8 HISTOIRE VIVANTE LA LIBERTÉ VENDREDI 2 DÉCEMBRE 2011 Ces Polonais qui ont décrypté Enigma GUERRE MONDIALE • Les Renseignements polonais ont apporté un soutien essentiel aux Alliés pendant le conflit mondial. Leurs réseaux étaient non seulement très efficaces, ils étaient aussi dotés de champions du déchiffrage. PASCAL FLEURY du tout envie de collaborer avec La statue de les Services spéciaux de Vichy, bronze de Ma - auxquels ils sont pourtant subor - rian Rejewski, donnés. Ils leur fournissent alors à Bydgoszcz des informations de moindre in - (Bromberg), térêt, tandis qu’ils renseignent au nord de la abondamment le Gouvernement Pologne, est de la Pologne libre à Londres et encore régulièrement fleurie en ses alliés britanniques de Bletch - souvenir de cet enfant du pays, ley Park. héros de la Seconde Guerre Grâce à sept machines mondiale. Ses faits d’armes re - Enigma reconstituées, un impor - marquables, ce brillant mathé - tant volume de dépêches alle - maticien ne les a toutefois pas mandes peut être déchiffré. Les accomplis le fusil à la main, mais messages proviennent de la Ges - en perçant le système de codage tapo, de cellules clandestines al - des fameuses machines d’en - lemandes agissant en France ou cryptage Enigma, largement uti - en Suisse, d’informateurs russes lisées par l’Allemagne nazie. Une ou encore des réseaux de l’Ab - découverte fondamentale, qui a wehr qui suivent les bateaux al - permis ensuite aux services de liés en Méditerranée et dans l’At - renseignement polonais, fran - lantique Sud. En deux ans, selon çais et britanniques de déchiffrer le spécialiste Jean Medrala, des milliers de messages secrets, l’équipe polonaise participe au et de donner ainsi un net avan - décryptage de près de 13 000 tage aux Alliés dans le conflit. messages, tandis qu’elle n’en li - Réputée inviolable, la ma - vre que la moitié aux Services chine Enigma, commercialisée spéciaux de Vichy. dans les années 1920, est em - Les informations straté - ployée dès 1926 par la marine al - giques ne sont pas toujours ex - lemande, puis par le reste de l’ar - ploitées: il ne faut surtout pas mée et les services diplomatiques, que les Allemands se doutent des dans des versions modifiées tou - capacités de décryptage alliées. jours plus sophistiquées et sécuri - Ainsi, avant de bombarder un sées. L’appareil électromécanique navire localisé par une dépêche, portable, doté d’un clavier et de les Alliés doivent envoyer un rotors d’encodage, sert bientôt à avion de reconnaissance, censé chiffrer et à déchiffrer pratique - passer «par hasard» sur les lieux. ment toutes les messages radio al - C’est lui qui avertit alors la base. lemands ainsi que les communi - Le mathématicien polonais Marian Rejewski, honoré à Bydgoszcz (Bromberg), a été le premier à «casser» l’encryptage de l’Enigma. DR Parfois, des convois sont envoyés cations télégraphiques. au casse-pipe, malgré la connais - sance d’un danger. Chercheurs polonais polonais pendant la guerre 1, Ma - trois à cinq, forçant ainsi les cher - en septembre 1939, les officiers clés leur sont livrées par des Interceptant des messages rian Rejewski réussit, en seule - cheurs polonais à mettre au du Bureau du chiffre rejoignent agents infiltrés. Ou alors c’est la Reconnaissance tardive codés devenus soudain impossi - ment dix semaines, à établir la point dans l’urgence une nou - la France, où ils sont d’abord in - naïveté des opérateurs d’Enigma Peu avant l’occupation de la bles à «casser», la Pologne voi - théorie mathématique du chif - velle réplique plus complexe de tégrés dans l’Armée polonaise en qui leur vient en aide. Par exem - zone sud, le PC-Cadix est détecté sine, qui vient d’être reconstituée frage de l’Enigma, à reconstituer la machine Enigma. C’est que le cours de reconstitution dans ple lorsqu’ils terminent leurs par les services allemands. Il doit en Etat après le Traité de Ver - les câblages internes des pièces temps presse: les bruits de bottes l’Hexagone, puis détachés au messages par un «Heil Hitler!» ou être démantelé dans l’urgence. sailles et sert de «cordon sani - mobiles de l’appareil et à élabo - se précisent à la frontière. «PC Bruno», implanté au châ - un «Joyeux Noël!», révélant sans L’évacuation vers Londres, via taire» pour les pays occidentaux rer les premières méthodes de teau de Vignolles le vouloir une partie du codage. l’Espagne, se passe plutôt mal. face à l’URSS, s’inquiète de cette décodage. Un prototype est réa - En deux ans, l’équipe près de Paris et spé - Plusieurs officiers sont dénoncés avancée technologique. Réali - lisé par une société d’électromé - cialisé dans l’écoute Subtil double jeu par des passeurs et arrêtés. Les sant que pareil défi dépasse les canique de Varsovie, qui permet polonaise a décrypté et le décryptage des En juin 1940, lorsque la mathématiciens Rejewski et Zy - compétences des officiers du Bu - de vérifier les hypothèses émises messages radio de France est envahie, les crypto - galski, internés dans un camp, reau du chiffre, le commandant par le jeune savant. 