LE GRAND RABBIN ALEXANDRE SAFRAN 209

Carol IANCU Université Paul Valéry, Montpellier

LE GRAND RABBIN ALEXANDRE SAFRAN ET LE SAUVETAGE DES JUIFS DE ROUMANIE PENDANT LA SHOAH

RÉSUMÉ

Grâce au grand rabbin Alexandre Safran (1910-2006), le processus d'anéantisse- ment des Juifs de Roumanie, commencé plus tôt qu'ailleurs, s'est arrêté aussi plus tôt. En effet, il a débuté dès l'été 1941, avec le premier grand pogrom de la Deuxième Guerre mondiale qui eut lieu à Ia≥i (Jassy) où la moitié de la population était juive, et fut poursuivi par de gigantesques massacres en Bessarabie, en Buco- vine et en Transnistrie, lieu de déportation et immense cimetière sans pierres tom- bales d'un quart de million de Juifs roumains et ukrainiens. Le processus fut inter- rompu dès l'automne 1942, lorsque Alexandre Safran réussit à obtenir, avec l'aide du métropolite Nicolae Balan de Transylvanie et du nonce apostolique Andrea Cassulo, l'arrêt des déportations des Juifs de la Transylvanie du Sud et de l'Ancien Royaume, prévues dans les camps de la mort en Pologne. Alexandre Safran incarne la résistance opposée par les Juifs de Roumanie, qui a permis à la moitié de cette communauté (plus de 360.000 âmes) de survivre. A la tête du Conseil juif clandes- tin, il a su prendre toutes les décisions utiles pour défendre ses frères persécutes: abolir le port de l'étoile jaune (maintenue cependant dans les provinces orientales), organiser des écoles et même une université populaire juive (le Collège Onescu, le Collège Abason et la «Polytechnique» Bercovici) pour les élèves et les enseignants chassés de l'enseignement public, faire revenir (avec l'aide de la Reine-Mère Elena) les orphelins de Transnistrie et faciliter leur émigration vers la terre d'Israël.

SUMMARY

Thanks to Chief Rabbi Alexandre Safran (1910-2006), the destruction process of Romanian , launched earlier than in other countries, also ended sooner. It commenced as early as the summer of 1941, with the first big pogrom of World War II, which took place in Ia≥i (Jassy), where half of the population was Jewish, and continued with gigantic massacres in , Bukovine and Transnistria, the deportation place and tombstoneless cemetery of a quarter million Romanian and Ukrainian Jews. It was interrupted in the fall of 1942, when Alexandre Safran obtained, with the help of metropolitan Nicolae Balan of and the Apostolic Nuncio Andrea Cassulo, the postponement of deportation of the Southern Transylvania and Old Kingdom Jews to the Polish death camps. Alexan-

Revue des Études juives, 167 (1-2), janvier-juin 2008, pp. 209-244 doi: 10.2143/REJ.167.1.2030860

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dre Safran was the embodiment of the Romanian Jewish resistance, which allowed half of this community (over 360,000 souls) to survive; heading the clandestine Jewish Council, he knew how to make all the necessary decisions to protect his persecuted brothers, to suppress the wear of the yellow star (maintened, nevertheless, in the Oriental provinces), to organize schools and highschools, and even a Jewish university (the Onescu College, the Abason College and the Bercovici Polytechnics) for the students and professors banished from the public education system, to bring back (with the help of Queen-Mother Elena) the orphans from Transnistria and to facilitate emigration to Israel.

Pendant la Seconde Guerre mondiale eut lieu en Roumanie une Shoah inachevée, sans les chambres à gaz1, dont les dimensions exactes ne nous sont pas connues jusqu’à aujourd’hui. À la différence de la Hongrie voisine où les Juifs sont restés en vie jusqu’en 1944, avant d’être déportés et de dis- paraître majoritairement dans les camps d’extermination en Pologne, la Shoah en Roumanie eut lieu dans la première partie de la guerre (1941- 1942). Une minorité a été anéantie dans le territoire de l’Ancien Royaume, surtout en haute Moldavie où eut lieu à Jassy, le 29 juin 1941, le premier grand pogrom de la Seconde Guerre mondiale. La plupart des Juifs ont été tués dans les provinces de Bessarabie et de Bucovine ou disparurent pen- dant les déportations vers la Transnistrie, dans les camps et les ghettos de cette région maudite provisoirement occupée par les armées allemandes et roumaines. À la veille du conflit, il y avait dans le pays 607 790 Juifs (Transylvanie du Nord non comprise, où la plus grande partie des quelque 150 000 Juifs qui s’y trouvaient furent déportés par les autorités hongroises et exterminés en majorité à Auschwitz2). Matatias Carp, le premier histo- rien de la Shoah en Roumanie évaluait à 264 900 le nombre des Juifs rou- mains victimes des agissements du régime Antonescu (soit plus de 43% de la population de 1939)3, estimation qui ne comprend pas les Juifs ukrai- niens anéantis en Transnistrie. Raul Hilberg mentionne la destruction de 270 000 Juifs roumains et ukrainiens se trouvant sous administration rou- maine4. Ce même chiffre a été avancé par le statisticien Marcu Rozen,

1. Cf. C. IANCU, La Shoah en Roumanie, Montpellier, Université Paul Valéry, 2000 (2e éd.), p. 27-30. 2. Cf. R. L. BRAHAM, The Politics of Genocide. in Hungary, New York, Columbia University Press, 1981 et Gh. I. BODEA, Tragedia evreilor din nordul Transil- vaniei, 1944, Cluj, ed. Hiparion, 2001. Cf. aussi M. CARMILLY-WEINBERGER, The Road to Life. The Rescue Operation of Jewish Refugees on the Hungarian-Romanian Border in Transylvania, 1936-1944, New York, Shengold Publishers, Inc., 1994. 3. M. CARP, Cartea Neagra, I, BucureÈti, 1946, p. 19. 4. R. HILBERG, La destruction des Juifs d’Europe, II, Paris, Fayard, Folio / Histoire, 1991, p. 1046.

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(155 000 Juifs roumains et 115 000 Juifs ukrainiens)5. L’historien Dinu C. Giurescu a dénombré au moins 108 710 Juifs roumains morts en Transnistrie6, le nombre global des victimes juives dans cette province (Juifs roumains et Juifs ukrainiens) se situant entre 220 000 et 270 000 d’après Denis Deletant7. Pourtant, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Roumanie était le pays de l’Europe de l’Est où, hormis l’URSS, subsistait la plus importante communauté juive, estimée à 360 000 personnes (il y en avait 800 000 avant le démantèlement de la Grande Roumanie, en été 1940)8. En effet, plus de la moitié des Juifs roumains réussirent à échapper à la Shoah, grâce surtout à leur combat pour la survie, sous la conduite de dirigeants remar- quables, notamment le grand rabbin Alexandre Safran. Dans cet article, no- tre intention est de mettre en lumière son action inlassable en faveur de ses coreligionnaires et de faire ressortir sa conduite exemplaire dans la mission essentielle qu’il s’assigna pour le sauvetage de sa communauté.

1. Les interventions au Sénat, la chute de la Grande Roumanie, les massacres de l’été 1940 et l’accroissement des mesures antisémites

À la suite du décès du grand rabbin Jacob Niemirower (en automne 1939), et des élections qui ont suivi sa disparition, Alexandre Safran se voit propulsé à la dignité de grand rabbin de Roumanie. Il n’avait que vingt-neuf ans lorsqu’il devint le chef spirituel de ce qui fut alors, par son importance démographique, la troisième en Europe et la quatrième com- munauté juive dans le monde. Faisant allusion à son jeune âge, lors de la cérémonie d'investiture qui eut lieu le dimanche 3 mars 1940, à Templul Coral, en présence du ministre des Cultes, I. Nistor et de plusieurs autres dignitaires, Wilhelm Filderman président de l’Union des communautés jui- ves lui rendit un vibrant hommage, louant sa belle formation, une heureuse combinaison de «culture roumaine, juive et occidentale»9. Dans le dis- cours qui suivit son élection, après avoir évoqué sa dette de reconnaissance à l’égard de son père, le gaon de Bacau et de son père spirituel, le grand rabbin Niemirower, il s’engageait à assumer sa mission spirituelle en

5. M. ROZEN, Holocaust sub guvernarea Antonescu, Bucarest, 2004. 6. D.C. GIURESCU, România în al doilea razboi mondial, Bucarest, 1999, p.70-91. 7. D. DELETANT, «Ghetto Experience in Golta, Transnistria, 1942-1944 », Holocaust and Genocide Studies, 18, 1, 2004, p. 2. 8. Selon différentes sources, le nombre des Juifs est estimé entre 350 000 (1945) et 428 000 (1949). Cf. H. GLASS, Minderheit zwischen zwei Diktaturen. Zur Geschichte der Juden in Rumänien, 1944-1949, Munich, R. Oldenbourg, 2002, p. 56. 9. Cf. Curierul israelit et RenaÈterea Noastra, mars 1940.

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étroite collaboration avec les institutions juives. En conclusion, il insistait sur «le temps d’amertume et d’angoisse que traversait le monde et notre très grand souci pour le peuple d’Israël». Il fut très vite amené à dépasser sa mission spirituelle et religieuse, assumant avec détermination et effica- cité une délicate mission politique, en tant que sénateur. En effet, après avoir obtenu la dispense d’âge nécessaire accordée par la Haute Cour de justice, il entre au Sénat (en mars 1940), en tant que chef religieux d’une importante communauté, dont il fut le seul représentant, en raison du ré- gime de dictature royale imposé depuis 1938. Il a su avec courage, avant que cette institution ne fût dissoute, prendre chaque fois la parole pour dé- fendre sa communauté devant les projets de lois à l’encontre des Juifs. «Dans un de mes premiers discours, note-t-il dans ses mémoires, je protes- tai vivement contre celui qui devait leur interdire d’exercer la profession de médecin. Je mis l’accent sur l’aspect juridique du problème, outre les implications humaines et éthiques, après avoir pris conseil auprès du Dr Filderman qui était un avocat réputé et dont l’appui allait m’être si sou- vent précieux. D’autres dirigeants de notre communauté me soutenaient aussi, chacun à sa manière, par exemple le Dr Theodor Fischer, président du Parti juif, et Mishu Weissmann, président du Comité central sioniste. J’en avais bien besoin, au fur et à mesure que j’apprenais à connaître les hommes politiques roumains qui, au cours des cinq ou six mois suivants, allaient se révéler très dangereux pour nous»10. Grâce à ses prises de posi- tion officielles au Sénat, mais aussi à la suite des démarches privées auprès du ministre de la Santé, Hortolomei, et du ministre de l’Intérieur, Mihail Ghelmegeanu, le projet de loi sur l’organisation du collège des médecins par lequel les médecins juifs n’avaient plus la possibilité de professer, fut finalement modifié et le danger fut écarté. Un deuxième projet de loi lésait lui aussi gravement les intérêts de la population juive, puisque les écoles de métiers et les gymnases industriels des communautés juives étaient supprimés, de sorte que les enfants juifs ne pouvaient plus recevoir aucune formation. Grâce à la vigilance d’Alexandre Safran et à plusieurs mémoires rédigés par Filderman, la loi sur l’organisa- tion de l’enseignement professionnel et industriel fut finalement votée avec des amendements et c’est ainsi que les écoles juives de métiers purent pour- suivre leurs activités. Il s’agit là de succès importants avant la promulgation du tristement célèbre «Statut des Juifs» du 8 août 1940, suivi de toute une série de décrets discriminatoires.

10. Cf. A. SAFRAN, Un tison arraché aux flammes, Paris, Stock, 1989, p. 52.

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L’antisémitisme déchaîné depuis l’éphémère gouvernement Goga-Cuza (fin décembre 1937-début janvier 1938), s’intensifia pendant l’été 1940, qui vit la débacle de la Grande Roumanie: le 26 juin, suite à l’ultimatum sovié- tique, l’Armée rouge occupa, le lendemain, la Bessarabie et la Bucovine du Nord; le 30 juin 1940, suite à l’arbitrage de l’Axe et par le diktat de Vienne, la partie nord de la Transylvanie fut transférée à la Hongrie, tandis que le 7 septembre 1940, par l’accord frontalier de Craiova, la partie sud de la Dobrogea (le Quadrilatère obtenu en 1913) était restituée à la Bulgarie. Le 27 juin 1940, le grand rabbin et le président Filderman furent convo- qués par M. Ghelmegeanu, le ministre de l’Intérieur du dernier gouverne- ment Tatarescu, (maintenu du 11 mai au 3 juillet 1940), qui leur fit savoir, sans leur annoncer que les soldats roumains allaient se retirer de la Bessara- bie et de la Bucovine, que les populations juives de ces territoires «devaient se comporter en bons patriotes». «Comme c’était intéressant de songer, re- marque le grand rabbin, que le gouvernement se préoccupait avant tout de l’attitude de la population juive! Quel prétexte pour tenter une diversion dans le plus pur style antisémite classique! En réalité, alors même que le ministre nous recevait, des ordres avaient été donnés pour qu’on jette des Juifs hors des trains en marche et pour qu’on déclenche des pogroms dans les villages et des villes de Moldavie du Nord et de Bucovine. Quelques heures plus tard, à peine rentrés chez nous, nous apprenions qu’on massa- crait les nôtres un peu partout. Je décidai de retourner immédiatement au ministère de l’Intérieur pour demander que des ordres soient donnés et que ces atrocités cessent. Mais il nous fut impossible d’avoir un autre rendez- vous avec Ghelmegeanu ce jour-là»11. En effet, la retraite des armées rou- maines s’accompagna de multiples tueries de Juifs dans de nombreuses lo- calités, au moment, faut-il le rappeler, où il n’y avait pas encore de troupes allemandes en Roumanie. Matatias Carp a dressé un tableau saisissant des crimes et massacres12 dont les plus terribles eurent lieu à Galatz (le 30 juin: au moins quatre cents victimes) et à Dorohoi (1er juillet: environ deux cents victimes). Les Juifs furent rendus responsables de la perte de ces provinces roumai- nes, la presse et la radio se déchaînèrent contre eux et refusèrent de faire connaître une déclaration signée par tous les dirigeants de la communauté juive, dans laquelle il était souligné que les Juifs n’étaient pour rien dans le dépeçage du pays. Malgré les menaces d’assassinat qui pesaient sur lui — une voix lui cria au téléphone: «Alexandre, si vous osez vous présenter au 11. Ibid., p. 56. 12. Cf. Matatias Carp, Cartea Neagra, III, Bucarest, p. 26-28.

