WEINBERG 1945 TRIO KHNOPFF Mieczysław Weinberg in the late 1940s MIECZYSŁAW WEINBERG (1919 –1996) PIANO TRIO, Op. 24 1 I Prelude and Aria: Larghetto 05’48 2 II Toccata: Allegro marcato 04’03 3 III Poem: Moderato 11’23 4 IV Finale: Allegro moderato 10’38 SONATA NO. 1 FOR CELLO AND PIANO, Op. 21 5 I Lento ma non troppo 08’49 6 II Un poco moderato – Lento ma non troppo 11’29 TWO SONGS WITHOUT WORDS FOR VIOLIN AND PIANO* 7 I Andantino 04’09 8 II Larghetto 04’12 RHAPSODY ON MOLDAVIAN THEMES FOR VIOLIN AND PIANO, Op. 47 No. 3 9 Adagio – Allegro vivace – Doppio più lento Doppio movimento – Prestissimo 10’59 * world premiere recording WEINBERG Quand le Trio Khnopff s’est constitué, la nécessité de sortir d’un certain confort et d’accorder une place dans nos projets à des répertoires moins routiniers s’est vite imposée. Les recherches 1945 de pièces “originales” ou “rares” nous ont conduits d’émerveillement très passagers en déceptions immédiates, sans compter les moments où nous n’étions évidemment pas d’accord sur la pertinence de programmer telle ou telle découverte. Mais le Trio de Weinberg a vite fait l’unanimité. La charge émotionnelle qu’il charrie, la qualité et l’originalité de l’écriture, la personnalité du compositeur (un jeune homme face aux affres du XXè siècle), le challenge instrumental qu’il propose... tout était réuni pour en faire LA pièce que nous voulions défendre. Personne n’en ressort d’ailleurs indemne: ni le public,... ni les musiciens! L’idée de consacrer notre premier album à Weinberg et plus particulièrement à cette période charnière autour de l’année 1945 devint une évidence. A 26 ans, seul membre de sa famille survivant à l’Holocauste et à la guerre, il est contraint à l’exil et vient de s’installer à Moscou. Son style musical s’affirme et les pièces de cette époque témoignent d’une extraordinaire diversité: le Trio mêle expressionnisme et froideur déshumanisée, la Sonate pour violoncelle cite à peu près toute l’histoire de la musique en vingt minutes (incluant le baroque et des accents presque jazzy), la sincérité des Chansons sans Paroles émeut immédiatement et la Rhapsodie consacre l’inventivité instrumentale et la virtuosité d’écriture de Weinberg pour les instruments à cordes. Si ceci est votre premier contact avec Weinberg et si, comme nous l’espérons, vous voulez pousser un peu plus loin la découverte, sachez que vous attendent 26 symphonies, 17 quatuors à cordes, une quantité invraisemblable de sonates et de concertos ou encore l’opéra The Passenger, chef-d’œuvre absolu ayant le camp d’Auschwitz pour décor. Une impressionnante production d’une originalité artistique qu’il est grand temps d’estimer à sa juste valeur. Sadie Fields, Stéphanie Salmin & Romain Dhainaut Après s’être installé à Moscou en Septembre 1943 pour échapper aux invasions nazies FRANÇAIS de la Pologne en 1939 et de la Biélorussie en 1941, Mieczsław Weinberg fut rapidement considéré comme une étoile montante de la jeune génération de compositeurs sovié- tiques. Il se fit d’abord un nom dans la musique de chambre: un choix particulièrement judicieux, puisque son nouvel ami et mentor, Dimitri Shostakovich, avait, depuis plusieurs années, incité les musiciens soviétiques à investir ce domaine, leur montrant la voie avec une sonate pour violoncelle, un quintette à clavier, un trio et deux quatuors à cordes composés en 1943 et 1944. Weinberg n’est pas en reste: entre 1943 et 1948, il est l’auteur de quatre quatuors à cordes (du 3e au 6e), trois sonates pour violon (de la 2e à la 4e), un quintette à clavier, une sonate pour violoncelle, un trio à clavier, une sonate pour clarinette et un trio à cordes. Autant d’œuvres majeures aux côtés desquelles il compose de courtes pièces, dont deux figurent sur ce disque. Ecrit en juin et juillet 1945, le Trio à clavier fut créé dans la petite salle du Conservatoire de Moscou le 9 janvier 1947 avec le compositeur au piano et deux membres du célèbre Quatuor Beethoven, Dmitry Tsïganov (violon) and Sergey Shirinsky (violoncelle), qui avaient également assuré la première exécution du deuxième Trio de Shostakovich. Si le Prélude monumental et néo-baroque qui ouvre l’œuvre s’inspire directement du début du quintette de Shostakovich, l’Aria qui lui succède, introduite par le violon après un bref silence, s’en démarque par son côté intime. La section conclusive en pizzicatti relève quant à elle de la plus grande originalité. Véritable tour de force où s’entrechoquent sans cesse de nombreux motifs, la Toccata débute par des rythmes irréguliers agressifs dignes de Béla Bartok. Weinberg y surpasse les expérimentations de toutes ses œuvres précédentes, confinant d’abord le piano au 5/16 et les cordes au 6/16, avant de mélanger les métriques et d’obtenir une grande complexité rythmique. Un thème d’inspiration populaire basé sur des quartes et un puissant choral joué à l’unisson dans le grave