Stéphanie Lima: L’émergence d’une toponymie plurielle au Mali L’émergence d’une toponymie plurielle au Mali Stéphanie Lima Centre Universitaire et de Recherches J.F. Champollion, Albi [email protected] Résumé Summary L’émergence des territoires communaux au Mali, In Mali, municipalities were created in the context dans le cadre de la mise en œuvre d’une réforme of decentralization. Their creation reveals an origi- de décentralisation, s’accompagne d’une renais- nal process of toponymic renewal at the local level. sance toponymique des espaces locaux. Entre 1994 Between 1994 and 1996, the main characteristics et 1996, l’ensemble des attributs des nouvelles of the new municipalities (size, boundaries, centre communes ont été discutés puis négociés : gabarit, and name) have been debated and negotiated. The limites, centre, nom. L’enjeu toponymique se situe Malian government involved local populations in the à l’intersection des logiques de découpage et des process of demarcating new municipal boundaries, représentations spatiales convoquées lors des dif- thus allowing social and spatial representations to be férentes étapes de la réorganisation territoriale. Au taken into account. The respective balance between sortir de deux années de transaction territoriale, la the internal logic of territorial demarcation and so- toponymie communale s’inscrit dans une tension, cial representations differ according to place. In the entre l’adhésion au centre (chef-lieu) et une volonté Kayes region for example, the mobility and social de neutralité. Signes apparemment faibles, les noms networks that structure space have been integrated de chefs-lieux, attribués aux territoires communaux, in the choice of new local toponyms. The names of sont le point d’orgue du cheminement contrasté de the new municipalities vary from the adhesion to the la réorganisation territoriale. local administrative centre, by adopting its name, to the choice of “neutral” toponyms. The nature of to- Mots-clés ponyms of local communities thus sheds light on the contrasted results of the national territorial restruc- Toponymie, recomposition territoriale, découpage, turing. commune, chef-lieu, centralité, Mali, Région de Kayes Key-words Toponymy, territorial restructuring, demarcation, municipality, chef-lieu, centrality, Mali, Kayes region 13 n° 5 (02-2008) De la nomenclature à la l’espace, créent de nouveaux territoires et donc de nouveaux toponymes. Sur les deux hémisphères de complexité territoriale la planète, des villes, des régions, des États changent de noms. De nouveaux territoires apparaissent (col- L’appropriation de l’espace passe par sa dénomi- lectivités territoriales, territoires de projet, réseaux) nation. Il n’existe pas de lieu qui ne soit nommé, et ajoutent leurs noms sur la carte. La toponymie est un même lieu pouvant avoir plusieurs noms, si- en mouvement à toutes les échelles selon des logi- multanément ou successivement dans le temps. La ques plurielles (Debarbieux, Vanier, 2002). toponymie est au cœur de la relation de la société avec l’espace et elle exprime une des facettes de la Au Mali, le découpage des territoires communaux, dimension politique de ce rapport (Claval, 1995). La dans le cadre de la mise en œuvre d’une réforme toponymie est porteuse de sens, de valeurs, dans un de décentralisation, s’accompagne d’une recompo- espace construit et pour un temps donné, en rapport sition toponymique des espaces locaux. Entre 1994 avec les groupes sociaux en présence. Elle participe et 1996, l’ensemble des attributs des nouvelles com- au découpage de l’espace, un territoire identifié et munes a été discuté et négocié : gabarit, limites, nommé étant un territoire défini et délimité (Paul- chef-lieu, nom. L’enjeu toponymique se situe à l’in- Lévy, Ségaud, 1983). En cela, les recompositions tersection des logiques de découpage et des repré- territoriales qui se déploient à différentes échelles sentations spatiales convoquées lors des différentes entraînent des mutations toponymiques. Le renou- étapes de la réorganisation territoriale. La trajectoi- vellement des pouvoirs associé aux constructions re toponymique des entités locales au Mali s’inscrit territoriales influence la nature des toponymes, en- dans une temporalité marquée par les périodes co- tre refoulement et révélation. En effet, la toponymie loniale et post-coloniale. Le poids des mailles subies relève d’une intentionnalité : quel est le sens des et l’héritage d’un modèle toponymique exogène lieux et des territoires ? Pour qui la toponymie est- entraînent des positionnements contrastés à l’heure elle porteuse de sens ? du renouvellement toponymique (première partie). La philosophie du découpage communal, marquée Entre le premier objectif d’identification des lieux et par la participation des habitants au