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Sénat, on vous fusillera sur-le-champ!» —, il n’hésita pas à s’y rendre le jour de son ouverture exceptionnelle, le 3 juillet. Il fallait plus que du cou- rage, car, en effet, il y trouva une atmosphère de terreur où l’on entendait les cris: «Les Juifs et les communistes sont en train de brader le pays!», «Mort aux Juifs!». Protégé par le professeur Tanasescu, un chirurgien de Jassy qui s’interposa entre lui et le chef des antisémites A. C. Cuza et ses acolytes, il réussit néanmoins à s’échapper. Un extrait de la déclaration qu’il avait préparée et où il insistait sur le patriotisme «chaleureux et sin- cère» de la communauté juive, parut le 6 juillet 1940, dans le journal RenaÈterea Noastra. Le Sénat cessa son activité le jour même et fut dissout deux jours plus tard. Alexandre Safran n’était plus sénateur, mais il pour- suivit son combat en tant que grand rabbin. Trouvant partout porte close, ne pouvant faire passer aucun message à la radio ou dans la presse roumaine, il fit paraître le 10 juillet 1940 dans le Curierul Israelit, le texte d’un télé- gramme envoyé au roi au nom de la Fédération de l’union des communau- tés juives (F.U.C.E.), portant aussi les signatures du président Wilhelm Filderman et du secrétaire général, I. Brucar. Y était proclamé, suite aux derniers événements, l’entier dévouement de la population juive: «Avec tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils ont, conclut-il, les Juifs roumains sont prêts à tout sacrifice pour remplir le devoir à l’égard du Trône et du Pays….». À cette émouvante déclaration de fidélité, il y eut pour toute réponse une nouvelle vague de mesures antisémites prises par le gouvernement Gigurtu (4 juillet-4 septembre 1940), dirigées en priorité à l’encontre des fonction- naires. Le 10 juillet 1940, le ministère du Travail mit en disponibilité 133 fonctionnaires dont 50 restés dans les territoires cédés à l’URSS, le minis- tère de la Santé 35 médecins et pharmaciens. Le 6 août, les noms de tous les médecins congédiés du ministère de la Santé et des Assurances sociales depuis le 1er juillet, furent étalés dans la presse13. L’antisémitisme reçut une nouvelle impulsion le 8 août 1940, lorsque Carol II, son Premier ministre, Ion Gigurtu, et le ministre de la Justice, Ion Gruia, signèrent un décret-loi (no 2560) qui établissait le nouveau statut des Juifs de Roumanie. S’inspirant des lois de Nuremberg et, par certains as- pects, plus sévère que la législation nazie, ce décret définissait les Juifs se- lon «la loi du sang», mais, en fait, il s’agissait d’une discrimination basée uniquement sur des critères religieux14. Un deuxième décret-loi (no 2651) promulgué le même jour interdisait les mariages mixtes, entre les «Rou-

13. România, 6 août 1940. 14. Cf. C. IANCU, op. cit., p. 66.

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mains de sang» et les Juifs, même si ces mariages étaient contractés en dehors des frontières du pays (selon l’article 2). Les contrevenants étaient punis de 2 à 5 ans d’emprisonnement (art. 8)15. Il convient de rappeler que dans le territoire de la Roumanie, amputé après le diktat de Vienne, le nombre de mariages mixtes s’élevait à 4 145, dont 2 077 mariages de Juifs avec des femmes «aryennes», une partie seulement étant «ethniquement» roumaines. En 1941, le nombre d’enfants issus de ces ma- riages était de 2 94216. La loi interdisant les mariages mixtes était appelée à maintenir, d’après le journal de Nicolae Iorga, «la pureté de la race rou- maine»17. L’un des premiers résultats du nouveau statut du 8 août 1940 fut l’annu- lation de la citoyenneté pour la majeure partie des Juifs, complétant ainsi le décret-loi sur la révision de la citoyenneté des Juifs, promulgué par le gou- vernement Goga-Cuza le 22 janvier 1938 et qui avait privé de leur nationa- lité jusqu’au 15 novembre 1939 un nombre de 225 222 Juifs18. Une autre conséquence du statut fut la publication dans la presse des listes de centai- nes d’avocats, juristes, médecins, ingénieurs, professeurs, journalistes, in- tellectuels, artistes et autres fonctionnaires publics chassés de leur travail. Tel fut le cas, même pour les représentants de l’élite de la culture et de la science roumaines, parmi lesquels: les professeurs et savants Ernest Abason, Isac Blum, Jacques Byck, Marcu Cajal, Alexandru Graur, A. Hol- linger, A. Kreindler, les écrivains Ury Benador, Ion Calugaru, Al. Dominic, I. Peltz ou Mihail Sebastian (qui a laissé un témoignage exceptionnel sur le calvaire des Juifs roumains19), les artistes ou musiciens Beate Fredanov, Leny Caler, Agnia Bogoslava, Lisette Verea, Al. Finti, W. Ronea. Les œuvres littéraires, artistiques et musicales des auteurs juifs furent interdites et exclues des bibliothèques et des répertoires des théâtres et des orchestres pendant toute la durée de la guerre. En 1942, le ministère de la Propagande publiera une liste de 42 écrivains juifs interdits, où l’on trouve, hormis les noms déjà cités, ceux de , Maria BanuÈ, B. Fundoianu (Benja- min Fondane), Marius Mircu, A. Toma, Tristan Tzara, Ilarie Voronca… Le

15. Monitorul Oficial no 183, 9 août 1940, p. 4086-4087. Cf. aussi G. DUMITRAS-BITOICA, Statutul juridic al evreilor Èi legislaÁia românizarii, Bucarest, 1942. 16. Centrala Evreilor din România, Breviarul statistic al populaÁiei evreeÈti din România, Bucarest, p. 54-55. 17. Cf. Neamul românesc, 21 août 1940. 18. Cf. C. IANCU, Les Juifs en Roumanie (1919-1938). De l’émancipation à la margi- nalisation, Paris-Louvain, Peeters, 1996, p. 311-312. 19. Cf. M. SEBASTIAN, Journal (1935-1944), (traduit du roumain par Alain Paruit), Paris Stock, 1998, 568 p. et E. REICHMANN, «Pour Mihail Sebastian qui n’était pas mon frère», in C. IANCU (dir.), Permanences et ruptures dans l’histoire des Juifs de Roumanie (XIXe-XXe siè- cles), Montpellier, Université Paul Valéry, 1944, p.157-166.

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renvoi des fonctionnaires juifs s’intensifia et, entre le 9 août et le 30 sep- tembre 1940, le nombre des congédiés s’éleva à 609. Le statut des Juifs fut précédé et suivi de toute une série d’arrêtés, ordon- nances et décrets discriminatoires. C’est ainsi qu’une ordonnance astreignit les Juifs à ouvrir leur magasin le samedi, les empêchant de respecter le chabbat. Dans des mémoires et rencontres avec des responsables divers, Alexandre Safran mit l’accent sur le concept de liberté religieuse, en insis- tant sur le fait qu’il s’agissait là d’un aspect essentiel de la vie juive. Il réus- sit à obtenir une audience auprès de Stan GhiÁescu, ministre du Travail, qui lui fit savoir que par son ordonnance il n’avait pas voulu heurter les senti- ments religieux des Juifs, mais rendre uniquement service aux paysans qui venaient le samedi dans les villes et pouvaient ainsi trouver les magasins ouverts… Alexandre Safran fit savoir aux membres du Comité central de la Fédération des communautés juives, dans la séance du 14 août, que le mi- nistre avait promis de revenir sur son ordonnance à partir du 1er septembre. Malgré cette promesse, durant le mois de septembre, diverses communautés juives du pays, notamment transylvaines, informèrent le grand rabbin que des personnes se présentant comme des envoyés de la police et de la gen- darmerie avisaient les commerçants juifs de ne pas fermer leur magasin pendant les fêtes juives, les 3 et 4 octobre pour Rosh ha-Shana (Nouvel An) et le 12 octobre pour Yom Kippour, les menaçant de représailles. Mettant en avant l’article 308, 2e alinéa du Code pénal qui considère comme un délit et sanctionne de lourdes peines ceux qui empêchent un individu d’exercer son propre culte, Safran adressa le 25 septembre une pressante supplique au ministre de l’Éducation nationale, des Cultes et des Arts, afin de permettre aux fidèles de la loi mosaïque, d’interrompre l’activité dans leur magasin pendant ces jours de fêtes religieuses. Alexandre Safran n’a cessé de dénon- cer le nouveau statut des Juifs et ses conséquences, ainsi que les autres me- sures discriminatoires, multipliant, dans la mesure du possible, les rencon- tres avec les plus hauts responsables: «Au nom de la Fédération des communautés juives, je me rendis toujours accompagné de Filderman, dans presque tous les ministères pour y déposer une longue note écrite, que j’ap- puyais, chaque fois que je le pouvais, de protestations verbales — en géné- ral non suivies d’effets. Certains, comme Gafencu, le ministre des Affaires étrangères, semblaient plus ouverts à mes demandes. D’autres, comme Gigurtu, le nouveau Premier ministre, y restaient sourds, même si ce der- nier affichait des manières courtoises. Peu après, Gafencu fut remplacé par Mihai Manoilescu, élégant, un pur intellectuel, mais très dur à l’égard des Juifs. Ghelmegeanu, bien que fasciste, essayait de rester courtois»20.

20. A. SAFRAN, Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 58.

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2. L’État national-légionnaire du gouvernement Antonescu — Garde de fer (14 septembre 1940-23 janvier 1941): les exactions, “la résis- tance spirituelle” et le pogrom de Bucarest

Le 6 septembre 1940, le roi Carol II abdiqua, et la Roumanie devenait quelques jours plus tard, un «État national légionnaire». Le nouveau maître du pays, le général Antonescu fit entrer dans le gouvernement des ministres appartenant à la Garde de Fer qui prenait désormais le nom de Mouvement légionnaire (son chef Horia Sima, devint vice-Premier ministre). Entre le 14 septembre 1940 et le 23 janvier 1941, un véritable régime de terreur fut ins- tauré à l’encontre de la population juive: aux mesures visant l’exclusion et l’humiliation — élimination de tous les secteurs de la vie publique, obliga- tion dans certaines régions du port de l’étoile jaune —, s’ajoutèrent les agissements de la police légionnaire qui entama par la force le rapt des biens des Juifs. L’État militaro-fasciste d’Antonescu mit ainsi en applica- tion les idées d’exclusion développées par les représentants de l’extrême droite pendant l’entre-deux-guerres. Les violences antijuives — arrestations arbitraires suivies de tortures, expulsion de leur maison, assassinats — s’ac- compagnèrent d’exactions contre les opposants et du meurtre de plusieurs dizaines de personnalités politiques roumaines commis par la Garde de Fer. Alexandre Safran est toujours sur la brèche, fait de nombreuses interven- tions pour mettre fin aux spoliations des Juifs, aux arrestations arbitraires et aux nombreuses exactions. Le plus souvent, il n’eut pas gain de cause, mais parfois ses protestations aboutissaient. C’est ainsi qu’il put empêcher la fer- meture de toutes les synagogues et de tous les cimetières ordonnée par le ministre légionnaire Radu BudiÈteanu. Le 9 septembre, il signa deux dé- crets (no 43352 et no 43354), l’un qui autorisait le fonctionnement sur le ter- ritoire roumain de huit cultes historiques dont il donnait la liste et où le culte mosaïque ne figure pas, l’autre contestant l’existence légale de ce der- nier21. Deux jours plus tard, Alexandre Safran adressa au général Ion Anto- nescu, le nouveau conducator de l’État et président du Conseil des minis- tres, une supplique, signée également par le président Wilhelm Filderman, Sabetay I. Djaen et Josef M. Pinkas, ces deux derniers, respectivement grand rabbin et président de l’Union des communautés de rite espagnol, pour s’élever contre les mesures édictées par le ministre des Cultes. Le 14 septembre 1940 fut mis en place le nouveau gouvernement du général An- tonescu (qui devait durer jusqu’au 26 janvier 1941), et le nouveau ministre de l’Éducation nationale, des Cultes et des Arts, Traian Brailoiu finit par

21. Cf. Monitorul Oficial, no 216, 17 septembre 1940, p. 5438 et Evreii din România între anii 1940-1944, I, LegislaÁia antievreiasca, Bucarest, Hasefer, 1993, p. 80.

