La condition du traducteur Pierre Assouline La condition du traducteur Centre national du livre 53, rue de Verneuil 75007 Paris © Copyright : Pierre Assouline, 2011 Centre national du livre pour la présente édition Édition hors commerce Ne peu être vendu, ni reproduit Humour is the first of the gifts to perish in a foreign tongue. Virginia Woolf Sommaire I. ÉTAT DES LIEUX 13 Le rôle du CNL 14 Ce qui a changé 16 II. DE LA FORMATION DES TRADUCTEURS 19 Masters et traduction 20 De Paris à Arles, et retour 21 Le français et la culture à la peine 24 Anglicisation et féminisation 26 Vers une école nationale de traduction ? 28 III. AIDEZ-NOUS LES UNS LES AUTRES 31 Le dispositif du CNL 31 Offres de résidences 33 La voie européenne 34 Entre programmes, ateliers et sociétés 35 Nom de code : Petra 38 Vers quel fonds européen de la traduction ? 40 La manne de l’étranger 41 Petite philosophie du soutien 42 IV. DES PRIX POUR LES TRADUCTEURS 47 Lauriers et trophées 47 Il n’y en a jamais assez 50 V. RÉMUNÉRATION : LA DÉGRADATION 53 Grilles et pratiques 54 Entre non-fiction et fiction 56 Paroles de traducteurs 58 10 LA CONDITION DU TRADUCTEUR Paroles d’éditeurs 61 Ailleurs, chez nos voisins 63 VI. LÀ OÙ IL Y A DE L’ABUS 67 Reproches à l’éditeur 67 Réponses d’éditeurs 69 Écrivains et critiques à la barre 72 Du code aux commandements 75 Les huit commandements 77 Off 79 L’affaire Kleist 80 VII. SCÈNES DRAMATIQUES 85 Une prestation de service ? 86 L’affaire Ibsen 88 L’affaire Estupidez 89 Contestation à la SACD 91 Off bis 93 Le rôle de la Maison Antoine-Vitez 95 Réformer 96 VIII. DE LA RECONNAISSANCE 101 Par l’auteur 102 Par le public 103 Par les traducteurs entre eux 104 Par les éditeurs 107 Par les sites d’éditeurs 109 Par les couvertures de livres 110 Par les médias 112 À l’étranger 115 Sommaire 11 Les chevaliers errants de la littérature 119 Pour que cela change 122 IX. DERNIÈRES RECOMMANDATIONS 123 Aides 124 Théâtre 124 Formation 125 Contrat 125 Visibilité 126 Portail 126 International 127 Code 128 De l’avenir 129 ANNEXES Quelques précisions techniques 135 Brève histoire de l’ATLF 137 Code de déontologie du traducteur littéraire 140 Code des usages 142 Les crédits de traduction du CNL 147 L’aide à l’intraduction du CNL : traduction vers le français 148 Évolution des aides du CNL aux éditeurs pour la traduction d’ouvrages étrangers en français 151 Évolution des aides directes du CNL aux traducteurs 167 Un exemple, les livres aidés par le CNL pour la rentrée littéraire de 2009 179 Appel à plus d’une langue 183 I. État des lieux eureux comme un traducteur en France ? Le moins malheureux en Europe, certainement. À l’instar de Mme de Staël, il pourrait dire Hqu’il se désole lorsqu’il se contemple, et se console lorsqu’il se com- pare. Sauf que ce sentiment ne lui suffit plus car, depuis quelques années, sa situation s’est dégradée en même temps que son environnement profession- nel a évolué. D’un côté, on a assisté chez les éditeurs à une croissance sur plusieurs fronts : le chiffre d’affaires et, dans une moindre mesure, les salaires ont aug- menté ; en littérature étrangère, le volume des traductions, la diversité des langues traduites, le nombre des collections se sont accru. De l’autre, on a assisté chez les traducteurs à un bouleversement sur des fronts plus nombreux encore : tandis que le métier se professionnalisait, la profession s’est précarisée. Elle a su, certes, féminiser et rajeunir ses effec- tifs, se doter de formations spécialisées qui permettent d’obtenir un premier contrat à l’issue d’un stage en fin de master. Mais, dans le même temps, elle a eu à faire face, dans l’édition, à une concentration excessive sur la langue anglaise, à une réduction des délais de livraison, à une externalisation des services, à une généralisation de la pratique du forfait et à une reddition de comptes de plus en plus aléatoire. Ses revenus ont baissé, son pouvoir d’achat s’est effondré. Paupérisée, fragilisée dans son pouvoir de négociation, sous- estimée dans son statut, elle se considère dépréciée. 