Nouvelle série - 21e année No 1 -JANVIER 1 969 lff tll lllfllf LOillliiiNf Organe des Sociétés savantes de la Moselle

EN REMONTANT LA PR�HISTOIRE AU PROCHE AMONT DU PAYS MESSIN

Observant un ordre plus logique que celui qu'adoptent les manuels, nous nous proposons de progresser de proche en proche à travers les âges, en allant du plus connu au moins connu, prenant �omme point de départ l'occupation romaine, qui à un demi-siècle près coïncide avec la naissance du Christ et, conséquemment, avec !.'avènement de l'ère chrétienne qui jalonne nos jours depuis 1969 ans. Elle s'est traduite essentieUement dans le secteur qui va retenir notre attention par la construction de la grand·e route qui, depuis Trèves et les abords du Rhin, descend par Langres sur L.yon, se prolongeant d'aaleurs jusqu'à la Méditerranée. Gette route, en laquelle le grand historien des Gaules, le Bordelais Camille Jullian, reconnaît la mieux organis•ée et la plus rapide de tout l'Empire, franchit 'la MoseUe à Scarponne, qui est l'actuel . C'est par la rive droite de la MoseUe qu'elle se dirige vers Metz, dont les Romains ont latinisé le vieux nom gaulois de Div' dour, qui signifie les « deux eaux », le confluent (celui de la Se ille et de la Moselle), pour en faire Divodurum. Les Romains, Iorsqu'ils s'installent dans le pays, n'ont pas affaire à une terre déserte, inhabitée. Depuis des siècles, deux nations gaulois·es ont mis en valeur la contrée : c'est la nation des Leuques, qui a pour capitale, occupe toute la vaste région sis•e entre la forêt d'Argonne à l'ouest, et à l'est le versant occi­ dental des Vosges du Donon au BaHon d'Alsace, et c'est la nation des Médiomatriques, dont la capitale est Metz, qui avoisine les Leuques au nord. Les Leuques sont installés sur la va!llée de la Moselle depuis sa source jusqu'aux abords de Dieulouard ; sur celle de la Meurthe et de ses affluents ; sur ceJ.le de la Meuse depuis les environs de Neufchâteau jusque v-ers Pagny-sur-Meuse. Les Médiomatriques sont installés notamment sur la vallée de la Moselile d'epuis 'l'amont du site qui verra naître beaucoup plus tard Pont-à-, où l'on se trouve en terre médiomatrique sur ses confins avec le territoire leuque. 2

Leuques et Médiomatriques appartiennent, les uns et les au­ tres, à la mosaïque de nations secondaires qui constitue la Nation gauloise, riche entre autres choses des particularismes qui l'empê­ cheront de réaiiser son unité et en feront une proie facile pour le peuple romain, lui-même admirablement organisé. Notre propos n'est pas de supputer ici ce que nous aurons reçu de Ronie : il s'agit, au contraire, de revendiquer pour les habitants pré-romains de la région des mérites et une valeur que l'histoire néglig'e trop souvent de dégager. Sans diminuer ceux de Rome, sans nier l'évi­ dence des avantages qui découlèrent de l'amalgame gallo-romain, il faut b�en observer que l'occupant romain n'arrivait pas, au Pays de Mos·elle, sur un terrain vierge. Ses routes elles-mêmes, ces gran­ des routes inusables qui serviront à longueur de siècles, n'ont fait que prendre la suite des grands chemins gaulois, eux-mêmes succes­ seurs souvent de pistes préhistoriques - et si les Romains latinisent Div'dour en Divodurum, Tull' en Tullum, c'est bien que les capitales médiomatrique et leuque existaient avant leur arrivée. Que savons-nous de C'es ancêtres ? Peu de choses par l'histoire - et c'est le moment de relire le jugement sévère que Camille Jullian a porté sur les nouveaux arrivants, par la carence desquels nous sommes si mal renseignés : «Je ne pardonne pas à Rome et à César d'avoir été la cause de ce meurtre intellectuel, venant après d'autres meurtres. Hé quoi ! Charlemagne a eu la pensé·e de noter les chants populaires des Francs ; et personne dans l'Empire romain n'a eu l'idée de transcrire des poèmes de druides ou des strophes de bardes ? Comment était donc faite l'intelligence de ces maîtres du monde, s'ils n'ont pas vu la beauté de ces œuvres de vaincus, s'ils n'ont pas compris l,e devoir de Ies conserver ? Rien ne fait mieux sentir l'incroyable petitesse morale du grand Empire romain que le dédain des pensées et d'es lettres qui ne venaient pas de lui-même ou de la Grèce. »