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suspendre, le 19 septembre 1940, «en attendant la réglementation défini- tive, par la loi de tous les cultes du pays», l’application des décisions du 9 septembre. Ainsi ce combat s’acheva favorablement, avec la réouverture des synagogues. Tel ne fut pas le cas pour bien d’autres ordonnances ré- pressives, dont l’une, promulguée dès le mois de juillet, par le ministère de l’Agriculture, interdisant l’abattage rituel. À propos de cette dernière me- sure oppressive, Alexandre Safran obtint une audience au ministère de l’Agriculture où il rencontra, en compagnie de Filderman, le sous-secrétaire d’État Petre Nemoianu. Après de nombreuses et longues discussions avec ce dernier, Alexandre Safran obtint l’autorisation pour l’abattage des vo- lailles, mais non des animaux. Le grand rabbin dut réunir le Conseil rabbi- nique qui, devant l’opposition des autorités, prit la décision de déclarer que les bêtes pouvaient être abattues même avec un pistolet, immédiatement après l’abattage rituel! En fait, l’interdiction de l’abattage rituel des bêtes fut maintenue jusqu’à la chute du régime d’Antonescu, en 1944. Le 21 septembre 1940, le ministre Brailoiu, signait une décision (no 44400) relative à l’exclusion du personnel juif des théâtres privés et de toutes les formations artistiques roumaines. Seuls les théâtres et troupes de théâtres juifs étaient autorisés à fonctionner, mais obligés d'inscrire sur leurs feuilles de publicité la mention «théâtre juif». Des pièces en langue roumaine pouvaient être représentées à condition qu’elles ne fussent pas des œuvres d’auteurs ou compositeurs roumains…22. Moins de trois semai- nes plus tard, Alexandre Safran fut convoqué par le même ministre, qui se distinguait par «la férocité et la barbarie des mesures qu’il préconisait», et qui l’informa que l’accès des écoles publiques serait désormais interdit aux élèves et enseignants juifs. Il fit à cet influent membre de la Garde de Fer, la remarque suivante, à laquelle il reçut aussitôt une réponse: «“Mais, Monsieur le Ministre, qu’allons-nous faire de nos enfants? Nous devons bien leur donner une éducation, à eux aussi”. Il me répondit…: “Ce n’est pas mon affaire, faites-en ce que vous voudrez”. Je rentrai donc informer les membres de notre Fédération de cette triste nouvelle, et, sans tarder, nous décidâmes de suivre les ordres à la lettre et de faire “ce que nous vou- lions”, c’est-à-dire des écoles primaires et secondaires, où tout l’enseigne- ment s’effectuerait en hébreu. Nommées Tarbouth [Culture, en hébreu], el- les furent logées dans les synagogues et certains locaux improvisés; puis j’informai le ministre de l’Éducation de la façon dont fonctionnaient nos “centres d’éducation séparés”»23.

22. Monitorul oficial, no 221, 22 septembre 1940, p. 5537. 23. A. SAFRAN, Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 65-66.

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Quelques jours après cette rencontre, le 11 octobre, Traian Brailoiu fai- sait paraître un nouveau «décret-loi pour le règlement de la situation des Juifs dans l’enseignement»24. Ce décret-loi qui portait aussi la signature du général , le conducator de l’État roumain et président du Conseil des ministres, chassait tous les enseignants, élèves et étudiants juifs de l’enseignement public. Il annulait une précédente mesure ministérielle du 29 août 1940, qui limitait et fixait, dans des conditions exceptionnelles, un pourcentage de 6 % pour l’admission des Juifs dans les écoles secondai- res et les établissements d’enseignement supérieur. Le numerus clausus de- venait maintenant numerus nullus. Épaulé par d’autres dirigeants dévoués, Alexandre Safran ne s’est pas contenté d’organiser un enseignement régulier pour les enfants et adoles- cents, mais il a encouragé et soutenu aussi trois établissements pour les étu- diants: le Collège Onescu, le Collège Abason et la Polytechnique Bercovici furent mis sur pied à Bucarest. Le collège Onescu (d’après le nom du pro- fesseur Marcu Onescu-Oxenberg) ouvert en 1941, et où en 1943, 100 pro- fesseurs et maîtres de conférences et 250 assistants guidaient 581 étudiants, comprenait cinq «facultés»: «Sciences exactes et techniques», «Biologie humaine», «Économie et comptabilité», «Séminaire pédagogique» (ouvert en 1943 et dirigé par le pédagogue Theodor Löwenstein-Lavi) et «Sciences humaines». Dans cette dernière, on enseignait la philologie, la philosophie générale, la philosophie juive, la littérature, l’histoire générale, l’histoire juive, l’histoire de l’art et les langues (anglais, français, hébreu et alle- mand). Des cours réguliers de judaïsme étaient dispensés par le grand rab- bin Alexandre Safran et par le rabbin Dr M. A. Halevy. Au-delà de l’ensei- gnement, il s’agissait d’une «résistance spirituelle»: «On privilégiait, écrit-il dans ses mémoires, les activités religieuses, artistiques et musicales, et tout un système d’entraide s’établit entre les différents endroits où se donnaient les cours. Par exemple, il pouvait y avoir en même temps dans une synagogue un cours d’arithmétique dans un coin et une étude sur un texte du Talmud dans un autre. Je ne citerai qu’une preuve de notre force et de notre détermination morale et spirituelle à cette époque, le fait qu’en 1941 fut publié à Bucarest un manuel en hébreu à l’usage des enfants de nos écoles»25. Le Collège Abason (d’après le nom du professeur Abason, ancien vice-recteur de l’École Polytechnique de Bucarest) comprenait en 1943, 90 étudiants et, parmi ses professeurs les plus réputés, il faut citer le docteur Marcu Cajal, responsable de la «chaire» de médecine (et père de

24. Il s’agit du décret-loi no 3 438, cf. Monitorul Oficial, no 240, 14 novembre 1940, p. 5 867-5 868. 25. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 77.

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Nicolae Cajal, futur académicien et président, après la mort de , de la Fédération des communautés juives). La Polytechnique Bercovici (d’après le nom de l’ingénieur Martin Bercovici, membre de l’Académie roumaine après la guerre) s’est ouverte en 1941 avec seulement 16 étudiants, mais leur nombre augmenta vite et parvint en 1943, à 65126. Signalons aussi le Conservatoire de musique et d’art dramatique dirigé par Stella Della Pergola et Hugo Schwartz (créé en 1941, 140 élèves en 1942) et l’École des beaux-arts pour les Juifs (créée en 1942, 140 étudiants en 1943). Pendant la durée de la guerre, les musiciens et artistes juifs chassés des établissements publics ont pu y enseigner et ont également pratiqué leur art dans le cadre d’un orchestre symphonique juif, et au théâtre BaraÈeum, ouvert le 1er mars 1941, dans le quartier juif de VacareÈti. Pendant les cinq mois du régime de symbiose légionnaires-Antonescu qui s’acheva avec la rébellion légionnaire des 21-23 janvier 1941, furent promulgués encore plus d’une vingtaine de décrets-lois antisémites, qui frappèrent les Juifs dans tous les domaine de la vie. Alexandre Safran réagit à toutes ces mesures discriminatoires, avec la direction de la Fédération des communautés juives, mais sans grand succès. Horia Sima, le nouveau vice- Premier ministre et chef du mouvement légionnaire était inabordable, tandis que Vasile IaÈinski, le ministre du Travail, de la Santé et de la Protection sociale, qu’il rencontra en compagnie de Filderman, se comporta à leur égard «avec une sorte de rage»27. Il réussit néanmoins, grâce à son pouvoir de conviction, et à des relations nouées avec certains dignitaires, comme le ministre de l’Économie nationale, Cancicov (qui remplaça le 10 novembre Gheorghe Leon, démissionnaire), originaire lui aussi de Bacau, à obtenir quelques rares améliorations en faveur de ses coreligionnaires. Peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Horia Sima, les légionnaires en chemise verte installèrent un véritable climat de terreur, dont les victi- mes furent, en priorité, les Juifs: des perquisitions et des arrestations abusi- ves, des expulsions, des viols, des tortures, des hommes enchaînés aux «po- teaux de l’infamie», des pillages, des mises à sac… Le siège de la préfecture de la capitale et les sièges des nids de légionnaires se transformè- rent en centres de torture pour les Juifs qui, arrêtés sans aucun motif, étaient battus sauvagement… Les commerçants juifs furent obligés de placarder les portes et les vitrines avec l’inscription «Magasin juif» (Magazin jidovesc ou Pravalie jidoveasca). La police légionnaire organisa le rapt des biens des Juifs, une spoliation méthodique de leurs commerces et entrepri- ses, par la contrainte ou par des achats dérisoires. Toutes ces violences

26. Cf. I. VOLEDI-VARDI, Politehnica din Curtea Templului, Tel Aviv, 1980. 27. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 63-64.

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étaient connues et tolérées par le dictateur Antonescu, comme il ressort aussi de l’un des nombreux mémoires qui lui furent adressés, datant du 9 décembre 1940, où l’on détaillait 400 crimes et délits divers commis par des légionnaires à l’encontre de la population juive de trente-cinq locali- tés28. Aucune mesure concrète ne fut cependant prise, et les violences des légionnaires devaient culminer avec le tristement célèbre pogrom de Buca- rest. C’est pendant la rebellion que les légionnaires de la Garde de Fer dé- clenchèrent dans la capitale un violent pogrom qui s’est soldé par l’assassi- nat de 120 Juifs: rappelons le calvaire du rabbin Gutman fusillé en même temps que ses fils Iancu (Jacob) et Iosef, qui survécut à ses blessures et échappa à une seconde fusillade: les légionnaires finirent par lui laisser la vie sauve après lui avoir arraché les cheveux et tous les poils de la barbe. À l’abattoir de Bucarest, les corps des victimes tuées par les légionnaires furent pendus aux crochets de boucherie, un écriteau «viande cachère» y fut également placé… 1 274 immeubles commerciaux et maisons ont été détruits29, de nom- breuses synagogues ont été incendiées, parmi lesquelles la synagogue séfarade Cahal Grande, l’une des plus belles de l’Europe qui brûla entière- ment. Le domicile d’Alexandre Safran fut pillé et devasté: dans la liste no- minale des victimes des dévastations, pillages et incendies pendant les jour- nées du pogrom légionnaire, figure, pour le quartier DudeÈti, le nom du Dr Alexandru Safran (no 357, parmi les 1.107 victimes signalées). Le mon- tant des dommages causés à son domicile (3 rue Dr Burghelea), est évalué à 375 000 lei30 (383 millions de lei pour l’ensemble des destructions et des déprédations). Par miracle, Alexandre Safran échappa à l’arrestation, mais pas son épouse, qui fit alors preuve devant les légionnaires tortionnaires d’un sang-froid et d’une conduite héroïques, avant de réussir à se faire libé- rer avec ses compagnons d’infortune. «Pendant deux jours, note le grand rabbin, j’ignorai où était Sarah, tandis qu’elle cherchait désespérément où j’avais pu me réfugier avec Esther. Puis un Juif déguisé en paysan vint me dire où elle était — et ce fut un moment impossible à décrire que celui où nous réalisâmes que nous étions encore en vie…»31. Le 4 mars 1941, le 7 du mois d’adar, il commémora dans le Temple Coral, les martyrs du po- grom de Bucarest. Devant un pupitre improvisé, car sa place habituelle était encore tachée du sang versé dans la synagogue, il prononça un poignant

28. H. CARP, Cartea neagra. Fapte Èi documente. SuferinÁele evreilor din România (1940- 1944), Bucarest, 1946, p. 73. 29. Cf. M. CARP, Cartea neagra, I, Bucarest, 1946, p. 243-244. 30. Ibid., p. 272. 31. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 67-69.

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sermon, rappelant ceux qui y sont morts pour la «sanctification du Nom» (‘Al kidoush ha-Shem)32.

3. La dictature d’Antonescu, sans les légionnaires: le pogrom de Jassy, l’étoile jaune et son abolition, les massacres et les déportations des Juifs de Bucovine et de Bessarabie en Transnistrie

L’entente entre les légionnaires de la Garde de Fer et Antonescu ne dura pas longtemps: après la rébellion des 21-23 janvier 1941, Antonescu, sou- tenu par le Reich allemand dont il allait devenir le précieux allié dans le combat contre l’U.R.S.S. (les légionnaires vaincus trouvèrent asile en Alle- magne), établit sa dictature personnelle qui perdura jusqu’au mois d’août 1944. Le pogrom de Bucarest ne fut hélas qu’un moment du long calvaire des Juifs roumains pendant la guerre. La politique antisémite d’Antonescu fut poursuivie après l’abrogation de l’État national-légionnaire (17 février 1941): par de nouveaux décrets discriminatoires, les biens des communau- tés juives et des Juifs furent «nationalisés», toute une législation draco- nienne mit les Juifs au ban de la société et provoqua sa ruine économique. La politique de «roumanisation», de spoliation à grande échelle, fut encou- ragée par le nouvel ambassadeur du Reich, Manfred von Killinger, arrivé en janvier 1941, et par son conseiller aux questions juives Gustav Richter, qui le suivit en avril 1941 et dont le rôle était de guider le gouvernement roumain dans la promulgation des lois antijuives calquées sur les lois racia- les allemandes. Parallèlement aux persécutions législatives, le gouverne- ment d’Antonescu entreprit l’expulsion de dizaines de milliers de Juifs des régions frontalières (les «évacués» des villages et des petites villes, perdant tous leurs biens, pillés le plus souvent par leurs voisins chrétiens, avant d’être entassés dans les grandes agglomérations) à la veille de l’attaque de l’U.R.S.S., à laquelle participa la Roumanie. C’est alors qu’eut lieu à Jassy, où la moitié environ des 100 000 habitants étaient des Juifs, les 29 et 30 juin 1941, un pogrom tristement célèbre, le premier pogrom gigantesque de la Deuxième Guerre mondiale. Le pogrom fut perpétré par l’armée et les autorités civiles roumaines, avec la complicité et l’aide des unités alleman- des présentes dans la ville. Le pogrom connut deux phases: la première, pendant laquelle des milliers de Juifs ont été massacrés dans la ville même, par fusillade ou à la suite de tortures sauvages, dans les rues, les maisons et surtout la cour de la préfecture de police (chestura), où l’on tira à la mi-

32. Cf. RenaÈterea Noastra, 14 mars 1940, et A. SAFRAN, Juifs et chrétiens. La Shoah en héritage, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 87.