13 000 messages l’armée allemande. logues polonais et leurs col - n’arrivent en Angleterre qu’en Gwido Langer fait appel dès 1932 Dès lors, les ser - lègues français du PC Bruno sont été 1943. Leur compatriote Jerzy à trois jeunes mathématiciens de La «Bomba» Pour ne pas risquer de perdre vices spéciaux britanniques évacués vers la France libre. Une Roczycki a moins de chance. Il talent de l’Université de Pozdam: Entre 1934 et 1938, 17 ré - tous ses acquis, le Bureau du (cantonnés à Bletchley Park près partie d’entre eux – dont les trois meurt lors d’un naufrage après Henryk Zygalski, Jerzy Roczycki pliques des Enigma militaires al - chiffre polonais décide de trans - de Londres), français et polonais mathématiciens polonais – s’ins - un séjour en Algérie. et, le plus doué, Marian Rejewski, lemandes sont alors fabriquées mettre ses connaissances crypto - collaborent étroitement, se ré - tallent au château des Fouzes A Londres, les deux crypto - qui a alors 27 ans. Ce dernier se dans le plus grand secret par l’en - graphiques aux services de ren - partissant les tâches dans les ac - près d’Uzès dans le Gard. L’orga - logues sont reçus sans honneur. voit confier un exemplaire d’une treprise polonaise. Les mathé - seignement français et anglais. tivités de décryptage. Il s’agissait nisation, au nom de code «Ca - Ecartés du centre britannique de Enigma commerciale, de nom - maticiens développent des mé - La rencontre a lieu le 24 juillet en particulier de découvrir les dix», est placée sous le comman - Bletchley Park, ils sont relégués à breux textes codés allemands et thodes de décryptage d’abord 1939 à Varsovie. Les représen - «clés» changées quotidienne - dement de Gustave Bertrand. des travaux plus routiniers. Leurs des fascicules pour opérateurs manuelles, à l’aide de cartes per - tants britanniques et français, to - ment par les Allemands, qui D’autres spécialistes sont en - exploits sont restés cachés pen - transmis de France par le capi - forées, puis dès 1938, également talement stupéfaits de l’état conditionnaient le calibrage ini - voyés à Alger où ils soutiendront dant la Guerre froide. Ce n’est taine Gustave Bertrand, respon - mécaniques, grâce à un appareil d’avancement des travaux polo - tial des Enigma. le major polonais Mieczyslaw que tardivement que leur rôle sable de la section française de appelé «Bomba», en raison de nais, reçoivent le descriptif dé - Les cryptologues voient par - Slowikowski, alias «Rygor», dans déterminant dans la victoire des recherche de renseignements re - son cliquetis infernal. Mais les taillé de toutes les méthodes éla - fois leur travail facilité par des la préparation du débarquement Alliés a enfin été reconnu. I 2 latifs aux codes étrangers. Allemands leur donnent du fil à borées en près de dix ans, et prises de guerre. Des machines allié en Afrique du Nord . 1 «Les réseaux de renseignements Comme le raconte Jean Me - retordre: ils modifient une nou - même un exemplaire de la ré - Enigma ont ainsi pu être récupé - Au «PC Cadix», les activités franco-polonais, 1940 – 1944», Jean drala, auteur d’un des ouvrages velle fois leurs machines en y plique de l’Enigma à cinq rotors. rées sur plusieurs sous-marins de décryptage se poursuivent. Medrala, Editions L’Harmattan, 2005. les mieux documentés sur les ré - ajoutant deux rotors d’encryp - Lorsque la Pologne est enva - allemands capturés, comme le Mais dans un double jeu des plus 2 Voir le documentaire «Les ombres de seaux de renseignements franco- tage supplémentaires, passant de hie par l’Allemagne et la Russie, U-33 ou le U-110. Parfois, des subtils. Car les Polonais n’ont pas Casablanca», le 4 décembre sur TSR 2. SEMAINE PROCHAINE ENCRYPTAGE LES ENFANTS Vaste réseau d’espions Enigma story DU GOULAG Déportés avec Ce n’est qu’en 2005 , plus de 60 Une cellule polonaise de ren - Après la Première Guerre mon - leurs parents ou ans après les faits, que des histo - seignements se trouvait aussi en diale, des industriels ont eu nés au goulag par - riens ont révélé un secret Suisse. Créée par l’officier Stanis - l’idée d’utiliser une machine fois dans de terri - jusqu'ici connu des seules auto - las Appenzeller, alias Etienne, électromécanique pour coder bles circonstances, rités militaires britanniques: la elle avait des embranchements leurs messages commerciaux des centaines de moitié des rapports d'espion - en France, Italie et Belgique. Le et bancaires. La machine milliers d’enfants nage reçus à Londres pendant la Réseau suisse, qui pouvait comp - Enigma ( DR ) a été développée ont vécu dans les guerre provenait des services de ter sur l’aide discrète du Service dès 1919 puis commercialisée camps staliniens.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages1 Page
-
File Size-