VÉZIANE RAYMOND DE VEZINS PRONIER L'année Chirac Mai 1995. Jacques Chirac devient président de la République. Mai 1996. Quel bilan faut-il dresser des douze premiers mois du septennat? Voici L'Année Chirac, deux livres en un, le pour et le contre, L'Avenir à bras-le-corps et L'Imposture permanente, tous deux nourris d'anecdotes, d'analyses et de commentaires. Pour que chacun puisse trancher. Véziane de Vezins, journaliste au Figaro, est l'auteur de Balladur de A à Z. Raymond Pronier, longtemps journaliste au Matin de Paris, à Passages et Profession politique, puis directeur de la communication à la Région Nord-Pas-de-Calais, est l'auteur, entre autres, des Municipalités communistes et de Génération verte. L'ANNÉE CHIRAC © 1996, Éditions Jean-Claude Lattès Véziane de VEZINS L'ANNÉE CHIRAC L'avenir à bras-le-corps JC Lattès REMERCIEMENTS L'auteur tient à remercier Sophie et Alain Le Ména- hèze pour leur talent de relecteurs, Gilles Rabine pour ses judicieux conseils et Bernadette de Bonald pour son pré- cieux travail de documentation. Cette Année Chirac n'est pas une déclaration per- sonnelle de credo politique. Ce n'est pas non plus un simple exercice de style. Je l'ai abordée dans une démarche d'empathie comparable à celle de l'avocat pour son client. A ceci près que mon client Jacques Chirac, président de la République, ne m'a strictement rien demandé. Me faisant son défenseur face à la partie civile Raymond Pronier, j'ai accepté de prendre le risque de lui déplaire puisque, ainsi que l'affirment ses proches, il n'a de confiance et de consi- dération que pour ceux qui le critiquent et le corrigent. J'espère toutefois n'avoir pas fait ici œuvre de flagornerie courtisane, mais avoir tenu honnêtement ma partition dans ce duo dictoire. dont la règle du jeu est la dialectique contra- INTRODUCTION « Ni la contradiction n'est marque de fausseté, ni l'incontradiction n'est marque de vérité. » Blaise Pascal, Pensées. « Les grandes âmes ne sont pas soup- çonnées; elles se cachent; ordinairement il ne paraît qu'un peu d'originalité. » Stendhal. L'actuel colonel de réserve Jacques Chirac, né le 29 novembre 1932 à Paris de parents corréziens, chasseur d'Afrique du temps qu'il était lieutenant, fut porté « déser- teur » quelques jours pour être parti commander son peloton dans le bled durant la guerre d'Algérie. Il avait refusé d'être « planqué » en Allemagne comme les autres énarques. Député de Corrèze à trente-trois ans, plus jeune ministre de la République à trente-cinq - secrétaire d'État à l'Emploi sous la présidence du général de Gaulle, puis, sous Pompidou, au Budget. Il est ensuite ministre chargé des Relations avec le Parlement, « meilleur ministre de l'Agriculture depuis Sully », ministre de l'Intérieur, maire de Paris durant dix-huit ans, Premier ministre sous Gis- card d'Estaing, premier Premier ministre de la Cohabita- tion sous Mitterrand. Avec un florilège d'états de service unique en France, Jacques Chirac, cinquième président de la V République, traîne encore une image ambiguë et parfois négative. C'est une énigme. Son élection a couronné logiquement toute une vie au service de l'État, une trajectoire en flèche servie par une ténacité que détecta très tôt son père en politique Georges Pompidou (« A mon cabinet on l'appelle le bulldozer. L'expérience prouve qu'il obtient tout ce qu'il demande. Il ne s'arrête pas tant qu'il ne l'a pas obtenu »), un talent de politicien sophistiqué sous une écorce d'orateur som- maire. Et des victoires porteuses à son actif comme la création de l'ANPE, l'élaboration des accords de Grenelle, l'augmentation spectaculaire des revenus des agri- culteurs, la promulgation de la loi Veil sur l'avortement, l'adhésion à l'abolition de la peine de mort, la fondation du RPR, des avancées innombrables sous ses différents ministères, une détermination inchangée au service de l'Europe. Pourtant parfois encore une étrange interrogation affleure ici ou là sur le bien-fondé de son accession au plus haut sommet de l'État. Le personnage, complexe sous des abords simples, n'est pas réductible au stéréo- type ; sa multiplicité peut susciter le type d'inquiétude que l'on ressent face à un paysage trop vaste. Cet adepte de la méthode Coué illustre exactement la définition de l'intel- ligence selon S. Fitzgerald. Il est capable de gérer simulta- nément deux pensées contradictoires. Cet admirateur fervent de la culture orientale exècre la résignation et la fatalité. Ce pragmatique sans dogme a une vision loin- taine qui recule sans cesse les bornes du possible. Cet optimiste invétéré, ce cavalier gaulois, ce « hussard bleu », possède un sens exceptionnel de la tragédie humaine et de son remède, la compassion. Ce