1. Résultats et Discussion 96 Cette troisième section rassemble les résultats obtenus au cours de ce travail. Une première étude a été consacrée à une enquête ethnobotanique qui nous a permis de sélectionner les plantes les plus souvent citées par les tradipraticiens comme ayant des propriétés dépigmentantes. Une deuxième enquête s’est focalisée sur les pratiques de la dépigmentation volontaire dans la ville de Kigali et a permis de constater un usage fréquent et intensif d’agents dépigmentants souvent déviés de leur usage strictement médical. Dans la troisième partie du travail, différents extraits de plantes sélectionnées par la première étude ont été évaluées quant à leur effet modulateur de la pigmentation en utilisant différentes approches. Les meilleurs extraits ont ensuite subi un fractionnement bioguidé, l’extrait à l’acétate d’éthyle de Protea madiensis et de Sesamum angolense en particulier. Le but en était double : identifier les molécules actives présentes dans les différents extraits dans l’espoir d’en trouver non décrites jusqu’ici et de proposer l’utilisation de préparations efficaces et non toxiques à base d’extraits de plantes pour concurrencer voire supplanter l’utilisation incontrôlée de molécules chimiques dépigmentantes. 97 ARTICLE 1: An ethnobotanical survey of medicinal plants used in Rwanda for voluntary depigmentation Léocadie Kamagaju, Elias Bizuru, Védaste Minani, Renato Morandini, Caroline Stévigny, Ghanen Ghanem, Pierre Duez Publié dans Journal of Ethnopharmacology150 (2013) 708–717 98 4.1. Enquête ethnobotanique sur les plantes médicinales utilisées au Rwanda pour la dépigmentation volontaire. Cette enquête nous a permis de rassembler les plantes utilisées au Rwanda pour la dépigmentation volontaire et de sélectionner les plantes à étudier au laboratoire dans le but d’isoler des molécules dépigmentantes. L’enquête a été menée dans dix districts du Rwanda (Huye, Muhanga, Rusizi, Rubavu, Musanze, Gicumbi, Bugesera, Nyagatare, Nyarugenge et Gasabo) choisis de façon à couvrir les réalités de la médicine traditionnelle sur tout le territoire national. Le Rwanda est un petit pays d’Afrique centrale, composé de cinq provinces (Nord, Sud, Est, Ouest et la Ville de Kigali), nous avons donc choisi 2 districts par province. Les tradipraticiens ont été choisis au sein de leurs associations professionnelles. En effet, au Rwanda, les tradipraticiens sont organisés en associations sous la supervision du Ministère de la Santé en Collaboration avec l’Institut de Recherche Scientifique et Technologique (IRST). Chaque association nous a proposé un ou plusieurs représentants censés connaître la dépigmentation volontaire et pouvoir nous indiquer les plantes qu’ils utilisent ainsi que celles utilisées par d’autres membres de leur association. Nous avons retenu au final 5 tradipraticiens par district. Dans trois districts où il n’y avait pas d’association de tradipraticiens (Rusizi, Nyagatare, Gicumbi), cinq tradipraticiens ont été choisis suivant leur réputation locale d’utilisation de plantes à des fins cosmétiques. La dépigmentation volontaire étant à priori pratiquée en ville, nous avons retenu 11 autres tradipraticiens dans la ville de Kigali. Nous avons donc interrogé 61 tradipraticiens parmi lesquels les femmes âgées étaient plus nombreuses (62 %). La dépigmentation volontaire concerne, effectivement plutôt les femmes que les hommes. D’autre part, au Rwanda, la majorité des tradipraticiens se situe entre 41 et 70 ans ; donc la médecine traditionnelle n’intéresse que peu les jeunes, ce qui constitue un facteur de risque quant à sa disparition. D’après, les tradipraticiens, les gens qui se dépigmentent aujourd’hui n’utilisent pas les plantes, mais préfèrent des produits blanchissants qu’ils trouvent sur le marché. Les tradipraticiens nous ont donc indiqué, soit les plantes qui étaient utilisées quand ils étaient encore jeunes ou bien des plantes qui ont des usages en médecine traditionnelle contre les maladies de la peau pigmentantes 99 (élimination des taches hyperpigmentées). Les tradipraticiens intérrogés ont une expérience de plus de dix ans, ce qui constitue un avantage quant à la fiabilité des informations reçues auprès d’eux. Nous avons inventorié au final 28 plantes appartenant à 19 familles1. Ces plantes sont, assez curieusement, utilisées toutes seules, ce qui est assez rare en médecine traditionnelle. La famille des Fabaceae apparait la plus représentée ; ce constat est en accord avec la littérature qui mentionne 51 plantes de la famille des Fabaceae ayant soit des usages traditionnels en cosmétique ou contre les problèmes de la peau, soit des propriétés d’inhibition de la tyrosinase et/ou de la mélanogenèse2. Pour toutes les plantes citées, les tradipraticiens nous ont donné le nom vernaculaire, ainsi qu’une partie aérienne de la plante. Ces deux informations nous ont permis, à l’aide d’un collègue botaniste et des herbiers présents à l’Herbarium National du Rwanda (NHR), d’identifier les différentes plantes3. Ce travail nous a également permis de connaître le point de vue des tradipraticiens sur la dépigmentation volontaire. Les tradipraticiens estiment que les adeptes de la dépigmentation volontaire ne s’intéressent plus aux plantes. Ils préfèrent les produits vendus sur le marché car ces derniers éclaircissent plus vite que les plantes. Les 5 plantes retenues pour ce travail sont celles ayant reçu un pourcentage de citation supérieur ou égal à 50 %. Ces plantes seront étudiées au laboratoire pour vérifier leur effet sur le processus de biosynthèse de la mélanine. 