(I. Musique Et Socie?Te?:I. Musique Et Soci√©T√

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À LA VILLE ET À LA COUR AU TEMPS DE DU MONT Marcelle BENOIT 1992 1 LA VILLE À l’époque, Paris compte environ 400 000 habitants et se divise en seize quartiers. L’île de la Cité, avec Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, constitue le centre religieux de la capitale. Quelques musiciens demeurent autour du Palais de justice. Sur la rive droite, à l’est, se situent les bastions protecteurs de la royauté : la Bastille, l’Arsenal, le Temple. Au centre, le peuple industrieux pratique le commerce, l’artisanat, dans les ports, les halles. Les banquiers, eux, se concentrent autour de Saint-Eustache. À l’ouest, le long de la voie royale du Louvre et des Tuileries, va se dessiner un quar- tier neuf, résidentiel. Les Grands s’installent dans des hôtels particuliers sur les paroisses Saint-Thomas et Saint-Roch. Peintres, sculpteurs et architectes vont vivre dans et autour des galeries du Louvre, à l’heure où se créent les académies. Cette extension ira même par-delà le faubourg Saint-Honoré, jus qu’au bourg de la Ville- l’Évêque (actuellement la Ma de leine), où Lully passera ses dernières années. Sur la rive gauche, c’est l’université, les collèges, les couvents, les imprimeries et librairies, lieux privilégiés de l’étude, où peu de musiciens résideront. Il n’existe pas à proprement parler de quartier réservé aux musiciens. Ceux-ci se distinguent moins par leur ori gine sociale que par leurs fonctions auprès d’un prince, d’une église, au sein d’une corporation, au service d’un théâtre, d’une académie. Leur résidence se situera donc dans le pourtour d’un sanctuaire, ou dans la maison d’un seigneur, ou à proximité de l’Opéra. Les plus favorisés pos- séderont un pied-à-terre à Saint-Germain-en-Laye ou à Fontainebleau lorsqu’ils seront “de quartier” à la Cour : à partir de 1682, ils logeront chez l’habitant à Versailles ou y feront construire. Les sanctuaires C’est dans les sanctuaires que se transmet une certaine permanence de la pen- sée musicale. Ils servent d’école aux jeunes garçons qui s’incorporent à la maî- 1. Partie de ce texte provient d’une conférence faite par l’auteur à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, en 1990, pour l’Association “Sauver les documents en péril des bibliothèques françaises”. 34 LE CONCERT DES MUSES trise de leur pa roisse. Les enfants de 7-8 ans à 13-14 ans (âge de la mue) appren- nent le latin, la grammaire, quelques éléments de mathématiques et le chant avec un ecclésiastique chargé également de surveiller leur moralité. Les cler- geons, destinés à servir aux offices, reçoivent une formation plus poussée dans le domaine de la liturgie et du plain-chant, et s’appliquent à la lecture à livre ouvert devant le lutrin. Tous étudient un instrument d’accompagnement : viole, luth, clavecin, orgue. Si l’enfant veut se spécialiser dans le jeu de l’orgue et la com- position, la capitale ne manque pas d’excellents organistes qui, entre 1660 et 1690, lui donneront des leçons : les de La Guerre à la Sainte-Chapelle, Charles Racquet et les Montalan à Sainte-Madeleine-en-la-Cité, Nicolas Lebègue à Saint-Merry, Pierre Denis à Saint-Pierre-des-Arcis, Nicolas Gigault à Saint- Nicolas-des-Champs, Jacques Thomelin à Saint-Jacques-de-la-Boucherie, Henry Du Mont à Saint-Paul, etc. La musique religieuse diffère selon l’affectation des lieux. On peut distinguer d’une part les sanctuaires privilégiés, d’autre part les paroisses, enfin les couvents. Au sommet des premiers se situe la Sainte-Chapelle du Palais, qui remonte à saint Louis et où se célèbrent les plus beaux offices de la capitale. La Musique du roi, d’ailleurs, y recrute souvent ses chantres. On y rencontre des musiciens importants tels les de La Guerre, Louis Chein, Tho mas Gobert, René Ouvrard, Étienne Loulié, François Chaperon. À Notre-Dame se célèbrent les Te Deum à grand renfort de chantres et de symphonistes. Jean Mignon y dirige la musique et compose des messes pour les offices. À Saint-Denis, lieu de sépulture des rois et reines de France, les obsèques de Marie-Thérèse (1683) mobiliseront un nombre important de chantres et de concertants. En dehors de ces foyers à vocation nationale, les paroisses parisiennes jouent un rôle plus modeste. Question de moyens financiers d’abord : deux à six enfants de chœur, quelques chantres, un organiste, un joueur de cornet ou de serpent, voilà l’ordinaire des églises, qui trouvent à renforcer leur effectif les jours de fête pour les grand-messes, les vêpres, les complies, les saluts, les processions, grâce à des concours extérieurs. Les symphonistes se font rares, et d’ail leurs, dans quelles compositions les incorporer ? Le répertoire ne les a guère prévus dans