NAPOLÉON ET SA FAMILLE VOLUME PREMIER. — 1769-1802 FRÉDÉRIC MASSON de l'Académie Française PARIS - OLLENDORF - 1907. AVANT-PROPOS DE LA NEUVIÈME ÉDITION. INTRODUCTION. I. — LES DÉBUTS. II . — L'EXIL. III . LA CONQUÊTE DE L'ITALIE. IV . — PENDANT L'EXPÉDITION D'ÉGYPTE. V. — LE DIX-HUIT BRUMAIRE. VI . — LA PREMIÈRE ANNÉE DU CONSULAT. VII . — LE MARIAGE DHORTENSE. APPENDICE AUX CHAPITRES IV ET V. AVANT-PROPOS DE LA NEUVIÈME ÉDITION. En réimprimant ce volume, je puis une fois de plus profiter de notions nouvelles. Des documents, que d'heureux hasards ont mis entre mes mains, ont rectifié, complété, — pourquoi ne pas le dire — révélé à mes yeux le rôle politique de Joseph et de Lucien Bonaparte, en l'an VI et l'an VII. Ce n'est encore qu'une partie de la vérité peut-être, mais combien étonnante ! Il s'agit de l'établissement, de l'exercice, de la chute et de la restauration de la domination du clan en Corse. Il s'agit de la répercussion que ces événements de Corse, demeurés inconnus jusqu'ici et dont nul historien insulaire rie semble avoir rendu compte, ont exercée sur la politique générale et non seulement sur le Coup d'État du 30 prairial, mais encore sur les événements de Brumaire. Lorsque les premiers de ces documents sont venus entre mes mains, les faits qu'ils relataient m'ont paru à ce point étranges que j'étais près d'en douter, mais lorsque, au compte rendu de l'Administration centrale du Liamone, j'ai pu joindre certaines lettres du général l'aubois, commandant la division de Corse en l'an VI, les papiers du colonel flamand, commandant la place et la citadelle d'Ajaccio en l'an VI et l'an VII, le copie-lettres de la deuxième administration départementale en l'an vu, enfin la correspondance des Bonaparte avec le commissaire du Directoire Costa, de l'an VI à l'an xiv, il m'a été permis de penser que je tenais, sinon toute la vérité, au moins assez de vérité pour être obligé d'en faire part au public. Un livre tel que celui-ci, qui se propose pour objet d'exposer sans réticence les actes de personnages dont les débuts furent obscurs et dont l'existence fut d'abord mystérieuse, ne saurait prétendre à serrer du premier coup les faits. C'est déjà beaucoup qu'il en indique la succession et qu'il pose justement un certain nombre de points d'interrogation. Sur des bribes de documents que j'avais recueillies, j'avais noté, dans le chapitre V, les inquiétudes qu'avait prises Joseph des persécutions dirigées contre les amis de sa famille j'avais soupçonné une sorte d'embarras dans la fougueuse éloquence de Lucien ; mais la raison ou le prétexte échappait et, les documents faisant défaut dans les Archives publiques, la liaison des faits ne pouvait être restituée que grâce à des bonnes fortunes surprenantes. Elles se sont rencontrées, et, venues de quatre sources différentes et mal tendues, des pièces authentiques m'ont permis d'établir ma conviction. Sans doute, Napoléon ne parait point ici en personne. En l'an VI et l'an VII, il est en Égypte et l'on peut croire qu'à partir de l'an III, le théâtre de Corse l'a laissé assez indifférent. C'est ailleurs qu'il se proposait de jouer son rôle — et il l'y a joué. Mais peut-on ici le séparer de ses frères et peut-on séparer ceux-ci de la Corse ? A proportion qu'on pénètre davantage dans les origines du Consulat, l'on trouve que Joseph et Lucien ont pris à la préparation des événements une part majeure. Dès à présent, l'on est, d'accord pour reconnaître que, sans Lucien, les journées de Brumaire étaient impossibles. Peut-être sera-t-on amené à discerner mieux la part qu'y a prise Joseph : mais, en se tenant à ce qui est acquis, en admettant simplement ce qui appartient à Lucien, n'apparaît-il pas que si Lucien a fait Brumaire, si Brumaire eût échoué sans Lucien, Brumaire n'eût pu même être tenté si, neuf mois auparavant, Lucien avait été renversé de son piédestal, et ce piédestal, c'était la Corse. Insurgée, peut-on dire, contre la domination que, grâce aux victoires de Napoléon, les Bonaparte y avaient établie à leur profit et au profit de leur clan, la portion de Corse que les Bonaparte s'étaient réservée les avait violemment rejetés ; leurs amis, qui y étaient en minorité, étaient accusés et emprisonnés ; Lucien courait le risque d'être déshonoré, dénoncé, exclus des Conseils, destitué de son mandat. Il fut sauvé par le Coup d'État du 30 prairial ; en même temps, il sauva ses amis corses et raffermit son piédestal. Ainsi se trouva-t-il prêt à paraître en Brumaire. Faut-il croire, dès lors, qu'au changement du Directoire il influa autant qu'il l'a dit dans ses mémoires — en donnant certes à sa conduite des mobiles différents ? Faut-il croire que cette affaire du Liamone, minuscule pour les Directeurs, capitale pour Lucien, devint la cause efficiente de la chute de Merlin et de Revellière ? Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas croire que Lucien rechercha, réunit, associa des intérêts lésés, comme les siens, par les Directeurs et qu'il se rendit, avec Joseph, demeuré dans la coulisse, l'instigateur de cette révolution dont il devait profiter le premier ? L'on ne saurait guère en douter et, par là même, l'histoire s'éclaire et une partie de vérité, demeurée inconnue, apparaît. Ce livre ne vaut que par la sincérité que j'y porte : aussi ai-je tenu, dès maintenant, à publier le récit qui forme l'appendice du présent volume. Plus tard, lorsque, du livre terminé, j'essaierai de donner une édition définitive, je refondrai sans doute ces éléments dans les chapitres IV et V, mais, pour atteindre un tel but et rédiger les quatre derniers volumes, il faut encore bien des jours. Ai-je le droit de les escompter ? Sauf les fautes que je corrige et les indications nouvelles que j'intercale, je prétends laisser à ces volumes leur physionomie première jusqu'au moment où je pourrai les reprendre d'une haleine, afin de faire profiter cette enquête de toutes les ressources que je me serai procurées ; cette fois pourtant, ce n'est point par une note ajoutée ou par le changement de quelques lignes que je pourrais donner satisfaction à ma conscience d'historien et, au risque de démentir dans l'appendice ce que j'ai écrit dans le texte, je livre au public ce que j'ai trouvé. F. M. Mai 1904. INTRODUCTION. Lorsque, il y a trois ans, je publiai la première de ces études sur Napoléon, l'ensemble que je prétendais composer, m'apparaissait avec cette fausse rigueur qui résulte d'ordinaire des jugements a priori. Voulant rendre compte des sensations, des sentiments, des jugements de Napoléon en ce qui touche la femme, il me semblait tout simple et assez aisé, après avoir indiqué comment l'amour l'impressionnait moralement et physiquement, de rechercher quel homme il s'était montré dans ses relations avec les femmes de sa famille et de quelle façon il avait exercé son affectivité sur les êtres qui lui tenaient par le sang. Plus tard, dans une troisième étude, j'aurais essayé de déterminer quelles idées générales il avait reçues, apportées et laissées sur la femme, être social , dans les institutions, les lois et les mœurs ; quelle place il lui avait ménagée dans sa hiérarchie et quelle doctrine il convenait de tirer de ses paroles et de ses actes. Donc, dans le présent livre, je croyais uniquement avoir à envisager les rapports de Napoléon avec sa mère, ses sœurs, ses belles-sœurs, ses filles et belles-filles adoptives, la conduite qu'il avait tenue à leur égard, les sentiments qu'il avait montrés, les actes par lesquels il les avait signalés, et de cette étude devait sortir une notion de l' ère sentimental , complétant la notion de l' ère sensationnel . Mais la fausseté de cette conception m'est apparue dès que j'ai tenté de passer à l'exécution : à mesure que je classais nies notes et que j'y recherchais des éléments de conviction, à mesure que j'essorais de recarder vivre et agir ces êtres, je constatais d'une part l'ignorance absolue où l'on est resté de leurs mobiles et de leur action ; par suite. la nécessité d'en rendre un compte plus détaillé ; puis, l'impossibilité de distraire du drame ceux qui en étaient les protagonistes, qui y fournissaient les scènes les plus vives, qui occupaient le plus fréquemment le théâtre aux côtés du héros principal, dont les actes avaient exercé le plus d'influence sur ses résolutions et se trouvaient être la cause efficiente des agitations féminines. Sous peine de donner des caractères une idée incomplète et fausse, de bâtit : sur le néant documentaire des théories hasardées dont il eût été impossible de suivre le développement, il fallait mettre en ligne tous les personnages de la famille, aussi bien les deux femmes que Napoléon a épousées que ses frères et que son fils adoptif. Il a donc fallu reprendre en sous-œuvre la bâtisse entière, et d'abord s'assurer pour chacun des êtres d'une biographie à peu près exacte, ou tout le moins d'un itinéraire, en relevant des dates certaines sur des pièces authentiques ; puis, pour donner quelque vie à ces squelettes, il a fallu recueillir le plus possible de ces menus faits jusqu'ici dédaignés ou ignorés de l'histoire, qui ne paraissent avoir été notés que par hasard et qui reçoivent leur seul intérêt du groupement qu'on en peut faire, de la relation qui s'établit entre eux et de la suite qu'ils prennent entre ces biographies, il a convenu d'établir un synchronisme précis qui s'est trouvé jeter un jour nouveau sur les hommes et sur les événements et qui a permis peut-être de retrouver, en certains cas, des vérités à dessein obscurcies.
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