
Valy FAYE (2014). l’islam au saloum (sénégal), du fusil à l’arachide ou des conflits armés à la production arachidière. Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 24 - 2014 L’ISLAM AU SALOUM (SENEGAL), DU FUSIL A L’ARACHIDE OU DES CONFLITS ARMES A LA PRODUCTION ARACHIDIERE. Valy FAYE Maître-assistant Département d’Histoire-Géographie Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation UCAD, Dakar (Sénégal) [email protected] RESUME Les chefs musulmans ont adopté, au Saloum, deux attitudes vis-à-vis de l’aristocratie païenne et des autorités coloniales de la période des conquêtes au début de la colonisation. L’une belliqueuse ou violente visait la conversion des populations païennes du Saloum à l’Islam et l’autre essentiellement pacifique se caractérisait par la participation des marabouts à l’expansion arachidière. Ainsi, le Saloum passe-t-il sous la direction de l’Almamy Maba Diakou Ba et de ses successeurs de 1864 à 1887. Mais les rivalités entre les successeurs de Maba favorisent la reprise du pouvoir par Guédel Mbodj, roi du Saloum, aidé par les Français qui lui imposent un traité de protectorat. Cependant, la période de pacification est traversée par deux mouvements de rébellion maraboutiques dirigés respectivement par Diouma Ndiati Sow (1901) et Assane Touré (1912) et durement réprimés par les Français. La période suivante est marquée par une paix relative avec la réconciliation entre Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme, et les autorités coloniales. Le marabout avait besoin de ressources pour réaliser ses projets et les autres, d’une forte production ara- chidière pour les industries françaises. Mots-clés : Saloum, Musulmans, païens, marabout, Maba, révoltes, Diouma, Mouride, Bamba, SUMMARY Muslim leaders have adopted in Saloum two attitudes towards the pagan aristocracy and towards the colonial authorities of the period of the conquests at the beginning of colonization. One of the attitude, belligerent or violent, aimed at the conversion to Islam of the pagan peoples of Saloum , while the other essentially peaceful was characterized by the participation of the marabouts in the groundnut expansion. Thus, the Saloum falls under the control of the almamy Maba Diakou Ba and his successors from 1864 to 1887. But the rivalries between the successors of Maba foster the resumption of power 78 © EDUCI 2014. Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, ISSN 18417-5597, N° 24 - 2014 by Guédel MBodj, king of Saloum , helped by the French who impose him a protectorate treaty . However , the period of pacification went through two rebel movements of the marabouts led respectively by Diouma Ndiati Sow ( 1901) and Assane Touré (1912) and severely repressed by the French. The following period was marked by a relative peace with the reconciliation between Cheikh Ahmadou Bamba, founder of Mouridism, and the colonial authorities. The marabout needed resources to carry out his projects while the latter needed a strong peanut production for French industries. Key word: Saloum, Muslims, pagans, marabout, Maba, revolts, Diouma, Mouride, Bamba, producer. INTRODUCTION L’espace qui allait devenir le royaume du Saloum fut conquis par un marabout toucouleur, originaire du Fouta, Ali Eli Bana. Celui-ci s’est installé dans la région, appelée Mbey, au lendemain de l’assassinat de son père, Eli Bana Sall, par Koli Tenguélé, chef de la tribu peul des Dényankobé. Mais Ali Eli Bana contrôlait une région à majorité païenne. Il est, à son tour, éliminé par Mbégane Ndour, un chef sérère païen de la dynastie des Guelwar. Le domaine conquis est ainsi baptisé Saloum en souvenir d’un de ses amis marabout Saloum Souaré1. Ce royaume du Saloum va être le théâtre d’affrontements religieux durant toute la période coloniale. L’histoire des conquêtes coloniales a démontré que les plus farouches résistants à la domination française ont été des chefs musulmans. Ainsi qu’en attestent les mou- vements de Mamadou Lamine Dramé sur le Haut Fleuve Sénégal, d’El hadj Omar Tall au Fouta, d’Amadou Cheikhou au Fouta et au Djolof, entre autres. Ces mouvements vont se propager au Saloum avec Maba Diakhou Ba et ses successeurs2. Et les marabouts du Saloum auront pour adversaires aussi bien le colonisateur français que l’aristocratie du Saloum durant la phase de conquête ; les conflits se sont poursuivis contre le pouvoir colonial, sous forme de révoltes spontanées pendant la pacification. Mais une paix tacite semble se nouer autour de l’arachide, avec la reconversion des marabouts en agriculteurs. Ce travail se propose d’étudier les deux visages de l’Islam au Saloum du milieu du XIXème siècle à la veille de la première guerre mondiale. Il s’agit, d’abord d’un Islam guerrier visant à convertir les païens et à s’opposer aux conquêtes coloniales et, ensuite, d’un Islam pacifique, facteur de développement économique. 