14 LA CONDITION DU TRADUCTEUR Le monde de l’édition se comporte comme si, de la fameuse formule de Paul Valéry pointant dans l’activité de traduire la faculté de « créer de la gêne au plus près de la grâce », il ne voulait retenir que la grâce, alors que les traducteurs se trouvent de plus en plus dans la gêne. Rien ne leur importe comme la défense de leur indépendance : imagine-t-on un auteur salarié ? Beaucoup ont été enseignants. Le mouvement aujourd’hui est d’oser vivre de son métier de traducteur littéraire. D’aucuns jugeront extravagante une revendication qui devrait être naturelle. On en reparlera tout au long de ce rapport. En revanche, autant affran- chir d’emblée le lecteur sur ce qu’il n’y trouvera pas, ou peu, à savoir une analyse ou une enquête sur la traduction « pragmatique » (commerciale, technique, scientifique) ; la philosophie de la traduction (la traductologie ; la poétique du traduire ; la réflexion à l’œuvre dans les translation studies ; l’état du babélisme à l’heure des moteurs de recherche) ; l’extraduction (la traduc- tion du français vers une langue étrangère) ainsi que l’éternel débat entre partisans de la langue-source et partisans de la langue cible ou la non-moins sempiternelle polémique sur le dilemme fidélité/trahison. Le présent rapport se focalise sur l’intraduction, la traduction d’une langue étrangère vers le français. Davantage que de s’arrêter sur des statis- tiques, il a pour objet d’indiquer des tendances, et donc de mettre en pers- pective les flux à partir de différentes sources, dont l’Index translationum – Bibliographie mondiale de la traduction de l’Unesco –, les catalogues d’éditeurs, les données du Syndicat national de l’édition (SNE), les enquêtes de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) et de la Société française des traducteurs (SFT), Electre, sans oublier les entretiens menés auprès de diverses personnalités. Il entend avant tout dresser un état des lieux de la condition matérielle, et donc morale, du traducteur en France. Le rôle du CNL – Centre national du livre Retour à l’exception française. Patrick Deville, que ses fonctions à la tête de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (MEET) amènent à souvent voyager, le reconnaît : « La situation des traducteurs français est enviée ailleurs car elle est enviable, que ce soit comparativement au reste de l’Europe, ou relativement 1 ». Depuis les années 1960, le champ est « en voie d’autono- misation » pour le sociologue, confirme Susan Pickford, traductrice, maître de conférences à Paris XIII en traduction, qui conduit des recherches sur l’évolution de la profession, de l’invention du droit d’auteur à nos jours 2. 1. Entretien avec Patrick Deville, hiver 2010. 2. Entretien avec Susan Pickford, 5 mai 2009. I. État des lieux 15 1981 fut une date dans l’histoire de la reconnaissance du métier de tra- ducteur en France avec la nomination de Jean Gattégno à la Direction du livre. Pour la première fois, un traducteur parvenait à cette fonction, même si la traduction n’était pas son unique activité. Le changement fut percep- tible car il se signala aussitôt par des bourses, des aides, des commissions. Selon Jean-Yves Masson, la bibliométrie témoigne de ce que cette arrivée a fait exploser le nombre de traductions 3. Initié dans les années 1980 donc, et révisé en 2006, le dispositif que Gat- tégno instaura au CNL, le Centre national du Livre, incite à la fois à déve- lopper les traductions de qualité et à améliorer le statut des traducteurs. Il faut d’ailleurs noter que, à la différence de ses homologues internationaux, le CNL soutient autant l’importation des littératures étrangères en France que l’exportation de la littérature française à l’étranger. Pour ce qui est de l’intraduction, la seule qui nous intéresse dans le cadre de cette mission, les principaux points de l’aide aux éditeurs portent sur le taux de la contribution (50 % du coût de la traduction pris en charge par le CNL si le feuillet est rémunéré entre 18 euros et 20,90 euros ; 60 % s’il est rémunéré entre 21 euros et 25 euros) ; sur le nombre de dossiers déposés (4 dossiers par session et par commission, et 3 supplémentaires si ces demandes d’aides entrent dans le cadre de manifestations que le CNL organise ou aux- quelles il participe) ; et sur le mode de versement de la subvention (70 % dès la décision d’attribution, le solde à la parution de l’ouvrage et à la remise de l’attestation de paiement du ou des traducteurs). Pour ce qui est de l’aide directe aux traducteurs, elle consiste en des cré- dits de traduction envisageables dès lors que le demandeur n’a pas bénéficié d’une aide l’année précédente et qu’il a signé un contrat avec un éditeur pour une rémunération minimale de 20 euros le feuillet. Le CNL intervient alors en complément de l’à-valoir consenti et relativement à la difficulté et à la lon- gueur de l’œuvre selon des montants modulables (1 100 euros, 2 200 euros, 3 300 euros, 4 400 euros, 5 500 euros, 6 600 euros). Ces aides sont, dans les deux cas, examinées par des commissions d’ex- pertise réunissant des représentants des professions ou des domaines concer- nés qui remettent leurs avis consultatifs au président du CNL, lequel est seul à même de statuer afin de garantir l’impartialité des décisions.
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