N Attendait Victorine, Ce Fut Victor Qui Vint. Mais, À Le Voir, on Eût Dit Qu'il Savait Que Ce N'était Pas Lui Qu'on

N Attendait Victorine, Ce Fut Victor Qui Vint. Mais, À Le Voir, on Eût Dit Qu'il Savait Que Ce N'était Pas Lui Qu'on

HUGO /"\n attendait Victorine, ce fut Victor qui vint. Mais, à le voir, on eût dit qu'il savait que ce n'était pas lui qu'on atten• dait ; il semblait hésiter à rester ; il n'avait rien de la belle mine de ses frères ; il était petit et chétif au point que l'accoucheur déclara qu'il ne vivrait pas. « J'ai entendu plusieurs fois sa mère raconter sa venue au monde. Elle disait qu'il n'était pas plus long qu'un couteau. Lors• qu'on l'eût emmailloté, on le mit dans un fauteuil où il tenait si peu de place qu'on eût pu en mettre une demi-douzaine com• me lui. » Tel est le premier portrait que nous ayons de l'enfant sublime. On le trouve dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Cet ouvrage, écrit par Adèle Hugo, est assez véridique. Ad• mettons donc que le géant du siècle ait eu, à l'origine, l'apparence d'un être embryonnaire. C'est la première antithèse hugolienne. Acceptons aussi la libre confidence que « le héros au sourire si doux » fit plus tard à son fils. Il aurait été conçu au cours d'une excursion en montagne, sur le Donon, sommet des Vosges entouré de nuages. Tout ce que nous savons du général Hugo, de son tempérament sensuel et de ses manières brusques, auto• rise à penser qu'il n'y a dans ce récit ni forfanterie ni invention. De tels faits n'influencent pas une vie. Mais nous avons appris aussi que la mère, Sophie Trébuchet, Bretonne de souche ven• déenne, n'avait pas tardé à se déprendre de cet époux brave, légè• rement hâbleur et même un peu vulgaire, qui courait l'Europe avec les armées napoléoniennes. Elle avait une nature plus fine, à la fois réservée et volontaire. Son caractère indépendant et obstiné se forgeait des devoirs et en repoussait d'autres. In• croyante malgré ses origines, elle fut une mère exemplaire, mais lorsqu'elle éprouva hors du mariage un sentiment profond, elle s'y voua avec une fidélité héroïque. VICTOR HTJGO 1 Voilà qui explique peut-être l'enfance rêveuse et l'adolescence méditative de Victor. Ce jeune cerveau a vite compris la désunion de ses parents et il réfléchit. Tantôt il est obligé de suivre son père à Marseille, en Corse, à l'île d'Elbe, à Naples, où sa mère, quand elle rejoint les siens, ne séjourne jamais longtemps. Tan• tôt c'est elle qui le garde à Paris, dans une maison cachée au bout d'une impasse, au fond d'un jardin. L'ancien couvent des Feuillantines et son parc à l'abandon ont fortement marqué le poète. Il leur doit ses premières impressions de la nature. Le jardin était grand, profond, mystérieux, Fermé par de hauts murs aux regards curieux, Semé de fleurs s'ouvrant ainsi que des paupières Et d'insectes vermeils qui couraient sur les pierres, Plein de bourdonnements et de confuses voix; Au milieu, presque un champ, dans le fond presque un bois. Les trois garçons couraient là, entre des pierres en ruine. La mère leur avait interdit l'accès d'une vieille chapelle ensevelie sous les ronces. Un jour, il s'y risquèrent et découvrirent le gé• néral Lahorie, l'ancien chef du major Hugo, qui avait été le par• rain (1) du petit Victor. C'était l'homme dont Mme Hugo était éprise depuis des années. Il s'était compromis avec Moreau. La police impériale le recherchait. L'amante vendéenne l'abritait chez elle sous un faux nom. Il sera pris un peu plus tard sous les yeux de Victor, et incarcéré. En 1812, lors de la folle et brève équipée du général Malet, ce vieil ennemi de l'empereur, toujours prêt à conspirer, sera l'un des premiers qu'on ira déli• vrer. Pas pour longtemps. Lui et ses complices passeront en con• seil de guerre et seront fusillés dans la plaine de Grenelle. On assure que Sophie Hugo accompagna jusqu'à la fosse commune le tombereau chargé du corps de son ancien amant. D'autres visions, les unes éclatantes, les autres sinistres, ont traversé cette enfance mouvementée. Joseph Bonaparte avait une vieille affection pour le général Hugo. Promu au trône d'Espagne, il lui a conféré le titre de comte, l'a nommé gouverneur de trois provinces et il souhaite que ce fidèle compagnon d'armes s'installe avec sa famille dans ce pays où il espère régner. Une dotation d'un million de réaux lui serait comptée pour l'achat d'un domaine. Mme Hugo ré• pugne à rejoindre ce mari qu'elle a cessé d'aimer et qui, depuis leur séparation, vit en concubinage. Mais l'avenir de ses enfants est en cause et elle accepte. (1) Victor Hugo ne fut pas baptisé. Le « parrain » ne fut en fait qu'un témoin d'état civil. 