Les Cent Ans De Joseph Delteil Frédéric Jacques Temple

Les Cent Ans De Joseph Delteil Frédéric Jacques Temple

Document généré le 1 oct. 2021 08:13 Nuit blanche Les cent ans de Joseph Delteil Frédéric Jacques Temple Numéro 59, mars–avril–mai 1995 URI : https://id.erudit.org/iderudit/19682ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Temple, F. J. (1995). Les cent ans de Joseph Delteil. Nuit blanche, (59), 62–64. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1995 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Les cent ans de Joseph Delteil L'écrivain français Joseph Delteil va-t-il sortir du purgatoire ? Pour célébrer le cen­ tenaire de sa naissance, le Centre Culturel International de Cerisy, héritier des fa­ meuses Décades de Pontigny, lui a consacré un colloque, du 2 au 11 juillet 1994, dirigé par son biographe Robert Briatte. Des universitaires, des écrivains et des critiques de France et de l'étran ger y ont participe, D'importantes rééditions sont, par ailleurs, ins- crites au programme de plusieurs édi- teurs. La presse, de son côté, a souligné l'importance et la place de Joseph Delteil dans la littérature française contempo- raine, celles d'un extraordinaire maf­ tre du verbe et de ia modernité qui, après la vague mini maliste et telquel- tienne, revient au niveau qui est le sien aux côtés des Giono, Morand, Cendrars ou Aragon, Frédéric Jacques Temple, qui fut son ami pen- dant plus de trente ans, trace ici un portrait de Joseph Delteil. trange aventure que celle de avec André Breton, Louis Aragon, clubs, ne doit finalement pas grand- Joseph Delteil, venu au monde Robert Desnos, inaugure une longue chose au livre qui en avait pourtant « un jour de vent, dans un tas amitié avec les peintres Robert été le déclic. Joseph Delteil, poulain Ede bruyère, au soleil ». C'était le 28 Delaunay et Marc Chagall, adhère au maintenant célèbre de Bernard avril 1894, à Villar-en-Val, dans Groupe surréaliste qui porte aux nues Grasset, se lance dans l'épopée avec l'Aude ; sa famille était originaire de son second roman Choléra. Drieu La La Fayette, Les poilus, Don Juan, Le Montségur qui est, on ne le sait que Rochelle s'écrie : « Chauves, lisez vert galant, au style syncopé, aux trop, la Mecque du catharisme. Le père Choléra, vos cheveux repousseront ! » images hardies, au verbe charnu, où est un bûcheron-charbonnier qui va de En 1924 Delteil fait paraître chez les outrances même trouvent leur forêt en forêt, loge dans des chau­ Grasset Les cinq sens qui lui vaut place. Il y a des pages remarquables, mières, dort au milieu des meules. l'amitié de Montherlant : « J'aime dans ces ouvrages, qui méritent de Joseph Delteil a quatre ans votre vigueur, votre animalité, votre figurer dans les anthologies. quand la famille, augmentée d'une primesaut, votre vitesse, enfin tout ce fille, Marie, achète une maison et une que j'aime en moi. » Changer de vie, vigne à Pieusse, près de Limoux, En 1925 éclate le scandale de changer la vie capitale de la blanquette et du car­ Jeanne d'Arc, livre baptisé « épo­ naval. Le petit « Josépou » entre à pée », qui obtint des voix (sic) au Mais la vie de l'écrivain va changer. l'école primaire. L'effort familial va Goncourt, puis remporta le Fémina. Il Il rencontre Caroline Reagan, née se porter sur lui, ce qui à ses yeux est vrai que la Jeanne de Joseph Dudley, une Américaine, fille d'un passera comme une injustice, car Delteil est loin d'être une statue de grand praticien de Chicago. Elle a fait grands sont les dons de sa sœur, plâtre, une icône asexuée et intou­ connaître à Paris en 1925 la Revue pointue son intelligence, fabuleuse sa chable : elle vit, dans ce livre, telle Nègre qui fut un événement. Elle se mémoire, riche son langage. Marie est une rude paysanne bien saine, transforme bientôt en garde-malade, une vestale cathare sacrifiée sur pourvue de nichons et de cuisses, car Joseph Delteil, souffrant de l'autel de l'École au bénéfice du petit sentant fort, parlant direct, comme pleurésie, se fera traiter à l'Hôpital mâle surdoué, le père vigneron l'auteur en connaissait à Pieusse. Le Américain de Neuilly, avant de partir n'ayant pas de quoi payer l'essor de monde, catholique ou pas, se scinda avec elle vers le Sud pour une conva­ deux génies. Et Marie se met à l'ou­ en deux camps : d'un côté les lescence à long terme. Au bout de vrage, ramasse les herbes, plume les partisans, tels Claudel, Maritain et un quelques années d'errance, ils achè­ poulets, saigne les cochons, tandis ou deux évêques d'avant-garde ; de teront, aux portes de Montpellier, la que Joseph, poussé par le curé de l'autre un troupeau des bigots, Tuilerie de Massane où l'écrivain fit Pieusse, devient un parfait écolier ; toujours prêts à bêler leur indignation, venir sa famille. Et la guerre survient petit