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trailleuse sur les 5 000 ou 6 000 prisonniers qui y étaient entassés; la deuxième qui consista à évacuer les survivants en deux convois ferroviai- res, en wagons à bestiaux scellés («les trains de la mort»). Le premier train dont la destination prévue était un camp de concentration (Târgu Jiu), arriva finalement à CalaraÈi-IalomiÁa, en Valachie, à une distance de quelque 500 km, après une semaine seulement, le 6 juillet: sur le trajet des milliers de cadavres furent descendus dans les stations de MaraÈeÈti, Târgu-Frumos, MirceÈti, Sabaoani, Roman et InoteÈti. Le trajet du deuxième train fut beau- coup plus court: après avoir erré sur les voies pendant deux heures (mais les victimes étaient restées enfermées durant douze heures), il s’arrêta à Podu-Iloaei, à 20 km de Jassy. Dans les deux convois, ces «lieux de mort ambulants», les malheureux qui y furent entassés moururent dans des con- ditions atroces, de soif, de chaleur et par asphyxie. L’ambassadeur de France Jacques Truelle envoya le 6 août 1941, au mi- nistère des Affaires étrangères français la description suivante des événe- ments de Jassy:«… Un grand nombre de Juifs furent arrêtés et exécutés. Selon les témoignages les plus sûrs, 6 000 Juifs au minimum furent mis à mort. Dans certains, cas on procéda avec la plus grande brutalité. Des Juifs furent jetés en masse dans des charrettes tandis qu’ils n’étaient que blessés et certains d’entre eux auraient été enterrés vivants. Le doyen de la Faculté de médecine, qui dirige un hôpital, ayant été témoin à plusieurs reprises de semblables atrocités s’éleva contre elles mais en vain. 2 000 Juifs furent emmenés dans un train à quelques kilomètres de Jassy où on les laissa mou- rir de faim et de soif…»33. De nombreux livres ont été consacrés au po- grom de Jassy, rappelons ici le premier, publié en 1944, par l’écrivain juif roumain Marius Mircu34, celui très documenté de l’historien Matatias Carp, paru deux ans plus tard35, enfin l’évocation saisissante de l’écrivain italien Curzio Malaparte dans son livre Kaputt36. Le bilan exact du pogrom de Jassy n’est pas connu, ni pour les Juifs des deux convois ferroviaires (les chiffres considérés longtemps comme un minimum, 2 530 morts sur un to- tal de 4 430 évacués, semblent être bien en dessous de la réalité), ni pour ceux massacrés dans la ville. Pendant le procès, le 12 novembre 1945, l’an- cien secrétaire du Service secret d’informations (S.S.I.) avança le chiffre de 20 000, le dossier judiciaire n’en a retenu que 8 000. Une statistique secrète de la communauté de Jassy a fait état de 14 850 morts, tandis qu’un rapport du S.S.I. du 23 juillet 1943 cite le chiffre de 13 266 dont 40 femmes et

33. C. IANCU, La Shoah en Roumanie, op. cit., p. 41. 34. M. MIRCU, Pogromul de la Iaõi (29 iunie 1941), Bucarest, Glob, 1944. 35. M. CARP, Cartea neagra, II, Pogromul de la IaÈi, Bucarest, Socec, 1946. 36. C. MALAPARTE, Kaputt, Paris, Gallimard, 1972.

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180 enfants, se basant sur les listes établies dans toutes les synagogues, à l’occasion de la commémoration des victimes37. Le nombre de 12 000 Juifs massacrés devrait être envisagé comme la plus basse estimation. Dès que les nouvelles sur les horreurs de Jassy parvinrent dans la capi- tale, Alexandre Safran, dont le propre frère Dr Joseph Safran, grand rabbin de Jassy, fut agressé par une patrouille allemande dans l’escalier de sa de- meure et blessé par balle, multiplia les démarches. Il fit des interventions désespérées pour sauver ne fût-ce que quelques vies auprès de la Croix- Rouge, du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité de l’État, de la Direction des chemins de fer roumains, des institutions charitables… «Le président de la Croix-Rouge roumaine, écrit-il, était à l’époque le Dr Costinescu, membre du parti libéral et lié à la très influente famille Bratianu. Il parut écouter mes supplications avec sympathie, par exemple quand je lui fis sa- voir qu’il y avait des malades et des blessés dans les trains. La Croix-Rouge pourrait jouer son rôle traditionnel en les prenant sous sa protection, cela dépendait des ordres que lui, Costinescu, accepterait ou non de donner. Il agit en conséquence et m’informa plus tard avec une certaine fierté qu’il avait demandé qu’on rende aux médecins juifs leur matériel confis- qué…»38. Mais que pouvait-il faire, devant la volonté du gouvernement d’Antonescu, complice des nazis, décidé à éradiquer la présence juive du pays, et qui entama aussitôt, avec la reconquête des territoires de Bessara- bie et de Bucovine, l’extermination systématique des Juifs qui s’y trou- vaient, en déportant les survivants dans les camps de Transnistrie? Un autre combat mené par Alexandre Safran pendant l’été et au début de l’automne 1941, en étroite collaboration avec Wilhelm Filderman, fut celui pour l’abolition du port de l’étoile jaune. En effet, le 4 juillet 1941, quel- ques jours seulement après le terrible pogrom de Jassy, l’étoile jaune (cons- tituée de deux triangles superposés, confectionnée en tissu jaune, la dimen- sion de chaque côté étant de six centimètres) fut rendue obligatoire à Bacau, la ville natale du grand rabbin, où la population juive s’élevait à 13 038 âmes. La même mesure fut prise un jour auparavant à l’encontre des 13 500 Juifs de Galatz, le 7 août, à l’encontre des 33 135 Juifs de Jassy, le 13 août elle fut étendue à la ville de RadauÁi, puis, le 25 août, aux départe- ments de Jassy, BotoÈani, Roman, BalÁi et Soroca. Le port du signe discri- minatoire était prévu pour tout le pays et, une note confidentielle du 4 sep- tembre 1941, du général I. Popescu, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, nous apprend qu’il s’agissait d’une étoile noire sur fond blanc,

37. C. TRONCOTA, Eugen Cristescu, asul serviciilor secrete româneÈti. Memorii, Bucarest, Roza Vânturilor, 1997, p. 118-119. 38. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 73.

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placée dans un carré de 8,5 cm, l’épaisseur des triangles superposés devant être de 6 mm, les côtés des triangles composant l’étoile devant mesurer 6 cm de longueur. Le lendemain, le préfet de police Gheorghe Radu, an- nonça l’obligation de ce signe pour les 130 000 Juifs de la capitale (hom- mes, femmes et enfants). Grâce à des interventions rapides cette mesure ne fut finalement pas appliquée. Voici l’argumentation développée par Ale- xandre Safran, dans une missive adressée le 6 septembre 1941 au patriarche Nicodim et cosignée par Filderman: «Le port d’un signe distinctif aura cer- tainement les plus graves répercussions sur l’ordre public, l’économie et les finances du pays. Étant donné, cependant, que le signe choisi est l’étoile de David, étant donné que cette étoile est sacrée, et pour la religion chrétienne et pour la religion mosaïque, plus encore, étant donné que la divinité de Jésus-Christ est fondée sur le fait qu’il est descendant de David, il est cer- tain que cet ordre viole la religion, exposant à la risée et à l’opprobre des chrétiens l’un des emblèmes religieux les plus sacrés, minant ainsi la croyance dans la sainte foi. Que peut penser, en effet, un croyant honnête qui, sortant de l’église où il a entendu les psaumes de David, chantés et loués, et des paroles d’amour pour son prochain, voit comment l’on profane l’étoile de cet ascendant du fondateur de la religion chrétienne, et comment cet insigne sert précisément à attiser la haine contre son prochain. Nous es- pérons, Très Haut Père, Votre Sainteté, que vous voudrez bien prendre sous la hauteprotection de Votre sainteté, le respect de la religion et le respect de l’homme»39. Aussitôt après cette lettre, Alexandre Safran rencontra le patriarche Nicodim qui promit d’intervenir auprès du maréchal Antonescu: deux jours plus tard, ce dernier confirma l’ordre de suppression, lors d’une audience accordée à Filderman. Si à Bucarest le décret imposant l’étoile jaune fut aussitôt annulé, ce ne fut pas le cas dans bons nombre de localités où il resta en vigueur. En fait, le port de l’insigne discriminatoire se pour- suivit dans les régions orientales, en Bucovine, Bessarabie et Transnistrie. À l’instar des nazis qui voulaient transformer l’Allemagne en un État judenrein (purifié de Juifs), les autorités roumaines introduisirent le slogan CuraÁirea României de jidani («La Roumanie nettoyée des Juifs»). Le 8 juillet 1941, Mihai Antonescu, annonçait lors de la séance du Conseil des ministres, la décision de déporter les Juifs de Roumanie, en commençant par ceux des provinces orientales et septentrionales, en déclarant: «Au ris- que de n’être pas compris de certains traditionalistes qui pourraient encore être parmi vous, je suis pour la migration forcée de tout l’élément juif de Bessarabie et de Bucovine, qui doit être jeté au-delà des frontières… Cela

39. Archives M. CARP, III, p. 168.

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m’est égal si dans l’histoire nous serons considérés comme des barbares… Il n’existe pas dans notre histoire un moment plus favorable… Si c’est né- cessaire, tirez avec la mitrailleuse…»40. La purification ethnique décidée par le maréchal Ion Antonescu et le vice-Premier ministre Mihai Antonescu, devait s’effectuer par des déporta- tions massives, mais aussi par des exécutions en masse. L’avance des ar- mées roumaines et allemandes à l’intérieur de l’U.R.S.S., la reconquête des anciens territoires roumains eurent des conséquences désastreuses pour les Juifs qui s’y trouvaient: des dizaines de milliers de Juifs de Bessarabie et de Bucovine furent massacrés par des unités militaires et la gendarmerie roumaines, par des paysans roumains et ukrainiens, avant le 1er septembre 1941. Les massacres systématiques qui devaient être exécutés par des gendarmes ont été prévus par l’inspecteur général de la gendarmerie, C. Z. (Picky) Vasiliu qui employa l’expression curaÁirea terenului («net- toyer le terrain»). Par cette dernière, il fallait comprendre, «l’extermination sur place de tous les Juifs se trouvant dans les zones rurales; l’enfermement dans des ghettos de tous les Juifs des zones urbaines; l’arrestation de tous les “suspects”, des activistes du Parti [communiste], de tous ceux ayant occupé des fonctions de responsabilité sous le régime soviétique et leur en- voi au siège de la légion»41. Entre le 22 juin et le 30 juillet 1941, presque toute la population juive des communes rurales fut exterminée: à Banila- sur-Siret, quelques Juifs seulement furent tués, mais coupés en morceaux «afin qu’avec leur sang l’on graisse les essieux des chariots»42; à Parliti, uniquement 10 Juifs, mais dans des conditions telles qu’elles provoquèrent la protestation (le 10 juillet 1941) du chef d’État-major de la XIe armée al- lemande; à LipcauÁi 40; à CeplauÁi 180 (toute la communauté); à Ciudei 500 (toute la communauté); à EdineÁi 500; à MarculeÈti 618; à Noua SuliÁa 800… Dans les villes, même sauvagerie et des massacres gigantesques: à CernauÁi (Czernowitz) 2 000 Juifs massacrés dans les rues et les maisons, le jour de l’occupation de la ville (5 juillet) et 300 de plus deux jours plus tard; à ChiÈinau (Kichinev) plus de 10 000, le 17 juillet, le long des deux voies de pénétration dans la localité des armées roumaines et alleman- des…43. Après avoir été réunis dans des camps et des ghettos provisoires, la

40. Cf. M. CARP, op. cit., III, 2e éd. p. 96 et Problema evreiasca în stenogramele Consiliului de MiniÈtri (éd. L. Benjamin), Bucarest, 1996, p. 266-267. 41. Archives de l’United States Holocaust Memorial Museum Washington, SRI, RG 25004 M, bobine 16, fonds 22539, vol. 32. 42. Cf. M. CARP, op. cit., I, p. 26. Cf. aussi M. MIRCU, Pogromurile din Bucovina Èi Dorohoi, Bucarest, 1945. 43. M. CARP, op. cit., III, p. 27 et 60. Cf. J. FISCHER, Transnistria. The Forgotten Ce- metery, Tyselof, South Brunswick, 1969, p. 40.

