Herman CLOSSON Par Françoise GONZÁLEZ-MOHINO Service du Livre Luxembourgeois - 1997 Herman CLOSSON - 3 Le 50e anniversaire du Théâtre National de Belgique en 1995 a remis en lumière l’histoire étonnante de ses débuts avec les Comédiens Routiers Belges, pendant la guerre 40-45. Le nom de Herman Closson, étroitement lié à cette aventure, est celui d’un auteur dramatique qui ne jouit pas dans l’histoire de nos Lettres de la place ni de la renommée qu’il mérite cependant. Alors qu’il obtint parfois un immense succès de son vivant, il semble être entré dans la phase d’oubli qui suit souvent la mort d’un auteur : il est à peine fait mention de son rôle dans les livres récents consacrés à notre littérature (1). Au moment où la Belgique fédérale se cherche une identité culturelle, l’œuvre de Herman Closson, remise en vedette, vient à point rappeler qu’il fut, d’une part, dans la lignée des meilleurs dramaturges de chez nous et, d’autre part, qu’il incarna, en des moments cruciaux de notre histoire, l’esprit frondeur des résistances nationales. 1 Marc Quaghebeur, Alphabet des lettres belges de langue française, Association pour la promotion des Lettres belges de langue française, 1982. Georges Sion, 150 ans de littérature, Legrain, 1980. Par ailleurs, Marc Quaghebeur lui consacre 4 lignes (p. 183) dans Lettres belges entre absence et magie, Labor, 1990, et R. Frickx et J. M. Klinkenberg, une demi-page et un extrait, Nathan, 1980. Herman CLOSSON - 4 Bon dramaturge, théoricien original, traducteur, metteur en scène et auteur, il a à son actif des œuvres nombreuses et originales et quelques-uns des plus vifs succès populaires de l’histoire théâtrale de ce pays. Étudier l’œuvre et l’action de ce créateur au sein de l’équipe des Comédiens Routiers puis du Théâtre National, c’est non seulement redécouvrir ce qu’on n’hésitera pas à nommer des textes fondamentaux, mais aussi rattacher leur histoire à celle, plus générale, de la littérature française. Joué à Paris, à Londres, et dans tout le pays, il traduisit les inquiétudes, les élans et l’âme commune de notre peuple. On découvrira dans cette grande et modeste figure un poète et un écrivain dramatique de grand cru. Herman CLOSSON - 5 Biographie Il est important de rappeler que Herman Closson fut le fils d’Ernest Closson, musicologue et chercheur, critique musical pendant 50 ans dans L’Indépendance, professeur et folkloriste, un des meilleurs connaisseurs dans le domaine de la chanson populaire. On retrouvera tout au long de l’œuvre d’Herman Closson une imprégnation de ce qui fait l’intérêt et la valeur de la chanson populaire anonyme tant en flamand qu’en français ou en wallon. Car, pour Ernest Closson, les trois cultures sont aussi intéressantes, et les deux volumes des Chansons populaires des Provinces Belges (1913) contiennent plus de deux cent chansons de Flandre et de Wallonie, harmonisées pour le piano. Il y défend l’idée que l’âme même des deux races s’y révèle, encore précisée par la langue qui sculpte la mélodie (préface du chansonnier Tiouli). C’est donc au carrefour de la musique populaire dont il entendit les échos pendant toute son enfance, et de son goût pour le théâtre, que se développèrent sa carrière et son œuvre. Le théâtre, la mise en scène, la critique théâtrale, la traduction, la scénographie, qu’il enseigna à la Cambre, furent ses passions tout au long de sa longue vie. Il fut d’abord à vingt ans l’auteur d’un roman de jeunesse publié à la NRF, intitulé Le Cavalier seul. Œuvre étrange à la fois naïve et rusée, qui révèle une furieuse méfiance à l’égard du sexe féminin et une incompréhension totale de la relation entre homme et femme. Une telle méconnaissance radicale de l’«Ennemie», de l’«Autre», attirante, dangereuse, méprisée, exprime en fait une immense peur d’être trompé par ce qu’il ne comprend pas, et vaincu. Le livre est bien écrit, d’une écriture étrange, un peu déroutante, d’un esprit désabusé, entre Gide et Montherlant. Il est intéressant parce qu’il contient en germe et à l’état embryonnaire la part psychologique de son œuvre future : l’inlassable recherche du mystère féminin. Herman CLOSSON - 6 Mais ce n’est pas dans le roman qu’Herman Closson devait faire carrière. Lié à l’aventure des Comédiens Routiers dès 1938, avec Jacques Huisman, René Hainaux, etc (toute cette histoire est relatée dans le livre de Philip Tirard (C.F.C. Éditions, 1996), Jacques Huisman. Des masques et des souvenirs), il vécut une expérience passionnante qui rappelle assez celle qui fit de La Barraca, de F. G. Lorca le plus illustre théâtre ambulant espagnol pendant les années 1932 à 1936, ainsi que celle des Comédiens Routiers Scouts de France. Après le succès considérable du Jeu des quatre fils Aymon, joué en pleine