *** Pour terminer, je voudrais souligner une dimension qui fait que le matériel que j’ai présenté est précieux, mais aussi glissant. Ce procédé du prospectus-souscription, le livre en langue grecque le partage, fût-ce avec certains décalages chronologiques, avec les éditions dans les autres langues balkaniques (je rappelle par exemple, outre celles que j’ai déjà citées, les études de Cătălina et Victor George Velculescu sur les souscripteurs roumains19). Cependant, dans le paradigme grec, ce sont les ordres de grandeur qui font peut-être la différence. Les nuances des phénomènes 19 VELCULESCU, Cătălina et VELCULESCU, Victor George, « Livres roumains à listes de souscripteurs (Première moitié du XIXe siècle) », Revue des Études Sud-Est Européennes, t. 12/2 (1974), p. 205-220 ; idem, « Configuration culturelle roumaine dans la première moitié du XIXe siècle. Analyse des listes de souscripteurs », Synthesis, t. 2 (1975), p. 85-96. Le livre grec dans les milieux balkaniques... 429 que le matériel permet de peser apparaissent, certes, plus riches, mais leur gestion s’avère certainement plus difficile. Pour vous redonner quelques chiffres indicatifs, mais éloquents, en dehors des dizaines de milliers de livres que j’ai déjà évoqués et des milliers de prospectus, le nombre annuel moyen d’actes de souscription, qui se situe, au cours du premier tiers du XIXe siècle, autour de 1 200, s’élève sous le règne d’Othon à environ 7 500 et atteint, dans le dernier tiers du siècle, les 13 50020, pour arriver à la base dont nous disposons, dont il est sûr qu’elle dépassera, avec les ajouts constants qui ne cessent d’arriver, le million d’inscriptions. Comme vous le comprenez, tout conseil et tout apport sont les bienvenus, et je remercie d’avance tous les souscripteurs qui répondront au prospectus que je vous ai présenté.

20 POLEMI, Popi, Introduction à ILIOU, Philippos et POLEMI, Popi, Elliniki Vivliografia 1864–1900…, p. 21-22. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians in Greek and Arabic, 17th–18th Centuries

GEOFFREY ROPER

After the Protestant Reformation in the 16th century, the Christian Church found itself split essentially into three divisions. The Roman Catholics, under the authority of the Pope, claimed to be the continuation of the original true and undivided church; the Greek Orthodox, centred in Constantinople, had diverged in the 11th century; and the Protestant community, mainly in northern Europe, broke away from what it regarded as the corrupt practices and doctrines of the Roman Church, in favour of a reformed Biblical Christianity. It also favoured the use of vernacular languages instead of Latin. But the Protestants, at an early stage, themselves split into numerous different sects and national churches, with quite diverse structures, practices and doctrines. This three-way split in Christendom naturally gave rise to a triangular situation, in which there was a tendency to adopt the view that “my enemy’s enemy is my friend”. So the Protestants tried to make contact, and form relationships, with the Orthodox Church, in order to counter the power and influence of Roman Catholicism and Papal authority.1 But most of the Protestant churches and sects encountered suspicion and hostility because they lacked apostolic and episcopal structures and authority. The Church of England was in a somewhat different position. Although it originated in a break with Rome and a rejection of Papal authority, and adopted some Protestant doctrines, it nevertheless retained its bishops and traditional ecclesiastical structures, claiming Apostolic succession. On this basis, Anglicans hoped to cultivate a mutually beneficial relationship with the Greek Orthodox Church.2 1 HAMILTON 1994, pp. 30-32. 2 Ibid., pp. 34-40. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 431

One way of doing this was to supply printed books, which the Orthodox lacked. These were mainly liturgical, doctrinal and educational books, for use in both churches and schools: some were in Greek, and some in Arabic, to meet the needs of Orthodox communities throughout the eastern Mediterranean area. The Orthodox authorities had difficulty setting up their own printing establishments, and had previously been obliged to rely on Catholic presses3, so they welcomed the possibility of an alternative source of supply. This was especially so when they wished to print and distribute Orthodox polemics against Papal authority.

Greek

Compared with other European countries, England was slow to develop Greek printing4, although there was some output of classical literature and Biblical texts for educational purposes in the 16th century. But in the early 17th century a small Greek community started to form in England5, partly because of the mutual interest of the Orthodox and Anglican Churches already mentioned. This in turn led to some printing and publishing activity. In 1617 a Greek called Christoforos Angelos (d. 1638), who had arrived in England, so he claimed, as a refugee from Turkish persecution, wrote an account of his sufferings and had it printed in Oxford6. This little book of 12 pages has the imprint on the title-page in English, but is otherwise wholly in Greek, except for the roman page-signatures. It is likely therefore that it was intended to be read primarily by Greeks, and copies may possibly have been sent or taken to the Ottoman Empire subsequently. The booklet contains crude woodcuts depicting his alleged maltreatment by the Turks, and it likely that his account was somewhat exaggerated in order to gain financial and other support from his English patrons. The same author two years later, in 1619, published a longer text – over 60 pages – on the organisation, ceremonies and status of the Greek Orthodox church, again with some emphasis on Turkish oppression. This was printed in Cambridge7, where Angelos had also acquired some reputation and status. Like the earlier Oxford publication, it had a Greek text

3 WALBINER 2008, pp. 70-71. 4 RHODES 2004, pp. 131-132. 5 RUNCIMAN 1968, pp. 291-299. 6 ΑΓΓΕΛΟΣ 1617. Cf. LEGRAND 1894, p. 111, #91; ΜΑΚΡΥΜΙΧΑΛΟΥ 1957, pp. 239-240, #1. 7 ΑΓΓΕΛΟΣ 1619a. Cf. LEGRAND 1894, p. 135, #100; ΜΑΚΡΥΜΙΧΑΛΟΥ 1957, p. 240, #4. 432 GEOFFREY ROPER unencumbered by Latin or English. It achieved some success, and was later reprinted in Germany. In the same year he also published in Cambridge8 his “Encomium of the famous kingdom of Great Britain” – Ἐγκωμιον της ἐνδοξοτατης Μεγαλης Βρεττανιας – giving a flattering account of his host country, and especially the Universities of Oxford and Cambridge which had received him and printed his works. In 1624 Angelos published his last work, this time in London9: an attack on Islam as an apostasy from the Church, and the Prophet Muḥammad as the AntiChrist. This he proved by numerical calculations based on the Book of Daniel in the Bible, which also showed that his final manifestation, heralding the end of the world, would occur in the year 1876.10 The next group of books to be considered were more directly, and momentously, concerned with contemporary developments in the Greek Church, and more specifically in the Patriarchate of Constantinople itself. In 1620 a new Patriarch was appointed, Kyrillos Loukaris (1572–1638), who was strongly opposed to Roman Catholicism and the authority of the Pope; not only that, but he became increasingly inclined towards Protestantism. Even before he had become Patriarch of Constantinople, he had entered into correspondence with the Archbishop of Canterbury, and arranged to send Greek students to England. Kyrillos attached great importance to education, and to providing multiple copies of printed texts on which to base it.11 One of the Greeks who went to London about 1622 was a monk called Nikodemos Metaxas (ca. 1585–1647). But instead of studying at Oxford or Cambridge, he decided to take up printing in London. In 1625 there appeared an educational book12, a guide to letter-writing – Περι ἐπιστολικων τυπων – by the neo-Aristotelian philosopher and bishop Theophilos Korydaleus, an associate of Kyrillos Loukaris. The whole book is in Greek, including even the page signatures, except for the imprint statement at the foot of the title-page, which give the printer as “G.S.”. This was William Stansby, a specialist in scholarly and foreign-language printing, who had printed Angelos’s last work the year before, and was also the first to use Arabic

8 ΑΓΓΕΛΟΣ 1619b. Cf. LEGRAND 1894, p. 141, #102; ΜΑΚΡΥΜΙΧΑΛΟΥ 1957, p. 240, #6. 9 ΑΓΓΕΛΟΣ 1624. Cf. LEGRAND 1894, p. 182, #132; ΜΑΚΡΥΜΙΧΑΛΟΥ 1957, p. 241, #8. 10 HAMILTON 2004. 11 RUNCIMAN 1968, pp. 259-288; ROBERTS 1967, pp. 14-15. 12 ΚΟΡΥΔΑΛΕΥΣ 1625. Cf. LEGRAND 1894, pp. 194-199, #144; ROBERTS 1967, p. 40, #1. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 433 types in England13. But the 3-page introductory dedication to this work is signed by Metaxas, and it seems possible that he may also have been involved in the printing. As he was not officially licensed as a printer, his name could not appear as such. Another book with a London imprint, also dated 1625 (in Greek alphabetic numbering), is a collection of liturgies for a particular saint’s day, with dedications and epistles to Theophilos Korydaleus and Kyrillos Loukaris.14 The imprint is that of the eminent London printer John Haviland, but there can be little doubt that Metaxas was involved. Indeed the Italian historian Letterio Augliera, who made a study of Metaxas and his times, claimed that this book was not really printed in London, but by Metaxas alone in the Ionian island of Kefallonia after he had left England.15 This seems a little improbable, but is partially supported by the fact that no copy of the book exists in London, whereas one copy did survive in an Ionian collection (now in the National Library in Athens). However that may be, the types and ornaments used were certainly from England, including the English royal coat of arms on the title-page. Two more books were printed in London by or for Metaxas, both of them containing collections of tracts with separate title-pages and pagination.16 They mostly contain anti-Roman Catholic polemics, and the texts were provided from Istanbul by Kyrillos Loukaris. The first one17 starts with a treatise by the Byzantine theologian Gregorios Palamas; but perhaps more important is the Συνταγμα (or Constitution) of the 15th-century anti- Catholic Patriarch Georgios Scholarios. This volume carries no imprint, place nor date, but the printer can be identified from the ornaments used, including especially the one in the centre of the title-pages, as William Jones of London. Metaxas, however, must have been involved, and may even have done most of the work, using Jones’s materials.18 The other London production of Metaxas19 consists of four tracts, the first of which is an attack on Papal authority by Meletios Pagas, Patriarch of Alexandria and former mentor of Kyrillos. The other three are of a similar nature. Again, there is no imprint nor date. In this case the ornaments used

13 ROPER 1985, p. 13. 14 [Liturgies: Greek rite, 1625]. Cf. LEGRAND 1894, pp. 188-194, #143. 15 AUGLIERA 1996, pp. 155-159 & 239. 16 ROBERTS 1967, pp. 41-42, #2-3. 17 ΓΡΗΓΟΡΙΟΣ [ΠΑΛΑΜΑΣ], ΣΧΟΛΑΡΙΟΣ & ΜΑΡΓΟΥΝΙΟΣ [1626/27]. 18 ROBERTS 1967, pp. 19-21. 19 ΠΕΓΑΣ, ΚΟΡΕΣΣΙΟΣ, ΝΕΙΛΟΣ & ΣΕΒΗΡΟΣ [1626/27]. 434 GEOFFREY ROPER point to the London printer John Haviland, whose name appeared on the 1525 liturgical volume already mentioned.20 One more volume was printed by Metaxas, using types and ornaments from the London printing trade. This, however, was produced not in England, but in Istanbul itself.21 In late 1626 or early 1627 Metaxas left England, and in June 1627 he arrived at Istanbul on an English ship, having possibly spent some months in Kefallonia on the way. With him he brought a printing press, two founts of Greek types and two Dutch pressmen to assist in the operation of the press. He also brought a large quantity of the books which had already been printed by or for him in London. Under the auspices of the English ambassador, Thomas Roe, acting in consultation with Patriarch Kyrillos and the Dutch ambassador, a permit was obtained from the Ottoman authorities, and the press was set up and put into operation in a house near the English embassy. There Metaxas proceeded to print a book by Kyrillos Loukaris himself, a “Brief treatise on the Jews, in simple language”22. This was the first Greek book to be printed in the Ottoman Empire. Only one copy survives, in the National Library in Athens. But this led to trouble. The Roman Catholics were highly antagonistic towards what they saw both as a means of spreading Protestant doctrines and as a breach of the monopoly, which they had hitherto enjoyed, of supplying Greek educational and liturgical books from Italy. The Jesuits had a strong presence in Istanbul, particularly at the French embassy, and they prevailed on the French Ambassador, Philippe de Harlay, to intervene with the Ottoman authorities. In January 1628 he succeeded in persuading them that the new press and its output represented a threat to the established order and the Ottoman state. Two things in this book helped him to do this: The engraved ornament in the centre of the title-page. This is the royal coat of arms of the English crown, and de Harlay suggested that this meant that Metaxas and his sponsors were challenging the authority of the Sultan, and spreading the heretical doctrines of the Church of England. Certain passages in Kyrillos Loukaris’s Treatise on the Jews attacked their rejection of the Trinity and the divinity of Christ. De Harlay suggested that this was also an attack on Islam and the Prophet Muḥammad. Some of the books printed in London, which Metaxas and the Patriarch

20 ROBERTS 1967, pp. 22-23. 21 For detailed accounts of this episode, based on diplomatic and other primary sources, see ROBERTS 1967, pp. 23-40; LAYTON 1967, passim; AUGLIERA 1996, pp. 38-84. 22 ΚΥΡΙΛΛΟΣ [ΛΟΥΚΑΡΙΣ 1627]. Cf. LEGRAND 1894, pp. 234-237, #166; ROBERTS 1967, p. 42, #4. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 435 were now distributing in Istanbul, also aroused similar suspicions: one of them also bears the English royal arms, and several of the texts promote the pro-Protestant ideas of Loukaris. The Ottoman vizir responded by sending a party of Janissaries to raid the printing house, seize all the materials and books, and arrest everybody there. Metaxas, however, was off the premises at the time, and escaped arrest by taking refuge with the English ambassador, Thomas Roe. The following day two Greek-speaking Muslims examined the books in the presence of the Vizir, and concluded that they were not prejudicial to Islam nor to Ottoman authority. The English ambassador himself then went to the Vizir and, by a remarkable feat of diplomacy, succeeded in getting him to reverse his previous decision, to exonerate Metaxas and Loukaris, to restore the press, equipment and books, and to arrest and imprison the Jesuits responsible for what was now regarded as a false accusation. Nevertheless, there seems to have been a tacit understanding that Metaxas would not print anything more in Istanbul, despite Loukaris’s desire that he should do so. Later the same year he departed for Kefallonia, taking his press and types with him to the monastery at Malà. Whether he used them there is unclear, but no books printed by him in Kefallonia seem to be extant. Kefallonia was Venetian territory, and he became embroiled in disputes with the authorities in Venice, for having previously printed anti-Catholic books.23 Metaxas died in 1647. As for Kyrillos Loukaris, all his subsequent publications were printed at the Calvinist presses in Amsterdam and Geneva, and he himself was murdered in 1638 on the orders of the Sultan, who now really did suspect him of sedition. From then until the late 18th century, most Orthodox books in Greek were printed in Italy24, mainly in Venice which, although Catholic, was anti-Jesuit and much less anti-Orthodox than Rome. This was not, however, quite the end of Greek printing in England aimed at the Orthodox. But for the rest of the 17th century the emphasis was on printing Anglican texts in Greek, rather than Orthodox ones. In 1638 a Greek translation of the Church of England Book of Common Prayer was published in London25, together with a Psalter. In 1648 a catechism was printed at Cambridge26, and was subsequently reprinted in London in 165527. In the 1650s these were distributed in Greece and Turkey by the 23 AUGLIERA 1996, pp. 169-178. 24 STAIKOS & SKLAVENITIS 2001, pp. 2-55. 25 [Liturgies: Church of England] 1638. 26 [Catechism: Church of England] 1648. 27 [Catechism: Church of England] 1655. 436 GEOFFREY ROPER

Anglican clergyman and traveller Isaac Basire (1608–76)28, and probably later by chaplains of the English Levant Company. Another translation of the Prayer Book appeared in Cambridge in 166529. This was accompanied also by a Psalter. Both of these were entirely in Greek, with no Latin text nor roman types, except for page signatures and the Cambridge University emblem on the title-page. So they also were evidently intended for distribution among Greeks. At the end of the 17th century an interest developed in England in printing the Greek New Testament. Of course there had been many previous editions for the use of the clergy and Biblical scholars, but in 1700 one was produced at Cambridge30 wholly in Greek, with no English nor Latin apparatus. It was also in a small portable format. So it seems that this too may have been intended for distribution in Greek areas. Three years later, in 1703, another Greek New Testament appeared in London.31 This was distinctly different. Whereas all previous versions published in England had followed the original Hellenistic Greek text, this one was rendered in modern demotic Greek. It had originally been sponsored by Kyrillos Loukaris himself, in line with his Protestant inclinations, and published in Geneva in 1638. Now a new edition was required, and the initiative was taken by Protestant societies in Germany and England, whose members financed the printing.32 They employed an Orthodox monk from Mytilene, called Serapheim, to prepare the edition, and he explained the background in his preface. For the rest of the 18th century, very little else in Greek seems to have been published in England for Orthodox readers. Attention seems to have shifted further east, to the Arab Christians of Syria and Palestine. Many of these also were members of the Orthodox Church.

Arabic

The Arabic books printed in England for export to the Christians of the Middle East have been discussed in previous publications and papers33: only a brief survey will be given here. 28 KI TCHIN 1911, p. 164 & 170-172; HAMILTON 1994, p. 41; NEUDECKER 2005, p. 175. 29 [Liturgies: Church of England] 1665. 30 [Bible: N.T.] 1700. 31 [Bible: N.T.] 1703. 32 MOENNIG 2004, passim. 33 ROPER 1989, pp. 228-232; ROPER 2010, p. 179. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 437

Not until 1660 was a work printed in Arabic in England for an Arab readership. This was a translation, by the eminent 17th-century scholar Edward Pococke, of the Dutch theologian Grotius’s De veritate religionis Christianae. The Arabic version34 for export appeared without a Latin title, and with nearly all signs of its origin removed. Pococke’s intention in translating and publishing this work was from the outset to provide a text which would help to evangelise Arabic-reading populations in the Ottoman Empire. Copies were sent out via various merchants, especially to the factory of the Levant Company at Aleppo. From there they were distributed to local ecclesiastics, including the Patriarch of Antioch. But the Catholics, it seems, objected to the book and obstructed its distribution.35 In 1671 Pococke’s Arabic translation of the Catechism of the Church of England was printed at Oxford36. This too was entirely in Arabic, and was intended for “young Christians in the East”. Quantities of this were also supplied to Aleppo. Although a Roman Catholic missionary later reported that copies were trampled underfoot, torn to pieces and burnt by the local Christians, those who distributed it found that it met with considerable approval among its recipients, who admired its Arabic style.37 P ococke then translated and published at Oxford in 1674 an Arabic version of the Anglican Book of Common Prayer.38 Most of the copies were sent to Ottoman territories39, but how many copies were supplied, and what became of them, is not known. After Pococke’s death in 1691, the first phase of English production and export of Arabic books came to an end, and it was not until nearly a quarter of a century later that such activity was resumed. In 1720 an Arab Christian living in London, Sulaymān al-Aswad al-Ṣāliḥānī, who had been an Orthodox priest in Damascus, and had europeanised his name to Solomon Negri40, proposed to make a new edition of the Arabic New Testament, together with the Psalter, for the use of Arab Christians. He advanced two principal reasons: 1. The lack of printing presses in the Arab world made books (that is, manuscripts) very expensive, so that most Christians could not afford them; 2. Previous printed editions were either too scarce and expensive or

34 GROTIUS 1660. 35 HUNTINGTON 1704, p. 3; TWELLS 1816, pp. 239-247. 36 [Catechism: Church of England] 1671. 37 TWELLS 1816, pp. 288 & 293-294; Lettres édifiantes 1780, p. 170. 38 [Liturgies: Church of England] 1674. 39 WOOD 1820, col. 321. 40 For biographical details, see GRAF 1951, p. 279; FÜCK 1955, pp. 96-97; BALAGNA 1984, pp. 103-104. 438 GEOFFREY ROPER acceptable only to Roman Catholics. They were also for the most part too bulky for convenient popular use. He therefore proposed that a new version should be published in London, and distributed in “Palestine, Syria, Mesopotamia, Arabia and Egypt“ via English consular representatives there, who would supply the Patriarchs of the Eastern churches.41 His proposal was endorsed by the Archimandrite Gennadios of Alexandria42, who was at that time chaplain to the Russian Embassy in London. The idea was adopted by the Society for the Promotion of Christian Knowledge (SPCK), which went ahead and printed the Psalter in 172543, under the supervision of Negri himself. Immediately, it was reported, over 2000 were bound, and sent to Aleppo.44 The New Testament followed in 172745, and was sent to the same destination46. The policy of the Society was to do everything possible to secure local acceptance of the books by, firstly, making efforts to obscure their Western origin – they carry a date but no imprint, and no roman type is used except in the page signatures; and, secondly, by obtaining the express approval of the Archbishop of Aleppo for them47. The Roman Catholics and clergy of the Uniate churches, however, reacted by proscribing and burning all the copies on which they could lay their hands; but thousands of copies were distributed free to Orthodox and other Christians before they could be destroyed.48 However, it seems that some people acquired copies only for the purpose of destroying them, believing that the translation was corrupted to suit Protestant doctrine. The fact that its phraseology differed from approved versions also caused them to be rejected in some cases.49 As well as the Psalter and New Testament, the SPCK also published in 1728 an Arabic translation of J.C. Ostervald’s Abrégé de l’histoire sainte et du catéchisme50. Like the other books, it carried no imprint nor other indication of its origin, and was no doubt intended for missionaries to take in their baggage. 2000 had been distributed by 1735.51 41 Extract 1725, pp. 6-11. 42 Ibid., pp. 20-22. 43 [Bible: O.T.: Psalms] 1725. 44 “Society’s Letters” of the SPCK, cited in COWIE 1956, p. 68. 45 [Bible: N.T.] 1727. 46 COWIE 1956, p. 70. 47 Ibid., p.70. 48 ASSEMANI 1742, p. 65. 49 British and Foreign Bible Society 1818, p. 127. 50 OSTERVALD 1728. 51 ROPER 1989, p. 231. England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 439

Another contemporary work in Arabic of this period can be attributed to England. This is a treatise called Ṣakhrat Shakk52, which means “The Rock of Doubt”. It is an exposition of the origin of the schism between the Eastern and Western churches, which is blamed therein on “the avidity of the Roman bishops to expand their authority”. It was translated by Athanasius Dabbās, the Orthodox Patriarch of Antioch, from an earlier Greek work by the bishop and teacher Ηλίας Μηνιάτης (Elias Meniates), entitled Πετρα σκανδαλου, and published in 1726. Although the title-page states that the in Aleppo in 1721, it was not printed there, as (زرب) translation came out some authorities have assumed53, nor in London, as others have supposed54, but in Oxford. It uses the 17th-century Arabic type-face adopted there, and the records of the Oxford University Press reveal that they did indeed print it55. This is confirmed by a note in a transcript of the work in the Bodleian Library in Oxford, which was probably used by the printer.56 In a copy of the printed edition in Cambridge University Library, a handwritten Latin translation of the title-page has been inserted, with the correct imprint and date added.57 The Oxford MS states that it was printed at the Patriarch’s expense, and that “all the copies, with very few exceptions, were sent to Aleppo in Syria”.58

Bibliography

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52 ΜΗΝΙΑΤΗΣ 1726 53 GRAF 1949, p. 132. 54 SCHNURRER 1811, pp. 274-275; ELLIS 1894, I col. 328. 55 CARTER 1975, pp. 309 & 498. 56 Ibid., p. 309. 57 Cambridge University Library: S828.d.72.7. 58 CARTER 1975, p. 309. 440 GEOFFREY ROPER

