Gustave Monod Unecertaine idée de l’école Gustave Monod 1 Premièredecouverture:photographie ©collection privée, famille Monod Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays ©Centre international d’études pédagogiques –juillet 2009 GustaveMonod Unecertaine idée de l’école Tristan Lecoq Annick Lederlé Inspecteur général de l’Éducation nationale Professeur d’histoire-géographie Professeur des universités associé (histoire) àl’Université de Paris Sorbonne Service du développement et Directeur du Centreinternational d’études pédagogiques (CIEP) de la communication (CIEP) Unecertaine idée de l’école Il est des hommes qui passent dans leur temps sans le comprendre. Il en est qui le comprennent, sans vouloir s’yengager.Ilenest enfin qui le comprennent et s’yengagent, en une forme singulièredesécularisation fondée sur une conscience de soi, des autres et du monde. GustaveMonod est de ceux-là. Issu d’une famille où la culture, la lecture, l’élan spirituel ne font qu’un, il aété, d’un bout à l’autredesalongue vie, un philosophe engagé. Adossé àunhéritage immatériel d’une élévation d’esprit peu commune, convaincu que « …lebonheur ne réside pas dans la liberté, mais dans l’accomplissement d’un devoir », pratiquant dans chacune de ses missions et chacune de ses fonctions publiques le libreexercice de l’intelligence responsable, il aura été un exemple pour beaucoup. Surtout, il ne se sera jamais trompé dans l’exercice, périlleuxentretous, de l’engagement. Il n’apas trente ans lorsqu’il s’engage pour servir sa patrie. Simple soldat, il sertdans l’infanterie. La « reine des batailles »!C’est en fait un long et lent calvairedequatreannées. En premièreligne, dans un des régiments les plus meurtris de toute la Grande guerre. Il sert, simple et solide. Il souffre. Il comprend. Sonengagement au service de l’école est de la même trempe. Il aura enseigné pendant vingt ans. Tous, Inspecteurs généraux,collègues, élèves en attestent :cen’est pas un enseignant comme les autres. Rigoureuxjusque dans l’expression d’une forme de passion froide pour la philosophie, distant àl’égarddes modes, attentif àl’éducation au moins autant qu’à l’instruction, Gustave Monod est un maître. De ceuxdont on se souvient. De ceuxque l’on suit. Sonengagement de haut fonctionnaireest de la même veine. Arrivé jusqu’au plus haut niveau des responsabilités, celles-là où s’estompe la division entrelepolitique et l’administratif,làoù la décision se prend, il fait preuvedelamême rigueur,delamême détermination, de la même indépendance d’esprit, dans la fidélitéàcequ’il croit juste pour les élèves et pour son temps. Au moment du Front populaireetdans l’immédiat après-guerre, il est là quand tout se joue. S’il ne réussit pas toujours àceque ses idées soient appliquées dans la durée, il participe àune remise en mouvement du système éducatif françaisqui fera date. Il acompris, plus tôt et plus que d’autres, qu’il faut apprendrecequi durepour comprendrece qui change. Sonengagement politique se situe dans la même ligne. Militant antifasciste de la premièreheure, il refuse d’êtreunrouage dans la machine que le régime de Vichymet en place, au cours des froides journées de novembre1940,anticipant une politique de persécutiondes Juifs que l’occupant ne lui amême pas imposée, ni suggérée. Les arguments qu’il évoque reposent sur un socle de convictions humanistes qu’une défaite militairenesuffit pas àaffadir.Elles resteront intactes pendant toute l’Occupation, au cours de sa résistance, parce que lui aussi est une figure de « l’illustreacharnement àn’êtrepas vaincu ». Gustave Monod 5 Unecertaine idée de l’école Lorsqu’au lendemain de la guerre, au milieu des ruines matérielles et morales, il est chargé des affaires d’enseignement, il fait preuvedelamême vision. Il sait qu’on ne construit pas un système éducatif sans connaître, ni comparer ce qui se passe et ce qui se joue ailleurs. D’emblée, il inscrit la rénovation de l’école dans cette perspective. D’un coup,ilpermet auxprofesseurs français et étrangers de se découvrir et de s’instruireenune féconde réciprocité. Dans le même mouvement, il entend que ce rapprochement s’effectue par la pédagogie, témoignantainsi et une fois de plus de sa fidélité de professeur àses origines :c’est la création du Centre international d’études pédagogiques, le 30juin 1945. Si faireson devoir n’est pas nécessairement simple, c’est de savoir où il se trouvequi trace une ligne entreles hommes. Durant le demi-siècle qu’il atraversé de sa vie, GustaveMonod aura été un veilleur fidèle et droit, un serviteur de l’État engagé, un acteur vigilant,bienveillant et opiniâtredes réformes de l’enseignement. Il ne s’est jamais trompé, auxmoments les plus excessifs et dans les choixles plus difficiles. Homme de fidélité, serviteur de l’État, passionné par la « pluralité des mondes »:l’exemple qu’il nous laisse est intact. 