Musicaeterna Teodor Currentzis Direction Hélène Grimaud Piano

Musicaeterna Teodor Currentzis Direction Hélène Grimaud Piano

2019 20:00 02.10.Grand Auditorium Mercredi / Mittwoch / Wednesday Grands solistes musicAeterna Teodor Currentzis direction Hélène Grimaud piano Maurice Ravel (1875–1937) Concerto pour piano en sol majeur (G-Dur) (1929–1931) Allegramente Adagio assai Presto 23’ — Sergueï Prokofiev (1891–1953) Roméo et Juliette. Ballet op. 64 (extraits) (1935/1940) 50’ D’Knipserten Martin Fengel Les liens entre le monde de la musique et notre Banque sont anciens et multiples. Ils se traduisent par le soutien que nous avons apporté pendant de longues années à la production discographique de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, notre rôle de mécène au lancement des cycles « Jeunes publics » de la Philharmonie ou les nombreux concerts que nous accueillons au sein de notre Auditorium. Redevables à l’égard de la communauté luxembourgeoise qui nous offre le cadre de notre développement, notre tradi- tion de mécène en est la contrepartie. C’est ainsi que nous nous sommes engagés depuis toujours dans la vie de la cité, en soutenant tout naturellement la Philharmonie lors de la création de sa Fondation Écouter pour Mieux s’Entendre (EME) qui vise à donner accès à la musique aux personnes qui en sont généralement exclues. Nous sommes particuliè- rement fiers d’être à ses côtés pour célébrer cette année son 10e anniversaire. Ce soir, la pianiste Hélène Grimaud accompagnera l’orchestre musicAeterna, sous la direction du talentueux chef d’orchestre Teodor Currentzis. Il y a 20 ans déjà, la Banque de Luxembourg avait le plaisir d’accueillir cette artiste aux talents multiples dans le cadre de sa série de concerts Burleske, organisés à l’Auditorium de son siège à une époque où la musique de chambre manquait d’espaces dédiés. Environ 125 concerts y furent organisés et une vingtaine d’enregistrements édités avec la contribution de musiciens de renommée internationale. Au nom de la Direction de la Banque de Luxembourg, je vous souhaite une excellente soirée ! Luc Rodesch Membre du Comité Exécutif Banque de Luxembourg France et Russie dans les années 1930 : Ravel et Prokofiev Angèle Leroy Pensé l’un pour la France (et plus précisément les Concerts Lamoureux à Paris) et l’autre pour la Russie soviétique (il fut commandé par le Kirov de Leningrad), le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel et Roméo et Juliette de Prokofiev, tous deux composés dans les années 1930, entretiennent cependant plus de liens que leur contexte politico-géographique pourrait le laisser penser de prime abord. Il ne faut en effet pas sous-estimer l’im- portance des échanges esthétiques entre les compositeurs français et russes, échanges facilités notamment par le caractère cosmopolite de la Ville Lumière, terre d’accueil au début du 20e siècle de nombreux artistes russes et lieu de rencontres artistiques portées entre autres par les Ballets russes de l’impresario Serge de Diaghilev, fortement liés à la France dès 1909. Dès avant cette date, les artistes russes avaient de leur côté eu l’occasion de découvrir leurs contemporains français, notamment grâce aux Soirées de musique contemporaine de Saint-Pétersbourg, où l’on jouait Debussy, Dukas, Fauré, Roussel et Ravel, soirées que fréquentait assidûment Prokofiev. Ravel, quant à lui, et contrairement à Berlioz, ne fit jamais le voyage en Russie, mais cela ne l’empêcha pas, grâce au pouvoir d’attraction artistique de Paris, de fréquenter de nombreux artistes originaires de l’Empire. Parmi eux, Stravinsky bien sûr, dont on connaît bien le pan « français » de l’œuvre, Le Sacre du printemps en tête, mais aussi Prokofiev, présent par intermittence à Paris durant la deuxième moitié des années 1910 et les années 1920. Ce dernier raconte ainsi quelques années plus tard sa rencontre avec le Français : « Ma première rencontre avec Ravel eut lieu à Paris en 1920, lors d’un 7 Maurice Ravel au piano ‹ thé musical › auquel assistaient Stravinsky, Ansermet. Brusquement apparut un homme de petite taille, aux traits aigus et bien marqués, aux cheveux assez hauts qui commençaient à blanchir. On me dit que c’était Ravel et on me présenta. Lorsque je lui serrai la main en exprimant ma joie de rencontrer un si grand compositeur et que je l’appelai maître (c’est ainsi que l’on appelle couramment les artistes célèbres en France), il retira soudain sa main comme si je voulais l’embrasser et s’écria : ‹ Je vous en prie, ne m’appelez pas Maître ! › L’humilité était son trait caractéristique. » L’amitié entre les deux hommes, qu’une dizaine d’années séparent, est renforcée par une estime réciproque pour le talent musical de chacun, et l’on peut observer des traces de leur influence mutuelle dans quelques œuvres (comme la suite du Lieutenant Kijé de Prokofiev dont l’orchestration est marquée par celle que fit Ravel