——— Περι της ἀποστασιας της ἐκκλησιας, και περι του ἀνθρωπου της ἀμαρπας [sic] δηλαδη του Ἀντιχριστου· και περι των ἀριθμων του Δανιηλ, και της Ἀποκαλυψεως, ὁυς ὀυδοις[ sic] ὀρθως μεθερμηνευσεν ἐξ ὁυ προεφητευθησαν, Λοντινον: s.n. [William Stansby], 1624; ASSEMANI, S[tefano] E[vodio]. Bibliothecae Mediceae Laurentianae et Palatinae codicum mms. orientalium catalogus, Florentiae: [Biblioteca Medicea Laurenziana], 1742; AUGLIERA, Letterio. Libri politica religione nel Levante del Seicento: la tipografia di Nicodemo Metaxas, primo editore di testi greci nell’Oriente ortodosso, Venezia: Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti (Memorie, Classe di Scienze Morali, Lettere ed Arti, LXII), 1996; BALAGNA, Josée. L’imprimerie arabe en occident (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles), Paris: Maisonneuve & Larose, 1984; ;London : SPCK], 1725] , كتاب زبور داود الملك والنبي [.Bible: O.T. : Psalms] [Bible: N.T.] Α Ψ΄ [1700], Ἡ Καινη Διαθηκη του Κυριου και Σωτηρος ἡμων Ἰησου Χριστου, Κανταβριγια: Ἐδμουνδος [ὁ] ͑Ἰεπφραιος [Edmund Jeffery]; [Bible: N.T.] α ψ γ / 1703, Ἡ Καινη Διαθηκη του Κυριου και Σωτηρος ἡμων Ἰησου Χριστου, μεταφραθεισα προ χρονων ἱκανων εἰς πεζην φρασιν, Λονδίνη: Βενιαμὶν Μοτταίος B[ enjamin Motte]; ;London : SPCK], 1727] ,العهد الجديد لربّنا يسوع المسيح [.Bible: N.T] British and Foreign Bible Society. 1818, Reports, 5/14; [Catechism: Church of England.] Κατηχησεις της Χριστιανικης πίστεως, Cantabrigiae: Rogerus Daniel, 1648; [Catechism: Church of England.] Κατηχησεις της Χριστιανικης πίστεως, Londini: Rogerus Daniel, 1655; ,شرح قواعد دين المسيح على وجه السوال والجواب [.Catechism: Church of England] [tr. Edward Pococke, Oxford], 1671; CARTER, Harry. A history of the Oxford University Press, Volume I, Oxford: Clarendon Press, 1975; COWIE, Leonard W. Henry Newman: an American in London, 1708–43, London: SPCK, 1956; ELLIS, A.G. Catalogue of Arabic books in the British Museum, London: British Museum, 1894; An Extract of several letters relating to the great charity and usefulness of printing the New Testament, and Psalter, in the Arabic language; for the benefit of the poor Christians in Palestine, Syria, Mesopotamia, Arabia, Egypt, and other Eastern countries. With a proposal, for executing so good an undertaking, London: J. Downing, 1725; FÜCK, Johann. Die arabischen Studien in Europa bis in den Anfang des 20. Jahrhunderts, Leipzig: Harrassowitz, 1955; England and the Printing of Texts for Orthodox Christians... 441

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VIRGILIU Z. TEODORESCU

When reading a book, one naturally asks who the author of the text is. Such preoccupation also had the readers of the book Mogoşoaia Bridge – The Story of a Street, published in 1944, when the roller of the Eastern populations was even more eminent by the arrival of the bearers of the red star, who were only behaviourally loyal to the old defects of the predecessors that had often rambled on the Romanian territories, most often once here, they forgot to go back to their homes, as they liked to live in the newly-found ones. The book provided to the readers a presentation of certain events and biographies that had become notorious in the collective memory. Certain traditional components of the book were missing and therefore the readers had to content themselves with the lines of the savoury presentation that challenged them to fill in the blanks by getting out in the street to see what was the situation until then, and when the metamorphosis totally or partly changed those places, use old drawing, photos or complementary narrative texts from older people who could this way recall old memories. The book was absorbed quickly. Unfortunately, the following events contributed to the loss of many of the archives1 that could provide the information with which we could precisely express how many copies had been printed and other details considered to be the book’s ‘biography’. It is a fact that the interval at the end of 1943–1944 was also characterized by a difficulty in the supply of printing houses with the necessary materials. Printing houses also confronted shortages in terms of staff, as many people had gone to

1 the initiatives performed to identify the “Socec” archive had not results allowing the research of the file on the book publication. Contributions to the biography of the author... 445 war, and the equipments, due to the penury caused, felt a shortage of spare parts. We supposed that all this made the title we are talking about to have a reduced number of copies. What happened due to the presence of the occupying liberators made people not to talk about the author and this silence lasted for many decades. Gheorghe Gh. Crutzescu was born2 in Bucharest on November 12th, 1890, being the son of the career military man Gheorghe and Constanţa, born Locusteanu3. His childhood gave him the opportunity to know many

2 The Archive of the Ministry of External Affairs, the Criminal records of the employee Gheorghe Gh. Crutzescu, investigated on April 15th 2010. File no. 77, letter C, no. 896, the CRIMINAL RECORDS and file 77b. The approximately 300 pages provide information until the date of the “resign” in 1947 (hereinafter, reading the page, I make reference to the subject matter and respective file). Page 203, Copy of the birth certificate in November 15th 1890 proves the birth on November 12th 1890 in Bucharest, 19 Verde street. Father: Gheorghe Cruţescu, lieutenant officer, 30 years old, mother: Constanţa, born Locusteanu, housewife, 28 years old. Copy issued by the Archives of the State on January 28th 1938. Document signed by D.C. Dobrescu and Constantin Moisil. 3 The Locusteanu family had the origins in the Dolj area from Locusteni, Leu. In Bucharest there were the rich people in the last quarter of the 19th century. Therefore, in 1978, the press (“The Official Gazette”, Bucharest, no. 044, February 24th/March 8th 1878, page 1197), making reference to colonel Algiu, stipulated that he had the address on Mogoşoaia Road, his neighbor being colonel Locusteanu. Nică Barbu Locusteanu (March 24th 1821, Leu, Dolj county – 1900, Leu). The son of Barbu and Ioana Poporan. He participated to the Revolution in 1848, afterwards exiled in Braşov, then Brussa, with Negulici and Grigore Serurie. Together with Ion Heliade Rădulescu he edited in Istanbul “Conservatorul” (The Conservator), supporting the Unification of Principalities; border engineer. In 1857 he came back in the country. Between 1866–1895 he was deputy, senator with republican views. He opposed the constitution of the Crown’s Domains (Domeniile Coroanei). He was constantly preoccupied by the education issue, donator, publicist. The posterity recognized his good deeds, granting the name of “Nicu Barbu Locusteanu” to the School of Arts and Professions in Leu. Constantin Locusteanu (?, Locusteni, Dolj county – 1916 ?) had post-graduate studies at the Faculty of Letters and Philosophy in Bucharest and the Normal Superior School in Bucharest, having a prestigious didactic career in Caracal, Giurgiu and Bucharest. He is the author of the Geographic Dictionary of Romanaţi County. Petre Locusteanu (1883, Bucharest – March 3rd 1919, Bucharest), writer, journalist, prose writer, dramaturgy author, he paid a special attention to the humor as writer, lyricist, epigram writer. He prepared the work The Romanian Humor. In the Romanian Writers’ Society he was in the Board Committee having various positions. Author of the play The Officer from the Domains (Funcţionarul de la Domenii). 446 VIRGILIU Z. TEODORESCU of the places frequented by the family members, some relatives4 having their houses in the street that he would conclusively evoke years later. He then went to school, attending primary and secondary school in schools with good reputation thanks to the knowledge provided to their pupils. He graduated5 Sf. Sava High-School, at the classical-modern section, belonging to the batch of 1909. He attended higher education in Paris, where he was a Bachelor of Laws, but took the graduation exam in Bucharest, obtaining the Diploma of Bachelor of Laws (original) no. 7507, issued6 by the Ministry of Training and Religion – University of Bucharest on February 11th, 1915. During his higher education studies he took part7 as a volunteer in the military campaign of 1913, under Regiment 2 Artillery, being promoted junior lieutenant in 1914, lieutenant in 1916. He acted the same way subsequently in the interval 1916–1917 as a Heavy Artillery officer. He finished the campaign under Regiment 4 Heavy Artillery in 1918. Speaking French, German, English and Italian he followed the example of his brother Radu in order to be part of the diplomatic activity. In order to obtain a job in the Foreign Ministry he took an exam8 in Iaşi on June 1918, being appointed attaché of the Legation on October 1st, 1918. The inter-war period was for Gheorghe Crutzescu an opportunity for a constant progress. He was part of our missions in Rome and Berlin. After finishing the military service under Regiment 41 Artillery, the retired lieutenant obtained Service record no. 80.9 Coming back to M.A.S. he was

4 From his mother’s side, the grandfather Locusteanu having a big house where many vestiges from other periods of time were gathered, that determined the interest to the child and then to the young man who had access to significant information that made him curious and that became a constant interest along his life. 5 Page 223, The graduation certificate of Sf. Sava High School, the classical-modern department, with the mark 7.93, issued on July 3rd 1909 (the original). 6 page 37v., Licensed in Paris, 1915, where he obtained the baccalaureate diploma in law, but the bachelor diploma in law was obtained in Bucharest. Page 208, Skills certificate 94/1915, license with two white balls and two red ones without thesis subject. February 11th 1915. Bachelor diploma (original) no. 7507 the Ministry of Education and Cults – University of Bucharest. Stamp of lei 50: Help the University of Bucharest for its palace – the portrait of the high steward Cantacuzino 1636–1716. 7 the book no. 80 granted by the Ministry of War to the reserve officer Gheorghe E. Cruţescu, reserve lieutenant under Regiment 41 Artillery. 8 Gheorghe Crutzescu, graduate of the Faculty of Law passed the exam and was appointed, on October 1st 1918, legatine attaché. Document registered on October 3rd 1918. Page 3, Signature of Gheorghe Crutzescu. 9 the Archive of the Ministry of External Affairs, Personnel Department, no. Contributions to the biography of the author... 447 kept for a while in the Central Administration and was then transferred to the Romanian Delegation taking part in Vienna in the works of the International Commission on Danube-navigation pending issues. In 1928 he was called back to the Central Administration and he was then sent over to Cairo on mission. In 1929 he was appointed Protocol manager in the ministry. He was promoted Protocol and Order Office Manager. After taking over the throne on June 8th, 1930, King Charles the Second10 asked all career and retired military men to take the oath of allegiance. In his short stay in Bucharest, Gheorghe Cruţescu took the oath.11 In the summer of 1932 he was sent as chargé d’affairs and standing

77, letter C, no 89 b. CRIMINAL RECORDS 77 in 1918 provide the military status of Gheorghe Cruţescu. Incorporated on January 13th 1925. The file is supplemented with File 77 b. At that time, he lived in Bucharest, on 22 Dionisie Street. N.B.: On the military book issued in 1925, it is stipulated that he was married since April 27th 1925 with Maria Cavadia. 10 Carol the 2nd (October 3rd/15th 1893, Sinaia – 1953, Estoril, Portugal, buried in the Royal Cemetery of Sao Viente Monastery in Lisbon, his bones being brought in Romania in 2003, upon the request of the Romanian Government, and taken to Curtea de Argeş, in the building situated between the church and the Episcopal palace with the chapel of Saint Filofteia. In the previous centuries, on the same place, the chapel of Saint Apostles Petru and Pavel). Military education, sub-lieutenant on October 3rd 1909, lieutenant on October 3rd 1912, captain on October 3rd 1914, major on October 1st 1916, lieutenant colonel on November 1st 1917, colonel on February 1st 1919 with participation to the campaign in 1917, unsanctioned deserter, he gave up various times to the capacity of heir of the Romanian throne, leaving the territory of the country. Until June 1930 he had a passport under the name of Carol Caraiman. He came back in the country on June 6th 1930 supported by the Masonry and a series of personalities of the political life. He takes over the throne on June 8th 1930 from his son by manipulating the Romanian Parliament. In 1933, he was called “Big Protector” of the masonry. The evolution of the international situation determined him to estimate the formal prohibition in 1936 of its activity. At the beginning of 1937, the Masonry disappeared. Following the Parliament’s decision on June 8th 1930, he was appointed as king of Romania, position that he had to gave up on September 6th 1940, giving up the throne in favor of his son Mihai. As a king, he had a special interest (personal = financial and for the image) for the economic and cultural evolution of the country. Appointed in 1929 as the honor member of the Academy, he supported the evolution of Romania by its cultural and scientific accomplishments, stimulating the artistic and literary creation. He got married in 1918 with Ioana (Zizi) Lambrino, on March 10th 1921 with the princess Elena of the Greece and in 1921 with Elena Lupescu. Being preoccupied of sumptuousness, he initiated big manifestations that involved young and old people in the execution of great actions. We remind in this respect “Cântarea Romaniei” (The Song of Romania). Art collector, stamp collector and memoirist. 11 At the barracks of the regiment 41 Artillery, lieutenant Gheorghe Creutzescu submitted his faith oath to the king Carol the 2nd on November 18th 1932. 448 VIRGILIU Z. TEODORESCU delegate of Romania to the Nations Society of Geneva12, on April 1st, 1937, being promoted Second-Class Plenipotentiary Minister. The new Constitution of Romania13 imposed by King Charles the Second also generated a series of measures meant to ensure a loyal participation of the people employed by the Government. Employees were requested, among others, to declare what political party they belonged to. In the case of M.A.S. and other vital institutions of the Romanian Government, the pre-requisite was that the staff was not engaged in party politics. Gheorghe Crutzescu therefore gave a conclusive statement14 referring to the two decades spent among the people serving Romania’s foreign interests. On March 1st, 1939 he was called back by the Central Administration15 and appointed Protocol and Order Office Manager. On October 1st, 1939 12 The United Nations Society resulted in 1919, upon the will and experience of the countries after the First World War, that adopted a mobilizing pact and stipulated as an effective running rule of the governments the justice and the strict respect of all obligations under the treaties in the mutual relationships between the countries: The Contracting Parties, considering that, in order to develop the cooperation between the nations and in order to grant the peace and security, it is necessary to accept certain obligations of not getting to war, and maintain open international relationships based on justice and honor, rigorously observing the laws of the international law, recognized from that moment on. The 24 articles of the State stipulated the organization and execution manner of the society’s activity. Romania was among the signatory countries. 13 The Romanian Constitution promulgated by the king Carol the 2nd following the results of the people opened the way towards the total arbitrary ruling of the King that, by the manner of interpretation and application of the provisions, allowed the dictatorial development of life in all domains of the society. Without observing the revision regulations under the Constitution in 1923, based on which the oath took place, King Carol the 2nd impose to the Romanian people this new Constitution in 1938. It has been prepared by Istrate Micescu, well-known jurist of the inter-war period. The Constitution in 1938 was based on the critics of the party regime and on the corporatism doctrine. Among other subtleties, the new Constitution replaced the universal vote with the system of profession college, restricting the area and the guarantees of rights and freedoms. This Constitution was entered in force during the dictatorship of King Carol the 2nd. 14 page 88, The Declaration on February 22nd 1938 belonging to Gheorghe Creutzescu whereby it was stipulated that he was not the member of any political party. 15 In the evolution of the State the training of the future diplomats was achieved starting from the candidate’s general knowledge, basic education, foreign languages, physical appearance, behavioural pattern, dialogue with interlocutors, and the manner to deal with various extreme situations, with the requirement that those selected should not be effeminate, drinkers, talkative and boastful, tempted by certain pecuniary traps. While they were in the country they had the opportunity, by a judicious rotation, to get to know the structure of the ministry as a mechanism, and the method of cooperation with the rest of the central institutions. Contributions to the biography of the author... 449 he was appointed16 special envoy and Plenipotentiary Minister in Budapest. The events registered at the end of August and the start of the following month imposed a short visit to Romania, when, as the whole ministry staff, he took17 the oath to the new King Michael18, after King Charles the Second abandoned the throne. The following months he was constantly assaulted by news from the ‘handed-over’ territory regarding the bestiality actions of the Horthist regime meant to discard Romanians by different formulas in order to change the demographic proportion and prove that the August 1940 report was numerically justified. The steps taken by the Hungarian Foreign Ministry were received with indifference, considering the signalled facts as insignificant. From Budapest on June 1st, 1941 he was called back in order to be appointed for a short period of time on June 15th, 1941, coordinator of the activity of the M.A.S. Library. On August 3rd, 1941 he took over the management of the Staff Unit. On August 1st, 1943

16 f. 121 Decree of 5th October 1939 to appoint him as Minister Extraordinary and Minister Plenipotentiary in Budapest, Hungary. In the final period of his diplomatic activity in Budapest he decided to send his wife and his little girl Sanda back to the country. f. 200 On 4th April 1941, Simona Crutescu, a housewife, lived in Bucharest, on 20 Lascar Catargiu Blvd. 17 the 16th Artillery Regiment, in September 1940, took the oath of allegiance to King Michael I, by signing the document no. 1578. 18 Michael I (25th October 1921, Sinaia), son of Crown Prince Carol and Princess Elena, was declared King while underage after the death of King Ferdinand I in 1927, the country being ruled by a regency; was removed from the throne by the return home of his father, who became King Carol II. As compensation, he declared his son, “The Grand Voivode of Alba Iulia”, and in 1937 he promoted him to the rank of under-lieutenant. To acquire knowledge he was integrated into a special class reuniting the most valuable students of his age from Bucharest schools. Being passionate about engines, he paid particular attention to motor racing and aviation. In September 1940, after King Carol II renounced the throne, he was re-proclaimed King of Romania, but most of the powers were assigned and taken over, under the special circumstances of that year, by the Head of State, General Ion Antonescu. In 1944 he was manipulated and involved in the action of removing Marshal Ion Antonescu from the country’s leadership by ordering his arrest on 23rd August. Conjuncturally, the Soviet Union in 1945 awarded him a high and rare war decoration. On 23rd August 1945 he refused to lead the Romanian troops which, having returned from the battlefield, marched under the Arch of Triumph. The period of the “royal strike” followed, the metamorphosis of the Romanian society in the years 1946–1947, which led to the imposition of the abdication on 30th December 1947, and his leaving the territory of Romania. After 1990, on several occasions, he returned to Romania invited by the nostalgic ones willing to restore the monarchy. In such context, the programme of the visit included the ex-King’s passing under the Arch of Triumph. 450 VIRGILIU Z. TEODORESCU he had been appointed19 First-Class Plenipotentiary Minister in Denmark, in Copenhagen. The precipitation of the military events of Western Europe imposed the evacuation20 to Sweden, were the negotiations between the belligerent parties were taking place. Negotiations were organized by the USSR ambassador in Stockholm, Mrs. Alexandra Kollontai21. He was there in August 1944 when Romania joined the Allied Powers, acting with all human and material resources against the Axis. The new leaders22 imposed to Romania by the occupying liberators called back many of Romania’s diplomatic representatives abroad, asking them to come back to Romania. 19 f. 164 As from August 1st 1943 he was appointed as the Representative of Romania in Denmark. 20 It was a crucial moment. His wife preferred to come to Bucharest to a new address: in 1943 she lived on 10 Ing. Davidescu Street. 21 Alexandra Mihaylovna Kollontai (Russian Александра Михайловна Коллонтай) née Domontovich (Russian Домонтович) [Shura] (March 19th/31st 1872, Sankt Petersburg –2 March 9th 1952), daughter of General Mikhail Alekseevich Domontovich, a participant in the 1877–1878 War in the South of Danube, then administrator of the territory of Bulgaria in the years 1878–1879. Shura showed an early interest in history and politics, her later studies making her a consummate professional. After 1917 she was a Russian communist activist. Subsequently, she held various positions in the Soviet diplomacy. 22 Although in the first moments (years 1944–1946) many of the measures with draconian consequences imposed by the occupiers liberators were taken by outstanding persons willing to collaborate with the new regime, over the time the fundamental issues were operatively and effectively taken over by the people directly subordinated to the orders given from the East. Ana Pauker was such an executor (the term having multiple facets, including bullets, torture, sadism). Ana Pauker was born on December 1st 1893, in Codăeşti commune, Vaslui county, and died on June 3rd 1960 in Bucharest, being incinerated at the Human Crematorium. The daughter of Hersh Kaufmann and Shura Rabinsohn, a family of Orthodox Jews from Moldavia, she attended “Fellowship of Zion” primary school and “Rashela and Filip Focşăneanu” vocational school in Bucharest, and later on she taught Hebrew language and religion (1910–1917). Decisively influenced by the ideological line chosen by Marcel Pauker, her husband (they got married on June 1st 1921), she was actively involved in shaping the future of the Communist Party, paying particular attention to the ethnic composition of those recruited. After the end of the war, she attended a first academic year at the Faculty of Medicine of Geneva, and another year at the similar faculty in Moscow. Sometimes referred to as Hannah Rabinsohn, she was an incisive politician, teacher, Minister of Foreign Affairs. A communist militant since the foundation of the Party, Ana Pauker was the voice who imposed what was dictated by the leadership of the Komintern in Bucharest. After the seizure of the entire state power, she held various leading positions in the state and party, among which the leadership of M.F.A. from November 5th 1947 to July 10th 1952. Then followed those which led to the loss of the internal struggle for the leading position. Finally, she was removed from the leadership and party structures, along with the entire Moscow faction. Contributions to the biography of the author... 451

It was a moment of profound analysis for the diplomat that had reached the highest hierarchical step. For Gheorghe Crutzescu the order meant that when he came back to Romania, or even during the imposed route he would suffer from both the occupying liberators and the Western neighbours reprisals for the way in which he treated them as a writer and diplomat. For the Eastern ones, the book Mogoşoaia Bridge was a conclusive presentation of the ones that for centuries had had a constant preoccupation in protecting their Christian brothers but behaved as tough masters. For the Western ones, the activity carried out especially after the take-over by Hungary of the ‘handed-over’ territory by the Vienna Dictate, as a diplomatic representative of Romania, interfered in an annoyingly consistent way to stop oppressing actions against Romanians, his interventions being each time proved with concrete situations difficult to justify by the Horthist regime. The careful analysis of the order to come back to Romania on the imposed route: Finland, USSR, Romania determined him to protect himself by postponing the return, which lasted until the fall of 1947, when the ministry declared him resigned. Worth mentioning is the fact that the first years after the end of the hostilities were of great hope for the Romanian society who was positive that the Occident would save us. But this was a vain hope that was paid in an expensive way by many of the people that felt that their duty was to oppose the oppressors by any means. The events lived in those years are far from being able to be compared with the previous presences. Unfortunately, the pages of the “personal record” file from the Archives of the Ministry of External Affairs stop at the dismissal order. What happened during the two following years of trips to Western Europe is still an enigma that needs solving. Even the mention of 1950 as the year of death, without mentioning the place, of the specific data generates numerous questions. He was probably one of the most “hunted” people by the long hand of the people who, at the time, were preoccupied with the removal of the uncomfortable people as they knew too much, which did not in conformity with what was offered to the public for knowledge which should correspond with the ensemble of the Stalinist ideology. On the date of his death (1950), his child Sanda23 was ten years old. The cautious father in the conditions created in the entire Europe, took steps for “sheltering” her in Switzerland, leaving her to be brought up by good people. We hope that the mother as well as the daughter found out about the end of Gheorghe Crutzescu’s life. Years and decades passed, structural changes intervened which, naturally, should also bring clarifications in the case of the death of this diplomat. 23 f. 211 As a pension successor is mentioned the daughter Sanda born on February 4th 1940 in Budapest. 452 VIRGILIU Z. TEODORESCU