II est C'ertain que le lecteur des Commentaires de la Guerre des Gaules, rédigés par César lui-même, connaît deux déceptions, dont la première est celle qui arrachait à Camille Jullian les éclats dont nous venons de réveiller l'écho. La seconde est celle que l'on éprouve à la découverte des incroyab'les bourdes que l'illnstre conquérant a consciencieusement recueillies en ce qui concerne, par exempl'e, Ies sciences naturelles (son exposé de la façon de capturer l'élan est exactement de la même veine que la fameuse « chasse au dahu » dont se divertissaient nos grands-pères) . .t* Si donc, par la carence des occupants romains, nous sommes sevrés de traits historiques et de précisions sur le comportement économique et social d'es occupés gaulois, ne posséderons-nous donc aucun témoignage qui concerne ceux-ci ? Si fait : mais à la condi- 3 tion de donner la parole à l'archéologie, à l'objet, et le plus souvent hélas ! aux débris de l'objet. L,'époque gauloise, aux yeux d-e l'archéologue, coïncide avec la période de La Tène, ou second âge du fer. Elle a laissé en Lorraine d'assez nombreux vestiges. Toutefois, Pont-à-Mousson et ses environs se sont montrés avares de tels documents, et ce n'est guère que le site de Dieu­ louard, de l'antique Scarponne dont l'origine gauloise ne fait aucun doute, qui a livré au cours des XVIII• et XIX• siècles des monnaies gauloises, par exemple, avec une certaine abondance. Le premier âge du fer, dit aussi de Hallstatt, ne semble pas avoir laissé de traces autour de Pont-à-Mousson ; il est certain que les objets en fer, armes ou outils, sont soumis à une rapid.e détérioration et à une destruction totale dans le cours des âges, mais ces deux âges du fer faisaient par contre un intense emploi du bronze en bijou­ terie : amples colliers (on torques), bracelets d'une incroyable variété de styles, fibules ou agrafes de manteau non moins variées, sont des objets abondants dans les musées lorrains - toutefois la région mussipontaine, si elle en a livré comme il est vraisemblable, n'a pas enrichi l'archéologie de précisions à leur sujet.

Il en va autrement des périodes antérieures - et cette fois nous remontons aux âges propr·ement dits du bronze. Les archéo­ logues modernes tiennent pour acquis que la civilisation gauloise de La Tène a perduré jusqu'à la moitié du premier siècle de l'ère chrétienne, et que notre pays est définitivement sorti de sa pré­ histoire (au sens étroit du mot) il y a quelque 1900 ans, pas davan­ tage. Les âges du bronze, eux, s'inscrivent entre les dates extrêmes de 1800 avant Jésus-Christ et 750 avant Jésus-Christ, après quoi on est entré dans le premier âge du fer ci-dessus évoqué. Ces âges, qui nous reportent tout de même de 27 à 37 siècles en arrière, se trouvent être les premiers à porter l'indubitable témoignage d'un peuplement à Pont-à-Mousson même. Qu'est deve­ nue la coHection qu'au siècle dernier M. Lemaire avait formée en c·ette ville ? On n'en sait rien ; ce que l'on sait, par contre, c'est qu'elle contenait entre autres choses l'épée de bronze et la pointe de lance, également en bronze, qui avaient été mises au jour à l'occasion de travaux de canalisation de la Moselle, en 1883. Et c'est à Pont-à-Mousson encore, en pleine ville, qu'une pointe de lance en bronze avait été recueillie, sur les bords de la Moselle, au pied de la tour dite de Prague. L'archéologue Quintard, de Nancy, possédait d'autre part dans sa collection une belle épée de bronze trouvée elle aussi dans les berges de la Moselle, en face de Dieu­ louard. 4

Insensiblement, l'on remonte des âges du bronze à ceux de la pierre polie - qui se situent au-de'là de l'an 1800 ou 2000 avant Jésus-Christ. Cette période de moins de quatre mille ans peut sem­ bler un p·eu courte, mais n'avons-nous pas été t·émoins, en quelques lustres, d'inimaginables progrès techniques ? Il faut bien remar­ quer que quatre mille ans ont suffi pour nous amener où nous sommes. Les hommes des temps néolithiques, dont l'intelligence valait parfaitement la nôtre, n'ont pas manqué de besogne pour réalis·er les conditions de vie au sein desqueUes allait s'édifier un état de culture dont celui dont nous jouissons a directement procé­ dé.. Les investigations faites en des circonstances particulièrement favorables à la recherche archéologique, comme celles qui se sont poursuivi dans les cités lacustres de la Suisse, ont permis d'acquérir une idée exacte de la civilisation de la période finale des âges de pierre, ou néolithique. Ces hommes avaient poussé très loin l'art de la céramique d'emploi domestique ; ils tissaient le lin dans la perfection, confec­ tionnaient filets et cordages, travaill aient les fourrures, le cuir, l'os, le bois et bien entendu la pierre, connaissaient une menuiserie et une charpente sans doute rudimentaires, utilisaient l'arc et la fronde pour la chasse et, hélas ! probablement la guerre entre tribus rivalles. Or, plus encore que les âges du bronze, les âges terminaux de la pierre ont laissé leurs vestiges dans la région. Haches polies, pointes de flèches en silex, grattoirs à décharner les p·eaux ont été recueillis en abondance par les chercheurs du siècle dernier et du début du présent siècle - Ies Robert, les Guérin - autour de Pont­ à-Mousson même et sur les pentes du Mousson, à , AutreviHe, Blénod, Bouxières-sous-Froidmont, Dieulouard, , Mai­ dières, Millery, , Norroy-lès-Pont-à-Mousson, Vandières, Villers-sous-Prény. C'est d'ailleurs aux confins de Norroy que s'érige toujours l'un des rares menhirs connus dans l'Est de la : la Pierre au ]ô.

