Le Théâtre Et L'amour (1885-1985)

Le Théâtre Et L'amour (1885-1985)

LE THÉATRE ET L'AMOUR Ce titre est de Sacha Guitry. Il ne pouvait être que de Lui. Sacha Guitry est le Théâtre, l'Amour, c'est lui aussi, absolu pour la femme, la France et ses grands hommes. DU MEME AUTEUR Chez le même éditeur SACHA GUITRY (1942-1957). HENRI JADOUX LE THÉATRE ET L'AMOUR Librairie Académique Perrin 8, rue Garancière Paris type="BWD" type="BWD" type="BWD" l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisationcollective » et,d'autre part, que les analyses et lescourtes citations dans un but type="BWD"type="BWD"ertype="BWD" constitueraitCette représentation donc une ou contrefaçonreproduction, sanctionnée par quelque par procédéles articles que ce425 soit, et suivants du Code pénal. © LibrairieAcadémique Perrin, 1985. ISBN 2-262-00360-2 A Lana Marconi qu'Il attendait. A Lana Guitry qui se souvient. Mon bréviaire (Citations choisies par Sacha Guitry) C'est la vérité qui empoisonne l'eau des puits. (Proverbe chinois, dit-on.) II C'est une grande preuve de médiocrité que d'admirer toujours modérément. (Vauvenargues.) III Je ne m'exprime librement qu'avec des gens dégagés de toute opi- nion et placés au point de vue d'une bienveillante ironie universelle. (Ernest Renan.) IV Tout écrivain complet aboutit à un humoriste. (Stéphane Mallarmé.) V La gravité est le bonheur des imbéciles. (Montesquieu.) VI Ceux qui demandent des prodiges ne se doutent pas qu'ils deman- dent à la nature l'interruption de ses prodiges. (Rivarol.) VII Dans le monde, vous avez trois sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous et vos amis qui vous baissent. ( Chamfort.) VIII La Fantaisie est l'épreuve la plus périlleuse du talent. Ils ne savent pas, les imbéciles, tout ce qu'il faut de bon sens pour oser n'avoir pas le sens commun. (Alfred de Musset.) IX J'ai toujours fait une prière à Dieu qui est fort courte. La voici : « Mon Dieu, rendez mes ennemis bien ridicules ! » Et Dieu m'a exaucé. (Voltaire.) X Le seul qui fait sa volonté est celui qui n'a pas besoin, pour la faire, de mettre les bras d'un autre au bout des siens. (J.-J. Rousseau.) XI Je m'arrêterais de mourir un instant s'il me venait un bon mot ou une bonne idée. (Voltaire.) I Jeunesse FÉVRIER 1945 : « Seul, enfin seul, et déjà je me demande avec 7 qui ? » Sacha Guitry vient d'écrire cette phrase. Il arpente son salon-musée. Il fume cigarette sur cigarette. Lorsqu'il me voit, il me tend la main et me dit : « Aujourd'hui, si vous le permettez, je dîne avec vous. » Son ton est sans réplique. « Nous nous retrouvons ici ce soir ; huit heures, ce serait bien ; sept heures et demie mieux encore. » Qu 'aurais-je de mieux à faire que d'être avec lui ? Le théâtre et l'amour lui sont refusés. Il n'a plus pour ses collections que des re- gards distraits : mauvais signe ! Hier, il était heureux et triomphant ; on ne vous le pardonne guère ! La haine, l'envie, le ressentiment de gens qui ne le connaissent même pas le séparent du public. Ses amis restent figés dans un attentisme qu'il n'oubliera pas. On lui impose une solitude qu'il n'avait jamais encore connue, bien différente de cette solitude douce et féconde où il accomplissait son travail. Il est une cible parmi les autres, mais l'une des plus voyantes. En mars 1942, j'avais rencontré un homme matériellement pourvu. Mais, heureux, il ne l'était pas. La France écrasée par l'occupant l'em- pêchait de l'être. Paris n'était plus son Paris. Il était pareil à un homme malade dont on sait bien qu'il guérira, mais qui attend le remède. Au début, Sacha Guitry s'était cru revenu à la Première Guerre mondiale. Seule différence : on avait perdu la première man- che. Que pouvait-il faire ? sinon continuer d'écrire, de jouer. Il appar- tenait à son pays, était lié à lui par ses œuvres. Entre Dax et Cap- d'Ail (où il eût été à l'abri des remous de l'histoire mais inactif) et Paris, il avait hésité. Henri Bergson, qu'il avait consulté sur ce point, lui avait donné la réponse qu'il voulait entendre : « Oh ! Voyons, vous : Paris... puisque vous lui devez tout. » Et il était rentré. Aujourd'hui — et pour combien de temps encore ? — il est mal- heureux. Alors, il en appelle au passé, s'y retrempe avant de prendre son essor. C'est pour me parler de ce passé, du sien, qu'il me retiendra auprès de lui. Il ne rencontrera que deux mois plus tard celle qui répondra à l'amour dont il a besoin ; il avait reçu