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plupart des survivants de Bessarabie et de Bucovine (exception faite d’une partie des Juifs de CernauÁi), ainsi que les Juifs du district de Dorohoi (situé dans le Regat) furent déportés après le 14 septembre 1941. L’ordre d’«évacuation» fut donné par le maréchal Antonescu, lors d’une réunion avec les gouverneurs des provinces annexées, tenue à Tighina le 30 août 1941. Les départs eurent lieu dans des conditions inhumaines, en convois (de 1 600 personnes minimum, y compris les vieillards et les enfants), par- courant des centaines de kilomètres à pied, les instructions prévoyant l’exé- cution sommaire de ceux qui ne pouvaient plus marcher par faiblesse ou maladie. Les assassinats et les inhumations de ces derniers devaient s’effec- tuer dans des fosses d’une capacité d’environ cent personnes, creusées, se- lon les ordres, tous les dix kilomètres, deux jours avant le départ de chaque convoi, sur les tracés de la déportation. 500 personnes furent ainsi fusillées et enterrées sur le seul tracé Secureni-CosauÁi44. La destination finale était la maudite Transnistrie, province soviétique se situant entre le Dniestr et le Bug, dont l’administration fut confiée par les Allemands aux Roumains. Cette région fut choisie comme lieu central de rassemblement et d’isole- ment des Juifs de Roumanie. Son gouverneur Gheorghe Alexianu ordonna d’installer les déportés dans certaines localités (colonies) où ils étaient en- tassés dans des ghettos, des camps de concentration et des camps de tra- vaux forcés: le régime qu’on leur imposa fut terrible. Obligés de travailler jusqu’à l’épuisement, affamés, ils devinrent la proie des maladies conta- gieuses, et, soumis à des mauvais traitements, fusillés pour le moindre man- quement aux ordres, ils y moururent par dizaines de milliers. Tous ces événements sont présents dans la correspondance des représen- tants de la France en Roumanie. Le consul de France à Galatz, Gabriel Ri- chard, rendant compte du massacre de la population juive d’Ismail lors de l’entrée des troupes roumaines, remarquait que l’on procédait en Bessarabie «à une épuration radicale de l’élément israélite»45. L’un des directeurs du ministère des Affaires étrangères roumain s’entretint avec l’ambassadeur de France Jacques Truelle, au mois de juillet 1941, lui indiquant qu’il ne voyait pas d’autre solution au problème juif en Bessarabie que le renvoi en masse des Israélites au-delà des frontières46, projet qui fut effectivement mis à exécution. Le même ambassadeur télégraphia le 28 octobre 1941 dans des termes sans équivoque: «Les persécutions contre les Juifs roumains commencées déjà avant la guerre contre la Russie sont en vive recrudes- cence. Les Israélites de Bucovine et de Bessarabie, y compris les vieillards

44. M. CARP, op. cit., III (Transnistria), 2e éd., 1996, p. 68. 45. C. IANCU, op. cit., document no 29, du 12 août 1941. 46. Ibid., document no 27.

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et les enfants, viennent d’être déportés dans les conditions les plus inhumai- nes et envoyés en quelques heures de marche forcée vers des destinations inconnues au-delà du Boug. Il s’agit d’un projet que le gouvernement rou- main nourrit depuis quelque temps, habilement encouragé par les Alle- mands et qui tend à l’extermination des Israélites de ces régions»47. Jac- ques Truelle récidive le 10 novembre 1941 dans un long rapport où il décrit la destruction du judaïsme de Bessarabie et de Bucovine, d’où nous ex- trayons: «[…] Ils furent ensuite embarqués dans des wagons à bestiaux à raison de 60 ou 80 par wagon. Les trains furent dirigés sur Mohilev où ils arrivèrent au bout de 3 ou 4 jours. Il y avait déjà des victimes parmi les dé- portés, des malades que le transport avait achevés ou des personnes qui étaient mortes de froid. À Mohilev, toutes les maisons ayant été détruites au cours des hostilités, les Juifs durent à nouveau coucher en plein air. Puis ils reçurent l’ordre de partir à pied, dans une direction inconnue, et parcouru- rent ainsi près de 200 km à raison de 15 à 20 km par jour. Bien entendu, ils ne recevaient aucune nourriture et n’ayant plus d’argent, il leur était impos- sible d’en acheter. Certains officiers contraignaient des jeunes filles à se prostituer pour un morceau de pain. Les routes étaient bordées de cadavres, et seuls les hommes et les femmes les plus vigoureux purent résister à ces épreuves»48. À la suite des échos relatifs aux horreurs qui se sont déroulées pendant et après la réoccupation du nord de la Bucovine et de la Bessarabie, Alexan- dre Safran et Wilhelm Filderman adressèrent le 22 juillet 1941, au nom de la Fédération des communautés juives, une lettre au ministre de la Culture nationale et des Cultes pour lui demander l’autorisation d’envoyer des délé- gués spéciaux avec la mission de réorganiser les communautés juives de ces provinces. En fait, plus que de l’organisation des communautés, il s’agissait de mesurer l’ampleur des exterminations et la possibilité d’oc- troyer une aide aux rescapés. Il n’y eut aucune réponse à cette demande, tandis que le 6 octobre, Ion Antonescu déclara en Conseil des ministres: «En ce qui concerne les Juifs, j’ai pris la décision de les chasser tous et pour toujours de ces provinces. J’en ai encore en Bessarabie environ 10 000 qui d’ici quelques jours seront envoyés au-delà du Dniestr et, si les circonstances le permettent, seront expédiés au-delà de l’Oural»49. Aussitôt la décision de faire déporter les Juifs de Bucovine, du département de Dorohoi (nord de la Moldavie) et les derniers Juifs de ChiÈinau, commença à être appliquée. Dès que la nouvelle fut connue, le grand rabbin Safran

47. Ibid., document no 37 bis. 48. Ibid., document no 80, p. 162-163. 49. M. CARP, Cartea Neagra, III, p. 143.

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s’adressa, le 11 octobre 1941, au maréchal Antonescu le suppliant d’annu- ler les déportations: «Monsieur le Maréchal, Dans ces moments de re- cueillement pour mes fidèles [c’était la fête de Soukot], permettez-moi, je vous prie, de présenter devant vous ma prière jaillie des profondeurs, afin que vous répandiez la pitié de votre générosité sur les êtres qui attendent au seuil de leurs foyers, le mot de délivrance de la part du Glorieux Conducator et bon père de tous les enfants du pays. Veuillez bien, Mon- sieur le Maréchal, permettre qu’on laisse dans leurs foyers tous les Juifs in- nocents, frappés par la sévère mesure du déracinement de leurs lieux d’ha- bitation. Que Dieu bénisse la grandeur de Votre œuvre, au service de la Nation et du Pays»50. Parallèlement à cette démarche, il eut l’idée, avec ses collègues de la di- rection de la Fédération, de faire appel aux services d’un avocat chrétien, N. MuÈat, pour enquêter sur place et faire apporter quelques «adoucisse- ments». Pendant le séjour de MuÈat à ChiÈinau, le rabbin Twerski de cette ville fit parvenir à Alexandre Safran des télégrammes rédigés en code pour déjouer la vigilance des censeurs et qui témoignaient de la gravité de la si- tuation: «Le malade a un urgent besoin de médicaments», «le malade est à l’article de la mort»… Alexandre Safran appela le Palais pour informer la reine-mère des derniers développements, et envoya des copies de ces télé- grammes au nonce apostolique Mgr Cassulo, aux ambassadeurs de Suisse, de Suède et de Turquie, ainsi qu’aux délégués de la Croix-Rouge internatio- nale. Il resta en contact permanent avec la présidence du Conseil, les minis- tres de l’Intérieur et de la Justice, et tous les dignitaires du régime encore accessibles, ainsi qu’avec les chefs de l’opposition (Maniu, Bratianu, Lupu). Ne recevant aucune réponse à ses suppliques au maréchal, en désespoir de cause, il contacta par écrit et par téléphone son épouse, Maria Anto- nescu, qui n’hésita pas à le renvoyer au «ministère compétent»… Il prit alors la décision de rencontrer le chef spirituel de l’Église orthodoxe, le pa- triarche Nicodim, «un homme froid, sévère, un prêtre de la vieille tradi- tion». Tombant à ses pieds, il parvint à l’émouvoir, tout en l’apostrophant: «Ne comprenez-vous donc pas que je suis en train de vous parler de la vie de dizaines de milliers d’êtres absolument innocents? Vous porterez le poids d’une écrasante responsabilité si vous laissez commettre de pareilles injustices! Vous êtes un patriarche, un homme de Dieu! Ne pensez-vous pas que vous serez un jour convoqué devant le Juge suprême et que vous devrez répondre de ce que vous laissez commettre ici, en Roumanie, sous

50. A. SAFRAN, Un taciune smuls flacarilor, Bucarest, Hasefer, 1996, p. 303.

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vos yeux, vos yeux d’homme d’Église?»51. Pourtant, d’après le témoignage d’Israel Leivandman (devenu Levanon, après son immigration en Israël), le secrétaire particulier du grand rabbin qui l’avait accompagné à cette ren- contre, le patriarche Nicodim, malgré son émotion, ne prit aucun engage- ment: «Nous sommes sortis les mains vides, ajoute-t-il, et, de la maison du patriarche nous sommes allés au palais royal, où le rabbin fut reçu par le roi Michel et la reine-mère Élena; il demanda leur aide et, deux jours plus tard, l’ordre fut donné permettant à ceux qui n’ont pas encore été déportés de rester dans leurs demeures52. Il y eut ainsi un sursis, hélas, les déportations reprirent par la suite. Avec sa personnalité rayonnante et ses paroles simples, Alexandre Sa- fran a réussi également à émouvoir le métropolite de Bucovine, Tit Sime- dria, lors d’un séjour à Bucarest. Celui-ci se montra compréhensif, intervint auprès du gouvernement et du dictateur lui-même. Il contribua ainsi à faire cesser l’évacuation (et la mort certaine en Transnistrie) d’environ 20 000 Juifs de Cernauti. «C’était, écrit-il dans ses mémoires, absolument incroya- ble: j’avais obtenu l’arrêt des déportations de Czernowitz avec l’aide de Tit Simedria, le métropolite antisémite de Bucovine…»53. Il faut souligner ici l’attitude courageuse du maire de la ville, Traian Popovici, qui s’était opposé à la création d’un ghetto pour les 50 000 Juifs de sa localité, projet formulé déjà en août 1941, par le gouverneur Alexandru RioÈanu, mais concrétisé, après sa mort, par le nouveau gouver- neur, le général Corneliu Calotescu, légionnaire et antisémite notoire (il fut jugé après la guerre avec les autres criminels de guerre roumains). La con- centration des Juifs dans le ghetto n’était qu’une première étape du calvaire des Juifs bucoviniens. En effet, le lendemain de la création du ghetto, le 12 octobre, dernier jour de la fête juive de Soukot, les premiers convois partaient pour la Transnistrie. Deux jours auparavant, Traian Popovici attira l’attention du gouverneur Calotescu sur la responsabilité qu’il prenait de- vant l’histoire, pour la déportation en masse des Juifs:«Monsieur le gou- verneur, la Révolution française qui a donné au monde la justice et la li- berté, a coûté seulement 11 800 victimes, tandis que vous envoyez à la mort, au début de l’hiver plus de 50 000 âmes… Prenez contact avec Mon- sieur le Maréchal et demandez-lui de renoncer au moins jusqu’au printemps à cette mesure»54. Les insistances de Popovici (il s’adressa aussi au maré-

51. A. SAFRAN, Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 87. 52. I. LEVANON, Am sridey herev. Prakim beToldot haTzionut haDatit beRomania, 2e éd., Jérusalem, Ariel, 1998, p. 156. 53. A. SAFRAN, Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 89. 54. Cf. M. CARP, op. cit., III, 2e éd., p. 177 et T. POPOVICI, Spovedania — Testimony, Bu- carest, Fondation Dr. W. Filderman (édition préparée par Th. WEXLER), 2002, p. 29.

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chal, par l’intermédiaire de certains amis), jointes aux diverses interven- tions faites auprès d’Antonescu, finirent par toucher ce dernier qui, dans un entretien téléphonique du 15 octobre avec le gouverneur Calotescu, consen- tit à revenir sur les déportations massives: l’autorisation fut donnée de maintenir en ville 15 600 Juifs en qualité d’«experts» et de 4 000 autres grâce à des autorisations provisoires délivrées par le maire («autorizaÁiile Popovici»). L’attitude courageuse de Traian Popovici (1892-1946) fut re- connue par l’Institut de Jérusalem, qui, en 1969, lui octroya post mortem, le titre de «Juste parmi les Nations».