Le premier avènement du métal, sous forme de cuivre ou de bronze à très faible teneur d'étain, s'est d'ailleurs produit alors que l'art de taiUer ou de polir silex et pierres dures était parvenu à son a p o g é e. Mais nous avons vu que s·es artisans étaient, en moyens intellectuels et physiques -et l'anthropologie en témoigne copieusement en vertu d'assez' nombreuses découvertes de sque­ lettes humains des temps néolithiques - étaient absolument nos ég:mx. Placés dans leurs conditions d'existence, nous ne saurions faire mieux qu'ils n'ont fait ; et eux, mis dans nos conditions de vie, après un inéluctable stage d'initiation préalable, auraient été certainement capables de faire ce que nous nous glorifions de savoir faire aujourd'hui. Il est une fort berJle parole, due à un magister qui vivait à Chartres au XIII" siècle et que nous ne devons jamais 5

oublier quaud nous portons nos investigations vers le passé : « Nous autres, si nous voyons si loin, c'est que nous sommes juchés sur les épaules de nos pères. »

Mais il s'agit là, insistons·y, d'époques en somme relativement récentes. Or, il se trouve que, dans la région dont Pont-à-Mousson est en quelque sorte la métropole, remontant d'un coup de plu­ sieurs dizaines de milliers d'années en arrière, nous nous trouvons en présence des premiers hommes dont il ait été possible de décou­ vrir la trace en Lorraine. Au cours du XIX• siècle déjà, des naturalistes passionnés de paléontologie avaient pu observer et recueillir les vestiges de la grande faune quaternaire qui hantait le pays en ces temps reculés. A Port-sur-SeiHe, dès 1834, le naturaliste Holandre, conservateur du cabinet d'Histoire naturelle de la ville de Metz, avait recueilli ossements et molaires de mammouth ; et trois ans auparavant, ce sont les restes d'un rhinocéros laineux, contemporain du mam­ mouth, qui avaient été mis au jour non loin de là, à Louvigny. De semblables découvertes, notamment en c� qui concerne le mam­ mouth, allaient se révéler fréquentes dans les a Ilu v i o n s de la Moselle et de la Seille, de nos jours surtout où l'activité des dra­ gages en avait multiplié les occasions (:la brutalité des engins actuels et I'indifférenc·e des ouvriers ne permet malheureusement plus de tirer de ces occasions tout le parti désirable) . Où cette grande faune quaternaire avait pu vivre et prospérer, il est bien certain que l'homme trouvait les conditions de milieu et de climat propices à sa propre existence. Restait à en fournir la preuve en découvrant, notamment, les outils et les armes qui lui furent nécessaires pour assurer sa vie. II appartenait à un homme en qui j'ai perdu un véritable ami d'administrer cette preuve : René Dézavelle, mort à 44 ans dans ses fonctions de directeur des Cours complémentaires de Briey des suites d'une rude captivité de guerre, et qui repo·se au petit cime­ tière de Loisy. C'est René Dézavelle qui recueillit, à multiples exemplaires, ces grands galets de quartzite des alluvions, habile­ ment taillés en longues et robustes pointes bifaces par les premiers occupants humains de la Lorraine, et qui leur servaient d'armes et d'outH:s à toutes fins, pour trancher, percer, scier. Le théâtre de sts recherches était centré entre Seille et Moselle dans les parages d'Eply et de Morville. Les unes complétant les autres, les trouvailles de Holandre et de Dézavelle nous laissent imaginer nos ancêtres les Moustériens de tradition acheuléenne, hommes intelligents déjà sous un faciès encore brutal, mais nullement simiesque, vivant au contact des formidables exemplaires d'une faune maintenant dispa.rue d'élé­ phants et de rhinocéros à toison laineuse, de grands ours, qui voi­ sinait d'ailleurs avec une faune toujours représentée de chevaux, 6 de bœufs, de cerfs, etc. Avec eux nous voilà parvenus à une haute époque dont l'ancienneté donne un peu le vertige, puisqu'il s'agit de dizaines de millénaires et certainement pas de moins de vingt à trente mille ans, selon les témoignages fournis par la géologie stratigraphique.

DANS LE TOULOIS

Plus à l'amont encore, nous porterons nos investigations sur la région de Toul, notre sœur évêchoise. On pourrait prendre pour limites, les limit:es-mêmes qui furent celles de la cité des Leuques, dont Toul était précisément la capitale. Ces limites sont connues de façon historique, et Toul a la rare fortune de savoir quelle était 'l'étendue de son domaine politique aux temps qui ont précédé immédiat,ement l'avènement de l'ère chrétienne. Les l... euques, on l'a vu, étaient installés dans la vaste région que limite à l'ouest la forêt d'Argonne, à l'est le versant occidental des Vosges considéré depuis le Donon jusqu'au Ballon d'Alsace ; ils occupaient la vallée de la Meurthe et de ses affluents, celle du Madon, celie de la Meuse depuis les environs de Neufchâteau jusque vers Pagny-sur-Meuse. celle de la Moselle enfin depuis sa source jusqu'aux approches de Dieulouard. Ce domaine, sans doute trop vaste pour être efficacement embrassé ici, offrirait d'ailleurs l'inconvénient des constructions politiques, très souvent arbitraires : en matière de préhistoire, j'ai depuis bien longtemps donné la préférence au cadre naturel que constitue le b a s s i n d'une rivière, entendu au sens le plus large puisqu'enrichi de tous les affluents de celle-ci. Mais ce cadre, embrassant au Bassin de Moselle des études et des recherches qui ont porté sur plus d'un ,demi-siècle, serait trop ample encore pour le présent aperçu et nous le bornerons au Toulois proprement dit. Celui-ci est partie composante de la cité des Leuques, et se définira bientôt, dans les textes, le « Pagus Tullensis >> . Cela nous fait mou­ voir, en s.omme, dans le s,ecteur que couvrent les cantons de Toul­ Nord et de Toul-Sud, auxquels, pour les besoins de la cause, nous annexerons et ViUey-Saint-Etienne, lesquels furent sièges qui d'une châtellenie de l'évêché de Toul', qui d'une prévôté de son chapitre, et par la même occasion nous annexerons aussi Jaillon. Les châtellenies et prévôtés épiscopales de Toul ayant étendu leur juridiction sur cinquante-quatre localités, nous ne nous montrerons pas trop gourmands en considérant trente-sept de celles-ci, parmi lesquelles, bien entendu, il ne sera fait un sort qu'à celles qui ont porté témoignage pour la préhistoire. La place de ce Toulois dans la préhistoire est celle d'une région des plus propices à la vie des tribus primitives ; elle offre en commun avec la région messine sa splendide et poissonneuse rivière, des forêts giboyeuses et riches, en outre, en ressources végétales 7

