Université Lumière Lyon 2 Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l'Art, Archéologie, Tourisme École doctorale en Sciences Sociales 483 Centre Histoire, Archéologie, Littératures des mondes médiévaux (CIHAM-UMR 5648) Jérémie Rabiot Écrire, comprendre et expliquer l'histoire de son temps au XIVe siècle I I Traduction des Livres XI à XIII de la Nuova cronica de Giovanni Villani Thèse pour l'obtention du Doctorat en Histoire médiévale Sous la direction de M. Jean-Louis Gaulin, professeur à l'Université Lumière Lyon 2 Soutenue publiquement à Lyon, le 28 novembre 2015, devant un jury constitué de : M. Jean-Patrice Boudet, professeur à l'Université d'Orléans M. Jean-Louis Gaulin, professeur à l'Université Lumière Lyon 2 M. Patrick Gilli, professeur à l'Université Paul-Valéry Montpellier 3 M. Giuliano Milani, professore aggregato alla Sapienza Università di Roma Mme Laurence Moulinier-Brogi, professeur à l'Université Lumière Lyon 2 M. Massimo Vallerani, professore all'Università degli Studi di Torino 1 2 INTRODUCTION À LA TRADUCTION Nous avons choisi, pour mener cette traduction, de nous baser sur l'édition critique de Giuseppe Porta (1991), la plus récente et certainement la plus fiable. Toutefois, les choix philologiques et éditoriaux de l'éditeur (déjà discutés dans notre travail, et sur lesquels il ne convient donc pas de revenir ici) poussaient l'éditeur à proposer un texte expurgé de ses variantes. Et si, dans la plupart des cas, ces choix s'avéraient judicieux et lavaient le texte des erreurs et ajouts de copistes, d'autres nous sont parus moins heureux, privant le lecteur de précieuses suggestions. Aussi avons-nous décidé de compléter le texte par d'autres éditions et d'indiquer, en note de bas de page ou par des crochets, les variantes et ajouts relevés dans les éditions Magheri (1823) et Lloyd (1857). D'un usage capital fut pour nous le Vocabolario degli Accademici della Crusca, l'un des plus anciens dictionnaire de langue italienne (1612), dont l'Ecole normale supérieure de Pise a produit une précieuse version en ligne1. Remarquable travail de lexicographie, le dictionnaire fut composée par la première génération des linguistes italiens, qui étaient désireux de retrouver la pureté de la « langue des origines ». Leur travail s'appuyait ainsi en grande partie sur les chefs-d'œuvre de la première littérature en langue vulgaire et, pour notre chance, accordait une grande place à la Nuova cronica – laquelle participa ainsi à fixer la langue italienne moderne et à faire du toscan la langue des Italiens. D'une aide non négligeable fut également le Tesoro della lingua italiana delle origini, dont la publication en ligne, menée progressivement depuis 1997 par l'Istituto Opera del Vocabolario Italiano, est aujourd'hui relativement complète2. Pour la langue française, l'outil de référence fut pour nous le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), formidable portail 1 Scuola Normale Superiore di Pisa, Vocabolario degli Accademici della Crusca [en ligne] : http://vocabolario.sns.it (consulté le 25 mai 2015). 2 Istituto Opera del Vocabolario Italiano, Tesoro della lingua italiana delle origini [en ligne] : http://tlio.ovi.cnr.it (consulté le 25 mai 2015). 3 lexical mis en ligne par le CNRS et donnant accès à près d'une dizaine de dictionnaires et encyclopédies3. Enfin, d'autres outils sont venus appuyer ponctuellement notre traduction, comme le Dizionario geografico fisico storico della Toscana d'Emanuele Repetti, mis en ligne par le département d'archéologie de l'Université de Sienne4. À propos du style de l'auteur Si le Trecento a donné à l'Italie quelques-unes de ses plus belles plumes, et si Florence a vu à cette même époque naître ou mourir ses plus illustres poètes, autant annoncer d'emblée que Giovanni Villani ne compta pas parmi ceux-là. La Nuova cronica ne brille pas, en effet, par ses qualités littéraires. Elle obéit en revanche aux caractéristiques de la prosa cronachistica, typique de l'écriture de l'histoire en langue vulgaire. Dans la Nuova cronica, le style est essentiellement narratif, et l'attention portée sur le fait plutôt que sur l'analyse ou l'interprétation. Le vocabulaire, dans l'ensemble plutôt pauvre et répétitif, est essentiellement un vocabulaire de l'action. L'écriture est également caractérisée par le style accumulatif et énumératif. Homme de chiffres plus que de lettres, Villani compte tout, et le texte abonde ainsi en données chiffrées : décompte des morts et des prisonniers, montant des gabelles, coût des dégâts. On pensera évidemment au tableau comptable des recettes et des dépenses de la Commune (XII 91-94), véritable mine d'or pour l'historien de l'économie, mais qui ne possède pas pour autant la poésie d'un inventaire à la Prévert. Fidèle à la prosa cronachistica, qui possède certaines caractéristiques de l'oralité, le chroniqueur privilégie ainsi les participes passés et les