les messes de plain-chant alternant avec des versets d’orgue improvisés sur les thèmes liturgiques. Si quelques ecclésiastiques se hasardent du côté de la modernité, d’autres curés, au contraire, se plaignent à l’archevêque des préten- dues nouveautés introduites dans la musique, ce qui fait ressembler l’office à un spectacle et amène des “indécences” dans la liturgie dominicale. On rencontrera le goût moderne de préférence dans les couvents et collèges (chez les jésuites notamment), où les conditions financières favorables et le M. BENOIT : À LA VILLE ET À LA COUR AU TEMPS DE DU MONT 35 niveau intellectuel et artistique élevé autorisent l’expérimentation et créent des modes… qui peuvent aller jusqu’à la provocation. L’avant-garde se situe aux Théatins : “On s’est plaint au Roy que les Théatins, sous prétexte d’une dévo- tion aux âmes du Purgatoire, faisoient chanter un véritable Opéra dans leur Eglise, où le monde se rend à dessein d’entendre la musique, que la porte en est gardée par deux Suisses, qu’on y loüe les chaises dix sols, qu’à tous les change- ments qui se font et à tout ce qu’on trouve moyen de mettre à cette dévotion, on fait des affiches comme à une nouvelle représentation…” (1685). Le comble du snobisme consiste à assister à l’office des ténèbres “en mu sique”, à la congréga- tion de l’Assomption ou à l’Abbaye-aux-Bois, surtout si “ce qu’on entendoit estoit de M. Charpentier” (1680). Lecerf de La Viéville écrit : “Mille gens ne vont plus à la grande Messe ni aux Vêpres aux Cathédrales que quand l’Evêque y officie avec une Musique renforcée ; plus de ténèbres, à moins qu’on ne soit sûr que les leçons seront travaillées de la main d’un compositeur fameux.” Paris va connaître, au cours des années 1680, une transformation de la musique religieuse, sous l’influence conjuguée de la Cour que l’on prend pour modèle, de l’oratorio italien et du style d’opéra. Doit-on regretter que l’Église ne demeure plus le rempart d’une tradition usée, qui laisse le chant grégorien s’abâtardir, qui trahit les psaumes en des paraphrases peu convaincantes, qui déguise des chan- sons en airs de dévotion, qui fabrique des stances chrétiennes fort éloignées de la liturgie catholique ? Nous ne le pensons pas. Au premier rang des compositeurs de musique reli gieuse de la capitale, il faut nommer Marc-Antoine Charpentier, rival malheureux de Lully pour le théâtre lyrique, mais auteur comblé de commandes par Mlle de Guise, le Dauphin, Port- Royal, les académies, les collèges. Admirateur de Carissimi, assidu du milieu ita- lianisant de Saint-André-des-Arts et de son curé l’abbé Mathieu, il sera bientôt nommé maître de musique des jésuites à Saint-Louis, rue Saint-Antoine, presque en face de Saint-Paul où Du Mont tenait l’orgue, maître de musique du duc de Chartres (futur Régent de France), avant de terminer sa carrière à la Sainte-Chapelle en 1698. Ses messes, motets, litanies, hymnes, psaumes, leçons de té nèbres, cantiques, tragédies sacrées allient la science à la sensibilité, traitent les textes saints avec une égale réussite dans la grandeur et dans l’inti misme, res - pectent la tradition autant qu’ils favorisent l’innovation. La rue Passé l’époque des mazarinades, l’homme de la rue re trouve un peu de calme. Les révoltes ont fait leur temps. Mais les célébrités ne seront jamais à l’abri de la critique. Les Grands, domestiqués par le pouvoir centralisateur, deviennent des courtisans, et le peuple les préférait peut-être en frondeurs, plutôt qu’en pâles 36 LE CONCERT DES MUSES reflets d’un soleil rayonnant. Les chansonniers continuent de les brocarder, de se moquer de leurs aventures galantes. Ils prendront aussi pour cible les gens forts du régime, ceux que Louis XIV a choisis pour l’aider dans sa tâche, la classe labo- rieuse des bourgeois, dont l’enrichissement, mérité, ne manquera pas d’être raillé. Les chansons de rue nous montrent sans indulgence l’envers du décor : le procès de Fouquet, les maîtresses du roi, les taxes imposées par Colbert, l’Affaire des poisons, les démêlés avec la papauté… Le Pont-Neuf marque un lieu de fêtes où les marchands, pourvoyeurs de bibelots, rejoignent les saltimbanques, danseurs et charlatans, vendeurs d’eau et symphonistes. C’est un endroit où les rimeurs contestataires confient leurs couplets à de petits maîtres en musique qui restent anonymes pour leur travail d’arrangement – de dérangement – d’airs connus. Le fonds musical auquel puisent ces chansonniers vient autant de la chanson popu- laire que du noël ou encore, à partir de 1673, d’airs d’opéra parodiés. D’autres réjouissances rassemblent la population dans la rue : les feux d’artifice pour la Saint-Louis, les carnavals, les jeux nautiques sur la Seine.

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