Jean Garon avec la collaboration de Simon Bégin Pour tout vous dire Préface de Jacques Parizeau 38413 pp.001-536.indd 5 13-03-07 15:01 Je dédie ces Mémoires à mon épouse Judi, à nos enfants, Hélène, Marie-Ève et Julie, à nos petits-enfants, Victor, Vincent, Charlotte, Théodore et Mathilde, et à ceux qui viendront. 38413 pp.001-536.indd 6 13-03-07 15:01 Avant-propos Le devoir de raconter Cinquante ans… un demi-siècle ! C’est le temps qui s’est écou- lé entre mon premier engagement politique alors que, jeune étudiant, je faisais signer une pétition pour que le futur hôtel du Canadien National à Montréal s’appelle le Château Mai- sonneuve plutôt que le Reine-Elizabeth, et mon départ de la politique active, après mon passage à la mairie de Lévis. Ces cinquante ans ont été étudiés, commentés, analysés et expliqués plus que toute autre période de l’histoire du Qué- bec. Est-il vraiment nécessaire d’en rajouter ? Je me suis sou- vent posé la question. Quand on a été élu et réélu sans inter- ruption pendant près de trente ans, un certain devoir de silence s’impose au moment où l’on quitte la politique ou, plutôt, lorsque la politique nous quitte. D’autres que nous ont désormais la parole, et il faut savoir respecter cela. D’un autre côté, il y a aussi un devoir de raconter. Mon engagement politique pour l’indépendance du Québec m’a amené à être présent à des moments clés de ce demi-siècle d’histoire, comme militant d’abord et avant tout, mais aussi comme cofondateur d’un parti indépendantiste et acteur de la grande coalition de 1968 qui a donné naissance au Parti québécois, comme ministre de l’Agriculture, fidèle jusqu’au bout à René Lévesque, comme ministre de l’éducation dans le trop court gouvernement de Jacques Parizeau, et puis comme député de Lévis sous Pierre-Marc Johnson et Lucien Bouchard. 38413 pp.001-536.indd 15 13-03-07 15:01 16 Pour tout vous dire Parce que j’étais convaincu qu’avec ce dernier premier ministre, nous n’allions nulle part, j’ai fait le saut en politique municipale en 1998 – malgré les appels de M. Bouchard à réintégrer le Conseil des ministres à la veille des élections, un épisode sur lequel je reviendrai. Il m’est alors apparu que je ferais œuvre plus utile en contribuant à l’émergence dans mon coin de pays d’une ville de Lévis unifiée et forte plutôt qu’en étant obligé de cautionner, par solidarité ministérielle, un semblant de gouvernement souverainiste et la démolition par pans entiers de l’héritage agro-alimentaire du gouverne- ment de René Lévesque. Durant toutes ces années, j’ai vu, j’ai su et j’ai fait des choses qui méritent d’être racontées, parce qu’elles peuvent aider à comprendre ce qui s’est passé alors et ce qui se passe aujourd’hui. Pourquoi reprendre la parole alors que j’ai quitté l’Assemblée nationale il y a près de quinze ans, et la politique tout court depuis sept ans ? Les occasions n’ont pourtant pas manqué ; plusieurs éditeurs m’ont approché, d’abord dans les années 1990, croyant que j’irais à la présidence du PQ ou, après mon départ, que je ferais un retour en politique. J’ai recommencé à m’exprimer publiquement en 2010, lorsque j’ai entrepris d’écrire une chronique régulière sur l’ac- tualité agro-alimentaire dans le journal La Vie agricole. Les réactions à mes articles m’ont fait comprendre à quel point les gens de ce milieu ont besoin de repères et de modèles. Ils ne comprennent tout simplement plus où tout cela s’en va. Combien de fois me suis-je fait demander : « Monsieur Garon, comment ça se fait que ça fonctionnait dans votre temps ? » Ce n’est pas à moi mais à eux de trouver les solutions pour le présent, mais si ma méthode peut les aider, tant mieux. En même temps, cette collaboration avec La Vie agricole m’a fait connaître une jeune équipe d’éditeurs prêts à brasser 38413 pp.001-536.indd 16 13-03-07 15:01 Avant-propos 17 la cage dans le monde agro-alimentaire et au-delà. C’est Yan- nick Patelli, Guy Duval et Yan Turmine qui m’ont invité à raconter mon parcours politique. L’appui d’un vieux com- plice, Simon Bégin, mon ancien attaché de presse à l’Agricul- ture et à l’éducation qui a accepté de m’aider à rassembler mes souvenirs et à les mettre en forme, a achevé de me convaincre de me lancer dans cet exercice autobiographique. Je tiens à les remercier tous de leur appui et de leur confiance. Et puis, il y a eu un événement déclencheur : le vaste mouve- ment de