le don d'aimer, il ne pouvait s'en passer. En attendant, il s'était tourné vers le jeune homme qu'il avait été, plongé dans le vague ennui des plaisirs futiles. « Je suis entré dans ma vie d'auteur, un matin de septembre 1903. Deux ans plus tôt, j'avais écrit le Page ; on l'avait joué, la critique avait été indulgente, presque bonne ; mais ça, je le devais à mon père. Il ne s'était pas abusé. Un rien de condescendance amusée s'ajou- tait aux compliments prudents qui avaient accueilli son opéra-bouffe en un acte. Nanti de ce petit succès, il avait poursuivi son existence nonchalante auprès de son frère Jean, mais, à partir de ce moment-là, il entra dans les cafés à la mode avec une assurance accrue ! Il était un peu dessinateur, un peu caricaturiste, un peu moins auteur drama- tique. Bien qu'informulée, son ambition était autre : il avait des épaules trop fortes pour cette gloire légère. L'oisiveté lui devint pe- sante ; il fallait rompre avec cette existence faite d'une succession de nuits et de jours dont il ne restait rien que de futiles propos bien vite envolés. Un matin, tandis que son frère Jean parlait encore au milieu d'un groupe de familiers, il sortit de chez Maxim's. Et, lui qui ne marchait guère, refusa l'offre de l'un de ces cochers qui guettaient les clients de l'aube. Il éprouvait un sentiment mélangé, où de la tristesse se mêlait à l'évocation de joies futures et vagues que lui apporterait son impérieux besoin de créer. C'était comme une faim nouvelle qui s'annonçait avec le jour timide et frais se levant sur Paris. Il fit quel- ques pas en direction de la Madeleine. C'était l'heure où l'on enten- dait passer les lourdes voitures des laitiers aux roues cerclées de fer, que tiraient deux forts chevaux ; au martèlement de leurs sabots sur le pavé succédait le bruit des bidons de métal posés sans ménage- ment sur le trottoir devant les laiteries, et de ceux, vides, que l'on jetait à toute volée dans les voitures. Avant même d'atteindre la place de la Madeleine, le jeune Sacha héla un fiacre : il avait assez marché ! La place Vendôme était pro- che. Le cocher dut maugréer : c'était une bien petite course. Quand il s'arrêta devant le numéro 26, Sacha pensa à son frère qui allait poursuivre l'existence que, lui, abandonnait, s'étonnant de l'avoir jus- que-là menée et supportée et dont il sentait brusquement le poids. Il fal- lait être inconscient pour gaspiller ainsi les jours d'une vie ! Dessiner, peindre, jouer, écrire... que choisir ! Peindre avait été sa première vel- léité. Il en avait parlé à son grand-père qui lui avait dit : « Dessine d'abord. » Mais dessiner, pour lui, ne pouvait être, tout au plus, qu'une distraction, un moyen de noter la singularité, voire le ridicule des per- sonnes de son entourage. Jouer la comédie ? Son père lui en avait donné le goût quand il avait cinq ans, il avait voulu le retirer à l'adolescent, maintenant il décourageait le jeune homme. La nonchalance de Sa- cha avait caché jusqu'alors ses dons. Personne dans sa famille ne croyait en son avenir. On ne lui reconnaissait aucune aptitude. Jean, au contraire, avait éveillé quelques espoirs, on le disait mécanicien-né, parce qu'il démontait tout. L'ère de la machine commençait, la méca- nique, c'était l'avenir ! Et puis on s'aperçut que Jean qui démontait tout ne remontait rien, et qu'en vérité il n'était qu'un destructeur. Il mettait en péril tout ce qui était à sa portée, y compris sa vie, comme lorsqu'il s'amusait à passer d'une pièce à l'autre de l'appartement familial, en équilibre sur une mince corniche. Il semblait prévoir sa fin, la préparer. Il devait en effet périr dans un accident. En fait la famille ne croyait en aucun des deux frères. On se résignait devant leur inconscience, leur détachement de toutes choses, leur gaieté, dont on ne voyait pas ce qui la provoquait. Jules Renard note la gêne de Lucien Guitry quand, une nuit, il entre dans un café et y rencon- tre ses deux fils En 1904 encore il avouera, en présence de Jules Renard, à ses deux fils : « Ah ! comme vous avez mal arrangé ma vie 2 » Dans le courant de l'hiver 1903-1904, Sacha tente d'obtenir de son père quelques conseils après lui avoir fait part de sa décision : « Je 1. Journal, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 756. 2. Op. cit., p. 883. veux être acteur. » Il avait hésité à s'avouer qu'il voulait aussi être un auteur.

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