En Lorraine Et Barrois Vers La Fin De L'indépendance M

En Lorraine Et Barrois Vers La Fin De L'indépendance M

EN LORRAINE ET BARROIS VERS LA FIN DE L'INDÉPENDANCE par M. ANDRÉ BELLARD Introduction Les Archives de Moselle conservent, dans un dossier de pièces du Gouvernement militaire de Metz (sous C. 8), un docu­ ment manuscrit intitulé Mémoire pour servir de réponse à plusieurs questions concernant la Lorraine et le Barrois, et dont l'intérêt pour l'histoire de la province à la veille du rattachement nous a paru réclamer la reproduction textuelle. Il n'est pas daté ni signé — et pour cause — mais il est manifeste qu'il se situe sous le règne du duc François III (1729-1737), dans les temps qui ont précédé et préparé la cession des duchés à Stanislas, beau-père de Louis XV. C'est évidemment l'œuvre d'un personnage diligent opérant à la faveur de la quatrième occupation de Nancy (13 octo­ bre 1733) et riche de renseignements généraux, dirons-nous en usant à dessein des deux mots qui, de nos jours, désignent l'insti­ tution à quoi ressortirait cette sorte d'enquête. Le mémoire se présente sous l'aspect de trois feuillets doubles de papier vergé à filigrane (une couronne de marquis surmontant un cartouche avec cœur séparant les initiales M et L, auquel est appendue une grappe de raisin) ; le texte, calligraphié, est un travail'-de secrétaire mettant des notes ati clair à l'intention d'un personnage important : les seize questions auxquelles il s'est donné à tâche dé répondre sont inscrites en marge, et la seule liberté que nous aurons prise avec le document a consisté à les insérer, en italiques, en début de paragraphe. EN LORRAINE ET BARROIS 181 Mémoire pour servir de réponse " à plusieurs questions concernant la Lorraine et le Barrois 1° Sur le nombre des habitants. — On petit compter au moins sur cent vingt mille chefs de famille, dont les deux tiers habi­ tent la Lorraine et l'autre tiers le Barrois, et sur environ un million d'âmes. 2° Les revenus du prince. — Les revenus actuels de S.A.R. (1) ne montent en argent au cours du Païs qu'à 5.160.000 livres. 3° La manière dont il les perçoit. — La subvention, qui est comme la taille en France, se paye de six mois en six mois, le premier payement se fait au mois de janvier et le second au mois de juillet. Le prix des adjudications des Bois se paye à la St Jean et à la St Remy. ^ Les fermes Générales de trois mois en trois mois. Et les deux tiers du Bénéfice desd. fermes réservés par le bail après une somme prélevée par les Fermiers généraux se payent lorsqu'ils ont rendu à S.A.R. le compte de chaque année. Cet excédent est d'une modique conséquence. 4° Son commerce intérieur. — On ne considère le commerce des Lorrains avec les Lorrains que comme un très petit objet, parce que la richesse du païs consiste en denrées qui se trouvent presque également communes dans tous les endroits. 5° Ce que la Lorraine tire de l'Etranger et ce que l'Etranger tire de la Lorraine. — La Lorraine tire de l'Etranger : Le sucre et toutes les épiceries ; Des vins de Bourgogne et de Champagne ; Des eaux-de-vie du Languedoc ; Des mousselines, toiles fines d'Holande, de Silésie et de Suisse ; Des toiles peintes des Indes et d'Holande ; Toutes sortes d'étoffes de soye ; Des draps fins et de toutes les autres petites étoffes de laine ; (1) C'est à partir de 1579 que le duc Charles III s'était fait donner de 1' « Altesse », à l'instar de sa mère ; c'est au début du xvme siècle que ses successeurs se qualifieront d' « Altesse Royale ». Cf. Emile DUVERNOY, dans l'Histoire de Lorraine, 1939, p. 3184. 132 EN LORRAINE ET BARROIS Des galons d'or et d'argent, rubans de toutes façons et autres galanteries ; Chapeaux fins ; Bas de soye ; Pelleterie ; Cuirs pour les selliers et cordonniers ; Glaces de miroirs : et chevaux de carrosses et de maîtres. La Lorraine fournit aux Etrangers : Des bleds, de l'avoine et de la navette ; Des vins et eaux-de-vie ; Des laines ; Des tapisseries de Nancy ; Des beurres et fromages ; Des verres en tables, bouteilles et autres vases ; Des fers propres à tous usages ; Des bois aussi à tous usages même pour la marine ; Des bœufs et des moutons ; Des sels dont le produit est considérable. Le tout balancé par les plus habiles négociants du Païs, on a reconnu que la Lorraine fournissait à l'Etranger depuis plusieurs années pour un million par an de plus qu'elle ne tire. 6° Le produit des salines, du tabac et des fers. — La vente des sels provenant des salines tant pour l'intérieur du païs que pour l'Etranger produit actuellement 2.380.000 livres par an, sur quoi on doit distraire pour toutes les dépenses que la formation et le transport occasionnent 480.000 livres. La ferme du tabac distraction de