guerre (décembre 1941) à la barbe des Allemands qui soupçonnèrent à peine combien l’œuvre les frondait, il continua à s’inspirer (alternativement avec des sujets psychologiques) de faits historiques et de légendes, parfois avec une complète désinvolture vis-à- vis des exigences documentaires. Il préférait donner le pas à son imagination de créateur et à son souffle épique. Ce choix lui permet, sans négliger la psychologie des personnages, d’atteindre à des «types» qui plongent leurs racines dans l’inconscient collectif national et acquièrent la valeur de mythes par un sûr instinct des valeurs primordiales du patrimoine. Certaines pièces qui lui furent commandées sont de grandes représentations populaires à fond historique, spectacles en plein air qui eurent un vif succès dans les années 50. Collaborateur de plusieurs autres théâtres et troupes, ami d’écrivains illustres comme Henri Michaux, Géo Norge, Jean Mogin, et tant d’autres qui seraient heureux d’être cités comme ses amis, il fut élu Académicien en 1974 et mourut chargé d’ans et de gloire en 1982. Herman CLOSSON - 7 Bibliographie Œuvres : - Le cavalier seul, roman, éd. Le Disque vert, 1925. - Sous-sol, théâtre, 1925. - Alceste ou l’empêché, essai, Les Cahiers du Sud, Marseille, 1928. - Godefroid de Bouillon, 15 jeux de scène, éd. Universitaires, Bruxelles, 1935. - La farce des deux nues, éd. du Sablon, Bruxelles, 1935. - Le scribe accroupi, roman, Nouvelles éd. Européennes, 1937. - Shakespeare ou la comédie de l’aventure, éd. Universitaires, Bruxelles, 1938. - Musique et drame, essai, I.N.R., Bruxelles, 1939. - La passante illuminée ou Faux jour, éd. du Sablon, Bruxelles, 1941. - Hélène ou la dissemblance, éd. du Sablon, Bruxelles, 1942. - Les quatre fils Aymon, éd. Durendal, 1942. - Le comédien, essai, éd. Le cercle d’art, Bruxelles, 1942. - L’épreuve du feu, éd. du Houblon, Bruxelles, 1944. - Borgia, éd. du Houblon, Bruxelles, 1944. - De l’art dramatique, essai, éd. Lumière, Bruxelles, 1944. - Le théâtre cet inconnu, essai, éd. Formes, Bruxelles, 1945. - Le jeu de Han, 1948. - Yolande de Beersel, 1950. - Sire Halewyn, éd. J. Antoine, Bruxelles, 1972, préface de Jean Mogin. Adaptations et traductions : - Le marchand de Venise (Shakespeare) - La chasse aux sorcières (A. Miller) - L’affaire Pinedus (Primo Lévi) etc. Herman CLOSSON - 8 Études de l’œuvre de Herman Closson : - Philip TIRARD Histoire du Théâtre National et de J. Huysman, éd. C.F.C., Des masques et des souvenirs, 1996. - Paul ARON La mémoire en jeu, éd. La Lettre volée, 1995. - Discours de réception de Herman Closson à l’Académie, Marcel LOBET, Palais des Académies, Bruxelles, 1975. Herman CLOSSON - 9 Texte et analyse I. Psychologique Aléïs Renaud est parti? (Silence). Bérengère Aléïs... – Mais il est revenu. Aléïs Oui, il est revenu. Il est revenu chaque fois. Bérengère Et, chaque fois, il vous contait son aventure, ses exploits? Aléïs Si peu. Je sais qu’ils partent et qu’ils combattent, qu’ils sont de nouveau tous ensemble, les Quatre Fils Aymon. Bayart les conduit dans des régions inconnues, où se passent de grandes choses. Bérengère Et, après son retour? Aléïs Oh, la vie reprend son cours, tout de suite, comme si rien ne s’était passé. Je retrouve mon Renaud, aussi tendre, aussi adorable que jamais. Parfois j’ai l’impression que je rêve, que ces quelques semaines d’angoisse n’ont été qu’un cauchemar. Mais à mesure que le temps passe, mon inquiétude Herman CLOSSON - 10 renaît. À n’importe quel moment, je puis entendre cette voix de Renaud, soudain changée : «Écoute, Bayart!...» Bérengère Aléïs, Aléïs! Pourtant, vous êtes heureuse?... Aléïs Je suis heureuse, oui. Mon bonheur peut-être s’achète à ce prix. Il n’est pas dans la destinée de l’homme, peut-être, de pouvoir vivre sans partir... (Silence). Bérengère Et quand il vous dit que le cheval est là, vous n’avez jamais rien entendu, un bruit de galop, un piaffement? Aléïs Il est de ces choses qu’une femme ne peut entendre. (Temps). Bérengère C’est vrai, n’est-ce pas, que la vitesse de Bayart est fantastique? Aléïs Oui, quand il les porte sur son dos, tous les quatre, il est comme le mouvement de leur pensée. Bérengère Et c’est vrai aussi, qu’un jour... (Entre un récitant). II. Épique Le récitant Un jour, oui, le grand cheval tomba aux mains de l’ennemi. Ils parvinrent à le maîtriser, et ils le conduisirent au bord du grand fleuve Meuse. Et ils entassent sur lui des blocs de pierre énormes, et ils le poussent à l’eau. Et le cheval s’enfonce et disparaît, et déjà l’ennemi hurle de joie, quand un Herman CLOSSON - 11 grand éclat de rire, soudain, monte du sein du fleuve. Et Bayart, sain et sauf, aborde la rive. L’ennemi se lance à sa poursuite.
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