diverses, et des abrupts propices à la sécurité ; elle possède d'autre part, ce qui lui est à peu près particulier dans la région mos·ellane, des cavités naturelles qui n'ont pas manqué d'attirer puis de retenir l'attention des premiers sédentaires. Son intérêt préhistorique s'avère ce que la structure de la région permettait d'espérer, car le Toulois a fourni les preuves de son occupation depuis les temps très reculés du Moustérien de tradition acheuléenne. La part du Toulois dans la préhistoire sera celle que, de très bonne heure, a sn lui assurer un naturaliste de très grand mérite, auquel il y aurait lieu d'assurer la notoriété qui devrait être sienne, et que 'les membres de la Société d'Histoire naturelle de la Moselle, dont il fut membre dès 1849, ont déjà mis à l'honneur pour ce qui dépendait d'eux : Husson. Husson, pour ce qui est de la préhisotire, avait eu, il est vrai, un devancier en la personne de Moreau, juge au tribunal de Saint· Mihiel, que passionnait la prospection géologique. Moreau, dès 1848, s'était livré à une fouille attentive de ces Trous de Sainte· Reine qui s'ouvrent en bordure de la Moselle, à l'amont de Toul, à quelque six kilomètres sud·est de la vii:le, devant Pierre-la­ Treiche ; il y avait découvert notamment un vestige caractéristique de la grande faune quaternaire : une mâchoire d'ours des cavernes. Godron, l'illustre botaniste lorrain (originaire de Hayange}, allait être moins heureux dans les recherches qu'il entreprit huit ans plus tard et qui se révélèrent négatives. C'est le pharmacien Husson qui put. par ses fouilles persévérantes, faire dire aux Trous de Sainte-Reine tout ce qu'ils pouvaient nous apprendre notamment sur la faune qui hantait le Tonlois au temps où l'homme s'y mani­ festa pour la première fois. Outre de nombreux ossements et lui aussi des mâchoires de l'ours des cavernes, Husson recueillit en effet mâchoires et pièces diverses du squelette de l'hyène des cavernes, contemporaine de ce dernier ; enfin et surtout trois dents et l'atlas d'un rhinocéros à narines cloisonnées, ainsi que des fragments de bois de renne ; il n'aurait guère manqué à ce tableau des grands quadrupèdes du quaternaire que le mammouth, si Husson n'en avait fréquemment recueilli les molaires dans les alluvions de la Moselle. Le mammouth, l'Elephas primigenius, est d'ailleurs un per­ sonnage au sujet duquel le Toulois a fourni, on le verra; un témoi­ gnage.d'un intérêt tout particulier. Mais il convient, avant d,e pour­ suivre la présentation de la faune, de reprendre un peu cei,le de Husson lui-même. Il est, en effet, surprenant, et en tout cas injuste, que ce pionnier soit si méconnu de nos jours alors que, de son vivant, il avait réussi à affirmer sa valeur : ne fut-il pas lauréat de l'Institut ? La Bibliothèque municipale de Metz possède, en ses sous-sols, la volumineuse collection des Comptes rendus de l'Académie des Sciences : on y peut trouver, s'étendant sur les années 1863 à 1868, 8

dix-huit mémoires et communications de Husson qui ont eu les honneurs de l'impression, après avis de la prestigieuse commission où siégeaient Milne-Edwards, de Quatrefages, Sainte-Claire-Deville et le Messin Daubrée - qu'on a pu app·eler le fondateur de la géo'logie expérimentale, un des soutiens de Boucher de Perthes. Husson éclairait les données soumises à l'Académie par la présen­ tation de vestiges osseux ou lithiques en nature, ou de leurs photo­ graphies ; il s'était assuré, pour la détermination de la faune, le concours de Godron, plus haut nommé, doyen de la Faculté des Sciences de Nancy, celui de Friant, préparateur au Museum national d'Histoire naturelle, celui de Paul Gervais, doyen de la Faculté des Sciences de Montpellier. Et de ses communications il tira par la suite les intéressantes séries de brochures sur r « Origine de l'espèce humaine dans les environs de Toul par rapport au dilu­ vium alpin ». Malheureusement, les préhisto.riens de ce temps-là rencon­ traient, à l'Académie des Sciences, l'opposition têtue du secrétaire perpétuel de l'Académie lui-même, l'influent Elie de Beaumont, dont à la date du 18 mai 1863 les Comptes rendus de l'Académie manifestaient la prise d·e position dans les termes que voici : « Je ne crois pas que l'espèce humaine ait été contemporaine de l'Ele­ phas primigenius. Je continue à partager à cet égard l'opinion de M. Cuvier. L'opinion de Cuvi·er est une création du génie ; elle n'est pas détruite. » Mais pis encore, Elie de Beaumont, non content de la profession de foi que pouvait réclamer de lui sa fidélité à la théorie des Révolutions du globe, avait trouvé le d'attribuer les premiers coups-de-poing acheuléens recueillis dans les alluvions quaternaires de Picardie « à l'âge de pierre des habitations lacus­

