PIERRE SALVIAC LE TOURNOI DES 5 NATIONS PRÉFACE DE ROGER COUDERC 1910 -1980 ,a Tous les joueurs ,e Tous les matches ,o Tous les résultats FERNAND NATHAN Collection dirigée par Gérard Germain c Éditions Fernand Nathan, 1981. PRÉFACE Il était une fois... Chaque match du Tournoi des 5 Nations, chaque match de cette épreuve au charme magique pourrait être raconté comme un conte de fée que les enfant écoute- raient le soir, auprès des cheminées du grand royaume d'Ova- lie... Il était une fois... Pour ma part, lorsque j'ai découvert pour la première fois — il y a bien longtemps — l'enthousiasme fou de Colombes (puis du Parc des Princes), la foule impres- sionnante et digne de Twickenham, les chants superbes de l'Arm's Park, les brouillards un peu mystérieux de Murrayfield et les gars fanatiques de Lansdowne Road, j'ai compris que le décor de ma vie professionnelle était dressé pour toujours... Je suis resté fidèle à ce décor et je ne regrette rien. Il est des épreuves sportives plus populaires mais il n'en est pas de plus nobles. Le Tournoi des 5 Nations est une aventure exaltante et toujours renouvelée qui n'aura jamais de fin : le temps de reprendre son souffle et l'on repart... Le Tournoi, c'est un arbre de Noël pour l'éternité, un arbre merveilleux sur lequel chaque spectateur a le droit de poser son étoile personnelle... Au début de ma carrière, je revois encore Adolphe Jaureguy, qui fut le meilleur ailier du monde, marcher à mes côtés et je l'entends me dire, avec son accent de soleil : « Tu vois, petit, le Tournoi c'est un joyau auquel il ne faudra jamais toucher ! A toi et à tous les autres après toi de le faire découvrir à toute la France dans vos « boîtes » de lumière et de rêves... » Il y a bien des années de cela ; Jaureguy nous a quittés et bien d'autres avec lui... Mais le Tournoi, solide comme un roc, dur comme un diamant, continue sa route toujours et toujours... C'est pourquoi il est bon qu'aujourd'hui son histoire, toute son histoire, nous soit contée par un jeune amoureux du rugby, Pierre Salviac, qui accroche à son tour son étoile à ce grand arbre presque centenaire... Et son livre est à la fois riche et rigoureux car, comme le rappelle souvent le grand docteur Lucien Mias : « Pour que ton sillon soit droit, il faut toujours accrocher ta charrue à une étoile... ». Roger Couderc UN TOURNOI POUR L'HONNEUR Plus qu'un événement sportif, un phénomène de de vider de leurs habitants villes et villages à société. Le Tournoi des Cinq Nations, c'est, quatre l'heure du reportage télévisé? A ce sujet, on cite fois l'an, pour des milliers de braves gens, l'occasion souvent l'exemple de Nikita Khrouchtchev en visite de faire la fête. Et d'exhiber, sous prétexte d'un officielle dans le sud-ouest de la France et défilant match de rugby, leur particularisme. dans un désert de Pau à Lacq. Le chef de l'État Chaque année, à la période des « soldes après soviétique crut alors à une manifestation d'hostilité à inventaire », Londres, Dublin, Edimbourg, Cardiff et son égard de la part de la population béarnaise. Il Paris voient déferler de pubs en bars des hordes de fallut lui expliquer qu'à la même heure les gens du supporters ivres de bière ou de vin des Corbières. pays étaient installés devant leur petit écran et Le samedi à 15 heures, Twickenham, le Parc des regardaient l'équipe de France — dans laquelle Princes (qui a succédé à Colombes), Lansdowne figuraient deux des leurs, François Moncla et Jean- Road, Murrayfield et l'Arm's Park rassemblent ces Pierre Saux — opposée au pays de Galles. Depuis pèlerins débraillés et braillards. Dans ces stades ce jour mémorable, les hommes politiques se gar- aux allures de temple, les fidèles du Tournoi célè- dent bien d'organiser des meetings électoraux en brent avec ferveur la grand-messe du rugby. Il en concurrence avec les grands matches de rugby. De est ainsi depuis 1910. même, tous les commerçants vous diront que, les Pourtant, rien ne prédisposait cette épreuve à samedis de Tournoi, ils enregistrent une baisse devenir populaire : pas de classement, pas de sensible des ventes, du coup d'envoi au coup de trophée, pas de palmarès officiel. Aucun organisme sifflet final. pour enregistrer le résultat des matches en dehors On a longtemps cherché une explication à ce de la presse qui publie un classement officieux. phénomène de popularité. Mais les sociologues ne Bref, dans ces conditions, bien des championnats sont jamais tombés vraiment d'accord sur une jus- eussent été mort-nés tant il est vrai que la compéti- tification rationnelle. Sans doute parce que ce suc- tion s'accommode mal des parties sans enjeu, des cès tient du défi au bon sens, et que l'homme combats sans titre. programmé par son intelligence a besoin de s'inven- Alors