La Vie Aux Tuileries Pendant La Révolution : 1789-1799

La Vie Aux Tuileries Pendant La Révolution : 1789-1799

LA VIE AUX TUILERIES PENDANT LA RÉVOLUTION 1789-1799 MATHIEU COUTY LA VIE AUX TUILERIES PENDANT LA RÉVOLUTION 1789-1799 Illustrations — Plans de l'auteur Sources et Bibliographie TALLANDIER Pour être régulièrement informé, sans aucun engagement de votre part, des parutions des livres d'histoire des éditions Tallandier, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse à : Éditions Tallandier, 61, rue de la Tombe-Issoire, 75677 Paris Cedex 14. © Éditions Tallandier, 1988. Ce livre n'est pas une étude historique. C'est un récit qui cherche simplement, grâce à des documents souvent méconnus, à retracer quel- ques instants de la vie d'un site mutilé. Cette vie est aussi celle de la nation. PROLOGUE Un dimanche tranquille aux Tuileries LES PROMENADES DU PALAIS DES THUILLERIES Présenté à son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de CONTY Passé le pont de Neuilly, la route de Saint-Germain- en-Laye à Paris s'étire tout droit à l'est dans la plaine des Sablons, et remonte vers l'Étoile de Chaillot. C'est un chemin magnifique ; un publiciste l'a estimé « digne d'être comparé aux voix romaines1 ». Il y a seulement dix-sept ans, l'on traversait encore la Seine un peu en aval sur un méchant pont de bois souvent emporté par le fleuve ; et l'on empruntait ce chemin qui cahote de Neuilly à la Croix des Sablons (l'actuelle Porte des Ternes), puis descend vers le Roule pour rejoindre le Faubourg Saint-Honoré. Deux siècles sont venus à bout de cet antique parcours : la reine Catherine de Médicis commença le château des Tuileries en dehors de Paris; Louis XIV l'acheva, fit tracer la grande allée de son jardin, avec le cours des Champs-Elysées qui la continue vers l'Étoile de Chaillot; Louis XV a poursuivi le chemin jusqu'à la Seine et fait construire le pont superbe qui maintenant la franchit ; Louis XVI a achevé de paver tout du long cette chaussée grandiose, déjà bordée aujourd'hui de jardins particuliers et de demeures. Au rond-point de l'Étoile se trouve la barrière de Chaillot, où s'arrête maintenant Paris ; là se rejoignent les nouveaux boulevards et le cours des Champs-Elysées, que limitent de chaque côté deux rangées d'arbres. Le paysage est merveilleux : « La vue des quais depuis Passy jusqu'à l'Arsenal retrace à l'imagination les quais de Babylone... » s'écrie un Parisien enthousiaste. « Ce sont des palais de fées qui couronnent les hauteurs de Passy, tandis que l'œil se plonge sur ceux qui bordent la Seine de l'autre côté. Les Champs-Elysées et les Tuileries ne forment plus qu'une seule et même promenade 2 » ; on l'aperçoit tout droit au bas du cours, coupée en deux par la place Louis-XV ; dans le fond, le château barre cet océan de feuillage, et la grande allée vient buter sur le pavillon du dôme. A gauche, au-delà de la ville, « se dresse la colline de Montmartre, couverte d'innombrables moulins à vent, qui, en agitant leurs ailes, font l'effet... d'une troupe volante de je ne sais quels géants emplumés, autruches ou aigles des Alpes », selon un voyageur certainement un peu poète. « Vous arrivez aux Champs-Élysées, qui ne portent pas sans raison ce nom attrayant : c'est un petit bois... avec de petites pelouses fleuries, et des cabanes semées en différents endroits, où vous trouvez tantôt un café et tantôt une boutique. » C'est dimanche, le « peuple » se promène. « On y joue de la musique, et les bourgeois dansent gaiement. Les pauvres gens, épuisés par six journées de travail, respirent sur le frais gazon, boivent du vin, et chantent du vaudeville. Mais vous n'avez pas le temps de contempler toutes les beautés de ce petit bois, de ces gracieux bosquets disséminés comme par hasard à droite et à gauche de la route. Votre regard se dirige en avant, là où, sur une grande place octogone, s'élève la statue de Louis XV3. » Les voitures contournent le monument : fiacres, car- rosses, carabas à huit chevaux et pots de chambre qui font la liaison avec Versailles; quelques attelages de maraî- chers, d'artisans, de charretiers, malgré le repos domini- cal. Sur le piédestal, un bas-relief représente le roi dictant la paix à l'Europe ; aux angles, quatre allégories montrent leur derrière aux passants; les Parisiens, raillant cette façon de présenter la fin d'une guerre de Sept Ans perdue par le feu roi, avaient ricané : « Baise mon cul, la paix est faite ! » Mais aujourd'hui les promeneurs endimanchés n'y prêtent plus attention ; ils sont allés tôt à la messe, débouchent de la rue Royale, des Tuileries, du quai, pour gagner les