« La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là Ventes aux vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire, et qu’elle divague souvent. » enchères Alfred de Vigny REVUE MENSUELLE FONDÉE EN 1829 avril 2021 Président d’honneur : Marc Ladreit de Lacharrière, Arts Décoratifs 8 Avril membre de l’Institut Art Urbain 28 Avril Cancel culture, tyrannie des minorités Design International 29 Avril LE NOUVEL ORDRE Pour toute information, contactez Romain Monteaux Sarmiento +33 1 53 30 30 68 [email protected] MÉDIATIQUE Consultez les catalogues et Avec Jean-François Kahn enchérissez en ligne sur www.tajan.com Étienne Gernelle Laure Mandeville Le Corbusier (1887-1965) Franz-Olivier Giesbert Joaquim Tenreiro (1906-1992) Jacques de Saint Victor Brice Couturier... LITTÉRATURE Georges Bernanos et la technique Par Sébastien Lapaque Fin de service Par Bernard Comment LE NOUVEL ORDRE MÉDIATIQUE NOUVEL LE FLAUBERT BAUDELAIRE Le plaisir de déplaire EDWY PLENEL RÉVOLUTION Notre tartuffe Le premier couple national Espace Tajan 37 rue des Mathurins 75008 Paris +33 1 53 30 30 30 hétérosexuel lesbien AVRIL 2021 AVRIL Agrément N°2001-006 du 7 novembre 2001 - Commissaires-priseurs habilités : A. de Benoist - F. David - E. Kozlowski - L. Marson - J. Remy - P.-A. Vinquant Par Marin de Viry Sommaire | avril 2021 Éditorial 4 | Le nouvel ordre médiatique › Valérie Toranian Dossier | Le nouvel ordre médiatique 8 | Jean-François Kahn. « Le pluralisme est mort et les médias sont sous l’emprise des radicalités » › Valérie Toranian 23 | Qui a vraiment tué la presse ? › Étienne Gernelle 31 | Le multimillionnaire Plenel, notre grand tartuffe national › Franz-Olivier Giesbert 37 | « Un des droits les plus précieux de l’homme » › Jacques de Saint Victor 47 | La loi sur la presse › Alfred de Musset 53 | Âge d’or, presse pourrie ? La presse française au XIXe siècle › Pascal Ory 60 | « À demain les détails ! » : mœurs et coutumes de la presse de chantage › Olivier Cariguel 69 | La presse américaine, ce nouveau chaudron où s’accélère la division de l’Amérique › Laure Mandeville 81 | Millénials et médias : le parti pris d’interdire › Brice Couturier 86 | L’extravagant débat sur l’article 24 du projet de loi Sécurité globale › Caroline Valentin Littérature 94 | Fin de service › Bernard Comment 102 | Le premier couple hétérosexuel lesbien › Marin de Viry 106 | Georges Bernanos et la question de la technique › Sébastien Lapaque 122 | Les soliloques du pauvre Jehan-Rictus › Céline Laurens 2 AVRIL 2021 Dossier | Flaubert et Baudelaire : le plaisir de déplaire 128 | Le dandysme est un romantisme grec › Lucien d’Azay 135 | Flaubert, Baudelaire, Dostoïevski : explorateurs des souterrains › Robert Kopp 141 | « L’ange gardien, la muse et la madone » › Jean-Baptiste Baronian Études, reportages, réflexions 156 | La mobocracy en Amérique › Frédéric Verger 161 | Sur le vif › Fatiha Boudjahlat 165 | Le rôle civilisationnel des universités › Franck Leprévost Critiques 174 | LIVRES – Le corps a ses raisons › Michel Delon 177 | LIVRES – Yasmina Reza, la beauté du désastre › Marin de Viry 179 | LIVRES – Ne craignez plus d’être un mauvais lecteur... › Patrick Kéchichian 181 | LIVRES – La diversité, autrement › Stéphane Guégan 184 | LIVRES – Damia, la tragédienne du music-hall › Robert Kopp 187 | LIVRES – Denis Grozdanovitch ou la nuance autobiographique du jeu d’échecs › Eryck de Rubercy 190 | FILMS – Face aux ténèbres › Richard Millet 193 | MUSIQUE – Piotr Anderszewski, le retour de Bach › Olivier Bellamy 196 | EXPOSITIONS – Marc Riboud, la pudeur photographique › Bertrand Raison Les revues en revue | Notes de lecture AVRIL 2021 3 Éditorial Le nouvel ordre médiatique haque jour, deux milliards d’abonnés Facebook échangent ou likent dans 101 langues différentes cent milliards d’in- formations. En France, la presse écrite ne constitue plus que 15 % des sources d’information, contre 64 % pour l’information en ligne. 39 % des Français s’informent Csur les réseaux sociaux (48 % aux États-Unis, 77 % au Kenya). Les applications et les réseaux sociaux détiennent désormais la clé d’entrée dans les médias, et les Gafa et leurs homologues chinois, les BATX, contrôlent plus de la moitié du marché publicitaire mondial. Le nouvel ordre médiatique, c’est d’abord cela. Des géants du numérique, porte d’entrée de l’information, à qui nous confions allégrement toutes nos données, trop contents de bénéficier du confort et des services qu’ils nous proposent. Dans son Histoires des médias (1), dont les chiffres précédents sont extraits, Jacques Attali propose rien de moins que de démanteler les Gafa, de sevrer nos cerveaux addicts au mobile et de faire éclore une nouvelle forme de journalisme d’excellence. L’évolution des usages semble hélas démentir violemment ces vœux pieux et tardifs. D’autant que la révolution numérique est loin d’être la seule crise que traversent aujourd’hui les médias. La presse a frôlé la mort. Meurtre ou suicide ?, demande Étienne Gernelle. Meurtre par les réseaux sociaux qui ont ruiné son modèle économique. Ou suicide par trop de vanité, d’arrogance, de conformisme, de soumission au pouvoir ou à l’air du temps, qui ont trop souvent ruiné son capital auprès des lecteurs ? 