tentent de s’imposer, sans pour autant l’emporter sur cette pulsation asymétrique et violente. Comme dans le quintette à clavier de l’auteur, composé l’année précédente, le mouve- ment lent, “Poème”, s’ouvre par un récitatif déclamatoire menant à une succession d’accords graves. Le thème troublant du violoncelle est ensuite repris par les autres instru- ments et s’intensifie vers un climax passionné avant que le mouvement ne se termine dans une ambiance stoïque. Le très complexe Finale alterne des variations sur le long thème initial du piano et des épisodes développant leur identité propre, parmi lesquels une spectaculaire fugue centrale de 300 mesures de fortissimo ininterrompu. Le mouvement se calme en une valse narquoise, qui se fraye un chemin telle une réminiscence des dernières mesures du deuxième Trio de Shostakovich – un modèle potentiellement intimidant qui n’éclipse pourtant en aucun cas la profonde originalité de l’œuvre de Weinberg. Une différence importante entre Weinberg et Shostakovich est leur intérêt pour la sonate: si Shostakovich se limite à deux sonates pour piano et une pour respectivement le violon, l’alto et le violoncelle, Weinberg s’y essaie presque trente fois, composant notamment deux sonates pour violoncelle et piano et quatre sonates pour violoncelle seul. Bien qu’il ne soit pas lui-même instrumentiste à cordes, sa maîtrise de l’écriture pour violoncelle est très sûre dès le début de sa carrière. Composée en une semaine en 1945, la Première sonate pour violoncelle et piano fut publiée par Muzfond (la société d’édition de l’Union des Compositeurs Soviétiques) dès 1947 mais ne semble avoir été créée que le 2 décembre 1962 par Daniil Shafran et Nina Musinyan. Aucune information ne nous est parvenue concernant le dédicataire ou une quelconque commande. La sonate se compose de deux mouvements, le premier étant principalement lent et s’ouvrant sur une phrase rêveuse du violoncelle auquel le piano répond de manière plus agitée. Couplées aux notes graves répétées du piano, apparaissent ensuite des tournures mélodiques typiques de Weinberg: des successions de quartes justes, des notes articulées par deux,... autant de motifs évoquant le folklore juif dans lequel il a grandi. Les motifs initiaux sont ensuite approfondis et combinés, cachant leur provenance par des augmentations ou diminutions de leur rythme original. Il en résulte une modification peu conventionnelle de la forme-sonate, dans laquelle les traditionnels exposition, développe- ment et réexposition sont organisés en sections de plus en plus longues. Le second mouvement est une forme en arche avec une cadence pour violoncelle à son sommet. La tonalité de sol dièse mineur (contrastant avec le do majeur, certes très chro- matique, du premier mouvement) renforce encore son caractère nerveux et déterminé, si typique de nombreux scherzos de Weinberg d’alors. Dès le début du mouvement, qui rappelle une Toccata, les canons très rapprochés donnent l’impresion de deux instruments se provoquant mutuellement. Le piano explose ensuite dans un mouvement perpétuel aspirant bientôt son partenaire. La cadence centrale tente d’instaurer une certaine tranquillité, des ponctuations passionnées alternant avec de douloureuses sections en doubles cordes soudainement interrompues par des traits vertigineux vers le registre aigu. Les motifs initiaux du mouvement reviennent ensuite, comme assagis, dans un dialogue entre les pizzicati du violoncelle et le piano. Le violoncelle reprend l’archet avec sourdine sur une citation presque à l’identique d’un passage du mouvement lent du concerto de Dvořák. Après un silence, le piano répond à l’écriture lyrique de la cadence du violoncelle. Tel un souvenir, l’épilogue revient au thème rêveur du début du premier mouvement et clôt la pièce en do majeur. Les Chansons sans paroles font partie d’une série de pièces de musique de chambre non publiées à ce jour et n’ayant refait surface que récemment dans les archives. La première est un Andantino lyrique avec des phrases arquées à la Prokofiev, dans le style de celles que Weinberg développera dans les climax de ses deux ballets des années 1950. La seconde, un Larghetto, est une transcription de l’Aria pour quatuor à cordes opus 9 composée à Tashkent en 1942. Jouée sur un tendre accompagnement de notes répétées, sa mélodie gracieuse est à mi-chemin entre une version slave du célèbre “Après un rêve” de Fauré et le mouvement lent du concerto pour violon de Tchaïkovsky. Son charme et sa perfection formelle conquirent une place particulière dans le coeur du compositeur qui utilisa également cette mélodie comme second mouvement de sa Suite orchestrale Op.26 (1945) et comme l’une de ses Cinq pièces pour flûte et piano (1947). 1948 fut une année épouvantable pour les compositeurs soviétiques et pour Weinberg en particulier.
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