séminariste au Collège Saint- auxquels s'alliaient les tenants de et cinq ans de silence. Stanislas de Carcassonne, il décroche cette nouvelle Église, le Surréalisme, En 1947 paraissait Jésus II avec brio son baccalauréat, perfor­ rangés, ô paradoxe, du côté de chez Flammarion. C'est à cette épo­ mance remarquable en ce temps pour l'académique Paul Souday, critique que que j'ai rencontré Joseph Delteil. un enfant pauvre de la campagne. officiel, qui ne tarissait pas d'injures. André Maurois était venu à Mont­ En 1912, Joseph entre chez André Breton lançait alors son pellier donner une conférence. Après un notaire de Limoux. Il collabore à excommunication majeure sous la les applaudissements, un homme pâle YArmanac patouès, adhère au Sillon forme d'une lettre restée fameuse. et fluet, à l'œil goguenard, au long de Marc Sangnier. Mobilisé en 1914 « Cette lettre, dira plus tard l'écrivain, nez de renard, s'était approché il n'ira jamais au front. Ses premiers je préfère l'avoir reçue que l'avoir de l'académicien : « Vous m'avez ou­ poèmes, publiés dans les Annales, lui écrite. » La rupture fut totale et blié ? Je suis Joseph Delteil », lui dit- valent les compliments d'Henri de durable. Vers 1962, Joseph Delteil, de il de sa voix douce et zézayante. Régnier qui lui fera obtenir un prix de passage à la librairie La Hune, est Haut-le-corps de Maurois, surpris de l'Académie française en 1919 pour informé de la présence d'André retrouver cette gloire des années 30, son premier recueil Le cœur grec. Breton qui demande s'il accepterait un peu gêné aussi et camouflant de le revoir. « De ma vie je ne pour­ aussitôt sa gêne sous des mondanités. rais lui pardonner », fut sa réponse et Ni Rastignac Mon intérêt fut aussitôt éveillé pour Breton de s'éclipser aussitôt. À la ce nouveau et curieux personnage ni vie de bohème remarque que je lui faisais par la suite : dont j'ignorais presque tout. Autour « Quel dommage, vous auriez fait un de moi on disait : « C'est un écrivain En 1920, il est à Paris, employé au beau geste et pas mal de bruit », il Comptoir d'escompte, puis en qualité qui fut célèbre, un drôle de pistolet, répliqua : « Mon silence est plus fort au verbe cru, qui vit dans un mas de rédacteur au ministère de la que ce bruit. » Ce qui me fit mesurer Marine marchande où il restera trois délabré, presse son raisin avec ses la profondeur d'une blessure qui ne pieds, est marié à une Américaine ans. En 1922, c'est la rencontre déci­ s'était jamais refermée. sive avec Pierre Mac Orlan qui publie à qui il parle en occitan, bref un origi­ son premier roman à la Renaissance Jeanne d'Arc était donc un nal. » du Livre. Sur le fleuve Amour coupe succès et Cari Dreyer voulait en faire Jésus II fut accueilli avec le souffle à la gent littéraire intriguée un film ; il en commanda le scénario à fraîcheur par le monde littéraire. Cet par le chant nouveau que lance cet Joseph Delteil, confiant les décors à individu qui se prenait pour l'Autre, oiseau dans le bocage parisien, un Jean Hugo. Les acteurs principaux se sorte de héros picaresque courant « oiseau très singulier, écrira plus tard nommaient Michel Simon, Antonin l'univers à grandes enjambées désor­ Henry Miller, avec un registre d'ap­ Artaud, Renée Falconetti. Ce chef- données en criant : « Ce que tu rêves, pels défiant la classification ». Il fraie d'œuvre, toujours à l'affiche des ciné- fais-le ! », était exorbitant. Je pense • NUIT BLANCHE 63 que ce livre, considéré à tort comme nucléaire. Car il ne se contentait pas (1969), Alphabet (1973). En 1975, un évangile pour beatniks, n'a pas peu d'avoir changé de vie, il voulait changement brutal de cap : il désirait contribué à la fabrication d'un changer la vie. Mais pour moi, une suite aux Œuvres complètes, la nouveau Joseph Delteil. L'étonnant comme pour beaucoup d'autres je réhabilitation des livres « brûlés ». Il manipulateur du langage était mué en l'espère, il demeurera un adorateur du écrivit en ce sens à Bernard Privât, prophète.

View Full Text

Details

  • File Type
    pdf
  • Upload Time
    -
  • Content Languages
    English
  • Upload User
    Anonymous/Not logged-in
  • File Pages
    4 Page
  • File Size
    -

Download

Channel Download Status
Express Download Enable

Copyright

We respect the copyrights and intellectual property rights of all users. All uploaded documents are either original works of the uploader or authorized works of the rightful owners.

  • Not to be reproduced or distributed without explicit permission.
  • Not used for commercial purposes outside of approved use cases.
  • Not used to infringe on the rights of the original creators.
  • If you believe any content infringes your copyright, please contact us immediately.

Support

For help with questions, suggestions, or problems, please contact us