LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE La magie magie La du cinéma « On descend tous de Méliès ! » Martin Scorsese Laurent Mannoni LA MAGI� DU CINÉMA PRIX FRANCE 45 € Avec le FLAMMARION soutien de ISBN 978- 2 - 0815- 2147- 6 FLAMMARION « Pour savoir faire du cinéma il nous faut retrouver Méliès, et pour ça pas mal d’années Lumière sont encore nécessaires. » Jean-Luc Godard, Cahiers du cinéma, no 146, août 1963. LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE LA MAGIE DU CINÉMA Laurent Mannoni FLAMMARION I • Visite du soleil à Satan, plaque photographique sur verre rehaussée de couleurs pour lanterne magique, Paris, 1873. 4 4 Préface Martin Scorsese II 7 POSTÉRITÉ Préface Frédéric Bonnaud DE GEORGES 9 MÉLIÈS I 311 GEORGES MÉLIÈS III ET LA NAISSANCE TÉMOIGNAGES DU CINÉMA 335 La création de l’univers méliésien 15 ANNEXES Le cinématographe Filmographie complète 59 de Georges Méliès établie par Georges Méliès, Jacques Malthête alchimiste 368 de la lumière 93 Chronologie 376 Méliès et les « films à trucs » Bibliographie 137 sélective 378 Mort et résurrection de Méliès 227 L’AUTEUR Laurent Mannoni est Directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française. II • Ben Kingsley dans le rôle de Georges Méliès dans Hugo Cabret, Martin Scorsese, États-Unis, 2011. 6 Préface Martin Scorsese La première fois que j’ai vu un film de Georges Méliès, avec ces images en mouvement est un tout autre sujet. On c’était au début des années 1960, lors d’une projection de évolue, ou pas. Mais la fascination pour la nature mys- films d’avant-garde organisée par le New American Cinema tique du couloir du film, avec sa lumière constante et son dans une boutique de l’East Village, sur la 2e Avenue, entre mouvement constant – tout y était. les 7 e et 8 e Rues. C’était avant la création de l’Anthology J’imagine que j’aurais aimé travailler à l’époque de Méliès. Film Archives et juste après la fermeture du Cinema 16 J’ai beaucoup aimé me plonger dans cet univers. C’était d’Amos Vogel. Je me souviens qu’il y avait, en vitrine, une comme une machine à voyager dans le temps qui nous ren- petite pancarte écrite à la main et, quand on entrait, un voyait à l’époque où Méliès réalisait ses films. Et Ben projecteur, un petit écran et quelques chaises. L’un de mes Kingsley était Méliès. Ma fille était avec nous lors du tour- courts-métrages d’étudiant était peut-être projeté, mais je nage à Londres et quand elle a vu la jaquette d’un coffret n’en suis pas sûr. Je me souviens que nous avons été parti- de DVD des films de Méliès, elle a dit : « Oh, c’est Ben ! » Et culièrement frappés par les films de Stan VanDerBeek et lorsque l’arrière-arrière-petite-fille de Méliès a visité le Ed Emshwiller. Mais la partie la plus surprenante du pro- plateau, Ben est entré sur le plateau du hall de la Sorbonne gramme résidait dans le film de Méliès – je ne me rappelle et… son arrière-grand-père était là ! Elle s’est avancée vers pas lequel. C’était comme si le temps ne s’était pas écoulé ; lui et l’a pris dans ses bras. On avait l’impression d’y être ; les effets qu’il avait créés à l’aube du cinéma fonctionnaient la reconstitution de l’atelier où il travaillait et la recréation encore et l’avant-garde rendait hommage à ces prémices. des effets qu’il a inventés étaient une expérience magique. À cette époque, le muet constituait une curiosité pour la Pour Hugo, reconstituer la gare Montparnasse, combiner plupart d’entre nous, les images étaient en général de décors en dur et en numérique, ce n’était pas seulement me mauvaise qualité et les films n’étaient pas montrés à la rapprocher de l’œuvre, mais de l’esprit aussi, de l’énergie bonne cadence. Cette soirée-là ne faisait pas exception, créatrice et de l’obsession qui ont créé l’œuvre. C’est sûre- mais ça n’avait pas d’importance. L’essentiel était que ment l’imagination de Méliès qui me fascine le plus. D’ail- Méliès était tout aussi avant-gardiste, à la pointe et qu’il leurs, je crois qu’il aurait été heureux de travailler en appartenait à une toute nouvelle école de cinéma – il n’y numérique. C’est même sûr. Avec son esprit ? Cette volonté ? avait pas de différence temporelle, il était leur contempo- Cette créativité infinie ? Imaginez ce qu’il en aurait fait. rain. C’était libérateur et je ne l’ai jamais oublié. Il aurait créé un tout autre cosmos ! J’aimais les illustrations du livre de Brian Selznick, La fin de Méliès ? Quand on a ce genre de passion et d’ob- L’Invention de Hugo Cabret, que j’ai adapté. J’étais épris session, on est toujours aux bords de la destruction, du personnage du garçon, dont l’isolement a touché une comme une conséquence naturelle de cette passion – on corde sensible chez moi en faisant notamment remonter est à la frontière, on l’effleure, on s’en écarte. On frôle des souvenirs d’enfance. Je voulais aussi réaliser un film toujours le désastre et la ruine. Il arrive un moment où la dont ma fille et ses ami(e)s pourraient profiter : l’arrivée destruction apparaît comme une évolution naturelle. de Hugo a donc été une belle coïncidence. Mais plus que C’est toujours comme ça. Ça me fait penser à la fin du film tout m’importait l’approche que Brian avait de la nature De la bouche du cheval (The Horse’s Mouth, Ronald Neame, mystique de la machine. 