Suspendu Au Sublime / La Lettre, Manoel De Oliveira]

Suspendu Au Sublime / La Lettre, Manoel De Oliveira]

Document generated on 09/28/2021 6:49 a.m. 24 images Suspendu au sublime La lettre, Manoel de Oliveira Jacques Kermabon Quand la culture devient marchandise Number 98-99, Fall 1999 URI: https://id.erudit.org/iderudit/25029ac See table of contents Publisher(s) 24/30 I/S ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital) Explore this journal Cite this review Kermabon, J. (1999). Review of [Suspendu au sublime / La lettre, Manoel de Oliveira]. 24 images, (98-99), 69–69. Tous droits réservés © 24 images, 1999 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ CANNES 1999 SUSPENDU AU SUBLIME PAR JACQUES KERMABON ongtemps après la projection demeure, L indélébile, le souvenir de l'irradiante beauté de Chiara Mastroianni. Cette beau­ té émane bien sûr de l'actrice elle-même, mais tient de la rencontre, orchestrée par Manoel de Oliveira, avec le personnage qu'elle incarne dans cette adaptation du roman de Madame de La Fayette, La prin­ cesse de Clives. Mademoiselle de Chartres devient Madame de Clèves en épousant un riche médecin subjugué par sa beauté. Elle ne l'aime pas et découvrira l'amour sous les traits de Pedro Abrunhosa, un chanteur à la mode, grand séducteur. Mais, quoique minée Madame de Clèves (Chiara Mastroianni). Une mise en scène qui est tout à la fois par cette passion, elle se refusera à cet hom­ brûlure intérieure et calme suprême. me par peur de s'engager et par fidélité à son mari ou à l'idée qu'elle se fait du mariage et même, film de dialogues, de confidences, nue, épouse pleinement ce sentiment. Chiara ce, alors même qu'elle est devenue veuve. d'aveux échangés dans des dispositifs parfois Mastroianni a raconté aux Cahiers du ciné­ Incroyable incongruité dans l'univers rhéâtraux — comme ces conversations sur ma (n° 535, mai 1999) la précision de la ordonné, tout en élégance feutrée d'Oliveira, un banc du jardin du Luxembourg, surpri­ direction d'Oliveira, indiquant chaque ges­ le film s'ouvre par un concert en plein air ses derrière un arbuste qui le jouxte —, La te, chaque déplacement. Elle évoque aussi la donné par le chanteur, sorte de Bernard lettre est entrecoupé de cartons narratifs difficulté du texte: «Cela revient à jouer Lavilliers lusitanien. Cette collision d'uni­ dans la plus pure tradition du muet. Ces avec un corset» et impose un jeu qui inter­ vers, comme le heurt entre le passé et le télescopages temporels, qu'on pourrait ne dit l'explosion, la délivrance des sentiments. présenr, donne le la du film. Si l'action se voir que comme la suprême négligence d'un On demeure suspendu au sublime de cette déroule dans une haute société contemporai­ artiste parfaitement maître de ses éléments, tension d'un autre âge, à laquelle fair écho ne, le dialogue a conservé l'élégant classicis­ interrogent nos mœurs à l'aune du passé. la maîtrise de la mise en scène, tout à la fois me de l'écriture du XVIIe. «Quel chemin a- Je me souviens d'un billet de Bertrand brûlure intérieure et calme suprême et qui t-il trouvé pour aller à votre cœur? Je m'étais Poirot-Delpech à propos des émois suscités donne cet éclat si particulier à Chiara Mas­ consolé en quelque sotte de ne l'avoit pas par les affaires de pédophilie. «Ce qui est troianni. Elle semble illuminée de l'inté- touché par la pensée qu'il était incapable de nouveau, écrivait-il, ce n'est pas le goût des l'être. Cependant un autre fait ce que je n'ai enfants {...), c'est l'effacement de toute bar­ pu faire. J'ai tout ensemble la jalousie d'un rière apprise entre nos pulsions, toutes répu­ mari et celle d'un amant.1» Cette musique tées légitimes, et leur accomplissement. 1. Ce dialogue, extrait du roman, n'est peut-être délicieusement surannée sonne comme un [...] Si la pièce La ville dont le prince est pas repris dans le film, mais vaut ici comme un «échantillon». langage atemporel dans la bouche d'Antoine un enfant a fait le tour du monde sans cho­ 2. Le Monde, 25 juin 1997. Chappey (M. de Clèves), de Chiara Mas­ quer, et même en édifiant, c'est que Mon­ troianni, de Françoise Fabian, sa mère, ou therlant n'y traitait pas seulement de la pé­ lorsque Madame de Clèves va se confier à une dérastie dans un collège religieux français du LA LETTRE amie d'enfance, devenue religieuse dans un début du siècle, mais de ce que le fait de s'in­ Portugal/France/Espagne 1999. Ré. et scé.: couvent (un personnage qui n'existe pas terdire certains gestes ou sentiments peut Manoel de Oliveira. Ph.: Emmanuel Machuel. dans le roman). Mais Oliveira s'amuse aus­ avoir de grand — de sublime, disaient les Mont.: Valérie Loiseleux. Int.: Chiara Mas­ si à faire entendre le décalage de ces mots au Classiques dans une langue perdue de vue.»2 troianni, Pedro Abrunhosa, Antoine Chap­ pey, Leonor Silveira, Françoise Fabian, Maria cœur d'ambiances plus naturalistes, comme Madame de Clèves s'interdit de vivre Joào Pires, Anny Romand, Luis Miguel Cintra. celle d'une intense circulation parisienne. De cet amout er la mise en scène, tout en rete­ 107 minutes. Couleur. 24 IMAGES N°98-99 69 .

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