processus de re- celui de leur appropriation globale, la toponymie a composition territoriale, confère à la dénomination opéré une mutation fonctionnelle. À l’origine, la to- des communes un statut inédit, puisque l’exercice ponymie participe à « l’écriture de la terre ». Repé- se réalise au niveau local (deuxième partie). Enfin, rer les lieux, écrire leurs noms sur la carte procède à l’échelle d’une région marquée par des mobilités d’une nomenclature, achevée depuis longtemps. A pluriscalaires, la question de la négociation topony- ce stade, la toponymie est déjà un acte politique, qui mique s’inscrit dans une tension entre l’adhésion au témoigne de rapports de force. Désormais, à l’heure centre, une volonté de neutralité et le désir d’un re- de la mondialisation, la toponymie s’inscrit dans un tour aux « terroirs » (troisième partie). contexte de transformations politiques et territoria- les qui lui confèrent une autre portée. Au-delà de Dans un processus ascendant de recomposition ter- « l’état des lieux » auquel elle renvoie toujours, elle ritoriale, l’enjeu de la légitimité territoriale et politi- est passée dans le registre de la complexité territo- que passe notamment par la reconnaissance d’une riale (Gerbaux, 1999). toponymie partagée. Derrière le nom, les rapports de force se révèlent, les anciennes références se La production toponymique est active à toutes les confrontent aux nouvelles, dans un mouvement de échelles et sur tous les continents. Désormais, il recomposition à la fois ancré dans les espaces locaux ne s’agit plus d’établir une nomenclature des lieux et dans les réseaux. La question des modalités de (le monde est nommé en tout lieu), mais de refon- l’émergence d’une toponymie négociée et partagée der des rapports de pouvoir qui, se déployant dans se pose au regard de l’enjeu de l’appropriation de 14 Stéphanie Lima: L’émergence d’une toponymie plurielle au Mali ces entités locales qui renvoie à la fois à la problé- re aux niveaux locaux. D’une part, les cercles, créés matique de la construction de l’État-nation africain pendant la colonisation sont maintenus et multipliés (logique territoriale) et à celle de l’inscription de ces (ils passent de seize à quarante et un). Ils sont com- territoires locaux dans la mondialisation (logique ré- posés de plusieurs arrondissements (qui sont eux- ticulaire). mêmes des regroupements de villages). Leur nom est celui de la ville qui en est le chef-lieu. Le centre La toponymie entre continuité et désigne l’ensemble du territoire, dans une logique rupture territoriale « d’encerclement ». L’identification d’un territoire administratif à un centre témoigne du rapport de force présent dans ces entités. Le pouvoir est cen- La quête toponymique démarre à l’échelle nationale. tralisé, détenu par les commandants de cercle, ré- Sous « les soleils des indépendances » (Kourouma, putés pour administrer le territoire avec une main 1970), naissent en Afrique de l’ouest des toponymes de fer depuis le chef-lieu, sans compter les tournées hétérogènes dont l’ambition est d’ancrer les nou- de terrain au cours desquelles ils ont l’occasion de veaux espaces nationaux dans une trajectoire his- réaffirmer auprès de la population leur autorité sans torique endogène. Le Bénin, le Ghana, le Mali, no- limites. Dans cet espace subi (Raffestin, 1980), les tamment, ont puisé dans le registre du passé, celui toponymes des cercles expriment une centralité in- des empires pré coloniaux, pour asseoir leur légiti- contestée : le centre est le territoire. mité. En effet, dans un contexte de décolonisation et de construction de l’État-nation, la référence à une Dans le même esprit, au niveau local, les arrondis- histoire prestigieuse a suscité l’intérêt d’une classe sements complètent cette logique de la « circons- politique désireuse de trouver une reconnaissance cription » des entités villageoises. À la différence des dans un territoire au découpage construit dans une cercles, instaurés pendant la colonisation, les arron- logique exogène. dissements sont le produit de l’indépendance. For- més de plusieurs villages, ils remplacent les cantons À l’Indépendance (1960), le Mali, comme la plupart coloniaux. À cette échelle plus fine, la nécessité de des pays anciennement colonisés, conserve l’orga- modifier les contenus, les limites et l’intitulé de la nisation administrative mise en place pendant l’oc- maille est plus forte. Si les cercles, mailles larges, se cupation française. Face à cet héritage territorial maintiennent et se multiplient, les cantons, en prise spécifique, les nouvelles autorités ont eu un com- avec les réalités sociales et politiques locales durant portement ambivalent. La conception du territoire la colonisation, doivent disparaître conformément
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