In 1986, when I undertook, on behalf of the Meridiane Publishing House, the mission to re-publish his book, I considered it was natural to carry out a draft of the author’s bio. Consequently, I tried to get information to fill in the personal fiche of the diplomat Gheorghe Crutzescu I knew from the details24 in the Diplomatic Yearbook 1942. Politely, I wasn’t refused, but we ended up talking about the weather. When, in the spring of 2010, I had the opportunity25 to research the M.A.E. Archives for the pages of the “Report” file, I understood why the respective interlocutors in 1986 couldn’t speak about the final years from the life of this diplomat. He was an outcast, “condemned to being completely ignored” for failing to comply with the orders imposed by the liberating occupiers. Now, more than six decades later, it is time that all steps should allow the truth to be known. Gheorghe Crutzescu had a prestigious diplomatic career carried out with a faultless guidance, carrying out exemplary the missions he received. I believe that the best characterization is the one formulated26 by the former minister, dr. Emil Haţieganu, left in Cluj in order to be the defender of the Romanians present in the territory “given” in 1940. On the 25th of March 1941, he sent to M.A.S. a thank you letter for the support awarded to the Romanians in the territory taken by the Hortists in the harsh situations generated after the 30th of August 1940 by the Romanian diplomat Gheorghe Crutzescu who was in a mission in Budapest27. The pages of the “record” are relevant due to the fact that they write down the end of his career. We list several such episodes: The First-Class Plenipotentiary Minister Gheorghe Crutzescu had been re-called28 in the country on the 1st of October 1944, in conformity with the Decree from the 5th of October 1944. (?!) On the 7th of April 1945, the Romanian legation in Stockholm, Sweden sent him the disposition received from Romania which said he should return to the country following the specific route: Finland, USSR, Romania. 24 Royal Ministry of Foreign Affairs, DIPLOMATIC DIRECTORY 1942, Official Gazette and the State Printing – National Printing House, Bucharest, 1942, 199 p. + erratum on p. 53, 120-121. 25 I would like to thank again both Dr. George Potra and Dr. Alexandru Ghişe for their support in the research of the file in the archive of the Romanian Foreign Ministry. 26 f. 138 The thank you letter of March 25th 1941 handed over by former Minister Dr. Emil Haţieganu in Cluj for the support given to the Romanians in the occupied territory, in the situations post-August 30, 1940. 27 f. 138 Recalled from Budapest to the country on June 1st 1941. 28 f. 180 On October 1st 1944 was recalled to the country. A hilarious situation, the recalling anticipated the Decree of October 5th concerning the removal from the staff of M.F.A. Contributions to the biography of the author... 453

On the 17th of May 1945, a telegram from the country, sent by M.A.S., asked him to not go to Copenhagen but follow the previously indicated route. On July 6th 1945, Gheorghe Crutzescu sent that he had to go first to Copenhagen in order to liquidate the situation he left there before retreating to Sweden. He was to send his daughter in Switzerland and then return to the country. On August 27th 1945, a telegram of the Romanian representative in Stockholm announced that Gheorghe Crutzescu left on the 25th of August to Romania with a US military airplane. On the 21st of January 1946, Gheorghe Crutzescu sent to the country a medical certificate issued by a French physician which said that the state of health of the patient didn’t allow any travelling. The paper from the 16th of December 1946 said that on the 1st of August 1943 he was assigned as first-class plenipotentiary minister in Copenhagen, Denmark. On the 1st of October 1944, he had been called back to the country. At a certain time, Gheorghe Crutzescu promised to be back after solving the problem of the daughter he was going to bring to Switzerland. On the 15th of March 1947, it was written down the make up of the Commission for judging the pending problems by the Disciplinary Commission. It was written down the ascertainment that Gheorghe Crutzescu did not follow any of the steps sent from Bucharest. Summoned to the country, he did not come so, consequently, he was sued on the 31st of March 1947. Afterwards the Decree was adopted, decree by which Gheorghe Crutzescu, as he hadn’t returned to the country, was deemed dismissed. The signatory of the decree was Gheorghe Tatarescu. The formulation belonged to the Romanian minister of Foreign Affairs Grigore Niculescu- Buzeşti from the 10th of April 1947.29 The book entitled Mogoşoaia Bridge – The Story of a Street is written far away from the country and in the special conditions of the year 1943 when the Eastern campaign had failed woefully, changing totally the relation of forces that led to the impetuous march to Berlin of the Red Army. In fact Europe registered a total disturbance, being concentrically

29 f. 193 Decree signed by Gheorghe Tatarescu under which Gheorghe Crutzescu, over failing to return to the country, was considered to be resigned. The statement belongs to the Foreign Minister of Romania, Gr. Niculescu-Buzeşti dated April 10th 1947. At the beginning of his career in 1918, he received a salary of 300 lei, and in 1943, as a first- class Plenipotentiary Minister, 46,900 lei. 454 VIRGILIU Z. TEODORESCU subject to the multiple efforts of the Allies to end the scourge of Hitlerism, Fascism and all their coalitions. For Gheorghe Crutzescu who in his youth had accumulated a lot of data and even relics regarding his native land, the two decades of pilgrimage in Europe, Asia Minor and Northern Africa were occasions to get to know many cultures and customs. The harsh years of war generated reactions in him and at the same time possibilities to understand the perspectives that forecasted out future. When he decided to elaborate the text he started to evoke episodes of the past, anticipating what was going to come at other proportions with the consequences hard to imagine by the future readers. He considered that it was his duty as a good Romanian to issue this warning so that everybody takes the most adequate measures for their own safety and that of their assets. The text reveals to us the fact that he was a passionate collector in time of the information and relicts of the past, who put them on paper in a moment in which the Capital was going through a large process of metamorphosis of the public dowry and not only. He managed to evoke places and people meant to serve as Pro memoria to the future generations. By its presentation, the description is attractive. The use of a language that had already become obsolete at the date of its drawing up, many of the words having lost even for the people contemporaneous with him their primary meaning, the text must be followed with a Dictionary of Archaic Romanian at hand, with a work that talks about the history of the old institutions and dictionaries of personalities, which are generally rare in Romania and the ones referring to Bucharest do not exist. For the new edition of its book I had to draw up in 1986 over 1,500 notes that due to reasons dictated by the censorship of those times, were halvened to the ones imposed by ‘comrade Mihai Dulea’. After 1900 it was necessary to publish a reparatory edition that can include the writer’s biography, the whole text, explanatory notes and an index which is indispensable when one needs to clear out a certain issue. As published in 2010, the book is trying to offer precisely this function. We are at the same time aware of the fact that there is still a lot to clear out and all reactions are therefore welcome, as they may serve to clear out areas such as term explanation, present the biography of the evoked persons and last but not least, to outline the portrait of the author’s personality. Gheorghe Crutzescu married Maria Cavadia on April 27th 1925. We do not have data about the wife’s death or divorce that took place some Contributions to the biography of the author... 455 time. He then remarried30 on September 12th, 1935 Simona Magheru, born on August 22nd, 1905. She was the daughter of Alexandru Magheru and Simona Magheru, born Germani. On February 4th, 1940 his daughter Sanda was born in Budapest. The pages of his ‘Record’ register the distinctions received by Gheorghe Crutzescu for military bravery and diplomatic activity: Medals with certificates: Avântul Ţării 1913; War Medal 1916–1918. Orders: Order of the Crown of Romania, knight; Star of Romania, Officer, November 5, 1936; Crown of Italy, Officer, Rome, 1922; Crown of St. Sava, High Officer, October 22, 1936, Yugoslavia; The White Eagle, Commander, 1932; Poland restitutio, 1933; The White Lion; Order of the Nile; the Red Cross. The work has been published so far as follows: Gheorghe Crutzescu, Mogoşoaia Bridge – The Story of a Street, Socec Publishing, Bucharest, f.a. /1944/, 298 pages + 23 drawings with images. [A.N. Library III 6.129]. Gheorghe Crutzescu, Mogoşoaia Bridge – The Story of a Street, foreword by Eugen Barbu, glossary notes, list of illustrations: Virgiliu Z. Teodorescu, Meridiane Publishing, Bucharest, 1986, supplement of copies 1987, 366 pages. This year the third edition will be published with the full text, but with silent corrections, as at that time the author being far away from the country could not pay attention to the way in which the text sent to Romania had been typeset. Whereas for the edition of 1986 I elaborated over 1,500 of which approximately 600 were published, for the edition of 2010 I have drawn up 2,350 notes, seeing how many words need explanations to give a meaning to the phrase. The volume will have a biography of the author, his photo of 1925, the only one that could be found in the Record we had access to. The index will be according to the notes and text of the book. The iconography list is different, as it has been substantially completed as compared to the first edition, using vintage images. We are planning to reproduce these images on a CD that will be attached to the book, on its third cover, in a special pocket.

30 f. 209 Married on September 12th, 1935 to Simona Magheru, born on August 22nd 1905. She was the daughter of Alexandru Magheru and Simona Magheru, née Germani. 456 VIRGILIU Z. TEODORESCU

Gh. Crutzescu’s application to be admitted as candidate to the exam for legatine attaché. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge : l’exemple de la Librairie de Charles V

MARIE-HÉLÈNE TESNIÈRE

In quo [scilicet mundo] primum linguarum diversitas hominem alienat ab homine. Nam si duo sibimet invicem fiant obviam neque praeterire, sed simul esse aliqua necessitate cogantur, quorum neuter linguam novit alterius : facilius sibi muta animalia, etiam diversi generis, quam illi, cum sint homines ambo, sociantur. Quando enim quae sentiunt inter se communicare non possunt, propter solam diversitatem linguae nihil prodest ad consociandos homines tanta similitudo naturae, ita ut libentius homo sit cum cane suo quam cum homine alieno. (Saint Augustin, De Civitate Dei, Livre XIX, chapitre 7)1. En commentant ce passage de la Cité de Dieu de Saint Augustin, dans la traduction de l’Ethique d’Aristote qu’il rédige à l’intention du roi Charles V, entre 1370 et 1374, Nicole Oresme fait pour la première fois en France, état de la notion de langue comme fondement de l’unité politique d’un pays : « L’en ne doit pas avoir roy d’estrange nation », c’est-à-dire un souverain qui ne parle pas le français.

1 « Là [c’est-à-dire dans le monde], d’abord la diversité des langues rend l’homme étranger à l’homme. Supposez, en effet, que deux hommes qui ignorent chacun la langue de l’autre, se rencontrent et au lieu de se croiser soient obligés pour quelque raison de rester ensemble : des animaux muets fussent-ils d’espèces différentes, vivraient plus facilement en société que ces deux, tout hommes qu’ils soient l’un et l’autre. C’est que, s’ils ne peuvent échanger leurs sentiments pour la seule raison que leur langue n’est pas la même, la ressemblance si remarquable de leur nature n’est d’aucune utilité pour réunir les hommes en société ; c’est tellement vrai, que l’homme préfère la compagnie de son chien à celle d’un homme étranger. » , cf. Saint AugusTin, La Cité de Dieu, Livres XIX– XXII, texte de la 4e éd. de B. Dombart et A. Kalb, traduction française de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, p. 86-87. 458 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE

Et donques la division et la diversité des langages repugne a conversation civile et a vivre de policie. Et a cest propos dist saint Augustin ou .XIXe. Livre de la Cité de Dieu que .II. bestes mues de diverses especes s’acompaignent plus legierement ensemble que ne funt .II. hommes, dont l’un ne cognoist le langage de l’autre. Et di assés tost aprés que un homme est plus volentiers avec son chien qu’ovecques un homme de estrange langue. Et selon ce, quan Jhesu Crist voulut unir le monde a sa foy, il fist que ses apostlles estoient de toutes gens entendus […]. Et pour ce est ce une chose aussi comme hors nature que un homme regne sur gent qui ne entendent son maternel langage. Et est contre l’ordonance de Dieu en Deuteronomie (XVII, 15), la ou il dit a son peuple : “Non poteris alterius generis regem facere, L’en ne doit pas avoir roy d’estrange nation”.2 Reconnaître la primauté politique de la langue française constituait alors une « nouveauté ». A peine un siècle plus tôt, vers 1279, c’était en effet du latin dont Gilles de Rome vantait les mérites auprès de son élève le futur Philippe IV le Bel, dans son De Regimine principum ; la langue latine, assurait-il, est plus complète que tout autre langue vulgaire ; elle seule est capable d’exprimer tous les concepts : Videntes enim philosophi nullum idioma vulgare esse completum et perfectum, per quod perfecte exprimere possent naturas rerum et mores hominum et cursus astrorum, et alia de quibus disputare volebant, invenerunt sibi quasi proprium idioma, quod dicitur latinum, vel idioma literale : quod constituerunt adeo latum et copiosum ut per ipsum possent omnes suos conceptus sufficienter exprimere.3 Les jeunes princes doivent apprendre le latin dès l’enfance, si l’on veut qu’ils maîtrisent « les sciences de clergie », comme le dira son traducteur, Henri de Gauchy, dès 1282 : Et por cen que le langage du latin est mult fort et mult plus lons que ne soient les autres langages des hons lais, il le covient aprendre en jennesce a cen que l’en puisse bien parler et distincteement. Et de tant le doit l’en plus aprendre en jennesce que les autres langages, cum plus

2 Chapitre 4 du Livre VII de La Politique d’Aristote, traduite par Nicole Oresme, éd. Menut. Signalé par Lusignan, Serge, Parler vulgairement : les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles, Paris et Montréal, Vrin et Presses Universitaires de Montréal, 1987 (2e éd.), p. 104. 3 Aegidius Romanus, De regimine principum, Augsburg, 1473, Liber II, pars secunda, capitulum 7. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 459

est fort et lons et acompliz. Et que li langage du latin soit plus parfet que li autres il apiert, quer li philosophe por cen que il ne pooient exprimer tout cen que il entendoient par les autres langages, il troverent le langage du latin si parfet et si acompli qu’il peüssent soufisaument exprimer cen qu’il savoient des natures des choses et des mours et des manieres des hommes, et cen qu’il savoient du cours des esteiles et des autres choses dont il vouloient parler et desputer, por quoi se li langage du latin est si lonc et si granz, cil qui veulent bien parler et aprendre les sciences de clergie le doivent aprendre en lor jennesce.4 S’adressant à peu près à la même époque, vers 1266, à un public laïc, Brunetto Latini, notaire florentin exilé en France signalait de son côté, qu’il écrivait son encyclopédie le Tresor « en roman, selon la raison de France », c’est-à-dire en français, selon la manière de s’exprimer en France, car, disait-il, je vis en France et, cette « parleure est plus delitable et plus commune a toutes gens », c’est-à-dire que cette langue a plus de charme et que nombreux sont ceux qui la parlent : Et se aucuns demandoit pourquoi cist livres est escrit en roumanz selonc la raison de France, puis ke nous sommes italien, je diroie que c’est pour .II. raisons, l’une ke nous somes en France, l’autre por çou que la parleure est plus delitable et plus commune a tous gens.5 Ce faisant, il rappelait d’une part que la langue française écrite était prioritairement cantonnée au XIIIe siècle aux œuvres de fiction et de divertissement et, d’autre part, il mettait en lumière le rayonnement du français en Europe. Lorsqu’un siècle plus tard, donc, en 1373, Charles V fit organiser et inventorier dans la tour de la fauconnerie au Louvre, sur trois étages, une bibliothèque majoritairement en français, l’« originalité » était manifeste – même si on peut supposer que la démarche s’est construite peu à peu. D’une part, en raison du nombre de volumes plus de 900, dont près de 600 – chiffre exceptionnel pour l’époque – étient en français, d’autre part en raison du caractère pour la première fois transmissible de la bibliothèque : Charles VI héritera de la bibliothèque de son père. Enfin en raison même de son organisation, puisque les livres en latin, ceux qui

4 Molenaer, Samuel Paul (éd.), « Li livres du gouvernement des rois », a XIIth century french version of Egidio Colonna’s Treatise « De regimine principum », now first published from the Kerr ms., London, Macmillan and co, 1899, p. 197-198. 5 CA RMODY, Francis James (éd.), Li Livres dou Tresor, Berkeley, 1939–1948, t. I, p. 18. On conserve plus de 70 manuscrits du Tresor de Brunetto Latini, cf. Dictionnaire des lettres françaises, éd. HASENOHR, G. et ZINK, M., Paris, 1994, p. 213-215. 460 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE traitaient d’astrologie et de patristique étaient relégués au troisième étage6. Les livres de fiction et de dévotion étaient répertoriés au second étage. Le premier étage, magnifiquement décoré et ordonné, abritait en revanche les livres de sagesse et de gouvernement, ceux sur lesquels se fondait l’autorité du souverain, en un mot le Cabinet du roi7 : il était organisé grosso modo en cinq sections : 1) histoire sainte et universelle ; 2) droit, astrologie, médecine ; 3) textes fondamentaux de la royauté : chroniques, hagiographies des saints fondateurs du royaume, miroirs des princes, livres du sacre ; 4) enseignement moral ; 5) traductions en français commandées par Charles V. Aujourd’hui plus de 120 manuscrits de la Librairie de Charles V ont été identifiés, dont 67 sont conservés à la Bibliothèque nationale de France.

1) Vitalité et rayonnement du français au XIIIe siècle

Abordons dans un premier temps ce qui constitue pourrait-on dire le fonds ancien de la bibliothèque royale, ou plus exactement les exemplaires dont le souverain avait hérité, et ce à partir des exemplaires identifiés. Ces manuscrits portent témoignage de la vitalité du français de deux manières : la première est qu’ils confirment que très tôt le français eut une assise juridique, la seconde qu’il rayonna largement en Europe, et plus particulièrement en Angleterre et en Italie.

L’assise juridique du français

La librairie de Charles V possédait en effet un assez grand nombre de manuscrits de droit civil, et particulièrement les différents éléments du Corpus Juris civilis, qui figurent parmi les plus anciens textes latins à être traduits en français, à partir du second quart du XIIIe s.8 : les Institutes, dont la traduction daterait des années 1220–1230; le Code (livres I–IX) dont la

6 Comme le signale l’inventaire de la Librairie de 1380 : « Cy ensuient les livres qui estoient en la .IIIe. chambre au plus hault en latin, et est la gregnieur partie d’astronomie ; et se aucune chose y a de françois, c’est de la dicte science ou des despendances.… » (BNF, Fr. 2700, f. 24v). 7 TESNIÈRE, Marie-Hélène, « La Librairie modèle », dans Paris et Charles V, arts et architecture, sous la dir. de Frédéric Pleybert, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, Paris, 2001, p. 225-233. Eadem, « Livre et pouvoir royal en France aux XIVe siècle : La librairie du Louvre », dans Mathias Corvin, Les bibliothèques princières et la génèse de l’Etat moderne, publié par Maillard, Jean-François, Monok, Istvan, et Nebbiai, Donatella, Budapest, Orszagos Széchényi Könyvtar, 2009, p. 251-264. 8 OLIVIER-MARTIN, François, Les Institutes de Justinien en français. Traduction anonyme du XIIIe siècle, publiée avec une introduction, Paris, 1935 (Société d’histoire du droit). Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 461 traduction fut réalisée sous la régence de Blanche de Castille; et enfin le Digeste dont la traduction aurait été élaborée sous le règne de saint Louis. La Librairie du Louvre renfermait au moins de six Code en français, dont l’un a été identifié avec le BNF, Français 201209 ; au moins six Digeste, dont deux ont été identifiés avec les manuscrits Français 495 et 2011810 ; et au moins quatre Institutes, dont trois exemplaires ont été identifiés avec les manuscrit Français 1064, 22970 et 49811. Ils témoignent de ce que très tôt dès le XIIIe siècle, la langue française acquit une dimension juridique, avec un vocabulaire français approprié pour dire le droit. Ils rappellent également qu’il y eut, dès le début du XIIIe siècle, dans l’entourage du roi de France, des juristes, spécialistes de droit romain, formés aux universités de Bologne, ou plus tard d’Orléans, qui influencèrent profondément la politique royale12. On peut citer à titre d’exemple le manuscrit français 20120, un exemplaire du Code de Justinien, réalisé à Paris, vers 1240–1250, un manuscrit de grand luxe comme le signalent la largeur des marges (9 à 10 cm) et la qualité de l’enluminure, attribuée à l’atelier de Pierre de Bar, un des meilleurs ateliers parisiens de la première moitié du XIIIe siècle13. La mise en page copie celle d’un manuscrit contemporain en latin, en particulier au niveau des lettres filigranées. Le présent exemplaire fit partie d’une ensemble de six manuscrits de droit du XIIIe siècle, semble-t-il, couverts d’une reliure de « soie inde et vermeille », c’est-à-dire bleue et rouge, avec fermoirs d’argent aux armes de France, qui furent empruntés par Louis d’Anjou, en 1380, et furent ensuite renvoyés à la Librairie royale14. Alors qu’en France, le français se constituait comme langue capable de dire le droit, il était d’une autre manière vivant en Europe et particulièrement en Angleterre et en Italie. Le français, qui s’était diffusé en Angleterre avec la conquête de Guillaume le Conquérant en 1066, et s’était maintenu en raison des 9 DELISLE, Léopold, Recherches sur la Librairie de Charles V, Paris 1907, t. II, n° 398 et 405 ; n° 399 ; n° 400 ; n° 407 ; n°403. 10 DELISLE, L. Recherches…, t. II, n° 395 ; n° 386 et 390 ; n° 396 ; n° 387 ; n° 389. 11 DELISLE, L. Recherches…, t. II, n° 381 ; n° 382 ; n° 383. 12 CHENON, Emile, « le droit romain à la Curia regis de Philippe Auguste à Philippe le Bel », dans Mélanges Hermann Fitting, t. I, Montpellier, 1907, reprint Aalen, 1969, p. 195-212. 13 La Librairie de Charles V, exposition à la Bibliothèque Nationale, Paris, 1968, p. 78, n° 144. BRANNER, Robert, Manuscript painting in Paris during the reign of Saint Louis, a study of styles, Berkeley-Los Angeles-London, 1977, p. 70, 71, 81, 212, 220 et 224. 14 DELISLE, L., Recherches…, t. I, p. 135-136. 462 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE liens féodaux qui unissaient les duchés d’Anjou et de Normandie au roi d’Angleterre, resta vivant comme langue de culture de l’aristocratie jusque vers le milieu du XIIIe siècle ; il se maintiendra encore dans les domaines de la justice et de l’enseignement, jusque vers le milieu du XIVe siècle. Henri IV, fondateur de la dynastie des Lancastre (1399–1413) est le premier souverain dont l’anglais est la langue maternelle15. Témoin de cette vitalité du français, ou plutôt de l’anglo-français en Angleterre au XIIIe siècle et de son rapide déclin au XVe siècle, l’Apocalypse anglo-normande, conservée dans le manuscrit Français 403. Fait à l’abbaye de Salisbury, vers le milieu du XIIIe siècle, ce très beau manuscrit se présente au registre supérieur comme un livre d’images, avec des dessins rehaussés de couleur dus au maître de Sarum ; au registre inférieur a été copiée une traduction de l’Apocalypse très répandue16 ; ainsi qu’une traduction du commentaire de l’Apocalypse proche de celle que l’on trouve dans les Bibles moralisées faites pour Saint Louis 17. On ne sait comment ce manuscrit parvint dans les collections de Charles V. L’inventaire de la Librairie signale que le sage roi le prêta à son frère Louis d’Anjou « pour fere son beau tapis ». Ce dernier confia le manuscrit au peintre Jean de Bruges qui compara plusieurs cycles iconographiques de l’Apocalypse pour réaliser les cartons de la tenture de l’Apocalypse, conservée aujourd’hui à Angers18. Après la dispersion de la Librairie du Louvre, en 1424, et à la mort du duc de Bedford, en 1435, le manuscrit passa en Angleterre, mais le bibliophile qui acheta le volume ne comprenait plus le français ; il inscrivit, au folio 1 du volume, une note disant que l’on complète les peintures du manuscrit avec le commentaire latin de l’Apocalypse de Henry de Costessey, un franciscain maître régent de la Faculté de théologie de Cambridge dans la 1ère moitié su XIVe siècle, et qu’au besoin, si on n’avait pas assez de place, on efface le texte français19.

