Avertissement : ce cours est mis en ligne pour servir aux étudiants ; ce n’est pas une publication scientifique et il ne doit pas être cité en tant que tel. CONCOURS 2005-2006 L’AFRIQUE ROMAINE DES FLAVIENS AUX VANDALES Cours de M. le Professeur Jérôme France – Université de -Bordeaux ECONOMIE ET SOCIETE EN AFRIQUE ROMAINE CHAPITRE 1 : ECONOMIE ET SOCIETE RURALES Introduction « La richesse de l’Afrique » : ce pourrait être le sous-titre de ce cours. C’est un lieu commun historiographique, qui est fondé sur des constats et aussi sur des idées et des interrogations. Je mentionne brièvement les principales. - La prospérité des villes, la profusion des constructions urbaines, la densité même du réseau urbain. Constructions augustéennes, forums, théâtres, thermes, temples puis églises, basiliques, cathédrales, groupes épiscopaux. Tout cela implique une richesse et un prélèvement économique qui ne peuvent venir que de la terre, car c’est la principale source d’enrichissement, l’origine des dépenses et des investissements qui sont faits en ville, même si les activités de fabrication et le commerce ont aussi existé et eu leur importance. - La campagne antique aussi apparaît, spécialement depuis quelques décennies où des prospections ont montré la densité de l’occupation et l’importance comme la prospérité de certains établissements agricoles ; certes, ce n’est pas un phénomène général, et il faut tenir compte d’importantes diversités régionales imposées d’abord par les conditions naturelles, relief, climat, sols et végétation. - Le « grenier de Rome » : l’Afrique a longtemps été présentée ainsi dans la littérature historique et dans l’opinion commune. Cette idée pose elle-même toute une série de questions • productions de l’Afrique : nature, importance et comparaison avec les autres provinces ; • existence d’un secteur à la fois économique et administratif affecté au ravitaillement de Rome (annone). Ce sont tous ces éléments qui vont former les axes et la trame du cours Cette idée de la prospérité de l’Afrique romaine a aussi été un enjeu dans une historiographie particulièrement marquée par l’idéologie. - Idéologie coloniale, courant traditionnel (formé au 19e siècle), notamment français et italien (puissances coloniales du Maghreb) : recherche des traces de la présence romaine dont les colons européens seraient les descendants ; idée selon laquelle la romanisation puis plus tard la colonisation européenne seraient des périodes de progrès par rapport à un substrat indigène. Idée aussi selon laquelle les invasions vandales puis arabes auraient détruit les réalisations romaines et ramené l’Afrique en arrière (infra). - Réaction anticoloniale liée à la décolonisation ; véritable inversion de la problématique historique. Minimisation de la romanisation : vernis ne concernant qu’une partie de la population, celle des descendants d’immigrés européens et d’une faible minorité d’autochtones latinisés (dans une large mesure, c’est une projection de l’expérience de la colonisation du Maghreb). Trois conséquences. • réhabilitation des vaincus de Rome et des populations indigènes ; • réhabilitation de la période islamique ; • dans le domaine de l’histoire agraire, cela se marque par une reconnaissance de la part des indigènes dans la mise en valeur des terres agricoles. Plus récemment, apaisement de l’histoire agraire. Dans ce domaine, l’Afrique a été concernée au premier chef par le renouvellement des études rurales marquée par l’attention portée aux paysages, au climat et d’une manière générale à l’environnement et à l’occupation du sol (cf. Jean Peyras, Pol Trousset, Philippe Leveau, Brent Shaw, etc.). Perspective chronologique générale : formes et rythmes de l’économie africaine durant la période (Lepelley 86 sq.) D’une manière générale, cette période est celle d’un essor économique que l’on rencontre dans d’autres régions de l’Empire, mais avec un rythme différent. - Avant 2e siècle place limitée dans la vie économique et les échanges au sein de l’Occident romain (surtout par rapport à Gaule et Espagne). Surtout exportation du blé + marbre de Simitthu/Chemtou propriété impériale (voir Khanoussi CRAI 1991 825-839) + déjà huile de Tripolitaine vers Italie (Pompéi). Toutefois durant cette période mise en place de bases qui ont rendu possible l’essor ultérieur : • paix et organisation administrative ; développement réseau routier. • mise en place flotte annonaire. • promulgation législation agraire sous les Flaviens. ©JFrance 1 Avertissement : ce cours est mis en ligne pour servir aux étudiants ; ce n’est pas une publication scientifique et il ne doit pas être cité en tant que tel. - À partir début 2e siècle/règne d’Hadrien : mutation profonde et radicale, qui se marque par plusieurs phénomènes. Essor démographique (Lassère 1977, 651 : tournant au 1er siècle p.C.). Peuplement dense en Proconsulaire mais aussi ailleurs y compris dans zones montagneuses et steppes (voir Desanges 1990). Essor urbain : en Tunisie des centaines de villes et bourgades ; d’après Duncan-Jones (1974, 259-277) population des villes moyennes entre 6000 et 15 000 h. Essor et diversification de la production agricole. Ces phénomènes entraînent un enrichissement considérable fondé d’abord sur la mise en valeur des campagnes. • Bases juridiques : inscriptions domaniales : lex Manciana. • Développement de la main d’œuvre ; colons et esclaves. • Diversification de la production agricole. Ce phénomène ne concerne pas seulement la Proconsulaire ; aussi mise en valeur de zones montagneuses et steppiques. Notamment développement de l’arboriculture. Surtout huile. Deux régions bien étudiées révèlent ce processus : • Vallée de l’oued Tine entre Medjerda et plaines du nord de la Tunisie (Peyras 1983 & 1991) : on passe ici d’une agriculture primitive à une arboriculture rationnelle). • Région de Cillium/Kasserine (Hitchner 1988 & 1990) : vastes plantations d’oliviers qui remplacent l’élevage extensif. Formidable poussée de l’huile africaine : il s’agit d’une culture spéculative, destinée à l’exportation et surtout l’Italie. Elle profite sans doute des axes d’exportation du blé, et aussi du vin. L’Afrique devient le principal fournisseur d’huile de toutes les qualités pour le monde romain occidental. Concurrence l’Espagne qui perd sa prédominance sur le marché romain à la fin du 2e siècle. - L’Afrique connaît une forme d’apogée sous les Sévères. Durant la crise de l’Empire, elle est épargnée et subit surtout des contrecoups. Elle connaît toutefois deux événements dramatiques : • la révolte de 238 à partir de Thysdrus/El Djem ; • la dissolution de la légion et l’insurrection de Maurétanie 253-260. Sur le plan économique, il n’y a pas de rupture mais tout au plus un ralentissement suivi d’une reprise de l’activité et des échanges. La croissance de l’économie africaine n’a visiblement pas connu de rupture sous l’Empire, entre le 2e et le début du 5e siècle. Il y a eu des contrecoups en Afrique de la crise de l’Empire, et des difficultés ont existé au 4e siècle (troubles, pression fiscale, baisse de l’évergétisme), mais il n’y a pas eu de véritable rupture entre le 2e et le 4e siècle, voire le premier tiers du 5e siècle. Et moins de contraste entre le 2e et le 4e siècles qu’entre le 1er siècle et l’époque antonino-sévérienne. Bien entendu, l’Afrique est concernée par les débats historiographiques sur l’économie antique, entre modernistes et primitivistes. Elle constitue un test case régional particulièrement intéressant, comme les Gaules, parce que la question de la croissance liée à la conquête et à l’intégration dans le monde romain s’y pose de façon plus nette que dans d’autres régions. La question de la croissance est déterminante dans la mesure où les primitivistes rejettent l’idée qu’une économie « archaïque » puisse évoluer quantitativement et qualitativement (voir mon cours de licence sur cette question ; aussi Millett 2001) Modernistes : Picard 1959 ; Mattingly 1988. Primitivistes : Garnsey Whittaker 1983. Actuellement, tendance à dépasser les termes de ce débat, et à insister sur les phénomènes eux-mêmes. Lepelley paraît un bon exemple de la doctrine actuelle : il insiste sur la simultanéité chronologique au 2e et 3e siècles entre des « séries parallèles de phénomènes attestés par des sources distinctes » : essor des villes, extension de la culture de l’olivier, développement de la céramique. La problématique du cours tourne donc autour des questions suivantes : quelle est la réalité et la mesure de la « prospérité » et de la croissance africaine sous l’Empire ? quel est le lien entre cette prospérité et l’intégration de l’Afrique dans l’Empire ? ©JFrance 2 Avertissement : ce cours est mis en ligne pour servir aux étudiants ; ce n’est pas une publication scientifique et il ne doit pas être cité en tant que tel. A- Le milieu et les hommes Il y a une unité du Maghreb = une zone de hautes terres entre deux déserts : un marin, la Méditerranée, et un continental : le Sahara qui le sépare de l’Afrique noire. Et aussi une unité climatique = zone méditerranéenne. Le relief Le Maghreb est surtout une terre de diversité, à cause d’un relief tourmenté et fragmenté. Deux grands ensembles parallèles structurent le Maghreb Rif et Atlas tellien qui borde la Méditerranée Atlas marocain puis Atlas algérien/saharien qui borde le Sahara au nord. Ces deux chaînes se rattrapent et se confondent à l’ouest de la Tunisie. Ils encadrent une zone moins élevée de hautes plaines. Au nord, de Tanger à Bizerte, les montagnes dominent le littoral, sur une largeur de 70 à 150 km : • d’abord le Rif de Ceuta à Mellila. • puis vers l’est une zone de plateaux qui sépare le Rif de l’Atlas tellien. Celui-ci se décompose en une chaîne côtière et une chaîne intérieure : • à l’ouest de l’Algérie actuelle (= à l’ouest d’Alger, qui se trouve à l’est de Caesarea) : la chaîne côtière est plus basse et coupée de dépressions ; • à l’est d’Alger (= Kabylie), l’Atlas tellien oriental est plus montagneux.
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