LIENS HISTORIQUES ET HUMAINS ENTRE LIGURIE ET PROVENCE (À PARTIR D’UNE ÉTUDE SUR LES PATRONYMES) Jean SARRAMÉA Le professeur G. Garibaldi de la province d’Imperia m’avait suggéré d’approfondir la connaissance des liens humains anciens et étroits entre la Ligurie et les départements côtiers de la Provence. Il m’a fourmi aimablement les pages blanches des abonnés au téléphone, facilitant, cette recherche réalisée en mars-avril 09. La côte Ligure, par l’ancienneté du tourisme et l’importance de sa fonction d’accueil a connu des brassages migratoires intenses, en particulier depuis 1945, (reconstruction, modernisation, économie florale…). L’étude des patronymes devenait peu pertinente pour l’objet de cette recherche. J’ai donc dépouillé tous les villages de l’arrière-pays montagneux (25), afin de repérer des noms typiquement ligures et anciennement installés. Je me suis limité à une centaine, présents au moins deux ou trois fois dans la liste des abonnés au téléphone fixe en 2006. J’ai ensuite vérifié, pour chaque nom, sur le site GENS de l’Université de Gênes, si ces patronymes avaient bien une unique origine ligure, selon quatre séquences de 25 ans 1891-1915 ; 1916-1940 ; 1941-1965 et 1966-1990. Cela permet de pointer l’ancienneté de la présence, la dynamique de la permanence démographique, et bien sûr la dynamique de la dispersion géographique en France. Un tableau classé par ordre alphabétique permet une analyse détaillée au cas par cas, avec, très lo giquement, des noms rares, moyennement ou très communs. Trois colonnes répertorient également les naissances au niveau des seuls trois départements des Alpes-Maritimes, Var, et Bouches-du-Rhône, de très loin les plus représentés. Par des abréviations à titre de renseignement, car ce n’est pas le cœur de cette étude, on signale les régions françaises où ces patronymes sont présents. ● Quelques enseignements généraux qu’apporte cette étude Le nombre de patronymes assez présents dans l’arrière-pays ligure et absents en France est fort limité (8 %) ce qui atteste d’une ancienne et intense migration est-ouest ! Aucun des cent patronymes étudiés n’a une présence majoritaire hors de nos trois départements côtiers, ce qui prouve des liens géographiquement très ciblés. Les cents patronymes ont donné presque 20 000 naissances en France sur un siècle, ce qui précise l’importance de l’apport dans la société, la population active et la démographie. Ces familles avaient eu déjà plus 4300 naissances en France avant 1916, ce qui atteste une présence évidemment plus ancienne même si l’on peut supposer que la majorité de s immigrants était plutôt jeune. Les historiens nous assurent que depuis le XIVe siècle, le courant migratoire s’effectue depuis un pôle de « haute pression » démographique ligure vers une zone de « basse- pression » démographique durable la Provence. A noter que 89 % de ces naissances ont eu lieu pendant ce quart de siècle exclusivement dans les 3 départements, ce qui démontre une dispersion en France encore très faible. Il est aussi caractéristique que les Alpes-du-Sud, et même le Vaucluse, ne sont guère une destination recherchée, peut-être à la différence des Piémontais. Le bassin parisien l’est assez peu, le Languedoc et la région de Toulouse très moyennement. La région Lyonnaise un peu, le Nord et la Lorraine pas encore. Si, très logiquement par l’effet de proximité géographique, historique et culturelle, le département des Alpes-Maritimes l’emporte avec près de 58 % des naissances, une relative surprise vient de la seconde place des Bouches-du-Rhône : 26 %, le Var arrivant bon dernier. Le pôle d’emploi marseillais, la variété et l’intensité de son économie, la porte ouverte vers le vaste horizon maritime et l’Empire français, ont été très importants. Malgré le rôle de la vigne, des mines, et du tourisme côtier, sans oublier le pôle industriel toulonnais, le Var a moins attiré, peut-être parce qu’il a fait appel aux « gavots » et aux Espagnols, tout au moins dans sa moitié occidentale. Le quart de siècle suivant connaît le même nombre de naissances dans les 3 départements et une forte augmentation d’ensemble (poursuite de l’immigration en provenance de cette zone de Ligurie, maintien d’un taux de natalité assez élevé, regroupements familiaux de jeunes couples. On note qu’un quart des naissances s’effectue en « dispersion » vers des zones caractéristiques d’accueil de l’entre-deux guerres : le sud-ouest (remplacer les vides laissés par la guerre) le nord et le nord-est (mines, reconstruction), région parisienne et prolongement vers la porte maritime de Rouen-Le-Havre. A noter une autre présence plus rare mais intéressante vers la Basse-Loire et le Finistère. A l’échelle du Sud-Est, la part des Alpes-Maritimes décline (52 %) celle des Bouches-du- Rhône progresse à 29 %, tout comme celle