15 Voir LUSIGNAN, Serge, La langue des rois : le français en France et en Angleterre, Paris, 2004, p. 156-206. 16 Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, VI/2, p. 54-55, n° 1404. 17 Apocalypse, Bibliothèque nationale, fonds français 403, reproduction photographique en couleurs précédée d’une introduction par Félix LECOY, publié par Yorio OTAKA et Hideka FUKUI, Osaka, 1981. DELISLE, Léopold et MEYER, Paul, L’Apocalypse en français au XIIIe siècle (Bibl. nat. Fr. 403), 2 tomes, 1900–1901. HENDERSON, George, « les Apocalypses anglo-françaises » dans Journal of the Warburg and Courtault Institutes, t. 30 (1967), en particulier p. 104-114. 18 STERLING, Charles, La Peinture médiévale à Paris, 1300–1500, Paris, Bibliothèque de Arts, 1987, p. 193-202. 19 « Fiat opus abstractum Costesey et Hugo de Vi super Apocalipsim et inscribatur circa et sub picturas sequentes, et tunc erit complacens et si necesse fuerit fiat rasura gallicani ». Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 463

Cela ne fut heureusement pas réalisé. Le manuscrit fut racheté, durant le 3ème quart du XIIIe siècle, par le grand bibliophile flamand, Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, dont il porte au folio 1 les armes visibles par transparence ; son fils « donna » sa collection au roi Louis XII. Ainsi le manuscrit retourna-t-il dans les collections royales françaises. Après l’Angleterre, l’Italie, et particulièrement l’Italie du sud où le français s’était diffusé à la suite de l’installation de la maison d’Anjou à Naples, en 1265. Il profita du regain d’activité dans le domaine du livre du règne de Robert d’Anjou (1309–1349). Deux exemplaires de la Librairie du Louvre ont cette origine. Le premier a été identifié grâce à son incipit-repère. Il s’agit d’un manuscrit des Faits des romains – compilation d’histoire romaine inspirée de César, Lucain et Suétone – qui fut copié à Naples entre 1324 et 132820. Le volume était, semble-t-il, destiné au second fils du duc d’Anjou, Charles duc de Calabre, qui avait épousé Marie de Valois, la sœur du futur roi Philippe VI de Valois21. Il fut de toute évidence lu et consulté puisque – fait rarissime – il est doté d’une table méthodique qui servit à l’instruction morale et politique du jeune prince. François Avril a montré que le manuscrit avait été enluminé par un artiste picard, installé à Naples : la décoration marginale riche d’étonnantes grotesques et la technique de la peinture par aplats sont en effet typiques de l’enluminure du Nord de la France. L’artiste était en même temps parfaitement intégré au milieu napolitain, puisque sur la miniature qui illustre le début du Livre VI (page 176), il dote César du costume à loros, c'est-à-dire à bandes d’or croisées, que les souverains angevins de Naples portaient lors des cérémonies officielles, l’ayant repris aux empereurs byzantins. Entré dans la Librairie royale des circonstances et à une date inconnue, le manuscrit reprit son « vagabondage » à travers l’Europe, en 1435, lorsqu’à la mort du duc de Bedford, il fut envoyé en Angleterre. C’est là qu’en 1471, l’évêque de Bayeux, Louis d’Harcourt le racheta lors d’une mission diplomatique. Quant au second volume, ce sont les caractéristiques propres aux manuscrits produits en Italie, qui, mentionnés dans l’Inventaire de la

20 Sur les Faits des Romains et sur l’Histoire ancienne jusqu’à Cesar, voir Catherine Croizy-Naquet, Ecrire l’histoire romaine au début du XIIIe siècle, Paris, Champion, 1999. 21 Avril, François, « Trois manuscrits napolitains des collections de Charles V et Jean de Berry », dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes, t. 127 (1969), p. 291-328, en particulier p. 292-300. Voir aussi L’Europe des Anjou. L’aventure des princes angevins du XIIIe au XVe siècle, exposition à l’abbaye royale de Fontevraud, 15 juin –16 septembre 2001, Paris, Somogy, 2001, en particulier p. 126-127 et p. 304-305. 464 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE

L ibrairie, ont permis de l’identifier. En premier lieu, l’écriture bolonaise, une écriture ronde inspirée de l’écriture en usage à l’Université de Bologne pour la copie des manuscrits juridiques latins. Puis, l’insertion de l’illustration dans la mise en page, non pas placée sous forme de vignettes dans les colonnes de textes, comme dans les manuscrits d’origine française, mais dans les marges. BNF, Fr. 2700, f. 7, n° 93 : « Des Faiz de Troie, des Roumains, de Thèbes, de Alexandre le Grant, hystorié au commencement, escrit de lettre boulenoise, et sont les ystoires par les marges très anciennes ». Avec en marge : le roy le prins quant il ala au Mont-Saint-Michel. Il s’agit de l’Histoire ancienne jusqu’à Cesar, conservée actuellement sous la cote Royal 20.D.I, à la British Library de Londres. Le manuscrit a été réalisé vers 1335 pour Robert d’Anjou, dont il porte les armes aux feuillets 21, 35 par exemple. Les illustrations sont l’œuvre de Cristoforo Orimina, un artiste italien connu pour avoir vulgarisé le style de Giotto. On consultera la notice et les illustrations de ce manuscrit sur le site de la British Library : www.bl.uk/catalogues/manuscripts e www.bl.uk/catalogues/ illuminatedmanuscripts. On ne sait de quelle manière le manuscrit entra dans la Librairie du Louvre. Il en sortit en 1394, lorsque le roi Charles VI partant en pèlerinage au Mont-Saint-Michel, décida de l’emporter comme en témoigne la note marginale inscrite dans l’inventaire : « le roy le prins quant il ala au Mont-Saint-Michel ». C’est à cette occasion sans doute que le duc Jean de Berry l’emprunta pour en faire réaliser une copie par son libraire Renaut du Montet et par l’enlumineur Perin Remiet22. C’est l’actuel manuscrit Français 301 de la Bibliothèque nationale de France, voir le site : mandragore.bnf.fr. Ces manuscrits sont les témoins de la circulation des livres français en Europe, et de l’adaptation des modèles aux particularités de mise en page de chaque pays. Dans sa bibliothèque le roi Charles V n’avait que peu de livres en langues étrangères. On y note toutefois un ars notaria, manuel de notaire, écrit en espagnol ou lombard, en écriture bolonaise, à ce jour non identifié23.

22 Le manuscrit porte au f. 8v : « Ci faut le secont cayer que maistre Renaut doit avoir qui fu [baillié à Perrin Remiet] pour faire l’enlumineure de l’autre cayer ». 23 Il est ainsi décrit dans l’inventaire de 1411, ms. BNF, Fr. 2700, f. 112 : « Item Ars notoria, dont les aiz ne sont point couvers de cuir, escript de lettre de forme boulenoise, en langaige espagnol ou lombart, tres parfaitement et bien richement figuree, en parchemin et a .II. coulombes, commençant ou .II.e foillet el .XXVIII. posa que non passe, et ou derrenier omme perdera les manos et los piez », cf. DELISLE, L. Recherches…, t. II, n° 713. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 465

On y remarque également « un petit livret … a savoir demander en langaige sarrazin ses necessitez pour vivre », probablement une sorte de manuel de conversation arabe pour ceux qui veulent partir en Croisade ou en pèlerinage en Orient24. Quant aux manuscrits copiés dans des scripta régionales, c’est-à-dire dans des langues teintées de traits dialectaux, et enluminés ailleurs qu’à Paris, ils ne sont pas répertoriés dans les inventaires, preuve que ces textes sont lisibles dans tout le domaine de langue français25. Sont mentionnés sept volumes en langage picard, dont un Légendier et Ordene de chevalerie identifié avec le manuscrit 403 de l’Académie des Sciences de Moscou 26 ; trois en gascon 27 ; et un livre de dévotion en provençal28.

2) Naissance du français, langue de savoir et de gouvernement

C’est désormais à des ouvrages savants, à des textes d’autorité que s’intéressent Charles V et ses conseillers, lorsqu’ils suscitent nombre de traductions en français, même si le mouvement de traduire en français commence dès le XIIIe siècle29. En un sens ils profitent de l’extraordinaire essor de la production du livre à Paris, depuis le troisième quart du XIIIe 24 Il est ainsi décrit dans l’inventaire de 1411, ms. BNF, Fr. 2700, f. 91 : « Item Boece De consolacion, en françois et en latin, en ung petit livret, les Pelerinages d’oultremer et a savoir demander en langaige sarrazin ses neccessitez pour vivre, couvert de cuir, a deux fermoirs de laton, escript de lettre de forme, commençant ou .II.e foillet tamen vestam, et ou derrenier responsio », DELISLE, L., Recherches…, t. II, n° 498. 25 Sur la définition de la scripta régionale, voir MARCHELLO-NIZIA, Christiane, La Langue française aux XIVe et XVe siècles, Paris, Nathan, 1997, p. 21-23. 26 cf. DELISLE, L. Recherches…, t. II, n° 933 ; et MOKETSOVA, I.P. et ROMANOVA, I. P., Les Manuscrits enluminés français du XIIIe siècle dans les collections soviétiques, 1270–1300, Moscou, « Iskousstvo », 1984, p. 148-149. Sont en outre notés dans l’inventaire de la librairie de Charles V en picard, Bestiaire et chansons ; Miracles de Notre-Dame rimés ; Livre du Tresor de Brunetto Latini, Bestiaire et Image du monde ; Chroniques de France abrégées ; Livre de Charles et d’Ogier ; vie de saint Jacques (DELISLE, Recherches…, t. II, n° 792, 945, 951, 993, 1099). 27 En gascon, Girard de Roussillon ; « Gestes de France » ; un roman (DELISLE, L., Recherches…, t. II, n° 1107, 996, 1068). 28 DELISLE, L., Recherches…, t. II, n° 378. 29 MONFRIN, Jacques, « Humanisme et traductions au moyen-âge », dans Journal des Savants, 1963, p. 161-19à, et dans L’humanisme médiéval dans les littératures romanes des XIIe au XIVe siècle, colloque organisé par le Centre de Philologie et de Littératures romanes de l’Université de Strasbourg du 29 janvier au 2 février, 1962, actes publiés par FOURRIER, Anthime, Paris, 1964, p. 217-246, repris dans MONFRIN, J., Études de philologie romane, Genève, Droz, 2001, p. 757-785. Voir aussi BOUCHER, Caroline, La mise en scène de la vulgarisation : les traductions d’autorités en langue vulgaire, aux XIIIe et XIVe siècles, Thèse de doctorat de l’École Pratique des Hautes Etudes, 2005. 466 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE siècle et plus spécialement du livre français, depuis le second quart du XIVe siècle30. Charles V avait d’ailleurs une claire conscience du rôle majeur des artisans du livre, dans la diffusion des idées, puisque dès 1368, il leur accorde les mêmes avantages qu’aux maîtres de l’Université31. Les prologues des traductions en français commandées par le roi, parlent à mots couverts de la librairie du roi, cette bibliothèque encyclopédique en français, placée sous le triple patronage de saint Jérôme, le traducteur de la Bible, de Ptolémée, le fondateur de la Bibliothèque d’Alexandrie où fut traduite la Bible des Septante, et enfin de Salomon, le modèle de perfection royale32. Emanées de l’entourage royal et commanditées par le souverain, les traductions magnifient et valorisent la langue française qui devient à proprement parler la langue de la royauté, la langue de l’autorité souveraine. Dans le même temps, les traducteurs, généralement clercs du roi, s’attachent à donner au français le statut de langue savante, comme l’était le latin, à en faire une langue de l’autorité intellectuelle, capable de conceptualiser les éléments essentiels à la fois du savoir et des méthodes de gouvernement. Ainsi, en traduisant pour la première fois en français le corpus moral d’Aristote (Ethique, Politique, Economique), entre 1370 et 1374, Nicole Oresme, conseiller écouté de Charles V, cherche à donner au français ses lettres de noblesse pour dire la science politique, ainsi qu’il le présente dans l’Excusatio de l’Ethique et de la Politique. Pour ce faire, il accompagne sa traduction d’un commentaire et d’une liste de mots savants expliqués, espérant que son effort à dire le droit en français sera poursuivi. Mes, se Dieu plaist, par mon labeur pourra estre miex entendue cette noble science de politique et ou temps advenir pourraestre baillee par autres en françoys plus clerement et complectement. Et pour certain translater telz livres en françoys et baillier en françois les ars et les sciences est un labeur moult profitable, car c’est un langage noble et commun a gens de grant engin et de bonne prudence…33

30 A moins qu’ils ne l’accompagnent. Frédéric Barbier a en effet montré l’importance du facteur économique dans le phénomène d’édition des ouvrages en langues vernaculaires, cf. BARBIER, Frédéric, « Les Langues imprimées, XVe–XXe siècles, Avant-propos », dans Histoire et Civilisation du Livre, t. 4 (2008), p. 9-20. 31 Voir FIANU, Kouky, Histoire juridique et sociale des métiers du livre à Paris (1275–1521), Thèse Ph. D. de l’Université de Montréal, 1991. 32 TESNIÈRE, Marie-Hélène, « Livre et pouvoir royal en France aux XIVe siècle : La librairie du Louvre », dans Mathias Corvin, Les bibliothèques princières et la genèse de l’État moderne, publié par MAILLARD, Jean-François, MONOK, Istvan, et NEBBIAI, Donatella, Budapest, Orszagos Széchényi Könyvtar, 2009, p. 251-264. 33 Edité d’après le manuscrit BNF, Français 204, f. 348v. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 467

C’est également en français que sont publiés les « manifestes » en faveur de la pleine autorité et souveraineté du roi de France, qu’il s’agisse du Prologue à la traduction de la Cité de Dieu de Saint Augustin par Raoul de Presles, qui magnifie le roi de France, « oint de Dieu », roi très chrétien, guérissant les écrouelles portant sur ses armoiries les fleurs de lys et, à la bataille, l’oriflamme34. Ou du Traité du sacre contenu dans la traduction du Rationale de divinorum officiorum de Guillaume Durand par Jean Golein, en 1374 : l’ouvrage avait été rédigé, en huit livres, par Guillaume de Mende, en 1275, pour expliquer aux clercs le symbolisme de la liturgie. Mais dans sa traduction Jean Golein ajoute un traité du sacre en français (BNF, fr. 437, f. 43v-54), qui est en quelque sorte un commentaire allégorique au Manuel du couronnement35. Preuve de l’intérêt que Charles V portait à l’ouvrage, il apposa sur le manuscrit, au f. 402v, cet ex-libris : « Cest livre nommé Rational des divins ofises est a nous, Charles le.Ve. de notre nom et le fismes translater, escrire et tout parfere, l’an .MCCCLXXIIII. »36. Pour la publication de ces volumes, le roi qui ne dispose pas d’un scriptorium au Palais, s’adresse à un groupe de quatre libraires royaux qui travaillent presque exclusivement pour lui. Ils coordonnent la réalisaion des manuscrits : partage de la copie, livraison des cahiers aux différents enlumineurs, reliure et couverture de soie précieuse ; ils s’appellent, Raoulet d’Orléans, Henri du Trevou, Jean Lavenant et Henri Luillier37. Une mise en page adaptée au nouveau contenu des traductions en français voit le jour sous Charles V ; le texte traduit est fréquemment accompagné d’un commentaire plus ou moins littéral ainsi que d’une liste de sources et d’une liste de mots nouveaux. Au départ le modèle est simplement calqué sur la glose des Bibles latines. Tel est en particulier l’exemple de la traduction par Nicole Oresme du Quadripartitum de Ptolémée (1362–1363), contenu dans le manuscrit BNF, Fr. 1348. Le texte 34 CONTAMINE, Philippe, « A propos du légendaire de la monarchie française à la fin du Moyen-Âge : le prologue de Raoul de Presles de la Cité de Dieu et son iconographie », dans Texte et image, Actes du Colloque international de Chantilly, 13 au 15 octobre 1982, Paris, Belles-Lettres, 1984, p. 201-204. Édition du prologue dans LABORDE, 1909. 35 FERGUSON O-MEARA, Carra, Monarchy and Consent, The Coronation Book of Charles V of France, British Library Ms. Cotton Tiberius B VIII, London, Harvey Miller, 2001. 36 JACKSON, Richard A., éd. The Traité du sacre of Jean Golein », dans Proceedings ot the American Philosophical Society, t. 113 (1969), p. 305-324. La Librairie de Charles V, exposition à la Bibliothèque nationale, Paris, 1968, p. 101, n° 176. 37 ROUSE, Richard H. et Mary A., Manuscripts and their Makers, Commercial Book Producers in Medieval Paris 1200–1500, Turnhout, Brepols-Harvey Miller, 2000, t. I, p. 261-263, et t. II, p. 121-122, 51-52, 75-75, 50. 468 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE de Ptolémée est noté dans un pavé central écrit en lettres de gros module, tandis que le commentaire prend la forme d’un apparatus écrit en plus petites caractères tout autour. Par la suite, deux types de modèles feront leur apparition dans les livres-manuscrits. En 1372, dans sa traduction du De Caelo et mundo d’Aristote, Nicole Oresme opte pour une mise en page où texte et traduction s’imbriquent au fur et à mesure, simplement signalées par des notations rubriquées, une initiale « T » ou le mot « Texte » rubriqué, pour la traduction , et la lettre rubriquée « G » ou mot « Glose », toujours rubriquée, pour le commentaire du traducteur. Dans sa traduction de la Cité de Dieu de Saint Augustin sépare traduction et commentaire en deux blocs distincts ; en premier lieu apparaît le texte traduit sous forme d’un chapitre numéroté introduit par un titre rubriqué ; puis vient le commentaire du traducteur, introduit le titre rubriqué « Exposicion sur ce chapitre », et noté en marge par une manchette rubriquée « le translateur » ; le commentaire est accompagné en marge d’une liste de sources latines, insérées dans des manchettes filigranées, qui donnent en quelque sorte autorité au commentaire français du traducteur38. Ces nouvelles traductions sont illustrées d’amples cycles iconographiques, dont la plupart magnifient l’autorité du souverain. Elles sont désormais introduites par une scène de dédicace ou de présentation. Offert au roi, lu et écouté par lui, mais également « contrôlé », l’ouvrage acquiert une « aura » officielle, recevant une sorte d’imprimatur. Ces ouvrages feront très tôt l’objet de copies. Les princes étrangers envoient à Paris, leurs agents copier probablement par le biais de libraires, certains manuscrits de la Librairie royale, tel cet exemplaire des Ethiques et Politiques d’Aristote (BNF, Fr. 204), réalisé à Paris, vers 1380–1390 pour Blanche de Savoie, épouse de Galéas. II Visconti, le fondateur de la bibliothèque des ducs de Pavie à Milan La peinture du f. 347, due au pinceau du Maître du Rational des divins offices diffuse au-delà des frontières le modèle du sage roi, prince traducteur : elle illustre en effet les différentes étapes de la traduction d’un livre à la cour de France39. En l’état actuel de nos connaissances, il est difficile d’avoir une vue d’ensemble sur la diffusion de ces œuvres nouvelles ou rééditées. Il y eut bien sûr une diffusion par cercles concentriques dans l’entourage aristocratique des princes de la famille royale : Louis d’Orléans, le fils de Charles V ; les

38 Voir à ce sujet, HASENOHR, Geneviève, « Discours vernaculaires et autorités latines », dans Mise en page, mise en texte du livre manuscrit, sous la direction de MARTIN, Henri-Jean et VEZIN, Jean, Paris, Promodis, 1990, p. 289-315. 39 Trésors de la Bibliothèque nationale de France, vol. I, Mémoires et merveilles (VIIIe–XVIIIe s.), sous la direction de TESNIÈRE, Marie-Hélène, Paris, 1996, p. 84, n° 27. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 469 ducs Jean de Berry et Philippe le Hardi, frère de Charles V ; enfin Louis de Bourbon, son beau-frère. Mais il y eut également une circulation des œuvres françaises dans les cours européennes. On sait par exemple que l’empereur Charles IV rapporta de sa visite à Paris, en 1377–1378, entre autres une copie des Décades de Tite-Live en français ; l’exemplaire se trouvait au XVIIe siècle dans la collection de Johann Hartwig Nostitz à Prague ; il semble avoir disparu depuis40. On sait également qu’en 1427, le duc de Bedford, qui avait acquis la Librairie de Charles V, envoya un exemplaire de ce même texte à son cousin de duc Humphrey de Gloucester : c’est le manuscrit 777 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris41. Voir en particulier http://liberfloridus.cines.fr. On sait que ce dernier en envoya une copie à Alphonse d’Aragon. Dans le même temps, bon nombre de ces œuvres françaises furent traduites, à partir du français – et non du latin – en d’autres langues européeennes. Ainsi les Décades de Tite-Live de Bersuire furent-elles traduites en catalan et en castillan, sur ordre d’Henri III de Castille, à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle. C’est seulement après une étude détaillée des manuscrits des plus anciennes traductions françaises et de leur diffusion à travers l’Europe en français et dans les diverses langues vernaculaires que l’on pourra avoir une idée de la manière sont se sont construites les bases culturelles européennes de l’homme de la Renaissance. Les avancées technologiques permettent aujourd’hui de reconstituer virtuellement la Librairie de Charles V et de donner accès aux trésors qu’elle renfermait. La librairie du Louvre et des princes de la famille royale constitue en effet un des volets du programme européen EUROPEANA REGIA. Le projet associe une dizaine de bibliothèques européennes pour une numérisation partagée de trois collections royales : 282 manuscrits de la bibliothèque des rois Aragonais de Naples, 425 manuscrits des abbayes et écoles carolingiennes, et 167 manuscrits de la Bibliothèque de Charles V et des bibliothèques des frères et fils du roi. A la fin de 2012, l’ensemble de ces données, soit 300 000 images, accompagnées des métadonnées décrivant les livres, les textes et les enluminures seront accessibles sur le site www.europeanaregia.eu et sur le portail EUROPEANA.

