ACADÉMIE DES SCIENCES D’ALBANIE SECTION DES SCIENCES SOCIALES STUDIA ALBANICA 2 XLVIIIe Année 2011 STUDIA ALBANICA _______ Conseil de Rédaction : Seit MANSAKU (Rédacteur en chef) Muzafer KORKUTI (Rédacteur en chef adjoint) Arben LESKAJ (Secrétaire scientifique) Francesco ALTIMARI Jorgo BULO Emin RIZA Shaban SINANI Marenglen VERLI Pëllumb XHUFI © 2011, Académie des Sciences d’Albanie ISSN 0585-5047 Académie des Sciences d’Albanie Section des Sciences sociales 7, place Fan S. Noli AL-1000 Tirana STUDIA ALBANICA 2011/2 Pëllumb XHUFI LA MACÉDOINE OCCIDENTALE DANS L’HISTOIRE DES ALBANAIS DU VIIe AU XVe SIÈCLE Les sources de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen-âge, bien que de façon brumeuse, parlent d’une nette séparation entre l’Illyrie et la Grèce. Ainsi, dans son ouvrage De Ædificiis, Procope de Césarée (VIe siècle) fait-il état d’un défilé (Κλεισούρα) au nord des Thermopyles, qui séparait d’après lui l’Illyrie de l’Hellade1. L’idée d’une « frontière » existant entre l’Illyrie et la Grèce du côté de la Macédoine du Sud-Ouest se trouve également matérialisée dans la Novelle 11 de Justinien, qui portait sur la création d’un nouveau centre dans l’Illyricum, Justiniana Prima, parallèlement à celui précédent de Thessalonique2. Des siècles plus tard, on trouve des éléments explicites concernant le tracé que suivait concrètement cette frontière. Ainsi, au XIVe siècle, Kastoria était-elle considérée comme faisant partie de l’Albanie (Castoria in partibus Albaniae)3. C’était l’extrémité orientale de ce qui, du XVIe jusqu’au début du XXe siècle, a été appelé dans un sens large l’Albanie Inférieure (Arbëni Poshtërë, Albania Inferior, Bassa Albania, Basse Albanie, Lower Albania, Κάτω Άλβανία)4. Là aussi, comme dans l’ensemble de la Macédoine, 1 Procopius Caesariensis, De Ædificiis (plus loin Proc., De Æd.), IV, 1, 3-4 et 11-14, éd. Haury, p. 103-104; Gilbert Dragon, « Les villes dans l’Illyricum protobyzantin », in Villes et Peuplement dans l’Illyricum Protobyzantin. Collection de l’École Française de Rome, 77, Rome, 1984, p. 3-4. 2 G. Dragon, « Les villes... », p. 3. 3 B. Krekić, Dubrovnik (Raguse) et le Levant, Paris, 1961, p. 229. 4 Pjetër Bogdani, Cuneus Prophetarum, Padova, 1685, éd. A. Omari, Ière partie, Tirana, 2005, p. 181 (Arbëni Poshtërë); Ph. Cluverius, Introductio in universam geographiam tam veteram quam novam, Guelferbyti, 1686, p. 387; G. Cantelli da Vignola, Albania detta anche Macedonia occidentale, Modena, 1689; Mauro Orbini, Il regno de gli Slavi, Pesaro, 1601, p. 148, 149; J. P. Bellaire, Précis des opérations générales de la division française du Levant, Paris, 1805; G. B. Depping, La Grèce ou description topographique de la Livadie, de la Morée et de l’Archipel, vol. Ier, Paris, 1823, p. 269 (l’ancienne Épire, ou Basse Albanie); J. C. 4 Pëllumb Xhufi les circonstances ethniques se sont compliquées particulièrement avec l’établissement des colonies slaves, à la suite les invasions des VIe- VIIe siècles. Toutefois, les régions occidentales se trouvaient à la périphérie des principaux couloirs de la descente des Slaves en direction de Thessalonique et de la Thrace, qui, dans le cas de la Macédoine, étaient les cours de la rivière Stroumitsa et du Vardar5. Les sources respectives ne donnent pas de témoignages directs de