Le Métier D'écrire

Le Métier D'écrire

Le Métier d'écrire Jean-Luc Delblat LE MÉTIER D'ÉCRIRE Entretiens avec Lucien Bodard, Alphonse Boudard, Bernard Clavel, Pierre Daninos, Michel Déon, Dominique Fernandez, Françoise Giroud, Jacques Laurent, Françoise Mallet-Joris, Félicien Marceau, Gabriel Matzneff, Robert Merle, François Nourissier, Henri Queffélec, Robert Sabatier, Françoise Sagan, Michel Tournier et Vercors. COLLECTION DOCUMENTS / LITTÉRATURE le cherche midi éditeur 23, rue du Cherche-Midi 75006 Paris Édition originale Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit - photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre - sans le consentement de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © le cherche midi éditeur, 1994. En hommage à Vercors et Henri Queffélec Aux Bruller et Patricia Mesplié Le métier d'écrire Il n'existe aucune loi qui régisse le métier de romancier. Ce recueil, qui regroupe les impressions de dix-huit écrivains, ne peut être exhaustif sur ce vaste sujet. Si certains collectionnent les best-sellers, la méthode idéale qui permettrait à tout écrivain débutant d'écrire un chef-d'œuvre n'existe pas. En rencontrant ces auteurs reconnus, j'ai cherché, à travers un questionnaire simple, direct, favorable au dialogue, à brosser un instantané sur les métho- des de travail de chacun donnant le choix au lecteur de comparer à loisir leurs réponses à chacune de ces questions, voire d'en éluder. A ma plus grande surprise, les auteurs ayant refusé de se prêter au jeu ont été assez peu nombreux, une dizaine. Vercors m'a reçu dans son appartement de l'île de la Cité, me montrant avec passion les objets miniatures chinois qu'il collectionnait. Pierre Daninos a déclenché un fou rire en me montrant un appareil des plus surprenants, reproduisant les bruits de la mer et du vent pour couvrir les bruits insolents... Michel Tournier m'a accueilli dans l'am- biance monacale du presbytère où il vit en banlieue parisienne, ce qui n'a pas empêché de nombreux moments d'hilarité. Humour, d'ailleurs, que j'ai re- trouvé chez tous les écrivains, même si la plupart ne le font pas ressentir for- cément dans leurs livres. Jacques Laurent m'a aussi reçu chez « Lipp », en digne locataire, à la meilleure table pour écrire, sous l'escalier... Quant à Patrick Modiano, il m'a donné rendez-vous à une ancienne adresse, me transformant en un person- nage de ses romans à la recherche de son passé... Après moult péripéties, alors que j'avais réussi à retrouver sa nouvelle adresse, le maître n'était plus là. Dommage... Profession de foi Tous les chemins mènent à l'écriture, que l'on soit retraité, rédigeant ses mémoires à l'ombre de ses souvenirs dans un grenier, écorché vif en marge de la société ou universitaire accompli. « Écrire, c'est mettre en œuvre ses obsessions » expliquait ainsi Albert Camus. Le métier d'écrivain ne s'apprend pas, c'est un antimétier. Alphonse Boudard a été pris par le démon de la plume en prison, écrivant clandestinement, chaque soir, dans sa cellule, à l'ombre d'une bougie qu'il se confectionnait avec une boîte d'allumettes, Pierre Daninos a imaginé son Major Thompson alors qu'il était journaliste sportif à Wimbledon, Vercors est devenu écrivain à quarante ans, en pleine Occupation, fondant par la suite les premières éditions clandestines, « Les Éditions de Minuit ». Georges Perec s'est mis à écrire à trente ans car c'était « le seul moyen de me réconcilier avec moi et avec le monde »... Bref, que ce soit la journaliste Françoise Giroud, l'ancien dessinateur Vercors, l'ancien typographe Robert Sabatier ou les professeurs agrégés Dominique Fernandez ou Henri Queffélec, tous ont un point commun : ils n'ont jamais douté de leur avenir d'écrivain! Non pas de leur carrière, qui ne peut se prévoir, mais de leur besoin impérieux d'écrire, de prendre des notes, de raconter ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont ressenti. Nonobstant, ceux qui réussissent à assouvir leur désir ne sont pas légion. On compte ainsi dans le pays de Molière pas moins de soixante mille écri- vains dont les neuf dixièmes sont inconnus. Les éditions Gallimard reçoivent chaque jour une dizaine de manuscrits par la poste, soit au total plus de soixante mille pages par an... Dans cet univers de papier, les nouveaux sélec- tionnés sont rares : une cinquantaine environ chaque année, moins d'un sur mille... Dans cette aventure picaresque, chacun a dû croire en sa bonne étoile et ne pas désespérer : « Rien n'aurait pu m'empêcher d'écrire, c'est