40 Il se trouvait dans la bibliothèque de Franz Anton Nostitz, quant il fut décrit en 1788, par Karl Gottlieb HIRSCHING, éditeur de Versuch einer Beschreibung sehenswürdiger Bibliotheken Teutschlands nach alphabetischer Ordnung der Städten, t. III, Erlangen, bei Johann Jakob Palm, 1788, p. 469-470. 41 Sur la Bibliothèque du duc Humphrey de Gloucester, voir PETRINA, Alessandra, Cultural Politics in fifteenth-century England, the case of Humphrey, Duke of Gloucester, Leiden, Brill, (Brill’studies in intellectual history, 124), en particulier, p. 174-223. 470 MARIE-HÉLÈNE TESNIERE

FR 20120, f. 79v, 1B. Vitalité et rayonnement du français en Europe à la fin du Moyen-Âge 471

FR 403, f. 19, 1B. Des documents, des incunables et des livres traitant des universités médiévales européennes (XIIIe–XVIIIe siècles)

RADU ŞTEFAN VERGATTI

Le titre de l’étude parle en quelque sorte de lui-même. L’origine du mot université est le syntagme « universitas magistrorum et scholarium parisiensis », c’est-à-dire l’ensemble des professeurs (maîtres) et des étudiants parisiens1. Elle a été créée selon le modèle des corporations et des guildes, qui acquéraient de la sorte un statut juridique et la qualité de s’affirmer devant les autorités. La structure qui rassemblait professeurs et étudiants est apparue au cœur même du moyen âge, au XIIIe siècle, suite à la révolution culturelle du siècle précédent2, l’Antiquité n’ayant pas connu une telle institution3. Par ailleurs, il était normal qu’elle soit organisée selon le modèle des corporations dans une société comme le moyen âge, organisée elle aussi en des corporations à différents niveaux et dans des formes différentes. Enfin, il faut avoir en vue les universités médiévales européennes, dans ce sens qu’elles sont apparues et se sont développées en une première étape 1 Cf. LEFF Gordon, Paris and Oxford Universities in the Thirteenth and Fourteenth Centuries. An Institutional and Intellectual History, New York, London, Sidney, 1968, passim ; VERGATTI (CIOBANU) Radu Ştefan, Constituirea şi formarea universităţilor în Europa, in: Studii şi Articole de Istorie, XXXIII–XXXIV, 1976, p. 13-25 ; FERRUOLO Stephen C., The Origins of the University. The Schools of Paris and their Critics, 1100– 1215, Stanford, 1985, passim ; VERGER Jacques (éd.) Histoire des Universités en France, Toulouse, 1986, passim ; VERGER Jacques, Les Universités françaises au Moyen Âge, Leiden, 1995, passim. 2 Cf. GÉNICOT Leopold, Le XIIIe siècle européen, Presses Universitaires de France, Paris, 1968, passim. 3 Cf. VERGER Jacques, « Universităţile », in: LE GOFF Jacques, SCHMITT Jean- Claude (éds.), Dicţionar tematic al evului mediu occidental, Iaşi-Bucureşti, 2002, p. 783. Des documents, des incunables et des livres traitant des universités... 473 seulement en Europe. Au moyen âge en dehors de l’Europe occidentale il y avait uniquement des écoles religieuses, comme La Grande École de la Patriarchie d’Istanbul ou les nombreuses et illustres medressa du monde islamique, etc. Mais ces établissements étaient différents des universités. On peut donc affirmer sans se tromper que les universités ont représenté une création originale de la société médiévale de l’Europe occidentale. La cause de l’apparition des universités médiévales doit être recherchée dans la dynamique de la société de l’Europe Occidentale et dans l’extraordinaire capacité de l’Église Chrétienne de s’adapter, de répondre aux changements. Aux XIIe et XIIIe siècles, dans l’Europe Occidentale ont pullulé les villes et les hérésies4. Le clergé a vite compris l’importance que pouvait avoir la substitution de la société rurale par une société urbaine. Il ne pouvait plus se contenter de la pratique de l’augustinisme5. Par ailleurs, il fallait renoncer à l’idée de l’ermitage6. En 1179 le Concile de Latran a attiré l’attention sur la nécessité d’un changement. L’Église elle-même était menacée. Le Vatican soutint que, à la place de l’ermitage ou en parallèle avec lui, les clercs devaient mener une « vitta ativa ». Il s’agissait de combattre le péché en milieu urbain, ce qui était plus difficile que la mission de l’ermite, seul dans le désert7. La nouvelle mission fut confiée aux ordres mendiants – les Dominicains8 et les Franciscains9. Créés par Saint Dominique de Guzmán, respectivement par Saint François d’Assise, ces deux ordres imposaient à leurs moines de vivre dans la pauvreté et dans la sainteté, de combattre les hérésies10. Un moyen de lutte contre les hérésies des villes fut la prédication de la parole du Seigneur de manière convaincante devant les gens du commun. 4 Cf. LE GOFF Jacques (éd.) Hérésies et sociétés dans l’Europe préindustrielle, 11e–18e siècles, communications et débats du Colloque de Royaumont, [27–30 Mai 1962], Paris-La Haye, Mouton, 1968, passim ; LEY Herman, Studii de filosofie medievală, Bucureşti, 1973, p. 220-242, 293-338 ; BLOND Georges, Furioşii Domnului, Bucureşti, 1976, passim. 5 Cf. PODARU Adrian, Sfântul Augustin şi ştiinţa timpului său, in: Studia Universitatis Babeş-Bolyai, Bioethica, no 2/LII, 2007, p. 101-113. 6 Cf. STĂNILOAE Dumitru, Filocalia, vol. VIII, Bucureşti, 1974, passim. 7 Cf. GÉNICOT Léopold, op. cit., p. 100. 8 Pour l’histoire de l’ordre des moines dominicains, v. VICAIRE Marie- Humbert, Histoire de Saint Dominique, Éditions du Cerf, Paris, 2004, passim. 9 Pour l’histoire de l’ordre franciscain, v. IRIARTE Lázaro, L’Histoire du Franciscanisme, Ed. Franciscaines, Cerf, Paris, 2004, passim. 10 Cf. VERGATTI (CIOBANU) R. Şt., Începuturile şi scopul Inchiziţiei, in: Revista de Istorie, no 11/1982, p. 1224-1240. 474 RADU ŞTEFAN VERGATTI

Continuant une tradition chrétienne, il fallait commencer par l’amélioration de l’enseignement, ce qui se fit au XIIe siècle dans les écoles associées aux cathédrales ou aux grandes abbayes, comme celle de Chartres. Parmi les professeurs dont les cours sont restés célèbres il faut citer Gilbert de la Porée et Pierre Abélard. Le dernier a renversé le principe de la scolastique de Saint Augustin, repris par Anselme de Canterburry : « Credo ut intelligam », imposant le dicton « intelligo ut credam »11. Tout l’enseignement supérieur, universitaire, de l’Europe Occidentale a été organisé à partir de ce nouveau principe. Tous les citadins – des artisans, des marchands, des médecins, des avocats, des clercs, etc. – avaient besoin de connaissances. L’Église ne pouvait admettre qu’auprès de chaque cathédrale le professeur organise l’enseignement selon son bon gré ; on courait le risque d’aboutir à de mauvaises solutions, désastreuses pour le dogme et les clercs12. C’est pourquoi un des plus grands papes, Innocents III (1198–1216), décida de s’employer à l’organisation les universités. Il se servit de la situation existante ; il envoya à Paris en 1215 le légat papal, le cardinal Robert de Courçon. C’est lui qui apporta l’acte de reconnaissance de l’établissement et de fonctionnement de l’Université de Paris, communément appelé « les statuts de l’Université »13. Pratiquement, cet acte consacrait la transformation de l’école associée à la grande cathédrale en Université. Apparaissait de la sorte une des deux grandes universités qui seront un modèle pour le monde entier. Cette deuxième université fut celle de Bologne, dont les statuts datent de 125214. Les statuts de 1215 de l’Université de Paris ont été complétés en 1229 par la bulle « Parens Scientiarium », dans laquelle le pape Grégoire IX apporterait des précisions sur l’organisation de cet établissement. Le corps enseignant assignera une chaire aux moines de l’Ordre de Franciscains, à partir de 1217, à l’Ordre des Dominicains, à partir de 1219 et aux moines de l’Ordre Cistercien, à partir de 1245. Par cette décision un contrôle rigoureux de la part de la papauté, y compris de l’Église catholique, est institué sur l’Université de Paris. De 1250 à 1256 les moines des ordres « mendiants » se sont efforcés d’obtenir deux nouvelles chaires. Suite à ce conflit éclata se qu’on appelle « la querelle de l’Université ». Les professeurs séculiers, issus d’autres ordres religieux, ayant à leur tête le professeur Guillaume de Saint-Amour,

11 Cf. OŢETEA Andrei, Renaşterea şi Reforma, Bucureşti, 1968, p. 182. 12 On peut donner comme exemple l’éclosion et la propagation des hérésies au XIIe siècle – celle des Cathares, des Pauliciens ou des Bogomiles. 13 Cf. FERRUOLO Stephen C., op. cit., p. 85 et sq. 14 MA LAGOLA Carlo (ed.), Statuti delle Università e dei Collegi dello Studio Bolognese, Ed. Zanichelli, Bologna, 1888, passim. Des documents, des incunables et des livres traitant des universités... 475 s’y sont opposés. Finalement, les moines de l’ordre dominicain et de l’ordre franciscain l’ont emporté, soutenus aussi par la papauté15. Il est apparu à cette occasion-là que les universités de manière générale et l’Université de Paris en particulier16 devaient défendre la papauté et le dogme telle qu’il était envisagé et propagé par le Vatican. C’est un but poursuivi par tout le réseau des universités européennes qui ne cessait de se développer. Si en 1250 il y avait 10 universités, en 1348, à l’époque de la peste noire, il y avait 28 et en 1500, tout juste après la découverte de l’Amérique, 6317. L’analyse quantitative des matricules montre qu’au XVe siècle, chaque année, 3 000 étudiants étaient enregistrés dans les universités allemandes18. Les plus grandes universités qui étaient aussi les plus anciennes conservent les matricules datant de la fin du XIIIe siècle, comme du siècle suivant : l’Université de Paris avait 4 000 étudiants, celle de Bologne, 2 000 étudiants, et Oxford, 1 70019. Si on tient compte du nombre d’étudiants, du nombre de membres du corps enseignant formé de clercs et du nombre des personnes qui travaillaient au profit du groupe social universitaire j’estime que, de manière générale, dans une ville universitaire environ 25 % des habitants étaient reliés à cette institution. Je ne veux pas discuter ici l’organisation des universités, question suffisamment connue. Je m’en tiendrai à rappeler succinctement ce que les universités médiévales ont apporté de nouveau. Tout d’abord, la communauté universitaire des étudiants et des maîtres constituait une communauté particulière, se trouvant sous la protection du pape, du monarque ou du conseil de la commune respective. C’est pourquoi elle a joui de droits juridictionnels particuliers – les personnes appartenant à la communauté étaient jugées par des tribunaux ecclésiastiques, elles étaient exonérées d’impôts, etc. Le corps enseignant des universités a constitué toujours un groupe – ce qui nourrit le mécontentement à l’égard des professeurs ultraconservateurs. Ainsi, au XIIIe siècle à Paris s’est organisée une opposition contre le moine mystique Giovanni Bonaventure. Il a été contesté par les professeurs dont 15 Cf. VERGATTI (CIOBANU) R. Şt., Idei social-politice în a doua parte a Romanului Rozei, in: Revista de Istorie, 12/1981, XXXIV, p. 2297-2310. 16 Parmi les universités européennes l’Université de Paris s’est remarquée par l’enseignement de la théologie, celle de Pavie par l’enseignement du droit, celles de Salamanque et de Montpellier par l’enseignement de la médecine, celle d’Oxford par la théologie et la philosophie. 17 Cf. VERGER J., « Universităţi », loc. cit., ed. cit., p. 787. 18 Ibidem. 19 Ibidem. 476 RADU ŞTEFAN VERGATTI

Dante a fait l’éloge, Siger de Brabant, Boèce de Dacie, etc., qui ont exigé que l’on enseigne et commente l’aristotélisme intégral. De même, il ne faut pas oublier que c’est à l’Université de Prague qu’éclata la révolte hussite et à l’Université de Wittenberg la réaction contre Martin Luther. C’est dans le milieu universitaire qu’est apparue une nouvelle hypostase humaine, l’intellectuel. Son outil de travail était la raison et il était complètement différent de ses antécesseurs agriculteurs, artisans, marchands, guerriers et nobles ou même moines qui travaillaient manuellement pour la prospérité de l’église. Tous les intellectuels issus des universités décrochaient à la fin de leurs études – « studia generale » – un diplôme appelé « licentia docendi ». Ce diplôme leur permettait de pratiquer des métiers intellectuels, juriste, avocat, médecin, professeur, etc. Les diplômes d’une grande université notamment – Paris, Bologne, Oxford, etc. – garantissaient le professionnalisme de leurs possesseurs. C’est parmi ces diplômés que seront sélectés les conseillers royaux et papaux, les conseillers des grandes communes, les avocats qui plaidaient dans les affaires les plus importantes, comme le conflit qui opposa Boniface VIII au roi de France Philippe IV le Bel. La cause de la monarchie fut soutenue par des spécialistes en droit comme Guillaume de Nogaret et Pierre Flotte20. Dans le cadre de l’université est né un nouveau type de livre, le manuel21, qui est devenu un des principaux instruments de travail de l’intellectuel du XIIIe siècle et jusqu’à présent22. Remarquons aussi dans le cadre de notre discussion le fait que certains étudiants n’ont pas fini leurs études pour des raisons diverses. Il faut aussi remarquer qu’une partie des professeurs ont été enlevés de leurs fonctions, et même excommuniés – et la raison a été en premier lieu l’envie ignoble de leurs collègues qui occupaient des fonctions administratives de direction23. Mais cette situation n’a pas fait baisser le prestige des universités. Par contre, on a vite remarqué que les cours magistraux étaient à même d’élever le niveau de l’enseignement. Les professeurs faisaient l’exégèse 20 DIVErreS Armel, Chronique métrique attribuée à Geffroy de Paris, Thèse pour le doctorat de l’Université, présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, le 1er avril 1950, Strasbourg, 1956, v. 3339-3344, 5719-5736, 5623-5624 ; le chroniqueur bourgeois est tout à fait d’accord avec l’action du roi, à savoir la condamnation et la dissolution de l’ordre des Templiers, et la condamnation de Jacques de Molay à être brûlé vif. 21 Cf. LE GOFF Jacques, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 100. 22 Ibidem. 23 Mentionnons d’abord les professeurs du XIIIe siècle, Siger de Brabant et Boèce de Dacie ; au XVIIe siècle, Théophile Corydalée de la Grande École de la Patriarchie et, de nos jours, Sylvain Gouguenheim de Lyon. Des documents, des incunables et des livres traitant des universités... 477 des textes devant et avec leurs étudiants, méthode qui a été injustement critiquée par les humanistes formés et travaillant en dehors des universités. Malgré tout cela, à partir du XIIIe, les professeurs de Paris et d’Oxford ont imposé une autre manière de penser que les philosophes contemporains sont en cours de découvrir. Les écrits d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin se sont concentrés sur la foi et la raison ; grâce à Ockham et à ses adeptes, les nominalistes, ont été ébranlées les thèses de l’autorité et a été ouverte la voie à la pensée libre, ce qui a permis ainsi l’affranchissement du contrôle strict des théologiens. Aux XIVe et XVe siècles, dans les universités de Paris et d’Oxford se sont développées les recherches dans le domaine de l’astronomie et de la mécanique. Se fondant sur l’Évangile de Jean, les professeurs-moines ont découvert la matérialité du monde, la lentille et les lunettes. Dans le cadre de l’enseignement universitaire se sont développés le goût et l’intérêt pour l’observation scientifique, l’expérimentation et la quantification. Malheureusement, les préjugés de la société et des autorités ont exercé un contrôle excessif sur la littérature, la conception de l’histoire, les arts, la technique. Par conséquent, le courant humaniste, avec toutes ses implications, est né en dehors des universités. Il ne faut pas oublier que ces clercs – professeurs et étudiants – ont imposé le modèle de l’intellectuel et ont permis à l’humanité d’accéder au progrès. Les universitaires n’ont jamais oublié la raison d’être de leur institution – « chasser les nuages, de l’ignorance, dissiper les ténèbres de l’erreur, situer les actes et les œuvres dans la lumière de la vérité, exalter le nom de Dieu et de la Foi catholique […], être utile à la communauté et aux individus, accroître le bonheur des hommes »24. Au centre et au SE de l’Europe le progrès des universités fut tardif à cause des guerres provoquées par la Sublime Porte qui s’acharnait à conquérir la région. Ce n’est qu’au XVIIe siècle, quand la Sublime Porte est entrée dans une crise profonde et irréversible, que l’enseignement roumain a pu s’épanouir. Après la fondation d’écoles élémentaires ecclésiastiques à Bucarest, Craiova, Râmnic, etc.25, le grand chambellan Constantin 24 Cf. la bulle qui atteste la fondation de l’Université de Cologne le 21 mai 1388 – apud VERGER J., « Universităţi », loc. cit., ed. cit., p. 793. 25 EI N D OGLU Gheorghe, Cea mai veche şcoală românească cu caracter statornic, şcoala de la Sf. Gheorghe Vechi, in Convorbiri Literare, XLV, III, 1913 ; POTRA G., Şcoala românească de slovenie de la biserica Sf. Gheorghe Vechi din Bucureşti, in: Glasul Bisericii, XX (1961), no 9-10, p. 837-838 ; BĂLAN Constantin suppose que l’école serait fondée plus tard, qu’elle daterait soit du règne de Grigore Ier Ghica (1660–1664 ; 1672–1674) ; il l’affirme sans tenir compte des recherches antérieures et des documents bucarestois (cf. BĂLAN Constantin, cap. VIII ; Cultura în Ţara Românească şi Moldova, in: 478 RADU ŞTEFAN VERGATTI

Cantacuzène fonda en 1646 à Târgovişte une schola graeca et latina. C’est ici qu’enseignèrent les érudits Pantelimon Ligaridis et Ignace Petritzis, les douze élèves étant des fils de nobles, dont les propres fils du chambellan, Şerban, le futur voïévode, Constantin, le futur grand sénéchal (stolnic), et Mihai, le futur spathaire26. Par la suite, après avoir accédé au trône, Şerban Cantacuzène (1678–1688) fonda en 1683 l’Académie Princière du Monastère Saint Sava de Bucarest. J’appuie cette datation, 1683, sur une note des miscellanées grecques où un spoudaios mentionnait le 28 août 1683 qu’il avait pu comprendre « les vers d’or de Pythagore » à l’aide de Kir Sevastos Kiminites. Par ailleurs, je m’appuie aussi sur une lettre que ce même Sevastos Kiminites adressait en juin 1688 à Michel Cantacuzène et sur un enkomion prononcé par le même professeur grec en décembre 1688 à Bucarest. Tous ces documents infirment et corrigent les datations antérieures, 1680, date proposée par N. Iorga, reprise récemment tale quale par C. Bălan, 1694, proposée sans fondement documentaire par I. Ionaşcu27. En 1683 le programme de l’Académie Princière a été conçu par d’anciens étudiants padouans, ensuite par des professeurs attachés à la Grande École de la Patriarchie d’Istanbul – Sevastos Kiminites et Jean Cariofil, Ghermanoss Loco, ancien hiérarque de Nyssis, le stolnic

Istoria Românilor, vol. V, O epocă de înnoiri în spirit european (1601–1711/1716), coord. par l’académicien CÂNDEA Virgil, secrétaire scientifique REZACHEVICI Constantin, Bucureşti, 2003. p. 875) ; BĂLAN Constantin commet une autre erreur lorsqu’il affirme que le futur grand chambellan Constantin Cantacuzène aurait fréquenté l’école de Saint Georges le Nouveau de Bucarest, ayant pour guide par le moine Dionisie (idem, p. 871) – il s’agit là d’une confusion entre le professeur appelé par Constantin Cantacuzène dans ses notes « Chir Dionisie, dascălul meu » (« M. Dionisie, mon maître »), avec lequel il avait étudié à Andrinople, dans un petit monastère de Jérusalem, et Saint Georges le Nouveau, qui deviendra un monastère dépendant de la Patriarchie de Jérusalem seulement en 1707 (cf. DIMITRESCU Florica, Însemnările de călătorie şi de studii la Constantinopol, Veneţia şi Padova ale lui C. Cantacuzino, in: Idem, Contribuţii la istoria limbii române vechi, Bucureşti, 1979, p. 116). En 1708 le métropolite Antim Ivireanul a fondé à Râmnic une école où a été nommé comme professeur Ivan de Făgărăş (cf. OLTEANU Vasile, Antim Ivireanul şi românii din Scheii Braşovului. Mărturii inedite, in: BOR, no 3-4, 1980, p. 408). 26 PAPACOSTEA Victor, Originile învăţământului superior in Ţara Românească, in: Studii, XIV, (1961), 5 ; publié par la suite dans Revue des Études Sud-Est Européennes (RÉSEE), I, (1963), no 1-2, p. 23-24. 27 Cf. BĂLAN Constantin, op. cit., in: Istoria românilor, vol. V, ed. cit., p. 876 ; IONAŞCU Ion, Cu privire la data întemeierii Academiei Domneşti de la Sfântu Sava din Bucureşti, in: Studii, XVII, 1964, 6, p. 1253-1271 ; le point de vue de IONAŞCU Ion a été repris par CRONŢ Gh. dans Începuturile Academiei domneşti din Bucureşti, in: Materiale de Istorie şi Muzeografie, vol. IV, Muzeul de Istorie a Oraşului Bucureşti, 1964, p. 15-24. Des documents, des incunables et des livres traitant des universités... 479

Constantin Cantacuzène. Le dernier venait au secours de son frère, Şerban Cantacuzène, qui voulait que son fils soit instruit dans cette académie. Tous ont prêté à l’académie un caractère qui la rapprochait des Facultés des Arts des universités occidentales, sans que la marque roumaine soit absente. Dans l’automne 1707, après la rupture avec ses oncles de la famille des Cantacuzène, Constantin Brancovan aidé par Hrisant Nottaras, l’érudit patriarche de Jérusalem, réorganisa l’Académie Princière, accentuant son caractère de faculté des arts. À sa tête furent nommés comme directeurs des professeurs illustres, comme Sevastos Kiminites28, Marcu Porphyropoulos de Chypre, Georges Hypomenos de Trébizonde. Ils ont intégré dans le corps enseignant des savants comme Jean Cariofil, le docteur Ion Molybdos-Comnène, Gheorghe Mayota le Crétois, qui avait fait ses études à Rome et Venise, Panaiot de Sinope, qui avait étudié en Italie, Mitrophan Gregoras, un érudit éditeur, Maxime du Péloponnèse, Theodor Simion, Jean Abramios, Bartolomeo Ferrati, etc. L’enseignement était organisé en trois cycles et la manière dans laquelle étaient dispensés les cours rappelle le modèle de l’Université de Padoue29. Remarquons que dans le programme figuraient aussi les matières propres à la formation des médecins. Le spoudaios faisait ses stages pratiques à l’hôpital du Monastère Colţea qui disposait de 24 lits. Inauguré le 4 décembre 1704, en même temps que la consécration de l’église, cet hôpital était très moderne ; les malades y étaient non seulement soignés, mais ils le quittaient, ce qui était tout à fait différent du système de l’hôtel-Dieu ou de ce qu’on appelait en roumain bolniţe qui obéissaient à une conception asilaire, où les malades une fois admis étaient retenus jusqu’à leur mort. Très tôt l’Académie Princière a connu une reconnaissance et un prestige particuliers. Je l’affirme en m’appuyant sur les matricules de l’Académie ; en effet, selon le docteur Alexandru Helladios en 1712 il y avait environ 200 de étudiants30. Parmi eux on retrouve des boursiers venus d’Istanbul, de Moldavie, de Transylvanie et même deux étudiants de Russie, envoyés par le tsar Pierre le Grand31. Le voïvode Constantin Brancovan envoya

