Les mystères de la Grande Dune Dune du Pilat, route de Biscarosse, parking payant Les millions de visiteurs annuels de la dune du Pilat ne se doutent pas qu’ils foulent un tas de sable recélant encore bien des inconnues. En fait, il y a plusieurs façons de découvrir ce grand site national. Du point de vue touristique, la carte d’identité de la tard, déménager. Et Brémontier ne manquait pas dune du Pilat est connue de tous : 2,9 kilomètres de d’humour en indiquant que le sable allait ensevelir long sur 600 mètres de large. Et vous êtes près de Bordeaux… dans une vingtaine de siècles ! deux millions de badauds à franchir chaque année sa centaine de mètres d’altitude. Ce que l’on sait Un millefeuille archéologique moins, c’est que 150 propriétaires se partageaient Sous les pas du promeneur se piquant d’archéo- le gros tas et certains d’entre eux possédaient une logie gisent quatre paléosols correspondant à des simple bande de sable le chevauchant, depuis la époques de formation de la dune et chacune de ces forêt jusqu’à la passe sud ! Une anomalie que le couches recèle des traces d’habitat. Au ras de l’eau Conservatoire du Littoral a mis des années à démê- côté Bassin, le paléosol 1 apparaît à chaque attaque ler, pour préserver la dune et en réguler les visites. érosive avec ses bandes noirâtres, témoignages on y a mis au jour des coquilles d’huîtres en telle que le poète arésien Émilien Barreyre1 : Tant naut On atteint en effet des records de fréquentation des végétaux qui poussaient ici il y a 4 000 ans quantité qu’une activité commerciale était probable. qu’anuie medish a mon cret poden veire/Quauques avec près de 20 000 environ, des végétaux Enfin, la partie supérieure du sablonney, le paléo- capits de pins com peus en peguilheira… « Si visiteurs par jour au agglutinés à l’alios. sol 4, s’est formé entre 1500 et 1800, époque de haute qu’aujourd’hui même sur mon mamelon on mois d’août. Au-dessus – à 4 ou grand envahissement dunaire. Près du sommet, des peut voir quelques touffes de pins, comme des che- La dune avance, 5 mètres d’altitude – troncs de pin portaient encore leur pot à résine. velures affolées et que bientôt j’engloutirai. Et elles à petites coulées on a découvert des Mais beaucoup d’autres surprises attendent les ne reverront la lumière que lorsque tous les grains sablonneuses de 3 à traces d’habitation, une archéologues qui ont recensé une cinquantaine de de sable seront poussière au vent. » 10 mètres par an urne funéraire et même sites de fouilles potentielles. La grande dune n’a ja- Un vent et des courants ascendants que les amou- selon les secteurs un atelier de saunier mais été un désert humain. En tant que telle, le nom reux du vol à voile mettent à profit les jours de et de façon irrégu- datant d’un millénaire. du Pilat n’apparaît pas sur les cartes avant 1850, grand beau. lière ; au sud, son Au palier supérieur, il a été précédé par la « dune de la Grave », dont flanc attaque mai- c’est le paléosol 3, on subsiste un lieu-dit. sons et campings est déjà au XVIIe siècle Mais jamais aucun chiffre ne rendra compte de qui devront, tôt ou Une maison condamnée par la Dune en 1932. et durant l’hiver 2014, cette somptueuse croupe sablonneuse aussi bien 1. Voir p. 21. 82 LA TESTE LA TESTE 83 d’Épernon en 1587, mais les usages actuels ont été Les pins-bornes et pins-bouteilles constituent L’antique forêt des Baillettes confirmés au début du XVIIe siècle. une des curiosités de la Grande Montagne (photo De multiples pistes de randonnée s’offrent aux marcheurs à partir des routes de Cazaux et de Biscarrosse. ci-contre). Ce sont des arbres de taille et de cir- S’équiper de cartes de détails : les sentiers ne sont pas balisés Pins-bouteilles et pins-bornes conférence exceptionnelles qui ont connu des Ce contrat a donc traversé les siècles avec de per- développements inverses : les premiers, servant à pétuels sujets de discorde, mais sur le fonds sachez limiter les parcelles de propriétaires, n’étaient ni que tout habitant résidant depuis plus de dix ans abattus ni gemmés alors que les autres étaient au dans les communes citées peut disposer de « bois contraire « gemmés à mort ». Dans les deux cas vif » pour construire une maison, un bateau ou ces arbres sont élevés, boursouflés et spectacu- simplement se chauffer. Les pins-tenants eux pro- laires, mais pas toujours faciles à détecter dans le fitaient de l’exploitation de la gemme, car la forêt fouillis forestier. Certains pins-bouteilles ont subi usagère a été en Gascogne un des principaux points jusqu’à 35 cares, ces longues blessures verticales d’extraction des produits résineux. d’où s’écoulait la