La Dernière Place. Rencontres En Pays De Misère Pakistan-Inde

La Dernière Place. Rencontres En Pays De Misère Pakistan-Inde

DU MEME AUTEUR Pages d'Evangile, 1 édition, Cerf, 1961, épuisée. Nouvelle édition, revue et augmentée, Salvator, 1973. Palestine 67, Ligue catholique de l'Evangile, 1967. Le Soleil des Pauvres (chronique arabe), 1968. La onzième heure, Cerf, 1969. Témoins de Dieu, Desclée De Brouwer, 1973, épuisé. Les enfants de Kaboul, 1973, épuisé. Quart de place pour le tiers-monde, Editions S.O.S., 1975. Il est toujours le temps d'aimer, Desclée De Brouwer, 1976. En collaboration. La Parole de Dieu à la Télévision (1969). Collection « Foi Vivante », Desclée De Brouwer. Philippe Dagonet dominicain LA DERNIÈRE PLACE Rencontres en pays de misère Pakistan-Inde Editions S.O.S. 106, rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07 © Editions S.O.S. 1977 I.S.B.N. 2.7185.0834.5 Nous n'avons pas été sans observer que, en France et en Europe, se lèvent des curiosités, souvent superficielles, tou- jours sympathiques, pour de minuscules, mais chaleureuses pénétrations de religion hindoue, de pratiques spirituelles orientales, de techniques de méditation, de philosophie mystique. Elles ne préjugent certes pas d'une ample exten- sion hors de leur contexte natif, soit en religion populaire, soit en élévation personnelle ; mais leur ésotérisme est une provocation à la mauvaise conscience que nous ressentons, tant devant les déceptions croissantes de la civilisation indus- trielle, que, comme chrétiens, dans les pesanteurs d'une Eglise encore incapable de sortir de ses formulaires et de ses comportements occidentaux. A ce double titre, nous devons saisir les bonnes occasions de mesurer les limites d'un rationalisme séculaire, qui ne fut certes pas sans bien- fait, humain et chrétien, mais qui a fini par imprégner inconsciemment nos institutions, nos mentalités, nos méthodes éducatives, et, pour les chrétiens, leur spiritualité, leur culte, et jusqu'à leur langage. Le Père Philippe Dagonet nous donne ici une de ces bonnes occasions, en publiant son journal de voyage au Pakistan et aux Indes, où des amis missionnaires l'ont reçu fraternellement. Voyage, pour le dépaysement nécessaire; journal où les menus incidents, allègrement narrés, sont pleins de saveur et de signification. Pour mon compte, exercé depuis cinquante ans à consi- dérer amoureusement la vie quotidienne du peuple chrétien, au ras du sol et, aujourd'hui, passionné pour le renouveau évangélique de l'Eglise contre l'appesantissement des institu- tions et des catéchismes, j'ai lu et relu avec un joyeux appétit ce récit, en témoignage concret et des évolutions et des problèmes qu'elle doit affronter, aux dimensions de la géo- graphie, de l'histoire, des cultures, des idéologies, de la politique. A quel prix l'Eglise sera-t-elle « catholique » c'est-à-dire universelle ? Au préalable, avant d'analyser les rigueurs de la désocci- dentalisation, je constate, une fois de plus que, comme tant de fois dans le passé, la voie normale de l'Evangile en expan- sion est la rencontre des pauvres. Au Pakistan, aux Indes, c'est, hélas, plus que la pauvreté, c'est la misère, une ef- froyable misère dans des secteurs entiers, dans des bidon- villes surpeuplés, en particulier, auprès desquels nos fau- bourgs et nos cités de transit font belle figure. Certes, l'Eglise, depuis trois siècles, a rencontré ces masses pauvres ; mais, en collusion avec les méthodes de colonisation, elle le faisait dans une bienfaisance un peu aristocratique. Aujourd'hui, par un radicalisme tenace, le missionnaire, récusant toute mise à part, veut « vivre avec », participer à la vie banale des gens, habitat, nourriture, vêtement, travail, relations humaines, fêtes. Pas de paternalisme. Pas de prosélytisme. Une présence : le mot revient à chaque page. Comment ne pas songer aux premiers prêtres-ouvriers dans leurs usines, aux Petites Sœurs de Foucauld, à mes confrères en Algérie et en terre d'Islam : présence pure, sans entreprise de conver- sion. Intensité du témoignage sans endoctrinement. Alors annoncer l'Evangile ? Proclamer la venue du Christ ? Ce fut, on le sait, le thème du synode des évêques en 1974 : l'évangélisation. Il se trouve que l'un des experts et meneurs des délibérations, comme secrétaire de l'assem- blée, fut un théologien indien, de grande classe, qui se heurta aux positions de la chrétienté occidentale ; on dut se séparer sans conclure. Ce fut le pape qui, dans un texte fameux, tira les leçons de l'épisode. C'est là l'un des axes de la désoccidentalisation, en ce sens que la foi doit être véhiculée et présentée, non plus dans les revêtements d'une culture étrangère, mais avec les ressources de la langue, de l'imaginaire, des concepts, de la culture au- tochtones. Le temps n'est pas si loin où les gosses bengalis s'écorchaient