l’établissement des Slaves dans cette partie de la Macédoine Occidentale6. Nous savons qu’au VIIe siècle, la tribu slave des Dragoubites s’était installée dans l’espace entre Véria et Monastir7. Selon certaines opinions, les slaves Verzites se seraient établis plus à l’ouest de Monastir8. Même si les données faisant état d’un établissement de populations slaves dans cette partie de la Macédoine Occidentale sont isolées et, pour la plupart, non confirmées par d’autres sources, nous ne pouvons pas ignorer les données indirectes qui sous-entendent néanmoins une apparition de l’élément slave depuis ce temps-là même sur la bande entre le Vardar et les lacs d’Ohrid et de Prespa. Les sources byzantines attestent ainsi que divers empereurs byzantins, entre le VIIIe et le XIe siècle, ont effectué une déportation massive des populations slaves de cette zone, qui s’y étaient installées, paraît-il, à une période antérieure. L’Empire byzantin considérait ces expulsions comme une mesure indispensable pour sécuriser la circulation sur les voies qui conduisaient vers les Hobhouse, A journey through Albania, vol. I, London, s. a., p. 176; Panaïotis Aravantinos, Perigraphe tes Epeirou, vol. I, Joannina, 1984, p. 121 (Κάτω Άλβανία). Même dans le langage officiel d’Athènes, le terme Albanie Inférieure au sujet la vaste aire de l’Épire et de la Macédoine du Sud-Ouest a été en usage jusqu’en 1913, quand elle a été annexée à la fin des Guerres balkaniques. Voir Basilis Kondis, Ellenismos tou Boreiou Epeirou kai elleno-albanikes scheseis, vol. I (1897-1918), Athènes, 1995, p. 237. 5 P. Lemerle, Les plus anciens recueils des Miracles de Saint Demetrius et la pénétration des Slaves dans les Balkans, Paris, 1979, p. 175, 214, 229. 6 Kristo Frashëri, « L’appellation des Albanais au Haut Moyen Âge », in Studia Albanica, n°. 2, 2010, p. 5. 7 F. Barišić-B. Ferjančić, « Vesti Dimitrija Homatjana o vlasti Draguvita », in ZRVI, 20 (1981), p. 41-48; I. Dujčev, « Dragovista-Dragovitia », in REB, 22 (1964), p. 215-221. 8 G. Cankova-Petkova, « Über die Herkunft einiger slawischer Ethnonyme und Toponyme und ihre Bedeutung für das gesellschaft-politische Leben auf dem Balkan », in F. Winkelmann (Ed.), Byzanz im 7. Jahrhundert. Untersuchungen zur Herausbildung des Feudalismus, Berlin, 1978, p. 73-76. 4 La Macédoine Occidentale dans l’histoire des Albanais (VIIe-XVe s.) 5 centres principaux de Byzance, Thessalonique et Constantinople9. Toutefois, des communautés slaves considérables sont restées notamment dans la partie orientale et centrale de la Macédoine. Au début du XIIIe siècle, l’archevêque d’Ohrid Démétrios Chomatianos affirmait que le synode de sa diocèse était composé d’évêques « illyriens », mais aussi d’évêques « bulgares », sans cependant préciser où passait la ligne de démarcation de cette séparation ethnique10. Néanmoins, au XVe siècle, une sorte de frontière s’était tracée dans ces contrées entre les Albanais et les Slaves. Le chroniqueur Jean Muzaka déterminait à l’époque comme frontière de démarcation entre l’Albanie et la « Bulgarie » les hauteurs de Péristéri, à proximité de Monastir, ou plus exactement la source dite de Dobrida qui coulait de cette montagne (s’incontrarno in uno loco nomine la montagna di Peristeri, e lì v’è una fontana nominata Dobrida, e là se divide l’Albania