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QUELLES CONNAISSANCES DES MONTAGNES ?

Les mots pour le dire

Les mots utilisés pour désigner la montagne et les montagnes sont puissants révélateurs pour appréhender les relations des sociétés avec ces espaces. Leur très grande diversité révèle la complexité des rapports entre les hommes et les mondes d’en haut. L’étymologie ou la calligraphie, les images ou les associations de mots sont des constructions culturelles très fortes. Parmi les termes génériques, plusieurs registres sont convoqués, de l’échelle la plus locale à la plus universelle. Autant les chaumes sont restées attachées à la crête des Vosges, autant l’alpe a connu une diffusion très large.

DE L’ÉCRITURE À L’ÉVOCATION gramme actuel. Attention néanmoins à ne Dans les manuels d’écriture des jeunes pas réduire sa lecture à une simple descrip- Verbatim élèves japonais, le kanji (idéogramme) tion géométrique : les travaux d’Augustin signifi ant yama (montagne) est souvent Berque insistent sur les deux sens associés fi guré par une construction progressive à yama, à savoir la montagne et la forêt, « Père, existe-t-il des pays entre l’image de trois sommets et l’idéo- avec des parentés linguistiques fortes pou- sans montagnes ? » vant être respectivement distinguées dans Friedrich Schiller, 1804, le birman yoma, le turc yamac ou le yema Guillaume Tell. de plusieurs langues d’Asie du Sud-Est. KUNLUN, LES NOMS Cette ambivalence se retrouve en japonais D’UNE MONTAGNE dans le terme de sanson, littéralement village de montagne, dont les contours sont défi - Kunlun nis par des critères… forestiers. Ces espaces sont de facto utilisés par les agriculteurs. La tradition japonaise envisage ainsi autant les dans les termes de tour, ziggourat ou pyra- dichotomies que les porosités entre plaine et mide (pyramide de Carstensz, Indonésie) montagne. Clairement délimité, voire borné, qui peuvent, par extension des bâtiments le passage de l’un à l’autre a aussi des signi- évoqués, avoir une portée symbolique très fi cations anthropologiques et religieuses. forte. Et « tête » ou « crêtes » déterminent Xiwangmu La présence des fameux yama-no kami, ces aussi plus que des extrémités ou des termi- génies maîtres de la montagne, qui descen- naisons topographiques. Source : A. Berque, « Kunlun, la montagne cosmique », L’Alpe, n° 32, printemps 2006, p. 79-82. dent vers la plaine, est ainsi une des signatu- ... res de la montagne dans le shintoïsme. C’est aussi dans le bouddhisme et l’hin- La chaîne du Kunlun, dont l’étymologie se confond avec Hundun et évoque le chaos des origines et l’idée de vie, douisme qu’il faut chercher les origines DES SIGNIFICATIONS MULTIPLES se situe sur la frontière nord du Tibet. « Au milieu du du népalais himal (« demeure des dieux »), Le sommet désigne autant la forme que monde », elle est habitée par Xiwangmu, Mère Reine tandis que pahar désigne en contrebas le le but à atteindre. La description topo- de l’Ouest ou reine des Immortels (taoïsme). domaine des hommes. Les dimensions spiri- graphique va d’ailleurs souvent bien au- tuelles des cimes sont également présentes delà d’une simple approche géométrique

LES « ALPES » DANS LE MONDE

NOUVELLE- ZÉLANDE CROATIE AUSTRALIE JAPON BOSNIE- FRANCE HERZ.

Alpes du Sud ou Alpes mancelles Alpes dinariques Alpes néo-zélandaises Alpes australiennes Alpes japonaises

10 ATLAS DES MONTAGNES

MMN8-23.inddN8-23.indd 1010 118/07/138/07/13 17:24:0617:24:06 CARTOGRAPHIE LEXICALE DES RÉFÉRENCES À LA MONTAGNE QUELS VOCABULAIRES ? Les nombreux termes NTHROPOLOGI se référant à la montagne A E peuvent être regroupés en fonction de leur portée sémantique. Beaucoup himal ont des sens multiples S que traduisent en partie ES YS R TÈ les recoupements TU M C E de la fi gure ci-contre. E pyramide, S IT ziggourat S Les mots liés H yama O C C aux caractéristiques R I O A géométriques et

- T É aux grandes architectures E C colline S O d’ensemble décrivent

E I (Provence), N souvent les reliefs R cerros,

O T MONTAGNE(S) grande (vocabulaire lui-même É cordillère, pahar montagne, M

M sierra

I signifi ant) plus sûrement

petite Q

O

U qu’une défi nition. Ils glissent

É montagne

E

G S aussi vers une approche des paysages, parfois lus aiguille, amba, hauts dans des binômes associant Berg, chaîne, alpe, chaumes, les hauts et les bas, djebel, massif, mesa, collines et traduisent souvent les mont, pic, piton, gora, hills, étagements des systèmes pointe, sommet planina, Wald socio-économiques. ceja de montaña, Les glossaires sont enrichis monte, par des dimensions puña anthropologiques, avec des références à la religion PAYSAGES ou à la transcendance.

LA CONSTRUCTION DE L’ÉCRITURE DE LA MONTAGNE EN JAPONAIS par rapport aux peuplements humains. Ainsi, dans le monde germanique, ils s’ex- priment avec Berg et Wald, dans le slovène avec gora et planina (prairie de montagne) ou encore dans le français « grande monta- gne » et « petite montagne ». Ce sont là aussi des explications des diff érentes formes d’appropriation socio-économique, ici pour le monde des éleveurs et des pâturages Source : D’après différents manuels d’écriture du japonais. – les « montagnettes » présentes en Savoie ou dans les Hautes-Alpes –, et là pour celui avec des références aux formes féminines vert végétal plus ou moins pénétrable), ou des forestiers et/ou des agriculteurs – la (mamelons, croupes, ballons…) ou phal- dans le monde andin entre la ceja de mon- « colline » provençale. liques (aiguilles, éperon, pics, pitons…). taña (versant forestier des montagnes) et Du particulier au général. Parmi les ter- Les lectures paysagères ont ainsi plusieurs la puña (haut plateau). mes les plus génériques, citons amba dans niveaux, avec des distinctions précises, Des montagnes et des hommes. Entre le le monde éthiopien, ou ol doinyo dans l’es- comme en Amérique latine entre les sier- mont, le massif, la chaîne ou la cordillère, il pace masaï (Kenya-Tanzanie). Et bien sûr les ras (montagne), cerros (chaîne) et la mon- y a des sauts d’échelle, mais aussi des dif- « Alpes », terme présent à toutes les échelles taña ou monte (davantage reliés au cou- férentiels d’agencements et de disposition et jusque dans la toponymie lunaire.

NORVÈGE

ITALIE

ROUMANIE ÉTATS-UNIS FINLANDE GRANDE- BRETAGNE SUÈDE

Alpes d’Arrochar Alpes d’Issaquah (Écosse) Alpes de Transylvanie Alpes apuanes Alpes scandinaves Alpes Trinity ATLAS DES MONTAGNES 11

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