tres de la Suisse » ... Adversaire résolu des préhistoriens les plus dignes d'audience, c'est Elie de Beaumont qui avait imposé, en 1860, s·on refus d'insertion de la not·e célèbre dans laquelle le grand L, artet se prononçait «Sur l'ancienneté géologique de l'espèce

humaine dans l'Europe occidentale ». Si bien que le pauvre Husson, baissant le nez pour passer sous les fourches caudines, en viend_�::_a à conclure l'un de ses Mémoires, en 1865, sur ces mots qui nous semblent exprimer fort exactement le contraire de ses espoirs intimes : « Une étude de plus en plus approfondie ne fait que démontrer davantage, en ce qui concerne Toul, la vérité de cette opinion de M. Elie de Beaumont : Non, l'homme n'existait point à

l'époque du diluvium alpin. »

Husson, c'est entendu, ne rencontra l'homme préhistorique qu'en des étapes ultérieures ; mais l'impressionnante galerie qu'il dressait devant ses concitoyens, de l'ours et de l'hyène des caver­ nes, du renne, du rhinocéros et du mammouth, toute f a u ne du « diluvium » qu'Elie de Beaumont du moins n'a pas pu récuser, cette galerie n'ep. était pas moins prête à recevoir l'homme son 9 contemporain, le Moustérien de tradition acheuléenne qui, dans le Toulois au sens large où nous nous sommes placés, finirait bien par procurer les preuves de son existence comme nous allons le voir. Arrêtons·nous un moment à cette faune quaternaire dont un petit effort de l'imagination nous permet aisément de recréer les ébats dans un site qui, en ses grandes lignes du moins, n'a pas tel'le­ ment changé. A tout seigneur; tout honneur : le membre le plus spectacu­ laire de cette faune est incontestablement le mammouth, Elephas primigenius, l'éléphant à toison. On le connaît, en somme, aussi bien que n'importe quel sujet de la faune actuelle, grâce surtout aux découvertes qui se sont multipliées depuis une cinquantaine d'années dans le nord de la Sibérie, où l'on a pu dégager des cada­ vres de mammouths congelés, restés intacts au point que les chiens d'attelage s'en disputaient la chair et que l'étude d:es tissus et du sang a pu être menée à bien dans les laboratoires ; mieux encore, certains de ces animaux morts de mort accidentelle et immédiate· ment congelés sous· la neige et la glace réeelaient encore dans l'estomac les espèces végétales dont ils se nourrissaient, suffisam· ment conservées pour qu'il fût possible de J.es déterminer et de reconnaître en eUes des p�lantes toujours présentes dans la flore ambiante, telles que le serpolet, une gentiane, etc. Plusieurs musées des deux mondes - dont le Museum national à Paris - sont en possession aujourd·'hui de squelettes complets du mainmouth. Bref, les divers documents recueillis font connaître cet animal massif, dont la hauteur toutefois n'excédait guère 3 rn 50, rev�tu d'une . épaisse toison rous's·e, et porteur de défenses qui atteignaient couramment quatre mètres de longueur et pouvaient peser quelque 500 livres chacune. Qu'on n'imagine pas que ces dimensions concernent le mammouth de Sibérie uniquement : on peut voir au Musée de Metz une défense que j'y ai fait entrer quelques années avant la guerre et qui, amputée de son tiers anté· rieur, mesure encore 2 rn 80; ce qui lui assurait une longueur supé­ rieure, soit environ de 4 rn 20. Car les restes osseux du mammouth, et plus encore ses molaires et des fragments de ses défenses ont été as;sez communément trouvés de nos jours à l'occasion de l'extraction des sables et galets des alluvions de la Moselle ; mal­ heureusement il faut répéter que la brutalité des excavatrices et l'indifférence du personnel ne permettent pas de recuei'llir; et surtout de recueillir en bon état, tous les vestiges qu'il devrait être possible de présenter dans les collections publiques et de procurer à rétude des spécialistes comme à la légitime curiosité des visiteurs. Il ne s'agit pourtant là· que de restes épars, disjoints par le double ' effet de la putréfaction des corps et le travail de charriage des eaux. 10

