LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 22 JUIN 2001 LE FEUILLETON BÉNARÈS MUSIQUES DE PIERRE LEPAPE La chronique de Roger-Pol Droit John Cage, Premier tome page IV Maurice Ravel, du « Livre du Graal » Boby Lapointe, dans « La Pléiade » Hector Berlioz page II et l’« aventure hippie » DUMITRU TSEPENEAG SARTRE AVANT SARTRE page VII a page III page V Le Graal Le vaurien thaï « tâté des ténèbres qui allaient pour lui tout seul des choses incom- « avec relents de bouddhisme éter- mais il est incapable de chasteté, paralyser [son] cœur ». A ce jour, préhensibles. Il avait totalement A Bangkok, capitale nel » qu’elle lui prodigua, et qu’il en rut perpétuel. Obsédé par la Saneh Sangsuk n’a publié chez lui perdu la raison à partir du a trahie avec Kwan ; la pure faute originelle, otage de son qu’un seul de ses romans, à comp- moment où il avait décidé d’accep- de la libido, Nâtayâ, qu’il viola, poussa à « bust fucking », en proie à ses fré- te d’auteur, et ses traductions de ter sa défaite. » l’avortement, abandonna, et qui nésies comme l’était l’étrangleur Hemingway dans une maison Il est tentant de lier ce fasci- Saneh Sangsuk crie, mourut de désespoir, le « vagin de Fritz Lang dans M le Maudit,il d’édition qu’il a créée lui-même, nant petit récit d’initiation au pourri » ; Dâret, la « jeune fille bul- hurle sa douleur, implore une ne gueule, d’abord. Arunthaî. long monologue fiévreux et morti- en un long monologue le de savon », qu’il rendît si «heu- rémission du virus qui l’accable : Qui risque de rester mythique, Venin, court texte de jeunesse fère, cynique et pathétique, que fiévreux, la malédiction reuse Obladi oblada » mais dont il « Sauvez-moi de mes démons ! (…) Ucomme le premier cliché qui nous publié par Le Seuil, est donc iné- constitue L’Ombre blanche, se lassa ; Ittî, après le suicide de Je n’arrête pas de coucher avec tou- soit parvenu jadis de Jim Harri- dit en Asie. Sangsuk y exalte la deuxième volet d’une trilogie laquelle il devint vagabond. tes les femmes. » Il n’est pas inno- son, à l’époque où parut Légendes force morale d’un gamin de dix autobiographique, dont Sangsuk d’être, tel une bête Remords d’une « authentique cent que ce désir de sainteté (la d’automne, le montrant borgne, ans, paralysé du bras droit à la sui- a jusqu’à présent gardé secrets vermine ». fameuse « ombre blanche ») soit pas rasé, trogne à la Zapata. Né te d’une chute d’un palmier à les deux autres afin, dit-il, de ne sauvage, otage de Hemingway influence ce dur dépeint dans Bangkok, « capitale en 1957 au sud-est de Bangkok, sucre, poète précoce rêvant de pas choquer ses lecteurs. Dans qui pleure la nuit, comme Joyce, mondiale de la libido ».Lesexe, Saneh Sangsuk affiche sur cette devenir montreur de marionnet- L’Ombre blanche, que Sangsuk, ses pulsions sexuelles ses filouteries, ses extases devant ici, est le symptôme d’une fatali- photo son tempérament d’insou- en hommage à James les douces fleurs de crépuscule, té : « Le corps est le sanctuaire de mis. Cette image quasi clandesti- Joyce, a sous-titré des chiens qui hurlent et veulent ses pieds de nez à la ponctuation. Dieu », mais « on a beau se débar- ne est la seule que l’on ait de lui. Jean-Luc Douin « Portrait de l’artiste le mordre, d’un « chef d’orchestre Bangkok est labyrinthe de la rasser du serpent, il revient tou- Même son traducteur, Marcel en jeune vaurien », le démoniaque » torturé par des sou- déchéance, comme le fut Dublin jours s’enrouler autour de votre Barang, a dû s’en contenter. Ce tes, et qui, en hercule des con- narrateur évoque sa dette envers venirs « pareils à des fauves dans pour l’auteur d’Ulysse, que Sang- cou ». visage, qui semble emprunté à trées à bambou, terrasse un celui qui l’extirpa de son bled une cage obscure qui secouent les suk n’égale quand même pas. en « Pléiade » l’un des sept samouraïs de Kuro- cobra géant en un corps à corps natal, « village maudit ». Cet hom- barreaux pour être libres, qui sont Outre la variété des références VENIN sawa, est celui d’un fils de chef de furieux. Le serpent s’est enroulé me, son tuteur, un militaire, est ivres de colère et de ressentiment et (de Ray Bradbury à Deep Purple, (Assorrapit) village thaïlandais, jeune rebelle autour du torse de l’enfant invali- revenu de la guerre avec une rugissent à en faire trembler la ter- de Docteur Jivago – le film à de Saneh Sangsuk. placé à seize ans dans un camp de, qui serre de sa main gauche le jambe artificielle. « Du coup,écrit re », des souvenirs qui sont « par- Sophie Marceau), outre la poésie Traduit du thaï militaire au moment de la chute cou du