4. L’arrêt des déportations dans les camps de la mort en Pologne

À la fin de l’année 1941, le 17 décembre, le gouvernement roumain, don- nant suite aux injonctions des Allemands, fit dissoudre l’organisme repré- sentatif des Juifs roumains, la Fédération de l’union des communautés jui- ves (F.U.C.E.) et, à sa place, décida (par le décret no 319, paru au Journal officiel le 31 janvier 1942) la création du «Centre pour les Juifs de Rouma- nie» (Centrala evreilor din România), suivant le modèle des Judenräte im- posés dans toute l’Europe occupée par les responsables du IIIe Reich. Alexandre Safran fut chassé de son bureau par Nandor Ghingold, le diri- geant de cette nouvelle institution, la seule désormais «représentative» du judaïsme roumain. Elle était supervisée par qui, le 30 octobre 1941, avait été nommé commissaire aux Affaires juives, avec le titre de «Mandataire du gouvernement pour préparer les travaux concernant la réglementation du statut des Juifs» (Imputernicit al guvernului pentru pregatirea lucrarilor privind reglementarea regimului evreilor). Si la direction de la Centrala était constituée de traîtres et de collaborateurs (Wilmann, Grossman, Streitman), une grande partie de ses membres étaient honnêtes et travaillaient secrètement en étroite liaison avec Alexandre Sa- fran, qui réunissait à sa nouvelle adresse, rue Spatarului, un Conseil juif clandestin. En effet ce dernier, composé de quelques dirigeants d’élite, Filderman, Benvenisti, représentant l’Organisation sioniste, Froimescu, les communautés séfarades et l’avocat Schwefelberg, toujours bien informé, a pu coordonner diverses actions de sauvetage et toute une activité clandes- tine d’entraide aux plus vulnérables et aux plus démunis. Ainsi, malgré la nouvelle situation, conséquence de la constitution de la Centrala evreilor, malgré sa mise à l’écart officielle (comme du reste ce fut le cas pour Filderman, malgré son éviction), le grand rabbin continua avec acharne- ment son combat pour sa communauté. Voici en quels termes il résume le fonctionnement du Conseil juif clandestin: «J’étais toujours le premier

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otage potentiel de la population juive. Il m’arrivait de devoir me présenter à des dates et des heures fixes à la police, pour bien montrer que je n’avais pas quitté la ville — et en rentrant chez moi, je trouvais réunis les membres du Conseil clandestin qui m’attendaient. Nous avions établi le principe d’une rencontre hebdomadaire, généralement le mercredi, mais, si les cir- constances l’exigeaient, nous nous retrouvions n’importe quel jour et par- fois à n’importe quelle heure, même tard le soir, et s’il le fallait quatre ou cinq fois de suite. Nous sentions au fond de nous-mêmes que nous étions probablement sous surveillance, mais cela ne changeait rien à nos activités, qui étaient multiples. Venir chez moi était encore plus sûr: nos dirigeants pouvaient toujours, en cas de descente de police, dire qu’ils avaient besoin de me consulter, en tant que grand rabbin, sur tel ou tel point d’histoire ou du rituel religieux»55. Un témoignage très important sur le Conseil juif clandestin, nous est fourni par l’avocat Arnold Schwefelberg: «À la suite de la suppression de la Fédération de l’union des communautés juives et la création de la Cen- trale des Juifs de Roumanie, ceci comme institution du gouvernement, donc non pas pour les Juifs, mais plutôt contre eux, la population juive restait sans aucune direction. Il n’y avait la possibilité d’aucune organisation indé- pendante et moins encore d’une représentation indépendante. On ne pouvait œuvrer pour la défense des Juifs que clandestinement, par un petit groupe de personnes. Ce groupe, qui formait «Le Conseil juif» (secret!), se com- posait de Dr Filderman, Dr Safran, MiÈu Benveniste, Ferry Froimescu et moi-même. C’est là que l’on prenait connaissance des besoins et des périls qui augmentaient sans cesse et que l’on décidait des mesures à prendre, les tâches se partageant entre les différents membres. On devait faire de nom- breuses démarches auprès du gouvernement (qui étaient signées par le Dr Filderman personnellement); de très nombreux mémoires ont été prépa- rés et apportés par moi-même, surtout en ce qui concerne les mesures d’or- dre législatif et administratif; audiences au gouvernement et même dans les représentations diplomatiques (Dr Filderman), chez des hauts dignitaires ec- clésiastiques (Dr Safran), à la Centrale et à la Croix-Rouge internationale; des démarches auprès de personnalités influentes, etc.56. Dès la fin de 1941, le grand rabbin est parvenu à faire connaître à la reine-mère Elena, la grande misère dans les camps et les ghettos de Transnistrie, et, coordonnant ses démarches avec le nonce apostolique, Mgr Cassulo, elle obtint du premier ministre Mihai Antonescu l’autorisation

55. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 100. 56. Cf. A. SCHWEFELBERG, Amintirile unui intelectual evreu din România (édition, préface et notes de Leon Volovici), Bucarest, Hasefer, 2000, p. 137.

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d’envoyer des secours aux déportés. Alexandre Safran en fut informé au milieu d’une nuit de tempête de neige, par l’aide de camp de la reine venu le voir en uniforme. Des instructions furent données à Radu Lecca en ce sens, et des secours matériels et médicaux (le typhus, la famine et le froid faisaient des ravages) ont pu y être expédiés. Multipliant ses interventions, Alexandre Safran obtint des audiences auprès des responsables d’organis- mes gouvernementaux pour faire annuler les nombreuses discriminations frappant ses coreligionnaires, ou au moins en atténuer les effets. C’est ainsi que le 24 août 1942, lors d’une audience chez le directeur des cultes mino- ritaires au ministère des Cultes, il demande d’exempter les rabbins du «ser- vice du travail obligatoire», insistant sur le fait que «ni la capacité physi- que des rabbins — ils ne sont pas habitués aux pénibles labeurs manuels —, ni le prestige du Culte, ne permet de leur infliger cette sanction. Pour toute réponse, le directeur lui a proposé de fournir un mémoire écrit, dans lequel une prière était adressée au ministère des Cultes pour intervenir auprès du grand état-major, «afin que les rabbins envoyés pour le service du travail obligatoire soient utilisés pour des travaux intellectuels»57. Les responsabi- lités rabbiniques d’Alexandre Safran s’accrurent en 1942, lorsque, après le départ du rabbin Sabbatai Djaen, qui réussit à quitter le pays, il fut élu aussi grand rabbin de la communauté séfarade de Bucarest et de l’«Union des communautés séfarades de Roumanie»58. Le combat le plus acharné et le plus tragique, mais couronné de succès, devait avoir lieu en été et en automne 1942, lorsque, malgré les pressions de l’Allemagne nazie, l’on obtint l’ajournement et finalement l’annulation des déportations prévues pour les Juifs de la Transylvanie du Sud et du Regat, vers les camps d’extermination en Pologne. Le 26 septembre 1942, lors d’une conférence tenue à Berlin, en l’absence des représentants de la Roumanie, des responsables nazis établirent les mo- dalités du transport en Pologne (la destination finale étant Belzec), par voie ferrée, de tous les Juifs qui restaient encore en Roumanie. Le 13 octobre 1942, le Conseil des ministres roumain qui, une année auparavant (en no- vembre 1941), avait donné son agrément (à l’instar de la Slovaquie et de la Croatie) pour la déportation des Juifs roumains résidant en Allemagne (leur nombre s’élevait à 1 100), et qui avait accepté la même mesure pour ceux résidant en France (3 300 originaires de Roumanie dont 2 958 possédant la citoyenneté roumaine furent envoyés dans les camps de la mort en 1942,

57. Cf. A. SAFRAN, Resisting the Storm. Memoirs, Jérusalem, Yad Vashem, 1987, p. 325. 58. Cf. Y. GELLER, TzemiÌatah we-sheqi‘atah shel qehilla. Ha-yehudim ha-achkenazim we-ha-sefardim be-Romania (1919-1941), Tel Aviv, Moreshet, 1985, p. 125.

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d’après Serge Klarsfeld59), entérinait la décision d’Antonescu d’annuler les déportations vers la Pologne. Que s’est-il passé? Au mois d’août 1942, les dirigeants des communau- tés juives de la Transylvanie du Sud apprennent l’existence des projets con- cernant la déportation de dizaines de milliers de Juifs de cette région en Pologne (et qui devaient être suivis par tous les Juifs du Regat). Un plan détaillé où il était question d’Arad, de Timisoara et de Turda avait été vu par un ingénieur juif des chemins de fer60, tandis que Misu Benvenisti, pré- sident de l’Organisation sioniste désormais dissoute, entendit de la bouche même de Radu Lecca, une phrase imprudente où il était question des dépor- tations imminentes. Mis au courant d’abord par les leaders juifs transyl- vains, Alexandre Safran multiplia aussitôt ses démarches aussi bien auprès de la maison royale (la reine-mère Élena), des dignitaires du régime et des hommes politiques de l’opposition, qu’auprès des représentants des pays neutres, notamment auprès de l’ambassadeur suisse René de Weck. Ce der- nier était au courant de la politique criminelle des deux Antonescu à l’égard des Juifs: dès le printemps 1942, lors d’une rencontre avec eux, il entendit Mihai faire cette remarque: «C’est le moment pour nous de régler la ques- tion juive; nous n’avons pas de témoins»61. René de Weck envoyait, le 18 août 1942, au Conseiller fédéral de Suisse Pilet-Golaz, l’information sui- vante:«M. Radu Lecca, “spécialiste” des questions juives en Roumanie et son compère M. Richter, qui joue le même rôle à la légation d’Allemagne, sont partis en avion le 15 août pour Berlin. On en déduit que le Reich exige une prompte réalisation du programme formulé par ces messieurs et dont vous parlait mon dernier rapport. Les Juifs de Transylvanie et du Banat sont, pour le moment, les plus directement menacés. Des ordres en vue de leur déportation en Transnistrie [sic!] seraient déjà parvenus aux préfectu- res d’Arad et de TimiÈoara»62.

59. Cf. S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, 1978, p. 19. 60. Témoignage de Theodor Lavi (Löwenstein) au procès Eichmann, cf. R. HILBERG, La destruction des Juifs d’Europe, Paris, II, Fayard, Folio/Histoire, 1991, p. 684. 61. Cf. J. MOUTON, Journal de Roumanie, Lausanne, L’Age de l’Homme, 1978, p. 52. 62. Cf. Ecouri dintr-o epoca tulbure. Documente elveÁiene, 1940-1944 (Édition et avant- propos d’A. ËIPERCO, Bucarest, Hasefer, 1998, p. 97 et ConfidenÁial. BucureÈti-Berna. Rapoartele diplomatice ale lui René de Weck, 1940-1944, traduction roumaine et avant-pro- pos de D. HINCU), Hasefer, 2002, p. 121. Cf. aussi, S. ROTH, «Un diplomate neutre face à la Shoah: René de Weck au gré de son journal intime (1919-1945)», in C. IANCU (dir.), Perma- nences et ruptures dans l’histoire des Juifs de Roumanie (XIXe-XXe siècles), Montpellier, Uni- versité Paul Valéry, 2004, p. 167-176 et S. ROTH (éd.), René de Weck, Journal de guerre (1939-1945). Un diplomate suisse à Bucarest, Genève, Société d’Histoire de la Suisse Ro- mande, 2001.

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Il faut remarquer que cette fois encore (comme en 1941, lors de ses ren- contres avec le patriarche Nicodim et avec le métropolite Tit Simedria), c’est surtout grâce aux efforts déployés par le grand rabbin auprès de deux hauts dignitaires ecclésiastiques, que fut obtenu finalement le sauvetage des Juifs. L’un des deux, le métropolite Balan, accepta de venir à Bucarest pour le rencontrer, Safran ne pouvant se rendre à sa résidence de Sibiu, place forte de la Gestapo en Roumanie. Ce tête-à-tête est ainsi décrit par le grand rabbin: Au début de cette rencontre, Balan sembla aussi distant et froid que d’ordi- naire. Je lui expliquai l’extrême gravité de la situation où se trouvaient les Juifs de Transylvanie du Sud, que menaçait une imminente déportation en Po- logne. Balan resta impassible; c’est alors que je me sentis poussé par une force surnaturelle, comme en 1941 au palais patriarcal, lors de mon entretien avec le patriarche Nicodim concernant la déportation des Juifs de Bucovine, de Mol- davie du Nord et de Bessarabie: je le mis en garde, en criant qu’après notre mort, lorsque nous comparaîtrions ensemble devant le Juge suprême, j’invo- querai contre lui la mort de dizaines de milliers de Juifs, d’innocents dont il était responsable en tant que pasteur de son diocèse. Mes paroles fortes, vio- lentes même, semblèrent troubler Balan. Il quitta son fauteuil et se mit à arpen- ter la pièce. Il se fit un silence pesant. Il prit le téléphone, appela le maréchal Antonescu à son bureau et demanda à le voir sans délai. Antonescu répondit qu’il ne pouvait le recevoir immédiatement, mais il l’invita à déjeuner. […] À trois heures de l’après-midi, le téléphone sonna. J’entendis une voix puissante et grave. C’était le métropolite Balan qui me disait avoir obtenu du maréchal Antonescu l’annulation de l’ordre de déportation des Juifs de Transylvanie du Sud. Le miracle — oui le miracle — avait bien eu lieu. Les Juifs de Transylva- nie du Sud venaient d’échapper à la déportation en Pologne; c’était leur vie même qui venait d’être sauvée63. La deuxième personnalité religieuse qui joua un rôle non négligeable dans l’ajournement de la déportation des Juifs de la Transylvanie du Sud dans les camps nazis d’extermination fut Mgr Andrea Cassulo, le nonce apostolique, auprès duquel Alexandre Safran intervint constamment. En ef- fet, son nom figure dans une «Note de synthèse élaborée à la demande de Ion Antonescu concernant les déclarations et les interventions de certaines personnalités politiques en faveur des Juifs» et où nous trouvons le texte suivant: «Déjà en juillet 1942 l’on discuta dans les cercles juifs la nouvelle selon laquelle, suite aux ordres donnés par le nonce apostolique Mgr Andrea Cassulo, dans les paroisses catholiques du pays, tous les mercredis étaient organisées des messes particulières pour les Juifs déportés en Transnistrie. À ces services religieux furent invités à prendre part tous les Juifs, qu’ils