dalla Bulgaria)11. Cependant, dès les débuts du XIIIe siècle, dans une correspondance épistolaire entre le métropolite de Naupacte, Jean Apokaukos, et Georges Bardanès, métropolite de Corfou, cette bande peu claire qui commençait quelque part au nord de Thessalonique et terminait sur le littoral de l’Épire, était appelée une part de l’Illyrie, alors que du point de vue d’une grécophone, en l’occurrence Apokaukos, la population locale était qualifiée de barbarophone12. Au XIVe siècle, les cartes des rois serbes pour les monastères de Tetovo et de Skopje mettent clairement en évidence la présence de l’élément albanais dans ces régions-là13. Les Albanais, identifié en 9 G. Ostrogorsky, Storia dell’Impero Bizantino, Torino, 1968, p. 154. 10 « πρόσεισιν ὑπερορίῳ συνόδῳ καὶ τῷ προκαθημένω ταύτης τῇ τῶν Ίλλυριῶν ἱεραρχῶν δηλαδὴ, τῇ καὶ τὴν τῶν Βουλγαρῶν, ὕστερον κληρωμένῃ ἐπίκλησιν », voir J. B. Pitra, Analecta sacra et classica Spicilegio Solesmensi parata, vol. VI, Paris-Roma, 1891, col. 579. 11 G. Musachi, “Genealogia dei Musachi”, in Ch. Hopf, Chroniques gréco- romanes inédites ou peu connues, Berlin, 1873, p. 281. 12 V. Vassilievskij, « Epirotica saeculi XIII », in Vizantijskij Vremjenik, 3 (1896), p. 248. 13 A. Solovjev, « Jedna srpska župa za vreme carstva », in Glasnik Skopskog Naučnog Drštva, III (1928), p. 31-32; G. Palikruševa-A. Stojanovski, « Etničkite priliki vo severozapadna Makedonija vo XV vek », in Jugoslovenski Istorijski Časopis, 1-2 (1970), p. 35; S. Gashi, « Prania e etnosit shqiptar », in 5 6 Pëllumb Xhufi tant que tels par leur ethnonyme « albanais » ou bien par le caractère explicitement albanais de leurs noms, figurent comme agriculteurs, éleveurs et soldats qui fréquentent le marché du monastère de Saint- Georges (à Skopje)14. La conclusion d’A. Ducellier semble ainsi bien fondée : « Dans le monde balkanique, au temps de la conquête turque et bien au-delà, l’espace albanais est donc à la fois très vaste et très morcelé, si l’on en excepte l’actuelle Albanie, la Kosova et bonne part de la Macédoine occidentale, où le peuplement albanais est très majoritaire »15. Au cours des siècles du Moyen Âge, la bande de territoires entre Ohrid et Monastir, au sud, et Dibra et Pollog, au nord, a été le théâtre de certains des développements les plus emblématiques de l’histoire des Albanais et de leurs rapports avec d’autres États et d’autres peuples. C’est vers Dibra et Ohrid que se prolongeaient les deux artères principales qui commençaient de la ville portuaire de Durrës et qui menaient en profondeur du territoire byzantin. Sous cet aspect, de nombreux faits de l’histoire politique, économique, culturelle et religieuse se développent dans un cercle géographique et humain qui comprend aussi bien Durrës et l’Arbanon (Ἄρβανον, Arbanum, Рабнь)16 que les régions plus à l’est, celles de Dibra, de Skopje, d’Ohrid, de Devoll, de Monastir ou de Kastoria. Sur l’aile méridionale, la défense de la vallée et de la ville de Devoll (Deabolis) elle-même représentait un impératif historique, afin Shqiptarët dhe trojet e tyre, Akademia e Shkencave e Republikës së Shqipërisë, Tirana, 1982, p. 257-258. 14 S. Novaković, Zakonski spomenici, Beograd, 1912, p. 620; Kristo Frashëri, « Trojet e shqiptarëve në shek.
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