1 BECKER C. et MARTIN V., Essai sur l’Histoire du Saloum, in Revue Sénégalaise d’Histoire, n°1, vol. 2, 1981, pp. 3-24. 2 BA A. B., Essai sur l’Histoire du Saloum et du Rip, in BIFAN, T.38, Série B, n°4, octobre 1976, 48 p. Valy FAYE (2014). l’islam au saloum (sénégal), du fusil à l’arachide ou des conflits armés à la production arachidière. 79 Carte : le Sine-Saloum Sources : Faye Valy, thèse, 1999, p. 30. I- LE ROYAUME DU SALOUM FACE AUX MARABOUTS DU RIP 1- L’hégémonie du pouvoir maraboutique au Saloum : l’œuvre de Maba Diakhou Ba Né au Rip (partie méridionale du Saloum) en 1810, d’un père toucouleur musulman originaire du Dimar (une des provinces du Fouta Toro), Maba Diakhou Ba déclenche une guerre sainte contre les chefs traditionnels du Saloum communément appelés « Thiédos ». Après ses études coraniques au Baol et au Diolof, il rentre dans sa pro- vince natale où il se consacre à l’enseignement du Saint Coran, refusant le poste de Cadi (juge musulman) que lui avait proposé le roi de ladite province. C’est en 1846 qu’il rencontre, à Kabakoto, le grand marabout et chef militaire, El hadj Omar Tall qui en fait son représentant en Sénégambie et lui ordonne de mener la guerre sainte contre les païens. Il se fixe ainsi comme principal objectif l’islamisa- tion des populations en éliminant d’abord tous les chefs païens et construit un tata (fortification) à Keur Maba, son village. Pendant ce temps, les relations entre les chefs traditionnels du Saloum et leurs administrés musulmans ne cessent de se détériorer à cause du mauvais traitement que les premiers infligeaient aux autres. En effet, le nommé Socé Bigué Ndiaye, héritier présomptif du trône du Saloum, pour marquer son mépris à l’égard des musulmans, avait invité six marabouts de Kayemor (une des provinces islamisées du Saloum) et après leur avoir servi de la viande de porc (interdite par l’Islam) et du 80 © EDUCI 2014. Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, ISSN 18417-5597, N° 24 - 2014 vin rouge bien sucré, les avait envoyés se promener sous le chaud soleil pour les enivrer3. Son geste met toute la communauté musulmane dans la consternation. Et banni par les marabouts, il accède néanmoins au pouvoir mais n’a eu que seize jours de règne (en 1854). Le deuxième incident qui a envenimé les relations entre les deux communautés a été provoqué par le Bour Saloum (Roi du Saloum) Koumba Ndama Mbodj (1855- 1859). Celui-ci, de retour d’un voyage et de passage dans le village musulman de Nandjigui, est allé se coucher sur le lit d’un grand maître coranique de la localité pour le provoquer. « Quand celui-ci revint, il entra dans une forte colère et dit qu’un tyédo ne devait pas dormir sur son lit et chassa Koumba Ndama »4. Elu roi peu de temps après, celui-ci décide de châtier Nandjigui. C’est ainsi qu’il cerne et incendie le village, tue le chef et capture la population dont une partie est tuée et une autre partie proposée aux trafiquants d’esclaves. Solidaire de ses coreligionnaires, Maba Diakhou Ba, alors jeune maître d’école coranique organise une quête auprès des musulmans pour racheter les captifs de Nandjigui ; son entreprise est couronnée de succès car il récolte des chevaux, des ânes, des habits et de l’argent. Le roi, en question, finit par regretter son geste, libère les captifs sans contrepartie et retourne à Maba tous les biens qu’il avait collectés pour leur rachat. Cette volte face du roi Koumba Ndama n’atténue pas pour autant le mécontentement de la communauté musulmane qui, galvanisée par les victoires d’El hadj Omar au Soudan, n’exclut pas l’affrontement direct. Après ces incidents entre l’aristocratie païenne et les musulmans du Saloum, Maba Diakhou commence son Djihad par l’assassinat du prince héritier du Rip, Madiakher, qui l’avait provoqué. Ensuite en 1861, après plusieurs combats contre l’armée du Rip, Diéréba Marone, le roi païen de ladite province est tué à son tour par Malick Adam, un disciple de Maba. Alors maître incontesté du Rip, Maba Diakhou renforce ses positions par la construction de tatas dans les villages de Diakha Diar et Paos Dimar qu’il rebaptise Nioro du Rip en souvenir de Nioro du Sahel conquis par Elhadj Omar. Il met sur pied une armée bien structurée, composée de Talibés (disciples), et dotée d’armes à feu achetées chez les Anglais basés en Gambie. Maba ouvre les hostilités contre le Saloum en 1865, après l’échec de la grande coalition musulmane de Sambou Oumani Touré, Mandiaye Khourédia et Cheikhou Ousmane Diop contre ce royaume. En effet, ces trois marabouts, originaires respec- tivement de Sabakh, de Koutango (province de Saboya) et Ballo (Gambie), après avoir éliminé les chefs du Sabakh et du Sandial (deux provinces frontalières du Rip) attaquent la province du Kayemor (appartenant au Saloum) battent le Boumy (chef) après quatre jours de combats.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages16 Page
-
File Size-