28 Pour sa biographie, v. IONESCU Ştefan, Epoca Brâncovenească, Cluj-Napoca, 1981, p. 156. 29 Cf. VERGATTI (CIOBANU) Radu Ştefan, Pe urmele stolnicului Constantin Cantacuzino, Bucureşti, 1982, p. 60-100. 30 Numerus studiosorum quandoque CL, quandoque CC superat (cf. HELLADIUS Al., Status praesens ecclesiae graecae, Altdorf, 1714, p. 17 ; c’est lui également à avoir remarqué que l’établissement merite bien l’appellation d’Académie: « Neque miram est Bucurestium Academiam vocari »). 31 PAPACOSTEA Victor, Doi bursieri ai lui Petru cel Mare la şcolile din Bucureşti, 480 RADU ŞTEFAN VERGATTI en échange une quinzaine de boursiers à Istanbul, à Venise, à Padoue32 et même à Oxford33. Malgré ce que pense et affirme Ariadna Camariano-Cioran34, comme le prouve la correspondance de Radu Dudescu35, près du nouveau bâtiment de l’Académie on n’avait pu élever une bibliothèque36. Malheureusement, l’Académie Princière du monastère Saint Sava de Bucarest, la seule à avoir un caractère universitaire au XVIIe siècle au SE de l’Europe, disparaîtra en 1714, lorsque le voïvode Constantin Brancovan sera détrôné. Dans sa haine, son cousin qui sera aussi son successeur au trône, Stefan Cantacuzène, a choisi de détruite l’Académie Princière37. Ce fut une forme de suicide culturel et intellectuel des Roumains, vu que l’Académie fondée en 1716 à Iaşi par les boyards de la famille de Mavrocordato n’a jamais pu égaler l’Académie de Bucarest. in: Studii, XIV (1961), no 1, p. 115-121 ; Cf. l’oukase du 7 février 1705, in: Istoriceskie sviazî narodov SSSR i Rumâinii v XV– naciale XVIII v., Documentî i materialî v treh tomah/ Relaţiile istorice dintre popoarele URSS şi România în veacurile XV – începutul celui de- al XVIII-lea, Documente şi materiale in trei volume, tom III, 1673–1711, Moscova, 1970, p. 220, no 63. 32 Cf. RUFFINI Mario, L’influsso italiano in Valacchia nell’epoca di Constantino voda Brâncoveanu (1688–1714), Monachi, 1974, p. 208 ; CERNOVODEANU Paul, VĂTĂMANU Nicolae, Un médecin princier moins connu de la période phanariote, in Balkan studies, Salonic, vol. 18 (1977), Ière partie, p. 13-30. 33 Cf. PIPPIDI Andrei, Putere şi cultură în epoca lui Brâncoveanu, in: AIIAI, 25, 1988, 2, p. 361-367. 34 Cf. CAMARIANO-CIORAN Ariadna, Academiile domneşti din Bucureşti şi Iaşi, Bucureşti, 1971, p. 21. 35 Documente privitoare la istoria românilor culese de Eudoxiu de Hurmuzaki, vol. XIV/1, 1320–1716, publiés pas de N. Iorga, Bucureşti, 1915, p. 77 (qu’on va citer plus loin comme HURMUZAKI-IORGA). 36 Ibidem. 37 En 1715 l’Académie Princière de Bucarest sommeillait encore. C’est à ce moment- là que le professeur de philosophie Marcu Porphyropoulos écrivit à Hrisant Nottaras que le voïvode Stefan Cantacuzène aurait protégé les professeurs (cf. HURMUZAKI-IORGA, vol. XIV/1, ed. cit., p. 703, 704) ; le texte a représenté une action habile par laquelle Marcu Porphyropoulos voulait obtenir certains avantages de la part du dernier voïvode indigène ; en réalité, ce voïvode avait dénigré devant les Turcs et devant les futurs voïvodes du pays, les Mavrocordat, toute l’activité de l’Académie ; on avait remis aux Turcs tous les documents trouvés dans les cellules du Monastère de Colţea, des documents qui par leur contenu ont nui à l’Académie (Cf. ERBICEANU C., Documente inedite privitoare la istoria naţională, politică şi bisericească, in: Biserica Ortodoxă Română (BOR), XVI (1892), p. 289-302) ; pendant la guerre de 1716 à 1718, l’Académie a cessé de fonctionner ; l’activité a repris difficilement en 1719 ; l’Académie a continué de fonctionner de manière sporadique, avec des interruptions, jusqu’en 1821. Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier in Deutschland? Französische Gesinnungselemente im Lebenswerk Martin Schmeizels1

ATTILA VERÓK

In der Kultur- und Buchgeschichte des frühneuzeitlichen Ungarn gilt der siebenbürgisch-sächsische Polyhistor, der namhafte Geschichtsschreiber und Wissenschaftshistoriker Martin Schmeizel (1679–1747) als eine merkwürdige Person. Der größte Teil seines Lebens und Wirkens spielte sich weit von seiner Heimat, hauptsächlich auf deutschem Boden ab. Er verwaltete jahrzehntelang wichtige Lehr- und Führungspositionen an den Universitäten Jena und Halle an der Saale. An diesen Hochschulinstitutionen unterrichtete er vershiedene Fächer wie profane und Kirchengeschichte, Rechtsgeschichte, historia litteraria, Geografie, Heraldik, Publizistik, Statistik, Numismatik usw. für Hunderte von Studierenden, die aus dem Donau-Karpatenraum zwecks Studium nach Deutschland kamen. Seine geistigen Einflüsse sind bei einigen siebenbürgischen (meist sächsischen) Historiker und Kulturmäzen wohl nachweisbar. In der vorliegenden Studie wird in Hinsicht auf die wissenschaftliche Tätigkeit Schmeizels ein bisschen näher untersucht, wie stark die frankophonen Einflüsse – das heißt, die französische Manier und Gesinnung – da vertreten sind, welche Rolle die französischen Autoren in den wissenschaftlichen Werken des siebenbürgisch-sächsischen Historikers gespielt haben, ob französische Verfasser in der Schmeizelschen Bibliothek durch ihre Werke präsent waren usw. Diesen Problemkreis zu studieren ist ein interessanter Versuch, weil die Spuren der französischen Mentalität und

1 Die Erstellung dieser Studie wurde durch die Unterstützung des János-Bolyai- Forschungsstipendiums der Ungarischen Akademie der Wissenschaften ermöglicht. 482 ATTILA VERÓK des französichen Geistes anhand der inventarisierten Bücherverzeichnisse und der aufgezeichneten bzw. heute noch vorhandenen Büchersammlungen aus der Frühen Neuzeit im geschichtlichen Ungarn kaum zu beobachten sind. Das Schmeizelsche Lebenswerk mischt die Charakteristik mehrerer kultureller Regionen Europas beachtenswert zusammen: Er als deutschsprachiger Hungarus2 hat an deutschen Universitäten lateinisch- und deutschsprachige Vorlesungen meist mit Bezug zu Ungarn gehalten bzw. lateinisch- und deutschsprachige wissenschaftliche Werke geschrieben, die ab und zu vom französischem Geist durchtränkt waren. Zur besseren Untersuchung der Problematik trägt die Tatsache günstig bei, dass uns das Verzeichnis der Gelehrtenbibliothek des genannten Polyhistors und ein rekonstruierter Teil der Büchersammlung seit kurzer Zeit zur Verfügung steht. In den folgenden werden also die hier erwähnten Punkte detaillierter unter die Lupe genommen und die Frage mit vorsichtigem Vorbehalt beantwortet, ob Schmeizel wirklich als einen frankofonen Menschen in der ungarländischen Kulturgeschichte angesehen werden darf.

2 Zur richtigen Terminologie und Interpretation des Begriffs Hungarus siehe Szűcs Jenő: Nemzetiség a feudalizmus korában [Nationalität im Zeitalter des Feudalismus]. Budapest, 1972. (Értekezések a történeti tudományok köréből. Új sorozat; 64.); Ders.: Vázlat Európa három történeti régiójáról [Grundriss über die drei historischen Regionen Europas]. Budapest, 1983. (Gyorsuló idő); Ders.: A nemzet historikuma és a történetszemlélet nemzeti látószöge. Hozzászólás egy vitához [Das Historikum der Nation und der nationale Blickwinkel der Geschichtsauffassung. Äußerung zu einer Diskussion]. In: Ders.: Nemzet és történelem. Tanulmányok [Nation und Geschichte. Studien]. Budapest, 21984. (Társadalomtudományi könyvtár), S. 11- 188; Szűcs Jenő: A magyar szellemtörténet nemzet-koncepciójának tipológiájához [Zur Typologie des „Nation”-Konzepts in der ungarischen Geistesgeschichte]. In: Ders.: Nemzet és történelem. Tanulmányok [Nation und Geschichte. Studien]. Budapest, 21984. (Társadalomtudományi könyvtár), S. 281-326; Szűcs Jenő – Hanák Péter: Európa régiói a történelemben [Die Regionen Europas in der Geschichte]. Budapest, 1986. (Előadások a Történettudományi Intézetben; 3); Klaniczay Tibor: Hungaria és Pannonia a reneszánsz-korban [Hungaria und Pannonia im Zeitalter der Renaissance]. In: Irodalomtörténeti Közlemények 91-92 (1987-1988), Heft 1-2. S. 1-19; ders.: Die Benennungen „Hungaria” und „Pannonia” als Mittel der Identitätssuche der Ungarn. In: Klaniczay, Tibor – Németh S., Katalin – Schmidt, Paul Gerhard (Hrsg.): Antike Rezeption und nationale Identität in der Renaissance insbesondere in Deutschland und in Ungarn. Budapest 1993. (Studia Humanitatis; 9.) S. 83-110 und Szelestei N. László: Hungarus-tudat [Hungarus-Bewusstsein]. In: In: Kőszeghy Péter (Hrsg.): Magyar művelődéstörténeti lexikon középkor és kora újkor [Lexikon für Kulturgeschichte Ungarns. Mittelalter und Frühe Neuzeit]. IV. halételek – Jordán. Budapest, 2005. S. 225 (mit weiterführender Literatur). Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 483

Wichtigere Stationen vom Leben und Werk Martin Schmeizels

Martin Schmeizel wurde 1679 in Kronstadt geboren. Er ging Ende 1699 mit seinem Landsmann Andreas Bogner (1678–1749) nach Jena, wo sie sich im Januar 1700 an der Universität immatrikuliert haben. Nach abendteuerlichen Studienjahren ist er Magister, dann Privatdozent und noch später Professor an der Universität Jena geworden. Im Jahre 1731 wurde er zum königlichen Rat und ordentlichen Professor an der Universität Halle an der Saale ernannt, wo er sich 1743 auch die Prorektoratwürde erwarb. Dank seines Talents konnte er sich in Deutschland als Polyhistor mit einem enorm großen Wissensbereich eine Karriere machen und eine in damaligen Fachkreisen wohlbekannte Laufbahn eines Europaweit berühmten Gelehrten aufweisen. Solange er in Siebenbürgen wegen der hinderlichen Umstände höchstens ein Lokalhistoriker hätte werden können, konnte er sich in Westeuropa im weitesten Sinne des Wortes voll entfalten. Er hat in etwa einem Dutzend Disziplinen seine geistigen Spuren sehr stark und bedeutenderweise hinterlassen.3 Hier zähle ich einige Wissenschaftsgebiete ohne Vollständigkeit im Schmeizelschen Lebenswerk auf: Die umfangreichste Arbeit hat er im Gebiet der Geschichtswissenschaft geleistet. Er schrieb nämlich sehr viel über profane und Kirchengeschichte Siebenbürgens, Ungarns, Deutschlands und anderer europäischer und außereuropäischer Länder. Er war auch im Bereich Rechtsgeschichte und Rechtswissenschaft sowohl auf theoretischer als auch praktisch- pädagogischer Ebene sehr bewandert und aktiv. Als Lokalhistoriker hat er die Geschichte der Stadt Jena und der dortigen Universität anhand für heute teilweise schon unauffindbarer Urkunden und handschriftlicher Quellen aufgearbeitet. In Halle nahm er die Geschichte und sfragistische Probleme der historischen Stempel der damals schon mehr als 900 Jahre alten Stadt 3 Erwähnt wurden hier – infolge anderes Schwerpunktes des vorliegenden Textes – nur die wichtigsten Wendepunkte im Schmeizelschen Lebenslauf. Viel mehr dazu siehe Seivert, Johann: Nachrichten von Siebenbürgischen Gelehrten und ihren Schriften. Preßburg, 1785. S. 367-376, Trausch, Joseph: Schriftsteller-Lexikon oder biographisch-literärische Denk-Blätter der Siebenbürger Deutschen. III. Band. Kronstadt, 1871. S. 185-204 und neulich Verók, Attila: „Es blickt die halbe Welt auf deinen Lebens- Lauff, / Und nimmt das, was Du schreibst, mit grosser Ehrfurcht auf.” Martin Schmeizel (1679–1747) élete és munkássága [Leben und Werk von Martin Schmeizel (1679– 1747)]. Dissertationsmanuskript. Szeged, 2008. 413 S. (Mit einer beinahe vollständigen Bibliographie zum Leben Schmeizels – im Druck.); Verók Attila: Stichwort „Schmeizel, Martin”. In: Kőszeghy Péter (Hrsg.): Magyar művelődéstörténeti lexikon X. Középkor és kora újkor [Lexikon für Kulturgeschichte Ungarns X. Mittelalter und Frühe Neuzeit]. reneszánsz – Szeben nyomdászata. Budapest, 2010. S. 254-256 (mit den neuesten Schriften des Verfassers zum behandelten Thema). 484 ATTILA VERÓK unter die Lupe. Daneben hat er das Hauptwerk seiner wissenschaftlichen Tätigkeit, nämlich eine dicke (über 700 Seiten), filosofisch gesinnte Zusammenfassung unter dem Titel Versuch zu einer Historie der Gelehrheit4 über die Geschichte der Wissenschaften geschrieben. Hier beim geschichtlichen Teil kann noch seine verzweigte Tätigkeit im Bereich historia litteraria erwähnt werden. Er wollte nämlich einen möglichst vollständigen Überblick über die geistige Intelligenzschicht Ungarns mit Schwerpunkt Siebenbürgen, d. h. über die gelehrten Leute und ihre literarische, wissenschaftliche Tätigkeit in Form von einem Lexikon oder einer Bibliographie zusammenstellen, das er aber nicht zu Ende führen konnte.5 Einen anderen Bereich seiner wissenschaftlichen Laufbahn stellt die Geografie und Kartografie dar. Er hat ein Buch unter dem Titel Eines rechtschaffenen Studenten Klugheit zu leben oder conversiren: zu Hause, auf Universitäten und auf Reisen6 mit neuen Reisekonzepten und Ratschlägen zum richtigen Verhalten im universitär-akademischen Bereich für die Peregrinanten verfasst. Anfang des 18. Jahrhunderts hat er die bis zu damaliger Zeit genaueste Siebenbürgen-Karte selbst gezeichnet und gestochen, die später in der Werkstatt der weltberühmten Kartografen Johann Baptista Homann in Nürnberg ans Tageslicht kam.7

4 Schmeizel, Martin: Versuch Zu einer Historie Der Gelehrheit, Darinnen überhaupt von dem Gantzen Cörper der Gelehrheit, und denn von allen dessen Theilen, auch deroselben Verbindung insonderheit, hinlängliche Nachricht gegeben wird. Zum Gebrauch eines Collegii Pvblici und zum Nutzen der Jugend auf Schulen und Gymnasien publiciret. Jena, 1728. 5 Zu diesem Teil siehe Verók, Attila: Im Dienst der Geschichtsschreibung, Literatur- und Wissenschaftsgeschichte an deutschen Universitäten. Die Rolle Martin Schmeizels in der ungarländischen historia litteraria am Anfang des 18. Jahrhunderts. In: Annales Universitatis Apulensis, Series Historica, Număr special. Schimbarea de paradigmă din istoria ecleziastică şi cea laică în Transilvania secolului al XVIII-lea. Lucrările Conferinţei ştiinţifice organizate la Alba Iulia, în 15–16 octombrie 2009 = Paradigm Change of the Ecclesiastic and Laic History of the Transylvania in the 18th Century. The Scientific Studies of the Conference Held in Alba Iulia, October 15–16, 2009. Alba Iulia – Cluj-Napoca, 2009. S. 65-76. [fortan: Verók, 2009] (Mit Aufzählung und Vorstellung der bezüglichen zahlreichen Schmeizel-Werken.) 6 Schmeizel, Martin: Eines rechtschaffenen Studenten Klugheit zu leben und zu conversiren: zu Hause, auf Universitäten und auf Reisen; zum Gebrauch academischer Lectionen entworffen. Halle, 1737. 7 Zu seiner geografisch-apodemischen Tätigkeit vgl. Verók Attila: Az európai apodémikus irodalom egyik jelentős magyarországi művelője: Martin Schmeizel (1679– 1747) és az utazási irodalom elmélete [Ein bedeutender ungarländischer Verfasser der europäischen apodemischen Literatur: Martin Schmeizel (1679–1747) und die Theorie Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 485

Den Weltruhm hat ihm seine Monografie Einleitung zur Wappen- Lehre versichert.8 Diese heraldische Arbeit galt als erste dieser Art, die eine neue Disziplin an den europäischen Universitäten einführen ließ. Seit der heraldischen Tätigkeit Schmeizels kann man über den legitimen Unterricht der Heraldik an der Universität Jena als erste in der Welt sprechen. Als Bibliothekar an der Universität Jena hat er neue Methoden in der Bearbeitung und Aufbewahrung der Bücher ausgearbeitet. Als Lehrer hat er schon in den Bereichen Bibliotheks- und Archivwesen mit einem Unterricht angefangen, was es damals noch gar nicht gab.9 An dieser Stelle muss ich noch die Gründung seiner Hungarica-Bibliothek nennen, aber darüber später mehr. Schmeizel hat in Jena einen sog. Zeitungskolleg ins Leben gerufen10, also die Nachrichten und Berichte der zeitgenössischen Zeitungen und Zeitschriften in den Unterricht an der Universität eingezogen und jahrelang selbst zwei Periodika herausgegeben.11 Er hatte sich auch theoretisch mit der Reiseliteratur]. In: Balázs Géza – H. Varga Gyula (Szerk.): Az utazás szemiotikája [Semiotik des Reisens]. Budapest-Eger, 2010. (Semiotica Agriensis; 7.) S. 313-332. 8 Schmeizel, Martin: Einleitung Zur Wappen-Lehre Darinnen die Grund- Sätze deutlich erkläret, und mit vielen Exempeln gehörig erläutert werden. Nebst der Blasonnirung des Kön. Preußischen Wappens. Jena, 1723. (Zweite Edition: Jena, 1734.) 9 Verók Attila: A Kárpát-medencéből a német egyetemi könyvtárosképzés fellegvárába? Martin Schmeizel és a könyvtár-pedagógia kezdetei [Aus dem Karpatenbecken in die Hochburg der universitären Ausbildung von Bibliothekaren in Deutschland? Martin Schmeizel und die Anfänge der Bibliothekspädagogik]. In: Bencéné Fekete Andrea (Szerk.): Lehetőségek és alternatívák a Kárpát-medencében. Módszertani tanulmányok [Möglichkeiten und Alternativen im Karpatenbecken. Methodologische Studien]. Kaposvár, 2011. S. 141-146. 10 Schmeizel, Martin: Abriß zu einem Zeitungs-Collegio, welchen er In einem pvblico collegio Seinen Herren Auditoribus Zur Continuation der neuen Historie umständlich und deutlich erläutern will. Mit einer Vorrede Von der Einrichtung dieses Collegii. Jena, 1723. 11 Für heute gibt es nur einige Exemplare zerstreut in Europa erhalten geblieben: (1) Einleitung Zur Neuesten Historie der Welt, Darinnen die merckwürdigste von Ostern 1723. vorgefallene Begebenheiten, in gehöriger Connexion vorgetragen und erläutert werden. Der I. Theil. Nebst gehörigem Register über die XII. ersten Stücke. Jena, 1723, (2) Einleitung Zur Neuesten Historie der Welt, Darinnen die merckwürdigste von Ostern 1723. vorgefallene Begebenheiten, in gehöriger Connexion vorgetragen und erläutert werden. Der II. Theil. Nebst gehörigem Register vom 13. biß 24. Stück. Jena, 1725, (3) Einleitung Zur Neuesten Historie der Welt, Darinnen die merckwürdigste von Ostern 1723. vorgefallene Begebenheiten, in gehöriger Connexion vorgetragen und erläutert werden. Der III. Theil. Nebst gehörigem Register vom 25. biß 36. Stück. Jena, 1727. – Parallel zum genannten Blatt gab er auch das Nachrichtenblatt Wahrhafftige Historische Nachricht (auf dem zusammenfassenden Titelblatt des zwischen 1725 und 1726 in 486 ATTILA VERÓK dem Zeitungswesen beschäftigt: Er war der Meinung, dass die Journalisten nicht berechtigt seien, die Nachrichten zu interprätieren, sie dürfen bloß referieren, weil sie in Verbindung mit den verschiedenen Themen nur so neutral bleiben können. Dann schreibt er viel über das ganze Arsenal des politischen Zeitungsschreibens, was heute noch sehr modern zu sein scheint.12 In der Statistikwissenschaft hat er auch viele Neuigkeiten eingeführt und zwar stammt die Bezeichnung der Disziplin („Statistik”) von ihm. Er schrieb immer unbefangen nicht nur über statistische Fragen, sondern in allen Themen, was damals absolut unüblich war. Das ist wieder ein Zeichen seiner Modernität. Er hat in Halle (aber auch weltweit!) die ersten numismatischen Vorlesungen gehalten, eine schöne und wertvolle Münzsammlung gegründet und eine inhaltreiche, doch posthumus erschienene Zusammenfassung mit dem Titel Erläuterung Gold- und Silberner Müntzen von Siebenbürgen herausgegeben.13 Er übte auch sprachwissenschaftliche Tätigkeit aus. Dabei hat er zur Entwicklung der Sprache der Siebenbürger Sachsen einen interessanten, aber bis heute außer Acht gelassenen Beitrag geleistet. Daneben war er auf einem neuen Gebiet der Sprachforschung als Bahnbrecher tätig. Er schrieb eine moderne theoretische Schriftenreihe über die akademischen Sprichwörter. Das ist ganz eigenartig.14 24 Nummern erscheinenden Blatt aus dem Jahre 1725 ist der folgende Titel zu lesen: Historische Nachricht von dem am 16. u. 17. Jul. 1724. zu Thorn in Preussen paßirten Tumult des gemeinen Volcks, wider das Jesuiter Collegium, Und der hierauff am 7 Dec. Erfolgten scharffen Execution einiger zum Todt verurtheilten Personen, aus sichern geschriebenen und gedruckten Nachrichten, und auf expresses Verlangen gesamlet u. dem Publico mitgetheilet. […] Der I. Theil samt gehörigem Register über die XIII. erste Stücke. Jena, o. J.) fortlaufend heraus, in dem er das zeitgenössische Vorgehen der wieder anhand seiner Korresponzenzbeziehungen und gedruckten Werke sich abzeichnenden, durch das gegen das Jesuitenkollegium in Torun demonstrierende polnische gemeine Volk hervorgerufenen Ereignisse behandelte. 12 Das Thema wird bis in die Einzelheiten erörtert bei Verók, Attila: Ein Vorläufer des modernen politischen Zeitungsschreibens aus dem 18. Jahrhundert. Martin Schmeizel und die Publizistik. Köln, 2012. (im Druck) 13 Schmeizel, Martin: Erläuterung Gold- und Silberner Müntzen von Siebenbürgen welche zugleich auch die merckwürdigste Begebenheiten des XVI, XVII, und XVIII, Jahrhunderts in selbigem Fürstenthum zu erkennen giebet. Herausgegeben und mit einer Vorrede begleitet von Michael Gottlieb Agnethler. Halle, 1748. 14 Die Problematik der Linguistik bei Schmeizel ist schon teilweise behandelt bei Verók, Attila: Sprachwissenschaftliche Tätigkeit eines Geschichts- und Juraprofessors aus Siebenbürgen. Martin Schmeizel und die Linguistik in der ersten Hälfte des 18. Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 487