pourquoi, malgré ce handicap, le Tournoi ter de temps en temps des coups de folie. Car des Cinq Nations, que les Britanniques appellent enfin, il fallait être fou, à la puberté de ce siècle, the Tournament, passionne-t-il les foules, au point pour imaginer un spectacle qui motive autant des hommes aussi différents que les villageois de la France du Sud-Ouest, les bourgeois anglais, les « Proud ! Proud ! » Fergus Slattery. roturiers gallois des vallées du charbon, les ultracon- servateurs écossais et l'intelligentsia irlandaise. L'histoire a passé son temps à diviser ces cinq nations. Et voilà qu'au moment où la sagesse les conduit à faire la paix des braves d'honorables rugbyphiles proposent un tournoi, dont le principal effet est de réveiller les vieilles querelles... par joueurs interposés. A ce jeu-là, qui ressemble à la petite guerre, les joueurs en question ont pris la place des soldats de plomb. Et sont vite devenus des héros. Symbole de cet héroïsme admirable : Fergus Slattery, capitaine de l'équipe d'Irlande. Le 18 février 1979, sur la pelouse gelée du Parc des Princes, ses équipiers exténués par l'épreuve de force que leur imposaient les avants français tom- baient les uns après les autres, morts de fatigue. Proud, proud (« Pour l'honneur, pour l'honneur »), hurlait Slattery, en pleine exaltation, à chacun des siens qui tombait. Et les morts ressuscitaient comme par miracle. IRLANDE : EN VERT ET CONTRE TOUS Des miracles! Le Tournoi en a fait plus d'un depuis qu'il existe. C'est ainsi que dans les années vingt, déchirées par la guerre d'indépendance en Irlande, les matches prévus au calendrier ont quand même été joués dans ce pays divisé où, quatre fois l'an, le rugby réussit le tour de force de la réunifica- tion. Comment donc ce jeu d'étrangers — bien qu'inventé par l'Irlandais William Webb Ellis — peut-il surmonter le drame historique qui laisse l'Ulster en ruine et menace la paix dans le reste de l'Irlande? Comment un joueur venu du Nord unio- niste peut-il porter le maillot vert nationaliste et entendre au garde-à-vous le Soldiers Song, l'hymne républicain ? « On ne se pose pas la question. Cela ne nous vient jamais à l'idée », avait l'habitude de répondre Mike Gibson, le meilleur attaquant enfanté par le rugby irlandais, originaire de Belfast, membre d'une commission chargée de résoudre les problèmes entre catholiques et protestants de l'Ulster. Cette faculté de dire « pouce » en pleine guerre fratricide pour porter le même maillot irlandais dans un match international est sans conteste la plus belle victoire du Tournoi. Et si un jour ces braves types de « Cette faculté de dire pouce en pleine guerre Dublin, Belfast, Ballymena ou Cork connaissent le fratricide. » Mike Gibson. bonheur de la paix retrouvée, le rugby y sera pour quelque chose. Pourtant, au cours de l'hiver 1954, on est passé Irlande. Cette année-là, à cause de ces deux for- près de la catastrophe. A cette époque, pour ména- faits, le classement du Tournoi ne put être établi ger les susceptibilités des deux communautés, on alors que les joueurs irlandais vainqueurs de leurs jouait l'un des deux matches annuels en Ulster, deux matches à l'extérieur avaient une grande l'autre en république d'Irlande. Cette fois-là, le chance de réussir le grand chelem. Heureusement, match avait lieu à Belfast, sur le terrain de Ravenhill. l'année suivante, les nations invitées à Dublin (France Quelques jours avant la date fixée pour la rencontre, et Angleterre) firent le voyage. Et le Tournoi reprit six joueurs sélectionnés annoncèrent que, malgré son cours normal. l'honneur qui leur était fait, leur conscience leur Le joueur qui personnifie le mieux cette volonté interdisait de se présenter en maillot vert sur le sol irlandaise de respecter la trêve du rugby est certai- irlandais pour y écouter le Gad save the Queen. Le nement Jack Kyle, l'idole du pays dans les années capitaine de l'équipe, originaire de Cork, État très cinquante. A cette époque, les témoins assurent touché par la guerre civile, pria les joueurs de qu'il n'existait pas une ville ou un village dans lequel reconsidérer leur position. Discussions... Marchanda- le Dr Kyle aurait pu pénétrer sans recevoir l'accueil ges... Puis décision des officiels, qui déclarèrent réservé à un héros, Ce prêcheur laïque, qui travail- que tous les matches du Tournoi se joueraient lait dans les pauvres ruelles de Belfast, possédait, désormais à Dublin. Les joueurs originaires de raconte-t-on, cette intensité de caractère particu- l'Ulster, dont beaucoup étaient pourtant des unio- lière aux joueurs de l'Ulster, et il la communiquait à nistes loyaux, acceptèrent sagement cette mesure toute l'équipe d'Irlande.
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