FASCICULES Les bateaux de passagers HISTOIRE(S) Cinq siècles d’histoire, d’Elbeuf à La Bouille n°48 Agnès [ Thomas À ROUEN, LES PASSAGERS EMPRUNTENT DE PETITES BARQUES COUVERTES POUR REJOINDRE LE BATEAU DE PASSAGERS, ANCRÉ AU MILIEU DU FLEUVE. GRAVURE DE NICOLAS COCHIN 1777. 2 Chère Madame, cher Monsieur, Les Rouennais redécouvrent depuis peu les quais de leur ville. Si les différentes éditions de l’Armada ont permis de visualiser l’aspect du port lorsqu’il était rempli de grands voiliers armant au long cours, l’importance du trafic de passagers sur le fleuve reste méconnu. D’Elbeuf et de La Bouille partaient, depuis le XVIe siècle, des services réguliers de bateaux drainant de nombreux voyageurs vers la capitale normande. D’abord « coches d’eau », puis vapeurs à aube au début du XIXe, et enfin vedettes au XXe. Ces cinq siècles de transport fluvial ont fortement marqué notre agglomération. Les témoignages qui lui sont consacrés par de célèbres romanciers et peintres, les divers guides et les innombrables cartes postales… constituent un fonds patrimonial d’une richesse exceptionnelle. Chaleureusement à vous, Président de la CREA 3 INTRODUCTION a Seine, fleuve tranquille, la voie d’eau malgré les difficultés est longtemps restée le qu’elle entraînait. Ainsi au XVIe siècle, moyen de circulation privi- les voyageurs venant de Basse-Nor- légié des hommes. mandie et de Bretagne descendaient la OnL a du mal à comprendre aujourd’hui très pentue côte de Bourgtheroulde1 à la prédilection de nos ancêtres pour La Bouille, pour attendre, sur la place « du bateau », le départ d’une embar- cation fort inconfortable, qui allait mettre quatre heures pour les amener jusqu’à Rouen ! C’est que les routes étaient très fré- quentées, mal entretenues et peu sûres. Le voyage sur la Seine, pourtant déses- pérément long, mais plus confortable que la diligence et permettant le trans- port de marchandises plus volumi- neuses, était donc préféré chaque fois que possible. P. 4 ET 5 : DESSINS DE JULES ADELINE DANS LE VOYAGE DE LA BOUILLE PAR MER ET PAR TERRE, RÉÉDITÉ EN 1877 ET 2013. 4 5 le coche d’eau au XVIe SIÈCLE es diligences, ou coches barriques de cidre stockées dans les d’eau, étaient tirées par des grottes d’Orival, le vin des coteaux de chevaux sur le chemin de Freneuse… halage. On pouvait parcou- Le tableau des tarifs du bateau bouillais Lrir le fleuve du Havre jusqu’à Paris. En en 1636 indique : laine, poteries (du aval de Rouen, les coches étaient gréés Roumois), toile, céréales, cidre, fruits, de voile pour remonter le fleuve en pro- animaux, (gorets de Routot), etc. fitant des vents d’Ouest. La marée, dont Mais c’est au XVIe qu’apparaissent les l’influence se faisait ressentir jusqu’à premières mentions de bateaux de pas- Elbeuf, était également utilisée. Deux sagers. En aval de Rouen, les Bouillais chevaux étaient nécessaires sur le trajet sont officiellement autorisés en 1560 à La Bouille/Rouen, quatre pour celui de effectuer la montée La Bouille/Rouen, Rouen/Elbeuf. puis en 1565, le Rouennais, peut faire La très ancienne juridiction de la « Vi- la descente Rouen/La Bouille. Mais comté de l’Eau » de Rouen permet de ces bateaux doivent retourner à vide à dater les premiers transports par eau leur port d’attache. de marchandises d’Elbeuf à Rouen En 1594, du fait des attaques régulières dès le XIIIe siècle, pour le « fil, lange par des brigands, le Parlement rend un et linge d’Ellebeuf jusques à Roën ». arrêt : chaque coche sera protégé par Puis, la « voicture pour eaue d’Ellebeuf « deux soldats, deux piquiers et deux à Rouen » est à nouveau évoquée à la hallebardiers ». fin du XVe dans les comptes de René II, baron d’Elbeuf. On expédie les céréales provenant du plateau du Neubourg, les P. 7 : CHEMIN DE HALAGE À SAHURS. « ON L’A AMENÉ À ROUEN AVEC UNE CORDE ». 6 Ce n’est qu’en 1595 que le Bateau de Les réglementations en vigueur Bouille, effectuant quotidiennement jusqu’à la Révolution sont souvent to- l’aller et le retour, obtient une autori- talement irrationnelles : comme cette sation de la Vicomté « un bateau bien- obligation de retour à vide, ou l’inter- fermé, estanche,… de port de 20 à 25 diction de desservir les paroisses de tonneaux, conduit par trois hommes la rive gauche (pour le coche partant robustes, accompagnés d’un garçon de Martot), ou encore les nombreux chargé de mener les chevaux » et pou- péages et taxes à acquitter pour pas- vant transporter jusqu’à 200 passagers. ser sous un pont, longer une île ou un Progressivement, les seigneurs de château… Ces droits ne seront abolis Mauny et d’Elbeuf, rachètent la plu- qu’à la Révolution, date à laquelle part des embarcations pour les « affer- l’activité sera gérée par des sociétés mer » à des exploitants. privées. 