OCTOBRE 2015 • LA JAUNE ET LA ROUGE 36 PARCOURS TRAJECTOIRES PAULINE ROMERA-LEBRET chercheur associé au Groupe d’histoire et diffusion des sciences d’Orsay (GHDSO) HENRI BROCARD (1865) UN INGÉNIEUR SAVANT DU XIXe SIÈCLE Dans une nécrologie d’Henri Brocard 1, on peut lire que sa curiosité s’étendait « à de nombreux domaines : sciences naturelles, économie rurale, météorologie », même si « c’est surtout comme mathématicien qu’il s’est fait un nom » et s’il vouait une passion à la bibliographie. Henri Brocard 2 est un exemple d’ingénieur-savant du XIXe siècle, à savoir un polytechnicien à la charnière entre la théorie et la pratique mais aussi entre les mathématiques et la physique. DR Brocard fournit sur son temps libre une importante production mathématique, en particulier sur la nouvelle géométrie du triangle. ENRI BROCARD est né le 12 mai au 2e régiment de Montpellier, il fait 1845 dans une petite commune ensuite un bref passage dans l’armée H de la Meuse, à quarante kilo- du Rhin. Il participe à ses premières mètres de Bar-le-Duc. Il entre à campagnes pendant la guerre franco- l’École polytechnique allemande de 1870. en 1865 puis rejoint le Il est fait prison- Corps des ingénieurs « Durant trente-sept ans nier lors de la de l’armée française. défaite de Sedan. En 1869, après deux dans l’armée, il participe Il fait aussi par- années d’études à à onze campagnes » tie de la colonne l’École d’application, de Sétif lors de il est nommé lieute- la révolte des nant en second du Génie. D’abord affecté Mokrani 3 en Algérie. Il est chargé de JR708_p36-37_Brocard.indd 36 23/09/2015 11:10 OCTOBRE 2015 • LA JAUNE ET LA ROUGE 37 TRAJECTOIRES rédiger les registres d’ordres qui relatent Comme cela sera le cas dans sa carrière de l’Association française pour l’avance- la vie quotidienne du premier régiment de météorologue, Brocard ne se contente ment des sciences (AFAS) qui se tient du Génie : heures et ordres des départs, pas d’enseigner la physique et la chimie en 1881 à Alger. En parallèle au congrès consignes pour le ravitaillement, etc. puisqu’il rénove et développe le cabinet se déroulent un concours agricole et une Durant les trente-sept années qu’il passe de physique et le laboratoire de chimie et « exposition industrielle, scolaire et artis- dans l’armée, Brocard participe à onze qu’il rédige des ouvrages didactiques. tique » pour lesquels Brocard a élaboré campagnes militaires. des documents destinés à faire connaître HUIT ANS EN ALGÉRIE les travaux du Service météorologique. CHERCHEUR En cumulé, Brocard passe plus de huit EN MATHÉMATIQUES ans en poste en Algérie. Ses affectations BIBLIOTHÉCAIRE En parallèle à sa carrière militaire, les plus longues et les plus signifiantes ET BIBLIOGRAPHE Brocard fournit sur son temps libre une sont celles au service météorologique Quand Brocard se retire de l’armée, en importante production mathématique, d’Alger comme adjoint au général Farre, 1910, il est chef de bataillon à l’état- en particulier sur la nouvelle géométrie X 1835 (1874-1876 puis 1879-1882). major territorial du Génie et officier du triangle. À Grenoble, à Montpellier Brocard travaille au bureau qui centra- de la Légion d’honneur. Il est titulaire ou en Algérie, il maintient une correspon- lise tous les documents recueillis dans de la Médaille coloniale et de l’Agrafe dance dense avec de nombreux mathé- les stations météorologiques. Il est éga- d’Algérie. Il passe les dernières années maticiens français lement titulaire de sa vie à Bar-le-Duc, occupant son et étrangers dont la des commissions temps entre ses observations astrono- recherche, comme météorologiques de miques et son activité au sein de la Société pour lui, n’est pas « Il développe Constantine, Alger des lettres, des sciences et des arts de l’activité princi- le réseau météorologique et Oran. Durant sa la ville. Il y tient le rôle de bibliothé- pale. Outre les première affecta- caire, assouvissant ainsi sa passion pour nombreux articles algérien » tion, il développe le la bibliographie. Il poursuit ses recherches qu’il publie dans réseau météorolo- en mathématiques, participant tous les des revues de gique algérien sui- quatre ans aux congrès internationaux de mathématiques d’un niveau intermé- vant les instructions du géologue Charles mathématiques. Il meurt à Bar-le-Duc le diaire et tournées vers l’enseignement, Sainte-Claire Deville. 16 janvier 1922. Q il s’investit dans l’équipe éditoriale de Lors de son deuxième séjour, il est chargé 1. plusieurs d’entre elles 4. Il s’est aussi inté- de l’inspection et de l’amélioration de la C’est Raoul Bricard qui rédige cette nécrolo- gie pour la revue les Nouvelles Annales de mathé- ressé aux recherches bibliographiques. quarantaine d’installations. matiques, dont il est l’un des rédacteurs. Il devient à ce titre collaborateur de la 2. Ce portrait de Brocard est en grande partie commission permanente destinée à la VULGARISATEUR tiré d’un article coécrit par Norbert Verdier, Djamil Aïssani et Pauline Romera-Lebret : mise en place du Répertoire général de ET DIFFUSEUR DE SCIENCES « Les manuscrits scientifiques “européens” bibliographie mathématique 5. En Algérie, Brocard ne se cantonne pas en rapport avec l’Afrique du Nord », dans à son statut de météorologue mais s’in- D. Aïssani & M. Djehiche (éd.), L’Âge d’or des Sciences en pays d’Islam. Les Manuscrits ENSEIGNANT vestit dans des activités de vulgarisation scientifiques du Maghreb, éditeur : Tlemcen, EN ÉCOLE RÉGIMENTAIRE et de diffusion scientifiques. À ce titre, capitale de la Culture islamique, 2012, p. 147- De sa longue carrière militaire, deux il rédige une série d’articles publiés de 164 (texte en français et traduction en arabe). 3. La révolte des Mokrani (1871-1872), périodes se distinguent : ses affectations façon hebdomadaire de décembre 1874 du nom d’un des cheikhs qui en est à l’origine, au service météorologique d’Alger et celles à octobre 1875 et visant à donner des est la plus importante insurrection de la en écoles régimentaires. Il est d’abord « notions d’astronomie populaire ». population kabyle contre le pouvoir colonial français en Algérie. nommé adjoint au commandant de l’École Lors de son deuxième séjour en Algérie, 4. Dans le paysage éditorial francophone régimentaire de Grenoble (1877-1879) Brocard a également beaucoup œuvré de la deuxième moitié du XIXe siècle, puis à celle de Montpellier (1883-1887). pour l’organisation du 10e congrès annuel les journaux de mathématiques intermédiaires sont un complément aux journaux de recherches mathématiques comme le montre N. Verdier dans son article « Les journaux de mathématiques dans la première moitié APPÂT-SAUTERELLES du XIXe siècle en Europe », Philosophia Scientiae, 13-2 (2009), p. 97-126. En 1876 se tient à Alger l’exposition générale de la Société d’agriculture. Brocard est 5. Ce projet, initié par la Société mathématique alors nommé membre du jury des récompenses pour la section des machines agri- de France en 1885, vise à rassembler et classer coles. De plus, il a participé à la mise au point d’un « appât-sauterelles » qui, présenté l’ensemble des références bibliographiques à l’exposition, remporte une médaille d’or. des recherches mathématiques. 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