Peu s'en est fallu qu'une trouvaille hien autrement intéres­ sante enrichît la science française d'un sque.lette de mammouth prohah'lement complet, aussi important que celui que le docteur Ponthier avait découvert il y a queiques dizaines d'années dans les alluvions de l'Aa, petit fleuve côtier picard. Il s'agissait cette fois d'un mammouth mort accidentellement non pas sur des -plaines basses vouées à la submersion, mais sur un plateau défîni�ivement exondé - et cette découverte fut faite non loin de Toul, dans le site de Jaillon. Ce qui a pu être sauvé de ce mammouth qu'on pourra nommer toulois en quelque sorte, a pu être conservé à la Lorraine au moment où i'l al·lait prendre le chemin de Paris. Je Jiesa urais mieux faire que de renvoyer à l'exposé que j'ai consacré au mammouth de Jaillon devant la Société d'Histoire naturelle de la Moselle (cf. Le Paléolithique au Bassin de Moselle). · Passon au Rhinocéros tichorhinus, ou rhinocéros à narines cloisonnées d'un contrefort permettant de supporter le poids d'une corne antérieure susceptible de dépasser 1 m 50 de hauteur. Commensal du mammouth, ce rhinocéros était, comme lui et pour les mêmes raisons climatiques, recouvert d'une épaisse toison lai­ neuse noire d'où émergeaient des jarres de couleur rousse. On a découvert en Sibérie son corps complet dans les mêmes conditions que celui du mammouth ; les alluvions de la Moselle livrent ses restes parcimonieusement ; un auteur du siècle dernier assure avoir vu mettre au jour, sur les bords de la Seille, un squelette complet qui bientôt s'effrita en poussière et dont il ne put recueillir que les molaires ; ce sont en effet des molaires qu'ont livré quelquefois les gravières lorraines, mais leurs dimensions relativement modes­ tes expliquent qu'elles puissent passer souvent inaperçues. Enfin, récemment, à Pierrevillers, en Moselle, un enfant a enrichi le petit musée scolaire constitué par Jean Morette d'un fort hel humérus. Du renne, Rangifer tarandus, dont le rôle fut si important à certaines époques paléolithiques, nous n'aurons rien à dire : les découvertes qui le concernent en Lorraine ont été rarissimes et l'on ne peut que donner acte à Husson de la trouvaille, authentifiée par Godron, qu'il f[t de fragments caractéristiques de bois de renne. De même qu'il faut porter à !:'actif du juge Moreau mais surtout de Husson encore, !l'important butin en restes typiques de l'ours des cavernes, ursus spelaeus, qu'il a recueilli dans les grottes de Sainte-Reine. J'ai, pour mon compte, consacré neuf journées entières à la recherche de vestiges de l'ours des cavernes, mais c'était en Ariège au cours de mon exil de 1940-1944, dans les cavernes de l'Herm, hien connues des paléontologistes du siècle dernier. J'y ai au moins appris, en manipulant de nombreuses molairres, que ce puissant animal, haut de 2 mètres % en se dressant sur ses pattes de derrière, loin .d'être un carnassier à tous crins, était essentiellement frugi­ vore e� mangeur de racines (mais on sait que l'ours blanc, pour sa 11 part, a été pareillement réhabilité de nos jours) et pour en revenir à l'ours des cavernes, je crois que, s,i les relations de l'homme avec cet autre plantigrade étaient celles de mangeur à mangé, le mangé n'était probablement pas celui qu'on pense - et d'ailleurs, s'agis­ sant il est vrai de l'ours brun, le pied et même le jambon de l'ours n'ont pas mauvaise réputation, de nos jours, auprès des monta­ gnards ariégeois. Après les importantes découvertes de Husson, qui établirent en premier lieu le contexte zoologique au milieu duquel avaient pu vivre les Moustériens toulois, les alluvions des abords de Metz allaient livrer une vingtaine d'années plus tard au secrétaire de la Société d'Histoire naturelle de la Moselle, l'abbé Friren, le témoi­ gnage industriel de la présence de l'homme. Ce fut au sommet d'une terr asse dont les couches sous-jacentes avaient livré des molaires et des os du mammouth et du rhinocéros, un indiscutable biface ou coup-de-poing mous,térien de tradition acheuléenne qui détermina le savant préhistorien Barthélemy à formuler la décla­ ration suivante : « Bien qu'il soit difficile ·de déterminer exacte­ ment l'âge du dépôt dans lequ.el gisait la hache acheuléenne de Montigny, nous devons, en raison de la faune qu'il renferme et de la forme très caractéristique de la pièce, revenir sur l'opinion pré­ cédemment émise et reporter au moins an quaternaire moyen la date de l'apparition de l'homme ·en Lorraine. » C'était bien une première revanche de Husson - et Barthé­ lemy la lui apportait de façon solennelle le 11 août 1890 au Congrès de l'Association française pour l'avancement des Sciences, qui se tenait à Limoges. Quant au coup-de-poing Friren, le Musée de Metz n'en détient qu'un moulage, le patriotisme ombrageux des Messins du temps de l'Annexion les ayant persuadés de le déposer au Musée Lorrain de Nancy, où le catalogue dressé par Lucien Wiener en signale la présence dès 1895.

Une soixantaine d'années plus tard, le Toul ois à son tour pourra mettre à son actif coup sur coup deux coups-de-poing aussi bien caractérisés que cdui de l'abbé Friren. C'est à mon collègue Liéger, délégué de la Société préhistorique française pour Meurthe­ et-Moselle, que l'on doit l'entrée de ces deux bons documents dans la littérature spécialisée, car il les a fait connaître en 1951 au Bulletin 'de cette société. L'un, long de onze centimètres, large de plus de 7 et dont le poids approche la demi-livre, a été mis au jour par un labour profond sur le plateau de Villey-Saint-E,tienne ; il a été taillé dans un quartzite bleu veiné de rouge ; l'autre, recueilli sur la terrasse alluviale du terrain de manœuvres d'Ecrouves, en quartzite brun roussâtre patiné par l'éolisation, est de dimensions nettement supérieures et dépasse le poids de 330 grammes. 12