gérondifs absolus. Il en résulte parfois des phrases très longues, dont la compréhension est rendue plus ardue encore, dans les manuscrits, par l'absence de ponctuation. Chaque phrase se rattache ainsi à la précédente par une conjonction cumulative (e ou poi), tandis que chaque séquence grammaticale est potentiellement l'objet d'un développement autonome, s'étirant ainsi en longueur en suivant patiemment les multiples ramifications de la pensée du chroniqueur. Le style répétitif s'exprime enfin par une prédilection toute médiévale pour les séquences synonymiques : Villani admire l'habit « riche et puissant » 3 CNRS, Centre national de ressources textuelles et lexicales [en ligne] : http://www.cnrtl.fr/ (consulté le 25 mai 2015). 4 Università degli Studi di Siena, Dizionario geografico fisico storico della Toscana [en ligne] : http://www.archeogr.unisi.it/repetti/paginerep/ricerche.php (consulté le 25 mai 2015). 4 (ricco e potente), fustige la loi « âpre et cruelle » (aspra e crudele), décrit les « bastions ou bastides » (battifolli, overo bastite) et compte les « cogues ou navires » (cocche, overo navi). Toutefois, l'élément littéraire n'est pas totalement absent. On note également un certain goût pour le proverbe (XIII 16), le bon mot (XIII 59), voire même l'ironie. Et dans les derniers livres, le chroniqueur se laisse parfois aller à quelques tentatives lyriques, qui prennent généralement la forme de complaintes (XIII 44) ou d'exhortations (XII 92) et dans lesquelles pointe une influence dantesque. On pensera ainsi à la bramosa lupa qui, dans sa condamnation de l'avarice des grands marchands (XIII 55), n'est pas sans rappeler la lupa, che di tutte brame rencontrée par Dante à l'aube de son périple5. Principes de traduction Au moment d'aborder cette traduction, la question s'est donc posée de définir l'esprit que nous souhaitions conférer à notre travail. La traduction d'un texte historique n'obéit pas aux mêmes règles que pour un roman ou un poème, pour lesquels le traducteur se doit de rester fidèle à l'esprit du texte afin, pour citer Umberto Eco, « de reproduire le même effet »6. Dans un texte à finalité poétique ou romanesque, la traduction transfère dans la langue d'arrivée l'intention de l’œuvre, quitte à l'adapter et donc à trahir la lettre. Dans notre cas en revanche, il nous est apparu essentiel de transférer, de la façon la plus fidèle possible, non seulement le contenu du texte, mais également son identité – ou plus exactement, son extranéité. Comme dans toute traduction, la nôtre fut double : nous avons traduit d'une langue à une autre, mais également d'une culture à une autre. Ce qui distingue le lecteur auquel s'adressait Villani de celui auquel nous destinons notre travail, ce n'est donc pas seulement un outillage linguistique, mais également un bagage culturel. Ou, pour le dire autrement, notre chroniqueur écrivait dans une autre langue et pensait dans une autre culture. Une règle absolue fut donc pour nous de ne pas aller au-delà de la traduction linguistique, et de ne pas interpréter la lettre au prétexte de la rendre intelligible à notre univers culturel. 5 Cf. Purgatorio, chant 1, v. 49. 6 Pour un aperçu synthétique, mais ô combien édifiant, des problèmes et méthodes de traduction, nous renverrons à Umberto Eco, Dire quasi la stessa cosa. Esperienze di traduzione (Milan, Bompiani, 2003), qui nous fut d'une aide précieuse lors de ce travail. 5 L'extranéité du résultat est donc recherchée et assumée. En outre, en faisant ce choix, ne pouvions-nous pas nous réclamer de Villani lui-même, qui défendait dans sa chronique la traduction « mot à mot » (XII 3, XIII 114) ? D'autres raisons ont également plaidé pour une traduction littéraire. Notre travail s'inscrivait en effet dans le projet de traduction intégrale de la Nuova cronica mené par l'atelier Traductions de l'UMR 5648. Rédigeant au sein d'une équipe de près d'une dizaine de traducteurs, il nous est très vite apparu nécessaire de fixer un modèle commun, afin de conserver une homogénéité de style tout au long des treize livres. Les choix de traduction ont fait l'objet de longues discussions, et sont donc en partie le résultat de ces concertations. Le meilleur modèle étant toujours l'original, rester le plus proche du texte nous garantissait ainsi de fournir une traduction intégrale cohérente. Comment restituer le vocabulaire ? Dans la plupart des cas, nous avons fait le choix de restituer de façon la plus fidèle possible le vocabulaire de l'auteur. Au-delà de son sens immédiat, chaque mot est porteur d'un fragment d'histoire et d'une somme de références implicites, qu'il s'agit de reproduire. Ainsi, pour traduire le terme italien pestilenza par exemple, le mot français « pestilence », bien que désuet, nous est paru plus adapté que le terme « épidémie », lequel aurait sans doute mieux sonné à notre oreille.
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