reptile aux crocs mena- Sangsuk, je me sens comme un ser- fois comme des panthères, parfois brutale de ce flux verbal en gémis- par Marcel Barang, de la dictature, et qui intégra l’uni- çants. Lorsqu’il comprend que pent l’échine écrabouillée… » Un comme des lions ». sements et nostalgies, L’Ombre Seuil, 76 p., 40 F (7,48 ¤). versité d’Etat à dix-neuf ans pour personne ne lui viendra en aide, serpent venimeux. Il est passé L’homme, balafré « las et léthar- blanche tire son originalité de son en ressortir diplômé en langue et lorsqu’il sent ses forces l’abandon- dans la peau du mal. Ecrite dans gique », qui se dit chauve-souris, cri. « Tu as les pensées et le cœur L’OMBRE BLANCHE littérature anglaises. La mine ner et s’attend à être la proie de un refuge aux odeurs de moisi, « pitoyable jeune con », « tyran d’un animal » : cette prière, lita- (Ngao Sî Kâo) reflète un certain vertige existenti- la morsure hideuse, le petit hom- près du site d’un équarrisseur, imprévisible » revenu du diable nie, scande le récit, pétri de culpa- de Saneh Sangsuk. aliste, celui du cul-terreux ama- me pousse un cri strident, et L’Ombre blanche est la confession vauvert, demande pardon, répara- bilité, d’un ascète raté, un hom- Traduit du thaï teur des westerns de Lee Van lâche le cou de la bête. Le serpent d’une « bête sauvage », le gémisse- tion. Pour une faute commise à me perdu par ses pulsions. Sang- par Marcel Barang, Cliff, du fumeur de hasch, du vau- « était mort. Personne ne savait ment halluciné d’un pécheur en l’égard d’une femme, pour des suk admire Bouddha et Gandhi, Seuil, 492 p., 148 F (22,56 ¤). rien atteint de « cancer à l’âme », depuis quand ». La foule entoure quête de rédemption, « vil vicieux fautes commises à l’égard de nom- invitant à sa table « Satan, Nietzs- le héros estropié : « Ses yeux abominable, un salopard sans qua- breuses femmes « draguées jus- che, Beethoven Rimbaud, Lawren- étaient vitreux. Parfois il souriait. lité qui ne mérite que des épithètes qu’en enfer », et pour le gâchis ce d’Arabie, Ivan, le Terrible et le Parfois il éclatait de rire. Parfois il négatives ». Le chant funèbre, lors commis vis-à-vis de lui-même. Il marquis de Sade » après avoir pleurait. Parfois il marmonnait d’une nuit d’insomnie hantée par se dit « comme mort », à la veille de ses funérailles. Il s’adresse à celle qu’il aime, qu’il vient de tra- a hir en couchant avec sa meilleure amie. Son excuse ? Un besoin de « braver les interdits encore et encore, à en maculer le ciel la lune et les étoiles ». L’âme en dégéné- rescence, il raconte, avec rage, Sartre ses frasques d’adolescence et ses multiples trahisons. L’éducation à coups de canne, les rixes, débau- ches, les combats de coqs, coups de couteaux, les heures passées à la bibliothèque au temps de l’uni- versité et celles égrenées dans les bars à putes, le rejet des embriga- dements politiques assimilés à du « panurgisme » et la rencontre avec Nât, frère anticonformiste, Stephen Dedalus des cités à papillons, colosse auprès duquel il se sent si nabot qu’il tente de le poignarder, parce que l’ombre de ce modèle était devenue plus encombrante que sa propre essen- ce. Les libellules pullulent, les réfé- rences culturelles défilent, de Flaubert (« le Maître au verbe incomparable ») à Dali, Bellow, William Blake, Toscanini, Stra- vinski, Dostoïevski (« oppressant et logorrhéique »). Mais L’Ombre blanche est surtout un inventaire avant Sartre de maîtresses, lolitas, femmes aimées et bafouées, celles des bars à gogo aux « obscénités con- cul-pissantes », ou solitaires «au cœur brisé, qui vernissent de gaieté feinte leur esseulement d’oiseau loin du nid ». Outre Kangsadâne, la fille de la confiserie, pétrie de culture russe, dont il retrace lon- guement, lyrique, les paradis SEUIL www.lemonde.fr 57e ANNÉE – Nº 17544 – 7,50 F - 1,14 EURO FRANCE MÉTROPOLITAINE -- VENDREDI 22 JUIN 2001 FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI Peine Présidentielle : des Verts encore plus Verts de mort b Le parti écologiste choisit Alain Lipietz pour défendre ses couleurs à la présidentielle de 2002 a Congrès mondial b Le candidat entend incarner la « gauche critique » et « l’autonomie » de sa formation à Strasbourg face aux socialistes b Certains de ses amis redoutent qu’il ne mène une « campagne gauchiste » pour l’arrêt LES VERTS ont investi, mercredi premier tour. Adhérent du parti éco- rité ne peut pas gagner sans les ner la « gauche critique » et « l’auto- 20 juin, Alain Lipietz pour être leur logiste depuis 1988, polytechnicien, Verts.
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