cerbère du respect dû aux peuples et aux individus a de saintes indignations contre les immobilismes et les idées reçues. Cet échalas toujours en mouvement s'ancre dans la tradition terrienne. Toutes ces couches stratifiées qui font un personnage d'un rare atypisme furent parfois mal perçues, déformées, caricaturées, incomprises. Certains journaux étrangers ont dit leur scepticisme, voire leur inquiétude, au soir du second tour, comme si les Français avaient élu un aventu- rier de passage. Comme disait Pompidou, « qui n'a pas d'ennemis n'a pas d'amis ». Les meilleurs auteurs et les chroniqueurs politiques restent perplexes d'avoir à retoucher sans cesse le portrait protéiforme du fondateur du RPR. C'est que, dans les sté- réotypes de la vie politique, Chirac déborde du cadre, lui qui « parle sur le même ton à un chef d'État et à une femme de ménage », remarque l'ami-écrivain corrézien, Denis Tillinac, lui dont le pragmatisme gaullien l'incite à penser que « rien n'est plus dangereux qu'une idée, sur- tout quand elle a gagné : elle fait vite couler le sang ». « Qui est Chirac ? » se demandent ceux qui cherchent la synthèse entre les louanges et les critiques que l'homme a soulevées en abondance. Pour l'écrivain Franz-Olivier Giesbert qui fit œuvre de prophétie dans son Jacques Chirac de 1987, il fut un jeune homme « cultivé, cosmique et cossu », et constitua longtemps « le cas le plus ultime d'imprévisibilité structurelle », avant de « se donner nais- sance à lui-même ». Pour Denis Baudouin, son ancien porte-parole, il reste « l'homme politique le plus intel- ligent » qu'il connaisse et dont le premier réflexe « est tou- jours un réflexe de générosité ». Pour le secrétaire d'État à la Francophonie Margie Sudre, « une personne d'une grande modestie et à l'ego le moins hypertrophié qui soit ». Pour le journaliste Jérôme Garcin, une « longue carcasse au garde-à-vous devant un miroir gaullien », qui s'est réveillé le 8 mai surpris d'être président de la Répu- blique. Comme dans un kaléidoscope, les images se super- posent et laissent l'observateur chercher le fil des rapports de causes à effets. Celle du galopin qui recevait des coups de pied aux fesses du maire du Rayol pendant la guerre, qui vendit dans sa jeunesse L'Humanité et signa l'appel de Stockholm « par naïveté, par générosité, par inconscience, au choix ». Qui apprit jeune le russe et le 1. Cité par Franz-Olivier Giesbert, Jacques Chirac, Le Seuil, 1987. sanskrit et se passionne pour la poésie, la civilisation perse et l'art chinois mais n'avoue officiellement que des cours de cuisine pour tout ornement culturel. L'instan- tané de l'adolescent démodé, romanesque, fumeur de tabac noir, sorte de Lautréamont sombre qui rêvait de bourlinguer aux antipodes. Celui du jeune énarque monté en graine, benjamin des gouvernements de la V Répu- blique. La silhouette de l'homme qui lutta sans merci contre Valéry Giscard d'Estaing mais s'est souvent age- nouillé pour parler tout bas à un débile mental profond, se relevant d'un bond et rougissant lorsqu'on le surprit ainsi portrait du militaire-paysan habitué à labourer le terroir depuis trente ans et à ressusciter lorsqu'on le croit mort, galvanisé par l'adversité et mal à l'aise dans la facilité... Dix mois après son élection, le fin exégète du Pré- sident qu'est Paul Guilbert se garde bien d'emprisonner ce personnage dans un courant de pensée, et encore moins dans une obédience. « Sa route se construit avec lui, on s'habitue à sa personne, sans qu'on puisse dire encore à quelle référence politique il se rattache, tant il y semble rebelle. Gaulliste certes, mais si peu à la lettre ! Comme pourfendeur de mythes, peut-être? Quand on l'entend dire, avec un bel appétit navré, qu'en France on laissait tout filer sans réagir, on devine que le modèle que vou- drait laisser ce Président-là serait un modèle de transfert énergétique », écrit-il dans Le Figaro du 6 mars 1996. Rebelle ? « On n'aime la France que rebelle », a dit le géné- ral de Gaulle. Là réside peut-être le secret de l'homme. « Il a réussi à réveiller la bête volontariste », a dit de Chirac un conseiller de François Mitterrand. Qui est Chirac ? Un clown et un poète, parfois. Dans l'avion qui l'emmenait en Grande-Bretagne lorsqu'il était Premier ministre de la Cohabitation, il s'ébouriffa les che- veux, les englua de gel, les hérissa façon punk et s'exhiba triomphant devant son staff : « Qu'est-ce qu'elle dirait, 1. Jacques Chirac, op. cit. Margaret Thatcher, si elle me voyait comme ça ? » Aussi bien capable de poser un seau d'eau en haut d'une porte que de griffonner des vers - qu'il enferme soigneusement sous clé.
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