Mammouth de Jaillon et outils paléolithiques de Villey ou d'Ecrouves, apportent au préhistorien les certitudes que la décou­ verte, toujours possible, de vestiges osseux humains en connexion ' de strates avec de tels éléments de connaissance ne pourrait qu en­ tériner à l'avenir. Il est indubitable désormais que les Moustériens de tradition acheuléenne ont vécu dans nos régions, ces Mousté­ riens qui se réfèrent à la race dite de Neanderthal. Rien ne doit s'opposer, en somme, à ce que des chercheurs heureux recueillent quelque jour, entre Metz et Toul, quelque vestige osseux, quelque mandihul'e ou quelque crâne du très loin­ tain ancêtœ dont le plus hel exemp�aire demeure celui dont le squelette complet a été découvert en Corrèze à la Chapelle-aux­ Saints. Les conditions de la trouvaille de Jaillon sont de celles qui laissent espérer de telles possibilités. La grande affaire est qu'au moment de Ia mise au jour soit présent un homme averti qui prenne soin de sauver ce butin précieux providentie!Iement apparu. On rêverait de voir tout chef de chantier important intéressant le sous-sol couronner sa préparation à quelque certificat d'aptitude professionnelle par un stage de que,lques jours permettant de lui inculquer un lot indispensable de connaissances pratiques sur la géologie, la paléontologie et la préhistoire de la région où il aura à besogner. Les deux plus importantes trouvaiHes qu'il m'ait été donné de faire au cours de ma carrière de conservateur - s'agis­ sant des temps néolithiques - m'ont été procurées l'une par un ouvrier, l'autre par un contremaître, fun et l'autre occupés à des extractions de sable, qui ne soupçonnaient nullement l'intérêt exceptionnel de ladéc ouverte, mais qui veillaient à renseigner sur toute trouvaille insolite. La joie que j'ai eue de sauver un squelette de l'époque terminale de la pierre polie et un rarissime gobelet à zones qui lui est contemporain, est gâchée par la conviction de la destruction de multiples documents anthropologiques ou indus­ triels des hautes époques, qui ont péri sans gloire au cours des travaux mettant le sol en cause, parce que nul n'avait pressenti à temps leur grande importance.

Ces temps paléolithiques, où le mammouth parcourait nos plateaux ou hantait les berges de Moselle, il serait évidemment ou trop beau ou fasti

Du néolithique, nous arriverons à l'apparition des métaux par la transition, très :d'iffici�e à diseerner, du chailcolithique. Le chal­ coHthique ne coQstitue pas une période préhistorique à proprement 15 parler : son nom, dont les radicaux associent le cuivre et la pierre, désigne un état de choses que l'étymologie permet de signifier le plus exactement possible. L'avènement du cuivre et du bronze à faible teneur d'étain n'est pas procuré par une invasion accompagnée d'une subversion de l'ancien état de choses. Le métal s'insinue, pour ainsi dire, dans une civiii·sation de 1la pierre qui a atteint son apogée. Jamais le silex n'a été travaillé aussi bien qu'au cha'lcolithique, jamais on n'a vu plus délicats outils, pointes de flèches en silex plus fines et mieux équilibrées - mais il n'y a pas de moyen, dans la plupart des cas, de discerner techniquement ce qui a été fabriqué la veille de ce qui a été fabriqué l'e lendemain de l'infiltration métaiJ.Ilurgique. Disons qu'on y parvient parfois : la hachette de jadéite à tranchant obli­ que de Moutrot, les toutes petites hachettes en jaspe noir sont assurément d'obédience chalcolithique. Mais, quant à lui, 'leTou lois garde l'avantage de pro·duire, plus probant encore que tel ou tel document recueiHi en surface, le témoignage d'une réalisation fixe, associée au sol même, et c'est celui que portent les stations funéraires de Sexey-aux-Forges, découvertes et publiées par le comte Beaupré au Bois-l'Abbé et au Bois-l'Evêque. EtHes appartiennent à la civiEsation d'obédience chalcolithique connue sous le nom de S.O.M. (abréviation de Seine­ Oise-Marne), et leur manifestation jusqu'ici semble-t-il unique dans la -région lorraine, ne vient pas peser d'un faible poids à la res­ cousse des témoins de ces contacts avec l'ouest que sont les silex importés de Champagne.

Au début du siècle, le comte Beaupré, qui n'en demeure pas moins l'un des plus distingués archéologues lorrains, professait, au sujet de l'âge dit du bronze, que « cette division des teinps préhis­ toriques semble jusqu'ici pratiquement inapplicable dans notre région. » Les progrès de la préhistoire ont surabondamment démon­ tré depuis qu'il n'en était rien ; un meilleur inventaire des objets recueillis en fouille, et connus déjà de Barthélemy qui les figurait dès 1889 permettrait à lui seul d'Hlustrer puissamment une préhis­ toire de l'âge du bronze en Lorraine. Force est de constater •d'ailleurs, à l'examen des travaux de Barthélemy et des documents conservés la plupart du temps dans les co'lle·ctions publiques, que c'e·st le Toulois qui a livré ces docu­ ments dans la p'lus grande abondance. On y a recueilli - c'est un apanage que Toul partage avec Metz - des objets caractéristiques déjà de la haute époque du bronze que D é che le tte dasse au « Bronze II », par exemple les deux remarquab'les haches à bords droits de la collection Quintard et du Musée Lorrain (Barth., pl. XVI, fig. 46 -et 4 7) ; puis, du « Bronze III » , une hache à bords droits d'un ·autre type, conservée elle aussi au Musée Lorrain (Barth., pl. XVII, fig. 50), tous trois exemplaires d'un modèl•e tenu 16