toutes les dépenses peut produire annuellement 250.000 livres. Et les droits de marques des fers les frais déduits pro­ duisent de 40 à 50.000 livres par an. 70i Les bois et leur administration. — Les bois étaient ancien­ nement très considérables, mais le Duc Léopold pour repeu­ pler un païs presque abandonné permit qu'on en défrichât EN LORRAINE ET BARROIS 133 dans plusieurs endroits à charge d'y bâtir et de former des villages et pendant tout son règne il n'a pu refuser à personne principalement à sa noblesse ou le défrichement de plusieurs cantons ou des quantités d'arbres de haute futaie à choisir dans les forêts les plus à lçur portée ce qui a causé la dimi­ nution qui se trouve actuellement et des dégradations irré­ parables. Cenpendant il en reste encore beaucoup puisque par la vente qui s'en fait annuellement S.A.R. y trouve un produit de 400.000 livres. Pour procéder à la vente les officiers des grueries envoyent tous les ans au Grand Maître de leur département un état contenant la quantité d'arpents en taillis et le nombre des arbres haute futaie qui doivent être mis en vente. Le jour pris par des affiches le Grand Maître se transporte sur les lieux et l'adjudication s'en fait au plus offrant et dernier enchérisseur après quoi le Grand Maître dresse un état géné­ ral de toutes les adjudications qu'il a faites et de leur pro­ duit qui est envoyé au Conseil où l'on fait des états parti­ culiers qui sont remis aux Receveurs des finances pour en faire le recouvrement. Quant à l'exploitation elle se doit faire conformément à l'ordonnance du Duc Léopold (2) extraite de celle de France mais elle est mal exécutée. Outre les bois du souverain, il y en a encore une très grande quantité qui appartient aux communautés ecclésiasti­ ques et séculières, mais ils n'en peuvent faire aucune vente que par le ministère des officiers du prince auquel le tiers du produit appartient. 8° Les privilèges de la noblesse, son caractère, celui des Lorrains en général. — Depuis le duc Charles 4 (2) la noblesse ne jouit d'aucun privilège particulier, elle ne paye aucune impo­ sition et peut faire valoir ses terres par ses mains sans que le nombre de charrues soit limité, leurs fermiers des haute, moyenne et basse Justice sont mêmes exempts de la subven­ tion aussi bien que leurs marcaires et jardiniers. (2) Charles IV (1625-1675) ; Léopold (1690-1729). 134 EN LORRAINE ET BARROIS A Tégard de son caractère il est difficile à définir parce qu'une trop grande dissimulation couvre la vertu et le vice. Quoiqu'il n'y ait pas de règle générale qui n'ait quel­ que exception, il est certain que la Noblesse et le Peuple de Lorraine sont également entichés du péché de l'avarice et s'ils paraissent sobres ce n'est qu'en ce qui leur coûte, que l'on paye on ne les reconnaît plus. Le Peuple en général est chicaneur entêté il faut écrire avec lui et malgré cette précaution il se croit encore fondé à contester, aussi voit-on plus de procès au Conseil et à la Cour souveraine qu'au Parlement et au Châtelet de Paris. Il aime à être flatté, on peut le vaincre par cette voie, mais il faut se garder de dépendre de lui, car en ce cas on serait à plaindre. 9° S'ils sont laborieux et industrieux. — L'industrie n'est abso­ lument point du païs, on y voudrait bien copier les autres nations mais l'incertitude du succès empêche leur travail, la seule nécessité est ce qui les contraint si l'on en excepte l'avarice qui fait tout entreprendre à ceux qui n'ont rien ou peu de chose à perdre. 10° S'il y a des manufactures en Lorraine. — On ne doit point considérer en Lorraine les établissements qu'on y a faits sous le nom de manufactures comme manufactures en effet. L'habi­ tude où l'on est de tirer des païs étrangers les étoffes et autres choses nécessaires pour les habillements et meubles est cause que les sujets mêmes méprisent les ouvrages qui s'y fabriquent sans aucun égard pour la qualité, en voici la raison. Ces établissements ont été faits sous le règne du feu Duc Léopold par des Français dont il avait fait choix et auxquels il avait accordé des privilèges la bonté et la beauté de leurs ouvrages mis en évidence ayant été agréables à ce prince, des sujets jaloux et protégés ont été assez téméraires et heureux pour demander le bénéfice des privilèges accordés et de les obtenir, mais le peuple encore actuellement prévenu contre notre nation s'imagine que ce qui s'y fabrique depuis l'origine ne vaut qu'une partie du prix auquel on peut le vendre, en sorte que jusqu'à présent le bénéfice qui en a été retiré n'est presque EN LORRAINE ET BARROIS 135 provenu que de la vente qui en a été faite pour la maison et les troupes du duc de Lorraine.

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