Champs-Élysées. Aucun véhicule ne s'aventure sur le Pont Tournant qui franchit le fossé entre la place et les Tuileries (sauf bien sûr les tombereaux des jardiniers, pendant la semaine) ; seul le carrosse du roi pourrait y passer, mais depuis quinze ans qu'il règne, Louis XVI n'est jamais venu. Le soir, à la fermeture, le pont se partage tout du long en deux éléments, qui pivotent comme les branches d'un compas s'ouvrant à plat, et viennent se rabattre entre les socles des Chevaux ailés de Coysevox. Le jour, chacun pénètre dans le jardin, s'il est convenablement mis. Les étrangers estiment le jardin des Tuileries le plus beau d'Europe ; du moins les Parisiens le leur font dire et le trouvent tel, eux dont beaucoup ne s'éloignent des barrières que pour les guinguettes des faubourgs. Mais effectivement un voyageur russe en juge ainsi : « Vous ne savez qu'admirer : l'épaisse verdure des antiques allées, l'agrément des hautes terrasses qui s'étendent des deux côtés dans toute la longueur du jardin, ou la beauté des bassins, des parterres, des vases, des groupes, des statues. L'artiste Le Nôtre, le créateur de ce jardin, le mieux dessiné de l'Europe, en a marqué chaque partie au cachet de l'esprit et du goût. Ce n'est plus le peuple qui se promène ici, comme aux Champs-Elysées, mais bien ce qu'on appelle le meilleur monde, des cavaliers et des dames qui répandent à terre la poudre et le fard. Montez sur la grande terrasse : regardez à droite, à gauche, en rond, partout se montrent d'immenses constructions, des palais, des églises, les belles rives de la Seine, des ponts de pierre sur lesquels s'entassent des milliers de gens, où quantité de voitures font leur fracas. Regardez tout cela, et dites ce qu'est Paris ! Il faut bien l'appeler la première ville du monde, la capitale de la magnificence et du merveilleux » Peut-être ce voyageur Russe exagère-t-il un peu son enthousiasme pour éblouir ses amis de Saint-Pétersbourg. En réalité, les Tuileries de 1789 sont assez mal soignées. Des terrasses qu'il admire, plus d'un promeneur est tombé dans le jardin et s'est gravement blessé, car de ce côté elles ne comportent pas de garde-corps. De ces belles dames qui répandent à terre la poudre et le fard, ne sait-il pas que plus d'une est une « fille entretenue », qui a pris « le parti de se mettre très décemment » ? Un vrai Parisien ne s'y trompe pas ; « les gens de bon ton » ne sortent d'ailleurs pas le dimanche ; parmi tous ces promeneurs, il sait « deviner les états » : « Ici un gros procureur foule pesamment la terre et brise la chaise sur laquelle il s'assied ; un abbé légèrement penché sourit à propos, et sa face joyeuse et chérie annonce qu'il vit dans une molle et profonde indolence à l'appui d'un riche bénéfice. Une douairière immobile paraît insensible à tout ce qui se passe autour d'elle. Ici l'on voit des visages étourdis, là des fronts soucieux. L'un vient pour se reposer, l'autre pour se distraire d'un sombre désespoir... Des filles publiques et bien vêtues se rangent en plein jour sur des chaises au coin d'un arbre, et de là raccrochent les passants, non avec le bras, mais avec un regard qui vous fait baisser la vue... Rarement manquent- elles leur coup ; il y a toujours quelques officiers en semestre, quelques libertins désœuvrés qui s'en emparent ; elles se rallient entre elles et se prêtent la main pour embaucher les dupes et les imprudents, et former ce qu'on appelle parties carrées... Il devrait être enjoint à ces créatures d'attendre au moins l'ombre et les ténèbres, comme elles faisaient ci-devant, afin que le désordre n'eût point ce front scandaleux qui déshonore un jardin royal, et qui force la mère de famille à sortir précipitamment de telle allée, et à n'oser s'asseoir sur tel banc. La jeune fille à ses côtés, qui tient l'aiguille toute la semaine, n'ose lever les yeux ; elle n'aperçoit que la chaussure de l'altière courtisane, et cette chaussure suffit à lui inspirer des envies qu'elle n'avait pas. Où est donc la récompense de la vertu ? se dit-elle à elle-même » Ce Parisien est un moraliste. En fait, le jardin est un endroit calme, même en matière de prostitution ; l'am- biance chaude se trouve au Palais-Royal, où sont cafés, restaurants, salles de jeux et boutiques en tout genre. Rien de tout cela aux Tuileries. Qu'en feraient les bonnes promenant des bambins ; les enfants jouant au cerceau ou à colin-maillard ; les militaires à la retraite, souvent chevaliers de Saint-Louis, dont la promenade est méthodique, et qui se saluent quand ils se croisent ? Ici, les divertissements sont modestes.

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