Présentation De Monsieur Jacques Attali Par Monsieur Edouard
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Présentation de Monsieur Jacques Attali par Monsieur Edouard Saouma Directeur général de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à la 17ème Conférence McDougall Rome, 9 novembre 1991 Monsieur le Président de la Conférence Monsieur le Président de la Banque européenne Excellences, Mesdames, Messieurs, Comme nous le savons tous, la Conférence McDougall fut instituée pour honorer et perpétuer le souvenir de l’un des pères fondateurs de l’Organisation, un grand pionnier de l’œuvre que nous poursuivons encore aujourd’hui. Les faits les plus marquants de sa longue carrière nous sont connus : avec John Boyd Orr, Stanley Bruce, André Mayer, Frank Lidgett McDougall fut l’un des premiers à comprendre le drame de la sous- alimentation et de la malnutrition au milieu d’une surabondance qui conduisait à la mévente et à la destruction des excédents; il fut aussi l’un des premiers à susciter, dans le cadre de la Société des Nations, une réaction internationale à la mesure de cette crise gigantesque. C’est lui qui fit comprendre au Président Roosevelt la nécessité de créer en vue de l’après-guerre un mécanisme international pour traiter des problèmes de l’alimentation et de l’agriculture, et le convainquit d’organiser en 1943 la Conférence de Hot Springs qui devait aboutir à la création de la FAO à Québec en 1945. Quand l’histoire nous rapporte des faits et gestes relevant à l’évidence d’une vocation prophétique, nous nous interrogeons toujours sur celui qui vécut une telle expérience, sur l’homme dont la lucidité et l’énergie le conduisirent à jouer un tel rôle. C’est pourquoi je voudrais m’arrêter un instant sur quelques-unes des caractéristiques les plus marquantes de la personnalité de Frank McDougall. Le premier ressort de son action était une sensibilité aiguë aux souffrances et aux difficultés des groupes de population pauvres et vulnérables, jointe à une ardente passion d’agir efficacement pour y porter remède. Cette action s’appuyait sur la connaissance approfondie des situations réelles et des dossiers qu’une puissance de travail exceptionnelle lui permettait d’acquérir. Elle mettait en œuvre une intelligence hardie, rapide, apte à saisir au vol toutes les possibilités de traduire ses idées en actes concrets. Il possédait une extraordinaire capacité d’exercer, tout en demeurant modestement à l’arrière-plan, une influence parfois décisive sur les options et les décisions majeures des hommes d’Etat les plus éminents de son époque. Tel fut ce fils de l’Australie, qui joua un rôle incomparable dans la prise de conscience des grands problèmes humains liés à l’alimentation et à l’agriculture, ainsi que dans la genèse de notre Organisation. En hommage à sa mémoire, à l’ouverture de chacune des sessions de notre Conférence générale qui se sont tenues depuis 1959, une personnalité de réputation mondiale vient nous entretenir d’un sujet se rapportant directement ou indirectement aux problèmes mondiaux qui se posent dans ce domaine. Je le sais d’expérience, la Conférence McDougall joue le rôle d’un discours d’orientation qui ne manque jamais d’exercer une répercussion sur les délibérations et même les décisions de notre organe directeur suprême. En trente ans, nous avons entendu ici les personnalités les plus diverses, d’Arnold Toynbee à Indira Gandhi, de Gunnar Myrdal ou de Norman Borlaug à Bruno Kreisky. Aujourd’hui, nous avons le privilège d’accueillir un Français, un Européen et un citoyen du monde éminent, en la personne de M. Jacques Attali, Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Essayer de présenter M. Attali est une tache qui relève du défi, tant sa rapidité intellectuelle et la multiplicité de ses aptitudes et de ses intérêts le rendent difficile à saisir. A la fois mathématicien et littérateur fécond, professeur, économiste et financier, grand commis de l’Etat et homme d’une culture encyclopédique, ami de philosophes et d’hommes politiques aussi bien que de comédiens et de chanteurs célèbres, pendant dix ans Conseiller spécial du Président de la République Française, aujourd’hui à la tête d’un grand organisme de financement, Jacques Attali semble mener plusieurs vies à la fois. Par la diversité de ses talents, par le jaillissement d’idées qu’il ne cesse de lancer dans toutes les directions, il fait penser à ces touche-à-tout de génie qui ont si fortement marqué dans son pays le siècle des lumières : on songe à Voltaire, à Diderot. A première vue, on ne saurait imaginer un tempérament et une personnalité plus éloignés de l’image que nous avons de Frank McDougall : Jacques Attali est aussi français et méditerranéen que McDougall était anglo-saxon, et il s’intéresse aux domaines les plus variés alors que McDougall n’a cessé de creuser le même sillon. Et pourtant, Monsieur le Président, chacun des traits que j’évoquais en vous traçant tout à l’heure le portrait du grand ancêtre s’applique étonnamment à l’homme d’aujourd’hui et de demain qu’est Jacques Attali : profonde sensibilité à tous les problèmes humains et passion d’agir, savoir immense, intelligence rapide et fertile, talent extraordinaire pour inspirer et cristalliser les initiatives des grands décideurs. Je vois dans cette similitude un titre de plus à mobiliser l’attention et l’intérêt de la Conférence aux paroles que nous allons entendre. Mais je voudrais encore signaler un trait de caractère de M. Attali qui me semble particulièrement intéressant de notre point de vue : cet homme de la vitesse et de l’ubiquité est habité par un sens aigu du temps et de l’espace. Il a du reste consacré aux histoires du temps l’un de ses plus beaux livres, et son dernier ouvrage nous invite à considérer les nouvelles dimensions de l’espace-temps de demain. Or, nous le savons, l’agriculture constitue pour l’homme une façon d’inscrire dans le temps, dans la durée, l’utilisation qu’il fait de l’espace. Cultiver la terre, élever des animaux, planter des arbres, c’est reculer l’horizon de l’avenir bien au-delà de la satisfaction des besoins immédiats, à laquelle se limitaient les civilisations de la chasse et de la cueillette. Ce que nous appelons « développement durable » n’est autre chose qu’un immense effort pour arriver à couvrir les besoins de l’humanité tout en préservant la base de ressources pour les générations futures – autrement dit pour assurer dans le temps la sauvegarde de notre espace. Sur ce problème qui est au centre de nos préoccupations, sur l’interdépendance fondamentale qui unifie aujourd’hui toutes les parties du monde et sur les conséquences que nous devons en tirer, sur bien d’autres sujets encore, je suis persuadé que notre assemblée trouvera dans les aperçus stimulants dont fourmille toujours la pensée de M. Attali un enrichissement précieux pour le cours de ses travaux. .