7 TARIFS DES TRANSPORTS SUR LE BATEAU DE LA BOUILLE. 8 DE MULtiples sortes d’embarcaTIONS es bâtiments naviguant en « chabliau » est sectionné par le char- Seine étaient très dispa- retier. rates. Si le terme de « coches » ou de « ga- Le transport de marchan- liotes » est utilisé en région parisienne, Ldises s’effectue sur des « foncets »2, on parle des « barguettes » d’Orival, puis sur des « besognes »3, et enfin, en et des « bateaux » de La Bouille et aval de Rouen, sur des « gribanes »4. d’Elbeuf. Les navires de passagers mesurent de Pour cette dernière destination, les 30 à 100 pieds de long : 200 personnes usagers utilisent souvent le nom de s’entassent, dans le plus grand, sur le « Mal-menée », barque de 30 pieds, pont, debout ou assis sur leurs bal- apparue au XVIIIe siècle sur la ligne lots. Le confort s’améliore au fil des Martot/Rouen. Ce terme s’est ensuite siècles : on peut bientôt s’abriter de généralisé à toute la flotte elbeuvienne. la pluie dans la « tire », toile tendue Synonyme de tortillard, il évoque à lui sur le pont, puis dans la « chambre », seul l’aspect interminable et périlleux chauffée. du voyage ! Chaque coche traîne derrière lui une Les naufrages ou collisions sont fré- « flette », barque à fond plat, équipée de quents : ainsi le 12 juillet 1777, un ba- planches, pour le passage des chevaux teau de nuit transportant des pèlerins en cas de traversée du fleuve. Un câble du Roumois, de La Bouille à Saint- d’environ 300 mètres, accroché en haut Adrien, coule, heureusement sans faire du mât (pour ne pas traîner dans l’eau de victime. ou sur d’éventuels obstacles), permet le halage. En cas d’extrême urgence ce 9 TRAJET ET FRÉQUENCE récisons tout d’abord qu’il de halage, débutant au Cours la Reine, existe d’autres lignes que suit la rive gauche jusqu’à Bédane, où celles évoquées jusqu’ici les chevaux changent de rive. À Saint- dans cet ouvrage : les bateaux Aubin-lès-Elbeuf, nouveau débillage5 : deP Caudebec à Rouen, ou des Andelys, le coche longe les îles6 du Noyer et par exemple. Certains bateaux n’effec- Lecomte pour rejoindre Elbeuf. tuent que des portions de trajet, comme Le bateau effectue trois trajets aller-re- Elbeuf/Oissel ou Rouen/Port-Saint- tour par semaine, ce dès 1599. À par- Ouen, ce qui allège d’autant le trafic tir de la Révolution, le rythme passe à d’Elbeuf. une rotation par jour. À cette époque on compte deux bateaux de passagers Jusqu’au XVIIIe, les quais de Rouen pour un affecté aux marchandises. sont en construction et seules des berges talutées accueillent les navires, Les passagers du bateau de La Bouille s’entassant à couple, sur plusieurs ran- sont réunis à la cale St Éloy ou quai de gées dans un encombrement indescrip- la Petite-Chaussée, rive gauche, d’où tible. Les bateaux d’Elbeuf et de La part le halage, jusqu’à Croisset, lieu Bouille s’ancrent donc après leur ser- du débillage. Les chevaux suivent en- vice, au milieu du fleuve. suite la rive droite jusqu’aux écuries À Rouen, le quai d’embarquement d’El- de Sahurs, d’où le bateau rejoint La beuf est situé au niveau de la place de la Bouille. Haute-Vieille-Tour, là où se jette le Ro- bec. Les passagers traversent le fleuve Dès sa création en 1595, la cadence pour rejoindre le bateau. Le chemin du Bateau de Bouille est quotidienne. 10 Le règlement stipule qu’« il doit 1645, un second bateau quitte Rouen partir de la cale St Éloy à 10h pour à 6h du matin. arriver à La Bouille à 2h (du soir) En 1700, c’est trois bateaux par jour qui et faire le retour le même jour. » font le trajet. Les départs rouennais sont Le tarif est d’un sol par passager. En fixés ainsi : 10h, 2h et 7h. TRAJET DU HALAGE DE LA BOUILLE À ELBEUF. DÉTAIL DE LA CARTE DE LA GÉNÉRALITÉ DE ROUEN, 1716. 11 PETITS MÉTIERS DE LA Voie d’eau utour des coches d’eau Les éleveurs, maquignons, producteurs gravitent de nom- de fourrage, maréchaux-ferrants, bour- breux corps de métiers : reliers, propriétaires de relais et d’écu- Les voituriers d’abord, ries… A(propriétaires ou fermiers), mariniers, Enfin les aubergistes, pêcheurs, ber- garçons de barque, ouvriers des chan- ments7, barbanneurs8, sans compter les tiers navals, charpentiers, cordiers… employés de la Vicomté : les planca- Les meneurs d’attelage, fournissant gers, chargés de l’entretien des chemins chevaux et équipement. Les haleurs de halage, huissiers et sergents faisant d’appoint, pour les passages délicats. respecter les usages sur le fleuve… 12 DICTONS ET LITTÉRATURE n mode de transport aussi Le Batteau de Boville, est une comédie singulier ne pouvait que écrite vers 1678 par J.
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