du Var, toujours bon dernier dans le classement. On a préféré délaisser la période du baby-boom pour préciser la dernière de l’étude permise par le site à vocation généalogique dont le recensement très sérieux et précis des naissances s’arrête en 1990. La dispersion géographique atteint 35 % des naissances sans modification notable des destinations en France, sinon peut-être un peu plus vers les Alpes-du-Nord et la région parisienne. L’échantillon s’insère dans le brassage humain interne au pays, selon les hasards de la vie, le dynamisme économique de certains pôles. Par contre le site Gens montre que la dispersion de ces patronymes ne s’est guère réalisée dans l’espace d’origine : un peu vers le Piémont et la Lombardie, un peu vers Rome. Les familles restantes, déjà au Nord économique de l’Italie, ne se sont pas diffusées : la natalité s’est effondrée en Ligurie, et les emplois sur place se sont peut-être avérés suffisants à la retenir. Par rapport aux périodes précédentes, les naissances baissent considérablement en France, signalant un ralentissement puis un quasi arrêt de l’immigration ligure, et l’insertion dans la démographie française. A l’échelle du Sud-Est, c’est corroboré par le fait que les Alpes-Maritimes perdent la majorité (plus que 45 % des naissances sur les 3 départements cumulés, au net profit des Bouches- du-Rhône (poursuite du pôle d’emploi varié et attractif, peut-être, à la marge, accueil de familles d’origines ligures passées par les colonies et rapatriées ?). Le Var maintient sa place. N’oublions pas, par ailleurs (le phénomène est bien connu des généalogistes) que certaines familles ont pu modifier, voire franciser leur nom. Les deux sites de recherche sont très rigoureux et n’admettent pas les orthographes approchées ! Ces sites ne donnent pas de renseignements sociologiques permettant d’étudier les métiers dominants et l’évolution de « l’ascenseur social » (je l’avais personnellement abordé en remarquant l’importance des noms d’origine italienne dans le Var sur les postes des reçus aux examens et concours. Les élèves que nous emmenons chaque année dans le cadre de la section européenne visiter à pied un village ou un bourg de la proche Ligurie, remarquent aisément sur les boites aux lettres, les enseignes des commerces, ou les voitures des artisans, la similitude des noms avec ceux des communes de l’est-varois ! Une étude détaillée permettrait d’établir une typologie de comportements géographiques et démographiques (noms qui s’éteignent par faible présence et faible natalité, noms qui s’affirment, noms venus sur plusieurs périodes, noms qui se dispersent en France, ou restent concentrés en Provence-Côte-d’Azur). Dans une conclusion très partielle, on insistera sur l’ancienneté de la présence ligure en Provence-Côte-d’Azur (un seul des 104 patronymes de l’échantillon n’est pas présent avant 1916 !) Bien sûr, sur l’intensité des liens et de la présence. Je rappellerai toutefois que je réalise une autre étude concernant le Var sur l’origine géographique en Italie des patronymes italiens actuellement ou récemment présents. Le total approche les 4500 noms différents. La part de la Ligurie ne dépasse pas 7 %. Nom Ligure Nascite in Francia Presenza geografica In Provenza Altra presenza Cognome Ligure 1891 1916 1941 1966 Avant 1914 1916 – 1940 1966- 1990 présents également 1916 1940 1965 1990 BdR AM Var BdR AM Var BdR AM Var en… ABBO 56 47 57 46 27 19 7 19 15 3 10 9 2 MP/RP ACQUARONE 38 38 27 26 12 22 3 5 27 3 1 16 2 CO/VR AGNESE 60 81 99 85 21 17 14 20 22 24 19 19 3 MP/AL/RH/AUV AICARDI 74 111 141 108 26 26 11 28 36 23 24 24 25 CO/RH/RP/BG AIPERTO 1 6 5 4 1 6 4 ALASSIO 2 0 0 0 2 2 ALLARIO 5 1 0 2 4 1 1 1 ARETTI 2 2 3 2 2 2 2 ASCHERI 33 29 35 32 6 15 3 6 16 6 12 RP/AN AUSENDA 4 11 14 6 4 11 6 ALLAVENA 133 123 138 98 6 106 12 11 84 19 1 49 9 N/BR/ND/RP/NP BADANO 25 17 20 12 5 7 11 7 3 4 2 43 AN/RP BANAUDO 8 16 23 14 7 12 3 11 AUV/ BARLA 57 51 50 36 18 33 6 15 18 7 15 12 AUV/ BENZA 13 10 20 12 3 6 5 4 3 3 1 OM/RP/MP BERTORA 88 88 103 110 24 17 7 16 19 16 10 23 11 AQ/N/AN/LAL BESTAGNO 11 25 35 39 7 4 11 11 1 25 4 3 BOERI 132 152 154 115 30 59 28 11 11 1 22 26 17 RP/BG/N/DP/PL BOERO 89 162 152 133 32 20 5 58 34 5 36 19 1 RPMP/RH/PL BONANATO 2 2 5 0 2 2 BORFIGA 48 34 38 36 2 36 8 1 28 3 1 16 RP/LR/MP BORGOGNO 47 98 107 106 18 18 6 16 52 12 17 54 5 RH/N/RP/AQ/ND BRIGASCO 3 3 8 5 3 1 AUV/AQ BRUNENGO 22 28 27 27 6 8 5 13 7 5 11 5 7 BERTONE 83 88 103 110 24 17 7 15 19 16 12 23 9 VR/RP/AM/AQ CALSAMIGLIA 3 5 14 12 3 4 2 10 2 AN/RP CALZAMIGLIA 1 1 4 3 1 CANE 98 83 130 169 23 32 5 8 22 10 21 25 23 NP/AN/RH/LR CARENCO 42 40 48 34 3 31 6 5 32 1 7 4 6 RP//LR CASSINI 105 139 151 123 48 48 5 37 65 9 29 35 LR/RP/MP/N/BR/L CAVALLERI 7 17 14 10 4 5 4 8 AL/RP CUGGE 16 16 7 6 5 5 5 5 7 4
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