63. A. SAFRAN, La Shoah en héritage, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 58-59.

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soient ou non baptisés. Des rapports détaillés concernant les mesures du gouvernement et l’état de ces Juifs furent envoyés à Rome. Le 13 octobre 1942, l’arrêt des évacuations est mis en rapport avec la visite à Rome de Mgr Andrea Cassulo, précédée par l’appel au Vatican du secrétaire de l’ar- chevêque de Bucarest. Ces visites ont été mises ensuite en rapport avec la visite de Miron Taylor, l’envoyé spécial du président Roosevelt, pour une mission particulière au Vatican»64. Andrea Cassulo n’obtint rien lors d’une première audience où il fut accueilli par les deux Antonescu, lesquels étaient déterminés à faire commencer les déportations générales en automne. Safran demanda alors à Cassulo (en lui transmettant tout un dos- sier) de partir pour Rome et d’en revenir avec un message particulier, sus- ceptible d’impressionner les Antonescu, car la situation était désespérée. «Je dis au nonce, nous a-t-il confirmé lors d’un entretien à Genève, que je lui “imposais” cela au nom du respect qu’il doit au Créateur et à Ses créatures. La mission spéciale dont il fut revêtu en se présentant à nouveau chez les Antonescu flatta leur orgueil plus qu’elle ne les émut. Le maréchal Antonescu se montra disposé à l’écouter et Michel Antonescu plus sou- cieux de son propre sort dans l’avenir qu’il ne l’avait été auparavant. Cette démarche nouvelle et inédite du nonce apostolique, fermement soutenue par celle des ministres de la Suisse et de la Suède et des représentants du Co- mité international de la Croix-Rouge à Bucarest, aboutit au sauvetage de centaines de milliers de Juifs de Roumanie. Les Allemands essuyèrent un échec; le maréchal Antonescu s’opposa au dernier moment à la déportation de la population juive; le Conseil des ministres suspendit officiellement, vers la mi-octobre 1942, les déportations des Juifs…». Il convient de signaler qu’Alexandre Safran, sur le conseil d’Andrea Cassulo, avait demandé de l’aide également à Mgr Cizar, l’archevêque ca- tholique de Bucarest, qui n’hésita pas à lui dire: «Monsieur le grand rabbin, ne comprenez-vous pas que les vôtres paient aujourd’hui pour ce qu’ils ont fait autrefois à Jésus?»65… Gerhart M. Riegner, le représentant du Congrès juif mondial en Suisse, dans le livre consacré à son activité au sein de cette organisation, a rappelé lui aussi l’action du représentant du Vatican à Buca- rest: «l’attitude humaine du nonce apostolique en Roumanie, Mgr Cassulo, sollicité par le grand rabbin Alexandre Safran, a soulagé beaucoup de souf- frances et a même permis un arrêt momentané des déportations»66.

64. L. BANJAMIN (éd.), Problema evreiasca în stenogramele Consiliului de MiniÈtri, Bu- carest, 1996, p. 539. 65. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 107. 66. Cf. aussi, G. M. RIEGNER, Ne jamais désespérer. Soixante années au service du peuple juif et des droits de l’homme, Paris, Cerf, 1998, p. 166.

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Nous pouvons conclure en affirmant que c’est grâce aux démarches in- cessantes d’Alexandre Safran, ainsi qu’à celles non moins décisives de Wilhelm Filderman et de plusieurs autres personnalités — il ne faut pas oublier le baron Franz von Neumann67, un riche catholique d’ascendance juive, originaire d’Arad qui, selon Raul Hilberg, a offert à un haut fonction- naire du régime d’Antonescu, la somme de 400 millions de lei destinée à l’armée roumaine68 —, que le processus d’anéantissement des Juifs de Rou- manie, commencé plus tôt qu’ailleurs, a également cessé plus tôt, dès l’automne 1942, au moment où les usines de la mort des camps d’extermi- nation nazis travaillaient à plein temps. Si l’immense majorité des Juifs de Bessarabie, de Bucovine et de Transnistrie a été exterminée (et la Shoah en Roumanie c’est d’abord la Transnistrie, immense cimetière sans pierres tombales d’un quart de million de Juifs roumains et ukrainiens, terre de malheur qui, par les atrocités per- pétrées sur son sol, occupe une place particulière sur la carte européenne des lieux maudits de la chaîne des centres de mise à mort de la «solution finale»), la plupart des Juifs du Regat et de la Transylvanie du Sud sont res- tés en vie.

5. L’aide apportée aux déportés en Transnistrie et leur retour en Roumanie

Travaillant en collaboration étroite avec Filderman, Alexandre Safran fut profondément affecté lorsqu’il apprit la décision de Ion Antonescu de faire déporter en Transnistrie l’ancien président de l’Union des communautés juives. La mesure de déportation avait été prise consécutivement à une péti- tion de Filderman réclamant la baisse du nouvel emprunt de quatre mil- liards de Lei infligé à la population juive au mois d’avril 1943 (le montant de cette somme ne fut d’ailleurs jamais réuni): «Je courus au palais royal, chez Dimitrie Lupu, le président de la Haute Cour de justice, chez les diri- geants du Parti national paysan et du Parti national libéral, chez Maniu, chez Bratianu, chez le Dr Costinescu, chez tous les ministres que je con- naissais, les implorant, les suppliant d’obtenir la révocation de l’ordre de déportation. En vain. Aucune intervention n’aboutit. Le maréchal Anto- nescu était fou de rage et rien ne pouvait le calmer»69. Radu Lecca, le res-

67. Sur le baron NEUMANN, son entreprise «Aradana» et son activité pendant la guerre, cf. V. NEUMANN, Istoria evreilor din Banat, Bucarest, éd. Atlas, 1999, p. 148-159. 68. Cf. R. HILBERG, op. cit., p. 684. 69. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 98-99.

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ponsable du ministère auprès de Centrala evreilor, convoqua Alexandre Safran et le dirigeant sioniste MiÈu Benvenisti en exigeant d’eux de désa- vouer publiquement Filderman. Malgré des menaces, ils n’ont pas obtem- péré, le grand rabbin ayant, par sa plaidoirie, réussi à renverser la situa- tion70. Déportés le 26 mai 1943, à Moghilau (Mohilev), Filderman et son épouse restèrent en Transnistrie, jusqu’au mois d’août de la même année lorsqu’ils furent libérés à la suite de nombreuses démarches de divers hom- mes politiques roumains71. Il faut signaler que A. L. Zissu, le flamboyant leader sioniste et ennemi acharné de Wilhelm Filderman (Safran tenta, mais sans succès, de les réconcilier), fut lui aussi déporté dans le camp de con- centration de Târgu Jiu pour le même motif, de s’être opposé à l’emprunt des quatre milliards (sa lettre de protestation adressée à Ghingold étant par- venue à Radu Lecca). Une «Commission autonome d’aide» a été créée fin janvier 1941 par la Fédération de l’union des communautés juives pour venir en aide aux victi- mes du pogrom de Bucarest. Elle déploya une intense activité, même après la suppression de la F.U.C.E., remplacée par la Centrala evreilor, notam- ment en faveur des déportés en Transnistrie. Une délégation de cette com- mission composée de Fred Saraga, Iaacov Schaechter, Ihil Marcovici et Iosef Ebercohn, accompagnée d’un représentant des autorités, Iulian Mun- teanu, reçut l’autorisation et se rendit le 31 décembre 1941 en Transnistrie, pour visiter ses 140 camps et ghettos. À son retour dans la capitale, à la fin du mois de janvier 1942, Fred Saraga décrivit les terribles conditions de vie et les souffrances des déportés (dans un rapport officiel du 22 mars 1943, il dresse le tableau exact des 72 214 Juifs qui se trouvaient dans les camps et les ghettos de sept départements) lors d’une grande réunion qui eut lieu au Temple Coral, devant plusieurs centaines de personnes. Alexandre Safran, dans une émouvante allocution, demanda à l’assistance d’aider leurs frères déportés. Une commission spéciale fut alors créée afin de réunir des fonds affectés exclusivement à cette œuvre. C’est le grand rabbin qui en assura la présidence, les autres membres se recrutant parmi les notables et les diri- geants communautaires: MiÈu Benvenisti, Leo Caller, Leopold Filderman, Ferry Froimescu, L. Gropper, Bubi Marcus, Emanoil Marcovici, A. Mil- man, Marco Presente, Fred Saraga, A. Schwefelberg, Berthold Sobel, Harry Schuler. Il convient de rappeler que la décision de créer un comité de da- mes dans le but d’aider au rapatriement et à l’accueil des déportés de Transnistrie a été prise au domicile d’Alexandre Safran par son épouse Sarah, en coordination avec le Conseil juif clandestin: «… Comme l’état

70. M. BENVENISTI, Sionismul în vremea prigoanei, op. cit., p. 16. 71. T. LAVI, Yahadout Rumania beMaavak al Hatzalata, p. 41-43.

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d’urgence interdisait les rassemblements trop importants en un même lieu, elle rendit visite à chaque membre (à tour de rôle), pour leur expliquer les tâches à accomplir. La centralisation s’effectuait au sein du Conseil clan- destin. Par précaution, pendant les séances, Sarah faisait la navette entre les fenêtres et la porte, assurant le guet»72. Alexandre Safran intervint auprès de Radu Lecca aussi en faveur des haloutzim, appartenant à des mouve- ments de jeunesse sionistes dont plusieurs dizaines étaient menacés d’être déportés en Transnistrie. Israël Leivandman-Levanon, rappelle l’action du grand rabbin, en citant les groupes des sionistes religieux Bnei Akiva et Torah weAvoda73. Dans ses nombreuses démarches en faveur des déportés juifs en Transnistrie, et de sa communauté en général, Alexandre Safran bénéficia toujours de l’aide de Mgr Andrea Cassulo, mais aussi des délégués du Comité international de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), Charles Kolb et Vladimir de Steiger, des ambassadeurs de Suisse (René de Weck) et de Suède (Patrick Carl Reinhold de Reuterswärd), du chargé d’affaires de Turquie (Selfbrati Istinyell) qui intervinrent auprès du gouvernement rou- main, enfin et surtout de la reine-mère Elena, qui fut particulièrement sensi- ble au sort des orphelins (dès 1943, s’amorça leur retour et leur départ pour Eretz Israël). Le 16 février 1943, Andrea Cassulo intervenait pour éviter la déportation des Juifs baptisés en Transnistrie, tandis que la visite qu’il effectua au printemps 1943, en Bucovine et en Transnistrie, eut comme ob- jectif réel la réalisation d’une enquête sur la population juive de ces provin- ces pour pouvoir transmettre au secrétaire d’état du Vatican des informa- tions précises sur la situation des Juifs de l’Europe de l’Est74. Il convient de souligner que le pape Pie XII fit le geste d’envoyer, par son nonce apostolique à Bucarest, une somme de 1 350 000 lei pour les dé- portés juifs en Transnistrie. Le 5 février 1944, le secrétaire général du mi- nistère des Affaires étrangères roumain, G. Davidescu, envoyait cette somme au président de la Centrale des Juifs. Ce geste démontrait au gou- vernement roumain que les Juifs roumains n’étaient pas totalement aban- donnés, il renforça aussi leur espoir et encouragea leur combat pour la sur- vie75. Un document émanant des archives du Vatican nous renseigne sur l’étroite collaboration entre Alexandre Safran et Andrea Cassulo pour venir en aide aux déportés juifs de Transnistrie: « Le 22 janvier arrivait à la non- ciature un mémorandum venant du Dr Safran et décrivant la situation des 72. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 101. 73. I. LEVANON, Lekhtekha aÌaray baMidbar. Prakim beToldot haTzionut haDatit beRo- mania, Tel Aviv, 1976, p. 38. 74. Problema evreiasca în stenogramele Consiliului de MiniÈtri, p. 539. 75. La lettre accompagant la somme est reproduite dans le livre de Theodor Lavi, Yahadut Rumania be-maavak al hatzalata, Jérusalem, Yad Vashem, 1965, p.112.

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orphelins de Transnistrie. Vu le taux de mortalité élevé parmi les déportés, les enfants privés de leurs parents étaient relativement nombreux, estimés à 4 000 entre deux et seize ans. Le grand rabbin de Roumanie était venu dire à Mgr Cassulo que ces orphelins seraient ramenés en “Roumanie”. La diffi- culté était que le gouvernement se montrait disposé à ne permettre que le transfert des enfants de moins de douze ans. Le nonce ne pourrait-il obtenir que l’on élevât la limite d’âge jusqu’à seize ans? En réponse à cette de- mande, sous la date du 26 janvier, le nonce adressa au ministre des Affaires étrangères un appel dans lequel il insérait les deux requêtes de Safran: éva- cuation rapide et limite d’âge supérieure pour les orphelins destinés à ren- trer au Royaume»76. Alexandre Safran a souligné aussi qu’il n’a jamais trouvé «porte close» auprès des délégués du C.I.C.R. En effet, aussi bien Vladimir de Steiger que Charles Kolb, arrivés en Roumanie, l’un en automne 1942, l’autre en automne 1943, ont accompli une activité exemplaire en faveur des déportés juifs en Transnistrie, et des Juifs roumains en général. Charles Kolb s’est déplacé dans cette province et après son retour à Bucarest, il a demandé au gouvernement l’autorisation pour une vaste action de secours, ainsi que le rapatriement de tous les déportés, en commençant par les 4 500 orphelins. Après avoir reçu le consentement des autorités roumaines, il a réussi personnellement ou par l’intermédiaire de la Croix-Rouge roumaine à faire distribuer aux déportés (et aux Juifs pauvres du pays) des vêtements, chaussures, aliments, combustible et médicaments d’une valeur de 300 000 francs suisses (93 millions de lei) octrroyés par le Joint américain (une par- tie provenant d’autres sources juives), par le biais de Saly Mayer, son repré- sentant en Suisse77. De même, une somme de 300 000 dollars (300 millions de lei) fut avancée en 1944 par des Juifs roumains aisés, qui devaient être remboursés après la guerre, Charles Kolb, confirmant ces transactions. Un télégramme envoyé le 17 janvier 1945 à la direction du C.I.C.R. de Genève par leurs délégués à Bucarest nous apprend la visite que leur fit Alexandre Safran. «Le chef spirituel des Juifs de Roumanie, notaient Kolb et Steiger, a présenté les plus chaleureux remerciements pour la générosité et l’aide prompte accordée à la population juive de Roumanie et aux déportés en Transnistrie pendant les années de persécutions et nous a chargé de vous transmettre ses sentiments de reconnaissance»78.