protestation des étudiants contre la hausse des droits de scolarité qui a montré au printemps 2012 que le militan- tisme n’est pas mort au Québec. De semaine en semaine, j’ai vu leurs revendications se transformer en un haut-le-cœur collectif devant un gouvernement corrompu et ceux qui en tiraient les ficelles. Dans cette perspective, j’aimerais que mon parcours de militant contribue à redorer l’image de l’engagement en poli- tique face au cynisme ambiant. Oui, la politique est dure et souvent sale. Elle « magane » les idéaux et les amitiés et je comprends les jeunes d’être désabusés. Cependant, lorsqu’elle procède de l’engagement plutôt que de la carrière, de la recherche du bien commun plutôt que de celui de l’intérêt de quelques-uns, la politique demeure un métier noble et essentiel. La mettre de côté parce qu’elle nous déçoit actuellement est une erreur qui risque de se payer très cher. J’expliquerai qu’au cours de mes années en politique, j’ai rencontré davantage de Gérald Godin que de Jean Charest. C’est ce qui permet d’espérer. De même, la « politique autrement » a déjà existé sous René Lévesque. En rappeler les grands moments ne peut pas faire de tort, alors que tout le monde cherche à la réinventer. 38413 pp.001-536.indd 17 13-03-07 15:01 18 Pour tout vous dire Monsieur Lévesque disait : « L’état est le plus fort des nôtres, utilisons-le. » On peut discuter de sa taille et il n’a pas besoin de s’immiscer partout. Toutefois, c’est bien lui qui doit demeurer « le plus fort », plus fort en tout cas que ces puis- sants qui essaient de le manipuler par l’argent, et qui pré- tendent gouverner sans avoir le courage de se présenter à une convention, et la légitimité d’être élus. Je rappellerai certaines victoires de l’état dans ce bras de fer, dont j’ai été un acteur ou un témoin, mais aussi certaines de ses défaites, aussi bien sous des gouvernements libéraux que péquistes. Enfin, près de soixante ans après l’épisode du Reine-Eliza- beth, je crois toujours que l’indépendance est nécessaire pour notre peuple et que, comme au temps de ma lutte pour un nom d’hôtel, elle viendra d’un mélange de raison et de pas- sion. Pour cela, il est essentiel de préserver l’unité des forces souverainistes au moment où le mouvement est plus que ja- mais menacé par les vieux démons du morcellement en fac- tions de pressés et de pas pressés, de plus à gauche et de plus à droite, de plus exigeants et de plus accommodants sur la question de la langue. Dans un vrai pays, ce n’est que naturel : la diversité des options politiques est le reflet, souhaitable, de la diversité de la société. On m’a souvent demandé, au fil des ans, ce que je faisais dans le même parti que certains de mes collègues… J’aurais pu répondre à chaque fois qu’ayant été dans les an- nées 1960 parmi les principaux acteurs du regroupement des forces indépendantistes au sein du Parti québécois, je sais le prix à payer pour le confort d’une petite « niche politique ». Ce prix, c’est l’impuissance. Voilà, en gros, ce que j’entends rappeler dans ce livre en assu- mant ce devoir de raconter et de convaincre. Qu’on soit pré- venu : j’ai l’intention de le faire en toute subjectivité, à partir de mes souvenirs, de mes impressions et de mes opinions – 38413 pp.001-536.indd 18 13-03-07 15:01 Avant-propos 19 mais aussi en ayant recours aux milliers de documents que j’ai conservés. J’espère pouvoir contribuer ainsi à redonner le goût de l’engagement politique et à raviver la confiance dans le projet de souveraineté, parce que je suis toujours aussi convaincu que l’un et l’autre sont la voie essentielle vers un Québec plus juste, plus intègre, plus prospère et plus fier. 38413 pp.001-536.indd 19 13-03-07 15:01 Première partie Le militant 38413 pp.001-536.indd 21 13-03-07 15:01 Si on me demande quel est le titre qui résume le mieux mon che- minement politique et dont je suis le plus fier, c’est celui de militant. Être un militant, pour moi, c’est avoir des convictions et le courage de les défendre. Elles peuvent être de gauche ou de droite, religieuses ou laïques, nationalistes ou fédéralistes. Peu importe. Elles sont l’ingrédient essentiel d’un véritable engagement politique. Je n’ai jamais méprisé mes adversaires pour leurs idées quand ils agissaient sur la base de leurs convictions et non pas pour servir leur intérêt personnel.
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