8 VICTOR HUGO Alors c'est la traversée de l'Espagne conquise et rebelle. On a envoyé à Bayonne, pour l'épouse du gouverneur, un grand car• rosse de style baroque, dont la forme et les dorures émerveillent les enfants. Six mules y sont attelées. L'escorte est formée de quinze cents fantassins et de quatre canons, car le convoi apporte un trésor dans ses caissons. Voyage fabuleux où le danger surexcite l'imagination. Il y a aussi les étapes. Ernani, dont chaque maison porte un écu féodal, est la première halte après la frontière. Ensuite on traverse Torquemada à demi brûlée, où les balles des guérilleros sifflent de nouveau au passage. La cathédrale de Burgos, hérissée de clochetons, fascine Vic• tor. Aussitôt arrivé, il veut la visiter, admire autant la perspective majestueuse des longues nefs que la bouffonnerie d'une poupée à ressort, el papamoscas (le gobe-mouches), qui sort de la mu• raille pour sonner l'heure. A Ségovie, la tour de l'Alcazar, avec son chemin carrossable, est un autre sujet de surprise. Un attrait précoce le retient devant les monuments. L'histoire se révèle à son esprit par les différents styles architecturaux. Il y a déjà en lui un visionnaire et une pensée qui veut aller au-delà des choses. Enfin voici Madrid et les splendeurs du palais Masserano pré• paré pour recevoir les voyageurs. L'antichambre est démesurée. La salle à manger s'orne de dessins de Raphaël et de Jules Ro• main. Le salon est tendu de damas rouge et un boudoir tapissé de damas bleu clair lui fait suite. La salle de réception est une longue galerie où s'alignent les portraits des ancêtres. Partout dorures, sculptures, verres de Bohême, lustres de Venise, vases de Chine et du Japon. L'enfant croit se promener dans un décor de théâtre. 1811 fut l'année d'une comète célèbre. La luminosité des nuits d'Espagne la rendit très visible à Madrid. Chaque camp inter• prétait cette apparition à sa manière. Pour les partisans de celui qui avait conquis l'Europe, c'était le bouquet d'un feu d'artifice céleste tiré en l'honneur du roi de Rome qui venait de naître. Pour les Espagnols sourdement révoltés, c'était le présage de la chute de l'Empire. « Napoladron » allait disparaître avec le mé-k^ téore. Dès que la nuit venait, a raconté plus tard Hugo à sa femme, il courait avec ses frères sur la terrasse du palais Mas• serano et c'était à qui apercevrait l'astre le premier. Il brillait d'un éclat extraordinaire qui embrasait un tiers du ciel. On peut imaginer le jeune Victor rêvant à son avenir devant ce signe. Ce séjour à Madrid, malgré la fastueuse résidence, se pour• suivit dans de fâcheuses conditions. Il y eut d'abord l'entrée au collège sous la férule de deux sombres prêtres hostiles aux Fran- VICTOR HUGO 9 çais. Il y eut, après une courte réconciliation entre le général et sa femme, une mésentente manifeste que le roi Joseph, plus dé bonnaire que son frère, ne put vaincre. Enfin les affaires politi• ques se gâtèrent et, au début de 1812, la mère décida de rentrer en France avec ses deux derniers fils. Retour qui ressembla à une déroute. Plus de carrosse doré, mais une calèche que le cocher avait ordre de mener sans s'écar• ter du convoi qui la protégeait. A l'étape, les visages naguère fermés et hautains étaient devenus farouches et provocants. Le pays suait de représailles. Quand on retraversa Burgos, on vit sur la place un échafaud dressé pour la garrotte. A Vitoria, la voiture passa au pied d'une croix sur laquelle étaient cloués les membres d'un jeune homme coupé en morceaux. Une reconsti• tution fantaisiste, faite pour le crayon de Goya, avait rendu au cadavre du supplicié l'apparence d'un corps en vie. Enfin on atteignit la frontière, puis Paris, et la famille retrouva les Feuil• lantines. Il est certain que ce voyage en Espagne a marqué l'imagination de Victor Hugo. Dans les impressions qu'il en rapporta, on pour• rait même voir le creuset de son œuvre, si cette œuvre n'avait progressé tout au long de sa vie à coups d'illuminations et de mirages successifs. Ernani, Torquemada, les deux premiers bourgs qu'il a traversés, sont devenus des pièces de théâtre. La vision de la cathédrale de Burgos le mènera un jour vers Notre-Dame, et Quasimodo est peut-être un parent du papamoscas. L'échafaud de Burgos, le crucifié de Vitoria lui inspireront — pourquoi non ? — le Dernier Jour d'un condamné, qu'il écrira à vingt-six ans seu• lement.

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