1 Les noms scientifiques, vernaculaires, la partie utilisée et les herbiers consultés sont donnés dans le tableau 2 du premier article. 2 Les différentes plantes, les parties utilisées et le test ou non sur la tyrosinase sont donnés dans le tableau 3 du premier article. 3 Le Tableau 1 du premier article, nous donne les différentes parties de plante récoltées en présence du tradipraticien, les critères d’identification à partir de ces parties reçues et les références bibliographiques indiquant la correspondance nom vernaculaire - noms scientifique. 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 ARTICLE 2: Survey on Skin Lightening Practices and Cosmetics in Kigali, Rwanda Léocadie Kamagaju, Françoise Gahongayire, Renato Morandini, Caroline Stévigny, Ghanen Ghanem, Pirotte Gauttier, Pierre Duez Publié dans International Journal of Dermatology (en cours) 112 4.2. Enquête sur les pratiques de la dépigmentation volontaire et cosmétiques dans la ville de Kigali, au Rwanda. Comme c’est le cas dans de nombreuses régions du monde, la dépigmentation volontaire est une pratique bien connue en Afrique sub-saharienne. Différents enquêtes menées dans plusieurs pays (Sénégal, Mali, Togo, Tanzanie,……) ont permis de mettre en lumière la problématique de la dépigmentation volontaire. Au Rwanda, la pratique existe aussi et est intitulée ‘Kwitukuza’. Elle apparaît bien répandue mais, à notre connaissance, aucune étude n’a été réalisée à ce jour sur cette pratique au Rwanda. Nous avons donc mené une enquête dans la ville de Kigali. Celle-ci a débuté chez les vendeurs des produits cosmétiques dans le but d’identifier les crèmes dépigmentantes vendues sur le marché Rwandais. Après avoir identifié ces crèmes, nous avons à l’aide d’un questionnaire d’enquête (annexe 5), interrogé une série de personnes sur leur lieu de travail. La disponibilité et la volonté de participer à l’enquête étaient les seuls critères d’inclusion. Notre population d’étude est composée de 150 personnes dont 120 femmes et 30 hommes. En effet, les femmes sont plus concernées par la dépigmentation volontaire que les hommes. L’âge de notre population d’étude varie de 15 à 60 ans. Ce choix a été fait en se référant à la littérature qui stipule que la dépigmentation volontaire commence à la fin de l’adolescence (Morand et al., 2007). Le profil professionnel de notre population d’étude est diversifié. Nous avons 65 étudiants, 10 conducteurs de taxi-moto, 35 employés, 19 commerçants et tailleurs et 21 cultivateurs et chômeurs. Pour pourvoir entrer directement en contact avec les adeptes de la dépigmentation volontaire mais aussi apprécier les effets secondaires éventuels liés à cette pratique, nous avons contacté 3 dermatologues, 5 médecins généralistes et 8 infirmiers à l’aide d’un questionnaire spécifique (annexe 5). Enfin une étude sociologique des motivations des adolescents (15 à 20 ans) a été réalisée dans deux écoles secondaires et deux centres d’accueil, un pour les orphelins et un autre pour les enfants de la rue. Les critères d'inclusion étaient basés sur l'utilisation actuelle de cosmétiques qui comprennent des actifs dépigmentants. Cette étude nous a permis d’avoir une approche sociologique des adolescents sur cette pratique. 113 Trente cinq pourcent (35 %) de notre population d’étude utilisent des produits qui comprennent des actifs dépigmentants et 27% déclarent utiliser le produit dépigmentant pour ses propriétés dépigmentantes. Les autres ont été entraînés à utiliser la crème mais ne semblent pas chercher nécessairement son activité dépigmentante. C’est le cas des hommes qui utilisent les crèmes de leurs femmes sans savoir si elles sont ou non dépigmentantes. Nous estimons donc que la proportion des pratiquants de la dépigmentation volontaire à Kigali atteint 27 %. Ce pourcentage ne s’écarte pas de celui qu’on rencontre dans d’autres pays comme le Sénégal (Raynaud et al., 2001) et à Mayotte (Levang et al., 2009). Notre enquête nous montre aussi que la dépigmentation volontaire est influencée par plusieurs facteurs, entre autres le lieu de naissance. En effet, 55,8 % des utilisateurs de produits dépigmentants sont nés et ont grandi dans des villages et sont venus à Kigali après. De cela, nous déduisons que, arrivés en ville, ces gens veulent ressembler aux citadins en essayant de cacher leur origine. En effet, dans les villages, les gens travaillent plus au dehors (dans les champs) et sont donc plus exposés au soleil. Plus foncés que les citadins qui, eux, sont moins exposés au soleil (travail dans les bureaux) ils tendraient à vouloir s’éclaircir. Nous avons la même observation pour les gens nés à Kigali mais qui eux font des travaux qui les exposent au soleil.
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