4 AVRIL 2021 La bonne nouvelle, pour le patron du Point, est qu’après les errements du tout-gratuit, chacun sait désormais que la vraie information se paye. La mauvaise nouvelle est que « la hantise de contrarier le lecteur transforme beaucoup de journaux en quasi-partis politiques, allergiques à la dissonance ». Xavier Gorce, désavoué par la direction du Monde à propos d’un dessin jugé politiquement incorrect, a quitté la rédaction. Le quotidien a cédé à la pression des réseaux sociaux. Les théories woke (vigilance extrême à la sensibilité de toutes les minorités) et la cancel culture (élimination des discours qui dérangent) triomphent désormais dans le service public audiovisuel et de nombreux médias. Elles nous viennent des États-Unis. Laure Mandeville en est une des meilleures spécialistes. Elle nous raconte comment un « abîme psychologique s’est creusé aux États-Unis entre les élites culturelles progressistes (incarnées par le New York Times) et un pays profond exaspéré d’être ringardisé ». « Ce discours balisé d’une presse qui s’idéologise va ouvrir la porte au geyser trumpien d’une parole décomplexée », écrit-elle. Le remaniement idéologique woke a des répercussions profondes sur l’information, souligne Brice Couturier. Pour ses militants, l’objectivité n’est qu’une « vue depuis nulle part », « potentiellement blessante », « une manière de nier la position de domination des Blancs, qui doit être interrogée ». Edwy Plenel, militant trotskiste, prêcheur précoce en islamo- gauchisme, a eu un rôle déterminant pour toute une nouvelle génération de journalistes désormais aux manettes dans les médias. Pour Franz- Olivier Giesbert, c’est le symptôme d’une grave crise d’identité. Et « le dévoiement d’un métier – le journalisme – qui est devenu l’auxiliaire d’un autre, celui d’une certaine magistrature militante ». Il s’agit de plus en plus de faire des listes de gentils et de méchants, le méchant étant bien évidemment de droite. Héros du camp du bien, « Edwy Plenel a fait un rapt sur la morale, avec la complaisance de la plupart des grands médias et des syndicats de journalistes ». Faut-il pour autant regretter le bon vieux temps ? Rien de moins sûr. « Dans les années 1840, écrit l’historien Pascal Ory nouvellement élu à l’Académie française, Balzac, revenu déçu de ses expériences journalistiques, en est déjà à conclure par une pirouette : “Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer.” » AVRIL 2021 5 Jean-François Kahn, fondateur de L’Événement du jeudi et de Marianne, publie prochainement ses Mémoires. Il raconte dans la Revue des Deux Mondes cinquante ans de vie journalistique française. Et remet les pendules à l’heure. « Aujourd’hui, globalement, les journalistes sont plus libres, plus indépendants, plus cultivés. Ils se posent des questions déontologiques qu’ils ne se posaient pas. » On n’imagine plus un ministre de l’Intérieur dictant un article ! Mais ce qui est dangereux, pour Jean-François Kahn, c’est le manque de pluralisme et la montée des radicalités de droite et de gauche. « Dans les tribunes libres des journaux, les modérés, les sociaux-démocrates ne s’expriment plus. Certes, ils sont très bas électoralement. Mais les gauchistes aussi et ça ne les empêche pas de s’exprimer et d’être surreprésentés ! » Soumission à l’air du temps, américanisation… et bientôt renoncement à notre liberté d’expression ? Pour Jacques de Saint Victor, la loi de 1881 qui posait un régime de liberté encadrée (interdisant notamment la diffamation, l’injure et l’offense) a défini « un équilibre chèrement acquis entre les lois, les mœurs et la liberté ». Mais pour combien de temps encore « alors que viennent des sciences sociales américaines des critiques de plus en plus virulentes contre notre liberté d’expression, parfois associée à une forme de “racisme” » ? Héritage pourtant incomparable que cette liberté d’expression pour laquelle même nos poètes se sont battus ! Ainsi, Alfred de Musset qui s’indignait dans la Revue des Deux Mondes en 1835 contre la loi scélérate de Louis-Philippe rétablissant la censure. Laissons-lui le dernier mot. « Une loi sur la presse ! ô peuple gobe-mouche ! La loi, pas vrai ? quel mot ! comme il emplit la bouche ! Une loi maternelle, et qui vous tend les bras ! Une loi (notez bien) qui ne réprime pas, Qui supprime ! une loi – comme Sainte-n’y-touche
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