LE LONG DÉCLIN DES LIBÉRAUX FÉDÉRAUX AU QUÉBEC Michel C. Auger Les libéraux fédéraux ont entamé un lent déclin au Québec après le rapatriement de la Constitution effectué en 1982 sans le consentement de l’Assemblée nationale. Aux élections de 2006, ils n’ont remporté que 13 sièges sur 75, dont 12 dans la région montréalaise. Leur pire score depuis la Confédération. Selon Michel C. Auger, chroniqueur politique au journal Le Soleil, ils ont utilisé le Parti libéral du Québec pour faire campagne et recruter des candidats comme Pierre Pettigrew et Liza Frulla, mais ils ont prêté peu d’attention à la vision du fédéralisme du PLQ. Tant que les libéraux fédéraux n’arriveront pas à concilier ces visions contradictoires du pays, ils resteront le deuxième parti fédéral du Québec, derrière les conservateurs. The federal Liberals have been in a long decline in Quebec since the Constitution was re-patriated without the consent of the National Assembly in 1982. In the 2006 election, they won only 13 of Quebec’s 75 seats, all but one in the Montreal area, their worst score since Confederation. Michel C. Auger, political columnist of Le Soleil, writes that the federal Liberals have used the Quebec Liberal Party for recruiting candidates such as Pierre Pettigrew and Liza Frulla, and as a campaign machine in elections, but has paid little attention to the QLP when it comes to a vision of federalism. Until those competing visions of Canada are reconciled, he suggests the Liberals will be relegated to their current status as the second federal party from Quebec, behind the Conservatives. e 18 février 1980, les libéraux de Pierre Trudeau Sous Claude Ryan, le Parti libéral provincial s’était offi- récoltaient la victoire électorale la plus éclatante de leur ciellement objecté au rapatriement. Aucun chef libéral L histoire au Québec avec 74 des 75 sièges et une autre depuis ce temps n’a même songé à modifier cette position. encore plus remarquable avec 68 pour cent des voix. Quatre ans Il est essentiel de faire ce rappel historique parce qu’il plus tard, ils ne conservaient plus que 17 sièges et 35 pour cent est au cœur du lent et long déclin du Parti libéral du Canada des voix, une défaite dont ils ne se sont jamais vraiment relevés. au Québec, tout comme il pourrait être au cœur de son En fait, depuis le rapatriement unilatéral de la constitu- retour en force. tion en 1982, les libéraux n’ont jamais réussi à obtenir une majorité de sièges du Québec à la Chambre des communes. epuis 1984, les libéraux fédéraux n’ont plus été la pre- Et, le 23 janvier dernier, en n’obtenant plus que 13 sièges D mière force politique fédérale au Québec, mais ils ont (leur pire résultat de l’histoire) et, devenaient le second parti même eu du mal à être la première force fédéraliste au fédéraliste au Québec, derrière les conservateurs. Québec, n’y parvenant que par défaut, quand le Parti con- Bien sûr, ce résultat désastreux était une sanction de la servateur était trop faible pour gagner des sièges et faire une part des électeurs québécois pour le scandale des comman- différence. dites, mais ce serait une analyse beaucoup trop courte des Aujourd’hui, l’état du PLC-Q est lamentable. Le parti ne ennuis du Parti libéral du Canada au Québec. détient plus de sièges hors de la région de Montréal et Les ennuis du PLC au Québec ont commencé en 1982, l’Outaouais et, dans cette dernière région, des sièges his- lors du rapatriement, alors que, pour la première fois, il y a toriquement libéraux ont basculé soit vers les conservateurs, eu une brèche entre les libéraux fédéraux et la majorité des soit vers le Bloc québécois au scrutin de janvier 2006. fédéralistes québécois, incarnés surtout mais pas exclusive- Dans le Québec francophone, là où se trouve la majorité ment par le Parti libéral du Québec. des sièges, le PLC-Q n’existe pratiquement plus, ni en POLICY OPTIONS 53 NOVEMBER 2006 Michel C. Auger termes de membership, ni en termes Pourquoi un renversement aussi organisateurs provinciaux sur le ter- d’organisation, ni en termes de porte- rapide ? Parce que M. Harper a su aller rain, ils recrutaient allégrement leurs parole régionaux crédibles. chercher l’adhésion du courant majori- candidats au PLQ, mais ils n’écou- Il est impossible d’obtenir le nom- taire des fédéralistes au Québec, qui se taient pas vraiment ce que les libéraux bre de membres du Parti au Québec, retrouve au PLQ, un peu comme Brian du Québec avaient à dire. mais il est clair que la campagne au lea- Mulroney avait su aller chercher l’ap- dership actuelle, normalement le pui des troupes de Robert Bourassa en es années Chrétien ont été mar- meilleur moyen de recruter de nou- 1984 et 1988. L quées par un