le gosier à réciter les formules latines du début de la messe. Mais aussi, comme chez nous, en liturgie, les grandes communautés sont restées conservatrices ; c'est par les petits groupes qu'on retrouve les spontanéités cultuelles. Que dire alors de la théologie, comme élaboration concep- tuelle de la Parole de Dieu, si, en vérité, la foi ne peut prendre consistance que par une acculturation, à ce haut niveau comme en simple catéchèse. Sans doute sera-ce par la rencontre avec les religions autochtones que pourra réussir cette opération. C'est le pro- blème des religions non chrétiennes. Contre les condam- nations de leur perversité diabolique, le concile a proclamé leur valeur, non certes pour un médiocre syncrétisme, mais comme étant déjà des préparations évangéliques, des semen- ces de vérité. Or, entre toutes les religions, les religions de l'Inde sont les plus profondes en densité et les plus riches en expérience. Ici même, en cours de route, j'ai relevé avec complaisance de précieuses notations sur l'absolu de Dieu, sur Dieu Personne, sur Dieu comme Amour, sur un certain type de sacré, plus proche que le nôtre de la sainteté. Voici donc copieuse et délectable matière à dialogue, au- delà de toute morgue doctrinale. Dialogue : encore un mot nouveau du concile, totalement homogène d'ailleurs à la nouvelle conception de la « mission », et à la théologie de la liberté de la foi. Plusieurs réflexions, plusieurs expériences sont à recueillir, sur son urgence, sur ses enjeux (pour nous- mêmes), sur ses lois, sur ses risques. Longtemps, selon la théologie en cours, il était inexistant : le chrétien ne devait pas frayer avec les hindous. Le voici engagé. Difficilement. Déli- catement. Avec discernement : travail de communauté. « C'est l'Eglise locale qui doit rencontrer les religions qui l'en- tourent, après s'être elle-même incarnée dans ce milieu, après avoir établi des relations d'amitié et de fraternité avec elles ; et c'est comme faisant corps avec cette église locale qu'agit chaque individu, chaque croyant. Je maintiens toujours ces deux niveaux, personnel et ecclésial. » Eglise locale : c'est la clef du problème (et l'une des déci- sions majeures du concile), à l'encontre dune Eglise mono- lithique, unitaire dans son juridisme et sa catéchèse, abstraite des temps et des lieux. Par le voyage que nous faisons — en imagination — avec lui, le Père Dagonet fait sauter les blocages qui paralysaient notre vision de l'économie du christianisme, d'un Dieu incarné dans le monde et dans l'histoire. M.D. CHENU. A mon vieil ami Paul Philippe, familier de notre couvent, qui, toute sa vie, a occupé la dernière place et l'a aimée, à cause de l'Evangile. Parler de la « dernière place » sans l'occuper soi-même, en a-t-on le droit ? Certes, on peut ne pas être dans la vraie condition des pauvres, sans être dans celle des riches, et c'est le cas de l'auteur de ces lignes. Est-ce suffisant ? Je vois bien aussi le risque subtil de se réserver quelque chose qui ressemble à de la considération (laquelle est une forme de richesse) en parlant de ceux qui n'en ont aucune. Si ce calcul était conscient, il serait odieux. Je pense pourtant être honnête (tout en restant lucide sur ces risques) en disant que ce qui a inspiré ce livre et le travail important qu'il m'a demandé, est avant tout un besoin de partage. Faire partager à mes amis d'Occident qui n'ont jamais eu l'occa- sion de se rendre en Asie, tout ce que j'ai pu y recueillir de richesses dans l'ordre de l'Esprit, au contact de mes frères pau- vres du tiers-monde et de ceux qui œuvrent silencieusement à leur service. Les écouter, leur prêter ma voix afin que tant de valeurs exemplaires ne soient pas enfouies à jamais. Voilà le but premier de ce livre qui ne prétend à aucune vue de synthèse (ce serait ridicule après un si court séjour) mais propose un document de vie où surgissent des valeurs d'huma- nité, de foi, et peut-être de sainteté. PAKISTAN PAKISTAN Karachi, porte des Indes Mercredi 2 juillet 1975 Cinq heures du matin. L'avion atterrit à Karachi. François m'avait dit qu'il serait à l'aéroport, sans me donner tellement de détails sur son aspect extérieur : « Je serai sans doute en habit pakistanais. » Le visage d'un Européen, même habillé à la locale, doit être facilement repérable ! Je procède donc par élimination : sûrement pas ce gros, peut-être celui-là (non, de son bras, il entoure une femme tendrement). En fait, lorsque je me trouve en face du vrai François il n'y a pas d'hésitation possible : de part et d'autre nous nous reconnaissons spontané- ment. L'homme est blond, avec une barbe légère, le teint pâle, pas gras. Il est effectivement habillé de ce vêtement ample que portent presque tous les gens d'ici et qui correspond assez bien au « peromtoban » afghan.

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