desTableaux d’une exposition de Moussorgski), mais aussi, de manière plus diffuse, déceler chez eux certains penchants communs. Ainsi de la référence classique, à laquelle Stravinsky sacrifiera également, qui infuse notamment chez 8 Ravel le Concerto pour piano en sol, mais qui inspira aussi à Prokofiev sa Symphonie « classique » de 1918 ou le troisième mouvement du Concerto pour piano N° 3 de 1921. Le Concerto en sol de Maurice Ravel : « Le règne de ma volonté » Bien que le genre du concerto pour piano réunisse deux médiums dans lesquels Ravel excellait (le piano et l’orchestre), le compo- siteur ne l’aborda pas avant la fin des années 1920. Ce sont deux commandes qui le décidèrent à s’y attaquer de front, après quelques essais inachevés : celle de Serge Koussevitzky à l’occa- sion du 50e anniversaire de l’Orchestre symphonique de Boston pour le Concerto en sol et celle de Paul Wittgenstein, entendu à Vienne dans les Études symphoniques de Strauss, pour le Concerto pour la main gauche (Prokofiev écrira lui aussi pour le pianiste manchot : ce sera son Quatrième concerto, contemporain des concertos ravéliens). Tel Janus bifrons, les deux concertos pré- sentent des visages fort différents : Marcel Marnat, faisant le parallèle avec les concertos de Liszt, parle d’un diptyque réunis- sant un « super-concerto » et un « anti-concerto ». Ainsi, le Concerto pour la main gauche semble une fresque colossale guettée par la violence, penchant volontiers vers les sonorités graves et les luttes instrumentales et prolongeant le pessimisme d’une œuvre comme La Valse, achevée en 1928, tandis que le Concerto en sol est (presque) tout de clarté et de luminosité. Au sujet du Concerto en sol, le compositeur expliquait : « C’est un concerto […] écrit dans l’esprit de ceux de Mozart et de Saint-Saëns. Je pense, en effet, que la musique d’un concerto peut être gaie et brillante, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle prétende à la profondeur ou qu’elle vise à des effets dramatiques. On a dit de certains grands musiciens classiques que leurs concertos sont conçus non point pour le piano, mais contre lui. Pour mon compte, je considère ce jugement comme parfaitement motivé. J’avais eu l’intention, au début, d’intituler mon œuvre Divertissement, puis j’ai réfléchi qu’il n’en était pas besoin, estimant que le titre de Concerto est suffisamment explicite en ce qui concerne le caractère de la musique dont il est constitué. » L’orchestration, qui fait appel à un ensemble instrumental relativement réduit (contrairement à celle 9 du Concerto pour la main gauche), porte la marque de cette filiation : elle convoque en effet les vents par deux seulement et se contente d’une trompette et d’un trombone. Mais elle joint tout de même au groupe les sonorités sèches d’un tambour, d’un fouet ou d’une grosse caisse, et les séductions de la harpe. Cette influence « classique » éventuellement pervertie, que l’on observe aussi ailleurs dans l’œuvre de Ravel, sous différentes formes (Le Tombeau de Couperin, La Valse…), n’est pas, comme l’explique très justement Marie-Noëlle Masson, « le signe d’un recul ou d’une facilité d’écriture mais […] une ascèse permettant le retour sur soi ». Ravel lui-même expliquait à ce propos à Nino Franck, dans un entretien paru dans la revue Candide en mai 1932 : « Sa grande leçon [celle de Mozart], aujourd’hui, c’est qu’il nous aide à nous débarrasser de la musique, à n’écouter que nous-même et le fonds éternel, à oublier ce qui nous précède immédiatement : aussi le retour actuel aux formes pures, ce néo-classicisme – appelez-le comme vous voudrez –, m’enchante, en un certain sens. » Pour autant, et comme son jumeau dizygote, le Concerto en sol porte également la trace du voyage que fit le compositeur aux États-Unis en 1928, à l’occasion duquel il s’enthousiasma pour le jazz et la musique de Gershwin. « Take Jazz Seriously ! », s’écriait-t-il dans un article de la revue Musical Digest cette même année, et il renchérissait en 1931 : « Personne ne peut rejeter les rythmes aujourd’hui. La musique récente est pleine d’influences venues du jazz. » De cette digestion en forme de stylisation, de cette « ravélisation » du jazz, L’Enfant et les sortilèges ou le Blues de la Sonate pour violon et piano apportent d’autres témoignages. Alors que le Concerto pour la main gauche adoptait une forme rhapsodique, le Concerto en sol prolonge l’hommage classique par une architecture en trois mouvements. En guise de piliers extérieurs, un Allegramente léger, pressé, qui infléchit un temps son tempo pour colorer son discours d’Espagne puis d’Amérique, et un Presto explosif, plus virtuose encore, irrégulièrement strié de quatre accords en tutti. Au centre, un superbe Adagio où le piano propose un chant aussi poignant que retenu, à la délicate 10 Portrait de William Shakespeare ambiguïté rythmique.

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