gemme, et cela durant plus de deux siècles ! C’est la Grande Montagne, par opposition à la Montagnette d’Arcachon. Cette dernière – entendez la surface boisée sur la dune – couvrait l’emplacement actuel de la ville, alors que la Grande Montagne forme toujours une forêt étalée sur un vaste espace parcouru d’anciennes dunes. Son statut moyenâgeux en fait un massif unique en France, classé comme site protégé depuis 1994. Des cabanes, là-haut sur la montagne Cabanes de Soussine, de Cabeils et d’Arnauchots. L’accès à la forêt usagère de La Teste-de-Buch est Des noms de lieux Pistes cyclables soit par la D112 (route de Biscarrosse) ou par la D218 (route de Cazaux), facile : sur 3 800 hectares elle s’étend de la dune du à déchiffrer puis route forestière 214 Pilat à la limite du département des Landes, et de l’est La toponymie des lieux, véritable reflet de ce micro- à l’ouest, du lac de Cazaux à l’océan. La Montagnette monde, nous raconte encore beaucoup sur cette d’Arcachon a disparu sous l’effet des bâtisseurs. En forêt attachante, avec les lèdes (zones humides), revanche, la forêt usagère est restée extrêmement le crabeyron fréquenté par les chèvres, l’artigou et vivante jusqu’à un passé récent quand résiniers et sa petite zone irriguée, les déserts et sablonneys à muletiers la parcouraient, à côté des charbonniers et dunes affleurant, la baque morte peut-être dévorée des scieurs, sans compter les usagers et les pins- par le fauve du vallon de la bat du loup, tandis que tenants (propriétaires). Tout ce petit monde évoluait la batcoude offrait un espace « chaud », sans doute dans un sous-bois parcouru par un lacis de sentiers à l’abri du vent de l’océan… qui, toujours entretenus par les maigres troupeaux La forêt dite usagère a un statut unique depuis le des gemmeurs, reliaient les bouquets de pins. La XVe siècle car ce massif doit son nom à la réglemen- diversité végétale n’a pas trop perdu de sa richesse tation des usages que l’on tire du bois. En 1468, depuis l’abandon du gemmage, vers 1985, mais l’en- le captal Jean de Foix-Candale délivre une bailletta vahissement des ronces et du lierre trahit l’abandon (contrat) aux habitants de Gujan, La Teste et Cazaux des futaies. On peut toutefois y admirer toute la flore en fixant les droits respectifs des tros tenants (« les du littoral gascon avec ses chênes-lièges, ses arbou- pins-tenants », les propriétaires) et les autres pour siers, ses genêts et ses fougères arborescentes, sans que tous aient un accès justement réparti aux pro- compter quelques fruitiers échappés des vergers des duits forestiers. Plusieurs seigneurs féodaux du résiniers1. Pour les forestiers, il s’agit en fait d’une pays de Buch ont tenté de remettre en cause ces Ces cabanes de résiniers se situent, pour les deux premières, au bord de la voie reliant les « chênaie-pineraie ». baillettas : Gaston de Foix essaya de monnayer la départementales de Cazaux et de Biscarrosse. Elles se trouvent dans la « Grande Montagne » reconduction des droits en 1535, comme le duc de La Teste-de-Buch, vaste zone dunaire occupée par la forêt usagère, jusqu’au lac de Cazaux. 1. Voir page suivante. 84 LA TESTE LA TESTE 85 Les résiniers, ces « hommes pâles, maigres, terreux Cette île à nulle autre pareille et débilités… » Tour de l’île aux Oiseaux par les services de l’Union des Bateliers d’Arcachon (UBA). Au départ d’Arcachon Le mode de vie des résiniers était (jetée Thiers et d’Eyrac), du Cap-Ferret (Bélisaire), du Moulleau et du Canon dur. Et toute la famille s’y mettait. Le gemmage des pins, au rythme de 200 arbres par jour en moyenne sur les parcelles des propriétaires, se faisait en plusieurs temps entre l’ouverture de la care sur l’écorce – le travail de l’homme – la pose du pot et la récu- pération de la gemme – tâche de la femme et des enfants. Le produit était ensuite versé dans une barrique qu’un bros (charrette) transportait en ville. Le pays de Buch a exporté La vie des résiniers, gravure de Barbant-Debier, 1892. les produits du pin par cabotage jusqu’à Bilbao, Londres et Anvers, à partir du XVIe siècle, avant que les sous-produits ne soient transformés dans les On en a compté plus de 80 de ces petites habi- Landes jusqu’à la disparition du gemmage. Le sys- tations de bois réparties dans les 3 800 hectares tème social était celui du métayage : le résinier tou- du grand massif forestier. D’une taille réglementée chait la moitié de la valeur de sa production, l’autre à l’origine – elles ne devaient pas dépasser les 8 part revenant au propriétaire qui était payé par l’usi- mètres sur 4 mètres – on prétend qu’elles étaient nier ou le négociant exportateur.