un besoin qu'on ne peut pas supprimer de ma vie », avoue Félicien Marceau. « Pas de compromis, pas de dispersion. Il faut avoir le courage de déplaire, d'être celui que l'on est [...] il faut avoir confiance en son destin, en sa bonne étoile, et foncer, sans regarder ni à droite, ni à gauche », déclare Gabriel Matzneff. Quelle profession de foi! Les débuts dans cette profession sont laborieux, incertains, mais au fil de la plume, l'œuvre se crée, le style apparaît, les mots se cherchent, les mots se trouvent, timidement. « Chaque page qu'écrit un écrivain est une nouvelle leçon dans l'art d'écrire », déclarait ainsi Marcel Jouhandeau... Exigence Un écrivain est toujours à la recherche du livre idéal, de la méthode idéale qui lui permettrait d'exprimer avec précision ses pensées, ses obsessions, même s'il s'avoue, inconsciemment, que seul le temps se chargera de désigner son chef-d'œuvre, s'il y a lieu d'en parler. Rien n'est plus déprimant pour un romancier ou pour un essayiste que de devoir fixer définitivement par écrit ses idées. « Les vrais écrivains sont ceux dont la pensée occupe tous les recoins de leur style », disait Victor Hugo. Il est aussi facile de rêver un livre qu'il est difficile de le faire. « La pen- sée vole et les mots vont à pied. Voilà tout le drame de l'écrivain », dit Julien Green. Pour éviter cette perdition, il y a les acharnés du travail au quotidien, qui se forcent à écrire tous les matins, comme Françoise Mallet-Joris ou Henri Queffélec. Il y a ceux qui s'isolent dans une tour d'ivoire, le temps d'écrire leur livre, comme Françoise Sagan, qui se cloître dans sa chambre, la nuit, ou Dominique Fernandez, qui se réfugie en Sicile. Michel Déon, lui, écrit dans son île, en Irlande, entouré de chevaux, d'où il s'échappe de temps à autre. Quant à Félicien Marceau, il ne s'habille pas le matin, pour s'empê- cher de sortir... Pour dérouiller leur plume, certains font un plan, « le but étant de suivre un chemin préétabli » (Vercors). Dominique Fernandez, comme un grand nombre, fait un plan provisoire : « Je connais les moments forts du roman, les scènes principales », explique-t-il. Mais cette loi est loin d'être universelle : « Je laisse aller mes personnages où ils veulent dans une première version. Il y a une sorte de destin qu'ils portent en eux, qui s'impose avec l'écriture », déclare Françoise Mallet-Joris. D'autres comme Jacques Laurent, Michel Déon ou Félicien Marceau se lancent à corps perdu sur le paquet de feuilles blanches qui les nargue sur leur table, corrigeant par la suite leurs erreurs de parcours : « Je ne pense que lorsque j'écris. Mes livres partent d'une phrase, ou, au maximum, d'une situa- tion (Félicien Marceau »), « d'une image, d'un son de voix, d'un paysage » (Michel Déon). « Je n'écris bien que si j'écris à la diable, si je veux m'appli- quer, je ne fais rien de bon. » (Françoise Sagan.) Montagne de documents Bernard Clavel, quant à lui, est un véritable archiviste. Avant de rédiger un nouveau livre, il consulte une « montagne de documents ». Robert Merle prépare ses livres « comme une thèse », mais il se garde une certaine liberté : « Je veux que mon livre se développe comme un arbre : qu'il y ait un tronc et quelques branches, qui font pousser par la suite d'autres branches impré- vues. » « Quand on écrit, chaque phrase peut être modifiée, chaque mot peut vous entraîner ailleurs. C'est très mystérieux... » explique Dominique Fer- nandez. Alphonse Boudard est aussi organisé. Il conserve chez lui avec ferveur des carnets de notes, qu'il indexe et classe en fonction de ses sources d'inspi- ration. « Quand je veux situer une histoire dans un monde réel, il faut que je le connaisse bien. Si celui-ci est comme un décor de cinéma, ça ne tient pas. » « On ne situe pas un roman dans un décor en carton » déclare Bernard Clavel pour lequel l'écriture automatique n'existe pas : « Il y a des confrères qui n'ont jamais fait un plan pour leur roman. Je veux bien les croire, mais s'il n'est pas sur le papier, il est dans leur tête », dit-il. Michel Tournier procède quant à lui à un long travail d'enquête avant d'aborder la rédaction d'un livre, en représentant de la tradition naturaliste des Goncourt: « Être romancier, c'est chercher matière loin de soi. Je n'ai pas d'imagination ou de puissance créatrice : il faut que tout me soit donné dans le sujet. Pour Les Météores, j'ai fait le tour du monde car l'un des jumeaux était à la poursuite de l'autre.

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