1958), que j’ai toujours adoré, dans lequel le peintre Méliès nous renvoie toujours à l’obsession et à la compulsion incarné par Alec Guinness détruit la fresque sur laquelle de l’image en mouvement : ses mécanismes, son mysti- il a passé tant de temps : il sait qu’elle sera détruite, donc cisme… Lorsque j’étais enfant – je devais avoir quatre ou il le fait lui-même. Quand on s’aventure aussi loin que cinq ans –, ma mère nous a emmenés à Brooklyn chez un l’ont fait Méliès, Eisenstein ou Welles, évidemment qu’on membre de la famille qui possédait un projecteur ; je ne se rapproche du gouffre. Je ne parle pas des problèmes me souviens plus s’il s’agissait d’un 8 ou 16 mm. Il a ins- économiques car il n’est pas question d’argent. Il s’agit de tallé son écran et nous a mis des dessins animés en noir vivre l’œuvre. C’est ça, Méliès. et blanc de Félix le Chat pour que nous, enfants, restions Il recherchait « la réalisation de l’impossible ». Cette idée calmes. J’avais déjà vu des films au cinéma à cet âge, mais m’a toujours inspiré. Pour moi, c’est la nature même du je ne savais pas comment cela fonctionnait. Je me rappelle cinéma : mettre une image avec une autre image, déclen- avoir regardé au travers du couloir de projection, vu les chant une sensation, une sorte de troisième image fan- images défiler et bouger, et je me rappelle avoir été complè- tôme dans l’esprit, dans la représentation mentale. C’est tement subjugué. C’est là que tout a commencé entre moi inspirant et excitant, à l’infini – y penser, se remémorer, et le cinéma. La façon dont on s’exprime artistiquement pratiquer. Cette quête m’accompagne toujours. 7 8 Préface Frédéric Bonnaud Directeur de La Cinémathèque française La Cinémathèque française ouvre un nouveau musée : le qui attirait les foules pouvait se nourrir de tout son univers musée Méliès, 160 ans après la naissance du maître de d’illusionniste et en devenir le propagandiste le plus effi- Montreuil. En célébrant ainsi celui qui fut le premier cace. Premier réflexe : acquérir cette merveilleuse machine, magicien du cinéma, nous restons fidèles à notre fonda- tout à la fois caméra, tireuse et projecteur. Mais les teur, Henri Langlois, qui n’eut de cesse de sauver ce qui Lumière refusent toute commercialisation de leur appa- pouvait encore l’être de l’œuvre de celui qu’il admirait reil, soucieux alors de conserver leur exclusivité d’exploi- follement, avant de transmettre le flambeau de la quête à tation, et c’est en Angleterre, chez Robert William Paul, Madeleine Malthête-Méliès qui effectuera un considé- opticien et pionnier du cinéma, que Méliès achètera un rable travail de collecte et de diffusion à travers le monde. projecteur qu’il convertira en caméra. Que serait devenu le cinéma sans le Voyage dans la lune ? Méliès fera alors feu de tout bois et inventera littérale- Que serait notre monde s’il avait oublié Méliès et ses fan- ment un nouveau langage, celui d’une bonne partie du tasmagories ? Langlois affirmait que le monde serait cinéma à venir, en seulement quelques années. Car l’en- sauvé, et définitivement cette fois, quand les films de fance de l’art brûle les étapes ; chaque accident se mue en Méliès auront été retrouvés, restaurés et projetés. On une avancée décisive ; le cinéma étend ainsi ses possibles peut au moins essayer de lui donner raison. et son pouvoir de fascination ne cesse de grandir. En 1961, alors que la Cinémathèque organisait – déjà ! – La fiction était là dès L’Arroseur arrosé, bien sûr, et Louis une grande exposition Méliès pour fêter le centième Lumière lui-même était un génial metteur en scène, mais anniversaire de sa naissance, Langlois rappelait que la l’intuition décisive de Méliès est d’avoir étendu le champ de collecte des appareils cinématographiques avait com- la représentation à tout ce qui ne pouvait s’enregistrer sans mencé avec la caméra de Méliès : « C’est un don, c’est un couture, que ce soit Cendrillon ou L’Affaire Dreyfus, dans la appareil qui nous a été offert par Mme Georges Méliès, même année 1899.
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