afflux important d’an- veaux membres, n’a pas apporté beau- Par la suite, quand Jean Chrétien a ciennes vedettes du PLQ, qui avaient coup de nouvelles adhésions. Notons, pris le pouvoir en 1993, ces libéraux été recrutées par le PLC. On pense ici à pour fins de comparaison, que la campagne au leader- Pendant les années Chrétien, la relation entre libéraux ship du Parti québécois, l’an fédéraux et provinciaux est devenue complexe et, parfois, dernier, avait permis à ce carrément étrange. Surtout après l’arrivée d’un ancien chef parti de doubler son nombre conservateur, Jean Charest, à la tête du PLQ. Les libéraux de membres en règle. L’organisation libérale fédéraux utilisaient les organisateurs provinciaux sur le terrain, est si ténue qu’on peut ils recrutaient allégrement leurs candidats au PLQ, mais ils retrouver 15 pour cent du n’écoutaient pas vraiment ce que les libéraux du Québec membership total des avaient à dire. libéraux fédéraux du Québec dans une seule circonscription élec- provinciaux plus nationalistes ont eu Lucienne Robillard, Liza Frulla, Yvon torale, celle de Bourassa, représentée par le sentiment d’être plus souvent uti- Charbonneau, George Farrah, Pierre le député Denis Coderre. Un membre lisés qu’entendus par le PLC-Q. Pettigrew (ancien chef de cabinet de du PLC-Q sur sept demeure donc dans Comme seule voix fédéraliste viable, le Claude Ryan), Denis Paradis (frère du cette seule circonscription du nord de PLC de Jean Chrétien pouvait compter député Pierre Paradis du PLQ), etc… Montréal. C’est le résultat d’un travail sur leurs votes, mais ils étaient Mais si M. Chrétien recrutait acharné par le député local, mais un rarement entendus sur le fond et sur parmi les membres du PLQ, il n’écou- bon exemple des ennuis du parti dans leur vision du fédéralisme. Parce que si tait pas souvent leur vision du fédéra- le reste du Québec. les libéraux fédéraux avaient abandon- lisme. Que ce soit pour des intrusions Les résultats électoraux de 2006 ne né toute velléité de réforme constitu- fédérales dans les champs de compé- mentent pas. Les conservateurs ont fait tionnelle ou du fonctionnement du tence provinciaux, comme les Bourses élire 10 députés au Québec, mais ils ont fédéralisme, ces réformes restaient un du millénaire, ou pour des manifesta- aussi obtenu la deuxième place dans plus objectif important pour la majorité des tions de fédéralisme musclé, comme la de 40 circonscriptions devenant ainsi le libéraux provinciaux. Loi sur la clarté référendaire. premier choix des électeurs fédéralistes. Pourtant, en juin 2004, les conservateurs ne anecdote montre bien com- ette loi était d’ailleurs devenue n’obtenaient que 9 pour cent des voix, U ment Jean Chrétien traitait ces C une sorte de symbole des diver- aucun député et ne terminaient au sec- questions. Il aimait à dire qu’il avait gences de vues entre les fédéralistes ond rang que dans deux circonscriptions rencontré un pêcheur à Gaspé qui lui québécois et ceux d’Ottawa. Parrainée de la région de Québec. avait dit « si vous ne nous parlez plus par Stéphane Dion — que M. Chrétien jamais de constitution, vous serez avait préféré à ceux qui étaient plus ien sûr, le scandale des commandites réélu pour le reste de votre vie ». proches du PLQ comme ministre des B n’est pas étranger à cette situation, M. Chrétien a continué à raconter Affaires intergouvernementales — la loi mais il faut noter qu’il a fallu un seul dis- cette histoire bien après que le comté a été dénoncée au Québec tant par les cours de Stephen Harper, à Québec, en de Gaspé eut élu un député du Bloc souverainistes que par les fédéralistes. décembre dernier, promettant un fédéra- québécois en 1993 et eut voté Oui au Ce n’était d’ailleurs pas la ques- lisme d’ouverture envers le Québec pour référendum de 1995. tion de la clarté référendaire qui embê- faire basculer dans son camp des Pendant les années Chrétien, la tait tant de monde au Québec, mais électeurs autrefois libéraux et qui cher- relation entre libéraux fédéraux et l’espèce de brevet de démocratie que le chaient manifestement une porte de sor- provinciaux est devenue complexe et, gouvernement fédéral se trouvait ainsi tie. Un peu comme, en 1984, il avait suffi parfois, carrément étrange. Surtout à s’autodécerner. d’un discours de Brian Mulroney à Baie- après l’arrivée d’un ancien chef conser- Dans l’esprit de la Loi sur la clarté, Comeau pour profondément altérer le vateur, Jean Charest, à la tête du PLQ. c’est au gouvernement fédéral et à lui cours de la campagne électorale. Les libéraux fédéraux utilisaient les seul de décider si le libellé de la 54 OPTIONS POLITIQUES NOVEMBRE 2006 Michel C.
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