6 Gustave Monod Unecertaine idée de l’école GustaveMonod, un homme de fidélité Gustave Monod9 Unecertaine idée de l’école 1. GustaveMonod, un homme de fidélité Gustave(Adolphe, Alphonse) Monod est né le 30 GustaveMonod arriveàl’École des Roches en septembre1885 àMazamet dans une famille de 1911 pour yenseigner la philosophie. Il obtient pasteurs protestants. Il fait partie de la grande l’agrégation le 10août 1912. Pendant deux ans, famille Monod, dont plusieurs représentants il poursuit son initiation aux «méthodes actives » illustrent le patronyme :Gabriel, l’historien ; aux Roches, de 1912 à1914, en tant que «chef Gustave, le professeur de maison ». de médecine, son grand-père;Jacques, GustaveMonod se marie le 30juillet 1919, à le biochimiste, prix Saint-Cloud, avec Marguerite, Marie-Louise Nobel de médecine et Schweitzer.Née àNeuilly-sur-Seine en 1894, Théodore, naturaliste fille d’Auguste Schweitzer,négociant et de et grandvoyageur. Mathilde Hertlé, elle est la cousine germaine du docteur AlbertSchweitzer,fondateur de l’hôpital SonpèreErnest, Jean Lambaréné au Gabon, prix Nobel de la paix Monod, né en 1848, en 1952, et de la mèredeJean-Paul Sartre. pasteur àMazamet et àPau, est le fils du Gustave Monod en famille, 1923 docteur Gustave Monod, chirurgien des hôpitaux de Paris, né en 1802, un des fonda- teurs de l’Académie de chirurgie. Sa mère, Hélène de Heimann, est née en 1852. Il fait ses études primaires et secondaires à Roubaix et àPau (où il apour condisciple Alexis Léger,futur secrétairegénéral du ministèredes Affaires étrangères et futur Saint-John Perse) et obtient un baccalauréat ès lettres àBordeaux en Gustave Monod et ses enfants, 1925 1904;ilsuit des cours àlafaculté de lettres de Ilsont quatreenfants : Montpellier (licence ès lettres en 1906, diplôme François, Annette, Jean-PierreetOlivier. d’études supérieures de philosophie en 1907) puis àParis. Gustave Monod àl’École des Roches 1 « La famille Monod s’interroge et ne comprend pas ce séjour dans un établissement aux antipodes de la culturefamiliale. Il est possible que GustaveMonod ait découvertcette institution, engagée dans les méthodes actives et l’éducation nouvelle, par le biais d’un autreprotestant comme lui, Henri Trocmé, qui était chef de maison àson arrivée en 1911 ». Cité dans :Régis de Reyke, L’ École des Roches. Uneécole modèle, un modèle d’école,thèse sous la direction de M. CPociello, Université Paris XI, Orsay,2000,p.338 10 Gustave Monod Unecertaine idée de l’école L’École des Roches Fondée en 1899, en Normandie près de Verneuil-sur-Avre, par Edmond Demolins, cette école, privée et laïque àlafois, s’inscrit dans un projet pédagogique, celui de former de futures élites. S’inspirant des méthodes expérimentées dans les écoles nouvelles anglaises d'Abbotsholme et de Bedales, Edmond Demolins introduit le concept d’éducation nouvelle en France àunmoment où l’enseignement secondairefait l’objet de critiques sévères. Si l’éducation nouvelle se présente comme un laboratoirepédagogique d’avant-garde, elle reste indépendante de toute confession comme de l’État bien qu’inspirée des idées réformées. Le successeur d’Edmond Demolins, Georges Bertier,est un catholique fervent et pratiquant, professeur de philosophie, qui s’intéresse àlasociologie. Directeur de l’École des Roches àpartir de 1903, il modifie le projet initial. Les idéaux pédagogiques des Roches -responsabilisation de l’enfant, pédagogieadaptée àses besoins, importance des activités physiques et manuelles -partagés avec le mouvement de l’Éducation nouvelle, sont dès lors combinés àceux du système traditionnel français danslequel les humanités occupent une place consacrée. Il existe, en effet, des liens entreles praticiens de l’école publique et ceux de la «mouvance rocheuse »qui comprend une nébuleuse d’intellectuels conservateurs issus du milieu technocratique ou du catholicisme social dont une partie se retrouveàVichy. Uneautrecomposante provient d’une famille plus laïque et universitairedont GustaveMonod fait partie. Georges Bertier est la clé de voûte de cette relation. Il tisse des liens avec les grands commis de l’État qui vont jouer un rôle dans la réforme de l’enseignement dans la premièremoitié du XXe siècle. Il s’implique dans différentes organisations. Dès 1915, il fait partie du mouvement de l’Éducation nouvelle. En 1919, il adhèreaux «Compagnons de l’Université nouvelle », àlaLigue internationale de l’Éducation nouvelle en 1921. En 1928, il fait partie du Bureau français d’Éducation nouvelle. Il rencontreainsi les principaux acteurs du mouvement réformiste : Henri Piéron, Henri Wallon, Paul Langevin, AlbertChâtelet…. GustaveMonod reste très imprégné de l’expérience de l’École des Roches. Il continue às’y rendrejusqu’en 1921 en tant qu’inspecteur. À partir de 1934, il intègreleConseil d’administration de l’École et fait partie en 1936 des six membres du Comité de direction. « De son passage aux Roches, GustaveMonod découvrecequi resteral’objectif de toute sa vie :donner du sens àl’institution scolaireenlatransformant en une communauté éducativeoùl’autorité professorale s’efface devant l’autorité des règles de vie en collectivité, où l’enfant est appelé àprendredes initiatives et des responsabilités dans le cadred’une éducation de toute la personne. » 2 GustaveMonod souhaitera mettreenœuvrecette «révolution culturelle »aucœur de l’institution.
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