76. Cf. Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Le Saint Siège et les victimes de la guerre, janvier 1944-juillet 1945, Cité du Vatican, Liberia Editrice Vaticana, 1980, p. 41-43. 77. A. ËIPERKO, Crucea roÈie internaÁionala Èi România, 1939-1944, Bucarest, Editura enciclopedica, 1997, p. 130-131. 78. A. ËIPERKO, AcÁiunea internaÁionala de ajutorare a evreilor din Rumânia. Documente, 1943-1945, Bucarest, Hasefer, 2003, p. 207-208.

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Le Dr Moshe Carmilly-Weinberger, grand rabbin de Cluj, qui a réussi à entrer en Roumanie, souligne que dès son arrivée à Bucarest, le 7 mai 1944, il rencontra Alexandre Safran et lui exposa la situation critique des Juifs de Transylvanie du Nord, ghettoïsés et menacés de déportation79. Aussitôt Sa- fran contacta Mgr Andrea Cassulo et c’est par son intermédiaire qu’un rap- port sur la concentration des Juifs transylvains dans des ghettos, et un appel à l’aide parvint au pape Pie XII. Alexandre Safran transmit l’information également aux légations de Suisse et de Suède, mais ses interventions n’eurent malheureusement aucun résultat: entre le 16 mai et le 27 juin 1944, 131 633 Juifs ramassés dans treize principaux ghettos où ils avaient auparavant été entassés, furent embarqués dans quarante-cinq trains et acheminés, dans des conditions inhumaines, privés de nourriture et d’eau, vers les camps d’extermination en Pologne80. L’avocat Arnold Schwefel- berg, proche collaborateur de Filderman, souligne dans son livre de souve- nirs qu’Alexandre Safran est intervenu aussi en faveur des Juifs de Bulga- rie, auprès de Mgr Cassulo, et cette démarche a contribué à empêcher leur déportation81.

6. Les efforts pour la aliyah

Après avoir arrêté les déportations en Transnistrie et ajourné celles pré- vues en Pologne, le gouvernement roumain, malgré les pressions alleman- des, n’est pas revenu sur sa décision du 13 octobre 1942. Tout en mainte- nant et souvent en aggravant ses mesures antisémites, il a fait connaître, dans sa politique à l’égard des Juifs, qu’il acceptait volontiers l’idée d’une émigration importante. Le 12 mars 1943, dans un mémoire adressé à la Lé- gation allemande de Bucarest, voici comment le gouvernement roumain dé- finit sa politique: «Pour la solution définitive du problème juif en Rouma- nie, il n’existe qu’une seule solution: l’émigration. Cette émigration est encore aujourd’hui possible, car les pays anglo-saxons permettent l’immi- gration dans certaines régions. Il subsiste seulement le problème du finan- cement de cette émigration, qui incombe aux Juifs du pays et aux organisa- tions juives de l’étranger, ainsi que la réalisation technique de l’émigration, qui peut s’effectuer soit par terre, à travers la Bulgarie et la Turquie, soit par mer, et dans cette éventualité seront utilisés des bateaux de faible ton-

79. Cf. M. CARMILLY-WEINBERGER, «The Tragedy of Transylvanian Jewry», in Id. (éd.), Memorial Volume for the Jews of Cluj-Kolozsvar, New York, Sepher Hermon Press, 1988, p. 300. 80. Cf. R. L. BRAHAM, The Politics of Genocide: The Holocaust in Hungary, Detroit, Mi- chigan, Wayne State University Press, 2000. 81. Cf. A. SCHWEFELBERG, Amintirile unui intelectual evreu din România, op. cit., p. 137.

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nage, étant donné que nous disposons d’un grand nombre de ce type de moyens de transport»82. Deux mois plus tard, le 17 mai, Mihai Antonescu, dans un entretien avec M. Chapuisat, le délégué suisse du Comité interna- tional de la Croix-Rouge, déclara vouloir faciliter l’émigration des Juifs, et dans cette perspective, il accepta qu’un représentant de cette organisation suisse soit présent en permanence à Bucarest. Il est vrai aussi que le minis- tre de Roumanie à Berne, N. Lahovary, avait prévenu Mihai Antonescu du voyage projeté par Chapuisat, en faisant les remarques suivantes, qui expli- quent la nouvelle orientation du gouvernement roumain: «Je me permets à cette occasion de souligner l’importance que revêt, pour le succès de toute propagande roumaine dans les pays libéraux ou neutres d’Occident, un adoucissement de la situation des Juifs de Roumanie. Plus on se rapproche de la fin de la guerre, plus, et c’est normal, ce problème pèsera sur la situa- tion qui sera faite à la Roumanie dans les débats qui vont précéder la conclusion de la paix»83. Si les autorités roumaines acceptaient l’émigration comme solution de leur «problème juif», elles souhaitaient en tirer le maximum de bénéfices. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1942, elles réclamaient entre 200 000 et 500 000 lei pour chacun des 70 000 Juifs déportés en Transnistrie dans le but d’émigrer en Palestine84. L’historien américain David Wyman, dans un ouvrage récent, cite l’annonce suivante publiée le 13 février 1943, dans le New York Times, par un «Comité pour une armée juive des Juifs apatrides et palestiniens» (Committee for a Jewish Army of Stateless and Palestinian Jews): «À vendre pour l’humanité, 70 000 Juifs, personnes garanties “hu- maines” 50 dollars chacune… La Roumanie s’est lassée de l’assassinat de ses Juifs. Elle en a tué 100 000 en deux ans. La Roumanie va livrer des Juifs à n’importe qui, presque gratuitement. Soixante-dix mille Juifs atten- dent dans les camps de concentration roumains: la Roumanie offrira les 70 000 Juifs à l’Amérique des quatre libertés de Roosevelt pour 20 000 lei (50 dollars) chacun. Cette somme couvre même les frais de transport… At- tention, Amérique! La grande affaire Roumaine est valable seulement pour ce mois-ci»85. Finalement, en raison surtout de l’attitude négative de la Grande-Bretagne, la transaction envisagée pour la aliyah des 70 000 dépor- tés juifs en Transnistrie n’a pas eu lieu. En revanche, plusieurs milliers de

82. Cf. I. CALAFETEANU, N. DINU et T. GHEORGHE (éd.), Emigrarea populaÁiei evreieÈti din România în anii 1940-1944; Culegere de documente, Bucarest, Silex, 1993, p. 111. 83. Ibid., p. 119. 84. Cf. T. FRILING, Arrow in the Dark. David Ben Gurion, the Yishuv Leadership and Rescue Attempts During the Holocaust, Madison, University of Wisconsin, 2004. 85. Cf. D. WYMAN, The Abandonment of the Jews. America and the Holocaust, 1941- 1945, New York, Pantheon Books, 1984, p. 85-87.

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Juifs roumains ont pu faire leur aliyah, avant la chute du régime Antonescu, la majorité en 1944. Entre les mois de mars et août de cette dernière année, neuf bateaux quittèrent la Roumanie, avec à leur bord 3 418 émigrants86, dont: Milka A (en mars, 239 émigrants), MariÁa A (en avril, 244 émigrants), Belaccità (en avril, 158 émigrants, parmi lesquels le futur homme d’affaires et philanthrope Abraham Goren-Goldstein et 110 orphelins de Trans- nistrie)87, Milka B (en mai, 517 émigrants), MariÁa B (en mai, 318 émi- grants), Kazbek (en juillet 1944, 735 émigrants). Sur ce dernier bateau où flottait le drapeau de la Croix-Rouge internationale, se trouvait le grand rabbin de Cluj Moshe Carmilly-Weinberger et une centaine d’orphelins de Transnistrie88. La plupart sont bien arrivés en Palestine, hormis les passa- gers du Mefkure (bombardé par un navire de guerre soviétique), noyés en mer dans la nuit du 4 au 5 août 1944 (374 morts, 5 rescapés). Entre le 6 septembre 1940 et le 23 août 1944, le nombre total des bateaux s’éleva à dix-sept, et celui des émigrants, Juifs roumains dans leur immense majorité, à 4 98789. Hormis les noyés du Mefkure, il faut déduire de ce chiffre les 769 morts (un seul survivant) du Struma90, torpillé par un sous-marin soviéti- que, en février 1942. Alexandre Safran s’impliqua aussi dans l’importante action de la aliyah, apportant une aide considérable à sa réussite: «C’est pratiquement au même moment, au printemps 1944, que le Bureau des Af- faires de Palestine, connu sous le nom d’“Office palestinien”, put rouvrir à Bucarest, avec l’accord du gouvernement. Ce fut surtout Zissu qui s’en oc- cupa et sa tâche se trouva facilitée, cela est certain, par mes nombreuses in- terventions en faveur de l’émigration des Juifs auprès de Mgr Cassulo […] Sur le principe même de l’émigration, j’étais en accord avec Zissu, rien ne nous paraissait plus important. Nous savions aussi qu’il convenait de profi- ter de la récente — et relative — bienveillance de Mihai Antonescu à notre égard. Zissu était allé le voir en tant que représentant de l’Agence juive et avait réussi à la lui décrire comme très influente dans les grands cercles politiques occidentaux. Il devenait donc de l’intérêt d’Antonescu et de ses

86. Cf. I. GELLER, «Le désastre du naufrage du Mefkure avec des émigrants, en août 1944» (en hébreu), Shoah, 19, 1991, p. 148-153. 87. Cinquante ans plus tard, en 1994, Abraham Goren-Goldstein organisa à Tel Aviv, avec l’aide d’Itzhac Artzi, une rencontre réunissant une vingtaine des anciens passagers, or- phelins de Transnistrie. Cf. I. ARTZI, Biografia unui sionist, Bucarest, Hasefer, 1999, p. 104- 105. 88. Cf. M. CARMILLY-WEINBERGER, «The Tragedy of Transylvanian Jewry», in Memorial Volume for the Jews of Cluj-Kolozsvar, op. cit., p. 300. 89. D. OFER, Escaping the Holocaust. Illegal Immigration to the Land of Israel, 1939- 1944, Oxford University Press, 1990. 90. Cf. E. OFIR, With No Way Out. Story of “Struma”, Cluj, European Studies Foun- dation Publishing House, 2003.

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amis de soutenir toute initiative provenant de cette “super-puissance juive”»…91. Avec l’ironie qui le caractérisait, A. L. Zissu, qui fut nommé responsable de l’émigration des Juifs de Roumanie par l’Agence juive de Palestine, au mois de mai 1944, faisait alors remarquer à propos de la nou- velle «bienveillance» des plus hautes autorités de l’État roumain: «Ce n’est pas Ion Antonescu qui a changé, mais la situation politique mon- diale»92. Il faut remarquer qu’Alexandre Safran (de même que Benvenisti et Zissu), a œuvré dès 1940 pour la aliyah, malgré les nombreuses difficul- tés et l’opposition acharnée de la Grande-Bretagne. Agissant dans cette voie, le grand rabbin et les dirigeants juifs démontraient aux autorités rou- maines que des efforts étaient investis pour que les Juifs quittent la Rouma- nie, espérant ainsi leur éviter l’internement dans les camps93.

Alexandre Safran incarne la résistance opposée par les Juifs de Rouma- nie qui a permis à la moitié de cette communauté de survivre. Sa résistance fut spirituelle, contre les forces du mal il a opposé les armes de l’esprit. Hormis les démarches officielles auprès des autorités, il a su, à la tête du Conseil juif clandestin, prendre toutes les décisions utiles pour défendre ses frères persécutés, et avec l’aide d’autres dirigeants juifs dévoués, parmi eux Filderman, Benvenisti, Froimescu, Schwefelberg, Zissu, Carp, Löwenstein ou Saraga, contrecarrer les agissements de la «Centrale juive», organisme imposé par les Allemands et dirigé par des traîtres. Il a su développer l’œuvre d’assistance aux déportés en Transnistrie, faire revenir les orphe- lins de cette province maudite et faciliter l’émigration vers le pays d’Israël. Il a joué enfin un rôle capital dans le sauvetage de la population juive de la Transylvanie du Sud et de l’Ancien Royaume, en empêchant sa déportation prévue dans le camp d’extermination de Belzec, en Pologne.

91. Un tison arraché aux flammes, op. cit., p. 135-136. 92. M. CARMILLY-WEINBERGER, Istoria evreilor din Transilvania (1623-1944), Bucarest, Editura Enciclopedica, 1994, p. 176. 93. Cf. E. OFIR, Tzionim beGouv haArayot. HaTnua haTzionit beRumania beMilhemet haOlam haCheniya, Tel Aviv, 1992, p. 259.

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