Schmeizel als Pädagoge hat enorm viel zur Entfaltung einer neuen Universitätsdisziplin, nämlich der Hodegetik geleistet. Das ist eine didaktische und lebensnahe Einführung der Studienanfänger in die Lebensführung an der Universität. Zum Thema hat er mehr Bücher geschrieben und Vorlesungen gehalten.15 Als letzter Punkt der Biografie soll noch die sog. „hungarologische” Tätigkeit Schmeizels erwähnt werden.16 Hierzu zählen u.a. seine Vorlesungen und Seminare zur (Kultur)geschichte des Karpatenbeckens, seine selbst produzierten Zeitschriften mit Bezug zu Ungarn bzw. seine hochinteressante Gelehrtenbibliothek. In einer Teilsammlung derer befanden sich ausschließlich handschriftliche und gedruckte Werke mit Bezug zum geschichtlichen Ungarn mit Schwerpunkt Siebenbürgen, d. h. Patriotica-, genauer gesagt Hungarica- oder Transylvanica-Literatur. Diesen Bestand hat er mit großer Sorgfalt, also möglichst ohne Lücken gesammelt. Selbstverständlich kennt man vor Schmeizel schon viele Bibliotheken in der Buchgeschichte, die auch Ungarn betreffende Bücher enthielten, aber sie waren nie planmäßig und zielbewusst gesammelt. Ein ausgesprochenes Konzept für das Sammeln von zum Inbegriff Hungarica gehörenden Werken hat zuerst Schmeizel zur Anwendung gemacht, deshalb kann diese Büchersammlung als die erste Hungarica-Privatbibliothek der Welt genannt werden.17 Jahrhunderts. In: Deutsche Sprache und Kultur in Siebenbürgen. Studien zur Geschichte, Presse, Literatur und Theater, sprachlichen Verhältnissen, Wissenschafts-, Kultur- und Buchgeschichte; Kulturkontakten und Identitäten. Herausgegeben von Wynfried Kriegleder, Andrea Seidler und Jozef Tancer. Bremen, 2009. (Presse und Geschichte – Neue Beiträge; Bd. 41.) S. 179-186. 15 Die Vorstellung der pädagogischen und hodegetischen Konzepte Schmeizels stehen im Mittelpunkt der folgenden Studie: Verók Attila: A „tudós tanár” prototípusa a 18. század első felében. Martin Schmeizel és az egyetemi pedagógiai oktatás a felvilágosodás előestéjén Németországban [Der Prototyp des „gelehrten Lehrers” in der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts. Martin Schmeizel und der pädagogische Unterricht an deutschen Universitäten am Vorabend der Aufklärung]. In: Margonauták. Írások Margócsy István 60. születésnapjára [Margonauten. Schriften anlässlich des 60. Geburtstags von István Margócsy]. Budapest, 2009. S. 103-109. [Elektronische Variante: http://rec.iti.mta.hu/rec. iti/Members/szerk/margonautak-1] 16 Die Exponierung der stark umstrittenen Frage unternahm ich in einem Aufsatz: Verók, Attila: „Du aber willst allhier dem Vaterlande dienen/Du bist auf Ungerlands Historien bedacht.” Die frühen Spuren der hungarologischen Tätigkeit von Martin Schmeizel (1679–1747). In: Ungarn-Jahrbuch. Zeitschrift für interdisziplinäre Hungarologie. Band 29, Jahrgang 2008. Herausgegeben von Zsolt K. Lengyel. München, 2009. S. 375-386. 17 Mehr über die Entstehungsgeschichte und Zusammensetzung der Bibliothek 488 ATTILA VERÓK

So viel kurz über ihn. Zusammenfassend kann die geschilderte Laufbahn folgenderweise bewertet werden: Da Schmeizel aus einer periferischen Region Europas stammte, wo die Grundbildung der dort lebenden Intellektuellen noch sehr tief und breit war, konnte er sich in den westeuropäischen Wissenschaftskreisen leicht auszeichnen. Zu dieser Zeit, vielleicht im letzten historischen Moment hatte man noch in Westeuropa die Möglichkeit, von den „allgemeinen” Gelehrten hervorzuragen. Später konnte man es ausschließlich in einem speziellen Gebiet verwirklichen.

Frankophone Elemente im Schmeizelschen Lebenswerk

Obwohl es auf den ersten Blick bei einem Hungarus deutscher Zunge vielleicht zwecklos und kühn zu sein scheint, von einer frankophonen Einstellung zu reden, kann gerade am Beispiel Schmeizels beweisen, dass es selten auch Ausnahmen gibt. Im Allgemeinen war – wie im einleitenden Teil schon erwähnt – eine französische kulturelle Orientierung in der Frühen Neuzeit im Karpatenbecken kaum zu beobachten. Nur manchmal findet man Aristokraten oder reiche Bürger, die mit der französischen Kultur eng verbunden waren und diese Verbindung beispielsweise anhand ihrer Bücher nachweisbar ist.18 siehe Verók, Attila: Kurzer Überblick über die erste Hungarica-Privatbibliothek der Welt. In: Wissenschaften im Dialog. Studien aus dem Bereich der Germanistik. Band 1. II. Internationale Germanistentagung Wissenschaften im Dialog 20.–22. Februar 2008. Herausgegeben von Szabolcs János-Szatmári in Zusammenarbeit mit Judit Szűcs. Klausenburg-Großwardein, 2008. (Schriftenreihe des Lehrstuhls für germanistische Sprach- und Literaturwissenschaft der Christlichen Universität Partium/Großwardein; Band 4). S. 131-147; Ders.: Ein Gelehrter und seine Gelehrtenbibliothek als die erste Hungarica-Privatbibliothek der Welt. In: Radimská, Jitka (ed.): K výzkumu zámeckých, měšťanských a církevních knihoven (Pour une étude des bibliothèques aristocratiques, bourgeoises et conventuelles/Zur Erforschung der Schloss-, Bürger- und Kirchenbibliotheken/Investigaciones en las bibliotecas aristocráticas, burguesas eclesiásticas). Jazyk a řeč knihy. České Budějovice, 2009 [2010!]. (Editio Universitatis Bohemiae Meridionalis – Opera Romanica; 11.) S. 309-328; Ders.: Az első magyar történeti szakkönyvtár? Martin Schmeizel és történeti hungarikumai [Die erste Fachbibliothek für Geschichte in Ungarn? Martin Schmeizel und seine Hungarica]. In: Acta Academiae Agriensis. Nova series Tom. XXXVII. Sectio historiae. Eger, 2010 [2011!]. S. 49-81. 18 Vgl. Monok, István: Influences françaises dans les lectures hongroises, 1660- 1760. In: Est-ouest: Transferts et réceptions dans le monde du livre en Europe (XVIIe–XXe siècle). Ed. par Frédéric Barbier. Leipzig, 2005. (L’Europe en réseaux. Contributions à l’histoire de la culture écrite, 1650–1918. – Vernetztes Europa. Beiträge zur Kulturgeschichte des Buchwesens, 1650–1918. Bd. II.) S. 235-245 und Ders.: Batthyány Boldizsár, a franciás [Balthasar Batthyány, ein Mann von französischer Gesinnung. In: Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 489

Schmeizel gehörte nicht diesen Gesellschaftsgruppen an, er hatte einen anderen Lebensweg. Ehe die anderen ihre französisch orientierte Ausbildung schon in der Schule oder von Hauslehrern erworben haben, hatte er als Sohn eines örtlichen Predigers dafür keine Möglichkeit in Siebenbürgen. Im Kronstädter Gymnasium konnte er nämlich die französische Sprache nicht erlernen, weil dort mit dem Französischunterricht erst in der Napoleonzeit angefangen wurde und die Familie Schmeizel konnte keinen Hauslehrer leisten. Als Martin sich mit 20 Jahren auf den Weg nach Westeuropa machte, konnte er aller Wahrscheinlichkeit nach noch kein Französisch. In Jena aber kam er mit dem französischen Lebensgefühl – im letzten historischen Moment – in Kontakt, weil an der Universität noch die immer mehr zurückgehenden, hinterlassenen Spuren einer allgemeinen französischen, barocken Mentalität herrschten.19 Hier muss er die französische Sprache und den französischen Schreibstil erlernt haben, davon zeugen ihre Schriften und die Bücher seiner Gelehrtenbibliothek. Später hatte er auch in Halle die Möglichkeit, die Neigung zum französischen Geist im universitären Bereich aufrechtzuerhalten oder sogar zu vertiefen. Im Folgenden nehme ich der Reihe nach einige Elemente vor, die sehr wohl zeigen, dass Schmeizel die französische Sprache und Kultur gut kannte bzw. sie als Arbeitsmittel verwendet haben. Mit dem Milieu in Jena kann ein Phänomen im Zusammenhang sein, was sehr auffallend bei Schmeizel ist. Es geht hier um seine Schriften und seinen Schreibstil. Er scheint wirklich „grafoman” zu sein: Er hatte mehr als 60 selbständige Bücher herausgegeben, mehrere Dutzende publizistische Schriften veröffentlicht, Vorworte, Lexikonstichwörter und Gelegenheitsgedichte in großer Anzahl geschrieben und eine weitverzweigte Korrespondenz geführt. Und all das hat er – dem Anschein nach – mit leichter Mühe, ohne Anstrengung und mit Lust getan. Er schrieb also, was den Stil anbelangt, wirklich mit galanter, französischer Manier! Diese Behauptung bestätigend verwendete er gelegentlich auch französische Ausdrücke im deutschen oder lateinischen Text,20 von heute gesehen ist das ein Beweis Acta Universitatis Szegediensis. Acta Historiae Litterarum Hungaricarum, Tomus XXIX. Ötvös Péter Festschrift. Szeged, 2006. S. 185-198 und Ders.: Boldizsár (Balthasar) Batthyány, un homme de culture française. In: 300 ans apres la intronisation de l’érudit roumain Dimitrie Cantemir en Moldavie. Symposium International Le livre, la Roumanie, l’Europe. III. Bucureşti, 20–24. Septembre 2010. Bibliotheque Métropolitaine de Bucarest, Académie Roumaine, Université de Bucarest. Bucarest, 2010. S. 18-20. 19 Borkowsky, Ernst: Das alte Jena und seine Universität. Eine Jubiläumsausgabe zur Universitätsfeier. Jena, 1908. S. 69-70. 20 In den folgenden Fußnoten gebe ich immer nur ein bis zwei Musterbeispiele für die einzelnen Feststellungen des Haupttextes an. Es hätte nämlich keinen Sinn, die 490 ATTILA VERÓK dafür, dass er in der betroffenen Sprache bewandert war. Er verhielt sich also auf dem Papier so, wie es einem Buch aus seiner Gelehrtenbibliothek hätte entnommen werden können: ganz wie Der galante und beliebte Franzose (1724).21 Um aber ein richtiges Bild über seine Schreibkunst zu bekommen, muss nachdrücklich betont werden, dass er außer des Stils gar nicht mit der französischen Eleganz seine Texte gestaltete. Wenn man nur einen Blick auf die wissenschaftlichen Texte des Professors wirft, kann sofort feststellen, dass die reichhaltigen und zahlreichen Notizen mit deutscher Gründlichkeit zusammengestellt sind, die im ersten Moment eher abschreckend wirken als durch ihre leichte Eleganz zu einer mühelosen Lektüre anlocken. Die Medaille hat also zwei Seiten. Wenn schon seine wichtige Privatbibliothek erwähnt wurde, setzen wir mit seinen Büchern fort. Die Schmeizelsche Büchersammlung verfügte über zwei großen Sammelbereichen: den allgemeinen, europäischen wissenschaftlichen Werken der einzelnen Disziplinen (über 3.500 Werke), die auch für Schmeizel relevant waren, und einem Hungarica- bzw. Transylvanica-Bestand (über 600 Werke). Ohne eine statistische Analyse über die thematische und sprachliche Zusammensetzung der Sammlung zu bereiten, zähle ich nur einige Zahlenangaben mit Bezug auf die französischen Werke vor. In der Bibliothek gab es zahlreiche frankophone Drucke. Anhand der drei gedruckten Kataloge der Bibliothek22 und des

N otizen durch viele Bezugnahmen überlasten. Ich hoffe, dass die aufgelisteten Beispiele überzeugenderweise unterstützen, was ich sagen will. Wo es verwirklicht werden kann, nehme ich immer Exempel aus kaum bekannten oder kaum zugänglichen Schmeizel-Texte und nicht aus seinen Büchern, die ziemlich leicht in großen Bibliotheken Europas erreichbar sind. – Hierzu hebe ich eine publizistische Schrift Schmeizels hervor, in der er auch mit französischen Wörtern und Ausdrücken spielt. Vgl. Nachricht und Erläuterung etlicher ihrem Ursprung nach Academischer Sprüchwörter, als Er ist ein Maulaff, ein Haase, ein Schulfuchs, ein Saalbader, ein Philister, der Bruder Studium, Pereat rufen u. a. m. In: Wöchentliche Hallische Anzeigen, Num. X., Montags den 7. Mart. 1746. S. 144-156. 21 Vgl. [Agnethler, Michael Gottlieb]: Bibliotheca Schmeizeliana sive Index Librorum Viri illvstris Martini Schmeizelii qvondam Avgvstissimi Borvssiae Regis consiliarii avlici et ivris pvblici ac historiarvm prof. pvbl. ordin. Solenni avctionis lege die XXVIIII. mensis April. MCCXXXXVIII. In B. possessoris aedibvs horis consvetis distrahendorvm. Accedit antiqvorvm et recentiorvm qvorvndam nvmismatvm descriptio. Halle, [1748]. (fortan: [Agnethler, 1748]) S. 130, Titelnummer 24. 22 (1) Schmeizel, Martin: Catalogvs scriptorvm, qvi res Hvngariae, Transilvaniae, Valachiae, Moldaviae, Croatiae, Dalmatiae, vicinarvmqve regionvm et provinciarvm illustrant, et in bibliotheca Martini Schmeizel […] nunc adservantvr. Halle, 1744. 26 S., (2) [Agnethler 1748] 144 S. (wie Anm. 20), (3) Agnethler, Michael Gottlieb: Index Bibliothecae res Hvngariae Transilvaniae vicinarvmqve provinciarvm illvstrantis qvam Martin Schmeizel […] instrvxit Michael Gottlieb Agnethler […] codd. praecipve m[anu] Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 491 schon von mir rekonstruierten Bibliotheksteils kann so geschätzt werden, dass Schmeizel über 60 Bücher verfügte, die von französischen Autoren geschrieben wurden. Er hatte mehr als 40 französischsprachige Werke und etwa 30 Drucke, in denen es ausschließlich um Frankreich oder französische Themen geht – selbstverständlich mit leichter Überlappung der einzelnen Kategorien. Insgesamt etwa drei Prozent der gesamten Sammlung und sechs Prozent im Hungarica-Teil. Auf den ersten Blick nicht viel, aber im Licht der oben gesagten, haben wir hier mit einer bedeutenden Menge von Kenntnissen über die französische Kultur zu tun. Die Anzahl der Bücher, die nur einen Teil, ein Kapitel mit Bezug auf Gallica besitzen, beträgt – über den schon erwähnten hinaus – mehr als 100. Diese Daten zeigen sehr wohl, dass Schmeizel ein reges Interesse für französische Sachen hatte. Bei den französischsprachigen Drucken ist noch eine Erscheinung merkwürdig: Ziemlich viele Hungarica befinden sich unter den Titeln.23 So vermischen sich Gallica und Hungarica oder Transylvanica miteinander! Ganz ähnlich wie in der Person Schmeizels. In seinen wissenschaftlichen Arbeiten finden wir als Fußnoten fast immer die Werke mit Gallica-Bezug, über die er in seiner Privatbibliothek verfügte. Er benutzte also ziemlich selten Bücher, die nicht in seinen Bücherregalen standen.24 Damit habe ich aber nichts Neues aufgefunden. ss[crip]tis avxit nvper avtem mvnificentia Magnifici Transilvanorvm metropolitanae vrbis senatvs Cibiniensivm bibliothecae pvblicae consecravit. Halle, 1751. 51 S. 23 Einige Beispiele dafür: Histoire d’Emeric Comte de Tekeli (Coloniæ 1694) – siehe [Agnethler, 1748], S. 15, Titelnummer 154; Memoires Historiques de Comte Bethlen Miklos (Amstelædami 1736) – siehe [Agnethler, 1748], S. 49, Titelnummer 567; Jacques Bongars Syndromus Rerum Turcico-Pannonicarum (Francofurti 1627) – siehe [Agnethler, 1748], S. 79, Titelnummer 91; Anonymi histoire des Troubles d’Hongrie (Amtelodami 1688) – siehe [Agnethler, 1748], S. 113, Titelnummer 1; Anonymi histoire du Prince Ragoczy (Paris 1707) – siehe [Agnethler, 1748], S. 114, Titelnummer 8. – Um der Einfachheit willen habe ich nur den Katalog aus dem Jahre 1748 genommen, wo sämtliche Titel der Bibliothek zu finden sind. In den anderen beiden gibt es einige Lücken. 24 Hier mache ich nur mit den französischen Autoren eine Stichprobe: In seinem Zeitungsartikel Gedancken von dem Zweyköpfichten Adler, als dem ordentlichen Käyserlichen und Reichs-Wappen (Wöchentliche Hallische Anzeigen, Num. X., Montags den 8. Mart. 1745) erwähnt er z. B. in der Fußnote (6) ein ins Deutsch übersetztes französisches Werk (Science de Nobles, Ulm 1694) von Menestrier, das auch in seinem Bibliothekskatalog steht (vgl. [Agnethler, 1748], S. 18, Titelnummer 187). An demselben Ort, in der Fußnote (8) kommt wieder ein neuer französischer Verfasser (Varennes) mit seinem Werk (Le Roy d’Armes, Paris 1640) vor, der auch in der Schmeizelschen Gelehrtenbibliothek vorhanden war (vgl. [Agnethler, 1748], S. 67, Titelnummer 141). 492 ATTILA VERÓK

Es war üblich in der damaligen Zeit in Fachkreisen. Die meisten Gelehrten und Professoren arbeiteten vorwiegend mit Büchern, Kleindrucken und Handschriften, die sie zu Hause in den eigenen Büchersammlungen besaßen. Besuch anderer Bibliotheken oder Ausleihe aus anderen Sammlungen passierte im Zeitalter der Polyhistorie eher sporadisch als regelmäßig. Erst in der Aufklärungszeit tauchen die Leihbibliotheken auf und fängt eine breite Gesellschaftsschicht aktiv zu lesen an („Lesewut”). Im Endeffekt kann festgestellt werden, dass Schmeizel sich in seinen meisten Werken auch auf französische Verfasser oder französische Werke beruft. Etwa in einem gleichen Maße wie die Präsenz von Gallica- Drucken in seiner Bibliothek. Im Allgemeinen sieht das Verhältnis der Fußnoten wie folgt aus: 3-5 Prozent der Schriften mit neutralem Thema enthalten Anmerkungen mit Gallica-Bezügen. In denen Texten, wo es vorwiegend um ein französisches Thema geht, ist die Anzahl der Gallica- Werke natürlicherweise viel höher. Das kann vielleicht noch als keine Frankophonie im engsten Sinne des Wortes betrachtet werden, aber in Kenntnis der schon skizzierten Umstände ist im geistigen Milieu, wo sich Schmeizel aufgehalten hat, schon eine bemerkenswerte Erscheinung. Den nächsten Punkt stellen die an den Universitäten zu Jena und Halle gehaltenen Vorlesungen und Seminare des Professors dar, wo man Anknüpfungspunkte an die Frankophonie findet. Er redete in diesen Lehrveranstaltungen von Themen, die in seinen zahlreichen hochwissenschaftlichen und Lehrbüchern schon zusammengefasst worden sind. So ist es kein Wunder, dass er bei den einzelnen Themenkreisen auch die französische Geschichte und Geografie, das Staatsrecht, das wissenschaftliche Leben, das französische Münzwesen oder die französischen Wappen vorstellte. Als Beispiel werden hier einige Kurse in Verbindung damit aufgezählt: Historia universalis, Historia ecclesiastica, Geschichte der europäischen Staaten, Neueste Begebenheiten der Welt, Einführung in die Geographie, Richtige Benutzung von Landkarten und Atlanten, Die neueste Historie nach Anleitung der Zeitungen, Rechtschaffener Academicus oder Reise nach fremden Ländern, Historie der Gelehrheit, Wappenlehre, Heraldik usw.25 In einem Semester in Halle 25 Die sog. Lektionszettel und die gedruckten Kurslisten sind in den folgenden Archivmaterialien und Presseorganen zugänglich: Für Jena: Universitätsarchiv Jena, Bestand M 50, Fol. 90r; Bestand M 55, Fol. 166r, 181r, 189r; Bestand M 56, Fol. 86r, 96r; Bestand M 60, Fol. 420r; Bestand M 62, Fol. 160r, 161r; Bestand M 63, Fol. 119r, 120r; Bestand M 64, Fol. 124r, 150r, 154r, 156r; Bestand M 66, Fol. 233r; Bestand M 68, Fol. 147r, 148r; Bestand M 69, Fol. 101r, 106r; Bestand M 70, Fol. 104r; Bestand M 71, Fol. 46r, 56r, 83r; Bestand M 73, Fol. 197-203.; Bestand M 74, Fol. 143r, 149r, 154r, 166r; Ungarländische Geschichtsschreibung mit französischer Manier... 493 hat er sogar einen speziellen Kurs für die Geschichte von Lothringen und Toscana gehalten!26 Wohin man auch immer im Schmeizelschen Lebenswerk blickt, stößt oft auf Sachen, die einen Bezug auf Gallica haben. Schmeizel „tanzte” also unter verschiedenen Themenbereichen, wo er oft auf französische Beziehungen traf. Er verhielt sich ählich wie der Tanzlehrer der Zeit, der den Interessenten neue galante Tänze beibringen wollte und unter den Paaren lavierte. Das Bild fiel mir von einem Buchtitel ein (Die neueste Art zur galanten Tantz-Kunst von Louis Bonin. Frankfurt 1712), der im Katalog der Schmeizel-Bibliothek steht27 und ein parades Beispiel für das Verhältnis Schmeizels zu den Sachen, die duch das Schlagwort Gallica im weitesten Sinne des Wortes charakterisiert werden können, darstellt.