pour .peu commun dans la France du nord-est. et qui se montre plus abondant à Toul que dans la région messine : il est fort impor­ tant de noter que Déchelette précise que « la hache à bords droits ·est extrêmement abondante dans �a région de la Gironde, et . assez fréquente sur les côtes de l'Atlantique et de la Manche ». A cette même époque du Bronze III appartiennent les trois couteaux de bronze recueillis à Toul, dont le très caractéristique couteau muni d'un anneau et d'ailettes latérales (Barth., XIX, 58) conservé au Musée Lorrain, ou celui à poignée anne'l<ée venue de fonte de b collection Quintard (Barth., XIX, fig. 57). Du Bronze IV et toujours en provenance de Toul, et toujours dans la co1lllection Quintard, ·la puissante hache à aHerons termi­ naux et anneau latéral (Barth. XVIII, fig. 52), la très rare gouge à douille du Musée Lorrain et le non moins rare poignard à soie (Barth. XXIV, fig. 67) également conservé au Musée Lorrain. Jaillon avait fourni à Dufresne deux pointes de flèche en bronze, ressortissant au Bronze IV, dont l'une, à douiHe et à ergot latéral, figure dans 'Ies coNections du Musée de Metz. C'est une autre rareté découverte aux environs de Toul sans autre précision, qué la lame d'épée en bronze, sans ·nervure, cons·er­ ·vée au Musée Lorrain : avec celle-ci, en effet, nous sommes sortis de l'âge proprement dit du bronze pour entTer dans le premier âge du fer, ou époque de Hallstatt. Il en va des premiers temps du fer comme des premiers temps du bronze : comme ces derniers se sont ac•commodés, pendant d·es siècles encore, de l'utilisation intensive du silex, l·es premiers temps du fer ont l'argement coïn­ cidé avec l'emploi du bronze. Les vestiges de cette époque semblent être plus rares dans le Toulois que dans l'est du département de la Mose'He, où ils ne sont pas communs. Déchellette, dans sa carte des épées .du Ha'llstatt trouvées en France, a ignoré l'existence de cette lame touloise ; et cette même carte ne signale la découverte d'ép ées de fer du haHstattien dans le Bassin de Moselle qu'à l'amont et à l'aval du Tou'lois. Avec cette époque du Hallstatt, nous voHà sortis de la pré­ histoire proprement dite pour entrer dans Ia protohistoire. Les chercheurs vont bientôt ne plus être réduits à poursuivre, à tâtons pour ainsi dire, la collecte de documents muets dont il s'agira, en queique sorte, de faire parler le silence. Au début des âges du fer, que l'on peut situer au commencement du premier millénaire avant l'ère chrétienne - Déchelette fait débuter, pour nos régions, la p é riode haillstattienne vers ran 900 avant Jésus-Christ - la Lorraine, la Bourgogne, le nord de la Franche-Comté sont les premières régions orientales françaises qui livrent des témoignages de la civilisation hallstattienne (laqueUe tire son nom de l'impor­ tante nécropole de HàHstatt, en Autri•che) . On ne sait à peu près rien des popuiations sans nom qui les occupent, mais les auteurs Ç()nvienueut de les ilSSoçier 11vec l' A11lemagne -du Sud pour CI.Jns· t7

· tituer la celtique primitive. Bientôt, au v· siècle avant Jésus­ Christ, se manifestera l'apogée d·e l'expansion celtique ; nous sommes arrivés à l'époque dite de la Tène, ou second âge du fer, qui va s·e c'lore au début du r· sièc1le de l'ère actueUe, une cinquan· taine d'années après la conquête romaine. Cette époque tire son nom d'un riche oppi•dum situé sur le lac de Neuchâtel ; elle coin· ci'de avec l'apogée de la 'Dation gauloise, dont la cité des Leuques -cité ayant ici ·le sens de domaine politique, au sens large -n'est pas la moins puis-sante. Godron citait avec faveur I'opinion du P. Bach, un savant jésuite messin du siècle passé, grand spécialiste de l'étymologie, qui considérait le nom de Toul comme d'origine gauloise et pré­ tendait même, avec l'aide du breton moderne, lui trouver le sens de « cavité » , de « trou » , qu'il expliquait par l'existence proche des grottes qui ont fourni à l'excellent Husson le théâtre de ses investigations célèbres. Avant Bach, Legonidec, qui n'avait pas en vue l'origine étymologique du nom de la cité, avait effectivement donné au mot Toul 1le sens de « trou » et de « cavité » dans son Dictionnaire breton-français. Il est certain .que les Romains se sont bornés à latiniser son nom par l'adjonction d'une désinence en um, et qu'i:ls avaient effectivement entendu les autochtones dénommer leur viHe : Toul'. Je ne sais pas s'il est un autre exemple d'une semblable pérennité. Le so'l du T o u 1 o i s recèle et a livré en grand nombre des témoins des temps gaulois. Villey-Saint·Etienne, par exemple, cètte bonne vieiUe prévôté capitulaire de Toril que nous avons rattachée au Toulois, a donné en 1886 un butin exceptionnel que l'ingénieur Mallien a remis au Musée Lorrain. Il y avait là de ces grands coHiers de bronze appdés torques, de nombreux bracèlets, des fibules, du meilleur style gaulois. Mais, plus près de nous dans le t·emps et dans "l'espace, la découverte du comte Beaupré, en 1904,

à Chaudeney, a de beaucoup fourni le '(}lus beau butin : une cen­ taine d'objets spécifiquement gaulois, pour l>a plupart torques, bracelets ·de bronze, fibules en ex·cellent état de cons·ervation qui presque tous constituaient la p a rur e des Gaulois et Gauloises inhumés sous tumulus probablement dans les derniers temps de l'indé•pendance. C'est peut-être devant ces reliques de ceux qui, en vérité, ont été nos ancêtres, que l'on se prend le mieux à rêver. Au regard des temps pro·digieusement reculés où le mammouth paissait sur nos pl,ateaux et dans nos plaines, cette période de La Tène, cette époque gari·loise est d'hier. 'Mais Camilile Jùllian a su nous dire pourquoi, pour la mieux connaître, nous en sommes réduits à pratiquer, en somme, ·une honoraMe violation de sépultures.

André BELLARD