Fazit

Zum Schluss eine kurze Überlegung. Schmeizel als Lehrer hatte gute Möglichkeiten, Kontakte mit zahlreichen Leuten unkompliziert aufzunehmen und aufrechtzuerhalten. Den archivalischen Quellen und Memoiren seiner Schüler nach war er ein sehr populärer Professor an der Universität. Er unterrichtete in Jena gerade in der Epoche, als an der dortigen Universität von einer sog. Ungarn-Ära die Rede war.28 Er sprach also seinen Studenten – und gleich Landsleuten – auch über frankophone Themen, die, obwohl nicht den Schwerpunkt seiner Aktivitäten bildeten, in Hinsicht auf die Vermittlung der französischen Kultur trotzdem

Bestand M 75, Fol. 37r, 44r, 57r, 74r, 118r, 147r; Bestand M 76, Fol. 24r, 36r, 50r, 77r; für Halle: in den Wöchentlichen Hallischen Anzeigen von 1732 bis 1747. 26 Vgl. Verzeichniß der Winterlehren auf hiesiger hohen Schule. In: Wöchentliche Hallische Anzeigen, Num. XL., Montags den 1. Oktober 1736), S. 640. 27 A Vgl. [ gnethler, 1748], S. 25, Titelnummer 266. 28 Feyl, Othmar: Die führende Stellung der Ungarländer in der internationalen Geistesgeschichte der Universität Jena. Beitrage zu einer Geschichte der Ostbeziehungen der Universität Jena bis zu Beginn des 19. Jahrhunderts. In: Wissenschaftliche Zeitschrift der Friedrich-Schiller-Universität Jena. Jahrgang 3, 1953/54. Gesellschafts- und Sprachwissenschaftliche Reihe, Heft 4/5. S. 39-62; Ders.: Deutsche und europäische Bildungskräfte der Universität Jena von Weigel bis Wolff (1650–1850). In: Wissenschaftliche Zeitschrift der Friedrich-Schiller-Universität Jena. Jahrgang 6, 1956/57. Gesellschafts- und Sprachwissenschaftliche Reihe, Heft 1/2. S. 27-62 oder in erweiterter Form: Ders.: Beiträge zur Geschichte der slawischen Verbindungen und internationalen Kontakte der Universität Jena. Jena, 1960. S. 211-325; uő. Die führende Stellung der Ungarländer in der ausländischen Bildungsgeschichte der Universität Jena. In: Uő.: Beiträge zur Geschichte der slawischen Verbindungen und internationalen Kontakte der Universität Jena. Jena, 1960. S. 1-92. 494 ATTILA VERÓK bedeutend zu sein schienen. In seiner Bibliothek, die üblicherweise den Studenten des Professors zur Verfügung gestanden hat, gab es parallel dazu zahlreiche frankophone Drucke. Seine Werke gerieten auch nach Ungarn und Siebenbürgen, wo sie gelesen wurden. Er stand auch mit vielen Zeitgenossen aus dem Donau-Karpatenraum, hauptsächlich aber aus Siebenbürgen in Korrespondenz. Seine Nachfolger und Schüler (z. B. Michael Gottlieb Agnethler, Samuel von Brukenthal, Martin Felmer, Gottlieb Schwarz, Georg Jeremias Haner), die sich später manchmal der siebenbürgisch(-sächsisch)en Geschichtschreibung und/oder der Kulturpflege in Siebenbürgen widmeten,29 mögen auch der Gesinnung des „galanten Landes” mindestens teilweise oder oberflächlich angeeignet und so das kulturelle Erbe Schmeizels in Atem gehalten haben. Mit dieser Behauptung wollte ich nur andeuten, dass die Rolle Schmeizels als Vermittler im frankophonen Kulturtransfer nach Osteuropa noch einer gründlicheren Forschung bedarf. In dieser Studie wurden – nach kurzer Darstellung der Person – die frankophonen Elemente im Lebenswerk eines Hungarus geschildert als Sonderbeispiel für die ungarländische Kulturgeschichte. Die Vorstellung wurde nicht mit Anspruch auf Vollständigkeit durchgeführt, sondern ich habe nur einige Aspekte hervorgehoben. Ich kann nur hoffen, dass meine Impressionen als Erregung zur weiteren Forschungen auf diesem Gebiet dienen und nützliche Beiträge zur bis jetzt kaum erforschten Geschichte der französisch-ungarisch-siebenbürgisch-sächsischen geistlich-kulturellen Beziehungen leisten können.

29 Mehr zur Beziehung ’siebenbürgische Geschichtsschreibung und Schmeizel’ siehe Verók, 2009 (wie Anm. 4). LISTE DES AUTEURS

Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 497

Dr. XHEMILE ABDIU Université de Tirana, Albanie

JEAN-PHILIPPE ACCART Directeur des études, Master ALIS, Universités de Berne et Lausanne, Suisse Chargé de recherche, Bibliothèque et Archives de la Ville de Lausanne, Suisse http://www.jpaccart.ch/ [email protected]

Dr. ANDREA ACRI

Prof. ŞTEFAN AFLOROAEI Université « Al.I. Cuza » de Iaşi Faculté de Philosophie et Sciences Sociales, Section Sciences Politiques www.fssp.uaic.ro

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Prof. SHRIKANT S. BAHULKAR Chief Editor, Rare Buddhist Texts Research Department, Central University of Tibetan Studies, Sarnath, Varanasi 221007, India Adjunct Professor, Deptt. of Pali, University of Pune, Pune 411007, India [email protected]

Prof. Dr. Radu BaltaSiu European Centre for Studies of Etnical Problems of the Romanian Academy Calea 13 Septembrie no. 13, Bucharest 5, Romania http://www.cespe.ro/ [email protected]

Dr. SHREENAND L. BAPAT Assistant Curator, Bhandarkar Oriental Research Institute, Bhandarkar Road, Pune 411004, India [email protected] 498 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

FRÉDÉRIC BARBIER Directeur de recherche au CNRS (IHMC/ENS Ulm), Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (conférence d’Histoire et civilisation du livre) Rédacteur en chef de Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz)

DANIEL BARIC Université François-Rabelais 3, rue des Tanneurs F- 37041 Tours [email protected]

Dr. CHRISTINE BELL

Prof. Dr. Adina Berciu-DRĂGHICESCU Université de Bucarest Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest, Roumanie www.bibliotecametropolitana.ro [email protected]

RADIA BERNAOUI Enseignante-chercheur à l’École Nationale Supérieure Vétérinaire d’Alger (ENSV), Département de Bibliothéconomie et des Sciences Documentaries d’Alger, Algerier [email protected]

Prof. JACQUES BOUCHARD Membre de la Société royale du Canada Directeur du Centre d’Études Néo-Helléniques de l’Université de Montréal 3744, rue Jean-Brillant suite 520-01 Montréal, Québec Canada H3T 1P1 [email protected]

Dr. ELENA BOYKOVA L’Institut d’Études Orientales, Moscou, Russie Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 499

TĂNASE BUJDUVEANU Colegiul Comercial „Carol I“, Constanţa, România [email protected]

VERA TCHENTSOVA Institut d’Histoire Universelle de l’Académie des Sciences de Russie Leninskij pr. 32 A 119334 Moscou, Russie [email protected]

LIA BRAD CHISACOF Senior Researcher, Institute for South-East European Studies of the Romanian Academy Calea 13 Septembrie no. 13, Bucharest 5, Romania. www.acadsudest.ro [email protected] [email protected]

MONICA BREAZU Bibliothèque nationale de France, Paris, France Réserve des livres rares Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13 http://www.bnf.fr/ [email protected]

Prof. Dr. JOHANNES BRONKHORST Université de Lausanne Anthropole 4118 CH-1015 Lausanne, Suisse [email protected]

Drd. ALINA CANTAU Département Sciences et techniques Bibliothèque nationale de France, Paris, France Quai François Mauriac, 75706 Paris Cedex 13 http://www.bnf.fr/ [email protected]

Dr. ELENA CHIABURU 500 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

CARMEN COCEA Association Internationale d’Études du Sud-Est Européen (AIESEE) 12-14, rue Nicolae Racota, app. 18 www.aiesee.org [email protected]

Dr. Virgil Coman Archives Nationales de Roumanie, Filiale de Constanţa 121, Rue Ştefan cel Mare, 900705, Constanţa, Roumanie http://www.arhivelenationale.ro/

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Dr. MARIA DANILOV Chief of Modern History Section National Museum of Archeology and History of Moldova 2012, 31 of August str, 121 A, Chisinau, Republic of Moldova [email protected]

Dr. NADIA DANOVA Académie bulgare des sciences, Rue Car Osvoboditel, Sofia, Bulgarie http://www.bas.bg/ [email protected]

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Prof. Dr. MADHAV M. DESHPANDE Professor of Sanskrit and Linguistics Department of Asian Languages and Cultures Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 501

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Assoc. Prof. Dr. SÜER EKER Baskent University Faculty of Science and Letters Department of Turkish Language and Literature 06810 Baglica-Ankara http://fef.baskent.edu.tr/tde/index.php?lang=eng [email protected]

Prof. WIDAD MUSTAFA EL-HADI GERIICO, University of Charles-de-Gaulle - Lille 3, France [email protected]

Academician, Prof. ANDREI EŞANU Academy of Sciences of Moldova Institute of History, State and Law Chişinău, Republic of Moldova [email protected]

Conf. VALENTINA EŞANU Academy of Sciences of Moldova Institute of History, State and Law Chişinău, Republic of Moldova [email protected]

Dr. MARIE-DOMINIQUE EVEN CNRS – GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités)

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Prof. Dr. ALEXANDER FEDOTOFF Université « St. Kliment Ohridski », Sofia, Bulgarie

Dr. SERGHEI FRANTSOUZOFF Institute of Oriental Manuscripts, Russian Academy of Sciences, Dvortsovaya Emb., 191186 Saint Petersburg, Russia http://www.orientalstudies.ru/ [email protected] Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 503

CEZARY GALEWICZ Associate professor Department of Indology Institute of Oriental Philology Jagiellonian University Al. Mickiewicza 9/11, 31-120 Krakow, Poland [email protected]

MANUELA CARMONA GARCÍA Catálogo Colectivo de Patrimonio Bibliográfico Español (Spanish Bibliographical Heritage Union Catalogue) Ministerio de Cultura, España C/ Alfonso XII, 3 y 5, Edificio B 28014 Madrid - Spain [email protected]

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CRISTIAN EMILIAN GHIŢĂ Post-Doc. University of Bucharest, Romania [email protected]

Prof. Dr. ALBINA H. GIRFANOVA Université d’État de St. Petersburg, Russie

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VINCENZA GRASSI Università degli Studi di Napoli “L’Orientale” C.so Vittorio Emanuele, 494/F 80135 Napoli- Italy [email protected] 504 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Prof. Dr. MOHAMED HASSOUN Professeur des Universités École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Lyon, et ICAR, Université Lumière- Lyon 2, France [email protected]

MARTIN HAUSER Director of the Department-UNESCO Chair on the Study of Inter-cultural and Inter-religious Exchanges, University of Bucharest, Romania www.interculturel.org/ [email protected]

JACQUES HELLEMANS Université Libre de Bruxelles, Archives et Bibliothèques, Premier attaché 50 avenue F.D. Roosevelt - CP 181 1050 Bruxelles [email protected]

Drd. DOINA HENDRE BIRO Conservateur Chargée de Missions Scientifiques et Culturelles Bibliothèque Batthyaneum, Filiale de la Bibliothèque Nationale de Roumanie 1, Rue Gabriel Bethlen, 2500, Alba Iulia, Roumanie www.bibnat.ro [email protected]

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CRISTINA ION Département Philosophie, histoire, sciences de l’homme de la Bibliothèque Nationale de France, Paris, France http://www.bnf.fr/ [email protected]

TUDOR IONESCU Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest, Roumanie www.bibliotecametropolitana.ro Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 505

Dr. CONSTANTIN IORDAN Institute for South East European Studies of the Romanian Academy Calea 13 Septembrie no. 13, Bucharest 5, Romania. www.acadsudest.ro

MARIANA IOVA, Président CIMeC – l’Institute pour la mémoire culturelle Piaţa Presei Libere Rue, no. 1, 013701 Bucarest 1, Roumanie www.cimec.ro/

JEAN-NOËL JEANNENEY Historien des médias et de l’histoire politique, ancient Président de Radio France, Président de la mission du Bicentenaire de la Révolution française, ancient Secrétaire d’État, ancient Président de la Bibliothèque Nationale de France, Président du conseil scientifique de l’Institut François-Mitterrand, Conseiller de la rédaction de la revue L’Histoire Professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris 27 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris, France [email protected]

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SPARTAK KADIU Université de Tirana, Albanie

Dr. RAMIYAR PERVEZ KARANJIA The Dadar Athornan Institute, 651-52, Firdausi Road, Mancherji Joshi Parsi Colony, Dadar, Mumbai 400 014, India [email protected]

Prof. Dr. JEAN KELLENS Langues et religions indo-iraniennes 506 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Collège de France, F- 75 Paris, France 11, place Marcelin Berthelot 75231 Paris Cedex 05, France [email protected]

Prof. Dr. STOYANKA KENDEROVA St. Cyril and Methodius National Library, Sofia 1037, 88 Vasil Levski blvd., Bulgaria http://www.nationallibrary.bg/ [email protected]

Drd. AMBARISH VASANT KHARE Junior Research Fellow, S.B.L. Centre of Sanskrit and Indological Studies Tilak Maharashtra Vidyapeeth, Pune, India [email protected]

Dr. MADHAVI KOLHATKAR Deccan College Post-Graduate and Research Institute Deccan College Road, Yerwada, Pune 411006, India [email protected]

ELPIDA KOSMIDOU University College London, University of London, UK [email protected]

Dr. IRINA KULGANEK L’Institut de Manuscrits Orientales, St. Petersburg, Russie

Dr. NIRMALA KULKARNI Research Scientist, Centre of Advanced Study in Sanskrit, University of Pune, Ganeshkhind, Pune 411007, India [email protected]

Prof. Dr. AHMED KSIBI Institut Supérieur de Documentation, Campus Universitaire de Manouba, Tunis, Tunisie http://www.isd.rnu.tn/ [email protected] Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 507

OTTO S. LANKHORST Conservateur de la Fondation du patrimoine monastique des Pays-Bas Driehuizerweg 306 6525 PN Nimègue NL Pays-Bas [email protected] www.erfgoedkloosterleven.nl

Drd. BORAYIN LARIOS South Asian Institute, University of Heidelberg Im Neuenheimer Feld 330 69120 Heidelberg, Germany [email protected]

CATHERINE BERTHO LAVENIR Semestre hiver-printemps 2011 : Senior Fellow- IKKM Internationales Kolleg für Kulturtechnikforschung und Medienphilosophie Bauhaus-Universität - Cranachstraße 47 99421 Weimar mail : [email protected] http://cbertholavenir-informations.blogspot.com/

Prof. Dr. JACQUES LEGRAND INALCO, IISNC, Paris, France

Dr. DOÏNA LEMNY Centre Georges Pompidou, Paris 4, France www.centrepompidou.fr/ [email protected]

Dr. STEFAN LEMNY Bibliothèque nationale de France, Paris, France Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13 http://www.bnf.fr/ [email protected]

MARÍA LUISA LÓPEZ-VIDRIERO ABELLÓ Directora, Real Biblioteca Palacio Real 508 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Bailén s/n 28001 Madrid , España http://www.realbiblioteca.es

Dr. DORIN LOZOVANU Researcher , POSDRU/89/1.5/S/49944 University “Al. I. Cuza”, Iaşi http://postdoc-uaic.ro [email protected]

Lecturer OCTAVIA-LUCIANA MADGE Library and Information Science Department, University of Bucharest, Romania [email protected]

CLAIRE MADL Centre Français de Recherche en Sciences Sociales (CEFRES, USR 3138 CNRS-MAEE) Stepanska 35 CZ-111 21 Prague 1 www.cefres.cz [email protected]

MUHAMMAD IJAZ MAIRAJ, PhD Scholar, GERIICO, University of Charles-de-Gaulle – Lille 3, France Librarian, Punjab Institute of Cardiology, Lahore, Pakistan [email protected]

FLORIN MARINESCU Historien, ancien chercheur a l’Institut des Recherches Neohelleniques d’Athenes. 60 Krissis Street, Athenes, Greece. [email protected]

Dr. MARIE D. MARTEL Conseillère en ressources documentaires à la Ville de Montréal – Ville de Montréal, Canada [email protected]

EUSTACHE MÊGNIGBÊTO Bureau d’Etudes et de Recherches en Science de l’Information Cotonou, République du Bénin Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 509

ALBANA META Albanian Institute of Archaeology Department of Antiquity, Academy of Sciences, Bulevardi Desh- moret e Kombit, Tirana, Albania [email protected]

Assistant professor OLIMPIA MITRIC “Ştefan cel Mare” University of Suceava, Department of History, Universităţii 1, 720225 Suceava, Romania [email protected]

Drd. ANAND MISHRA Department of Classical Indology Ruprecht Karls University, Im Neuenheimer Feld 330 D-69120, Heidelberg, Germany [email protected]

MONOK ISTVAN Directeur d’études École des Hautes Études Eszterházy, Eger, Université de Szeged, Hungary [email protected]

RAPHAËLE MOUREN Maître de conférences Université de Lyon - École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques Centre Guillaume Budé, EA Rome et ses renaissances, Université Paris- Sorbonne/Ecole pratique des hautes études http://www.enssib.fr http://raphaele-mouren.enssib.fr Présidente, IFLA Rare Books and Manuscripts Section http://www.ifla.org/en/rare-books-and-manuscripts [email protected]

GANBAATAR NANDINBILIG State University, Ulan Bator, Mongolia 510 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Dr. John Nandriş, FSA 14 Cheverton Road, N19 3AY, UK [email protected]

Dr. IOAN MARIA OROS Musée d’Histoire et d’Art Zalău Sălaj, Roumanie [email protected]

RODICA PALEOLOGUE Chargée des acquisitions en roumain, Bibliothèque nationale de France, Paris, France Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13 http://www.bnf.fr/ [email protected]

Dr. CONSTANTIN PANCHENKO L’Institut d’Études Orientales, St. Petersburg, Russie

Lector Dr. Maria Pariza Colegiul Universitar de Administraţie şi Secretariat. Universitatea „Ovidius“, Constanţa, România http://www.univ-ovidius.ro/ [email protected]

Prof. Emerit ASKO PARPOLA Institute of Asiatic and African Studies, University of Helsinki, Box 59 (Unioninkatu 38 B), FIN 00014, Finland [email protected]

Dr. APOSTOLOS PATELAKIS Institute of Balcanic Studies, Salonic, Greece [email protected]

RADU G. PĂUN Chargé de recherche au CNRS Centre d’Études des Mondes Russe, Caucasien et Centre-Européen (CERCEC) 44, Rue de l’Amiral Mouchez, 75014 Paris, France [email protected] Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 511

MARIA PETROVA

OLIVIER PICARD Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris 12 rue Albert Joly - 78000 Versailles - France [email protected]

Dr. RODICA POP Centre d’Études euro-asiatiques et afro-asiatiques (CEAS) Bucarest, Roumanie www.bibliotecametropolitana.ro

POPI POLEMI Musée Benaki – Atelier Bibliologique « Philippos Iliou » (Athènes) 6 rue Gennadiou, 10678 Athènes, Grèce www.benaki.gr/bibliology [email protected] [email protected]

Drd. ANNE-MARIE QUILLET École Pratique des Hautes Études, 45 47, Rue des Écoles, 75005 Paris, France [email protected]

Prof. Dr. ILIE RAD Faculty of Political Sciences, Administration and Communication, “Babeş-Bolyai” University, Cluj-Napoca http://www.polito.ubbcluj.ro/ [email protected]

Dr. SARAJU RATH International Institute for Asian Studies (IIAS), P.O. Box 9500, 2300 RA Leiden, the Netherlands [email protected]

Dr. SHEREEN RATNAGAR Mumbay, India [email protected] 512 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Dr. GEOFFREY ROPER Bibliographical & Editorial Consultant (Middle Eastern & Muslim areas & languages) London, Great Britain [email protected] http://www.khtt.net/person/578/en

Dr. FLORIN ROTARU Directeur général Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest, Rue Tache Ionescu, no. 4, 010352 Bucarest, Roumanie www.bibliotecametropolitana.ro [email protected]

Dr. JULIETA ROTARU Researcher III, Centre of Eurasiatic and Afroasiatic Studies (CEAS) Tache Ionescu, no. 4, 010352 Bucharest, Romania [email protected]

Conf. Dr. Gabriela Rusu-Păsărin Facultatea de Litere, Universitatea din Craiova http://cis01.central.ucv.ro/litere/ [email protected]

Prof. Dr. KLAUS SAGASTER Université de Bonn, L’Allegmane

RÉJEAN SAVARD, bibl. prof, Ph.D Président de l’ASTED et de l’AIFBD Professeur de bibliothéconomie Université de Montréal, Canada http://mapageweb.umontreal.ca/savardr/

Dr. JULIYA SAVOVA Assistant Professor, State University of Library Studies and Information Technologies, Sofia http://www.svubit.org/ [email protected] Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 513

SAIMIR SHPUZA Albanian Institute of Archaeology, Academy of Sciences, Bulevardi Desh- moret e Kombit, Tirana, Albania. [email protected]

PASCAL SIEGEL Conservateur d’État des bibliothèques Responsable de la politique documentaire et de la chaîne de traitement du document Service Commun de la Documentation – Université Charles-de-Gaulle – Lille 3 Rue du Barreau BP 60149 59653 Villeneuve-d’Ascq [email protected]

ALIÉNOR RUFIN SOLAS Université Sorbonne, Paris, France [email protected]

CHANTAL STANESCU Directrice adjointe Bibliothèque Publique Centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale rue des Riches Claires, 24 - 1000 Bruxelles, Belgique http://www.bibcentrale-bxl.be/ [email protected]/

MARIJA STANKOVSKA-TZAMALIS Collège Jacques Cartier, Issou, France [email protected]

GIOVANNI STARY Université de Venice, Italie

Prof. Dr. ALEXANDER STOLYAROV Institute of Oriental Studies of the Russian Academy of Sciences, Rojdestvenka, no.12, 107031 Moscow, Russia [email protected] 514 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

Dr. SHILPA SUMANT Deccan College Post-Graduate and Research Institute Deccan College Road, Yerwada, Pune 411006, India [email protected]

ANNA SVENBRO Conservateur d’État des bibliothèques Chargée de collections Langues et littératures scandinaves Bibliothèque Nationale de France Quai François-Mauriac 75706 Paris cedex 13 [email protected]

Prof. NICOLAE-ŞERBAN TANAŞOCA Directeur Institut d’Études Sud-Est Européennes de l’Académie Roumaine Maison de l’Académie Calea 13 Septembrie 13 050711 Bucarest, sector 5 www.acadsudest.ro [email protected] [email protected]

EMIL ŢÎRCOMNICU Researcher II, Institute of Ethnography and Folklore, Romanian Academy Tache Ionescu, no. 25 Bucharest, 010353 Romania [email protected]

Prof. Dr. MÜNEVVER TEKCAN Université de Kocaeli, Istanbul, Turquie

Prof. VIRGILIU Z. TEODORESCU Membru în comitetul de coordonare a Comisiei de Istoria Oraşelor din cadrul Academiei Române Str. Aliorului, nr. 2, bl. D13, sc. 3, ap. 33, Bucureşti, sec. 4 cod 041791, oficiul poştal 82 http://virgiliuteodorescu.blogspot.com [email protected] Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III 515

MARIE-HÉLÈNE TESNIÈRE Conservateur général Département des manuscrits Bibliothèque nationale de France 58 rue de Richelieu 75002 PARIS [email protected]

Prof. Dr. IVO TOPALILOV Schumen University Bulgaria 6-61, 4003 Plovdiv, Bulgaria. [email protected]

Drd. ALEXANDROS R. A. TZAMALIS Paris IV-Sorbonne, France [email protected]

OANA UŢĂ BĂRBULESCU Faculty of Letters, University of Bucharest Str. Edgar Quinet nr. 5-7, Bucharest, sector 1, Romania http://www.unibuc.ro/en/fac_litr_en [email protected]

Prof. consultant RADU ŞTEFAN VERGATTI Université « Valahia » de Târgovişte, Roumanie [email protected]

Dr. Attila Verók Universitätsdozent am Institut für Medieninformatik der Károly- Eszterházy-Hochschule Eger Postadresse: Eszterházy Károly Főiskola H-3300 Eger (Ungarn) Eszterházy tér 1. [email protected]

KRISTINA VIRTANEN Projektipäällikkö - kansainväliset asiat Projektchef - internationella ärenden Project Manager - International Tasks 516 Le Symposium International Le livre. La Roumanie. L’Europe. 2010. Ed. III

[email protected] www.lib.hel.fi

Dr. CORNELIUS R. ZACH Universitatea „Babeş-Bolyai“ Str. Mihail Kogălniceanu, nr. 1, 400084, Cluj-Napoca, România

Prof. Dr. KRISTA ZACH Facultatea de Studii Europene, Universitatea „Babeş-Bolyai“, Str. Mihail Kogălniceanu, nr. 1, 400084, Cluj-Napoca, România [email protected]

Dr. HARTMUT WALRAVENS Bibliothèque d’État, Berlin, L’Allegmane

Prof. Dr. MICHAEL WITZEL Wales Professor of Sanskrit, Dept. of Sanskrit & Indian Studies, Harvard University 1 Bow Street, Cambridge MA 02138, USA [email protected]